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Les
élèves en reçoivent une qui devront présenter en classe sous
forme de monologue. Ils ne reçoivent aucune indication sur le
personnage et ils doivent lui donner vie en tenant que c’est un
personnage absurde. Mes élèves de 4e sec. adore l’absurde.
Au bord de la Seine
1. MISS TERRE — Qui êtes-vous, où êtes-vous ?
Sous ce pont au bord de la SEINE
Ou allez-vous où courrez-vous ?
Dans le noir la joie ou la peine
Choux et cailloux bijoux genoux
Oubliez toute la grammaire
Ah dans quel état errez-vous !
Mystère, mystère ! Qu’y puis-je ? Que faire ?
De la pièce je suis l’appât
Je vous appâte avec mes pattes
Et vous me suivrez pas à pas
Je veux que mon corps vous épate !
8. SOLDAT — Mais c’est vous, les présidents, les rois, les princes, les
généraux qui l’avez écrite avec notre sang, c’est vous les auteurs de ces
morts. Vous m’avez tué dans les tranchées de VERDUN, enterré sous les
obus et l’on a retrouvé mon corps sans papier et plus tard, après
l’armistice, on a fait de moi le symbole de cette tuerie : le soldat inconnu
couché sous l’arc de Triomphe . Au début j’étais plutôt content d’être là,
avec l’espoir d’être la dernière victime de la dernière guerre, la «der des
ders ! » «Plus jamais ça ! » Mon sacrifice n’avait peut-être pas été vain.
En ai-je entendu des discours à chaque 11 novembre ! Des clairons qui
sonnaient «aux morts » des Présidents qui péroraient, vivants, au-dessus
de mon cadavre anonyme, et des militaires qui défilaient, des bruits de
bottes, de bottes, de bottes, des fusils qu’on brandissait «arme sur
l’épaule ! ».
9. SOLDAT — J’aurais pu réussir si vous n’aviez pas continué vos guerres
stupides. Je suis le soldat inconnu de toutes les guerres, je suis mort à
nouveau au MAROC, je suis mort à DUNKERQUE à BLIDA, en
INDOCHINE, en BOSNIE. Je suis mort rue de VANVES pour la libération
de PARIS, la guerre, toujours la guerre, toujours des soldats fauchés par
la mitraille et parmi ceux ci, celui que personne ne réclame, que personne
ne pleure, le soldat sans nom à mettre sur sa tombe, le soldat inconnu. Je
viens du fond des âges, errant de guerre en guerre. Sais-tu ce que c’est
d’être une âme errante, oubliée de tous ? Certains pourtant parfois, au
plus profond d’eux-mêmes ont pour moi une pensée fugitive ; est ce
remords, crainte ou curiosité ?
10. SOLDAT — De quelle histoire parles-tu ? Si c’est cette petite histoire qui
se déroule au bord de la scène, oui je le connais, le pauvre ! Figures toi
qu’il avait entrepris d’écrire une pièce de théâtre en prenant des
personnages comme cela, sans idée préconçue, il voulait leur donner la
parole et laisser les choses se faire d’elles-mêmes de répliques en
répliques, comme dans la vie quoi… Il y eut d’abord Arthur et Jules puis
Miss Terre et les autres, et puis, va donc savoir pourquoi, il fit venir le
soldat de la guerre de 1914 dont il ne sut ensuite plus que faire, c’est alors
que je suis entré dans son jeu. Ca n’a pas été facile, plusieurs fois il eut la
tentation de me supprimer. « Les gens ne viennent pas au théâtre pour
s’ennuyer !
Dix personnages
13. GÉNÉRAL — Eh bien, voilà ! Je n'irai pas par quatre chemins, j’irai même
droit au but, comme j'ai toujours su le faire au cours de mes glorieuses
campagnes, n’écoutant que mon courage et la foi inébranlable qui
m’anime pour défendre ma patrie bien-aimée. Ainsi, lors du siège de
Réaumur Sébastopol, alors que nous étions coupés de notre état-major et
traqués par les troupes teutonnes, j’eus ce jour-là une idée de génie :
nous avions fait quelques prisonniers germaniques et j’ordonnais à mes
hommes de revêtir leurs uniformes afin de passer incognito. Donc nous
investissons la citadelle. Je fais poster des sentinelles sur le chemin de
rondes, quand on vient m’avertir qu’une armée teutonne s'avance.
Derechef, je réveille la troupe ; nous mettons les canons en batterie et
mitraillons l’ennemi détesté.
16. OMER — J’ai dit NON. Il ne viendra pas tout de suite. Il se déguise. Sous
des dehors sauvages, c'est un tendre. Vous verrez. Il est l’unique rejeton
d’une lignée de domestiqués qui ont servi ma famille depuis des
générations. Nous les avons mâtés. Mais il faut lâcher la bride, de temps
à autre. Pour décourager les élans néfastes de libération. Les couches
inférieures en colère font des révolutions dévastatrices pour des riens et
qui ne mènent à rien. Je dois gérer tout cela d'une main diplomatique.
Parfois, je donne, je le laisse jacasser. Parfois, je fais semblant de ne pas
voir qu’il me vole. Je le vole, à mon tour. Il a nulle place où aller si je le
congédie. J'ai du coeur. Il est pratique et servile. Je n’en demande pas
plus. Vous n’avez jamais eu de domestiqués ?
17. OMER — Les choses finissent toujours par s’arranger. Nous sommes
riches. Les peuples soumis nous doivent le respect ; nous réussissons à
les tenir en laisse, sauf les Japonais. Comme les Britanniques, ils
n’aiment pas se retrouver entre eux sur leurs îles. Ils conquièrent alors le
monde pour oublier. Il faudra les mâter, à leur tour. Leur apprendre à vivre
en parfaite harmonie avec nous. Vous êtes poète. Moi, je suis sociologue.
J’aime méditer sur le sort des civilisations, le futur de notre planète, le
bonheur des hommes, le pourquoi des ogres. C'est très enrichissant. Pas
très joli, mais enrichissant. Attention, il ne faut pas faire de morale. C’est
dangereux d’être tendre et de croire aux vertus. Quand vous mangiez des
enfants, aviez-vous parfois des remords ?
18. OMER — Si, plein de choses délicates et inutiles. Pour le reste, je ne me
fatigue pas. J’ai un chauffeur haïtien, une femme de chambre polonaise,
un jardinier rwandais, un cuisinier roumain. Tous engagés grâce à un
programme gouvernemental, salaire minimum, obligations sociales
limitées, tous handicapés mentaux ou physiques. Le tiers-monde à ma
portée qui travaille pour moi. Et quand ils ne font plus l’affaire, on les
déporte tout bonnement. De quoi je me plaindrais ? Il est bon que le
peuple peine pour les nantis ; il apprend la servitude à peu de frais. La vie
n’est pas rose ! J’ai le coeur sur la main. J’ai facilement la larme à l’oeil
quand je vois des atrocités. J’aime compatir dans mon salon. Ça vous
suffit ?
24. PAUL — C’est sûr!.. Un gynéco, ils ont de la chance! Moi je vais
m’occuper de ma chasse d’eau! Il va falloir que je trouve un moyen pour
rattacher le truc qui fait remonter le machin sinon ça ne va jamais se
remplir ou ça va déborder.. Parce que vous savez, il y a deux flotteurs, un
qui maintient le clapet d’évacuation soulevé quand on tire la chaîne, et
puis un autre qui régule le robinet d’arrivée d’eau au moyen d’une tige
filetée avec un boulon de 6 ou de 8...et c’est le filetage du bidule qui est
cuit donc le flotteur se ballade et parfois il obstrue le trop-plein.. Alors,
forcément...Bien sûr!!!
25. Dr BOUILLON — Comme ça! La première fois que j’ai vu une femme
nue... j’ai cru que c’était une erreur.. j’ai voulu en voir le plus possible.... Et
puis la fin des études, la spécialisation, on s’aperçois qu’on a bossé sans
vivre, vos idées d’adolescent vous poursuivent...et vous vous retrouvez
gynéco... brillant! d’ailleurs! J’ai toujours fait rire… Tenez: sur ma plaque
par exemple j’ai fait graver “ le Docteur Bouillon reçoit à partir d’onze
heure ”. Et quand vous arrivez à faire rire une femme sur une table
d’examen en regardant son fibrome...alors là! Vous êtes un grand
médecin...
26. Dr BOUILLON — Seulement voilà! Les rêves d’enfant deviennent des
cauchemars: On se voyait Docteur, celui dont on tombe amoureux. Vous
pensiez voir beaucoup de femmes... mais ce sont des malades. Ce détail
vous avait échappé dans vos rêves...avec tout le cortège d’horreurs de la
maladie. Et ne croyez pas que les femmes fraîches et bien portantes
venues pour la pilule, pour s’envoyer en l’air, vous sortent du cauchemar!!
Non l’épouvante est trop grande....Quant à séduire ...vous avez vu ma
tête? Alors mettez la entre les cuisses d’une femme venue consulter et
vous avez tout compris!
28. Dr BOUILLON — Ah! Bon sang! La méchanceté des choses, mais c’est
vous qui la provoquez! C’est comme ça qu’on fait tout foirer On peut tout
trouver méchant Tenez, prenez un truc agréable, un réveillon chez soi
avec des amis, par exemple...vous voyez ce que je veux dire? Eh bien
moi cet après midi pour les recevoir il a tout de même fallu que je fasse du
slalom avec un caddie dans un super marché, que je trimbale des sacs
plastiques qui cisaillent les doigts, que je me les coltine jusqu’à ma
bagnole les bras écartés pour pas me cogner les genoux, que je les lâche
pour ouvrir le coffre de ma voiture, que je les reprenne, que je les relâche
pour ouvrir ma porte d’appartement.
29. Dr BOUILLON — Je propose l’apéro: Champagne! Et on me demande du
jus d’orange avec de la glace!!! Vous vous êtes déjà battu avec une
briquette de jus d’orange vous? Ça résiste: D’abord entre deux doigts,
puis avec les dents, enfin avec un couteau à scie, glouf! une grande giclée
sur la table. L’éponge, vite l’éponge. Ding ! Deuxième round: On rattaque
au couteau pour décoller le bac à glace dans le freezer! Ding aaoooh!
Madame, Monsieur, Le jeu consiste à faire entrer le contenu d’un bac à
glace comme grand comme ça...dans un bol large comme ça! Tu le
tortilles, ça se démoule ça tombe. Ding ! résultat: 4 glaçons dans le bol 8
dans l’évier et 12 par terre. Ding! Fin du match!!! Et moi devant tant de
méchanceté je jette l’éponge!
30. PAUL — Personne ne foutra en l’air ma mort, j’en ai trop rêvé. Quand
j’étais gosse, je mourrais tous les soirs sur mon lit, je me tenais inerte
laissant pendre un bras dans le vide jusqu’à ce qu’il soit glacé comme
celui d’un cadavre. Alors baigné de larmes je replongeais avec volupté,
sous les draps chauds... laissant le sommeil me vaincre enfin ! Je suis
mort des milliers de fois, je mourrais partout, dans l’ascenseur : à l’abri
des regards dès que la porte se fermait : Une longue agonie. Comme les
héros d’opéra qui même lardés d’un grand coup de rapière parviennent
encore à chanter leur air, “salut à mon dernier matin ! ” Je vais mourir ce
soir sans une larme, à cause d’un téléphone qui ne sonne pas... ou pas
pour moi. C’est bientôt la fin ! Il s’est dirigé lentement vers le centre de la
scène l’arme sur la tempe et leur a hurlé, comme fou -COMME AU
THÉATRE ! MAIS POUR DE VRAI CETTE FOIS-CI... SALUT MONDE DE
GUIGNOL !
41. L’ARTISTE — Soyons réaliste, la vérité en face, le talent fait ce qu’il veut,
le génie ce qu’il peut ; mais le talent sans génie ne veut rien, et le génie
sans talent ne peut rien… un douloureux antagonisme, mais que veux-tu,
les choses sont ce qu’elles sont… Ah ! mon ami ! T’es mon ami ? N’ayons
pas peur des mots, faut côtoyer le sublime pour se rendre compte de sa
propre petitesse ; t’es un saltimbanque rare, sublime et unique, aucun
regard envers toi même, l’humilité à fleur de peau. « L’enclume » défend
ton steak : « Monsieur sale gueule » sonne ta relève ! L’heure n’est plus
aux jongleries, au placard Excalibur, à la guillotine les pitres, fusillons les
bouffons, à l’abattoir le cheval de Troie !
42. LA FILLE — Qu’est-ce que tu veux, tu sais à peine articuler tes os pour te
mouvoir correctement. Tout autour de nous pue la mort. Tu comprends ça
? Dans ce désert nous sommes de pauvres chameaux ! L’heure des trois
métamorphoses doit éclairer la chasse : je veux être le plus grand
prédateur de ce désert, un lion sans scrupule, féroce. Tu comprends
rien… à quoi bon me fatiguer à t’expliquer ce qui ne peux l’être, tes
oreilles d’âne t’encombrent. Tu veux savoir ce qui se passe dans ce
monde ? Que des restes d’humanité suintants la lèpre et l’eczéma, des
lambeaux d’êtres, des flaques sales, des silhouettes de morts, des nuées
stériles ; bientôt, nous disputerons les morceaux d’os aux rats.
43. LA FILLE — Dans quel sorte de réalité vis-tu ? T’es qu’une bête, un veau,
un attardé, un gosse sans âge, chien apeuré par sa propre gale ! Tiens,
regarde, les brigades d’aliénés paradent ; têtes hautes ils écument de joie,
défilent et bavent leurs flots d’urines en bataillon d’assassins ; leurs bottes
claquent sur le ciment, c’est le bordel, le chaos ! Il n’y a plus d’ordre, plus
rien qui soit comme avant, Chacun pour soi ! L’exode des chiens ! Nous
vivons une fable tragi-comique ; au sud, les abris s’écroulent sous de
violentes secousses, l’exode est massive.
44. LA FILLE — Selon le porte -parole de la compagnie new world « Il est
impossible de l’absorber sans l’effondrement total de notre économie.
Malgré l’interdiction de pénétrer sur notre territoire, les pouilleux
s’entassent dans les ports attendants un moyen propice pour traverser ;
les filières bourgeonnent d’un trafic prospère, les hordes crasseuses
tentent de glisser entres les mailles du filet dans des soutes à poissons…
Le président de la République Nordique Alfred Duzigue rassure les
lobbies par de savantes promesses , je cite : « La confédération du nord
sera sans appel : nous ne servirons pas de cours des miracles, l’invasion
sera enfournée, l’armée brûlera en mer ces montagnes de chairs, soyez
en sûr, dorénavant, nous exterminerons cette sous race ! »
47. L’ARTISTE — Bon, tu vois, je dispose un peu de pulpe partout sur le sol,
j’étale bien, comme ça l’odeur se propage mieux, et Chloé, qui a un odorat
très subtil, parce qu’elle a un odorat très subtil, n’est-ce pas ? Alors, elle
ne pourra pas louper ce délicieux fumet de tomate, hum sens le… elle ne
pourra pas. Les araignées « d’hiver » raffolent de la pulpe, une drogue…
Aucune n’a jamais résisté à une bonne giclée de pulpe. Hum sens le…
elle ne pourra pas. D’ici, je le sens ce fumet de tomate, approches-toi,
vas-y sens-le, hum… Mama mia… làs pastàs à làs Sicilianas ! Demain
matin, Chloé sera de retour parmi nous. Parole.
48. LA MERE — Un conteneur, hé béé ! il y a des gars qui s’emmerdent pas.
Allez donne-moi en une. Un fumoir j’adore ça, cette ambiance qui pique
les yeux ! Je l’ai bien mérité moi aussi. L’espoir caillé rouille tes veines,
tes méninges sont grippées, ta cervelle ne fonctionne pas normalement ;
qu’est-ce que tu veux, t’y es pour rien, t’es un orphelin du ruisseau, un
sale gosse, t’es comme moi : une blessure grouillante de mouches, trop
généreux. Tu te noierais dans la première flaque de merde. Il n’est pas en
si mauvaise forme que ça notre gaillard. Me regarde pas va. Oublie-moi.
Ronge ta chaîne. On te pardonne va. Qu’est-ce que tu fais, allume -moi
ça ! Tu m’auras, ça on peut dire que tu m’auras, ouais, tu m’auras à
l’usure. Je parle de la cigarette. Du Cognac. Du bon vieux Cognac !
50. L’ARTISTE — Aux quatre coins des globes pariétaux de la grande ourse,
la boutique cosmique tire ses grands rideaux ! Nuit et jour, la pluie colorée
tombe, la lumière fait mouche ! Découvrez des mammifères en pacotilles
à tête de dragon, des chimères en carton, des titans d’haleines fétides à
l’allure de cyclopes juvéniles : dégustez le Graal jusqu’au dégoût !
Attention ! Le grand retour des « Z’atomics Mabouls » ! Et alors là,
attention la foule ! Attention ! On se pousse, s’il vous plaît, on laisse
passer ; parce qu’avec de la nouveauté comme celle là , attention les
yeux : le neuf ça pète à la gueule ! Le saut de l’impossible ! La canonnade
sensationnelle ! Et le clou du spectacle « Le cheval de Troie » !
51. L’ARTISTE — Saturée par des briques en chair : l’onde vibre, s’emplit
d’un bric à brac de particules élémentaires ; sur cette scène plane l’odeur
des forêts, et au loin, là haut, suspendu au ciel sans mur, jaillit Pégase
dans un fracas d’os en bois : la licorne mythique gronde, s’élance, ses
sabots lèvent la poussière, et d’une féroce ruade : terrasse la foudre de
l’imaginaire ! Les « Z’atomics Mabouls » combattent l’avidité du bec des
vautours, foudroient l’arrogance du coeur sec des picadors de boyaux !
Les yeux exorbités par les mystères du sable mort ; voici qu’avancent
victorieux les «Z’atomics Mabouls » : les gouffres en forme de bouche, les
cracheurs de présent, voici les enfants de l’atome, mi dieux mi bêtes : Les
sodomivengeurs d’anges déchus !
52. L’ARTISTE — L’abbé c’est un accident, d’accord, le coup est parti tout
seul, oublie ça, nous n’allons pas le pleurer, tourne la page du mort,
maintenant, t’as les commandes, t’es le grand chef, bientôt, un grand feu
d’artifices en ton honneur, t’as pris ma place, t’es moi, t’es devenu
l’homme de la maison, moi ; je suis le chien, toi l’homme, tu tiens mon rôle
bien en main ; alors, reprends tes esprits, bois, bois : l’homme a une
bonne raison pour boire maintenant. Tu dois jouer ton rôle auprès des
femmes, les honorer, sois lucide, la petite… tu l’aimes… très bien, aucun
problème ; je te donne ma bénédiction, mais tu sais, nous aimons un
jour… puis l’autre bof… Un seul obstacle : elle veut pas de toi, tu
comprends ! ? Alors, colle-lui un taquet et hop ! Tu la retournes ni vu ni
connu, à la mode de Carthage, après tu me détaches, et ensemble, «
adios chicas » !
Le(s) mur(s)
53. L'HOMME DANS LA PIECE — Qu'est-ce que vous faites dans mon
bureau ? Je travaille trop, moi ! Comment se fait-il que je voie des
fauteuils, et dans ces fauteuils, des gens confortablement assis qui me
regardent avec des yeux ronds ? Ils sont toujours là. Comme si de rien
n'était, comme si de rien n'était, comme si de rien n'était. Arrêter de parler
tout seul, aussi… Excusez-moi, mais je ne peux pas travailler comme ça.
Je suis en train de dire à des gens qui ne sont pas là que leur présence
me gêne. Vous n'êtes pas là, n'est-ce pas ? Il n'y a personne d'autre que
moi dans cette pièce.
54. L'HOMME DANS LA PIECE — Des épluchures fines ! Vous croyez que
c'est facile, après une bassine entière de patates, de se remettre à
pianoter sur le clavier? Remarquez, je n'ai pas à me plaindre. D'habitude,
je suis exempté pendant dix-sept jours. C'est une convention. Dix-sept
jours d'écriture, dix-sept jours de patates. Ça fait dix ans. Sans elle, sans
cette façon qu'elle a eu d'introduire les patates dans ma vie, je n'aurais
jamais conçu mes pièces comme je le fais aujourd'hui, vous savez. Au
début, tout à fait au début, j'étais incapable de faire des épluchures fines.
Je me concentrais, je faisais très attention de bien les faire tomber dans la
bassine et le résultat était désastreux. Maintenant, au contraire, j'ai
compris que les faire tomber dans la bassine n'a aucune importance. La
seule chose qui compte, c'est la qualité des épluchures.
55. L'AUTEUR — C'est curieux, tout de même, qu'elle ne vous ait pas vus. Je
la connais assez pour être à peu près sûr qu'elle ne ment pas, et pourtant,
je sais aussi que votre présence est absolument incontestable. Alors quoi
? Est-ce qu'il y aurait autant de représentations du monde qu'il y aurait de
regards ? Et si tel est vraiment le cas, cela veut-il dire qu'on ne peut
jamais savoir si ce que voit l'un est identique à ce que voit l'autre ?
Sommes-nous tous à ce point différents que nous évoluons chacun dans
un monde unique et sans aucune sorte de ressemblance avec celui des
autres? Si cela est vrai, si chaque être humain est réellement seul dans
son univers particulier, alors, le monde est entièrement constitués de fous.
61. L'AUTEUR — Deux femmes, trois hommes. Un couple qui a déjà vécu
son histoire dans une pièce, et un autre, qui aussi vécu la sienne, dans
une autre pièce, en compagnie d'un troisième personnage. Cela fait deux
pièces. Ces deux-là sont terminées depuis longtemps, elles ont vécu,
n'en parlons plus. Mais je reprends les personnages de ces deux pièces,
je les propulse tous les cinq dans une nouvelle histoire, et en les faisant
se rencontrer, je crée une autre pièce. Dans cette nouvelle pièce, il y a...
Gabriella. Dans cette nouvelle histoire, il y a... Théodore. Dans ce tout
nouveau drame, il y a aussi... Petra. Je n'oublie pas... Dieter. Et je
n'oublie pas non plus... Sébastien !
62. L'AUTEUR — Vous voulez un père, une mère, une date de naissance et
des papiers en règle ? Votre père, c'est moi ! Votre date de naissance,
c'est le jour où je vous ai fait prononcer votre première phrase ! Vous
trouvez insupportable d'être coincés entre un début et une fin ? Mais dans
la vie réelle aussi il y a un début ! Et il y a aussi une fin ! Et c'est la mort,
Messieurs-dames, la mort ! Est-ce que vous vous rendez compte que
vous, dans votre monde imaginaire, vous ne connaîtrez jamais la mort ?
Avez-vous bien conscience de cette chance ? Est-ce que vous savez bien
que c'est à l'éternité que vous souhaitez renoncer ?
63. L'AUTEUR — Vous n'avez pas le droit ! Elle ne vous a rien fait ! Elle
m'aime ! Elle m'aime comme je l'aime et comme vous aussi je vous aime !
Vous n'avez pas le droit ! Vous êtes mes personnages et je vous aime
comme mes enfants ! Je vous aime, oui, je vous aime encore ! Vous
n'avez pas le droit de nous faire ça ! Laissez entrer ma femme ! Elle vous
le dira ! Lisa vous dira que je vous aime ! Tous ! A la folie, oui, à la folie !
Absolument à la folie !... Ce que je viens de dire ne peut pas se trouver
sur les feuillets que vous avez réécrits ! Vous le savez ! Vous ne pouvez
pas ne pas le savoir ! Je vous en prie ! Vérifiez que ça n'est pas dans le
texte ! Je vous en supplie ! Vérifiez ! Je vous supplie de vérifier...
Miss Camping
64. ANIMATEUR — Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, chers membres
du jury aziga aziga azigabou !A présent nous allons accueillir les trois
dernières candidates, toujours plus belles, toujours plus sexy, toujours
plus aziga aziga azigabou…Je vous rappelle que cette soirée est
sponsorisée par Béton 2000, avec béton 2000 fini les maisons carton !
Attention musique ! Portant le dossard 17, tout droit venue de Sarcelles,
vous pouvez applaudir Véronique, 30 ans au minimum…Suivie de la
candidate n° 18 Valérie, celle qui rit quand on l’avale ! Originaire de
Bobigny, 15 ans…Un super aziga à toutes les bobignoutes ! Et pour
clôturer ce défilé, le bouquet final, c’est encore une bobignoute, elle vient
de fêter ses 16 ans, portant le dossard n°19, je vous demande d’applaudir
Sue Ellen…Et tout ça c’est aziga aziga azigabou ! …Salut Véronique, tu
t’appelles comment ?
69. NARVIK — Ca y est, ça y est, vous êtes en train de cogiter, là, hein ? Ne
mentez pas, je vois vos fronts plissés, les gros yeux sombres, les sourcils
en accent circonflexe. Ce que vous êtes laids ! Ca fait à peine cinq
minutes que c’est commencé et vous vous dites : ce type a tout de la
ganache sans scrupule. Il bavarde comme une pie, martyrise un
handicapé, pressure un petit vieux, lui extorque une somme sûrement
astronomique équivalant à plusieurs mois de pension pour finir par le
dépouiller totalement, baiser sa fille au deuxième acte et écraser son chat
en traversant le jardin juste avant l’entracte. Et avec un peu de chance il
va se faire la bonne, la nurse, les poissons rouges et l’angine de poitrine.
Et nous jouer l’intégrale de Clayderman sur son harmonica. C’est ça ?
C’est ce que vous pensez de moi ? C’est comme ça que vous voyez le
héros de la pièce ?
70. NARVIK — Dis-moi poupée, honnêtement, tu crois que Narvik peut
manquer à ce point de scrupule ?…. Tu sais que t’es mignonne, toi ? Si,
si. Tu viendras me voir après le spectacle, okay ?… Et toi, qu’est-ce que
t’as ? On t’a jamais dit de ne pas te mettre au premier rang ? C’est là
qu’on ramasse les balles perdues et les gros postillons. Vient pas te
plaindre après…. Oh, pourquoi ? Pourquoi vous êtes venu ? Pourquoi
vous être assise là ? Vous ressemblez tellement à ma mère… Mais alors
c’est pas son parfum, du tout ! Vous avez mangé quoi avant de venir, des
frites ou du poisson ?… Non, Narvik c’est autre chose. Narvik c’est un
pur, un dur, un zur… euh, zur, tur, wur …mur… voilà, Narvik c’est un mur,
contre lequel se fracassent toutes les idées reçues et le grand navire des
désillusions quotidiennes !…Oh c’est beau, ça !
71. NARVIK — Vous recevez un colis, c’est encore le matin…un petit matin
d’automne jaunâtre qui colle administrativement son givre aux vitres des
églises, l’enfant de choeur est enrhumé, mais il chante cependant ses
cantiques, d’une pauvre voix rauque qui écorche ses petits poumons et
s’éraille aux ailes des anges plâtreux de la vaste nef où somnolent encore
quelques bigotes cagneuses… Non loin de là, un chien crève dans le
caniveau, renversé par une voiture en état d’ébriété manifeste… Chez
vous, dans votre appartement douillet, loin de tout fait divers, la bonne
ouvre la porte…
72. NARVIK — Deux fois, oui ! Et vous voilà, face à votre fille, le père encore
fringant et la fille désirable, la petite boule de chair sortie de son ventre,
elle est belle dans la lueur du feu de bois qui craquèle, cracouille et même
parfois craquille. Vous ôtez votre veste d’intérieur, il fait trop chaud. Vous
êtes écarlate. Vous marchez vers cette pure jeune fille, votre fille, elle tient
encore le colis entre ses mains blanches. Et ce colis, laissez-moi
poursuivre, ne m’interrompez surtout pas, ce colis, Bagou prépare-toi à
noter, ce colis vous le lui arrachez des mains avec une violence
inhabituelle, vous le tournez et le retournez comme une chipolata dans la
chapelure, votre fille prend peur mais elle ne peut sortir de la pièce, vous
la poursuivez, vous l’acculez, je répète : vous l’acculez, vous avez le colis
à la main et ce colis, monsieur Casta,… regardez-moi quand je vous
parle, ce colis…. VOUS NE L’AVEZ PAS COMMANDÉ !
73. NARVIK — Allô, La Redoute ? Service du déminage, nous sommes sur la
piste d’un colis piégé. Réservez-moi une ligne en priorité, je vous rappelle
dans cinq minutes….Euh, pendant que nous y sommes, enregistrez donc
ma commande, je voudrais l’article T 52.812 en dix exemplaires…oui,
c’est cela, bleu ciel, en coton, oui modèle classique avec poche sur le
devant et ouverture latérale…je dis : une ouverture pour sortir… Euréka !
J’ai trouvé ! Par effraction ! Merci mademoiselle. J’ai trouvé ce que je
voulais dire : la vérité sortira de ce bureau comme elle y est entrée, deux
points, par effraction. Note Bagou, pour la postérité !
75. BAGOU — Ca fameux 14 Juillet était à marquer d’une pierre noire dans la
vie de Narvik. Et d’une pierre tombale dans la mienne. Un détective privé
ne s’occupe pas que de coups fumants. La plupart du temps il traîne dans
les flaques d’eau à la poursuite d’un époux à la braguette en fleurs ou
d’une épouse ravagée par une after-shave. Il planque dans des coins de
rues sombres, traîne son oreille aux portes des hôtels, respire des odeurs
de stupre et d’animalité. Parfois, il suit des hommes d’affaires douteux,
traque les faux comptables, les politiciens véreux mais c’est rare, très
rare, non son terrain d’action le plus arpenté c’est la fesse. Il barbote dans
les draps sales.
76. NARVIK — Ca me rappelle une affaire à peu près identique. Il y a deux-
trois ans. Le mec trompé c’était une femme. Et la femme que je suivais
c’était donc un homme. C’est clair ? Je suivais donc un type en ciré noir. A
part que là il était en costume crème et panama blanc, vous voyez ? Le
genre moustaches, lunettes, tout quoi. Donc il descend de son scooter et
le gare sous un marronnier. Étonnant, non ? D’autant plus étonnant que le
marronnier, c’était moi. Un déguisement. Alors je sors mon inséparable
Polaroïd, celui que j’ai dissimulé dans un sandwich. Mon type avait une
attitude vraiment louche, il regardait à gauche, à droite, à gauche, à droite,
à gauche, à droite, à gauche, à droite, plusieurs fois de suite, quoi. Et
soudain, il ouvre en grand sa braguette. Déjà je commence à prendre des
photos avec mon jambon-beurre et soudain le type se retourne vers moi
et se met à pisser. Tout content de se soulager le type chantait en jouant
avec son tuyau, il tournait autour du tronc, comme ça…
78. GINETTE — Le stop, ça marche pas fort dans le métro. Après que l’autre
pomme de Narvik ait fait foirer la séance, Manfred, Popaul et moi on s’est
farci trois kilomètres à pince sur les rails. Et maintenant, la photo porno
c’est cuit pour moi. Quelle poisse ! En quinze jours j’ai tout raté à cause
de cet empêcheur de loubarder en rond. J’avais dit « je me tire un mois et
en un mois je dois devenir l’ennemi public numéro une ». J’ai plus que
deux semaines pour m’affirmer en tant que malfrat. Si au moins d’août j’ai
pas percé dans un secteur mafieux, je suis bonne pour rentrer dans le
Gers, gaver les oies et me faire gaver par le gros Duplumier, mon
exécrable mari… Alors ce soir, j’essaye les stups.
79. PARKING — Bonjour. On s’est pas encore vu. Normal j’interviens plus
tard dans l’histoire. Je suis le futur adjoint de Narvik. On m’appelle
Parking, en réalité mon nom est Duparc, comme un parc, mais on m’a
surnommé « le roi », en anglais « the king », le roi du parc. Ou le Parc
King, comme on veut. Comme j’occupe beaucoup d’espace on m’a
enfermé dans un placard dès le début du spectacle. Mais là on m’a permis
de venir me dégourdir les articulations. Et puis ça permet aux comédiens
de changer de tenue. Ca va être bien, les costumes vont être très bien,
les décors très bien, si si, encore mieux qu’en première partie. Ah non
c’est un beau spectacle, je suis drôlement content de participer à un truc
aussi réussi.
80. PARKING — J’ai l’air nerveux comme ça mais c’est pas le trac, non, c’est
de naissance. Enfin presque. C’est depuis que ma mère m’a jeté au vide-
ordure avec ma coucheculotte. J’avais adhéré au fond. Y’a pas de Téfal
dans la couche-culotte, ça reste à faire. Ma pauvre mère qui voyait plutôt
flou s’est rendu compte de rien. Depuis l’accident je suis un peu agité. J’ai
dégringolé les six étages en chute libre pour atterrir sur les trognons de
chou-fleur. Ensuite j’ai tout regrimpé par le même chemin, comme qui
dirait la face nord du vide-ordures, avec mes petites dents et mes petits
ongles qui s’accrochaient à la croûte noirâtre du conduit, et les kilos
d’ordure qui me tombaient dessus. Je me suis même pris un reste de
tomates farci sur la tétine. J’ai failli lâcher.
82. NARVIK — Oh comme c’est bon toutes ces papouilles, toutes ces
chatouilles, tous ces doigts boudinés qui malaxent mon imposante
musculature Aaaaaaah, quel bonheur ! Vous aimeriez être à ma place,
n’est-ce pas ? Vous qui êtes assis dans ces sièges pourris depuis plus
d’une heure, vous qui digérez difficilement la bière tiède de l’entracte,
vous qui respirez la transpiration de votre cochon de voisin ! Ah je vous
comprends ! Quand je pense que je dois mourir tout à l’heure, ça me tue !
Surtout que je me pose toujours la grande question, la terrible question,
celle qui me ronge depuis des mois et des mois au point de m’en faire
perdre le sommeil… qui a piqué mon peigne ?
83. NARVIK — Résumons : Billy : en bonne voie d’éducation. L’affaire
Duplumier : rien, rien, rien. Quinze jours de filature, deux adjoint au Père
Lachaise, deux tentatives de flagrant délit et pas de flagrant délit. Cette
fille reste irréprochable. Je sens de plus en plus les terrines au père
Duplumier me monter au nez. Quant à l’affaire Casta, je l’avoue, j’ai été
faible. J’ai cédé devant le deuil de Mado et j’ai accepté de retrouver le
corps et de lui recoller les oreilles. Pour la troisième partie, aucun espoir,
le chat de Mado l’a bouffé tout cru. Mais si j’ai accepté l’affaire, je n’ai pas
progressé d’un centimètre. Le puzzle est en quatre morceaux dont une
pièce digérée par les sucs gastriques du félin.
84. NARVIK — Non, les abdominaux c’est trop intime, ça fait partie de ma
petite enfance, je ne veux pas qu’on y touche ! Certains avaient leur
nounours, leur poupée, d’autres avaient un bout de drap ou un mouchoir
qu’ils appelaient leur mimi, leur doudou, leur popo. Moi, j’avais mon
ventre. J‘ai été un enfant malade, long comme ça j’avais des coliques
terribles, je caressais mon ventre douloureux pour calmer les spasmes,
depuis je ne supporte pas qu’on y pose la main. J’ai tellement peur que
les coliques reviennent.