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Voici plusieurs répliques provenant de pièces absurdes.

Les
élèves en reçoivent une qui devront présenter en classe sous
forme de monologue. Ils ne reçoivent aucune indication sur le
personnage et ils doivent lui donner vie en tenant que c’est un
personnage absurde. Mes élèves de 4e sec. adore l’absurde.

Au bord de la Seine
1. MISS TERRE — Qui êtes-vous, où êtes-vous ?
Sous ce pont au bord de la SEINE
Ou allez-vous où courrez-vous ?
Dans le noir la joie ou la peine
Choux et cailloux bijoux genoux
Oubliez toute la grammaire
Ah dans quel état errez-vous !
Mystère, mystère ! Qu’y puis-je ? Que faire ?
De la pièce je suis l’appât
Je vous appâte avec mes pattes
Et vous me suivrez pas à pas
Je veux que mon corps vous épate !

2. MISS TERRE — On m’a trouvée rue MONDETOUR


Dans une poubelle pour berceau
Et j’ai grandi dans le faubourg
Pour toute école : le ruisseau
J’ai pris la vie comme elle venait
Elle était plutôt mal fichue
Quand par trop elle me malmenait
Je la serrais dans mon fichu.
Les hommes m’ont appris l’amour
Qu’on fait sous les portes cochères
Le soir à la tombée du jour
A la lueur des réverbères.
Pour quatre sous je leur donnais
Mon corps de poupée BARBIE
Leurs étreintes j’les accompagnais
Avec des Ah ! Avec des Ih !
3. MISS TERRE — Mais un jour dans ma petite tête
M’est venue cette étrange idée
Plutôt que de faire la bête
Et de finir dans un clandé.
Au lieu de montrer mes appâts
Je devais en faire mystère
L’homme désire ce qu’il ne voit pas
J’optais pour les habits austères
J’aguichais dans cette tenue
Plusieurs bourgeois fortunés
Qui avant de m’avoir vu nue
Plusieurs millions m’avaient donnés

4. MISS TERRE — Pour asseoir ma situation


J’ai entrepris de convoler
Avec l’accord de la nation
Avec un jeune diplômé
Entreprendrais-je un triste ENARQUE
Un polytechnicien coincé
Emmènerais-je dans ma barque
Un beau normalien agrégé ?
Mais pour arriver à mes fins
Il me fallait gagner un titre
Car les bêtes à concours ont faim
De vainqueurs de concours de pitres
Sans cursus universitaire
J’ai gravi l’échelle des MISS
Et j’ai le pompon de MISS TERRE

5. COM — Mystère, mystère ! que de mystères à éclaircir ! J’ai beau être un


commissaire hors de pair, cela fait beaucoup de mystères car enfin, je
suis chargé d’une mission pas claire ! Le ministre en personne m’a dit :
«commissaire, il faut dans les meilleurs délais le retrouver ! » Comptez sur
moi monsieur le ministre, mais de qui s’agit-il ? –De celui qui a disparu-
Parbleu ! Si on le recherche c’est qu’il a disparu, mais encore ? – Encore
quoi ? S’il a disparu c’est que l’on ne sait pas où il est ! –J’entends bien,
mais du moins sait-on de qui il s’agit et comment il s’appelle.- Vous voulez
dire son nom ? NON ! –Voilà qui ne me simplifie pas la tâche ! –
Assurément mais c’est bien pour cela qu’on vous a confié cette mission
puisque vous êtes un commissaire hors de pair, personne mieux que vous
ne saurait faire l’affaire !
6. COM — Donc il me faut en la circonstance compter sur le hasard qui est
aléatoire, mon flair de fin limier, mon expérience de vieux routier et surtout
sur la puissance de mon raisonnement qui doit s’articuler nécessairement
autour des modestes informations dont je dispose. Voyons, qu’est ce que
je sais sur cet individu disparu ? RIEN ; ce n’est pas beaucoup ; mais je
sais qu’on attache à cette affaire une grande importance et qu’un secret
d’état l’entoure. Dés lors je peux supposer que l’homme en question
détient une information, un savoir, que le gouvernement ne souhaite pas
voir divulguer ou alors une chose qu’il souhaite récupérer, mais cela
n’explique pas que l’on ne m’ait pas donné au moins le nom de cet
individu !

7. SOLDAT — C’est ainsi que vous m’appelez… inconnu, comme si faute


d’avoir trouvé mon nom je n’avais pas de passé, pas d’histoire, que je
n’avais pas été un jour un bébé endormi dans un berceau, un gamin
courant dans la campagne, un amoureux dans les bras d’une femme, un
homme fatigué de piocher sa vigne ou de cuire son pain, mais je n’ai pas
connu le bonheur de l’âge mur, la sagesse de la vieillesse et si j’ai eu des
enfants je ne les ai pas vus grandir ; on m’a emmené la fleur au fusil et
l’on m’a fauché à la fleur de l’âge d’un coup d’épée, d’un coup de pique,
d’un tir de mitrailleuse, d’une balle de fusil … dix fois, cent fois, mille fois ;
je ne sais plus… je suis le soldat inconnu qui traverse les âges ; je suis
mort à ALESIA, à VALMY, à GRAVELOTTE, je suis mort à IENA à
WATERLOO aux THERMOPILES, au siège d’ORLEANS à côté de la
PUCELLE. On m’a tué à ROCROY à FONTENOY…

8. SOLDAT — Mais c’est vous, les présidents, les rois, les princes, les
généraux qui l’avez écrite avec notre sang, c’est vous les auteurs de ces
morts. Vous m’avez tué dans les tranchées de VERDUN, enterré sous les
obus et l’on a retrouvé mon corps sans papier et plus tard, après
l’armistice, on a fait de moi le symbole de cette tuerie : le soldat inconnu
couché sous l’arc de Triomphe . Au début j’étais plutôt content d’être là,
avec l’espoir d’être la dernière victime de la dernière guerre, la «der des
ders ! » «Plus jamais ça ! » Mon sacrifice n’avait peut-être pas été vain.
En ai-je entendu des discours à chaque 11 novembre ! Des clairons qui
sonnaient «aux morts » des Présidents qui péroraient, vivants, au-dessus
de mon cadavre anonyme, et des militaires qui défilaient, des bruits de
bottes, de bottes, de bottes, des fusils qu’on brandissait «arme sur
l’épaule ! ».
9. SOLDAT — J’aurais pu réussir si vous n’aviez pas continué vos guerres
stupides. Je suis le soldat inconnu de toutes les guerres, je suis mort à
nouveau au MAROC, je suis mort à DUNKERQUE à BLIDA, en
INDOCHINE, en BOSNIE. Je suis mort rue de VANVES pour la libération
de PARIS, la guerre, toujours la guerre, toujours des soldats fauchés par
la mitraille et parmi ceux ci, celui que personne ne réclame, que personne
ne pleure, le soldat sans nom à mettre sur sa tombe, le soldat inconnu. Je
viens du fond des âges, errant de guerre en guerre. Sais-tu ce que c’est
d’être une âme errante, oubliée de tous ? Certains pourtant parfois, au
plus profond d’eux-mêmes ont pour moi une pensée fugitive ; est ce
remords, crainte ou curiosité ?

10. SOLDAT — De quelle histoire parles-tu ? Si c’est cette petite histoire qui
se déroule au bord de la scène, oui je le connais, le pauvre ! Figures toi
qu’il avait entrepris d’écrire une pièce de théâtre en prenant des
personnages comme cela, sans idée préconçue, il voulait leur donner la
parole et laisser les choses se faire d’elles-mêmes de répliques en
répliques, comme dans la vie quoi… Il y eut d’abord Arthur et Jules puis
Miss Terre et les autres, et puis, va donc savoir pourquoi, il fit venir le
soldat de la guerre de 1914 dont il ne sut ensuite plus que faire, c’est alors
que je suis entré dans son jeu. Ca n’a pas été facile, plusieurs fois il eut la
tentation de me supprimer. « Les gens ne viennent pas au théâtre pour
s’ennuyer !

11. BLANDINE — Beaux lions qui peuplez cette arène


Ne me déchirez pas le coeur
Rentrez vos griffes, je vous aime
Me voilà tremblante de peur
J’ai bien tenu ce rôle pourtant
Que l’auteur avait concocté
Afin d’ajouter du piment
A l’histoire qu’il voulait conter
Et avant de me mettre en pièces
De BLANDINE souvenez-vous
Elle avait su sauver la pièce
Mettant les fauves à ses genoux
Tigres lions lionnes et tigresses
12. BLANDINE — Faites vos pattes de velours
Aux coups préférez les caresses
Et à la critique l’amour
Souhaitant que mon rôle vous épate
Que vous me suiviez pas à pas
Vous appâtant avec mes pattes
De la pièce je fus l’appât
Qui sommes-nous ? Le savons-nous ?
Dans cette salle sur cette scène
Où allons-nous, où courons-nous ?
Dans le noir la joie et la peine.
Choux et cailloux bijoux genoux
Oublions toute la grammaire
Ah, dans quel état errons-nous !
Mystère mystère qu’y puis-je que faire ?

Dix personnages
13. GÉNÉRAL — Eh bien, voilà ! Je n'irai pas par quatre chemins, j’irai même
droit au but, comme j'ai toujours su le faire au cours de mes glorieuses
campagnes, n’écoutant que mon courage et la foi inébranlable qui
m’anime pour défendre ma patrie bien-aimée. Ainsi, lors du siège de
Réaumur Sébastopol, alors que nous étions coupés de notre état-major et
traqués par les troupes teutonnes, j’eus ce jour-là une idée de génie :
nous avions fait quelques prisonniers germaniques et j’ordonnais à mes
hommes de revêtir leurs uniformes afin de passer incognito. Donc nous
investissons la citadelle. Je fais poster des sentinelles sur le chemin de
rondes, quand on vient m’avertir qu’une armée teutonne s'avance.
Derechef, je réveille la troupe ; nous mettons les canons en batterie et
mitraillons l’ennemi détesté.

14. POÈTE — Ne sommes-nous pas que grains de poussière


Disséminés dans le vaste univers
Et poussière humanoïde nous retournerons à l’état de
poussière
Telle est la tragique et burlesque odyssée humaine
Tels des papillons, nous butinons le festin de la vie
Tandis que la mort affûte son couperet
Pour nous faucher à la fleur de l’âge
La folie meurtrière des hommes
Cette abominable sage-femme
Sur le lit sanglant de la liberté
A accouché d'un monde de loups aux dents acérées
Dans lequel on vit avec un couteau dans le dos.
15. COMMISSAIRE — Non ! Non ! Et Non ! Personne ne m’aide ! Tout le
monde a un alibi. Mais alors, serait-ce moi ? Le serviteur désintéressé de
la croisade contre le crime ? Voyons. Examinons notre conscience. Ai-je
un mobile ? Je dois six mois de loyer à ma concierge, mais elle ne loge
pas au Salmigondis. Donc, je n’ai pas de mobile. Ai-je un revolver ? Oui,
certes. Mais il n’est pas chargé ; et puis, le revolver, c’est l’arme des
lâches. Le tueur, le vrai, le grand tueur, honnête, sincère et désintéressé
tue par conviction de l’inéluctabilité de son acte. C’est un homme qui lutte,
à la recherche de la perfection dans l’accomplissement de son devoir
d’homme. Le criminel, qui hait avec force, cherche la jouissance dans
l’acte fatal, il veut sentir la corde à piano cisailler la chair chaude, il veut se
repaître du sang qui gicle sous les coups répétés du poignard, il veut
s’imprégner du spectacle du vieil usurier, les genoux fumants d’huile
bouillante détournée de son destin de friture.

Services et petits massacres

16. OMER — J’ai dit NON. Il ne viendra pas tout de suite. Il se déguise. Sous
des dehors sauvages, c'est un tendre. Vous verrez. Il est l’unique rejeton
d’une lignée de domestiqués qui ont servi ma famille depuis des
générations. Nous les avons mâtés. Mais il faut lâcher la bride, de temps
à autre. Pour décourager les élans néfastes de libération. Les couches
inférieures en colère font des révolutions dévastatrices pour des riens et
qui ne mènent à rien. Je dois gérer tout cela d'une main diplomatique.
Parfois, je donne, je le laisse jacasser. Parfois, je fais semblant de ne pas
voir qu’il me vole. Je le vole, à mon tour. Il a nulle place où aller si je le
congédie. J'ai du coeur. Il est pratique et servile. Je n’en demande pas
plus. Vous n’avez jamais eu de domestiqués ?

17. OMER — Les choses finissent toujours par s’arranger. Nous sommes
riches. Les peuples soumis nous doivent le respect ; nous réussissons à
les tenir en laisse, sauf les Japonais. Comme les Britanniques, ils
n’aiment pas se retrouver entre eux sur leurs îles. Ils conquièrent alors le
monde pour oublier. Il faudra les mâter, à leur tour. Leur apprendre à vivre
en parfaite harmonie avec nous. Vous êtes poète. Moi, je suis sociologue.
J’aime méditer sur le sort des civilisations, le futur de notre planète, le
bonheur des hommes, le pourquoi des ogres. C'est très enrichissant. Pas
très joli, mais enrichissant. Attention, il ne faut pas faire de morale. C’est
dangereux d’être tendre et de croire aux vertus. Quand vous mangiez des
enfants, aviez-vous parfois des remords ?
18. OMER — Si, plein de choses délicates et inutiles. Pour le reste, je ne me
fatigue pas. J’ai un chauffeur haïtien, une femme de chambre polonaise,
un jardinier rwandais, un cuisinier roumain. Tous engagés grâce à un
programme gouvernemental, salaire minimum, obligations sociales
limitées, tous handicapés mentaux ou physiques. Le tiers-monde à ma
portée qui travaille pour moi. Et quand ils ne font plus l’affaire, on les
déporte tout bonnement. De quoi je me plaindrais ? Il est bon que le
peuple peine pour les nantis ; il apprend la servitude à peu de frais. La vie
n’est pas rose ! J’ai le coeur sur la main. J’ai facilement la larme à l’oeil
quand je vois des atrocités. J’aime compatir dans mon salon. Ça vous
suffit ?

19. NESTOR — C’est sérieux, madame, il se prend pour le Christ ! Tu veux


que je fasse la Vierge, je lui parlerais comme une mère à son fils. Je lui
enlèverais ses illusions avec une bonne raclée. Il sait plus ce qu’il fait.
Mon fils, je vous ferai sauter les amygdales si vous prenez pas la peine de
vous taire. Nous sommes la risée de tout Jérusalem. Je te déshérite, mon
fils. Je te ferai empaler par les inquisiteurs si tu te fermes pas la
margoulette. Se prendre pour le fils de Dieu, a-t-on déjà vu ! Si ton père
Joseph avait été un homme ! Avoir su je l’aurais étranglé le pigeon qui m’a
fait un enfant ! Qu’est-ce que j’ai fait à Yahvé, moi ?

Avant que ça commence


20. Dr BOUILLON — Allô...Oui c’est moi... je sais, j’aurais dû vous appeler,
excusez-moi mais il y a du grabuge ici! Mais non, il va bien mais moi je
suis blessé! De toutes façons j’arrête pour ce soir... Ah! Une femme
enceinte?... Même immeuble?... Vous ne pouvez pas envoyer quelqu’un
d’autre?... Oui c’est ça, rappelez moi si ça se gâte.... Ma femme a appelé?
Bon rappelez- la et dites lui que j’en ai encore pour un moment. Disons
une bonne heure.. Oui merci.... Bonne année a vous aussi! Bon courage
...Avant que ça commence! Eh! bien je suis à vous.

21. Dr BOUILLON — Un gars entre dans un bistrot, s’approche du bar et


demande au barman “ un whisky s’il vous plaît garçon ...avant que ça
commence! ” Le garçon sert le type sans trop faire attention, il a déjà vu
pas mal de clients un peu bizarres. L’autre engloutit son scotch et
demande “ un deuxième scotch, double s’il vous plaît garçon...avant que
ça commence! ” Intrigué cette fois le barman ressert le type qui fait le
même manège et demande la voix pâteuse un troisième whisky...avant
que ça commence....même cirque jusqu’à ce que le type vraiment bourré
réclame un dixième “ whiskyii a avvennt q qque ça commmence! Et le
garçon lui demande “ enfin pourquoi dites- vous toujours avant que ça
commence? ”... Le type lui répond: “ AAAhh!aaaaahhhh! Voilà!!! Ça y est!
ÇA COMMENCE! ” … Voilà!
22. PAUL — Pas tant que ça! L’éternité n’est jamais qu’un présent qui dure.
C’était une pièce tordue, tordue sur elle même. C’était l’histoire d’un type
qui était en train de vivre sans s’en apercevoir la pièce qu’il avait écrite....il
avançais par petits segments, sans conscience de la ligne parcourue
comme une fourmi sur un anneau de Moëbius. Vous savez l’anneau à un
seul coté, un plan plié sur lui même, comme le signe de l’infini, le huit
horizontal, ou le sablier renversé sur sa tranche qui ne mesure plus le
temps quoi! ... Pour moi l’éternité c’était comme la “ Vache qui rit ”... ben
oui, la vache (kiri!) vous vous rappelez ? La vache avec des boucles
d’oreilles, et puis dans la boucle d’oreille, la même vache...avec les
mêmes boucles d’oreilles puis dans les boucles d’oreilles une vache qui
elles même...etc...c’était une bonne idée de départ, pour l’infini!

23. Dr BOUILLON — Presque! Voyez-vous j’étais gynécologue... Et là croyez-


moi il en faut de la psychologie... et du tact! Je me ressert à boire -
Comme ça le problème des honoraires est définitivement réglé! Vous
voyez, je n’aurais pas pu faire que de la psychologie: Je suis incapable de
me taire pendant qu’il y en a un qui s’épanche sur sa douleur... Moi
j’aurais envie de pousser le gars qui est sur le divan, qu’il me fasse une
petite place et que je lui raconte où ça me fait mal à moi!... et ça...sur une
table de Gynécologie...c’est très mal vu par la clientèle!

24. PAUL — C’est sûr!.. Un gynéco, ils ont de la chance! Moi je vais
m’occuper de ma chasse d’eau! Il va falloir que je trouve un moyen pour
rattacher le truc qui fait remonter le machin sinon ça ne va jamais se
remplir ou ça va déborder.. Parce que vous savez, il y a deux flotteurs, un
qui maintient le clapet d’évacuation soulevé quand on tire la chaîne, et
puis un autre qui régule le robinet d’arrivée d’eau au moyen d’une tige
filetée avec un boulon de 6 ou de 8...et c’est le filetage du bidule qui est
cuit donc le flotteur se ballade et parfois il obstrue le trop-plein.. Alors,
forcément...Bien sûr!!!

25. Dr BOUILLON — Comme ça! La première fois que j’ai vu une femme
nue... j’ai cru que c’était une erreur.. j’ai voulu en voir le plus possible.... Et
puis la fin des études, la spécialisation, on s’aperçois qu’on a bossé sans
vivre, vos idées d’adolescent vous poursuivent...et vous vous retrouvez
gynéco... brillant! d’ailleurs! J’ai toujours fait rire… Tenez: sur ma plaque
par exemple j’ai fait graver “ le Docteur Bouillon reçoit à partir d’onze
heure ”. Et quand vous arrivez à faire rire une femme sur une table
d’examen en regardant son fibrome...alors là! Vous êtes un grand
médecin...
26. Dr BOUILLON — Seulement voilà! Les rêves d’enfant deviennent des
cauchemars: On se voyait Docteur, celui dont on tombe amoureux. Vous
pensiez voir beaucoup de femmes... mais ce sont des malades. Ce détail
vous avait échappé dans vos rêves...avec tout le cortège d’horreurs de la
maladie. Et ne croyez pas que les femmes fraîches et bien portantes
venues pour la pilule, pour s’envoyer en l’air, vous sortent du cauchemar!!
Non l’épouvante est trop grande....Quant à séduire ...vous avez vu ma
tête? Alors mettez la entre les cuisses d’une femme venue consulter et
vous avez tout compris!

27. Dr BOUILLON – Pourquoi tous les aveugle fabriquent autant de


savons..
Puisqu’ils peuvent même pas voir les bulles ???
Pourquoi tous ceux qui voient fabriquent autant de
canons..
Au lieu de regarder les bulles de savons ??

Pourquoi tous les aveugle on pas de tire-bouchon ?


C’est parce qu’il crèveraient les bulles
Alors que ceux qui voient les bulles de savon
Se crèvent les yeux à coup de tire-bouchon.

Le jour ou les culs-de –jatte piétineront la canons


les aveugles verrons les bulles
Les sourd-muets chanterons la joie du genre humain
Et tous les manchots du monde se donnerons… le
crochet.

28. Dr BOUILLON — Ah! Bon sang! La méchanceté des choses, mais c’est
vous qui la provoquez! C’est comme ça qu’on fait tout foirer On peut tout
trouver méchant Tenez, prenez un truc agréable, un réveillon chez soi
avec des amis, par exemple...vous voyez ce que je veux dire? Eh bien
moi cet après midi pour les recevoir il a tout de même fallu que je fasse du
slalom avec un caddie dans un super marché, que je trimbale des sacs
plastiques qui cisaillent les doigts, que je me les coltine jusqu’à ma
bagnole les bras écartés pour pas me cogner les genoux, que je les lâche
pour ouvrir le coffre de ma voiture, que je les reprenne, que je les relâche
pour ouvrir ma porte d’appartement.
29. Dr BOUILLON — Je propose l’apéro: Champagne! Et on me demande du
jus d’orange avec de la glace!!! Vous vous êtes déjà battu avec une
briquette de jus d’orange vous? Ça résiste: D’abord entre deux doigts,
puis avec les dents, enfin avec un couteau à scie, glouf! une grande giclée
sur la table. L’éponge, vite l’éponge. Ding ! Deuxième round: On rattaque
au couteau pour décoller le bac à glace dans le freezer! Ding aaoooh!
Madame, Monsieur, Le jeu consiste à faire entrer le contenu d’un bac à
glace comme grand comme ça...dans un bol large comme ça! Tu le
tortilles, ça se démoule ça tombe. Ding ! résultat: 4 glaçons dans le bol 8
dans l’évier et 12 par terre. Ding! Fin du match!!! Et moi devant tant de
méchanceté je jette l’éponge!

30. PAUL — Personne ne foutra en l’air ma mort, j’en ai trop rêvé. Quand
j’étais gosse, je mourrais tous les soirs sur mon lit, je me tenais inerte
laissant pendre un bras dans le vide jusqu’à ce qu’il soit glacé comme
celui d’un cadavre. Alors baigné de larmes je replongeais avec volupté,
sous les draps chauds... laissant le sommeil me vaincre enfin ! Je suis
mort des milliers de fois, je mourrais partout, dans l’ascenseur : à l’abri
des regards dès que la porte se fermait : Une longue agonie. Comme les
héros d’opéra qui même lardés d’un grand coup de rapière parviennent
encore à chanter leur air, “salut à mon dernier matin ! ” Je vais mourir ce
soir sans une larme, à cause d’un téléphone qui ne sonne pas... ou pas
pour moi. C’est bientôt la fin ! Il s’est dirigé lentement vers le centre de la
scène l’arme sur la tempe et leur a hurlé, comme fou -COMME AU
THÉATRE ! MAIS POUR DE VRAI CETTE FOIS-CI... SALUT MONDE DE
GUIGNOL !

31. Dr BOUILLON — Compte pas sur moi! Cependant si t’as le bourdon y a


un remède : Moi, j’ai une bonne bande de potes. Et quand y’en a un de
nous qui a un coup de spleen, on s’organise un safari cafard : On va se
torcher joyeux dans un bistrot à la Blondin... Tu sais, un vrai avec l’odeur
de bouchon, où on peut planter ses coudes, on se cuite avec méthode et
ça passe l’éponge sur tout ce qui taraude le moral... On refait le monde et
y en a pour un moment... Et puis après l’oubli ! Ah ! La nature est bien
élevée, elle te présente la facture le lendemain seulement un serflex qui te
serre la tronche... La langue en carton, le “ pâton, la tête dans le seau.
T’as mal partout ! Mais ça te remet d’aplomb. AH! Une bonne mufflée y’a
que ça de vrai.
32. PAUL — La lumière...Eh ben voilà! Mince oh!!! Ça c’était sûr! Les
plombs!...C’est les plombs....les plombs...Les plombs ont sauté parce que
la chasse a débordé...le panneau électrique est juste à côté...alors
forcément! pas de panique! Vous êtes où les gars? J’ai un briquet
minute...le temps de voilà, ... Ce sera pas long! il faut que je trouve des
fusibles et tout va rentrer dans l’ordre... On continuera aux bougies s’il le
faut....Et pourtant les bougies c’est pas raffiné!...Voilà! Je vous ferai
remarquer que je vous offre la de voir un nègre dans le noir...Bon ça ne
s’arrange pas...c’est pour le coup qu’il faudrait SOS Dépannage! Je vais
chercher des plombs c’est tout! Vous voyez Docteur quand vous disiez
que je cherchais la lumière un flambeau à la main...La réalité parfois,
dépasse l’affliction!

33. DR-BOUILLON — Allô...Isabelle? C’est toi, c’est moi. Bonsoir ma chérie!


Tu es rentrée... bonne année à toi aussi !...Non j’ai pas encore fini, la
soirée avait pourtant bien commencé, j’ai fait naître un bébé, mais là c’est
assez tragique... un type qui s’est suicidé je t’expliquerai...et toi tu as
passé une bonne soirée au théatre ...c’était quoi ? Avant que ça
Commence? ” Alors ça t’a plu?....La fin un peu triste? Eh bien c’est
comme ici Ah! les voilà.. le temps de tout régler avec la Police et j’arrive...
Chérie ne commence pas le réveillon sans moi.

Il y avait un certain guedeglu lorsque périt l’Atlantide

34. NÉGACTO — Ah ! Cent pestes et mille choléras ! Si je tenais ce ver de


terre de... de Médianoche, je lui inculquerais un peu de savoir-vivre, moi.
Oser être amoureux de Zabinelle, la femme que je convoite ! Et oser
contrecarrer mes plans diaboliques ! Mais ça ne fait rien. Un jour, je me
vengerai. J’écraserai ce Médianoche. Je ferai payer à Zabinelle l’audace
qu’elle a eue de m’envoyer paître. Et je liquiderai Dardoroune, ce vieux
constipé. Je les sacrifierai tous sur l’autel de ma Vérité ! Badibulgue ! J’ai
faim ! Apporte-moi mon repas !

35. NÉGACTO. — Ah ! Ce Dardoroune. Il est devenu un grand spécialiste,


très célèbre, très en demande et très cher. Tandis que moi... Pourtant,
j’avais raison. Tous les philosophes, tous les physiciens, tous les
astronomes et tous les médecins me donnaient raison. La théorie
négactocentrique de l’univers me donnait raison. Mais attendez ! Il n’a
encore rien vu. Je laverai cette humiliation. Je m’introduirai dans sa
maudite machine, dans son Dardosparaglousseur, et j’y installerai un
Méga-saboteur de mon invention qui la détruira à tout jamais. Je forcerai
l’Univers à se plier à mes théories !
36. NÉGACTO — Ah, merde. Je vieillis. Je ne suis même plus capable de
flanquer la frousse à mes victimes innocentes... Mais ça ne fait rien ! Ce
que vous venez de voir n’est que le démarrage d’une puissante et
diabolique machine. Bientôt, elle crèvera dans ses rouages de fer tous
ces misérables petits boutons d’acné qui défigurent mon univers !
Scrounch, Médianoche ! Plotch, Dardoroune ! Ahh !... Excusez-moi, mais
je serais plus à l’aise dans une armoire pour jouir de pensées aussi
cruellement savoureuses.

37. HERMOUMOUTE — Tenez, je vais vous lire le message. « Chère petite


pustule de Médianoche. Ceci est un message anonyme de menaces. Si tu
veux revoir Zabinelle en bon état, tu vas faire exactement ce qui suit. Tu
vas d’abord te rendre chez le docteur Dardoroune. Tu vas lui expliquer
que tu ne pourras pas venir à ton rendez-vous pour un traitement au
Dardosparaglousseur le trente-sept du mois. Tu vas ensuite lui expliquer
que tu transfères tous tes droits concernant ce rendez-vous à un autre
patient, dont je ne dévoilerai pas l’identité, mais qui s’appelle Balthazoune
(avec un “B”). Tu t’empresseras ensuite d’oublier toute cette histoire,
après t’être donné toi-même trois bons coups de pieds au derrière pour
t’apprendre à ne pas te mêler de choses que te dépassent. Si tu refuses,
lorsque tu reverras Zabinelle, elle aura la tête momifiée et les pieds
saucissonnés, elle sera bétonnisée des chevilles jusqu’au cou et elle sera
hachée très finement avec des oignons, de l’estragon et du thym. De toute
façon, tu n’aurais jamais trouvé les 50 000 trébuchards. Ha ! Ha ! Ha ! » Et
c’est signé : Anonyme.

38. NÉGACTO — Bravo ! Bonne réponse ! Ha ! Ha ! Ha ! Le compte à


rebours est commencé. Dans deux minutes exactement, ce sera
l’hécatombe. Il n’y a absolument rien à faire pour l’empêcher. Tout est
prévu. Le volcan se réveillera et nous crachera sa lave brûlante. La foudre
nous tombera dessus. Enfin, la mer se déchaînera et un gigantesque raz-
de-marée engloutira tout le continent. Ainsi, l’Atlantide périra avec moi et
ne sera bientôt plus qu’une brumeuse légende dans la mémoire des
hommes ! Et tout ça, mon cher, à cause de votre tête de guedeglu !

Les dieux croissent en nous


39. L’ARTISTE — Alors comme ça t’étais « Monsieur sale gueule », belle
équipe d’affreux. J’envie tes rencontres. Quel regret de ne pas partager
vos potins ; « L’enclume » doit avoir un sens de l’humour bien à lui,
spécial, d’ailleurs est-il vraiment polonais, sans doute une fausse identité,
rare sont ceux qui connaissent encore leurs origines de nos jours, une
époque sans race, un tas de chair, enfin… au fait, dis-moi, « L’balafré »
doit être un répertoire inépuisable de viols croustillants, hein, couteau
dans le dos ; quant à « Face de rat » n’en parlons pas, une bouche pleine
d’asticots, je suppose !
40. L’ARTISTE — Dis donc, comme le temps passe… et je m’aperçois que
t’es un fieffé malin, un visionnaire. T’assures tes arrières. Le travail viril ne
manque pas. Ces gros bonnets qui gratifient vos tronches de résidus de si
brillants sobriquets peuvent te proposer un travail quelconque ; casser des
murs au burin par exemple, tu sais faire ça, hein, taper de toute tes forces,
un bon ouvrier n’a peur de rien, il abat du labeur, un bâtisseur qui vient du
sud n’a pas peur du ciment, il tape sans hésiter ; regarde comme t’es fort,
bien bâti, regarde tes muscles.

41. L’ARTISTE — Soyons réaliste, la vérité en face, le talent fait ce qu’il veut,
le génie ce qu’il peut ; mais le talent sans génie ne veut rien, et le génie
sans talent ne peut rien… un douloureux antagonisme, mais que veux-tu,
les choses sont ce qu’elles sont… Ah ! mon ami ! T’es mon ami ? N’ayons
pas peur des mots, faut côtoyer le sublime pour se rendre compte de sa
propre petitesse ; t’es un saltimbanque rare, sublime et unique, aucun
regard envers toi même, l’humilité à fleur de peau. « L’enclume » défend
ton steak : « Monsieur sale gueule » sonne ta relève ! L’heure n’est plus
aux jongleries, au placard Excalibur, à la guillotine les pitres, fusillons les
bouffons, à l’abattoir le cheval de Troie !

42. LA FILLE — Qu’est-ce que tu veux, tu sais à peine articuler tes os pour te
mouvoir correctement. Tout autour de nous pue la mort. Tu comprends ça
? Dans ce désert nous sommes de pauvres chameaux ! L’heure des trois
métamorphoses doit éclairer la chasse : je veux être le plus grand
prédateur de ce désert, un lion sans scrupule, féroce. Tu comprends
rien… à quoi bon me fatiguer à t’expliquer ce qui ne peux l’être, tes
oreilles d’âne t’encombrent. Tu veux savoir ce qui se passe dans ce
monde ? Que des restes d’humanité suintants la lèpre et l’eczéma, des
lambeaux d’êtres, des flaques sales, des silhouettes de morts, des nuées
stériles ; bientôt, nous disputerons les morceaux d’os aux rats.

43. LA FILLE — Dans quel sorte de réalité vis-tu ? T’es qu’une bête, un veau,
un attardé, un gosse sans âge, chien apeuré par sa propre gale ! Tiens,
regarde, les brigades d’aliénés paradent ; têtes hautes ils écument de joie,
défilent et bavent leurs flots d’urines en bataillon d’assassins ; leurs bottes
claquent sur le ciment, c’est le bordel, le chaos ! Il n’y a plus d’ordre, plus
rien qui soit comme avant, Chacun pour soi ! L’exode des chiens ! Nous
vivons une fable tragi-comique ; au sud, les abris s’écroulent sous de
violentes secousses, l’exode est massive.
44. LA FILLE — Selon le porte -parole de la compagnie new world « Il est
impossible de l’absorber sans l’effondrement total de notre économie.
Malgré l’interdiction de pénétrer sur notre territoire, les pouilleux
s’entassent dans les ports attendants un moyen propice pour traverser ;
les filières bourgeonnent d’un trafic prospère, les hordes crasseuses
tentent de glisser entres les mailles du filet dans des soutes à poissons…
Le président de la République Nordique Alfred Duzigue rassure les
lobbies par de savantes promesses , je cite : « La confédération du nord
sera sans appel : nous ne servirons pas de cours des miracles, l’invasion
sera enfournée, l’armée brûlera en mer ces montagnes de chairs, soyez
en sûr, dorénavant, nous exterminerons cette sous race ! »

45. L’ARTISTE — Comment dire pour rester simple et compréhensible…


voilà… vous allez rire ; normalement, vous ne devriez pas m’entendre,
enfin sauf quand je le souhaite, et là, je ne le souhaite pas, pourtant vous
m’entendez, vous comprenez ? enfin tout ceci à l’air touffu, mais pas du
tout… Je suis ridicule, me voilà entrain de m’expliquer avec… j’ai
l’impression que la situation m’échappe, c’est idiot, elle ne devrait pas… A
moins que ma petite intervention, de mauvais goût certes… Je vous
l’accorde, soit responsable… mais je m’en suis excusé… Vous
m’entendez toujours ? Bien…

46. L’ARTISTE — Non évidemment, tout n’est qu’illusion… Arrrg… oui, un


truc pour me rendre dingue… illusion… fabrication… C’est ça ! Vous
voulez me rendre dingue, me faire péter les plombs ! L’abbé ! Montre toi
l’abbé ! Montre tes sales pattes ! C’est lui ! Il est là, hein ? planqué
quelque part. Planqué avec ses grosses mains… avoue ! L’exorciste est
caché avec ses grosses mains poilus, un truc pour faire chier de peur les
enfants de choeurs dans leurs sandalettes ! J’ai compris votre manège.
Vous voulez jouer, alors jouons ! T’imagines ta petite Chloé, quel choc en
voyant ses mains de singes « Au secours, au secours ! » Devine qui
raffole des tomates ? Surtout de la pulpe… hum… c’est bon la pulpe.

47. L’ARTISTE — Bon, tu vois, je dispose un peu de pulpe partout sur le sol,
j’étale bien, comme ça l’odeur se propage mieux, et Chloé, qui a un odorat
très subtil, parce qu’elle a un odorat très subtil, n’est-ce pas ? Alors, elle
ne pourra pas louper ce délicieux fumet de tomate, hum sens le… elle ne
pourra pas. Les araignées « d’hiver » raffolent de la pulpe, une drogue…
Aucune n’a jamais résisté à une bonne giclée de pulpe. Hum sens le…
elle ne pourra pas. D’ici, je le sens ce fumet de tomate, approches-toi,
vas-y sens-le, hum… Mama mia… làs pastàs à làs Sicilianas ! Demain
matin, Chloé sera de retour parmi nous. Parole.
48. LA MERE — Un conteneur, hé béé ! il y a des gars qui s’emmerdent pas.
Allez donne-moi en une. Un fumoir j’adore ça, cette ambiance qui pique
les yeux ! Je l’ai bien mérité moi aussi. L’espoir caillé rouille tes veines,
tes méninges sont grippées, ta cervelle ne fonctionne pas normalement ;
qu’est-ce que tu veux, t’y es pour rien, t’es un orphelin du ruisseau, un
sale gosse, t’es comme moi : une blessure grouillante de mouches, trop
généreux. Tu te noierais dans la première flaque de merde. Il n’est pas en
si mauvaise forme que ça notre gaillard. Me regarde pas va. Oublie-moi.
Ronge ta chaîne. On te pardonne va. Qu’est-ce que tu fais, allume -moi
ça ! Tu m’auras, ça on peut dire que tu m’auras, ouais, tu m’auras à
l’usure. Je parle de la cigarette. Du Cognac. Du bon vieux Cognac !

49. LA MERE — Tu te souviens du gamin, livide tout blanc, au moment du


grand saut… Le pauvre gosse avait sursauté de peur et s’étouffait avec sa
pomme d’amour, quelle crise de rire. Une histoire terrible. Sa mère
braillait, braillait, et personne l’entendait. Il gesticulait tellement qu’il
sautait… à quoi… à plus de deux mètres au dessus de tout le monde.
Vous seriez pas croisés la haut ? Le pauvre gamin, et moi qui rigole, je
suis vraiment diabolique. Quelle chute, nom de Dieu ! T’as dû avoir mal…
Mais j’oubliais, tu peux pas t’en souvenir, tu faisais pas parti de la troupe.

50. L’ARTISTE — Aux quatre coins des globes pariétaux de la grande ourse,
la boutique cosmique tire ses grands rideaux ! Nuit et jour, la pluie colorée
tombe, la lumière fait mouche ! Découvrez des mammifères en pacotilles
à tête de dragon, des chimères en carton, des titans d’haleines fétides à
l’allure de cyclopes juvéniles : dégustez le Graal jusqu’au dégoût !
Attention ! Le grand retour des « Z’atomics Mabouls » ! Et alors là,
attention la foule ! Attention ! On se pousse, s’il vous plaît, on laisse
passer ; parce qu’avec de la nouveauté comme celle là , attention les
yeux : le neuf ça pète à la gueule ! Le saut de l’impossible ! La canonnade
sensationnelle ! Et le clou du spectacle « Le cheval de Troie » !

51. L’ARTISTE — Saturée par des briques en chair : l’onde vibre, s’emplit
d’un bric à brac de particules élémentaires ; sur cette scène plane l’odeur
des forêts, et au loin, là haut, suspendu au ciel sans mur, jaillit Pégase
dans un fracas d’os en bois : la licorne mythique gronde, s’élance, ses
sabots lèvent la poussière, et d’une féroce ruade : terrasse la foudre de
l’imaginaire ! Les « Z’atomics Mabouls » combattent l’avidité du bec des
vautours, foudroient l’arrogance du coeur sec des picadors de boyaux !
Les yeux exorbités par les mystères du sable mort ; voici qu’avancent
victorieux les «Z’atomics Mabouls » : les gouffres en forme de bouche, les
cracheurs de présent, voici les enfants de l’atome, mi dieux mi bêtes : Les
sodomivengeurs d’anges déchus !
52. L’ARTISTE — L’abbé c’est un accident, d’accord, le coup est parti tout
seul, oublie ça, nous n’allons pas le pleurer, tourne la page du mort,
maintenant, t’as les commandes, t’es le grand chef, bientôt, un grand feu
d’artifices en ton honneur, t’as pris ma place, t’es moi, t’es devenu
l’homme de la maison, moi ; je suis le chien, toi l’homme, tu tiens mon rôle
bien en main ; alors, reprends tes esprits, bois, bois : l’homme a une
bonne raison pour boire maintenant. Tu dois jouer ton rôle auprès des
femmes, les honorer, sois lucide, la petite… tu l’aimes… très bien, aucun
problème ; je te donne ma bénédiction, mais tu sais, nous aimons un
jour… puis l’autre bof… Un seul obstacle : elle veut pas de toi, tu
comprends ! ? Alors, colle-lui un taquet et hop ! Tu la retournes ni vu ni
connu, à la mode de Carthage, après tu me détaches, et ensemble, «
adios chicas » !

Le(s) mur(s)
53. L'HOMME DANS LA PIECE — Qu'est-ce que vous faites dans mon
bureau ? Je travaille trop, moi ! Comment se fait-il que je voie des
fauteuils, et dans ces fauteuils, des gens confortablement assis qui me
regardent avec des yeux ronds ? Ils sont toujours là. Comme si de rien
n'était, comme si de rien n'était, comme si de rien n'était. Arrêter de parler
tout seul, aussi… Excusez-moi, mais je ne peux pas travailler comme ça.
Je suis en train de dire à des gens qui ne sont pas là que leur présence
me gêne. Vous n'êtes pas là, n'est-ce pas ? Il n'y a personne d'autre que
moi dans cette pièce.

54. L'HOMME DANS LA PIECE — Des épluchures fines ! Vous croyez que
c'est facile, après une bassine entière de patates, de se remettre à
pianoter sur le clavier? Remarquez, je n'ai pas à me plaindre. D'habitude,
je suis exempté pendant dix-sept jours. C'est une convention. Dix-sept
jours d'écriture, dix-sept jours de patates. Ça fait dix ans. Sans elle, sans
cette façon qu'elle a eu d'introduire les patates dans ma vie, je n'aurais
jamais conçu mes pièces comme je le fais aujourd'hui, vous savez. Au
début, tout à fait au début, j'étais incapable de faire des épluchures fines.
Je me concentrais, je faisais très attention de bien les faire tomber dans la
bassine et le résultat était désastreux. Maintenant, au contraire, j'ai
compris que les faire tomber dans la bassine n'a aucune importance. La
seule chose qui compte, c'est la qualité des épluchures.
55. L'AUTEUR — C'est curieux, tout de même, qu'elle ne vous ait pas vus. Je
la connais assez pour être à peu près sûr qu'elle ne ment pas, et pourtant,
je sais aussi que votre présence est absolument incontestable. Alors quoi
? Est-ce qu'il y aurait autant de représentations du monde qu'il y aurait de
regards ? Et si tel est vraiment le cas, cela veut-il dire qu'on ne peut
jamais savoir si ce que voit l'un est identique à ce que voit l'autre ?
Sommes-nous tous à ce point différents que nous évoluons chacun dans
un monde unique et sans aucune sorte de ressemblance avec celui des
autres? Si cela est vrai, si chaque être humain est réellement seul dans
son univers particulier, alors, le monde est entièrement constitués de fous.

56. L'AUTEUR — Ma femme ne vous voit pas, mes personnages ne vous


voient pas non plus, mais moi, je vous vois. Ma femme ne voit pas mes
personnages, mes personnages... , mes personnages voient ma femme
qui ne peut pourtant pas les voir, et moi, je peux voir et mes personnages
et ma femme. Je ne sais pas ce que vous, dans tout cela, vous parvenez
à voir, mais ce qui est sûr, c'est que nous n'avons chacun qu'une vision
partielle de la réalité... alors même qu'aucun d'entre nous ne sait
réellement ce qu'est cette réalité ! Nous sommes donc tous, chacun à
notre façon, absolument fous.

57. LE PERSONNAGE MASCULIN DE L'ORDINATEUR — Vous trois dans


une même pièce qui s'appelait Lueurs où nous n'étions pas, et nous deux,
dans une autre pièce qui s'appelait Rémanence où vous n'étiez pas.
Comment voulez-vous que nous ayons pu nous sentir à notre aise dans
une autre histoire, où brusquement, nous devions nous comporter comme
si nous n'avions jamais été ce que nous sommes, et surtout, comme si
nous n'avions aucune mémoire de ce que nous avons déjà été ? Des
noms définitifs, Messieurs-Dames, nous avons toujours eus.

58. L'AUTEUR — C'est de ma faute. J'aurais dû me rappeler que les


conséquences de nos actes nous échappent toujours. Nous ne sommes
maîtres de rien, tu comprends, même pas des rêves que l'on croit être
seul à façonner. Alors ils ont traversé le pont, ils ont fouillé l'ordinateur, ils
ont découvert qu'ils avaient déjà existé dans d'autres pièces, ils ont
compris que je les manipulais une nouvelle fois pour leur faire faire autre
chose dans une nouvelle histoire et ils sont furieux contre moi parce que
je leur ai caché mes intentions. Mais comment leur donner tort ? Qu'est-ce
que tu dirais, toi, si j'imaginais un stratagème pour te faire mener une
existence différente de celle que tu vivais auparavant ?
59. L'AUTEUR — Mais tu n'es absolument pas libre ! Sais-tu seulement
combien de livres ont été écrits depuis le commencement du monde et
combien tu pourras en lire, toi, au cours de ta toute petite vie ? Et
pourquoi, précisément, ce dixième de milliard de toute la pensée humaine
? Et que ce serait-il passé si tu avais lu un autre dixième de milliard de
toutes ces lignes écrites depuis que l'homme pense ? C'est par orgueil
que nous faisons semblant de croire que nous sommes maîtres de nos
choix. La vérité, c'est qu'aucun de nous n'a été libre de refuser de naître,
que personne ne choisit l'époque qu'il doit subir et qu'aucun être humain
n'a la possibilité d'éviter la mort.

60. LISA — Qu'est-ce qui t'empêche de les en empêcher puisqu'ils sont là !


Tu es maître chez toi, non ? Alors va les trouver, dis-leur que tu es la
seule personne habilitée à modeler ton imaginaire, qu'ils n'ont rien à dire,
qu'ils n'ont rien à faire ici non plus et que par voie de conséquence, ils
seraient bien inspirés de repasser le pont dans l'autre sens. Cela dit, tu
fais ce que tu veux. Ah ! je te prends ça. Tu ne vois pas d'inconvénient à
ce que ma toute petite vie soit un peu influencée par un autre auteur que
toi ? Non ? Bon ! Alors à tout à l'heure.

61. L'AUTEUR — Deux femmes, trois hommes. Un couple qui a déjà vécu
son histoire dans une pièce, et un autre, qui aussi vécu la sienne, dans
une autre pièce, en compagnie d'un troisième personnage. Cela fait deux
pièces. Ces deux-là sont terminées depuis longtemps, elles ont vécu,
n'en parlons plus. Mais je reprends les personnages de ces deux pièces,
je les propulse tous les cinq dans une nouvelle histoire, et en les faisant
se rencontrer, je crée une autre pièce. Dans cette nouvelle pièce, il y a...
Gabriella. Dans cette nouvelle histoire, il y a... Théodore. Dans ce tout
nouveau drame, il y a aussi... Petra. Je n'oublie pas... Dieter. Et je
n'oublie pas non plus... Sébastien !

62. L'AUTEUR — Vous voulez un père, une mère, une date de naissance et
des papiers en règle ? Votre père, c'est moi ! Votre date de naissance,
c'est le jour où je vous ai fait prononcer votre première phrase ! Vous
trouvez insupportable d'être coincés entre un début et une fin ? Mais dans
la vie réelle aussi il y a un début ! Et il y a aussi une fin ! Et c'est la mort,
Messieurs-dames, la mort ! Est-ce que vous vous rendez compte que
vous, dans votre monde imaginaire, vous ne connaîtrez jamais la mort ?
Avez-vous bien conscience de cette chance ? Est-ce que vous savez bien
que c'est à l'éternité que vous souhaitez renoncer ?
63. L'AUTEUR — Vous n'avez pas le droit ! Elle ne vous a rien fait ! Elle
m'aime ! Elle m'aime comme je l'aime et comme vous aussi je vous aime !
Vous n'avez pas le droit ! Vous êtes mes personnages et je vous aime
comme mes enfants ! Je vous aime, oui, je vous aime encore ! Vous
n'avez pas le droit de nous faire ça ! Laissez entrer ma femme ! Elle vous
le dira ! Lisa vous dira que je vous aime ! Tous ! A la folie, oui, à la folie !
Absolument à la folie !... Ce que je viens de dire ne peut pas se trouver
sur les feuillets que vous avez réécrits ! Vous le savez ! Vous ne pouvez
pas ne pas le savoir ! Je vous en prie ! Vérifiez que ça n'est pas dans le
texte ! Je vous en supplie ! Vérifiez ! Je vous supplie de vérifier...

Miss Camping
64. ANIMATEUR — Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, chers membres
du jury aziga aziga azigabou !A présent nous allons accueillir les trois
dernières candidates, toujours plus belles, toujours plus sexy, toujours
plus aziga aziga azigabou…Je vous rappelle que cette soirée est
sponsorisée par Béton 2000, avec béton 2000 fini les maisons carton !
Attention musique ! Portant le dossard 17, tout droit venue de Sarcelles,
vous pouvez applaudir Véronique, 30 ans au minimum…Suivie de la
candidate n° 18 Valérie, celle qui rit quand on l’avale ! Originaire de
Bobigny, 15 ans…Un super aziga à toutes les bobignoutes ! Et pour
clôturer ce défilé, le bouquet final, c’est encore une bobignoute, elle vient
de fêter ses 16 ans, portant le dossard n°19, je vous demande d’applaudir
Sue Ellen…Et tout ça c’est aziga aziga azigabou ! …Salut Véronique, tu
t’appelles comment ?

65. ANIMATEUR — Nous aussi on t’adore Ricky…Oh mais regarde Sue tu as


fait tomber un sein…Elle m’a cru, c’est une tordue ! Allez
mesdemoiselles, rejoignez les autres candidates sous les
applaudissements du public…Bon vous les avez toutes vues, candidates,
19 bimbo…Maintenant au jury de choisir la Miss Camping 2004….Ah mais
que se passe t-il ? Veuillez m’excuser un instant… Une nouvelle de
dernière minute, elles ne seront pas 19 à concourir mais 20 comme les 20
doigts de la main…En effet, une candidate s’est inscrite in extremis,
Musique !…Elle s’appelle Ferouz, elle a 15 ans, elle porte le dossard n°
20…Elle jette la Ferouz…Salut à toi Ferouz…Tu es déjà allée en Sibérie
Férouz ?

PAN ! PAN ! PAN !


66. A — C’est pourtant simple ! Ecoute , si tu es occis le premier , c’est moi le
premier qui t’aurai occis , tandis que moi le deuxième à être occis devrait
être occis par le premier occis , toi ! D’où ma question : qui sera occis le
premier qui de fait , devra occire le second alors qu’il était le premier occis
et que le second à être occis sera dans l’incapacité d’être occis par le
premier déjà occis !
67. A — Lorsque Adélaïde était chez moi , ça n’était qu’une petite chenille qui
s’appelait Joseph …la dessus , lorsque la petite chenille s’est retrouvée
chrysalide dans son gros cocon , je l’ai mise à la porte , elle et le cocon !
C’est alors que subrepticement tu as ramassé la chrysalide devant ma
porte , et lorsque tu l’as ramenée chez toi , la chrysalide s’était débarrassé
de son cocon pour se transformer en un magnifique papillon que tu as
aussitôt épinglé ! La petite chenille joseph était devenue une belle et
pulpeuse Adélaïde !

Pas sage privé !


Ou
Les deux oreilles et la quoi ?

68. NARVIK — Hé oui, l’histoire se termine. C’est dur d’apprendre ça quand


on a payé sa place aussi cher! S’il n’avait tenu qu’à moi, je l’aurais
volontiers prolongé de quelques scènes, le temps d’une cigarette… d’un
petit verre d’alcool… Non ? Bon, tant pis…Les traditions se perdent.
Même dans le milieu on est pressé. C’est fou le nombre de dépressions
qu’il peut y avoir dans le grand banditisme. Le stress ! On tire trop vite,
n’importe comment sur n’importe qui. On ne prend même plus le temps de
viser, on dessoude les victimes à la va-vite. On emploie le gros calibre et
boum! Mais ça ne satisfait personne. Ni la famille de la victime qui ne
retrouve jamais tous les morceaux de son parent, ni le flingueur qui n’en
retire aucune satisfaction. Ah non, la profession est durement touchée,
hein les gars ? Tueur est un métier en voie d’extinction ! C’est bien simple,
quand on veut buter quelqu’un on ne s’adresse plus aux professionnels
mais aux politiques, ils ont l’habitude. Quelle époque !

69. NARVIK — Ca y est, ça y est, vous êtes en train de cogiter, là, hein ? Ne
mentez pas, je vois vos fronts plissés, les gros yeux sombres, les sourcils
en accent circonflexe. Ce que vous êtes laids ! Ca fait à peine cinq
minutes que c’est commencé et vous vous dites : ce type a tout de la
ganache sans scrupule. Il bavarde comme une pie, martyrise un
handicapé, pressure un petit vieux, lui extorque une somme sûrement
astronomique équivalant à plusieurs mois de pension pour finir par le
dépouiller totalement, baiser sa fille au deuxième acte et écraser son chat
en traversant le jardin juste avant l’entracte. Et avec un peu de chance il
va se faire la bonne, la nurse, les poissons rouges et l’angine de poitrine.
Et nous jouer l’intégrale de Clayderman sur son harmonica. C’est ça ?
C’est ce que vous pensez de moi ? C’est comme ça que vous voyez le
héros de la pièce ?
70. NARVIK — Dis-moi poupée, honnêtement, tu crois que Narvik peut
manquer à ce point de scrupule ?…. Tu sais que t’es mignonne, toi ? Si,
si. Tu viendras me voir après le spectacle, okay ?… Et toi, qu’est-ce que
t’as ? On t’a jamais dit de ne pas te mettre au premier rang ? C’est là
qu’on ramasse les balles perdues et les gros postillons. Vient pas te
plaindre après…. Oh, pourquoi ? Pourquoi vous êtes venu ? Pourquoi
vous être assise là ? Vous ressemblez tellement à ma mère… Mais alors
c’est pas son parfum, du tout ! Vous avez mangé quoi avant de venir, des
frites ou du poisson ?… Non, Narvik c’est autre chose. Narvik c’est un
pur, un dur, un zur… euh, zur, tur, wur …mur… voilà, Narvik c’est un mur,
contre lequel se fracassent toutes les idées reçues et le grand navire des
désillusions quotidiennes !…Oh c’est beau, ça !

71. NARVIK — Vous recevez un colis, c’est encore le matin…un petit matin
d’automne jaunâtre qui colle administrativement son givre aux vitres des
églises, l’enfant de choeur est enrhumé, mais il chante cependant ses
cantiques, d’une pauvre voix rauque qui écorche ses petits poumons et
s’éraille aux ailes des anges plâtreux de la vaste nef où somnolent encore
quelques bigotes cagneuses… Non loin de là, un chien crève dans le
caniveau, renversé par une voiture en état d’ébriété manifeste… Chez
vous, dans votre appartement douillet, loin de tout fait divers, la bonne
ouvre la porte…

72. NARVIK — Deux fois, oui ! Et vous voilà, face à votre fille, le père encore
fringant et la fille désirable, la petite boule de chair sortie de son ventre,
elle est belle dans la lueur du feu de bois qui craquèle, cracouille et même
parfois craquille. Vous ôtez votre veste d’intérieur, il fait trop chaud. Vous
êtes écarlate. Vous marchez vers cette pure jeune fille, votre fille, elle tient
encore le colis entre ses mains blanches. Et ce colis, laissez-moi
poursuivre, ne m’interrompez surtout pas, ce colis, Bagou prépare-toi à
noter, ce colis vous le lui arrachez des mains avec une violence
inhabituelle, vous le tournez et le retournez comme une chipolata dans la
chapelure, votre fille prend peur mais elle ne peut sortir de la pièce, vous
la poursuivez, vous l’acculez, je répète : vous l’acculez, vous avez le colis
à la main et ce colis, monsieur Casta,… regardez-moi quand je vous
parle, ce colis…. VOUS NE L’AVEZ PAS COMMANDÉ !
73. NARVIK — Allô, La Redoute ? Service du déminage, nous sommes sur la
piste d’un colis piégé. Réservez-moi une ligne en priorité, je vous rappelle
dans cinq minutes….Euh, pendant que nous y sommes, enregistrez donc
ma commande, je voudrais l’article T 52.812 en dix exemplaires…oui,
c’est cela, bleu ciel, en coton, oui modèle classique avec poche sur le
devant et ouverture latérale…je dis : une ouverture pour sortir… Euréka !
J’ai trouvé ! Par effraction ! Merci mademoiselle. J’ai trouvé ce que je
voulais dire : la vérité sortira de ce bureau comme elle y est entrée, deux
points, par effraction. Note Bagou, pour la postérité !

74. NARVIK — Dis-donc, poupée, tu en connais beaucoup des privés qui


collent des citations dans leurs rapports d’interrogatoires ? Hé non, aussi
rare qu’un Big Mac dans une trousse de secours. Le héros traditionnel est
sobre, froid, cynique. Face aux tueurs qui le cernent, il ironise, retrousse
ses lèvres carnassières pour laisser fuser son célèbre rire de
fennec…hihihihihihi…j’imite bien le héros traditionnel, hein ma jolie ? Mais
le héros traditionnel, il s’en fout des tueurs, il sait qu’il ira au bout de
l’histoire puisqu’il est le héros. Tandis que moi, dès le départ je sais que je
vais mourir, ça fout les boules, non ? Tiens, d’un rien je me mettrais à
chialer. Car au fond je suis resté un enfant.

75. BAGOU — Ca fameux 14 Juillet était à marquer d’une pierre noire dans la
vie de Narvik. Et d’une pierre tombale dans la mienne. Un détective privé
ne s’occupe pas que de coups fumants. La plupart du temps il traîne dans
les flaques d’eau à la poursuite d’un époux à la braguette en fleurs ou
d’une épouse ravagée par une after-shave. Il planque dans des coins de
rues sombres, traîne son oreille aux portes des hôtels, respire des odeurs
de stupre et d’animalité. Parfois, il suit des hommes d’affaires douteux,
traque les faux comptables, les politiciens véreux mais c’est rare, très
rare, non son terrain d’action le plus arpenté c’est la fesse. Il barbote dans
les draps sales.
76. NARVIK — Ca me rappelle une affaire à peu près identique. Il y a deux-
trois ans. Le mec trompé c’était une femme. Et la femme que je suivais
c’était donc un homme. C’est clair ? Je suivais donc un type en ciré noir. A
part que là il était en costume crème et panama blanc, vous voyez ? Le
genre moustaches, lunettes, tout quoi. Donc il descend de son scooter et
le gare sous un marronnier. Étonnant, non ? D’autant plus étonnant que le
marronnier, c’était moi. Un déguisement. Alors je sors mon inséparable
Polaroïd, celui que j’ai dissimulé dans un sandwich. Mon type avait une
attitude vraiment louche, il regardait à gauche, à droite, à gauche, à droite,
à gauche, à droite, à gauche, à droite, plusieurs fois de suite, quoi. Et
soudain, il ouvre en grand sa braguette. Déjà je commence à prendre des
photos avec mon jambon-beurre et soudain le type se retourne vers moi
et se met à pisser. Tout content de se soulager le type chantait en jouant
avec son tuyau, il tournait autour du tronc, comme ça…

77. LE PHOTOGRAPHE — Moi rien, ou si peu de chose, de la poussière, de


la crotte de chien, je n’existe pas, je respire un peu d‘air et je le rends tout
de suite, je me cache dans les coins retirés, je range mon ombre dans ma
poche pour laisser sa place aux invalides de guerre, j’éternue dans ma
main, je me bats quand j’élève la voix, je me défends de sourire, je n’ai
aucun muscle, je suis mou, tout mou, je n’ai même pas de reflet dans la
glace, je vous le répète, je ne suis rien, non rien de rien. Touchez et vous
verrez.

78. GINETTE — Le stop, ça marche pas fort dans le métro. Après que l’autre
pomme de Narvik ait fait foirer la séance, Manfred, Popaul et moi on s’est
farci trois kilomètres à pince sur les rails. Et maintenant, la photo porno
c’est cuit pour moi. Quelle poisse ! En quinze jours j’ai tout raté à cause
de cet empêcheur de loubarder en rond. J’avais dit « je me tire un mois et
en un mois je dois devenir l’ennemi public numéro une ». J’ai plus que
deux semaines pour m’affirmer en tant que malfrat. Si au moins d’août j’ai
pas percé dans un secteur mafieux, je suis bonne pour rentrer dans le
Gers, gaver les oies et me faire gaver par le gros Duplumier, mon
exécrable mari… Alors ce soir, j’essaye les stups.
79. PARKING — Bonjour. On s’est pas encore vu. Normal j’interviens plus
tard dans l’histoire. Je suis le futur adjoint de Narvik. On m’appelle
Parking, en réalité mon nom est Duparc, comme un parc, mais on m’a
surnommé « le roi », en anglais « the king », le roi du parc. Ou le Parc
King, comme on veut. Comme j’occupe beaucoup d’espace on m’a
enfermé dans un placard dès le début du spectacle. Mais là on m’a permis
de venir me dégourdir les articulations. Et puis ça permet aux comédiens
de changer de tenue. Ca va être bien, les costumes vont être très bien,
les décors très bien, si si, encore mieux qu’en première partie. Ah non
c’est un beau spectacle, je suis drôlement content de participer à un truc
aussi réussi.

80. PARKING — J’ai l’air nerveux comme ça mais c’est pas le trac, non, c’est
de naissance. Enfin presque. C’est depuis que ma mère m’a jeté au vide-
ordure avec ma coucheculotte. J’avais adhéré au fond. Y’a pas de Téfal
dans la couche-culotte, ça reste à faire. Ma pauvre mère qui voyait plutôt
flou s’est rendu compte de rien. Depuis l’accident je suis un peu agité. J’ai
dégringolé les six étages en chute libre pour atterrir sur les trognons de
chou-fleur. Ensuite j’ai tout regrimpé par le même chemin, comme qui
dirait la face nord du vide-ordures, avec mes petites dents et mes petits
ongles qui s’accrochaient à la croûte noirâtre du conduit, et les kilos
d’ordure qui me tombaient dessus. Je me suis même pris un reste de
tomates farci sur la tétine. J’ai failli lâcher.

81. BARBIE — Je suis la masseuse, je n’ai aucun sens de l’humour, je


déteste qu’on me demande si les mains de masseuse vont dans les
culottes de zouaves. J’ai 38 ans. Mais je ne les fais pas car je refuse de
vieillir. Je signale qu’on me doit le respect et que j’ai filé une trempe à
Cassius Clay au cours d’un de mes déplacements aux Etats-Unis, si si, le
vrai Cassius Clay, il avait six ans et répondait à sa mère. J’avais déjà 38
ans. De plus je précise que si l’état civil et bon nombre de concitoyens
m’appellent mademoiselle, je ne le suis plus au plan médical et refuse de
comprendre tous les sous-entendu pouvant tourner autour du sexe et de
ce qu’on peut faire avec. Sur ce, j’ai 38 ans, j’attends Narvik et il arrive.

82. NARVIK — Oh comme c’est bon toutes ces papouilles, toutes ces
chatouilles, tous ces doigts boudinés qui malaxent mon imposante
musculature Aaaaaaah, quel bonheur ! Vous aimeriez être à ma place,
n’est-ce pas ? Vous qui êtes assis dans ces sièges pourris depuis plus
d’une heure, vous qui digérez difficilement la bière tiède de l’entracte,
vous qui respirez la transpiration de votre cochon de voisin ! Ah je vous
comprends ! Quand je pense que je dois mourir tout à l’heure, ça me tue !
Surtout que je me pose toujours la grande question, la terrible question,
celle qui me ronge depuis des mois et des mois au point de m’en faire
perdre le sommeil… qui a piqué mon peigne ?
83. NARVIK — Résumons : Billy : en bonne voie d’éducation. L’affaire
Duplumier : rien, rien, rien. Quinze jours de filature, deux adjoint au Père
Lachaise, deux tentatives de flagrant délit et pas de flagrant délit. Cette
fille reste irréprochable. Je sens de plus en plus les terrines au père
Duplumier me monter au nez. Quant à l’affaire Casta, je l’avoue, j’ai été
faible. J’ai cédé devant le deuil de Mado et j’ai accepté de retrouver le
corps et de lui recoller les oreilles. Pour la troisième partie, aucun espoir,
le chat de Mado l’a bouffé tout cru. Mais si j’ai accepté l’affaire, je n’ai pas
progressé d’un centimètre. Le puzzle est en quatre morceaux dont une
pièce digérée par les sucs gastriques du félin.

84. NARVIK — Non, les abdominaux c’est trop intime, ça fait partie de ma
petite enfance, je ne veux pas qu’on y touche ! Certains avaient leur
nounours, leur poupée, d’autres avaient un bout de drap ou un mouchoir
qu’ils appelaient leur mimi, leur doudou, leur popo. Moi, j’avais mon
ventre. J‘ai été un enfant malade, long comme ça j’avais des coliques
terribles, je caressais mon ventre douloureux pour calmer les spasmes,
depuis je ne supporte pas qu’on y pose la main. J’ai tellement peur que
les coliques reviennent.

Lyne Quirion 2004-2005

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