Vous êtes sur la page 1sur 21

1

AIDE ET ACTION
___________________________

MADAGASCAR

EVALUATION DES ACTIONS


DE FORMATION DES ENSEI-
GNANTS A MADAGASCAR SUD

Pietro LUPO
Juillet 2003

Centre de Ressources Documentaires


2

COMPLEMENT DE L’EVALUATION DES FORMATIONS


DES ENSEIGNANTS DES CISCO DE TULEAR I ET II
(MAI-JUIN 2003)

Note préliminaire

La recherche pour compléter l’Evaluation des forma-


tions des enseignants des CISCO I et II de Tuléar (janvier
2003), a eu lieu dans trois Ecoles Primaires Publiques (EPP)
situées en milieu urbain : Mahavatse, Mitsinjo Betanimena et
Andaboly et dans sept EPP de milieu rural : Ankililoaka,
Ankilimalinika, Manombo, Fitsitike, Ambohimahavelona, Andra-
novory et Saint-Augustin.
Le calendrier de la réalisation allait du 27 au 28
mai et du 8 au 13 juin 2003.
La mission était confiée à trois inspecteurs de l’En-
seignement primaire et trois conseillers pédagogiques
et trois employés permanents d’Aide et Action.
Trois tâches principales étaient attribuées à cette
équipe :

A) - Passer en revue les contenus des formations, en


s’appuyant sur les documents fournis par Aide et Action.
Cette première tâche n’a pas pu être accomplie pour les rai-
sons suivantes :
1. les documents fournis étaient incomplets et ceux
qu’on a mis à la disposition des évaluateurs concer-
naient non pas la pratique des classes, mais les
thèmes traités par l’équipe pédagogique de la Direc-
tion de l’Enseignement de Base entre 1999 à 2001.
2. Même si les documents avaient été complets, le temps
matériel pour les lire et faire un dépouillement de
3

leur contenu aurait été insuffisant dans le


cadre du calendrier imparti à l’évaluation.
3. La troisième raison est décisive : Aucune évaluation
n’a été faite jusqu’à présent, pour pouvoir servir
comme terme de comparaison, dans le but de situer le
niveau actuel des enseignants et savoir si ce niveau
était en progression ou en régression.

Pour remédier à ces lacunes l’équipe désignée a décidé


de mener l’évaluation auprès d’instituteurs formés et d’ins-
tituteurs qui n’avaient reçu aucune formation, afin d’éta-
blir l’impact de la formation reçue sur leur enseignement à
travers l’étude des différences dans les compétences et dans
la pratique pédagogique des uns et des autres. Une autre ca-
tégorie d’instituteurs «évalués» était constituée de cer-
taines personnes qui avaient été préparées à l’enseignement
avant 1976, c’est-à-dire, avant la politique de malgachisa-
tion à outrance. Cette politique avait fait perdre pratique-
ment l’usage de la langue française en la confinant au rang
de langue étrangère au lieu de seconde langue officielle qui
était son statut dans la Constitution de la Première Répu-
blique. L’évaluation a montré que le niveau et la perfor-
mance de cette catégorie d’instituteurs est égale, voire
même supérieur que celui des enseignants formés dans le sys-
tème actuel.

B) - Observer directement les prestations des titu-


laires de classe pour rassembler les données nécessaires à
l’évaluation et voir de près les effets des formations;
cette tâche s’est heurtée à quelques conjonctures défavo-
rables : le temps de sa réalisation tombait presque à la
veille des vacances de Pentecôte et une semaine avant la
session des examens du CEPE. Ceci a fait que les observa-
teurs ont assisté à des séances de révision plutôt qu’à des
cours proprement dits. «Toutefois, nous avons pu observer
des séquences de français, calcul, géographie, , instruc-
tion civique, Tantara – histoire, lecture en français ou en
4

malgache» (Rapport n°2 et n°3, milieu urbain et milieu ru-


ral).

C) - Analyse des résultats. Cette analyse doit déga-


ger et souligner les effets réels que les formations avaient
eus dans l’exercice des classes authentiques ; elle devait
aussi justifier les suggestions et les conclusions présen-
tées.

Dans les pages qui suivent nous proposerons d’abord


une synthèse des six rapports de terrain émanant de l’équipe
des évaluateurs1 en insistant surtout sur les thèmes qui
sont nouveaux relativement au Rapport provisoire de l’éva-
luation rédigé en janvier 2003. En deuxième lieu, nous es-
sayerons de mettre en valeur les suggestions que nous trou-
vons dans ces mêmes rapports et de tirer quelques conclu-
sions sur la politique générale de l’enseignement dans le
primaire, et sur la stratégie que devrait adopter AeA.

Essai de synthèse

En suivant les six rapports que nous avons re-


çus, nous donnons d’abord les noms des évaluateurs, la
liste des localités visitées et le nombre d’enseignants
(formés et non formés), rencontrés. Nous attribuons à ces
rapport un chiffre conventionnel qui n’indique, ni une
quelconque hiérarchisation, ni un jugement sur leur qualité;
mais veut uniquement faciliter leur repérage dans les éven-
tuelles citations de leur contenu, que nous ferons dans les
pages suivantes.

1
Un septième rapport a été renvoyé à l’auteur parce qu’il était inutilisable (manuscrit illisible).
5

Tableau 1 – Données générales sur l’évaluation,

Nombre d’enseignants
N° du Les évalua- Localisation Ayant En N’ayant
Rap- teurs suivi la FLE suivi
port formation uni- aucune
quemnt for-
mation
+
M. Rely Tuléar Centre
Zelfa Ankililoaka 15 3 4
1 Mme.Makany Ankilimalinika
Yvette
Mme.Rahar- Andaboly
2 intsoa V. St.Augustin
M.Razafi- Ambohima/na 9 * 4 *
mandimby R. Andranohinaly
Andranovory

5 Mme Vaolina
Elisabeth 22 9
Rabesaiky de Mitsinjo Beta-
Paul nimena 10 8
3 Razafi- Manombo I
mandimby R. Manombo II
Fitsitike

4 → Sokorokana
C.T.
Rasolofoni- Benetse
rina W. Ankililoaka 11 5
6 (Focus Ambararatafaly
Groupes et
entretiens
individuels)

TOTAUX 58 3 26
TOTAL GENERAL des instituteurs 87
%des instituteurs formés : 70,1
%des instituteurs n’ayant pas eu une formation : 29,9
+ Les enseignants qui n’ont suivi aucune
formation, mais qui ont eu leur diplôme avant 1976 étaient
3 ou 4 en tout. De ces derniers, le Rapport n°1 affirme
que, dans cette période «ils ont acquis des bases solides,
en langue française.
* Nous prenons en compte les données du
rapport n° 5 et non pas celles du n°2.
6

Des constantes se dégagent des différents rapports


dont il est question dans le tableau que nous venons d’éta-
blir: c’est sur ces constantes que nous porterons d’abord
notre attention :

1. Les instituteurs qui ont reçu les formations


en FLE et en Pédagogie.

Les enseignants qui ont suivi assidûment les sessions


de formation FLE et Pédagogie organisées par AeA sont sans
complexes dans leur communication en français avec les
autres ; leurs compétences sont nettement meilleures par
rapport à leur collègues qui n’ont pas suivi une formation.
Le Rapport n°3 dit : « Ces enseignants se distinguent de
leurs collègues qui n’ont pas été formés » et le Rapport
n°2 : « ils sont suivis et compris par leurs élèves, qu’ils
encouragent, voire, qu’ils forcent à parler français et à se
faire comprendre.
Le Rapport n°6 signale, à son tour que l’unanimité des
chefs ZAP et des Directeurs d’écoles interviewés, déclarent
que « les enseignants qui ont suivi les formations et ont
obtenu des diplômes, travaillent mieux que les autres. A
preuve, ils sont pour la plupart chargés des classes de 2d
cycle (9ème , 8ème , 7ème ), où les enseignements sont censés
être dispensées en français ».
Le Rapport n°1, constate d’une manière générale, sans
donner trop de détails sur le thème, de l’impact positif des
formations reçues.

On verra plus avant que tout cela ne signifie pas né-


cessairement que tout marche bien et sans problèmes, au
contraire, toutes ces constatations pourraient être une fa-
çade qui cache des problèmes fondamentaux non résolus.
7

2. Enseignants qui n’ont pas reçu de formations en FLE


et en Pédagogie …

A ce titre il faudrait ajouter… «ou qui l’ont reçu


d’une façon sporadique». Cette catégorie d’instituteurs,
d’après la constatation unanime des Rapports des observa-
teurs qui sont en notre possession, éprouve de sérieuses
difficultés à enseigner le et en français, ainsi que les
autres matières et à se servir des méthodes de pédagogie ac-
tive.. Rarement ces enseignants expliquent les leçons en
français, mais ils font toujours usage du malgache, sous
prétexte que les élèves ne comprennent pas le français, ce
qui est vrai, par ailleurs.

En fait ce sont les instituteurs eux-mêmes (et a for-


tiori les élèves) qui ne sont pas capables de s’exprimer en
français. Ceci les empêche de pratiquer l’approche méthodo-
logique que, dans le cadre d’une pédagogie active, est appe-
lé « curriculaire » (cf. le Rapport n°3)2. Ces enseignants,
continue le même Rapport, n’arrivent pas à donner des
consignes claires et simples à leurs élèves, ni à formuler
ou a reformuler des questions pouvant les inciter à la ré-
flexion ou à la construction d’un résumé ou d’une synthèse
des leçons. Il font alors copier ou écrire sous dictée, les
résumés déjà existants dans les ouvrages mis à leur disposi-
tion. Au cas où ils n’ont pas de documents, ce qui arrive
facilement, «alors ils ne donnent rien ou donnent n’importe
quoi à leurs élèves».

3. Une comparaison entre les pratiques de classe des


instituteurs formés et des instituteurs non formés.

Le rapport n°1, déjà cité, nous donne un important ta-


bleau récapitulatif et comparatif de l’évaluation sur la

2
Ce rapport explique longuement en quoi consiste cette méthode ; nous ne croyons pas néces-
saire de reprendre ici cette explication.
8

pratique de classe et sur les capacité des instituteurs as-


sidus aux formations et des instituteurs qui n’ont pas reçu
de formation. Nous n’avons pas de tableaux analogues, dans
les autres rapports, et à propos des autres sites de l’éva-
luation ; mais celui-ci, clair et complet, comprenant la si-
tuation en milieu rural et en milieu urbain, pourrait être
considéré comme un échantillon représentatif de l’ensemble
des écoles. On pourrait imaginer que dans les autres sites,
les condition des enseignants ne doivent pas être trop dif-
férentes.

Tableau 2 – Récapitulation de l’Evaluation de la


pratique de classe
Organisation Fiches de Prestation
M O D A L I T E S pédagogique préparation du maître
Catégorie Appréciations A B C D A B C D A B C D
d’enseignants →
Lieux ↓
Enseignants 1 0 2 0 0 1 0 2 1 1 1 0
formés Ankililoaka 1 4 0 0 0 2 1 2 1 0 3 1
en FLE et en Ankilimalinika 2 4 1 0 1 0 0 6 1 2 3 1
Pédagogie
Total gén. 4 8 3 0 1 3 1 10 3 3 7 2
15 Totaux
. 26 53 20 0 7 20 7 66 20 20 47 13
% →
Tuléar 0 1 0 12 1 0 0 10 0 2 0 0
Enseignants Ankililoaka 0 1 0 0 0 0 0 1 0 1 0 0
formés Ankilimalinika - - - - - - - - - - - -
en FLE
Total gén. 0 2 0 1 1 0 0 2 0 3 0 0
3 Totaux
0 67 0 33 33 0 0 61 0 100 0 0
% →
Tuléar 0 0 0 1 0 0 0 1 0 0 0 1
Enseignants Ankililoaka 1 1 0 1 0 0 0 3 0 2 0 1
non Ankilimalinika - - - - - - - - - - - -
Formés
Total gén. 1 1 0 2 0 0 0 4 0 2 0 2
4 Totaux
. 26 25 0 50 0 0 0 100 0 50 0 50
% →
Code : A = Très bien/Bien - B = Assez bien/Passable/Moyen
-
C = A peine suffisant - D = Insuffisant ou
Très insuffisant
Suite du tableau, dans la page suivante
9

s u i t e
Cahiers des Compétences Maîtrise Impact sur
M O D A L I T E S élèves linguistiques des les
matières Résultats
des
élèves
Catégo- Apprécia-
rie tions ► A B C D A B C D A B C D A B C D
d’ensei
gnants Lieux ▼
Ensei- Tuléar 0 2 1 0 2 1 0 0 1 1 1 0 - 1 - -
gnants Ankililoa- 1 0 2 2 0 3 2 0 0 4 1 0 - 1 2 -
formés ka
en FLE Ankilima- 0 0 4 3 2 2 3 0 3 3 0 1 2 1 - 1
et en linika

dagogie
Total Totaux 1 2 7 5 4 6 5 0 4 8 2 1 2 3 2 1
gén. 15
% ► 7 15 47 33 26 40 33 0 26 53 13 7 25 38 25 12
Ensei- Tuléar 0 0 2 0 1 1 0 0 0 2 0 0 - 1 1 -
gnants Ankili- 0 0 1 0 1 0 0 0 1 0 0 0 - - 1 -
formés loaka
en FLE Ankilima- - - - - - - - - - - - - - - - -
linika
Total Totaux 0 0 3 0 2 1 0 0 1 2 0 0 - 1 1 -
Gé-
néral 3
% ► 0 0 100 0 61 33 0 0 33 62 0 0 - 50 50 -
Tuléar 0 0 0 1 0 0 1 0 0 1 0 0 - - - -
Ensei- Ankili- 0 0 1 2 0 0 2 1 0 2 0 1 - 2 1 -
gnants loaka
non Ankilima- - - - - - - - - - - - - - - - -
Formés linika
Total Totaux 0 0 1 3 0 0 3 1 0 3 0 1 - 2 1 -
gén. 4

0 0 25 75 0 0 75 25 0 75 0 25 - 67 33 -
% ►
Source : Rapport n°1

Plusieurs faits apparaissent dans ce tableau : Les en-


seignants formés et ceux qui ont été formés même partielle-
ment, se situent, dans une note plus haute que les ensei-
gnants non formés. Cette note correspond aux modalités C et
B (« moyenne » et « bien ») ; rares sont les instituteurs
formés qui se trouvent dans la zone A (Très bien), mais en-
core plus rares ceux qui se situent dans la zone D (niveau
« insuffisant » ou « très insuffisant »).
10

Plus de 50% et parfois même 100% des instituteurs non


formés se situent au contraire dans le niveau D (niveau
« insuffisant » ou « très insuffisant »). On remarquera aus-
si qu’en ce qui concerne particulièrement la compétence lin-
guistique, les enseignants formés et ceux partiellement for-
més se trouvent tous entre les modalité A et C et jamais en
D (niveau insuffisant) alors que les autres instituteurs non
formés, se cantonnent dans la modalité insuffisante D).

Quant aux taux de réussite scolaire (promotion, pas-


sage de classe), qui marque en fait la projection ou l’im-
pact des formation auprès des élèves, les résultats sont
également meilleurs dans les classes tenues par des institu-
teurs formés même partiellement, comme on peut le constater
dans le tableau suivant :

Tableau 3 – Résultats scolaires entre 1999 et 2002


MAHAVATSE II
11ème 10eme 9ème 8ème
7ème
Taux de 1999-
Promotion 2000
2000-
Réussite 2001
CEPE 2001- 55,4 64,9 32,1 46,7 %
2002 % % % 65,7 %
1999-
2000
2000-
2001
2001- 65,7
2002
SAINT-AUGUSTIN
Taux de 1999- 39,8 55,2 68,4 72,5
Promotion 2000 87,5
2000- 33,4 51,4 52,2 100
Réussite 2001 92
CEPE 2001- 38,9 64,9 52,2 77,9
2002 94,5
1999- 87,5
2000
2000- 92
2001
2001- 94,5
2002
11

AMBOHIMAHAVELONA
Taux de 1999- 23 69 72,4 81,4
Promotion 2000 66,6
2000- 88,8 90 51,8 86,2
Réussite 2001 80
CEPE 2001- 76,3 83,01 88,2 97,05
2002 97,05
1999- 66,6
2000
2000- 80
2001
2001- 97,05
2002
ANDRANOVORY
Taux de 1999-
Promotion 2000
2000- 46,1 86,4 77,7 75
Réussite 2001 64,2
CEPE 2001- 52,8 72,6 85,7 76
2002 84,8
1999-
2000
2000- 64,2
2001
2001- 86,8
2002
ANDRANOHINALY
Taux de 1999- 72 90 83,3 100
Promotion 2000 66,6
2002- 73,2 96,7 100 100
Réussite 2001 72,7
CEPE 2001- 57,7 65,6 75 33,3
2002 46,6
1999- 66,6
2000
2000- 72,7
2001
2001- 46,6
2002
Source: Rapport n° 2

Sauf pour les classes de 11ème à l’EPP de Saint-Augus-


tin, pour les classes de 11ème et 10ème de l’EPP d’Andrano-
vory et pour l’ensemble des classes d’Andra-nohinaly, où les
résultats manifestent une tendance décroissante, les résul-
tats dans l’ensemble des écoles qui ont fait l’objet de
l’évaluation tendent à l’amélioration.

Il faudrait noter que dans ces écoles de milieu rural,


selon les informations présentées dans le tableau 1, plus
12

des deux tiers des instituteurs ont suivi les formations.


Ainsi, à Mitsinjo Betanimena, par exemple, les réussites aux
examens sont passés de 35% en 1999-2000 à 66% en 2001-2002
pour la 9ème, de 29% à 45% pour la même période et pour la
classe de 8ème.

En ce qui concerne la réussite au CEPE la tendance à


l’amélioration est encore plus nette, sauf, encore une fois,
pour Andranohinaly qui accuse un recul net. Le cas d’Andra-
nohinaly qui se dégrade d’une année à l’autre à tous les ni-
veaux, mériterait d’être étudié à part ; cependant les éva-
luateurs n’ont pu le faire, faute de temps. A Andranovory,
et à Ambohimahavelona, milieux ruraux aussi, les résultats
du CEPE se sont améliorés de plus de 15% ; à Mitsinjo Beta-
nimena, à ce même niveau les promotions sont passées de 67%
en 1999-2000 à 76% en 2001-2002.

4. Les freins aux réinvestissements des formations

Ce n’est pas parce que les instituteurs qui ont suivi


les formations sont, dans la pratique du français, plus à
l’aise que ceux qui n’ont pas bénéficié des mêmes formations
que tous les problèmes des formations et de l’enseignement
en général ont disparus. Au contraire, à mesure qu’on pro-
gresse dans la maîtrise du français, comme, par ailleurs, de
toute autre matière d’enseignement, les lacunes apparaissent
de manière plus évidente, soit pour les instituteurs formés
soit, encore plus, pour les instituteurs qui n’ont pas reçu
une formation.
Voici quelques unes de ces lacunes :

+ Le manque de bibliothèques, de documentation et de


moyens de culture qui permettraient aux instituteurs de
mieux s’épanouir eux-mêmes intellectuellement et de projeter
ensuite sur leurs élèves cet épanouissement. Plusieurs rap-
ports nous signalent que « les manuels de français existant
13

sont en nombre insuffisant et souvent en piteux état ».


(Rapport n°2 et n°4) ; on insiste aussi sur le fait qu’il
faudrait faire connaître les nouveaux manuels de français
récemment édités en France où le renouveau pédagogique est
constant (Rapport 4) et où, à partir déjà des classes pri-
maires les enfants sont initiés à l’informatique. Il fau-
drait ajouter à tout cela le fait que les instituteurs des
campagnes ne voient jamais un journal et les instituteurs
des milieux urbains ignorent ce qu’est la lecture d’un jour-
nal ou d’une revue et encore moins l’usage d’un ordinateur.

+ Manque d’un « bain linguistique ». Parallèlement à


la lacune signalée à propos des bibliothèques, les Rapports
soulignent le fait que les instituteurs qui doivent s’expri-
mer en français dans leurs classes, ne se trouvent jamais
dans un véritable « bain linguistique français ». Pour
« bain linguistique » ils entendent une ambiance où tout
l’entourage est français, où l’on pense en français, où par-
ler, loisirs, presse, spectacles sont en français spontané
et quotidien.
Les instituteurs, surtout ceux des campagnes vivent
dans un milieu où la vie quotidienne et ses problèmes s’ex-
priment totalement en malgache, où les phrases et, encore
moins les dialogues en français, sont inconcevables et tout
à fait hors du contexte sociologique et psychologique.

+ Le manque de suivi des formations elles-mêmes : plu-


sieurs rapports soulignent en effet que l’observation des
pratiques de classe devraient être faite par les formateurs
eux-mêmes, et non pas sporadiquement par des inspecteurs ou
par des évaluateurs éventuels. Ces supervisions devraient
avoir lieu après chaque session de formation, non pas pour
contrôler, mais pour mieux assister et aider les institu-
teurs afin qu’ils puissent mettre effectivement en pratique
les cours et les conseils que les formateurs leur ont donnés
pendant les formations.
14

+ Sur le plan de la pédagogie active. Ceci est parti-


culièrement vrai, sur le plan de la Pédagogie active où le
manque d’application pratique des méthodes suggérées et ex-
pliquées théoriquement, réduit les formations à des exposés
abstraits, sans efficacité concrète. Une telle assistance
serait la meilleure manière pour s’assurer que les forma-
tions sont réellement réinvesties et se répercutent sur les
élèves. Ce sont finalement ces derniers qui devraient en
être les véritables destinataires et bénéficiaires. Ce suivi
est à mettre parmi les conditions nécessaires du succès des
formations.

Par ailleurs, toujours en ce qui concerne la pédago-


gie active, le Rapport n°6 nous informe que l’effectif plé-
thorique des élèves, surtout dans les classes multigrades,
empêche l’application de ses méthodes. Il est impossible de
circuler parmi les élèves pendant la leçon, tellement la
classe est bondée.

+ L’éducation des enfants. Quant aux élèves eux-


mêmes, plusieurs observateurs ont remarqué que beaucoup
d’entre eux, sont délaissés ou marginalisés pendant les
classes ; ils doivent - surtout les plus timides et taci-
turnes - être encouragés et désignés pour prendre la parole,
être corrigés dans leur prononciation et dans le respect de
la ponctuation pendant les séances de lecture ou de français
oral. A ce propos, le Rapport n°6 fait remarquer que même
pour les enseignants formés, les cours en français dans les
classes de 9ème , 8ème et 7ème présentent des difficultés in-
surmontables : même si les instituteurs arrivent à parler le
français couramment après la formation (ce qui n’est pas le
cas pour le moment), les élèves ne comprennent rien…
15

5. Quelques réflexions
à propos de l’enseignement en français.

Nous ne reprendrons pas ici les thèmes de l’Organisa-


tion, de la chronologie et des différents problèmes des for-
mations, de leur pérennisation, de l’après-désengagement
d’AeA, ni de la pratique pédagogique Enfant par l’enfant.
Ces thèmes sont traités dans le Rapport provisoire de jan-
vier 2003 auquel on peut se référer. Les Rapports complémen-
taires de mai-juin n’abordent pas ces thèmes, par ailleurs
ou, dans les rares passages où ils y font allusion, ils
n’ajoutent rien de nouveau à ce qui a été déjà longuement
écrit.
Nous voudrions, dans un esprit de collaboration
constructive, suggérer quelques réflexions inspirées par la
situation générale de l’enseignement primaire actuel à Mada-
gascar et par la place importante occupée par AeA dans cet
enseignement. Encore une fois, cette situation apparaît di-
rectement et, plus souvent, en filigrane, dans les six Rap-
ports de terrain de l’évaluation de mai-juin derniers.

Le français langue d’enseignement. Malgré tous les


efforts pour former les instituteurs en FLE et en Pédagogie,
le français comme langue d’enseignement dans les écoles
primaires, reste en général un échec et une véritable uto-
pie, en tout cas il n’a aucun prolongement réel dans la ma-
nière de s’exprimer des élèves et surtout dans la manière de
communiquer entre eux et avec leurs maîtres. Aucun des en-
seignants, formés ou pas, n’y croient vraiment ni en théorie
ni en pratique. Le statut officiel d’une langue est une
chose, la situation réelle une autre.

En fait le français reste une langue étrangère, sans


doute plus familière que le russe, l’espagnol ou le chinois,
parce qu’elle a un passé assez long de relations historiques
avec l’Île, mais langue étrangère tout de même. Elle ne peut
pas véhiculer une culture qui forme et éduque en profondeur
16

les enfants malgaches. Ceux-ci appartiennent à un monde


culturel propre et farouchement jaloux de son identité et
ils sont spontanément imprégnés de l’univers culturel et ex-
pressif de ce monde.

Or, une véritable éducation qui culmine dans la créa-


tivité culturelle (art, littérature, savoir vivre, équilibre
social…) ne peut se faire que dans ce même monde, dans la
culture où baignent les racines de la personnalité des en-
fants. L’extraversion culturelle des enfants et des jeunes
en général, risque de leur donner une culture superficielle
et artificielle et de laisser des vides profonds dans leur
personnalité. On voit d’ailleurs dans les comportements de
certains milieux de la jeunesse malgache actuelle les dégâts
apportés par une culture et par des valeurs venant
d’ailleurs qui n’ont rien à faire avec leur culture profonde
et leurs valeurs traditionnelles (le respect de la vie par
exemple qui est malmené par une civilisation de la violence
et du culte de la matière, transmis le plus souvent par
l’image dans une technique visuelle envahissante).

Les efforts des enfants malgaches. Ce discours est


possible à Madagascar où l’unité linguistique et culturelle
des différentes régions du pays, malgré les différences dia-
lectales, est une donnée positive de l’histoire. La situa-
tion est tout à fait différente dans la plupart des pays
d’Afrique, où la fragmentation linguistique conduit à perce-
voir le français ou l’anglais comme facteurs d’unités et de
cultures nationales. La situation en Afrique est plus com-
plexe certes, et les solutions nettement plus difficiles
qu’à Madagascar. A Madagascar le français ne couvre pas
cette fonction unificatrice et culturelle, accomplie par le
malgache, mais il est accepté comme instrument de communica-
tion international, important et nécessaire, sans doute,
dans le monde actuel.
17

C’est de là que provient l’ambiguïté du statut de la


langue française dans l’actuel système d’enseignement mal-
gache dans les écoles primaires. Dans ce système, on exige
des petits Malgaches un effort dix fois supérieur à celui
que les éducateurs demandent aux petits Français. Ceux-ci
parlent français chez eux et avec leurs copains d’école et
de jeux, ils baignent dans un milieu français (parler, chan-
ter, jouer, relations sociales, religions, musiques…) et
étudient à l’école une langue étrangère et même deux… qu’ils
espèrent pouvoir parler dans les classes supérieures. Ces
langues leur permettront de s’ouvrir aux autres pays du
monde pour leur offrir et en recevoir une culture. Mais il
serait absurde et personne ne pense le faire, d’imposer à
ces enfants de Paris, de Londres ou de Rome, des cours de
calcul, d’éducation civique et de géographie dans une langue
qui pour eux reste étrangère.

Les petits Malgaches parlent en malgache dans leur mi-


lieu familial, vivent dans un bain culturel malgache (par-
ler, chanter, penser, jouer, prier, relations…), mais dans
leur école ils doivent suivre des cours dans une langue
qu’ils ne connaissent pas - mais qu’on s’acharne à la leur
faire connaître - et qui ne véhicule pas leur propre
culture. C’est dans sa propre langue que la culture d’un
peuple peut s’épanouir et être créatrice ; les langues et
les cultures étrangères sont enrichissantes certes, et on
dit dans certains pays méditerranéens qu’on « possède autant
de cœurs que de langues » ; mais ces langues dont l’apport
n’est jamais minimisé, se greffent sur une identité cultu-
relle établie d’avance qui les accepte, les assimile sponta-
nément et s’en enrichit, sinon elles restent artificielles.

Par ailleurs, même dans le secondaire, dans les ly-


cées et pendant les premières années universitaires, la
connaissance du français reste élémentaire et les lycéens et
les étudiants ont beaucoup de mal à s’exprimer dans cette
langue qui pourtant est « officielle » au baccalauréat et
18

puis à l’Université. C’est pourquoi d’ailleurs on a institué


des cours de formation, à l’autre bout des formations des
écoles primaires, pour renforcer l’usage du français litté-
raire et scientifique, tout particulièrement adressés aux
universitaires des premières années.

Après quelque temps d’études supérieures, on a finale-


ment compris que le français (ailleurs pourrait être l’an-
glais ou d’autres langues) est un outil de communication in-
ternational indispensable pour s’intégrer dans la mondiali-
sation ; mais cet outil ne sera jamais employé pour des
échanges profonds des lycéens entre eux et des étudiants
universitaires malgaches entre eux : jamais des étudiants ne
conversent en français, sauf dans des réunions académiques
ou, peut-être, si un étranger est présent parmi eux ou s’ils
veulent se faire remarquer par un comportement qui sera vite
qualifié comme snobisme par le milieu malgache. Pourtant ces
étudiants se révèlent capables d’un vrai bilinguisme et il
n’est pas rare qui, arrivés au niveau de leur diplôme de
maîtrise, contrôlent le français à la perfection.

6 - L’intervention d’AeA dans l’éducation


des enfants malgaches.
Après tant d’années de présence et de travail en fa-
veur des écoles malgaches et pour les formations en français
et en pédagogie des enseignants, AeA s’aperçoit que quelque
chose ne va pas dans le système et que les formations - bien
que coûteuses, bien que généralement appréciées et donnant
des fruits, - ne répondent pas à la finalité qu’on leur a
donné, de familiariser les enfants avec la langue française,
jusqu’à transformer cette langue en langue d’enseignement.

Ce faisant, c’est vrai, AeA appuyait la politique


d’enseignement des autorités scolaires malgaches et en était
encouragée. La raison de l’insuccès est sans doute à reche-
19

cher dans le fait que le quotidien à Madagascar n’est pas


vécu en français, si on peut dire, mais en malgache.

La difficulté ne provient pas, très probablement, de


l’insuffisance et des lacunes des formations ni du manque
d’engagement des autorités malgaches : ces insuffisances ont
été étudiées et évaluées et on cherche d’y remédier. Le pro-
blème est plutôt enraciné dans la profonde distance cultu-
relle entre le monde français et le monde malgache. On l’a
dit : une véritable éducation des enfants ne peut pas se
faire dans une langue étrangère, en transférant leur esprit
dans un bain culturel différent que le leur. La situation
paradoxale consiste alors dans le fait que ce qui est ab-
surde en France on s’efforce de le faire apparaître normal à
Madagascar.

AeA cherche des nouvelles formules qui répondent mieux


aux besoins d’éducation des enfants et de la jeunesse mal-
gache. En voici une qu’on pourrait proposer en conclusion de
cette évaluation :

Opérer non pas pour que le français deviennent langue


d’enseignement, mais pour l’approfondissement d’une éduca-
tion des enfants et de la jeunesse malgache dans le cadre de
la propre culture et d’une malgachisation de l’enseignement
qui soit un véritable véhicule de cette culture. Cette mal-
gachisation, d’une part ne doit pas être une fermeture sur
elle-même, et d’autre part devrait disposer de tous les
moyens pédagogiques modernes pour réussir.

Les historiens peuvent nous rappeler que c’est l’in-


suffisance de moyens pédagogiques et d’une politique claire
qui a fait échouer la malgachisation du début de la Deuxième
République. On peut se demander si le « retour » au français
ne soit pas un échec encore plus grave sur le plan éducatif
et culturel en général.
20

En même temps il faut œuvrer pour que le français,


tout en restant langue étrangère, pénètre dans l’univers
culturel des enfants et de la jeunesse malgache comme un
complément de leur propre langue et culture, c’est ainsi
qu’elle ne serait plus perçue comme « étrangère ». Le succès
de la langue française est lié au succès de la malgachisa-
tion, car c’est une personnalité malgache forte qui peut ac-
céder à une grande culture étrangère (celle française en
l’occurrence) et à ses richesses linguistiques et non pas
des personnes vides d’idées et incapables de maîtriser leur
langue et leur univers culturel.

Par ailleurs, intégrée progressivement, d’un cycle


formatif à l’autre, dans la culture malgache, la langue
française serait considérée comme une chose appartenant aux
Malgaches et contribuant à l’épanouissement de la personna-
lité malgache.

AeA au service de la culture malgache et par là, véri-


tablement au service des enfants malgaches ? Promotrice et
organisatrice de la malgachisation ? Pourquoi pas ? Voici un
paradoxe qui pour certains est sans doute scandaleux. Mais
tout paradoxe est l’expression exagérée d’une vérité et
contient une vérité annoncée avec violence. C’est peut-être,
pour cet organisme à vocation mondiale qu’est AeA, la ma-
nière la plus réaliste et la plus intéressante d’aider les
Malgaches à s’épanouir dans leur culture et à accepter une
autre culture et une autre langue.

Ce sont des idées plus faciles à exprimer qu’à réali-


ser, certes. A l’état actuel des choses, cette proposition
pourrait être qualifiée d’utopie ; elle doit s’accompagner
d’un programme qu’on ne peut pas improviser et qui met pro-
fondément en question la finalité et les moyens des forma-
tions actuelles. Ce programme devrait reproduire probable-
ment la démarche d’autres pays dans l’apprentissage des
langues étrangères, il doit être préparé par de longues re-
21

cherches de faisabilité, par des études sur de technologies


diverses nécessaires à l’opération, et de pédagogies intel-
ligentes. Entreprise originale qui peut confirmer le carac-
tère mondial d’un organisme qui affiche comme étiquette de
sa propre mission primordiale le service des Ecoliers du
monde et de leur culture...

Synthèse réalisée par


Pietro LUPO – Pilote de l'évaluation
Toliara, juillet 2003

Vous aimerez peut-être aussi