Vous êtes sur la page 1sur 4

Primaire, Secondaire

Les Lesson Study ? Ke- bert (1999) ont ainsi parlé d’un Teaching
Gap, un fossé en matière d’enseignement,
sako ? entre le Japon et les USA en particulier. Ils
ont décrit ce qui, selon eux, expliquait pour-
quoi, par contraste avec l’enseignement
Stéphane Clivaz essentiellement procédural aux USA, les
enseignants japonais avaient un enseigne-
ment des mathématiques à la fois efficace
Laboratoire Lausannois Lesson et essentiellement axé sur la compréhen-
Study, HEP Vaud sion des mathématiques et la résolution de
problèmes : la pratique des Jugyo Kenkyu
Originaire du Japon, une nouvelle forme (Stigler & Hiebert, 1999). Fort de cette pro-
de développement professionnel des en- motion, et grâce en particulier aux travaux
seignants se déploie depuis peu en Suisse de Lewis qui a formalisé et popularisé les LS
romande, en particulier en mathématiques. aux USA (Lewis, 2002, 2015 ; Lewis & Hurd,
Autour de l’élément de base du métier 2011), ce mode de développement profes-
d’enseignement, la leçon, ces Lesson Study sionnel s’est développé aux USA, mais aussi
(LS) sont une occasion de développement en Europe du Nord et dans le reste de l’Asie.
des connaissances professionnelles des en-
seignants ainsi que de développement de Le cycle de Lesson Study
celles des autres acteurs de l’école. Cet ar- Les LS partent d’une difficulté à propos
ticle propose une brève présentation du dis- d’un sujet d’enseignement, relevée par
positif et évoque quelques exemples de son un groupe d’enseignants. Les enseignants
utilisation. Certains de ces exemples pour- analysent l’apprentissage visé, étudient la
raient être développés dans des articles à notion mathématique, consultent les divers
venir. moyens d’enseignement, étudient des
articles de revues professionnelles… Cette
Des Jugyo Kenkyu aux Lesson étude leur permet de planifier ensemble
Study une leçon.
Popularisées dans les années 2000 à la suite
des comparaisons internationales TIMMS1,
les Jugyo Kenkyu, littéralement études de
leçon, sont nées au Japon dans les années
1890. À l’occasion d’une réforme scolaire,
les enseignants ont commencé à se réunir
afin d’observer des leçons, en particulier
de mathématiques, et de les examiner de
manière critique (Shimizu, 2014). Ces études
de leçons se sont ensuite généralisées dans
l’ensemble du Japon. Dans les années 1990,
à la suite des études internationales mon-
trant les bonnes performances des élèves
japonais en mathématiques, l’étude TIMMS
Figure 1 : Le processus de LS (d’après
a comparé en détail les leçons de mathé-
Lewis & Hurd, 2011, p. 2)
matiques de 8ème année2 (10ème HarmoS),
notamment japonaises et étatsuniennes.
Cette leçon est mise en œuvre dans la
Les chercheurs ont été frappés de consta-
classe d’un des membres du groupe. Les
ter que ces leçons variaient énormément
autres enseignants observent la leçon en
d’un pays à l’autre, mais fort peu à l’inté-
direct et analysent son impact sur les ap-
rieur d’une même culture. Stiegler et Hie-
prentissages des élèves. Le groupe peut
décider de planifier une version améliorée
1  Voir http://www.timss.org.
de la leçon qui sera donnée dans la classe
2  Élèves de 13-14 ans.

Math-École 224/novembre 2015 23


Primaire, Secondaire

d’un autre enseignant et la boucle recom- Autour de ce dispositif de formation s’arti-


mence. Le résultat du travail est diffusé, à culent plusieurs projets de recherche en
la fois sous la forme d’un plan de leçon dé- cours visant à étudier le développement
taillé utilisable par d’autres enseignants et professionnel des enseignants, du point de
d’articles dans des revues professionnelles. vue de leurs connaissances mathématiques
pour l’enseignement (Clivaz, 2012, 2014),
De Tokyo à Lausanne de l’évolution de leurs pratiques (Batteau,
Des LS de divers types sont menées au sein 2013), de leurs connaissances pédago-
du tout nouveau Laboratoire Lausannois giques ainsi que de leurs postures (Clerc,
Lesson Study (3LS) à la HEP Vaud. Nous en 2013) au cours du dispositif.
décrivons ici fort brièvement trois exemples,
qui seront peut-être développés dans LS en échange avec Singapour
d’autres articles. Dans le cadre du programme d’échange
PEERS3 de la HEP Vaud, des échanges ont
LS en maths en 5H-6H lieu entre trois étudiants en formation initiale
Une équipe de huit enseignant-e-s de 5H-6H à l’enseignement et un formateur de la
(8-10 ans) de deux établissements primaires HEP et un groupe similaire d’une institution
de la région lausannoise a travaillé durant de formation étrangère. Plusieurs groupes
deux ans autour de leçons de mathéma- utilisent le processus de LS, à l’instar de ce
tiques (article dans l’Éducateur de dé- qu’ont vécu trois étudiantes de la HEP dans
cembre 2015). Encadré par deux coaches, un échange avec leurs collègues singapou-
un didacticien des maths et une spécialiste riennes en 2014.
des processus d’enseignement-apprentis-
Parallèlement à plusieurs visites d’écoles,
sage, le groupe a travaillé sur quatre cycles
ces trois étudiantes et un formateur ont ainsi
(voir Figure 1) de leçons de mathématiques
travaillé à Singapour durant une semaine
consacrés à la numération décimale, aux
afin d’étudier un problème de mathéma-
transformations géométriques et à la résolu-
tiques et de construire une leçon. Cette
tion de problèmes (deux cycles).
leçon a ensuite été peaufinée au retour en
Les plans de leçon produits par le groupe Suisse pour être donnée et observée dans la
sont disponibles sur le site du laboratoire 3LS classe de stage d’une première étudiante.
(www.hepl.ch/3LS). La tâche proposée est Les observations ont permis d’approfondir
souvent une activité des manuels d’ensei- encore le sujet et d’améliorer la leçon pour
gnement romands qui a été décortiquée la deuxième, puis, de manière analogue
et parfois recomposée par le groupe. Ces pour la troisième leçon. Cette troisième le-
plans contiennent une ou plusieurs « fiches çon a été observée également par les col-
élèves » ainsi qu’une description détaillée lègues singapouriens lors de leur semaine
de la leçon pour l’enseignant. Ils peuvent en Suisse.
être directement utilisés, clef en main, par
La comparaison des deux leçons « fi-
tout enseignant intéressé, mais ils incluent
nales », singapourienne (via une vidéo) et
surtout les réflexions du groupe et des déve-
romande, a été riche d’enseignements sur
loppements mathématiques, didactiques
les conceptions différentes de la résolution
ou pédagogiques. Ils peuvent ainsi égale-
de problème dans les deux régions. Cette
ment servir de base à un travail plus appro-
comparaison a en particulier mis en évi-
fondi. Toutefois, si ces plans représentent
dence une forte tendance à enseigner à
un aboutissement du processus de LS, ils ne
résoudre des problèmes (de manière par-
sont, comme la réponse à un problème de
tiellement standardisée et en utilisant Polya
mathématiques, que la réalisation visible
(1945)) à Singapour et d’enseigner en résol-
d’un « exercice de développement pro-
vant des problèmes en Suisse romande.
fessionnel » (Clivaz, 2015b, p. 103). La leçon
n’est ainsi qu’un but apparent, un moyen
de développer les connaissances profes- 3  Projet d’Étudiants et d’Enseignants-chercheurs en
sionnelles des enseignants. Réseaux Sociaux. Pour plus de renseignements consulter
le site de la HEP Vaud : www.hepl.ch

24 Math-École 224/novembre 2015


Primaire, Secondaire

Des micro-LS en formation initiale améliorer l’enseignement, quoi de plus


Dans le cadre du module « Régulations évident que de collaborer avec vos col-
des apprentissages et évaluation » de la lègues enseignants pour planifier cet
formation initiale des futurs enseignants enseignement et examiner son effet sur
préscolaire-primaire à la HEP Vaud, tous les les élèves ? Pourtant, si l’idée peut être
étudiants réalisent des micro-LS (Fernandez simple, les LS sont un processus complexe.4
& Robinson, 2006), en mathématiques, en Ce caractère collaboratif de recherche est
sciences ou en français (Clerc & Martin, un autre élément essentiel. La recherche
2011; Martin & Clerc-Georgy, 2015). Pour ce collaborative de solutions à une difficulté
qui est des mathématiques, un groupe de d’enseignement-apprentissage permet
quatre étudiants étudie une erreur typique d’une part de développer des connais-
en calcul réfléchi produite par un élève réel sances professionnelles et d’autre part de
et planifie une interaction avec cet élève focaliser le regard sur l’enseignement et
afin de le guider dans son apprentissage, non sur l’enseignant lui-même. Cette colla-
en particulier en utilisant des éléments boration s’étend d’ailleurs aux autres collè-
de métacognition. Un des étudiants vivra gues de l’établissement, aux directions, aux
ensuite cette interaction dans sa classe cadres du département, aux associations
de stage avec l’élève concerné, enregis- professionnelles, aux étudiants, aux forma-
trera et transcrira cette interaction. Cette teurs et aux chercheurs. Lors des réunions de
transcription sera analysée par le groupe notre laboratoire 3LS tous dialoguent autour
en séminaire afin d’identifier les effets des de l’objet leçon dans ces divers aspects.
interventions de l’enseignant sur les appren- Enfin, le processus de LS se déroule dans la
tissages des élèves et de préparer une nou- durée. La participation à un groupe de LS
velle version de l’interaction qui sera vécue « en emploi » correspond environ à trois jours
par un deuxième étudiant avec un autre de formation continue, en partie sur temps
élève la semaine suivante, et ainsi de suite. scolaire. Ce temps est toutefois réparti ré-
Les effets des LS, nos premiers gulièrement sur l’année scolaire et s’ancre
constats dans la pratique quotidienne.

Le centre d’une LS est la leçon. Toutefois, Les effets de développement de compé-


le processus se déroule à plusieurs niveaux tences et de connaissances profession-
documentés dans nos recherches : nelles étudiés par les recherches internatio-
•  l’apprentissage des élèves est l’objectif nales en Asie, aux USA ou en Europe du nord
de la leçon, il est au centre des observa- sont avérés (voir par exemple Hart, Alston &
tions des enseignants ; Murata, 2011 ; Lewis, Perry, Friedkin & Roth,
•  cette focalisation sur l’apprentissage 2012). Pour ce qui est des trois exemples
des élèves et sur les effets de l’enseigne- relatés dans cet article, une première indi-
ment sur cet apprentissage est le moteur cation des effets se trouve dans les déclara-
d’une amélioration de l’enseignement, en tions des enseignants et des étudiants sur ce
vue d’améliorer les apprentissages ; que le processus a permis de changer dans
•  cette amélioration de l’enseignement, leur pratique. Par exemple, les enseignants
et le travail de réflexion pour y parvenir disent qu’ils ont développé une attention
sont générateurs de développement des plus grande aux apprentissages des élèves
connaissances professionnelles, didac- en classe, aux étayages à apporter ou
tiques et pédagogiques des enseignants. encore aux savoirs en jeu dans les tâches
issues des manuels, et ceci, y compris dans
Ce développement est favorisé par plu- d’autres disciplines. Par ailleurs les effets des
sieurs éléments. Tout d’abord le processus micro-LS en formation initiale ont été décrits
est proche de la pratique ordinaire des par Clerc et Martin (2011) et les recherches
enseignants mais il permet également une autour du dispositif LSM sont en cours.
prise de distance. Comme le disent Lewis et
Hurd (2011, p. 3) : Le travail à faire dans le domaine des LS
L’idée des LS est simple. Si vous voulez 4  Ma traduction.

Math-École 224/novembre 2015 25


Primaire, Secondaire

reste conséquent. Un des axes de travail de tissage professionnel pour les enseignants.
notre laboratoire concerne les développe- Revue des HEP et institutions assimilées de
Suisse romande et du Tessin 19, 99-105.
ments théoriques liés aux LS en didactique
Dudley, P. (2014). Lesson Study: Professional
des mathématiques, particulièrement fran- Learning for Our Time: Routledge.
cophone (Clivaz, 2015a ; Miyakawa & Wins- Fernandez, M. L. & Robinson, M. (2006). Pros-
løw, 2009), ou en sciences de l’éducation pective Teachers’ Perspectives on Micro-
(Martin & Clerc-Georgy, 2015). teaching Lesson Study. Education, 127(2),
203-215.
Un autre axe essentiel concerne les diffi- Hart, L. C., Alston, A. S. & Murata, A. (Eds.).
cultés et les adaptations des LS dans notre (2011). Lesson Study Research and Practice
in Mathematics Education: Springer.
contexte culturel5 et le développement dès
Lewis, C. (2002). Lesson study: A handbook
la rentrée 2015 de nouveaux groupes, dans of teacher-led instructional change: Re-
plusieurs disciplines et à tous les degrés de search for Better Schools.
la scolarité. Lewis, C. (2015). What Is Improvement
Science? Do We Need It in Education? Edu-
Pour être tenu au courant de ces dévelop- cational Researcher, 44(1), 54-61.
pements ou pour plus de renseignements, Lewis, C. & Hurd, J. (2011). Lesson study step
vous pouvez consulter les pages web du by step: How teacher learning communities
improve instruction: Heinemann.
laboratoire 3LS (www.hepl.ch/3LS), vous y
Lewis, C., Perry, R., Friedkin, S. & Roth, J.
inscrire sur la liste de diffusion ou nous écrire (2012). Improving Teaching Does Improve
à 3LS@hepl.ch. Teachers Evidence from Lesson Study. Jour-
nal of teacher education, 63(5), 368-375.
Références Martin, D. & Clerc-Georgy, A. (2015). Use
Batteau, V. (2013). Une étude de l’évolution of theoretical concepts in Lesson Study: an
des pratiques d’enseignants primaires vau- example from teacher training. Internatio-
dois dans le cadre du dispositif de formation nal Journal for Lesson and Learning Studies,
de lesson study en mathématiques, Cane- 4(3), 261-273.
vas de thèse, FPSE, Université de Genève. Miyakawa, T. & Winsløw, C. (2009). Un dispo-
Clerc, A. (2013). Rôle des savoirs théoriques sitif japonais pour le travail en équipe d’en-
de référence dans les parcours de forma- seignants : Etude collective d’une leçon.
tion des futurs enseignants des premiers Education et Didactique, 3(1), 77-90.
degrés de la scolarité. Thèse en sciences de Polya, G. (1945). How to solve it: A new
l’éducation. Université de Genève. aspect of mathematical model: Princeton
Clerc, A. & Martin, D. (2011). L’étude collec- University Press Princeton.
tive d’une leçon, une démarche de forma- Shimizu, Y. (2014). Lesson Study in Mathe-
tion pour développer et évaluer la construc- matics Education. In S. Lerman (Ed.), Ency-
tion des compétences professionnelles des clopedia of Mathematics Education (pp.
futurs enseignants. Revue internationale de 358-360): Springer Netherlands.
pédagogie de l’enseignement supérieur, Stigler, J. & Hiebert, J. (1999). The teaching
27(2). https://ripes.revues.org/514 consulté gap. Best ideas from the worlds teachers for
le 24 novembre 2015. improving education in the classroom. New
Clivaz, S. (2012). Des mathématiques pour York: The Free Press.
enseigner : une comparaison entre ensei-
gnants étatsuniens, chinois et vaudois. Ma-
th-Ecole, 218, 61-63.
Clivaz, S. (2014). Des mathématiques pour
enseigner  ? Quelle influence les connais-
sances mathématiques des enseignants
ont-elles sur leur enseignement à l’école pri-
maire ? Grenoble : La Pensée Sauvage.
Clivaz, S. (2015a). French Didactique des
Mathématiques and Lesson Study: a pro-
fitable dialogue? International Journal for
Lesson and Learning Studies, 4(3), 245-260.
Clivaz, S. (2015b). Les Lesson Study : Des
situations scolaires aux situations d’appren-
5  Ces questions se posent également aux USA ou en
Europe du Nord et, dans certains pays occidentaux, les
LS se sont fortement implémentées. Le développement
des LS est par exemple impressionnant dans les écoles
londoniennes. Voir à ce sujet le livre de Dudley (2014).

26 Math-École 224/novembre 2015

Vous aimerez peut-être aussi