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Rouba HASSAN
Université Lille 3 - Théodile-CIREL EA 4354
Résumé
Dans le cadre d’une recherche sur les écrits professionnels des enseignants dans une perspective
didactique, cet article s’attache à un type d’écrits particuliers rarement étudiés : ceux du tableau.
L’écriture au tableau, comme l’ont souligné Nonnon (1991, 2000) pour le français et Robert et
Vanderbroucke (2003) pour les mathématiques est une pratique importante dans le métier
d’enseignant. Importante par sa fréquence et par le rôle qu’elle joue dans la gestion du cours. Plus
précisément, l’article interroge le statut du tableau et son rôle en tant qu’outil didactique (Nonnon,
2000), les spécificités de l’écriture au tableau (modalités, contenus, formes) et les différences
observées selon les niveaux et les disciplines scolaires. Ce faisant, il espère contribuer à éclairer
certains aspects du travail enseignant.
Mots clés : didactique, écriture, tableau, travail enseignant
Abstract
This article addresses the issue of teachers professional writing. It focuses on a particular form of
writing rarely studied : writing on the (black) board. Writing on the board is an important practice as
shown by Nonnon (1991, 2000) as far as French is concerned and Robert and Vanderbtoucke (2003)
concerning mathematics. Our aim is to describe the role of the black board as a ‘didactic tool’ and
both its characteristics and specificities in different disciplines. By doing so, we contribute to a better
understanding of teaching and teachers activity.
Keywords : didactic, black board, teaching, writing practice
1. Introduction :Une recherche sur les écrits professionnels des enseignants dans une
perspective didactique
2. Un point méthodologique
Les réflexions et analyses que je présenterai se basent sur deux types de données : deux séries
d’entretiens avec 24 enseignants (neuf de collège, neuf de lycées dont 6 de lycée
professionnel, et 6 de primaire) : une entretien exploratoire avant les observations et un
entretien d’approfondissement à la suite des observations ; un corpus constitué des relevés
manuels du tableau de 12 enseignants observés pendant au moins trois séances dans des
classes différentes. Il s’agit de sept enseignants de collège (trois professeurs de français, deux
de mathématiques, une enseignante d’anglais, et un enseignant de sciences physiques) deux
enseignants de lycée professionnels (vente et français/histoire-géographie) et trois professeurs
des écoles (deux enseignants de CE2 et un enseignant de CM2). Ces relevés manuels nous ont
permis, dans la perspective didactique que nous avons adoptée, de rendre compte de la
dynamique de l’écriture au tableau et des écrits. En effet, ce mode de relevé permet de
rassembler dans un même document les écrits copiés du tableau et les observations relatives à
la séance afin de restaurer la place de ses écrits dans le déroulement du cours et la progression
de l’étude.
Bien que les différents niveaux et les différentes disciplines ne soient pas également
représentés, et c’est là la limite de cette étude, certaines tendances peuvent être dégagées
selon les niveaux et les disciplines et il nous semble intéressant de les pointer et les formuler
pour donner consistance à des observations qui sont autant d’hypothèses pour des
investigations futures.
1
Peut-on imaginer une classe sans tableau ? En suivant Jorro (2002), si l’ébéniste est celui qui est représenté
penché sur un meuble, l’enseignant dans notre imaginaire actuel est celui qui écrit au tableau, même si
l’introduction de cet outil est relativement récente (Chervel, 2006).
L’analyse des relevés du tableau, dans une perspective comparative, tient compte aussi bien
du contenu (exercices, règles, …) que de la nature du langage employé -verbal ou figuratif-,
de l’organisation textuelle des énoncés (s’agit-il de textes pleins ou de bribes d’énoncés ?),
que de leur disposition dans l’espace du tableau. La totalité de ces aspects ne pourra
cependant être exposés dans les limites de cette contribution. Une étude plus complète
paraîtra courant 2010 (Hassan, manuscrit en préparation).
3. Statut du tableau
Quelle place occupe le tableau dans le discours des enseignants interrogés sur les écrits qu’ils
produisent dans le cadre de leur métier ?
2
Pour deux enseignants les premiers entretiens sont inexploitables.
3
Il s’agit de voir le rapport entre le tour de parole où est mentionné le tableau et le nombre total des tours de
paroles.
entre matières scientifiques d’un côté, matières littéraires de l’autre mais des différences. Les
deux autres sont une professeure des écoles et un enseignant de sciences économiques et
sociales. Si on additionne les deux catégories, on peut dire que 11 enseignants sur les 15
considèrent que « ce qui se passe au tableau » a une grande importance dans l’activité de la
classe. Questionnés au sujet de leur utilisation du tableau et de leurs productions, les
enseignants (19) abondent en explications notamment dans le secondaire. Nonnon (1991,
2000) a en effet montré, en analysant les fonctions des inscriptions au tableau, que ce dernier
fonctionne comme un puissant outil didactique. Il est dans ce sens un instrument de travail qui
contribue à l’accomplissement des objectifs de l’enseignant.
Il renvoie à une activité spécifique liée à la gestion du cours du point de vue à la fois
ergonomique et didactique. Il est intéressant à ce titre de citer Chervel (2006) qui décrit ainsi
le « grand virage » pédagogique qui s’est opéré au milieu du 19e et le rôle que prend le
tableau à ce moment là : « au maître silencieux va succéder un instituteur qui expose4, qui lit à
haute voix, qui explique parfois et même qui raconte », en conséquence, « une autre
pédagogie commence à se mettre en place. Elle utilise le tableau noir sur lequel le maître
montre les chiffres, les lettres, les mots » (p. 399-400). Ainsi le tableau noir devient un outil
permettant à l’enseignant d’organiser l’étude et d’exposer aux yeux de tous non seulement des
contenus de savoirs mais aussi des démarches intellectuelles. Cette écriture qui s’expose et
expose au yeux de tous tire ainsi sa puissance de sa dimension ostensive.
3.3 De l’ostension
« Outil essentiel » le tableau tire ainsi sa force de ce qu’il support d’écriture publique et qui
relève d’un procédé didactique de l’ostension (Mercier, Rouchier & Lemoyne, 2001) qui
produit des effets sur les apprentissages au delà de la simple imitation. « Cette technique
didactique élémentaire consiste à donner la direction de l’étude en dirigeant le regard de
l’élève » (p. 237). Contrairement à la majorité des écrits professionnels des enseignants les
écrits du tableau sont produits en classe, ils sont inscrits dans la situation effective de
transmission. L’écriture au tableau est une écriture située, qui donne à voir et se donne à voir.
Elle montre le geste à imiter tout en fixant les contenus à apprendre. Elle acquiert ainsi une
valeur (dé)monstrative. En traçant au tableau des figures, le maître fournit aux élèves le
modèle à imiter et les gestes à reproduire, comme peuvent en témoigner les propos de cet
enseignant de mathématiques.
107 C3 (…) et puis il y a aussi des exercices qu'il faut construire en même temps, je préfère
qu'ils voient que ça prend deux secondes à construire une figure, de rajouter au dessus.
108 BD D'accord, ok.
109 C3 Quand je donne un exercice de géométrie normalement la figure je la donne pas avant.
Je préfère la faire en même temps qu'eux et qu'ils voient que je l'a fait en deux secondes.
110 BD Ouais.
111 C3 Parce que en début, surtout en début de quatrième c'est un problème de voir qu'on fait
une figure fausse qu'ils travaillent xxxxx donc moi je l'ai fait très bien au tableau.
Ici, si l’écriture a une valeur (dé)monstrative, ce n’est pas seulement parce qu’elle donne à
voir aux élèves les gestes à reproduire mais également pour signifier que ces gestes doivent
être acquis. Le rythme de l’écriture est ici décisif dans la mesure où il est porteur de sens. On
laisse de côté la question de l’interprétation des élèves du geste de l’enseignant.
Ainsi, le tableau apparaît comme un support d’écriture qui joue un rôle important dans
l’activité commune des élèves et du maître. Non seulement ce qui s’écrit au tableau joue un
4
C’est moi qui souligne à chaque fois.
rôle important dans cette activité, ce qui va de soi, mais le fait même de l’écrire est tout aussi
déterminant. Ce geste signifie : « faites attention à ce qui s’écrit ».
Tous les enseignants interrogés qu’ils exercent dans le primaire ou dans le secondaire sont
sensibles à ce rôle démonstratif de l’écriture au tableau. Ils ont à la fois un souci de lisibilité
(de l’écriture elle-même) et de clarté (la place des différents éléments sur le tableau). On peut
citer l’exemple de l’enseignant de sciences physiques de notre échantillon qui insiste sur le
fait d’avoir des « schémas propres », et « carrés ». Signalons au passage que pour plus de
clarté et de confort, mais aussi dans un but d’animation, on peut avoir recours au
rétroprojecteur. Ce sont, dans notre population, les enseignants de lycée professionnels qui
utilisent le plus abondamment cet outil. Futur concurrent du tableau ?
Comme je l’ai posé plus haut, le tableau en tant que support particulier d’écriture confère à ce
qui s’y écrit un certain nombre de traits spécifiques. Nous allons exposer à présent les
pratiques d’écriture liées au tableau, la nature des inscriptions et leurs fonctions en tenant
compte des variations disciplinaires et de niveaux lorsqu’elles existent et dans les limites de
notre échantillon, soit entendu.
5
C’est une écriture par laquelle « on vise à figurer, de façon spatiale, l’organisation interne d’un développement
explicatif ou argumentatif ».
6
L’épisode est défini comme une période du milieu didactique. « Nous définissons comme milieu didactique la
« présentification » sous une forme quelconque (texte, fiche, enregistrement, formule, schéma, notation au
tableau) de l’objet enseigné ou de l’une de ses dimensions et la définition d’une activité à propos de cet objet ».
(Schneuwly, 2000 : 25).
aux échanges que le professeur tend à restructurer dans un texte au tableau, en mathématiques
ce brouillon est pris en charge directement par les élèves qui produisent des textes au tableau.
Il s’agit des activités et exercices qu’ils sont amenés à faire au tableau sur invitation de
l’enseignant et avant que celui-ci ne procède à l’institutionnalisation des savoirs. Il est
intéressant de voir, dans ce cas, comment l’écriture au tableau éclaire le travail didactique de
l’enseignant.
Pour notre part, nous nous risquons à proposer et soumettre à la discussion, une autre
catégorisation qui ne tient pas compte de la spécificité des disciplines mais qui renvoie à des
types de contenus (cf. supra) et des pratiques qu’on retrouve dans toutes les disciplines.
D’abord la fonction de fixation des contenus en vue de leur stockage. En effet, comme nous
l’avons déjà évoqués certains écrits au tableau constituent la « trace » que les élèves doivent
recopier dans leurs cahiers. Ensuite une fonction de repérage, qui reprend celle de Nonnon
sans forcément renvoyer aux même types d’écrits. Il s’agit des plans notamment, des énoncés
des objectifs qui permettent d’orienter l’activité des élèves et de définir la ou les tâches. Une
fonction de soutien, d’aide à la pensée (cela peut renvoyer au « brouillon public » de Robert
& Vanderboucke, 2003), il s’agit par exemple de schémas que l’on peut tracer pour aider à
conceptualiser une notion en français ou résoudre un problème en maths. Enfin, nous
proposons une fonction de correction. Nous avons remarqué en effet que cette activité était
commune à plusieurs des disciplines observées (français, mathématiques, anglais) et qu’elle
était récurrente. Les écrits de corrections sont souvent pris en charge par les élèves sous le
contrôle de l’enseignant mais il nous semble que ces moments offrent à l’enseignant la
possibilité de visualiser l’erreur et de permettre un travail de révision qui nous a semblé
important du point de vue du topos de l’enseignant.
- Euh, le tableau, (…) est séparé au moins en trois zones : à gauche on fait le plan de ce qu’on, de ce
qu’on fait, quoi, on écrit le plan, et puis ensuite, on développe sue la partie centrale et, puis après on,
on peut faire des exercices. Après ça dépend de la taille du tableau.
Vient se greffer quelquefois à cette répartition des énoncés selon leur statut épistémologique
une répartition en termes d’importance mise en évidence par un code de couleurs, comme on
l’a vu. Ces deux ou trois dimensions symboliques peuvent ou non correspondre à la structure
matérielle du tableau divisé en deux ou trois panneaux. Cette organisation se joue donc à deux
niveaux. Elle permet de distinguer des contenus appartenant à des registres différents : les
éléments de cours des devoirs par exemple mais elle permet aussi de hiérarchiser les
contenus distinguer les éléments essentiels des éléments de structuration.
On peut décrire cette organisation typique de la manière suivante : à gauche des éléments de
structuration, par exemple les objectifs ou des définitions à mobiliser comme nous l’avons
observé dans une séance sur l’autobiographie en français. Au centre des éléments de
marquage parfois minimaux. A droite des éléments problématiques : des questions soulevés
par des élèves (cf. exemple 3 dans les annexes). Cette organisation n’est pas spécifique à une
discipline car nous l’avons observée chez des enseignants de français, de vente (à gauche les
titres et le plan de l’étude, au centre des commentaires de l’enseignant, à droite des questions
pour guider le travail), de génie construction, de mathématiques et de physiques. Même si les
contenus ne sont pas les mêmes ils remplissent des fonctions identiques. En mathématiques le
cours ne se structure pas en termes d’objectifs et de plan de séquence mais on trouve des
contenus mathématiques remplissant ces fonctions. Au centre les conclusions et définitions, à
droite (mais cela peut être à gauche selon les besoins de l’enseignant) les calculs (différents
exercices de simplification de fractions), à gauche (ou à droite) des éléments de réflexion, de
découverte, d’aide à la conceptualisation (une droite graduée en l’occurrence).
Ces espaces se spécialisent donc en fonction des besoins de l’enseignant. Ils ne sont pas
intrinsèquement dévolus à telle ou tels contenus à l’exception peut-être de la partie centrale.
Par exemple on peut indiquer les exercices à faire dans une zone du tableau non encore
occupée : droite ou gauche pour éviter de mettre dans un même espace des contenus
renvoyant à des temps didactiques différents. Ceci est d’autant plus important que la mise en
espace ne reflète pas toujours l’ordre chronologique dans lequel les différents éléments ont
pris leur place sur le tableau. On ne commence pas à gauche pour finir à droite, et on n’écrit
pas de haut en bas. L’écriture ne suit pas un ordre linéaire. L’enseignante de mathématiques
écrira d’emblée les données d’un problème à droite du tableau. Une fois les calculs opérés elle
ira à gauche pour écrire sa conclusion.
Les textes en eux même ne sont pas non plus construits dans un déroulement linéaire. On peut
prendre l’exemple de cette enseignante de français qui écrit une définition avant d’écrire le
terme qu’elle définit ou qui laisse des blancs dans son texte écrit au tableau afin de les
combler suite aux échanges avec les élèves.
Cette organisation qui semble renvoyer à une « tradition » comme le note l’enseignant de
sciences physiques de notre échantillon semble ainsi faire partie des schèmes d’action du
professeur du secondaire. Elle dessine par le mouvement entre les différents espaces
empiriques (gauche, centre, droite) des espaces symboliques assignant à chaque moment une
fonction dans la progression de la séance et à chaque écrit une place par rapport au savoir.
Bibliographie
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Octarès Editions.
Chervel, A. (2006). Histoire de l’enseignement du français du xviie au xxe siècle. Paris: Retz
Chevallard Y. (1991). La transposition didactique. Grenoble: La pensée sauvage.
Daunay, B., Hassan, R., Lepez, B. & Morisse, M. (2005). Les écrits professionnels des
enseignants : approche didactique. Rapport de recherche, Université Lille 3, Equipe
Théodile.
Goody J. (1979). La raison graphique. Paris: Minuit.
Jorro, A. (2002). Professionnaliser le métier d’enseignant. Paris : ESF.
Mercier A, Rouchier A., Lemoyne G. (2001). Des outils et techniques d’enseignement aux
théories didactiques. In A. Mercier, G. Lemoyne & A. Rouchier (Ed.), Le génie
didactique (pp. 233-249). Bruxelles: de Boeck Université.
Nonnon E. (2004). Travail visible et invisible : la trace écrite au tableau. Recherches, 41, 17-
30.
Nonnon E. (2000). Le tableau noir de l’enseignant, entre écrit et oral. Repères, Les outils
d’enseignement du français, 22, 83-119.
Nonnon E. (1991). Mettre au tableau, mettre en tableaux, ou comment structurer les
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Olson D. (1998). L’univers de l’écrit. Paris: Retz.
Robert, A. & Vandebrouck, F. (2003). Des utilisations du tableau par des professeurs de
mathématiques en seconde, Recherches en didactique des mathématiques, vol. 23/3,
389-424.
rouba.h@infonie.fr
- Exemple 1
9h10 - après avoir rendu des devoirs faits à la maison l’enseignant écrit sur la partie centrale
le n° de la séquence (SEQUENCE n° 7) et le titre de l’œuvre (Les fourberies de Scapin)
9h15 - il rajoute le numéro de séance et l’objet de l’étude :
séance n°1 : Etude de I, 1 et 2
scènes d’expositions
On note ici les titres, les soulignements et le jeu des majuscules/minuscules dans la « mise en
page » du texte.
- Exemple 2
séance n°13
- 1 fausse victoire
- 1 profonde admiration pour l’ocelote qui
symbolise la beauté de l’Amazonie en
danger
livre engagé, militant
- le Vieux se réfugie dans la lecture
des romans d’amour
- structure du livre : un récit se déroulant sur peu de temps avec quelques retours en
arrière
La flèche renvoie à une conclusion, le soulignement à un changement de point de vue dans le
discours porté sur l’oeuvre. On bascule du plan du contenu à celui de la forme de l’oeuvre.
- Exemple 3 (C1)
Objectifs SEQUENCE 4 : Est ce qu’une autobiographie
et un journal intime sont une
-Définir l’autobiographie
DIRE ET ECRIRE même chose ? Djamel
-Qu’est ce qu’un pacte
SAVIE
autobiographique ?
LE PACTE AUTOBIOGRAPHIQUE
-« Ecrire » son autobiographie
-Découvrir quelques grandes
autobiographies et quelques
autobiographes