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Pour un essai d’évaluation du manuel scolaire.

Cas du manuel de français

For a textbook evaluation essay. French textbook case


Hafida Mderssi, PESA.
Université Mohammed V, FSE de Rabat.
Mohammed V University, FES in Rabat.

Abstract : Lors de ces dernières années, l’enseignement du français connaît des perturbations
dans l’école marocaine. Tous les enseignants se trouvent dans l’obligation d’utiliser le manuel
scolaire imposé par l’institution, car il est conforme aux instructions et aux recommandations
pédagogiques officielles. En se lassant de cet outil, qui dans la plupart des temps n’est qu’une
copie des manuels précédents, de nombreux enseignants ont commencé à réclamer d’autres
moyens et stratégies d’apprentissage qui s’adaptent mieux à la nouvelle classe de français.
La réforme actuelle s’est distinguée par un apport très important pour les classes du lycée, à
savoir celui de la généralisation du programme qui a, préalablement, été conçu en faveur des
classes OLF (Option Langue Française).

Mots-clés : Manuel scolaire, manuel de français au Maroc et évaluation.

Abstract: In recent years, the teaching of French has experienced disruptions in Moroccan
schools. All teachers are required to use the school textbook imposed by the institution,
because it complies with official teaching instructions and recommendations. As they grew
weary of this tool, which in most times is just a copy of previous textbooks, many teachers
have started to call for other learning ways and strategies that better suit the new french
classroom.
The current reform has been distinguished by a very important contribution for high school
classes, namely that of the generalization of the program which had previously been designed
in favor of FLO classes (French language).

Keywords: School manual, French textbook in Morocco and evaluation.

Texte intégral

Parmi les grandes préoccupations du système éducatif national, nous relevons la


question de l’évaluation et nous nous interrogeons sur ses différents paramètres :

- Qui évalue ?
- Qu’est- ce qu’on évalue ?
- Quand, pourquoi et comment on évalue ?

La réponse à cette série de questions de la règle du Quintilien ne relève, sans doute


pas, de l’évidence, comme on pourrait le prétendre. Tous les discours sur l’évaluation
génèrent des problèmes qui demeurent souvent en suspens et que nous pouvons reprendre
comme suit :

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1. L’évaluation est-elle explicitement définie et / ou déterminée à travers ses différents
aspects opérationnels, sachant que certains pédagogues prennent l’évaluation pour un
jugement ou une sanction ?
2. Si c’est affirmatif, dispose-t-on d’une échelle de critères fondés sur l’objectivité et la
justesse, les deux facteurs fondamentaux permettant d’aboutir à des résultats fiables ?
3. L’évaluateur est-il vraiment un acteur pédagogique apte à mener une tâche aussi
difficile et coûteuse, dans un contexte exposé à de perpétuels changements ?
4. Si c’est affirmatif, cet évaluateur dispose-t-il d’une plage horaire suffisante à
l’accomplissement de cette tâche selon un canevas scientifique ?
5. L’objet de l’évaluation en question est-il suffisamment préparé à cette opération ?
6. L’évaluation devrait- elle opérer pendant ou après l’exécution du processus soumis à
cette opération ?

Tous ces problèmes qui ponctuent les propos pédagogiques nous conduisent à
considérer l’évaluation comme un guide mis au service de la formation et de l’apprentissage,
une régulation ayant pour fonction majeure d’écarter toutes les anomalies pouvant conduire à
l’échec scolaire. Autrement dit, l’évaluation est une composante de l’apprentissage ; et si elle
n’est pas menée, de manière pointue, le système éducatif reste défaillant.

Ceci dit, quand l’objet de l’évaluation est un outil pédagogique tel le manuel scolaire,
le paradoxe s’accentue.

1. Le manuel scolaire

Le manuel scolaire a toujours été considéré comme un outil pédagogique fondamental


pour les enseignants qui se sentaient en sécurité lors de leur tâche difficile qu’est la pratique
de la classe.

1.1. Origine du manuel scolaire

Au 19ème siècle, L’Europe a connu, pour la première fois, une grande diffusion
d’ouvrages destinés aux enfants. Ces ouvrages avaient deux visées parallèles : la distraction et
l’éducation.

En France, la seconde moitié dudit siècle a été marquée par l’apparition des manuels
scolaires pour une autre fin à savoir celle de la diffusion du français national, sachant qu’à la
campagne, la population n’était pas francophone à cette époque-là. Ainsi, la France a utilisé le
manuel scolaire pour installer une nouvelle culture aux valeurs et aux normes. Cette culture
conformiste voulait faire du monde adulte un modèle que l’enfant devait adopter et suivre.

Cet ouvrage, serviteur de la culture aux valeurs et aux normes, a pris la forme d’un
ouvrage d’initiation qui, d’une part, aidait l’enfant à apprendre son métier d’élève ; et d’autre
part, diffusait des connaissances usuelles et savantes. Donc, au départ, le manuel scolaire a
fonctionné comme un instrument de diffusion culturelle plutôt qu’un outil pédagogique dans
une entreprise scolaire.

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1.2. Les fonctions du manuel scolaire

Les didacticiens et les pédagogues attribuent, au manuel scolaire, plusieurs fonctions,


entre autres :
▪ La fonction encyclopédique
Cette fonction fait du manuel scolaire un ouvrage offrant un éventail de savoirs
essentiels permettant à tout apprenant d’enrichir ses connaissances.
▪ La fonction didactique
C’est la fonction primaire du manuel scolaire : elle consiste à proposer à l’utilisateur
une variété d’activités et d’exercices favorisant l’acquisition des deux compétences
majeures : le « Savoir » et le « Savoir Faire ».
▪ La fonction morale / éducative
Ce manuel a une autre visée, aussi importante que les précédentes, c’est celle qui
consiste à mettre en évidence le système des valeurs morales et sociales en vue de la
formation d’un bon citoyen.
▪ La fonction ludique
Généralement, les concepteurs du manuel scolaire ont un grand souci quant à la
réception des contenus par l’apprenant. C’est pourquoi ils réservent une bonne partie de
cet ouvrage aux illustrations et aux activités ludiques qui, naturellement, ont un impact
considérable et positif sur la psychologie juvénile.
▪ La fonction d’acculturation
C’est la fonction qui vise la fortification de l’attachement de l’enfant à une culture qui
pourrait être la sienne ou une culture étrangère. Nous donnons, ici, l’exemple de l’élève
marocain, dans une école privée, qui est tiraillé entre deux cultures : sa propre culture à
travers le manuel national et une autre culture à travers le manuel français, anglais, ou
autre.

2. Débat : « Pour ou Contre le manuel scolaire ? »

Le manuel scolaire constitue l’objet d’un débat permanent entre les différents acteurs
pédagogiques : enseignants, inspecteurs, concepteurs et autres.

2.1. Adeptes du manuel scolaire

La plupart des commissions pédagogiques assurent que le manuel scolaire est un outil
indispensable à toute opération d’apprentissage.

C’est pourquoi son élaboration se réalise par une équipe de spécialistes compétents
dans le domaine de l’éducation : enseignants et inspecteurs, bien entendu. Ainsi, on reconnaît
au manuel scolaire beaucoup de points positifs ; c’est un :
- Moyen de transmission d’un savoir d’abord savant
- Instrument à travers lequel on exerce un certain pouvoir sur les usagers
- Véhicule aussi bien culturel qu’idéologique
- Facteur d’égalité sociale
- Mode de structuration mentale et de méthode de travail efficace
- Outil aidant l’apprenant à accéder à l’autonomie

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2.2. Opposants du manuel scolaire

En revanche, de nombreux acteurs pédagogiques, ayant une perception négative,


rejettent le manuel scolaire pour plusieurs raisons :
- L’adoption de l’approche constructive (développée par Piaget) laquelle œuvre
dans la voie qui incite l’apprenant à construire son propre savoir
- Les différentes réformes qui se succèdent dans un mouvement de
désorganisation créent un « désordre » cognitif et méthodologique, aussi bien chez
les apprenants que chez les enseignants
- L’utilisation abusive du manuel scolaire risque de nuire et à la créativité et au
sens critique du jeune apprenant
- L’enseignant compétent est celui qui ne recourt pas au manuel scolaire car il
est capable de construire ses propres stratégies d’apprentissage, loin de tout
ouvrage imposé, afin de dynamiser ses séances de cours
- Le manuel scolaire qui se conçoit ces derniers temps dans l’urgence absolue (à
peine quelques semaines) et qui - sans corrections ni essais - est soumis à une
large diffusion, ne peut que contribuer à l’échec scolaire tant redouté

De ce débat surgissent les questions suivantes :


- Qui conçoit ce manuel scolaire ?
- Comment cette conception se réalise-t-elle ?
- Dispose-t-on du temps nécessaire pour la mise en œuvre de cet outil qui
devient de plus en plus indispensable ?
- Le manuel scolaire contribue-t-il vraiment à l’échec scolaire ?
- Si oui, le problème surgit-il au niveau de la conception ou, au contraire, au
niveau de l’utilisation en classe ?

3. Le manuel scolaire

3.1. Généralités

Lors de ces dernières années, l’enseignement du français connaît des perturbations


dans l’école marocaine. Tous les enseignants se trouvent dans l’obligation d’utiliser le manuel
scolaire imposé par l’institution, car il est conforme aux instructions et aux recommandations
pédagogiques officielles. En se lassant de cet outil, qui dans la plupart des temps n’est qu’une
copie des manuels précédents, de nombreux enseignants ont commencé à réclamer d’autres
moyens et stratégies d’apprentissage qui s’adaptent mieux à la nouvelle classe de français.

La réforme actuelle s’est distinguée par un apport très important pour les classes du
lycée, à savoir celui de la généralisation du programme qui a, préalablement, été conçu en
faveur des classes OLF (Option Langue Française).

Bien entendu, ceci a connu un rejet total de la part de la majorité des praticiens. Mais,
comme à l’accoutumée, après la résistance, tout le corps enseignant a cédé à ce « caprice »
institutionnel.

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Pour pallier à ce problème, l’institution a préparé des fascicules pouvant accompagner
l’enseignant dans la préparation de son projet pédagogique. Et désormais, nous avons le
dernier-né qu’est le manuel français adressé aux classes du Tronc Commun.

Quant au collège, une nouveauté se prononce, c’est la multiplication des manuels


scolaires qui se justifie par le désir de répondre aux besoins des apprenants en fonction de
leurs « quartiers ». En tant que praticienne, nous voyons que de cet apport surgissent déjà de
grands problèmes :

- La disparition de la démocratie pédagogique qui engendre une inégalité


sociale.
- L’usage maladroit de ces manuels conduit à une situation difficile à gérer.
- « La ruée vers la conception du manuel scolaire » : tous les acteurs
pédagogiques se voient capables de concevoir ces ouvrages, en quelques
semaines, et avec les moyens de bord.

Autrement dit, un enseignement de qualité reste « une utopie ».

Quant au secteur privé, le problème s’accentue : on rejette d’avance le produit national


en faveur du manuel importé. Pour justifier cet acte, on avance l’argument de la qualité qui se
traduit par l’esthétique de la mise en page, la variété du contenu et la rigueur de la méthode.
Les partisans de cette démarche oublient que l’apprenant marocain a besoin de repères
socioculturels qui ne sont mis en valeur que dans les manuels nationaux ; bien qu’il y ait des
pédagogues, soucieux, qui recourent à ces manuels pour les classes d’examen.

3.2. Le manuel en classe de français

L’usage du manuel se différencie d’un enseignant à l’autre : certains, pour plus de


sécurité, utilisent ce manuel en suivant, à la lettre, les différentes consignes qui sont, bien
entendu, conformes aux instructions officielles.

D’autres sélectionnent des séquences pédagogiques dont le contenu est habituel et


donc répété. La rénovation au niveau terminologique ou méthodologique est abolie de la
progression pédagogique.

D’autres encore font semblant d’utiliser le manuel en demandant aux élèves d’élaborer
des exercices et des activités hors-classe. Ces enseignants justifient cet acte par l’argument de
l’autonomisation de l’élève.

Donc, nous - les pédagogues - sommes convaincus que le manuel est le seul outil
autour duquel gravitent tous les problèmes pédagogiques et nous oublions que son utilisation
reste elle aussi un handicap majeur qu’on devrait traiter d’urgence.

4. De quelques propositions

Comme toute opération qui œuvre pour la mise en place d’une démarche qualité, la
conception du manuel scolaire doit être soumise à des conditions nécessaires :

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(i) D’abord, nous insistons sur la prise en considération du terrain avant toute décision.
Autrement dit, on devrait commencer par l’analyse des besoins pour éviter plusieurs
anomalies.
(ii) Les porteurs de projets de conception des outils pédagogiques sont amenés à avoir le
réflexe pédagogique en étant en rapport direct et en permanence avec la classe. Les acteurs
pédagogiques qui n’ont jamais enseigné dans l’esprit de la nouvelle réforme et qui ignorent
tout sur la nouvelle psychologie juvénile, ne pourraient, certainement, apporter aucune aide à
cette action.
(iii) L’équipe des concepteurs des manuels devrait être constituée d’enseignants-
chercheurs, d’enseignants-praticiens, d’inspecteurs en exercice quotidien, de psychologues de
formation, et pourquoi pas de parents bien avertis.
(iv) Le projet de l’élaboration d’un manuel scolaire qui vise une pédagogie de la réussite
devrait mettre en place une stratégie de conciliation de plusieurs types de pédagogies déjà
attestées :
- La pédagogie des Compétences et des Valeurs
- La pédagogie par Objectifs
- La pédagogie du Projet
- La pédagogie fondée sur la notion de Thème
(v) On exige du manuel scolaire actuel plusieurs atouts :
- Partir de situation problématique pour inciter l’usager à la réflexion
permanente sur son action et son devenir ;
- Exploiter diverses ressources qui permettraient à l’apprenant, non seulement
de chercher du sens dans tout apprentissage, mais surtout de construire son
propre savoir ;
- Être conçu dans un nouvel esprit qui faciliterait l’interaction avec les
nouvelles technologies ;
- Être, en permanence, un canal adéquat aux dialogues indispensables entre
l’institution, l’univers familial et l’usager ;
- Être un ouvrage maniable qui s’adapte facilement à toutes les évolutions :
sociales, économiques, techniques, psychologiques et surtout pédagogiques ;
- Être un guide pour le développement de toutes les compétences du « Savoir »,
du « Savoir-être » et du « Savoir-faire » ;
- Être un grand ouvrage de référence élaboré dans un souci de progression
rigoureuse, de clarté et de souplesse d’emploi

Cette panoplie d’exigences relatives à l’élaboration d’un manuel scolaire efficace


attire notre attention sur d’autres opérations nécessaires. Tout d’abord, la mise en place d’un
projet de formation à l’usage du manuel scolaire en faveur des enseignants et des apprenants.
Ensuite, le passage aux essais dans des classes-pilotes afin de repérer toutes les anomalies, les
traiter et affiner les imperfections. Et enfin, une évaluation pointue de cet ouvrage, en
sollicitant des acteurs pédagogiques étrangers à l’opération (le regard étranger), avant la
validation définitive et la diffusion officielle.

En guise de conclusion, nous affirmons que l’élaboration d’un manuel pratique et


efficace, qui contribuerait à la mise en place d’un enseignement de qualité, mérite un grand
soin de la part de tous les acteurs pédagogiques.

Les conditions de sa réalisation relèvent des points suivants :

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- Une équipe de spécialistes dotés d’une grande compétence
- Un temps suffisant
- Une démarche rigoureuse
- Un contenu varié
- Une utilisation souple.

Bibliographie

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Url. http://www.stef.ens-cachan.fr/annur/bruillard/Intro_manuels_CRDP.pdf- [consulté le
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Url. http://trema.revues.org/2595 [consulté le 25/2/2016].

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