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Démarche heuristique et autonomisation de l’apprenant

Yves Loiseau – UCO – 2006

Introduction
La méthodologie d’enseignement repose pour beaucoup sur la place et le rôle, dans la
classe et dans les activités d’enseignement/apprentissage, de l’enseignant d’une part et
de l’apprenant d’autre part. Parce qu’en définitive c’est l’apprenant qui doit acquérir la
langue et l’utiliser, je choisis, moi enseignant, de ne plus enseigner, professer, instruire,
ou transmettre mes savoirs, pour devenir, les mots sont déjà bien connus, un médiateur,
un animateur ou un facilitateur d’apprentissage.
Pour favoriser l’apprentissage et guider l’apprenant vers une autonomisation, il est
nécessaire de mettre en place :
- une démarche heuristique d’apprentissage ;
- une évaluation à laquelle l’apprenant est associé ;
- une réflexion métacognitive sur l’apprentissage.
Ce seront là les trois axes de ma présentation.

1 La démarche heuristique d’apprentissage


1.1 Pourquoi une démarche heuristique ?
Le choix de diriger vers une autonomisation les apprenants de français langue étrangère
auprès desquels j’interviens en tant qu’enseignant a pour origine trois constats.
En premier lieu, les apprenants qui consistent les groupes que je rencontre dans mon
établissement d’enseignement ont des origines géographiques variées. Chaque
apprenant n’a donc pas nécessairement la même langue maternelle que son voisin ni,
surtout, la même langue maternelle que moi. En conséquence, dans la mesure où,
précisément, l’apprenant ne parle pas, ou peu, français, le discours que je pourrais avoir
envie de lui tenir en français pour présenter la langue-culture française risque fort d’être
peu perceptible.
En second lieu, parce que j’ai vécu plusieurs dizaines d’années dans un environnement
francophone et que j’ai fait de la langue française ma spécialité, la somme des
connaissances que je possède sur la langue française et sur ledit environnement
francophone est vraisemblablement fort supérieure à la somme des connaissances que
possède, sur les mêmes points, l’apprenant de français langue étrangère. Or, le discours
que je pourrais avoir envie de tenir pour présenter la langue-culture française a été
construit en fonction de l’ensemble de mes connaissances sur le français et
l’environnement francophone. Le manque de référence autour de la langue-culture chez
l’apprenant risque donc fort de rendre mon discours insaisissable.
Enfin, je ne sais pas comment les apprenants apprennent. Je peux bien sûr tirer profit
des recherches et des théories telles que :
- Le conditionnement opérant (Burrhus F. Skinner)
- Le constructivisme (Jean Piaget)
- L’apprentissage avec médiation (Lev Vygotski, Stephen Krashen)
- L’apprentissage par la découverte (Jérôme Bruner)
- L’éducabilité cognitive (Reuven Feuerstein, Antoine de La Garanderie)
- La grammaire universelle (Noam Chomsky).
- La psychologie de la forme : Gestalt (Max Wertheimer)
- etc.
Mais le CECR avoue lui-même son désarroi :

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« 6.2.2 Comment les apprenants apprennent-ils ?
6.2.2.1 À l'heure actuelle, il n'y a pas de consensus fondé sur une recherche assez solide
en ce qui concerne cette question pour que le Cadre de référence lui-même se fonde sur
une quelconque théorie de l'apprentissage. » (Conseil de l’Europe, 2001 : 108)
Nous ne savons pas réellement comment l’apprenant apprend ni comment il organise
mentalement les informations relatives à la langue étrangère. Nous avons en effet
chacun un fonctionnement cognitif individuel : je ne traite pas les informations de la
même manière que mes collègues français avec qui pourtant je travaille
quotidiennement.
À ces différences individuelles, peuvent s’ajouter des différences ethniques de
traitement de l’information : du fait de leur langue maternelle et de leur environnement
socio-culturel, les Coréens, par exemple, ont des procédés cognitifs qui diffèrent de
ceux des Paraguayens dans l’acquisition et la structuration de la langue française. Il en
ressort que la langue française dans un cerveau coréen risque fort de ne pas ressembler à
la langue française dans un cerveau paraguayen, même si, au final, le cerveau coréen et
le cerveau paraguayen pourront produire des énoncés tout à fait identiques dans une
situation de communication donnée.
Malgré son désarroi antérieur, le CECR privilégie certaines démarches didactiques. Je
retiens deux paragraphes du CECR qui se rejoignent :
« Les utilisateurs du Cadre de référence envisageront et expliciteront selon le cas
- quelles aptitudes à l'étude les apprenants sont aidés à développer ou encouragés à le
faire
- quelles aptitudes heuristiques les apprenants sont aidés à développer ou encouragés à
le faire
- quelles conditions sont mises en place pour que les apprenants deviennent de plus en
plus indépendants dans leur apprentissage et leur utilisation de la langue. »
(CECR, p.86)
« En ce qui concerne la capacité à apprendre, on attendra/exigera des apprenants qu'ils
développent leurs capacités à apprendre et leurs aptitudes à la découverte lorsqu'ils
acceptent la responsabilité de leur propre apprentissage. […] Les utilisateurs du Cadre
de référence envisageront et expliciteront selon le cas les mesures qu'ils prennent pour
faire progresser le développement des élèves et étudiants vers une utilisation et un
apprentissage de la langue responsable et autonome. » (CECR, p.114)
Ainsi, parce que les apprenants ont un fonctionnement cognitif qui diffère du mien,
enseignant, plutôt que de leur imposer ma langue française (c’est-à-dire la langue
française telle que je l’organise et la comprends), je choisis de les laisser découvrir et
construire eux-mêmes leur langue française.
Des difficultés telles que, en français, l’opposition entre le passé composé et l’imparfait
ou l’utilisation du gérondif, et en espagnol, pour les apprenants français, l’opposition
entre ser et estar, ou l’utilisation de para et por, ne peuvent pas être surmontées par une
seule explication professorale. Il est nécessaire que l’apprenant parviennent à intégrer de
façon logique ces éléments de langue-culture dans la langue qu’il a construite pour
pouvoir les utiliser correctement.

1.2 Comment ça marche ?


La démarche heuristique est, d’une façon générale, relativement simple : l’enseignant
n’enseigne plus mais l’apprenant apprend. L’enseignant n’explique plus le
fonctionnement de la langue-culture étrangère : l’apprenant essaie de découvrir lui-
même, dans une approche déductive, avec des contextes de situation précis et à partir
des éléments présentés, comment est organisée la langue-culture étrangère, aidé, bien

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sûr, en cela par l’enseignant, qui sert de médiateur entre la langue et l’apprenant, et aidé,
surtout, par les interactions que l’apprenant doit avoir avec les autres apprenants.
La démarche heuristique relève de la pratique méthodologique en classe et de la
définition du rôle de l’enseignant. Toutefois, certains manuels d’enseignement adoptent
cette démarche et proposent des activités de découvertes de la langue-culture. Deux
exemples que je puise dans le manuel Connexions.
Dans le premier exemple…

Dans le second exemple…

2 L’évaluation
2.1 L’évaluation formative
Afin de privilégier l’apprentissage, je veux mettre en place une évaluation qui soit
d’abord utile à l’apprenant, même si le directeur de mon établissement veut m’imposer
une évaluation des apprenants qui soit utile à lui, directeur d’établissement.
Puisque j’ai laissé l’apprenant découvrir la langue-culture, je lui fournis les moyens de
vérifier son apprentissage et sa progression. Mon évaluation est formative si j’apporte à
l’apprenant une rétroaction qui lui permet de vérifier les étapes qu'il a franchies et de
relever les difficultés.
Bien évidemment, comme le souligne le CECR :
« L’information rétroactive n’a d’effet que si celui qui la reçoit est en position [...] de
s’approprier l’information, c’est-à-dire d’avoir le temps, l’orientation et les ressources
appropriées pour y réfléchir, l’intégrer et mémoriser ainsi l’élément nouveau. Cela
suppose une certaine autonomie, qui présuppose formation à l’autonomie, au contrôle
de son propre apprentissage, au développement des moyens de jouer sur le feed-back. »
(CECR, p.138)
Ce qui, en gros, signifie que l’évaluation ne sera réellement perçue comme formative
que si l’enseignant adopte dans sa classe des démarches visant à l’autonomisation de
l’apprenant et si l’apprenant comprend et accepte les démarches méthodologiques mises
en place.
2.2 L’auto-évaluation
Dans le mot « auto-évaluation », il y a « auto ». Ce qui veut dire que c’est l’apprenant
qui réalise l’évaluation et que l’enseignant n’a pas nécessairement besoin d’aller voir ce
que fait l’apprenant. Là encore, le CECR encourage l’utilisation de l’auto-évaluation :
« L’auto-évaluation est le jugement que l’on porte sur sa propre compétence […] Le
plus grand intérêt de l’auto-évaluation réside dans ce qu’elle est un facteur de
motivation et de prise de conscience : elle aide les apprenants à connaître leurs points
forts et reconnaître leurs points faibles et à mieux gérer ainsi leur apprentissage. »
(CECR, p.144)
Et le Conseil de l’Europe a fortement aidé à la mise en place de formidables outils
d’auto-évaluation que sont les Portfolios européens des langues, que tout le monde
connait, bien évidemment. Ils comportent une partie “ compétences langagières ” où
l’apprenant doit déterminer ce qu’il sait faire. Ainsi, au niveau A1, dans le PEL collège
français, l’apprenant doit indiquer pour chaque langue :

Les PEL ont été utilisés en classe et il existe d’excellents comptes rendus d’expérience.
Je voudrais en particulier citer l’ouvrage « Memoria de experimentación del PEL
secundaria » [en ligne à l’adresse : http://aplicaciones.mec.es/programas-europeos/docs/
memoria_experimentacion_secundaria.pdf] dans lequel les apprenants notent, à propos
dudit PEL, par exemple :

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« C’est utile pour prendre conscience de certains aspects de l’apprentissage des
langues. »
« C’est utile pour s’interroger sur le niveau des langues. »
« L’attitude change quant à la partie technique : l’élève a plus d’outils pour
apprendre. »

« Es útil para tomar conciencia de algunos aspectos del aprendizaje de lenguas. » ;


« Es útil para reflexionar sobre el nivel de lenguas. » ; « La actitud cambia respecto a
la parte técnica: el alumno tiene más instrumentos para aprender. » ; je traduis. Dans
Memoria de experimentación del PEL secundaria, op. cit.
Il est aussi possible de produire des auto-évaluations par lesquelles les apprenants
peuvent réellement vérifier, par des activités, ce qu’ils savent faire.
Ainsi, pour vérifier la compétence :

l’apprenant est invité à réaliser une courte activité :

à s’autocorriger et à chercher lui-même une remédiation à ses faiblesses.


Là encore, cette pratique didactique réclame d’abord, pour sa mise en place, une
redéfinition, chez l’apprenant et chez l’enseignant, du rôle de chacun dans
l’enseignement-apprentissage et d’une prise de conscience de ce qu’est l’apprentissage
d’une langue.

3 la réflexion métacognitive
C’est une fois encore le CECR qui me guide dans mes choix :
« 6.4.6.5 En ce qui concerne la capacité à apprendre, on attendra/exigera des
apprenants qu’ils développent leurs capacités à apprendre et leurs aptitudes à la
découverte lorsqu’ils acceptent la responsabilité de leur propre apprentissage […]
b. en transférant progressivement la responsabilité de l’apprentissage de l’enseignant
aux élèves et étudiants et en les encourageant à réfléchir à leur apprentissage et à
partager leur expérience avec d’autres apprenants
c. en élevant systématiquement le degré de conscience qu’a l’apprenant du processus
d’enseignement/apprentissage dans lequel il est engagé
d. en invitant les apprenants à participer à l’expérimentation de démarches
méthodologiques différentes
e. en obtenant des apprenants qu’ils identifient leur propre style cognitif et développent
leurs propres stratégies d’apprentissage en conséquence. » (CECR, p.114)
Réfléchir à son apprentissage, partager son expérience d’apprentissage avec d’autres,
prendre conscience du processus d’enseignement/apprentissage, identifier son style
cognitif, développer ses propres stratégies d’apprentissage, tout cela constitue la
réflexion métacognitive. Cela signifie que l’enseignant et l’apprenant doivent mener des
activités complémentaires à côté du strict enseignement/apprentissage de la langue
étrangère, qu’ils doivent prendre du temps pour expliquer les objectifs et les démarches
de travail, pour analyser leurs stratégies, les confronter à d’autres stratégies et
expérimenter d’autres pratiques. Prendre du temps pour faire autre chose qu’apprendre
la langue-culture.
Des outils métacognitifs existent déjà. Dans les PEL, on interroge déjà les apprenants
sur leurs stratégies d’apprentissage :

À côté du PEL, il est aussi possible de demander aux apprenants de constituer un carnet
de bord ou journal d’apprentissage dans lequel ils notent, après chaque séquence,

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quelles activités ils ont pratiquées, ce que ces activités leur ont apporté, comment ils ont
appris, quelle a été leur attitude, comment ils ont perçu ce que l’enseignant a voulu
mettre en place, etc. Le carnet de bord a donc pour vocation de servir d’aide-mémoire,
d’enregistreur, de greffier des sentiments qui se dégagent durant l’apprentissage, il sert
de base à une analyse de l’apprentissage, permet une verbalisation des processus
métacognitifs qui restent habituellement privés et non dits. La mise en commun des
réflexions métacognitives, avec l’ensemble des apprenants et avec l’enseignant, en
cours d’apprentissage de la langue, permet d’améliorer l’apprentissage. Il permet de
déconstruire les représentations sur la langue-culture cible, les représentations sur la
méthodologie d’enseignement et les représentations sur le fonctionnement cognitif en
situation d’apprentissage.
Nous avons, dans mon université, demandé à des étudiants français et à des étudiants
étrangers de constituer de tels carnets d’apprentissage. Certaines remarques permettent
réellement de travailler sur la méthodologie ; quatre exemples :
« J’ai compris la construction de la phrase “comment t’appelles-tu ?” grâce au mot
“nom” uniquement, mais sinon il a été assez difficile de concevoir qu’une telle
structure grammaticale puisse exister : toi - appeler - comment - nom. » [XB]
« Le cours est toujours structuré de la même façon  facilite le repérage des
informations dans le cours. » [MP]
« Motivation par le groupe. Travailler ensemble est motivant. Chacun apporte son
élément. Sentiment qu’ensemble nous sommes capables  cela mène à la
valorisation et la satisfaction. » [CC]
« Concernant mes “stratégies d’apprentissage”, je continue à essayer de
comprendre par déduction et je ne me focalise plus sur tous les mots en essayant de
tous les comprendre. » [CB]
« À chaque nouvelle phrase, j’ai essayé de me formuler ma propre règle de
grammaire que je pouvais modifier au fur et à mesure que le cours avançait. Une
fois le cours terminé, je recopiais sur une feuille à part les règles que j’avais
trouvées et qui avaient été confirmées par le professeur au cours de son bilan. »
[MP]
L’analyse de l’ensemble de ces réflexions doit nécessairement être menée de façon
conjointe par l’enseignant et les apprenants pour rassurer et encourager les apprenants,
supprimer les ambiguïtés et chercher de nouvelles stratégies. Le seul fait de réserver un
temps pour débattre sur l’apprentissage est ressentie de façon très positive par les
étudiants : ils ont le sentiment d’être pris en compte dans le processus d’enseignement-
apprentissage et découvrent l’enseignant sous un nouveau jour.

Conclusion
Les démarches que j’ai présentées ici ne sont pas tout à fait nouvelles. Le CECR existe
depuis déjà dix ans et les recherches sur l’apprentissage ne datent pas d’hier (Jean
Piaget et Lev Vygostky sont nés tous deux en 1896). Trop peu d’enseignants,
malheureusement, semblent prendre en compte les stratégies d’apprentissage et
beaucoup s’attachent encore à des activités d’enseignement - j’ai pu le vérifier auprès de
dizaines d’enseignants que j’ai rencontrés ces derniers mois en Europe, en Amérique et
en Asie. Nous pouvons espérer que Le Cadre européen commun pour les langues et les
Portfolios viendront corriger cela au fur et à mesure de leur diffusion. Il pourrait
néanmoins être nécessaire de développer l’offre et la typologie des activités
d’autonomisation pour leur permettre de rentrer plus facilement dans les salles de
classes.

5
Bibliographie
- Conseil de l’Europe, 2003, Portfolio européen des langues - collège, Paris : Didier
- Conseil de l’Europe, 2001, Cadre européen commun de référence pour les langues,
Paris : Didier
- Espéret, Éric, 1990, “ Apprendre à produire du langage : construction des
représentations et processus cognitifs ”, Le français dans le monde, Recherches et
applications, “ Acquisition et utilisation d’une langue étrangère, l’approche cognitive ”,
février-mars, pp. 8-15
- Lecomte, Jacques, 1993, “ Les mécanismes de l’apprentissage ”, Sciences Humaines
n° 32, octobre, p. 11-16
- Loiseau, Yves et Mérieux, Régine, Connexions, Paris : Didier, 2004
- Pendanx, Michèle, 1998, Les activités d’apprentissage en classe de langue, Paris :
Hachette, coll. F - autoformation
- Tardif, Jacques, 1992, Pour un enseignement stratégique, L'apport de la psychologie
cognitive, Montréal, Canada. : Éditions Logiques. Document consulté sur le site
réticulaire : http: //www.uqac.uquebec.ca/dse/3psy206/Collige/appcog.html
- Vergnaud, Gérard (dir.), Apprentissages et didactiques, où en est-on ?, Paris :
Hachette éducation, coll. Former, organiser pour enseigner

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