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Mieux comprendre par la simulation numérique

Les calculs ab initio en physique


du solide
Les simulations quantiques permettent aujourd’hui d’explorer les propriétés structurales,
électroniques et dynamiques de la matière sans connaissance expérimentale a priori des
systèmes étudiés. Il est ainsi possible de calculer ab initio avec des précisions croissantes et
pour des systèmes de plus en plus larges des grandeurs aussi diverses que les coefficients
élastiques, le spectre d’absorption optique ou encore la caractéristique courant-tension
d’une diode moléculaire. L’absence de paramètres empiriques permet de plus à ces
approches d’explorer la matière dans des conditions extrêmes inaccessibles à l’expérience.
Leur caractère prédictif autorise finalement les simulations quantiques à proposer de
nouveaux matériaux, dans l’attente d’une hypothétique synthèse expérimentale.

type d’approches s’est développé décrire de façon plus fine l’inter-

L
es simulations numériques ont
acquis depuis quelques années pour comprendre et explorer le com- action inter-atomique dans des sys-
une place de choix dans les portement de la matière à l’échelle tèmes divers. Bien que plus sophisti-
sciences physiques. Il est devenu atomique. Nous nous efforcerons ici qués, ces potentiels ne dépendent
courant de parler à leur sujet « d’ex- de présenter les usages et les limites que de la position des atomes et res-
périences numériques ». Cette appel- des simulations numériques quan- tent de ce fait empiriques. Les lois
lation définit de fait un champ de la tiques dans ce domaine. fonctionnelles sont certes établies
physique apparenté à la fois aux pour incorporer les bons principes
approches expérimentales et théo- physiques, mais les paramètres sur
DES APPROCHES EMPIRIQUES
riques. Il s’agit d’une part d’observer lesquels repose toute application
AUX CALCULS AB INITIO
aussi finement que possible le com- pratique sont ajustés pour reproduire
portement de la matière à l’échelle quelques propriétés spécifiques d’un
désirée : en cela, les simulations A l’image de Sir Isaac Newton système particulier.
numériques peuvent seconder les qui, en proposant les lois de la gravi- En ce sens, ces lois manquent
expériences (voire même s’y substi- tation, se dotait des moyens de pré- d’universalité et sont difficilement
tuer). D’autre part, la comparaison voir le mouvement des planètes, les transférables d’un système à un
des résultats obtenus avec les expé- physiciens se sont attachés très tôt à autre. Un exemple simple est celui
riences disponibles permet de valider établir les lois d’attraction et de de l’élément carbone qui présente de
la pertinence des approches théo- répulsion qui expliquent la stabilité multiples phases (diamant, graphite,
riques dont les simulations ne sont de la matière à l’échelle atomique. fullerènes, nanotubes, etc.) aux pro-
que des mises en œuvre numériques. Ainsi, faisant figure de pionnier, priétés radicalement différentes. Est-
De la modélisation des écoulements l’anglais Lennard-Jones proposait en il possible de concevoir qu’un seul
fluides pour améliorer l’aérodyna- 1924 une loi empirique : V (R) = jeu de paramètres puisse décrire le
misme d’une voiture à la recherche A/R 12 − B/R 6 (A et B paramètres même élément dans des configura-
d’une alternative aux essais ajustables) décrivant l’évolution de
nucléaires, certains objectifs de la tions aussi diverses ? La réponse à
l’énergie d’interaction V (R) entre cette question dépend très fortement
simulation sont bien connus du grand
deux atomes distants de R. L’arrivée des objectifs affichés et, en particu-
public. En science des matériaux, ce
des premiers ordinateurs à la fin de lier, de la précision requise.
la seconde guerre mondiale permit la
Bien que très utile, le recours à
mise en œuvre de simulations numé-
– Laboratoire de physique des matériaux
des lois paramétrées n’est pas une
riques exploitant les potentiels inter-
et nanostructures (LPCMN), UMR CNRS nécessité. Il est de fait possible de
atomiques existants.
5586, université Claude Bernard Lyon I, calculer les énergies d’interaction
43 bd du 11 Novembre 1918, 69622 De nombreuses fonctionnelles inter-atomique (et bien d’autres
Villeurbanne cedex. V (R) ont été depuis proposées pour quantités) sans leur aide. Pour cela,

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il est nécessaire de ne plus considé- possibles, etc.). Elles ne font donc
rer l’atome comme une entité insé- pas intervenir de paramètres empi-
cable mais de regarder la matière à riques et restent de ce fait ab initio.
une échelle un peu plus fine : celle
des noyaux atomiques et des élec- REPRODUIRE POUR COMPRENDRE
trons. A cette échelle plus élémen-
taire, régie par la mécanique quan-
tique, les lois d’interaction sont Dotées de ces approximations, les
connues exactement : les ions et les simulations quantiques permettent
électrons sont des particules char- d’étudier aujourd’hui des systèmes
gées interagissant par le potentiel comprenant jusqu’à plusieurs cen-
coulombien proportionnellement à taines d’atomes. L’expérience
leur charge. Les lois de la mécanique acquise montre que des grandeurs
quantique et la seule connaissance aussi diverses que la structure ato-
de l’espèce chimique des atomes mique (distances et angles de liai-
considérés permettent de calculer en sons), les coefficients élastiques ou
Figure 1 - Spectre d’absorption optique du sili-
principe toute observable physique. fréquences de vibration, l’énergie de cium (avec l’autorisation de L. Reining). Les
En cela, les approches quantiques cohésion, la largeur de la bande résultats expérimentaux sont en rouge.
sont qualifiées d’ab initio puis- interdite des semiconducteurs ou Différentes approches théoriques sont compa-
encore les spectres d’absorption rées. Les meilleurs résultats sont obtenus en
qu’elles ne requièrent pas la tenant compte des effets excitoniques dans le
connaissance expérimentale a priori optique peuvent être calculés avec cadre d’une approche de champ moyen (courbe
du système considéré. En particulier, des précisions de l’ordre de quelques noire et encadré 1) ou perturbative (courbe
le problème de transférabilité ne se pour cent par rapport aux résultats verte et encadré 2).
pose plus. expérimentaux. La liste des gran-
deurs calculables ab initio est longue
Une limitation majeure des et de nombreuses propriétés méca-
approches quantiques est leur coût niques ou électroniques des maté-
informatique. L’encadré 1 explique riaux sont couramment calculées avec le trou de charge qu’il laisse
pourquoi le calcul exact des interac- dans les laboratoires. derrière lui. La prise en compte ou
tions inter-électroniques (dit pro- non de cet effet dans les approxima-
blème à N-corps) est aujourd’hui Retrouver les valeurs expérimen- tions utilisées pour la description des
largement inextricable pour des sys- tales par un calcul complexe réalisé interactions inter-électroniques con-
tèmes comprenant plus d’une cen- par l’ordinateur n’est certes pas une duit à des résultats de qualité diffé-
taine d’électrons. Il est donc néces- fin en soi. Les simulations permet- rente. Dans les approches ab initio,
saire de faire des approximations. tent surtout de mieux comprendre le le travail porte donc sur l’améliora-
De nombreux modèles (liaisons comportement de la matière à tion des approximations utilisées
fortes, Hückel, Hubbard, etc.) ont l’échelle atomique en rendant par pour traiter ces interactions afin de
généralisé l’approche empirique en exemple visible la répartition des mettre au point des fonctionnelles
paramétrant non seulement l’interac- électrons ou la grandeur relative des non paramétrées les plus univer-
tion entre les ions mais également différentes énergies en jeu (énergie selles possibles.
entre les électrons. Pour ces cinétique, échange et corrélation
approches, les problèmes de transfé- électronique, etc.). Ainsi en juin
2001, deux chercheurs ont montré EXPLORER LA MATIÈRE DANS
rabilité évoqués ci-dessus se posent
DES CONDITIONS EXTRÊMES
de nouveau. Il est cependant pos- que les effets d’encombrement sté-
sible de conserver le caractère ab rique invoqués dans les manuels sco-
initio offert par la mécanique quan- laires pour expliquer la conforma- L’expérience accumulée quant à
tique en décrivant de façon appro- tion « éclipsée » de la molécule la fiabilité des simulations ab initio a
chée l’interaction inter-électronique. d’éthane étaient négligeables à côté permis aux simulations quantiques
Deux approches distinctes, dites d’un phénomène de stabilisation de franchir depuis quelques années
« de champ moyen » et « perturba- électronique d’origine purement un nouveau pas : précéder les expé-
tive » sont exposées dans les enca- quantique. Autre exemple : l’étude riences dans l’étude des matériaux
drés 1 et 2. Le point important est du spectre d’absorption optique du ou systèmes moléculaires. Un pre-
que ces approximations s’opèrent au silicium (figure 1) montre l’impor- mier exemple est celui de systèmes
niveau des fondements de la méca- tance des effets excitoniques dans la bien réels mais placés dans des
nique quantique (simplifications de façon dont la matière interagit avec conditions si extrêmes qu’ils sont
l’équation de Schrödinger, restric- la lumière : quand un électron est inaccessibles à l’expérience. Ainsi,
tion des configurations électroniques diffusé par un photon, il interagit connaître l’état de la matière au

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Mieux comprendre par la simulation numérique

Encadré 1
LES APPROCHES DE CHAMP MOYEN

En mécanique quantique, les électrons ne peuvent plus être qu’il est possible de reformuler exactement le problème à
décrits de façon déterministe. Le carré de la « fonction N-corps à l’aide d’un potentiel effectif Ṽ ee qui ne dépendrait
d’onde électronique à N électrons » ψ({ri }) (avec ({ri }) = que de la densité de charge totale n(r) du système. Ces
(r1 , r2 , .., r N )) nous donne la probabilité de trouver les N théorèmes sont très formels et ne disent en rien à quoi
électrons en r1 , r2 , ..., r N respectivement. Cette distribution ressemble le potentiel moyen. Concrètement, il est nécessaire
probabiliste des électrons implique que toute observable de proposer une expression explicite pour la fonctionnelle
physique doit être calculée comme une moyenne sur toutes les V ee [n] : il faut donc faire des approximations. Une
configurations électroniques possibles. Ainsi, l’énergie approximation très utilisée est celle de la « densité locale »
E({R I }) d’un système de positions atomiques (LDA). Des calculs quantiques à N-corps (Monte Carlo) ont
({R I }) = (R1 , R2 , .., Rn ) s’écrit comme l’intégrale été effectués pour le gaz homogène d’électrons interagissants

E({R I }) = dr1 ...dr N |ψ({ri })|2 H ({R I }; {ri }) de (densité de charge n uniforme). Pour ces systèmes simples, le
ee (n) a pu être reproduit numériquement
l’hamiltonien H ({R I }; {ri }) du système : potentiel moyen Ṽhom

N
∇i 2  ZI  1
avec une grande précision pour différentes valeurs de n. En
H= − − + LDA, on va supposer que le potentiel moyen Ṽ ee (r) du
i=1
2 i,I
|R I − ri | i= j
|r j − ri |
système réel (non homogène) de densité n(r) est égal à
ee (n = n(r)). Cette approximation, qui suppose que
qui comprend l’énergie cinétique (en ∇ 2 ) des électrons et Ṽhom
l’interaction coulombienne entre charges (électrons de charge Ṽ ee (r) est purement locale (car ne dépendant que de l’état du
−e = −1 en unités atomiques et ions de charge Z I ). Or le système au point r), ne fait intervenir aucun paramètre : elle
nombre de configurations diverge avec la taille du système : reste ab initio. D’autres fonctionnelles plus sophistiquées
supposons qu’une (petite) molécule avec N = 10 électrons (dites GGA) avec des termes qui dépendent du gradient de la
occupe dans l’espace un volume de 10 Å3 divisé en
charge n(r) (afin de rendre Ṽ ee moins locale) ont depuis été
10 × 10 × 10 petits cubes, chaque électron ayant une
introduites. Nous reproduisons ci-dessous un spectre de
probabilité non nulle d’occuper chaque petit cube, on se phonons calculé en DFT pour le fer (bcc) utilisant deux
retrouve avec grosso modo 1 000 N = 1030 configurations.
Avec les ordinateurs actuels pouvant effectuer 1012 opérations approximations pour Ṽ ee .
par seconde (un terraflop), les temps de calcul deviennent L’approche DFT s’est très largement imposée. Elle permet
rapidement prohibitifs. Certaines techniques (Monte Carlo ainsi d’étudier des systèmes comprenant jusqu’à plusieurs
quantique, interaction de configurations, etc.) permettent de centaines d’atomes. Le prix Nobel de chimie 1998 a
réduire le nombre de configurations réellement importantes
récompensé l’un de ses inventeurs, Walter Kohn.
mais les approches à N-corps demeurent limitées à l’étude de
systèmes ne comprenant pas plus d’une centaine d’électrons.
Pour essayer de contourner ce problème numérique, les
physiciens ont développé des approches dites « de champ
moyen ». Au lieu de chercher à décrire tous les électrons
simultanément, on va essayer de regarder le comportement
d’un seul électron soumis à un potentiel électronique moyen
Ṽ ee qui reproduirait l’effet de tous les autres électrons sur cet
électron test. Si cela est possible, on retrouve un hamiltonien
« à une variable » :
1  ZI
H = − ∇r 2 − + Ṽ ee (r)
2 I
|R I − r|

agissant sur la fonction d’onde φ(r) de l’électron test. Le


nombre de degrés de liberté est ainsi réduit à trois (le vecteur
r). De grands noms (entre autres, Thomas, Fermi, Hartree, Figure - Dispersion des énergies de phonon de Fe bcc (avec l’autorisa-
Fock) se sont attaqués à ces approches. Une formulation très tion de A. Dal Corso). Lignes pointillées : DFT-LDA. Lignes pleines :
répandue est la « théorie de la fonctionnelle de la densité » DFT-GGA. Diamants : diffusion de neutrons. En abscisse, les directions
(DFT). Elle est basée sur quelques théorèmes qui prouvent principales de la zone de Brillouin des vecteurs d’onde de phonons.

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(a) (b)

Figure 2 - Nanotubes de carbone. Les atomes en rouge sont bi-coordonnés : ils ont une liaison pendante et vont chercher à se procurer un troisième voisin.
(a) A 1 500 K, les nanotubes unicouches se ferment spontanément pour passiver leurs liaisons pendantes. Ils ne peuvent plus incorporer de nouveaux atomes
de carbone venant de la phase plasma : leur croissance est impossible. (b) Les multicouches (ici un bicouche) se « connectent » l’un à l’autre pour se stabili-
ser. Comme le nanotube extérieur est plus large, la passivation de toutes les liaisons pendantes est incomplète et des atomes de carbone peuvent venir s’ad-
sorber. La croissance est possible.

centre de la terre (ou bien de Jupiter) techniques de décharge d’arc : un CONCEVOIR DES MATÉRIAUX NOUVEAUX
est un objectif majeur pour com- courant est établi entre deux élec-
prendre l’origine du champ magné- trodes de graphite qui se vaporisent, Un dernier pas peut être franchi
tique terrestre ou les mécanismes de créant un plasma d’atomes de car- en permettant aux simulations ab
formation de la galaxie. Ces sujets bone à 1 000-2 000 K. Lorsque le initio d’explorer des matériaux qui
fondamentaux sont difficilement voltage est coupé, l’observation de n’existent pas. On peut en effet tout
accessibles à l’expérience : non seu- l’anode révèle la présence des nano- à fait créer dans l’ordinateur des
lement envoyer une sonde au centre tubes. Cette expérience relativement empilements atomiques qui n’ont
de la terre ou sur Jupiter n’est pas simple a donné lieu à de nombreux jamais été observés dans la nature et
aisé, mais de plus les conditions étudier leurs propriétés physiques
phénomènes très curieux : alors que
thermodynamiques extrêmes qui y (en commençant par leur stabilité).
l’expérience décrite conduisait à la
règnent sont difficilement reproduc- Un exemple bien connu dans la com-
synthèse de nanotubes multicouches
tibles dans le laboratoire. Pour ce munauté est la « découverte » par
(poupées russes de cylindres
type d’études, les simulations se sont Liu et Cohen en 1989 d’un matériau
révélées très précieuses en établis- concentriques), l’ajout d’un peu
d’atomes de cobalt ou nickel condui- plus dur que le diamant. En mélan-
sant par exemple le diagramme de geant des atomes de carbone et
phase (P,V,T, ordre magnétique) du sait à des nanotubes unicouches (un
seul cylindre). De plus, la présence d’azote, ils ont obtenu une phase
fer dans ces conditions extrêmes. (C3N4) dont les simulations disent
d’un faible pourcentage de bore ren-
Un autre domaine important est qu’elle serait très stable et moins
dait les tubes beaucoup plus longs.
celui des processus dynamiques à compressible que le diamant. Les
Ces résultats difficilement compré- applications d’un tel matériau sont
l’œuvre dans les mécanismes de for- hensibles a priori ont été rationalisés
mation de la matière : réactions évidemment nombreuses
par des simulations de dynamique
chimiques ou croissance cristalline, Dans ce même ordre d’idée, nous
moléculaire quantique qui permet-
les exemples sont nombreux de sys- avons étudié au LPMCN à Lyon de
tent de suivre l’évolution temporelle
tèmes dont les propriétés sont étroi- nouvelles phases nanostructurées,
d’une collection d’atomes soumis à
tement liées aux conditions de syn- les clathrates de silicium (figure 3).
thèse. Bien que les techniques des conditions particulières (ici une
Ces matériaux, découverts à
expérimentales (microscopes à effet température élevée). Nous en don-
l’ICMCB à Bordeaux, sont formés
tunnel ou lasers femtosecondes) nons un exemple en figure 2 qui
par un empilement périodique de
aient fait des progrès considérables, explique pourquoi seuls les nano- cages de Si20, Si24 ou Si28 (la brique
il est encore très difficile de suivre in tubes multicouches sont observés en élémentaire n’est plus l’atome mais
situ de tels processus. Nous pren- l’absence de catalyseurs métalliques. l’agrégat de silicium). Outre leurs
drons ici pour exemple le cas des Dans ces études, nous avons utilisé propriétés intrinsèques, ces maté-
nanotubes de carbone (figure 2). Ces les simulations quantiques comme riaux peuvent être fortement dopés
nouvelles molécules (cylindres de des « microscopes théoriques » pour en introduisant un atome au centre
carbone de quelques Å de diamètre) étudier le comportement des atomes de chaque cage (dopage endohé-
ont d’abord été synthétisées par des pendant les processus de synthèse. dral). Le dopage par le baryum, le

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Mieux comprendre par la simulation numérique

Encadré 2
LES APPROCHES PERTURBATIVES
La difficulté en mécanique quantique réside dans la descrip- Cette équation (dite de Dyson) permet de retrouver notre
tion des interactions inter-électroniques. En corrolaire, un assertion que le système perturbé (décrit par G) est accessible
système où on suppose que les électrons n’interagissent pas à partir de la seule connaissance du système non perturbé
est facile à décrire. Cette remarque est à l’origine d’une (G 0 ) et de la perturbation V.
approche alternative à celles de champ moyen : les théories L’idée est relativement simple mais la mise en œuvre est très
de perturbation. Dans ce type de techniques, on regarde com- compliquée car la perturbation (le potentiel coulombien en
ment un système évolue quand on « branche » une perturba- 1/r), loin d’être une petite correction à l’énergie cinétique des
tion (par exemple, champ électrique ou magnétique). La théo- électrons et à l’interaction électrons-ions, est un terme
rie nous permet alors de calculer de façon approchée les dominant qui présente des divergences aux courtes distances.
grandeurs physiques associées au système perturbé en se Nous reproduisons ci-dessous nos résultats afférents aux
basant sur la seule connaissance de la perturbation et du niveaux d’énergie électronique d’une molécule d’éthane
système non perturbé (fonctions d’onde et énergie déposée sur une surface de silicium calculés en DFT (LDA) et
principalement). Dans le contexte du problème à N-corps, la avec l’aide d’une de ces théories de perturbation (GW). Plus
perturbation devient le potentiel coulombien d’interaction précises, les approches perturbatives sont plus onéreuses.
entre électrons et le système non perturbé est le gaz Ainsi, les temps de calcul associés aux approches DFT et GW
d’électrons non interagissants. Une formulation croissent comme N 3 et N 4 respectivement (N nombre
particulièrement féconde de ces théories est basée sur d’électrons). Pour fixer respectivement les idées, les calculs
la fonction de Green G(r, r ; τ ) qui représente l’amplitude de présentés ci-dessus ont nécessité ∼ 100 heures et ∼ 600
probabilité qu’ayant mis un électron en r à un temps t = 0, heures en DFT et GW sur une bonne station de travail.
on le retrouve en r à t = τ . Les théories de perturbation peu-
vent alors se reformuler sous la forme du « billard
quantique » : un électron peut aller de r à r sans « entrer en
collision » avec un autre électron (probabilité G 0 ) ou bien en
subissant une collision, puis deux, etc.

G0
G0 G0
0
r G
r’
G0 G0
Figure 1 - Le billard quantique illustré.

Figure 2 - Niveaux moléculaires occupés de C2H4/Si(001). Les carrés


rouges sont l’expérience « en centre de zone ». Les points noirs sont les
G 0 est par définition la fonction de Green des électrons non
résultats théoriques. Le fond continu grisé correspond aux niveaux
interagissants et s’exprime facilement à l’aide de leurs énergétiques des états du silicium (théorie). Les directions principales
fonctions d’onde φn0 (r). En notant V « l’événement collision dans la zone de Brillouin sont indiquées en abscisse. La position rela-
entre deux électrons », le jeu du billard quantique s’écrit : tive des états du silicium et de la molécule contrôle la réactivité chi-
G = G 0 + G 0 V G 0 + G 0 V G 0 V G 0 + ... , série en puissances mique de l’espèce adsorbée et donc les phénomènes de catalyse en sur-
successives de V qui peut se réécrire : G = G 0 + G 0 V G. face.

sodium et l’iode ont été réalisés tion sous pression. Ces résultats ont ainsi prédire quels atomes dopants
expérimentalement, conduisant à de pu être expliqués par la théorie. De vont conduire aux matériaux les
nombreux phénomènes surprenants plus, les simulations permettent de moins compressibles ou possédant
comme l’apparition de la supracon- tester en quelques semaines l’effet des propriétés électroniques spéci-
ductivité (Tc = 8 K), la diminution du dopage par un grand nombre fiques (caractère métallique ou large
de la compressibilité ou la stabilisa- d’atomes différents. Nous pouvons gap dans le visible).

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existent de prédictions qui ont abouti majeurs de recherche dans la com-
Si24 à une amélioration des procédés munauté ab initio. Les limitations en
industriels. La montée en puissance nombre d’atomes (quelques cen-
des ressources informatiques plaide taines), temps de simulations
en faveur d’une participation crois- (quelques picosecondes) et précision
sante des simulations quantiques à rendent en effet inaccessibles aux
l’élaboration de nouveaux alliages simulations quantiques actuelles des
Si ou systèmes moléculaires. pans entiers de recherche. Ainsi, les
20 propriétés macroscopiques simples
Finalement, très récemment, des des matériaux (comme la dureté) ne
Figure 3 - Les clathrates dopés. chercheurs se sont attelés au pro- sont souvent pas des propriétés
blème inverse : au lieu de postuler intrinsèques du système parfait mais
l’existence d’un matériau pour résultent de l’interaction et de la
ensuite en calculer ses propriétés, dynamique de millions de défauts
Treize années après la prédiction
des algorithmes ont été développés et/ou inhomogénéités qui ne peuvent
de Liu et Cohen, la synthèse d’un
pour faire la recherche automatique être abordés de front à l’échelle ato-
matériau semblable à C3N4 reste
de matériaux optimisant une pro- mique. Citons finalement le cas de
controversée. De même en ce qui
priété donnée. Parmi les matériaux systèmes moléculaires (de H2O à la
concerne les clathrates, l’avenir dira trouvés par l’ordinateur, certains molécule d’ADN) dont le comporte-
si les matériaux proposés par la théo- étaient déjà bien connus pour effec- ment est souvent dicté par des éner-
rie sont facilement synthétisables. tivement satisfaire aux qualités gies très faibles (liaisons hydrogènes
Car si les simulations permettent de requises, mais de nouveaux candi- ou Van der Waals) qui se révèlent
prédire avec une relative fiabilité les dats ont également été identifiés. redoutables pour les approximations
propriétés d’un arrangement ato- décrites ci-dessus : dans le monde de
mique donné, elles peuvent rarement la DFT, l’eau bout à plus ou moins
proposer un mode opératoire de syn- 100 °C. Si le XXIe siècle doit être
thèse. Mais l’idée que les simula- PERSPECTIVES
celui des sciences du vivant (après
tions numériques peuvent aider à un XXe très physicien), un long che-
créer des matériaux nouveaux est Le calcul de nouvelles grandeurs min reste à parcourir pour que les
lancée. Des catalyseurs plus effi- physiques, l’efficacité numérique simulations quantiques puissent
caces aux matériaux optimisés pour des algorithmes et l’amélioration des apporter leur contribution.
les batteries ou le stockage magnéto- approximations pour une plus
optique de données, les exemples grande précision sont trois axes

POUR EN SAVOIR PLUS Baroni (S.) et al., Review of Liu (A.), Cohen (M.), Science
Modern Physics 73, 515, 2001. 245, 841, 1989.
Thijssen (J.-M.), Computational Laio (A.) et al., Science 287, San Miguel (A.) et al., Phys. Rev.
Physics, Cambridge University 1027, 2000. Lett. 83, 5290, 1999.
Press, 1999. Connétable (D.) et al., Phys. Rev.
Charlier (J.-C.) et al., Science
Pophristic (V.), Goodman (L.), Lett. 87, 206405, 2001.
Nature 411, 565, 2001. 275, 646, 1997.
Reining (L.) et al., Review of Blase (X.) et al., Phys. Rev. Lett.
Modern Physics, 74, 601, 2002. 83, 5078, 1999.
Kohn (W.), Review of Modern Rignanese (G.-M.) et al., Phys.
Physics 71, 1255, 1999. Rev. Lett. 86, 2110, 2001.

Article proposé par :


Xavier Blase, tél. : 04 72 43 12 03, xblase@lpmcn.univ-lyon1.fr
Le travail sur les clathrates a été initié par les expériences de C. Cros et M. Pouchard
à l’ICMCB (Bordeaux) et de A. San Miguel et P. Mélinonau au LPMCN (Lyon). L’au-
teur remercie Lucia Reining (École polytechnique) et Andrea DalCorso (SISSA,
Trieste) pour avoir mis à disposition les figures 1 et 2.

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