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FILIÈRE MP – 2019
Dossier n˚15
Ce dossier comporte un article paru dans la revue Reflets de la physique, précédé
d’un glossaire.
Dans votre exposé d’environ 15 minutes, vous vous attacherez à discuter les phé-
nomènes physiques permettant de manipuler les atomes individuellement par des pinces
optiques. Il n’est pas attendu de discussion sur le dernier paragraphe du texte.
Remarques pratiques
Les candidates et les candidats sont invités à éviter d’écrire leur présentation en
petits caractères, peu lisibles lors de leur présentation devant l’examinateur.
Certains textes ont subi des coupes partielles lors de la constitution du sujet. Avant
l’établissement stable de l’image sur la tablette, le texte coupé peut apparaître brièvement :
ce phénomène parasite est à ignorer. De même, l’élimination complète de certaines pages
peut introduire une discontinuité dans la numérotation des pages du document final.
Glossaire
Émission spontanée – En l’absence d’interaction, un atome préalablement excité
retrouve son état fondamental au bout d’un certain temps, occasionnant l’émission spon-
tanée d’un ou de plusieurs photons.
Miroir dichroïque – Miroir (ou filtre) semi-réfléchissant qui renvoie la lumière dans
une gamme donnée de longueurs d’onde et transmet le reste (présentation simplifiée).
Des pinces optiques pour piéger
des atomes un par un...
Antoine Browaeys (antoine.browaeys@institutoptique.fr)
Laboratoire Charles Fabry, Institut d’Optique, 2 avenue Augustin Fresnel, 91127 Palaiseau Cedex
Depuis une quinzaine En 1955, Erwin Schrödinger, l’un des il faut donc que celui-ci soit issu d’un
fondateurs de la physique quantique, gaz refroidi à une température au moins
d’années, les physiciens aussi basse ! Ce défi a été relevé au cours
affirmait : « Nous ne faisons jamais
ont développé des techniques d’expérience avec une seule particule... des années 1980 – 1990 grâce aux
Dans des expériences de pensée, nous méthodes de refroidissement d’atomes
de manipulations d’atomes le faisons parfois, mais cela conduit par laser [3]. Ces techniques, que nous
par laser qui permettent invariablement à des conséquences ne détaillerons pas ici, permettent de
ridicules » [1]. Moins de 20 ans plus tard, refroidir un gaz d’atomes (par exemple
de refroidir, de piéger Hans Dehmelt démontrait le piégeage des atomes alcalins, tels que le sodium, le
et d’observer un seul atome d’un seul électron en utilisant des rubidium ou le césium) initialement
champs électriques et magnétiques [2]. proche de la température ambiante
à la fois. Le piégeage Dehmelt avait une idée simple en tête : (entre 300 et 500 K), jusqu’à des tempé-
d’atomes individuels se fait en isolant un seul électron, on peut faire ratures inférieures à 100 microkelvins !
des mesures sur ses propriétés sans que Ces développements spectaculaires ont
à l’aide d’une pince optique, celles-ci soient modifiées par d’autres valu à W.D. Phillips, C. Cohen-
terme qui désigne un laser électrons environnants. On accède ainsi Tannoudji et S. Chu le prix Nobel de
à ses propriétés intrinsèques. Par ailleurs, physique en 1997 [4].
focalisé sur une tache puisque la particule est piégée, on peut
d’un micromètre de taille, faire la mesure pendant longtemps, ce qui
augmente sa précision. Dehmelt parvint
Principe de la pince optique
au foyer duquel se trouve ainsi à mesurer le moment magnétique Parmi le nombre considérable de tra-
piégé l’atome. de l’électron avec une précision de onze vaux que le refroidissement d’atomes par
chiffres significatifs, fournissant un test très laser a permis, il y a donc le piégeage
Grâce à des méthodes poussé de l’électrodynamique quantique optique d’atomes. Le principe peut en
qui prévoit sa valeur. être compris par le modèle classique
holographiques il est aussi Les physiciens se sont ensuite attachés à suivant. Le champ électrique E du laser
possible de produire élargir le nombre et le type de particules polarise l’atome en séparant le barycentre
que l’on peut piéger avec des champs des électrons de celui du noyau qui reste
des matrices de pinces électromagnétiques. En 1980, H. Dehmelt essentiellement immobile, car beaucoup
optiques dont la géométrie et P. Toschek piégèrent ainsi un seul ion plus lourd que les électrons. Cette
baryum. Mais le piégeage des atomes est séparation des charges induit un dipôle
est pratiquement arbitraire. beaucoup plus ardu que celui des ions. électrique p = ε0αE (ε0 est la permit-
On obtient ainsi des plans Les atomes sont neutres et, par consé- tivité du vide et α la polarisabilité de
quent, très peu sensibles aux champs l’atome) qui interagit avec le champ du
d’atomes séparés de quelques électriques et magnétiques. Pour les laser. L’énergie d’interaction résultante,
micromètres, arrangés selon ions, quelques volts sur une électrode moyennée sur une période d’oscillation
suffisent à produire des pièges dont la du champ électrique, est
des géométries variées. profondeur est de quelques 10 000 K U = - 〈p.E〉/2 = - ε0α〈E2〉/2.
Au-delà de leur aspect (~ 1 eV) : cela signifie que des ions qui Cela signifie que cette énergie d’inter
possèdent une énergie cinétique résiduelle action est grande en valeur absolue là où
esthétique, ces méthodes correspondant à la température ambiante le champ du laser est le plus intense,
trouvent leurs applications (300 K) peuvent y rester confinés. Pour c’est-à-dire au voisinage d’un point de
les atomes, comme nous allons le voir, focalisation de celui-ci. La polarisabilité
dans le domaine en pleine les pièges que l’on sait créer au labora- α de l’atome dépend de la différence
expansion des technologies toire à partir de faisceaux laser ont des entre la fréquence ω du laser et celle de
profondeurs de seulement quelques la transition (ou résonance) atomique ω0
quantiques. millikelvins ! Pour y piéger un atome, choisie pour l’expérience. Dans le cas où
Lentille
(ON = 0,5) Fluorescence 780 nm
Caméra
Pince Miroir
optique dichroïque
a 107 atomes de Rb
T ~ 100 µK
100
80 1 atome
fluorescence
60
40 0 atome
20
0
8,5 9,0 9,5 10,0 10,5 11,0 11,5
Temps (s)
b
Piégeage d’atomes individuels de 1 mm3 autour de la pince optique. De cette manière on peut « voir » un
Ce refroidissement laser implique la atome, dans son acception la plus littérale,
Nous avons maintenant tous les ingré- présence de faisceaux laser à une longueur l’œil de l’observateur étant remplacé par
dients pour comprendre le piégeage d’onde très proche de celle de la résonance une caméra par simple commodité ! La
d’atomes dans une pince optique et la atomique du rubidium (λ = 780 nm). variation de la quantité de lumière reçue
manière dont nous les observons. Nous Un des atomes de ce nuage d’atomes sur le pixel de la caméra en fonction du
réalisons pour cela un montage optique froids entre alors à un instant aléatoire temps est montrée sur la figure 1b. Nous
qui porte le nom de « microscopie dans la pince optique, tout en étant freiné constatons que partant d’un niveau de
confocale », très utilisé par exemple en par les faisceaux de refroidissement, et y lumière très faible correspondant au
biologie. Il permet de focaliser un fais- reste piégé. bruit de fond de l’expérience, le signal
ceau sur une petite tache et de collecter Pour observer la présence de l’atome dans augmente soudainement. Nous attribuons
la lumière émise par les atomes situés la pince, nous collectons avec la même ce saut au piégeage d’un atome dans la
au foyer. Comme la même lentille est lentille la lumière de fluorescence émise pince. L’absence de double palier traduit le
utilisée pour collecter cette lumière, la par cet atome soumis en permanence au fait que nous ne piégeons pas deux atomes
résolution spatiale est donc égale à la taille laser à 780 nm, qui a donc une double à la fois. En effet, lorsqu’un deuxième
de la tache de la pince optique (fig. 1a). fonction : il sert à la fois à ralentir les atome entre dans la pince, la lumière à
Une lentille asphérique est éclairée par atomes, mais aussi à éclairer l’atome qui 780 nm catalyse une collision très violente
un faisceau laser à une longueur d’onde diffuse la lumière. À l’aide d’un miroir entre les deux atomes, qui les expulse
de 850 nm, créant ainsi une pince dichroïque séparant la lumière à 850 nm pratiquement instantanément en dehors
optique de taille micrométrique. Autour de celle de fluorescence à 780 nm, nous du piège. Le fait que cette collision soit
de ce point focal, on produit un nuage envoyons celle-ci sur une caméra en très rapide provient du volume très
d’atomes froids par refroidissement laser. faisant en sorte que toute la lumière faible de la pince optique. Cette source
Typiquement, nous collectons dix millions provenant de la zone du piège se d’atomes individuels est toutefois non
d’atomes de rubidium dans un volume retrouve sur un pixel de la caméra. déterministe : nous ne pouvons pas
25 μm
à deux dimensions Chambre à vide
Pour beaucoup d’applications (voir ci-
dessous), un seul atome ne suffit pas. Par
Image de
exemple, de nombreux groupes essaient
fluorescence de contrôler les interactions entre
Lentille
des atomes quelques atomes arrangés dans des
(ON = 0,5)
(780 nm) géométries bien définies. Le montageImage de la
matrice (CCD)
expérimental décrit plus haut se prête
très bien à l’obtention de matrices de
pinces optiques de configuration arbitraire.
Pour produire ces matrices, on utilise b
la diffraction : sur le trajet du faisceau
laser de la pince optique on insère un
modulateur de phase spatiale. Il s’agit 2. Production de matrices de pièges optiques.
d’un dispositif à base de cristaux liquides (a) Dispositif expérimental. Un modulateur de phase spatiale (SLM) imprime une phase ϕ(x,y) sur le faisceau
dont l’indice optique n(x,y) peut varier laser (λ = 850 nm) servant au piégeage. Celui-ci est focalisé par une lentille très ouverte. À son foyer, on
d’un point (x,y) à un autre du plan per- obtient la figure de diffraction du facteur de phase. En ajustant cette phase, on produit des matrices de
pièges de taille micrométrique avec différentes géométries. Chaque piège contient un seul atome dont on
pendiculaire à la direction de propagation
détecte la présence par la lumière de fluorescence induite par un laser résonant avec une transition atomique
de la lumière, en fonction d’une tension (ici λ = 780 nm).
localement appliquée. Un faisceau lumi- (b) Colonne de gauche : répartitions d’intensité dans le plan focal, mesurées par le capteur CCD situé après
neux de longueur d’onde λ qui traverse la chambre à vide. Colonne de droite : images de fluorescence pour des matrices de pièges contenant au
ce dispositif d’épaisseur L voit sa phase plus un seul atome. Chacune des images est la somme de nombreuses réalisations de la même configuration
spatiale modulée d’une quantité de piégeage.
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