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23/09/2022

FRANCE

Paris cherche à se saisir du


concept protéiforme du "lawfare"
Caractérisé comme l'instrumentalisation du droit par un Etat à
des fins stratégiques, le "lawfare" focalise l'attention du
Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale
(SGDSN), qui cherche la parade aux réglementations américaines
et bientôt chinoises s'imposant aux industriels français.

Groupes de travail et notes de synthèse au ministère des armées, task force


interministérielle : dans l'hémisphère sécuritaire du gouvernement, c'est le
branle-bas de combat sur les guerres de normes - rebaptisées lawfare par
l'administration. Dans cette réflexion, le Secrétariat général de la défense et de la
sécurité nationale (SGDSN), dirigé par Stéphane Bouillon, apparaît en pointe.

Comme le note le rapport annuel de l'institution, le lawfare est dorénavant


intégré aux réflexions contre les stratégies hybrides comprenant "le cyberespace,
le champ informationnel, les champs économiques, financiers et énergétiques et
celui des opérations". Le SGDSN a constitué un groupe de travail interministériel
permanent qui s'est réuni cinq fois l'année dernière. Tout ceci pour que, à la
demande du premier ministre Jean Castex (2020-2022), le SGDSN pilote une
étude interministérielle d'envergure sur la notion, sur laquelle travaille
notamment le jeune énarque Matthieu Kusza. La Direction des affaires juridiques
(DAJ) du ministère des armées a, dans ce cadre, mené plusieurs réunions sur le
sujet ces derniers mois et a produit une note.

Réponses en gestation

De ces réflexions émergent pour le moment plusieurs recommandations dites


opérationnelles, comme celle de développer une extraterritorialité européenne,
voire nationale, et conduire une stratégie d'influence juridique, dont le SGDSN va

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"lawfare"

assurer le suivi. Le renforcement récent des lois et décrets de blocage (IO du


11/12/19) relève pour la haute administration de cette contre-offensive.

Et ce pour un concept, s'il est en vogue, qui reste très mouvant. Anglicisation
étonnante, il est utilisé en français dans un sens qu'il ne recouvre pas dans sa
propre langue originelle, où il est soit utilisé principalement péjorativement pour
décrire des stratégies judiciaires entre parties dans des procédures civiles, soit
pour décrire les réclamations internationales entre Etats, ou encore dans
l'acception retenue par le chercheur en droit de la guerre Charles Dunlap en 2001,
qui l'a étendu au champ des confrontations militaires.

Le SGDSN caractérise finalement le lawfare en trois vastes menaces distinctes,


peu liées entre elles, à savoir l'instrumentalisation par certains Etats de leur
propre droit, avec le développement de normes extraterritoriales ; ensuite,
l'utilisation stratégique des normes internationales ; et enfin, le risque
d'exploitation par des acteurs tiers du droit français et de ses engagements
européens. Comme le rappelle une note de l'Institut français des relations
internationales (IFRI) parue au printemps de la chercheuse Amélie Ferey,
finalement, "les Etats ont ainsi toujours utilisé le droit à des fins stratégiques".

Convoitise du droit américain

Ce sont principalement des normes juridiques américaines qui sont dans le viseur
des autorités françaises, comme l'International Traffic in Arms Regulations
(ITAR) et son pendant Export Administration Regulations (EAR), qui contrôlent
les exportations et les utilisations des équipements de défense. Leurs violations
avaient valu à Airbus Group une forte amende en janvier 2020. Stéphane Bouillon
évangélisait encore les nouveaux députés lors de son audition à l'Assemblée
nationale en juillet, précisant que "la présence d'un composant américain, ne
serait-ce qu'une puce, dans le produit d'un Etat étranger, ouvre le droit aux
Américains de demander des explications sur la manière dont il est produit,
même si cela relève du secret professionnel, voire de poursuivre l'entreprise et ses
dirigeants".

Washington n'est pas encline à assouplir une telle arme d'influence au moment où
le contrôle des chaînes d'approvisionnement est un élément clé de la compétition
globale face à Pékin. Cette régulation handicape de longue date les exports des
groupes français de défense, mais peu se risquent à s'en passer, tant pour avoir

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accès aux programmes du Pentagone que parce que certains marchés de niche
n'existent qu'aux Etats-Unis. La toute première commande, passée en août, du
prochain porte-avions français, concerne la livraison de catapultes
électromagnétiques de General Atomics.

Outre l'ITAR, certains veulent placer dans ses normes applicables au concept de
lawfare le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), mais il est difficile pour le
SGDSN d'apparaître comme une institution protégeant des faits de corruption.
L'autre grande norme visée reste le Cloud Act, qui permet aux autorités
américaines de pénétrer des serveurs étrangers, mais celui-ci nécessite des
accords bilatéraux.

Empires des normes

Outre ces préventions face aux réglementations américaines, le SGDSN s'alarme


du fait que la Chine est en train de s'armer également en la matière, en adaptant
dans son droit local la plupart des prérogatives qu'ont votées les Etats-Unis. Pékin
semble d'ailleurs prête à les partager. Après la rencontre la semaine dernière entre
le président russe Vladimir Poutine et le leader chinois Xi Jinping, la partie
chinoise a proposé à Moscou de lui transmettre son expérience afin de résister aux
législations sur les sanctions et les "juridictions extraterritoriales".

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