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MATERNELLE Introduction

La maternelle
en devenir

C’ est à l’école ma-


ternelle, premier
lieu de scolarisa-
tion, que se met-
tent en place les
premiers appren-
tissages et que se
jouent les premières représentations
que l’enfant se fait de lui-même
comme élève. La réussite ultérieure
des élèves y est donc un enjeu de
taille. Les conditions de scolarisation
(encadrement, matériel…) et les ef-
fectifs, actuellement parmi les plus
élevés d’Europe, doivent être amélio-
rés pour redonner à l’école maternel-
le sa véritable dimension et toute son
efficacité.
A la maternelle, l'enfant apprend à
grandir dans le cadre scolaire, celui
où il va passer au moins ses 15 pro-
chaines années. C'est souvent l'heure
des premières séparations d’avec les
parents, mais c’est aussi le temps de L’école maternelle, une originalité pédagogique.
la découverte des codes de l'école, de
ce qu'on attend de l’enfant, le partage
de moments avec d’autres enfants du
même âge, le respect des règles col-
lectives, et naturellement les pre-
miers apprentissages, ceux qui vont vrai en grande section, au début du jeu, activité principale de l’enfant
lui permettre de cheminer doucement cycle 2. Comme le précise Elisabeth entre 2 et 6 ans ; elle approche des
vers la conquête de nouveaux lieux, Bautier, chargée de recherches à savoirs à travers l’exploration de tous
objets, personnes pour apprendre à l’INRP : « l’école maternelle a cette les domaines d’activité. Par exemple,
devenir élève. Ce n'est pas toujours tâche considérable qui est de scolari- au sujet de l’éducation à l’image, Eve
simple. Mais heureusement, le maître ser les enfants, de les faire entrer Leleu-Galland, I.E.N., estime que
ou la maîtresse l’initiera à l'envie de dans des logiques d’élèves ». « les activités menées à l’école ma-
découvrir le « métier d’élève », pour L’identité originale de l’école mater- ternelle s’appuient sur des actions :
pouvoir se rendre à la « grande nelle réside dans la pédagogie qu’elle on va manipuler et apprendre à pro-
école ». Ce qui est particulièrement met en œuvre : elle s’appuie sur le duire, détourner, modifier… des ima-
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Les taux de scolarisation le montrent : les attentes et les de-
mandes des familles sont très fortes. Créer le lien entre les
ges et, ce faisant, on va apprendre à
comprendre comment elles se fabri- parents et l’école, établir la confiance, expliquer, coopérer
quent ». sont particulièrement essentiels à l’école maternelle, lieu
Fréquentée par la quasi totalité des d’imbrication du vivre et de l’apprendre.
3-5 ans, l’école maternelle a prouvé
son importance dans le système édu-
catif français. Qu’apporterait dans le
contexte actuel une scolarisation
obligatoire dès 5 ans ? Cette solution
ne permettrait pas d'améliorer les
taux de scolarisation déjà proches de
100 % pour les 3-5 ans et pourrait tion des tout petits ne cesse de bais- offre sur le territoire des structures de
fragiliser les classes en amont en ser depuis 2002, pour atteindre le ni- scolarisation des jeunes enfants,
donnant à la grande section un statut veau le plus bas (28,8 %) jamais laïques, gratuites, intégrées au systè-
particulier. N’y aurait-il pas égale- connu depuis 1984. me éducatif et assurées par des per-
ment un risque, à terme, de modifier « Quand une famille inscrit son en- sonnels enseignants, aidées des col-
les attentes en fin de grande section ? fant à l'école, elle demande à la so- lectivités locales qui fournissent dans
ciété de contribuer à son éducation la plupart des cas des ATSEM, dont
Scolarisation précoce et à son instruction », rappelle les missions ont évolué. Mais la qua-
= meilleure réussite Maryse Métra, formatrice à l’IUFM. lité de l’école maternelle est en jeu.
Les taux de scolarisation le montrent Les collectivités locales, qui ont la
On dispose de peu de travaux sur le : les attentes et les demandes des fa- charge de l’équipement des écoles, ne
sujet. Cependant, les études effec- milles sont très fortes. Créer le lien fournissent pas toujours les moyens
tuées par Agnès Florin, professeur de entre les parents et l’école, établir la suffisants pour permettre de scolari-
psychologie de l’enfant et de l’éduca- confiance, expliquer, coopérer sont ser convenablement les 2 - 3 ans, et
tion, montrent que, malgré des condi- particulièrement essentiels à l’école les I.A. utilisent trop souvent la ma-
tions d’accueil peu adaptées, « la maternelle, lieu d’imbrication du ternelle comme vivier potentiel de
scolarisation des 2 ans sécurise plus vivre et de l’apprendre. postes.
les enfants que la crèche ».
L'influence particulièrement béné- La France, une exception Des inquiétudes
fique d'une scolarisation précoce sur
la réussite ultérieure des enfants est Jusqu’à présent, même si l’éducation La commission Thélot dans son rap-
reconnue : 90,8 % des enfants entrés de la petite enfance a connu un essor port, rappelle, à juste titre, que « les
à la maternelle à cet âge parviennent considérable dans tous les pays déve- classes de petite et moyenne sections
au CE2 sans redoubler, contre 87,7 % loppés ces dernières années, la jouent un rôle de première importan-
des élèves entrés à 3 ans. Si tous les France fait figure d’exception. Elle ce, d'une part pour préparer les ap-
groupes sociaux bénéficient de ses
effets, la scolarisation des tout-petits
joue un rôle fondamental pour rédui-
re les inégalités sociales. En effet, la
scolarité à 2 ans permet principale- Modes de garde des moins de 3 ans
ment le développement du langage
(« pour vivre le quotidien et s’appro- Les modes de garde des moins de 3 ans sont très variables. Selon l’étude faite
prier la culture » précise Rémi par Agnès Florin pour le Piref, 67 % des moins de 3 ans sont gardés à domici-
Brissiaud, maître de conférences, le (dont 60 % par leur mère), 9 % sont à l'école maternelle (dont 28 % des
I.A./I.P.R.) et l’on connaît l’impor- 2-3 ans) et 4 % sont en crèche. Parmi les enfants scolarisés dès 2 ans, 85 %
tance de sa maîtrise pour la suite de la d’entre eux ont plus de 2 ans et 6 mois.
scolarité. Sylvie Chevillard, Concernant le taux d’encadrement, les assistantes maternelles agréées ont un
conseillère pédagogique, pense qu’il ratio de 1 adulte pour 3 enfants, les crèches de 1 adulte pour 8 enfants qui mar-
existe « des inégalités à l’arrivée à chent et l'école maternelle de 1 adulte pour 25 en moyenne.
l’école maternelle sur le plan du lan- Les lieux d'accueil sont diversifiés et une proportion importante d'enfants en
gage. Si cela ne fait pas l’objet d’un connaît plusieurs entre la naissance et les premières années de la scolarisation
questionnement dans la pratique de obligatoire. Ils ont aussi une influence sur la scolarité. Le cumul des fréquenta-
classe, si on ne réfléchit pas à la tions de la crèche et de l'école maternelle favorise nettement un parcours sco-
façon de rendre explicites pour tous laire sans incident, en particulier chez les enfants de milieux populaires.
les enjeux des apprentissages, l’écart L'expérience de la collectivité a un impact sur la participation verbale de l'en-
va se creuser tout au long de la sco- fant en séance de langage, sur la participation dans les jeux avec leurs pairs,
larité ». mais n’a pas d’incidence sur les comportements agressifs.
Mais pourtant, le taux de scolarisa-
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MATERNELLE Introduction

prentissages ultérieurs, qu'ils soient tude du Piref révèle une différence immédiats à l’époque, mais dont la
de l'ordre de la maîtrise progressive sensible de résultats liés à la scolari- situation décline depuis ces dernières
de la langue, de l'initiation au monde sation précoce. L’éducation nationale années, comme partout ailleurs.
de l'écrit ou de l'appréhension du ne met pas en corrélation les apports
monde environnant, d'autre part pour de la recherche avec la situation dans Histoire d’effectifs
aider l'élève à trouver ses repères, à les écoles. Et ceci est notamment vrai
affirmer sa place dans le groupe et à dans les ZEP, où la scolarisation des Pour Lucile Barberis, présidente de
s'approprier les premières règles tout-petits était devenue une préoccu- l’AGIEM (1), « contribuer à la
de l’apprentissage de la vie en com- pation en 1989, au lancement des po- réussite, c'est créer en chaque enfant
mun ». De grandes intentions, mais litiques ZEP, suivies d’effets assez l'envie de comprendre, d'interroger et
les projets de développement de l’é-
cole maternelle sont quasi-absents du
rapport, alors que les disparités com-
munales sont toujours très grandes et
les moyens alloués à la maternelle in- Différences européennes
suffisants. sur l’accueil des moins de 6 ans
« L'entrée à l'école maternelle est
une étape essentielle pour chaque en- La Belgique et l’Italie sont les seules à scolariser fortement les plus petits,
fant et un moment important pour ses mais seule la Belgique (comme la France) a la possibilité de scolariser les
parents ». Ce mot d'ordre, avancé moins de 3 ans, sachant que l'essentiel de la garde collective jusqu'à 3 ans
lors de la campagne « pas touche à reste la crèche, qui précède l'école maternelle ou le jardin d'enfants.
l’école maternelle » lancée l'an der- Au Danemark, en Belgique et en Italie, plus de 80 % des enfants de 3 ans fré-
nier par le SNUipp, le SE, le SGEN, quentent l'école maternelle, la crèche ou le jardin d'enfants pour une durée
la FCPE, la PEEP et l'AGIEM est équivalente de 6 heures par jour. Par contre, au Royaume Uni, en Allemagne,
toujours d’actualité. Mais depuis, les en Grèce et en Italie, le pourcentage est nettement plus faible, de l'ordre de
inquiétudes continuent à grandir. 60 %.
En Allemagne, les Kindergarten accueillent les enfants dès 2 ans et ont une
ZEP : à suivre mission de préparation à la scolarité obligatoire qui commencent à 6 ans ré-
volus. Il ne s’agit pas d’une institution du système scolaire puisqu’elle est
En dépit des conditions de scolarisa- payante. La plupart sont communales ou confessionnelles.
tion souvent difficiles (sureffectifs, Dans chaque pays, les objectifs dépassent ceux de la garde de l'enfant pour ré-
remplacements moins bien assurés, pondre à un ensemble plus vaste de besoins cognitifs, sociaux, physiques et
listes d’attente pour les 2 ans…), l’é- psychologiques.

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d'apprendre le monde ». cycle 1 pour le dépistage précoce des élèves par classe, 20 en ZEP, 15 en
Quotidiennement, les enseignants enfants en difficulté, le manque de petite section. Elle a besoin d’une
constatent que les éléments formation initiale et continue, les politique volontariste de l’état et des
nécessaires à cette réussite des locaux peu adaptés aux formes collectivités locales
apprentissages ne sont pas réunis. d’apprentissage sont autant de freins
Les effectifs trop chargés, les à la réussite de tous. La maternelle, C. M.
rythmes peu adaptés à des petits, la pour fonctionner de manière optimale
non intervention des RASED au devrait avoir des effectifs limités à 25 (1) In « Aimer lire, guide pour aider les enfants
à devenir lecteurs » Sceren / CNDP

Eliane L’école maternelle :


socle de la réussite
Lancette
Co-secrétaire générale du SNUipp

La France est un des rares pays à adaptés… et des


proposer l’entrée dans le système Le peu d’intérêt du gouvernement et parents pour qui
éducatif aussi tôt. Est-ce réellement de la commission Thélot pour la ma- l’école est autre
utile ? ternelle vous inquiète t-il ? chose qu’un
L’école maternelle a, depuis toujours, Un tel silence, voire une telle impasse bon mode
accueilli les enfants dès le plus jeune sur cette école ne peuvent qu’inquié- garde.
âge. Aujourd’hui les 4-5 ans sont ac- ter. Ils témoignent certainement d’une
cueillis dans leur totalité, les 3 ans à incapacité, voire du refus de prendre La scolarisa-
99 % et les 2 ans pour moins d’un en compte et d’analyser son rôle es- tion dès
tiers. Nous sommes le pays d’Europe sentiel pour la réussite des élèves. l’âge de
où l’hétérogénéïté des élèves est la Mais aussi son rôle spécifique dans le deux ans est
plus grande. L’école maternelle joue système éducatif. Que le rapport de la contestée.
un rôle de réduction des commission Thélot ocul- Quelle est votre position ?
inégalités. Plus la scola- te les récents program- Un récent rapport rédigé pour le
risation est précoce, plus L’enjeu pour l’école mes est assez symptôma- PIREF (1) fait le point des principales
elle favorise la réussite maternelle française tique. L’école maternelle études françaises et internationales sur
ultérieure, particulière- c’est de prendre en y « constitue (pourtant) le sujet. La scolarisation précoce en
ment pour les plus dému- compte les besoins le socle éducatif sur le- maternelle permet un meilleur déve-
nis sur les plans socio- affectifs, physiologiques quel s’appuient et se dé- loppement cognitif et langagier no-
culturel. Ce constat glo- et moteurs des enfants veloppent les apprentis- tamment pour les enfants des milieux
bal est attesté par diver- pour leur permettre de sages ». Ceci dit, on peut défavorisés. La comparaison avec la
ses études. Mais cette devenir élèves et réussir observer depuis plu- crèche est plutôt à l’avantage de l’éco-
école qui assure le passa- l’entrée dans les sieurs années comment le ; les enseignants y sont plus profes-
ge entre le monde de la premiers apprentissages. l’école maternelle est ré- sionnels dans le rapport à la tâche et à
famille et celui de l’école gulièrement prise pour l’enfant. Les enfants se sentent plus
avec ses nouveaux cadres cible par l’éducation na- sécurisés parce que l’enseignant cons-
: horaire, rythme, activités, espaces, tionale elle-même au moment de l’éla- titue une figure de référence. Ce bilan
règles, relations avec de multiples boration de la carte scolaire. Quand nous conforte dans l’idée qu’un débat
adultes, doit encore beaucoup s’adap- cette école aurait besoin de moyens, rigoureux est nécessaire sur la scolari-
ter pour mieux prendre en compte la on commence par lui fermer des clas- sation des tout petits. L’école doit pou-
spécifité des enfants très jeunes. ses par simple logique comptable. Elle voir accueillir tous les enfants de deux
L’enjeu pour l’école maternelle fran- sert de vivier au redéploiement des ans dont les parents en font la deman-
çaise c’est de prendre en compte les postes. Le développement de l’école de dans des conditions qui respectent
besoins affectifs, physiologiques et maternelle ne passera que par une vo- les besoins de cet âge.
moteurs des enfants pour leur permet- lonté partagée. De l’éducation nationa-
tre de devenir élèves et réussir l’entrée le mais aussi des élus pour l’aménage- (1)Programme incitatif de recherche en éduca-
tion et fomation - Les modes de garde à deux -
dans les premiers apprentissages. ment de classes, de locaux, de dortoirs Qu’en dit la recherche ? Juin 2004

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MATERNELLE Entretien

« Langage, conceptualisation et production de


récits à l’école maternelle »

Rémi Brissiaud

Pourquoi avoir étudié la relation entre de la conscience. Il faut s’intéresser à ce d’une histoire car le scénario ne se dé-
progrès des élèves dans les activités et dernier aspect pour bien comprendre les roule pas de la façon dont le laisse présa-
leurs progrès en langage à l’école ma- récits traditionnels comme l’histoire du ger la première page.
ternelle ? Petit chaperon rouge, par exemple. En On a ainsi inventé 7 mini histoires. Une
Plus précisément, j’ai choisi de parler des effet, si l’enfant qui entend cette histoire 1ère page qui pose une situation, une
progrès des élèves dans deux types d’ac- ne se rend pas compte que Petit chaperon 2ème page qui est en décalage par rap-
tivités, la production de récits d’une part rouge, au chevet du lit, croit vraiment port à cette situation. Après un premier
et la conceptualisation d’autre part et que le loup déguisé est sa grand-mère, il temps de découverte avec les enfants,
d’en parler en relation avec les progrès ne peut rien comprendre à l’histoire. Il y l’enseignant réutilise dans un second
réalisés en langage ; un thème peu étu- a donc deux paysages dans une histoire, temps l’album en ne présentant que la
dié jusqu’ici. Rares sont celui des événements et première page. Les enfants doivent ra-
les activités n’ayant pas celui de la conscience. conter la suite. Ils font alors un petit récit
« La culture touche à
une dimension langagiè- qui décrit ce que croit le héros, ce qu’il y
re. Pour s’y retrouver, il deux grandes dimen- Est-il possible de tra- a dans sa tête, ce qui n’est pas si facile à
faut donc se rapporter à sions, les théories et les vailler ce que vous ap- obtenir.
une classification. Les récits. Les théories pelez « le paysage de la
nouveaux programmes (c’est-à-dire les ensem- conscience » d’une his- A partir de l’utilisation de cet outil,
renvoient à une telle bles organisés de toire avec des enfants qu’avez vous constaté concernant la
classification, langage de maternelle ? progression des enfants ?
concepts) ont un enjeu
pour vivre le quotidien Dans une recherche Conçu pour les enfants de moyenne et
et langage pour s’appro- de vérité. Les récits vi- menée à l’IUFM de grande section, l’album fonctionne très
prier la culture. Je me sent avant tout à com- Versailles, nous avons différemment dans les deux classes. Les
suis donc intéressé à ce prendre ce qui meut expérimenté un disposi- recherches en psychologie ont montré
dernier aspect. La cultu- l’homme, ce qui se passe tif que nous avons appe- qu’à partir de 4 ans, les enfants arrivent
re touche à deux grandes dans la tête d’autrui » lé : l’album du « Il plus facilement à reconstruire ce qui se
dimensions, les théories croit que ». Celui-ci passe dans la tête de l’autre. Ils compren-
et les récits. Leurs en- conduit effectivement nent mieux le fait que chacun se compor-
jeux sont très différents. Les théories les élèves à raconter des histoires tout en te de manière cohérente avec ce qu’il
(c’est-à-dire les ensembles organisés de s’intéressant à ce qui se passe dans la tête croit et pas forcément avec l’état du
concepts) ont un enjeu de vérité. Une du héros. Ces histoires sont racontées en monde.
théorie est soit vraie soit fausse. En re- deux pages seulement. Dans la situation Pour les sept histoires, nous l’avons vu,
vanche, il importe peu qu’un récit soit présentée en première page, par exem- l’album fonctionne toujours sur le même
vrai ou faux. Les récits visent avant tout ple, un petit enfant voit le facteur qui modèle.
à comprendre ce qui meut l’homme, ce remet un colis à sa maman. On voit aussi En moyenne section, les enfants sont
qui se passe dans la tête d’autrui, à com- que c’est l’anniversaire de l’enfant. Il y a naïfs jusqu’au bout. A la septième histoi-
prendre pourquoi des événements ne se un gâteau avec des bougies, l’enfant a re ils ne se doutent toujours pas que ça ne
déroulent pas comme ils le devraient. l’air très heureux. Il pense que le paquet se déroulera pas comme prévu en tour-
Un récit a deux aspects, l’un événemen- est un cadeau pour son anniversaire. On nant la deuxième page. En grande sec-
tiel, c’est celui qui est le plus facilement tourne la page, et l’image suivante mon- tion, ils s’en doutent au terme de la troi-
accessible aux enfants, alors que l’autre tre la maman qui a déballé le colis dans sième histoire. Ils inventent d’autres sui-
concerne ce qui se passe dans la tête des lequel il y a une robe. L’enfant est donc tes imprévisibles. On observe donc les
héros, leurs croyances. C’est le paysage très déçu. Dans ce cas, il s’agit bien progrès réalisés entre les deux âges. Les
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enfants apprennent à rendre compte de Il y a également des différences, les ani- Maître de conférences de Psychologie
tout ça en mots. Ils utilisent des verbes maux peuvent se mouvoir d’eux- cognitive à l’IUFM de Versailles
comme « il croit que », des formes lan- mêmes, pas les végétaux. Il va falloir Laboratoire CNRS FRE 2627
gagières qui ne sont pas évidentes. que l’enfant prenne conscience de ces « Cognition & Usages »
ressemblances et différences.
Quelles observations avez-vous faites Conceptualiser c'est toujours fonction- Intervention :
sur le terrain de la conceptualisation ? ner par ressemblances et différences. Langage, conceptualisation et produc-
tion de récit à l’école maternelle.
Nous nous sommes intéressés à la ques- Toujours dans la même recherche menée
tion suivante : comment un enfant peut- à l’IUFM de Versailles, nous avons aidé Publications :
il apprendre qu’un végétal est aussi un des élèves de grande section de la ban- Brissiaud R. & Malaussena P. (2002)
être vivant ? Le langage, dans ce cas, a lieue parisienne à conceptualiser le vi- Il croît que Collection « Apprendre à
un rôle ambivalent. Dans un usage quo- vant en les invitant, dans un premier parler… parler pour apprendre ».
tidien du langage, en effet, on qualifie de temps, à cultiver des lentilles pour qu’ils Paris : Retz
« vivants » les seuls êtres animés. Si aient l’expérience du cycle de vie de ces Brissiaud R., Ouzoulias A. &
Ponchon C. (2002) C’est pas possi-
l’on voit un arbre, et qu’on dit « c’est un végétaux. Dans un deuxième temps, un ble… Collection « Apprendre à par-
être vivant », on sort de l’usage quoti- travail sur les ressemblances et différen- ler… parler pour apprendre ».
dien des mots. Cependant, avec les ani- ces entre animaux et végétaux a permis Paris : Retz
maux, les végétaux ont en commun de aux élèves de dépasser le seul usage Brissiaud R. (2003) Comment les en-
grandir, d’être malade, de mourir si on quotidien du mot « vivant ». fants apprennent à calculer – Le rôle
ne les arrose pas. Comme nous, ils ont du langage, des représentations figu-
besoin d’eau et de se nourrir. Il y a donc Propos recueillis par rées et du calcul dans la conceptuali-
sation des nombres. Nouvelle édition
des analogies entre végétaux et animaux Gilles Sarrotte augmentée. Paris : Retz
et ces analogies ont un support langagier.

« Le travail sur le langage implique des


petits groupes et des échanges individuels »

Agnès Florin

Comment aborde-t-on aujourd’hui la interprète les expressions de l’enfant Une autre condition réside dans le fait
question de l’acquisition du langage (sourires, mimiques) même si cela n’a que l’adulte ne parle pas de la même
chez les jeunes enfants ? pas toujours un sens réel. Cette surin- façon au petit. Voici ce qui s’observe:
Tous les enfants naissent avec un appé- terprétation des comportements du le captage du regard, l’exagération des
tit de communiquer et ils disposent en bébé est bénéfique car elle place l’en- intonations, des pauses plus longues,
général de tout l’équipement neurolo- fant dans une situation d’interlocuteur. les redondances, l’utilisation des mots
gique et physiologique. L’installation Il apprend avec un partenaire qui com- fréquents, des énoncés brefs, le fait de
du langage est très précoce : ainsi la plète comme dans la conduite de récit pointer du doigt… Ces procédés sont
notion de tour de parole s’acquiert vers où l’enfant prend en charge de plus en quasi universels et sont liés à la qualité
4 mois. L’essentiel réside dans les plus le récit. D’où l’importance pour de la communication spécifique avec
interactions avec l’entourage — les les enseignants d’école maternelle de des petits. L’adulte sera apte et s’adap-
adultes — dans des conditions particu- mettre en mot ce qu’on fait, d’agir ce tera d’autant mieux qu’il sera accoutu-
lières. dialogue d’action en nommant les ob- mé à une fréquentation régulière des
La première condition est celle du dia- jets, en décrivant les activités de la jeunes enfants.
logue d’action où l’adulte met en mots, classe.
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MATERNELLE Entretien

Sur quelles bases l’école peut-elle sens. Le mot « évier » sera acquis par et qu’elle prépare à l’écriture.
prendre sa part dans l’apprentissage l’accumulation d’observations de ce L’école se caractérise par sa dimension
du langage chez le jeune enfant ? qui est pareil et de ce qui ne l’est pas. collective avec un enseignant qui prend
Beaucoup d’activités à l’école sont Cette catégorisation relève tout à fait tout le groupe. Or pour l’apprentissage
souvent en grand groupe, or les ensei- d’un enseignement. du langage il faut une organisation en
gnants n’adaptent vraiment leur langa- Pour les structures syntaxiques, c’est la petits groupes.
ge que dans des petits groupes ou en in- même chose. Il est nécessaire d’avoir A l’école la vie de la classe doit être
dividuel. un certain recul pour parlée du point de vue
Les enfants ont besoin de l’école pour rendre son expression des actions, de ce qui se
apprendre à parler car ils peuvent y dé- compréhensible pour « Lorsqu’un enfant passe et aussi des émo-
velopper des conversations avec des autrui. apprend un mot, il se tions des personnages
adultes et les interactions sont nom- Puis il y a un travail in- construit une catégorie d’une histoire et des
breuses. Bruner disait qu’on apprend à dispensable, même s’il à partir de comparai- siennes propres. Il faut
parler en parlant: il faut donc s’exercer se fait sous forme lu- aider l’enfant à prendre
sons, similitudes, diffé-
et avoir les conditions pour le faire. dique, c’est la phono- sa place d’interlocuteur
De plus, les temps de conversation logie qui n’est pas rences qu’il expéri- pour qu’il devienne un
dans les familles, sont souvent réduits. assez abordée dans mente avec tous ses sujet dans le discours et
Or la conversation, ce n’est pas seule- certaines écoles sens. Cette catégorisa- l’interaction. Pour pren-
ment des mots, c’est un échange de (rimes, jeux de mots et tion relève tout à fait dre les enfants comme
pensées : partager des pensées aide à de sons…). Cet ap- d’un enseignement. » des interlocuteurs, il y a
construire sa pensée. Ce n’est pas seu- prentissage se déve- des efforts à faire dans la
lement parler à quelqu’un, c‘est parler loppera avec l’appren- formation pour revoir
avec quelqu’un. tissage de l’écrit mais on doit s’y enga- certaines conceptions de l’enfant.
ger dès la maternelle. Enfin aujourd’hui il n’est pas pensable
Peut-on parler d’un véritable ensei- Enfin l’oral, cela sert aussi à parler des que 25 % des enfants soient renvoyés
gnement du langage à l’école mater- livres, des écrits, de l’écrit. en orthophonie, alors que l’école pour-
nelle ? rait faire ce travail. C’est bien à l’école
Bien des situations d’apprentissage Comment organiser et évaluer ce tra- d’accompagner cet apprentissage. Ce
peuvent le permettre. L’utilisation de vail tout en respectant la diversité des travail sur le langage oral doit
récit favorise le langage d’évocation, élèves ? d’ailleurs se poursuivre sur toute la
toujours très présent à l’école, ainsi Tout cet ensemble d’enseignement doit scolarité, sa maîtrise est indispensable.
qu’une sensibilisation à la conduite de être développé et évalué. Comment
récit. aider les jeunes à progresser, à aborder Propos recueillis par
Mais on trouve également les différen- des choses nouvelles ? Les difficultés, Michèle Frémont
tes fonctions du langage qui se mettent comment les analyser et les dépasser,
en place progressivement depuis la sa- avant qu’elles ne se cristallisent et en-
tisfaction des besoins jus- travent les apprentissages
qu’à la demande d’infor- ultérieurs ? Tel enfant Professeur de Psychologie de
mation, le questionnement n’entend pas, tel autre a l’enfant et de l’éducation
sur le « pourquoi du com- un problème de compré-
ment des choses » ! Ceci hension, ou celui-ci un Intervention :
appelle des réponses. problème de lexique… Il Communication et langage à l'école
C’est important de savoir faut faire attention aux maternelle : quels enjeux ?
qu’il faut une réponse dé- mauvaises explicitations,
veloppée à un questionne- aux malentendus. Mais à Publications :
ment, on apprend à s’ex- l’école maternelle, on Florin, A. & Morais, J. (2002). La
primer dans une plus gran- doit s’inquiéter très tôt maîtrise du langage. Rennes, Presses
de complexité. C’est pour- des problèmes de com- Universitaires de Rennes.
quoi il faut se méfier des exercices à préhension. Pour cela nous disposons Florin, A. (2003). Introduction à la
trous simplificateurs qui entretiennent d’un très bon outil avec les évaluations psychologie du développement :
une représentation du langage enfer- GS et CP. enfance et adolescence.
mée dans la seule réactivité. Dunod, Les Topos.
L’enseignement contribue aussi à cons- Est-ce que l’école maternelle présente Florin, A., Guimard, P., Le Dreff, G.
truire un lexique qui s’enrichit du tra- de bonnes conditions pour favoriser & Walkstein, C. (2004). Un maître et
vail sur des thèmes et des situations de l’apprentissage du langage ? des intervenants multiples à l’école
classe. Lorsqu’un enfant apprend un L’école maternelle partage cet objectif primaire : analyse psychologique
mot, il se construit une catégorie à par- avec toutes les structures de la petite des pratiques et des effets. Rennes :
tir de comparaisons, similitudes, diffé- enfance. La différence, c’est que l’éco- Presses Universitaires de Rennes.
rences qu’il expérimente avec tous ses le met aussi l’accent sur le graphisme
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MATERNELLE Entretien

« C’est l’enseignant qui définit la fonction de


l’image et en fait soit un moyen, soit l’objet du
travail »
Christiane Herth

Quelle est la fonction de l’image dans situations proposées doivent au contraire objet à part entière. Là encore, l’acquisi-
les situations pédagogiques ? permettre l’expérimentation et la décou- tion et l’actualisation des connaissances
Utiliser une image dans une situation verte. Cette pratique favorise et modifie passe par une complémentarité entre pra-
pédagogique ne signifie pas que les la manière d’appréhender les images en- tique et théorie. Il semble en effet diffici-
apprentissages des enfants relèveront suite proposées au regard : par exemple, le de faire des choix dans les contenus
nécessairement du domaine spécifique de après avoir joué avec différents angles de possibles et spécifiques du domaine de
l’image. C’est l’enseignant, en décidant prise de vue d’une photographie, cet l’image en l’absence d’un minimum
des objectifs, qui définit la fonction de aspect de la fabrication de l’image pourra d’expérimentations personnelles. Etre
l’image et en fait soit un moyen, soit d’autant mieux être pris en compte dans soi-même auteur d’image, même avec
l’objet du travail. Lorsque les enfants la confrontation avec l’image produite des procédés simples, et comprendre
sont confrontés aux représentations tirées par un autre. comment le sens se construit et est perçu
d’un imagier pour les décrire et qu’ils par les autres est un passage nécessaire.
abordent l’image dans son rapport au Comment apprendre aux enfants de ma- Construire des situations n’est ensuite pas
réel, leurs acquisitions peuvent ne relever ternelle à prendre du recul par rapport à très différent de ce qui se joue dans tout
que du domaine de l’expression orale, l’image ? autre domaine d’enseignement.
l’image étant le moyen choisi pour Il s’agit de développer une compréhen- Pour ce qui concerne l’image artistique,
permettre ces acquisitions. sion juste de ce qu’est l’image, c'est-à- la nouveauté que représente une liste
En maternelle, ce type de pratique est dire que toute image est d’abord une d’œuvres impose une formation sur les
assez fréquent. L’image est utilisée construction, un ensemble cohérent de situations à mettre en œuvre pour les don-
comme un déclencheur de parole, per- composantes qui ensemble produisent le ner à voir, quelles connaissances sont à
mettant des temps d’échange collectifs au sens. favoriser en maternelle, et comment se
cours desquels les enfants abordent de Cette compréhension s’acquiert à travers construit la continuité avec les autres cy-
l’image exclusivement ce qu’elle figure. une addition d’expériences : partant cles.
J’opposerai ces démarches à des situa- d’une image donnée, que change le ca-
tions dans lesquelles l’image n’est pas ré- drage ? la modification du format d’une Propos recueillis par
duite à son sujet mais considérée comme image peut-elle en modifier le sens ? et Philippe Hermant
un objet ayant des caractéristiques plas- le passage du noir et blanc à la couleur ?
Agrégée d’Arts plastiques
tiques et sémantiques. que se passe-t-il si je masque une partie
IUFM de Paris
Un moyen privilégié pour l’aborder dans de l’image ? une image prise dans une
sa globalité consiste à faire coexister le série se perçoit-elle différemment de la
Intervention :
regard sur l’image et la production per- même image vue isolément ? etc.
Des images pour dire, agir, apprendre à
sonnelle. En faisant l’expérience de ses possibili-
l’école maternelle
tés de créer et de modifier des images,
Justement, comment s’articulent la pro- l’enfant développe ses possibilités d’ex-
Publications :
duction et le regard sur l’image dans les pression en même temps qu’il affine son
Apprendre à lire, apprendre à écrire, ce
démarches en maternelle ? regard sur les images produites par d’au-
que peut l’école - Voies-Livres, 1999.
Il importe de bien comprendre en quoi tres.
Les cahiers mémoires de vie, Collection
consiste l’activité des enfants. Pour qu’el-
1ère école Sceren/CRDP d’Amiens, 2002.
le prenne sens et soit l’occasion d’ap- Que doit apporter aux enseignants la
Programmes : commentaires et applica-
prentissages, leur production ne doit pas formation à l’éducation à l’image ?
tions, Cycle 3, collection Cas d’école,
être un exercice d’application ou le per- La formation doit leur donner des outils
Nathan, 2004
fectionnement d’une « technique ». Les pour appréhender l’image comme un
56
« L’école doit pouvoir exploiter des images
pour que les élèves prennent le temps
d’apprendre ce qu’elles sont et les comprendre »
Eve Leleu-Galland

Quelles sont les relations entre l’école et duit. Chacun d’entre nous possède sa pro- Dans les programmes il y a deux axes
les images ? pre bibliothèque, qui est une mémoire fondamentaux. Un premier vise l’éduca-
Ce ne sont pas des relations faciles. Pour vive de ce qui n’est plus, les personnes, tion du regard ; il développe la dimen-
l’école la position est plutôt de méfiance, les moments, les événements… C’est sion « apprendre à voir » pour saisir des
voire de critique ou de concurrence — je peut-être aussi à partir de scénarios vi- phénomènes qui sont en jeu dans l’image.
pense en particulier aux images animées suels que s’origine le récit, que se fabri- Apprendre à regarder, discerner, c’est ap-
de la télévision. L’école, l’image, ce sont quent les histoires. prendre à penser, à mettre la distance de
deux univers symboliques différents. L’école doit pouvoir exploiter des images l’intellect sur des phénomènes perceptifs.
D’une part il y a l’espace et le lieu du tra- pour que les élèves prennent le temps Le second incite à développer des usages
vail, où s’élabore et se construit la pensée d’apprendre ce qu’elles sont et les com- culturels des images appréhendées
essentiellement avec le support du texte prendre. Les activités menées à l’école comme des « construits culturels ».
écrit. Et d’autre part, du côté des images, maternelle s’appuient sur des actions : C’est apprendre à connaître. On utilise
il y a cet appel quasi permanent du regard on va manipuler et apprendre à produire, des images sociales choisies, à visées dif-
pour un plaisir immédiat, un divertisse- détourner, modifier… des images et ce férentes — des photographies, des repro-
ment de la pensée. faisant on va apprendre à comprendre ductions d’œuvres, des illustrations d’al-
Un doute existe sur ce que peuvent ap- comment elles se fabriquent. Ces activi- bums, des images publicitaires… les ima-
porter les images, avec l’idée que ce n’est tés vont permettre de développer des ges créées par les élèves eux-mêmes.
pas en les regardant que l’on peut appren- compétences : la saisie des composantes En jouant son rôle pédagogique et éduca-
dre. L’école prend de la distance avec cer- d’une image et des effets produits, l’ap- tif l’école fournit des outils de maîtrise du
taines productions de la société vers les- propriation de techniques, le développe- monde « visuel ». Elle apprend à des
quelles se tournent les intérêts des en- ment de la capacité expressive à des fins élèves actifs à voir au-delà des apparen-
fants. A une époque on s’est méfié de la esthétiques. C’est par ces fabrications que ces, à identifier les effets de réels, à dis-
bande dessinée, bien que ce genre soit se dessine un esprit critique, se fait la tinguer le virtuel, à reconnaître l’imagi-
maintenant en voie de reconnaissance. prise de distance vis-à-vis des codes et naire. C’est une alphabétisation « ico-
On suspecte les jeux vidéos, les écrans des systèmes de représentation. Ces acti- nique » qui est un point d’appui pour les
d’ordinateur de détourner l’enfant de l’é- vités vont les amener à lire, analyser et apprentissages de l’écrit et pour la lecture
tude et du livre. Il y a peut-être là-dessous produire leurs propres images et à prend- des documents utilisés dans tous les do-
une histoire d’emprise, de pouvoir sur les re du recul vis-à-vis des images de l’envi- maines d’apprentissage.
jeunes esprits ? La grande ennemie c’est ronnement.
encore la télévision, même si l’école en Propos recueillis par
fait un usage pédagogique. Dans les programmes de 2002, quelle est Philippe Hermant
la part donnée à l’éducation à l’image ?
Pourquoi est-ce si important d’éduquer La place de l’image dans les instructions
à l’image dès la maternelle ? officielles ce n’est pas nouveau. Dans les
Les enfants vivent dans un environne- programmes de 2002 elle est abordée Inspectrice de l’Education Nationale
ment visuel où le regard est sans cesse dans des aspects plus nets d’éducation au Senlis; Docteur en Sciences de
sollicité. Toutes ces images constituent un « visuel » et de compréhension de ses l’Education
univers d’influences qui n’est pas sans langages spécifiques. On a aussi voulu
effet sur la manière de percevoir, de res- mieux articuler la rencontre entre le texte Intervention :
sentir et de penser. Elles entrent en réso- et l’image, en montrant en quoi le sens se Des images pour dire, agir, apprend-
nance avec des images internes, menta- construit dans le dialogue. L’image est re à l’école maternelle
les, celles que l’imaginaire enfantin pro- porteuse de plus-value.
57
MATERNELLE Entretien

« Le langage pour amener les élèves à réfléchir


sur l’objet d’apprentissage »

Sylvie Chevillard

Constate-t-on une grande inégalité doit permettre aux élèves de produire les et duelles avec une forte dépendan-
entre les élèves de maternelle sur le de la pensée, des savoirs. Sur ce plan, il ce de l’enfant à l’adulte, ne favorisent
plan du langage et quels en sont les y a des flous dans les programmes et il pas l’élaboration conceptuelle, la mise
facteurs déterminants ? faudrait les lever. en mots de la pensée.
Il existe des inégalités à l’arrivée à l’é-
cole maternelle sur le plan du langage, Comment aborde-t-on la question du Quelles propositions faites-vous suite
essentiellement entre d’une part les en- langage aujourd’hui à l’école mater- à ces recherches ?
fants qui ont eu l’école « dans le bibe- nelle ? Nous interrogeons d’abord la forma-
ron », à qui les parents ont beaucoup Il existe des pratiques enseignantes très tion des enseignants. Si on veut amener
parlé en interaction duelle, raconté des variées. Certains pratiquent la leçon de les élèves à utiliser un langage « se-
histoires, et arrivent avec une pratique langage qui consiste essentiellement à condarisé », c’est-à-dire avec une mise
langagière proche de celle de l’école, faire acquérir du vocabulaire, à faire en mots qui reflète une construction de
et ceux majoritairement issus des mi- répéter les mots. Dans ces classes, les la pensée, cela nécessite un haut niveau
lieux populaires, qui ont une pratique enfants arrivent à articuler les mots, de formation des collègues, aussi bien
langagière complètement différente. mais pas à exprimer de quoi ils parlent. en formation initiale que continue.
Les premiers entrant plus facilement en D’autres pratiques pédagogiques met- Cette manière d’aborder le travail en
connivence langagière avec les ensei- tent au cœur le souci de faire réfléchir classe est le fruit de la recherche et de-
gnants, vont rentrer dans des activités les élèves, de leur faire expliquer les si- mande une élaboration collective en
scolaires assez rapidement. Tandis que tuations, les problèmes, et là, à milieu termes de pratiques pédagogiques. Par
les seconds, comme nous le montrent social égal, on s’aperçoit que la mise ailleurs, dans le cadre de la recherche
les travaux de sociologie et la sociolin- en mot les conduit à un cheminement du groupe français d’éducation nouvel-
guistique, ont une pratique langagière de pensée, à une mise en réflexion de le, nous essayons de mettre en place de
beaucoup plus tournée vers l’objet im- ce qu’ils sont en train de dire. Il faut manière systématisée dès la petite sec-
médiat que vers la réflexion. Si cela ne donc réfléchir aux pratiques qui peu- tion, dans les dispositifs pédagogiques
fait pas l’objet d’un questionnement vent être les plus efficaces pour les élè- proposés, des phases de réflexivité par
dans la pratique de classe, si on ne ré- ves les plus éloignés du langage de l’é- la langue et la mise en mots de ce
fléchit pas à la façon de rendre explici- cole. qu’on est en train d’apprendre, com-
te pour tous les enjeux des apprentissa- ment on s’y prend, pour amener les élè-
ges, l’écart va se creuser tout au long Les pratiques langagières scolaires ves à réfléchir sur l’objet d’apprentis-
de la scolarité. sont-elles adaptées à la réussite de sage qui est à l’œuvre dans chaque
tous les élèves ? séance.
Les programmes ont-ils eu raison de Nous avons observé que les pratiques Propos recueillis par
faire du langage une priorité ? langagières scolaires des enseignants Pierre Magnetto
Bien sûr mais à condition de ne pas tournées sur le langage explicite, sur la
faire n’importe quoi. Le langage doit mise en mots de tous les éléments de la Conseillère pédagogique à Orléans
être un objet pour apprendre, mais éga- situation, sur la circulation de la parole Membre de l’équipe ESCOL et
lement un objet à apprendre. Les pro- dans le groupe classe plutôt que dans responsable nationale du Groupe
grammes distinguent le langage de une relation duelle maître-élève, per- français d’éducation nouvelle
communication du langage d’évoca- mettent aux élèves de s’approprier la
tion. On peut voir dans ce dernier le situation. Alors que les pratiques tour- Intervention :
langage à apprendre, mais il ne faut pas nées vers le lexique, le vocabulaire, la L'école maternelle : ambiguïtés
négliger le langage pour apprendre qui répétition, les adresses très individuel- et malentendus.

58
« Individualisation recherchée… discri-
mination renforcée »

Christine Passerieux

Vous abordez la question du travail in- Elle se traduit par un recours au travail individu et son milieu. Si cette
dividuel et collectif, voyez-vous aujour- sur fiches qui prend la place de vérita- confrontation avec les autres n’est pas
d’hui un déséquilibre ? bles enseignements. mise en scène par l’école, une partie
Les observations de classe menées par le Les élèves, dans une relation duelle à des élèves (et l’on sait desquels il s’a-
groupe de recherche ESCOL révèlent en l’adulte, ne construisent pas la spécifi- git) est assignée à demeurer ce qu’elle
effet un fort déséquilibre entre les activi- cité de la socialisation scolaire et se est, là où elle est.
tés individuelles et collectives dans les retrouvent très vite marginalisés dans
classes maternelles. En termes de temps une classe dont ils ne maîtrisent pas les Comment faire alors ?
consacré à l’une ou l’autre forme d’or- codes de fonctionnement. Cela produit A l’école maternelle les élèves appren-
ganisation, mais surtout en termes de un effet de brouillage car les élèves ne nent à exercer leur pensée, l’identifier
conceptions même de l’apprentissage. peuvent identifier ce qui relève de l’in- dans sa singularité, donc nécessaire-
En effet y compris lors des ateliers, et dividuel et du collectif. ment confrontée à celle des autres. Il y
même des regroupements, une concep- Les difficultés leur sont imputées plu- a urgence à rappeler l’indépassable né-
tion individuelle de l’apprentissage do- tôt qu’aux conditions d’apprentissage cessité d’une culture commune au mo-
mine où les élèves sont massivement qui leur sont faites alors que l’on remet ment où le rapport Thélot propose
confrontés à des tâches qu’ils abordent à l’honneur une prétendue égalité des d’institutionnaliser une école à deux
seuls, sans que ne soient provoquées des chances qui renvoie à la responsabilité vitesses, où ceux qui sont les plus fra-
interrelations entre pairs, sans que le individuelle de l’échec. giles devront se satisfaire d’un mini-
groupe petit ou grand ne soit sollicité. Chacun est renvoyé à la solitude de ses mum qui leur serait adapté.
Les élèves sont les uns à côté des autres connaissances, de ses modes de raison- Ce qu’il faut individualiser, différen-
et non les uns avec les autres. Les rela- nement ou d’action, également à ses cier ce ne sont pas les contenus de sa-
tions sont de type duel, maître/élève. impasses dont on voit mal comment il voir proposés mais bien les chemins
peut les dépasser seul. Privé de par lesquels chacun parviendra à se les
Quels sont les effets de cette individua- confrontation avec ses camarades, approprier. D’autant que c’est face à la
lisation ? chaque élève est soumis à la parole de complexité, qui joue comme un défi,
Le premier en est (avec par ailleurs les l’enseignant, dans un rapport d’obéis- que les élèves se mobilisent dans ce
meilleures intentions du monde) un ap- sance qui n’engage pas à l’exercice de besoin constitutif de tout humain de se
pauvrissement des activités destinées la pensée. C’est d’autant plus inquié- dépasser.
aux élèves réputés en difficulté, selon tant que l’on sait les forts risques de
l’opinion erronée qu’il est préférable de dépendance affective et cognitive des Propos recueillis par
simplifier pour les plus fragiles. On élèves en difficulté. Laurence Chartier
s’inscrit dans une logique de compensa- On peut alors aisément comprendre
tion de ce qui est perçu comme un han- que cette individualisation est forte-
dicap (et l’on retrouve l’idéologie du ment discriminante socialement. Elle Conseillère pédagogique à Paris
handicap socio-culturel). favorise ceux qui sont déjà dotés d’un Membre de l’équipe ESCOL et
L’individualisation produit un accompa- bagage culturel reconnu par l’école et responsable nationale du Groupe
gnement au pas à pas des élèves en dif- en connaissent les codes, qui sont en- français d’éducation nouvelle
ficulté, sans possibilité pour eux de se traînés au questionnement sur le
risquer dans les apprentissages, d’es- monde, qui ont une image positive Intervention :
sayer, de chercher. La globalité de la d’eux-mêmes. De plus, elle repose sur L'école maternelle : ambiguïtés
tâche et les attendus de l’activité sont di- un contresens car il n’y a d’apprentis- et malentendus.
lués. sage que dans les interactions entre un
59
MATERNELLE Entretien

« L’école maternelle n’assure pas l’égalité


entre les enfants dans les apprentissages
dans leur manière de se constituer comme
élève »

Elisabeth Bautier

Face aux difficultés d’apprentissage sur des conceptions de l’apprentissage, ges scolaires. Par exemple le préap-
des élèves, notamment ceux des mi- des conceptions de l’enfant, etc. On prentissage de la lecture peut être assu-
lieux populaires, en quoi y a-t-il ambi- aboutit ainsi à des situations qui sont ré dans certains cas par les familles,
guïté à l’école maternelle ? ambiguës parce que certains moments dans d’autres cas pas véritablement.
La question posée c’est celle de savoir relèvent plus d’une logique et d’autres
si l’école maternelle permet à tous les de l’autre, sans que les enseignants Pour les élèves, comment se traduit
enfants d’entrer au CP et de continuer soient toujours bien lucides dans l'ac- concrètement l’ambiguïté sur les en-
leur scolarité dans les mêmes condi- tion pédagogique sur ces différences de jeux de l'école ?
tions. Après tant d'heures d'observa- moment. L’élève qui accomplit une tâche n’en
tions, une des hypothèses que nous for- perçoit pas toujours les enjeux d’ap-
mulons c’est que l’école maternelle Les enseignants n’ont-ils pas vocation prentissage, il peut n'en comprendre
n’assure pas l’égalité entre les enfants à lever cette ambiguïté ? que les enjeux de sa réalisation. Très
dans les apprentissages, d'une part, Ce qui n’est pas simple pour les ensei- souvent, les enseignants ne construi-
dans leur manière de se constituer gnants c’est justement de savoir quelle sent pas clairement les situations et les
comme élève, d'autre part. On peut mission on donne à l’école maternelle. objets comme étant des situations et
identifier au moins deux logiques qui Après un très grand nombre de contacts des objets d’apprentissage permettant
sous-tendent les pratiques en maternel- avec des enseignants de maternelle, je des cumuls et des progressions, mais
le. L’une, historique, prône des valeurs pense que majoritairement, ils sont comme des activités ponctuelles, à
d’épanouissement, le libre développe- nombreux à charge pour les
ment de l’enfant, son expression, et en ne pas choi- élèves d’en ap-
conséquence, les contenus mêmes d'ap- sir entre prendre quelque
prentissages, les progressions, peuvent d’une part, chose. Or, dès la
être minorés : rapidement dit, l'enfant le fait que maternelle, les
est valorisé au détriment de l'élève, l’école ma- élèves interprè-
peut-être même plus particulièrement ternelle est tent les situa-
en ZEP. L’autre logique, préconisée par lieu d'ap- tions qui leur
les textes actuels, est davantage orien- prentissages sont proposées.
tée vers une scolarisation de la mater- cognitifs et Pour certains, il
nelle dans la perspective de l’entrée au langagiers s’agira seule-
CP et plus tardivement au collège. Elle sur lesquels ment de situa-
met l'accent sur les apprentissages. Ces vont se tions de jeu et
deux logiques sont contradictoires. construire tous les autres et d’autre d'interactions avec le maître, quand
Ces logiques ne sont pas les seules à part, l’idée qu’elle puisse être un lieu d'autres, plus familiers de l'école et de
orienter les pratiques ordinaires de de développement spontané et épanoui ses manières d'apprendre, verront dans
classe, il est nécessaire de prendre en de l’enfant. Or, si on veut qu’il y ait une les activités scolaires des occasions
considération les contraintes du métier relative égalité, il faut peut-être penser d’apprendre.
au quotidien, celles de la gestion de la que l’école maternelle a cette tâche Comment les élèves identifient les ob-
classe, du temps, celles qui conduisent considérable qui est de scolariser les jets d'apprentissage, les critères de ré-
à l’adaptation volontaire ou non des enfants, de les faire entrer dans des lo- ussite et de compréhension reste
pratiques au contexte social de l’école giques d’élèves. Pour certains enfants, quelque chose qui fait peu l'objet de
et des élèves, celles qui sont fondées l’école est le seul lieu des apprentissa- préoccupations fortes, qui structure peu
60
les situations. Quand une question est enseignants aident les élèves à inter- prètent les situations comme des situa-
posée, faut-il répondre vite, trouver une préter les enjeux d’apprentissage - ou tions de jeu sans apprentissage, l’iné-
bonne réponse (et comment la trouver ne les aident pas, voire perturbent (in- galité est très présente.
?), les élèves ont des attitudes très dif- volontairement, bien sûr) l’interpréta- Si on veut compter sur la maternelle
férentes, certains pensant qu'il est im- tion – mais également comment ils pour diminuer les inégalités, il faut se
portant de « participer », d'autres étant construisent les objets d'apprentissage saisir de ses vrais enjeux et penser la
davantage dans une lo- et quels sont ces objets. façon dont elle s’inscrit dans la ques-
gique finalisée par l'ap- On constate que dans tion des inégalités scolaires, de leur
prentissage de quelque « Ce qui n’est pas les classes, en petite et fabrication ou de leur résolution.
chose de nouveau. simple pour les en- moyenne section en
Certains enseignants ont seignants c’est juste- particulier, où domine Propos recueillis par
tendance à valoriser la
ment de savoir une conception "épa- Pierre Magnetto
participation des élèves. nouissante" de l’école
Mais faut-il valoriser la quelle mission on maternelle, les ensei-
participation ou le contenu donne à l’école ma- gnants peuvent être peu
de la participation ? la ré- ternelle » préoccupés par les en-
Professeur de Sciences de
alisation des tâches ou les jeux de mise en place
l’Education Université Paris 8
acquis durant cette réalisa- chez les élèves de ce
tion ? qui devra pourtant être très vite mobi-
Intervention :
lisé par eux dès le CP. Le paradoxe
« L’école maternelle : ambiguïtés et
Cela signifie-t-il que les enseignants c’est que dans les ZEP cet aspect des
malentendus au risque des difficultés
sont eux-mêmes dans l’ambiguïté ? choses peut justement se trouver ac-
d’apprentissages des élèves de mi-
C’est autour de ces questions que l’on centué et accroître ainsi les différences
lieux populaires »
travaille. On étudie la façon dont les entre élèves. Quand les élèves inter-

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