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« Les facteurs de dysfonctionnement de la CVR »

Hypothèses de dysfonctionnement

« Si, pour être efficace, toute stratégie de renforcement de l’état de droit doit nécessairement
être axée sur les besoins juridiques et institutionnels, elle doit également prendre dûment en compte
les facteurs politiques »1. Le renforcement et surtout la (re)construction d’un Etat de droit est l’un des
objectifs visés par la justice transitionnelle et notamment par les mécanismes qu’elle utilise. Plus
précisément, les Commissions vérité et réconciliation (CVR) visent à la réconciliation nationale après
un conflit. Ce, par les quatre piliers de la justice transitionnelle tels que dégagés par le rapport Joinet
de 1997 : le droit à la vérité, le droit à la justice, le droit à la réparation et les garanties de non-
répétition. Ces quatre éléments sont liés : comme le précise Elizabeth Salmon, « La vérité […] était le
premier pas vers la justice »2. Aujourd’hui, ils constituent les éléments fondamentaux de
l’accompagnement d’un Etat vers la paix sociale, économique et juridique, et d’une transition
démocratique. Ainsi, « Dans le passé, la paix et la justice étaient présentées comme des objectifs
mutuellement incompatibles[...] ces dernières années, cette tension entre la paix et la justice s’est
progressivement évaporée »3. Alors, la CVR cherche la justice pour faire la paix, la paix pour faire la
justice, rappelant la maxime Fiat justitia, pereat mundus. Ainsi le résumait le Président de la CVR
sudafricaine Demond Tutu : « Tout bien considéré, cette troisième voie (ni celle de l’amnistie, ni celle
des tribunaux) est en accord avec la vision du monde africain – ce que nous appelons ubuntu dans les
langues du groupe nguni – (…) ; le mot ubuntu exprime le fait de se montrer humain. (…) C’est une
façon de dire : « Mon humanité est liée inextricablement à la vôtre » ou « Nous appartenons au
même faisceau de vies ». »4
Alors, comme le souligne Stéphane Lemane-Langlois, « la question la plus immédiatement évidente –
sans doute la plus importante pour les gouvernements qui se proposent de suivre ce modèle dans
l’avenir – est de savoir si ces commissions ont eu ou non du succès » 5. Leur utilisation s’est
effectivement démultipliée au cours des dernières décennies sans pour autant être toujours une
réussite. En effet, si une CVR ne peut prétendre à elle seule vaincre un conflit et rétablir la paix, elle
peut y contribuer. Mais cette contribution trouve parfois ses propres limites. L’exemple du Sri Lanka
est en ce sens frappant, le pays ayant mis en place quatre Commissions différentes entre 1978 et
2011 ; il est évident que ces essais reflètent les échecs qui les précèdent, et démontrent la nécessité de
les comprendre. La délimitation des devoirs et obligations de ces mécanismes, d’une « marche à
suivre » ou d’une recette qui fonctionnerait à chaque fois est rendue difficile.
Expliquer qu’une CVR a « échoué » implique donc de définir « l’échec » en lui-même et, déjà, d’en
esquisser quelques causes possibles. C’est ainsi que Stéphane Lemane-Langlois poursuit : « la notion
de succès, tout comme celles de réconciliation, de réparation et de vérité, est à géométrie variable ».

1
Conseil des Nations Unies, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période
de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, Rapport du Secrétaire Général , S
2004/616, août 2004, p.11.
2
Salmon Elizabeth, « Interview de Salomon Lerner, président de la Commission de la Vérité et de la
Réconciliation du Pérou de 2001 à 2003 », Revue internationale de la Croix-Rouge, n° 862, 2006.
3
Navi Pillay, Haut-commissaire des Nations Unies aux Droits de l’homme en 2009, à l’occasion du colloque
« Le traitement du passé », Berne, 15 octobre 2009.
4
Tutu Demond, Il n’y a pas d’avenir sans pardon, Albin Michel, 2000
5
Leman-Langlois Stéphane, « Le modèle “Vérité et réconciliation”. Victimes, bourreaux et institutionnalisation
du pardon », Informations sociales, 2005/7 (n° 127), p. 112-121. URL : https://www.cairn.info/revue-
informations-sociales-2005-7-page-112.htm
Amy Gutmann et Denis Thompson ont essayé de résumer le bon fonctionnement d’une CVR à la
liaison entre la justice et la vérité. « Neither truth nor justice alone, but a democracy that does its best
to promote both, is the bedrock of any worthy truth commission »6.
Il n’en reste pas moins que de nombreuses questions entrent en jeu pour garantir la vérité et la justice,
et que ces critères contribuent nécessairement à la réussite d’une CVR. Il s’agira donc d’évoquer, dans
ce document, non seulement les variables accompagnant la vie d’une CVR, mais aussi celles
concernant l’évaluation faite de son travail.
S’il est compréhensible que la réussite ou l’échec d’une CVR sont dépendants de nombreux facteurs,
il faut également se souvenir que ces facteurs se démultiplient avec le nombre de CVR mises en place
dans le monde depuis leurs débuts. Dans un premier temps sera donc étudié le moment auquel
intervient l’échec d’une CVR et les facteurs endogènes de cet échec, pour ensuite évoquer les facteurs
exogènes qui l’accompagnent, la soutiennent ou la détruisent tout au long de son travail et, enfin, la
part de subjectivité devant être considérée au regard des acteurs participant à son évaluation.

Tout d’abord, une CVR implique un long processus, qui peut s’arrêter, être interrompu, c’est-
à-dire, en notre sens, « échouer » à de nombreux moments. Cette étude prendra donc en considération
les CVR depuis le projet de leur mise en place, jusqu’au rapport qu’elles produisent et aux
conséquences de celui-ci.
Ainsi, certaines CVR ont pu être seulement envisagées et ne jamais être mises en place. Ce, en ne
recevant pas de loi d’application. Par exemple, cela a longtemps été le cas au Burundi, où des mesures
appelées « immunités provisoires » essayaient de garantir la paix avant d’envisager, à travers des
mécanismes de justice transitionnelle, une véritable justice interne au pays. Il a donc fallu attendre
plusieurs années, quand bien même le Burundi avait discuté, avec les Nations Unies, de
l’établissement d’une CVR en 20067 et qu’il avait promulgué, le 27 décembre 2004, la loi portant
missions, composition, organisation et fonctionnement de la Commission nationale pour la vérité et la
réconciliation. On comprend alors que parfois, une loi de mise en place d’une Commission existe,
mais elle n’est finalement pas mise en œuvre.
Lorsque la CVR est mise en place, cela implique également de nombreuses variables. Ainsi, les
précisions concernant son mandat, la durée de celui-ci, les moyens de soutien et de financement ainsi
que l’élection des commissaires sont autant d’éléments pouvant être différents d’une CVR à l’autre.
Tous méritent d’être questionnés et les choix effectués les concernant aussi, car cette étude considère
qu’ils sont tous susceptibles de conduire à l’échec d’une CVR.
L’élection des commissaires peut ainsi être déléguée à différentes personnes, institutions ou entités. Il
faut se souvenir que les commissaires ont eux-mêmes une grande part d’influence sur, d’une part, le
travail qui sera effectué par la CVR, d’autre part, sur la réception de ce travail. En effet, comme le
résume un rapport de l’International Center for Transitional Justice, “The importance of an
independent, representative, and competent truth and reconciliation commission (TRC) to guarantee
the rights of victims to truth, justice, and reparations should not be underestimated”. En ce sens,
peuvent être choisis des commissaires concernés par le conflit, des nationaux du pays, ou
6
Gutmann Amy, Thompson Denis, “The Moral Foundations of Truth commissions” dans Truth v. Justice: The
Morality of Truth Commissions, Princeton University Press, 2000
7
Vandeginste Stef, Burundi’s Truth and Reconciliation Commission: How to Shed Light on the Past while
Standing in the DarkShadow of Politics, The International Journal of Transitional Justice, Vol. 6, 2012, 355–
365. URL : https://academic.oup.com/ijtj/article-abstract/6/2/355/235707
complètement extérieurs à celui-ci, membres de la communauté internationale reconnus pour leur
impartialité dans diverses affaires. Leur propre subjectivité rentre en effet en jeu. Comme l’indique
Cécile Jouhanneau, les notions traitées par les CVR elles-mêmes sont l’objet d’interprétations :
« Tentons tout d’abord de préciser le sens assigné à la recherche de la « vérité » par les membres
mêmes de la Commission pour Sarajevo ».8 De la même façon, Amy Ross soulignait, concernant
l’Amérique du Sud, que « Des critiques ont quant à eux regretté que la définition du « mal » qui a
été adoptée en vue d’établir les responsabilités se soit bornée à la torture, présentée comme une
« bavure » perpétrée dans des arrière-cours par des agents rebelles mal inspirés, des exceptions à la
règle »9. Dans le même sens, le choix des personnes interrogées, des témoins, bourreaux ou victimes,
ainsi que leur définition par la CVR, sont des éléments importants de l’évaluation de la qualité de
l’enquête menée par une CVR.
Les moyens financiers et logistiques accordés à une CVR sont extrêmement variables, et la
coopération gouvernementale peut largement être questionnée : elle peut être trop faible ou
complètement intrusive.
La publicité du travail de la CVR participe à sa légitimité, mais certains auteurs ont mis en avant
l’idée que la médiatisation peut susciter la critique et donc est susceptible d’influencer la position des
commissaires ou de conduire à l’arrêt des travaux menés. La publicité du rapport final de la CVR
apparaît indubitablement primordiale. Toutefois, ce dernier est aussi l’objet de nombreuses variables :
de quel support la publicité bénéficie-t-elle ? dans quels délais ? dans quelle langue le rapport est-il
écrit, est-il traduit dans les Etats où il y a des ethnies différentes ?

Ceci n’est qu’un bref aperçu des variables concernant le travail effectué par la CVR. En effet,
cette multitude pourrait être plus explicite dans une liste exhaustive :
- Le projet de CVR en tant que concept
- Le projet de CVR comme loi
- Précision de la loi mettant la CVR en place : mandat, durée, …
- Election des commissaires : leur passé, leur gage d’impartialité, …
- Moyens financiers de la CVR
- Moyens logistiques
- Coopération du gouvernement dans les missions de la CVR
- Publicité du travail effectué par la CVR
- Le choix des personnes interrogées
- Le rapport : délai, complétude, clarté, …
- La publication et la publicité donnée au rapport

8
Jouhanneau Cécile, « « Si vous avez un problème que vous ne voulez pas régler, créez une Commission ». Les
commissions d'enquête locales dans la Bosnie-Herzégovine d'après-guerre », Mouvements, vol. 53, no. 1, 2008,
pp. 166-174.
9
Ross Amy, « Les politiques de vérité ou la vérité sur les politiques ? Amérique latine et Afrique du Sud :
leçons d'expériences », Politique africaine, vol. 92, no. 4, 2003, pp. 18-38.
Dans un second temps, il faut se pencher sur l’étude primordiale des variables historiques,
géopolitiques et contextuelles.
D’abord, la réussite ou l’échec d’une CVR dépendent du temps, c’est-à-dire de l’époque à laquelle se
sont déroulés les conflits, celle à laquelle ils sont traités, mais aussi le temps qui les sépare (peut-être
alors qu’il faudrait considérer la place du préjudice transgénérationnel). A ce titre, l’on peut citer
Cécile Jouhanneau : « Au cours de notre enquête sur la Commission pour Sarajevo, il nous est
apparu que si sa genèse ne peut être dissociée du précédent que constitue la Commission pour
Srebrenica, elle ne saurait non plus être comprise hors du contexte du début de l’année 2006, marqué
notamment par un vif débat autour d’un projet de Commission Vérité et Réconciliation (CVR) pour
l’ensemble de la Bosnie-Herzégovine ».10
En concordance avec le temps se trouve l’espace, la zone géographique du pays. Elle pourrait
influencer la capacité (du gouvernement ainsi que de la société) à recevoir certains éléments
occidentaux tels qu’une définition de la « paix sociale », de la « démocratie » ainsi que des éléments
nécessaires à son accession, voire de sa légitimité.
Cela fait appel à la considération du contexte historique et de l’actualité politique interne : s’agit-il du
premier conflit ? quelle a été son intensité (le nombre de morts, la partie de la population qui a été
touchée, le type de crimes en cause, qui en a été la victime ou le bourreau et qui en ressort
« gagnant ») ? Delphine Lecombe souligne ainsi la difficulté à laquelle est confrontée la commission
colombienne, « chargée d'inciter à la réconciliation une société qui est encore en conflit. Ces
caractéristiques contraignent la mise en place de la CNRR qui s'invente au fil de « bricolages » entre
référence au modèle et adaptation au contexte colombien ».11 Stéphane Leman-Langlois précise qu’en
Afrique du Sud, « le Rapport de la Commission nous assure, en conclusion, que les changements
politiques nécessaires à ceci étaient déjà en place avant le début des activités de la CVR ».12 Alors,
l’adaptabilité des réparations recommandées ou accordées par la CVR peut aussi être remise en
question.
Ce dernier élément est étroitement lié à la réception du rapport par le gouvernement en place. En effet,
a posteriori, le gouvernement et le public vont recevoir le rapport. C’est une étape cruciale de la
réussite d’une CVR, car celui-ci contient généralement des recommandations, adressées notamment
au gouvernement et se rapportant au dernier et ultime objectif d’une CVR : les garanties de non-
répétition. S’il faut donc que le rapport soit suffisamment clair et complet, afin qu’il puisse être
véritablement représentatif du conflit passé, et qu’il ne soit pas mal interprété, la façon dont ce rapport
est lu, perçu, interprété, est évidemment primordiale dans la bonne réception de celui-ci, tant par le
gouvernement que par la société. Stephen Ellis insistait quant à la qualité de celui rendu en Afrique du
Sud : « Le rapport final est écrit, ce qui est rare pour un document officiel, dans un style simple et
accessible ».13 Cela influencera la prise en compte des recommandations effectuées par la CVR. En
effet, « L’absence de suivi des recommandations de la CONADEP soulève le problème de
l’impuissance des CVR en l’absence de volonté politique, même lorsqu’elles produisent des effets
d’autonomie ».14
10
Jouhanneau Cécile. « « Si vous avez un problème que vous ne voulez pas régler, créez une Commission » Les
commissions d'enquête locales dans la Bosnie-Herzégovine d'après-guerre », Mouvements, vol. 53, no. 1, 2008,
pp. 166-174.
11
Lecombe Delphine, « Mobilisations autour d'un modèle de sortie de conflit. La Commission Nationale de
Réparation et Réconciliation : une « commission de vérité et réconciliation » (CVR) colombienne ? », Raisons
politiques, vol. 29, no. 1, 2008, pp. 59-75.
12
Leman-Langlois Stéphane, « La mémoire et la paix. La notion de justice post-conflictuelle dans la
Commission vérité et réconciliation en Afrique du Sud », Déviance et Société, vol. vol. 27, no. 1, 2003, pp. 43-
57
13
Ellis Stephe, « Vérité sans réconciliation en Afrique du Sud », Critique internationale, 1999, 5, pp. 125-137.
14
Naftali Patricia, « Le « droit à la vérité » à l’épreuve de ses mobilisations en Amérique latine : entre ressource
et contrainte », Revue interdisciplinaire d'études juridiques, vol. volume 75, no. 2, 2015, pp. 139-165.
Tous ces éléments nécessitent de prendre en compte l’actualité du pays : qu’elle soit politique (qui
accède ensuite au pouvoir, par quel moyen ? quelles sont les institutions déjà en place ?), économique
(à quel point le conflit a-t-il détruit le pays économiquement, et pour quelles raisons ?), sociologique
ou juridique.
Au niveau international, il est primordial de considérer le contexte dans lequel intervient la
CVR : s’agit-il des premières CVR, ou a-t-on déjà quelques « modèles » sur lesquels on désire
s’appuyer, tels que les CVR d’Afrique du Sud et du Canada ? La CVR en cause, mais aussi l’Etat dont
elle fait partie, ont-ils bénéficié d’un soutien de la communauté internationale pour favoriser la sortie
de crise ? S’il y a eu soutien international, de quel type était-il (ONU, Etats, ONG, …) et était-il
conditionné ? Et, de la même façon qu’au niveau interne, il faut se poser la question de la
gouvernance internationale et du droit international, voire des textes ou traités qui auraient été intégrés
à l’ordre juridique du pays considéré.

Quels facteurs contextuels ?


- Le temps
- L’espace
- Au niveau interne :
o S’agit-il du premier conflit ?
o Quelle a été son intensité ? (Nombre de morts, partie de la
population touchée, type de crimes en cause, …)
o Qui accède ensuite au pouvoir, dans quelles conditions ?
o Comment le rapport est-il reçu ?
o La situation politique et économique actuelle du pays, ainsi que la
culture interne : visions de la « paix sociale » selon les régions du
monde.
- Au niveau international :
o Combien de CVR ont déjà vu le jour ?
o La CVR bénéficie-t-elle d’un soutien international ? De quel type ?
Est-il conditionné ?
o Actualité du droit international.

Enfin, il faut prendre en compte les différents acteurs participant à l’accueil fait à la CVR et à
son travail, voire son rapport : la société, le gouvernement, les spécialistes des droits de l’homme ou
de la justice transitionnelle, la communauté internationale… Il faut en effet considérer la subjectivité
de l’évaluation donnée à ce travail. Cette étude devient d’autant plus intéressante quand le travail de la
CVR a été accompli et que l’évaluation se fait avec recul.
Ainsi, il pourra être lu dans la presse qu’une CVR a dysfonctionné quand bien même elle a reçu un
accueil très favorable de la part de la société internationale et que le gouvernement a pris le rapport en
considération. Notamment lorsque cet avis est construit du point de vue les individus. En effet,
concernant l’Afrique du Sud, on peut penser que « Une des failles de la CVR est l’écart entre les
attentes qu’elle a suscitées et les mesures concrètes prises par le gouvernement par la suite ».15
Plusieurs auteurs ne manquent pas de souligner que « Si l’idée de pardon et de réconciliation a
15
Bucaille Lætitia, « Vérité et réconciliation en Afrique du Sud. Une mutation politique et sociale », Politique
étrangère, vol. Été, no. 2, 2007, pp. 313-325.
pénétré la société, les différents groupes qui la composent ne s’accordent pas sur les règles qui les
définissent »16. Pourtant, si les mécanismes de la justice transitionnelle visent à la « guérison des
victimes », c’est parce que cette dernière « atteste que l’ensemble de la société est elle-même guérie ».
17
De la même manière, il pourrait être estimé que le domaine concerné par l’évaluation de la CVR est
primordial : la réparation et les garanties de non-répétition obligent au respect des droits individuels
ou collectifs, d’une amélioration économique, sociologique et démocratique. Cela renvoie bien
évidemment aux piliers de la justice transitionnelle, tels que pensés par Louis Joinet.
Alors, dans le cas où la CVR dysfonctionne au regard de l’un de ces points, cela renvoie à la réponse
donnée par la justice transitionnelle de façon plus générale, à ce qui définit la justice. Ne s’agit-il pas
d’un problème de définition de la paix, de la justice et de leur action conjointe ? Delphine Lecombe
remet cela en cause : « L’enjeu politique de ces revendications tient non seulement à la
reconnaissance de la responsabilité de représentants de l’État dans de graves violations des droits de
l’homme, mais aussi à la remise en cause des lois d’amnistie et des pactes politiques et juridiques qui
ont scellé les transitions à la démocratie. Les lois d’amnistie promues au sortir des dictatures pour
leurs vertus pacificatrices sont aujourd’hui accusées de nourrir l’impunité des violations de droits de
l’homme ».18 Graeme Simpson aussi, estime que « Ces modes de violence dans la transition sont
compliqués par l’échec dramatique des poursuites pénales menées contre des personnalités
importantes de l’apartheid telles que Wouter Basson (ancien chef du programme d’armement
chimique du gouvernement) et Magnus Malan (ancien ministre de la Défense) – qui n’ont pas fait de
demande d’amnistie – ce qui semble indiquer qu’on ne peut se permettre d’être naïfs sur les chances
de réussite de poursuites (et montre aussi peut-être que le droit pénal est souvent un instrument mal
adapté pour rendre la justice) »19.

Un échec, mais pour qui et dans quels domaines ?


- Différents acteurs entrent en jeu :
o Les individus
o La société
o Le gouvernement
o Les spécialistes (de justice transitionnelle, droits de l’homme,
politique, …)
o La communauté internationale.
- Différents domaines sont concernés :
o Les droits individuels et collectifs
o L’économie
o La sociologie
o La démocratie
o La justice transitionnelle elle-même.

16
Bucaille Lætitia, « La Commission. Vérité et Réconciliation, vers une nouvelle Afrique du Sud ? », Revue
internationale et stratégique, vol. 88, no. 4, 2012, pp. 91-98.
17
Hazan Pierre, Juger la guerre, Juger l’histoire, PUF, 2007
18
Lecombe Delphine, « Chapitre 9 / Les gauches latino-américaines à l'épreuve du passé », La Gauche en
Amérique latine, 1998-2012, Presses de Sciences Po, 2012, pp. 299-333
19
Graeme Simpson, « Amnistie et crime en Afrique du Sud après la Commission « Vérité et
réconciliation » », Cahiers d’études africaines, 173-174 | 2004, 99-126
On comprend avec tous ces éléments que tout est interchangeable et la géométrie, infiniment
variable. A tel point que « [John Paul Lederach] m'a dit que j'avais raison quand je disais qu'on ne
pouvait pas continuer à qualifier les gens de « victimes » et « victimaires » (...) Les bourreaux
peuvent devenir des victimes, et les victimes des bourreaux (Entretien avec Patricia Perdomo,
commissaire de la CNRR) ».20
En conclusion, il convient peut-être de se demander si la CVR étudiée poursuit toujours les mêmes
objectifs : les définitions propres de la paix, de la justice, sont aussi changeants que tous les critères
auparavant soulignés. Ainsi, nous laisserons les derniers mots à Hannah Arendt, qui « a lié le pardon
à la promesse, faisant de ces deux réalités la clé de voûte de notre capacité à vivre ensemble (H.
Arendt, La condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, 1961). Pour elle, ce qui nous tient
ensemble, c’est notre capacité à agir en commun »21, car « la commission sera jugée non seulement
pour son travail d’élucidation des faits mais pour son rôle dans la formation de mythes nationaux ».22

20
Lecombe Delphine, « Mobilisations autour d'un modèle de sortie de conflit. La Commission Nationale de
Réparation et Réconciliation : une « commission de vérité et réconciliation » (CVR) colombienne ? », Raisons
politiques, vol. 29, no. 1, 2008, pp. 59-75.
21
Causse Guilhem, « Justice et pardon », Études, vol. mai, no. 5, 2019, pp. 69-80.
22
Ellis Stephen, « Vérité sans réconciliation en Afrique du Sud », Critique internationale, 1999 5 pp. 125-137.

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