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Saint Bernard

LE PROCÈS
EN PARADIS

« La miséricorde et la vérité se sont rencontrées


la justice et la paix se sont embrassées »
(Ps. 84, 11)

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EXTRAITS DU PREMIER SERMON
POUR L'ANNONCIATION DE LA SAINTE VIERGE MARIE
de saint Bernard
Sur ces paroles du psaume 84, verset 10
« Pour que la gloire habitât sur notre terre »

À Marina

« Pour que la gloire habitât sur notre terre, la miséricorde et la vérité se sont
rencontrées, la justice et la paix se sont embrassées ».

L
a gloire d’un père, c’est un fils sage. Etant donné que nul n’est plus sage
que la Sagesse même, il est clair que la gloire de Dieu le Père, c'est
Jésus-Christ, la vertu, la sagesse de Dieu.

Comme il avait été prédit dans les prophéties, en diverses occasions, et de


bien des manières, qu'il serait vu sur la terre et qu'il vivrait au milieu des hommes
(Hébr. I, 1), le Psalmiste nous a appris comment cela se ferait, et comment
s’accompliraient les paroles des prophètes, pour que la gloire habite sur notre terre.
C'est comme s'il nous avait dit en propres termes : pour que la vertu se fît chair et
habitât parmi nous, « la miséricorde et la vérité se sont rencontrées, la justice et la
paix se sont embrassées » (Ps. 84, 11).

Il y a là un grand mystère, mes frères, bien digne d'être approfondi, encore


que l'intelligence nous manque pour le sonder, et que les mots nous fassent défaut
pour rendre ce que nous pouvons en comprendre. J'essaierai pourtant de dire du
mieux qu'il me sera possible ce que je sens. Peut-être donnerai-je par là au sage
l'occasion d'acquérir plus de sagesse.

Il me semble, mes frères bien-aimés, que je vois l'homme au sortir des mains
du Créateur, orné de quatre Vertus, et, si je puis parler le langage du Prophète,
revêtu des vêtements du salut (Is. 61, 10), car le salut n'est pas ailleurs qu'en elles, et
ne peut subsister sans elles, d'autant plus que l'une d'elles sans les autres ne saurait
même être une vertu.

L
'homme avait donc reçu la Miséricorde comme gardienne et comme
suivante, pour marcher devant lui et venir après lui, pour le protéger et le
conserver en tous lieux. Voyez quelle nourrice Dieu a procurée à son
jeune entant, et quelle suivante il a donnée à l'homme à peine sorti de ses mains !

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Cependant, il lui fallait de plus un maître, comme il convient à une créature
noble et raisonnable, afin qu'il ne fût pas seulement gardé comme on garde le
bétail, mais élevé comme un enfant doit l'être. Or, pour cet emploi, nul précepteur
plus capable ne pouvait se trouver que la Vérité même qui devait le conduire un jour
à la connaissance parfaite de la Vérité suprême.

Puis, afin qu'il ne se trouvât point savant pour le mal et qu'il ne commît pas la
faute de ne point faire le bien qu'il savait être bien, il lui fut donné la Justice pour
guide.

La main pleine de bonté du Créateur ajouta à l’homme une quatrième vertu


aux trois autres : la Paix afin de le bercer et de le charmer. Une paix double,
cependant, qui ne laissât subsister ni combats au-dehors, ni craintes au-dedans. Une
paix, dis-je, qui ne permît point à la chair de désirer contre l'esprit, ni à quelque
créature que ce fût de lui inspirer de la crainte.

Voilà pourquoi ce fut l’homme qui donna librement leur nom à tous les
animaux, et le serpent lui-même, n'osant pas l'attaquer ouvertement, il dut recourir
à la ruse. Que manquait-il en effet à celui qui avait la Miséricorde pour gardien, la
Vérité pour maîtresse, la Justice pour guide et la Paix pour berceuse ?

P
ourtant, hélas ! pour son malheur et dans sa folie, ce même homme
descendit de Jérusalem à Jericho, et il tomba au milieu des voleurs, qui
commencèrent par le dépouiller de tout (Luc. 10, 30).

Ne vous semble-t-il point vraiment dépouillé, cet homme qui se plaint d'être
nu au moment le Seigneur vient vers lui ? Il n'aurait jamais pu se revêtir, ni reprendre
les vêtements qui lui avaient été enlevés, si le Christ n'avait pas été dépouillé des
siens. Car, de même que son âme n'aurait pu recouvrer la vie sans la mort corporelle
du Christ, ainsi ne pouvait-elle reprendre ses vêtements si le Christ n’avait pas été
dépouillé des siens.

Peut-être même est-ce à cause des quatre parties dont se composait le


vêtement qu’avait perdu le premier, le vieil homme, que ceux du second, de
l'homme nouveau, ont été divisés en quatre parts.

Vous voulez sans doute savoir ce que représente sa tunique sans couture, qui
fut tirée au sort ? Selon moi, cette tunique est l'image divine qui n'a point été
cousue à la nature humaine, mais qui fut placée et comme imprimée en elle, et
qu'on ne peut ni partager ni déchirer.

En effet, l'homme a été créé à l'image et ressemblance de Dieu. A son image,


dis-je, par le libre arbitre, et à sa ressemblance par les autres vertus. Quant à la
ressemblance, elle disparut tout à fait, mais l'image dure autant que l'homme, En
effet, elle peut être brûlée même dans l'enfer, mais non point consumée ; elle peut
rougir au feu, mais jamais s'effacer.

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Voilà donc la tunique qui n'a point été déchirée, et qui fut tirée au sort. En
quelque lieu que l'âme se trouve, elle se trouvera avec elle. Quant à la
ressemblance, il n'en est pas de même : elle se conserve dans l'homme de bien,
mais s'il pèche elle s'altère misérablement, pour ne plus laisser à l'homme que la
ressemblance des animaux sans raison.

J
'ai dit que l'homme s'est vu dépouillé de ses quatre vertus. Il me reste à
vous montrer à présent comment chacune d'elles lui fut enlevée.

Il perdit la justice à l'instant même où Ève obéit à la voix du serpent, et


Adam à la voix d'Ève, plutôt qu'à celle de Dieu. Il leur restait pourtant un moyen
qu'ils pouvaient prendre, et que le Seigneur leur suggérait, en répondant
droitement à l'interrogatoire auquel il les soumit ; mais ils le laissèrent échapper, en
se laissant aller à des paroles de malice, et en cherchant des excuses à leur péché.
La justice, en effet, consiste en deux choses : d’abord, à ne point pécher, et, ensuite,
à détruire le péché par la pénitence.

Pour la miséricorde, Ève la perdit au moment où elle céda à la concupiscence


avec tant d'ardeur que, s'oubliant elle-même, oubliant son mari et les enfants qui
devaient naître d'elle un jour, elle les voua tous avec elle à une terrible malédiction
et à la mort. Adam, quant à lui, la perdit lorsqu’il abandonna à la colère de Dieu la
femme pour laquelle il avait péché, comme s'il avait voulu s'abriter derrière elle,
contre sa flèche vengeresse. « La femme vit donc que le fruit de l'arbre était beau à
l'oeil et doux au goût » (Gen. 3, 6), et le serpent lui avait dit qu'ils seraient comme
des Dieux. Il y avait là pour elle un triple piège difficile à éviter, le piège de la
curiosité, du plaisir et de la vanité. Pour le monde, tout est là, concupiscence de la
chair et des yeux, orgueil de la vie. Attirée, emportée par cette triple concupiscence
(Jac. I, 44), notre cruelle mère dépouilla tout sentiment de miséricorde. De même,
Adam, qui avait eu la miséricordieuse faiblesse de pécher pour sa femme, n'eut pas
la bonne miséricorde de prendre sa faute sur lui.

Quant à la vérité, Ève s'en trouva dépouillée dès l'instant où, changeant
coupablement les paroles qu'elle avait entendues : « Tu mourras de mort », elle dit :
« De peur que peut-être nous ne mourrions », et lorsqu'elle ajouta foi aux discours
du serpent qui niait hardiment qu'il dût en être ainsi, et qui disait : « Non, non, vous
ne mourrez point » (Gen. 3, 4). Adam se vit également dépouillé de la vérité lorsqu’il
rougit de la confesser, et mit en avant les feuilles dont il se couvrait, pardon, dont il
couvrait ses excuses. En effet, c'est elle, cette Vérité qui a dit : « Je rougirai devant
mon Père de quiconque aura rougi de moi devant les hommes » (Luc. 9, 26).

Enfin, ils perdirent la paix, parce qu'il n'y a point de paix pour les impies, dit le
Seigneur. En effet, n'ont-ils point trouvé dans leurs membres une loi contraire,
quand ils commencèrent à rougir de leur nudité ? « J'ai craint, dit Adam, parce que
je me voyais nu » (Gen. 3, 10). Ah ! malheureux Adam, tu ne craignais pas ainsi

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auparavant, tu ne cherchais point des feuilles pour te couvrir, quoique tu fusses nu
comme tu l'es maintenant.

A
partir de ce moment-là, je crois, pour en revenir à la parabole du
Prophète, qui nous montre les vertus allant au-devant les unes des
autres, et se mettant enfin d'accord dans un baiser de paix, après cela,
dis-je, il me semble qu'il s'éleva une sorte de lutte terrible entre les vertus.

La Vérité et la Justice accablaient le malheureux Adam, mais la Paix et la


Miséricorde, moins ardentes que les deux autres, étaient d'avis qu'il fallait
l’épargner. Ces deux vertus, en effet, sont soeurs de lait comme le sont aussi les
deux premières entre-elles.

De là vient que les unes persévérèrent dans des pensées de vengeance, en


frappant chacune de son côté le prévaricateur Adam qu'elles menaçaient des
supplices de l'autre vie, en même temps qu'elles l'accablaient de maux présents,
tandis que les deux autres remontèrent dans le coeur du Père et revinrent vers le
Seigneur qui les avait données à l'homme. Aussi n'y avait-il que lui qui eût des
pensées de paix quand tout paraissait plein d'affliction.

En effet, la Paix ne se tenait point en repos, et la Miséricorde ne restait pas


silencieuse. S’adressant l'une et l'autre à Dieu, elles s'efforçaient d'émouvoir ses
entrailles paternelles par leurs douces paroles. Elles lui dirent :
- Dieu nous repoussera-t-il donc toujours, et ne voudra-t-il plus jamais se
montrer un peu plus favorable ? Oubliera-t-il sa bonté compatissante, et sa colère
arrêtera-t-elle l’ampleur de ses miséricordes (Ps. 77, 7 et 9) ?

Bien que le Père des miséricordes parut longtemps ne pas seulement


s'apercevoir de leurs discours, pour n'écouter d'abord que le zèle de la justice et de
la vérité, les prières des deux autres ne furent cependant pas vaines, et elles finirent
par être exaucées en leur temps.

I
l est permis de supposer qu'à leurs instances il fut répondu en ces termes ou
en des termes semblables :

- Jusques à quand me prierez-vous ? Je dois écouter aussi vos deux soeurs,


la Justice et la Vérité, que vous voyez à l'œuvre de la vengeance parmi les hommes ;
qu’on les appelle, qu'on les fasse venir, et tenons conseil ensemble sur le sujet qui
nous occupe.

Aussitôt les messagers célestes partirent au plus vite, mais en voyant la misère
des hommes et les maux cruels dont ils souffraient, « ces anges de la paix se mirent
à verser des larmes amères » (Is. 33, 7), s'il faut en croire, le Prophète. Au

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demeurant, qui donc rechercherait avec plus de zèle et demanderait plus
ardemment ce qui a rapport à la paix, que les anges de la paix eux-mêmes ?

J’imagine donc que, après s'être concertée avec sa soeur, la Vérité vint au jour
fixé. Elle s'éleva jusqu'aux nues, non pas dans tout son éclat, mais un peu voilée, et
cachée sous le zèle de l'indignation. Alors il arriva, selon le Prophète, « que votre
miséricorde, ô mon Dieu, se trouva dans les cieux, tandis que votre vérité s'élevait
jusques aux nues » (Ps. 35, 6). Entre elles était assis le Père des lumières, et chacune
d'elles fit valoir les arguments les plus favorables à sa cause. Ah ! qui donc eut le
bonheur d'assister à cet entretien, qui puisse nous en dévoiler le secret ? Qui l'a
entendu pour nous le raconter ? Peut-être, cependant, ont-elles dit des choses
inénarrables qu'il n'est pas donné à l'homme de répéter. Toutefois, il me semble que
le débat tout entier peut se résumer ainsi :
- La créature raisonnable a besoin qu'on ait pitié d'elle, disait la Miséricorde,
parce qu'elle est devenue malheureuse et excessivement digne de pitié. Le temps
est venu d'avoir compassion d’elle. Il s'est même écoulé déjà bien des jours
depuis qu'il aurait dû en être ainsi.

De son côté, la Vérité répondait :

- Il faut que tout ce que vous avez dit, Seigneur, s'accomplisse. Il faut que tout
Adam meure avec tous ceux qui étaient en lui. Il ne peut en être autrement depuis
le jour où il a mangé du fruit défendu, dans sa prévarication.

- En ce cas, reprenait la Miséricorde, pourquoi, ô mon Père, pourquoi m'avez-


vous donné le jour, si je devais vivre si peu de temps ? Votre vérité sait bien elle-
même que votre miséricorde a péri, et que c'en est fait d'elle à jamais si vous ne
cédez enfin à la pitié.

Et la Vérité, à son tour, disait de même :

- Mais si l'homme, devenu pécheur, échappe à la sentence de mort portée


contre lui, votre vérité, Seigneur, existera-t-elle encore, n’aura-t-elle pas cessé à
jamais ?

V
oici cependant qu’un chérubin arriva, qui suggéra l’idée de les
renvoyer l'une et l'autre au roi Salomon, puisque, dit-il, tout jugement
est déféré au Fils (Jn. 5, 22).

La miséricorde et la justice se rendirent en conséquence devant lui, et là


chacune répéta les arguments que je vous ai dits.

- J’avoue, dit la Vérité, que ce que dit la Miséricorde part d'un bon sentiment,
mais plût au ciel que son zèle fût réglé sur la science : pourquoi donc est-elle plus
portée à prendre la défense de l'homme pécheur que de s’entendre avec moi qui
suis sa soeur ?

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- Mais vous, ma soeur, reprit la Miséricorde, vous n'épargnez pas plus le
pécheur que moi-même dans votre indignation contre le pécheur. Quel mal vous
ai-je donc fait ? Si vous avez quelque chose à me reprocher, dites-le moi. Sinon,
pourquoi me persécutez-vous ?

La querelle fut bien grande, mes frères, et la dispute singulièrement


compliquée. Ne serait-on pas en droit de s’écrier, à un tel spectacle : « Il aurait
mieux valu que l’homme ne naisse pas » ? Oui, mes bien-aimés frères, oui, les
choses en étaient là, de sorte qu’il paraissait devenu impossible de réconcilier la
Miséricorde et la Justice au sujet de l’homme.

Lorsque la Vérité ajouta, en s'adressant au Juge lui-même, que l'injustice qui


lui serait faite à elle-même retomberait sur lui, et continua en disant que c'était à lui
à faire en sorte que la parole de son Père ne fût pas une parole vaine et que cette
parole efficace et vivante (Hébr. 4, 12) ne fût point éludée à toute occasion, la Paix
intervint. Elle s’écria :

- Assez, je vous en prie, assez de pareils discours ! De telles discussions ne


sont pas faites pour nous. Il ne convient pas aux vertus de disputer entre elles.

L
e juge, quant à lui, s'étant baissé, écrivit de son doigt sur la terre. La Paix,
qui était la plus proche de lui, lut alors à haute voix ce qu'il avait écrit,
tandis que l’une des Vertus se disait : « - C’en est fait de moi, si Adam ne
meurt pas », et que l'autre pensait : « - Je suis perdue, s'il ne lui fait miséricorde ».
- Que la mort devienne bonne, et chacune aura gagné son procès.
A ces mots, chacun fut dans l'étonnement, frappé tant par cette parole de
sagesse que la forme du compromis et du jugement rendu. Il était clair, en effet,
qu’aucune des Vertus n'avait plus motif de se plaindre, puisque ce que chacune
réclamait devenait possible, dès lors qu’il devait y avoir à la fois mort et miséricorde.
- Cependant - dirent-elles - comment cela sera-t-il ? La mort est très cruelle et
excessivement amère, la mort est terrible, on ne peut en entendre prononcer le nom
sans trembler. Comment donc peut-elle devenir bonne ?
Le juge répondit :
- la mort des pécheurs, en effet, est très mauvaise, mais celle des saints est
précieuse. Peut-il en être autrement lorsqu’elle devient la porte de la vie, la porte de
la gloire ?
- Oui, répondirent-elles, cette mort est précieuse, mais comment en sera-t-il
ainsi ?
- Il en sera ainsi, reprit le juge, s'il se trouve quelqu'un qui, ne devant rien à la
mort, veuille bien souffrir la mort par amour pour l'homme, car la mort ne saurait
retenir un innocent, et comme on dit, la mâchoire de Leviathan sera percée (Job. 40,
19), la muraille sera fendue par le milieu, le grand fossé qui sépare la vie de la mort

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sera comblé. Car l'amour est aussi fort, il est même plus fort que la mort ; si ce fort
entre, armé, dans la maison de la mort, il la garrottera, il s'emparera de tous ses
biens, et, en passant, il ouvrira un passage au fond même de la mer, pour que ceux
qu'il aura délivrés puissent passer aussi.

C
e discours parut bon, il était juste et digne d'être bien accueilli (I Tim.
2, 15). Cependant où trouver un tel innocent qui veuille bien mourir,
non pas pour acquitter une dette, mais par bon vouloir, non pour
l'avoir mérité, mais pour l'avoir bien voulu ?
La Vérité jeta un regard sur l'univers entier et personne ne s'offrit à ses yeux
qui fût exempt de toute souillure, personne, dis-je, pas même l'enfant qui ne
compte encore qu'un jour de vie sur la terre.
La Miséricorde, de son côté, chercha dans le ciel, et si elle ne trouva point de
coupable parmi les anges, elle ne trouva pas non plus parmi eux quelqu’un qui ait
cet excès d'amour.
La victoire, en effet, était réservée à un autre qu'à l'un d’eux. A un autre, dont
personne parmi les anges ne pût surpasser la charité, laquelle devait le conduire
jusqu'à sacrifier sa vie pour des serviteurs non seulement inutiles mais indignes. Car
si, de son côté, il ne nous donne pas le nom de serviteurs, c’est uniquement à cause
de l'excès même de son amour, à cause de l'excellence de sa bonté. Pourtant,
même si nous faisions tout ce qui nous est commandé, quel nom devrions-nous
nous donner à nous-mêmes, si ce n'est celui de serviteurs inutiles (Luc 17, 12) ? Mais
qui donc osera le questionner sur ce point ?
La Vérité et la Miséricorde revinrent en tout cas au jour fixé, d'autant plus
inquiètes l'une et l'autre, qu'elles n’avaient pas trouvé ce qu'elles cherchaient.

C
'est alors que la Paix, les prenant chacune en particulier, les consola en
ces termes :
- Ne le savez-vous donc pas, et cela ne vous a-t-il pas effleuré l’esprit ?
Il n'y a absolument personne pour faire cette bonne action. Non, il n'y a personne,
sauf un : celui qui a indiqué le remède, le donne.
Le Roi sut ce qui se disait, et il s'écria alors :
- Je suis fâché d'avoir fait l'homme (Gen. 6, 7). Oui, dit-il, j'en suis peiné. Il faut
que j'en souffre, et que je fasse pénitence pour l'homme que j'ai créé.
C'est alors qu'il dit :
- Me voici, je viens, car ce calice ne peut s'éloigner, il faut que je le boive.
Appelant alors l'archange Gabriel, il lui dit :
- Va, et dis à la fille de Sion : « Voici ton roi qui vient ». L'ange s’envola et dit :
« Sion, prépare ta chambre nuptiale, et reçois ton Roi » (Zach. 9, 9).

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La Miséricorde et la Vérité prévinrent l'arrivée de leur Roi, selon ce qui est
écrit : « La Miséricorde et la Vérité marcheront devant vous » (Ps. 84, 11). Quant à la
justice, elle lui prépara son trône, ainsi qu’il est dit : « La justice et le jugement sont
la préparation de son trône ». Pour ce qui est de la Paix, elle vient avec le Roi lui-
même, pour vérifier ces paroles d'un Prophète : « Il sera notre paix sur la terre,
quand il sera venu ».
A peine le Seigneur fut-il né que les chœurs des anges firent entendre ces
chants : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté » (Luc, 3, 14).

E
nfin la Justice et la Paix s’étaient embrassées, alors que jusque-là elles
étaient apparues très divisées entre elles. En effet, la première, en
présence d’une justice devant être rendue selon la loi, avait un poignard
en main plutôt qu’un baiser sur les lèvres, et elle inspirait bien moins d'amour que
de crainte.
Cependant, elle ne se réconcilia pas alors encore avec la Paix comme le fait
aujourd'hui la paix qui naît de la justice. Sinon, comment se serait-il fait que, ni
Abraham, ni Moïse, ni aucun juste de ces temps-là, n'aient pu obtenir, à leur mort, la
paix de la bienheureuse éternité, ni entrer dans le royaume de la paix ?
Manifestement, la Justice et la Paix ne s'étaient pas encore embrassées.
Mais à présent, mes frères bien aimés, nous devons rechercher la Justice, avec
d'autant plus de zèle et d'ardeur, que la Paix et la Justice, se sont embrassées, et
ont fait une éternelle alliance.
Désormais, quiconque se présente avec le témoignage de la Justice, ne peut
manquer d'être accueilli par la Paix, avec un visage serein, et les bras tout grands
ouverts, où il peut se reposer et dormir.

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