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LE THÈME
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était-il fasciste ?
par José Javier Esparza
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expriment à la fois l’existence de ces choses et la pensée ou une menace pour leurs libertés. Le policier peut être
que nous en avons. Ainsi ont-ils une valeur et une fasciste, les parents et les enseignants aussi. On parle de
fonction sociale de signes. Ici, cependant, le mot fascisme islamiste et de fascisme libéral. « La langue »
fascisme a cette étrange vertu de désigner ce elle-même, disait Barthes « est fasciste ».
qu’ordinairement l’on ne connaît pas, pour exprimer une Le substrat communiste de la notion n’a cependant pas
idée que l’on ne saurait davantage définir. Il est vrai que disparu. Il reste présent dans la réthorique et la mentalité
ce n’est pas le seul mot à la posséder ; il suffit d’évoquer de la gauche, fortement en Espagne, mais aussi partout
celui de démocratie pour s’en convaincre. À croire qu’il ailleurs dans le monde. Même la droite, qui a largement
est souvent plus important, spécialement en démocratie glissé dans le champ de la gauche morale, ne dédaigne
précisément, où l’on aime à se payer de mots, de parler pas de faire usage du terme s’il s’agit de nuire à plus à
que de savoir de quoi l’on parle. droite qu’elle – car le pli est bien pris : il est acquis par
Le mot fascisme, tout de même, est particulier, et tous que le mot fascisme ne peut pas désigner la gauche.
singulièrement, si l’on peut dire. La contamination est durable et profonde.
Son usage, et le mot lui-même, sont en effet L’application du mot fasciste à un adversaire garde
commandés non par la pensée de ceux qui y recourent, aussi sa fonction politique instrumentale originelle : le
mais par une pensée étrangère, laquelle a introduit dans décrédibiliser moralement, provoquer une adhésion
leur vocabulaire et leur esprit des référentiels préformés spontanée contre lui, pour le présenter a priori comme un
dont ils ignorent la signification et les fins. La raison en agent du Mal, un ennemi de la démocratie, de la liberté,
est que ce mot a une finalité et une connotation du camp du Bien. Au fond, tous les « mots policiers »
résolument idéologiques. Le mot fascisme n’est pas apparus depuis lors – raciste, homophobe, islamophobe,
utilisé pour conduire à la connaissance de quelque chose, plus récemment - ne sont que des mutations génético-
mais pour mobiliser contre quelque chose. sémantiques du mot fascisme, ou des transmutations
Ainsi ce mot a-t-il pris son envol en dehors du champ idéologiques d’un concept qui a prouvé son efficacité
de sa signification, en sorte qu’il désigne finalement meurtrière.
rarement le régime politique mis en place par Mussolini. Même si l’évolution des circonstances historiques a fait
L’usage idéologique du terme a besoin de cette parfois changer cet instrument de mains, ou a multiplié
émancipation historique, parce que pour rendre possibles celles qui l’utilisent, il s’agit toujours de protéger un
les fantasmes sur le fascisme, présenté comme un pouvoir, une vision du monde, un impérialisme
monstre d’extrême-droite, il faut faire oublier sa idéologique, qui peuvent être aujourd’hui ceux de
généalogie réelle, profondément ancrée à gauche, et lobbies « genristes », homosexualistes, écologistes,
tout ce que le Duce dut au socialisme révolutionnaire islamo-gauchistes ou animalistes, contre ceux qui sont
dans lequel il a baigné, ainsi que l’a montré Pierre Milza susceptibles de freiner leurs conquêtes, et qu’il faut
dans son ouvrage Mussolini (éd. Fayard). Les fascistes neutraliser et décrédibiliser en les salissant publiquement.
Doriot et Déat, en France, étaient également socialistes. La Guerre d’Espagne a beaucoup servi l’usage
Cet usage idéologique du terme fascisme, détourné de idéologique du terme fasciste au service du communisme
son sens historique, est né dans les officines de international, en mobilisant, notamment, un nombre
désinformation communistes, pour désigner, avec une considérable d’intellectuels français. Franco ayant été le
note insultante, tous les courants qui s’opposaient à seul en Europe, non seulement à freiner mais à écraser le
l’expansion du communisme, en profitant de l’infamie communisme, tandis que celui-ci pouvait établir son
attachée à ce terme pendant et après la seconde guerre univers concentrationnaire dans tant de pays, il ne
mondiale. Qui ne pouvait redouter d’être étiqueté pouvait pas ne pas devenir, pour ses ennemis, le Fasciste
« fasciste » après les horreurs et les folies de ce grand par antonomase. Tel il fut présenté pendant cette terrible
massacre ? Le mot fascisme a ainsi constitué un outil de guerre ; tel il demeure en notre temps dans les discours
propagande idéal, parfaitement maîtrisé, qui s’est de la gauche espagnole, comme d’ailleurs dans ceux de
durablement installé dans les psychologies et les la droite moralement acquise à son idéologie.
mémoires, alors même que le communisme, comme José Javier Esparza, historien, journaliste, romancier,
système politique, a pratiquement cessé d’exister. que nous traduisons ici, vient clarifier en cet article cette
Depuis lors, comme tant d’autres, cette notion est question : Franco était-il fasciste ?
devenue folle. Beaucoup réputent « fasciste », désormais, Patrick de Pontonx
tout ce qui représente un pouvoir d’ordre, une violence,
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F ranco ne fut jamais fasciste. Ni lui, ni son régime, pas même aux moments où
les formes extérieures de ce dernier ressemblaient le plus au fascisme. Le
fascisme, au-delà de la rhétorique et de cette tendance abusive - d'origine
communiste - à qualifier de « fasciste » tout régime autoritaire de droite, est une
qualification qui correspond à des réalités idéologiques et politiques très concrètes,
dont pratiquement aucune ne se retrouve dans le régime franquiste ou dans la
personne de Franco.
Que signifie « fascisme » ? Stanley Payne, dans son Histoire du fascisme (Planeta,
Barcelone, 1995, p.15), utilise des matériaux d'Ernst Nolte, de Giovanni Gentile et de
Juan José Linz et propose une table très complète de ses traits fondamentaux. Il suffit
de les parcourir pour constater à quel point le franquisme ne fut pas un fascisme.
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pouvoir : le Caudillo l'était « par la grâce de Dieu ». hautement réglementée, entre différentes classes, et très
Qu'en était-il d'un point de vue économique ? Le intégrée. C'est le modèle du corporatisme national en
franquisme fut-il fasciste dans ce domaine ? Juste un peu Italie et du national-socialisme en Allemagne. Le modèle
et seulement au début ; puis, à partir des années 1950, théorique du national-syndicalisme, qui constitue la
plus du tout. Le fascisme se caractérise par la création contribution de la Phalange au régime franquiste, devait
d'une nouvelle structure économique nationale suivre des schémas similaires ; ils font l'objet du Fuero du
travail, qui faisait des syndicats verticaux le pilier
économique de l’État.
Mais c'est un fait que le national-syndicalisme n'a
fonctionné que pendant un certain temps et, de surcroît,
de manière incomplète. En 1941, le phalangiste Gerardo
Salvador Merino fut congédié de la direction de
l'organisation syndicale et son exil aux Baléares mit un
point final à l'expérience.
À partir de ce moment-là, le syndicalisme vertical se
transforme en un instrument de pacification des relations
de travail au profit des entreprises et, en fait, certes, sous
le contrôle de l’État. Il est néanmoins vrai que le Fuero
garantira des droits importants aux travailleurs, bien plus
qu'ils n'en avaient jamais eu auparavant en Espagne,
même s’ils seront loin de faire de la base populaire du
régime ce qu'en rêvaient les théoriciens du national-
syndicalisme.
De sorte que, économiquement parlant, le régime
franquiste n'était pas non plus du fascisme. Les mesures
de libéralisation introduites à partir des années 1950
achevèrent de l'éloigner de ce modèle au profit d'une
approche strictement pragmatique.
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plutôt celle d’un capitalisme d’État qui a néanmoins été les Phalanges ont maintenu des milices, mais sous le
de plus en plus libéralisé à partir des années 50. commandement de militaires, tels que Muñoz Grandes.
Mais alors, qu'en est-il des chemises bleues, des Par ailleurs, ces milices, qui disparurent bientôt,
hymnes et du parti unique (1) ? N'est-ce pas le style n'eurent jamais une fonction semblable, même de loin, à
fasciste ? Oui, et le fascisme, en plus d'une idéologie ou celles qui furent attribuées aux SA ou aux SS sous le
d'une doctrine, est précisément un style, comme l'a national-socialisme. Et en ce qui concerne la liturgie
longuement expliqué Armin Mohler (2). Or, toute cette d'Etat, ce n'était pas une liturgie de parti mais,
liturgie, dans les fascismes proprement dits, est fréquemment, une liturgie ecclésiastique, surtout au cours
inséparable d'une tentative de mobilisation des masses, des années dites du « national-catholicisme ».
avec la militarisation des relations politiques qui
l’accompagne, dans le but de créer une milice de parti.
(1) Cette notion de « parti unique », dans le franquisme,
Le franquisme, en revanche, a rarement essayé de
doit être nuancée. Cf. ci-dessous : Le Caudillo. NdT.
chercher à mobiliser qui que ce soit, c'est même plutôt
(2) Armin Mohler (1920-2003), écrivain suisse. Auteur
l'inverse. C'est en vain que nous chercherions dans le notamment de La Révolution conservatrice, 1918-1932
franquisme cet air de mobilisation permanente sous (éd. Pardès 1993), il fut notamment le secrétaire d’Ernst
forme de grandes concentrations uniformes, à l'italienne Jünger. NdT.
ou à l'allemande. Pas même dans les liturgies massives (3) Coros y danzas de España fut un mouvement national
« chœurs et danses » [Coros y danzas] (3). fondé en 1939, à la fin de la guerre donc, à l’intérieur de
la section féminine de la FET et des Jons [Juntes
Quant aux relations politiques, en dehors de la
d’Offensive National-Syndicaliste, mouvement qualifié
rhétorique phalangiste (limitée à la structure du
de “fascisme à l’espagnole”, exista entre 1931 et 1934].
Mouvement national), elles n'ont jamais été militarisées ; Son objet était de recueillir et sauvegarder les éléments
elles ont plutôt suivi un modèle hiérarchique de type du folklore espagnol (chants et danses), puis de les faire
ancien régime, loin du ton direct de "camaraderie connaître à l’étranger. Il donna ainsi des spectacles en
verticale" qui caractérise les formes militaires. Quant aux Allemagne pendant la guerre. Ce mouvement disparut
milices du parti, il n'y eut rien de tel : à la fin de la guerre, en 1977. NdT.
LE CAUDILLO
I
l y a un aspect académique du fascisme où la parenté
avec le franquisme est plus claire : la tendance
spécifique vers un type de commandement autoritaire,
contrôle efficace du pouvoirFernando
dictateur.
qui sertSánchez
de contrepoids
Dragó au
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canaliser toutes les manifestations de la vie sociale, alors Parti Populaire » [parti de droite - NdT], fut avec certitude
qu'il a toujours existé, dans l'Espagne franquiste, une une fonctionnaire de l'Organisation Syndicale franquiste.
pluralité (certainement contrôlée) de "voies" différentes, Mais si nous parlons sérieusement, en donnant à
des associations catholiques à l'Armée et au Mouvement, chaque chose le concept qui lui correspond, la réalité est
en passant par la bureaucratie de l'État ou par les ce qu'elle est. Franco ne fut jamais fasciste. Et son régime
corporations économiques, sans parler du pouvoir de fait - dictatorial, autoritaire, certes - n'était pas un régime
de l'Église. fasciste. Il fut autre chose. C'est de ses rangs et de ses
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