Vous êtes sur la page 1sur 205

Couverture : Shutterstock / Shkvarko

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Charlotte Faraday

© 2014 by Isabelle Ronin.


© Hachette Livre, 2017, pour la traduction française.
Hachette Livre, 58 rue Jean Bleuzen, 92170 Vanves.
CHAPITRE 1

- CALEB -

Des faisceaux rouges et verts balayaient la piste de danse. Comme chaque vendredi, la boîte était pleine
à craquer. Les gens dansaient, bondissaient. On aurait dit des pingouins, agglutinés sur la banquise pour
se tenir chaud. Des pingouins sous crack.
Cameron m’a donné un coup de coude.
— Ça va, mec ? C’est la quatrième fille que tu laisses filer ce soir.
J’ai haussé les épaules. Depuis quelque temps, le sexe et la drague m’ennuyaient. Je cherchais autre
chose. Un défi. Le frisson de la poursuite.
J’ai bu une gorgée de bière.
— Si tu mangeais la même chose tous les jours, tu finirais par en avoir marre.
Justin a éclaté de rire. Il a montré du doigt une fille sur la piste.
— Regarde cette bombe !
Elle dansait – non, ondulait – avec sensualité. Chacun de ses mouvements était sexuel. Elle portait une
robe courte et moulante, qui enveloppait son corps comme une seconde peau.
Une robe rouge.
Elle s’est penchée en avant en balançant les hanches. Ses longs cheveux noirs fouettaient sa taille de
guêpe. Des chaussures à talons mettaient en valeur ses longues jambes…
— Elle est pour moi ! a hurlé Justin.
Ce mec était incorrigible – d’autant plus qu’il avait déjà une copine. Cameron a secoué la tête, aussi
agacé que moi. Une jolie rousse l’a invité à danser. Il a murmuré quelque chose à son oreille. Elle a
souri, et ils sont partis.
Justin était hypnotisé par la fille en rouge. On aurait dit un requin sur le point de dévorer un poisson
rouge. Un corps s’est collé au mien, me tirant de mes pensées.
— Salut, capitaine.
Claire Bentley empestait le parfum. J’appréciais le maquillage chez les filles, mais pas quand leurs
yeux ressemblaient à ceux d’un raton laveur. Je lui ai souri. Elle s’est agrippée à mon bras.
Je n’aurais jamais dû coucher avec elle.
— Salut, Claire. Qu’est-ce que tu racontes ?
— Oh ! Rien de nouveau.
Elle a battu des cils et plaqué sa poitrine contre mon torse. J’ai reluqué son décolleté. Ses gros seins
me fixaient, l’unique raison pour laquelle je l’avais rejointe dans son lit quelques soirs plus tôt. La
bretelle de sa robe a glissé sur son épaule. C’était sexy. J’aurais peut-être été intéressé s’il s’était agi
d’une autre fille.
Elle s’est léché les lèvres du bout de la langue.
— Tu m’offres un verre ?
Je me suis retenu de grimacer. Claire en faisait trop, et je n’avais pas envie de me la trimballer toute la
soirée. J’ai cherché une excuse pour me débarrasser d’elle sans la vexer. Cameron et Justin avaient tous
les deux disparu. Enfoirés.
— Salut, bébé.
J’ai tourné la tête. La fille en rouge, celle que j’avais admirée sur la piste, a enroulé un bras autour de
ma taille. Elle a plongé son regard dans le mien. J’en ai eu le souffle coupé.
Elle était sublime.
— Il est avec moi, a-t-elle dit à Claire. Pas vrai ?
J’étais fasciné par sa bouche. Ses lèvres étaient pulpeuses, colorées d’un rouge intense. Elle avait la
voix rauque, sensuelle. Mon cœur s’est emballé. Cette fille n’était pas belle au sens classique du terme.
Son visage était saisissant, éclatant. Des pommettes saillantes, de longs sourcils foncés et des yeux de
chat remplis de secrets. J’avais envie de tous les découvrir.
Troublée par mon silence, elle a froncé les sourcils. Je l’ai empêchée de partir en plaçant ses bras
autour de mon cou. J’ai approché mes lèvres de son oreille.
— Où étais-tu ? J’ai passé ma vie à te chercher.
Un frisson l’a parcourue. J’ai glissé mon nez le long de son cou, mais elle a reculé d’un pas.
— Ta groupie est partie. Tu es sauvé. Tu m’offres un verre ?
J’ai enfoui mes mains dans mes poches pour me retenir de la toucher. Elle me manquait déjà. Je ne
pouvais pas m’empêcher de la regarder.
— Qu’est-ce que tu veux boire ?
— Quelque chose de fort. Ce soir, je veux être quelqu’un d’autre. Je veux… oublier.
C’était le moment ou jamais. J’ai posé une main sur son dos et je l’ai attirée contre moi. Son parfum
m’enivrait.
— Avec moi, tu peux être qui tu veux. Et si on allait chez moi ? Je te ferai tout oublier, Red…
Elle a plaqué ses mains contre mon torse et m’a poussé de toutes ses forces.
— Ravie de t’avoir rencontré, abruti !
Là-dessus, elle m’a laissé seul, comme un petit chiot abandonné. Une fille venait de me rejeter ? Moi ?
Impossible ! Je l’ai suivie du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse parmi la foule. Elle titubait, comme si
elle avait trop bu. J’ai hésité à la suivre pour m’assurer qu’elle allait bien, mais elle m’aurait craché à la
figure. Ses amis s’occuperaient d’elle.
Qu’est-ce que j’avais fait de mal ? Elle avait pourtant l’air intéressée. Moi qui cherchais un défi, je
n’ai même pas su le relever quand il m’est tombé entre les mains.
— Caleb ! a hurlé une fille dans mon dos.
Je n’étais plus d’humeur. Je n’avais qu’une envie : aller me coucher. Je suis sorti de la boîte,
appréciant l’air frais qui caressait ma peau. Ma voiture était garée à l’autre bout du parking. Du coin de
l’œil, j’ai aperçu une silhouette penchée contre le mur en briques. Une fille, sûrement en train de vomir.
J’aurais dû la laisser tranquille, mais un homme était planté à quelques mètres, en train de l’observer.
Mon instinct protecteur a pris le dessus. Je me suis dirigé vers elle. Je l’ai aussitôt reconnue, à la lueur
du lampadaire : Red. Je n’ai pas hésité. J’ai foncé. L’homme ne m’avait pas encore vu, trop concentré sur
sa proie. Il s’est approché d’elle et a saisi son poignet. J’étais furieux. Il fallait que je me calme, ou la
soirée finirait mal.
J’ai marché d’un pas léger, l’air de rien.
— Bébé ! Qu’est-ce que tu fais là ? Je t’ai cherchée partout.
Ce pervers a refusé de la lâcher. Je lui ai lancé un regard noir. Il a reculé d’un pas, de deux, de trois…
puis il est parti en courant.
— Enfoiré, ai-je murmuré.
— Pardon ?
— Je ne te parlais pas à toi. Qu’est-ce que tu fais dehors toute seule ?
Elle a trébuché. Je l’ai rattrapée juste à temps. Elle avait le teint pâle, les yeux vitreux. Sans attendre
sa réponse, je l’ai prise dans mes bras. Elle a grogné, trop éméchée pour se débattre.
— Tu as besoin de vomir ?
Elle a fait non de la tête. On a traversé le parking, j’ai ouvert la portière et je l’ai installée côté
passager.
— Ne vomis pas dans ma voiture, OK ? Je viens juste de l’acheter.
Silence.
— Tu habites où ?
— Nulle part. On m’a… mise à la rue.
Je me suis assis derrière le volant. J’aurais pu la déposer dans un hôtel, lui payer une chambre, le
temps qu’elle trouve un logement… mais quand j’ai tourné la tête vers elle, mes plans se sont aussitôt
envolés.
Elle s’était endormie. Elle avait l’air préoccupée, même dans son sommeil. Vulnérable. Cette fille
avait pourtant l’air tellement sûre d’elle sur la piste… Son visage me disait quelque chose, comme si je
l’avais vue en photo il y a longtemps. Comment oublier une beauté pareille ?
J’ai décidé de la ramener chez moi.
Mon frère disait que j’étais accro aux demoiselles en détresse. Il avait raison. Cette fille ne serait pas
en sécurité dans un hôtel, surtout dans son état. Je suis sorti du parking et j’ai conduit en silence. On était
à quelques minutes de l’appartement quand elle a remué sur son siège, recouvert sa bouche d’une main.
Je n’ai pas eu le temps de réagir.
Elle a vomi dans ma voiture.
Ma nouvelle voiture !
Le bruit et l’odeur m’ont donné la nausée. J’ai ouvert les fenêtres et le toit. Elle a vomi une seconde
fois.
— Noooon !
Furieux, j’ai hésité à revenir sur ma décision. Je ne connaissais pas cette fille, et ma patience avait des
limites. Résigné, je me suis garé devant chez moi. Je suis sorti de la voiture, j’ai ouvert sa portière, je
l’ai nettoyée comme j’ai pu et je l’ai prise dans mes bras. Elle puait le vomi.
Dans le hall d’entrée, un vigile a appelé l’ascenseur à ma place.
— Votre petite amie a bu un verre de trop ?
— Vous savez que je n’ai pas de petite amie, Paul.
Je lui ai fait un clin d’œil. Il a éclaté de rire.
Les portes se sont ouvertes à mon étage. J’ai foncé dans la chambre d’ami et je l’ai allongée sur le lit.
Elle s’est recroquevillée comme un petit chat blessé, sanglotant dans son sommeil.
— Maman…
Je l’ai observée depuis le pas de la porte. Cette fille n’avait pas eu une vie facile. Je le sentais. J’ai
hésité à la laver et à la changer, mais je doutais qu’elle apprécierait qu’un étranger la déshabille. Je ne
voulais pas perdre un œil, ni une main.
Alors, je suis resté planté là, à la regarder dormir.

- VERONICA -

La lumière du soleil réchauffait ma peau. Je me suis réveillée dans des draps propres, remerciant en
silence ma mère de les avoir changés. Satisfaite, j’ai souri en me blottissant sous la couette.
Ma mère ? Impossible. Ma mère était morte.
Je me suis redressée, hébétée. J’ai cligné des yeux, balayant la pièce du regard et tentant de ravaler la
panique qui s’emparait de moi. Où suis-je ? Et qu’est-ce que c’est que cette odeur ?
— Ne panique pas, ai-je murmuré.
Mon haleine était abominable. J’ai fermé la bouche et respiré par le nez pour me calmer. Bonne
nouvelle : j’étais entièrement habillée. Mauvaise nouvelle : mes vêtements étaient recouverts de vomi
séché.
Voilà d’où venait cette odeur. De moi.
Mon Dieu.
Je me souvenais de ce qui s’était passé la veille, mais pas de ma soirée. Des images floues défilaient
dans ma tête. Le propriétaire de mon appartement m’avait mise à la porte parce que je n’avais pas payé
mon loyer depuis deux mois. J’avais laissé la plupart de mes affaires sur place. Les meubles ne valaient
rien. J’avais seulement emporté mes vêtements et les souvenirs de ma mère, que j’avais rangés à l’abri,
sur le campus, dans mon casier.
Pour la première fois de ma vie, j’étais sortie en boîte non pas pour servir des clients et nettoyer des
tables, mais pour boire. C’était ma façon à moi de me rebeller contre le destin. Le problème, c’est que je
tenais mal l’alcool. Il ne m’a pas fallu beaucoup de verres avant de perdre le contrôle.
Paranoïaque de nature, j’ai inspecté mes bras et mes mains. Tout avait l’air normal. Mes jambes étaient
cachées par la couette blanche. J’espérais qu’elles étaient encore attachées à mon corps. J’ai remué les
orteils. Ouf ! J’ai soulevé mon tee-shirt, à la recherche de cicatrices. Quelqu’un aurait pu me voler mon
foie, mes reins.
Soulagée que mon corps soit intact, j’ai inspecté la chambre. Elle était à elle seule plus grande que
mon ancien studio, et remplie de beaux meubles. Une grande baie vitrée avec des rideaux blancs
s’ouvrait, à ma droite, sur la ville qui vue d’ici avait l’air minuscule.
Qu’est-ce je faisais là ? Est-ce que j’avais couché avec un étranger ? Perdu ma virginité ? J’ai tenté
quelques exercices de Kegel. Je n’avais pas mal. Il fallait que j’arrête de paniquer.
— Respire, Veronica. Respire.
J’ai posé les pieds sur la moquette molletonneuse. Je ne connaissais pas le propriétaire de cet
appartement, mais il devait être riche. Et s’il s’agissait d’un trafiquant de drogue ? Et s’il voulait vendre
mes organes ?
Calme-toi, bon sang !
J’ai profité de la salle de bains attenante pour me rafraîchir, avant d’entrouvrir la porte qui donnait sur
le couloir. J’avais beau être terrifiée, la beauté de cet appartement ne m’a pas échappée. Il méritait sa
place dans un magazine. Tout était propre, blanc, moderne. Des tableaux étaient accrochés aux murs. Le
salon était au bout du couloir. Une télévision trônait devant un grand canapé beige en forme de L. Par
terre, le parquet scintillait.
La vie était vraiment injuste.
J’ai marché sur la pointe des pieds, à la recherche de la sortie. Zut ! Il y avait quelqu’un dans la
cuisine, derrière le bar. Il était torse nu, dos à moi. Grand, bronzé et musclé. Je suis restée plantée là,
comme une idiote. Il a senti ma présence. Il s’est retourné. Ses yeux se sont écarquillés.
Je connaissais ce visage.
Caleb. Caleb Lockhart ! Je venais de me réveiller dans la tanière du tombeur du campus.
Il avait les cheveux en bataille, comme s’il venait de se lever. Son torse et ses abdos étaient bien
dessinés. Le bar cachait le bas de son corps. Faites qu’il ne soit pas tout nu !
Il m’a souri. Son regard s’est posé sur mes cheveux, puis sur mes pieds nus, avant de s’arrêter sur mon
visage. J’en ai eu des frissons.
— Salut, beauté.
Mon Dieu. J’ai croisé les bras sur ma poitrine pour me protéger de son regard lascif.
— Est-ce qu’on a… Est-ce que tu…
— Quoi ? a-t-il demandé, l’air amusé.
Il savait très bien de quoi je parlais, mais il prenait un malin plaisir à me torturer. Il a avancé d’un pas.
J’ai reculé en hurlant.
— N’approche pas !
Il a levé les mains en l’air. J’ai regardé autour de moi, à la recherche d’un objet pour me défendre.
— Qu’est-ce que je fais ici ?
— Tu ne te rappelles pas ? Un pervers a failli t’embarquer avec lui hier soir. Il aurait pu te violer. Je
t’ai sauvée.
Je n’ai pas su quoi répondre.
— Après, tu as vomi dans ma voiture. Deux fois.
— V-violer ?
Je me souvenais vaguement d’avoir refusé les avances de quelqu’un. Et si Caleb me mentait ? Non. Ses
yeux verts me disaient quelque chose. Une voix grave, masculine. J’ai passé ma vie à te chercher. J’ai
secoué la tête pour la balayer de mon esprit.
— C’est toi qui m’as kidnappée. Pas vrai ?
Il a levé les yeux au ciel.
— Je n’ai pas besoin de forcer les filles à coucher avec moi.
Il a croisé les bras sur son torse musclé. Ses biceps se sont contractés. Il portait un bas de pyjama.
Ouf !
— Je ne me souviens de rien.
— Tu avais trop bu. D’ailleurs, tu n’as pas la gueule de bois ?
— Non.
— Impressionnant.
— Rends-moi mes chaussures. Il faut que j’y aille.
— Pas si vite.
Il s’est approché de moi. Il y avait une lampe non loin de là. J’aurais pu m’en servir pour l’assommer.
— Tu as vomi dans ma voiture. Elle est toute neuve.
— Et alors ? Tes parents sont riches. Tu n’as qu’à payer quelqu’un pour la nettoyer.
Il a levé les sourcils.
— Tu vas laisser quelqu’un nettoyer ton vomi ?
J’ai serré les dents. Il s’est assis sur le bar. Il a attrapé une pomme dans la panière à fruits. Ce mec
pouvait manger ce qu’il voulait, quand il en avait envie. Il ne se rendait pas compte de sa chance.
— Où est-ce que tu comptes aller ?
— Chez moi.
Il a jeté la pomme en l’air, la rattrapant au vol.
— Tu habites où ?
— Ça ne te regarde pas.
Mon ventre s’est mis à gargouiller. J’étais affamée.
Caleb a poussé un soupir.
— Je ne veux pas gaspiller mon énergie, ni la tienne. Hier soir, tu m’as dit qu’on t’avait mise à la rue.
— Et alors ?
Il a posé la pomme et croisé les bras.
— Est-ce que tu as un endroit où aller ?
Sa voix était pleine de tendresse et de compassion. J’en ai eu les larmes aux yeux. L’étalage de mes
émotions l’a clairement mis mal à l’aise. Il a bondi du bar et s’est dirigé vers le frigo. Il en a sorti une
bouteille d’eau, qu’il m’a tendue en souriant. J’aurais aimé le remercier, mais j’avais peur d’éclater en
sanglots.
Il a reculé d’un pas.
— Tu sais que tu pues, pas vrai ?
C’était plus fort que moi : j’ai éclaté de rire. J’ai tellement ri qu’il a fallu que je m’assoie par terre.
Puis je me suis mise à pleurer. Caleb a dû me prendre pour une folle.
— Et si tu restais ici, le temps de trouver un logement ?
J’étais choquée par sa proposition. Il a haussé les épaules.
— Je ne suis pas aveugle, Red. Tu as l’air au bout du rouleau.
Au bout du rouleau ? Je détestais qu’on me prenne de haut ! Je me suis levée. Il était quand même plus
grand que moi. Ça m’a mise encore plus en colère.
— Je ne veux pas de ta pitié.
— Où vas-tu aller ? Dans un refuge pour sans-abri ? Tu seras mieux ici. Primo, je vis seul. Deuzio, tu
seras en sécurité. Je serai là pour te protéger. Tertio, je ne te demanderai rien en échange.
J’ai baissé la tête. C’était trop beau pour être vrai.
— Pourquoi ? ai-je murmuré.
— Je ne sais pas.
J’avais vécu assez de choses pour savoir que rien n’était jamais gratuit. Vivre avec Caleb Lockhart ?
Dans cet appartement immense ?
— Je refuse de me prostituer.
Il a pouffé de rire.
— Tu as vu ce corps ? Quand tu décideras de coucher avec moi, c’est toi qui voudras me payer.
Son égo devait lui donner la migraine. J’ai fait semblant de bâiller.
— Continue, je t’en prie. Je bâille toujours quand je suis intéressée.
Ses grands yeux verts se sont écarquillés. J’ai cru que je l’avais mis en colère, mais il a éclaté de rire.
— Je t’aime bien, Red. Je croyais que tu étais juste une belle gueule, mais tu as du caractère.
J’étais tellement choquée que j’ai manqué de repartie pour le remettre à sa place.
— Et si tu allais te doucher ? Tu es sympa, mais je ne veux pas passer ma journée avec une fille qui
pue les égouts.
J’ai grogné de frustration. Il avait raison.
— Qu’est-ce que tu veux en échange ?
— Rien du tout.
J’ai éclaté de rire. Un rire amer.
— Je ne te crois pas.
Il a penché la tête sur le côté pour étudier mon visage. Je me demandais ce qu’il voyait. Mon
apparence et mes formes donnaient aux garçons l’impression que je voulais juste m’amuser. C’était faux.
J’étais trop occupée à survivre, à travailler pour me payer mon prochain repas. Allais-je vraiment
accepter son offre ? Après tout, la vie ne m’avait pas fait de cadeaux. Je méritais bien ça.
— Je peux faire le ménage.
— Une femme de ménage vient trois fois par semaine.
— Je sais cuisiner.
— Arrête de m’embobiner.
J’ai levé les yeux au ciel.
— Je te jure que c’est vrai.
Son visage s’est illuminé. On aurait dit un petit garçon qui venait de trouver un cookie au fond de la
boîte.
— Marché conclu.
C’était trop facile.
— Comment as-tu les moyens de te payer un endroit pareil ?
J’aurais mieux fait de me taire. Je ne voulais pas qu’il me prenne pour une croqueuse de diamants.
J’étais pauvre, mais je n’étais pas une profiteuse. Je travaillais dur, et j’en étais fière. Un an de plus à
tirer, et je serais diplômée. J’étais prête à tout pour réussir. Je me contenterais de peu : un boulot stable,
une petite maison, un frigo plein de nourriture et une voiture en état de rouler. Je comptais y arriver sans
l’aide de personne.
— Excuse-moi, Caleb. Je me mêle de ce qui ne me regarde pas. Tu dois penser que je ne m’intéresse
qu’à l’argent…
— Arrête de mettre des mots dans ma bouche. Contrairement à ce que tu crois, je ne suis pas fier d’être
riche. Je sais que je ne l’ai pas mérité, mais ça va changer. Je le prouverai, à ma manière.
Il a remué les sourcils, l’air amusé.
— Tu sais quoi ? Tu n’as qu’à faire mes devoirs et préparer le repas de ce soir.
En un clin d’œil, son discours sur le mérite ne valait plus rien.
— Comment tu t’appelles ?
— Veronica Strafford.
— Caleb Lockhart.
Je ne lui ai pas dit que je le connaissais déjà. Après tout, c’était la star du campus.
— Tu es dans quelle fac ?
— Ce n’est pas parce que j’habite ici que je dois te raconter ma vie.
— Dans ce cas, va prendre une douche. Installe-toi dans la chambre où tu as dormi cette nuit. Il y a une
salle de bains attenante. Et tu peux m’emprunter des habits… même mes caleçons.
J’ai levé les yeux au ciel. Avais-je eu raison d’accepter ?
Caleb est retourné derrière le bar.
— Je sors dans une heure. Fais comme chez toi, OK ?
J’ai hoché la tête. Comment pouvait-il laisser une étrangère seule dans son appartement ? J’aurais pu
lui voler toutes ses affaires.
— Merci, Caleb.
Je lui ai tourné le dos en me mordant la lèvre. J’ai jeté un œil à gauche, puis à droite.
— Il y a un problème ?
— Je ne sais plus où est ma chambre.
— Suis-moi.
Il est passé devant et je lui ai emboîté le pas, en essayant de ne pas trop me focaliser sur son corps
musclé. Il s’est arrêté devant la porte et m’a fait un clin d’œil.
— Bienvenue chez moi, Red. J’espère que tu apprécieras ton séjour.
CHAPITRE 2

- CALEB -

Les filles, c’était mon péché mignon. Je le savais, mais je n’avais jamais brisé la règle. Jusqu’à hier
soir. J’avais prévu de prêter de l’argent à Red pour l’aider à rebondir, mais quand je l’ai vue entrer dans
le salon ce matin, l’air défiant et triste, j’ai changé d’avis.
Des gouttes de sueur dévalaient mon front. J’ai attrapé le ballon, visé le panier. Encore raté. De retour
dans les vestiaires, Cameron m’a tendu une serviette. Je me suis essuyé le visage. Justin nous a rejoints en
courant.
— Qu’est-ce qui t’arrive, Lockhart ? Tu étais nul, aujourd’hui.
Je n’allais pas le contredire. Il avait raison.
— Tu étais passé où hier soir ? a demandé Cameron. On t’a cherché partout.
— On t’a vu fricoter avec la chaudasse rouge. Tu l’as baisée ?
J’ai eu envie de lui mettre un coup de poing. Justin jurait comme un charretier. En temps normal, je
m’en fichais, mais je n’aimais pas qu’il me parle d’elle sur ce ton. J’ai enlevé mon tee-shirt trempé et le
lui ai jeté à la figure.
J’ai ouvert mon casier et fouillé dans mon sac. J’en ai sorti un tee-shirt et un jean propres. Cameron
m’observait avec ses grands yeux bleus, l’air inquiet.
— Ça va, mec ?
— Oui. J’ai juste besoin de tirer un coup.
Justin a pouffé de rire.
— Comme si c’était un problème pour toi.
S’il avait vu le vent que je m’étais pris la veille, il aurait bien ri. Je me dirigeais vers les douches
quand j’ai reçu un texto.

Sandra Bodelli : Salut, toi ! Tu veux passer ce soir ? Ma coloc n’est pas là.

J’ai froncé les sourcils.


— Vous connaissez une Sandra Bodelli ?
Justin a lu le message par-dessus mon épaule.
— La chance ! C’est la fille du cours d’ingénierie qui est venue à l’entraînement la semaine dernière.
Je n’ai pas bronché.
— Tu ne t’en souviens pas ? Elle a entré son numéro dans ton portable. Blonde aux yeux de biche… un
corps de rêve.
J’ai haussé les épaules.
— C’est toujours mieux que rien.
Justin a grogné de frustration. Je l’ai ignoré et j’ai répondu à Sandra que je la retrouverais dans une
heure.
Ce soir, j’oublierais Red.

Je suis rentré à la maison à 2 heures du matin, un brin éméché. Je me suis déshabillé dans le salon, sans
prendre le temps d’allumer la lumière. J’ai sorti une brique de jus d’orange du frigo. J’en ai bu trois
verres.
Pressé d’aller me coucher, j’ai remonté le couloir sur la pointe des pieds.
— Aïe !
Les lumières se sont allumées. Je me suis écroulé par terre, terrassé par la douleur. Red a hurlé en se
couvrant le visage.
— Caleb ! Tu es tout nu !
J’ai entrouvert les yeux. Elle avait ma batte de base-ball à la main. Je le savais. C’était une meurtrière,
employée par un psychopathe pour me tuer.
— Excuse-moi ! Je t’ai pris pour un cambrioleur.
J’avais mal partout : à la tête, au dos, aux bras, aux jambes. Elle m’avait roué de coups. Je me suis
allongé sur le ventre. Le sol était glacé contre ma peau.
— Range cette batte de base-ball, ou c’est moi qui vais te frapper.
Red a disparu de mon champ de vision. Elle a jeté une serviette sur mes fesses et s’est agenouillée à
côté de moi.
— Je suis désolée, Caleb.
Elle a posé une main sur mon épaule. J’ai tressailli, non pas de dégoût, mais de plaisir. Elle l’a aussitôt
retirée.
— Achève-moi, Red. Qu’on en finisse.
— Si tu avais allumé les lumières, je ne t’aurais pas attaqué.
J’ai tourné la tête vers elle, incapable de me mettre en colère. Elle portait un tee-shirt blanc ample,
avec l’image d’un gros chat roux en train de boire une Margarita.
J’ai souri. C’était plus fort que moi.
— D’où vient ce truc ?
— Quel truc ?
— Ne me dis pas que ce tee-shirt est à moi.
— Je te respecterais davantage si c’était le cas, mais non. C’est le mien. J’ai récupéré mes affaires
dans mon casier cet après-midi.
Quelque chose ne tournait pas rond. Un peu plus tôt, Sandra ne m’avait fait aucun effet dans ses
dessous sexy. J’ai même été obligé de lui donner une fausse excuse et j’ai fini ma soirée avec Cameron.
Alors que Red, dans ce tee-shirt difforme…
J’ai posé la joue par terre, j’ai fermé les yeux et j’ai aspiré une bouffée de son parfum. Elle sentait la
fraise. C’était décidé : la fraise deviendrait mon fruit préféré.
Red était assez proche pour que je l’attire contre moi, mais je n’ai pas pris le risque. Je suis resté
immobile, hypnotisé par son odeur.
— Je suis désolée, Caleb.
Cette fille allait me tuer. En un claquement de doigts, elle était capable de passer d’une tigresse à un
nounours.
— Je ne t’en veux pas, Red. Il me reste quelques membres en état de marche, mais pas pour ce soir.
OK ?
J’ai remué les doigts et les orteils pour la faire rire. Elle a enroulé les bras autour de ses jambes. Une
mèche de cheveux est tombée sur son visage. J’ai eu envie de la glisser derrière son oreille.
— Pourquoi tu m’appelles Red ? J’ai les cheveux noirs, pas rouges.
Mes paupières étaient de plus en plus lourdes. J’ai lutté pour ne pas m’endormir.
— Tu portais une robe rouge hier soir. Et un rouge à lèvres rouge. C’était sexy.
Elle a ignoré ma réponse.
— Il est tard. Tu veux que je t’aide à te relever ?
— Je suis tout nu, Red. La serviette que tu as posée sur mes fesses n’est pas assez grande pour tout
recouvrir.
Pourquoi disais-je des bêtises pareilles ? C’était plus fort que moi ! Je m’attendais à ce qu’elle
disparaisse dans sa chambre, mais elle a éclaté de rire. Un vrai rire. J’aurais aimé l’entendre plus
longtemps, mais j’étais trop épuisé pour trouver une autre blague.
— Tu veux une housse mortuaire ?
— Tu es flippante, Red.
— Pas autant que toi.
— Tu ne serais pas en train de me draguer, par hasard ?
Je ne sais pas si elle m’a répondu. À mon réveil, une odeur de bacon grillé m’a titillé les narines.
J’étais allongé au même endroit. Red avait glissé un oreiller sous ma tête et m’avait recouvert d’une
couverture. Sonné, je me suis redressé lentement. Mes habits n’étaient plus là. Elle avait dû les ranger
pendant que je dormais.
J’ai enroulé la serviette autour de ma taille et j’ai retrouvé Red dans la cuisine, où elle préparait le
petit déjeuner. Une vague de chaleur s’est emparée de moi. Je savais qu’elle ne faisait que tenir sa
promesse, mais j’étais heureux. Je me suis appuyé contre le mur, appréciant la vue. C’était agréable de
voir une jolie fille cuisiner pour soi. Les odeurs, les bruits… son corps.
Elle s’était attaché les cheveux. Des mèches s’échappaient de son chignon et tombaient en boucles sur
sa nuque. Ses mouvements étaient gracieux, comme quand elle dansait l’autre soir.
— Salut, beauté.
Surprise, elle a failli lâcher sa poêle. J’ai éclaté de rire.
— Trouillarde !
Elle m’a souri. Un sourire triste. Quelque chose la tracassait. Je le sentais.
— Va t’habiller, Caleb. Le petit déjeuner est prêt.
— Et si c’était toi, mon petit déjeuner ?
Parfois, je me demandais si ma mère ne m’avait pas fait tomber quand j’étais bébé. J’avais honte des
débilités qui sortaient de ma bouche. Red y était déjà habituée : elle s’est contentée de lever les yeux au
ciel.
Je suis allé me brosser les dents et enfiler un jean. Le temps que je revienne, Red tenait deux assiettes
en équilibre sur un bras. Elle les a posées sur le bar. Impressionné par son habileté, je me suis assis sur
un tabouret.
— Ton frigo est rempli de jus d’orange, a-t-elle remarqué.
— Je sais. Je suis accro. Où as-tu appris à cuisiner ?
— Ma mère travaillait beaucoup quand j’étais petite. J’étais souvent seule à la maison. Je n’ai pas eu
le choix. Soit j’apprenais à cuisiner, soit je me nourrissais de beurre de cacahuète pour le restant de mes
jours.
— Tu aimes le beurre de cacahuète ?
— J’adore ça.
— Je t’en achèterai.
— Tu n’es pas obligé, Caleb.
Il fallait que je change de sujet, ou elle insisterait pendant des heures.
— Tu sais ce qui rendrait nos repas encore plus sympas ?
Elle m’a regardé de travers en posant un verre de jus d’orange devant moi. J’ai piqué un morceau
d’œuf avec ma fourchette.
— Tu pourrais porter un costume de soubrette. Jupe noire, tablier blanc, bandeau en dentelle… Sans
oublier les bas blancs et les talons aiguilles. Le déjeuner est servi, monsieur Lockhart. Vous êtes très
élégant, monsieur Lockhart.
Ma plaisanterie ne l’a pas amusée. Elle s’est levée d’un coup, furieuse.
— Espèce de gamin !
Elle m’a tourné le dos et a disparu dans le couloir. Déçu, j’ai posé ma fourchette sur l’assiette. J’avais
envie de manger avec elle. Je me sentais comme un petit chien en manque d’affection. Elle me manquait
déjà.
Qu’est-ce qui m’arrivait ? Je m’appelais Caleb Lockhart ! Je ne cherchais jamais les filles. C’était
elles qui me cherchaient.
Red était très, très différente.
Mon souhait s’était enfin réalisé.

- VERONICA -

Mon cœur battait la chamade. J’ai fermé la porte de la chambre à clé. Est-ce que ce mec passait sa vie
torse nu ? Je ne pouvais pas le nier : il me faisait de l’effet. Un jour ou l’autre, il finirait par le deviner.
Caleb avait confiance en lui. Il avait conscience de sa beauté et de son effet sur les filles. Le genre de
mec que je fuyais comme la peste.
Et voilà que je vivais sous son toit.
J’ai jeté un œil à ma montre. La bibliothèque venait d’ouvrir. Il fallait que je postule à des annonces et
que j’imprime mon CV. Je passais mon temps à chercher du travail, mais les places étaient rares. La ville
de Green Pine ne s’était toujours pas remise de la crise. Il était compliqué de trouver un petit boulot qui
s’accordait avec mon emploi du temps d’étudiante. Je n’étais même pas sûre de réussir à payer le reste de
mon année scolaire.
Il était peut-être temps de changer de province. Pourtant, j’adorais le Manitoba. J’aimais ses lacs,
l’ambiance des petites villes, la diversité des cultures. Et puis, je n’avais pas les moyens de déménager.
Où serais-je allée si Caleb ne m’avait pas hébergée ? Je lui devais beaucoup. Un jour, je trouverais un
moyen de le remercier.
J’ai rassemblé mes livres. Par curiosité, j’ai ouvert le tiroir de la table de chevet. J’ai hurlé de
surprise. Il était rempli de préservatifs ! C’était donc dans cette chambre que Caleb couchait avec ses
groupies ? J’espérais qu’il avait changé les draps… Beurk ! J’ai défait le lit, me promettant de tout laver
plus tard. Et de désinfecter la chambre.
Après ma douche, les cheveux encore humides, j’ai enfilé ma veste et attrapé mon sac. Dans le couloir,
j’ai percuté un corps solide et… mouillé.
— Aïe ! ai-je crié en me frottant le front.
— Salut, Red.
J’ai levé la tête. Caleb était torse nu, la peau dégoulinante de sueur, une serviette blanche sur les
épaules.
— Tu vas quelque part ?
Il avait les yeux qui pétillaient, comme s’il manigançait quelque chose. J’ai hoché la tête, refusant de
regarder plus bas que son cou.
— J’ai du travail.
— Toujours aussi sérieuse.
La chaleur qui émanait de son corps commençait à me déranger, tout comme ses beaux yeux verts.
J’ai reculé d’un pas.
— Regarde, Red.
Il a posé les mains sur ses hanches et contracté ses biceps. Puis, sans prévenir, il m’a tourné le dos. Il
avait les fesses rondes et fermes.
— Tu as vu ces muscles ? Ils sont là rien que pour toi.
Il s’est retourné et s’est mis à contracter ceux de son torse. On aurait dit que des insectes grouillaient
sous sa peau. J’ai éclaté de rire. Ce mec était fou.
— Pas mal, non ?
— Tu as ta place dans un zoo, Caleb.
— Peu importe. J’ai réussi à te faire rire. Deux fois en une matinée. C’est mon jour de chance. Tu veux
un strip-tease ?
La sonnerie de l’interphone a retenti, brisant notre tête à tête. J’ai bondi de surprise. Caleb a grogné de
frustration.
— C’est ma mère. Je l’accompagne à un déjeuner caritatif. Tu peux te cacher dans la chambre ?
— Pourquoi ? Tu as peur de maman ?
— C’est compliqué. S’il te plaît, Red.
Si sa mère ne voulait pas que j’habite ici, il était grand temps que je me trouve un boulot.
— Je suis pressée, Caleb. Tu n’as qu’à lui dire que je suis la femme de ménage.
— Elle ne me croira pas. Je fais vite, promis.
— Comme tu veux.
Je suis retournée dans ma chambre. J’ai entendu la voix de sa mère dans le salon, suivie de celle de
Caleb. Un quart d’heure plus tard, il a entrouvert la porte.
— Red ?
J’ai marché jusqu’à lui, sur la pointe des pieds.
— J’y vais. On se voit ce soir ?
— D’accord.
— Je vais te manquer ?
J’ai poussé un soupir.
— Bien sûr, Caleb.
— À plus tard, Red.
Il a fermé la porte.
— À plus tard, ai-je répondu dans le vide.
CHAPITRE 3

- VERONICA -

J’ai passé le reste de la matinée à la bibliothèque. J’ai profité de l’ordinateur pour répondre aux
annonces, imprimer mon CV et établir une liste des entreprises qui recrutaient. Armée de mon CV, j’ai
poussé la porte de tous les commerces du quartier, qu’ils aient besoin de quelqu’un ou non. Après quatre
heures de marche et de remplissage de formulaires, j’étais épuisée, affamée, fatiguée d’entendre « désolé,
on ne cherche personne » et « on vous rappellera ».
Les crêpes que j’avais mangées au petit déjeuner étaient digérées depuis bien longtemps. J’avais
besoin de manger, mais je ne voulais pas gaspiller le peu d’argent qui me restait dans un repas.
J’attendrais d’être de retour chez Caleb.
Tandis que je remontais le trottoir, la semelle d’une de mes chaussures s’est décrochée. La gorge
nouée, j’ai fixé le trou. J’avais envie de hurler. Je n’avais pas les moyens de m’en acheter une nouvelle
paire !
Quand ma mère était encore vivante, on avait du mal à subsister avec nos deux salaires. Quand elle est
tombée malade et qu’elle a quitté son travail, j’ai dû faire une demande de crédit en plus de mon emprunt
pour l’université. Pendant son séjour à l’hôpital, j’ai décidé de louer une chambre dans une maison, en
colocation avec cinq autres personnes. Je ne me sentais pas en sécurité. Je portais un canif dans ma poche
et j’ai stocké mes affaires dans mon casier.
Après la mort de ma mère, j’ai mis de l’argent de côté et j’ai déménagé dans un studio proche de
l’université. Il était minuscule, les meubles étaient usés et le quartier peu rassurant, mais je me sentais
enfin chez moi. Mon travail avait payé. Je ne partageais ma salle de bains avec personne, je ne nettoyais
plus derrière les autres, je ne craignais plus que mes colocataires me volent mes affaires… ou pire.
Et voilà que tout m’a été enlevé.
Le studio de danse dans lequel je travaillais depuis plusieurs années a fait faillite. J’avais un mi-temps
dans un restaurant, mais cela ne suffisait pas à payer les factures. Quand le propriétaire m’a mise à la rue,
quelque chose en moi s’est brisé.
Puis j’ai rencontré Caleb.
Je n’étais pas croyante comme ma mère, mais jamais je n’oublierais le sermon que le prêtre avait
donné un jour où elle m’avait forcée à la suivre à l’église. Les épreuves que vous traversez tout au long
de votre vie ne sont pas vaines. Elles vous préparent à la suite. Le métal doit traverser le feu avant de
se transformer en épée. Soyez courageux. Vous aussi serez fondus, moulus, transformés en une
personne plus forte. Les brûlures guériront et vous trouverez la paix. Ne baissez jamais les bras.
J’ai fermé les yeux, le temps de me remettre de mes émotions. La vie n’attendait personne. Il fallait que
j’aille de l’avant. Je reprendrais cette journée à zéro.

Je suis rentrée tard chez Caleb. J’étais épuisée, mais de meilleure humeur. J’ai ouvert le frigo.
J’espérais avoir le temps de préparer son repas et de disparaître dans ma chambre avant son retour. Par
politesse, j’ai noté mon emploi du temps sur un post-it que j’ai collé sur son frigo, pour qu’il soit au
courant de mes allées et venues.
Quand j’ai entendu la porte s’ouvrir, j’ai grogné de frustration. Je suis entrée dans le salon, un couteau
à la main, au cas où il ne s’agisse pas de Caleb.
— Salut, Red.
Il a jeté ses chaussures et sa veste par terre, il s’est emparé de la télécommande et s’est affalé sur le
canapé, les pieds posés sur la table basse. Je me suis plantée derrière lui, admirant les reflets dorés dans
ses cheveux.
— Qu’est-ce qu’on mange ?
— Le repas n’est pas prêt. Je viens juste de rentrer.
— Tu as déjà oublié notre pacte ?
Vexée, j’ai posé les mains sur mes hanches.
— Je n’en ai pas pour longtemps. Si tu es pressé, tu n’as qu’à boire un jus d’orange avec des miettes
de biscottes. Tes placards sont vides, Caleb. Il faut qu’on fasse les courses.
Il a mis la tête en arrière, me regardant à l’envers.
— J’ai mal au cou. Tu ne veux pas t’asseoir pour en discuter ?
Je lui ai lancé un regard noir. Il a poussé un soupir en s’asseyant sur le dossier, face à moi.
— Tu me dois un repas, Red.
— Je viens de te dire…
Il a souri en desserrant sa cravate.
— Tu peux me payer autrement.
J’ai écarquillé les yeux. Il a éclaté de rire.
— Tu as vraiment les idées mal placées !
Moi ? Les idées mal placées ?
Il a enfilé ses chaussures, pris ses clés et son casque sur la table. Il m’a attrapée par le poignet et m’a
traînée jusqu’à la porte.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Je t’emmène faire un tour.
— Un tour ?
J’ai posé le couteau sur la commode. Caleb m’a attirée dans l’ascenseur. Les portes se sont fermées
derrière nous, puis ouvertes sur le parking sous-terrain.
— Un tour de moto.
Je me suis frotté le poignet. Sa peau était chaude contre la mienne. Je ressentais des choses… étranges.
— Il y a un problème, Red ?
— On a cours demain matin.
— Et alors ? On n’est plus au lycée. Je sèche les cours si j’en ai envie.
— Toi, oui. Parce que tu es riche. Tout te tombe tout cuit dans le bec sans le moindre effort.
Son visage s’est durci.
— Tu penses vraiment qu’être riche me rend heureux ?
Il a attendu ma réponse, les mains dans les poches. J’ai ouvert la bouche pour m’excuser, mais rien
n’est sorti.
— Allez, viens.
Je me sentais tellement coupable que j’ai accepté. On s’est arrêtés devant une grosse moto noire.
— Tu es déjà montée à moto ?
— Non… et je refuse de monter sur ce monstre.
Caleb a éclaté de rire. Un rire sexy. Il m’a attirée contre lui, collant sa bouche à mon oreille.
— Tu vas adorer, Red. J’en suis sûr.
— Je ne veux pas perdre une jambe.
Il m’a relâchée en souriant.
— Leçon numéro un : la sécurité avant tout.
Il a enfoncé le casque sur ma tête, accroché la sangle sous mon menton et fermé la visière. Je l’ai
relevée aussitôt. Je manquais d’air.
— Leçon numéro deux : dans les virages, penche-toi vers l’intérieur, avec moi. Compris ?
— Compris.
Il m’a souri et, l’air de rien, il a chevauché sa moto.
— Tu as peur, Red ?
J’ai frissonné, comme chaque fois que quelqu’un me défiait. Caleb était beau comme le diable. J’avais
peur qu’il entraîne mon âme en enfer… et que j’y prenne plaisir.
Je suis montée derrière lui.
— Où est ton casque ? ai-je demandé.
— Je n’en ai qu’un. Tu es ma première passagère.
On était trop proches. Son parfum m’enivrait.
Il a fait ronfler le moteur.
— J’ai oublié la règle numéro trois, a-t-il dit en jetant un œil par-dessus son épaule.
— Je t’écoute.
— Il faut que tu te colles à moi.
J’ai ravalé ma salive.
— Jamais de la vie.
— Comme tu veux.
Il a foncé sans prévenir, m’obligeant à m’agripper à sa taille pour ne pas tomber en arrière. J’ai senti
ses épaules et son ventre trembler de rire. Il l’avait fait exprès.
Je n’aimais pas sa moto. Elle était bruyante et dangereuse. Du moins… jusqu’à ce qu’il sorte du
parking. Quand il a rejoint la route, le vent m’a fouetté le visage. Libre. Je me sentais libre. J’ai fermé les
yeux, profitant de chaque seconde. Il a zigzagué dans les virages. Je me suis rappelé son conseil, me
penchant avec lui, les bras serrés autour de sa taille.
— Où est-ce qu’on va ?
— On va s’envoler, Red.
J’ai perdu toute notion du temps, oublié mes soucis. J’ai admiré les oiseaux volant au gré du vent,
gazouillant sous le soleil couchant. Caleb a ralenti à l’approche d’un vieux pont de chemin de fer. J’ai
pris conscience que j’étais collée à lui, le menton posé sur son épaule. J’ai écarté mon corps du sien. Je
l’ai senti se crisper sous mes mains.
Un groupe de jeunes était agglutiné d’un côté du pont, tous plus ou moins habillés – les filles en sous-
vêtements et en bikini, les garçons en caleçon et en short. Ils criaient, riaient. Deux garçons étaient en
train de se battre. Le plus costaud a poussé l’autre sur la rambarde. Il a perdu l’équilibre… et est tombé
en arrière.
— Non !
Horrifiée, j’ai sauté de la moto et j’ai couru jusqu’à la rambarde. Il y avait de l’eau en contrebas. Une
tête est apparue à la surface. Tout le monde riait autour de moi. J’ai rougi de honte. Je n’avais jamais vu
personne faire un truc pareil. Dans quoi m’étais-je embarquée ? Et pourquoi Caleb ne m’avait-il pas
prévenue ?
Il m’a rejointe, l’air amusé.
— Désolé, Red. J’aurais dû t’expliquer.
Il n’avait pas l’air désolé du tout. J’avais envie de le gifler. Il a éclaté de rire en déboutonnant sa
chemise. J’avais beau l’avoir déjà vu torse nu, je n’ai pas pu m’empêcher de l’admirer. Son corps était
une œuvre d’art. Élancé, mince et bronzé. Il a posé une main sur sa ceinture. J’ai détourné le regard.
— C’est la première fois qu’une fille tourne la tête quand j’enlève mon jean.
— Ah bon ? Je pensais qu’il n’y avait rien à voir.
— Crois ce que tu veux.
Il jouait vraiment avec mes nerfs.
Caleb ne m’intéressait pas. Pas du tout.
Pourtant, je n’ai pas pu m’empêcher de le regarder grimper sur la rambarde. Il s’est tourné vers moi, le
sourire aux lèvres. Il a écarté les bras et s’est jeté en arrière. Je l’ai entendu crier avant d’atterrir dans
l’eau. Le cœur battant, je me suis agrippée à la rambarde. Quand il est remonté à la surface, j’ai poussé
un soupir de soulagement.
Une fille s’est plantée à côté de moi. Elle était blonde, pulpeuse. Elle portait un bikini orange deux fois
trop petit pour elle. Elle m’a fusillé du regard. Ses yeux étaient immenses et très écartés. On aurait dit une
extraterrestre.
— Tu es son plat du jour ? a-t-elle dit en regardant Caleb rejoindre la berge.
— Pas du tout.
Elle a levé un sourcil, bombé la poitrine.
— Qu’est-ce que tu fais avec lui ?
— Du baby-sitting.
Elle est partie en soupirant. Il fallait que je limite mes sorties avec Caleb si je voulais qu’on me laisse
tranquille. C’était le mec le plus populaire du campus. Je ne voulais pas que les filles me prennent pour
leur concurrente.
— Red !
Il était de retour sur le pont, essoufflé, les cheveux mouillés, plaqués contre le front. L’eau dégoulinait
le long de son corps.
— À ton tour !
— Tu plaisantes ? Je ne suis pas suicidaire !
— Où est passée la fille que j’ai rencontrée en boîte ?
— Elle n’existe pas. Je n’étais pas moi-même, ce soir-là.
— Allez, Red ! Lâche-toi un peu !
Je l’ai fixé en silence. Il a secoué la tête, l’air déçu, et il m’a tourné le dos.
J’étais furieuse. Comment osait-il ? Ce n’était qu’un fils à papa, un casse-cou irresponsable ! Il ne me
connaissait pas. J’étais forte, courageuse. J’ai enlevé mes ballerines et mon tee-shirt, ignorant les cris et
les sifflements autour de moi. Qu’ils me regardent ! J’étais fière de mon corps.
Caleb s’est retourné, surpris. Je l’ai défié du regard en enlevant mon jean. Je portais mes plus jolis
sous-vêtements : mon soutien-gorge et ma culotte en dentelle rouge. Ils étaient vieux, mais encore sexy.
Sans réfléchir, j’ai grimpé sur la rambarde, et j’ai sauté.
— Attends ! a hurlé Caleb.
Trop tard. Je vais mourir, ai-je pensé en sentant le vent fouetter ma peau. La chute m’a paru
interminable. J’ai percuté la surface, m’enfonçant dans les profondeurs. J’ai battu des pieds pour
remonter. J’avais réussi !
Deux mains se sont posées sur mes épaules.
— Tu es folle ! a hurlé Caleb.
Il avait l’air impressionné. Il avait dû courir pour me rejoindre. J’étais euphorique. Ma poitrine était
pleine à craquer, sur le point d’exploser.
— Encore ! ai-je dit en souriant.
Il a éclaté de rire. Un rire libre, sincère. Je me suis sentie… heureuse. J’ai mis du temps à reconnaître
cette émotion. Cela faisait longtemps que je ne l’avais pas ressentie.
En seulement quelques heures, ce garçon m’avait tirée de l’ombre.
— Tu ne t’es pas fait mal ?
J’ai secoué la tête. Il a frotté mes bras pour me réchauffer, jusqu’à ce que des frissons me traversent le
corps. C’était la façon dont il me regardait, me touchait.
Des gouttes d’eau perlaient sur son front, dévalant son nez et ses lèvres. Caleb m’excitait. Il était
mystérieux… et dangereux. Il fallait que je fasse attention, ou je perdrais pied à jamais.
On est retournés sur le pont et on a sauté, encore et encore. Caleb ne m’a pas quittée d’une semelle. Il
plongeait en avant, en arrière. Mon cœur s’emballait à chaque pirouette.
Après un saut particulièrement impressionnant, il n’est pas réapparu à mes côtés. Inquiète, je suis
retournée sous l’eau pour le chercher, mais il faisait trop sombre. Je n’y voyais rien.
— Caleb ?
Il s’est agrippé à ma taille. J’ai hurlé de peur. Il a éclaté de rire, fuyant vers la berge. Je l’ai rattrapé. Il
a posé ses mains sur mes hanches pour me repousser. Ses doigts se sont accrochés à ma culotte. Il m’a
attirée sous l’eau. Je n’ai pas eu le temps de réagir. J’étais en train de remonter à la surface quand
l’élastique de ma culotte a craqué.
Non ! Le tissu n’avait pas tenu le choc. J’ai plaqué une main devant moi et l’autre sur mes fesses,
essayant de garder ma culotte en place.
— Caleb ?
Il était à quelques mètres de moi. La panique dans ma voix lui a fait peur.
— Qu’est-ce qui se passe ? Tu t’es fait mal ?
Je me suis mordu la lèvre.
— Non. Est-ce que tu peux… m’apporter mon jean ?
— Pourquoi ?
— Parce que…
— Toi, tu me caches quelque chose.
J’ai grogné de frustration.
— Ma… culotte. L’élastique a craqué.
— C’est vrai ?
Un sourire narquois a illuminé son visage. On aurait dit le chat du Cheshire dans Alice au pays des
merveilles.
— Mon jean, Caleb. S’il te plaît.
— Si j’obéis, qu’est-ce que tu m’offres en retour ?
— Caleb !
Il a éclaté de rire.
— Si tu ne m’apportes pas mon jean tout de suite, je… je… je t’électrocuterai dans ton sommeil !
Je n’avais pas les idées claires. J’étais à moitié nue, dans l’eau, avec Caleb Lockhart en face de moi,
prêt à me dévorer. Il m’a enserrée, comme un prédateur avec sa proie. Sa jambe a frôlé la mienne. J’ai
frissonné.
— S’il te plaît, Caleb !
Il a plongé ses mains sous l’eau.
— Tu me revaudras ça, Red.
Il m’a tendu son caleçon.
— Tu… Tu vas sortir tout nu ?
Il a éclaté de rire.
— Non ! Je portais un slip dessous. Question de… maintien.
Il m’a fait un clin d’œil. J’ai enfilé son caleçon en gigotant et on est remontés sur le pont. Caleb a
glissé une mèche de cheveux derrière mon oreille. J’ai bavé devant les muscles fermes de ses cuisses.
— Ils grillent des hamburgers de l’autre côté du pont. Ça te dit ?
J’ai hoché la tête.
— Super. Donne-moi deux minutes.
Il est parti en courant et est revenu avec sa chemise. J’ai voulu lui demander pourquoi il n’avait pas
apporté mes habits, mais son regard m’a fait taire.
— Je ne veux pas que tu aies froid.
Il m’a tendu sa chemise. J’ai rougi en l’enfilant. Il a plongé ses yeux verts dans les miens puis il a
redressé le col, la boutonnant jusqu’en haut. Ses doigts effleuraient ma peau.
J’ai reculé d’un pas.
— J’aurais pu le faire toute seule.
— Je sais, Red.
On a rejoint les autres autour d’un barbecue. La foule ne me dérangeait pas, mais je n’étais pas une
créature sociable. Les gens étaient souvent source de problèmes, et j’en avais déjà assez dans ma vie.
Caleb m’a offert un hamburger. Je l’ai mangé en silence pendant qu’il bavardait avec ses amis. Il était
au centre de l’attention. Ce n’était pas seulement sa beauté et sa popularité qui attiraient les gens, mais
aussi son charisme et sa sincérité. Quand les gens lui parlaient, ils les écoutaient vraiment.
— Salut, Caleb, a ronronné la blonde de tout à l’heure.
— Salut, Daidara.
Son prénom était aussi étrange que son visage. Caleb avait l’air à l’aise avec elle, comme s’ils se
connaissaient bien. Mon ventre s’est noué. Ils avaient sûrement couché ensemble.
Caleb était un coureur de jupons. Je le savais. Pourtant, j’avais le cœur lourd. J’avais envie de rentrer
à la maison. Je suis retournée sur le pont pour récupérer le reste de nos affaires. Elles avaient disparu.
J’ai attendu Caleb devant sa moto. Un groupe de mecs était attroupé autour d’un 4 x 4 bleu. L’un d’eux a
attiré mon attention. Il jouait de la guitare, tête baissée, absorbé par la musique. Il a levé la tête vers moi.
Il faisait trop sombre pour discerner son visage, mais quelque chose en lui m’intriguait. J’ai détourné le
regard, croisé les bras. Je commençais à avoir froid.
— Tiens, a dit une voix dans mon dos.
Je me suis retournée. J’étais face à face avec le guitariste. Il m’a tendu une serviette bleue. Quelqu’un
l’a appelé, mais il était focalisé sur moi, avec son sourire ravageur.
— À bientôt, petit ange.
Il m’a souri avant de rejoindre ses amis, guitare sur l’épaule. Caleb est arrivé à ce moment-là, sourcils
froncés. Il avait l’air en colère en me tendant mes habits.
— Couvre-toi, Red.
— Qu’est-ce qui se passe ?
Il a haussé les épaules et s’est glissé entre moi et les autres, comme pour me cacher. On s’est habillés
en silence. Son sourire avait disparu. Ma bonne humeur s’est envolée.
Caleb a chevauché sa moto. Je suis montée derrière lui, j’ai enroulé mes bras autour de sa taille. Je
sentais la chaleur émaner de son dos.
Le trajet du retour s’est passé en silence. Pas un mot dans l’ascenseur. Quelque chose le tracassait. Je
le sentais. Et s’il me virait de son appartement ? Tant pis. J’irais vivre dans la rue, ou ailleurs. N’importe
où.
Caleb a tapé le code d’entrée. La lumière verte s’est allumée. Il a ouvert la porte. J’ai hésité, jetant un
œil vers l’ascenseur.
— Red ?
J’ai croisé son regard, surprise par son intensité. J’en ai eu le souffle coupé.
— Entre. S’il te plaît.
J’ai obéi, comme hypnotisée. Caleb a fermé la porte derrière moi. J’ai senti son regard, son souffle
dans mon dos. Il m’a souri, glissant une mèche de cheveux derrière mon oreille.
— Merci, Red. Merci de m’avoir fait découvrir autre chose.
Il m’a tourné le dos et a disparu dans sa chambre.
CHAPITRE 4

- VERONICA -

Le lendemain matin, j’étais bien décidée à ne pas croiser Caleb. Je me suis levée plus tôt que prévu.
Jamais aucun garçon n’avait autant occupé mes pensées. Merci de m’avoir fait découvrir autre chose.
Qu’est-ce qu’il entendait par là ? Est-ce qu’il voulait dire que j’étais différente de toutes les filles avec
qui il sortait ? Ce mec était un expert de la drague. Il devait utiliser cette phrase avec toutes ses
conquêtes, pour les faire tomber comme des quilles.
Il fallait que j’évite ses pièges, que je limite nos interactions. Je ne voulais pas qu’il sache qu’on était
inscrits dans la même fac. Moins il savait de choses sur moi, mieux je me porterais.
J’ai bâillé en faisant frire les derniers œufs trouvés dans le frigo. J’ai attrapé un post-it dans un tiroir et
laissé un message :

Caleb,
J’ai préparé des œufs pour le petit déjeuner. Il faut vraiment qu’on aille faire des courses. Je
reviens vers 17 heures.
Veronica

L’appartement de Caleb était situé dans le quartier huppé de la ville. Ici, pas de transports en commun.
L’arrêt de bus le plus proche se trouvait à vingt minutes de marche, et le trajet jusqu’à la fac durait plus
d’une heure. En voiture, cela m’aurait pris trente minutes.
Les vacances d’été approchaient à grands pas. Cette nouvelle me mettait de bonne humeur : c’était
l’occasion de travailler davantage pour louer mon propre appartement et rembourser Caleb. Je savais
qu’il n’avait pas besoin d’argent, mais c’était une question de principe.
La journée a été longue et ennuyeuse. J’avais la tête ailleurs. Je pensais à Caleb tout le temps. Je suis
arrivée à l’appartement à 17 h 20. J’attendais l’ascenseur quand quelqu’un s’est planté à côté de moi. J’ai
tout de suite su que c’était lui. J’ai tourné la tête. Caleb me regardait déjà, un sourire jusqu’aux oreilles et
les yeux remplis de malice.
— Salut, Red.
— Salut.
Les portes se sont ouvertes. J’ai avancé d’un pas.
— Attends.
Il a posé une main sur mon bras. Pourquoi mon cœur battait-il aussi vite ?
— Et si on allait faire des courses maintenant ?
Non. Je ne veux pas passer du temps avec toi. Je veux que tu arrêtes de me regarder avec tes grands
yeux verts.
— OK.
— J’ai récupéré ma voiture. Je suis garé dehors.
On a fait demi-tour vers le parking. Caleb portait un bonnet gris, un polo bleu foncé, un jean et des
bottes noires. Il est passé devant moi pour m’ouvrir la portière. Au dos de son polo, il était écrit : « Je
suis né prêt. » Je me suis retenue de sourire. Cela le décrivait parfaitement.
En m’installant sur le siège, des bribes de notre rencontre me sont revenues. Ma soirée en boîte, mon
passage dans sa voiture. Mon vomi. Je m’attendais à ce qu’il me taquine à ce sujet, mais il n’en a pas
parlé. Il était silencieux. L’air était chargé quand on était ensemble. Il frôlait ma peau, titillait mes sens. Il
fallait que je me calme. Je n’étais pas intéressée. Pas du tout.
Menteuse.
Caleb s’est garé devant le supermarché. Je suis sortie aussi vite que possible, me dirigeant vers les
caddies. Une pièce de monnaie m’a échappé. Il s’est penché pour la ramasser. Son jean lui moulait les
cuisses et les fesses. J’ai détourné le regard. Je ne voulais pas qu’il pense que je le reluquais.
— On a besoin de quoi ? a-t-il demandé en insérant la pièce dans le caddie.
— Je ne sais pas. Qu’est-ce que tu veux manger ?
— Des hamburgers, des frites, des pâtes, des fruits de mer, et…
J’ai tourné la tête vers lui. Il m’a souri, l’air mystérieux.
— Et ?
— Toi.
J’ai levé les yeux au ciel. Moi et toutes les blondes du pays.
On a commencé par le rayon fruits de mer. Caleb s’est arrêté devant un aquarium rempli de crabes. On
aurait dit un petit garçon au zoo.
— Les pauvres ! Regarde, Red. Il y en a un qui te regarde.
J’ai souri. Sa bonne humeur était contagieuse.
— Lequel ?
— Celui-là, a-t-il répondu en montrant du doigt le plus gros crabe. On dirait le mec de Star Trek.
Quand j’étais petit, je voulais un crabe comme animal de compagnie.
Il s’est penché sur l’aquarium.
— Comment on les cuisine ?
— On les fait bouillir vivants.
Il a écarquillé les yeux.
— C’est vrai ? C’est horrible !
— On peut aussi les congeler.
— Tu plaisantes ?
J’ai secoué la tête.
— Je n’aimerais pas mourir comme ça.
Je me suis retenue de rire. Caleb avait l’air très sérieux. Et adorable.
J’ai jeté un sachet de crevettes surgelées dans le caddie. Caleb ne s’était toujours pas décollé de
l’aquarium. Il affichait un large sourire. Curieuse, je l’ai rejoint. Un crabe était en train de grimper sur un
autre, pinces serrées.
— Quelle bande de pervers. Regarde ! Ils le font devant nous.
J’ai éclaté de rire. Je lui ai laissé le caddie, en lui disant d’acheter ce qu’il voulait.
— Toi aussi, Red. Fais-toi plaisir.
Il a rempli le caddie en remontant les rayons. J’ai repéré un paquet de cupcakes au chocolat et au
beurre de cacahuète. Ils étaient saupoudrés de sucre scintillant. Ils avaient l’air fondants, délicieux. Je
leur ai tourné le dos en soupirant.
— Attends ! a crié Caleb en attrapant le paquet. J’ai envie de cupcakes.
Menteur, ai-je pensé. Un mec aussi bien taillé que lui ne mangeait pas de confiseries. Pourquoi était-il
aussi gentil avec moi ? Il était trop attentionné.
Au bout du rayon, une vieille dame portant l’uniforme du magasin, un tablier blanc et des gants, faisait
goûter de la nourriture aux clients.
Caleb a attrapé le petit gâteau qu’elle lui tendait.
— Merci. Est-ce que je peux en avoir un pour la demoiselle ?
— Bien sûr. Chocolat, vanille ou beurre de cacahuète ?
— Beurre de cacahuète, a-t-il répondu avant moi. C’est ce qu’elle préfère.
Je l’ai regardé un long moment, surprise qu’il s’en soit souvenu. Il m’a souri en enlevant l’emballage et
en plaçant le gâteau dans ma bouche béante. Son pouce a effleuré ma langue, et s’est attardé sur ma lèvre
inférieure.
— Désolé. Tu avais de la crème.
J’avais chaud, tout à coup. Je lui ai tourné le dos, fonçant vers le rayon suivant. Le caddie était
tellement rempli que les articles du dessus n’arrêtaient pas de tomber. On avait de quoi nourrir vingt
personnes. À la caisse, j’ai tourné la tête et fredonné pour couvrir le prix annoncé par la caissière.
Monter les courses dans l’appartement m’a épuisée et le simple fait de voir tous ces sacs recouvrir le
bar m’a découragée. Il y en avait même par terre. Caleb m’a aidée à tout ranger. Chaque fois que je le
surprenais en train de me regarder, ou que sa main frôlait la mienne, mon cœur s’emballait. On était
tellement fatigués et affamés qu’on a fini par commander une pizza.
Je ne me sentais pas à l’aise avec lui. Je me sentais… vulnérable. J’ai choisi une part de pizza et je me
suis retirée dans ma chambre.
Je ne pouvais pas me permettre de laisser un garçon entrer dans ma vie. Les jours suivants, j’ai fait en
sorte de ne pas le croiser. Ni le matin, ni le soir après les cours, ni avant de partir travailler au restaurant.
Le vendredi suivant, je me dirigeais vers mon casier quand je l’ai aperçu avec ses amis. J’ai aussitôt fait
demi-tour. J’espérais qu’il ne m’avait pas vue.
En vérité, je pensais à lui tout le temps. C’était plus fort que moi. La soirée sur le pont. Son rire. Ses
bras autour de moi. Ses blagues au supermarché. Son attention. Ses cupcakes. Un soir, j’ai découvert qu’il
avait rempli un placard de pots de beurre de cacahuète.
On ne s’est pas parlé pendant des jours. J’en ai conclu que Caleb était passé à autre chose. Que cette
soirée n’avait pas compté pour lui. Qu’il m’avait oubliée.
Le week-end est arrivé. Samedi, j’ai travaillé toute la journée. Dimanche, je suis partie à la recherche
d’un second boulot. Je me suis levée tôt, j’ai préparé le petit déjeuner et le déjeuner de Caleb. Je savais
que je rentrerais tard. J’irais déposer mon CV dans tous les magasins de la ville s’il le fallait.
Je venais de le servir quand j’ai entendu des bruits de pas derrière moi. J’ai arrêté de bouger, pétrifiée.
— Pourquoi tu m’évites, Red ?
J’ai failli lâcher l’assiette. Caleb était planté devant moi, une serviette autour du cou, torse nu, en
jogging gris. Des gouttes de sueur perlaient sur son front, son torse bombé et ses abdos, où une fine
traînée de poils disparaissait sous son pantalon. Il venait de faire du sport. Il avait des pansements sur les
doigts et une griffure sur le bras. Il n’avait pas arrêté de la semaine, comme s’il ne tenait pas en place. Je
l’avais entendu taper contre les murs, réparer les fenêtres et même carreler sa salle de bains.
Je me suis éclairci la voix.
— Je… Je ne t’évite pas.
Il a penché la tête sur le côté. Je me suis retenue de gigoter. Pourquoi était-il aussi beau ?
— Tu ne sais pas mentir, Red.
Une vague de colère s’est emparée de moi. Il avait pourtant raison. Je n’étais qu’une menteuse.
— Tu as besoin de quelque chose ? ai-je demandé, agacée.
— Oui.
Il a passé une main sur son visage. Il s’est approché de moi, lentement. J’étais clouée sur place,
incapable de bouger, de respirer. Le désir. Je n’avais jamais ressenti une chose pareille. Pourquoi fallait-
il que cela arrive avec Caleb ?
Il s’est posé devant moi, les mains dans les poches.
— J’aimerais que tu arrêtes.
J’ai avalé la boule dans ma gorge.
— Que j’arrête quoi ?
— J’aimerais que tu sortes de ma tête.
J’ai serré les poings. J’aurais pu lui renvoyer la balle, mais je n’ai pas dit un mot. Son visage s’est
attendri. J’ai retenu mon souffle.
— Fais attention à toi, Red. La prochaine fois, je ne me retiendrai pas.
Il a disparu dans le couloir.
Ce n’était pas une menace. C’était une promesse.
CHAPITRE 5

- VERONICA -

J’étais de plus en plus pressée de trouver un autre travail. Je me sentais menacée par les émotions que
Caleb provoquait en moi. Je suis passée à la bibliothèque pour vérifier si de nouvelles annonces avaient
été postées depuis la dernière fois, et pour mettre à jour ma liste. Au bout de trois heures de tri, il n’en
restait plus qu’une.
Garage Hawthorne – caissière/réceptionniste. Postuler sur place. Salaire à négocier.
Le garage Hawthorne était un long bâtiment peint en gris et bordé de bleu, avec un bureau adjacent. J’ai
poussé la porte de l’accueil. Un bruit de machines et une odeur d’essence s’échappaient du garage. Une
jolie brune était plantée derrière le comptoir, les yeux plissés derrière ses lunettes, en train d’écouter un
client se plaindre. La clochette a retenti au-dessus de ma tête. J’ai fermé la porte discrètement.
— Vous pensez peut-être que c’est moi qui ajoute les taxes sur les factures de nos clients ? a-t-elle dit
en levant les sourcils. Si c’était vrai, j’ajouterais une taxe pour les imbéciles. Je ne parle pas de vous,
monsieur, mais si vous refusez de payer, taxes comprises, on ne vous rendra pas votre voiture.
Le client a voulu attraper ses clés sur le comptoir. Elle l’a toisé du regard.
— Vous voulez partir sans payer ? Dans ce cas, ce n’est pas à moi que vous aurez affaire, mais à la
police.
Je me suis mordu la lèvre, gênée. J’ai hésité à sortir et à revenir plus tard. Elle a croisé mon regard et
m’a fait un clin d’œil. J’ai décidé d’attendre. La conversation a repris, et le client a fini par payer sa
facture, taxes comprises. Il s’est emparé de ses clés et a filé récupérer sa voiture.
— Espèce d’enfoiré, a-t-elle bougonné.
Son regard s’est posé sur moi.
— Salut, ma belle. Tu viens chercher ta voiture ?
Je lui ai souri. Je ne connaissais pas cette fille, mais je l’adorais déjà. Elle portait une longue robe
verte et des sandales dorées. Elle avait un grain de beauté au-dessus de la bouche. Elle était métisse avec
des origines asiatiques, et de jolis yeux noisette.
J’ai secoué la tête.
— J’ai vu votre annonce ce matin. Je viens déposer mon CV.
— Quelle annonce ?
Je lui ai tendu la feuille. Elle l’a balayée du regard, les sourcils froncés.
— Je m’appelle Veronica Strafford.
— Kara Hawthorne. Désolée, mais je pense que tu t’es trompée d’endroit…
— Hé ! Cam !
On s’est retournées en même temps. Un jeune mécanicien a glissé la tête par la porte du fond. Les
bruits du garage ont envahi le bureau.
— J’ai oublié de te prévenir ! Papa m’a demandé de publier une annonce pour trouver quelqu’un à mi-
temps.
Il m’a fait un clin d’œil.
— Arrête de cligner des yeux, Dylan. On dirait que tu fais une crise d’épilepsie. Pourquoi papa te l’a
demandé à toi et pas à moi ?
Elle avait l’air vexée. Il a levé les yeux au ciel.
— Du calme, Cam. Tu es sur les nerfs depuis des semaines. Tu as besoin d’aide.
— Va te faire voir ! a-t-elle hurlé. Désolée pour lui. Il ne sort pas souvent de sa cage.
— Je t’ai entendue ! a dit Dylan avant de disparaître dans le garage en riant.
Elle a souri en se tournant vers moi.
— Je vais jeter un œil à ton CV. Est-ce que tu as trois références ?
Je lui ai tendu un bout de papier. J’avais tout prévu.
— Super ! Donne-moi une minute.
Elle s’est dirigée vers le téléphone au fond du bureau. Elle est revenue quelques minutes plus tard, un
sourire jusqu’aux oreilles.
— J’en ai eu deux sur trois. J’ai juste quelques questions à te poser avant d’aller plus loin.
— OK.
— Est-ce que tu portes de la fourrure ?
— Non.
— Du cuir ?
— Non.
— Très bien. Tu aimes les animaux. Tu es végétarienne ? Vegan ?
— Heu… non.
Elle a poussé un soupir.
— Dommage. Tu es embauchée. Tu peux commencer aujourd’hui ?
J’avais envie de danser de joie.
— Avec plaisir.
— Dans ce cas, appelle-moi Cam. On en discute autour d’un repas ?
— D’accord.
— Il y a un restaurant végétarien au bout de la rue. Ça te va ?
Elle a attrapé son sac et ses clés dans un tiroir, retourné le panneau sur la porte pour indiquer qu’elle
serait de retour dans une heure, et fermé la porte à clé derrière nous.
Maintenant que j’avais un second travail, je pouvais me permettre de m’offrir un repas… mais
seulement pour cette fois. Chaque centime comptait.
On a discuté autour de frites, d’un hamburger aux champignons et d’un milk-shake. Elle m’a parlé de
mon salaire, de mes responsabilités et de ce qu’elle attendait de mon travail. En général, il me fallait du
temps avant d’apprécier les gens, mais Cam, je l’ai aimée tout de suite. Certains auraient été intimidés
par sa franchise. Moi, j’adorais ça. Elle était en train de me raconter ses méthodes hilarantes pour gérer
les clients difficiles quand elle s’est arrêtée au milieu d’une phrase. Un éclair de tristesse est passé sur
son visage.
— Mon ex vient d’entrer. Ne te retourne pas !
Trop tard. Elle a levé les yeux au ciel. J’ai éclaté de rire. Un garçon aux cheveux noirs s’asseyait en
face d’une fille, à trois tables de nous. Ses grands yeux bleus étaient rivés sur Cam.
— Il te regarde.
— Je m’en fous. Je le déteste. J’aimerais qu’il brûle en enfer.
— À ce point-là ?
— Merde ! Il nous a repérées ! Maintenant, il sait que je parle de lui. Comme si son ego n’était pas
assez surdimensionné… Viens, on s’en va.
Elle a bondi de sa chaise. Je n’avais pas fini mon hamburger. J’avais envie de demander à la serveuse
de me l’emballer, mais Cam était pressée. Elle s’est arrêtée à la table de son ex en battant des cils.
— Salut, Cameron. Le traitement se passe bien ?
L’autre fille l’a dévisagée, confuse.
— Quel traitement ?
— Oh ! Tu n’es pas au courant ? Le pauvre Cameron est impuissant. Il a besoin de médicaments pour
bander. Désolée de te l’apprendre, chérie. Bon courage !
Elle les a salués d’un geste de la main et s’est précipitée vers la sortie. Cameron s’est levé et lui a
couru après.
— Kara ! Cam ! Reviens !
Le temps que je les rejoigne, Cameron l’avait agrippée par le bras, pressant ses lèvres sur les siennes.
Elle lui a donné un coup de genou dans l’entrejambe. Il s’est effondré, abattu par la douleur.
— Écoute-moi, Cam…
Elle ne lui a pas laissé le temps de finir, concluant sa phrase par un coup de pied dans le ventre. Je me
suis glissée entre eux pour les séparer. Elle l’a menacé du doigt.
— Ne me touche plus JAMAIS avec tes phalanges dégueulasses ! Espèce de babouin sans queue !
CHAPITRE 6

- VERONICA -

Je suis rentrée tard à l’appartement. J’ai tapé le code. Bip. Clic. La lumière du salon était allumée. Une
odeur de toast cramé s’échappait de la cuisine.
J’avais prévu de rentrer plus tôt pour préparer le dîner, mais j’avais fini par passer la soirée avec
Cam. Elle m’a proposé de travailler plus d’heures, pour un salaire plus intéressant. J’ai donc décidé de
démissionner de mon mi-temps au restaurant.
— Caleb ?
Je me suis couvert les yeux. Il avait l’habitude de se balader tout nu. Mieux valait être prudente. J’étais
excitée à l’idée de le revoir, mais je refusais de me laisser séduire. Il était dans la cuisine, planté devant
le frigo ouvert, en train de boire du jus d’orange. Il portait un costume-cravate noir, les cheveux peignés
en arrière.
Beau à en crever.
Je suis restée immobile, fascinée. Ses yeux verts se sont assombris en me voyant. Gênée, je n’ai pas pu
m’empêcher d’admirer ses lèvres. Elles étaient roses, irrésistibles, refroidies par sa boisson préférée. Il
a léché une goutte de jus d’orange sur sa lèvre inférieure. J’avais des papillons dans le ventre.
— Tu profites de la vue ?
Il avait la voix plus grave que d’habitude. J’étais submergée par les émotions. J’ai rougi et baissé la
tête.
— Je sais que je t’excite, Red. Pas la peine de faire semblant.
Mon Dieu. Mon Dieu. Mon Dieu.
Il s’est approché de moi, les yeux rivés sur ma bouche. Je sentais son parfum, la chaleur de son corps.
— Je t’avais dit que je ne me retiendrais pas.
En un geste, il m’a plaquée contre le mur. Il a tracé une ligne sur ma joue, le long de mon cou. J’ai
fermé les yeux. Mon cœur battait à toute vitesse.
— Je pense à toi tout le temps, Red. C’est plus fort que moi.
Il a effleuré ma peau avec ses lèvres.
— Caleb…
J’étais comme intoxiquée. Hypnotisée.
— J’ai envie de te goûter. Tu sens tellement bon.
J’ai serré les poings pour me retenir de le toucher. Il s’est agrippé à mes hanches.
— Embrasse-moi, Red.
Il a aspiré ma lèvre inférieure. Il l’a léchée, mordillée. Il a enroulé ses bras autour de ma taille,
m’attirant contre lui, une main sur ma nuque. Il a attrapé une poignée de mes cheveux et s’est emparé de
ma bouche. Quand j’ai répondu à son baiser, il est devenu insatiable, désespéré. Le monde a disparu
autour de moi. J’ai gémi de plaisir…
— Non !
Qu’est-ce qui m’arrivait ? J’ai plaqué les mains contre son torse pour le repousser. Caleb a posé son
front contre le mien. Son souffle me caressait la peau, son odeur m’enivrait.
— Red…
— Non, Caleb. S’il te plaît.
J’ai couru dans ma chambre, confuse. Il fallait que je quitte cet appartement au plus vite. Caleb me
désarmait, me rendait faible. J’ai touché mes lèvres d’une main tremblante. Jamais personne ne m’avait
embrassée avec autant de passion.
Avant, je me moquais des rumeurs qui circulaient à son sujet. Tout le monde disait qu’il était capable
de ressusciter un poisson en un baiser.
Maintenant, je les croyais.

Le lendemain matin, je me suis réveillée tôt pour préparer son petit déjeuner. J’ai laissé un mot sur le
frigo et je me suis dépêchée de partir à la fac. Je ne voulais pas l’affronter après le baiser de la veille.
Cela ne se reproduirait plus. Plus jamais. Je ne voulais pas devenir une fille de plus à son tableau de
chasse, une encoche de plus dans sa tête de lit. Je ne voulais pas qu’il me voie comme les autres.
D’ailleurs, pourquoi me souciais-je de ce qu’il pensait de moi ? Je m’en fichais ! Il fallait que je m’en
fiche !
La météo était aussi morne que mon humeur. Des nuages noirs surplombaient le bâtiment tandis que je
me rendais à ma deuxième heure de cours. Il me tardait que cette journée se termine. J’ai jeté un œil à ma
montre. J’étais en avance.
— Red ?
Une seule personne m’appelait comme ça. J’ai accéléré le pas. Je suis entrée dans l’amphi et je me
suis assise au deuxième rang, à la seule place libre. J’étais sauvée.
— Hé ! Lockhart ! a hurlé un garçon derrière moi.
J’ai tourné la tête. Caleb était sur le pas de la porte, beau comme un dieu dans son pull gris et son jean
noir, avec ses manches retroussées qui mettaient en valeur ses avant-bras.
— Qu’est-ce que tu fous, mec ? Tu n’es pas inscrit à ce cours.
— Je sais. Mais j’ai vu un truc qui me plaît.
J’ai entendu le sourire dans sa voix. J’étais soulagée qu’il n’y ait pas de place dans ma rangée. J’ai
serré les dents. Où était le prof ?
— Veronica Strafford ? a murmuré une voix dans mon dos.
Un garçon de ma classe à qui je n’avais jamais adressé la parole m’a tendu un morceau de papier. Sa
frange noire recouvrait un de ses yeux. L’autre était rivé sur moi.
— C’est pour toi.
J’ai attrapé le papier. Caleb me fixait, l’air taquin. Je me suis retournée, le papier froissé entre les
doigts. Mon voisin m’a tapoté l’épaule. Je lui ai lancé un regard noir.
— Il a dit qu’il fallait que tu le lises, sinon il changerait de place avec le mec à côté de toi.
J’ai eu envie de lui jeter le papier à la figure, mais je ne voulais pas me donner en spectacle. J’ai
déplié le message.
Je ne suis pas DU TOUT désolé de t’avoir embrassée hier soir.
Caleb

J’ai roulé le papier en boule.


— C’est quoi ? a demandé quelqu’un à Caleb. Qu’est-ce que tu lui as écrit ?
J’allais glisser le morceau de papier dans ma poche quand un mec me l’a arraché des mains.
— Amos ! a hurlé Caleb. Enfoiré ! Reviens ici !
Horrifiée, j’ai regardé Amos monter sur scène et se racler la gorge pour attirer l’attention de tout le
monde.
— Alors, on se passe des petits mots comme au lycée ? m’a-t-il dit en souriant. Tu t’appelles
comment ?
— Veronica Strafford ! a-t-on répondu à ma place.
Je ne pouvais ni bouger ni parler. J’étais paralysée.
Il a déplié le papier, exagérant chaque geste. Je devais être blanche comme un linge. Il a écarquillé les
yeux, puis a lu le message d’une voix monotone.
— Je ne suis pas du tout désolé de t’avoir embrassée hier soir. Caleb.
J’avais envie de mourir, de disparaître à jamais. Un brouhaha a empli la salle. Pourquoi ce mec avait-
il fait ça devant toute la classe ? Et puis, à cause du ton qu’il avait employé – et son oubli de la
ponctuation –, on aurait dit que c’était moi qui l’avais écrit ! Que c’était moi qui n’étais pas désolée de
l’avoir embrassé !
— Voilà de quoi vous occuper, les enfants !
Caleb souriait, insouciant. J’avais envie de lui donner un coup de pied dans le ventre et d’effacer cet
air suffisant de son visage. Je n’ai pas attendu l’arrivée du professeur. Je suis partie en courant.
— Red ! Attends !
Je me suis arrêtée en haut des marches. En me retournant, mes cheveux lui ont fouetté le visage.
— Aïe !
Bien fait pour lui ! Mais cela n’a pas suffi à me calmer. J’avais honte. J’étais furieuse. J’ai accéléré le
pas, jetant un œil par-dessus mon épaule.
— Red ! Attention !
J’ai tourné la tête… et percuté la porte en verre. J’avais la tête qui tournait, le visage en feu. J’ai fermé
les yeux. Tout le monde me regardait et se moquait de moi.
— Laisse-moi tranquille, Caleb !
J’ai claqué la porte derrière moi, espérant qu’il se la prendrait en pleine figure. Il m’a suivie dans le
couloir.
— Ça va ?
Je n’ai pas répondu.
— Qu’est-ce qui se passe, Red ?
Je me suis retournée en grognant. Ma colère avait l’air de le surprendre. Il a étudié mon visage d’un air
tendre.
— Pourquoi tu es énervée ?
— J’en ai marre de tes pièges, Caleb. J’en ai marre de m’occuper d’un petit garçon égoïste. Et, surtout,
j’en ai marre qu’on me force à faire des choses que je n’aime pas.
Son regard s’est voilé. Froid et distant.
— Compris.
Sans un mot, il m’a tourné le dos.

Durant les semaines qui ont suivi, on s’est évités à tout prix. Je me levais avant lui pour préparer ses
repas en avance et je lui laissais des instructions pour les réchauffer. J’allais en cours et travaillais tous
les jours. Quand je ne me rendais pas à la bibliothèque après le boulot, je passais mes soirées avec Cam.
J’évitais de rentrer trop tôt au cas où Caleb m’attendrait. Ce n’est jamais arrivé. J’ai décidé d’ignorer le
pincement au cœur que son absence me provoquait.
Chez lui, je me sentais comme une intruse. Je me retenais de faire ma valise et de partir. Je n’avais
nulle part où aller. J’hésitais à demander à Cam de m’héberger, mais je ne voulais pas m’incruster.
J’avais beau la voir tous les jours, on se connaissait à peine. Si Caleb avait sous-entendu qu’il ne voulait
plus de moi chez lui, je serais partie. Jusque-là, il ne m’avait rien demandé.
Les rares fois où je l’ai croisé dans l’appartement, il m’a saluée poliment. Je disparaissais le plus vite
possible, avant qu’il ait le temps de me parler. Je partirais de chez lui à la fin du semestre. D’ici là,
j’aurais mis suffisamment d’argent de côté pour payer mon loyer.
J’en voulais à Caleb d’avoir percé ma carapace. Je m’en voulais de m’être fait piéger. Et puis, il me
manquait. C’était ridicule. Comment un étranger pouvait-il avoir un tel effet sur moi ? J’étais faible. Trop
faible. Plus les jours passaient, plus j’avais les idées noires. Les seuls moments qui me remontaient le
moral, c’était ceux que je passais avec Cam.
J’étais au bureau, en train de plier les factures et de les glisser dans des enveloppes, quand la porte
s’est ouverte. Cam est entrée en balançant les hanches, ses bracelets en or tintant à son poignet. Comme
chaque dimanche, elle revenait de l’église, où elle allait avec son père et son petit frère. Son maquillage
était impeccable, ses vêtements repassés. Je me sentais moche dans ma chemise et mon vieux jean.
— Ça s’est bien passé ?
— Je suis une pécheresse, Ver. Pourquoi crois-tu que j’y retourne tous les dimanches ?
Elle a posé son sac sur le bureau.
— Qu’est-ce que tu penses de mon haut ? Est-ce qu’il me grossit les seins ?
— Ils sont superbes, Cam. Tu es vraiment obsédée par leur taille.
Elle a poussé un soupir.
— Tout le monde n’a pas la chance d’avoir une poitrine comme la tienne. Les miens ressemblent à des
piqûres de moustiques.
Elle a bu une gorgée de son smoothie.
— Beurk ! Je sais que c’est bon pour la santé, mais on dirait que ce foutu smoothie bar n’utilise que
des racines et de la terre. C’est comme boire de la pelouse !
J’ai grimacé, dégoûtée. Il était très vert.
— Fais attention, Cam. Un jour, tu vas finir par meugler comme une vache.
Elle a éclaté de rire.
— J’ai vu une jolie robe en vitrine tout à l’heure. On devrait aller faire du shopping un de ces jours.
Qu’est-ce que tu en penses ?
J’ai poussé un soupir. Elle m’a regardée de travers.
— Qu’est-ce qui t’arrive, Ver ? Tu as l’air déprimé.
J’ai ouvert et fermé le bouchon de mon jus de noix de coco. Cam l’observait avec envie. Elle s’est
emparée de la bouteille et l’a remplacée par son smoothie.
— Tiens. Tu en as plus besoin que moi. D’ailleurs, tu aurais besoin d’un bon coup de b…
J’ai levé la main.
— Est-ce qu’on peut arrêter de parler de seins et de parties génitales ?
— Comme tu veux, a-t-elle dit en dégustant ma boisson. Qu’est-ce qui t’arrive ?
Cela faisait longtemps que je n’avais pas parlé de mes problèmes à quelqu’un. Après le départ de mon
père, j’avais appris à les régler toute seule. Parfois, j’avais l’impression d’avoir quatre-vingt-dix ans,
pas vingt. Me confier à quelqu’un me semblait étrange, mais j’ai quand même fini par lui parler de Caleb.
— Tu habites chez Caleb Lockhart ? Ce mec est canon, mais c’est un vrai tombeur !
Je lui ai parlé de notre baiser. Elle a mis du temps à se calmer. Je lui ai dit que je voulais déménager,
trouver un appartement, une chambre, n’importe quoi qui m’éloigne de lui.
— Incroyable ! Tu sais que Caleb est le meilleur ami de Cameron ? Tu aurais dû m’en parler plus tôt.
C’est décidé : demain, tu t’installes chez moi.
— Tu es folle ? Tu me connais à peine !
Elle m’a souri.
— J’ai passé suffisamment de temps avec toi pour savoir que tu n’es pas un serial killer. Je t’aime
déjà, ma peste.
J’avais envie de la serrer dans mes bras, mais je me suis contentée de sourire.
— Je t’aime aussi, ma garce.
CHAPITRE 7

- VERONICA -

L’appartement de Caleb était plongé dans le noir. D’habitude, quand il rentrait tôt, une odeur de brûlé
flottait dans l’air. Ce jour-là, aucune trace de lui. Pas un bruit. Voilà qui ne m’arrangeait pas : j’avais
prévu de lui annoncer mon départ et de faire ma valise.
Un mouvement sur le balcon. Surprise, j’ai attrapé mon canif. Dehors, la lune était cachée par les
nuages. J’ai ouvert la porte en plissant les yeux, tentant de percer la pénombre. Caleb était assis dans un
coin, tête baissée. J’ai tout de suite compris qu’il s’était passé quelque chose. Quelque chose de grave. Je
ne l’avais jamais vu dans cet état.
— Caleb ?
Il a hoché la tête. J’ai avancé d’un pas. Mes yeux se sont acclimatés à l’obscurité. Je n’avais pas vu
son visage depuis tellement longtemps qu’il m’a frappé en plein cœur. Même triste, Caleb était sublime.
— Tu as besoin d’être seul ?
— Non.
Je me suis assise à côté de lui, à l’affût d’un signe, d’un geste, d’un mot.
— Mes parents divorcent.
Sa voix était aussi vide que s’il m’avait demandé de lui passer le sel. J’ai pris sa main dans la mienne.
Aucun mot ne le réconforterait. Je ne pouvais lui offrir que ma présence. Ses doigts étaient glacés et longs
comparés aux miens. J’ai étudié son visage : regard triste, mâchoire tendue, bouche pincée.
— Je m’y attendais, a-t-il murmuré. Il a trompé ma mère plein de fois, mais elle est restée. Elle refusait
de divorcer. Je l’ai vue aujourd’hui. Elle était en larmes. J’ai eu du mal à la sortir du lit. J’ai dû la forcer
à manger.
Il a serré les poings, comme s’il contenait sa colère.
— Je le déteste. J’ai envie de le tuer.
— Qu’est-ce que ça changerait ? ai-je dit avec tendresse.
Ses grands yeux verts se sont posés sur moi.
— Je me suis souvent demandé pourquoi certaines personnes sont punies par la vie, et pas d’autres. On
ne peut pas protéger les gens qu’on aime, Caleb. On peut être là pour eux, mais pas choisir leur chemin.
C’est leur bataille, pas la nôtre.
Il n’y avait pas une seule étoile dans le ciel. Les lumières de la ville étaient trop criardes.
— C’est injuste mais, quand on n’a pas de chance, on doit se battre deux fois plus que les autres. On
doit être plus fort. On n’a pas le choix, Caleb. Sinon, on finit avec les plus faibles. La vie nous avale,
nous recrache, et on finit par mourir de chagrin.
Comme ma mère.
Je savais que j’étais cynique, mais mon expérience m’avait endurcie. C’était plus fort que moi.
— Arrête de broyer du noir, Caleb. Bats-toi. Souris. Le monde est terne quand tu ne souris pas.
Il a eu l’air aussi surpris que moi. J’ai rougi, gênée. J’aurais mieux fait de me taire, mais cette soirée
était propice aux confessions. La vérité, c’était qu’il me manquait. Il me manquait même davantage
maintenant qu’il était en face de moi. C’était absurde. Devant lui, impossible de renier mes sentiments.
Il m’a souri. Le poids qui appuyait sur ma poitrine s’est envolé. Je me suis levée en lui tendant la main.
— Crêpes ?
Il m’a regardée avec tendresse, se levant à son tour.
— Merci, Red.
Sa voix était douce comme une caresse. Je me sentais légère. Ne sachant quelles émotions trahissaient
mon visage, je lui ai tourné le dos. Il a entrelacé mes doigts avec les siens. J’ai regardé nos mains jointes
en entrant dans l’appartement.
— Ne me lâche pas, Red.
— Tu ne veux pas de crêpes ?
— Non. J’ai envie de me promener sur la plage avec toi.
Mon cœur s’est emballé. Caleb a souri en m’attirant dans l’ascenseur. On est descendus jusqu’au sous-
sol, on a marché jusqu’à la voiture. Il m’a ouvert la portière. On a attaché nos ceintures. Ses yeux avaient
retrouvé leur éclat.
— Prête ?
— Prête.
La plage était à une bonne demi-heure de chez lui. On a roulé avec les vitres grandes ouvertes. Mes
cheveux dansaient dans le vent. Les routes étaient désertes. J’étais excitée, pleine d’énergie, apaisée par
la main de Caleb dans la mienne.
— Merci d’être là, Red.
Personne ne m’avait jamais dit une chose pareille. J’ai tourné la tête vers la vitre pour qu’il ne voie
pas l’effet qu’il avait sur moi. Caleb était en train de dévoiler une facette inattendue de sa personnalité. Je
ne savais pas quoi en penser. Ce qui était certain, c’était que j’aimais ce garçon comme aucun autre avant
lui.
Il s’est garé devant une ribambelle de boutiques fermées pour la nuit. On a marché sur le sable encore
tiède. Le vent était glacé. Caleb a enlevé sa veste et l’a posée sur mes épaules.
— Et toi ?
— Tu me tiens chaud, a-t-il dit en me serrant la main. Je sais que tu m’évitais, Red. Je sais que tu ne
voulais pas me voir, mais je n’ai pas arrêté de penser à toi. C’est comme une obsession.
Je n’ai pas réagi. Il a poussé un soupir.
— Je suis désolé. Je ne voulais pas t’imposer quoi que ce soit.
— C’est moi qui m’excuse. Je ne pensais pas un mot de ce que j’ai dit. C’est juste que… tu me
troubles, Caleb.
Je savais qu’il attendait une explication, mais les mots restaient coincés dans ma gorge.
— Tu as l’air triste, Red. Tout le temps.
Il avait raison. J’étais triste depuis trop longtemps. J’étais en manque d’amour et d’affection. J’avais
refusé de m’attacher à quiconque, effrayée à l’idée de souffrir davantage. Pour la première fois, un garçon
parvenait à détruire mon armure. C’était terrifiant.
— J’ai envie de te faire sourire, Red. Pas les faux sourires polis que tu donnes aux gens. Je veux revoir
ton vrai sourire, celui qui illumine tes yeux et ton visage.
— Je ne comprends pas, Caleb. Je ne comprends pas ce que tu veux.
— Tu en es sûre ?
J’ai détourné le regard.
— Je ne suis pas prête.
Il a hoché la tête.
— Pas de problème. J’ai passé ma vie à te chercher. Je peux attendre encore un peu.
— Tu ne penses pas que c’est trop rapide ?
— Non, Red. Je pense à toi tout le temps. Même si on s’était rencontrés aujourd’hui, je te voudrais
encore demain, dans cinq jours, dans un mois…
Je ne voulais pas qu’il dise pour toujours. Je ne croyais pas en l’amour éternel. Pour moi, cela relevait
des contes de fées. Je n’avais jamais cru aux contes de fées.
— Tu me fais peur.
— Je sais, a-t-il dit en riant. Il va falloir que tu t’y fasses.
— Promets-moi quelque chose.
— Quoi ?
— Ne m’embrasse plus jamais.
Il a plongé son regard dans le mien. J’avais l’impression qu’il perçait mon âme, lisait dans mes
pensées.
— Tu as peur de mes baisers, Red. De ce qu’ils provoquent en toi.
Il avait raison. Il savait ce que je ressentais avant même que je ne le devine. Je n’étais qu’une lâche.
— Pourquoi te faire une promesse que je ne peux pas tenir ?
— Tu pourrais au moins essayer.
— Non, a-t-il dit en regardant l’océan. Ce n’est pas une question de choix. J’ai besoin de te toucher, de
te sentir. J’ai besoin de tes sourires, de te savoir heureuse. J’ai besoin de toi tout entière, Red.
J’ai retenu mon souffle. Il s’est assis dans le sable, contre un tronc brisé.
— Viens dans mes bras.
Je me suis allongée entre ses jambes, le dos contre son torse.
— Détends-toi, Red. Je ne t’embrasserai pas ce soir si tu n’en as pas envie.
Bien sûr que j’en avais envie ! Il y avait vraiment quelque chose qui clochait chez moi. Quand il
m’offrait ses baisers, je n’en voulais pas, et quand il respectait mon choix, je ne pensais qu’à ça.
J’ai posé une joue contre son épaule, aspirant son parfum.
— Ne me tente pas, Red. Je suis à deux doigts de…
— De quoi ?
J’ai entendu le sourire dans ma propre voix. J’avais l’air heureuse. Légère. Caleb, ce garçon sublime
que tout le monde voulait, craquait pour moi. C’était irréel !
— Qu’est-ce que tu veux, Red ?
Je n’ai pas répondu. Il n’avait pas encore compris que j’avais changé d’avis ? Je n’avais pas été assez
claire ?
— Je veux t’entendre me le dire.
— Embrasse-moi, Caleb.
Je n’ai pas eu besoin de le répéter. Sa bouche s’est emparée de la mienne. Il a glissé une main sur mon
dos et plongé l’autre dans mes cheveux. Tu m’appartiens. Voilà le message caché sous son baiser.
On s’est embrassés très, très longtemps.
CHAPITRE 8

- VERONICA -

Le réveil avait déjà sonné. J’étais en train de traîner au lit, à me repasser le film de la veille, quand on
a frappé à la porte.
— Red ? Je peux entrer ?
Je me suis redressée, consciente de mon haleine matinale et de mes cheveux en bataille.
— Donne-moi deux minutes !
J’ai foncé dans la salle de bains pour me brosser les dents et les cheveux. J’ai jeté un œil dans le
miroir. Mon visage était… différent. J’avais les joues roses, le regard vif.
— Red ?
J’ai ouvert la porte. Le simple fait de le voir m’a émoustillée. Il avait les cheveux ébouriffés et une
trace d’oreiller sur la joue.
— Tu dors toute nue ?
— Peut-être, ai-je menti.
Il m’a souri d’un air coquin.
— Je peux entrer ?
Il avait un plateau dans les mains. Dessus, une assiette de crêpes difformes, du beurre, du sirop
d’érable, un bol de fraises, une tasse de thé, un verre de jus d’orange… et une rose rouge.
Il s’est raclé la gorge.
— Je t’ai fait des crêpes, vu qu’on n’en a pas mangé hier. Je les ai un peu ratées. Désolé.
Ce mec était adorable. J’avais envie de l’embrasser et de danser de joie, mais je me suis retenue.
C’était la première fois qu’il entrait dans ma chambre depuis mon arrivée. D’habitude, cette pièce me
semblait immense, mais avec Caleb à l’intérieur, je la trouvais minuscule. Il a posé le plateau sur la petite
table ronde devant la baie vitrée. Il a ouvert les rideaux. Le soleil a illuminé la pièce. La vue sur la ville
était la dernière touche qui manquait au tableau. Avec Caleb, tout était parfait. Sa présence me faisait du
bien. J’étais sur le point de me donner à lui tout entière, de me laisser séduire. Je le sentais. Mais que se
passerait-il quand il se lasserait de moi ? Mes sentiments étaient de plus en plus forts. Ils me rendaient
vulnérable, méfiante.
J’ai reculé d’un pas. Caleb m’a sentie hésiter.
— Assieds-toi, Red.
— Je n’ai pas le temps de déjeuner. Mon bus passe bientôt. Il faut que je me prépare.
— Tu ne prends plus le bus. À partir de maintenant, c’est moi qui t’emmène à la fac.
— Non.
— Si.
— Arrête, Caleb.
— Tu n’as pas le choix.
— Je t’interdis de me donner des ordres.
J’ai posé les mains sur mes hanches. Il a poussé un soupir de frustration.
— J’aimerais juste déjeuner en paix. J’ai préparé des crêpes rien que pour toi. Je voulais te faire
plaisir.
Ses paroles m’ont touchée. Après tout, Caleb détestait cuisiner. Il m’a fait signe de m’asseoir. Je me
suis installée dans l’autre fauteuil.
— D’où vient cette rose ?
— Je l’ai volée dans le hall d’entrée.
Je me suis retenue de sourire.
— Merci pour les crêpes.
— Avec plaisir.
Il a poussé l’assiette vers moi. Elles avaient l’air trop cuites, mais j’en ai goûté une bouchée. CRAC.
Un morceau de coquille.
Caleb m’a tendu une serviette.
— Excuse-moi, Red. C’est la première fois de ma vie que je fais des crêpes.
Il avait l’air gêné et triste. Attendrie, j’ai posé mes mains sur son visage… et je l’ai embrassé. Il a
aussitôt répondu à mon baiser. Ce n’était pas comme dans mes souvenirs. C’était encore mieux. Il m’a
mordillée, titillée…
— Dis-moi, Red… Tu veux être ma petite amie ?
J’ai senti la panique monter en moi. Pourquoi ne me laissait-il pas tranquille ? Il en voulait trop. Trop
vite.
— Non, Caleb.
— Pourquoi ?
— Parce qu’on est amis, ai-je dit en me levant.
— Je ne suis pas ton ami ! Les amis ne se désirent pas !
— Je ne veux pas en parler.
— Comme tu veux. Mais je t’interdis d’embrasser quelqu’un d’autre.
Son côté autoritaire commençait à me taper sur les nerfs. J’ai posé un doigt sur son torse musclé.
— Ce n’est pas parce qu’on s’est embrassés hier soir que tu as le droit de diriger ma vie !
— Tu es avec quelqu’un d’autre ? C’est ça ?
J’ai senti la douleur dans sa voix.
— Non, Caleb. Je ne suis avec personne d’autre. Mais je ne suis pas avec toi non plus.
— Si.
— Non !
— Alors, explique-moi ce qui s’est passé hier soir ! Et il y a deux minutes ! Tu m’as embrassé, Red !
Tu as déjà oublié ?
Il n’y avait plus une once d’humour dans sa voix. Il était profondément sérieux. J’ai serré les poings.
— Je ne t’appartiens pas, Caleb.
Il s’est approché de moi.
— Tu me rends fou. Complètement fou.
Il a embrassé ma lèvre inférieure. Il l’a mordue jusqu’à ce que je gémisse. J’ai fermé les yeux. Une
vague de désir s’est emparée de moi.
— Qu’est-ce que tu veux, Red ?
J’étais incapable de répondre. Il a dessiné mes lèvres du bout de la langue.
— Tu as envie de moi, pas vrai ?
J’ai reculé d’un pas.
— Je ne veux pas être ton ami, Red. Si c’est ce que tu veux, je préfère que tu sortes de ma vie.
Mon cœur battait trop vite, trop fort.
— J’ai besoin de plus. Envie de plus.
Tout ou rien. Il venait de poser un ultimatum. J’étais terrifiée. Je ne voulais pas le perdre.
— Ne me demande pas de choisir, Caleb. Tu m’en demandes trop, trop vite.
Il s’est assis, tête baissée, une main sur la nuque.
— Tu as raison. Excuse-moi. Je ne sais pas ce qui m’arrive. Je m’y prends mal. Je suis perdu, Red.
J’avais envie de le serrer dans mes bras, de le réconforter. Je tombais en chute libre, sans filet, parce
que Caleb l’avait retiré. Il me demandait de tout risquer.
— Et si on prenait notre temps ?
Il a hoché la tête et m’a souri tendrement.
— Bonne idée. Prépare-toi. Je t’emmène à la fac. Enfin… si tu es d’accord.
J’ai poussé un soupir.
— Comme tu veux, Caleb.
Mine de rien, il avait obtenu ce qu’il voulait.
CHAPITRE 9

- VERONICA -

— Tu veux dire que j’ai fait le ménage chez moi pour rien ?
— Désolée, Cam. Caleb a besoin de moi en ce moment.
Cam a bu une gorgée de milk-shake à la fraise. Elle persistait à boire du lait alors qu’elle était
intolérante au lactose.
— J’espère que c’est du lait de soja, l’ai-je taquinée.
Elle m’a lancé un regard noir.
— Je suis lacto-végétarienne. Pas vegan.
— Comme tu veux.
On était en route pour un cours de yoga Bikram. Cam voulait absolument que je la suive. Elle avait
décidé de reprendre sa vie en main et d’oublier cet « idiot de Cameron ». Elle avait envie de tenter de
nouvelles expériences, de rencontrer de nouvelles personnes, d’aller de l’avant. En vérité, elle n’arrêtait
pas de parler de Cameron, mais j’étais son amie, et les amies ne remettent pas en question les
contradictions des autres. Dans son cas, il s’agissait plutôt d’une addiction.
— Tu as vraiment fait le ménage pour moi ?
— J’ai changé les draps.
— C’est tout ?
Elle m’a pincé la joue en riant.
On a remonté le trottoir sous la pluie. Il faisait encore frais pour la saison. Le printemps refusait de
céder sa place à l’été. Certains passants avaient rangé leurs pulls et leurs pantalons trop tôt, et portaient
déjà des shorts et des débardeurs.
— Alors, comme ça, ses parents divorcent ? a demandé Cam.
— Oui, mais n’en parle à personne.
— À qui veux-tu que je le répète ? a-t-elle dit en levant les yeux au ciel. Tu veux un conseil, Ver ? Sors
avec plein de mecs avant de choisir le bon. Moi, je n’ai couché qu’avec un seul mec dans ma vie.
— Cameron ?
— Non, Brad Pitt.
Elle a éclaté de rire, puis poussé un soupir de frustration.
— Je me sens sèche. Comme le désert du Bahamas.
— Du Sahara.
— Si tu le dis. Je pense que j’étais blonde dans une autre vie. Toi, tu mériterais une place à la NASA.
Elle a jeté son milk-shake à la poubelle. Le gobelet a rebondi sur le bord et s’est écrasé par terre,
dégoulinant sur le trottoir comme du vomi rose. Cam a poussé un grognement, haussé les épaules.
— Tu ne comptes pas le ramasser ? ai-je demandé.
Inutile. Quelqu’un l’a fait à sa place. Il était grand avec les cheveux rasés et les pommettes saillantes.
Quand il nous a souri, ses yeux noisette se sont illuminés. Une fine barbe recouvrait sa mâchoire. Des
tatouages décoraient ses bras musclés. C’était un sportif. Son tee-shirt noir moulant laissait deviner ses
abdos.
— Merci, a dit Cam en battant des cils.
— De rien. Je m’appelle Theo.
— Kara.
— Ravi de vous avoir rencontrées.
Il avait un piercing à la langue. Cam était clairement sous le charme, la bouche et les yeux grands
ouverts. Je lui ai donné un coup de coude. Trop tard. Une voiture s’est arrêtée devant nous et Theo s’y est
engouffré côté passager. Cam a regardé la voiture disparaître au coin de la rue.
— J’ai trouvé le mec qui va me dépuceler.
— Tu n’es plus vierge, Cam.
— On ne peut pas se faire dépuceler deux fois ?
— Non, sauf si tu as changé de vagin. Allez, viens. La séance de yoga va te calmer.
— Il n’y a pas que le yoga qui calme. Il y a aussi les pizzas. Et le sexe.
Je l’ai traînée jusqu’à l’entrée du bâtiment. La salle de yoga était préchauffée. La chaleur s’est collée à
ma peau comme une combinaison de plongée. Au bout de dix minutes de cours, j’ai tourné la tête vers
Cam. Elle était toute blanche. On aurait dit qu’elle était sur le point de s’évanouir.
— Ça va ?
Elle a fait non de la tête.
— Tu veux sortir ?
On n’avait pas le droit de quitter le cours. La prof voulait qu’on s’allonge si on se sentait mal. Peu
importe.
— Viens, Cam. On y va.
Je l’ai aidée à se lever. La prof lui a demandé si tout allait bien. Cam a répondu que oui. Dans le
couloir, on a été accueillies par la fraîcheur de la clim.
— Enfin libre ! a-t-elle hurlé en s’allongeant par terre. Ça puait le vagin périmé ! Et quelqu’un a pété
pendant les étirements. Plus jamais je ne mettrai les pieds dans ce cours. Plus jamais !
Mon rire a résonné dans le couloir. La prof a ouvert la porte et nous a lancé un regard noir. On est
retournées à nos casiers. Les murs orange étaient recouverts d’images de Buddha et de jardins japonais.
Les toilettes étaient à droite et les casiers à gauche.
Cam est entrée dans une cabine en grognant.
— J’ai envie de vomir.
— Je t’avais dit de ne pas boire ce milk-shake.
— Pourquoi je suis intolérante au lactose ? Pourquoi ? Et pourquoi les gens ne tirent pas la chasse ?
Ils pensent vraiment que j’ai envie de voir et de sentir leurs merdes ? Tirez la chasse, bordel !
J’ai éclaté de rire.
— Tu as raison, Cam. Tu as besoin de sexe.
— Je vais retrouver le mec de tout à l’heure. Il est aussi sexy que Cameron ! Il a même un piercing à la
langue, comme lui. Tu as remarqué que nos noms se ressemblent ? Quand quelqu’un crie « Cam », on se
retourne tous les deux. C’est mignon, pas vrai ?
Et c’était reparti.
CHAPITRE 10

- CALEB -

Jamais je n’aurais pensé devenir un petit ami collant. Jusque-là, je me contentais de coucher avec des
filles, de traîner avec elles en soirée. Rien de plus. Je n’avais jamais eu envie de m’engager.
Avec Red, c’était différent. Tout avait changé. Je ne voyais plus le monde sous le même angle. J’ai
découvert à quel point ma vie était vide avant notre rencontre. C’était la plus belle fille que je
connaissais, dedans comme dehors.
Red travaillait dur, tous les jours, sans se plaindre, sans rien attendre en retour. Quand elle recevait
plus que ce qui était prévu, elle était méfiante. Cette fille était en guerre contre le monde entier. Elle
portait un bouclier du matin au soir. Elle était comme un puzzle auquel il manquait des pièces. Moi,
j’étais prêt à l’attendre. Je n’étais pas du genre à baisser les bras. Quand je voulais quelque chose, je
l’obtenais. Et je voulais cette fille.
Deux semaines s’étaient écoulées. Désormais, Red acceptait que je la conduise à la fac. Certains jours,
elle partait avant que je me lève. J’essayais de me réveiller plus tôt pour ne pas la rater. J’étais prêt à tout
pour passer du temps avec elle.
Ce jour-là, elle était assise à côté de moi, dans la voiture, les cheveux au vent.
— Qu’est-ce que tu fais ce soir ? ai-je demandé. Ne me dis pas que tu travailles. Je sais que c’est ton
jour de repos.
Elle s’est mordu la lèvre. Pourquoi était-elle aussi indécise ? Je n’avais pourtant pas l’intention de la
dévorer. Du moins, pas encore.
— Je révise pour mes examens.
— Quels examens ?
Elle a poussé un soupir.
— Qu’est-ce que tu veux, Caleb ?
— Il y a une soirée cinéma drive-in sur le campus. Viens avec moi.
Elle en avait envie. Je le sentais. Sa bouche a tressailli. Elle souriait rarement, mais quand cela
arrivait, je me sentais comme Superman.
— Quoi ? Tu ne veux pas frimer devant tout le monde au bras de ton copain ?
Elle a éclaté de rire.
— Il n’y a pas de quoi être fière. Et tu n’es pas mon copain, Caleb.
Je n’ai pas réagi, mais ces quelques mots avaient suffi à me blesser. Ce n’était pas parce que je
souriais beaucoup que j’étais un mec positif. J’étais susceptible. J’étais juste très fort pour cacher mes
sentiments.
— Excuse-moi, Caleb.
Elle avait lu dans mes pensées. Impossible d’être en colère quand Red était aussi mignonne. J’aurais
juste aimé qu’elle fasse un petit effort, parce que je passais mon temps à en faire pour elle. Je voulais
qu’elle comprenne que j’en valais la peine.
Elle a posé une main sur mon bras.
— Je viens, mais seulement si Cam est invitée.
— Cam ?
— Kara Hawthorne. L’ex de Cameron.
Elle m’a raconté leur rencontre et leur amitié naissante. J’étais jaloux, et j’en avais honte. Je
connaissais Kara à travers Cameron. Depuis leur séparation, mon ami refusait de parler d’elle. Il était
même incapable de prononcer son prénom.
— Tu acceptes mon invitation ? ai-je demandé, perplexe.
Red a hoché la tête. J’ai levé le poing en l’air.
— Yes !
J’aurais dansé si je n’avais pas été au volant. Elle a éclaté de rire. Soulagé, je me suis garé sur le
parking. À peine avais-je serré le frein à main que Red était déjà sortie. J’ai couru pour la rattraper. Elle
regardait autour d’elle, tête baissée, l’air inquiet. Est-ce qu’elle évitait quelqu’un ?
— Attends, Red !
— Non !
— Pourquoi ?
— À ce soir, Caleb.
Elle m’a salué d’une main et elle est partie à toute vitesse. Elle ne voulait pas qu’on nous voie
ensemble. Moi, Caleb Lockhart, star du campus, rejeté par une fille ? Il y avait vraiment quelque chose
qui ne tournait pas rond. Red avait dû vivre une mauvaise expérience, peut-être avec un ex. Le simple fait
de l’imaginer avec un autre mec me donnait envie de hurler. J’étais trop possessif.
— Red !
Je l’ai suivie dans le bâtiment, la rattrapant en seulement quelques foulées.
— Qu’est-ce qui se passe ? Tu as honte de moi ?
— Chut… Tout le monde nous regarde.
— Justement.
Je l’ai prise dans mes bras.
— Cette fille est à moi ! ai-je hurlé dans le couloir bondé. Le premier qui la touche, je le tue. Faites
passer le message.
Gênée, Red a recouvert son visage de ses mains.
— Qu’est-ce que tu fais, Caleb ?
— Je te protège.
— Tu marques ton territoire ! Je t’ai déjà dit que je détestais ça.
— Tu es à moi, Red. Tu le sais.
Je suis parti avant qu’elle ait le temps de répondre. Je désirais cette fille comme personne d’autre au
monde. Le chemin serait jonché d’obstacles, mais je savais qu’elle en valait la peine.
CHAPITRE 11

- VERONICA -

— T u sais ce qui serait marrant ? m’a demandé Cam en buvant un énième milk-shake. Que quelqu’un
remplace le film par un porno.
Le parking était noir de monde. Trois projecteurs et un écran géant avaient été installés pour
l’occasion. L’alcool était interdit, mais j’avais vu des bouteilles de bière vides par terre.
— Je suis désolée de te faire manquer ta visite à la maison de retraite, Cam.
La grand-mère de Cam avait passé les dernières années de sa vie dans une maison de retraite. Depuis
sa mort, Cam continuait à rendre visite aux autres résidents une fois par semaine. Sous ses apparences de
dure à cuire, cette fille était un vrai nounours.
— Ils me pardonneront. Je leur apporterai une bonne bouteille de whisky la semaine prochaine.
— Merci encore.
J’ai cherché Caleb du regard. Un groupe de mecs jouait au basket sur le terrain à l’autre bout du
parking. On s’est dirigés vers eux, nos boissons à la main.
— J’espère que Cameron n’est pas là.
— Tu survivras, Cam. Dis-moi, pourquoi ton visage brille autant ?
— C’est mon highlighter ! Je suis une princesse, Ver. Je brille de mille feux. Je scintille. Je règne sur
le pays.
— Le pays des paillettes ?
— Exactement.
Tandis qu’on approchait du terrain, Cam s’est arrêtée net. Son visage s’est décomposé. Elle a respiré
profondément.
— Tout va bien, a-t-elle murmuré. Je suis forte. J’ai un cœur d’acier.
J’ai suivi son regard. Cameron était en train de lancer le ballon à Caleb. Il l’a attrapé dans ses grandes
mains et a visé le panier. Un groupe de filles l’a acclamé. Caleb a jeté un œil à sa montre. Il avait l’air
distrait. Est-ce qu’il m’attendait ? J’étais flattée. Il avait toutes ces filles à sa disposition, mais il m’avait
choisie moi.
J’étais à deux doigts de craquer pour lui. De me jeter dans ses bras. Mais étais-je capable de lui faire
confiance ? Ma peur de souffrir était plus forte que le reste. Je le connaissais à peine. Et s’il me rejetait
une fois que je me serais offerte à lui ? Quelle partie de moi-même étais-je prête à perdre ? Aucune, ai-je
pensé. Je ne laisserais personne me détruire. Je refusais de devenir comme ma mère.
Mes parents m’ont adoptée trois ans après leur mariage. Ils n’arrivaient pas à avoir d’enfants. Nous
avons vécu une vie plus ou moins normale jusqu’à mes cinq ans, l’année où mon père a perdu son travail
et s’est mis à jouer, boire et tromper ma mère. Je me souviens d’une nuit en particulier : il m’a réveillée
en rentrant à l’appartement, ivre mort. Il a renversé les meubles en hurlant. Il m’a dit que tout était ma
faute : la perte de son boulot, son incapacité à avoir des enfants. Que je lui portais malheur depuis mon
adoption.
J’avais cinq ans. Je ne comprenais rien. Tout ce que je savais, c’était que cet homme, que je croyais
être mon père, qui m’avait aimée comme sa fille naturelle, qui m’avait prise sur ses genoux et portée sur
ses épaules, me faisait peur. Il a surgi dans ma chambre, furieux. J’ai cru qu’il allait me tuer. Je me suis
blottie dans un coin, sous ma couverture. Il était sur le point de me frapper quand ma mère est entrée. Elle
l’a supplié de se calmer.
Il l’a giflée, elle, au lieu de moi.
Ce jour-là, mon père m’a brisé le cœur. Il est parti plusieurs semaines, puis il est revenu. Ma mère l’a
accueilli à bras ouverts. Je n’ai jamais compris pourquoi. Elle avait perdu toute fierté, et l’a laissé abuser
d’elle. Même sur son lit de mort, elle a continué à l’appeler. Il n’est jamais venu. Ma mère était ma
meilleure amie, mais je lui en veux encore.
Je me suis juré de ne jamais devenir comme elle. Je refusais de perdre ma dignité pour l’amour de
quelqu’un.
Caleb est différent. Caleb n’est pas comme ton père. Il était gentil, mignon, drôle, parfois immature,
mais toujours là quand on avait besoin de lui. J’avais beau le repousser, il revenait sans cesse à la
charge. J’étais sous le charme. Je le savais. Mais jamais je ne me mettrais à genoux pour lui.
Nos regards se sont croisés. Caleb m’a souri. Plusieurs filles l’ont accosté. Il les a ignorées en me
rejoignant.
— Salut, Red.
Il s’est planté devant moi, les yeux pétillants. Il a glissé une mèche de cheveux derrière mon oreille –
son nouveau passe-temps favori – avant de se tourner vers Cam.
— Salut, Cam. Content de te revoir. Je ne savais pas que vous vous connaissiez. Je l’ai appris
aujourd’hui.
— Tu ne savais pas qu’elle bossait pour moi ?
— Non. Il y a plein de choses qu’elle ne me dit pas.
Il m’a fait un clin d’œil. J’ai levé les yeux au ciel.
— Insiste un peu, a dit Cam. Elle finira par craquer.
Elle a tourné la tête vers le terrain de basket, où Cameron était en train de discuter avec une fille. Elle
a posé une main sur sa poitrine.
— Je vais faire un tour. Je reviens.
— Cam…
— Ne t’inquiète pas pour moi. Et arrête de résister, a-t-elle murmuré à mon oreille. Ce mec t’adore. Ça
crève les yeux.
Elle s’est dirigée vers un des bâtiments. Je l’ai suivie du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse parmi la
foule.
— Elle va bien ? m’a demandé Caleb.
— Pas vraiment.
Il a poussé un soupir.
— C’est à cause de Cameron ?
J’ai hoché la tête.
— Il ne m’en parle pas, mais je sais qu’il souffre aussi. Il n’a toujours pas changé son fond d’écran.
C’est une photo d’elle.
— C’est vrai ?
— Oui.
Il m’a souri. Je l’ai dévisagé, méfiante.
— À quoi tu penses, Caleb ?
— On va faire un tour dans ma voiture ? Je suis garé là-bas.
J’ai hésité. C’était trop risqué. Je ne voulais pas me retrouver seule avec lui, surtout dans un espace
confiné.
— Désolée, il faut que je m’occupe de Cam.
Je suis partie à toute vitesse. Il m’a emboîté le pas.
— Tu es nerveuse ?
— Pas du tout. Je… Je ne suis pas très à l’aise.
— Pourquoi ? Tu as peur de quelqu’un ?
— Non, et si c’était le cas, je me débrouillerais toute seule.
Il m’a prise par la main.
— N’hésite pas à me dire si on t’embête, Red. Je te protégerai.
J’ai hoché la tête, émue. On ne m’avait jamais dit une chose pareille. On est entrés dans un bâtiment du
campus. Cam était introuvable. Je me suis sentie coupable de l’avoir laissée seule. Je n’avais pas de
portable et j’étais trop obnubilée par Caleb.
J’ai profité d’être à l’intérieur pour aller aux toilettes. Deux filles sont entrées en même temps que moi.
Tout en m’aspergeant le visage, j’ai surpris des bribes de leur conversation.
— Tu as vu Cameron ? Il discutait avec Kara !
— Ils se sont peut-être remis ensemble.
— C’est une vraie sangsue cette fille. Je la déteste.
— Je pense qu’il a encore des sentiments pour elle.
— Arrête ! C’est une p…
Furieuse, je suis sortie pour ne pas entendre la suite. Caleb m’attendait.
— J’ai reçu un message de Cameron. Il est avec Kara.
— C’est vrai ? Il faut que j’aille la voir.
Il m’a rattrapée par le bras.
— Laisse-les, Red. Ce ne sont pas les meilleurs amis du monde en ce moment, mais Cam est entre de
bonnes mains. Je te le promets. Appelle-la plus tard.
J’ai hoché la tête, inquiète pour mon amie. Caleb m’a regardée droit dans les yeux.
— J’espère qu’un jour tu te feras autant de souci pour moi, a-t-il murmuré. On va voir le film ?
— Je ne sais pas… J’ai envie de rentrer.
La vérité, c’est qu’il avait l’air fatigué. On aurait dit qu’il avait mal à l’épaule gauche. Je l’avais vu la
masser plusieurs fois en grimaçant. Et puis, je ne me voyais pas passer la soirée seule avec lui, dans sa
voiture.
— Qu’est-ce que tu veux manger ?
J’avais préparé une quiche au poulet mais s’il avait envie d’autre chose, j’étais prête à cuisiner. Caleb
m’a regardée d’un air coquin.
— Tu veux vraiment le savoir ?
Mon regard s’est posé sur ses lèvres, et le sien sur les miennes. J’ai retenu mon souffle.
— Crêpes ? ai-je chuchoté.
C’était devenu notre code pour « changeons de sujet et filons d’ici ».
Il m’a souri d’un air attendri.
— Crêpes.
CHAPITRE 12

- VERONICA -

— LA FERME !
Cam était d’une humeur exécrable. Elle gesticulait dans tous les sens et se défoulait sur deux oiseaux qui
gazouillaient sur une branche.
Une heure plus tôt, Caleb avait reçu un coup de fil de Cameron. Il n’allait pas bien et lui avait demandé
s’il pouvait venir le voir. Il s’était passé quelque chose entre lui et Cam. Je suis sortie en trombe de
l’appartement et j’ai sauté dans un bus pour aller rejoindre Cam chez elle.
Alors que je remontais la rue, Cam est sortie dans le jardin avec une pelle et s’est mise à taper sur une
des colonnes qui décoraient la façade de l’immeuble.
— Cam ?
Elle a tourné la tête vers moi, comme si elle me voyait pour la première fois. Je me suis approchée
avec prudence. Je me demandais ce que cette pauvre colonne avait fait de mal. Il y avait un message écrit
dessus, mais ses coups de pelle l’avaient effacé.
Cam s’est jetée dans mes bras.
— Ver ! Je suis contente de te voir.
Ses larmes ont mouillé mon épaule. J’ai enroulé mes bras autour d’elle. J’avais l’habitude de ce genre
de situation. J’avais passé la majeure partie de ma vie à entendre ma mère pleurer dans sa chambre. La
seule différence, c’était que Cam acceptait que je la touche.
— Serre-moi plus fort, idiote !
J’ai éclaté de rire et je l’ai suivie chez elle. Son appartement était aussi coloré que sa personnalité. Les
fenêtres étaient drapées de rideaux bleus. Les murs beiges étaient placardés de cartes postales de
différents pays. Un pan entier était consacré aux photos de sa famille et de ses amis. Des lampes ornées
de pierres étaient posées sur de petites tables blanches aux pieds courbés. Dans le salon, un canapé rouge
en forme de bouche était encadré par deux fauteuils élégants, couverts de coussins bleus. Une table basse
ronde était parsemée de bouteilles de bière vides, d’un pot de beurre de cacahuète ouvert avec une
cuillère dedans et de mouchoirs usagés.
— On m’a invitée à une fête, a dit Cam. Tu viens avec moi ?
J’ai poussé un soupir de frustration. Je n’avais pas envie de sortir, mais je sentais qu’elle en avait
besoin.
— S’il te plaît ! Je te trouverai un mec et vous pourrez… je ne sais pas… regarder l’herbe pousser ?
Je lui ai jeté un coussin à la figure.
— Va te faire voir, Cam !
Elle m’a fait un clin d’œil et a disparu dans sa chambre.
— Viens ! Il te faut une robe !
— Non, merci.
Je n’étais pas habillée pour sortir, mais je m’en fichais. Et puis, je ne rentrerais pas dans ses habits.
Cam était grande et mince. J’étais petite avec de larges hanches.
— Tu nous sers une bière ?
— Si tu veux.
Dans la cuisine, une photo de Cam et Cameron était aimantée sur la porte du frigo. Cam était assise sur
ses genoux, les bras autour de son cou, les lunettes de travers, le sourire aux lèvres. Cameron lui mordait
le menton en riant, les yeux fermés, ne se souciant pas de celui qui les prenait en photo.
Ils avaient l’air heureux.
Voilà pourquoi je ne voulais pas tomber amoureuse. Les histoires d’amour étaient bien trop
compliquées pour moi. Elles nous retournaient le cerveau jusqu’à ce qu’on s’oublie soi-même, nous
poussaient à faire des choses contre notre volonté. C’était ridicule.
— J’ai soif, Ver !
J’ai levé les yeux au ciel en attrapant deux bières dans le frigo puis j’ai rejoint Cam dans sa chambre.
Elle portait une robe courte et moulante.
— Qu’est-ce que tu en penses ?
— J’espère que tu portes une culotte, ai-je dit en souriant. Sinon, tu es sublime.
— Je serai encore plus canon une fois coiffée. Tu veux que je te maquille ?
— Non, merci.
Je lui ai tendu sa bière.
— Mets au moins du rouge à lèvres.
Elle m’en a tendu un. Je l’ai rangé dans sa trousse et j’ai choisi un gloss. Plus discret.
— Qu’est-ce qui s’est passé avec Cameron ?
— Peu importe. Ce soir, j’ai envie de m’amuser.
Elle a mis ses lentilles d’une main experte. J’ai décidé de ne pas insister. Elle me raconterait tout
quand elle serait prête.
— Ce mec est insupportable, a-t-elle grogné en se brossant les cheveux. Grande gueule, petite bite.
Non… j’exagère. Cameron en a une grande.
Je me suis bouché les oreilles.
— Ça suffit, Cam !
Elle a éclaté de rire.
— Espèce de chochotte ! Comme si tu n’en avais jamais vu !
J’ai croisé son regard dans le miroir. Elle a écarquillé les yeux.
— Je suis vierge, Cam.
— QUOI ? Vierge… comme la Vierge Marie ?
J’ai hoché la tête, bu une gorgée de bière.
— Bravo, Ver. Je suis fière de toi. Tu n’as même pas couché avec Lockhart ?
— Cam !
— Ne me dis pas qu’il n’a pas essayé ! Ce mec est une érection sur pattes.
— C’est… compliqué. Elle a arrêté d’appliquer son mascara, attendant que je développe.
— Je n’attends pas le mariage, mais… je ne veux pas me donner à n’importe qui. C’est important pour
moi. Je veux que ma première fois ait un sens.
— Je comprends.
— Et puis, Caleb couche avec tout ce qui bouge.
— Il a couché avec quelqu’un depuis que vous vous êtes rencontrés ?
— Je ne sais pas. Je ne pense pas.
Le simple fait d’imaginer Caleb avec une autre fille m’a donné envie de vomir.
— C’est frustrant d’être amoureuse d’un don Juan… pas vrai ? Tu devrais le rendre jaloux. Ça tombe
bien : il y aura plein de mecs à cette fête.
Elle m’a fait un clin d’œil et on est sorties, bras dessus, bras dessous.
CHAPITRE 13

- VERONICA -

Cam a sonné au moins dix fois, comme si quelqu’un allait l’entendre par-dessus la musique. Elle a
tourné la poignée. La porte était fermée.
— Qui ferme sa porte à clé un soir de fête ?
Elle s’est mise à taper dessus de toutes ses forces.
— On peut entrer par-derrière, Cam.
Elle a continué à frapper. Avec ses poings, cette fois.
— Ouvrez-nous, bande de cons !
La porte s’est ouverte d’un coup sur un mec grand et baraqué. Je l’ai tout de suite reconnu. C’était
Theo, avec ses tatouages sur le bras. Quand il a vu Cam, son visage s’est illuminé. Il a dit quelque chose,
mais la musique était trop forte. Il a fermé la porte derrière lui.
— Salut.
Cam avait beau être grande, elle était obligée de lever la tête pour lui parler.
— Salut ! Theo, c’est ça ?
— Exact.
Il avait l’air timide. On aurait dit un petit garçon dans un corps d’homme.
— Content de te revoir, Kara.
— Le monde est petit.
Je ne voyais pas le visage de Cam, mais j’entendais le sourire dans sa voix.
— Je suis venue avec mon amie Veronica. On peut entrer ?
— Bien sûr.
Ce mec était adorable. Il avait l’air d’un dur à cuire mais rougissait comme un adolescent quand Cam
lui faisait les yeux doux.
La musique m’a assourdie dès l’instant où j’ai franchi la porte. Des corps tièdes et moites étaient
agglutinés dans le salon, dansant et se frottant les uns contre les autres. Une odeur de bière et de
transpiration se mêlait aux parfums des invités. Cam avait les yeux qui pétillaient. Sa tristesse et sa colère
s’envolaient peu à peu.
— Je vais me chercher à boire, ai-je dit. Amuse-toi bien, mais fais attention.
Elle m’a souri d’un air reconnaissant. Je t’aime, a-t-elle murmuré avant de se tourner vers Theo.
— Danse avec moi !
Elle l’a traîné sur la piste et a ondulé des hanches contre lui. Il était rouge comme une tomate,
immobile au milieu de la foule, les yeux rivés sur elle. Je savais que Cam n’irait pas plus loin avec Theo.
Elle ne voulait pas trahir Cameron. Elle était encore amoureuse de lui, et elle en souffrait terriblement.
Pourquoi aimer était-il aussi douloureux ?
Je suis entrée dans la cuisine et j’ai ouvert le frigo. Il était quasiment vide. Il ne restait que quelques
bières et une brique de jus d’orange. Elle m’a tout de suite fait penser à Caleb.
Je me suis servi un verre et je suis retournée dans le salon. Cam et Theo avaient disparu. J’allais partir
à leur recherche quand la musique s’est arrêtée. Tout le monde a hurlé de joie. Un groupe venait de
monter sur l’estrade. Il faisait trop sombre pour discerner leurs visages, mais le chanteur me disait
quelque chose. Il a attrapé sa guitare avec nonchalance, comme s’il l’avait fait des milliers de fois, et
s’est assis sur un tabouret.
Il portait un jean troué. Tandis qu’il accordait sa guitare, une mèche bouclée est tombée sur son front. Il
s’est levé, a fouillé dans ses poches. Il a sorti un élastique et s’est attaché les cheveux. Ses groupies ont
soupiré de plaisir.
— Bonsoir à tous. J’espère que vous allez bien. Merci de nous avoir invités.
Il avait un léger accent. La foule l’a acclamé dès les premières notes. Les filles se sont mises à hurler.
— Damon ! Damon !
Il avait la voix rauque. Je me suis appuyée contre le mur, en bas de l’escalier, et j’ai siroté mon jus
d’orange en l’écoutant. Deux filles ont soulevé leurs jupes pour lui montrer leurs fesses. Il a regardé par
terre, gêné, et a continué à chanter en souriant. Un mouvement à ma gauche a attiré mon attention. J’ai cru
voir Cam entrer dans la cuisine. J’ai attendu quelques minutes, puis je l’ai suivie. Ni elle ni Theo
n’étaient là. Ils avaient dû sortir par la porte du fond. Il y avait un mec bourré allongé sur le carrelage.
J’ai ouvert le frigo. Vide. J’ai poussé un soupir. Je ne me sentais pas à ma place.
Que faisait Caleb en ce moment ?
Arrête de penser à lui !
Est-ce qu’il avait dîné sans moi ?
Arrête !
Il me manquait.
Non ! Il ne te manque pas.
S’il avait été là, il serait sûrement monté sur scène avec le groupe, aurait dansé comme un imbécile au
milieu de la piste. Caleb était drôle… et attirant. J’ai fermé les yeux, imaginant ses lèvres sur les
miennes.
Quelqu’un s’est éclairci la voix. J’ai levé la tête. C’était le chanteur. Il était appuyé contre la porte, les
bras croisés, l’air amusé, comme s’il m’observait depuis longtemps.
— Salut, petit ange.
Un groupe d’amis s’est précipité sur lui. Ils l’ont soulevé et traîné dehors en riant. Plouf !
— Enfoirés !
Ils l’avaient jeté dans la piscine. Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire. C’était le genre de truc
qu’aurait fait Caleb… Pourquoi pensais-je à lui tout le temps ? J’avais besoin d’air, de me changer les
idées.
J’ai reconnu la voix de Cam dans le jardin. Elle était assise sur un banc avec Theo. Ils étaient face à
face, entourés par des buissons. J’allais faire demi-tour pour les laisser tranquilles quand j’ai entendu des
bruits de pas approcher.
— Theodore ! a hurlé un mec. Il n’y a plus de bières !
Cam et Theo se sont écartés. Une fille les a fusillés du regard. Elle était sublime. Cheveux courts, teints
en bleu. Elle avait un visage en forme de cœur, les pommettes saillantes. Un œil bleu, l’autre marron.
Petite avec un corps d’amazone. Elle portait un tee-shirt noir avec « saluez-moi, mortels » inscrit dessus,
un jean blanc troué et des bottes noires.
— Je suis occupé ! a dit Theo. Tu n’as qu’à demander à ton frère d’en acheter.
— Impossible ! Il est en train d’échanger sa salive avec une MST sur pattes.
Je me suis retenue de rire. Theo a rougi.
— Ton langage, mec ! Désolé, Kara. Il faut que j’y aille.
La fille aux cheveux bleus avait l’air furieux. Je suis retournée dans le salon. Cam m’a rejointe peu de
temps après.
— Tu viens avec moi ?
— Où ça ?
— On va acheter des bières avec Theo et une copine à lui.
J’ai froncé les sourcils.
— C’est risqué, Cam. On ne le connaît pas. Tu as vu le film avec Liam Neeson ? Celui où sa fille se
fait kidnapper ?
Elle a éclaté de rire.
— S’il te plaît, Ver ! J’ai besoin de me changer les idées !
— Tu es incorrigible.
— C’est pour ça que tu m’aimes.
Theo nous attendait devant sa Mustang noire. Cam s’est assise à l’avant. Je suis montée à l’arrière avec
la fille aux cheveux bleus.
— Tu abuses, Theo ! a-t-elle bougonné. C’est toujours moi qui monte à l’avant.
— Du calme, Beth. Les filles, je vous présente Beth. Beth, je te présente Kara et Veronica.
— Tu peux m’appeler Ver, ai-je dit en souriant.
— Et moi Cam.
Beth a levé les yeux au ciel. Son portable s’est mis à sonner. Elle a répondu d’un air blasé.
— Le numéro que vous avez demandé n’est plus attribué.
J’ai éclaté de rire. J’adorais déjà cette fille.
CHAPITRE 14

- VERONICA -

Theo a posé plein de questions à Cam : sur sa vie, ses études, son travail.
— Fais gaffe à toi, a soupiré Beth. Theo est expert en interrogatoire. Avec lui, on finit toujours par
dévoiler nos pires secrets.
— C’est vrai ? a demandé Cam en lui faisant les yeux doux.
Elle était en mode séduction depuis qu’il lui avait ouvert la porte. J’étais contente qu’elle s’amuse.
Beth gigotait sur son siège, comme si elle se retenait de se jeter entre eux pour les séparer. Cette fille était
clairement amoureuse de Theo. Elle le regardait comme Caleb me regardait.
Je me suis déconnectée de la conversation, regardant la ville défiler derrière la vitre. La voix agacée
de Beth m’a tirée de ma rêverie.
— Tu te sers de Theo pour te venger de ton ex ?
Beth a posé une main sur l’épaule de Theo, comme pour le protéger. Cam a éclaté de rire.
— Ne t’inquiète pas. Je ne suis attirée que par les bad boys. Theo est un mec bien. Je te le laisse.
— Désolée, a répondu Beth. Je ne suis pas toujours chiante, à certains moments seulement.
Cam et moi avons éclaté de rire. Theo a souri. La tension s’est envolée.
— Theo est trop gentil, a-t-elle expliqué. Les gens profitent de sa générosité. Il a besoin de moi pour le
protéger.
— Arrête, Beth ! Je suis un mec, et je suis plus vieux que toi. C’est moi qui te protège.
— N’importe quoi !
Cam et moi nous sommes tues, les laissant se taquiner. On aurait dit un vieux couple. Theo s’est garé
devant le supermarché et nous a demandé de l’attendre dans la voiture.
— Vous voyez ? a dit Beth en le suivant du regard. On a obéi sans broncher ! Quel genre de fille
accepte de suivre les ordres d’un mec ? Il a un don ! Il m’agace !
J’ai échangé un regard complice avec Cam. Beth s’est glissée entre les sièges pour allumer la radio.
Elle a choisi une station de rock.
— On lui obéit parce qu’il nous respecte, ai-je répondu. Tu as raison. Theo est très gentil.
Beth a souri, satisfaite. Cam était perdue dans ses pensées. Elle avait l’air fatiguée. Beth a dû l’appeler
trois fois avant qu’elle réagisse. Maintenant qu’elle savait que Cam ne draguerait pas Theo, elle l’aimait
bien.
— Tu es encore amoureuse de ton ex, pas vrai ? S’il se fiche de toi, pourquoi tu insistes ?
— Si Theo ne partageait pas tes sentiments, est-ce que tu arrêterais de l’aimer ?
Beth n’a pas eu le temps de répondre. Theo est revenu, le sourire aux lèvres et les bières à la main.
Beth a tiré le levier qui ouvrait le coffre. Ils avaient leurs habitudes. C’était mignon.
Il a repris place derrière le volant et a tourné la clé. Rien. Pas un bruit. Il a grogné de frustration.
— Merde ! Désolé, les filles.
— Je t’avais dit de vendre ce tas de ferraille ! a râlé Beth. Qu’est-ce que c’est, cette fois ?
— La batterie est à plat.
Beth lui a balancé son trousseau de clés.
— Va chercher ma voiture. Il suffit de la brancher.
— Je ne veux pas vous laisser seules ici. Il est tard.
— J’habite à un pâté de maisons ! Tu n’en as pas pour longtemps. Et puis, ce n’est pas le moment de
jouer les chevaliers servants. J’ai faim et j’ai envie de pisser.
— OK. Fermez les portières à clé et gardez vos portables à la main.
Beth lui a ouvert la portière pour le faire taire. Il est sorti en souriant, disparaissant au bout de la rue.
— Ce mec est incorrigible.
La voiture était garée sous un lampadaire et la lumière créait un halo autour de la tête de Beth. Avec
ses cheveux bleus, elle ressemblait à une fée.
— Tu es amoureuse de lui, a dit Cam.
— Quoi ?
— Tu m’as très bien entendue. Il est au courant ?
— Non. Oui. Je ne sais pas.
Elle hésitait à se confier à nous. Elle a réfléchi un instant avant de continuer.
— Je ne veux pas lui en parler. J’ai peur que ça gâche notre amitié. Et toi ? Qu’est-ce qui s’est passé
avec ton ex ?
Cam a poussé un soupir.
— Je voulais attendre d’être seule avec Ver pour en discuter, mais je crois qu’il y a la place pour une
fille de plus dans notre groupe. Qu’est-ce que tu en penses, Ver ?
— Carrément ! Une fille aux cheveux bleus, de préférence.
Beth nous a souri.
— Dans ce cas, sortons. J’ai besoin d’air.
Les filles se sont servi une bière et on s’est installées sur le capot, Beth au milieu, comme si on se
connaissait depuis toujours. Elle a posé la tête sur mes genoux et étalé les jambes sur celles de Cam.
Cam a résumé son histoire d’amour avec Cameron, jusqu’à en arriver aux événements de ce soir. Elle a
bu une gorgée de bière. Des larmes dévalaient ses joues.
— Il m’a invitée chez lui. Je pensais que c’était fini entre nous… mais j’ai craqué. Je suis trop nulle.
— Non, Cam…
— Chut ! J’ai besoin que vous m’écoutiez.
Beth et moi avons hoché la tête, impuissantes.
— Je savais qu’il serait là ce soir. Je le savais, mais j’y suis quand même allée. Je ne suis qu’une
hypocrite. Je passe mon temps à dire que je ne veux pas le voir, mais c’est faux. Je l’aime encore. Je sais
qu’il m’aime aussi, mais il y a quelque chose qui le retient. C’est comme s’il avait dressé une barrière
entre nous, et je n’arrive pas à la franchir.
Je comprenais parfaitement. J’avais moi-même bâti un mur entre Caleb et moi, et j’avais peur qu’il
parvienne à l’escalader.
— Les baisers de Cameron varient selon les situations. En public, ce sont de petits baisers volés. Puis
il y a les baisers plus possessifs, passionnés. Et il y a le baiser, celui qu’il n’arrêtera pas tant qu’il n’aura
pas obtenu ce qu’il veut… Vous voyez de quoi je parle ? En général, ça se termine au lit. Chaque fois
qu’il m’a donné le baiser, il m’a fait l’amour. Ce soir, il a arrêté… et je ne sais pas pourquoi.
Ses pleurs se sont transformés en sanglots. Elle me brisait le cœur. Beth s’est redressée, sentant que
Cam avait besoin de moi. Elle m’a fait une place pour que je puisse la prendre dans mes bras.
— On n’a qu’à le tuer, a dit Beth. Je connais un super endroit où cacher le corps.
On a éclaté de rire. Cam s’est essuyé les joues du revers de la main.
— Je suis pathétique.
— Tu veux un conseil ? ai-je demandé.
— Bien sûr.
— Je pense qu’il ne faut jamais laisser un garçon devenir le centre du monde. C’est ce que tu as fait
avec Cameron. Tu as perdu tes amis parce que tu préférais passer du temps avec lui. Tu as l’impression
d’avoir changé, de t’être perdue. Pas vrai ?
Je le savais, parce que ma mère avait vécu la même chose.
— Les couples disent souvent qu’ils se « complètent ». Moi, je ne suis pas d’accord. Il faut apprendre
à être fort sans l’autre, pour que quand l’un des deux est faible, l’autre ne sombre pas en même temps.
C’est ce qui détruit les gens. On ne peut pas être faible ensemble.
Cam a fermé les yeux. J’ai serré sa main dans la mienne.
— Arrête de ressasser le passé, Cam. Réfléchis bien. Si c’était si formidable entre vous, pourquoi
vous n’êtes plus ensemble ? On a tendance à se focaliser sur les bons souvenirs, mais il ne faut pas
oublier les mauvais.
Cam s’est blottie dans mes bras.
— Tu as raison. Je t’adore, Ver. Merci.
— Moi aussi ! a dit Beth. Tu es géniale. Par contre, j’ai vraiment besoin de pisser.
Comme s’il avait lu dans ses pensées, Theo est arrivé dans sa Toyota.
— Voilà mon homme, a-t-elle murmuré.
CHAPITRE 15

- VERONICA -

Theo a démarré sa voiture en branchant sa batterie sur celle de Beth. On a décidé de ne pas retourner à
la fête. Theo a hésité un long moment avant de s’en aller : il voulait s’assurer qu’on rentrerait chez nous
en un seul morceau. Je comprenais pourquoi Beth était amoureuse de lui.
— Qu’est-ce qu’on fait ? ai-je demandé en prenant le volant et en attachant ma ceinture.
J’étais la seule à ne pas avoir bu, donc en état de conduire. Cam était quasiment endormie sur la
banquette arrière et Beth fouillait dans la boîte à gants.
— Trouvé ! Je savais que j’en avais quelque part.
— Qu’est-ce que c’est ?
— De la super glu !
— Tu as vraiment trop bu.
— Pas du tout ! Dis-moi, tu sais où habite Cameron ?
— Pourquoi ?
— Pour venger Cam.
Curieuse, mon amie s’est redressée.
— On va mettre de la colle dans le trou de sa serrure ! Comme ça, il ne pourra pas rentrer chez lui. Il
sera obligé de défoncer la porte ou de changer la serrure.
— Super ! a crié Cam.
J’ai poussé un soupir.
— Comme vous voulez.
Elles ont hurlé de joie et trépigné comme des gamines. On a roulé dans les rues désertes. Il était minuit
passé. J’ai baissé ma vitre. Le vent caressait ma joue. Il faisait froid et j’avais envie de faire pipi, moi
aussi.
— Ne te gare pas devant chez lui, a dit Beth.
J’ai obéi, me garant cinq maisons plus loin.
— Et si on se fait arrêter ?
— On s’en fiche ! a crié Cam.
— Vous n’avez qu’à glisser une merde de chien dans sa boîte aux lettres, tant que vous y êtes.
— Bonne idée !
— Tu es géniale ! a hurlé Beth. Aussi brillante qu’Einstein !
J’ai grogné de frustration. Je ne pensais pas qu’elles me prendraient au sérieux. On est sorties et on a
remonté le trottoir bras dessus, bras dessous.
— Regardez par terre, a dit Cam. Il doit y avoir une merde de chien quelque part.
Nos rires ont résonné dans la rue silencieuse. Sans prévenir, elle est partie en courant comme un
pingouin, s’est accroupie entre deux voitures et a soulevé sa jupe.
— Vous avez du papier toilette ?
Beth a éclaté de rire.
— Ne me dis pas que tu pisses dans la rue !
On faisait tellement de bruit qu’il m’a fallu une bonne minute avant de comprendre que quelque chose
ne tournait pas rond. Je me suis retournée lentement. Un chien grognait à quelques mètres de là, dents
acérées, prêt à nous dévorer.
— Euh… les filles ?
— Grimpez sur une voiture, a chuchoté Beth.
J’ai suivi Beth sur le capot de la voiture la plus proche. Cam était encore accroupie, paralysée par la
peur.
— Cam, monte.
Elle ne m’a pas écoutée. Elle a hurlé et s’est enfuie à toute vitesse. Le chien l’a poursuivie en aboyant.
J’ai sauté de mon perchoir et couru derrière eux tout en regardant autour de moi, à la recherche d’une
arme potentielle. Un petit camion orange avait été abandonné sur une pelouse. Un jouet pour enfant. Je
l’ai ramassé et l’ai brandi pour effrayer le chien. Il ne m’a pas prêté attention. Il était concentré sur Cam.
Elle a accéléré le pas et sauté par-dessus une barrière. Son pied s’est coincé entre deux planches. Elle a
atterri dans un jardin, face contre terre.
— Cam !
Je me suis arrêtée au milieu de la route. Le chien a aboyé un instant avant de disparaître dans une rue
adjacente. J’ai regardé le minuscule camion orange dans ma main, et j’ai éclaté de rire. Beth m’a rejointe
en titubant.
— Bon, on va boire un coup ?
J’ai ri encore plus fort.

- CALEB -

— Tu as une sale tête, mec.


Cameron s’est affalé sur le canapé. Il avait l’air épuisé, affaibli, comme s’il n’avait pas mangé depuis
une semaine. Habits froissés, cheveux en bataille, yeux rouges. Il m’avait appelé une demi-heure plus tôt.
Sur le coup, j’ai cru que quelqu’un était mort. Il n’arrêtait pas de répéter : « Elle est partie. Elle est
partie. »
En fait, il parlait de Cam. Il m’a demandé s’il pouvait passer chez moi. Il avait besoin de sortir, de
prendre l’air. J’en ai parlé à Red. Elle est aussitôt partie consoler sa nouvelle meilleure amie. J’aurais
aimé passer plus de temps avec elle, mais nos amis avaient besoin de nous. Bien sûr, elle a refusé que je
la dépose en voiture.
Cameron avait la joue enflée. Il a posé une main dessus en grimaçant.
— Qui t’a fait ça ?
— Devine.
Je suis allé chercher une poche de glace dans le congélateur. Il s’est allongé et l’a posée sur sa joue. Je
me suis assis à côté de lui.
— Elle a une bonne droite.
— Je sais. C’est moi qui lui ai appris.
— Désolé, mec. Tu veux en parler ?
— Non. J’avais juste besoin de sortir de chez moi.
Je me faisais du souci pour Cameron. Ma mère m’avait raconté ses problèmes de famille. Il ne m’en
parlait jamais. Il ne partageait rien avec personne.
— Je suis là si tu as besoin, OK ?
— Merci, mec.
Il a posé une main sur son front. S’il était venu ici pour que je le laisse tranquille, c’était raté. Je
refusais de le laisser tout seul.
— Tu veux une bière ?
— Ouais.
On a bu, on s’est insultés – comme tous les mecs –, on a mangé le repas que Red avait préparé et on
s’est endormis sur le canapé.
Je me suis réveillé au beau milieu de la nuit. J’ai cherché mon portable parmi les coussins. La lueur de
l’écran m’a ébloui. Je l’ai lâché et il atterri par terre. J’avais plein de messages et d’appels manqués de
filles avec qui j’étais sorti. Aucune nouvelle de Red. Je savais qu’elle n’avait pas de portable, mais je lui
avais donné mon numéro au cas où. J’ai même essayé de lui offrir mon ancien téléphone, mais elle a
refusé.
J’avais envie de jus d’orange, mais la cuisine me rappelait Red. Je pensais tout le temps à elle. J’étais
obsédé. C’était la première fois que ça m’arrivait ! Je me sentais comme un pull parmi tant d’autres dans
son dressing : tout ce que je voulais, c’était devenir son pull préféré.
J’ai remonté le couloir comme un fantôme, mon portable à la main. Je me suis arrêté devant sa
chambre. J’ai fixé la porte, espérant qu’elle s’ouvre toute seule. J’ai scruté la poignée tel un scientifique
devant son microscope. J’ai posé une main dessus. La porte s’est entrouverte.
Le parfum de Red m’a titillé les narines. Une odeur de fraise. C’était une atteinte à sa vie privée, mais
c’était plus fort que moi. Je voulais juste jeter un œil à l’intérieur. Je ne toucherais pas à ses affaires. Je
voulais être… proche d’elle.
— Qu’est-ce que tu fous ?
J’ai bondi de surprise. Cameron était planté au milieu du couloir.
— Tu m’as fait peur, mec.
Il a haussé les épaules et est reparti se coucher, l’air blasé. J’ai attendu qu’il disparaisse dans le salon
pour pousser la porte.
Red était partout. Son odeur, ses affaires… Sa présence était tellement forte que j’avais la tête qui
tournait. Un plaid multicolore sur le lit, une brosse sur la commode, une bouteille d’eau sur le bureau, des
livres empilés sur la table de chevet… La table de chevet ! Merde. J’avais rempli le tiroir de
préservatifs. Elle devait penser que je n’étais bon qu’à ça. Pourtant, je n’avais couché avec personne
depuis que je l’avais rencontrée. Un véritable exploit.
Je me suis assis sur le lit. J’ai ouvert le tiroir. Les préservatifs avaient disparu, remplacés par ses
livres. Où les avait-elle rangés ? Je lui poserais la question la prochaine fois. J’étais certain de la faire
rougir. Red n’était pas du genre à rougir discrètement. Cela commençait sur son cou et se propageait sur
son visage et ses oreilles jusqu’à ce qu’elle ressemble à une tomate bien mûre. C’était adorable.
J’ai fermé le tiroir et je me suis endormi sur son lit.
C’est la sonnerie de mon portable qui m’a réveillé. J’ai décroché en grognant.
— Allô ?
— Salut, Caleb.
J’ai ouvert les yeux, allumé la lampe de chevet. Il était 3 heures du matin.
— Red ? Où es-tu ?
— Chez Cam. Tu ne croiras jamais ce qui nous est arrivé.
Elle parlait d’une voix grave, sensuelle. Cela m’a rappelé le soir de notre rencontre. Elle devait être
bourrée. Je l’ai entendue remuer, comme si elle se blottissait sous des couvertures. J’ai poussé un soupir
de soulagement. Elle était en sécurité.
— Raconte-moi, bébé.
Elle a éclaté de rire. Je l’ai imaginée allongée sur un lit, les cheveux étalés sur l’oreiller.
— Bébé ? J’aime bien ce surnom.
— Moi, j’aime quand tu es comme ça.
— Comment ?
— Quand tu es heureuse.
Elle est restée silencieuse un long moment. J’ai cru qu’elle s’était endormie.
— C’est toi qui me rends heureuse, Caleb. J’aimerais que tu sois là, avec moi. Tes baisers me
manquent.
Je me suis éclairci la voix.
— Tu me manques aussi. Tu sais que tu auras oublié cette conversation demain matin ?
— Pas du tout.
J’ai poussé un soupir.
— Red ?
— Oui ?
— Ne me brise pas le cœur, d’accord ?
CHAPITRE 16

- VERONICA -

— Éteignez ce foutu réveil !


J’ai ouvert un œil, réveillée par la voix de Cam. La soirée d’hier m’est revenue par bribes : la bière, la
pizza, Cam vomissant sur la pelouse – Cam ou Beth ? Il s’était passé autre chose, mais c’était encore trop
flou.
— Mes yeux ! a gémi Cam. Ma tête ! Ma bouche ! Quelle idée d’organiser une fête en pleine semaine ?
Beth a remué à ma droite. Elle était allongée par terre.
— Le frère de Theo fêtait son départ à Paris. Il n’a pas eu le choix.
Cam s’est enfoncée sous sa couette. Beth s’est levée en titubant.
— Merde ! J’ai la tête qui tourne.
J’ai rouvert un œil. Elle avait de la peinture sur le visage.
— Ça va aller ?
— Non, mais il faut que j’aille en cours. Il est quelle heure ?
— L’heure de se taire et de DORMIR.
J’étais d’accord avec Cam. J’avais sommeil. J’étais une de ces rares personnes qui n’ont jamais la
gueule de bois. Je n’étais pas en forme, mais je n’avais ni la migraine, ni la bouche sèche, ni envie de
vomir.
Beth m’a secoué l’épaule.
— Où sont mes clés de voiture ?
— Je ne sais pas. Laisse-moi tranquille.
— Cam, il faut que je t’emprunte des fringues… Aïe !
Cam lui avait jeté quelque chose à la figure. Quelques secondes plus tard, l’objet en question a atterri
sur ma tête.
— Oups ! Désolée, Ver ! Ce n’était pas toi que je visais !
— LA FERME ! a aboyé Cam.
— Je me tairai quand je serai prête ! Ver, où sont mes putains de clés ?
— Dans le salon, ai-je marmonné.
Elle est allée les récupérer, puis est revenue dans la chambre.
— Cam ? Je ne peux pas boutonner tes chemises !
— C’est normal ! Je n’ai pas de seins !
Beth et moi avons éclaté de rire. Elle s’est dirigée vers la sortie.
— À plus tard, les meufs.
Elle a fermé la porte derrière elle. Enfin, le silence. Tandis que je me rendormais, le portable de Cam
s’est mis à sonner.
— Putaindebordeldemerde ! Allô ? C’est qui ? Ah ! Oui… attends. Ver, c’est Caleb.
— Caleb ?
Elle m’a tendu le portable. Je l’ai collé à mon oreille.
— Salut, Red, a-t-il dit d’une voix enjouée.
Caleb était toujours de bonne humeur le matin. Il avait sûrement les cheveux mouillés, peignés en
arrière, le sourire aux lèvres, le regard rieur. Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire. Cam a levé les yeux
au ciel.
— Tu veux que je passe te chercher ?
— Pourquoi ?
— Tu as un examen cet après-midi.
— Zut ! J’avais oublié !
— J’arrive dans dix minutes. À tout de suite, Red.
— Caleb…
Trop tard. Il avait raccroché. J’ai fixé le portable, stupéfaite. Cam avait l’air amusée.
— Il t’a dans la peau, Ver.
Je lui ai jeté mon oreiller à la figure. J’ai fouillé dans son armoire et choisi ses habits les plus larges.
Dans la salle de bains, je me suis lavé les dents avec mon doigt. Quelqu’un a frappé au moment où je
sortais de la douche.
— Red ?
J’ai froncé les sourcils.
— Caleb ?
— Je t’ai apporté des habits, une brosse à dents, à manger et un thé vert.
Je n’en croyais pas mes oreilles. La journée venait à peine de commencer et j’avais déjà des papillons
dans le ventre.
— Merci. Pose-les sur la commode.
— Avec plaisir.
Je mourais d’envie de le voir. Il me manquait. Caleb me manquait. J’ai enroulé une serviette autour de
moi et j’ai ouvert la porte. J’ai poussé un cri de surprise. Caleb était appuyé contre le mur. Il m’a scrutée
des pieds à la tête.
— Je… Je t’avais dit de les laisser sur la commode.
— C’est ce que j’ai fait.
— Je ne t’ai pas demandé de m’attendre devant la porte !
On aurait dit un petit garçon qui venait de faire une bêtise. Il portait un jean noir et un tee-shirt gris à
manches longues qui moulait ses épaules et ses biceps, accentuant son torse bombé et sa taille fine. Il était
beau à en crever.
— Tu es sexy, Red.
Il s’est approché de moi. J’ai retenu mon souffle. Je sentais la chaleur qui émanait de son corps. Je me
suis agrippée à ma serviette. Il a caressé mon oreille avec son nez, aspiré une bouffée de mon odeur. J’ai
frissonné de plaisir.
— Tu sens bon, a-t-il murmuré. Je t’attends dans la cuisine. À tout de suite, Red.
Je me suis préparée en vitesse et j’ai rejoint Caleb et Cam. Ils étaient en train de discuter de Cameron
dans la cuisine.
— Je suis passée à autre chose, a-t-elle insisté.
— Cameron t’aime encore.
— C’est lui qui te l’a dit ?
— Non, mais tu aurais dû le voir hier soir. Il était dévasté.
— Tant mieux ! Je ne vais pas passer ma vie à l’attendre.
Elle a bu une gorgée de café. Caleb a poussé un soupir.
— Cameron a besoin de parler. Il refuse de se confier à moi. Tu es la seule en qui il a vraiment
confiance.
— Je m’en fiche.
— Il ne va pas bien, Cam. Pas bien du tout.
Elle a fermé les yeux. Une larme a dévalé sa joue.
— Il n’a jamais eu autant besoin de toi.
J’ai posé une main sur l’épaule de Cam. Elle a éclaté en sanglots.
CHAPITRE 17

- CALEB -

— Tu ne bois pas ton thé ? ai-je demandé à Red en la conduisant à la fac.


On commençait à avoir nos petites habitudes, elle et moi. Comme un vrai couple. C’était la première fois
que cela m’arrivait. Il fallait que je demande des conseils à quelqu’un. Pas à Cameron (les relations
amoureuses n’étaient pas son fort), ni à mon frère Ben (il était encore pire). J’ai cherché parmi mes amis
et j’ai réalisé, avec honte, qu’aucun d’eux n’avait eu de relation sérieuse. Seul Andrei était avec sa
copine depuis deux ans, mais ils n’étaient pas exclusifs.
Je voulais que Red soit à moi. Seulement à moi.
Je savais que j’étais exigeant, mais j’espérais qu’elle finirait par m’accepter comme j’étais. C’était le
monde à l’envers : moi, Caleb Lockhart, incapable de séduire une fille ! À quoi bon avoir des sentiments
pour quelqu’un si on ne pouvait pas les lui avouer ? Je n’avais jamais vécu une chose pareille. Pour la
première fois depuis longtemps, je me sentais bien. J’étais heureux.
J’avais envie de lui prendre la main, mais elle était agrippée à son gobelet.
— Red ? Tu ne bois pas ton thé ?
Elle a secoué la tête, évitant mon regard. Je le lui ai arraché des mains et l’ai placé dans le porte-
gobelet. Sans prévenir, j’ai saisi sa main, entrelaçant nos doigts, soupirant de satisfaction.
Je me suis garé devant la fac et j’ai accompagné Red jusqu’à sa salle de cours. Tout le monde nous
regardait.
— Je te rejoins à la cafétéria après ton examen. On mangera ensemble et je te déposerai au travail.
Je me suis entendu parler. J’étais encore en train de tout décider à sa place.
— Excuse-moi. On mange où tu veux. C’est toi qui décides.
— Merci, Caleb.
Son examen durait deux heures. Pour passer le temps, je suis allé jouer au billard avec des amis.
J’attendais mon tour quand quelqu’un m’a tapé sur l’épaule. Je me suis retourné. Une petite blonde aux
yeux bleus s’est jetée dans mes bras.
— Caleb !
— Beatrice !
Beatrice-Rose était une amie d’enfance. Pendant quelques années, on a même été un peu plus qu’amis.
Elle était partie six mois à Paris pour « se trouver ». J’étais content de la revoir.
— Comment vas-tu ? Tu as l’air en forme.
— Toi aussi ! Toujours aussi beau. Et pourquoi tu m’appelles Beatrice ? Appelle-moi Bea, comme
avant !
— OK. Alors, est-ce que tu t’es trouvée à Paris ?
On aurait dit que ma question la surprenait. Elle l’a évitée, riant de plus belle.
— Oh ! Caleb, tu m’as tellement manqué ! Et si on mangeait ensemble ce soir ? Même heure, même
endroit ?
Je me suis tout de suite senti mal à l’aise. Comment lui expliquer que tout avait changé ? On avait vécu
des choses ensemble, mais sans jamais s’engager. À l’époque, chaque fois que Bea m’invitait, je
répondais présent – sauf quand je sortais avec une autre fille. J’ai fini par tirer un trait sur notre relation.
Je ne voulais pas gâcher notre amitié. Aujourd’hui, c’était encore différent.
— J’ai une copine.
— Tu veux dire que tu sors avec quelqu’un cette semaine ?
— Non, Bea. Cette fois, c’est du sérieux.
Elle a levé un sourcil, l’air étonné.
— C’est vrai ?
J’ai hoché la tête.
— Incroyable ! Je suis contente pour toi, Caleb.
J’étais soulagé par sa réaction. J’appréciais beaucoup Beatrice. Elle était élégante, calme et gentille
avec tout le monde. On s’entendait bien. Elle venait d’une famille riche, mais elle n’était pas coincée.
Nos parents étaient très proches. Quand on était petits, ils nous forçaient à passer du temps ensemble.
— C’est la femme de ta vie ? J’espère qu’elle te donne du fil à retordre.
— Tu n’imagines pas à quel point.
— Il faudra que tu me la présentes.
— Avec plaisir.
— On ira boire un verre un de ces jours ? On a plein de choses à se raconter ! On est toujours amis,
pas vrai ?
— Bien sûr.
— Super ! À bientôt, Caleb.
On s’est dit au revoir et elle a rejoint ses copines. J’ai jeté un œil à ma montre. Plus que vingt minutes
et Red aurait fini son examen. Je suis allé à la cafétéria et je lui ai acheté un thé vert et un pain à la
cannelle. J’ai balayé la salle du regard : Red était déjà là, assise dans un coin. Je l’ai rejointe avec mon
plateau.
— Tu es là depuis longtemps ?
— Je viens juste d’arriver.
— Comment s’est passé ton examen ?
— Très bien.
Un sourire a illuminé son visage. Visiblement, sa réussite scolaire la rendait heureuse. C’était bon à
savoir. Je me suis assis en face d’elle et j’ai encadré ses jambes avec les miennes.
— C’est pour toi, ai-je dit en posant le plateau.
Elle avait l’air gênée.
— Pourquoi, Caleb ? a-t-elle murmuré. Pourquoi tu t’occupes de moi ?
Cette fille me brisait le cœur. Red n’avait pas l’habitude qu’on prenne soin d’elle. Elle a détourné le
regard. Tant mieux. Cela me permettait de la contempler librement. Elle a fini par changer de sujet.
— Il faut qu’on donne un coup de main à Cam et Cameron.
— Je sais. Le semestre est bientôt terminé. Je pensais les inviter à la plage une semaine, dans la
maison de vacances de ma mère.
— Bonne idée.
J’ai passé une main dans mes cheveux.
— Ils poussent vite, a-t-elle remarqué.
— Tu veux que je les coupe ?
— Non ! a-t-elle répondu aussitôt. Enfin… fais ce que tu veux.
J’ai froncé les sourcils.
— Pourquoi tu te retiens, Red ? Tu luttes contre tes sentiments. Je le sens.
Elle s’est mordu la lèvre. J’ai poussé un soupir de frustration.
— Jouons à un jeu. Je te dis un truc sur toi, et toi un truc sur moi.
Un sourire s’est dessiné sur son visage.
— Ça ne devrait pas être dans l’autre sens ?
— Non. J’aime quand les choses sont difficiles.
Elle a penché la tête sur le côté, l’air curieux. J’avais réussi à capter son attention.
— Je commence. Tu n’aimes pas les olives noires.
Elle a écarquillé les yeux.
— Comment tu le sais ?
— J’ai mené mon enquête.
— Quoi ?
— Je plaisante ! L’autre jour tu as enlevé les olives de ta part de pizza. À ton tour.
— Tu ne laisses jamais les couverts dans l’évier. Seulement les verres vides.
J’avais le sourire jusqu’aux oreilles. Elle était plus observatrice que je ne pensais. J’ai bu une gorgée
de son thé.
— Tu n’aimes pas le noir. Tu dors avec la lumière allumée.
Son regard s’est voilé. Elle n’a rien dit pendant un long moment. Je me demandais à quoi elle pensait.
Elle a cligné des yeux, puis elle a souri.
— Tu pues des pieds.
— Hé ! Seulement après l’entraînement. Le reste du temps, mes pieds sont sexy.
Elle s’est retenue de rire.
— Tu appelles ta mère juste pour lui dire bonjour.
C’était à mon tour, mais je ne l’ai pas corrigée. J’aimais quand elle parlait de moi.
— Tu as raison. Je suis un vrai fils à maman. Mais seulement deux fois par semaine.
Elle ne mangeait pas son pain à la cannelle. J’en ai arraché un morceau et l’ai approché de sa bouche
entrouverte. Elle l’a accepté. Elle m’a imité et en a enfoui un dans la mienne.
— Tu es un coureur de jupons.
— Faux ! J’ai changé. Aujourd’hui, il n’y a qu’une seule fille qui compte.
Son sourire s’est envolé. J’ai pris sa main dans la mienne et je l’ai regardée droit dans les yeux.
J’aurais pu me noyer dans son regard. Il était rempli de douleur et d’amour.
— Donne-moi une chance, Red. S’il te plaît.
Silence. Elle n’était pas prête. Tant pis. J’avais toute une vie pour la convaincre. Elle finirait bien par
me faire confiance.
— Crêpes ?
— Je travaille dans une heure, Caleb.
— Et alors ? Je peux t’emmener au garage.
— Non.
— Tu n’en as pas marre de me dire non ?
— Non.
Cette fille me rendait fou. J’ai rapproché ma chaise pour être à côté d’elle. J’ai enroulé une main
autour de son poignet et l’ai attirée sur moi. Mon sexe s’est raidi sous son poids. Elle sentait tellement
bon. J’ai fermé les yeux, passé une main dans mes cheveux.
— Désolé, Red. Je suis juste…
Excité.
— J’ai envie de toi.
Elle a écarquillé les yeux. Mon cœur battait vite. Trop vite.
— Je pense à toi tout le temps, Red.
Elle respirait fort, comme si elle venait de courir un marathon.
— Caleb… Tout le monde nous regarde.
— Je m’en fiche. Tu me fais confiance ?
Elle a hoché la tête.
— Alors, sortons d’ici.
Elle s’est levée. J’ai ramassé son sac et je l’ai glissé sur mon épaule. Je l’ai prise par la main.
— Crêpes ?
Elle m’a regardé avec ses yeux de biche.
— Crêpes.

- VERONICA -

Caleb a conduit jusqu’à la plage, comme chaque fois qu’il était dépassé par ses émotions. Il m’a tenu
la main pendant tout le trajet. Je n’ai pas eu la force de résister.
Malgré le ciel bleu et le soleil, la plage était quasi vide. J’avais l’impression d’être dans un autre
monde. Un monde sans problèmes, où l’espoir et le bonheur étaient permis.
Il a étalé une couverture sur le sable. Il s’est allongé sur le côté, moi sur le dos. J’ai contemplé la mer
en silence.
— À quoi tu penses, Red ?
Il a entrelacé mes doigts avec les siens. J’ai tourné la tête vers lui. J’étais prête. Il était temps de lui
parler de mon passé.
— Quand j’étais petite, j’admirais mon père. Il prenait soin de moi. On s’entendait bien. Un jour, tout a
changé. Il est devenu… quelqu’un d’autre. Il m’a accusée d’être responsable de tout ce qui n’allait pas
dans sa vie. J’entends encore sa voix, ses mots. Parfois, je me demande s’il n’avait pas raison.
Caleb a serré ma main dans la sienne.
— Non, Red. Il avait tort.
— Je ne sais pas.
— Il t’a… fait du mal ?
Je n’ai pas répondu. Caleb a hoché la tête. Désormais, il comprendrait pourquoi j’étais aussi têtue,
aussi méfiante. J’avais peur de partager avec lui les pires moments de ma vie, de lui faire peur, mais
quelque chose me disait qu’il resterait à mes côtés, quoi qu’il arrive.
— Un soir, ma mère m’a invitée au cinéma. On y allait souvent ensemble. C’était notre moment à nous.
Je voulais voir un dessin animé, et elle un film romantique. J’ai préparé des sandwiches et des boissons.
On n’avait pas les moyens de s’acheter du pop-corn, mais je m’en fichais. Je voulais juste passer du
temps avec ma mère. On marchait sur le trottoir quand j’ai aperçu mon père. Il était dans une voiture que
je ne connaissais pas. Une femme est montée à côté de lui. Ils se sont embrassés. Ma mère l’a vu. Elle a
posé une main sur sa poitrine, fermé les yeux, respiré profondément. Je m’attendais à ce qu’elle aille lui
parler, le gifler… Rien. Elle m’a souri et m’a dit qu’on ferait mieux de se dépêcher si on ne voulait pas
rater le début du film.
Caleb m’a serrée dans ses bras. Il sentait bon.
— Ma mère est morte, Caleb. Mes parents m’ont adoptée. Je ne connais pas mes parents biologiques,
et je m’en fiche. J’avais juste besoin d’elle. Ma mère n’était pas parfaite, mais elle faisait de son mieux.
Je ne comprends pas pourquoi elle ne l’a pas quitté.
— Je sais, Red. La mienne a fait la même erreur.
Caleb me caressait le dos. J’ai soupiré de plaisir. Il m’a regardée droit dans les yeux.
— Je te promets que quand on se mariera, ce sera pour toujours. Tu es la femme de ma vie, Red.
Jusqu’à ma mort.
Je suis restée sans voix. Il a souri et posé un doigt sous mon menton pour fermer ma bouche béante.
— Respire, Red. Ça va aller.
Troublée par ses confessions, j’ai eu envie de me lever, de fuir, mais il m’a retenue en m’enveloppant
dans ses bras.
— Tu m’en veux de ne pas avoir de bague sur moi, c’est ça ?
J’ai cligné des yeux. Il a posé son menton sur ma tête.
— Pas aujourd’hui, Red. Sois patiente.
Caleb voulait me demander en mariage ? Impossible. C’était une blague.
— Et si je te racontais une histoire ? a-t-il murmuré.
— Je t’écoute.
— C’est mon passage préféré d’Alice au pays des merveilles. Alice demande au Lapin blanc :
combien de temps dure toujours ? Et le lapin répond : parfois, juste une seconde.
Il m’a embrassée tendrement.
— J’aimerais que cet instant dure toujours, Red.
CHAPITRE 18

- VERONICA -

Cela faisait une semaine que Caleb m’avait parlé de mariage. J’essayais d’oublier notre conversation,
mais elle me revenait par bribes et me rongeait de l’intérieur. J’ai attendu la fin de la journée pour en
discuter avec Cam. Elle était en train de faire les comptes. Choquée par ma révélation, elle s’est arrêtée,
billets à la main, la bouche grande ouverte.
— Tu plaisantes ?
— Je te jure que c’est vrai.
Elle a cligné des yeux une fois, deux fois, trois fois.
— Caleb Lockhart t’a demandée en mariage ?
— Non ! Il l’a juste sous-entendu.
— Incroyable !
J’étais aussi étonnée qu’elle. D’un côté, j’étais horrifiée. Tout allait trop vite. D’un autre, j’avais envie
d’y croire.
Incapable de se concentrer sur sa tâche, Cam a remis les billets dans la caisse.
— Qu’est-ce que tu as répondu ?
— Rien ! On ne se connaît que depuis quelques mois ! Et puis, c’était peut-être une blague.
— Je ne sais pas, Ver. Il t’a dit qu’il t’aimait ?
— Non.
— Sérieux ? Et il t’a demandée en mariage ?
— Il ne m’a pas demandée en mariage…
— Écoute, soit ce mec est amoureux de toi, soit il est en manque de sexe.
— Quoi ?
— Il est en manque ! Il est excité comme une licorne en période de rut.
Cam a haussé les épaules, comme si elle avait résolu le problème. Elle a attrapé sa trousse de
maquillage dans le tiroir du bureau et s’est repoudré le nez.
— Les mecs racontent n’importe quoi quand ils ont envie de sexe. Cameron est… était comme lui.
Caleb a juste besoin de tirer son coup.
— Dans ce cas, ce sera sans moi.
— Arrête de faire semblant, Ver.
— Semblant de quoi ?
Elle a levé les yeux au ciel.
— Tu es forte pour donner des conseils, mais tu es nulle quand il s’agit de toi. Réfléchis un peu ! Ce
mec est passé te chercher chez moi pour te déposer à la fac. Il t’a apporté des habits, un petit déjeuner. Il
te laisse vivre chez lui gratuitement. Que veux-tu de plus ? Qu’il fasse don de ses couilles ?
J’ai fermé les yeux. Elle avait raison. Caleb m’aimait bien, mais je ne savais pas combien de temps
cela durerait. Toutes les bonnes choses ont une fin.
Cam a appliqué un rouge à lèvres rose bonbon.
— Tu penses qu’il n’est pas prêt à s’engager, c’est ça ?
— Cette couleur te va super bien.
— Je sais. C’est un rouge à lèvres vegan. Il était en soldes. J’ai acheté trois teintes. Je te les montrerai
plus tard. Et n’essaie pas de changer de sujet !
Elle s’est approchée de moi et m’a tapé sur la tête.
— Aïe !
— Réveille-toi, idiote ! Tu n’es pas obligée de coucher avec lui, mais donne-lui au moins une chance.
J’ai poussé un soupir de frustration.
— Je ne sais pas, Cam ! J’ai peur. Quand je suis avec lui, je n’ai pas les idées claires. J’ai envie de
craquer et de fuir. Je déteste ça. Je ne veux pas devenir comme ma mère !
— Les choses qu’on fuit finissent toujours par nous rattraper. Et tu n’es pas comme ta mère. Tu es plus
forte qu’elle.
Cam avait raison. Plus je luttais, plus j’avais du mal à garder mes distances. J’étais amoureuse, et je
refusais de l’admettre. J’avais l’impression de vivre la vie de quelqu’un d’autre. Je me sentais faible,
vulnérable. Où était passée mon audace ? J’avais tellement peur de devenir comme ma mère que j’en
prenais le chemin, par peur d’affronter la réalité.
Il était temps d’agir. Je mourais d’envie de voir Caleb. Je voulais m’assurer que ses sentiments
n’avaient pas changé. Il était temps de prendre des risques. Tant pis s’il me brisait le cœur. Je survivrais.
J’ai jeté un œil à l’horloge sur le mur. C’était l’heure de la fermeture. On a récupéré nos affaires et on
s’est dirigées vers la sortie.
— Tu as raison, Cam. Je vais lui parler.
Elle m’a fait un clin d’œil en fermant la porte.
— Bonne chance, meuf.
Après m’avoir déposée au travail, Caleb était parti à son entraînement. Il ne rentrerait pas avant au
moins deux heures. J’ai décidé de lui préparer un bon steak avec des pommes de terre. Il avait l’air
d’aimer tout ce que je lui cuisinais, à une exception près : les pâtes au fromage.
J’ai branché mon vieux lecteur mp3 aux enceintes et j’ai essayé de me calmer avec ma playlist
préférée. Impossible. J’étais trop stressée. Qu’est-ce que je vais lui dire ? Qu’est-ce que je veux
vraiment ?
Caleb. Je voulais Caleb.
Ce serait la première fois que je dirais à un garçon que je l’aimais. Par où commencer ? J’étais en train
de poser son assiette sur le bar quand la porte s’est ouverte. Mon cœur s’est emballé.
— Red ?
— Salut, Caleb.
J’étais à deux doigts de m’évanouir. Je me suis éclairci la voix.
— L’entraînement s’est bien passé ?
— Très bien, a-t-il répondu en glissant les mains dans ses poches. Ça sent bon par ici.
Il n’a pas bougé. Il s’est contenté d’étudier mon visage avec ses grands yeux verts.
— Tu as faim ?
Il a dégluti. Il avait l’air nerveux. À cause de moi ?
— Oui, a-t-il murmuré.
J’ai marché jusqu’à lui. Son souffle mentholé m’a caressé la peau. J’ai enroulé mes bras autour de son
cou. Un sourire s’est dessiné sur ses lèvres. Elles avaient l’air douces. J’avais envie de les goûter, de les
sentir contre les miennes.
— J’ai un cadeau pour toi, Caleb.
— Qu’est-ce que c’est ?
Il avait la voix rauque, le regard voilé. Ses cils étaient tellement longs qu’ils projetaient des ombres
sur ses joues.
— Un baiser.
Il m’a empoignée par les hanches et m’a plaquée contre lui, écrasant sa bouche sur la mienne, caressant
mes lèvres avec sa langue. Je les ai entrouvertes, me noyant dans son baiser. La texture de ses mains sur
ma peau, la chaleur de son corps, ses dents, sa langue… Un baiser passionné qui me donnait envie de
quelque chose auquel je n’étais pas encore prête. Ses mains exploraient mon corps. J’avais la tête qui
tournait. Le cœur qui palpitait.
Son portable s’est mis à sonner, nous ramenant à la réalité. Je me suis écartée.
— Red…
— Réponds. J’ai besoin de respirer.
Il a hésité à me lâcher.
— S’il te plaît, Caleb.
J’avais besoin d’un moment pour reprendre mon souffle sans sentir son regard sur moi. Il a sorti son
portable de sa poche.
— Allô ? Salut, Bea. Ça va, et toi ? Non, je ne peux pas ce soir. Désolé. Une autre fois ?
Bea ? Une autre fois ? Il venait de m’embrasser et il était déjà en train de prendre rendez-vous avec
une autre fille ? Je m’étais trompée ! Ce mec n’avait pas changé ! Furieuse, j’ai attrapé l’assiette que je
lui avais préparée et je l’ai renversée sur sa tête. Il s’est retourné tellement vite que la nourriture l’a à
peine touché.
— Espèce de traître !
J’ai enlevé une de mes chaussures et l’ai lancée dans sa direction. Il l’a esquivée. J’étais encore plus
en colère. J’ai retiré la seconde. Cette fois, il l’a rattrapée au vol. Fichu joueur de basket !
— Qu’est-ce qui se passe, Red ?
Il me regardait d’un air innocent. J’avais envie de lui donner un coup de genou dans l’entrejambe. Quel
culot ! J’avais eu tort sur toute la ligne ! Jamais je n’aurais dû lui faire confiance ! J’ai cherché autre
chose à lui lancer à la figure, mais je n’avais rien sous la main. À part le frigo. Si j’avais eu la force de le
soulever, je l’aurais fait.
J’ai hurlé de frustration en lui tournant le dos. Il m’a rattrapée par le bras. Il avait l’air en colère,
frustré.
— Je marche sur des œufs depuis des semaines, Red. Je ne peux pas vivre comme ça ! Dis-moi ce qui
ne va pas !
Il m’a serrée contre lui. J’avais envie de le gifler.
— Tu as pris rendez-vous avec une fille sous mon nez, juste après m’avoir embrassée !
— Bea est une amie d’enfance ! Elle était partie à Paris et elle vient juste de rentrer. Elle voulait juste
qu’on se revoit autour d’un verre. Tu imagines toujours le pire !
J’ai fermé les yeux, gênée. Je me sentais ridicule.
— Dis-moi ce que tu ressens, Red. J’en ai marre de ton petit jeu. Tu veux de moi, oui ou non ?
— Oui !
Je l’ai saisi par le col et je l’ai embrassé. Parce que j’étais amoureuse de lui. Parce qu’il me redonnait
espoir. Caleb. Mon Caleb.
Ses grandes mains se sont posées sur mes épaules, glissant sur mon dos, m’attirant contre son corps.
J’ai mordillé ses lèvres, enfoncé mes ongles dans ses bras. Il a gémi de plaisir. Je manquais d’air. J’ai
plaqué mes mains sur son torse. On était essoufflés, comme après chaque baiser. Il a posé son front contre
le mien.
— Excuse-moi, Caleb. J’étais terrifiée. Tout est allé tellement vite. Je sais que je peux te faire
confiance, que je pourrais être heureuse avec toi… mais j’ai peur. Ma mère a fait confiance à mon père et
il… il…
Caleb a posé ses mains sur mes joues, embrassant mes paupières, goûtant mes larmes.
— Je t’adore, Red.
— Il faut qu’on parle.
— Laisse-moi juste t’embrasser.
J’ai éclaté de rire.
— D’accord.
Il a déposé des baisers sur mon front, mes joues, mon menton.
— Ici, Caleb.
— Où ?
J’ai tendu le cou. J’avais envie qu’il m’embrasse partout. Le désir me consumait. Il avait les lèvres
douces, si douces… Il m’a soulevée et j’ai enroulé mes jambes autour de sa taille. Il m’a assise sur le
bar.
— Embrasse-moi, Caleb.
Il a posé les mains sur mes cuisses.
— On a toute la nuit devant nous. J’ai envie de toi, Red. Je ne pense qu’à ça depuis des semaines.
C’était comme si on m’avait jeté un seau d’eau à la figure.
— Non, Caleb. S’il te plaît. Je ne peux pas. Je… Je ne suis pas prête.
Il a fermé les yeux, posé le front contre le mien.
— Pas de problème. On a le temps.
J’ai hoché la tête. Je me demandais comment il réagirait quand je lui dirais la vérité. Certains garçons
avaient peur de coucher avec des filles sans expérience. D’autres prenaient un malin plaisir à les
déflorer. Certains les traitaient avec respect. J’étais curieuse de voir dans quelle catégorie il se situait.
— Je suis vierge, Caleb.
— Quoi ?
— Je suis vierge.
Il a passé une main dans ses cheveux. Un sourire a illuminé son visage.
— Tu n’imagines pas à quel point ça me rend heureux. J’attendrai, Red. Aussi longtemps que tu le
voudras.
J’étais touchée par sa réaction. J’ai posé la tête contre son torse, bercée par les battements de son
cœur.
— Je sais que tu as envie de moi, Red. Je le sens. Mais on prendra le temps qu’il faudra. Je ne voulais
pas te faire peur. Je fais des erreurs, comme tout le monde. Je ne suis pas parfait… contrairement à ce que
pensent les autres.
J’ai éclaté de rire.
— Frimeur !
Il m’a regardée droit dans les yeux.
— Red…
J’ai retenu mon souffle. Ne me dis pas que tu m’aimes, Caleb. Pas encore. Je ne suis pas prête. On
aurait dit qu’il avait lu dans mes pensées. Il a souri et murmuré à mon oreille.
— Tu es tout pour moi, Red.
CHAPITRE 19

- VERONICA -

J’allais me mettre en pyjama quand il a frappé à la porte de ma chambre.


— Red ?
— Entre.
Caleb était pieds nus, torse nu. Il sortait de la douche. Il a frotté ses cheveux mouillés avec une
serviette. Des gouttes d’eau perlaient sur son torse. J’ai admiré son ventre et la ligne qui disparaissait
sous son jean. Il n’avait pas fermé le dernier bouton. J’ai tourné la tête, rouge comme une tomate. Il
l’avait sûrement fait exprès.
— J’ai faim.
Je me suis alors rappelé que tout à l’heure le contenu de son assiette avait fini… sur sa tête, pour autant
je ne savais pas s’il avait faim de nourriture ou d’autre chose. Je l’ai regardé droit dans les yeux. J’avais
ma réponse. Mon Dieu.
— Tu veux que je te prépare un repas ?
— Non. On ferait mieux de sortir d’ici avant que je te dévore.
J’étais livide. Il s’est mordu la lèvre, visiblement amusé.
— Allons manger en ville. Enfile une robe, Red.
Il est sorti de la chambre. Sonnée, je suis allée dans la salle de bains pour me préparer. Je n’avais
qu’une seule robe : la robe rouge que je portais le soir de notre rencontre. Il m’avait déjà vue dedans.
Jusque-là, porter des habits plusieurs fois ne me posait pas de problème, mais j’avais envie de faire
plaisir à Caleb. Pour la première fois de ma vie, je voulais impressionner un garçon.
Quel était son genre de fille ? D’après mes souvenirs, Caleb sortait souvent avec des blondes. Moi,
j’avais les cheveux noirs comme la nuit. Ils tombaient en cascades jusqu’à ma taille. Je me suis poudré le
visage et j’ai appliqué mon rouge à lèvres rouge, assorti à ma robe. Mes yeux étaient trop grands, ma
bouche trop large, mes seins trop gros, mes hanches trop imposantes. Est-ce qu’il me trouverait sexy dans
cette robe ? J’ai secoué la tête, balayant mes doutes. Je refusais de perdre confiance en moi parce que le
plus beau mec du campus m’invitait au restaurant.
D’ailleurs, est-ce qu’il m’avait vraiment invitée ? Serait-ce à moi ou à lui de payer ? Est-ce qu’on
diviserait l’addition ? Et s’il m’emmenait dans un restaurant chic ? Dans les films, il arrivait que les mecs
fassent semblant d’oublier leur portefeuille pour que la fille paye à leur place. Je savais que Caleb était
galant, mais s’il l’oubliait vraiment ? Je n’avais pas d’argent ! Argh ! Je réfléchissais trop !
Tu imagines toujours le pire.
Cette phrase tournait en boucle dans ma tête depuis qu’il l’avait prononcée. Caleb avait raison. J’étais
trop méfiante. Depuis le départ de mon père, je considérais les hommes comme des ennemis. Je refusais
d’ouvrir mon cœur, de peur qu’on me le brise. J’ai respiré profondément. Tu vas y arriver. Ce n’est
qu’un garçon. Je voulais juste profiter de ma soirée avec Caleb. Peu à peu, j’apprendrais à lui faire
confiance.
J’ai jeté un dernier coup d’œil dans le miroir avant de sortir de la chambre. La robe me moulait comme
une seconde peau. Elle n’était pas trop courte, mais elle dévoilait mes jambes, allongées par les talons.
Et si je trébuchais ? J’ai grogné de frustration, fatiguée par ma propre appréhension.
Caleb m’attendait dans le couloir, tapi dans l’ombre. La lumière du salon dessinait les angles de son
visage. Il m’a inspectée de la tête aux pieds, s’attardant sur mes yeux, mes lèvres, ma poitrine, mes
jambes. Il portait une veste foncée qui mettait en valeur ses épaules, une chemise bleu nuit, une cravate
fine et un pantalon noir. Il avait fixé ses cheveux en arrière avec du gel. J’avais envie de les toucher.
— Je pourrais t’admirer pendant des heures, Red.
J’aurais aimé lui retourner le compliment, mais je ne trouvais plus mes mots.
— C’est la première fois qu’on sort ensemble.
Il a posé les mains sur mes joues. J’avais des papillons dans le ventre. Je sentais son parfum, la
chaleur qui émanait de son corps. Il m’a embrassée sur le coin de la bouche.
— Tu sens bon, Red. Tu n’imagines pas l’effet que tu me fais.
Je n’avais jamais ressenti une chose pareille. Être avec Caleb, c’était comme un tour de montagnes
russes. Ce moment où on arrive en haut, où on ferme les yeux avant le grand plongeon… comme si notre
âme se détachait de notre corps. Et l’envie de recommencer, encore et encore.
Ses lèvres étaient douces et humides, entrouvertes, taquines. Je me suis mise sur la pointe des pieds,
répondant à son baiser. Il a levé la tête, à bout de souffle. Ses yeux étaient d’un vert profond. J’aurais pu
m’y noyer.
— Tu as du rouge à lèvres partout, ai-je murmuré en l’essuyant d’une main.
— Tu pensais qu’il te protégerait ? Raté, Red. Tu peux me salir autant que tu veux.
On ne sortirait jamais d’ici s’il continuait à me regarder comme ça. Je lui ai tourné le dos et j’ai
remonté le couloir. Je sentais son regard posé sur mes fesses.
— Attends-moi.
Il m’a prise par la main.
Dans la voiture, je lui ai demandé où il m’emmenait.
— C’est une surprise. J’ai réservé une table dans le restaurant d’un ami. Tu verras, c’est délicieux.
J’étais nerveuse. Caleb l’a senti. Il a serré ma main dans la sienne. Les arbres et les immeubles
défilaient derrière la vitre. Il s’est garé devant un bâtiment moderne, avec de grandes baies vitrées
rouges. On ne voyait pas ce qui se passait à l’intérieur. Un restaurant de riches. Je n’avais pas ma place
ici.
— Ça va, Red ?
Paniquée, j’ai tourné la tête vers lui. Il a aussitôt compris ce qui me troublait.
— Excuse-moi. J’aurais dû te demander où tu voulais manger. J’ai une autre idée.
— C’est vrai ?
— Un de mes endroits préférés.
Caleb a allumé la radio en sortant du parking. Il s’est mis à chanter à tue-tête. Il n’atteignait pas les
notes les plus aiguës. J’ai éclaté de rire. Sa bonne humeur était contagieuse. Avec lui, je me sentais
légère, insouciante. J’avais envie de faire des bêtises, de me moquer de ce que pensaient les autres.
Caleb aimait la personne que j’étais. Avec lui, j’avais le droit d’être moi-même.
Il a quitté la ville, longeant champs et forêts. La musique à la radio, sa main dans la mienne, ses coups
d’œil furtifs : je me sentais en sécurité. Caleb prenait soin de moi, même si je lui menais la vie dure. J’ai
tourné la tête, contemplé son profil.
— Tu profites de la vue ? a-t-il dit en riant.
La dernière fois qu’il m’avait posé cette question, c’était avant notre premier baiser. Il s’en souvenait,
lui aussi.
— Si tu veux m’embrasser, je peux me garer.
J’en mourais d’envie. Mes sentiments avaient pris le dessus sur ma raison. J’étais fichue. J’ai secoué
la tête en riant. Je riais beaucoup, aujourd’hui.
On est entrés dans une ville que je ne connaissais pas. L’avenue principale était bordée de boutiques et
de restaurants, imbriqués entre de jolies maisons colorées. Le soleil flottait au-dessus de l’horizon,
comme quelqu’un se berçant dans un fauteuil à bascule, prêt à se détendre pour la soirée. Des oiseaux
volaient dans le ciel bleu, chantant une dernière fois avant que la nuit tombe. Il était 19 heures, et il y
avait du monde partout. Les gens faisaient leurs courses, mangeaient, riaient, profitaient de la soirée avec
leur famille et leurs amis. Une foule d’inconnus.
— Ce soir, on peut être qui on veut, a dit Caleb.
— D’accord.
Des piétons ont traversé devant nous. On aurait dit qu’ils sortaient d’un festival ou d’un carnaval.
Certains étaient habillés en costumes traditionnels, d’autres en maillots de bain, en robes et en short. Tout
était coloré, plein de vie. La musique était forte, les gens heureux. On était trop bien habillés pour un
endroit pareil.
Caleb s’est frayé un chemin parmi les voitures et les piétons avant de se garer. Il a enlevé sa veste, sa
cravate et sa chemise. Il portait un tee-shirt blanc dessous. On s’est dirigés vers un stand qui vendait des
costumes et des accessoires. Le vendeur portait une grenouillère Pikachu.
— Vous avez un costume de ninja ? a demandé Caleb.
— Désolé, mon pote. Les meilleurs sont partis. Le seul costume qui me reste, c’est une grenouillère
pénis.
Caleb a éclaté de rire.
— Merci, mec. Peut-être la prochaine fois.
On a marché jusqu’au stand suivant, qui vendait des tongs. Soulagée, j’ai pu enlever mes talons. Caleb
s’est acheté un sombrero et des sandales et a payé dans mon dos. Je lui ai tendu un billet. Il l’a refusé.
J’ai déposé mes chaussures dans le coffre de la voiture.
— Où voulez-vous manger, señorita ? Je meurs de faim.
— Je ne sais pas. Il y a trop de choix.
Les stands de nourriture étaient fermés pour la nuit, mais les restaurants étaient pleins à craquer : une
pizzeria qui cultivait ses propres épices, un glacier qui produisait son propre lait, des restaurants de fruits
de mer, hamburgers et autres gourmandises.
— Je propose de commencer par une soupe.
Caleb a montré du doigt un restaurant à la façade jaune et décrépite, avec un seul mot sur la devanture :
« SOUPE ».
— Ensuite, je goûterais bien une pizza là-bas.
J’ai suivi son regard. Des clients mangeaient en terrasse sous des parasols multicolores.
— Et en dessert, une bonne glace. On ira se promener dans le parc. Tu auras même le droit de
m’embrasser.
— Dans tes rêves, ai-je plaisanté.
L’intérieur du premier restaurant était aussi délabré que la façade. Des nappes à carreaux rouges
recouvraient les tables, les vieilles chaises en bois étaient enveloppées de plastique et des photos d’Elvis
et de Madonna trônaient sur les murs. Les menus et la table étaient poisseux.
La serveuse a sorti son carnet. Elle devait avoir une cinquantaine d’années. Elle avait les cheveux
bouclés et décolorés, attachés avec un élastique rose. D’après son badge, elle s’appelait Daisy. Elle a
souri à Caleb en prenant la commande.
— Deux soupes de palourdes, s’il vous plaît. Ma femme est enceinte de triplés. Elle a besoin de
forces.
J’ai écarquillé les yeux. Il a passé une main sur mon ventre.
— J’ai travaillé dur pour l’inviter au restaurant. Il lui tarde de goûter votre délicieuse soupe.
Caleb a battu des cils. Daisy était clairement sous le charme.
— Que faites-vous dans la vie, jeune homme ?
— Je suis strip-teaseur.
Elle l’a regardé de travers.
— On a déjà six enfants, ai-je ajouté.
— Six ?!
— Six garçons. Trois paires de jumeaux. Et me voilà enceinte de triplés ! Mon mari a rendez-vous
pour une vasectomie la semaine prochaine. Je voulais profiter de sa… masculinité une dernière fois avant
qu’on la lui coupe.
Caleb a pouffé de rire. Daisy a souri, consciente qu’on la menait en bateau.
— Très bien, les amoureux. Deux soupes de palourdes avant que votre mari se fasse couper les
couilles.
Elle nous a fait un clin d’œil avant de disparaître en cuisine. On a éclaté de rire.
— Alors, comme ça, on veut profiter de ma masculinité ? Et on veut neuf enfants ?
— Peut-être. Je ne me suis jamais posé la question.
Menteuse. Il fut une époque où je rêvais d’avoir des enfants, avant que ma vie tourne mal et que mes
rêves s’effondrent. Après le départ de mon père, ma mère et moi n’avions plus les moyens de nous
acheter à manger. On vivait dans la peur. Peur d’être expulsées, que je tombe malade ou que je me fasse
kidnapper. Le monde était devenu un endroit dangereux, impitoyable.
— On les élèvera ensemble, a repris Caleb. On créera notre propre équipe de basket.
Daisy est revenue avec nos soupes.
— J’espère qu’on ne va pas tomber malade, ai-je murmuré en examinant mon bol.
— J’ai mangé ici plusieurs de fois quand j’étais petit avec mon père et Ben. Ne te fie pas aux
apparences. Leur soupe est délicieuse.
Il a massé ma main avec son pouce. Des étincelles m’ont parcouru le bras.
— Mon père a grandi dans une petite ville. Il était garagiste. Ma mère était jeune quand ils se sont
rencontrés. Elle était partie en vacances avec des copines. Sur le trajet du retour, elle s’est perdue et a
rencontré mon père. Ils sont tombés amoureux. Elle est tombée enceinte de mon frère, Ben. Ils se sont
mariés contre l’avis de leurs parents. Au début, mon père s’occupait bien de nous. Le week-end, il nous
emmenait, mon frère et moi, explorer d’autres villes. Il voulait nous montrer qu’il existait un autre monde,
moins riche, moins prétentieux.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— J’ai eu une… petite sœur. Elle est morte quelques minutes après sa naissance. D’après les
médecins, son cerveau s’était mal formé.
J’ai serré sa main pour le réconforter.
— Je suis désolée, Caleb.
— Ma mère a noyé son chagrin dans le travail. Elle partait souvent en voyages d’affaires. Mes parents
se sont éloignés. Mon père a changé. Il s’est mis à la tromper. Comme si elle avait besoin de ça après la
mort du bébé. Ben est parti à l’université. Je me suis retrouvé seul. J’ai fait n’importe quoi, Red.
Il avait l’air gêné. Il refusait de croiser mon regard. J’ai attendu qu’il m’explique.
— J’étais en colère. Je perdais vite mon sang-froid, je me battais avec les autres élèves. J’étais
incontrôlable. Ma mère m’a envoyé chez un psy, mais ça n’a eu aucun effet. Ben a quitté la fac en plein
milieu de l’année et est rentré pour me soutenir. Il avait un ami qui travaillait dans la démolition de
maisons. Il m’emmenait avec lui et je me défoulais en détruisant des murs à coups de masse. C’était plus
efficace qu’une thérapie. Je me prenais pour Thor.
Il a éclaté de rire, mais je sentais la tristesse et la culpabilité qui le rongeaient.
— Je dois beaucoup à mon frère.
J’ai repensé aux premières semaines passées dans son appartement, quand Caleb donnait des coups de
marteau dans les murs, réparait des fenêtres, carrelait la salle de bains. Il avait toujours des pansements
sur les doigts.
— Je suis un bad boy, Red. Maintenant, tu connais mon secret.
Il essayait de détendre l’atmosphère, mais j’étais triste pour lui. Je voulais qu’il sache qu’il n’était pas
seul, que j’avais souffert, moi aussi. Je me suis éclairci la voix.
— Mon père invitait souvent d’autres femmes à la maison. Je ne sais pas comment ma mère… Excuse-
moi, c’est vraiment dur.
— Prends ton temps, Red.
Il m’a serré la main. Je l’ai regardé droit dans les yeux. On a parlé de nos parents, de notre enfance.
J’ai appris beaucoup de choses sur lui. Plus j’en découvrais, plus je l’adorais.
J’ai terminé ma soupe. Caleb avait raison. Elle était délicieuse. J’avais envie de commander un autre
bol mais il a insisté pour m’emmener à la pizzeria d’à côté.
— Cette fois, c’est moi qui t’offre le repas.
— Non, Red. Une femme ne paye jamais l’addition.
Il a glissé une mèche de cheveux derrière mon oreille. Je n’avais plus faim. Quand il me regardait
comme ça, j’avais l’impression d’être seule au monde. Je me suis penchée vers lui, mais un groupe de
jeunes nous a frôlés en courant, brisant la magie de l’instant.
On a marché jusqu’à la pizzeria. Caleb m’a demandé de choisir une table pendant qu’il allait
commander à l’intérieur. Je me suis assise sur la terrasse, sous un parasol. Quelques minutes plus tard, il
est revenu avec un plateau chargé d’une pizza géante et de deux boissons. Il avait l’air… bizarre. Timide.
— Bonsoir, mademoiselle. Est-ce que vous accepteriez de partager cette pizza avec moi ?
J’ai souri, décidant de jouer le jeu.
— Je ne sais pas… Je n’ai pas l’habitude de manger avec des étrangers.
Il a posé le plateau sur la table et s’est assis en face de moi.
— Je vous promets que je ne suis ni un violeur ni un assassin.
Son visage s’est décomposé, gêné par sa propre blague.
— Oh ! Pardon, Red. Je ne voulais pas…
J’ai éclaté de rire.
— Pas de problème. Et merci pour la pizza.
— Avec plaisir. Vous me trouvez sexy ?
J’ai levé les yeux au ciel. Ce mec était incorrigible.
— Je m’appelle Caleb. Et vous ?
— Je ne révèle pas mon prénom à n’importe qui.
— Vous êtes mystérieuse.
Il a déposé deux parts de pizza sur mon assiette.
— Bon appétit.
Caleb mangeait à la fois avec entrain et délicatesse. C’était fascinant. Il savourait chaque bouchée
comme s’il s’agissait d’une tartine de caviar, et pas d’une pizza. La bouche fermée, sans un bruit. On lui
avait appris les bonnes manières dès son plus jeune âge.
— Qu’est-ce qui vous rend heureuse ? m’a-t-il demandé en s’essuyant la bouche avec une serviette.
J’ai réfléchi un instant.
— J’aime quand on s’occupe de moi. Quand on me conduit à la fac, quand on m’offre du thé vert et
qu’on me prépare des crêpes.
Un sourire a illuminé son visage. Il a continué à mâcher en silence.
— Vous êtes allergique à quelque chose ?
— Non. Et vous ?
Il a éclaté de rire.
— Au beurre de cacahuète.
J’ai bondi sur ma chaise.
— C’est vrai ? Oh ! Je suis désolée, Caleb. Je ne savais pas !
À cause de moi, son placard en était rempli. Il a secoué la tête, hilare.
— Ce n’est pas grave, Red. Tu as le droit d’en acheter autant que tu veux. Mais ne m’embrasse pas
après en avoir mangé, OK ?
Je n’en revenais pas. Il aurait dû m’en parler plus tôt.
— Sinon, vous êtes plutôt culotte de mamie, caleçon ou string ?
On s’est posé tout un tas de questions, certaines sérieuses, d’autres absurdes ou carrément déplacées.
Je n’avais plus faim du tout. Caleb a quand même insisté pour acheter une glace : deux cornets de sorbet à
la fraise trempés dans du chocolat. On les a dégustés en se promenant dans le parc. On s’est assis dans
l’herbe, main dans la main. Caleb s’est tapoté le ventre. Comment parvenait-il à garder la ligne en
mangeant autant ?
— Je me sens comme un hippopotame qui a mangé un éléphant.
— Les hippopotames sont herbivores, Caleb. Quoique certains aient été surpris en train de manger de
la viande, donc je te l’accorde.
— Tu es cultivée, Red. C’est sexy.
J’ai éclaté de rire. Cela faisait longtemps que je n’avais pas ri autant. On s’est allongés par terre, les
yeux rivés sur le ciel étoilé. Les parfums de la nature me titillaient les narines. En ville, la lavande et les
pissenlits étaient considérés comme des mauvaises herbes. Ici, ils étaient magiques. Comme nous. Au
fond, je n’étais qu’une fille banale, mais avec Caleb, je me sentais magique, unique, comme les fleurs qui
nous entouraient.
Je me suis allongée sur le côté.
— Merci pour cette soirée, Caleb.
J’ai posé une main sur son visage. J’ai dessiné son nez, ses lèvres, ses joues avec le bout de mes
doigts. Il a souri tandis que je caressais ses sourcils, me regardant avec tellement d’émotion que j’ai eu
envie de pleurer. Il m’a enveloppée dans ses bras et m’a embrassée avec passion, comme s’il s’était
retenu toute la journée. J’ai ressenti du soulagement, mais aussi une envie naissante dans mon ventre.
Caleb s’est allongé sur moi, pressant son corps contre le mien.
— Red. Ma Red.
Ses baisers me brûlaient, m’excitaient. Il s’est arrêté brusquement et a repris sa place à côté de moi, un
bras replié sur le front.
— Excuse-moi, Red. J’ai besoin d’une minute. Sauf si tu changes d’avis et que tu veux me faire
l’amour tout de suite. Dans ce cas, je suis prêt.
J’étais encore sous l’effet de ses baisers, mais j’ai paniqué. C’était plus fort que moi. Il l’a senti.
— Ne t’inquiète pas. Je t’ai dit que j’attendrais. C’est juste que… parfois, j’ai trop envie de toi. C’est
incontrôlable. Tu comprends ?
J’ai hoché la tête. Personne n’avait jamais eu envie de moi. Il a respiré profondément.
— On reviendra ici un jour ?
— Avec plaisir, Caleb.
— Tu vois ? Tu ne peux plus te passer de moi.
Je n’ai pas su quoi répondre.
— Ne t’en fais pas, Red. Je n’ai pas parlé d’amour. Pas encore.
Il m’a attirée contre lui en riant. J’ai posé la tête contre son torse.
— Je t’attendrai, Red. On a toute la vie devant nous. Je serai là dès que tu me diras oui.
Suite à cette promesse, il m’a embrassée sous les étoiles.
CHAPITRE 20

- VERONICA -

Cette soirée a changé quelque chose entre nous. J’étais incapable de définir ma relation avec Caleb,
mais j’avais envie d’en découvrir davantage. Pour la première fois de ma vie, j’étais prête à prendre des
risques.
Le trajet du retour s’est fait en silence. Un silence confortable. Caleb conduisait avec une main sur le
volant, l’autre dans la mienne, la voiture engloutie par la pénombre. Il faisait tellement noir que je ne
voyais pas au-delà des faisceaux des phares, qui se reflétaient sur les tracés jaunes. La route nous
appartenait. La lune faisait de l’œil aux étoiles. C’était beau.
— On se croirait dans un film d’horreur.
Caleb a éclaté de rire.
— Tu aimes ce genre de films ?
— Non, mais je les regarde quand même.
— OK. Je rajoute ça à notre liste.
— Quelle liste ?
— J’ai une très, très longue liste de choses que je veux faire avec toi. Tu as vu Insidious ? Evil Dead ?
Je frissonne malgré moi.
— Non, et je n’ai pas envie d’en parler maintenant. J’ai peur que quelqu’un se jette sur la voiture.
— Tu as beaucoup d’imagin…
Caleb n’a pas eu le temps de terminer sa phrase. Une biche a traversé devant nous. Il a donné un coup
de volant à droite. Mon corps s’est écrasé contre la portière. Ma tête a frôlé la vitre. Les pneus ont crissé
sur le goudron. L’odeur de caoutchouc brûlé s’est immiscée dans la voiture, âcre et étouffante. Le
véhicule s’est précipité vers le fossé. Caleb a tourné la tête vers moi, les yeux emplis de terreur. Mon
sang s’est glacé.
J’ai compris qu’on pouvait mourir.
Caleb s’est agrippé au volant, essayant tant bien que mal de reprendre le contrôle. La voiture continuait
à rouler le long du fossé, sur le bas-côté accidenté. Il a freiné. On s’est arrêtés. La ceinture m’a coupé la
respiration. Silence.
J’étais essoufflée comme si j’avais couru cinq kilomètres. J’avais froid. Je tremblais, j’avais les dents
qui claquaient. Je ne sais ni comment ni quand, mais je me suis retrouvée dans les bras de Caleb. Il me
serrait tellement fort que j’ai eu du mal à respirer. Je m’en fichais. J’avais besoin de sa chaleur, de son
odeur.
— Ça va, bébé ?
Il a posé sa joue contre la mienne. J’ai hoché la tête, incapable de parler. Les battements de son cœur
résonnaient dans mes oreilles. Les siens ou les miens, je n’en étais pas certaine. Peu à peu, nos pouls et
notre respiration ont fini par retrouver un rythme normal.
— Ça va, Red ?
— Oui. Tu nous as sauvé la vie. Merci.
— Tu ne t’es pas cogné la tête ?
— Non, et toi ?
— J’ai pris dix ans en cinq minutes, mais je vais bien. La prochaine fois, on réserve un hôtel et on
passe la nuit là-bas.
J’étais d’accord avec lui. Je me sentais faible. J’avais soif. Mon corps s’est enfoncé dans le siège
molletonné.
— Je vais inspecter la voiture et les pneus. Ne bouge pas.
J’ai hoché la tête, priant pour qu’on ne se retrouve pas coincés au milieu de nulle part. Caleb a fait le
tour du véhicule, puis il a ouvert le coffre. Il m’a rejointe à l’intérieur et m’a tendu une cannette de jus
d’orange. Je l’ai remercié en souriant.
Il a conduit lentement jusqu’à l’appartement. Il était plus attentif, plus concentré. Moi, j’étais épuisée.
Sur place, le concierge nous a salués. Caleb a discuté avec lui quelques minutes, puis on est entrés dans
l’ascenseur. À l’intérieur, il m’a soulevée dans ses bras. J’ai poussé un cri de surprise.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Tu es sur le point de t’évanouir, a-t-il répondu en s’appuyant contre le mur.
Il devait être aussi fatigué que moi. Il avait du mal à tenir debout. Cette journée avait été aussi
incroyable qu’éprouvante.
— Je vais bien, Caleb. Repose-moi.
— Non.
Les portes se sont ouvertes. Une vieille dame est entrée, l’air choqué. Elle nous a lancé un regard noir,
se réfugiant le plus loin possible de nous.
— Les jeunes d’aujourd’hui, a-t-elle marmonné dans son coin. Aucun respect… répugnant…
Caleb m’a embrassée en souriant.
— Qu’est-ce qui te ferait plaisir ce soir, mon amour ?
Je le voyais venir à des kilomètres. Il voulait choquer sa voisine. Mon cœur s’est emballé, mais pour
une autre raison : il ne m’avait jamais appelé son « amour ».
— J’ai prévu le fouet et les chaînes. Si tu veux, tu pourras m’attacher avec les menottes.
J’étais morte de honte. Il s’est mis à siffler S and M de Rihanna. Les portes se sont ouvertes et la
vieille dame est sortie, écœurée.
— Tu es fou, ai-je murmuré.
— Je déteste être jugé par des gens qui ont sûrement fait pire que moi.
— Tu as parlé de fouet et de menottes, Caleb.
— Et alors ? Au départ, elle se plaignait seulement parce que je te portais dans l’ascenseur. Je ne vois
pas ce qu’il y a d’irrespectueux. Et si je te portais parce qu’on venait de se marier ? Ou parce que tu
t’étais fait mal à la cheville ? Ce n’est qu’une hypocrite.
— Tu la connais ?
— Elle était prof dans une école prestigieuse. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais elle n’a plus
le droit d’enseigner. Ce n’est pas parce que les gens sont vieux qu’ils sont des anges. Moi, je respecte
tout le monde, à condition qu’ils le méritent.
Il est sorti de l’ascenseur et m’a portée jusqu’à chez lui. Il s’est arrêté devant la porte, se baissant pour
atteindre le digicode. Je me suis agrippée à ses épaules.
— Attention !
Il a perdu l’équilibre et est tombé en arrière, sur la moquette, tendant les bras pour amortir ma chute.
On a éclaté de rire.
— Chut ! On va réveiller les voisins. Je suis fatiguée, Caleb.
— Moi, je n’ai pas envie de dormir. J’ai envie… d’autre chose.
Tous mes sens étaient en éveil. Il fallait que je m’éloigne de lui au plus vite. Je me suis redressée. Il a
levé les yeux au ciel.
— Aide-moi, Red.
Je lui ai tendu la main. Au lieu de se lever, il m’a attirée contre lui.
— Caleb ! Laisse-moi tranquille !
— J’adore te sentir contre moi, a-t-il murmuré à mon oreille.
— On rentre ?
— Et ensuite ?
Il m’a mordillé l’oreille. J’ai soupiré de plaisir.
— Ensuite…
— Dis-moi, Red.
Il m’a allongée sur le dos, plaquant son corps contre le mien. J’ai retenu mon souffle tandis qu’il
entrouvrait mes lèvres du bout du doigt.
— Réponds à ma question.
— Quelle… question ?
Il a souri d’un air satisfait. Il avait conscience de l’effet qu’il produisait sur moi.
— Qu’est-ce qu’on fera une fois à l’intérieur ?
Je ne savais pas comment gérer la situation. Caleb était au niveau dix. Moi, j’étais au niveau zéro. Il
s’en est rendu compte.
— Pas encore, a-t-il soupiré.
Il a ouvert la porte et on a remonté le couloir jusqu’à ma chambre. Ses yeux se sont posés sur nos
mains liées. Il a froncé les sourcils.
— Bonne nuit, Red.
J’ai étudié son visage, son regard intense, troublé.
— Tu n’imagines pas à quel point j’ai envie de te suivre. Merci encore pour cette soirée.
Il a approché son visage du mien. Nos nez se sont frôlés.
— Fais de beaux rêves.
Là-dessus, il a disparu au bout du couloir.

Je me suis réveillée à la lueur de la lampe de chevet. Je dormais toujours avec la lumière allumée.
Caleb avait vu juste.
J’ai jeté un œil au réveil. Trois/3 heures du matin. J’ai grogné de frustration. Je mourais de soif. J’étais
fatiguée et déshydratée. Je me suis dirigée vers la cuisine, les yeux mi-clos. J’ai tâtonné dans le noir, à la
recherche de l’interrupteur. J’ai ouvert le frigo et attrapé une cannette d’eau de coco. Le bruit métallique
de la languette a brisé le silence de la nuit. Il y avait quelque chose dans le noir… quelqu’un qui
m’observait. J’ai plissé les yeux, tentant de percer la pénombre. Mon imagination me jouait des tours. Je
me suis retournée pour fermer le frigo quand un bruit a retenti derrière moi.
Mes poils se sont hérissés. La peur coulait dans mes veines. Paralysée, j’ai lâché ma cannette. Elle
s’est écrasée sur le carrelage. Je suis partie en courant, à l’aveugle. Je sentais sa haine, son désir de
vengeance. J’entendais son rire diabolique et sadique. Un rire que je connaissais bien.
— Cours, petite. Je vais te rattraper.
J’ai jeté un œil derrière moi. Rien. Le noir total. J’avais envie de hurler mais ma gorge était serrée,
étouffée par la terreur. J’ai accéléré, percutant une paroi solide. J’ai hurlé de surprise.
— Red ? Qu’est-ce qui t’arrive ?
Caleb ! Il a placé les mains sur mes bras. Paniquée, j’ai essayé de lui expliquer, mais je ne trouvais
pas les mots. Je l’ai pris par la main, le forçant à me suivre.
— Calme-toi, Red ! Dis-moi ce qui se passe.
J’ai secoué la tête. Il a posé ses mains sur mes joues, me forçant à le regarder droit dans les yeux.
— Tout va bien. Tu fais une crise d’angoisse. Inspire par le nez, expire par la bouche. Concentre-toi,
Red.
J’ai obéi.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi tu courais ?
Son regard et sa voix m’ont rassurée. Est-ce que je devenais folle ? Je n’avais jamais fait de crise
d’angoisse.
— Il… Il y a quelqu’un dans… dans la cuisine.
Tout à coup, Caleb est tombé à genoux. Il a plaqué ses mains sur son ventre. Une tache de sang se
répandait sur son tee-shirt.
— Va-t’en, Red ! Vite !
J’ai recouvert ma bouche d’une main. Caleb s’est effondré. Immobile. Mort. Non ! Non, non, non ! Le
monstre est sorti de l’ombre, un sourire malicieux déformant son visage.
— Bonsoir, ma fille.
Un cri perçant, assourdissant. Le mien. Ma voix. Puis celle de Caleb qui perçait le brouillard.
— Red ! Réveille-toi ! Tout va bien, bébé. Je suis là. Tout va bien.
On était allongés sur mon lit. Je tremblais comme une feuille. Caleb m’a serrée contre lui en me frottant
le dos. Il murmurait des mots à mon oreille, mais je ne les entendais pas. J’ai essayé de me concentrer sur
sa voix. Caleb était là. Il était vivant.
J’ai éclaté en sanglots. Mes larmes ont trempé son tee-shirt. Il s’est mis à fredonner un air. J’ai fermé
les yeux.
— Tu veux en parler ?
J’ai secoué la tête. Le cauchemar s’envolait peu à peu, comme des particules de poussière.
— Est-ce que tu peux rester avec moi ce soir ?
— Bien sûr.
Il m’a serrée fort contre lui, son menton posé sur ma tête. Dehors, la pluie s’écrasait contre la fenêtre et
le vent soufflait. Ils me réconfortaient, me servaient de repères. Je me suis blottie contre Caleb.
— Tu aimes la pluie ? m’a-t-il demandé.
— Oui. Et toi ?
— J’adore ça. Quand j’étais petit, j’allais jouer dehors dès qu’il pleuvait. J’aime l’odeur de la pluie,
sentir les gouttes d’eau sur ma peau.
L’orage grondait. Je n’avais pas peur du tonnerre. Au contraire. Caleb a poussé un soupir satisfait.
— Pour moi, la pluie est synonyme de renouveau. Je ne sais pas si tu crois en Dieu. Moi, oui. Je n’ai
pas vraiment eu le choix. J’étais enfant de chœur. La robe blanche m’allait à ravir.
Il a ri en me caressant le bras.
— Quand il pleut, on dirait que Dieu nettoie tout le mal qui ronge le monde. Il fait disparaître la
tristesse, le chagrin, les cauchemars.
— Il y a des choses qui ne disparaissent pas, Caleb.
— Je sais. Certaines font partie de notre passé, de notre paysage, mais on ne doit pas les laisser dicter
nos vies.
Sa voix était plus grave, plus posée. Il a plongé son regard dans le mien.
— Ton passé ne te définit pas, Red. Tes blessures et tes cicatrices non plus. C’est ce que tu as appris et
le chemin que tu as choisi qui font de toi ce que tu es.
J’ai ravalé la boule dans ma gorge. Et si les cicatrices étaient tellement profondes qu’on ne voyait
qu’elles ?
— Raconte-moi une histoire, Caleb.
Je me suis blottie dans ses bras. Il a glissé ma jambe droite entre les siennes et enroulé un bras autour
de ma taille.
— Il était une fois une chenille très sexy…
J’ai éclaté de rire.
— Une chenille sexy ?
— Chut ! Écoute mon histoire. Cette chenille sexy avait tout à sa disposition. Des feuilles vertes à
grignoter, des branches vertes à escalader, une maison verte et des amis verts. Un jour, elle a réalisé que
tout était vert autour d’elle.
— Même le soleil ?
— Même le soleil. Elle a commencé à se poser des questions, à se demander si la vie était réduite à
cet univers. Tout à coup, ça ne lui suffisait plus. Elle avait survécu, mais jamais vécu. Le vert l’étouffait.
Le vert était sa prison. Le vert est devenu noir, comme la nuit. Alors, elle est descendue dans l’herbe, à la
recherche d’autre chose.
— Qu’est-ce qu’elle cherchait ?
— De la couleur. Tu es ma couleur, Red.
Ma gorge s’est nouée. Il m’a serrée fort contre lui.
— La chenille a rencontré son papillon. Un papillon multicolore, plein de vie. Sa beauté et son amour
l’ont comblé. Ils ont vécu heureux jusqu’à la fin de leurs jours.
J’ai poussé un soupir, rassurée et soulagée.
— Je ne laisserai jamais personne te faire de mal, Red.
Je me suis endormie aussitôt. Aucun cauchemar n’a perturbé ma nuit. Je me suis réveillée, le bras de
Caleb sur ma poitrine et nos jambes emmêlées. Il était allongé sur le ventre, la tête tournée vers moi. Le
soleil s’écrasait sur son visage. Il dormait profondément.
Pour la première fois depuis notre rencontre, j’ai pu l’admirer sans qu’il le sache. La douce lueur du
matin caressait sa peau bronzée. Son tee-shirt remontait sur son dos, dévoilant une peau plus pâle. Il avait
les cheveux en pagaille. J’ai passé une main dedans. Ses longs cils tremblaient contre ses joues. J’ai tracé
les contours de son nez, de sa mâchoire. Une légère barbe m’a chatouillé le bout des doigts.
Ses paupières se sont soulevées. J’ai aussitôt retiré ma main. Ses yeux verts et rieurs m’ont confié qu’il
était réveillé depuis longtemps. Il savait que je l’avais contemplé, touché.
— Bonjour, Red. J’étais en train de rêver de toi.
CHAPITRE 21

- CALEB -

J’aurais préféré aller chez McDonald’s, comme tout le monde, mais mon père avait une autre idée en
tête. J’étais assis sur un banc en pierre devant un vieux garage, à la lisière d’une forêt. On se serait cru
dans Blair Witch. J’avais vu ce film avec Ben quelques jours plus tôt. Mon père avait disparu. Et s’il ne
revenait jamais ? Et si un assassin le tuait à coups de hache ? J’ai secoué la tête. Ce genre de trucs
n’arrivait que dans les films. J’aurais aimé devenir détective, comme dans les séries policières, pour
porter un long manteau noir qui cacherait mes armes.
Ce matin-là, j’ai voulu rester à la maison pour jouer au nouveau Crash Bandicoot, mais mon père m’a
promis de m’offrir un nouveau vélo si je l’accompagnais. Un vrai VTT. Rien à voir avec celui que ma
mère m’avait offert. Ben se moquait de moi chaque fois qu’on allait faire un tour. Mon vélo était vert.
Moi, j’en voulais un noir ou rouge.
— Caleb !
Je me suis retourné. Mon père discutait avec un vieil homme devant le garage. On aurait dit le Père
Noël, avec sa longue barbe blanche et sa bedaine. Il avait une bière à la main.
— Va jouer ailleurs, d’accord ?
Je me suis levé, vexé. Où voulait-il que je joue ? Ce quartier était peuplé de vieux. Jamais je ne
trouverais d’enfants par ici. Les maisons étaient bizarres, avec la peinture qui s’écaillait et des fauteuils à
bascule sur les terrasses. Pas un McDonald’s en vue.
J’ai longé le garage et emprunté le sentier qui menait à la forêt. J’ai marché tout droit pour ne pas me
perdre. Il faisait beau. Dans les films, il n’arrivait malheur aux gens que la nuit. J’ai ramassé une branche
par terre. J’aurais aimé avoir un chien à qui la lancer. J’ai aperçu un pont en bois au bout du chemin, une
rivière coulait dessous.
— Cool !
Je me suis penché pour observer les poissons rassemblés autour des rochers.
— Fais attention, a dit une petite voix. Tu vas te noyer comme l’autre garçon. Il ne savait pas nager.
Une fille était assise sur le pont, cachée entre deux poteaux. Je ne l’aurais pas vue si elle n’avait pas
parlé. Elle avait des yeux de chat et portait le costume de Batgirl, sans le casque. Elle a penché la tête sur
le côté. Ses longs cheveux noirs tombaient sur ses épaules.
— Comment tu t’appelles ?
— Caleb. Et toi ?
Elle m’a souri. Il lui manquait une dent. Elle avait dû la perdre récemment.
— Aujourd’hui, je m’appelle Batgirl. C’est la meilleure. Elle gagne toujours contre les méchants. Je
veux devenir comme elle.
Je n’ai pas su quoi répondre. Cette fille était bizarre.
— J’ai faim. Tu as quelque chose à manger ?
J’avais un sandwich dans ma poche. Mon père l’avait préparé ce matin. Je l’ai rejointe sur le pont,
soulagé d’avoir rencontré quelqu’un de mon âge.
— Tiens. Il est au beurre de cacahuète.
Elle a fait la moue en se frottant le menton.
— Tu n’aimes pas ça ?
— Je ne sais pas. Je n’ai jamais goûté. Le méchant dans ma maison déteste le beurre de cacahuète.
Le méchant ?
— Moi, je suis allergique.
— Alors, pourquoi tu en as un dans ta poche ? Il est empoisonné, c’est ça ?
Elle m’a regardé d’un air méfiant. Elle avait vraiment de beaux yeux.
— Mon père oublie que je suis allergique.
Elle a hoché la tête, comme si elle me comprenait. On est restés assis en silence. D’habitude, je
trouvais les filles ennuyeuses. Elle était… gentille.
— Tu as quel âge ?
Elle a levé quatre doigts.
— Cinq ans.
J’en ai levé cinq.
— Tu en as oublié un. Moi, j’ai sept ans.
— Tu ne vas pas manger ton sandwich ?
J’ai secoué la tête en le lui tendant. Elle l’a reniflé avant d’en goûter un morceau.
— Miam ! À partir d’aujourd’hui, le sandwich au beurre de cacahuète est mon sandwich préféré.
J’ai éclaté de rire. Elle était mignonne. J’ai laissé pendre mes jambes dans le vide. Quand j’ai tourné
la tête vers Batgirl, c’est le visage de Red que j’ai vu. Elle m’a souri, retraçant mes sourcils, mon nez,
mes lèvres.
— Merci pour le sandwich, Caleb.
Je me suis réveillé. Ses yeux de chat me fixaient, surpris.

- VERONICA -

— Bonjour, Red. J’étais en train de rêver de toi.


Il m’a souri d’un air taquin.
— Tu veux que je te raconte ?
Le soleil illuminait ses yeux, les rendant presque translucides. Le poids de sa jambe me clouait au
matelas. Je sentais la chaleur de son bras à travers mon tee-shirt. J’ai rougi. Quand il a approché son
visage du mien, j’ai bondi du lit. Je ne voulais pas qu’il sente mon haleine matinale.
J’ai couru dans la salle de bains. Mes cheveux ressemblaient à un nid d’oiseau après une tempête. Je
les ai brossés, tentant de leur donner une apparence normale. Je me suis aspergé le visage et je me suis
brossé les dents. J’étais en train de me sécher quand Caleb est entré.
Il a croisé mon regard dans le miroir. Son pyjama tombait sur ses hanches. Il a soulevé son tee-shirt
pour se gratter le ventre et il a avancé d’un pas vers moi.
Ce mec était trop beau.
J’ai plaqué le dos contre le mur.
— Prise au piège.
On aurait dit le grand méchant loup.
Un loup très sexy.
— Tu veux prendre une douche avec moi ?
J’ai secoué la tête.
— Tu en es sûre ?
Qu’est-ce qui m’arrivait ? Je n’avais plus de voix !
— De quoi as-tu envie, Red ?
Il sentait la menthe. Il était sûrement retourné dans sa chambre pour se brosser les dents.
— Je sais que tu n’es pas prête, mais on peut faire… d’autres trucs.
J’avais beaucoup pensé à ces autres trucs.
— Tu en as envie ?
Mon Dieu.
J’ai hoché la tête.
Oui. J’en ai envie.
— Je ne t’ai pas encore embrassée et tu trembles déjà.
Je ne sentais plus mes jambes. J’ai placé les mains sur ses épaules pour ne pas m’effondrer. Il s’est
frotté contre moi. Je sentais son érection. J’ai pincé les lèvres pour me retenir de gémir. Ses mains ont
glissé le long de mon dos, puis sur mes fesses. Il m’a serrée fort contre lui. J’avais chaud. Une brûlure qui
me faisait du bien. Il a caressé la peau au-dessus de mon short et glissé les mains sous mon tee-shirt, le
long de mes côtes, puis sous mon soutien-gorge.
— Regarde-moi, Red.
J’ai ouvert les yeux. Il avait la mâchoire tendue, les yeux remplis de désir.
— J’ai envie de te goûter.
Son pouce caressait la courbe de mon sein. Quand il a effleuré mon téton, j’ai gémi de plaisir.
— Oh ! Caleb…
Un grognement s’est échappé de sa bouche. Il l’a écrasée contre la mienne. Il a pris ce qu’il voulait, et
je lui ai tout donné. Parce que j’en avais envie. Un baiser affamé, insatiable. J’ai enroulé mes bras autour
de son cou, mes jambes autour de sa taille. Il a posé ses mains sur mes fesses, déposant des baisers
partout, léchant, mordillant et aspirant ma peau. J’ai plongé mes mains dans ses cheveux. Notre baiser
était de plus en plus sauvage. Je me suis laissé porter, aveuglée par le désir.
Caleb m’a déposée sur le lit. Le poids de son corps était délicieux. Il a enlevé son tee-shirt et l’a jeté
par terre.
— Touche-moi, Red. S’il te plaît.
Il a placé mes mains sur son torse. Sa peau était brûlante. J’avais envie de la lécher, d’y enfoncer mes
ongles. Il s’est assis sur le lit, m’attirant sur ses genoux, et il a soulevé mon tee-shirt. Par réflexe, j’ai
recouvert ma poitrine.
— Non, Red. Laisse-moi te regarder.
Mon cœur battait la chamade. Je me demandais s’il l’entendait. J’ai baissé le regard, retiré mes bras et
serré les poings. Je ne pensais pas que cela m’arriverait un jour, mais avec Caleb, j’en avais envie.
J’avais envie de lui.
— Tu es la plus belle femme du monde.
Il a posé un doigt sous mon menton pour que je le regarde dans les yeux.
— La plus belle, a-t-il murmuré en m’embrassant au coin de la bouche.
Il s’est emparé de mes poignets et les a liés derrière moi, me forçant à me cambrer. Il a aspiré mon
téton par-dessus mon soutien-gorge.
— Caleb…
Il a continué à sucer, mordiller. J’ai serré les jambes tandis qu’il frottait son sexe contre moi.
— Tu veux que j’arrête ?
Non !
— Dis-moi, Red.
Il a parcouru mon dos avec ses mains et glissé un doigt sous une bretelle, la faisant tomber de mon
épaule.
— Continue.
Ses pupilles se sont dilatées.
— Tu en es sûre ?
Il a tiré sur l’autre bretelle et dégrafé mon soutien-gorge. Personne ne m’avait jamais vue nue. Étais-je
vraiment prête ?
— Attends !
Il a marqué une pause.
— Tu veux qu’on arrête ?
J’ai hoché la tête. Il a serré la mâchoire. J’ai plaqué les mains sur ma poitrine pour retenir mon
soutien-gorge. J’avais envie de me cacher sous la couverture, de disparaître à jamais. J’avais honte.
Caleb a poussé un soupir.
— Je comprends, bébé.
On aurait dit qu’il avait mal quelque part tandis qu’il rattachait mon soutien-gorge, remontait les
bretelles.
— N’hésite jamais à me dire non, d’accord ?
J’étais terriblement gênée. Je n’étais qu’une trouble-fête, incapable de donner à Caleb ce qu’il voulait,
ce que je voulais. J’avais envie de faire l’amour avec lui, mais quelque chose me retenait.
— Dis-moi ce qui ne va pas, Red.
J’avais la gorge serrée, les larmes aux yeux.
— Ne te sens pas coupable. D’accord ?
Il m’a embrassée sur le front et m’a décalée sur le matelas.
— J’ai besoin d’une douche froide, a-t-il dit en se levant.
Il s’est arrêté devant la porte.
— Tu viens avec moi ?
J’ai éclaté de rire. Il lui aura suffi d’une seule phrase pour détendre l’atmosphère.
CHAPITRE 22

- CALEB -

J’ai plaqué les mains contre le carrelage de la douche, laissant le jet froid me fouetter le dos. Red
occupait toutes mes pensées. Ses gémissements m’ont excité comme jamais. Elle avait un grain de beauté
juste au-dessus du sein gauche. J’avais envie de le lécher.
Il fallait vraiment que je me calme.
Pense à autre chose.
J’ai imaginé l’odeur des vestiaires après un match. Ce mélange de transpiration, de pieds et de pisse.
Rien n’y faisait. Frustré, j’ai éteint l’eau et je me suis séché. J’avais fait du sport pendant deux heures, je
m’étais soulagé sous la douche et l’eau froide m’avait calmé, mais le simple fait de penser à elle
m’excitait à nouveau.
Il fallait que je sorte de cet appartement avant de devenir fou, de la prendre sauvagement contre un mur,
sur la table de la cuisine, sous la douche, dans mon lit… n’importe où.
Red avait besoin de temps. J’étais prêt à attendre, mais je voulais aussi la convaincre qu’on était faits
l’un pour l’autre. J’avais envie de lui faire l’amour non pas parce que j’étais en manque, mais pour
exprimer mes sentiments, lui prouver qu’elle m’appartenait.
J’ai enroulé la serviette autour de ma taille et j’ai jeté un œil à mon portable. Un texto de Justin. Il
m’invitait à une fête le soir même. Je suis sorti de la salle de bains et j’ai remonté le couloir, m’arrêtant à
mi-chemin. Red avait l’oreille collée à la porte de ma chambre. Elle était enveloppée dans mon peignoir,
deux fois trop grand pour elle. Elle a respiré profondément avant de lever le poing, prête à frapper à la
porte.
— Tu cherches quelque chose ?
Elle a bondi de surprise.
— Caleb ! Tu m’as fait peur !
Ses yeux se sont posés sur mon torse nu. Elle s’est léché les lèvres.
— Ne me regarde pas comme ça, Red.
Elle était aussi excitée que moi. Je le sentais. Il fallait que je file. Vite. La fête de Justin tombait à pic.
— Je m’en vais. J’ai besoin de prendre l’air.
Ses yeux se sont voilés. J’ai posé une main sur sa joue.
— Pas parce que je ne veux pas être avec toi… mais parce que j’en ai très, très envie.
Son visage s’est illuminé. J’avais envie de l’embrasser mais je ne me faisais pas confiance. Je me suis
habillé, j’ai envoyé un message à Cameron pour lui dire que je passais le prendre en route. Red était
assise dans la cuisine, blottie dans mon peignoir. J’ai serré les poings pour me retenir de la toucher. Elle
a tourné la tête vers moi. Elle avait l’air triste.
— Tu te sens mieux ?
Elle a froncé les sourcils.
— Tu as fait un cauchemar la nuit dernière. Tu veux en parler ?
— Non, merci. Je vais bien. Je m’en souviens à peine.
Le peignoir s’est entrouvert, dévoilant sa jambe nue.
— Tu rentreras ce soir ? a-t-elle demandé.
— Bien sûr.
Elle s’est contentée de me fixer en se mordant la lèvre. J’avais envie de lui mordre la lèvre. Au lieu de
ça, j’ai serré les dents, et je suis sorti.
J’ai conduit jusqu’à chez Cameron et on est allés chez Justin ensemble, dans la maison de campagne de
ses parents. N’ayant pas de voisins proches, Justin mettait toujours la musique à fond. Cameron et moi
sommes descendus au sous-sol, moins bruyant et moins bondé que le rez-de-chaussée. Amos était assis
seul sur le canapé, en train d’écrire un texto.
— Où sont les autres ? a demandé Cameron.
— Ils allument un feu dans le jardin. Justin est en train de s’envoyer en l’air. Comme d’hab.
Je me suis installé à côté de lui, j’ai accepté les deux bières qu’il m’a tendues et j’en ai donné une à
Cameron.
— Ça fait longtemps que je ne vous ai pas vus. Vous étiez trop occupés à vous épiler les sourcils ?
J’ai éclaté de rire.
— Les sourcils et les jambes.
— Il s’est même fait une manucure, a ajouté Cameron en décapsulant sa bouteille.
— Tu aurais dû porter une robe pour nous les montrer.
— Tu n’as qu’à m’inviter à dîner.
Il a pouffé de rire.
— Désolé, mec, je ne suis plus célibataire.
J’ai cligné des yeux.
— Tu as rencontré quelqu’un ?
— Oui. J’attendais d’être sûr avant de vous en parler.
— C’est du sérieux ? a demandé Cameron.
— On vit ensemble depuis deux mois. Elle me rend fou. Je ne sais jamais ce qu’elle veut. Les filles
sont compliquées. J’aimerais comprendre ce qui se passe dans leurs têtes.
Moi aussi, ai-je pensé.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
— Aucune idée ! Je lui ai posé la question avant de partir. Elle m’a répondu que tout allait bien, mais
je sais que c’est faux. Je le sens. Quand je lui ai dit que je sortais ce soir, elle m’a répondu Super, amuse-
toi bien ! mais elle avait l’air énervée. Je ne comprends rien !
Je lui ai tendu une autre bière.
— Tiens, bois.
— Merci.
Il l’a descendue comme s’il n’avait pas bu depuis une semaine. Il a roté avant de reprendre son
histoire.
— Pour son anniversaire, je lui ai demandé ce qui lui ferait plaisir. Elle a répondu Rien. J’ai insisté.
Elle aussi. Alors, je ne lui ai rien offert. Elle ne m’a pas adressé la parole pendant une semaine.
Pauvre Amos. Il était tombé dans le panneau. Il faut toujours leur offrir un cadeau, peu importe ce
qu’elles te font croire.
— Tu as besoin de Doritos, a dit Cameron en lui tendant le paquet.
Amos s’est jeté dessus.
— Je ne demande pas grand-chose. J’aimerais juste qu’elle me dise ce qui la dérange. Je ne suis pas
devin !
— C’est un piège, mec. Comme quand elles demandent si elles ont l’air grosses dans une robe ou si tu
trouves leur copine jolie.
Cameron a éclaté de rire. Amos s’est rongé les ongles, frustré.
— Quand on sort ensemble, elle me demande toujours cinq minutes pour se préparer. Dans le langage
des filles, ça veut dire une heure ! Je n’exagère pas. Qu’est-ce qu’elles foutent dans la salle de bains ?
— C’est un mystère, a répondu Cameron en souriant.
Red n’avait pas mis une heure à se préparer l’autre soir. Elle était prête en vingt minutes. J’avais de la
chance.
— Elles ne savent pas ce qu’elles veulent, a soupiré Amos. C’est à nous de deviner. Le problème,
c’est que je l’adore. J’aime ses cheveux. Ils lui arrivent jusqu’aux fesses. C’est sexy, même si elle en
perd autant qu’un chien.
J’ai éclaté de rire. L’autre jour, j’ai trouvé un cheveu de Red sur le canapé. Je l’ai glissé entre les
pages d’un livre. J’avais vraiment perdu la boule.
— C’est pire quand elle a ses règles, a ajouté Amos.
Cameron et moi avons grogné de dégoût.
— Ça suffit, mec. Je ne veux pas entendre parler des règles de ta copine.
— OK, mais suivez mon conseil : quand ça arrive, massez-leur le dos et achetez-leur de la glace.
Quatre heures plus tard, je pensais un peu moins à Red. Les autres nous ont rejoints, enchaînant les
insultes et les histoires de cul pour frimer. Justin a tapé les fesses d’une fille qui passait à côté de lui. Je
l’avais vu avec elle un peu plus tôt.
— Salut, bébé. Je te manque déjà ?
Elle l’a giflé en retour.
— Connard !
On a éclaté de rire. Justin est devenu tout rouge.
— Elle m’adore.
Amos lui a jeté un morceau de pizza à la figure. J’ai fixé la bouteille dans ma main. Je ne savais pas
combien j’en avais bu, mais j’étais clairement bourré.
— Salut, Caleb.
Red ? Qu’est-ce qu’elle faisait ici ? J’ai levé la tête, cligné des yeux.
— On va faire un tour ? Il fait bon dehors.
Cette voix était trop aiguë pour appartenir à Red. J’ai secoué la tête. Je devais vraiment être éméché
pour la confondre avec Claire.
— Il n’est pas en état, a répondu Justin. Mais je peux m’en charger, si tu veux.
— Va te faire voir.
Claire est partie en soufflant. Cette fille ne m’intéressait pas, mais j’étais content qu’elle refuse les
avances de Justin. Aux dernières nouvelles, sa copine l’avait quitté après l’avoir surpris en train de
coucher avec Lydia. Ce mec était un porc.
Cameron s’est affalé à côté de moi. Il était aussi bourré que moi.
— Alors, tu en es où avec Cam ?
Je m’attendais à ce qu’il évite ma question, mais il a répondu aussitôt.
— Elle me tue à petit feu, mec.
— Qu’est-ce qui se passe ? a demandé Amos.
— J’essaie de la sauver.
— S’il y a bien une chose que j’ai apprise en vivant avec une fille, c’est qu’elles n’ont pas toutes envie
d’être sauvées. Parfois, elles préfèrent nous sauver nous.
Cameron a fini sa bière d’une traite. Il avait l’air fatigué.
Les heures ont passé. On a continué à boire. Il devait être minuit passé, l’heure de rentrer à la maison.
Je ne savais pas si Red m’attendait, mais je lui avais promis de rentrer. Je n’étais pas en état de conduire.
Il fallait que j’appelle un taxi. Je ne me souvenais pas du numéro.
— Je ramène Caleb, a dit une fille dans mon dos.
Une voix perçante, comme une souris. Claire. Je ne voulais pas faire le trajet avec elle.
— Laisse tomber, a répondu une voix masculine. Je m’en occupe.
Ouf. C’est finalement Justin qui nous a ramenés, Cameron et moi. J’avais du mal à garder les yeux
ouverts, mais je me sentais bien. J’ai chanté dans l’ascenseur. Justin me maintenait debout, mon bras
étendu sur son épaule. On s’est plantés devant ma porte. Il a dit quelque chose. Je n’ai rien compris.
— Mon quoi ?
Il a poussé un soupir.
— Ton code, Caleb. Pour entrer chez toi.
— Red m’attend, ai-je marmonné. Je lui ai promis de rentrer. Elle m’obsède.
— Tu es toujours obsédé par une fille, mec.
La porte s’est ouverte. Red était plantée devant nous, bouche bée. Elle était belle. J’étais content de la
revoir. Elle a écarquillé les yeux, choquée par mon état.
— Caleb ?
— Ma Red.
La dernière chose dont je me souvienne, c’est le visage étonné de Justin.
CHAPITRE 23

- JUSTIN -

Ce mec pesait un âne mort. Il me revaudrait ça un jour. Je n’étais pas du genre à rendre service
gratuitement. Si je traînais avec Caleb, c’était seulement pour entrer dans son cercle de privilégiés. Rien
de plus. Je détestais lécher le cul de tous ces fils de riches qui se croyaient meilleurs que les autres, mais
je n’avais pas le choix, surtout maintenant que l’entreprise de ma famille était en train de couler. J’avais
besoin de ces enfoirés pour survivre.
Caleb s’est mis à chanter dans l’ascenseur.
— Chante avec moi, mec ! C’est Bon Jovi.
— Je déteste Bon Jovi.
— Elle me manque, Justin. Ma Red me manque.
Il parlait de cette fille depuis une heure. Caleb n’avait pas de copine, mais il n’avait aucun mal à s’en
trouver. Il était populaire. Tout lui tombait dans le bec sans effort. Les filles, les amis, l’argent… il était
même capitaine de l’équipe de basket.
Je n’étais pas aussi beau que lui, mais j’étais sexy. J’allais à la salle de sport tous les jours. Certaines
filles étaient intéressées. Je leur montrais toujours qui était le patron. Les meilleures, c’était celles qui
voulaient Caleb. Elles lui couraient après, et quand il les rejetait, elles se rabattaient sur moi. Je
commençais à en avoir marre de manger ses restes.
On est enfin arrivés devant sa porte. Cet idiot ne se souvenait pas de son code. Il vivait dans un
immeuble de rêve et partageait son étage avec un seul locataire, aussi riche que lui. Le couloir était
moquetté, les murs recouverts de tableaux hors de prix. Il y avait même des chandeliers en cristal
accrochés au plafond. Avant sa mort, le grand-père de Caleb lui a légué son appartement et une grosse
somme d’argent. La vie était vraiment injuste.
— Ton code, mec.
Il a marmonné. J’ai hésité à le pousser, à l’assommer contre le mur. Peut-être qu’il mourrait. Je dirais à
la police qu’il était bourré et… Merde. La porte s’est ouverte. Une fille était plantée devant nous.
— Caleb ?
— Ma Red.
Cet enfoiré s’est évanoui dans mes bras. La fille avait l’air inquiète. Elle me disait vaguement quelque
chose. Elle était sexy. Des fesses généreuses, pas comme toutes les blondes maigrichonnes que Caleb
collectionnait.
— Qui es-tu ? ai-je demandé.
— Ça ne te regarde pas.
Elle a attrapé Caleb par l’autre bras et on l’a porté jusqu’à sa chambre. Elle avait l’air de connaître
l’appartement. S’agissait-il de Red ? Cette fille n’avait pas les cheveux rouges.
On l’a déposé sur le lit. Il s’est allongé sur le côté en gémissant. Je me suis tourné vers la fille.
— Dis-moi ce que tu fais là, ou j’appelle la police.
Son regard s’est posé sur la lampe de chevet. Est-ce qu’elle comptait m’assommer ? Quelle peste !
Elle devait être une vraie bombe au lit. Une fois que Caleb l’aurait jetée, je me servirais.
— N’approche pas, connard.
J’ai reculé en souriant et je me suis appuyé contre le mur, croisant les bras sur mon torse pour lui
montrer mes muscles.
— Caleb n’est pas du genre à héberger des filles.
J’ai balayé la chambre du regard. Le lit était incroyable. King size, recouvert de draps blancs épais et
d’oreillers gris. La baie vitrée donnait sur la ville. Caleb avait un mini salon avec un écran plat et une
Xbox. Une porte donnait sur sa salle de bains et l’autre sur son dressing.
J’étais déjà venu chez lui une fois. Ce soir-là, je m’étais glissé en cachette dans sa chambre, par
curiosité. J’ai emporté une jolie montre en guise de souvenir. Il ne s’en est jamais aperçu. Il avait une
boîte remplie de montres. Cette fois, j’avais envie d’embarquer la Rolex que j’avais remarquée à
l’époque, mais cette poufiasse allait m’en empêcher.
— Tu es une de ses groupies, c’est ça ? Tu es entrée pendant qu’il n’était pas là ?
— Va-t’en ou j’appelle la sécurité.
Je savais où je l’avais vue. En boîte, la fille en robe rouge. Peut-être que Caleb était avec elle depuis
cette soirée-là. Surprenant. Ce mec ne restait jamais plus de deux semaines avec une fille. J’ai étudié sa
tenue. Elle portait un sweat à capuche et un pantalon de yoga qui épousait ses formes.
— Tu n’es pas son genre.
Elle a frissonné, comme si je la dégoûtais. Elle commençait à me taper sur les nerfs. Elle me regardait
comme un insecte qu’elle voulait écraser. Pour qui elle se prenait ? Cette fille n’était qu’une conquête de
plus au tableau de chasse de Caleb. Rien de spécial. Il finirait par se lasser et elle se réfugierait dans mes
bras. Je lui ferais passer du bon temps et j’effacerais cet air suffisant de son visage.
— Je connais la sortie. À bientôt… Red, c’est ça ?
Elle est devenue toute blanche.
— On se reverra à la fac, bébé.
Je lui ai fait un clin d’œil et je suis sorti de la pièce. Je ne suis pas parti tout de suite. Je me suis dirigé
vers la chambre d’amis. Je savais que Caleb y entreposait des affaires et je comptais bien me servir. J’ai
poussé la porte. La pièce était remplie de trucs de filles ! Ça sentait même la fraise.
C’était officiel : Caleb Lockhart avait laissé entrer quelqu’un dans sa vie. Intéressant. Je connaissais
quelques-unes de ses ex – une blonde en particulier – qui prendraient un malin plaisir à pourrir la vie de
cette Red. Elle n’avait qu’à bien se tenir. Plus vite elle quitterait Caleb, plus vite elle atterrirait dans mon
lit.
Dans le couloir, j’ai aperçu des boutons de manchette dorés posés sur une petite table. Ils étaient
cachés derrière un vase en porcelaine. Je les ai glissés dans ma poche. Avant de partir, je me suis arrêté
devant la chambre de Caleb et j’ai tendu l’oreille.
— Qu’est-ce qui t’a pris, Caleb ?
— Tu me manques.
— Tu me manques aussi.
— Allonge-toi contre moi.
Ils avaient l’air amoureux. Parfait. Caleb ne supporterait pas de la voir dans mes bras. Je lui briserais
le cœur, et sa fierté en prime.
CHAPITRE 24

- VERONICA -

— Tu es un vrai bébé quand tu as la gueule de bois.


Je ne pouvais pas m’empêcher de taquiner Caleb. Il était enveloppé dans sa couverture, la tête sous
l’oreiller, en train de grogner et de gémir. Une heure plus tôt, je m’étais réveillée dans ses bras. C’était la
deuxième fois que je dormais contre lui, ce qui était loin de me déplaire.
Je me suis assise au bord du lit.
— Lève-toi et prends une aspirine.
— Arrête de crier, Red…
— Je ne crie pas.
Silence.
— Tu connais le meilleur remède à la gueule de bois ? ai-je demandé en souriant. Rester bourré.
Il a soulevé l’oreiller, l’air amusé.
— C’était une tentative de blague ?
J’ai rougi. Il aurait pu faire semblant de la trouver drôle ! J’ai écrasé l’oreiller sur son visage et je me
suis levée en faisant bouger le matelas.
— Aïe ! Mon crâne !
Bien fait pour lui.
— Je t’ai apporté du jus d’orange. Je pars au travail, Caleb. N’oublie pas de prendre une aspirine.
Pas de réponse.
— Caleb ?
Il s’était rendormi, le bras étendu sur les yeux. La lumière du jour devait lui donner la migraine. J’ai
fermé les rideaux et contourné le lit sur la pointe des pieds. Sa chambre était un peu plus grande que la
mienne, mais moins bien rangée. Caleb laissait traîner ses habits par terre. Un fauteuil servait de fourre-
tout dans un coin. Des livres étaient abandonnés sur la moquette, comme s’il les avait ouverts et jetés en
cours de lecture. Ses DVD et ses CD étaient empilés sur son bureau. On n’avait toujours pas regardé de
film ensemble. C’est noté sur sa liste, ai-je pensé en souriant. Notre liste.
Caleb s’est mis à ronfler. J’ai déposé un baiser sur sa joue.
— À plus tard, Caleb.
Un objet a attiré mon attention sur le bureau. Une petite boîte noire entrouverte, avec un post-it vert
fluo qui dépassait. La curiosité a eu raison de moi. J’ai soulevé le couvercle. La boîte était remplie de
tous les post-it que je lui avais laissés sur le frigo.
Il les avait gardés, depuis le premier jour.
J’ai refermé la boîte, admiré Caleb une dernière fois et je suis partie au travail. En attendant le bus, je
me suis demandée si je devais lui parler du comportement de son « ami » la veille. Ce sale type m’avait
dit qu’on se reverrait à la fac. Plutôt manger des scorpions et des araignées que de revoir ce mec. Les
apparences étaient trompeuses. Il avait beau avoir une gueule d’ange, je ne lui faisais pas du tout
confiance.
J’espérais qu’il ne parlerait de notre rencontre à personne. Je ne voulais pas qu’on sache que je vivais
chez Caleb. L’argent n’achète pas tout. Ne l’oublie pas, Veronica. Ta réputation ne dépend que de toi.
Voilà ce que disait ma mère. Comment aurait-elle réagi si elle avait appris que je vivais chez un garçon ?
Elle m’aurait tuée.
Je n’avais pas eu le choix. J’avais rencontré Caleb dans un moment de détresse. Aujourd’hui, tout
semblait se mettre en place et je me sentais bien avec lui. Et puis, on ne couchait pas ensemble.
Cam avait pris un jour de repos pour aider Beth à choisir une robe pour sa cérémonie de remise des
diplômes. J’ai ouvert le bureau toute seule. On était samedi, et les clients ont défilé. Tant mieux. Cela
m’évitait de penser à Caleb. Le téléphone du bureau a sonné entre deux clients.
— Quand est-ce que tu vas t’acheter un portable, Ver ?
C’était Beth. J’ai souri en reconnaissant sa voix.
— Bientôt. Promis. Comment se passe cette virée shopping ?
— Je préférerais être chez le dentiste.
— À ce point-là ?
— Cam m’a traînée dans tous les magasins de la ville. Je n’en peux plus. Dis-moi, tu as un peu de
temps devant toi ? J’ai une question pratique à te poser.
J’ai jeté un œil vers l’horloge. Plus qu’une demi-heure avant la fermeture. Il fallait que je range le
bureau.
— Je t’écoute, ai-je dit en commençant à trier les papiers.
— Je suis tombée sur une robe soldée à 70 %. Sauf que le magasin a ajouté une autre étiquette, qui
indique 30 % de promo par-dessus. Ça veut dire que la robe est gratuite, pas vrai ? 70 plus 30, ça fait
100 !
J’ai éclaté de rire en attrapant l’agrafeuse.
— Non, Beth. Disons que le prix de base est de 100 dollars. Si tu enlèves 70 %, tu paieras 30 dollars.
30 % de 30 est égal à 9, donc tu soustraies 9 à 30. Au final, la robe va te coûter 21 dollars. Tu
comprends ?
Silence.
— Beth ?
Elle s’est éclairci la voix.
— Désolée, Ver. Mon cerveau vient d’imploser.
— Demande à Cam, ou à une vendeuse.
— Il n’y a qu’une seule vendeuse et elle me déteste. J’ai voulu être gentille en lui demandant de
combien de mois elle était enceinte.
— Et ?
— Elle n’est pas enceinte. Comment voulais-tu que je le sache ? Elle a le ventre rond, mais pas comme
quelqu’un de gros ! On dirait vraiment qu’elle attend un bébé !
Je n’aurais pas dû en rire, mais c’était plus fort que moi.
— Essaie celle-là, a ordonné une autre voix. Tu es avec Ver ? Passe-la-moi.
Un bruissement de tissu, une porte qui claque. Cam venait sûrement d’enfermer Beth dans la cabine
d’essayage.
— Salut, Ver. Ne quitte pas. Il faut que j’essaie une robe.
Elle aussi ? Je croyais que cette virée shopping était consacrée à Beth ! Cam était incorrigible.
— Attends, je vais t’envoyer une photo… Zut ! Tu n’as pas de portable. On t’en achète un cette
semaine, Ver. Il est temps.
Elle a aspiré une boisson à la paille.
— Tu bois un milk-shake, pas vrai ?
— Tu me connais trop bien. Whaou ! Je suis vraiment canon.
— Bien sûr que tu es canon.
— Tu as passé une bonne journée hier ?
Je n’ai pas répondu.
— Tu as couché avec Caleb ?
Silence.
— Tu lui as offert ton nectar ?
J’ai manqué de m’étouffer.
— Une fellation ?
— Non, Cam !
— Il a dû prendre une douche froide ?
Décidément, on ne pouvait rien cacher à cette fille.
Elle s’est esclaffée.
— Pauvre Caleb !
— Il faut que j’y aille, Cam. Un client vient d’arriver. On se voit plus tard ?
— OK. J’ai de quoi manger à la maison. Passe quand tu veux. On parlera de ce beau gosse que tu
aimes tant torturer.
Beau gosse. Elle avait raison. Caleb était beau, dans tous les sens du terme. Je savais qu’il était
particulièrement patient avec moi. Il me respectait. Mais jusqu’à quand ?
Après avoir servi le client, je me suis affalée dans mon fauteuil. Est-ce que Caleb finirait par se
détourner de moi si je ne couchais pas avec lui ? Est-ce qu’il y avait une règle secrète ? Un délai à
respecter ? Deux mois ? Trois mois ? Qu’est-ce que j’attendais ? Qu’est-ce qui m’empêchait de lui faire
confiance ?
— Salut, Red.
J’ai levé la tête. Caleb venait d’entrer, le sourire jusqu’aux oreilles.
— Caleb ! Qu’est-ce que tu fais là ?
— Je te ramène à la maison.
Il était blanc comme un linge, avec des poches sous les yeux. Il était venu me chercher malgré sa gueule
de bois. Ce mec savait comment me faire plaisir. Il détruisait peu à peu le mur que j’avais bâti autour de
moi.
— Tu as une autre blague à me raconter ? Celle de ce matin était exceptionnelle.
— Arrête de te moquer de moi !
Il a ri.
— OK, ta blague n’était pas drôle, mais c’était trop mignon. J’en veux une autre.
— Non !
Le frère de Cam m’a sauvée, interrompant notre conversation.
— Salut, Caleb ! Ça va ?
— Ça va, mec. Et toi ?
Dylan et Cam ne se ressemblaient pas du tout. Difficile d’imaginer qu’ils soient de la même famille.
Les garçons sont sortis en papotant et j’ai fermé la porte derrière nous. Dylan nous a dit au revoir tandis
qu’on se dirigeait vers la voiture.
— Où on va ? m’a demandé Caleb.
— Chez toi. Tu as besoin de repos.
— C’est gentil de penser à moi, mais je me sens mieux que ce matin. J’ai juste un peu mal à la tête.
Il m’a offert son bras en souriant.
— On peut aller boire un verre. C’est toi qui décides.
— Je veux rentrer à la maison, Caleb.
Il s’est arrêté brusquement. J’ai trébuché, mais il m’a rattrapée juste à temps. Il souriait de toutes ses
dents.
— À la maison, a-t-il répété.

On venait de franchir la porte quand son portable a sonné. Il a fixé l’écran, l’air hésitant.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— C’est Beatrice.
Beatrice. La dernière fois qu’elle l’avait appelé, j’avais pété les plombs. Je me sentais encore
coupable. Ils étaient amis, se connaissaient depuis toujours. J’avais réagi de manière excessive.
— Réponds.
Il a levé les sourcils.
— Je te promets de ne pas te jeter une assiette à la figure.
Il a hoché la tête.
— Allô ? Salut, Bea. Ça va, et toi ? Maintenant ? Attends.
Il a posé un doigt sur le micro.
— Elle veut passer me voir. Je peux lui dire non, Red. C’est comme tu veux.
Je n’avais pas vraiment envie que cette fille débarque, mais il fallait que j’arrête d’être jalouse.
— Pas de souci. Je vous laisserai tranquille. Je prends déjà assez de place comme ça.
Il a froncé les sourcils.
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— Dis-lui de venir, Caleb.
— Non. Je ne veux pas que tu te caches.
J’ai croisé les bras.
— OK. Je resterai avec vous.
Il m’a souri en collant son portable à l’oreille.
— OK, Bea. À tout de suite.
Après avoir raccroché, il a posé les mains sur mes épaules et plongé ses yeux verts dans les miens.
— Ne t’inquiète pas, d’accord ? Beatrice est une amie.
J’ai retenu mon souffle. Il a placé son pouce sur ma lèvre inférieure, la caressant tendrement.
— Il n’y a que toi qui comptes, Red.
En un baiser, tous mes doutes se sont envolés.
CHAPITRE 25

- CALEB -

J’avais envie de Red. Tout de suite. Beatrice arriverait bientôt, mais c’était plus fort que moi. Notre
dernier baiser datait de ce matin, pourtant j’étais en manque.
Je l’ai embrassée avec passion, explorant son corps avec mes mains. Son goût m’excitait. Son souffle
m’excitait. J’ai léché son cou, jusque sous son oreille. Red a plaqué sa poitrine contre mon torse. J’ai
écrasé ma bouche contre la sienne, mes mains sur ses seins. J’avais envie de les voir, de les aspirer
jusqu’à ce qu’elle gémisse. J’ai soulevé sa jambe et je me suis frotté contre elle. Ses mains se sont
enroulées autour de mon cou, ses doigts se sont emmêlés dans mes cheveux. Cette fille me rendait fou.
Quand elle m’a mordu la lèvre, j’ai grogné de bonheur.
La chambre était trop loin. Je l’ai portée jusqu’au canapé sans briser notre étreinte. Je l’ai allongée et
j’ai enlevé mon tee-shirt. Elle avait les lèvres rouges et gonflées, le regard attisé. Sublime. J’ai cru
mourir quand elle a enlevé son haut. Je l’ai rejointe sur le canapé. Elle a posé une main sur ma joue.
Il y a des instants dans la vie qui durent seulement quelques secondes, mais restent gravés à jamais
dans notre cœur. Celui-ci en ferait partie.
— Caleb…
Elle a placé une main sur mon torse et a grimpé sur moi. Mon cerveau a cessé de fonctionner. Elle a
déposé des baisers dans mon cou, sur mon torse, mon ventre, m’explorant avec sa langue. Je connaissais
le désir, mais ce que je ressentais avec Red était différent. Douloureux, dans le bon sens du terme. La
plus belle douleur du monde. J’avais envie de la posséder comme elle me possédait moi.
— Allons dans la chambre.
Elle a hoché la tête. Je l’ai prise dans mes bras, remontant le couloir sans la lâcher. Quand la sonnette
a retenti, j’ai grogné de frustration.
— Merde !
Red a blotti sa tête sous mon menton. Ce petit geste m’a achevé. Je t’aime. Voilà ce que je voulais lui
dire. Je me sentais bien, comme si je l’aimais depuis toujours sans m’en être rendu compte. Je me suis
contenté de l’embrasser sur le front.
— Lâche-moi, Caleb.
Je lui ai obéi. Elle a baissé la tête, évitant mon regard. Elle était gênée. Irrésistible. Une beauté à
couper le souffle. Elle m’a souri et m’a embrassé sur la bouche.
— Réponds, Caleb. Je vais me… rafraîchir.
Je l’ai serrée fort, très fort contre moi.
— Red… Ma maison, c’est toi.
Elle n’a pas répondu avec des mots. Elle a enroulé ses bras autour de ma taille, posé une oreille sur
mon cœur.
Oui. Dans les bras de Red, j’étais chez moi.
CHAPITRE 26

- VERONICA -

Calme-toi. J’ai enfilé mon débardeur blanc et appliqué du gloss. J’avais les cheveux en pagaille. Je
n’étais toujours pas prête à passer le cap avec Caleb, mais j’adorais nos baisers. Ses mains, sa bouche
contre ma peau… Concentre-toi. Pas le temps de me coiffer. Je me suis attaché les cheveux en chignon.
Respire. Tout allait bien se passer. Ce n’était que Beatrice. Son amie d’enfance. Je ne craignais rien.
J’ai remonté le couloir. Caleb était en train de faire des pompes dans le salon, torse nu. Il m’a fait un
clin d’œil.
— Tu m’as trop excité. J’ai besoin de me calmer. Ce n’est pas Beatrice qui a sonné. C’était un voisin.
Tu t’es maquillé les lèvres ?
Ce mec remarquait vraiment tout.
— Et ce haut… a-t-il dit en se levant. Tu ne m’aides pas, Red.
Il parlait d’une voix rauque, comme chaque fois qu’il s’apprêtait à m’embrasser. J’ai ramassé son tee-
shirt par terre et je le lui ai lancé.
— Elle va bientôt arriver, Caleb.
— Et alors ? J’ai quand même droit à un baiser.
Notre petit jeu continuait. Il me chassait, je fuyais. Caleb a poussé un soupir.
— Tu as raison. C’est plus fort que moi. J’ai envie de toi tout le temps.
J’ai levé les yeux au ciel.
— Tu ne penses vraiment qu’à ça ?
— Je ne pense qu’à toi.
On a frappé à la porte. Caleb a enfilé son tee-shirt. Il m’a prise par la main et nous nous sommes
dirigés vers l’entrée. Un éclair de cheveux blonds. Un parfum sucré. Beatrice s’est jetée dans ses bras,
enroulant ses mains sur la nuque de Caleb comme des tentacules.
Il fallait que je lui laisse une chance. Cette fille n’avait rien fait de mal. Pas encore.
— Cal ! Tu m’as manqué !
— Salut, Bea. Comment vas-tu ?
Elle était petite et jolie, le physique type des héroïnes de comédies romantiques. Elle avait les cheveux
lisses et blonds, un carré long plongeant. Une frange droite s’arrêtait au-dessus de grands yeux bleus. Elle
portait un chemisier blanc, un short en cuir noir – qui mettait en valeur ses longues jambes – et des talons
bleus. Elle transpirait l’élégance et la richesse. Je ne me sentais pas à ma place.
Elle a placé une main sur le bras de Caleb.
— Je vais bien. Désolée de t’avoir prévenu au dernier moment. J’étais dans le coin.
— Pas de souci. Je te présente Red, ma petite amie. Red, Beatrice.
Sa petite amie ? C’était la première fois qu’il utilisait ce terme devant quelqu’un. Beatrice a écarquillé
les yeux, comme si elle notait seulement ma présence. Elle a lâché Caleb, qui m’a reprise par la main.
Ses yeux bleus se sont posés sur nos doigts entrelacés. Une émotion a traversé son visage, trop brève
pour être interprétée.
— Désolée, a-t-elle dit en souriant. Je ne voulais pas vous déranger. Ravie de te rencontrer, Red.
Elle m’a tendu une main délicatement manucurée. Mes ongles rouges et écaillés paraissaient grossiers
à côté des siens.
— Je m’appelle Veronica. Red n’est qu’un surnom.
Beatrice a éclaté de rire.
— Tu n’as pas changé, Cal ! Tu te souviens que tu m’appelais Yellow quand on était petits ?
Yellow.
Cal.
Bea.
Caleb a hoché la tête. Mon ventre s’est noué.
— À cause de mes cheveux, a expliqué Beatrice.
— J’appelais aussi Ben Blue, a ajouté Caleb, comme pour s’excuser.
— J’avais oublié que Ben s’était teint les cheveux en bleu ! Nos familles partaient souvent en vacances
ensemble quand on était jeunes. On faisait les quatre cents coups !
OK. Ils avaient vécu plein de choses tous les deux. Ils étaient proches. Et Caleb associait les gens à
des couleurs. Ce n’était pas notre secret.
Beatrice a posé une main sur mon bras, comme si on était amies depuis toujours.
— Excuse-moi, Veronica. Je n’ai pas vu Caleb depuis des mois. Je le considère comme mon frère. Je
n’ai pas vraiment de… famille.
Je me suis aussitôt sentie coupable. Caleb avait dû lui manquer. Pourtant, ses sentiments ne me
paraissaient pas seulement fraternels. Beatrice aimait Caleb. Je le voyais dans son regard, dans la
manière dont ses mains s’attardaient sur son corps.
— On s’installe sur le balcon ou dans le salon ?
— Dans le salon, a répondu Beatrice.
— Super. J’ai déjà commandé à manger. Le repas devrait arriver dans dix minutes.
— Notre repas préféré ?
— Bien sûr.
— Génial !
Notre repas préféré. Combien de soirées cette fille avait-elle passé chez lui ? Avaient-ils couché
ensemble ? Si c’était le cas, pourquoi Caleb ne m’en avait-il pas parlé ? Je détestais les idées qui me
traversaient l’esprit. Voilà pourquoi je ne voulais pas tomber amoureuse. La jalousie. Je haïssais ce
sentiment. J’en voulais à Caleb de le provoquer chez moi.
Il s’est assis sur le canapé à côté de moi, tout en discutant avec Beatrice. Je leur ai demandé s’ils
voulaient boire quelque chose. Ils ont décliné. Elle a raconté son voyage à Paris, son retour, le mariage
de sa meilleure amie.
Paris. Je m’étais promis d’y aller un jour. Je rêvais de faire le tour du monde. Avec Caleb, a murmuré
une petite voix. Je l’ai ignorée.
Beatrice a parlé de la fois où ils ont campé ensemble. De la fois où elle s’est foulé la cheville et où
Caleb a porté son sac à dos. De la fois où il lui a préparé des sandwiches au beurre de cacahuète. Mon
sandwich préféré.
Ils s’amusaient bien ensemble. Ils n’avaient pas besoin de moi. J’étais sur le point de partir, mais
Caleb l’a senti. Il m’a attrapée par la main. Une vague de chaleur s’est emparée de moi. Le regard de
Beatrice s’est à nouveau posé sur nos mains liées. La sonnette a retenti.
— Enfin ! s’est écrié Caleb. Je meurs de faim.
Beatrice a éclaté de rire.
— Tu as toujours faim.
— C’est vrai, a-t-il murmuré à mon oreille. Faim de ma Red.
CHAPITRE 27

- VERONICA -

Caleb m’a embrassée et s’est levé pour aller ouvrir la porte. Il s’est mis à discuter avec le livreur, me
laissant seule avec Beatrice.
— Un vrai gamin, pas vrai ? s’est-elle amusée en jouant avec son pendentif. Il m’a beaucoup manqué…
Elle a éclaté de rire, gênée.
— Excuse-moi. Je pensais à voix haute.
Cette fille voulait ma mort. Elle était belle, riche, elle connaissait Caleb depuis des années et elle était
clairement amoureuse de lui.
— Caleb a été mon premier.
Son premier quoi ? Son premier amour ? J’avais envie de vomir. Pourquoi me racontait-elle un truc
pareil ?
— Je ne sais pas pourquoi je t’en parle. Je suis désolée.
Si son but était de me rendre jalouse, c’était réussi.
— C’est la première fois que je le vois aussi attaché à une fille. Je suis sous le choc. Ne m’en veux
pas, Veronica.
Je n’avais pas envie d’en entendre davantage. J’ai cligné des yeux, tentant de percer sa carapace. Était-
elle sincère ? Difficile à dire. Elle avait surtout l’air triste. Vulnérable.
— Tu as rencontré Miranda ? a-t-elle demandé.
— Non.
Je ne savais pas qui était Miranda, et je n’avais pas la tête à papoter. J’avais besoin d’air, de me
retrouver seule.
— Le dîner est servi, a déclaré Caleb.
J’ai poussé un soupir de soulagement et foncé dans la cuisine. Beatrice m’a emboîté le pas. Caleb a
disposé le repas sur le bar. Un repas de riches. Caviar, truffes, tartines de chèvre. J’ai reconnu un plat de
lasagnes. Ouf ! De la vraie nourriture.
J’ai ouvert un placard et placé trois assiettes sur le bar. Caleb m’a tendu deux fourchettes. Il a attrapé
le jus d’orange dans le frigo et j’ai sorti deux verres pour qu’il remplisse le sien. C’était notre routine,
une chorégraphie qu’on connaissait par cœur.
— Tu en veux, Bea ?
— Non, merci. Je vais prendre du vin.
— OK.
Il m’a servi un verre de jus de coco, puis un verre de vin à Beatrice. Il s’est assis à côté d’elle, et moi
en face. J’ai mordu ma fourchette pour me calmer.
— Je n’ai pas de couverts, a-t-elle remarqué.
Caleb avait tellement l’habitude de mettre la table pour deux qu’il avait oublié son amie. Je me suis
levée pour aller en chercher.
— J’ai demandé à Veronica si elle avait rencontré ta mère, a dit Beatrice.
— Pas encore, a-t-il répondu. J’attends qu’elle revienne de son voyage d’affaires.
Quoi ? J’ai posé une fourchette devant Beatrice, réalisant trop tard qu’il s’agissait de celle que je
venais de mordiller.
— Oh ! Excuse-moi !
J’ai échangé les fourchettes. Dans mon empressement, j’ai renversé son verre de vin, qui s’est écrasé
par terre. Beatrice s’est mise à genoux, ramassant les morceaux de verre à mains nues. Des gouttes de
sang perlaient sur ses doigts. Elle était en train de se couper.
— Qu’est-ce que tu fous, Bea ? Arrête !
Elle a levé la tête. Des larmes dévalaient ses joues. Caleb a attrapé un bol et s’est accroupi près
d’elle, récupérant les éclats de verre.
— Viens dans la salle de bains. On va nettoyer ça.
Elle a hoché la tête. On aurait dit une poupée brisée. Caleb a passé un bras sur ses épaules.
— Red, est-ce que tu peux m’apporter la trousse de secours ?
— Bien sûr.
Qu’est-ce qui venait de se passer ? Est-ce qu’elle pleurait de douleur ? Non, il y avait autre chose. J’ai
récupéré la trousse dans le débarras et je me suis dirigée vers la salle de bains, m’arrêtant un instant
devant la porte.
— Je suis désolée d’avoir craqué, Cal. Red doit me prendre pour une folle.
— Pas du tout. Elle n’est pas comme ça.
— Elle est comment ?
— Elle est… tout pour moi.
Silence.
— Ne bouge pas. Tu as des morceaux incrustés sous la peau. Qu’est-ce qui t’a pris, Bea ?
— Mon père va mal, Cal. Son état s’aggrave chaque jour. Il perd la tête. Et ma mère se venge sur moi.
C’est trop dur. Je ne supporte plus de le voir souffrir.
Elle s’est remise à pleurer.
— Ça va aller.
— J’ai besoin de toi, Cal. Ne m’abandonne pas. Tu es la seule personne qui me comprenne.
J’étais désolée pour elle. La démence était une maladie que je ne souhaitais à personne. En même
temps, j’avais envie que cette fille s’en aille. Caleb m’appartenait.
Mon Dieu. Depuis quand je pensais des choses pareilles ? Caleb s’était immiscé en moi sans que je
m’en aperçoive. Il coulait dans mes veines comme un virus.
Je me suis éclairci la voix pour les prévenir de ma présence, puis j’ai ouvert la porte.
— Voilà la trousse. Ça va aller ?
Beatrice était assise sur le couvercle des toilettes. Caleb était à genoux devant elle, ses mains dans les
siennes. Je savais qu’il soignait ses coupures, mais je n’avais qu’une envie : qu’il la lâche. Tout de suite.
— Je me sens mieux, a répondu Beatrice. Désolée. Je n’ai pas l’habitude de craquer en public.
— Pas de problème. Je vais nettoyer la cuisine.
Passer la serpillière m’a permis de réfléchir, de rassembler mes pensées. J’ai lavé le carrelage à deux
reprises. Caleb aimait marcher pieds nus. Je ne voulais pas qu’il se blesse.
— Red ?
Il était planté dans le salon, un bras autour de Beatrice. Elle avait la tête baissée, les yeux cachés sous
sa frange.
— Beatrice n’est pas en état de conduire. Je la ramène chez elle, d’accord ?
Non, ai-je pensé. Je ne suis pas d’accord. Mais je me suis retenue. Beatrice traversait une période
difficile.
— Bon courage.
Elle m’a offert un sourire fatigué. Caleb a voulu s’approcher de moi, mais elle l’a retenu. Il a poussé
un soupir.
— Allons-y, Caleb. S’il te plaît.
Il m’a regardée une dernière fois, l’air hésitant.
— Je reviens vite.
Mensonge.
Il n’est pas revenu vite.
Il n’est pas revenu de la nuit.
CHAPITRE 28

- CALEB -

J’aurais dû embrasser Red avant de partir. Cette soirée prenait une tournure inattendue. J’avais envie de
la passer avec elle. Seuls. Regarder un film, commander une pizza, l’embrasser, la toucher. Je me
demandais si elle était du genre à hurler devant les films d’horreur, ou à fixer l’écran en silence, sans
cligner des yeux. Je n’aurais pas la réponse ce soir.
Beatrice regardait la ville défiler derrière la vitre.
— Ça va mieux ?
— Oui, Cal. Je me sens mieux quand tu es là.
J’ai froncé les sourcils.
— Tu me manques, a-t-elle murmuré.
Elle me mettait mal à l’aise. Si un autre homme disait ce genre de choses à Red, je deviendrais fou.
— Mon meilleur ami me manque, a-t-elle clarifié.
Mes mains se sont détendues sur le volant. Je craignais que Bea mette du temps à comprendre que notre
relation avait changé. Les filles allaient et venaient dans ma vie. Pas Beatrice. Elle avait appris à
dépendre de moi, par ma faute. Elle s’était habituée à ma présence, et moi à la sienne.
Depuis, tout avait changé. J’avais rencontré Red. Désormais, il n’y avait qu’elle qui comptait.
Beatrice était la première fille à m’avoir fasciné. Quand on était petits, nos parents nous forçaient à
jouer ensemble. Elle adorait La Belle au bois dormant. C’était son dessin animé préféré. On l’a regardé
des centaines de fois. Je connaissais les répliques par cœur. Malgré mon jeune âge, j’avais conscience
que l’héroïne était vulnérable, fragile. Le genre de filles qui éveillaient l’instinct protecteur des hommes.
Un petit agneau, un chaton innocent. Après qu’on aurait abattu son dragon, elle nous aimerait.
Beatrice ressemblait à son héroïne préférée. Elle faisait sans cesse appel à moi pour se sentir protégée.
À ses côtés, je me sentais comme un héros, fort, courageux. Le type même des filles qui m’attiraient.
Celles qui avaient besoin d’être sauvées. Je voulais me sentir utile, admiré. Aujourd’hui, j’avais honte de
ma propre superficialité.
C’était sûrement ce qui m’avait attiré chez Red. Elle avait l’air fragile, ce soir-là. Elle m’a prouvé le
contraire par la suite. Finalement, c’est elle qui m’a sauvé. Grâce à Red, j’ai pris conscience de ce qui
me manquait dans la vie, de qui je voulais être. Elle m’inspirait l’envie de devenir une meilleure
personne.
Yellow. Foutu surnom. Désormais, Red devait penser que le sien n’avait pas d’importance. Quand
j’étais petit, j’associais les gens à des couleurs. Ce que Red ignorait, c’est que j’avais arrêté quand
j’avais huit ans. Ce n’est revenu que ce soir-là, en la voyant danser sur la piste, dans sa belle robe rouge.
Ce n’était pas qu’une attirance physique. C’était plus fort. Et quand elle m’a accosté, puis rejeté… j’ai su.
Elle est devenue Red. Ma Red.
Je l’aimais. Je ne le lui avais pas encore dit, mais j’attendais le bon moment. Je savais qu’elle
m’aimait aussi.
— … et voilà. Qu’est-ce que tu en penses, Cal ?
J’ai cligné des yeux. Je n’avais rien écouté de ce qu’avait dit Beatrice. J’ai changé de sujet en espérant
qu’elle ne s’en aperçoive pas.
— Je pensais que tu ne faisais plus de crises d’angoisse.
— Elles sont revenues depuis que mon père est malade.
— Je suis désolé, Bea.
— C’est de pire en pire. Il me prend pour ma grand-mère, ou sa sœur. Parfois, il ne me reconnaît pas
du tout. C’est insupportable.
Je lui ai tendu la main. Ses crises d’angoisse avaient commencé au lycée. J’étais le seul à savoir la
calmer. Une fois, alors que je passais la soirée avec Sakura – une fille que j’avais mis des semaines à
séduire –, Beatrice m’a appelé en panique. Elle n’arrivait plus à respirer. J’ai abandonné ma conquête
pour la rejoindre. Il a fallu vingt minutes pour qu’elle se calme, qu’elle retrouve son souffle. Après cet
incident, Beatrice a pris l’habitude de m’appeler chaque fois qu’elle faisait une crise.
— Merci d’être là, Cal.
Je me suis garé dans leur cour.
— Il faut que j’y aille. Red m’attend.
Elle m’a supplié avec ses grands yeux bleus.
— Reste avec moi. S’il te plaît.
Elle a posé une main sur ma cuisse. Gêné, j’ai imaginé ce qui l’attendait à l’intérieur.
— OK. Une demi-heure, pas plus.
— Trois heures.
— Quarante-cinq minutes.
— Deux heures.
— Une heure.
— Super !
Elle a souri, victorieuse. Elle avait obtenu ce qu’elle voulait.
— Je meurs de faim. Ne lance pas le minuteur tant qu’on n’a pas mangé, d’accord ?
— Bea…
Il fallait que j’appelle Red pour la tenir au courant. Il était temps qu’elle s’achète un portable. J’ai
cherché le mien dans mes poches. Introuvable.
— J’ai oublié mon portable. Je peux t’emprunter le tien ? Il faut que je prévienne Red.
Beatrice a baissé la tête.
— Je n’ai plus de batterie. Il faut que je le recharge.
Je suis sorti de la voiture et je lui ai ouvert la portière. Leur maison était gigantesque, composée de
trois étages et de grandes baies vitrées. On aurait dit un aquarium. Une grille et une longue allée les
protégeaient des regards indiscrets, mais ils ne pouvaient pas se balader nus ou se gratter les fesses
quand ils le voulaient. Je préférais vivre dans une hutte que dans un endroit pareil.
L’intérieur était à l’image de la façade : élégant, mais froid. Un mélange d’antiquités et de meubles
modernes, des murs recouverts de tableaux. Mon regard s’est posé sur la statue d’un Dieu grec à l’entrée.
Les statues ne me posaient pas de problème, mais celle-ci était particulièrement laide.
— Bonsoir.
Higgins était leur maître d’hôtel depuis que j’étais tout petit. Il apparaissait comme par magie dès
qu’on ouvrait la porte.
— Bonsoir, Higgins. Comment ça va ?
— Très bien, monsieur Lockhart. Et vous ?
— Caleb !
Katherine-Rose, la mère de Beatrice, a descendu l’escalier telle une reine, dans une robe de soirée
violette. Elle avait un verre de whisky à la main, un alcool qu’elle affectionnait tout particulièrement
depuis que la santé de son mari déclinait. Elle m’a embrassé sur la joue. Son haleine empestait l’alcool.
— Tu as grandi depuis la dernière fois.
— Si ça continue, il va finir par toucher le plafond.
— Beatrice-Rose ! Tes manières ! Quel manque de maturité !
Bea s’est recroquevillée à mes côtés et m’a pris par la main.
— Beatrice est parfaite, ai-je dit pour détendre l’atmosphère. Elle a hérité de votre élégance.
— Toujours aussi charmeur, à ce que je vois.
Un cri a brisé notre discussion.
— Au voleur ! Elle a volé mon argent ! Au secours !
J’ai tourné la tête vers le salon. Liam, le père de Bea, était dans un état effroyable. Ses vêtements et ses
cheveux, d’ordinaire immaculés, étaient en pagaille. Il avait le visage creusé et pâle.
— Retourne dans ta chambre, a ordonné Katherine.
— Laisse-moi tranquille !
— Papa !
— Qui êtes-vous ? Que faites-vous chez moi ?
— Papa ! C’est moi !
— Appelez la police ! Je suis victime d’un cambriolage !
Une infirmière a posé une main sur son bras. Katherine lui a lancé un regard noir.
— Sortez-le d’ici ! Je vous paye pour que vous vous occupiez de lui !
Elle a avalé une gorgée de whisky, disparaissant à l’étage sans nous dire au revoir. Beatrice était
concentrée sur son père. L’infirmière venait de lui faire une piqûre pour le calmer.
— Haldol, a murmuré Bea. C’est ce qu’ils lui donnent pour le calmer. Enfin, je crois.
Elle parlait tellement bas que j’ai eu du mal à l’entendre. Elle a blotti son visage contre mon tee-shirt
et a éclaté en sanglot. Je l’ai guidée jusque dans sa chambre. Elle s’est allongée sur son lit et je me suis
assis sur une chaise.
— Ne t’en va pas, Cal. S’il te plaît. J’ai besoin de toi.
— Où est ton portable ?
Elle a pincé les lèvres.
— Dans mon sac à main.
Je l’ai mis à charger et j’ai appelé chez moi. Pas de réponse. J’ai essayé plusieurs fois.
— Red doit être sous la douche. Je rappellerai dans cinq minutes.
— Tu l’as rencontrée où ?
— En boîte.
— Tu la connais depuis longtemps ?
— Quelques mois.
— C’est tout ?
J’ai haussé les épaules.
— C’est suffisant.
— Tu veux bien rester avec moi cette nuit ?
— Jusqu’à ce que tu t’endormes.
— Non, Cal. Toute la nuit.
Je n’ai pas répondu.
— Parle-moi de Red.
J’étais ravi qu’elle change de sujet, surtout qu’il s’agissait de mon préféré.
— Elle est… différente. Courageuse, indépendante, généreuse. Un peu compliquée par moments.
— On dirait que ça te plaît.
— J’aime quand elle me rend la vie difficile.
— Elle habite où ? Est-ce qu’elle va à la fac ?
J’ai ignoré la première question. Red ne voulait pas qu’on sache qu’elle vivait chez moi.
— Elle va à la même fac que nous. Elle a perdu ses parents. Elle n’a pas eu notre chance. Elle a
travaillé dur pour survivre.
— L’argent ne fait pas le bonheur, Cal. Tu le sais.
Elle avait raison.
J’ai balayé la pièce du regard. La chambre de Bea était à l’image du reste de la maison. Bien rangée,
impeccable. Pas de livres sur la table de chevet, pas de plaid coloré sur le lit, des teintes beiges et pâles.
Je la trouvais triste et ennuyeuse. Sans personnalité. Depuis Red, j’avais besoin de couleurs. De vie.
— Tu crois qu’elle me déteste ?
— Pourquoi ?
— Elle n’avait pas l’air heureuse de me rencontrer. Et elle m’a donné la fourchette qu’elle avait
léchée.
J’ai éclaté de rire.
— Tu n’aurais pas dû lui parler de ma mère avant moi. Tu m’as devancé, Bea.
— Elle a fait exprès de renverser mon verre…
— N’importe quoi ! Red n’est pas comme ça. Qu’est-ce qui te prend ?
— Tu ne la connais pas, Cal.
— Je ne veux plus en parler, ai-je dit en me levant.
Beatrice m’a attrapé par le bras.
— Excuse-moi. Je veux juste te protéger.
Ma colère s’est aussitôt envolée. Bea avait assez de problèmes à gérer comme ça. J’ai poussé un
soupir, et je me suis rassis. Elle a glissé une mèche de cheveux derrière son oreille.
— Allonge-toi contre moi.
— Non.
— Pourquoi ? Avant, ça ne te dérangeait pas. Je ne te demande pas de coucher avec moi. J’ai juste
besoin de ta présence. Comme avant.
— Tout a changé, Bea.
Elle a baissé la tête, s’agrippant au pendentif que je lui avais offert des années auparavant. Je
n’arrivais pas à croire qu’elle le porte encore.
— Cette fille t’éloigne de moi.
— Pas du tout.
— S’il te plaît, Cal ! Jusqu’à ce que je m’endorme. Tu sais que je dors mieux quand tu es contre moi.
Je ne veux pas prendre mes cachets. Pas ce soir.
Est-ce qu’elle s’était remise aux somnifères ou aux antidépresseurs ? Il fut une époque où elle prenait
les deux.
— J’aimerais ne plus penser à mon père. Tu n’imagines pas à quel point je souffre.
— OK, mais seulement quelques minutes.
Elle s’est décalée pour me faire de la place, un sourire innocent plaqué sur le visage. Je m’en voulais
de m’allonger à ses côtés, mais on savait tous les deux qu’elle s’endormirait au bout de cinq minutes.
Alors, je rejoindrais Red.
Bea s’est blottie contre moi, enroulant un bras autour de mon torse. Je me sentais coupable. Il fallait
que j’appelle Red. Voilà la dernière pensée qui m’a traversé l’esprit avant de m’endormir.

Red avait la peau douce comme la soie. Ses baisers m’envoûtaient. Je l’embrassais avec passion, mais
quelque chose me semblait étrange. Différent. Elle a posé une main sur ma braguette.
— Cal…
Cal ? J’ai ouvert les yeux. Beatrice était à califourchon sur moi. Horrifié, je l’ai poussée sur le matelas
et j’ai sauté hors du lit. Elle était seins nus. J’étais en train de rêver de Red et…
Mon Dieu.
— Il faut que j’y aille.
— Cal !
— Je ne trompe jamais personne ! Tu le sais. Tu connais les règles.
— Je suis désolée ! Ne t’en va pas. S’il te plaît.
— Plus jamais, Bea. Je suis désolé. C’est ma faute.
Il fallait que je rentre à la maison, que je retrouve Red.
Mon Dieu. Qu’est-ce que j’avais fait ?
CHAPITRE 29

- VERONICA -

Reste avec moi.


Voilà ce que j’aurais dû lui dire. Après le départ de Caleb, j’ai fait le ménage dans la cuisine. C’était ma
manière à moi de me défouler quand quelque chose me tracassait. Je savais que Beatrice avait besoin de
son soutien, mais Caleb aurait pu appeler un taxi, ou un ami pour la ramener.
Il est peut-être amoureux d’elle.
Non. Il m’a avoué qu’il n’a jamais eu de relation sérieuse avant moi.
Alors, pourquoi t’a-t-il caché sa relation avec Beatrice ?
Je ne sais pas.
Elle t’a dit que Caleb était son premier amour.
Elle a peut-être menti. De toute façon, leur histoire était terminée.
Tu en es sûre ? On dirait qu’il a encore des sentiments pour elle. Pourquoi crois-tu qu’il t’a
abandonnée ce soir ?
Parce qu’elle a besoin d’aide.
Faux. Il l’a choisie elle. Il ne te mérite pas. Vous n’avez aucun avenir ensemble. Quitte-le avant
qu’il soit trop tard, avant qu’il te brise le cœur. Penses-tu vraiment qu’il t’attendra encore
longtemps ? Penses-tu que Beatrice hésiterait, elle ?
Ça suffit !
Les hommes sont des menteurs. Souviens-toi de ton père. Regarde-toi, en train de nettoyer
l’appartement de Caleb pendant qu’il te trompe avec une autre.
Non !
Tu es pathétique. Comme ta mère.
Je ne suis pas comme ma mère.
Quitte-le. Tu n’es bonne qu’à ça. Fuir.
Non, non, non ! Caleb n’est pas comme mon père ! Jamais il ne me tromperait !
Il fallait que je sorte, que je me change les idées. Je ne lui ai pas laissé de message. Qu’il se fasse du
souci pour moi. Il le mérite. Voilà à quoi ressemble une histoire d’amour, ai-je pensé en sortant de
l’immeuble.
Il faisait froid et le ciel était nuageux. Je me suis dirigée vers le centre commercial, bien décidée à
m’acheter un portable. J’ai mis une demi-heure à en choisir un. Je l’ai acheté avec l’argent que j’avais
mis de côté depuis que je travaillais au garage. Est-ce que Caleb était rentré à la maison ? Si c’était le
cas, je voulais qu’il m’attende encore.
Je me suis arrêtée devant une vitrine. Un porte-clés a attiré mon attention : une pile de crêpes couvertes
de chantilly et de fraises. Je suis entrée et je l’ai acheté pour Caleb. La vendeuse l’a emballé dans du
papier cadeau. Ce serait la première fois que j’offrirais un cadeau à un garçon. Je ne suis plus la même,
ai-je pensé sur le trajet du retour.
Il s’est mis à pleuvoir. J’ai enfoui le porte-clés et mon nouveau portable dans ma poche. Les gens
couraient pour se mettre à l’abri. Caleb m’avait raconté qu’il aimait jouer sous la pluie quand il était
petit. J’aurais aimé qu’il soit là, avec moi.
Au bout de quelques mètres, je me suis sentie observée. Suivie. J’ai serré les poings, prête à me
défendre. Je me suis retournée. Personne. Deux piétons traversaient la rue et trois personnes attendaient
un bus. La nuit était en train de tomber. J’aurais dû appeler un taxi.
J’ai accéléré le pas, empruntant les rues les plus animées. Un bruit de pas derrière moi. Une silhouette
sombre m’a frôlée. J’ai hurlé, trébuché, et je suis tombée par terre. Mes mains ont raclé le trottoir. La
personne ne s’est même pas arrêtée.
Fausse alerte. J’ai poussé un soupir de soulagement. À part mes mains, tout allait bien. J’ai vérifié que
le cadeau de Caleb était toujours là. Je me faisais plus de souci pour un porte-clés que pour mon
portable.
J’ai couru jusqu’à l’appartement. Caleb n’était pas encore rentré. Sans lui, je me sentais vide. J’ai
hésité à l’appeler, mais je ne voulais pas le déranger. Je me suis douchée, j’ai soigné mes coupures et j’ai
sorti le cadeau de ma poche. Je ne savais pas comment le lui offrir. J’ai décidé de le déposer sur sa table
de chevet, avec une petite carte de remerciements. Ensuite, j’ai allumé la télé et je me suis vautrée sur le
canapé en l’attendant.
Il ne va pas rentrer. Tu le sais.
J’ai jeté un œil à l’horloge. Il était minuit passé. J’avais sommeil. La dernière chose à laquelle j’ai
pensé avant de m’endormir, c’était que Caleb ne reviendrait jamais.

Je me suis réveillée désorientée. Il m’a fallu un temps avant de comprendre que je m’étais endormie
sur le canapé du salon. Quelque chose a glissé par terre. Une couverture. La télé était éteinte. Une
silhouette noire était affaissée contre le mur.
— Caleb ? Tu m’as fait peur !
Le soleil était en train de se lever. La lueur matinale traversait la fenêtre et illuminait son visage. Il
était assis par terre, jambes pliées, les coudes sur les genoux.
— Je suis désolé, Red.
Quelque chose n’allait pas. Caleb adorait se coller à moi. Il aimait me tenir la main, me toucher
l’épaule, renifler mes cheveux. Que faisait-il à l’autre bout de la pièce ?
— Je ne voulais pas te faire peur. Je t’ai appelée, mais tu n’as pas répondu.
J’ai ouvert la bouche pour répondre. Aucun son n’en est sorti. J’avais froid. Trop froid. Je me suis
enveloppée dans la couverture.
— Je suis rentré aussi vite que possible.
Il avait l’air différent. Triste. Coupable.
— Red…
Il a levé la tête. Il avait des cernes sous les yeux, la bouche pincée, la mâchoire tendue et les cheveux
ébouriffés, comme s’il avait passé sa main dedans des centaines de fois. J’ai fermé les yeux.
Non. Non, je vous en prie…
— Elle m’a supplié de rester. Je me suis endormi.
Ouf. Caleb s’était endormi. Rien de plus. Il était fatigué à cause de la soirée de la veille. Logique.
— Son père ne l’a pas reconnue, Red. Elle a craqué devant moi. C’était horrible.
Il a fermé les yeux, comme pour effacer la scène de sa mémoire. J’avais envie de le rejoindre, de le
réconforter. Je me suis retenue. Ce n’était pas terminé. Je le savais.
— Regarde-moi, Red.
J’ai levé la tête. Je m’attendais au pire.
— Tu me fais confiance ?
Quatre mots. Quatre mots simples, mais lourds de sens. La confiance était le pilier d’une relation.
Offrir sa confiance à quelqu’un, c’était lui tendre le bâton pour se faire battre. Je lui avais tendu cette
arme il y a longtemps.
— Réponds-moi.
Pas lui. Je vous en prie. Ne le laissez pas me trahir.
Je t’avais prévenue, a répondu la petite voix. Les hommes sont des menteurs. Quitte-le avant qu’il
soit trop tard.
— Tu as couché avec elle ?
Silence. Caleb s’est levé lentement, comme pour ne pas m’effrayer. La douleur déformait son visage.
— J’ai ma réponse. Tu ne me fais pas confiance.
C’était comme être témoin de l’effondrement d’un immeuble tout en étant à l’intérieur. Je savais ce qui
m’attendait, je voyais les fissures zébrer les murs, j’entendais le crissement de la pierre, mais il était trop
tard. Les portes étaient fermées. Seul Caleb avait la clé.
Il a avancé d’un pas.
— Ne me touche pas !
Je me suis levée, j’ai couru dans ma chambre et j’ai fait ma valise. J’aurais aimé avoir la force de le
gifler, de le frapper… mais j’en étais incapable. Je me sentais écrasée, étouffée. Le corps alourdi par la
trahison.
J’ai ravalé ma douleur, l’enfouissant aussi loin que possible. Je refusais de la lui montrer. Caleb venait
de détruire une partie de moi, mais il ne me volerait pas ma fierté. Il ne verrait pas mes larmes. Il ne les
méritait pas.
Mes jambes se sont dérobées sous mon poids. Je me suis effondrée par terre et j’ai pleuré en silence.
Je ne sais pas combien de temps je suis restée sur cette moquette, perdue dans mes pensées, noyée dans
mon chagrin, mais j’ai fini par me lever. Il était temps de partir. J’ai ouvert la porte. Caleb était assis
devant ma chambre. Il avait l’air épuisé. Je l’ai ignoré et j’ai remonté le couloir. Il m’a bloqué le
passage.
— Quoi que je te dise, ça ne servirait à rien. Pas vrai, Red ? Parce que tu t’es construit une fausse
image de moi.
Il avait la voix brisée. Ses yeux verts m’imploraient de rester. Je ne peux pas. Je ne peux pas. Je ne
peux pas.
— Si tu ne me fais pas confiance, notre histoire est perdue d’avance.
Je ne l’ai pas contredit. J’ai enroulé mes doigts autour de la poignée.
— Ne t’en va pas, Red. S’il te plaît.
Il a tendu une main vers moi. J’ai retenu mes larmes.
— Je n’ai pas le choix. Au revoir, Caleb.
J’ai ouvert la porte et je suis partie sans me retourner. J’emportais toutes les affaires que je possédais
en arrivant chez lui. Pourtant, j’avais l’impression de tout laisser derrière moi.
CHAPITRE 30

- VERONICA -

Être vulnérable, c’est inviter la douleur en soi. La trahison ressemble à un loup enragé. Son unique but
est de dévorer et de détruire les plus faibles. Combien de fois devrais-je en faire les frais avant d’en tirer
une leçon ? J’ai joué à la fille forte et courageuse. En vérité, j’avais le cœur brisé.
J’approchais de chez Cam. J’avais marché sans réfléchir, sans regarder où j’allais. Quelqu’un m’a
foncé dedans. Je suis tombée en arrière.
— Désolé ! Ça va ?
Une voix masculine. Il s’est mis à genoux et m’a aidée à me relever, plaçant un mouchoir dans ma
main.
— Pour sécher tes larmes. Tu pleures, petit ange.
J’ai posé une main sur ma joue. Elle était trempée.
— Cam, ai-je murmuré. J’ai besoin de Cam.
— Elle n’est pas là, mais elle ne devrait pas tarder. Je l’attends aussi.
Il s’est dirigé vers l’immeuble et s’est assis sur un banc. Je l’ai suivi, mettant autant de distance que
possible entre lui et moi. Il avait une guitare. Il s’est mis à jouer, ses longs doigts évoluant avec aisance
sur le manche. Let her go de Passenger. L’ironie de la situation ne m’a pas échappée. J’étais venue ici
pour oublier, et voilà qu’on frottait du sel sur ma blessure.
J’ai fermé les yeux, me concentrant sur les paroles. Il a enchaîné les chansons sans me dire un mot. Il
ne m’a pas posé de questions. Je lui en étais reconnaissante.
J’avais déjà vu ce mec quelque part. Il avait les cheveux foncés, presque noirs, longs et ondulés. Son
visage était taillé comme celui d’une statue. Il portait un tee-shirt noir, un vieux jean troué aux genoux et
des Converse. Il avait l’air à l’aise dans son corps.
Il a passé une main dans ses cheveux pour dégager son visage, révélant trois boucles d’oreilles sur son
oreille droite et plusieurs bagues aux doigts. Un bracelet en cuir noir usé enlaçait son poignet, comme s’il
ne l’avait pas enlevé depuis des années. Il a attrapé un élastique dans sa poche et s’est attaché les
cheveux. Il dégageait quelque chose de sauvage, de masculin, de libre. Je lui enviais son assurance.
Ses grands yeux bleus se sont posés sur moi. Il m’a souri.
— Tu as toujours ma serviette ?
Sa serviette ? De quoi parlait-il ? Son accent me disait quelque chose… Mais oui, le chanteur à la
soirée de Theo.
— Ver ? Qu’est-ce que tu fais là ?
Dès que j’ai entendu la voix de Cam, j’ai éclaté en sanglots. Les émotions que je contenais depuis mon
départ sont sorties. Je pensais être capable de les contrôler, mais le regard bienveillant de ma meilleure
amie m’a fait craquer. Elle m’a serrée dans ses bras.
— Damon ! Tu ne peux pas t’empêcher de faire pleurer les filles !
Il a levé les mains en l’air.
— Cette fois, je suis innocent.
Cam a levé les yeux au ciel.
— Viens, Ver. On rentre.
Elle m’a guidée jusqu’à chez elle. Dans la cuisine, elle m’a servi un grand verre d’eau.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
Le liquide glacé a apaisé ma gorge écorchée. Je me suis concentrée sur cette sensation. J’aurais aimé
que mon cœur soit aussi dur et froid que les glaçons dans mon verre. Damon s’est mis à genoux dans la
cuisine, disparaissant sous l’évier, un casque sur les oreilles et une ceinture d’outils autour de la taille.
— Damon est là pour réparer une fuite. Il travaille toujours en musique. Il n’entendra rien. Raconte-
moi tout, Ver. Sinon, je vais finir par tuer quelqu’un. Caleb, par exemple. Qu’est-ce qu’il t’a fait ?
J’ai secoué la tête. Je ne voulais ni en parler, ni revivre la scène. J’avais envie de me mettre en boule
dans un coin et de tout oublier.
— Je suis fatiguée, Cam. Est-ce que je peux me reposer dans ta chambre d’amis ? Je te raconterai à
mon réveil…
— Non. Tout de suite.
On a sonné. J’ai sursauté sur ma chaise.
— Reste là. J’attends un colis.
J’ai reposé ma tête sur la table. Je détestais le mélange d’espoir et de terreur qui s’était emparé de moi
quand la sonnette avait retenti. Ce n’était pas Caleb. Il ne m’aurait pas suivi. Et puis, je ne voulais pas de
lui dans ma vie…
— Red.
Non, non, non.
Je suis restée immobile. Je voulais juste qu’on me laisse tranquille.
— Red ?
C’était vraiment lui. J’étais à la fois soulagée et furieuse. Quand il a posé sa main sur mon épaule, j’ai
bondi de ma chaise.
— Ne me touche pas !
Revoir son beau visage et la douleur dans ses yeux m’a brisé le cœur.
— Je n’aurais jamais dû te laisser partir.
J’ai fermé les yeux, le temps de me ressaisir.
— Va-t’en. S’il te plaît.
— Pas avant d’avoir discuté.
— Il y a un problème ? a demandé Damon.
Caleb lui a lancé un regard noir.
— Dégage, mec.
— Je fais ce que je veux, Lockhart.
Caleb a avancé vers lui d’un pas menaçant. Je me suis interposée, plaquant une main sur chaque torse.
— Ça suffit ! Viens, Caleb. On va en parler dehors.
Cam est entrée en trombe dans la cuisine.
— Laisse-les tranquilles, Damon. Viens avec moi. J’ai oublié un truc chez mon père.
On a échangé un regard complice. Elle m’a fait un clin d’œil avant de sortir. J’ai ouvert la porte qui
donnait sur le jardin. Le soleil brillait et le vent caressait les arbres. Des oiseaux gazouillaient au-dessus
de nos têtes. J’en voulais au monde de continuer à tourner, sans pitié, sans verser une larme pour moi.
L’univers se fichait de mon désespoir.
Caleb m’a rejointe dehors.
— Je n’ai pas couché avec elle, Red.
— Dans ce cas, pourquoi tu n’as pas répondu quand je t’ai posé la question ?
— Parce que tu ne me fais pas confiance.
J’ai détourné le regard. Je n’étais pas sûre de le croire.
— Elle m’a dit que tu étais son premier.
— C’est vrai. On a grandi ensemble, Red. Quand j’étais petit, je voulais la protéger. C’était ce qui me
rendait heureux. Le problème, c’est que Beatrice s’est mise à dépendre de moi. Plus tard, au lycée, notre
relation a évolué. On était en vacances en Grèce avec nos familles. Beatrice était déprimée. Elle m’a
demandé de rester dans sa chambre. Je l’ai embrassée, et elle a répondu à mes baisers.
— Tu as couché avec elle.
— Oui. À notre retour, on a continué à se voir de temps en temps. Ce n’était qu’une histoire de sexe,
Red. Rien de plus.
— Menteur. Elle est amoureuse de toi. Ça crève les yeux.
Caleb est resté bouche bée. Il avait l’air choqué. Ce mec était aveugle. Il n’avait pas compris que
Beatrice avait des sentiments pour lui. Mon ventre s’est noué. Maintenant qu’il était au courant, se
jetterait-il dans ses bras ?
— J’ai arrêté de coucher avec Beatrice il y a plus d’un an. Je lui ai dit que je ne voulais pas gâcher
notre amitié. Je n’ai jamais été amoureux d’elle.
— Qu’est-ce qui s’est passé hier soir ?
— Elle a fait une crise d’angoisse. Ça lui arrivait souvent au lycée. Elle ne parvenait jamais à
s’endormir après une crise. Elle m’appelait pour que je la réconforte. Je m’allongeais contre elle. Ça la
calmait et elle finissait par s’endormir.
J’ai ravalé la boule dans ma gorge.
— Et hier soir ?
— Je l’ai ramenée chez elle. Son père était là. Il ne l’a pas reconnue et elle a éclaté en sanglots. Je l’ai
accompagnée dans sa chambre. Elle voulait que je reste toute la nuit, mais j’ai refusé. J’ai changé, Red.
Tout est différent depuis que je suis avec toi. J’avais prévu de rester à son chevet jusqu’à ce qu’elle
s’endorme, mais elle m’a demandé de m’allonger contre elle…
Non.
J’avais envie de hurler, de le frapper.
— J’étais pressé de rentrer à la maison. Je savais que plus vite elle s’endormirait, plus vite je serais
de retour. Je lui ai obéi. Je n’aurais pas dû, Red. Je suis désolé. C’était une erreur. Je me suis endormi et
j’ai rêvé de toi et…
— Arrête. Tais-toi, Caleb.
— Red…
— Ne m’appelle plus comme ça ! Plus jamais !
Je me suis dirigée vers la porte. Il a plaqué une main dessus, m’empêchant de l’ouvrir.
— Écoute-moi ! J’aimerais que tu me fasses confiance, Red. C’est tout ce que je te demande ! Tu n’es
pas prête à te battre pour moi ?
— Arrête. De. M’appeler. Red.
J’avais envie de lui faire du mal. J’en avais besoin, pour me protéger.
— Laisse-moi tranquille, Caleb. Je ne veux plus jamais te revoir, plus jamais t’entendre. C’est sans
espoir. Je le sais depuis le début.
— Menteuse.
— J’avais besoin d’aide. Tu étais là au bon moment.
Il m’a dévisagée, l’air furieux.
— Je ne te crois pas.
J’ai haussé les épaules pour lui montrer que je m’en fichais. En vérité, mon cœur était brisé.
— Je me fous de ce que tu as fait avec elle. Couche avec qui tu veux. De toute façon, tu n’es bon qu’à
ça.
Sans prévenir, il a plaqué les mains sur mes épaules et écrasé sa bouche sur la mienne. Un baiser
brutal, plein de colère. Ses lèvres étaient dures, froides.
— Non ! Lâche-moi !
— Ne me quitte pas, Red. Je t’en prie.
Mon corps s’est avachi contre le sien. Je n’avais plus de forces. Des larmes ont dévalé mes joues.
— Je t’ai trop donné, Caleb.
Il a posé son front contre le mien.
— Ne pleure pas. S’il te plaît.
Sa bouche a recouvert la mienne. Cette fois, il m’a embrassée avec tendresse, brisant mon bouclier. Il a
enroulé ses bras autour de ma taille. J’ai tout oublié et j’ai répondu à son baiser. Son corps était ferme,
ses mains chaudes contre ma peau…
J’ai repris mes esprits.
— Non !
Combien de fois avais-je vu ma mère retomber dans les bras de mon père ? J’avais peur de craquer,
peur de lui pardonner, peur de me perdre moi-même. Je me suis essuyé la bouche du revers de la main,
comme pour effacer sa trace.
— Laisse-moi tranquille, Caleb. Tu es aussi collant qu’un chien errant.
Furieux, il a reculé d’un pas.
— C’est comme ça que tu me vois ?
Non, mais il faut que je te blesse. C’est la seule solution.
— Tu ne penses qu’à toi, Caleb. Tout est allé trop vite. Je t’ai dit que je n’étais pas prête, mais tu as
insisté. Je ne peux pas aller plus loin. C’est fini. Va-t’en.
Je l’ai regardé droit dans les yeux. Je venais de détruire ce qui nous restait. À moi. À lui. À nous.
— Je ne veux plus de toi.
Menteuse.
Il m’a lancé un regard glacial. Mon cœur, déjà fêlé, a éclaté en morceaux.
— Tu n’es qu’une lâche. Tu m’avais dit que tu ne baisserais jamais les bras. C’est faux. Ta peur de
souffrir te rend faible. Il faut se battre pour obtenir ce qu’on désire, Red. Je me bats pour toi depuis notre
rencontre. Tu m’as repoussé, mais je n’ai jamais abandonné. J’aurais aimé que tu te battes en retour.
Il a respiré profondément. Il avait les mains qui tremblaient.
— Je t’ai toujours obéi, et c’est le cas encore aujourd’hui. Je m’en vais.
Une vague de douleur a déferlé sur moi. Il m’a tourné le dos, posant une main sur la poignée. Il s’est
retourné vers moi une dernière fois.
— Au revoir, Veronica.
CHAPITRE 31

- CALEB -

La colère est devenue ma meilleure amie. Elle occultait la vérité, trop douloureuse. Je comprenais
mieux pourquoi les gens s’accrochaient à la haine. Ils la préféraient à la souffrance.
J’avais les poumons en feu, les jambes en guimauve. Je courais depuis deux heures. J’essayais de
m’épuiser, d’arrêter de penser à elle.
Tu es aussi collant qu’un chien errant.
J’ai accéléré le pas, mes baskets battant le trottoir.
Je ne veux plus de toi.
J’entendais mon souffle saccadé. J’avais la poitrine serrée, le cœur battant, prêt à imploser.
Couche avec qui tu veux. De toute façon, tu n’es bon qu’à ça.
Des gouttes de sueur dévalaient mon visage, me piquaient les yeux. Je n’avais jamais autant souffert de
ma vie. C’était la première fois que j’étais amoureux. Voilà où cela m’avait mené. Voilà pourquoi je ne
m’engageais jamais avec personne.
Red ne m’a jamais demandé de changer. J’ai changé pour elle. Qu’attendait-elle de plus ? Elle ne m’a
donné aucune chance ! J’étais mieux seul. J’aurais aimé voyager dans le passé, à l’époque où je ne la
connaissais pas, où son indifférence ne me brisait pas le cœur.
Furieux, j’ai foncé dans la douche.
Je lui montrerais qui j’étais vraiment.

J’avais oublié les odeurs de boîte : ce mélange de parfums, de sueur et de whisky. La musique
m’assourdissait. Les projecteurs m’aveuglaient. Il n’y avait aucune table de libre. Je me suis assis au bar.
J’ai croisé le regard du serveur et j’ai commandé une bière.
— Dure journée ?
Une jolie brunette était assise à côté de moi. Elle portait une robe noire courte et moulante. Elle avait
l’air sûre d’elle, consciente de sa beauté. Je lui ai souri, sans grand enthousiasme. C’était le moment ou
jamais de l’inviter chez moi. Certaines filles avaient besoin de compliments avant de coucher avec un
étranger. D’autres voulaient qu’on leur offre un verre, une danse. Ce n’était qu’un jeu. Un jeu auquel
j’avais joué des centaines de fois. Un jeu sans gagnant. À la fin, on se sentait toujours aussi vide. Pas
comme avec Red.
Red… L’idée de coucher avec une autre fille me retournait l’estomac.
— Désolé, ai-je soupiré en descendant du tabouret.
Je me suis précipité vers la sortie. J’avais besoin d’air.
Tu ne penses qu’à toi, Caleb. Tout est allé trop vite. Je t’ai dit que je n’étais pas prête, mais tu as
insisté. Je ne peux pas aller plus loin. C’est fini. Va-t’en.
Un mec s’est jeté sur moi, m’a attrapé par le bras.
— Tu es aveugle ou quoi ? Tu as renversé le verre de ma copine !
Il m’a poussé. Je lui ai donné un coup de poing. Deux. Trois. Un mec de la sécurité m’a jeté dehors.
— Ne remets plus les pieds ici, abruti.
J’avais mal aux côtes et à la mâchoire. J’avais du sang sur les mains. Pas le mien. En montant dans la
voiture, je ne pensais qu’à elle. Ce n’était pas dans cette boîte que je l’avais rencontrée, ni sur ce
parking, mais c’était plus fort que moi. Je revoyais sa robe rouge, ses lèvres, son regard intense, qui
trahissait un passé difficile.
Je t’ai tout donné, Caleb.
J’ai fermé les yeux, posé la tête sur le volant. Elle aurait pu m’ouvrir la poitrine et m’arracher le cœur,
le résultat aurait été le même.
J’ai conduit sans but précis, la musique à fond pour m’empêcher de réfléchir. Sans m’en rendre
compte, j’étais en train de remonter la rue de Cam. Qu’est-ce que je faisais là ? Red m’avait demandé de
la laisser tranquille.
Je me suis garé devant l’immeuble, les yeux rivés sur la fenêtre du salon. Une moto s’est garée devant
moi. Le conducteur portait une veste et un pantalon en cuir. Même avec son casque, je l’aurais reconnu
entre mille. Il est resté planté là, en silence, comme s’il hésitait à repartir. J’ai baissé ma vitre.
— Tu veux une bière ?
Il a enlevé son casque.
— OK. On va chez moi ?
J’ai hoché la tête et j’ai suivi Cameron.

Il m’a rejoint dans le jardin avec une bouteille.


— Alors, comme ça, tu espionnes ton ex ?
— Comme d’hab. Et toi ? Qu’est-ce que tu foutais là ?
— Red… Veronica passe la nuit chez Cam. Elle m’a quitté.
Son prénom a laissé un goût étrange sur ma langue. Veronica. Je l’adorais mais, pour moi, elle resterait
Red.
— Désolé, mec.
Je me suis assis au bord de la piscine. J’avais mal au crâne. J’ai pressé mes doigts sur mes paupières.
— Tout se passait bien entre nous. Enfin, c’est ce que je croyais. J’ai tout gâché quand Bea est passée à
la maison.
— Merde. Elle n’était pas au courant pour Beatrice ?
— Non. J’aurais dû lui en parler avant.
Il a hoché la tête.
— Tu ne lui as pas menti. Tu as juste oublié de le lui dire.
J’étais content qu’il me comprenne. Il s’est assis à côté de moi et s’est éclairci la voix.
— Il m’est arrivé la même chose avec Kara. Je ne sais pas pourquoi elles sont obsédées par notre
passé. Elle m’a dit qu’elle se fichait des filles avec qui j’avais couché, mais qu’elle voulait les noms de
celles avec qui ça avait duré plusieurs semaines.
Il a bu une gorgée de bière.
— J’étais fou d’elle, mec.
Cameron abordait rarement ce sujet depuis leur rupture. Il a regardé dans le vide, l’air pensif.
— Tu veux en parler ?
— Non, Caleb. Je ne peux pas. C’est trop dur.
Je connaissais ce regard, cette douleur, cette torture. C’était insupportable de parler d’une fille qu’on
aimait et qu’on avait perdue.
— Beatrice faisait des crises d’angoisse au lycée. Tu t’en souviens ?
— Bien sûr. Tu venais tout le temps à sa rescousse. Cette meuf se servait de toi comme d’un jouet.
— Quoi ?
Il a haussé les épaules. Cameron détestait Beatrice.
— On en parlera plus tard. Raconte.
— Hier soir, elle a fait une crise chez moi. Je l’ai ramenée chez ses parents. Sa mère était bourrée et
son père est malade. Il ne la reconnaissait pas. Il s’est mis à hurler, à les insulter. Elle a fondu en larmes.
Elle m’a demandé de rester. Je ne voulais pas. J’avais envie de retrouver Red, mais je ne pouvais pas
abandonner Bea dans cet état.
Cameron a hoché la tête.
— Elle m’a dit qu’elle prenait des cachets. Je ne sais pas quel genre, mais si c’est ceux qu’elle prenait
au lycée, c’est mauvais signe. Elle m’a demandé de m’allonger contre elle. Je n’ai pas réfléchi. Je
voulais juste l’aider à s’endormir, et rentrer à la maison. Je me suis réveillé une heure plus tard, avec Bea
sur moi, à moitié nue, en train de m’embrasser.
J’ai bu une gorgée de bière. J’avais envie de vomir.
— Je n’ai jamais senti cette fille, a dit Cameron.
— Je sais.
— Tu es aveugle, mec. Elle te manipule. C’est une comédienne. Tu sais qu’elle couche avec Justin ?
— Tu déconnes ?
— J’allais t’en parler demain. J’ai bu un verre avec lui hier soir. Il m’a dit qu’elle couchait avec lui
quand tu ne voulais pas d’elle.
J’ai haussé les épaules.
— On n’a jamais été exclusifs. Bea a le droit de coucher avec qui elle veut.
— Il y autre chose.
J’ai froncé les sourcils.
— Justin m’a dit que ses crises d’angoisse, c’est du cinéma.
— C’est-à-dire ?
— Elle te mène en bateau depuis des années. Elle fait semblant d’angoisser pour t’attirer dans son lit.
J’étais horrifié. La scène de la veille défilait comme un film dans ma tête. Elle est amoureuse de toi,
m’avait dit Red. Est-ce que Beatrice avait tout manigancé ? Est-ce qu’elle avait fait semblant de paniquer
pour que je la ramène chez elle ? Pour que je passe la nuit dans son lit ?
Bea me connaissait bien. Elle avait vu que j’étais différent avec Red. Pourtant, elle m’a embrassé
pendant que je dormais. Est-ce qu’elle voulait nous séparer ?
Non, elle n’aurait pas osé. Justin racontait des bobards.
Et si c’était vrai ?
Une migraine était en train de creuser un trou dans mon crâne et ma colère était en train de le remplir.
Si Beatrice m’avait vraiment manipulé, il fallait que j’agisse. Cette soirée m’avait coûté la fille que
j’aimais. Il fallait que je découvre la vérité, que je l’entende de sa bouche… mais pas ce soir. J’étais
épuisé. Vidé.
— J’ai besoin de me défouler. Tu n’as pas un mur à démolir, par hasard ?
Cameron a éclaté de rire.
— Non, mais j’ai Grand Theft Auto V.
— Encore mieux.
Voilà à quoi servaient les meilleurs amis.

Je ne suis pas rentré chez moi. Trop de souvenirs dans mon appartement. Les jeux vidéo m’ont aidé à
me changer les idées. Après plusieurs bières, j’ai raconté la suite de la soirée à Cameron et ma
confrontation avec Red.
— Avec certaines personnes c’est plus compliqué qu’avec d’autres. Si ta Red en vaut la peine, répare
les dégâts et bats-toi pour elle.
— Pourquoi tu ne te bats pas pour Kara ?
— Parce que c’est moi qui n’en vaux pas la peine.
Il s’est levé et a disparu dans sa chambre. J’ai fixé le plafond pendant des heures. Bien sûr que cette
fille en valait la peine, mais j’avais ma fierté, et Red portait un bouclier impénétrable. Du moins, c’est ce
qu’elle laissait croire. Elle avait beau sembler distante et froide, je savais que ce n’était qu’une façade.
Par exemple, j’avais la fâcheuse habitude de perdre mes clés. Red l’a remarqué. Elle a placé un bol
près du porte-parapluie dans le salon, où elle déposait mon trousseau chaque fois qu’elle le trouvait. Elle
me préparait des crêpes le matin. Son sourire me transperçait le cœur. La liste était longue. Bats-toi pour
elle.
Mon réveil a sonné. Je n’avais pas fermé l’œil de la nuit, mais Red serait peut-être en cours. J’ai
emprunté des fringues à Cameron et on est partis à la fac ensemble. On a rejoint nos amis, mais j’avais la
tête ailleurs. Je la cherchais partout.
— Tu as une sale gueule, a dit Justin en remontant le couloir.
C’est en levant la tête que je l’ai vue. Red venait d’entrer dans les toilettes. Elle avait l’air fatiguée,
comme si elle n’avait pas dormi de la nuit.
— Raconte ! a insisté Justin. Tu n’as toujours pas tiré ton coup avec ta meuf, c’est ça ?
Je l’ai poussé contre le mur.
— Ne parle pas d’elle sur ce ton !
— Hé !
Amos lui a lancé un regard noir.
— Fais gaffe à ce que tu dis, mec.
Justin a levé les mains en l’air.
— Je plaisantais. Désolé, Caleb.
Je l’ai ignoré et je me suis tourné vers Cameron.
— On se voit plus tard.
Il a hoché la tête. Je suis revenu sur mes pas et me suis arrêté en face des toilettes.

- VERONICA -

— Les mecs fidèles sont comme des licornes, a déclaré Cam. On entend parler d’eux, on les voit dans
les films, on en trouve dans les contes de fées, mais ils n’existent pas dans la vraie vie.
Elle m’a tendu le sandwich au beurre de cacahuète qu’elle venait de me préparer et d’emballer dans du
film plastique.
— Tiens. Je ne cuisine que pour les gens que j’aime.
Enveloppée dans son peignoir, elle s’est appuyée contre le bar en buvant son café. J’ai enfoui le
sandwich dans mon sac.
— Merci, Cam.
— Tu devrais rester ici. Tu as besoin de repos.
— J’ai surtout besoin de me changer les idées.
La veille, elle et Beth étaient restées à mes côtés. On avait regardé des films et mangé de la glace toute
la nuit.
— La vie serait plus simple si on était lesbiennes. Pas vrai, Ver ? On est faites l’une pour l’autre.
— Carrément.
— Je pense quand même que tu n’as pas entendu toute l’histoire. Tu devrais lui laisser une chance.
— Cam…
J’ai levé les yeux au ciel. Je n’avais pas envie de parler de Bea.
— À plus tard, Cam. Je t’adore.
À la fac, j’étais en train de remonter le couloir quand j’ai aperçu Caleb, entouré de ses amis. Il portait
un sweat-shirt noir, capuche sur la tête, manches retroussées. Il était beau, mais fatigué.
J’ai foncé dans les toilettes avant qu’il me repère. Je me suis enfermée dans une cabine et je me suis
assise sur le couvercle. Je ne pouvais pas passer ma vie à me cacher, mais je n’étais pas prête à
l’affronter. Pas encore. Je devrais partir vivre au Japon, ou en Indonésie. Il paraît que c’est beau, là-
bas.
La porte des toilettes s’est ouverte. Une voix féminine m’a tirée de ma rêverie.
— Veronica ? Je sais que tu es là. J’aimerais te parler.
Pas moi, ai-je pensé. J’ai respiré profondément. Impossible de me calmer. Mon cœur battait à tout
rompre. Je suis sortie de la cabine. Beatrice était plantée devant les lavabos. Son regard innocent m’a
mise en colère. Sa gueule d’ange était une arme. Elle s’en servait pour manipuler les gens, jouer à la
pauvre brebis égarée, alors qu’elle était aussi perfide qu’un serpent.
Elle s’est mordu la lèvre. Elle avait l’air… coupable.
— Je voulais m’excuser pour hier soir. Caleb n’y est pour rien. C’est moi qui suis responsable de notre
baiser.
Un baiser ? Quel baiser ?
— Et ce qui s’est passé après… Tout est ma faute, Veronica. Je suis désolée. Je ne voulais pas te faire
de mal. Je ne voulais pas gâcher votre histoire.
J’avais la gorge serrée, le corps figé. Beatrice était triomphante derrière son air angélique.
— Tu comprends, Caleb et moi…
Elle n’a pas eu le temps de terminer sa phrase. J’ai avancé d’un pas, j’ai levé la main et je l’ai giflée.
L’empreinte de mes doigts s’est dessinée sur sa joue pâle. Elle a ouvert la bouche, choquée. Son regard
était teinté de haine.
— Arrête ton petit jeu, Beatrice.
— Je… Je ne sais pas de quoi tu parles.
— Je connais les filles comme toi. Ton cinéma ne marche pas avec moi.
Elle a secoué la tête.
— Tu te trompes. Je sais que cette rupture te rend triste, mais Caleb et moi, on s’aime depuis
longtemps…
— Tu es pitoyable.
J’ai ouvert la porte, les mains tremblantes.
— Red !
Caleb m’a attrapée par le bras. Qu’est-ce qu’il faisait là ? C’est alors que j’ai compris. Il m’avait
traitée de lâche, mais c’était lui, le lâche. Il avait envoyé Beatrice me parler pendant qu’il attendait
dehors. Il n’avait pas eu le courage de me l’avouer lui-même. Caleb m’avait menti. Il m’avait juré qu’ils
n’avaient pas couché ensemble, mais c’était faux.
Furieuse, je l’ai repoussé. Je l’ai giflé.
— Je te déteste ! Je te déteste, Caleb !
Je lui ai tourné le dos. La porte des toilettes s’est ouverte derrière moi. Je ne savais pas où aller. Je
voulais juste fuir, loin de lui, loin d’eux. Désorientée, j’ai foncé dans un étudiant. Damon.
— Décidément ! Il faut qu’on arrête de se rencontrer comme ça, petit ange.
Il a placé les mains sur mes épaules pour me stabiliser. Derrière moi, Caleb s’est mis à hurler.
— Ne la touche pas !
Il a couru jusqu’à nous, le visage déformé par la colère.
— Et si j’en ai envie ?
— Arrête, Damon. Je ne veux pas causer de problème.
— Trop tard, a-t-il murmuré.
Caleb lui a mis un coup de poing dans la mâchoire.
— Tu l’auras cherché, Lockhart.
Il s’est jeté sur Caleb, le frappant au ventre. J’ai essayé de les séparer, mais quelqu’un m’en a
empêché.
— Non ! Lâchez-moi !
— Tu plaisantes ? Je serais prêt à payer pour assister à ce spectacle.
J’ai tout de suite reconnu sa voix. C’était l’ami de Caleb, celui qui l’avait raccompagné l’autre soir.
— Encore toi ?
— Je m’appelle Justin. Ravi de te revoir.
— Arrête-les. S’il te plaît !
— Jamais de la vie.
Damon a attrapé Caleb par le cou.
J’ai fermé les yeux.
— Je n’ai jamais vu Caleb dans cet état, a dit Justin. Tu lui fais vraiment de l’effet, bébé.
J’avais envie de vomir. Je sentais son souffle chaud contre ma nuque. Je lui ai donné un coup de coude
dans le ventre. Il m’a lâchée en se tordant de douleur.
— Salope !
— Ne me touche plus jamais.
J’avais mal aux bras, aux endroits où il m’avait retenue. D’autres personnes sont arrivées pour calmer
la bagarre. J’ai poussé un soupir de soulagement. Caleb était livide, furieux. Damon était allongé par
terre, une main sur la mâchoire. Il avait du sang sur les lèvres.
D’instinct, j’ai voulu m’occuper de Caleb, mais Beatrice m’a devancée. Elle a couru jusqu’à lui.
Damon m’a souri.
— Ça va, petit ange ?
— Je suis désolée. Tout est ma faute.
— Red ?
J’étais dos à Caleb, mais j’ai entendu la douleur dans sa voix. J’ai fermé les yeux, ignorant sa détresse.
— Viens, Damon. On s’en va.
Cette fois, Caleb ne m’a pas suivie.
CHAPITRE 32

- BEATRICE-ROSE -

Mon père était assis dans son fauteuil roulant, devant la fenêtre de sa chambre, ses yeux vitreux rivés
sur le jardin. L’infirmière l’avait mal peigné. On la payait une fortune et elle n’était même pas fichue de
faire son travail.
— Je vais te coiffer. D’accord, papa ?
Pas de réponse. Les médicaments l’avaient assommé. J’ai attrapé le peigne dans un tiroir. Avant, mon
père avait les cheveux épais et noirs. Désormais, ils étaient fins, gris et cassants. Voir les gens vieillir me
terrifiait. Je détestais les vieux. Ils me faisaient peur.
— Tu te souviens du lapin que tu m’as offert pour mes quatre ans, papa ? Je l’ai appelé Atlas, comme
le Titan dont tu m’avais parlé, celui qui portait le monde sur ses épaules. Tu me racontais toujours des
histoires fascinantes. Maman était jalouse de moi. C’est peut-être pour ça qu’elle me déteste.
J’ai retenu mes larmes. Mon père a fermé les yeux. J’ai continué à le peigner.
— Je ne t’en ai jamais parlé, mais je connais ton secret, papa. Ce jour-là, je t’ai entendu te garer
devant la maison. J’étais excitée à l’idée de te revoir, mais maman détestait que je me mêle de vos
retrouvailles. Je suis restée dans ma chambre en attendant que tu frappes à ma porte et que tu m’offres un
cadeau, comme chaque fois.
Il n’a pas bronché. Ses grandes mains reposaient sur ses genoux, frêles et ridées, parsemées de veines
gonflées.
— Tu n’es jamais arrivé. Je me suis glissée dans votre chambre en espérant t’y trouver. Maman disait
que je n’avais pas le droit d’y entrer, mais tu me manquais trop. Tu étais parti longtemps. Tu étais
toujours absent.
J’ai essayé de masquer la rancune dans ma voix. En général, j’étais forte pour dissimuler mes
émotions. Pas cette fois. Ma mère ne m’a jamais aimée. Mon père, lui, me gâtait beaucoup, mais il partait
souvent en voyage d’affaires. Cette époque avait beau être révolue, je me sentais encore comme une
petite fille abandonnée.
— J’ai vu ton costume par terre. Je l’ai ramassé. La manche était trouée. J’ai tout de suite compris,
papa. J’ai su qu’Atlas l’avait grignoté. Je suis partie à sa recherche. Il adorait se cacher dans le garage.
J’ai été choquée par ce qui m’y attendait. La fourrure blanche et le sang sur ton établi. Le marteau dont tu
t’es servi pour le tuer. Je me suis cachée sous la table et j’ai attendu. Tu es entré pour le nettoyer. Tu
avais l’air furieux. Ce soir-là, pendant le repas, tu m’as dit que tu avais une mauvaise nouvelle à
m’annoncer… et tu m’as menti. Tu m’as dit qu’Atlas s’était enfui. Tu m’as menti, papa.
J’avais gardé cette histoire enfouie en moi depuis trop longtemps. Pourquoi lui en parler aujourd’hui ?
Parce que j’avais peur qu’il s’en aille bientôt. Il allait mourir et m’abandonner, une nouvelle et dernière
fois.
— Je te pardonne, papa. Je sais pourquoi tu m’as menti. Tu voulais me protéger. Tu ne voulais pas que
je découvre ta vraie nature. On a tous un rôle à jouer dans la vie, n’est-ce pas ?
J’ai lu dans son regard qu’il m’avait entendue, qu’il s’excusait et qu’il m’aimait. Satisfaite par sa
réaction, je suis sortie de sa chambre.

Oui, on avait tous un rôle à jouer dans la vie. En ce moment, le mien consistait à négocier avec cet
abruti de Justin. Je lui avais donné rendez-vous au studio photo du campus, où je stockais mon
équipement. J’avais une séance photo plus tard dans la journée, avec une étudiante rencontrée une
semaine plus tôt. Je ne pouvais pas la voir en peinture, mais elle était amie avec ma styliste préférée. Elle
lui parlerait de moi si mon travail lui plaisait. Je passerais des heures à l’embellir sur Photoshop s’il le
fallait. C’était pour la bonne cause.
Justin était un personnage supplémentaire dans le roman de ma vie. Quelqu’un dont je m’étais servie
pour surveiller Caleb pendant mon absence, un mec capable d’éloigner toutes ces filles qui voulaient
goûter à ce qui m’appartenait. Caleb était à moi. J’étais son premier amour, et je serais son dernier. Tout
le monde savait qu’on finirait par se marier. On était faits l’un pour l’autre. Nos familles étaient proches.
On se connaissait depuis qu’on était petits. Cette garce de Veronica n’avait qu’à bien se tenir. Je n’avais
jamais autant détesté quelqu’un de ma vie.
Je l’ai observée en train de remonter le couloir, tête baissée. Elle avait le visage fin, comme un renard,
avec de grands yeux sombres et une bouche pulpeuse. Elle portait un jean et un débardeur blanc –
sûrement de seconde main – qui mettait en valeur sa peau hâlée. Ses longs cheveux noirs balançaient
contre son dos.
Les prostituées se servent de leurs cheveux pour séduire les hommes, Beatrice-Rose. Attache-les, ou
tu finiras comme elles.
La voix de ma mère résonnait dans ma tête. Qu’est-ce que Caleb voyait en cette fille ? Elle devait
coucher avec lui jour et nuit. Bientôt, je serais de retour à ses côtés et il la rayerait de sa vie.
Justin a suivi mon regard.
— Avoue qu’elle est sexy, a-t-il dit en la reluquant.
J’ai poussé un soupir.
— Tu baiserais vraiment n’importe qui.
— Je t’ai baisée toi.
— J’ai connu mieux.
Caleb est apparu au bout du couloir. Il fallait que j’intervienne avant qu’il parle à Veronica. Ce mec
était la personne la plus honnête que je connaisse. Quand on était petits et qu’on faisait des bêtises, je le
suppliais toujours de mentir, mais il refusait, quitte à être puni. Dans mon monde, personne ne disait la
vérité.
Je me suis tournée vers Justin.
— Occupe-toi de Caleb. Je me charge de cette pouffiasse.
Il a levé les yeux au ciel.
— Caleb est amoureux d’elle. Il est peut-être temps que tu passes à autre chose.
— Ça suffit, Justin ! Provoque-le, distrais-le, je m’en fiche. Je ne te paye pas pour rien !
— Du calme. Je m’en occupe.
Je me suis agrippée à mon pendentif en le regardant partir. Veronica a foncé dans les toilettes. Parfait.
Je suis entrée derrière elle. Je voulais vérifier si elle était au courant de ce qui s’était passé la veille et,
s’il le fallait, exagérer la réalité. Il fallait que je la pousse à bout.
Mais rien ne s’est passé comme prévu. D’une, cette garce était maline. Comment savait-elle que je
jouais la comédie ? Quand elle m’a giflée, j’ai eu envie de la traîner dans une cabine et de la noyer, mais
je ne voulais pas dévoiler la vraie Beatrice. Alors, je l’ai laissée filer.
De deux, je ne m’attendais pas à ce que Caleb l’attende devant la porte. Depuis quand était-il planté
là ? M’avait-il entendue ?
Il a suivi cette garce de près. Quelques secondes plus tard, une bagarre a éclaté. Je me suis jetée sur
Caleb pour le réconforter. Il avait besoin de moi… mais c’était comme si je n’existais pas. Il s’est dirigé
vers elle.
C’était comme recevoir un coup de poignard dans le dos.
— Red, a-t-il murmuré.
Le désespoir dans sa voix et l’amour dans son regard m’ont donné envie de vomir. Caleb ! Tu es à
moi !
Elle lui a tourné le dos, disparaissant au bout du couloir avec un autre mec.
— Cal ! Parle-moi. Je t’en prie.
Il m’a ignoré et a remonté le couloir, furieux.
On était tous un peu brisés, et Caleb était le seul à savoir me réparer. Personne ne me comprenait et ne
m’aimait autant que lui. J’avais besoin de ce mec autant que d’oxygène. Je refusais de baisser les bras.
Je l’ai suivi jusqu’à la sortie. Ses longues jambes battaient le sol avec détermination et colère. Ses
cheveux dorés brillaient sous le soleil. Son sweat-shirt lui moulait le dos et les épaules. Il était sublime.
Ses mouvements, son sourire, ses yeux verts… Quand il me parlait avec sa voix rauque, je frissonnais de
plaisir. Quand on faisait l’amour, j’en oubliais mon nom.
Je me demandais s’il m’avait entendue dans les toilettes. Il fallait que j’en aie le cœur net.
— Attends-moi, Caleb. S’il te plaît ! Tu ignores mes appels depuis hier soir.
Il a accéléré le pas, comme si j’étais invisible. J’ai gardé mon calme. Caleb finissait toujours par me
pardonner. Tandis qu’on approchait de sa voiture, je l’ai attrapé par le bras.
— Cal, il faut qu’on parle…
— Ne me touche pas !
Il ne m’avait jamais parlé sur ce ton. J’ai d’abord cru qu’il plaisantait. J’ai plongé mon regard dans le
sien. Non. Caleb était furieux. Ses yeux étaient teintés de haine et de dégoût. J’ai tendu une main vers lui.
Il a reculé d’un pas.
— J’ai tout entendu, Bea. Tu lui as menti.
Pour la première fois de ma vie, je suis restée sans voix. Les années passées auprès de mes parents et
de leurs associés m’avaient appris à tricher, à réagir à n’importe quelle situation. La menteuse ultime
dans un monde de menteurs. Cette fois, j’étais décontenancée. Il fallait que je me ressaisisse. Les larmes
étaient le meilleur moyen d’obtenir ce que je voulais. Surtout avec Caleb. Elles ont aussitôt dévalé mes
joues.
— Je ne sais pas de quoi tu parles, Cal. Je me suis excusée. Je voulais qu’elle sache que ce qui s’est
passé hier soir n’était pas ta faute…
— C’était ma faute. Je n’aurais jamais dû te faire confiance.
— Je voulais juste…
— Je sais ce que tu voulais, Bea. Tu as gagné. Félicitations, tu as gâché ma vie.
La panique s’est emparée de moi. Tout était parfait entre nous avant que cette garce débarque. J’avais
prévu d’attirer Caleb dans mon lit dès mon retour de Paris. J’avais tout organisé. Elle avait tout brisé.
— Je voulais juste te protéger ! Cette fille est une manipulatrice. Elle m’a giflée, Cal ! Et elle t’a quitté
pour un autre mec !
— La seule manipulatrice dans cette histoire, c’est toi. Tu te sers de moi depuis le début. Au fait,
c’était dur de mimer tes crises d’angoisse ?
Je suis devenue toute blanche. Comment était-il au courant ? Mon monde était en train de s’écrouler.
J’étais sur le point de perdre Caleb. Je le sentais.
— Je t’ai toujours considérée comme une amie, Beatrice. Rien de plus. Je suis désolé si tu as cru le
contraire.
Son aveu m’a déchirée. Cette fois, les larmes qui coulaient étaient sincères.
Caleb a ouvert sa portière et a démarré, disparaissant dans un nuage de fumée. J’étais perdue. La seule
personne capable de me réconforter était celle qui venait de m’affliger la pire des souffrances. Caleb
était aveuglé par cette Veronica. Il finirait par s’en lasser et revenir dans mes bras. J’avais été patiente
pendant toutes ces années. Je l’avais attendu pendant qu’il sortait avec d’autres filles, qu’il leur offrait
son corps, car je savais que son cœur m’appartenait. Personne ne me remplacerait. Caleb m’aimait. J’en
étais certaine.
J’ai redressé les épaules, déterminée à le reconquérir.
Au travail, Beatrice.
CHAPITRE 33

- VERONICA -

Un tourbillon d’émotions me traversait de part en part. La douleur me désorientait. Je suis sortie du


bâtiment sans but précis. Je voulais juste fuir, le plus loin possible.
— Attends-moi, petit ange.
Damon. J’avais oublié qu’il était là. J’ai trébuché. Il m’a rattrapée.
— Tu as besoin de t’asseoir.
— Non. Tout va bien.
Il ne m’a pas laissé le choix. Il m’a forcée à m’asseoir sur un banc à l’autre bout du parking.
— Va-t’en, Damon. Je t’ai causé assez d’ennuis comme ça.
Il a poussé un soupir en s’installant à côté de moi.
— J’avoue que ton copain sait se battre.
— Ce n’est pas mon copain.
— Tu en es sûre ? Je connais bien Lockhart. Un mec comme lui ne se bat pas pour une fille s’il ne tient
pas à elle.
Il s’est frotté la mâchoire. J’ai fermé les yeux.
— Ce mec est fou de toi. Je ne sais pas ce qui s’est passé entre vous, mais je ne suis pas aveugle. Je
t’ai vue foncer vers lui et faire demi-tour quand la blonde est arrivée.
— Ils ont couché ensemble. C’est elle qui me l’a dit.
— Et tu la crois ?
— Oui. Non. Je ne sais pas.
— Je vois.
Je me suis levée. Damon m’a tirée par la main, me clouant à ma place.
— Du calme, petit ange. On n’est pas pressés.
Il a penché la tête en arrière pour contempler le ciel, comme un imbécile heureux.
— Tu as la lèvre qui saigne.
— Lockhart aussi, a-t-il dit en me faisant un clin d’œil. Est-ce que tu as entendu les deux versions de
l’histoire ?
Je n’ai pas répondu. Il a poussé un soupir.
— Quand on aime quelqu’un, nos émotions prennent le dessus sur le reste. Elles nous détruisent, nous
dévorent et tuent notre bon sens.
Il jouait avec la bague à son pouce, le regard distant, comme s’il était plongé dans un souvenir. Je ne
connaissais pas Damon, mais sa sincérité m’a donné envie de me confier à lui.
— Caleb dit qu’il ne m’a pas trompée… mais c’est peut-être un mensonge.
— Tous les hommes ne sont pas des menteurs, petit ange. Souvent, vous préférez croire la première
fille que vous croisez plutôt que votre propre mec. Tu penses que la blonde t’a dit la vérité ?
Non. Damon avait raison.
— Lockhart ne veut même pas lui parler. La preuve.
J’ai suivi son regard. Caleb était en train de monter dans sa voiture, laissant Beatrice derrière lui. Mon
cœur s’est emballé. Je me suis levée. Il fallait que je lui parle. Tout de suite. J’avais besoin de lui.
— Caleb !
J’ai couru aussi vite que possible, mais il roulait trop vite. Il a disparu au bout de la rue. Je suis restée
plantée là, immobile, les joues couvertes de larmes.
Je me bats pour toi depuis notre rencontre. Tu m’as repoussé, mais je n’ai jamais abandonné.
J’aurais aimé que tu te battes en retour.
Pauvre Caleb. Je l’avais blessé, repoussé. J’avais laissé mon passé dicter mon présent.
Désormais, il était trop tard.
CHAPITRE 34

- VERONICA -

Je me suis plantée devant l’immeuble de Caleb. Mon ancienne maison. Au fond de moi, je savais que
les belles choses avaient une fin. Pourtant, je voulais garder espoir et continuer à croire en notre histoire.
La dernière fois que j’étais entrée chez lui, je venais d’acheter son cadeau. L’avait-il trouvé ? L’avait-il
jeté ? Et s’il refusait de me voir ?
J’aurais aimé que tu te battes en retour.
J’ai fermé les yeux. Ses paroles tournaient en boucle dans ma tête. Maintenant que la colère ne
brouillait plus mon jugement, je savais que Caleb m’avait dit la vérité. Depuis notre rencontre, il ne
m’avait jamais menti.
Ne me quitte pas, Red. Je t’en prie.
J’ai respiré profondément. J’en avais marre d’être dominée par la peur, mais elle était bien là, prête à
bondir. J’ai pris mon courage à deux mains et je suis entrée dans le hall. Je me suis arrêtée à mi-chemin.
Beatrice était en train de sortir de l’ascenseur. Je n’en croyais pas mes yeux. Personne n’avait le droit de
monter sans l’autorisation de Caleb. La réception le tenait au courant de chaque visiteur. Il avait donc
accepté de la voir !
Fais-lui confiance. Bats-toi pour lui.
Beatrice essayait peut-être de le manipuler, de jouer la victime pour obtenir ce qu’elle voulait. C’est
moi qui suis responsable de notre baiser, m’avait-elle confié. Caleb l’avait-il vraiment embrassée ?
J’avais besoin de réponses, et la seule personne qui puisse me les offrir, c’était lui.
Je me suis cachée derrière un pilier et je l’ai regardée monter dans un taxi. Elle avait changé de tenue
depuis notre altercation. Elle portait une robe blanche et un serre-tête noir. Elle avait remplacé ses talons
par des ballerines blanches, telle une petite colombe innocente.
J’ai croisé les doigts pour que Caleb ne m’ait pas retiré de sa liste. Je me suis dirigée vers l’ascenseur,
soupirant de soulagement quand le vigile m’a souri. J’étais encore la bienvenue. J’ai pris l’ascenseur et
j’ai remonté le couloir, le bruit de mes pas étouffé par la moquette. Un silence de plomb. Je n’entendais
que les battements de mon cœur.
Pitié, faites qu’il ne me déteste pas.
Je me suis plantée devant sa porte en me mordant la lèvre. J’avais pris l’habitude d’entrer sans
prévenir, mais j’avais perdu ce privilège. J’ai fermé les yeux… et j’ai frappé.
Rien.
Et si la réception l’avait appelé pour le prévenir de mon arrivée ? Je voulais qu’il m’ouvre, qu’il
m’écoute. J’ai insisté. Pas de réponse. La gorge nouée, j’ai tapé le code et poussé la porte. L’appartement
était plongé dans le noir. Je suis passée près du canapé. J’ai imaginé Caleb affalé dessus, les pieds posés
sur la table basse.
Qu’est-ce qu’on mange, Red ?
La couverture avec laquelle il m’avait recouverte était à l’endroit où je l’avais laissée. On aurait dit
qu’il n’était pas rentré chez lui depuis la veille.
Je suis entrée dans la cuisine, repensant au dîner que Caleb m’avait préparé deux semaines plus tôt. Je
l’avais forcé à porter un tablier. Les frites étaient brûlées et trop salées, mais j’avais terminé mon
assiette. Ce soir-là, on avait révisé ensemble sur le balcon. Caleb s’ennuyait. Il s’était mis à jouer avec
mes cheveux, enroulant une mèche autour de son doigt. Je l’avais ignoré. Il avait tiré dessus.
— Aïe !
Il m’avait souri d’un air malicieux.
— Si tu clignes des yeux, c’est que tu as envie de moi.
Prise de court, mes paupières s’étaient closes.
— Je le savais ! Je savais que je t’excitais, Red.
J’avais éclaté de rire. Il m’avait attrapée par la taille et m’avait assise sur ses genoux. Sa bonne
humeur était contagieuse. J’étais incapable de me concentrer sur ma leçon. Caleb avait posé son menton
sur mon épaule.
— J’ai croisé une amie d’enfance l’autre jour. Je lui ai dit que j’avais une copine. Elle aimerait te
rencontrer.
Je n’avais pas réagi. Il avait fini par changer de sujet. Je ne le savais pas encore, mais il s’agissait de
Beatrice.
Avant même de frapper à la porte de sa chambre, j’ai su que Caleb n’était pas là. Je sentais sa
présence autant que son absence. Beatrice venait pourtant de sortir de chez lui. Caleb était peut-être
descendu au sous-sol pour récupérer sa voiture ? Dans ce cas, pourquoi était-elle partie en taxi ?
Déçue et confuse, je suis sortie et j’ai rejoint Cam sur le parking. Je lui avais envoyé un message pour
la prévenir.
— Il n’est pas là, ai-je dit en ouvrant la portière.
— Ne t’inquiète pas, Ver. Inspecteur Cam va le retrouver.
Décidément, j’adorais ma meilleure amie.
CHAPITRE 35

- VERONICA -

Cam a fait marche arrière à toute allure. Je me suis agrippée à ma poignée.


— Tu as essayé de l’appeler ?
— Non. Je… Je ne peux pas, Cam.
Elle a freiné d’un coup.
— Trouillarde. Donne-moi ton portable.
— Non ! Je ne veux pas l’appeler.
— Pourquoi ?
— J’ai peur de sa réaction. Et s’il ne répondait pas ? Et s’il me raccrochait au nez ?
— OK. Je suis sûre qu’il est chez Cameron. Ces deux-là sont quasiment mariés.
Cam est sortie du parking. La peur au ventre, j’ai regardé la ville défiler derrière la vitre.
— Ça va aller, Ver. Tu veux reconquérir Caleb ?
J’ai hoché la tête.
— Tu en es sûre ?
— Certaine.
— Dans ce cas, dis-lui ce que tu ressens. Tu ne risques rien. Ce mec serait prêt à mourir pour toi !
Pas si sûr. Et si ses sentiments avaient changé ? Après tout, je lui avais mené la vie dure. Je l’avais
repoussé pour me protéger, convaincue qu’il me ferait souffrir, comme tous les gens que j’avais croisés
dans ma vie. J’avais eu tort. Désormais, j’étais prête à changer pour lui.
Cam s’est garée devant chez Cameron.
— À toi de jouer, ma belle.
J’ai passé une main dans mes cheveux.
— Tu veux qu’on fasse un détour par chez moi ? Je pourrais te maquiller.
— Non, merci.
Elle a haussé les épaules.
— Comme tu veux, mais plus tu seras sexy, plus il y a de chance qu’il t’écoute. Les mecs sont des
créatures visuelles. Ils pensent avec leur bite. Ce n’est pas leur faute. C’est comme ça qu’ils ont été
conçus. Ver ? Tu m’écoutes ?
J’ai hoché la tête.
— Désolée. Je t’accompagnerais bien, mais le diable habite dans cette maison.
Elle m’a souri et m’a tapoté l’épaule. Je suis sortie de la voiture et j’ai remonté l’allée. J’avais les
jambes qui flageolaient. J’ai frappé à la porte. Cameron m’a ouvert, l’air surpris.
— Salut. Je suis…
— Veronica. Caleb m’a beaucoup parlé de toi.
Il m’a tendu la main.
— Cameron.
— Je sais. Cam m’attend dans la voiture.
Il a balayé la rue du regard.
— Tu veux entrer ?
— Caleb est là ?
— Tu l’as raté. Il est parti il y a deux heures.
— Est-ce qu’il t’a dit où il allait ?
— Il est parti dans le chalet de ses parents. Il a prévu d’y rester une semaine.
— Une semaine ?
Cameron a croisé les bras en s’appuyant contre le mur.
— Tu avais quelque chose à lui dire ?
— Oui… Je voulais qu’on s’explique.
Il m’a souri.
— Caleb tient beaucoup à toi. C’est la première fois que je le vois dans cet état.
Ma gorge s’est nouée. Cameron a baissé la tête, gêné.
— Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais il m’a raconté ce qui s’est passé hier
soir. Il s’est endormi chez Beatrice. Quand il s’est réveillé, elle était assise sur lui, en train de
l’embrasser.
J’étais horrifiée. Voilà ce que Caleb avait essayé de m’avouer, ce que j’avais refusé d’entendre.
Cameron a enfoui ses mains dans ses poches.
— Fais-moi confiance. Caleb ne ment jamais. Tu le connais. Tu sais que c’est un mec honnête.
— J’aimerais lui demander pardon.
— Il pense que tu ne veux plus de lui, que tu le détestes. Vous avez peut-être besoin d’un peu de temps
pour vous en remettre.
Il a poussé un soupir, comme s’il hésitait à me dire quelque chose.
— Elle est passée tout à l’heure.
— Qui ?
— Beatrice. Elle cherchait Caleb. Je ne lui ai pas dit où il était.
Il m’a fait un clin d’œil. Je lui ai souri. Il a cherché Cam du regard. Son visage s’est assombri.
— Est-ce que tu peux prendre soin d’elle… pour moi ?
J’ai hoché la tête. Je savais à quel point il aimait Cam, et à quel point il souffrait. On avait des points
communs, tous les deux. Nos démons nous empêchaient d’être avec la personne qu’on aimait. Cameron
n’avait pas encore réussi à les combattre. Moi, je commençais enfin à les affronter.
En entrant dans la voiture, j’ai tout raconté à Cam. Elle a poussé un soupir de frustration.
— Beatrice est comme l’esprit vengeur dans The Grudge. Tu sais, celui qui poursuit Sarah Michelle
Gellar ? Une vraie garce.
J’ai repensé au sourire de Caleb dans sa voiture. Tu aimes les films d’horreur ? J’ai secoué la tête,
balayant ce souvenir de mon esprit.
— Je peux te conduire au chalet, si tu veux. Tu n’as qu’à demander l’adresse à Cameron.
Mes yeux se sont emplis de larmes. J’étais passée d’une vie sans repères, sans amis, à une vie pleine
d’amour et de soutien, avec Cam et Caleb à mes côtés. Caleb, que j’étais sur le point de perdre.
J’ai éclaté en sanglots.
— Oh, Ver… Viens dans mes bras.
Elle m’a serrée fort contre elle.
— Il est parti, Cam… Il m’a quittée.
— Parce que tu lui as fait du mal. Tu l’as accusé à tort de t’avoir trompée. Bon, il n’aurait pas dû
s’endormir à côté de cette fille, je te l’accorde… Si tu avais fait la même chose avec un autre mec, il
aurait pété un plomb.
J’ai éclaté de rire à travers mes larmes.
— Tu es mon amie, Ver, et je t’adore. Je sais que tu as eu des problèmes avec tes parents, mais si tu les
laisses contrôler ta vie, tu vas le perdre pour de bon. Est-ce que tu préfères t’accrocher à ton passé ou à
Caleb ? Tu connais la devise « si tu l’aimes, libère-le » ? C’est une belle connerie. Moi, quand j’aime
quelqu’un, je le retiens à deux mains… et à deux pieds.
Elle avait raison. Caleb en valait la peine. Il a fallu que je le perde pour en prendre conscience.
— Tu lui as brisé le cœur, Ver. N’oublie pas que c’est un mec. Il a besoin de se changer les idées, de
boire des bières, de ne pas se doucher pendant plusieurs jours. Mais si tu veux le voir, je t’emmènerai
avec plaisir.
— Pas ce soir. J’attendrai son retour. Il reviendra, pas vrai ?
— Bien sûr qu’il reviendra ! Maintenant, il faut que tu sortes de ta déprime. J’ai envoyé un message à
Beth. Elle nous rejoint au café.
— Je préfère rentrer à la maison.
— Trop tard, chérie.
Dix minutes plus tard, les arômes de café et de pain chaud m’emplissaient les narines. Je n’avais pas
mangé depuis des heures. Le sandwich de Cam était encore dans mon sac.
Il n’y avait pas beaucoup de clients dans le petit café. Principalement des étudiants en train de papoter
et de réviser. Une vieille dame accompagnée d’un labrador essayait de s’asseoir sur une banquette. Elle
portait des lunettes de soleil et une canne blanche.
— Bonjour, ai-je dit en approchant. Laissez-moi vous aider. Votre robe est accrochée au siège.
— Oh ! Merci, jeune fille.
— Avec plaisir. Votre chien est adorable.
Je me suis accroupie pour le caresser.
— Elle s’appelle Catnip. C’est ma petite-fille qui l’a baptisée.
Cam a choisi une table devant la fenêtre. Je l’ai rejointe après m’être assurée que la dame était bien
installée.
— Beth n’est pas encore arrivée.
— Je vais commander à boire. Milk-shake au chocolat ?
— Oui. Avec de la crèm… Merde.
J’ai suivi son regard. Beatrice venait d’entrer avec Justin. Décidément, cette fille me suivait partout.
Cam s’est aussitôt levée.
— Viens. On va les espionner.
— Non ! Cam !
Elle m’a ignorée et s’est assise sur une banquette derrière eux. On n’entendait pas leur conversation,
mais Cam s’amusait à faire des grimaces dans leur dos. J’ai jeté un œil vers Beatrice. Elle tenait quelque
chose dans sa main. Un porte-clés.
Mon porte-clés. Celui que j’avais acheté à Caleb.
Sans réfléchir, je me suis levée et je me suis plantée devant leur table. Beatrice a écarquillé les yeux.
Elle n’avait pas l’air aussi calme que la dernière fois. Je discernais à la fois de la peur et de la folie dans
son regard. Elle m’a offert un grand sourire hypocrite.
— D’où vient ce porte-clés ?
— Salut, Veronica.
— Arrête de jouer la comédie. Tu me fatigues.
Justin a croisé les bras, tout sourire, comme s’il s’apprêtait à regarder un bon film. Ce mec me
répugnait.
— Réponds-moi, Beatrice.
Elle a levé les sourcils, l’air innocent.
— Tu parles de ce truc ? C’est Justin qui me l’a offert.
— Cadeau de la maison, a-t-il confirmé.
— Menteuse.
— Tu n’en as pas marre de m’accuser à tort ? C’est toi qui me fatigues, Veronica. J’essaie d’être
patiente et compréhensive, mais tu ne me facilites pas la tâche. Et maintenant, tu m’accuses de vol ?
— Ce n’est pas mieux que d’embrasser un mec pendant qu’il dort. Sans son consentement.
Elle est devenue toute blanche.
— Je t’ai vue sortir de chez Caleb tout à l’heure. Qu’est-ce que tu faisais là-bas ? Tu n’as pas encore
compris qu’il ne veut pas de toi ?
La colère dans ses yeux a trahi sa vraie nature. La jeune fille douce et vulnérable que j’avais
rencontrée avait disparu.
— Espèce de garce !
Elle s’est levée au moment où le serveur arrivait avec son café. Il l’a renversé sur sa robe blanche.
Cam a éclaté de rire. Furieuse, Beatrice s’est jetée sur moi en hurlant, visant mon visage avec ses ongles.
— C’est moi qu’il aime ! Moi !
Je l’ai repoussée. Elle a perdu l’équilibre et atterri sur les fesses, juste à côté de Catnip. La chienne
s’est mise à grogner. Beatrice avait l’air terrifiée.
— Si ce chien m’attaque, vous aurez affaire à moi ! a-t-elle crié à la vieille dame.
Cam s’est plantée à côté de moi, un bras posé sur mon épaule. La dame a caressé Catnip pour la
calmer. Beatrice s’est levée en se recoiffant. Ses extensions étaient en train de se détacher. Une mèche est
tombée par terre. Elle a donné un coup de pied dedans et m’a lancé un regard noir.
— Je vais porter plainte. C’est tout ce que tu mérites.
— Tu en es sûre ? C’est toi qui m’as agressée. Il y a des témoins partout.
Cam a pouffé de rire. Beatrice a tourné la tête vers elle.
— Fais la maligne, tiens. Tu es vulgaire et laide ! Je n’ai jamais compris ce que Cameron faisait avec
toi.
Cam a écarquillé les yeux, feignant la douleur.
— Oh ! Tu m’as touchée en plein cœur ! Ah, non… Tu sais quoi ? Je m’en fous.
Frustrée, Beatrice a croisé le regard de Justin. Il a poussé un soupir en se levant et s’est planté devant
moi, l’air menaçant.
— Tu veux que je te fasse mal comme la dernière fois ? ai-je demandé. Cette fois, je viserai plus bas.
Il est devenu rouge de colère. Il a levé le poing, prêt à frapper, quand quelqu’un s’est interposé entre
nous. Theo. Beth m’a fait un clin d’œil. J’ai cru que j’allais imploser de bonheur. Mes amis étaient là
pour moi, pour me soutenir.
Theo n’a pas eu besoin de parler. Il s’est contenté de croiser ses bras musclés sur son torse. Justin a
levé les mains en l’air.
— Je n’ai rien fait…
— Dégage.
Justin a foncé vers la sortie. Beatrice l’a regardé partir, désemparée.
— Cette histoire n’est pas terminée, a-t-elle dit en attrapant son sac.
Cam et Beth m’ont serrée dans leurs bras. Theo m’a tapoté le dos. Moi, j’ai soupiré de soulagement.
CHAPITRE 36

- VERONICA -

Je n’ai pas vu Caleb pendant une semaine. Une semaine de torture. Une semaine de textos non envoyés
et d’appels avortés. Une semaine d’insomnies et de cauchemars. J’ai rêvé de lui toutes les nuits. Il me
manquait terriblement.
Beth, Theo et Damon sont passés me voir tous les jours. Damon faisait désormais partie de notre petit
groupe. Un matin, alors que je travaillais au garage, il est entré dans le bureau, en combinaison de travail,
et m’a tendu la clé d’une voiture. Surprise, j’ai attendu une explication. Il s’est contenté de me faire un
clin d’œil. C’est Cam qui a répondu à mes questions.
— Damon nous donne un coup de main chaque fois qu’il est en ville. J’avais dix ans quand je l’ai
rencontré. On était toutes amoureuses de lui. Le beau Français qui parlait anglais mieux que nous, comme
s’il avait appris la langue dans le dictionnaire. Il était adorable. Sa mère est canadienne. Quand son mari
est mort, elle a décidé de quitter la France et de revenir au Canada, chez sa sœur. Elle travaillait au
garage et Damon la rejoignait ici après l’école. On a grandi ensemble. Mon père le traite comme son fils.
Damon bouge beaucoup, mais il finit toujours par revenir.
À la maison, ai-je pensé.
— Il travaille aussi dans un bar. Le patron est un vieil ami. Je leur prête main-forte de temps en temps.
D’ailleurs, j’étais censée remplacer une serveuse cette semaine, mais j’ai un imprévu de dernière minute.
Est-ce que ça te dérangerait de me remplacer ?
— Moi ?
— Pourquoi pas ?
Elle a battu des cils pour m’amadouer.
— Tu n’auras pas à préparer les boissons, juste à servir les clients, prendre les commandes et faire la
plonge. S’il te plaît, Ver ! Je t’offrirai mon premier bébé licorne en échange.
J’ai accepté.

La dernière fois que j’avais mis les pieds dans un bar, c’était le soir où j’ai rencontré Caleb. Je m’en
souvenais comme si c’était hier : son regard, son assurance, sa surprise quand je l’ai rejeté…
Il fallait que j’arrête de penser à lui et que je me concentre sur mon travail. L’ambiance était
chaleureuse et les pourboires plus généreux que dans les bars où j’avais travaillé auparavant. Damon
était sur scène, planté sur un tabouret, la guitare en équilibre sur un genou. Il portait un borsalino noir, un
tee-shirt bleu foncé, un jean et des vieilles Converse. Ses bagues et son crucifix scintillaient sous les
projecteurs.
Un groupe de filles étaient collées à la scène, gloussant et chuchotant. J’ai levé les yeux au ciel. Damon
m’a fait un clin d’œil. Il s’est mis à chanter Here Without You de 3 Doors Down. J’adorais cette chanson.
Je me suis retournée pour prendre la commande d’un groupe qui venait d’arriver. Mon regard s’est posé
sur la porte d’entrée.
J’ai manqué de trébucher.
Caleb était là. Il avait l’air triste, négligé, le visage mal rasé. Il portait une veste en jean par-dessus un
tee-shirt noir, qui dévoilait ses avant-bras musclés, et un sac à dos sur l’épaule. Il a passé une main dans
ses cheveux.
Regarde-moi. Je t’en prie.
Quand Caleb a croisé mon regard, tout espoir s’est envolé. On aurait dit qu’il ne me connaissait pas.
Ma respiration s’est emballée. Je me suis agrippée à la table la plus proche pour ne pas tomber. Crystal,
une des serveuses les plus gentilles du bar, s’est arrêtée à mes côtés.
— Ça va, ma belle ?
J’ai hoché la tête.
— Il y a un groupe qui t’attend table 6. Tu veux que je m’en occupe ?
— Ça va aller. Merci, Crystal.
— Appelle-moi si tu as besoin d’aide.
Caleb s’est assis avec eux. J’ai retenu mes larmes et j’ai marché jusqu’à leur table. Tu es forte. Tu
peux le faire.
— Bonsoir, je m’appelle Veronica et je suis votre serveuse ce soir. Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?
Une fille a murmuré quelque chose à l’oreille du garçon assis à côté de Caleb. Il lui a souri et s’est
levé, lui offrant sa place. Elle lui a fait un clin d’œil en se collant à Caleb. Il ne lui a pas prêté attention.
Il avait les bras croisés sur la table, les yeux rivés sur sa montre. Il n’avait pas enlevé ses gants de moto.
Il serrait les poings. Je savais qu’il se retenait de croiser mon regard.
— Hé ! Salut, beauté.
J’ai tourné la tête, reconnaissant la voix détestable de Justin. Il venait d’entrer et se dirigeait vers nous.
— Regarde, Caleb ! Ton ex est là !
Caleb s’est levé d’un coup, l’air menaçant.
— Ta gueule, Justin.
Tout le monde s’est tu. Il a poussé un soupir et a foncé vers la sortie. Bouleversée, je me suis excusée,
j’ai enlevé mon tablier et j’ai couru derrière le bar. J’ai dit à Crystal que j’avais besoin d’air et je lui ai
demandé de s’occuper de la table 6. Je me suis précipitée vers la sortie du fond, une main sur ma bouche
pour me retenir de hurler. Dehors, je me suis assise par terre… et j’ai pleuré.
La porte s’est ouverte derrière moi. Damon s’est assis et a passé un bras sur mes épaules. J’ai respiré
profondément pour me calmer, m’essuyant les joues du revers de la main.
— Il… Il était là.
— Je sais. Je l’ai vu.
— Il me déteste.
J’ai levé la tête. Caleb était en train de traverser le parking, en direction de sa moto. Il s’est arrêté à
mi-chemin et s’est retourné, comme s’il avait senti ma présence. Son regard s’est attardé sur Damon. Il a
fait demi-tour. Je me suis levée pour le rejoindre.
— Caleb…
— Tu t’amuses bien ?
— Quoi ? Non…
J’avais envie de me jeter dans ses bras, de le supplier de me pardonner, mais sa froideur m’a
désemparée.
— Bonne soirée, Veronica.
Je l’ai regardé monter sur sa moto, enfiler son casque, faire rugir le moteur. Il est resté immobile un
instant, comme s’il attendait quelque chose… puis il est parti.
J’ai éclaté en sanglots.

Quelqu’un a frappé à ma porte. Je me suis blottie sous ma couverture.


— Je peux entrer ? Je sais que tu es réveillée.
C’était Damon. Il a entrouvert la porte.
— Je t’apporte un chocolat chaud. Cam a dit que si tu ne le buvais pas, elle en viendrait aux mains.
J’ai poussé un soupir en m’asseyant sur le lit. Il s’est assis par terre et m’a tendu ma tasse.
— Merci.
Le lait était brûlant. J’en ai quand même bu une gorgée. Damon m’a regardée comme si j’étais folle.
— Tu ne souffles pas dessus ?
— Je déteste le lait tiède.
— Tu ne te brûles pas la langue ?
— Un peu, mais ça en vaut la peine.
Il a hoché la tête et m’a dévisagée avec ses grands yeux bleus.
— Je suis désolé pour ce qui s’est passé ce soir.
J’ai baissé la tête. Chaque fois que je repensais à Caleb, j’avais envie de hurler.
— Ne te sens pas coupable, petit ange. Je sais qu’il ne t’a pas trompée, mais je comprends pourquoi tu
l’as quitté. Tu as eu raison d’exprimer ta colère. Il ne faut pas cacher ses émotions par peur de perdre
l’autre. Crois-moi, je sais de quoi je parle. Si tu l’avais fait, tu aurais fini par le détester et c’est ce qui
aurait détruit votre histoire.
Il a soufflé sur son chocolat chaud.
— On a tous des peurs enfouies au plus profond de nous. Ce qui compte, ce ne sont pas nos erreurs,
mais la façon dont on se relève après une chute.
J’ai fermé les yeux. Il avait raison.
— Ignore les gens qui te jugent sans te connaître, petit ange. Ne les écoute pas. Ce sont des hypocrites.
Leur esprit est voilé par leurs propres peurs.
Il faisait référence aux étudiants et aux coéquipiers de Caleb qui parlaient de moi dans mon dos. Ils
avaient appris ce qui s’était passé entre nous et me reprochaient sa disparition. Ils me fusillaient du
regard dans les couloirs et baissaient la voix quand ils me croisaient.
Damon s’est agenouillé devant le lit, glissant une mèche de cheveux derrière mon oreille.
— Je sais que tu t’en veux de lui avoir fait du mal, mais ne baisse pas les bras. N’oublie pas tous les
beaux moments que vous avez vécus ensemble. Lockhart souffre, et il s’est peut-être fait une fausse idée
après nous avoir vus tous les deux, mais rien n’est perdu. Si tu veux, je peux aller lui parler… mais c’est
de toi dont il a besoin.
Il s’est dirigé vers la porte.
— Bonne nuit, petit ange. Fais de beaux rêves.
CHAPITRE 37

- VERONICA -

J’ai cligné des yeux, éblouie par le soleil. Le ciel était bleu, parsemé de petits nuages cotonneux. Je
sentais l’herbe verte et le sol froid sous mon dos. J’ai poussé un soupir, fermé les yeux. Quelqu’un s’est
installé à côté de moi.
— Salut, Red.
J’ai tourné la tête.
— Caleb ?
Il s’est allongé dans l’herbe, l’air malicieux. Ses cheveux dorés scintillaient sous le soleil. Le vent
s’est levé, faisant danser une mèche devant ses yeux.
— Tu es là.
— Je ne suis jamais parti.
Il a posé une main sur la mienne et m’a léché la joue. Le nez. Le menton… Hein ?
— Ouaf ! Ouaf ! Ouaf !
— Non, Burp ! On ne réveille pas les gens en les léchant ! Surtout les jolies filles qu’on ne connaît
pas !
Damon ? J’ai pris conscience d’un poids qui me clouait au lit. J’ai ouvert les yeux. Un labrador blanc
était en train de me lécher le visage.
— Ça suffit, Burp !
Le chien a disparu. J’ai essuyé la bave de mes joues en m’asseyant. Damon était rouge de honte.
— Désolé, Veronica. Je te présente Burp, le chien de ma mère. Il sait ouvrir les portes et il adore
réveiller les gens le matin. C’est son truc. Il vient de réveiller Cam.
J’ai entendu des tintements de casseroles et des insultes s’échapper de la cuisine. Cam détestait qu’on
la réveille avant l’heure.
— Ma mère a préparé des croissants. Elle a insisté pour que je vous en apporte. Encore désolé pour
Burp. Je vais m’éclipser avant que Cam se venge sur moi.
— Merci, Damon. Ravie de t’avoir rencontré, Burp.
Le labrador a aboyé en entendant son nom.
— Appelle-moi si tu as besoin, OK ? Allez, Burp. On y va.
Damon a traîné le chien hors de la chambre. Je me suis rallongée en soupirant. J’avais encore rêvé de
Caleb. Il fallait que je lui parle. Aujourd’hui. Je me suis levée, attirée par les arômes de café et de
croissants chauds qui émanaient de la cuisine. Cam était en train de se servir une tasse.
— Salut, Cam.
Je ne m’attendais pas à une réponse. Au saut du lit, son seul moyen de communication était le
grognement et le monosyllabe. J’ai attrapé une tasse et un sachet de thé vert dans le placard. Elle a
marché jusqu’à l’évier, les yeux rivés sur la rue.
— J’ai rencontré Burp, ai-je dit en remplissant ma tasse d’eau chaude.
— Mmm.
— Comment sont-ils entrés dans l’appartement ?
— Damon sait où je cache les clés.
— Ah bon ?
Leurs histoires ne me regardaient pas, mais j’avais besoin de me concentrer sur autre chose que Caleb.
Sinon, je deviendrais folle. Cam a dévoré un croissant en gémissant de plaisir.
— Les croissants d’Antoinette sont les meilleurs. Goûte.
— Non, merci. Je n’ai pas faim.
— Ne me dis pas que tu as perdu l’appétit ? Tu as besoin de forces, surtout aujourd’hui. Tu as un
examen ce soir, pas vrai ? Tu es prête ?
— Je comptais réviser ce matin.
Elle a sorti un paquet de Pop-Tarts du placard et en a glissé deux dans le micro-ondes.
— Si tu le rates, tu n’auras qu’à devenir strip-teaseuse. Moi, je serai ton mac. Je te trouverai un nom.
Laisse-moi réfléchir… Lolita ? Felicia ?
Je n’ai pas répondu. Je n’avais pas la tête à rire. Elle a ouvert la porte du micro-ondes deux secondes
avant la fin. Elle détestait quand il bipait. Surprise par mon silence, elle s’est tournée vers moi, l’air
inquiète.
— Ça va, Ver ?
— Oui, ne t’en fais pas pour moi. On se voit plus tard, OK ?
Je lui ai souri pour la rassurer et je me suis enfermée dans ma chambre. J’ai essayé de réviser pendant
deux heures, mais j’étais incapable de me concentrer. J’ai foncé sous la douche, je me suis séché les
cheveux et j’ai pris le temps de me maquiller. Poudre, mascara et gloss. J’ai enfilé un débardeur rouge et
un jean moulant.
J’irais chez Caleb et je l’attendrais devant son appartement. Il était 13 heures. Caleb avait cours
jusqu’à 14 heures. J’avais le temps d’arriver avant lui.
Qu’il m’aime encore ou pas, je voulais lui montrer à quel point il me manquait.

J’ai frappé à la porte, au cas où il serait rentré plus tôt. Pas de réponse. Je me suis assise contre le mur
et je l’ai attendu dans le couloir. Une heure s’est écoulée. Deux, trois, quatre. Aucun signe de Caleb.
J’avais envie de pleurer. J’aurais pu l’appeler, lui envoyer un message… mais j’en étais incapable.
J’avais envie de l’affronter en personne. De voir son visage.
L’écran de l’ascenseur s’est enfin allumé. J’ai retenu mon souffle. Les portes se sont ouvertes. Caleb
était appuyé contre le mur, les yeux rivés sur le plafond. Il avait l’air épuisé. J’avais envie de me jeter
dans ses bras. Il a plongé son regard dans le mien et a remonté le couloir d’un pas déterminé. Il s’est
arrêté à un mètre de moi. J’étais paralysée par l’émotion.
— Red ?
J’ai éclaté en sanglots. Il m’a secoué l’épaule.
— Mademoiselle ? Est-ce que ça va ?
J’ai ouvert les yeux. Pablo était accroupi devant moi, l’air inquiet. J’avais encore été victime d’un
rêve.
— Qu’est-ce que vous faites dans le couloir ?
Je ne pouvais pas lui dire que je ne vivais plus ici, ou il me mettrait dehors.
— J’attends Caleb.
Il a hoché la tête et s’est dirigé vers l’ascenseur en marmonnant. Il était tard. J’allais rater mon examen.
Je me suis levée et j’ai pris le bus. À la fac, j’ai monté les étages en courant. Je me suis arrêtée à
quelques mètres de la salle.
Caleb était planté devant moi, en train de boire à la fontaine à eau. Cette fois, ce n’était pas un rêve. Il
portait son sweat-shirt rouge. Des gouttes de sueur dégoulinaient le long de ses bras sculptés.
La douleur dans ses yeux m’a brisé le cœur.
Pardonne-moi, Caleb.
Mon professeur est sorti dans le couloir.
— Je ferme les portes dans dix secondes, mademoiselle Strafford.
Je suis restée immobile, le souffle coupé.
Caleb m’a tourné le dos.
Comme si je n’existais pas.

Je suis sortie de la salle sans savoir si j’avais réussi mon examen. Je m’étais retenue de pleurer
pendant trois heures. Je me demandais si Caleb était encore là. Je me suis dirigée vers la salle de sport,
au sous-sol du bâtiment. Il faisait nuit. Le couloir était froid et silencieux. Le bruit de mes pas résonnait
entre les murs.
J’étais tellement perdue dans mes pensées que je n’ai pas remarqué les deux mecs qui me suivaient. Je
me suis retournée, leur lançant un regard noir.
— Qu’est-ce que vous voulez ?
Ils se sont arrêtés net, visiblement surpris par ma réaction. L’un d’eux était grand et élancé, l’autre petit
et musclé. Pas la peine de courir. Ils me rattraperaient. J’ai glissé une main dans ma poche, saisissant mon
couteau. Le plus petit m’a souri en me tendant un morceau de papier.
— Appelle-moi, bébé.
Ils m’ont tourné le dos. J’ai déplié le papier. C’était un numéro de téléphone, signé Christian. Confuse,
je l’ai jeté à la poubelle.
La salle de sport était vide. Caleb était sûrement rentré chez lui. Il était 22 heures passées. Le vent
s’est levé tandis que je me dirigeais vers l’arrêt de bus. Il y avait trois personnes sous l’abri, en train de
fumer.
J’ai attendu dehors.
— Salut, beauté. Tu prends combien pour une nuit ?
— J’adore ta photo, mais j’aurais préféré te voir nue.
Était-ce vraiment à moi qu’ils parlaient ? Le bus est arrivé. Je les ai ignorés et je suis montée. Deux
heures plus tard, je suis entrée dans le hall de l’immeuble. Pablo a secoué la tête, l’air désolé.
— Il n’est pas rentré, mademoiselle.
— Merci, Pablo.
Je suis montée et j’ai repris ma place dans le couloir. Quand les portes de l’ascenseur se sont ouvertes,
mon cœur s’est emballé. Ce n’était pas Caleb, mais une femme élégante, vêtue d’une longue robe et d’un
manteau. Le claquement de ses talons était étouffé par la moquette. Elle avait les cheveux dorés, attachés
en chignon. La ressemblance était flagrante. Il s’agissait de la mère de Caleb.
Mon Dieu.
L’époque où Caleb voulait me présenter à sa mère était révolue, et je doutais qu’elle apprécie de
trouver une fille assise devant sa porte, attendant son fils comme une groupie.
Je me suis levée, j’ai baissé la tête en la croisant et je me suis dirigée vers l’ascenseur. Les portes se
sont fermées derrière moi. J’ai soupiré de soulagement. Mon portable s’est mis à sonner. Un message de
Damon.
Ton homme est de retour au bar. Viens le chercher.
Sans réfléchir, j’ai composé le numéro de ma meilleure amie.
— Cam ? J’ai besoin de ton aide.
CHAPITRE 38

- VERONICA -

Cam a étalé ses armes sur le meuble de la salle de bains : fards à paupières, pinceaux, rouges à lèvres,
poudres et autres accessoires, alignés comme des soldats.
— Ferme les yeux et laisse-moi faire, a-t-elle dit en se retroussant les manches. Je vais te rendre
encore plus irrésistible que Cendrillon le soir du bal. Lockhart va tomber à genoux. Je l’entends déjà te
supplier.
Elle a mis de la musique pour me détendre et m’a enduite de crème et de fond de teint.
— Fais simple, Cam.
Elle a éclaté de rire.
— Tu plaisantes ? Je suis ceinture noire de maquillage. Quand tu verras le résultat, tu vénéreras le sol
sur lequel je marche. Comme Cameron, le jour où il réalisera son erreur.
Elle a continué à me maquiller en fredonnant, puis elle a posé les mains sur le dossier de la chaise.
— Prête ? Un, deux, trois.
Elle m’a tournée face au miroir. J’ai cligné des yeux devant mon reflet. J’étais belle. Je me sentais
belle.
— Alors ?
— Tu es une magicienne.
— Je sais. Je suis Cat Woman. Mon fouet à moi, c’est ma trousse de maquillage. Maintenant, enfile ta
robe et va conquérir ton homme.
— Merci, Cam.
Je l’ai serrée dans mes bras.
— Je suis fière de toi, Ver. Et n’oublie pas le trio gagnant : mordille ta lèvre, bat des cils et passe une
main dans tes cheveux. Compris ?
— Compris, maître.
— Parfait. Allons-y.

Le bar était sombre. La musique m’agressait les tympans et les projecteurs m’éblouissaient. Une odeur
de boissons sucrées flottait dans l’air. Je portais ma robe rouge et mes talons rouges, comme le soir de
notre rencontre. Le soir où Caleb m’a sauvée. Cette fois, c’était à mon tour.
Il était assis avec le même groupe que la veille, encadré par deux filles. L’une d’elles a placé une main
sur son épaule.
Ne le touche pas !
Il portait un tee-shirt blanc sous une veste en cuir noire. Il n’avait pas l’air de s’amuser, ni de se
soucier de ce qui l’entourait. Il était focalisé sur son verre. Peut-être qu’il partirait bientôt.
Ne t’en va pas.
Pas encore.
Pas sans moi.
Quand la blonde s’est collée à lui, la jalousie a pris le dessus sur mes émotions. Je n’aimais pas me
faire remarquer. J’étais plutôt du genre à partir en courant quand des étrangers me prêtaient attention.
Cette fois, je ne fuirais pas.
La musique a changé. Blind Heart de Cazette. J’ai rejoint la piste. J’ai dansé en fermant les yeux,
imaginant ceux de Caleb posés sur moi. J’ai ignoré le monde qui m’entourait et je me suis concentrée sur
lui. D’abord surpris, il s’est redressé, m’observant avec intérêt. J’ai glissé une main sur ma nuque,
secouant mes cheveux, balançant les hanches. La blonde a essayé d’attirer son attention.
Ne le touche pas !
Je me suis dirigée vers sa table. Il s’est levé et m’a rejointe à mi-chemin. Comme le soir de notre
rencontre, j’ai enroulé mes bras autour de son cou. Ses yeux verts pétillaient, aussi beaux que dans mes
rêves. Il a placé ses mains sur mes hanches. Je sentais son corps ferme contre le mien, son odeur
masculine. Mon cœur battait à toute allure.
— Salut, bébé, ai-je murmuré, comme ce soir-là.
Il m’a dévisagée avec son regard sombre.
— Où étais-tu ? J’ai passé ma vie à te chercher.
Une larme a dévalé ma joue.
— Tu n’as pas oublié ?
— Je m’en souviens comme si c’était hier.
Une boule s’est formée dans ma gorge, m’empêchant de parler.
— Crêpes ? a-t-il murmuré.
— Crêpes.
CHAPITRE 39

- VERONICA -

On était de retour à la plage. Elle était déserte, comme si elle nous avait attendus toute la journée. On
s’est allongés sur le sable, sur la même couverture que la dernière fois. À l’époque, Caleb m’aurait prise
par la main.
Pas ce soir.
Il a fermé les yeux. Le vent a fait danser ses cheveux. Je mourais d’envie de les toucher.
— Tu me manques, Caleb.
Pas de réponse. Il m’en voulait encore. Je lui devais une explication. Il était temps de mettre des mots
sur ce que je ressentais. J’ai respiré profondément, et je me suis lancée.
— J’ai passé ma vie à me battre pour obtenir ce que je voulais. Très tôt, il a fallu que je sois forte. Je
n’avais pas le choix.
J’ai levé la tête vers le ciel, admirant la demi-lune et les étoiles qui scintillaient comme des diamants.
C’était sublime, paisible. Le bruit des vagues nous berçait. Pourtant, au fond de moi, un orage grondait.
— Les gens sont égoïstes. Je l’ai appris à mes dépens. Au fil du temps, je me suis renfermée sur moi-
même. Jusqu’à ce que je te rencontre, Caleb. Avec toi, j’avais envie de choses que je ne m’étais jamais
permises. J’ai pris peur. Je ne te faisais pas confiance. Je ne voulais pas te faire confiance. Chaque fois
que je me laissais aller, j’avais envie de fuir.
— Pourquoi ?
— Parce que l’espoir me faisait souffrir. Comment un garçon comme toi pouvait être attiré par une fille
comme moi ? C’était absurde. Tout ce que je possédais, c’était un passé douloureux et un cœur brisé. Les
murs que j’avais bâtis autour de moi étaient impossibles à démolir. Pourtant, tu as réussi à t’immiscer à
travers les fissures. Personne n’y était jamais parvenu. Personne n’est resté assez longtemps pour essayer.
Une larme a dévalé ma joue. J’ai enroulé mes bras autour de mes genoux.
— Je doutais de tes sentiments, Caleb. J’étais terrifiée. J’attendais que tu me déçoives, comme les
autres. J’avais peur que tu t’ennuies, que tu me quittes. Mon père passait son temps à me dire que tout
était ma faute… J’ai fini par le croire.
J’ai ravalé un sanglot. Je ne voulais pas parler de mon père. Je ne savais même pas pourquoi je
pensais à lui.
— Il avait tort, Red. Si je le pouvais, je te vengerais. Crois-moi.
J’ai reconnu la colère dans sa voix. La tendresse dans son regard m’a donné envie de pleurer.
— Tu n’imagines pas ce que j’ai ressenti quand tu m’as quitté. Tu m’as détruit, Red. J’ai toujours eu de
la colère au fond de moi, mais quand je suis à tes côtés, elle s’estompe. Chaque fois que tu me brises le
cœur, tu recolles aussi les morceaux, et j’en ressors grandi.
Il a posé une main sur ma joue.
— Détruis-moi, Red.
J’ai éclaté en sanglots et je me suis jetée dans ses bras. Il m’a serrée tellement fort que j’arrivais à
peine à respirer.
— Excuse-moi, Caleb. Je ne pensais pas toutes les horreurs que je t’ai dites. J’essayais juste de me
protéger. J’ai été égoïste et lâche. J’avais trop peur de souffrir. Pardonne-moi.
— Je ne t’en veux pas, Red. J’aurais dû rester à la maison ce soir-là. Je n’aurais pas dû ramener
Beatrice chez elle.
— Ce n’est pas ta faute. Tu as agi en tant qu’ami.
— Je me suis endormi à côté d’elle et j’ai rêvé que je t’embrassais. Quand je me suis réveillé, elle
était assise sur moi. Elle avait enlevé son haut. Je l’ai repoussée et je suis rentré à la maison. Je ne
voulais pas d’elle. Il n’y a que toi qui comptes, Red.
Il a déposé un baiser sur mon front. J’ai blotti ma joue contre son épaule.
— Mes parents ne se sont jamais fait confiance. Je ne voulais pas qu’il nous arrive la même chose.
Quand je t’ai demandé si tu avais confiance en moi, je connaissais déjà la réponse.
— Caleb…
— J’ai laissé ma douleur et ma fierté me contrôler. Je voulais que tu te battes pour moi. Alors, j’ai
attendu. Tu n’imagines pas à quel point c’était difficile. J’ai cru devenir fou. Je te veux tout entière, Red.
Tu es la personne qui compte le plus dans ma vie. Quand tu es partie, je me suis senti vide, perdu,
désorienté. Comme si tu avais arraché une partie de mon cœur et que tu l’avais emportée avec toi. Tout
me manque. Ton corps, ton souffle, les battements de ton cœur, ta main dans la mienne… ta fragilité, que
tu caches à tout le monde sauf à moi. Dès l’instant où je t’ai vue sur cette piste, tu m’as capturé. Corps et
âme. Je t’appartiens, Red.
— Caleb…
— Si je pouvais choisir ma cage, je te choisirais toi. Je suis prisonnier, condamné à t’aimer toute ma
vie.
Il a encadré mon visage avec ses mains.
— Je t’aime, Red.
Son aveu a agi comme un déclic. Le dernier morceau du puzzle avait enfin trouvé sa place.
— Je t’aime aussi, Caleb.
Il a écrasé sa bouche sur le mienne et m’a embrassée sous le clair de lune.
CHAPITRE 40

- CALEB -

On n’a pas fermé l’œil de la nuit. J’avais Red dans mes bras, et c’était tout ce qui comptait. Son
absence avait creusé un trou dans ma poitrine. Son retour l’a comblé, comme s’il n’avait jamais existé.
On a laissé nos chaussures dans le coffre de la voiture et on a regardé le soleil se lever. Ensuite, on
s’est promenés le long de la plage. Je l’ai attirée contre moi, mon bras sur ses épaules et le sien autour de
ma taille.
— Arrête, Caleb.
— Quoi ?
— Arrête de me regarder.
— Désolé. C’est plus fort que moi.
Elle a fixé ses pieds en rougissant. Je savais qu’elle se faisait encore du souci pour nous, qu’elle
craignait les dégâts que cette histoire avait causés. En vérité, je lui avais pardonné avant même qu’elle
me le demande.
J’ai posé ma bouche contre la sienne. Ses lèvres étaient douces et chaudes. Elle a soupiré de plaisir. Je
n’ai pas pu m’empêcher de sourire.
— Je t’ai manqué ?
— Bien sûr, Caleb.
— Tu étais sexy hier soir, sur la piste.
Elle a levé les yeux au ciel.
— Sérieusement, où as-tu appris à danser comme ça ?
— Ma mère travaillait dans un studio de danse. J’avais droit à des cours gratuits. Je rêvais de devenir
danseuse, mais elle n’avait pas les moyens de m’envoyer dans une bonne école. Peu importe. J’ai
d’autres rêves, maintenant.
Elle a fermé les yeux. Sa voix était teintée de tristesse. Je n’avais qu’une envie : la rendre heureuse.
— Si on a besoin d’argent un jour, je deviendrai strip-teaseur. Je porterai un de ces costumes qui
s’enlève d’un coup. Tu m’apprendras à danser, OK ?
Elle a éclaté de rire, un rire léger et insouciant. Devant nous, l’horizon était rouge, orange et doré. Une
mouette a plongé pour attraper un poisson.
— Tu es prêt pour tes examens ? m’a demandé Red.
— Je pense que oui. J’ai bien travaillé cette année. Une fois mon diplôme en poche, je chercherai un
boulot. Il faut que je gagne de l’argent pour notre mariage, la maison et les enfants.
Elle n’a pas réagi, mais elle n’avait pas l’air horrifiée comme la dernière fois que j’avais parlé de
mariage. Elle m’a même souri.
— J’ai encore un an d’études devant moi.
— Je sais, Red. Je t’attendrai.
Elle s’est mordue la lèvre, comme pour se retenir de pleurer.
— Je pensais que tu ne m’appellerais plus jamais comme ça.
— Bien sûr que si. Tu seras toujours ma Red.
Elle m’a serré la main.
— Je suis passée chez toi hier.
— C’est vrai ?
Elle a hoché la tête.
— Je t’ai attendu dans le couloir.
— Comme une groupie ? C’est mignon.
— Ne fais pas le malin. J’ai croisé ta mère. Je suis partie avant qu’elle me pose des questions.
Ma mère. Il était grand temps que je la lui présente. Ensuite, Red reviendrait vivre à la maison.
Officiellement, cette fois.
— Je vais t’inviter à dîner avec elle et mon frère, ai-je décidé. Ce week-end, si tu es disponible.
Elle a écarquillé les yeux.
— S’il te plaît, Red. Fais-le pour moi.
J’ai souri pour l’amadouer. Mes fossettes avaient le don de la faire craquer. Elle a poussé un soupir.
— Comme tu veux.
— J’ai appelé ma mère quand j’étais au chalet. Je lui ai parlé de toi. Je lui ai dit que tu étais
complètement obsédée et que…
— Caleb !
Elle m’a frappé le bras. J’ai éclaté de rire.
— Je plaisante ! Je lui ai dit que j’avais rencontré la femme de ma vie. Je t’aime, Red.
Ses yeux se sont assombris un instant, puis elle a placé sa joue contre mon torse, sur mon cœur. Les
actes en disent plus que les mots, ai-je pensé en souriant. Elle avait déjà fait ce geste, sans que je sache
ce qu’il signifiait. Désormais, je comprenais.
Et c’était plus que suffisant.
CHAPITRE 41

- CALEB -

— Tu as faim ? ai-je demandé en ouvrant sa portière.


J’ai glissé ses cheveux derrière ses oreilles, effleurant son visage avec mes doigts. Red a fermé les yeux.
Moi, j’avais faim d’elle, mais je me suis retenu de le dire à voix haute. On venait à peine de se remettre
ensemble. Je ne voulais pas lui faire peur.
— Quelle heure est-il ? a-t-elle murmuré.
J’ai jeté un coup d’œil à ma montre.
— L’heure de petit-déjeuner avec Caleb.
Elle s’est mordu la lèvre pour se retenir de sourire.
— Il faut que j’aille en cours.
Sa voix était teintée de regrets. Elle préférait passer du temps avec moi que d’aller à la fac. On avait
été séparés trop longtemps. Une semaine interminable.
Le vent s’est levé. Elle a frissonné.
— Entre, Red.
J’ai fermé la portière derrière elle et j’ai pris place au volant. Elle s’est blottie dans la couverture.
— Tu as cours à quelle heure ?
— Dix heures.
— On a un peu de temps devant nous.
Je l’ai serrée dans mes bras, frottant son dos et soufflant contre son cou pour la réchauffer.
— Ça va mieux ?
— Continue, a-t-elle murmuré.
— Tu as toujours froid ?
— Oui.
J’ai reculé mon siège, je l’ai attrapée par la taille et je l’ai assise sur moi.
— Tu es sublime, Red.
J’ai suivi le tracé de sa bouche du bout des doigts. Elle a fermé les yeux et entrouvert les lèvres. Son
souffle chaud m’a caressé la peau.
— J’ai envie de te dévorer.
Ses paupières se sont soulevées, voilées par le même désir que le mien.
— Caleb…
Elle a pressé son corps contre le mien. J’ai enfoui mes mains dans ses cheveux, écrasant ma bouche
contre la sienne. Affamé, j’ai accepté ce qu’elle m’offrait. Ses gémissements m’excitaient. Mon désir me
consumait. J’avais besoin d’elle. Désespérément. Chaque pensée, chaque sensation, chaque soupir lui
appartenaient.
Elle a enfoncé ses ongles dans mon dos. Ses jambes se sont resserrées autour de mes hanches. Elle a
fermé les yeux tandis que j’explorais son corps. J’ai remonté les mains sur ses cuisses. J’avais envie de
la toucher là où je n’avais pas encore osé m’aventurer. Mais pas ici. Pas maintenant.
Quand elle m’a léché le cou, j’ai tenté de me ressaisir. Il fallait qu’on arrête, sinon je lui ferais l’amour
dans cette voiture. Ce n’était pas ce que j’avais prévu pour notre première fois.
J’ai plaqué mon front contre le sien, le temps qu’on reprenne notre souffle. Ses épaules montaient et
descendaient, en rythme avec sa poitrine.
— Crêpes ?
Red a plongé son regard dans le mien. Encore excitée, elle a hoché la tête.
— Crêpes.
CHAPITRE 42

- CALEB -

J’ai ouvert la vitre pour me rafraîchir les idées. Le parfum de Red emplissait la voiture, m’enivrait, me
noyait.
Pense à autre chose.
— Tu as déjà mangé au Anna’s ?
— Bien sûr ! J’adore ce café.
Si j’avais su qu’elle l’aimait autant, je l’y aurais emmenée plus tôt.
— Super. Je te déposerai chez Cam plus tard. Je n’ai pas cours avant 13 heures. J’aurai le temps de
rentrer à la maison pour me doucher… enfin, sauf si tu veux te doucher avec moi.
Je ne plaisantais qu’à moitié. Je m’attendais à ce qu’elle éclate de rire ou qu’elle lève les yeux au ciel,
mais elle s’est contentée de regarder par la vitre, le sourire aux lèvres. Est-ce qu’elle en avait envie ?
Concentre-toi sur la route.
— Commençons par un café, Caleb.
— OK. Tu veux que je mette la radio ?
Qu’est-ce qui m’arrivait ? J’étais stressé. Ça ne me ressemblait pas. Red a posé sa main sur la mienne,
entrelaçant nos doigts sur le levier de vitesses. À ce moment précis, j’ai su que j’étais prêt à mourir pour
cette fille. C’était la femme de ma vie. J’étais le roi du monde. Jack Dawson n’avait qu’à bien se tenir.
— Caleb ? On vient de passer devant le Anna’s.
Mon cœur était sur le point d’imploser. Je ne savais plus où j’étais. Je ne me souvenais même pas de
mon nom.
— Tu as changé d’avis ?
— Non, Red. J’ai pris ma décision il y a longtemps. Le jour de notre rencontre.
Je savais qu’elle parlait du café, mais j’avais besoin de lui faire part de mes émotions. J’ai tourné à
l’intersection suivante et je me suis garé à l’arrière de l’immeuble. Red a tourné la tête vers moi.
— Je me souviens de la première fois que je t’ai vu. C’était à la fac.
— Qu’est-ce que je faisais ?
— Tu draguais trois filles.
J’ai souri.
— Tu es jalouse ?
— Pas du tout.
— Alors, pourquoi tu boudes ?
— Je ne boude pas !
— Si.
— Non.
— Si.
— Ça suffit, Caleb !
Elle est sortie de la voiture et s’est dirigée vers l’entrée. Je l’ai suivie comme un petit chien, le sourire
jusqu’aux oreilles. La salle était petite et cosy. Les murs étaient recouverts de vieux miroirs et de photos
de Paris en noir et blanc. Les tables et les chaises étaient en bois. Le menu était écrit à la craie sur un
tableau noir au-dessus du bar.
Red s’est arrêtée devant la vitrine de pâtisseries. On aurait dit une petite fille dans un magasin de
jouets. Après avoir commandé, on s’est installés à une table devant la fenêtre, qui donnait sur une ruelle
arborée. Je me suis assis à côté de Red. Elle avait les yeux qui pétillaient.
— Un jour, j’aurai mon propre café. Comme celui-là. Avec un coin livres pour que les gens puissent
bouquiner en buvant leur thé.
— Je serai ton premier client. Tu serviras des crêpes ?
— Bien sûr !
Elle a continué à parler. C’était la première fois qu’elle partageait ses rêves avec moi. Sa voix
m’hypnotisait. Elle était sublime.
— Caleb ? Tu m’écoutes ?
— Tu disais que tu m’aimais, c’est ça ?
Elle a levé les yeux au ciel. La serveuse a déposé nos assiettes devant nous. J’ai étalé du beurre sur
mes crêpes. Red a dévoré son croissant.
— Je ne savais pas que tu aimais les croissants. Je pensais que tu prendrais un pain à la cannelle.
— C’est ce que j’aurais commandé avant, mais Damon nous a fait goûter les croissants de sa mère hier
matin. C’est sa faute si je deviens accro.
La bouteille de sirop m’a échappé. Le liquide a noyé mes crêpes. Super. J’ai fixé mon assiette en
silence.
— Ça va, Caleb ?
— Qu’est-ce qu’il représente pour toi ?
— Qui ?
— Damon.
— Tu es jaloux ?
— Pire que jaloux.
Elle m’a souri, visiblement amusée par ma réaction. C’était plus fort que moi.
— Damon est un ami. Le soir où tu nous as vus devant le bar, il me consolait. Je me sentais mal après
notre rencontre.
— Tu as le droit d’être amie avec qui tu veux, Red.
— Encore heureux…
— Mais sache que je suis extrêmement jaloux, et que je suis tout à fait capable de lui briser le nez.
Elle a levé les yeux au ciel.
— C’est mon ami, Caleb. Rien de plus.
— Peut-être, mais tu ne sais pas ce qu’il ressent lui. Franchement, si tu as besoin d’une épaule pour
pleurer, je préfère que ce soit la mienne. Elle est disponible jour et nuit. Elle t’appartient. Je peux même
tatouer ton nom dessus, si tu veux.
Elle s’est blottie contre moi.
— Ne lui en veux pas, Caleb. Ce soir-là, je pensais que tu me haïssais. J’avais besoin de soutien.
— Jamais je ne te haïrai. Je veux passer ma vie avec toi, Red. Je t’aime. Je le répéterai jusqu’à ce que
tu t’y habitues. Sache que je le pense vraiment. Chaque mot.
— Je sais. Je t’aime aussi, Caleb.
CHAPITRE 43

- VERONICA -

Caleb s’est inséré dans la longue file de véhicules.


— Comment se passe la vie chez Cam ?
— Très bien.
— Pas trop bien, j’espère. Je veux que tu rentres à la maison.
Je me suis retenue de sourire. Caleb m’avait manqué. Maintenant que sa main était de retour dans la
mienne, je refusais de la lâcher. La veille, sur la plage, il avait reniflé mes cheveux, déposé un baiser sur
mon épaule, caressé mon bras… autant de petits gestes qui remplissaient mon cœur et m’émouvaient aux
larmes. Je les chérissais tous.
Je me suis tournée vers lui pour l’admirer. La vitre était entrouverte, le vent caressait ses cheveux.
Caleb avait la mâchoire carrée, les pommettes saillantes. J’avais envie de les tracer du bout des doigts…
— À quoi tu penses ? m’a-t-il demandé en se garant devant chez Cam.
J’avais envie de rester dans la voiture, dans notre petite bulle, mais il fallait aussi que j’affronte la
réalité. J’hésitais à lui parler de Beatrice, du fait qu’elle était passée chez lui sans qu’il le sache.
— Parle-moi, Red. Je ne veux pas qu’on revive la même chose. C’était l’enfer de vivre sans toi.
— Pour moi aussi.
— Alors, dis-moi ce qui ne va pas.
Je n’avais pas l’habitude de partager mes peurs et mes problèmes avec les autres, mais la semaine
passée loin de lui m’avait ouvert les yeux.
— À part ta mère et moi, qui connaît le code d’entrée de ton appartement ?
— Personne. Pourquoi ?
— La première fois que je suis passée chez toi, Beatrice sortait de l’ascenseur.
Caleb a poussé un grognement.
— Merde ! J’avais oublié. Je lui ai donné le code il y a longtemps. Il faut que je le change. Les mecs
de l’accueil la connaissent, ils ont dû la laisser monter.
Il a passé une main dans ses cheveux, frustré.
— Est-ce qu’elle t’a posé problème pendant mon absence ?
Je me suis mordu la lèvre. Devais-je tout lui avouer ?
— Tu es rentré chez toi depuis ton retour du chalet ?
— Oui.
— Est-ce qu’il manquait quelque chose ?
— Pas que je sache.
J’ai hoché la tête. Je lui parlerais du porte-clés plus tard. Il a ouvert sa portière et on est entrés chez
Cam.
— Tu me montres ta chambre ?
— Si tu veux.
Mon cœur s’est emballé. Je suis passé devant lui, respirant profondément en ouvrant la porte. Je me
suis dirigée vers le placard pour attraper des vêtements propres. Caleb a balayé la pièce du regard.
— Tu me manques, Red. Tes affaires, les odeurs de cuisine, ton beurre de cacahuète… Mon
appartement est différent quand tu n’es pas là. Trop vide.
Il s’est allongé sur le lit, les bras sous la nuque.
— Tu viens ?
— Non, Caleb. Il faut que je me prépare.
— Allez, juste cinq minutes ! J’ai quelques questions à te poser.
— Ah bon ?
— Je sais que tu me caches quelque chose. On va jouer aux Vingt Confessions, d’accord ?
— Qu’est-ce que c’est ?
— Un jeu. C’est comme les Vingt Questions, sauf qu’il s’agit de confessions.
— Et si je n’ai rien à te confier ?
— Viens, Red. Je ne vais pas te mordre.
Il s’est mis sur le côté et je me suis allongée dos contre lui. Il a enroulé un bras autour de ma taille,
posant sa main sur mon ventre et son menton sur mon épaule.
— Honneur aux dames.
— Non. C’est toi qui commences.
— OK. Le soir où je t’ai vue devant le bar, avec Damon, j’ai cru que tu étais passée à autre chose, que
vous étiez ensemble. J’ai attendu que tu me rattrapes. J’espérais que tu voulais toujours de moi…
— C’était le cas. Il n’y a que toi qui comptes, Caleb.
Son corps s’est détendu contre le mien.
— J’ai cru qu’il te retenait, qu’il t’empêchait de me rejoindre. J’ai hésité à lui foncer dessus avec ma
moto.
J’ai éclaté de rire.
— C’est tout l’inverse ! C’est Damon qui m’a envoyé un texto hier soir pour me dire que tu étais là.
— Dans ce cas, je n’écraserai que ses orteils. À ton tour.
Je me suis éclairci la voix.
— Quand tu m’as appelée par mon vrai prénom… tu m’as brisé le cœur. C’était la première fois que tu
m’appelais Veronica. C’était… triste.
— Ne sois pas triste, bébé. Tu seras toujours ma Red. Combien de fois es-tu venue à mon
appartement ?
— Joker ?
— J’en étais sûr ! Tu es accro à moi. Avoue-le, Red. Tu as créé un autel en mon honneur, pas vrai ?
J’ai éclaté de rire.
— Dans tes rêves.
— Sérieusement, tu es passée plus d’une fois ?
J’ai hoché la tête.
— Très bien. Je vais t’offrir une mèche de cheveux pour ta collection.
J’ai souri. J’hésitais encore à lui parler de Beatrice. Il m’a tirée par l’épaule pour me faire face.
— Qu’est-ce qui se passe, Red ? Je sens que quelque chose te tracasse.
— Je t’ai acheté un cadeau.
L’inquiétude sur son visage a fait place à un grand sourire.
— Le soir où tu as ramené Beatrice chez elle. À mon retour, je l’ai posé sur ta table de chevet.
Quelques jours plus tard, j’ai vu Beatrice sortir de chez toi. Ensuite, je suis allée boire un café avec Cam.
Beatrice est arrivée avec Justin. Elle avait ton cadeau dans la main…
Son regard s’est durci.
— Ce n’est rien, Caleb. Ce n’était qu’une babiole.
— Non ! C’est une chose d’envahir ma vie privée, mais c’en est une autre de voler mes affaires.
Surtout un cadeau de ta part. Je ne peux pas la laisser faire.
— C’est ce qu’elle cherche. Elle veut que tu ailles la voir pour en parler, pour rester en contact avec
toi. Elle se fiche que tu sois en colère. Cette fille est obsédée. N’y va pas, je t’en prie.
Il a serré les dents.
— Je ne te promets rien.
— C’est important pour moi.
Si cette histoire le mettait dans cet état, comment réagirait-il si je lui parlais de notre bagarre dans le
café ? J’ai posé les mains sur ses joues mal rasées et je l’ai embrassé.
— Ne te mets pas en colère, Caleb.
— Ce n’est pas contre toi.
— Je sais.
J’ai déposé des baisers sur ses joues jusqu’à ce qu’il se calme et m’embrasse à son tour.
— Je vais me doucher, d’accord ? Il y a du café dans la cuisine. Fais comme chez toi.
Il m’a attrapée par la taille, l’air joueur.
— Reste avec moi, Red. S’il te plaît !
Je me suis levée avant qu’il soit trop tard. Je ne pouvais pas me permettre d’être en retard. J’ai pris
mes affaires et je suis sortie de la chambre. Je me suis brossé les dents sous la douche pour gagner du
temps. Je me suis attaché les cheveux en chignon, j’ai enfilé un jean et un haut blanc en dentelle et je me
suis appliqué un peu de poudre et de gloss, essayant de camoufler les vestiges de la nuit blanche qu’on
venait de passer.
Le temps que je retourne dans la chambre, Caleb s’était endormi. Malgré la fatigue lisible sur son
visage, il était toujours aussi beau. Je l’ai embrassé sur le front et j’ai mis un réveil pour qu’il ait le
temps de rentrer chez lui avant ses cours. Je lui ai laissé un message sur un bout de papier, j’ai appelé un
taxi et je suis partie à la fac.

Je sortais de cours quand j’ai entendu de l’agitation à l’autre bout du couloir. J’ai cru reconnaître la
voix de Caleb. Je me suis dirigée vers la source des cris, qui s’échappaient d’une salle d’études.
Rien ne me préparait à la scène qui se déroulait devant moi. Caleb avait plaqué Justin contre le mur. Il
le tenait par la gorge. Justin n’arrivait plus à respirer. Caleb était blanc comme un linge, le regard noirci
par la colère.
— Tu es mort, mec.
CHAPITRE 44

- CALEB -

La sonnerie du réveil m’a tiré de mon rêve. Je me suis redressé sur le lit. J’avais encore rêvé de Red.
Pour une fois, la réalité était encore plus belle. J’avais retrouvé la femme de ma vie. Où était-elle
passée ? Combien de temps avais-je dormi ?
J’ai balayé la pièce du regard. Cette chambre était minuscule. Ses livres étaient empilés sur la table,
par terre et sur le rebord de la fenêtre. Quand je construirais notre maison, Red aurait droit à une
bibliothèque géante et à une cuisine dernier cri.
On a frappé à la porte.
— Red ?
— Désolé, don Juan. C’est Cam.
— Salut, Cam.
— Tu es tout nu ?
— Non. Tu peux entrer.
Elle a ouvert la porte.
— Vous n’avez pas fêté votre réconciliation ?
J’ai secoué la tête. Elle m’a regardé avec pitié.
— Moi qui pensais que tu étais un dieu du sexe. Je suis déçue, Lockhart.
J’ai éclaté de rire.
— Où est Red ?
— À la fac. Elle m’a demandé de te nourrir. Viens.
En me levant, j’ai trouvé un message de Red posé à côté du réveil. J’ai souri comme un idiot en le
lisant. Je l’ai glissé dans mon portefeuille en suivant Cam dans la cuisine. Elle a posé un paquet de
Cheerios et une brique de lait sur la table.
— Elle m’a dit de te préparer un petit déjeuner sain. C’est sain, les céréales. C’est plein de fibres.
J’ai éclaté de rire.
— Merci. J’adore les Cheerios.
Je me suis servi dans un bol. Cam s’est assise en face de moi.
— Tu veux un croissant ?
— Non, merci.
— Tu diras à Ver que j’ai accompli mon devoir ?
— Si tu veux. Dis-moi, qu’est-ce qui se passe entre elle et Damon ?
— Comment ça ?
— Tu sais de quoi je parle, Cam.
Elle a profité de mon moment d’inattention pour me voler mon bol et manger mes céréales.
— Du calme, Lockhart. Ils sont amis, rien de plus.
— Tu en es sûre ?
— Vous vous êtes réconciliés ou pas ?
— Ne me dis pas que tu n’es pas au courant. Les filles se racontent tout.
— On n’a pas encore eu le temps d’en parler.
— Je peux te poser quelques questions à son sujet ?
— Quel genre de questions ?
Il était temps d’user de mon charme pour lui tirer les vers du nez.
— Ce chemisier te va à ravir, Cam.
— Merci. J’aimerais le même en fuchsia.
— Si tu acceptes de me répondre, je t’en offre deux.
— Marché conclu ! Qu’est-ce que tu veux savoir ?
À la fin de notre interrogatoire, j’avais toutes les informations que je cherchais. J’ai promis de lui
offrir une carte Stella McCartney et deux chemisiers pour la remercier de sa coopération.
— Une dernière chose. Damon sait que Red est avec moi ?
Elle a levé les yeux au ciel.
— Bien sûr. Qu’est-ce que tu crois ?
— S’il essaie encore de l’attirer dans ses bras…
— Arrête, Caleb. Il n’a jamais essayé de la séduire. Damon n’est pas comme ça.
— Peut-être, mais c’est le seul mec avec qui Red s’entend et ça ne me rassure pas.
Cam s’est mordu la lèvre. J’ai froncé les sourcils.
— Quoi ?
— Elle ne t’a pas parlé de Theo ?
— Theo ?
Je me suis emparé de mon bol – désormais vide – et je l’ai rempli une seconde fois.
— C’est un ami. Ne panique pas, il est déjà pris. Au fait, est-ce que Ver t’a dit que Beatrice avait volé
ton porte-clés ?
— Son cadeau ? Oui, elle m’en a parlé. Je vais essayer de le récupérer.
— Bon courage. Cette fille est cinglée. Tu es au courant pour Justin ?
— Red m’a dit qu’il était au café avec Beatrice.
— C’est tout ?
— Pourquoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
Cam a baissé le regard, l’air grave.
— Caleb… Cet enfoiré voulait la frapper.

J’ai foncé jusqu’au campus. Je détestais la colère qui me consumait. Je savais qu’elle ne mènerait à
rien, mais ce que je venais d’apprendre était impardonnable. Un mec que je considérais comme mon ami
avait menacé Red en mon absence. J’étais furieux.
— Salut, mec ! a dit Amos en me rejoignant. Hé ! Ralentis ! J’ai un truc à te dire.
Pas maintenant.
— Écoute-moi, Caleb ! C’est à propos de ta copine.
Je me suis arrêté net.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Il m’a tendu un morceau de papier froissé.
— J’ai trouvé ça dans les vestiaires hier soir, après l’entraînement.
C’était une photo de Red en train de danser dans sa robe rouge, prise le soir où je l’ai rencontrée en
boîte. En dessous, quelqu’un avait écrit une liste de services sexuels et de tarifs.
— C’est la seule copie ?
— Aucune idée.
— Où est Justin ?
— Justin ? Tu penses que c’est lui ?
J’ai attrapé Amos par le col.
— Dis-moi où il est !
— Caleb !
Cameron s’est planté à côté de nous.
— Calme-toi, OK ? C’est notre dernière année, mec. Ne te fais pas exclure à cause de ces histoires.
— Je m’en fous. Personne n’a le droit de la toucher.
— Suis-moi. Je sais où est Justin.
On a remonté le couloir. Cameron est entré dans une salle d’études. Je lui ai emboîté le pas. Quand
Justin m’a vu entrer, ses yeux se sont écarquillés. Il a reculé d’un pas et regardé autour de lui, à la
recherche d’une issue.
Trop tard. J’allais le tuer.
— Caleb, c’est elle qui m’a cherché…
Je lui ai mis un coup de poing en pleine figure. Il est tombé en arrière. J’entendais des cris derrière
moi, mais je m’en fichais. Ce mec devait payer pour ce qu’il avait fait. Il était par terre, le nez en sang. Je
l’ai soulevé par le col et plaqué contre le mur, enroulant mes doigts autour de son cou.
— Tu es mort, mec.
Une main s’est posée sur mon épaule.
— Caleb.
C’était elle. Ma Red.
— Lâche-le. S’il te plaît.
Red était la seule personne à qui j’étais prêt à obéir. J’ai combattu ma colère et j’ai lâché Justin.

Quelqu’un a parlé de la bagarre à notre entraîneur. Il nous a convoqués dans le bureau du proviseur, où
je serais encore si ma mère n’avait pas appelé la fac. Enfin libre, j’ai rejoint Red devant ma voiture et on
a pris la route ensemble.
J’ai serré le poing qu’elle était en train de panser.
— Arrête de bouger, Caleb.
— Je vais bien. Ne t’inquiète pas pour moi.
— Tu n’es pas exclu ?
— Non, mais Justin est viré de l’équipe.
Je détestais me servir de mon nom et de ma mère pour me tirer d’affaire, mais j’étais content que Justin
soit viré de l’équipe de basket. Je savais à quel point cette place comptait pour lui. Elle lui donnait un
statut, de l’importance. Justin avait encore un an d’études devant lui. Il allait en payer les frais.
— Ce n’est pas la première fois qu’il fait un truc pareil.
— Ah bon ?
— Il paraît qu’il a envoyé une photo nue de son ex à tout le monde après qu’elle l’a quitté.
— Il n’a pas été puni ?
— Il a tout nié, et ils n’ont pas réussi à retracer l’origine du mail. Cette fois, quelqu’un l’a vu en train
d’accrocher ta photo sur le mur des vestiaires.
Elle est restée silencieuse.
— Ne t’inquiète pas, Red. Je vais te protéger. Ça ne se reproduira pas.
— Ce n’est pas à toi de me protéger.
— Bien sûr que si. C’est mon devoir.
— Caleb…
— Je veux que tu dormes à la maison ce soir. S’il te plaît. J’ai besoin de te savoir en sécurité. Juste ce
soir.
— D’accord.
Je me suis garé devant chez Cam.
— Je reviens dans deux heures, OK ? J’ai donné rendez-vous à toute l’équipe chez Amos. Je veux
m’assurer qu’il n’y a pas d’autres photos qui traînent.
— Tu n’es pas obligé.
J’ai posé mes mains sur ses joues.
— Plus personne ne te fera de mal, Red. Je te le promets.

- VERONICA -

Je me suis assise sur le canapé et j’ai fermé les yeux. Cam a placé un bol de pop-corn et de M&M’s
sur mes genoux. J’ai jeté un œil à l’horloge. Caleb était en retard.
— C’était effrayant de le voir dans cet état, Cam.
— Dans quel état ?
— On aurait dit qu’il était possédé. Il m’a rappelé…
— Rappelé quoi ? Exprime-toi, Ver, avant que je me transforme en perroquet.
— Mon père. Il m’a rappelé mon père. La différence, c’est que Caleb voulait me protéger, pas me faire
du mal.
— Lockhart ne te fera jamais de mal.
— Je sais.
Son portable s’est mis à sonner. Cam a jeté un œil à l’écran, visiblement surprise.
— C’est qui ?
— Cameron.
— Tu ne réponds pas ?
Elle a hésité quelques secondes, puis elle a fini par décrocher. Elle est devenue toute blanche. Je me
suis redressée sur le canapé. Elle s’est levée en murmurant. Je suis restée à ma place, pour leur laisser un
peu d’intimité.
Quelques minutes plus tard, elle est revenue dans le salon. Elle m’a regardée avec ses grands yeux
noisette.
— Ver…
— Tu me fais peur, Cam. Qu’est-ce qui se passe ?
— Caleb a été arrêté.
CHAPITRE 45

- VERONICA -

Quatre heures plus tôt

J’ai dit au revoir à Caleb en sortant de la voiture et j’ai marché jusqu’à chez Cam. Caleb n’a pas
démarré. Il attendait que j’entre dans l’appartement. Les vitres de sa voiture étaient teintées, mais je
sentais qu’il m’observait.
Une fois à l’intérieur, la fatigue a eu raison de moi. Je n’avais pas dormi depuis plus de vingt-quatre
heures. Cam serait bientôt de retour de la fac. Il fallait que je prépare à manger, mais j’avais sommeil,
tellement sommeil…

J’ai toujours détesté l’obscurité. Elle apportait son lot de douleurs et de souffrances, surtout quand on
était une vilaine petite fille. Pourtant, j’essayais d’être sage, de respecter les règles, de peur que le
monstre revienne. Le monstre qui ressemblait à mon père.
Depuis son départ, j’avais à nouveau le droit de jouer dans la forêt, et peut-être même de me faire des
amis. Mon père m’avait interdit de répondre aux questions des adultes et des assistantes sociales, de me
faire des copains et de leur raconter ce qui se passait à la maison.
Sois sage, sinon…
Ce jour-là, dans la forêt, j’ai rencontré un garçon aux yeux verts. Il m’a donné son sandwich au beurre
de cacahuète. J’ai eu peur de le manger – je savais que le monstre détestait ça – mais le monstre était
parti. Je pouvais manger ce que je voulais.
On a mélangé de la terre et de l’eau et on s’est peint le visage avec la boue pour ressembler à Batgirl
et Batman. On a joué toute la journée. On s’est dit au revoir à la nuit tombée. Il m’a promis de revenir le
lendemain.
Je suis rentrée à la maison en courant, pressée de raconter mes aventures à ma mère. J’ai poussé la
porte, mon sandwich à la main. J’en garderais la moitié, pour me rappeler que le garçon aux yeux verts
était bien réel, que je ne l’avais pas rêvé. J’avais enfin un ami, et j’étais heureuse. Très heureuse.
— Bonsoir, Veronica.
Le sandwich m’a échappé, s’écrasant par terre.
Le monstre était de retour.
— Qu’est-ce que c’est ? a-t-il demandé.
Il a ramassé le sandwich et m’a attrapée par le bras. J’ai hurlé de douleur, mais je me suis retenue de
pleurer. Le monstre détestait les larmes.
— Tu es une vilaine fille. Tu sais ce qui arrive aux vilaines filles ?
— Dom ! Laisse-la tranquille !
Le monstre m’a lâchée et s’est jeté sur maman. Il l’a traînée dans la cuisine en la tirant par les cheveux.
— Arrête ! Je t’en prie !
Il a balayé la table du bras. Le vase de ma mère est tombé par terre et s’est brisé. Les fleurs qu’elle
avait ramassées dans le jardin le matin même se sont écrasées sur la moquette. Le monstre a ouvert les
placards, jetant les affaires par terre.
— Où est le pot ? Je t’avais dit de ne pas en acheter ! C’était pourtant simple, Tanya. Tu n’es pas
foutue de respecter mes règles !
— Comment oses-tu parler de règles ? Je t’ai vu avec une autre femme hier !
Il a poussé ma mère. Elle s’est effondrée là où le vase venait de s’écraser. Elle a hurlé de douleur et
elle m’a regardée, terrifiée.
— Va te cacher, a-t-elle murmuré.
J’ai couru dans la buanderie et je me suis terrée sous l’évier. Je me suis bouchée les oreilles pour
couvrir ses cris.
Je ne mangerai plus jamais de beurre de cacahuète. Plus jamais. Promis. Ne fais pas de mal à
maman.
Ma mère s’est tue. La porte s’est ouverte.
Le monstre est entré et m’a souri.

— Veronica ! Réveille-toi !
J’ai ouvert les yeux. Cam était penchée sur moi.
— Ça va ? Tu faisais un cauchemar.
J’ai couru dans la salle de bains et j’ai vomi dans les toilettes. Je ne veux pas me souvenir… Plus
jamais… Je me suis aspergé le visage d’eau fraîche. Cam s’est assise sur le lit.
— Si tu n’étais pas vierge, je penserais que tu es enceinte.
Je lui ai souri, appréciant sa tentative de détendre l’atmosphère. J’ai prié pour qu’elle ne me pose pas
de questions.
— J’ai acheté des nems végétariens. Je t’attends dans la cuisine.
J’ai hoché la tête et j’ai fermé la porte de la salle de bains derrière moi. Je me suis assise contre le
mur, recroquevillée sur moi-même. La bagarre entre Caleb et Justin avait déclenché mon cauchemar. Sa
colère m’avait terrifiée. La violence qui émanait de lui tandis qu’il tenait Justin par la gorge…
Ne t’inquiète pas, Red. Je vais te protéger.
Caleb ne faisait pas souffrir les autres par plaisir, mais pour me protéger. Avec lui, je me sentais en
sécurité. Dès l’instant où j’ai prononcé son nom, il est sorti de sa transe. Il a lâché Justin. Pour moi.
Caleb n’était pas comme le monstre de mon enfance.
Il n’était pas comme mon père.
Je me suis levée et j’ai regardé mon reflet dans le miroir. J’avais le teint pâle, des cernes sous les
yeux, mais je n’étais plus la petite fille vulnérable qui avait peur du noir. J’avais changé.
Ce soir, je mangerais un fichu sandwich au beurre de cacahuète.
CHAPITRE 46

- CALEB -

La patience n’a jamais été mon fort. Je voulais rentrer à la maison et retrouver Red. Tout de suite.
Cameron et une partie de l’équipe m’avaient suivi sur le campus, à la recherche d’autres photos. À mon
grand soulagement, il n’y en avait aucune. De retour chez Amos, j’ai jeté un œil à ma montre.
— Il faut que j’y aille, mec.
Levi a levé le menton. Il était resté là avec une poignée d’amis pour vérifier si Justin avait posté la
photo de Red sur Internet. Après s’être assurés que ce n’était pas le cas, ils ont descendu deux bouteilles
de whisky trouvées dans le placard du père d’Amos. Des bouteilles de bière vides et des boîtes de pizza
jonchaient le sol. Levi était bourré, affalé dans un fauteuil. Amos était allongé sur le canapé, les yeux
rivés sur l’écran. Il regardait Avengers.
— Rends-moi service, Caleb. Dépose ce gros tas chez lui.
Merde. J’étais pressé. Je voulais rentrer chez Cam, m’assurer que Red allait bien. On venait à peine de
se remettre ensemble. Je ne voulais pas la perdre à nouveau.
J’ai jeté un œil par la fenêtre. Un 4 x 4 jaune est passé dans la rue. On aurait dit celui de Justin.
— Justin sait qu’on est ici ?
— Sûrement. J’ai envoyé un message groupé.
J’ai grogné de frustration. Toute l’équipe l’avait reçu, lui inclus. La voiture a disparu au bout de la rue.
Fausse alerte.
— Allez, Levi. On y va.
— Hein ?
Il était incapable de se lever seul. Je l’ai aidé à sortir du fauteuil.
— Je te préviens. Si tu vomis dans ma voiture, je t’abandonne sur le bord de la route.
— Pourquoi tu m’portes ? On n’est pas mariés !
Il a approché sa bouche de la mienne, comme pour m’embrasser. Je l’ai repoussé en riant.
— Garde tes distances, mec.
J’ai fermé la porte derrière nous et je l’ai traîné jusqu’à la voiture. J’ai ouvert la portière et je l’ai
installé côté passager. Je m’apprêtais à démarrer quand une voiture de police s’est garée derrière moi,
gyrophares allumés. Deux policiers en sont descendus, s’arrêtant devant ma vitre. L’un d’eux ressemblait
à Popeye, l’autre était maigre comme un clou.
— C’est votre maison ? a demandé le maigrichon.
Il avait l’air sympathique, contrairement à son collègue, qui regardait Levi de travers.
— Non, monsieur. On était chez un ami.
— Qu’est-ce que vous faisiez chez lui ?
— Rien de particulier.
— Votre ami a trop bu.
— Je sais. Je le ramène chez lui.
Popeye m’a défié du regard.
— Vos papiers, s’il vous plaît.
— Nos quoi ? a demandé Levi.
— Tais-toi, mec. Je m’en occupe.
J’ai attrapé mes papiers dans la boîte à gants et je les ai tendus au maigrichon.
— Il y a un problème ? ai-je demandé.
— On a reçu un appel pour tapage nocturne.
— Et trafic de drogue, a ajouté Popeye.
Levi a éclaté de rire. J’ai serré des dents. Justin. Popeye a reculé d’un pas.
— Sortez du véhicule, s’il vous plaît.
— J’ai le droit de refuser.
— Vous nous cachez quelque chose ?
— Non, monsieur.
Levi a mis du temps à se décoller de son siège. Ils nous ont demandé de nous éloigner pendant qu’ils
fouillaient la voiture. Levi s’est assis par terre, contre un mur. J’avais le ventre noué. Quand Popeye s’est
dirigé vers nous, j’ai su que c’était une mauvaise nouvelle.
Très mauvaise.
— Vous avez une explication ?
Dans sa main, un petit sac rempli de poudre blanche.
Merde.
CHAPITRE 47

- VERONICA -

Cameron est passé nous chercher chez Cam pour nous emmener au commissariat. Tout ce qu’il était
capable de nous dire, c’était que Caleb n’était pas blessé, qu’il était en sécurité et qu’il nous expliquerait
sur place. Cam l’a harcelé de questions, mais il n’a pas bronché. Elle a essayé de le faire craquer pendant
tout le trajet. J’aurais davantage apprécié leur échange si je n’avais pas été morte d’inquiétude.
Cam s’est tournée vers moi en souriant.
— Au fait, Caleb va t’inviter au restau pour manger de la luzerne germée.
— Quoi ?
— Il m’a posé plein de questions sur toi ce matin. J’ai inventé la moitié des réponses. Joue le jeu tant
qu’il ne m’a pas payé, OK ?
J’ai hoché la tête. Cameron a éclaté de rire.
— Tu lui as demandé une carte Stella McCourtney ?
— McCartney, imbécile.
J’ai essayé d’ignorer leurs chamailleries jusqu’à ce que Cameron se gare devant le commissariat.
— Attendez-moi ici. Je vais régler sa caution.
Cam lui a lancé un regard noir.
— Tu penses que parce qu’on est des filles, on n’est pas capables de gérer une situation de crise, c’est
ça ?
Cameron a poussé un soupir.
— Pas du tout…
— Laisse-nous vivre, merde !
— Calme-toi, Cam.
— Je fais ce que je veux !
Cameron s’est tu. J’étais désolée pour lui. On est tous sortis de la voiture et Cam m’a prise par la
main. À l’intérieur, un policier était planté derrière un bureau jonché de papiers.
— Bonjour, ai-je dit d’une voix tremblante. On aimerait payer la caution de Caleb Lockhart.
— Je peux voir vos papiers ?
— Bien sûr.
Je tremblais tellement que j’ai fait tomber mon portefeuille. Cameron l’a ramassé.
— Laisse-moi faire, Veronica. Caleb ne voudrait pas que tu payes.
J’étais tellement stressée et épuisée que je n’ai pas eu la force d’insister. Je me suis tournée vers le
policier.
— J’aimerais le voir, s’il vous plaît.
— Pas de problème. Attendez un instant.
Il est sorti de la pièce en silence. Quelques minutes plus tard, il est réapparu.
— Monsieur Lockhart est dans la salle d’interrogatoire. Suivez-moi.
Nous avons remonté un long couloir, puis il a ouvert une porte sur la droite. Il y avait une table au
milieu de la pièce, avec deux chaises. Caleb était assis sur l’une d’elle, les coudes sur les genoux, la tête
entre les mains. Un de ses poignets était menotté. Je l’ai imaginé en train de se battre avec Justin… ou,
pire, de le tuer.
— Caleb ?
Il a levé la tête. Il n’avait pas l’air blessé, seulement fatigué et inquiet.
— Red.
Je me suis jetée sur lui. Il m’a serrée dans ses bras.
— Est-ce que ça va ?
— Oui. Et toi ? Je suis soulagé de te voir, Red.
Je me suis tournée vers le policier.
— Vous pouvez nous laisser seuls un instant ?
— Bien sûr. Je vous attends dehors.
Il a fermé la porte derrière lui. Caleb a plongé son regard dans le mien.
— Cameron est là ?
— Oui, il nous attend avec Cam. Tu m’as fait peur, Caleb. Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Ils ont trouvé de la drogue dans ma voiture.
S’il y avait bien une réponse à laquelle je ne m’attendais pas, c’était celle-là.
— Je venais de sortir de chez Amos. J’allais déposer Levi chez lui. Il avait bu. Deux policiers ont
débarqué. Ils m’ont dit que quelqu’un les avait appelés. Ils ont fouillé ma voiture. Je les ai laissés faire.
Je n’avais rien à cacher. Mais ils ont trouvé le sachet…
Son visage reflétait sa colère et sa frustration.
— Je ne me drogue pas, Red. Je n’ai jamais touché à ça. Quelqu’un l’a mis dans ma voiture !
La porte s’est ouverte. Une femme est entrée, accompagnée d’un policier. La mère de Caleb portait une
longue robe bleue. Elle était encore plus belle que dans mes souvenirs.
— Caleb ?
— Maman ? Qu’est-ce que tu fais là ?
— C’est Beatrice-Rose qui m’a prévenue.
Beatrice ? Comment était-elle au courant ?
— Tu aurais dû m’appeler, Caleb.
— Je ne voulais pas que tu te fasses du souci. Je te présente Red. Red, je te présente ma mère,
Miranda.
— C’est à cause d’elle que tu t’es battu, n’est-ce pas ? Que tu as raté une semaine de cours, juste avant
tes examens ? C’est à cause d’elle que tu es ici ce soir ?
Elle m’a toisée d’un air menaçant. J’avais envie de vomir. Elle s’est tournée vers le policier.
— Libérez mon fils.
Il lui a obéi. Le grincement des menottes contre la table m’a fait mal au crâne.
— J’ai parlé au commissaire. Il n’y aura aucune trace de ton arrestation. Rejoins-moi à la maison dans
une demi-heure. J’exige une explication.
Caleb s’est levé et l’a prise dans ses bras. Le visage de sa mère s’est aussitôt adouci.
— Tu m’as fait peur, Caleb. Tu n’apprendras donc jamais de tes erreurs ?
Je sentais un mélange de peur et d’amour dans sa voix. Caleb a murmuré quelque chose à son oreille,
trop bas pour que je l’entende. Sa mère a hoché la tête. Elle l’a embrassé sur la joue et elle est partie
avec le policier, ignorant ma présence.
— Désolé, Red. Je lui parlerai plus tard.
— Non… Elle a raison. Tout est ma faute.
J’ai reculé d’un pas. Ses yeux se sont emplis de terreur.
— Tu ne vas pas me quitter, Red ? Pas encore ?
— Quoi ? Bien sûr que non !
— Promets-le-moi.
— Je te le promets.
— Tu as confiance en moi ?
— Oui, Caleb. J’ai confiance en toi.
Il a déposé un baiser sur mon front.
— Rentre avec moi, bébé.
— Ce n’est pas le moment. Ta mère veut te voir.
— Tu m’avais promis de passer la nuit chez moi.
— Je sais, mais ce n’est pas raisonnable. Elle se fait du souci pour toi. On se verra demain, d’accord ?
Il a hoché la tête.
— Ne disparais pas, Red.
— Promis.
Cette fois, je le pensais vraiment.
CHAPITRE 48

- VERONICA -

J’étais tellement épuisée que je n’arrivais pas à dormir. C’était absurde. Mon corps était dépourvu
d’énergie, mais mon cerveau continuait à fonctionner à toute allure.
Caleb avait frappé Justin à cause de moi. Il a été arrêté parce que Justin et Beatrice lui ont tendu un
piège. Encore une fois, à cause de moi. Et maintenant, sa mère lui en voulait. Je savais à quel point Caleb
aimait sa mère, et le fait qu’elle me déteste avant même de me connaître me rendait triste. Mais elle avait
raison. Tout était ma faute.
Tu nous portes malheur. J’aurais dû adopter un autre enfant. Sans toi, Tanya et moi serions encore
ensemble.
La voix de mon père tournait en boucle dans ma tête. De toutes les horreurs qu’il m’avait dites, celle-ci
était la plus douloureuse. Peut-être parce que, au fond, c’était la vérité. Je me suis blottie contre mon
oreiller. J’aurais aimé que Caleb soit là. Mes démons avaient beau me pourchasser jusque dans le noir,
Caleb était ma lumière. Le simple fait de penser à lui me réconfortait.
Clic. Un bruit à la fenêtre m’a tirée de mes pensées. J’ai attrapé le premier livre que j’ai trouvé –
Harry Potter à l’école des sorciers – pour m’en servir d’arme.
Clic. Quelqu’un jetait des cailloux contre les carreaux ! Je me suis levée et j’ai ouvert la fenêtre.
— Caleb ?
— Salut, Red.
Il m’a fait un grand sourire. J’en ai eu des papillons dans le ventre. Il s’était changé depuis son passage
au commissariat. Il portait un tee-shirt blanc, un jean troué, une paire de Nike et un bonnet noir.
— Qu’est-ce que tu fais là ?
— Tu me manquais trop.
J’avais envie de sauter de la fenêtre pour me jeter dans ses bras. Ce mec me rendait folle.
— Tu aurais pu me prévenir.
— Je sais, mais le coup de la fenêtre, c’est plus romantique qu’un texto. Et puis, tu ne réponds jamais à
mes messages.
Il avait raison. Je ne savais même pas où était mon portable.
— Tu veux que je grimpe ?
J’ai éclaté de rire.
— Non, Caleb. Je vais t’ouvrir la porte.
— Super. Rejoins-moi dehors. J’ai quelque chose pour toi.
J’ai hésité un instant avant de sortir. Je portais un débardeur et un short rouge très, très court… Tant
pis. J’ai traversé l’appartement sur la pointe des pieds. Caleb m’attendait sur le seuil, un bouquet de lilas
à la main.
— Pour toi, Red.
Mon cœur s’est emballé. Ce garçon était trop beau pour être vrai. Son regard me faisait fondre. Je me
suis blottie dans ses bras, enfouissant mon visage contre son torse, inhalant son parfum familier.
— Tu m’as manqué, ai-je murmuré.
Il a posé son menton sur ma tête.
— Tu peux le répéter ?
— Tu m’as manqué, Caleb.
Il a poussé un soupir. Ses épaules se sont détendues, comme si un poids venait de s’envoler.
— Je ne te le dis pas assez. Je suis désolée.
— Ce n’est rien, Red. C’est juste une question d’entraînement… comme les révisions d’examens.
Il s’est balancé de gauche à droite, nous faisant danser dans le noir.
— Maintenant, dis-moi que tu m’aimes.
— Je t’aime, Caleb.
— Parfait. 20 sur 20. Maintenant, dis-moi que je suis le meilleur…
Je lui ai mordu le torse.
— Aïe ! Je retire ce que j’ai dit. 10 sur 20.
J’avais le sourire jusqu’aux oreilles. On a continué à danser en silence, enivrés par le parfum du
bouquet.
— Je n’ai pas choisi les lilas par hasard, a-t-il murmuré à mon oreille.
— C’est vrai ? Qu’est-ce qu’ils représentent ?
— Le premier amour. Tu es mon premier amour, Red. Et mon dernier.
J’aurais aimé trouver les mots pour exprimer mes émotions, comme lui, mais j’en étais incapable. Je
me suis contentée de poser mon visage contre son cœur.
— Je t’aime, Red.
— Je t’aime, Caleb.
CHAPITRE 49

- VERONICA -

Caleb a allumé un feu dans le brasero au fond du jardin. Je fixais les flammes, appréciant leur chaleur
sur mon visage et l’odeur du feu de bois. Il craquelait et sifflait. Des étincelles s’envolaient dans le ciel
comme des lucioles.
Caleb s’est assis par terre, le dos contre le banc. Je me suis installée entre ses jambes, ma tête sur son
épaule. Avant de le rencontrer, je comptais mes vrais moments de bonheur sur les doigts d’une main.
Depuis Caleb, ils étaient innombrables.
Il a déposé des baisers sur ma tête, ma joue, mon épaule. J’avais des frissons partout. S’il continuait, je
ne serais plus capable de me concentrer.
— Il faut qu’on parle, Caleb.
Il a frotté son nez contre ma nuque en soupirant.
— Tu sens trop bon…
Il m’a mordillé l’oreille. Je me suis retenue de gémir. Il fallait que je me ressaisisse.
— Caleb… Ta mère. Elle me déteste.
Il a écarté son visage du mien.
— Pas du tout. Elle ne comprenait pas ce qui s’était passé. Je lui ai tout expliqué. Maintenant, elle
aimerait nous inviter à dîner.
Je me suis tendue dans ses bras.
— Ne t’inquiète pas, Red. Ma mère ne mord pas… contrairement à moi.
Il a enfoui ses lèvres dans mon cou. J’ai éclaté de rire. Il a attrapé la bretelle de mon débardeur avec
ses dents, la faisant glisser sur mon épaule. Inspire. Expire.
— Qui a mis la drogue dans ta voiture ?
— Justin.
— Et Beatrice ? Comment savait-elle que tu étais au commissariat ?
— Aucune idée.
— Tu as retrouvé ton double de clés de voiture ? Celui que tu avais perdu ?
— Non.
— Justin connaît le code de ton appartement ?
— Non.
— Et si Beatrice avait volé ta clé le jour où elle est entrée chez toi ? C’est peut-être elle qui a mis le
sachet dans ta voiture.
Je l’ai laissé digéré l’information. Il a poussé un soupir.
— Merde.
Caleb prenait peu à peu conscience du rôle potentiel de Beatrice, de ses talents de manipulatrice.
J’avais peut-être tort, mais c’était envisageable. Je savais que cette fille était capable de tout.
— Est-ce que Justin va porter plainte contre toi ?
— Non. Mon avocat s’en charge. Ne t’inquiète pas pour moi, Red. Je gère la situation, OK ?
Sa réaction de mâle dominant m’a agacée. Cette émotion m’a rassurée. Je me sentais différente depuis
mon cauchemar. Ressentir de la colère était un bon signe. Je revenais lentement à la vie.
— Ne joue pas à ce jeu avec moi, Caleb. Ce n’est pas parce que je suis une femme que je ne suis pas
capable de t’aider.
Il a éclaté de rire.
— Je suis sérieuse !
— Je sais. Excuse-moi, Red. Je sais que tu es capable de te débrouiller sans moi. Tu es la personne la
plus courageuse et la plus indépendante que je connaisse. Mais sache que tu n’as plus besoin de te battre
toute seule… je suis là, maintenant.
L’émotion m’a serré la gorge. J’ai couvert la main qu’il avait posée sur ma joue, et je l’ai embrassé.
Malgré l’émotion intense que je ressentais à ce moment précis, je n’aimais pas la culpabilité qui me
rongeait. Elle n’avait pas sa place entre nous.
— Je suis désolée, Caleb. Pour la bagarre, l’arrestation, la réaction de ta mère. Si je n’étais pas là,
rien de tout ça ne serait arrivé.
— Écoute-moi bien, Red. Ma mère avait tort. Elle s’est basée sur ce que Beatrice lui avait dit. Tu n’as
pas causé cette bagarre. Ce n’est pas ta faute si ce mec est un pervers. Tu n’es pas responsable des
erreurs des autres.
Mon cœur s’est emballé. Caleb m’a forcée à le regarder dans les yeux. J’ai respiré profondément, au
bord des larmes.
— Je sais à quoi tu penses, Red. Je sais qui a mis cette douleur dans tes yeux. Ton père ne méritait pas
ton amour. Ce qui est arrivé à tes parents n’était pas ta faute, et ce qui s’est passé aujourd’hui non plus.
Il a passé une main sur mes joues trempées. Je pleurais rarement devant lui, considérant les larmes
comme un signe de faiblesse, mais je comprenais maintenant qu’elles pouvaient aussi être synonymes de
soulagement et de bonheur.
— Ton père ne pouvait pas t’aimer parce qu’il ne s’aimait pas lui-même, parce qu’il ne savait pas
comment aimer. Toi, tu le sais. Tu as tellement à offrir, Red. Et je veux tout. Je veux tout ton amour.
Il m’a embrassée avec tendresse. J’ai blotti mon visage contre son cou.
— Merci, Caleb. Je me sens plus forte à tes côtés.
— Moi aussi. Je t’aime plus que tout, Red.
CHAPITRE 50

- VERONICA -

Caleb a étalé une couverture dans l’herbe. Il s’est allongé de tout son long, les bras sous la tête et les
yeux fermés, et il s’est mis à fredonner. On aurait dit qu’il était en vacances à la plage. Je me suis assise à
côté de lui.
— Besoin d’autre chose, maître ? Un cocktail, peut-être ?
— Enfin ! J’ai cru que tu ne demanderais jamais.
Ce mec était incorrigible. Il me faisait pleurer avec ses déclarations d’amour et, deux minutes plus
tard, il retrouvait l’insolence d’un petit garçon. Sans prévenir, il m’a attrapée par les hanches et m’a
plaquée au sol.
— Caleb !
Il s’est mis à me chatouiller.
— Alors ? C’est qui, le maître ?
Je me suis débattue en me retenant de rire. Il était tard. Je ne voulais pas réveiller les voisins.
— Qui est le maître, Red ?
— Moi !
— Faux !
— Arrête ! S’il te plaît !
D’une main, il a bloqué mes poignets au-dessus de ma tête. De l’autre, il a continué à me torturer.
J’avais mal au ventre à force de rire. Je l’ai embrassé. C’était le seul moyen de l’arrêter.
— Trop facile, Red.
Il avait les yeux qui pétillaient. Il a enroulé ses bras autour de ma taille et s’est allongé sur le dos,
étalant mon corps contre le sien.
— Tu as gagné. Je suis ton esclave. Dis-moi ce que tu veux et j’obéirai. J’ai beaucoup de talents. Par
exemple, ma langue…
J’ai recouvert sa bouche pour l’empêcher de terminer sa phrase. Caleb m’a regardée d’un air coquin
avant de m’embrasser. Il avait les lèvres douces et chaudes. J’ai posé ma joue contre son torse. On est
restés immobiles, en silence. Détendus. Heureux.
Quelques minutes plus tard, il a tendu un bras devant lui, un œil fermé, l’autre rivé sur le ciel.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Je tiens la lune dans ma main.
Il avait l’air sérieux, tout à coup. Le regard teinté de tristesse.
— Tu es comme la lune, Red. J’ai l’impression de te tenir dans ma main, mais ce n’est qu’une illusion.
J’ai peur que tu m’échappes à nouveau.
— Je te promets que non.
Il a poussé un soupir.
— Si tu es la lune, je suis les étoiles. Il y en a des milliards dans le ciel. Tu n’arriveras jamais à
t’enfuir.
— Tant mieux, ai-je murmuré.
— J’ai un cadeau pour toi, Red.
Il semblait nerveux. Chaque fois qu’il m’offrait quelque chose, je le lui renvoyais à la figure. Mais
j’avais changé. Il avait réparé quelque chose en moi. Je ne me sentais plus méfiante comme avant. Parce
que Caleb m’aimait. Désormais, j’en étais certaine.
— Ne bouge pas. Je reviens.
Il s’est levé, disparaissant derrière le bâtiment. Le cœur battant, je me suis assise sur le banc. Caleb
est revenu d’un pas déterminé. Il a passé une main dans ses cheveux. Je m’attendais à ce qu’il me tende un
paquet cadeau, mais il n’avait rien dans les mains.
— Tu l’as oublié à la maison ?
— Non.
Il s’est assis à côté de moi, puis il a sorti une boîte de sa poche. Elle était longue et fine, couleur
émeraude.
— Je voulais t’offrir quelque chose qui te fasse penser à moi, à notre histoire. Il a été créé
spécialement pour toi.
J’ai ouvert la boîte. À l’intérieur reposait un élégant collier, avec un pendentif en forme de papillon. Il
était en argent, de la taille d’une pièce de monnaie, incrusté de diamants, avec un texte gravé sur les ailes.
Il scintillait à la lueur de la lune. Une émeraude en forme de goutte représentait le corps du papillon.
— Tu te souviens de l’histoire de la chenille ?
J’ai hoché la tête. Émue, je n’ai pas répondu, de peur de me mettre à pleurer.
— Tourne-toi.
Il a sorti le collier de son écrin et l’a attaché à mon cou. Il m’a admirée avec tendresse.
— Tu es sublime, Red.
— Il a dû te coûter une fortune.
— Peu importe. Pour toi, je vendrais tout ce que je possède.
Que répondre à une chose pareille ? J’ai attendu son baiser, mais il s’est écarté de moi, les yeux rivés
sur les flammes.
— Tu veux que je te raconte une histoire, Red ?
— Avec plaisir.
— Il était une fois un garçon qui avait tout. Du moins, c’est ce qu’il croyait. Un soir, il s’est promené
en forêt. Il s’ennuyait. Il manquait quelque chose à sa vie, mais il ne savait pas quoi. En marchant, il a
trouvé un petit oiseau par terre. Il avait une aile cassée. Il l’a ramené à la maison, il l’a soigné et l’a
enfermé dans une cage pour le protéger. L’oiseau chantait et le rendait heureux. Au bout de quelques
jours, son aile était guérie. Le garçon ne l’a pas libéré. L’oiseau a arrêté de chanter. Le garçon savait
qu’il était égoïste. Il avait envie de garder l’oiseau pour lui, mais il ne supportait pas de le voir triste. Il a
ouvert la cage et l’a laissé s’envoler.
— Est-ce que l’oiseau est revenu ?
— Oui, Red. Il est revenu.
Caleb m’a offert un grand sourire.
— Je sais que je suis compliqué. Je suis têtu, impulsif et immature. Je passe mon temps à dire
n’importe quoi… et j’en suis désolé. Reste avec moi, Red. Je t’en prie.
Cette fois, je n’ai pas pu retenir mes larmes. Avant même que j’aie le temps de répondre, Caleb s’est
mis à genoux devant moi. Il a sorti une petite boîte de sa poche. Il avait l’air calme, sûr de lui. Devant
moi se tenait un homme qui avait passé sa vie à chercher quelque chose, et qui l’avait enfin trouvé.
Une bague trônait sur un lit de velours bleu. Deux papillons sertis de diamants encadraient un rubis en
forme de goutte, identique à celui du collier.
— Red, veux-tu m’épouser ?
J’étais ébahie, bouleversée, muette.
— J’avais prévu d’attendre un an, après ton diplôme, mais… je suis trop impatient. Red, veux-tu
passer ta vie à mes côtés ? Avoir des enfants avec moi ? Je te construirai une maison, je t’offrirai un
chien… tout ce que tu veux. Réponds-moi. S’il te plaît.
Je me suis jetée dans ses bras et j’ai éclaté en sanglots.
— Oui ! Oui, Caleb. Je veux devenir ta femme.
Il a poussé un soupir de soulagement.
— Je t’aime, Red. Tu es la seule fille à posséder mon cœur. Ne me le rends jamais, d’accord ? Je t’en
supplie.
— Jamais. Je te le promets.
— Mon cœur t’appartient, Red. Pour toujours.
Couverture : © Shutterstock / InnervisionArt

Hachette Livre, 2017, pour la présente édition.


Hachette Livre, 58 rue Jean Bleuzen, 92170 Vanves.
CHAPITRE 1
Le cœur battant à tout rompre, l’estomac au bord des lèvres, Lori saisit fébrilement son téléphone dans
la poche de sa veste.
Ses mains tremblaient tellement qu’elle faillit le laisser tomber à terre.
La panique envahit tout son être, brouillant son jugement, parasitant ses sens, perturbant le moindre de
ses mouvements.
Bon sang !
Il fallait qu’elle se calme.
Elle s’exhorta à prendre deux longues inspirations et fixa le cadran noir qui dansait devant ses yeux.
Les doigts parcourus de tressaillements nerveux, elle composa le 911 et porta l’appareil à son oreille.
L’opératrice décrocha à la seconde sonnerie.
— Allô, vous avez demandé la police, quelle est votre urgence ?
Jamais Lori n’avait été aussi soulagée d’entendre la voix d’une autre personne, mais pourtant, la
panique ne reflua pas. Au contraire, curieusement, elle enfla, jusqu’à affecter sa respiration, la rendant
heurtée et difficile.
— Je… je… Il faut que vous m’aidiez ! Je suis à la banque Morgan et des hommes sont entrés, ils sont
armés… Et…
— Calmez-vous, l’interrompit l’opératrice, je ne comprends pas ce que vous me dites. Commencez par
me donner votre nom.
Son nom ?
Ça, c’était une question facile.
— Je m’appelle Lori Weston, souffla la jeune femme.
— Pouvez-vous parler plus fort Lori ?
— Non ! Ils pourraient m’entendre ! J’ai réussi à me cacher, mais s’ils me trouvent…
Lori se rendit compte que sa voix était tellement hachée que ses propos étaient quasiment
incompréhensibles. Elle prit une longue inspiration et ferma brièvement les yeux.
Respire…
Respire…
Mais ne perds pas trop de temps.
Une illusion d’apaisement créée par l’apport supplémentaire en oxygène tomba immédiatement sur
elle.
— Écoutez, reprit-elle plus calmement, je travaille à la banque Morgan, dans le centre. J’ai vu quatre
hommes armés entrer dans la banque. Des coups de feu ont été tirés. J’ai réussi à me cacher, mais je ne
sais pas si ces hommes sont encore là.
Elle n’en revenait pas d’avoir réussi à faire une phrase aussi longue, vu sa nervosité.
— OK. Ne bougez pas de votre cachette tant que les secours ne sont pas venus vous chercher. Et restez
en ligne.
D’accord.
Ça aussi elle savait faire.
Elle examina fébrilement les lieux dans l’espoir de trouver un abri sûr. Heureusement pour elle, la
pièce dans laquelle elle avait trouvé refuge et qui servait de réserve était à demi-plongée dans l’obscurité
et offrait de nombreuses zones d’ombre.
Lori se tapit dans le coin le plus reculé et poussa un long soupir, se demandant comment sa vie avait pu
basculer en quelques secondes.
Elle marchait dans le couloir pour se rendre dans le bureau du directeur lorsqu’elle avait vu les quatre
hommes masqués et armés pénétrer dans le hall. Par réflexe, elle avait ouvert la première porte qui se
trouvait devant elle. Elle avait entendu les cris des clients affolés, les coups de feu et une voix masculine
qui ordonnait à tout le monde de se taire et de se coucher par terre. Puis plus rien…
— Allô, vous êtes toujours là ? Madame ? La police est en route. Allô ?
— Oui, je suis là, chuchota Lori. Je…
Elle s’interrompit brusquement, tous ses sens en alerte. Un bruit déchira le silence retombé sur la
réserve.
Quelqu’un était en train d’ouvrir la porte.
Son cœur se mit à galoper dans sa poitrine, si vite et si fort qu’elle n’entendit plus que le son de ses
pulsations cardiaques affolées qui remplissait l’atmosphère.
— Mon Dieu, balbutia-t-elle, ils essayent d’entrer, ils vont me trouver !
— Ne parlez plus. Restez cachée. Les secours arrivent.
Comme dans le pire de ses cauchemars, Lori vit distinctement trois hommes s’avancer dans la pièce,
tandis que les battements de son organe vital rugissaient à ses oreilles.
Elle distingua leurs silhouettes qui se dessinaient entre les rayonnages de l’armoire métallique derrière
laquelle elle se dissimulait. Elle vit l’éclat du métal d’une arme. Elle entendit le bruit de leur pas et leurs
souffles étouffés.
Un des hommes poussa un grognement.
— Faut pas traîner. Je n’aime pas l’idée que Larry surveille seul les otages. Putain, ce qu’il fait chaud
là-dessous, dit-il en enlevant la cagoule qui masquait entièrement son visage. T’es sûr que ce qu’on
cherche est ici ?
Personne ne lui répondit. Un autre homme s’affairait dans le coin opposé de la pièce, fouillant dans
l’un des meubles alignés contre le mur. Lori ne voyait pas le troisième. Elle résista à l’envie de se
couvrir les oreilles et de fermer les yeux, ses bras entourant ses genoux, comme les enfants qui
s’imaginent qu’ils deviennent invisibles lorsqu’ils refusent de voir le monde extérieur. Elle n’avait
jamais été aussi terrifiée de sa vie.
Pourtant, singulièrement, c’est le moment que choisit son sens logique pour se remettre à fonctionner.
Et au lieu de se demander si ces hommes pouvaient la voir, s’ils pouvaient la trouver, une seule
question traversa son esprit vidé par la panique.
Que pouvaient donc chercher ces hommes dans la réserve d’une banque ? Lori ne voyait autour d’elle
que des rames de papier et des vieux cartons d’archives datant d’avant l’ère de la numérisation des
documents. La salle des coffres était dans une autre partie du bâtiment.
— C’est bon. J’ai ce qu’il me faut. On se replie, déclara l’homme en charge de la fouille.
Il s’avança au centre de la pièce et rangea quelque chose dans le sac qu’il portait en bandoulière. Lori
retint sa respiration et s’enfonça encore un peu plus contre le mur, comme si elle pouvait être aspirée par
la froideur du béton.
Allez ! Dans quelques minutes, tout serait terminé.
Elle allait reprendre le cours de sa vie et bientôt cet épisode ne serait plus qu’un lointain cauchemar.
Cela deviendrait une anecdote croustillante qu’elle raconterait à ses collègues de travail à la prochaine
réunion des cadres. Elle allait faire fureur au prochain congrès de Morgan avec cette histoire !
— On passe à la phase trois.
Les braqueurs s’apprêtaient à remettre leur cagoule avant de sortir.
Lori faillit laisser échapper un soupir de soulagement. Elle se figea, tous ses muscles en alerte, et
entama un décompte dans sa tête.
5… 4… Ils vont partir. Dans deux secondes ils auront franchi la porte.
3… 2… Ils ont déjà la main sur la poignée. Plus qu’une seconde.
1…
CHAPITRE 2
C’est le moment que choisit son téléphone pour émettre un bip, signe de batterie faible.
Un bip. Un seul. Un unique son sinistre qui déchira les oreilles de Lori aussi sûrement qu’une craie
crissant sur un tableau noir.
Elle se statufia. La peur resserra brutalement son étreinte, mena sa poitrine au bord de l’explosion et
tordit son estomac de sa une main invisible comme un torchon que l’on essore, tandis qu’une supplique
désespérée envahissait sa tête, chassant tout autre pensée cohérente.
Mon dieu, faites qu’ils n’aient rien entendu, faites qu’ils n’aient rien entendu…
Ses prières restèrent vaines.
En une seconde, un bras l’agrippa violemment. Elle sentit la chaleur de chaque doigt s’imprimer dans
sa chair comme si elle était marquée au fer rouge. Elle subit la force de l’homme qui l’extirpa sans
ménagement de sa cachette, et la projeta debout sur ses jambes tremblantes.
Et elle se retrouva en train de vaciller comme un poulain qui vient de naître, face à deux hommes
qu’elle n’osa pas regarder.
Le troisième se plaça derrière elle, et lui serra si fort la nuque qu’elle crut entendre ses vertèbres
craquer.
Brusquement, sans prévenir, il la secoua aussi facilement qu’une poupée de chiffon, et la douleur se
répandit dans tous ses membres comme si sa tête allait se détacher de son corps.
Par réflexe, elle tenta de saisir les mains qui l’enserraient dans un étau de douleur. Elle essaya
désespérément de trouver une prise et griffa rageusement la peau rugueuse. L’homme ne bougea pas plus
que s’il avait été piqué par un moustique inoffensif.
— Putain ! Qui est cette salope ? Je t’avais dit de vérifier que tous les employés étaient dans le hall,
gronda l’homme en direction du grand blond qui se tenait face à lui.
La respiration courte et erratique, Lori jeta un coup d’œil à la dérobée à l’homme qui la tenait toujours.
Il était plus petit que les deux autres, mais aussi plus massif. Ses cheveux bruns lui recouvraient en partie
le visage mais ne parvenaient pas à dissimuler complètement la longue cicatrice qui barrait sa joue
droite.
L’homme blond face à elle lui jeta un regard ennuyé. Ses yeux bleu acier passèrent sur Lori comme s’il
regardait un nuisible méprisable.
Un rictus déforma ses traits lorsqu’il fixa enfin le visage de Lori.
— Faut croire qu’elle s’était bien planquée.
Une pointe d’accent slave. Russe peut-être.
La panique faisait maintenant partie de Lori aussi sûrement que si elle était née avec. Avait-elle jamais
connu un autre état que celui dans lequel elle se trouvait à cet instant ? Avait-elle vécu d’autres moments
durant lesquels son cœur ne battait pas à un nombre incalculable de pulsations par minute, durant lesquels
sa respiration n’allait pas si vite que l’oxygène peinait à atteindre ses poumons, durant lesquels son esprit
n’était pas à la fois totalement vide et complètement empli d’une terreur pure ?
Le troisième homme toussota discrètement, comme s’il interrompait une querelle d’amoureux.
— Euh, y’a deux problèmes…
Le blond se tourna brusquement vers lui, son agacement maintenant nettement perceptible.
— D’abord, elle a un téléphone, asséna le troisième homme, ce qui veut dire qu’elle était sans doute en
communication avec la police. Et elle a vu nos visages.
Un silence de plomb retomba sur la pièce avec ces derniers mots et même si Lori ne l’aurait jamais cru
possible, sa peur grandit encore, jusqu’à atteindre des proportions incommensurables.
Elle était de nouveau au centre de l’attention. Son cerveau se remit brusquement en branle et une
succession de pensées toutes aussi effrayantes les unes que les autres défilèrent à une vitesse folle dans sa
tête tandis que les trois hommes la scrutaient intensément.
Désespérément, elle scruta leurs visages, hésitant entre ouvrir la bouche pour les supplier ou se taire
pour ne pas aggraver la situation.
Avant qu’elle n’ait pu prendre une décision, le dernier homme à avoir pris la parole lui adressa un
petit sourire, comme s’il était désolé pour elle.
Un instant, l’espoir ressurgit, apportant une étincelle de lumière au fond de l’âme glacée de terreur de
Lori.
Il n’avait pas la même carrure que ses complices. Il n’avait pas l’air d’être une grosse brute, lui. Il
était plus maigre, moins musclé, et il regardait Lori en plissant les yeux, le regard concentré.
Elle devina qu’il devait habituellement porter des lunettes. L’intellectuel du groupe, sans aucun doute.
C’était l’homme qui avait trouvé ce qu’ils étaient venus chercher.
Lori se sentit presque soulagée par sa présence. Étrangement, elle pensa que lui pourrait arranger la
situation.
Car la situation allait s’arranger, non ? Et au moins, il s’était montré presque amical. Il avait l’air plus
réfléchi, plus posé. Il empêcherait sans doute les deux autres de faire une bêtise, non ?
L’homme qui tenait Lori lui arracha brusquement le téléphone qu’elle tenait toujours, mettant fin à
l’espoir qui renaissait en elle.
Il jeta un coup d’œil à l’écran.
— 911, lut-il. C’est bien la police.
Lori entendit la voix étouffée de l’opératrice et son cœur manqua un battement. Elle ne pouvait plus
rien pour elle maintenant.
— Allô, allô, écoutez-moi, ne faites rien de stupide, ne…
Sous les yeux effarés de Lori, le téléphone atterrit par terre avec fracas avant d’être écrasé par le pied
du grand blond.
De nouveau, Lori chercha le regard de l’homme qui lui avait souri quelques instants plus tôt.
Celui qui allait arranger la situation, celui qui allait convaincre les autres de la laisser partir, celui qui
lui avait témoigné un geste de sympathie, celui qui lui avait adressé un sourire, celui qui…
Il ne souriait plus. Plus du tout. Et une arme s’était matérialisée dans sa main droite.
Lori comprit en une fraction de seconde que tout était terminé. Que rien ne pourrait arrêter ce qui allait
se passer. Qu’aucun chevalier n’allait surgir pour l’enlever sur son cheval blanc et la soustraire à son
sort.
Ce serait fini dans un instant.
Pourtant, le temps s’étira et transforma cette dernière seconde en un moment à la fois douloureusement
interminable et redoutablement éphémère.
Comme au ralenti, Lori vit l’homme lever son arme vers elle.
Et il tira.
La douleur explosa dans le crâne de Lori, puis ce fut le trou noir.
CHAPITRE 3
Tout n’était que douleur. Une douleur lancinante, intense, omniprésente.
Une douleur qui constituait l’essence de son être, qui contaminait chacune de ses cellules, qui brouillait
toutes les connexions de son cerveau désorienté.
Lori n’avait jamais eu aussi mal de sa vie. En fait, avant cela, pour elle, une telle sensation n’était pas
imaginable.
Même dans les pires moments de sa vie, elle n’avait jamais autant souffert. Même dans ses cauchemars
les plus noirs, elle n’avait jamais ressenti le début de ce qu’elle subissait aujourd’hui.
Heureusement, dès que la douleur franchissait un nouveau seuil et devenait intolérable, Lori finissait
par replonger dans les ténèbres et l’oubli. Son corps maltraité lui accordait au moins ce répit nécessaire à
sa survie.
Et à chaque fois qu’elle reprenait conscience, ramenée de force à la surface par la souffrance, il y avait
cet homme à son chevet.
La première fois qu’elle avait ouvert les yeux, elle était si affaiblie qu’elle n’avait même pas compris
où elle se trouvait. Le blanc éclatant des murs qui la cernaient lui brûlait la rétine et les puissantes odeurs
de désinfectant lui avaient immédiatement donné la nausée.
Mais lorsque la douleur insupportable avait recommencé à irradier dans sa tête, entraînant ses
gémissements, il avait posé une main apaisante sur son front en lui murmurant des mots indistincts. Et
l’effet avait été immédiat. Elle avait replongé dans l’oubli artificiel des analgésiques avec le cœur
curieusement allégé.
Les fois suivantes, elle avait su qu’elle se trouvait à l’hôpital. Dans son brouillard de souffrance et de
confusion, elle avait vu les visages défiler : médecins, infirmières, aides-soignants. Puis à nouveau
d’autres médecins, et ainsi de suite. Des visages, des mains qui la touchaient, la manipulaient, la lavaient,
lui apportaient tantôt des douleurs supplémentaires, tantôt un soulagement éphémère.
Mais lui, il était différent. Il était toujours là, présent, rassurant, seul élément intangible dans le monde
chaotique de Lori.
Perdue dans un kaléidoscope géant, elle n’arrivait pas à maintenir son attention suffisamment
longtemps pour distinguer clairement ses traits. Pourtant, elle le reconnaissait sans peine dès qu’il était
là. Presque sans avoir besoin d’ouvrir les yeux.
Elle put enfin l’observer, le jour où elle se réveilla et le trouva assoupi dans un fauteuil près de son lit.
Une barbe de trois jours assombrissait les lignes de sa mâchoire. Quelques mèches rebelles de cheveux
châtains lui tombaient sur le front. Il était grand et massif car il tenait à peine dans le fauteuil dans lequel
il avait trouvé place.
Même endormi, sa puissance et son assurance parvenaient par vagues jusqu’à Lori.
Même endormi, il se dégageait de sa personne une aura de force… et de danger.
Pourtant, Lori n’éprouva aucune crainte. Elle n’avait pas peur de lui. Et en fait, la seule question qui lui
vint à l’esprit était : de quelle couleur sont ses yeux ?
Comme s’il l’avait entendue, c’est le moment que choisit l’homme pour ouvrir lentement les yeux et la
fixer intensément, sans détour.
Verts. Ils étaient verts.
Une douce chaleur enveloppa le corps de Lori alors qu’elle verrouillait son regard au sien. L’espace
d’un instant, elle oublia la douleur, la chambre d’hôpital et le malaise qu’elle ressentait. Il n’y avait plus
que lui et son regard qui l’enveloppait, la couvait… qui la protégeait.
Et le charme ne fut pas rompu lorsque son ange gardien prit la parole.
— Lori, comment vous sentez-vous ? Je m’appelle Ryan Williams et je suis là pour vous aider, lui dit-
il d’une voix chaude.
Lori ne le quittait pas des yeux. Elle ouvrit la bouche, comme si elle voulait parler, puis fronça les
sourcils.
— J’ai mal, croassa-t-elle.
Et elle sombra à nouveau dans l’inconscience.
Ryan poussa un soupir de frustration en voyant la jeune femme replonger dans le néant et passa une
main rageuse dans ses cheveux.
Depuis dix jours qu’il se trouvait à son chevet, c’était la première fois qu’elle restait consciente
suffisamment longtemps pour qu’il puisse lui parler et qu’elle lui réponde… Si on pouvait appeler ça une
réponse.
Et merde !
Le regard qu’elle portait sur lui alors qu’il dormait et qu’il avait surpris lorsqu’il s’était réveillé
l’avait atteint. Ces grands yeux noisette qui le dévisageaient et les émotions qu’il y avait lues. Peur,
angoisse, douleur.
Il se leva et s’étira comme un fauve, déroulant tous ses muscles endoloris les uns après les autres,
méthodiquement.
Bon sang !
Le manque de sommeil le rendait faible. Il n’allait jamais pouvoir mener sa mission à bien s’il faisait
preuve de tant de sentimentalisme.
Il avait un boulot à faire et il allait le faire comme à son habitude. Sans état d’âme. Jusqu’à ce qu’il
obtienne ce qu’il était venu chercher.
Pourtant, malgré cette résolution, il ne put s’empêcher d’observer à nouveau la jeune femme allongée
inconsciente dans son lit d’hôpital. Un large bandage enserrait sa tête et la faisait paraître encore plus
pâle. Il voyait presque les veines courir sous sa peau diaphane et des cernes sombres creusaient son
visage.
Elle paraissait minuscule et fragile, des tubes enfoncés dans ses bras et entourée d’appareils qui
émettaient des bips inquiétants.
L’instinct protecteur de Ryan se réveilla et commença à tourner comme un lion en cage. Il l’étouffa
immédiatement. Il avait un job à faire et il avait appris à ses dépens que l’on ne mêlait pas sentiments et
travail.
Sans compter qu’il n’osait imaginer la réaction de Lori lorsqu’elle finirait par apprendre qui il était
vraiment.
CHAPITRE 4
Trois jours plus tard, Lori était suffisamment en forme pour rester éveillée la majeure partie de la
journée… et pour détailler sous toutes les coutures son bodyguard.
Sa première impression avait été la bonne : il était tout simplement vraiment beau.
Il n’y avait pas d’autres mots suffisamment forts pour rendre justice à son physique. Il était grand, peut-
être un mètre quatre-vingt-dix, ses cheveux châtains plutôt foncés mettaient en valeur son visage aux traits
fins mais racés et dégageant une puissance indéniable.
Et ses yeux…
Lori n’en avait jamais vu d’un vert si profond, si intense. Chaque fois qu’elle accrochait son regard, il
lui semblait qu’il lisait au fond d’elle et qu’il y apprenait ses secrets les plus inavouables. Et
immanquablement, elle finissait par détourner le regard, vaguement consciente que de son côté, il n’avait
rien livré de lui.
D’ailleurs, le moins que l’on puisse dire de lui était qu’il n’était pas très bavard. Au début, ce silence
têtu ne l’avait pas tellement dérangée.
C’est vrai qu’elle aurait eu du mal à tenir une vraie conversation tant sa capacité d’attention était
encore réduite par la fatigue. Pourtant, ce silence lui apparaissait comme contraint, comme si cela ne
correspondait pas à sa vraie nature et qu’il forçait le trait, pour une raison qui échappait à Lori.
Mais maintenant qu’elle avait retrouvé un peu d’énergie, les questions lui brûlaient les lèvres et
menaçaient de fuser à chaque instant.
Lori contempla l’homme un moment. Il était avachi dans le fauteuil qui semblait être devenu sa
deuxième maison et fixait l’écran d’un ordinateur portable.
Elle prit une grande inspiration, rassemblant son courage, et se racla la gorge.
— Euh… M. Williams ?
Il redressa si brusquement la tête que Lori ne put retenir un sursaut et il la scruta d’un air surpris,
comme s’il était étonné qu’elle se souvienne de son nom.
Le cœur de Lori s’affola brutalement et elle esquissa un sourire gêné, saisie par une furieuse
impression d’avoir éveillé un fauve endormi.
Bon…
Elle avait son attention.
Lori déglutit pour tenter de chasser la boule qui se formait dans sa gorge tandis qu’il l’observait
toujours de son regard perçant.
OK…
Si elle voulait poser les mille questions qui tournaient en boucle dans sa tête depuis plusieurs jours,
c’était le moment ou jamais.
Elle reconnut à peine la voix tremblotante qui sortit de sa bouche.
— Qu’est-ce que je fais ici ? Que… Que s’est-il passé ? Et… qui êtes-vous ?
Ryan Williams fronça les sourcils devant ce flot de questions, et ses yeux se plissèrent, détaillant avec
encore plus d’attention la jeune femme.
Lori se sentit mise à nue par ce regard et un stupide besoin de se justifier l’envahit, dictant ses paroles.
— O… oui…, reprit-elle précipitamment en tentant de maîtriser sa voix, les médecins m’ont dit qu’on
m’avait tiré dessus. Mais, je ne me souviens pas de ce qui s’est passé. Et pourquoi vous êtes là, à mon
chevet. Je ne vous connais même pas. Je ne vous connais pas, n’est-ce pas ? Je m’en souviendrais quand
même, vous êtes trop b…
Elle écarquilla les yeux et s’interrompit brutalement en se rendant compte de ce qu’elle était en train de
dire.
Merde !
Avait-elle vraiment failli dire… ça !
Une chaleur cuisante enflamma ses pommettes. Voilà qu’elle rougissait comme une écolière
maintenant !
Mais quelle idiote !
Elle était restée plusieurs jours dans un état comateux dans une chambre d’hôpital et elle déclarait sa
flamme au premier inconnu venu avant de s’empourprer comme une collégienne !
Même s’il fallait reconnaître que cet inconnu ne manquait pas de charme…
Et pour couronner le tout, la situation semblait l’amuser au plus haut point s’il fallait en croire le petit
sourire en coin qui était apparu sur ses lèvres et qu’elle voyait pour la première fois.
Il était tout simplement diaboliquement séduisant.
Ryan regarda la jeune femme se débattre avec elle-même avec un amusement grandissant. Il ne put
retenir un sourire devant sa gêne évidente et la rougeur qui gagnait ses joues.
Il n’ignorait pas l’effet qu’il produisait sur la plupart des femmes. Effet dont il usait et abusait.
Certains et certaines lui reprochaient d’ailleurs cette arrogance.
En réalité, il aimait se dire qu’il s’agissait plutôt d’estime de soi. Il était sûr de lui et de ses charmes,
et savait s’en servir à son avantage. Son métier l’exigeait.
Mais en face de lui, une femme qui se remettait à peine de ses blessures s’agitait, visiblement en proie
à un malaise de plus en plus important.
Il mit fin à sa torture.
— Vous ne vous souvenez vraiment de rien ? lui demanda-t-il d’une voix douce mais ferme, feignant
d’ignorer les derniers mots qui lui avaient échappé.
La jeune femme secoua la tête en se mordant les lèvres et ses joues prirent à nouveau une jolie teinte
rosée.
Cela ne l’étonna pas vraiment. Les médecins lui avaient dit que Lori risquait d’avoir perdu la mémoire
des faits. Mais il avait espéré – et redouté ? – qu’elle se souvienne des événements.
Il poussa un soupir et avança son fauteuil pour se rapprocher du lit. Il voulait se montrer le plus délicat
possible, mais il n’y avait pas de mots indolores pour dire ce qu’il avait à lui dire.
Autant se montrer direct. Et voir ce qu’elle pouvait supporter.
— Et bien, commença-t-il d’un ton qu’il voulait égal, un braquage a eu lieu dans la banque dans
laquelle vous travailliez. Et les braqueurs vous ont tiré dessus. Une balle dans la tête. C’est un miracle
que vous soyez toujours en vie. Les médecins pensent que vous avez dû bouger au dernier moment, ce qui
a fait dévier la trajectoire de la balle. Et c’était un petit calibre. La balle n’a fait que vous effleurer sans
faire de trop gros dégâts. Mais vous avez une belle commotion.
Lori sembla encaisser ces informations. Elle le regarda intensément sans ciller pendant quelques
secondes, comme si elle était ailleurs.
Ryan pouvait presque voir les rouages se mettre en branle sous son joli crâne.
Et pourtant, sa question le prit au dépourvu.
— Mais qui êtes-vous ?
Il ne pouvait plus reculer. Il allait devoir lui mentir.
Il prit une inspiration et s’apprêta à débiter le discours qu’il avait appris.

Vous aimerez peut-être aussi