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Communications

L'espace et le temps : le point de vue astronomique


Evry Schatzman, Monique Signore

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Schatzman Evry, Signore Monique. L'espace et le temps : le point de vue astronomique. In: Communications, 41, 1985.
L'espace perdu et le temps retrouvé. pp. 81-94;

doi : https://doi.org/10.3406/comm.1985.1609

https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1985_num_41_1_1609

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Evry Schatzman et Monique Signore

L'espace et le temps :
le point de vue astronomique

Résumé.

L'examen des données astronomiques (fuite des galaxies, rayonnement


cosmologique) et des lois physiques (mécanique céleste, théorie de la
gravitation) conduit à des représentations de l'univers dont la plus simple est l'univers
fermé de Friedmann-Robertson- Walker (FRW) isotrope, spatialement
homogène et rempli de fluide. Chaque section du genre espace est fermée (compacte,
finie en volume et en extension).
La caractéristique essentielle de ce modèle est son expansion : le volume des
sections spatiales varie avec le temps. Cette expansion conduit à une singularité
initiale en un temps fini dans le passé, quand le volume d'une section spatiale
devient nul. quand la matière devient infiniment dense et chaude : c'est le
« bang » du début de l'univers. Tous les modèles dynamiques, physiquement
raisonnables, conduisent à cette singularité initiale.
Dans cette représentation classique, la flèche du temps est définie à la fois par
la singularité, l'expansion de l'univers et la séquence de phénomènes
irréversibles dont il a été le siège (croissance de l'entropie).
On a tenté depuis quelque temps une étude des phénomènes physiques qui se
sont produits à l'époque dite de la grande unification (10'35 sec), où était
réalisée physiquement l'unification des forces (interactions électromagnétiques,
faibles, fortes et gravitationnelles). Ces modèles semblent capables de résoudre
certains problèmes, tels que celui des horizons, celui de la « platitude », celui de
l'excès du nombre de photons par rapport au nombre de baryons. celui de la
forte entropie par baryon...
Quand la courbure varie de façon significative à l'échelle de la longueur de
Planck (1()"32 cm), c'est-à-dire au temps de Planck (10'42 sec), la description
classique n'est plus valable, car les effets gravitationnels quantiques deviennent
importants. Il n'est pas encore possible de calculer ces effets et donc de tirer des
conclusions définitives sur cette époque très archaïque.

Introduction.

Le point de départ de toute la conception astronomique du temps est


le mouvement des astres dans le ciel et la rotation de la Terre. Pendant
longtemps, en fait jusqu'en juin 1955, la rotation de la Terre a servi de
base au contrôle des horloges qui servaient de garde-temps. Les

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inégalités du mouvement de rotation de la Terre ont finalement conduit
à effectuer le contrôle des horloges par la durée de l'année tropique, la
seconde valant la fraction 1/31 556 925,975 de l'année tropique, et à
remplacer définitivement la garde du temps par les horloges à balancier
par la garde du temps par les horloges atomiques. Depuis octobre 1983,
par convention, l'unité de temps et l'unité de longueur sont reliées
par l'intermédiaire de la vitesse de la lumière, puisque le mètre
est maintenant défini comme étant la distance parcourue en
1/299 792 458 de seconde, la seconde étant définie par la fréquence
0,9192631770.1010 s"1 d'une raie du césium.
Ce nouveau garde-temps, d'une stabilité à laquelle on ne pouvait
songer il y a encore trente-cinq ans, permet une étude d'une
remarquable précision du mouvement de la Terre et des planètes autour du Soleil.
Un résultat tout à fait important de ces études, ainsi que le rapporte Will
(1979), est la confirmation de la théorie einsteinienne de la gravitation
(TEG) : dans le système solaire, les corrections post-newtoniennes de la
théorie einsteinienne sont vérifiées, et cela avec une précision suffisante
pour écarter diverses variantes de la relativité qui ont été proposées
depuis soixante ans.
Nous nous placerons donc, dans ce qui suit, dans le cadre de la théorie
einsteinienne de la gravitation, le terme consacré de relativité générale
étant en fait malheureux et même fallacieux. En effet, dès l'instant que
sont introduites des bosses de l'espace-temps, le système des
coordonnées devient absolu (voir par exemple de Witt, 1983) et le terme de
relativité ne paraît plus approprié.

L'expansion de L'univers.

Le point de départ de toute notre conception de l'espace et du temps


est bien évidemment notre environnement terrestre, en donnant au mot
environnement un sens très large, incluant toute la partie visible de
l'univers qui nous entoure.
La partie visible de l'univers qui nous entoure ne nous permet pas de
répondre à toutes les questions qui sont posées par la logique de TEG et
ses développements les plus récents. Aussi bien est-ce par les questions
les plus simples que nous commencerons.
Venant après la TEG d'Einstein (1916, 1917) et les modèles
d'univers de Sitter (1917), Friedmann (1922), Lemaître (1931), la
découverte par Hubble et Humason (1931) que le décalage vers le rouge
des raies spectrales des galaxies croissait avec la distance a imposé très
rapidement, grâce en particulier à Eddington, la notion d'expansion de
l'univers.
Il apparaît maintenant, à condition de se placer à une échelle

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suffisante (au-delà de 108 années-lumière), que l'univers est homogène


et isotrope. Les galaxies lointaines s'éloignent de nous avec des vitesses
proportionnelles à leur distance :
v = ll.r
où r est la distance et v la vitesse. Il est la constante de Hubble-
Humason. du nom des deux astronomes qui ont établi cette loi en 1929.
Depuis la découverte de Hubble et llumason. des analyses de données de
plus en plus rigoureuses ont confirmé cette relation, tout au moins tant
que les distances ne sont pas trop grandes (un petit terme en r2 devient
sensible aux grandes distances, mais son évaluation est difficile et il n'y a
pas accord sur son signe !). La valeur de 11 est encore controversée. Il
allant de 50 km/sec/Megaparsec (Tammann et al.) à 85 km/sec/
Megaparsec (Vaucouleurs). Les écarts à la loi de Hubble-llumason sont
considérés comme étant dus à des mouvements particuliers des
galaxies.
La « cosmologie moderne » commence avec l'application des
principes de la relativité générale d'Einstein : curieusement, alors que des
cosmologies newtoniennes avaient déjà été élaborées par Neumann
(1896) et Seeliger (1895). celles-ci n'ont été retrouvées que bien après
les premières cosmologies relativistes : Milne (1934) et Milne et Me Créa
(1934). L'intérêt des cosmologies newtoniennes. ainsi que le remarquait
Peebles (1970). tient au fait que. jusqu'à une distance de l'ordre du
milliard d'années-lumière, l'univers est très proche d'un univers
euclidien.

La Singularité initiale. Le problème des horizons.


Les cosmologies newtoniennes et relativistes ont un trait commun très
important : pour tout observateur, il existe dans le passé un temps fini
où la densité a été infinie. C'est le problème le plus fondamental de la
cosmologie moderne : Penrose. Hawking. Ceroch. Misner. entre autres,
ont montré que les « singularités » sont un trait commun à tous les
modèles cosmologiques. L'interprétation physique détaillée de ces
singularités reste un problème non résolu. Mais pourquoi l'idée d'une
singularité initiale est-elle si troublante ? Revenons à l'univers observé.
La loi de Hubble-llumason nous dit que la cinématique de l'univers est
grossièrement isotrope ; nous verrons plus loin que le fond du ciel en
micro-ondes est encore plus parfaitement isotrope. La métrique de FRW
est certainement une excellente approximation au moins depuis
l'époque où le rayonnement (voir plus loin) s'est découplé de la matière.
Mais, au-delà de cette époque, on ne peut pas expliquer l'homogénéité
de l'univers et en particulier la parfaite isotropie du rayonnement du
fond du ciel à cause du problème des horizons de particules : il existe des
événements de Vespace-temps qui sont visibles maintenant mais qui sont

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Evry Schatzman et Monique Signore
k temps

t= 0

Dans ce diagramme à 3 dimensions de l'espace-temps :


— Notre position, au temps présent, est indiquée par l'observateur O. On ne peut recevoir des
signaux que de notre cône de lumière orienté vers le passé.
— Des événements, tels que A et B, sont tous deux « visibles » par O, mais ne peuvent avoir aucun
passé commun : aucun mécanisme physique qui aurait affecté les propriétés physiques en A
n'aurait pu affecter celles de B puisque leurs cônes de lumière n'ont aucune intersection.
C'est la situation du rayonnement du fond du ciel, émis au temps représenté par le plan horizontal
t = 1 4 = to. Le c problème de l'horizon » est la difficulté d'expliquer comment le rayonnement reçu
des deux directions opposées A et B peut être à la même température.
— La ligne brisée, au temps t = 0, représente la « singularité ».

causalement disjoints, car leurs cônes de lumière respectifs rencontrent


la singularité avant de s 'intersecter entre eux (figure ci-dessus).
L'isotropie n'a donc pas de cause physique évidente, à moins que :
- l'égalité des températures soit proposée comme condition initiale de
l'expansion ;
- l'isotropie résulte < d'un mécanisme qui élimine ou éloigne les
horizons. Les tenants de la cosmologie inflatoire, dont nous parlerons
plus loin, prétendent avoir trouvé cette dernière solution.
On constate par ailleurs de larges fluctuations dans la distribution des
galaxies, qui sont réunies en amas, superamas, « crêpes », « cordes ». On
imagine que ces grandes structures ont été induites par des fluctuations
primordiales. On retrouve alors une difficulté analogue à celle qu'on a
déjà rencontrée à propos de l'isotropie du rayonnement du fond du ciel
et à propos de l'uniformité de composition chimique de l'univers : on ne
peut pas expliquer le spectre des fluctuations primordiales par rapport à
l'isotropie globale. On admet alors comme un postulat l'existence de ces
fluctuations primordiales. Ces fluctuations évolueraient ensuite suivant
l'un ou l'autre des deux grands types de scénarios possibles :

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L'espace et le temps : le point de vue astronomique

- fluctuations isothermes qui conduiraient à une construction


hiérarchique des structures : galaxies, amas, superamas ;
- fluctuations adiabatiques qui conduiraient à des structures de la
taille des amas et superamas, et qui, par fragmentation, donneraient des
galaxies.
Mais il faut bien noter que l'on ne sait pas à l'heure actuelle avec
certitude si ces larges structures ont été engendrées avant ou après la
formation des galaxies. La morphologie des galaxies et la morphologie
des systèmes paraissent se reproduire de façon statistiquement
uniforme, témoignant ainsi que les mêmes mécanismes, les mêmes lois
physiques ont été à l'œuvre.

L'existence d'une masse manquante.

La comparaison entre la masse visible, déduite de la luminosité des


galaxies, et la masse calculée à partir de la dynamique (dynamique des
galaxies, dynamique des amas) suggère l'existence d'un défaut de
masse, d'une « masse manquante », la masse visible étant, semble-t-il,
plus petite que la masse calculée.
Seulement dix pour cent, et peut-être même seulement un pour cent,
de l'énergie de masse est sous une forme connue. Tout ce qu'on peut dire
sur la masse invisible est qu'elle est « noire » : elle a un rapport « masse
sur luminosité » beaucoup plus grand que celui des galaxies. Aussi
a-t-on déployé beaucoup d'imagination pour trouver la nature de cette
masse « invisible » : étoiles très massives, objets supermassifs, non
seulement d'éventuels neutrinos massifs, mais aussi tous les « inos »
répertoriés, tels que « photinos », « gravitinos », et aussi « monopoles de
Dirac » ou « axions » actuellement envisagés.
On doit cependant noter que la plus grande difficulté vient de
l'estimation de la masse des galaxies dans les grands systèmes. Or cette
estimation change considérablement suivant les hypothèses faites
concernant la distribution des masses des galaxies et l'état dynamique
du système (stationnante ou non-stationnarité). En bref, la densité
moyenne de l'univers n'est pas connue avec certitude et les réflexions sur
la « masse manquante » sont peut-être venues prématurément. On en
donnera comme exemple les données expérimentales les plus récentes
sur la masse du neutrino, celle-ci ayant été révisée en baisse (mv <
10-5 me).

Le problème de la « platitude ».

La notion de densité critique est liée à une notion géométrique. Pour


un modèle cosmologique à constante cosmologique nulle, suivant que la

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densité est inférieure, égale ou supérieure à la densité critique, l'univers


est sphérique. fermé, plat et ouvert, hyperbolique et ouvert.
Une question que l'on se pose beaucoup est la suivante : pourquoi
l'univers est-il si proche de la densité critique ? L'écart à la densité
critique varie au cours de l'expansion. L'écart relatif est une fonction
rapidement croissante du temps et. aux époques archaïques, cet écart
relatif était incroyablement petit. 11 y a donc une tendance à considérer
que la densité est exactement la densité critique et qu'il existe un
mécanisme — à découvrir — qui amène la densité archaïque à la densité
critique. Cette dernière solution est celle des tenants de la cosmologie de
l'univers inflatoire.
L expansion de l'univers a soulevé, dès la découverte de Hubble et
Humason. des objections qui paraissent plutôt dues à des a priori
philosophiques, idéologiques même, qu'à des raisons scientifiques.
Zwicky (1957) a cherché des preuves observationnelles de la non-
expansion. Les principes sur lesquels reposait la recherche de Zwicky
présentent l'intérêt de mettre en évidence des propriétés sans dimension,
c'est-à-dire ne dépendant pas. par exemple, de la calibration des
distances. Un exemple en est son étude du dénombrement des amas de
galaxies en fonction de leur diamètre. En effet, pour des amas situés à
une distance caractérisée par le décalage spectral (X7X) = (1 + z). le
nombre d'objets situés à une distance inférieure à d est simplement
proportionnel au volume, s'il n'y a pas expansion. N ~ d * ~ z'. Par
contre, s'il y a expansion, il faut tenir compte du fait que la densité a été
plus grande dans le passé et le nombre N augmente plus vite que z J. En
première approximation, (si z « 1). N ~ z} (1 + 9/4 z). C'est donc la
pente de la courbe N(z) qui doit servir de test, et cette pente ne fait pas
intervenir la calibration de l'échelle des distances. Zwicky concluait de
ses données qu'il n'y avait pas expansion. En fait, la statistique sur
laquelle reposait la conclusion de Zwicky, utilisant un trop petit nombre
d'objets, n'était pas significative.
Finlay-Freundlich (1954) a. suggéré une sorte de « fatigue » de la
lumière, expliquant le décalage vers le rouge, sans avoir à faire
intervenir l'effet Doppler. Cette hypothèse, reprise par Vigier et al.
( 1971 ), a évidemment pour avantage d'éviter l'intervention d'un instant
initial. 11 est cependant très difficile de conduire cette hypothèse
jusqu'au bout de façon cohérente. Dès le départ, il a été supposé que les
photons perdaient de l'énergie par collision sur d'hypothétiques
particules, présentes partout dans l'univers et associées au champ de
rayonnement lui-même. La plus grande difficulté consiste alors à
expliquer le profil des raies spectrales, car la succession des collisions des
photons avec les particules produit un élargissement aussi grand que le
décalage spectral lui-même et cet effet n'est pas observé. L'hypothèse
que le décalage spectral n'est pas dû à l'expansion de l'univers soulève

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L'espace et le temps : le point de vue astronomique

une autre difficulté : comment expliquer l'existence d'un univers dont


toutes les parties s'attirent gravitationnellement sans qu'il s'écroule sur
lui-même ?
Une autre hypothèse avait été émise dès 1948 par Hoyle. Bondi et
Gold, reposant sur le « principe cosmologique parfait.» suivant lequel
l'univers n'était pas seulement identique à lui-même en tous points et
dans toutes les directions, mais avait été identique à lui-même en tout
temps et à toute époque. Le « principe cosmologique parfait » entraînait
ipso facto l'hypothèse de la création continue de matière (un proton par
litre et par milliard d'années), afin de compenser la baisse de densité due
à l'expansion par l'entrée continue de matière dans l'univers. Cette
hypothèse a été prise en considération sérieusement par un certain
nombre d'observateurs qui ont cherché en particulier à vérifier les
différents modèles cosmologiques par la détermination des termes
quadratiques dans la relation distance-décalage spectral. En dehors de
la difficulté qu'il y avait à trancher entre les différents modèles à l'aide
de données insuffisantes (et à ce point de vue la situation s'est améliorée
au cours des dix dernières années), la découverte du rayonnement du
fond du ciel (dont il sera question plus loin) est venue ruiner l'hypothèse
de la création continue et le « principe cosmologique parfait ». Dans
l'univers stationnaire. il est impossible de trouver une source convenable
qui reproduise le rayonnement du corps noir à 3" Kelvin.

Le rayonnement du fond du ciel.

La découverte en 1965 du rayonnement du fond du ciel par Penzias et


VTilson a été un événement majeur pour la cosmologie et la connaissance
de l'univers. Ce rayonnement correspond de façon remarquable à un
rayonnement thermique à la température de 2.74" K ; il est si
parfaitement thermique qu'une très légère anisotropie peut être attribuée à la
vitesse de la Terre. Celle-ci se déplace par rapport au rayonnement à
2.74. qui devient ainsi un repère absolu, à la vitesse de 300 km/sec, cette
vitesse engendrant une différence de 3 millikelvin en plus ou en moins
suivant que l'on regarde le fond du ciel dans le sens du mouvement ou en
sens contraire.
La découverte du rayonnement du fond du ciel a apporté un
argument supplémentaire et. semble-t-il. décisif en faveur de
l'expansion de l'univers. Seul, jusqu'à présent.- le modèle de l'univers en
expansion permet en effet de donner une explication cohérente, sans
l'introduction d'aucune hypothèse nouvelle, du rayonnement du corps
noir du fond du ciel.
Pour comprendre cette explication, il faut d'abord raisonner en
remontant le temps, en essayant de se représenter l'état de l'univers dans

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le passé, puis, ayant abouti alors à un certain nombre d'hypothèses
physiques simples, il faut raisonner en descendant le cours du temps, et
l'on décrit ainsi de façon assez simple la formation du rayonnement du
fond du ciel. Remontant le temps, on rapproche les galaxies les unes des
autres et l'on comprime le rayonnement qui s'échauffe. A (1 + z) = 100,
les galaxies se touchent et la température du rayonnement du fond du
ciel est de 300°K. On en conclut que les galaxies n'ont pas existé de toute
éternité et qu'il y a eu formation des galaxies. Formation à partir de
quoi ? La nature organisatrice de la gravitation conduit à supposer que
les galaxies se sont formées à partir d'une matière diffuse, mêlée
intimement et de façon homogène au rayonnement.
On suppose l'existence d'un plasma d'hydrogène et d'hélium, dominé
par le rayonnement et remplissant l'univers ; pour le moment, nous
prenons ce plasma comme une donnée, reportant à plus loin la
discussion de l'origine de ce plasma.
Lorsque la température de ce plasma s'abaisse, au cours de
l'expansion, aux environs de 3 000"K (1 + z — 1 200). les ions hydrogène et
hélium se recombinent pour donner des atomes d'hydrogène et
d'hélium, pratiquement transparents au rayonnement du corps . noir à
3 000"K. Le. rayonnement est alors découplé de la matière, se propage
librement dans l'univers, toutes les longueurs d'onde se décalant
progressivement au cours de l'expansion, jusqu'à donner à l'époque
actuelle, l'époque de réception, ce rayonnement du fond du ciel à
2.74"K. A l'époque du découplage matière/rayonnement, la densité
moyenne de matière était un milliard de fois plus grande
qu'aujourd'hui. Le mécanisme envisagé rend compte de la production d'un
rayonnement de corps noir sans aucune hypothèse supplémentaire. Il
suppose l'expansion de l'univers et tient simplement compte- de la
présence du rayonnement.
Ht y < a alors trois raisons physiques de croire i à l'expansion de
l'univers :
1. Un univers autogravitant ne pouvant être en équilibre stable est
nécessairement en mouvement. Dans l'hypothèse d'un univers
homogène et isotrope, l'univers est soit en expansion, soit en concentration :
rien ne peut faire écran à la gravitation.
2. Le décalage vers le rouge des raies spectrales s'accorde alors avec
l'hypothèse de l'expansion.
3. L'hypothèse de l'expansion fournit une explication simple des
propriétés du rayonnement du fond du ciel.
Si l'on remonte plus loin dans le temps, on trouve des densités et des
températures de plus en plus élevées. A l'époque t — \ sec. la
température est de l'ordre de dix milliards de degrés, c'est l'époque de la
nucléosynthèse. Disons, pour simplifier, que les réactions nucléaires
dans un univers en expansion, à l'époque t — 1 sec, expliquent
raisonnablement le rapport d'abondance hydrogène/hélium. L'abon-

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L'espace et le temps : le point de vue astronomique

dance, semble-t-il. universelle de l'hélium [masse hélium/(masse


hélium + masse hydrogène) J. voisine de 0,25. serait le résultat de la
nucléosynthèse rapidement arrêtée dans un univers en refroidissement
rapide.
On ne peut cependant s'empêcher d'être frappé par la petitesse des
domaines causalement liés à l'époque t—\ sec. La masse d'un domaine
causalement lié est seulement de l'ordre de 1/10 000 de masse
solaire.

Excès du nombre photonique par rapport au nombre baryonique.

La présence du rayonnement du fond du ciel pose une autre question,


qui n'a pas encore reçu de réponse satisfaisante : comment se fait-il que
le nombre de photons par unité de volume soit environ un milliard de
fois plus grand que le nombre de baryons (protons ou neutrons) ? Ce
faible quotient (nombre de baryons sur nombre de photons) pose un
problème thermodynamique redoutable. Au moment du découplage
matière/rayonnement, à l'époque où l'univers est encore proche de
l'équilibre thermodynamique, cela représente une entropie par baryon
extrêmement élevée et dont la génération n'est pas encore comprise.
Différentes explications ont été proposées, en particulier, d'après une
idée originale de Sakharov reprise par beaucoup de physiciens, le
rapport « nombre de baryons sur nombre de photons ■» serait une relique
d'une époque archaïque, quand la température était supérieure à
1015 GeV. Comme les théories de la grande unification le suggèrent, si un
équilibre statistique peut s'établir à ces températures, quand l'univers se
refroidit et que la température devient inférieure à 1014 GeV. il est
possible qu'existe une brisure de symétrie entre baryons et antibaryons
qui soit gelée dans l'univers.
Comme on l'a déjà noté, le modèle de FRW est une bonne
approximation de l'univers observé, qui tient compte des observations jusqu'au
découplage matière/rayonnement. Mais on peut supposer qu'à des
époques plus anciennes, l'univers exhibait des anisotropies. des inhomo-
généités. qui se sont lissées depuis, mais qui ont joué un rôle essentiel
dans la production de l'univers d'aujourd'hui. Par exemple, • Penrose
(1979) a suggéré qu'une « entropie gravitationnelle » de l'espace-temps
cosmologique pourrait être liée à la partie non newtonienne de la
courbure de l'espace-temps : l'expansion de l'univers isotrope et
homogène de Friedmann correspondrait à un espace-temps où la courbure à
contrepartie newtonienne dominerait la partie non newtonienne, tandis
qu'à une époque plus archaïque — quand des anisotropies. des
inhomogénéités peuvent se développer — la courbure de l'espace-temps
serait alors dominée par cette partie non newtonienne de la courbure. 11

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Evry Schatzman et Monique Signore
pourrait en résulter une asymétrie du temps, significative quant à
l'évolution globale de l'univers.
Nous avons plusieurs fois évoqué l'univers inflatoire. Le premier
scénario présenté par Guth. Sato (1981), les versions plus récentes de
Linde, Albrecht, Steinhardt. Hawking, etc. (1982) suggèrent une
première époque inflatoire. du type expansion à la de Sitter (1917).
suivie, à la suite d'une transition de phase, d'une époque d'expansion
homogène et isotrope de type FRW. Ce scénario résout le problème des
horizons, le problème de la « platitude ». il est cohérent avec la brisure
de symétrie baryon-antibaryon ; certains cosmologistes ont montré que
les perturbations à petite échelle pouvaient conduire aux inhomogénéi-
tés à grande échelle qu'on observe. Il serait vain cependant de faire
croire qu'un tel modèle ne présente pas de difficultés. 11 contient
plusieurs paramètres physiques dont la valeur n'est pas connue, et on
peut lui reprocher de faire jouer un rôle trop important à la durée de vie
du proton, durée de vie qui ne paraît pas, d'après les derniers résultats
expérimentaux, être celle que l'on attendait, mais au moins cent fois plus
grande.
En bref, les cosmologistes cherchent actuellement comment les
processus qui se déroulaient à l'époque où régnaient les températures
caractéristiques de l'unification pourraient faire comprendre des
propriétés encore inexpliquées de notre univers : la très grande
homogénéité, l'isotropie. la platitude spatiale, le quotient « nombre de baryons
sur nombre de photons » et peut-être même le spectre primordial des
fluctuations de densité. Par exemple, comment l'inflation existant au
temps de la grande unification peut agir sur une large classe de
conditions initiales et conduire à l'univers observé actuellement,
comment la distribution de matière et de rayonnement actuelle peut résulter
de la production de particules, étant donné un état initial d'équilibre
thermodynamique, et comment un spectre initial de fluctuations peut
être amplifié et conduire à celles qu'on observe.
On arrive ainsi à dater les événements essentiels qui ont marqué
l'évolution de l'univers en expansion (voir tableau p. 91). Toute
discussion sur l'univers archaïque fait intervenir actuellement . des
notions sur la physique des particules. En effet, plus on remonte dans le
passé, plus la température est élevée. Il est donc possible de trouver,
engendrées par le rayonnement et en équilibre avec lui. des particules de
masse de plus en plus grande.
La grande idée des physiciens théoriciens et physiciens des particules
est que les différentes forces dont on voit la manifestation dans la nature
— gravitationnelle, faible, électromagnétique et forte — sont en fait
dues à un agent unique, mais dont les manifestations sont protéif ormes.
Le grand succès du modèle de Weinberg-Salam est l'unification des
forces faible et électromagnétique par l'intervention de particules
nouvelles, le W* et le Z". récemment découvertes au CERN (1983). Ces

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Uespace et le temps : le point de vue astronomique

deux particules, avec des masses de l'ordre de 100 GeV, étaient en


équilibre avec le rayonnement quand l'univers était âgé de 10~10
secondes. On ne pouvait alors distinguer leurs interactions faibles
(neutrino) et électromagnétiques (électron, photon). Dans les conditions
usuelles, l'interaction des neutrinos se fait par l'intermédiaire de
particules de grande masse (W*, Z°) correspondant à des distances
d'interaction extrêmement petites (2.10~16 cm). L'hypothèse de
l'unification de toutes les forces à des énergies encore plus grandes suggère une

REPÈRES COSMOLOGIQUES

décalage phénomène
spectral époque
1 10 à 20 milliards univers actuel
d'années
10 200 milliards d'années formation des galaxies
1200 500 000 ans découplage matière/
rayonnement
10 6 20 000 ans l'univers est dominé par le
rayonnement
3.10" 1 seconde nucléosynthèse
3.1012 1 U seconde équilibre baryons-antibaryons
3.1014 100 picoseconde équilibre W* Z°
1027 10~35 seconde brisure de symétrie
1031 10"43 seconde temps de Plank

particule hypothétique, de masse M — (e'2/G)1/2, M ~ 1018 GeV


(particules dites particules de Planck). Si l'on considère la température
du rayonnement nécessaire à l'apparition de ces particules, on doit se
placer à l'époque t ~ 10"42 sec. Or, à cette époque, l'horizon causal est à
une distance et ~ 3.10~32 cm, qui est justement de l'ordre de grandeur de
la distance d'introduction des particules de Planck ( (he/
E) *— 2.10"32 cm). La comparaison de ces deux ordres de grandeur
amenait A. Wheeler (1977) à montrer qu'à cette époque les notions
classiques de causalité et de continuité de la relativité générale ne sont
plus utilisables, puisque les fluctuations quantiques se font à l'échelle de
l'horizon de l'univers en expansion.

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Evry Schatzman et Monique Signore
La flèche du temps.

La discussion due à Gold lors du Congrès Solvay (1958) reste


essentiellement valable. . L'expansion de l'univers est la source d'une
irréversibilité fondamentale. L'évolution des conditions physiques {voir
encadré) témoigne de cette irréversibilité.
La notion d'entropie au sens strict du terme n'est pas utilisable, car
cette notion n'est valable qu'au voisinage de l'équilibre
thermodynamique ; or l'univers est très loin de l'équilibre thermodynamique. C'est
dans l'expansion de l'univers que se trouvent réunis deux phénomènes
qui sont disjoints dans l'analyse physique traditionnelle : l'évolution
dynamique de l'univers, qui définit le sens du temps (l'univers est en
expansion et non en contraction), et l'évolution thermodynamique vers
des écarts à l'équilibre de plus en plus grands, et en même temps, par
suite des effets de la gravitation, une augmentation continue de
l'entropie. (Les sphères gravitationnellement liées se comportent comme
des systèmes à chaleur spécifique négative.)
La liaison expansion-particules thermodynamiques pourrait s'être
nouée à l'époque du temps de Planck. Les spéculations sur l'espace-
temps quantifié reposent sur l'idée de Wheeler suivant qui. à l'échelle de
Planck, la structure causale de l'espace-temps est fluctuante et
incertaine, il y a confusion entre le passé et le futur. L'absence de toute
donnée expérimentale à ce niveau rend possible toutes les fantaisies. La
flèche du temps aurait-elle été déterminée par. une fluctuation aléatoire
au temps de Planck ?
En fait, on arrive très rapidement à des interrogations qui obligent à
se poser des questions tout à fait fondamentales sur la quantification de
la gravitation, l'unification des forces de la nature (grande unification)
et la cosmologie.

Evry Schatzman et Monique. Signore


directeur de recherches chargée de recherches
au CNRS au CNRS
radio-astronomie radio-astronomie
ENS ENS
24. rue Lhomond 24. rue Lhomond

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