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Analyse sociologique des causes de la marginalisation

des communautés locales et examen des conditions et


conséquences de leur capacitation dans la gouvernance
forestière au Cameroun

Thèse

Georges Boniface Nlénd V

Doctorat en sociologie
Philosophiae doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

© Georges Boniface Nlénd V, 2018


Analyse sociologique des causes de la marginalisation
des communautés locales et examen des conditions et
conséquences de leur capacitation dans la gouvernance
forestière au Cameroun

Thèse

Georges Boniface Nlénd V

Sous la direction de :

Gilles Gagné, directeur de recherche

Nota Bene : Dans cette thèse, nous employons souvent la forme masculine pour désigner à l’occasion autant le masculin que le
féminin.
RÉSUMÉ COURT
La plupart des travaux réalisés depuis une vingtaine d’années sur la gouvernance forestière au Cameroun ont
[exhaustivement] analysé l’économie forestière camerounaise, en en relevant particulièrement les dimensions
problématiques et les aspects dysfonctionnels que Greenpeace (2007) résume en parlant d’un authentique
échec. Ces travaux présentent un tableau détaillé qui indique entre autres constats rémanents, que le pouvoir
de décision et les compétences de conduite des affaires sont plus que jamais confisqués dans les logiques
néo-patrimoniales portées par les autorités étatiques et les élites, au détriment des populations indigènes et
des communautés villageoises dont les diverses incompétences chroniques (intellectuelles, techniques,
citoyennes et politiques) sont cependant atténuées par l’action de veille déployée par les organisations de la
société civile.

Cependant, ces travaux ne produisent pas un cadre général d’explication dans lequel l’ensemble des
dysfonctionnements relevés s’articulent et se structurent. C’est cette omission théorique fondamentale de la
recherche que vise à combler la présente thèse consacrée à l’analyse sociologique des causes de la
marginalisation des communautés locales dans la gouvernance forestière au Cameroun, notamment à travers
l’opérationnalisation d’une perspective d’explication socio-historique et d’une approche conceptuelle qui
s’inscrivent dans la profondeur de la théorie critique et de l’économie politique. En effet, le souci de cette thèse
–non monographique et essentiellement théorique –est de débusquer les logiques opératoires incarnées par
les différents Régimes des forêts qui ont été pratiqués au Cameroun depuis l’époque coloniale allemande
jusqu’à la Réforme dite environnementale et participative de 1994, avec l’objectif d’identifier les déterminants
sous-jacents qui structurent la marginalité endémique des communautés locales, tout en favorisant aujourd’hui
l’éclosion de dynamiques non étatiques de capacitation des communautés villageoises.
Construite sur le concept de “contraintes structurelles”, notre thèse suggère une analyse novatrice dont la
préoccupation est de proposer une explication générale des “trends séculaires” (Immanuel Wallerstein, 2000)
qui soutendent l’exploitation industrielle des ressources forestières telle qu’elle s’est déployée jusqu’ici dans la
modernité politique camerounaise.

De l’analyse des données, il apparait qu’au regard du passage factice du régime colonial de la collectivité
politique camerounaise au statut d’État indépendant, l’ouverture de l’activité industrielle forestière aux
indigènes n’a jamais été concluante, notamment à cause de la rupture paradigmatique manifestée par
l’irruption d’une modernité capitaliste dont les indigènes n’avaient jamais ni élaboré le projet, ni tenu les leviers
opérationnels, autrement dit de l’opposition structurelle originaire qui plaçait la propriété des institutions, du
pouvoir, du capital, bref toute la structure de l’économie forestière capitaliste et tout le système de la

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production forestière industrielle aux mains des Européens et des élites indigènes qui leur succèdent. En
d’autres termes, la manifestation de dysfonctionnements irréductibles –dont la marginalisation des
communautés villageoises semble être l’une des expressions les plus emblématiques –dans la mise en œuvre
des réformes trouve ultimement son explication dans l’abstraction historique des réformes du contexte dans
lequel elles sont destinées à s’appliquer.

Fondée sur la réflexivité critique et développée en examinant la structure de déploiement de l’histoire,


l’originalité de notre thèse est de proposer une démarche radicale d’analyse de ce phénomène constamment
établi par la littérature scientifique des vingt dernières années, en en révélant sa structuration complexe ainsi
que son articulation à l’historicité problématique de la collectivité politique africaine moderne. En effet, à cause
du caractère total de la violence coloniale et des conditions exogènes de naissance de l’État africain moderne,
mais également de la cristallisation des modes arbitraires de conduite des affaires publiques et de gestion des
ressources collectives et de l’enracinement structurel de la corruption, l’exploitation industrielle de la forêt va
se déployer au détriment de la biodiversité et des systèmes écologiques, et surtout sur l’exclusion des
communautés indigènes qui, au-delà de la profonde déstabilisation dont elles sont victimes du rapport colonial
et capitaliste à la forêt, ne bénéficient d’aucune retombée substantielle et durable, tant sur le plan politique et
de la participation citoyenne que sur le plan de la viabilité matérielle et des conditions socio-économiques de
vie.

iv
RÉSUMÉ LONG
L’exploitation industrielle des forêts tropicales dans le Bassin du Congo et les diverses expériences de
gouvernance qui l’accompagnent ont fait l’objet d’un intérêt particulièrement prononcé pour la recherche
depuis près de vingt ans, notamment à la suite des dynamiques écopolitiques internationales ayant abouti à la
mise en œuvre au Cameroun d’un nouveau Régime des forêts en 1994. Alain Karsenty (2005) –l’un des
principaux chercheurs intéressés par ce champ de recherche –relève que l’introduction de l’environnement
dans le contexte africain contemporain et les problématiques mobilisées par l’économie forestière en Afrique
centrale participent des thèmes les plus abondamment documentés dans les dernières décennies dans la
littérature scientifique en Afrique, toutes disciplines confondues.

Généralement ciblés sur l’évaluation des dynamiques politico-institutionnelles et l’examen des implications
sociales, économiques et écologiques que les Réformes définies au début des années 1990 déploient sur les
différents sites d’exploitation, la plupart des travaux consacrées à la gouvernance forestière au Cameroun ont
exhaustivement analysé l’économie forestière camerounaise, en en relevant particulièrement les dimensions
problématiques et les aspects dysfonctionnels. On peut dire aujourd’hui de tous ces travaux qu’ils présentent
un tableau détaillé et précis de la gouvernance forestière au Cameroun. En effet, si l’on a contesté à
Greenpeace (2007) de parler d’un authentique échec, les constats semblent unanimes pour établir une
configuration pour le moins mitigée caractérisée grosso modo par :
− Une coupe du bois toujours aussi peu lisible qu’abondante, qui ne semble obéir ni à aucun système
réel d’évaluation écosystémique préalable, ni à aucune base d’inventaire tangible.
− Le commerce des ressources exploitées et la chaine de production des richesses sont profondément
gangrénés par la corruption et l’informalité, et ne rapportent que minimalement au Trésor public.
− Les villages sont déstructurés par une exploitation industrielle qui modifie leur environnement
existentiel et les dépouille de leurs ressources vitales, sans aucune compensation substantielle ni
mesures alternatives durables.
− Le pouvoir de décision et les compétences de conduite des affaires sont plus que jamais confisqués
dans les logiques néo-patrimoniales portées par les autorités étatiques et les élites, au détriment des
populations indigènes et des communautés villageoises dont les diverses incompétences chroniques
intellectuelles, techniques, citoyennes et politiques sont cependant atténuées par l’action de veille
déployée par les organisations de la société civile.

Si les travaux antérieurs déterminent des éléments incontestablement pertinents permettant d’identifier
les facteurs mécaniques des contradictions manifestées dans la gouvernance forestière au Cameroun, ils

v
ne produisent pas un cadre général d’explication dans lequel l’ensemble des dysfonctionnements ainsi
relevés s’articulent et se structurent : ils ne permettent pas, comme le dirait Giovanni Busino (1986),
« [l’identification des] dynamiques sous-jacentes, ce qu’il y a d’invariant et d’intemporel, au-delà des
éléments contingents, et qui nous permet d’aller au tréfonds des évènements; c’est-à-dire ce qui permet
de saisir ce noyau fondamental […] ».
C’est cette omission théorique fondamentale de la recherche antérieure dans l’analyse des réformes
environnementales introduites en Afrique que vise à combler la présente thèse consacrée à l’analyse
sociologique des causes de la marginalisation des communautés locales dans la gouvernance forestière au
Cameroun, notamment à travers l’opérationnalisation d’une perspective d’explication socio-historique et d’une
approche conceptuelle qui s’inscrivent dans la profondeur.

En effet, développée à partir d’une préoccupation de réflexivité critique appuyée sur l’histoire et la philosophie
de l’histoire, le souci de cette thèse essentiellement théorique –dont il est particulièrement important d’indiquer
qu’elle se démarque de la tradition monographique en même temps qu’elle propose une rupture à l’égard de
l’orientation fonctionnaliste dans lesquels les travaux réalisés jusque-là sur les politiques publiques forestières
au Cameroun semblent avoir été élaborées –est de débusquer les logiques opératoires incarnées par les
différents Régimes des forêts qui ont été pratiqués au Cameroun depuis l’époque coloniale allemande jusqu’à
la Réforme dite environnementale et participative de 1994, avec l’objectif d’identifier les déterminants ultimes
qui rendent possible et structurent la marginalité chronique des communautés locales, tout en favorisant
aujourd’hui l’éclosion de dynamiques non étatiques de capacitation des communautés villageoises. Notre
préoccupation spécifique de recherche va donc au-delà de l’horizon fonctionnaliste d’identification et de
description photographique des problèmes posés dans le gouvernement de l’économie forestière au
Cameroun, dans la mesure où il nous a semblé que l’intérêt théorique d’une thèse de doctorat aurait été très
marginal s’il restait continûment focalisé, à la suite de tous les travaux réalisés jusqu’ici sur le sujet, sur la
détermination des incohérences inhérentes à l’exploitation industrielle des forêts dans ce contexte africain.

Construite sur le concept de “contraintes structurelles” (paradigmatiques, interscalaires et contextuelles), notre


thèse suggère une analyse novatrice dont la préoccupation est de proposer une explication générale des
“trends séculaires” (Immanuel Wallerstein, 2000)1 qui soutendent l’exploitation industrielle des ressources
forestières telle qu’elle s’est déployée jusqu’ici dans la modernité politique camerounaise.
Autrement dit, tant que les recherches consacrées à l’économie forestière se limitaient à la description des
dysfonctionnements irréductibles que manifeste la mise en œuvre du Régime des forêts de 1994 et à

1 Immanuel Wallerstein, 2000, The Essential Wallerstein, éd. New Press, New York.

vi
l’identification des dimensions problématiques de la collectivité politique camerounaise telles qu’elles se
dégagent de la gouvernance forestière, non seulement elles documenteraient pareillement le même
phénomène à l’infini, mais elles passeraient difficilement au degré général de l’explication par lequel l’on
formule les conditions permanentes ou structurelles à partir desquelles toutes les contradictions
fondamentales constamment relevées –au premier rang desquelles la marginalisation des communautés
locales –s’ordonnent et deviennent cohérentes, dans la logique que formule Gilles Gagné (1992) quand il
parle de la « […] La synthèse théorique, c’est-à-dire le but de toute “science” sociale classique »2.

De l’analyse des données collectées dans l’abondante littérature produite sur le sujet depuis une vingtaine
d’années mais également des entrevues que nous avons personnellement réalisées sur le terrain auprès des
différents acteurs impliqués dans la gouvernance de l’économie forestière au Cameroun, nous avons formulé
quelques énoncés qui nourrissent l’explication générale de la marginalité des communautés villageoises :
- Les dysfonctionnements divers inhérents au contexte d’émergence et de mise en œuvre des
Réformes environnementales forestières du début des années 1990 au Cameroun constituent le
phénomène-réverbère par excellence, dans la mesure où leur étude permet simultanément de
développer une analyse totale de la collectivité politique africaine moderne. Pour parler comme
Marie-Claude Smouts (2001), ces dysfonctionnements « servent de révélateurs aux multiples
carences de l’État »3.
- Eu égard au caractère factice du passage du régime colonial au statut d’État indépendant, l’ouverture
de l’activité industrielle forestière aux indigènes –devenus citoyens de plein droit de la collectivité
politique camerounaise –n’a jamais été concluante, notamment à cause de la rupture paradigmatique
manifestée par l’irruption d’une modernité capitaliste dont les indigènes n’avaient jamais ni élaboré le
projet, ni tenu les leviers opérationnels, autrement dit de l’opposition structurelle originaire qui plaçait
la propriété des institutions, du pouvoir, du capital, bref toute la structure de l’économie forestière
capitaliste et tout le système de la production forestière industrielle aux mains des Européens et des
élites indigènes qu’ils ont mises en place.

En d’autres termes, la manifestation de dysfonctionnements irréductibles dans la mise en œuvre des réformes
trouve ultimement son explication dans l’abstraction historique des réformes du contexte dans lequel elles sont
destinées à s’appliquer : c’est le différentiel fondamental caractérisé par l’inexistence de leur ancrage dans le
vécu total du contexte camerounais ainsi que leur incapacité à rendre compte des contradictions posées par le

2Gilles Gagné, 1992, “La théorie a-t-elle un avenir?”, in La revue du Mauss, 1er et 2ème trimestres 19992, n˚15/16, pages 43-57.
3Marie-Claude Smouts, 2001, Forêts tropicales, jungle internationale. Les revers d’une écopolitique mondiale, éd. Les Presses de Sciences Po,
Paris.

vii
continuum structurel à partir duquel se constitue la collectivité politique camerounaise qui explique
l’émergence de contradictions structurelles dont la marginalisation des communautés villageoises semble être
l’une des expressions les plus emblématiques. C’est cette conjonction de discordances structurelles confortée
par le déficit politique collectif observé à la motivation des réformes mobilisées en Afrique au début des
années 1990 qui explique l’échec des réformes tel qu’il est constamment et invariablement établi.

L’apport majeur de notre thèse est de montrer qu’au-delà de l’apparente simplicité qu’en aurait donnée son
insistant traitement fonctionnaliste dans la recherche antérieure, la marginalisation des communautés
villageoises dans le système de gestion de l’économie forestière au Cameroun est un phénomène complexe.
Parce que fondée sur la réflexivité critique et développée en examinant la structure de déploiement de
l’histoire, notre thèse a proposé une démarche novatrice d’analyse de ce phénomène apparemment simple
constamment établi par la littérature scientifique des vingt dernières années, mais qui se révèle
essentiellement complexe et structurel, significatif de l’historicité problématique de la collectivité politique
africaine moderne. En effet, à cause du caractère total de la violence coloniale et des conditions exogènes de
naissance de l’État africain moderne, conditions à partir desquelles vont découler les fragilités institutionnelles
collectives; à cause également de la cristallisation des modes arbitraires de conduite des affaires publiques et
de gestion des ressources collectives et de l’enracinement structurel de la corruption, l’exploitation industrielle
de la forêt va se déployer au détriment de la biodiversité et des systèmes écologiques, et surtout sur
l’exclusion des communautés indigènes qui, au-delà de l’aliénation, de la déstructuration et de la
déstabilisation dont elles sont victimes du rapport colonial et capitaliste à la forêt, ne bénéficient d’aucune
retombée substantielle et durable, tant sur le plan politique et de la participation citoyenne que sur le plan de la
viabilité matérielle et des conditions socio-économiques de vie.

En fin de compte, si s’enthousiasmer d’avoir découvert est toujours relativement prétentieux et surtout osé,
nous ne saurions nous empêcher de relever que la formulation du concept de “contraintes structurelles” et son
opérationnalisation dans l’explication générale de la marginalisation chronique dont les communautés
villageoises font l’objet dans l’économie forestière au Cameroun représentent une proposition originale
qu’apporte notre thèse dans la théorie sociale.

viii
TABLE DES MATIERES
RÉSUMÉ COURT ............................................................................................................................................... iii
RÉSUMÉ LONG ..................................................................................................................................................v
LISTE DES ILLUSTRATIONS ............................................................................................................................ xi
REMERCIEMENTS ........................................................................................................................................... xii
INTRODUCTION ................................................................................................................................................ 1
LE FIL D’ARIANE THÉORIQUE OU POUR COMPRENDRE D’EMBLÉE NOTRE THÈSE ............................... 6
CHAPITRE I : CONTEXTE GÉNÉRAL ET DONNÉES MATRICIELLES .......................................................... 10
1. Le Cameroun : de la genèse de l’État africain moderne à nos jours ................................................... 10
2. Problématique et contexte environnemental........................................................................................ 39
3. Des réformes du secteur forestier introduites au Cameroun au début des années 1990 .................... 45
4. Questions de recherche ....................................................................................................................... 61
4.1. Question principale ..................................................................................................................... 61
4.2. Question annexe ......................................................................................................................... 61
4.3. Identité théorique et orientation générale de la thèse ................................................................. 61
4.4. Hypothèse de recherche ............................................................................................................. 62
4.5. Objectifs de la recherche ............................................................................................................ 68
5. Notions centrales de la thèse et concepts d’analyse ........................................................................... 78
5.1. La notion de “contraintes” ........................................................................................................... 78
5.2. La notion de “structure” ............................................................................................................... 85
5.3. Le concept de “contraintes structurelles” .................................................................................... 86
5.4. Le concept de “contraintes structurelles paradigmatiques” ......................................................... 99
5.5. Le concept de “contraintes structurelles interscalaires” ............................................................ 103
5.6. L’exemple du mécanisme REDD+ ............................................................................................ 107
5.7. Le concept de “contraintes structurelles contextuelles” ............................................................ 111
5.8. L’articulation à la modernité capitaliste et ses implications ....................................................... 126
5.9. La modernité capitaliste ............................................................................................................ 128
5.10. La philosophie de l’histoire ........................................................................................................ 128
5.11. L’histoire et la structure historique opératoire ........................................................................... 129
5.12. La perspective complexe et écosystémique de la “forêt” .......................................................... 129
5.13. La notion de “non-endogénéité” ................................................................................................ 132
5.14. Les “communautés locales” dans la gouvernance environnementale....................................... 134
6. Autres éléments méthodologico-théoriques fondamentaux ............................................................... 148
6.1. La pertinence de l’implication personnelle ................................................................................ 148
6.2. Les suggestions de l’analyse critique africaine contemporaine, avec Mbog Bassong ............. 158
6.3. L’Afrique comme une particularité épistémologique et méthodologique ................................... 171
6.4. L’État africain problématique..................................................................................................... 176
CHAPITRE II : DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE (SITES, SOURCES, OUTILS DE COLLECTE DES
DONNÉES) ..................................................................................................................................................... 214
7. Sites, sources directes d’information, déroulement de la collecte et difficultés : expérience et leçons
d’un terrain de recherche compliqué et difficile d’accès ............................................................................. 225
8. Les outils de collecte et d’analyse ..................................................................................................... 234

ix
CHAPITRE III : BASE ÉPISTÉMOLOGIQUE DE LA RECHERCHE (LE STATUT PROBLÉMATIQUE DE LA
GOUVERNANCE FORESTIÈRE AU CAMEROUN) ....................................................................................... 244
9. Réformes forestières et émergence des contradictions structurelles ................................................ 245
10. La marginalisation des communautés villageoises ....................................................................... 248
11. Modes indifférents et mécanismes écologiquement peu-durables d’exploitation des ressources. 251
12. Évaluation méthodologico-théorique de la recherche antérieure et dépassement réflexif de la
démarche d’analyse de l’économie forestière camerounaise ..................................................................... 254
CHAPITRE IV : POLITIQUES FORESTIÈRES COLONIALES ET RÉGIMES DES FORÊTS AU CAMEROUN
AVANT LES RÉFORMES DU DÉBUT DES ANNÉES 1990 .......................................................................... 281
13. Le régime colonial allemand .......................................................................................................... 289
14. Le régime colonial britannique....................................................................................................... 294
15. Le régime colonial français ............................................................................................................ 297
CHAPITRE V : CONDITIONS D’ÉMERGENCE DES RÉFORMES ET DU PROCESSUS DE MISE EN PLACE
DE LA LOI DES FORÊTS DE 1994 ................................................................................................................ 312
16. Biais fondamentaux à travers le déploiement des agendas économiques internationaux et l’agence
des institutions financières de Bretton Woods ............................................................................................ 312
17. La motivation économico-financière des réformes forestières des années 1990 .......................... 315
18. L’État-formel et le marketing environnemental et participatif du nouveau Régime des forêts ....... 328
19. Indisponibilité structurelle contradictoire de l’État aux préoccupations environnementales ou de
performance des réformes forestières ........................................................................................................ 339
20. Approche théorique de la marginalisation structurelle des communautés locales ........................ 350
CHAPITRE VI : ANALYSE DES DONNÉES ET OPÉRATIONNALITÉ DES CONCEPTS D’EXPLICATION . 382
21. Opérationnalisation des contraintes structurelles .......................................................................... 396
21.1. Déficits ontogénétiques, dysfonctionnements de gouvernance et contradictions institutionnelles
400
21.2. Marginalité géopolitique internationale, dépendance systémique exogène, contradictions
institutionnelles internes ......................................................................................................................... 416
21.3. Déficits originaires, dysfonctionnements institutionnels et marginalisation des communautés
locales 434
21.4. Implications inhérentes à l’intervention des organisations non-gouvernementales et de la société
civile 448
21.5. Quelques énoncés épistémologiques et méthodologico-théoriques de synthèse ..................... 469
21.6. Autres leçons d’ordre méthodologico-théorique ........................................................................ 493
21.7. Autres énoncés théoriques et de synthèse ............................................................................... 499
CONCLUSION ................................................................................................................................................ 515
POST-PROPOS.............................................................................................................................................. 520
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................................ 523
ANNEXES ....................................................................................................................................................... 547

x
LISTE DES ILLUSTRATIONS
Carte 1 : Le Cameroun sur la carte de l’Afrique ................................................................................................ 13
Carte 2 : Atlas forestier du Cameroun 2011...................................................................................................... 16
Carte 3 : Le Cameroun sur une carte sous-régionale ....................................................................................... 19

xi
REMERCIEMENTS
Je suis Nògbàngà Nwónd mi Nlénd mi Nguííi Dikónd di Hón…, et je rends éternellement rendre grâce à
Hilólómbí, Nyâmbè, Djôb, Amon-Itemu-Râ, la Générosité infinie créatrice primordiale et absolue qui a fait de
moi que je sois, et ce que je suis. C’est dans son sillage que je voudrais également bénir tous les Ancêtres,
spécialement Claire Pauline Ngo Mooh Nogbanga et Victor Nwond Nlend, ma mère et mon père, de qui je suis
venu à la vie, et à qui je dédie cette thèse de doctorat.
Et avant eux, à Bernadette Christine Ngo Bategi et Boniface Nogbanga Kehlaga, à Marie Ngo Nwond,
“Queen”, et Mathias Nlend.

Mon parcours doctoral n’a pas été un long fleuve tranquille… C’est un euphémisme. Cependant, dans une
démarche toute entière empreinte de magnanimité qui participe de mon être profond, j’ai choisi de faire
l’économie des difficultés que j’ai rencontrées dans la présentation de ce document.
C’est ainsi que j’adresse un merci tout particulier au professeur Gilles Gagné qui m’a manifesté un sens
poussé d’empathie et de compréhension, à un moment critique de mon parcours doctoral. Sans cette sorte de
bienveillance intègre que seules déploient les gens d’une très grande hauteur d’esprit, j’aurais probablement
été jusqu’au bout de ma thèse, mais pas dans les conditions actuelles.
Toute ma reconnaissance également au professeur Louis Guay pour sa profonde et immense générosité.
Je remercie également le professeur Martin Hébert dont la sensibilité aux enjeux théoriques et intellectuels
mobilisés par le déploiement de la modernité dans les contextes non-occidentaux a permis la validation des
piliers conceptuels sur lesquels j’entendais construire mon travail. La formulation explicite de son avis en
faveur du concept de “contraintes structurelles” –qui constitue l’épine dorsale de ma thèse –m’a donné de
poursuivre mes recherches dans leurs modalités actuelles.
Je ne saurais oublier d’adresser mes cordiales salutations au professeur Richard Marcoux dont la science de
l’écoute et la diligente disponibilité m’ont toujours accompagné. Je dis également ma cordiale gratitude au
secrétariat du Département de sociologie ainsi qu’au personnel de la Faculté des sciences sociales.

Je voudrais solennelement remercier le Centre canadien de recherches pour le décveloppement international


(IDRC/CRDI), la Faculté des sciences sociales (la Bourse d’excellence du Fonds George-Henri-Lévesque),
l’organisme camerounais Forêts et développement rural (FODER), qui ont financé et encadré les moments
déterminants de ce travail. Dans la même lancée, je voudrais dire ma profonde et éternelle gratitude au
professeur Francois Hainard (Université de Neuchâtel, Suisse), au professeur François Tchala Abina, à
l’Œuvre Saint-Justin (OSJ, Suisse), au Dr Verina Ingram (Wageningen University, Pays-Bas) et au Center for

xii
International Forestry Research (CIFOR, Central Africa Office), à la Fondation T.-M. Lauris (Neuchâtel,
Suisse), à M. Rodrigue Ngonzo et ses collaborateurs de FODER (Yaoundé, Cameroun).
Il en est éminemment aussi de mes frères et sœurs et parents, Nlend Nlend Pascal-Mathias, Ngo Nwond
Nlend Béatrice-Marie, Ngwe Nlend Claude-Bertrand, Ngo Bategi Nlend Solange-Bernadette, Ngo Kop Nlend
Sidonie-Maxémilienne, Ngo Timb Nlend Jeanne-Élisabeth & Nguii Nlend Philippe-Spiritain, Mandeng Bernard
“Téetéée”, Kehlaga Nogbanga Luc-Antoine “DilaDila”, ma très regrettée tante Maxémilienne Ngo Nlend, Maxé,
Esther Ngo Mang & Amos-Roger Boum, Nlend Mathias Jr “Boudji”, Ngo Hos Marguerite, Epend Ipend Njongo,
Antoine Juvet Se Segue, Ngo Nlend Bikoy Josiane, Hervé Serge Patrick Yamb, Julienne Cécile Ngo Nouck;
de mes amis, Ngo Ntomb Ngue Élisabeth, Patrick Ndjom, la famille Bilong Yaï Yai, Léon Magloire Ayissi
Essopi, Dr Élysée Yakana, Joseph Mbouta, Eugène Mboudi, Mme Mbezal Bogam Anne, Dr Emmanuel Ngwe,
Waga Beskreo Koukreo, Jean-Yves Boumbe, professeur Julienne Ngo Som, Daoudi Tagne Nurudeen,
Thomas Simo, Dr Guy Ngayap Guemnaing, etc. L’affection et la générosité, la disponibilité humaine et
l’encadrement, l’appui matériel et financier dont j’ai bénéficiés de chacune de ces personnes présentent une
incidence directe déterminante sur cette sorte d’aboutissement que constituent ma personne ainsi que la
présente thèse.
Bénédictions et profonde affection au Dr Simon Nken et à Jean-Pierre Ndongo, ces frères et amis éternels.

Mes hommages éternels à Mbombog Nkoth Bissek qui, dans la filiation intellectuelle directe de Cheikh Anta
Diop et Théophile Obenga, m’a fermement inculqué au bon moment –au tout début des années Mille neuf cent
quatre-vingt-dix, la préoccupation réflexive critique ainsi que le souci de profondeur dans l’analyse de l’Afrique.

Je ne saurais oublier de témoigner ma reconnaissance particulière à Mamadou Mamoudou, Martin Ojong


Ojongfong, Richard Evina Obam, Honoré Léon Léa Ekame, Télésphore Feunkeu, Marie-Pascaline Menono
Weutemdie, Boukar Kla, Maxime Meka, Louis René Ossa, Abdoul Aziz, Peter Masumbe Sakwe, Sylvain
Ngneba Wandop, Douglas Achingale, Atangana Modeste, Yazid Aminou, Etoa Kessek, Yolande Nnomo
Abena, de vieux compagnons de l’École nationale qui m’ont manifesté une profonde solidarité aux origines de
mon aventure. De même, j’ai une pensée amicale et nostalgique pour ma génération du Lycée classique
d’Édéa : Sylvie Ngo Batana, Zé Georgette, Thérèse Ngo Bayamack, Richard Fongang, Martin Ndong Eyebe,
Baleba Mbenoun, Martine Inack, Mbelek Mbang, Item, André-Blaise Nyemb, Bikok Bikok Isaac Anselme,
Jean-Gustave Penda, François Mouyombo, Salla Fridolin, Alexandre Mpom, Pierre Bosco Iliga, Sisba Pascal,
et tous les autres que je n’ai pu nommer, avec qui j’ai vécu une époque charnière de ma vie, dans une saine
et stimulante atmosphère et une heureuse insouciance, dans un contexte socio-politique et économique
pourtant arbitraire et incertain qui a malheureusement occasionné des destins aussi déchirés et aléatoires que
différents.

xiii
Un sympathique merci et un amical témoignage aux collègues et compagnons de route à l’Université Laval :
Nancy Émond, Jean-François Fortier, Yuan Zheng Li, Emiliano Scanu, Georgette Djé Aya, KelleyAnne
Malinen, Ange Mawussé Dovi, Honoré Gbedan Mahouklo, Mamadou Oury Sow, Séraphin Guy Balla Ndegue,
Robinson Tchapmegni, Harold Bony, Diatta Marone, Modibo Sogoba, Zohreh Mehdizadeh-Hendekhaleh,
Seyive Wilfrid Affodegon, Kader Modou, Christian Djoko Kamgain, Ndeye Dieynaba Ndiaye, Simon-Pierre
Hemle Djob Sotong, Pierre Boris N’ndé Takukam, et tous les nombreux autres que je n’ai pu nommer.

J’ai une pensée profondément émue et je déploie une tension affective quasi mystique ainsi qu’une profonde
gratitude pour toutes les personnes –des villages et villes d’Afrique –qui ont aidé et contribué, d’une manière
ou d’une autre, notamment par leur humble et chaleureuse disponibilité, par leur sollicitude et leur écoute, à la
production de l’information de base nécessaire à la réalisation de cette thèse.

Et pour couronner ce chapitre cosmogonique, je voudrais relever le rôle décisif que la présence totale de mon
épouse, Rébecca Carole Ngo Biyík et de mes enfants, Biyik Nlénd, Nwond Nlénd, Boum Nlénd, Maxé Ngo
Nlénd, Augusta Rose Malinen NgoNlénd Ngwéhà, a joué pour me garder tout ce temps dans les conditions
d’achever le présent travail. Ma fierté se déploie avec eux.

Nogbanga mí Nwond mí Nlend

xiv
INTRODUCTION
La présente thèse porte sur l’Afrique4. Il ne s’agit pas d’une monographie classique ou d’une étude de cas
traditionnelle portant sur une communauté villageoise ou sur un autre acteur partie prenante de la
gouvernance forestière au Cameroun, ni même sur une dimension courante de la socialité à laquelle un de
ces acteurs serait directement lié. Notre thèse s’intéresse particulièrement à ce qui fait la cohérence des
problématiques et autres contradictions que le statut historique de la collectivité politique5 camerounaise
semble implacablement provoquer dans le déploiement de la gouvernance forestière, notamment en termes
de dysfonctionnements dont l’un des plus emblématiques est la marginalisation chronique des communautés
villageoises. Il s’agit d’une recherche sociologique participant autant de la théorie critique et de l’économie
politique que de l’épistémologie berthelotienne6, qui se préoccupe d’identifier les enjeux théoriques mobilisés
dans l’analyse d’une dimension spécifique de la modernité politique africaine, celle de l’économie forestière et
de l’exploitation industrielle des ressources forestières.
Du point de vue épistémologique, nous nous sommes amplement inspiré non seulement de l’esprit de la
démonstration scientifique des sciences naturelles mais également de l’écriture de cette explication, tel que le
texte formulé pour rendre cette explication se déploie dans les sciences expérimentales. Aussi notre thèse se
veut-elle moins un exercice académique littéraire qu’une préoccupation théorique grave complètement
obsédée et concentrée. Nous nous sommes donc souvent émancipé de l’enfermement des académismes.
Nous avons donc souvent pris de la distance avec les traditions qui enracinent encore l’explication dans les
sciences sociales aux exigences spécifiquement littéraires.
Cette particularité de la thèse que nous proposons présente nécessairement des implications spécifiques
fondamentales sur le plan méthodologique, implications qu’il est important d’annoncer très tôt pour favoriser
une intelligence cohérente de notre démarche. En effet, la nature de l’objet de recherche et son statut

4 L’indication que nous formulons d’entrée de jeu ici est fondamentale, aussi bien des points de vue épistémologique et historiographique qu’au regard
des diverses implications méthodologiques, théoriques et même politiques qu’elle mobilise.
Au besoin, lire également entre autres : Felwine Sarr, 2016, Afrotopia, éd. Philippe-Rey, Paris (Une synthèse sonore de 8 mimutes est disponible ici :
http://www.africa1.com/spip.php?article81566&var_mode=calcul).
5 Notre préférence pour le concept de “collectivité politique” –que nous employons tout au long de la thèse pour désigner l’État en tant que mécanisme

autour duquel une multitude d’individus ainsi que divers types d’entités et de communautés se retrouvent pour construire et envisager une histoire
commune –s’inspire et participe essentiellement de ce que :
« Le sociologue allemand FerdinandTönnies avait bien montré dans son livre Communauté et société [1887] que ces deux catégories
fondamentales renvoient pour l'une aux traditionnelles notions de fraternité et d'organicité où le lien de participation à l'ensemble
populaire s'accorde avec chaque particularité qui le compose, alors que l'autre statue de l'existence et de l'action que chaque individu
s'assigne pour se constituer dans un Tout autonome. La Communauté est holiste (primat de la totalité sociale sur l'individu) alors que
la société est individualiste (primat de l'individu sur la totalité sociale), pour reprendre la distinction paradigmatique de Louis Dumont »
(In Benjamin Guillemaind et Arnaud Guyaut-Jeannin, 1999, Aux sources de l’erreur libérale…, op. cit.).
6 Les travaux élaborés jusqu’ici par Jean-Michel Berthelot sur les conditions et modalités de la scientificité des sciences sociales sont d’une importance

reconnue et constituent une référence incontournable dans le domaine. Synthétisant la substantielle contribution de l’épistémologue à la théorie sociale,
Dominique Raynaud rappelle que :
« Jean-Michel Berthelot définit la sociologie comme une science de l’activité, dont l’unité élémentaire est l’action
intentionnelle. L’activité peut être dite sociale lorsque : (1) elle se soumet à des normes collectives (orientation
holiste et déterministe); (2) elle est intégrée à une situation d’interaction sociale (orientation contextualiste); (3) ou
est tournée vers autrui (orientation néowébérienne). Ces trois définitions sont considérées comme non exclusives
mais complémentaires, selon un schéma éprouvé dans un article intitulé “Programme, paradigmes, disciplines” »
(In Dominique Raynaud, 2008, “La sociologie des sciences de Jean-Michel Berthelot. À propos de L’Emprise du vrai.
Connaissance scientifique et modernité”, éd. PUF, Paris).

1
épistémologique –à savoir : les causes de la marginalisation des communautés villageoises dans l’économie
forestière [en tant que du phénomène chronique] –suggèrent une approche spécifique à caractère systémique
et du type de l’anamnèse médicale, qui dépasse les approches fonctionnaliste et interactionniste auxquelles
conviennent habituellement les études de cas courantes, et donc qui réfère les mécanismes fonctionnalistes à
l’œuvre dans la manifestation de la marginalisation des communautés villageoises au contexte historique ainsi
qu’aux structures opératoires mises en place dans le temps. C’est ainsi que, par exemple, si elle n’est pas
abordée avec la même gravité qu’elle prétend suggérer, l’analyse que nous proposons pourrait rapidement
donner l’impression d’une critique pulsionnelle du capitalisme, de la modernité capitaliste et même de ce qu’il
est convenu de nommer l’Occident. Ils sont nombreux à s’y être investis avec passion, conviction et talent
(Benjamin Guillemaind et Arnaud Guyaut-Jeannin, 1999)7. Or, il n’en est rien. En effet, toutes les données
que nous avons identifiées, chaque information que nous présentons sous la forme d’une idée ou d’un fait,
nous les mobilisons en tant qu’éléments intrinsèques d’information dont la pertinence est de nourrir la
cohérence de l’explication socio-historique ainsi que l’opérationnalité des contraintes structurelles. Cela dit,
nous ne doutons ni ne préjugeons de la rigueur avérée des lecteurs intéressés par la présente thèse.

De même, dans une perspective sensible à la préoccupation de sédimentation évolutive de la connaissance


dans les sciences sociales ou de cumulativité en tant qu’enjeu épistémologique lancinant au cœur des
sciences sociales (Monique Hirschhorn, 2014; Daou Véronique Joiris et Patrice Bigombe Logo, 2012; Jean-
Michel Berthelot, 2012, 2010, 2005, 1998; Jean De Munck, 2011; Alban Bouvier, 2010, 2008, 2006; Francis
Chateauraynaud, 2010; Robert Franck, 2012, 2010; Bernard Walliser, 2010; Denise Pumain, 2010; Dominique
Raynaud, 2008; François Chazel et Jacques Coenen-Huther, 2008; Pierre Livet, 2006; Raymond Boudon,
2001; Immanuel Wallerstein, 1996)8, qui rompt avec certains formalismes académiques et autres embarras à

7 En dehors de toute disposition idéologique ou intellectuelle fondamentalement opposée a priori, les réflexions formulées dans l’ouvrage : Aux sources
de l’erreur libérale. Pour sortir de l’étatisme et du libéralisme, (sous la dir. de Benjamin Guillemaind et Arnaud Guyaut-Jeannin, 1999, éd. L’Âge
d’Homme, Lausanne), pourraient s’avérer aussi pertinentes que substantielles.
8 Eu égard à l’importance des enjeux épistémologiques que soulèvent aussi bien l’objet de notre recherche que la démarche dans laquelle nous

construisons notre thèse, nous avons accordé une attention particulière aux travaux et discussions les plus représentatifs ayant été élaborés sur les
problèmes inhérents à l’identité ainsi qu’à l’opérationnalité des sciences sociales. Parmi les travaux les plus significatifs auxquels nous référons
précisément, on peut citer :
- Monique Hirschhorn, 2014, “Est-il vraiment utile de s’interroger sur l’utilité de la sociologie? Plus de dix ans de débats”, in European Journal of
Social Sciences, Vol. 52, n˚2.
- Daou Véronique Joiris et Patrice Bigombe Logo, 2012, “L’heuristique de la littérature grise sur le développement participatif du Bassin congolais”, in
revue Bulletin de l’APAD, vol. 36, n˚34.
- Jean-Michel Berthelot, 2012, Épistémologie des sciences sociales, éd. PUF, Paris; 2005, La construction de la sociologie, éd. PUF, Paris; 1998,
“Les nouveaux défis épistémologiques de la sociologie”, Sociologie et sociétés, vol. 30, n°1..
- Jean De Munck, 2011, “Les trois dimensions de la sociologie critique”, article publié dans la revue SociologieS [En ligne], La recherche en actes,
Régimes d'explication en sociologie, du 06 juillet 2011.
- Alban Bouvier, 2010, “Les conditions de la cumulativité de la sociologie”, in Bernard Walliser (dir.), 2010, La cumulativité du savoir en sciences
sociales, éd. EHESS, Paris; 2008, “La théorie sociologique générale comme système hiérarchisé de modèles de portée intermédiaire”, in European
Journal of Social Sciences, Vol. 46, n˚140; 2006, “L’architecture de la sociologie”, in Revue MAUSS, n˚28.
- Francis Chateauraynaud, 2010, “Comment créer de toute pièce un déficit de scientificité en donnant une leçon d’épistémologie”, in OpenEdition, coll.
“Carnets de recherche en Sciences humaines et sociales” (http://socioargu.hypotheses.org/779).
- Robert Franck, 2012, “Histoire et structure”, in Jean-Michel Berthelot, Épistémologie des sciences sociales, éd. PUF, Paris; 2010, “Allier
l’investigation empirique et la recherche théorique : une priorité”, in Bernard Walliser (dir.), 2010, La cumulativité du savoir en sciences sociales, éd.
EHESS, Paris.

2
caractère scolaire, la démarche de construction de la présente thèse considère par exemple, au modèle du
pragmatisme des sciences mathématiques et expérimentales, la mobilisation des acquis [aussi bien factuels
que théoriques] de travaux antérieurs sous la forme d’extraits, comme d’authentiques données essentielles
destinées à nourrir l’analyse ainsi que la préoccupation d’identification, de reconstitution et de formulation de
la cohérence de la structure historique dont nous affirmons qu’elle porte l’explication générale [des causes] de
la marginalisation endémique des communautés villageoises dans la modernité économique forestière au
Cameroun. Autrement dit, les extraits que nous mobilisons sont nécessairement à aborder et à considérer
comme dans le pragmatisme de la démarche de démonstration et d’explication des sciences expérimentales,
dans une approche indifférente aux nostaslgies littéraires et embarras du même ordre dont les textes
d’explication dans la théorie sociale s’encombrent encore. C’est seulement dans cette approche efficace de
lecture que l’on parvient à apprécier l’information produite dans tout son capital épistémologico-théorique.
Naturellement, cette démarche est commandée de bout en bout par la nature de la problématique qui se
trouve au cœur de notre thèse ainsi que par la nature du défi théorique qu’elle entend relever. En des termes
plus simples encore, nous assumons de mobiliser abondamment d’extraits dans notre thèse : cependant,
aussi abondantes et longues soient-ils souvent, ces extraits ne sont pas de simples “citations” –dans le sens
scolaire ou pédagogique de l’enseignant qui discute avec ses étudiants de l’usage, de la pertinence et du sens
d’une citation : ils sont une donnée d’information empirique ou d’analyse, au même titre que le Verbatim issu
de la transcription d’une entrevue, et probablement même plus, selon la préoccupation épistémologique déjà
formulée par Alban Bouvier (2006)9 qu’infléchit cette singulière énonciation par où Robert Franck (2010)
observe que :
[…] Dans les sciences sociales ceux qui font de la recherche empirique et ceux qui font de la
recherche théorique paraissent habiter des planètes éloignées. Nombreux sont ceux qui
concentrent leurs efforts sur l’étude des faits. Peut-on les comparer aux fourmis “qui amassent
et consomment leurs provisions”? À vrai dire, le chercheur empirique sélectionne bien souvent
ses informations au regard des hypothèses qu’il avance et conformément au cadre conceptuel
qu’il a retenu, et les soumet à des procédures statistiques ou à des méthodes qualitatives de

- Bernard Walliser (dir.), 2010, La cumulativité du savoir en sciences sociales, éd. EHESS, Paris.
- Jean-Michel Berthelot et Bernard Walliser, 2010, La cumulativité du savoir en sciences sociales. En hommage à Jean-Michel Berthelot, éd,
EHESS, Paris.
- Dominique Raynaud, 2008, “La sociologie des sciences de Jean-Michel Berthelot. À propos de L’Emprise du vrai. Connaissance scientifique et
modernité”, éd. PUF, Paris.
- Denise Pumain, 2010, “L’espace, médium d’une construction spiralaire de la géographie. Entre société et environnement”, in Bernard Walliser (dir.),
2010, La cumulativité du savoir en sciences sociales, éd. EHESS, Paris; 2005, “Cumulativité des connaissances”, travail communiqué dans le cadre
du dixième Colloque annuel du Groupe d’étude “Raisons et Rationalités” organisé sur le thème : “La Cumulativité des savoirs en sciences sociales”. In
European Journal of Social Sciences, Vol. 43, n˚131.
- François Chazel et Jacques Coenen-Huther, 2008, La sociologie en quête d’une théorie générale, in Giovanni Busino, directeur des Cahiers de
Vilfredo Pareto/Revue européenne des sciences sociales, éd. Librairie Droz, Lausanne; 2008, “Introduction : la théorie sociologique générale en
question”, in European Journal of Social Sciences, Vol. 46, n˚140.
- Pierre Livet, 2006, “La cumulativité en sciences sociales. Distances entre les théories”, in European Journal of Social Sciences, Vol. 44, n˚133
- Raymond Boudon, 2001, “Pourquoi devenir sociologue? Réflexions et évocations”, in European Journal of Social Sciences, Vol. 39, n˚120.
- Immanuel M. Wallerstein, 1996, Ouvrir les sciences sociales. Rapport de la Commission Gulbenkian pour la restructuration des sciences
sociales, éd. Descartes & Cie, Paris.
9 Alban Bouvier, 2006, “L’architecture de la sociologie”, in Revue MAUSS, n˚28

(https://jeannicod.ccsd.cnrs.fr/ijn_01081435/file/Caill%C3%A9.version.envoy%C3%A9e.%C3%A9tudiants.2008.pdf).

3
traitement de l’information. À ce titre on pourrait aussi bien le comparer aux abeilles qui
travaillent et digèrent le produit de leur récolte.
Pourtant les résultats de la recherche empirique, si brillante soit-elle, qui ont été accumulés
depuis plus d’un demi siècle dans les publications scientifiques n’engendrent que peu de
progrès dans la compréhension de la vie sociale. Aussi l'interrogation grandit-elle, à l’extérieur
comme à l’intérieur de la communauté scientifique, quant à l'utilité de la recherche pour
résoudre les problèmes que soulève la vie sociale. Le malaise est profond […] 10.

De même, si l’orientation méthodologico-théorique insiste davantage sur la place centrale du contexte


historique, superstructurelle et macroscopique dans l’explication, l’on ne saurait nous enfermer dans la raideur
stérile de l’opposition traditionnelle faite entre la démarche inductive et la démarche déductive, étant donné
que les éléments constitutifs du constat endémique de la marginalisation dont les communautés villageoises
font l’objet dans la gestion de l’exploitation des ressources forestières au Cameroun sont tout entier
empiriques : ils sont constamment établis par une abondante recherche monographique à laquelle nous
référons, et confortés par les informations directement collectées sur le terrain par nos soins, dans une
perspective formulée par Robert Franck (2010) dans un texte fort intéressant intitulé “Allier l’investigation
empirique et la recherche théorique : une priorité”11.

En outre, dans la mesure où notre thèse naît à partir d’une préoccupation de réflexivité critique fondée sur le
caractère monolithique de l’orientation intellectuelle et théorique dans laquelle l’ensemble des travaux
abondamment investis ces vingt dernières années à l’analyse de l’économie forestière et des politiques
publiques forestières au Cameroun ont été élaborés, la perspective de recherche que nous développons
propose une sorte de rupture [épistémologique et théorique] radicale vis-à-vis du paradigme d’analyse qui
s’est déployé jusqu’ici, en suggérant une démarche appuyée sur l’histoire et la philosophie de l’histoire. L’une
des incidences concrètes de cette rupture porte ainsi sur la substantialisation dans la présente thèse des
dimensions habituellement portées dans un statut accessoire par les “introductions générales”, dans une
démarche académique devenue routinière où ces dimensions finissent par être considérées de manière
relativement anodine comme définitivement acquises, “naturelles” ou allant de soi. Il en est par exemple
également du “contexte” (historique, géographique, intellectuel, social, politique) dans lequel s’enracine et se
déploie le phénomène étudié. C’est dans cette perspective méthodologico-théorique particulièrement
soucieuse de profondeur que les extraits que nous empruntons aux travaux antérieurs sont, non pas de
simples citations, mais revêtent le statut d’authentiques éléments d’information de première main. Aussi
convions-nous le lecteur à les aborder et les considérer en tant que tels, c’est-à-dire comme des données

10 Robert Franck, 2010, “Allier l’investigation empirique et la recherche théorique : une priorité”, in Bernard Walliser (dir.), La cumulativité du savoir en
sciences sociales, éd. EHESS, Paris.
11 Ibid.

4
destinées non pas simplement à étayer, mais à nourrir un faisceau d’explication, comme d’authentiques
paramètres faisant partie intégrante de la structure d’explication.

À cet égard, nous avons construit notre thèse autour de six chapitres dont le premier, consacré aux données
matricielles, présente le contexte historique général dans lequel s’enracine la marginalisation des
communautés villageoises dans l’économie forestière au Cameroun. Le deuxième porte sur la méthodologie :
nous y décrivons tous les éléments du protocole que nous avons suivi, depuis la collecte des données
jusqu’aux énonciations que nous sommes parvenus à formuler. À la suite du premier chapitre, les chapitres
trois, quatre et cinq respectivement consacrés aux divers problèmes et difficultés manifestés dans la mise en
œuvre des Réformes forestières et du Régime actuel des forêts adopté en 1994; à la [re]constitution de la
cohérence et des constantes qui se déploient depuis l’époque de la colonisation européenne et des politiques
forestières mises en place d’abord par l’Allemagne, ensuite par la Grande Bretagne et enfin par la France; et à
la description et à l’examen des conditions structurelles et systémiques dans lesquelles un Code forestier
nouveau est mis en place au Cameroun au début des années 1990. Dans le chapitre six, nous proposons des
énoncés qui rendent compte de l’opérationnalité des contraintes structurelles (paradigmatiques, interscalaires
et contextuelles) ainsi que de la validité de nos hypothèse et démarche d’analyse. L’aménagement d’un Post-
propos nous a permis de formuler quelques propositions ou leçons d’ordre intellectuel. Par ailleurs, compte
tenu du caractère relativement nouveau et original de la démarche méthodologico-théorique que nous
introduisons notamment dans un contexte intellectuellement ancré et enraciné, nous avons précédé le premier
chapitre par un “Fil d’Ariane”, sorte d’indication théorique de référence dont l’imprégnation préalable devrait
faciliter l’accès à notre démarche d’analyse.

5
LE FIL D’ARIANE THÉORIQUE OU POUR COMPRENDRE D’EMBLÉE NOTRE
THÈSE
L’originalité des préoccupations théoriques que nous formulons dans le cadre de la présente thèse nous
suggère de proposer d’emblée trois énonciations formulées par des chercheurs parmi les plus crédibles, pour
une compréhension aisée et totale immédiate de notre démarche de recherche ainsi que des matériaux
empirique et épistémologique auxquels nous référons.

Le premier est un sociologue dont l’intérêt pour l’épistémologie et les conditions de la connaissance, les
sciences et les techniques, ainsi que la dévotion pour la rationalité sociologique sont connus. Les leçons
qu’enseigne ce sociologue français qui a mis Vilfredo Pareto au cœur de sa carrière scientifique constituent le
fil d’Ariane de notre approche d’analyse et permettent de comprendre notre thèse. En effet, c’est au faîte de
son expérience intellectuelle, à l’époque où ses travaux renouvellent la réflexion sur cette problématique
essentielle que Giovanni Busino (2003)12 énonce qu’ :
Il n’y a pas de domaine en sociologie où l’on puisse faire l’économie de l’histoire. Même à notre
époque où l’histoire avance par bonds et où la discontinuité semble détruire ce que Jean Piaget
appelle “la pression d’une génération sur l’autre”, le rôle de l’histoire reste, selon Wright Mills,
“essentiel” pour la sociologie. L’histoire est la mémoire organisée de l’humanité, l’immense
dossier indispensable à toute science sociale car aucune société n’est compréhensible sans
l’apport des matériaux historiques. Elias affirme que l’histoire met l’accent sur les événements et
les personnalités alors que la sociologie dévoile les systèmes d’interdépendance liant
l’ensemble de ces facteurs et en les organisant en une configuration singulière et spécifique.
L’histoire nous parle de l’unique, du singulier, de l’apparent, du conscient, de ce qui change; la
sociologie nous révèle le latent, le pluriel, le constant, l’inconscient. Les déterminations sont
réciproques et les échanges continus […]
Le concept de structure permet d’aller au-delà de la partie contingente des comportements,
d’aller au tréfonds des évènements; il aide à saisir le noyau fondamental d’un phénomène, à
aller par-delà les apparences, par-delà le manifeste; il donne au chercheur l’élément pour ainsi
dire permanent d’un système, le système d’un objet construit.
La structure n’est pas immédiatement observable. Grâce à elle, selon Wittgenstein, “dans l’état
des choses, les objets se comportent les uns par rapport aux autres d’une manière déterminée.
La manière dont les objets s’enchainent dans l’état des choses constitue la structure de l’état
des choses. La forme est la possibilité de la structure. La structure du fait consiste dans la
structure des choses.”
Inutile de rappeler que les théories n’existent nulle part dans la réalité. Ce sont des “filets”
utilisés pour saisir la complexité du réel. Sans théorie et au vu de la quantité des données à la
disposition du chercheur, il serait difficile de commencer une enquête, de classer les matériaux,
de les interpréter. Et la structure est un autre niveau de la théorie, avec son cortège des notions

12Giovanni Busino, 2003, “Sciences sociales et histoire”, in Revue européenne des sciences sociales, Tome XLI, n˚ 127, Éd. Gérald Berthoud et
coll./Librairie Droz Genève-Paris.
Du même auteur, lire également : 1999, “Lire Pareto aujourd’hui”, in Alban Bouvier (dir.), Pareto aujourd’hui, éd. PUF, Paris. Cet article a également
été publié en 2004 pour Les Classiques des sciences sociales, Jean-Marie Tremblay, Cégep de Chicoutimi/Université du Québec à Chicoutimi
(http://classiques.uqac.ca/contemporains/busino_giovanni/lire_pareto_aujourdhui/lire_pareto.html); 1998, Sociologie des sciences et des techniques,
éd. PUF, Paris; 1993, Critique du savoir sociologique, éd. PUF, Paris; 1986, La permanence du passé. Questions d'histoire de la sociologie et
d’épistémologie sociologique, éd. Librairie Droz, Genève.

6
de fonction et de signification. La structure est d’une très grande puissance heuristique. En effet,
elle aide à expliquer les dynamiques sous-jacentes des phénomènes, à élucider les processus
d’élaboration et de développement des évènements, en ce qu’ils ont d’invariant et d’intemporel.
On oppose à la notion de structure celle de conjoncture. Si la structure est l’élément permanent,
la conjoncture est par contre l’ensemble des variations à court terme d’un certain nombre de
variables caractéristiques. En d’autres termes, les structures sont des constantes, et des
éléments d’évolution, mais d’une évolution lente. Grâce à la notion de structure, il est possible
de repérer les interdépendances des modes de production, des hiérarchies sociales, des
institutions et des croyances.
Ce concept, bien manié, arrive à rendre compte des décalages, des interdépendances qui
n’apparaissent pas, de la production de structures nouvelles, des inadaptations de niveaux et
des équilibres dans le sens des régulations et des autorégulations. Mais pour y parvenir, il faut
savoir comment construire cette notion abstraite, cette théorie, autrement dit, la structure, dont
Claude Lévi-Strauss a dit : “Les structures sociales sont des objets indépendants de la
conscience qu’en prennent les hommes (dont elles règlent pourtant l’existence) et sont aussi
différentes de l’image qu’ils s’en forment que la réalité physique diffère de la représentation
sensible que nous en avons ou des hypothèses que nous formulons à ce sujet”.
(In “Sciences sociales et histoire”, article paru dans la Revue européenne des sciences sociales,
Tome XLI, n˚ 127, Éd. Gérald Berthoud et coll./Librairie Droz Genève-Paris, 2003).

Le deuxième est un économiste français qui semble avoir dédié ses recherches à l’analyse des économies
africaines telles qu’elles sont profondément influencées par divers facteurs et structures endogènes et
exogènes. Pour Patrick Guillaumont (2006) qui a longtemps exercé comme chercheur au Centre d'études et
de recherches en développement international (CERDI) et au Centre national de la recherche scientifique
(CNRS) ainsi que comme enseignant à l’Université d’Auvergne :
L’expression “vulnérabilité macroéconomique” désigne le risque pour les pays pauvres de voir
leur développement entravé par les chocs exogènes qu’ils subissent, chocs à la fois naturels et
externes. Cet article examine deux principaux types de chocs, et trois principales composantes
de vulnérabilité. Les chocs incluent (a) les chocs environnementaux ou “naturels”, tels que les
tremblements de terre ou les éruptions volcaniques, et les chocs climatiques, plus fréquents,
tels que les typhons, les ouragans, les sécheresses, les inondations, et autres; (b) les chocs
externes (liés au commerce et au change), tels que les chutes de la demande extérieure,
l’instabilité des prix mondiaux des produits de base, les fluctuations internationales des termes
de l’échange, et ainsi de suite.
D’autres chocs intérieurs peuvent également être engendrés par l’instabilité politique ou, plus
généralement, par les changements politiques imprévus. Ces chocs, cependant, ne sont pas
considérés ici comme des chocs exogènes.
La vulnérabilité peut être envisagée comme le résultat de trois composantes :
a) L’ampleur et la fréquence des chocs exogènes, qu’ils soient observés (vulnérabilité ex post)
ou anticipés (vulnérabilité ex ante);
b) L’exposition aux chocs;
c) La capacité à réagir aux chocs, ou résilience. La résilience dépend plutôt de la politique
présente, plus facilement réversible, et moins structurelle. Mais il peut également y avoir un
élément structurel dans la composante résilience de la vulnérabilité. On peut donc distinguer
la vulnérabilité structurelle, qui résulte de facteurs qui sont durablement indépendants de la
volonté politique des pays, de la vulnérabilité découlant de la politique, qui dépend de choix
récents. Par exemple, la vulnérabilité des pays d’Asie après la crise de 1997 est très différente

7
de la vulnérabilité des petites économies qui exportent des matières premières, ou des petites
îles, parce qu’elle est moins structurelle, davantage le résultat de la politique, et plus
éphémère.
(In “La vulnérabilité macroéconomique des pays à faible revenu et les réponses de l'aide”, article publié
dans la Revue d'économie du développement, 2006/4, Vol. 14).

Le troisième est de ceux qui ont jusqu’ici théorisé le mieux le phénomène de la postcolonie ou de la
néocolonisation, et formulé ses manifestations dans le déploiement de l’État africain contemporain. Historien
et politologue dont l’écriture chatoyante et grave traduit le souci d’une analyse rigoureuse et sans concession
de la modernité politique africaine dans son articulation à l’histoire mondiale, Achille Mbèmbè (2017) peint ici,
dans des mots toujours soigneusement choisis, la réalité sociale camerounaise à partir de laquelle émerge, se
développe et se cristallise la marginalisation chronique des communautés villageoises dans l’économie
forestière. Dans un texte tout récent, Mbembe observe que :
Au Cameroun, pour qui veut les égrener, les symptômes de la décadence sautent aux yeux et
ne cessent de s’accumuler. Arrivé au pouvoir de manière inattendue en 1982 après la démission
d’Ahmadou Ahidjo, premier chef d’État camerounais, Paul Biya ne fit guère longtemps illusion.
Brutalement ramené à la réalité en 1984 au lendemain d’une tentative sanglante de coup d’État
qui coûta la vie à des centaines de mutins originaires pour la plupart du nord du pays, il rangea
très vite au placard les velléités de réforme dont il s’était fait, un temps, le porte-parole. Puis,
s’appuyant en partie sur les dispositifs et techniques de répression hérités de son prédécesseur,
il entreprit de mettre en place l’un des systèmes de gouvernement parmi les plus opaques, les
plus centralisés et les plus prosaïques de l’Afrique postcoloniale
À la place d’un État de droit, il privilégia un mode de gouvernement personnel dont on constate,
trente-cinq ans plus tard, l’étendue des dégâts, alors même que s’esquisse la possibilité d’une
dislocation pure et simple du pays.
Pendant longtemps, le drame se joua à huis clos. Tel n’est plus le cas, même s’il faudra sans
doute un peu plus que le soulèvement des régions anglophones pour signer une fois pour toutes
la fin d’un régime désormais noyé dans ses propres contradictions et acculé à l’impasse.
Mais la crise s’internationalisant et la pression interne et externe s’accentuant sans cesse, ce
qui pendant longtemps fut prestement mis sous le boisseau est désormais étalé sur la place
publique.
Presque chaque semaine sont mises en circulation des centaines d’images de citoyens
camerounais des régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest brutalisés ou tués par
les forces de l’ordre dans des conditions atroces. Une colère jusque-là amorphe est, petit à petit,
prise en charge par toutes sortes d’acteurs désormais décidés à la politiser.
Comment en est-on arrivé là ? Et, surtout, comment en sortir ?
Est-il vrai que le principal architecte de ce retentissant échec est M. Paul Biya lui-même ? Et si
tel était effectivement le cas, la sortie de la crise n’impliquerait-elle pas, ipso facto, le départ de
celui que la rue nomme le “grand absent” ? Telles sont les questions que posent désormais, à
haute voix, bon nombre de Camerounais.
Encore faut-il aller au-delà de l’individu et prendre l’exacte mesure du système qu’il a mis en
place, et qui risque fort de lui survivre.
Car, pour juguler la contestation et consolider son emprise sur ce pays menacé constamment
par le risque de paupérisation et de déclassement des classes moyennes, par la fragmentation
tribale et le poids des structures patriarcales et gérontocratiques, il n’eut pas seulement recours

8
à la coercition. Il inventa une méthode inédite de gestion des affaires de l’État qui combinait le
gouvernement par l’abandon et l’inertie, l’indifférence et l’immobilisme, la négligence et la
brutalité, et l’administration sélective de la justice et des pénalités.
Pour son fonctionnement quotidien et sa reproduction sur le long terme, un tel mode de
domination requérait, entre autres, la miniaturisation et la systématisation de formes à la fois
verticales et horizontales de la prédation.
Par le haut, de nombreux hauts fonctionnaires et directeurs ou membres des conseils
d’administration des sociétés parapubliques puisent directement dans le Trésor public. Par le
bas, mal rémunérées, bureaucratie et soldatesque vivent sur l’habitant.
Les niches de corruption prolifèrent et les activités illégales sont omniprésentes dans toutes les
filières bureaucratiques et secteurs économiques.
En réalité, tout est prétexte à détournements et surévaluations, qu’il s’agisse de la gestion des
projets, des activités de passation et d’exécution des marchés publics, des indemnisations de
tout genre ou des transactions au titre de la vie quotidienne.
Les crédits alloués aux ministères, délégués aux régions ou transférés aux collectivités
territoriales ne sont guère épargnés. En trente-cinq ans de règne, le nombre de marchés passés
de gré à gré et celui des chantiers abandonnés se compte par centaines de milliers. En 2011,
un document de la Commission nationale anti-corruption estimait qu’entre 1998 et 2004, au
moins 2,8 milliards d’euros de recettes publiques avaient été détournés.
La démocratisation du droit de ponctionner est telle que la corruption sévit à tous les niveaux de
la société. Une partie du tissu social et culturel s’articulant non pas autour d’institutions
impersonnelles, mais de rapports sociaux privatisés, marchandage et micro-arnaque sont
devenus la norme. La corruption est devenue un véritable système de redistribution sociale en
même temps que le facteur structurant des inégalités entre régions et tribus.
L’instrumentalisation des institutions étatiques et de toute parcelle de pouvoir et d’autorité a des
fins personnelles, familiales et tribales étant devenue la règle, la lutte politique est réduite à une
lutte pour l’accès aux gisements de corruption. Les rapports de faveur priment sur la loi. Tout,
systématiquement, peut être vendu ou acheté. D’où l’étiolement de toute notion de service
public.
Vexé ou lésé, l’on ne peut que rarement faire appel à la loi. L’État de droit n’étant qu’une fiction
aux fins de propagande externe, seule compte la volonté du prince, qui fait force de loi, et celle
des puissants dont les citoyens ne sont que des créatures.
On mesure aujourd’hui à quel point ce régime de ponction généralisée et d’abandon a fini par
faire de l’État une menace contre laquelle individus et communautés locales cherchent à se
protéger, faute de pouvoir à leur tour l’utiliser comme un moyen de survie, d’ascension sociale
ou d’enrichissement. Intégrés au fonctionnement quotidien de la société et des institutions, la
corruption et les instincts tribaux empêchent toute auto-organisation populaire durable et
annulent toute possibilité d’une révolte par les urnes.
M. Paul Biya n’est pas seul responsable de la situation dans laquelle se trouve le pays.
À coups de nominations et de prébendes, il a, au cours des trente-cinq dernières années,
engrangé le soutien d’une protobourgeoisie essentiellement parasitaire, faite d’éléments issus
de la bureaucratie, de l’armée, des sociétés parapubliques, des élites politiques traditionnelles,
de multiples réseaux parallèles souvent occultes et de quelques “princes de l’Église” […].
(In “Au Cameroun, le crépuscule d’une dictature à huis clos”, Le Monde Afrique, édition du 9 octobre
2017).

9
CHAPITRE I : CONTEXTE GÉNÉRAL ET DONNÉES MATRICIELLES

1. Le Cameroun : de la genèse de l’État africain moderne à nos jours


Le Cameroun est une invention récente de la colonisation européenne de l’Afrique : aucune collectivité
politique africaine n’existe en tant que “Cameroun” ni avant les contractualisations formalistes auxquelles
s’engagent les chefs côtiers indigènes à la présence des commerçants espagnols, hollandais, anglais, danois,
français ou allemands au XVIIIème siècle; ni –a fortiori –avant le débarquement des commerçants portugais
dans le Golfe de Guinée au XVème siècle. Adalbert Owona (1973) est formel : « Précisons que le Cameroun tel
que nous le connaissons aujourd’hui, c’est-à-dire comme entité territoriale, humaine et politique ayant des
contours et des frontières bien définis, n’existait pas avant 1894. Le terme même de “Cameroun” n’apparaît
guère avant le XVIème siècle »13.

Le nom “Cameroun” est donc d’inspiration exogène, européenne. Il en est du Cameroun comme de l’Afrique
dans son ensemble, c’est-à-dire de l’essentiel des États aujourd’hui constitutifs du Continent noir. De fait,
lorsqu’ils accostent en 1472 à ce niveau du Golfe de Guinée, dans la Baie de Biafra, les Portugais sont surpris
par l’abondance des crevettes dans l’embouchure du Lép u Wouri14 sur l’Océan Atlantique. Et c’est dans
l’excitation devant cette abondance de crevettes –de l’espèce dite Callianassa turnerana15 –qu’ils appellent le
fleuve sur les berges desquelles ils allaient s’établir, “rio dos camaroes”, ce qui signifie en français, “rivière des
crevettes” (E. Mveng, 1963)16. Quelques années après, lorsque les Espagnols suivent les Portugais,
“camaroes” se mue en “camarones”. C’est ce qui devient “kamerun” à l’arrivée des Allemands, puis
“cameroon” et “cameroun” avec les Anglais et les Français respectivement (Martin Ndogbianga Z. Njeuma,
198917; Adalbert Owona, 1973; Engelbert Mveng, 1963).
Comme on le voit, même si les communautés indigènes Bassa, Bakoko, Douala, Bakweri, Abo, Malimba, etc.,
habitant cette région côtière sont séculairement familières de ces crustacées qui meublent divers aspects de
leur univers existentiel quotidien, le nom de ce qui deviendra “leur” pays, le nom de l’État par lequel elles

13 Adalbert Owona, 1973, “La naissance du Cameroun (1884-1914) ”, publié dans la revue Cahiers d'études africaines, vol. 13, n°49.
14 Dans la restitution qu’en fait l’historien Ekwe Mardochée, c’est par ce nom que les communautés autochtones, bassa, désignent le Nkam ou Wouri, la
grande rivière qui communique avec l’océan atlantique. In “Le peuple qui est à l’origine de la ville de Douala est le peuple Basa”, deux interviews
accordées à Mbog Liaa des 22 juillet et octobre 2013.
Au besoin d’une information plus structurée, lire : Pour une nouvelle histoire : (1) L'origine Basaa du Ngondo et du nom Sawa; et (2) L'origine
Basaa du nom et du groupe Douala, Édition Espoir, Douala, 2010.
15 Au besoin, voir ici : http://species-identification.org/species.php?species_group=lobsters&id=73 .
16 Engelbert Mveng, 1963, Histoire du Cameroun, éd. Présence africaine, Paris.

Dans cet ouvrage devenu classique qui a fait encore référence, dans lequel le chercheur convoque particulièrement Vanhöffen et Monod pour identifier
et attester l’espèce de crevettes dont les Portugais rencontrèrent la périodique irruption migratoire dans l’estuaire biafrais. Au besoin, lire également :
- Théodore A. Monod, 1927, “Sur le crustacé auquel le Cameroun doit son nom (Callianassa turnerana White)”, Bulletin du Muséum National
d'Histoire Naturelle, Paris, et;
- Ernst Vanhöffen, 1911, Ueber die Krabben, denen Kamerun seinen Namen verdankt, Sitzungsberichte Gesellschaft naturforschender Freunde
Berlin.
17 Martin Z. Njeuma, (sous la direction de), 1989, Histoire du Cameroun (XIXème siècle – début XXème siècle), éd. L’Harmattan, Paris.

10
seront reconnues comme collectivité politique dans l’histoire moderne globale leur sera donné dans une
démarche exogène coloniale, avec la conquête européenne.

Bien plus tard, lorsque le Traité commercial est signé le 14 janvier 1856 entre les Anglais et les chefs côtiers,
la dénomination des contractants locaux est “Cameroons”. À cette date, seuls le fleuve Wouri et la localité de
Douala assument entièrement l’exclusivité de l’appellation “Cameroun”. Dans son livre devenu un classique,
Histoire du Cameroun, Engelbert Mveng (1963) énonce que le Cameroun nait à partir de l’estuaire du Wouri
sur la côte atlantique, dans la Baie du Biafra, non seulement à travers les transactions diverses que les
commerçants européens développent auprès des communautés indigènes; mais de façon décisive, à travers
la volonté que les expéditions européennes vont manifester dès la moitié du XIXème siècle pour s’impliquer et
contrôler le territoire et l’organisation collective des communautés indigènes.18 Avec la fondation de la Mission
protestante par Joseph Merrick en 1843 à Douala et en 1844 à Bimbia –dont Lisa Aubrey (2014; 2013) établit
au bout de plusieurs années de recherches historiques qu’il est l’un des ports sinon le plus important port
africain d’extraction des esclaves Africains vers l’Europe et les Amériques entre le XVI ème et le XIXème siècles19
–l’établissement par Alfred Saker de la Mission protestante “Bethel” en 1845 à Douala; et l’installation par ces
deux pasteurs de l’école européenne, du dispensaire européen, de l’imprimerie, et la traduction de la Bible
dans les langues locales, c’est la présence et l’influence que les Anglais commencent ainsi exercer sur les
collectivités indigènes qui signent ce que Mveng appelle « le premier noyau de l’œuvre coloniale dans notre
pays » (sic), autrement dit l’émergence embryonnaire des institutions et de l’organisation politique de ce qui
deviendra plus tard l’État du Cameroun.

Cependant, pour rendre fidèlement compte de la perspective d’explication développée par Engelbert Mveng,
cette dynamique primordiale de constitution du pays à partir de la côte atlantique, dans la direction sud-
ouest/nord-est, doit nécessairement être articulée à une dynamique septentrionale non moins authentique
dont les manifestations remontent, depuis la fameuse civilisation Sao jusqu’au XVIème siècle, notamment à
travers l’histoire des royaumes du Sokoto, du Bornou, du Baguirmi, des Mandara, du Logone-Birni/Kotoko, de
l’Adamaoua, etc. C’est à partir de cette dynamique nord-sud que vont se constituer les peuplements du Nord-
Cameroun. Le Cameroun naitra ainsi au prolongement de la frénésie à laquelle l’Afrique semble avoir donné

18 1963, éd. Présence africaine, Paris.


19 Lire deux articles de Lisa Aubrey : “Cameroon, the Transatlantic Slave Trade, and Bimbia the Apertura: Research Findings of 166 Slave Ship
Voyages and their Disembarkations”, 2014 (http://files.cameroonwebnews.com/uploads/2014/09/Cameroon-and-the-Transatlantic-Slave-Trade-Dr-Lisa-
Aubrey.pdf) et “Exposing Cameroon’s Connection to the Transatlantic Slaves Trade via its Slavery Diaspora and Bimbia: Research Impetus,
Methodology and Initial Findings”, 2013 (http://fr.scribd.com/doc/179985731/Exposing-Cameroon-s-Connection-to-the-Transatlantic-Slave-Trade).
Suivre également l’édifiante information que la même chercheuse donne dans le document sonore suivant quant à la Présence de l’Afrique et des
Africains –venus de cette région du Continent –dans l’histoire des États-Unis : https://www.youtube.com/watch?v=mUdurcBgAWY (aller directement à
1h10’40’’-1h17’30’’. Les moments suivants sont tout aussi intéressants : 8’50’’-11’47’’, 24’35’’-29’35’’, 34’12’’-37’30’’, et 53’40’’-54’27’’). In l’émission
“Intelligence du monde” du 19 octobre 2017 de la chaine de télévision Vox Africa.

11
lieu de tout temps : cette fois-ci, après l’attraction que le niveau avancé de sa civilisation exerce sur les Grecs
dans l’Antiquité (Émile Egger, 1849)20, c’est une véritable “compétition” pour l’immensité des espaces et des
ressources –dont elle regorge –qui emballent l’Europe à partir du XVIème siècle : « Malheureusement, la
course vers l’Afrique devenait chaque jour une compétition. Les visées philanthropiques et scientifiques des
débuts s’étaient doublées de visées commerciales et politiques. Le mythe des richesses fabuleuses du
Continent africain est un des rares mythes que la réalité, plus tard, confirmera » (Engelbert Mveng, 1963).

20 Auguste-Émile Egger, 1849, Essai sur l’histoire de la critique chez les Grecs, éd. A. Durand, Libraire, Paris.

12
Carte 1 : Le Cameroun sur la carte de l’Afrique

Légende : Cette carte de l’Afrique est probablement la plus familière, celle par laquelle l’Afrique est le plus connue. Le
Cameroun y occupe une position géographique particulièrement confluente, au milieu d’une floraison impressionnante de
micro-États. Le Cameroun est situé comme à un point d’entrée symétrique sur le Continent par l’océan Atlantique, à la
jonction parfaite du Sud, de l’Est, du Nord et de l’Ouest.
Source : http://www.jump-voyage.com/wp-content/uploads/2015/08/Carte-Afrique-2.jpg , Carte de l’ONU, octobre 2011.

13
Adossé par un de ses flancs aux confins du Sahel, le Cameroun est un territoire éminemment forestier.
D’abord parce que 60% de sa superficie relèvent de la zone écologique forestière; puis parce que l’exploitation
industrielle des ressources de la forêt –notamment le bois industriel mais de plus en plus aussi les produits
forestiers non ligneux (Ndumbe Louis Njie, 2017; Abdon Awono, 2016; Verina Ingram et al, 2016; Abdon
Awono et al, 2013)21 –contribue substantiellement à la production des richesses de l’État (Alain Karsenty,
2016, 2007; Richard Sungkekang Mbatu, 2006). En effet, l’importance de la forêt en tant qu’espace écologique
mais aussi en tant que secteur économique, pour le Cameroun, est établie. Avec près de 20 millions
d'hectares, la zone agro-forestière représente presque la moitié du territoire national dont la plus grande partie
(près de 13 millions d’hectares) a été affectée à la production et la conservation, dans une approche
d’exploitation à long terme. Cependant, près de 1,5 millions d'hectares de forêt sont également consacrés à
l’exploitation communautaire. Au cours de la dernière décennie, la production forestière dans l’économie
nationale a représenté près de 3% du PIB, loin devant le pétrole et les mines, par exemple (Ebia Ndongo,
2009; PSFE, 2003; Loi de 1994).
En tant que structure naturelle d’une grande complexité dont le territoire abrite des ressources aussi diverses
qu’abondante [minérales, floristiques, fauniques (Ludovic Frère, 2001; Marie-Claude Smouts, 2001)22], la forêt
du Congo est le creuset existentiel de nombreuses populations et communautés humaines. La littérature
spécialisée indique qu’avec l’Amazonie et l’Orénoque en Amérique, et le massif indo-malais en Asie du Sud-
Est et du pacifique, le Bassin du Congo fait partie des trois principaux massifs de forêts tropicales humides les
plus importants de la planète tant du point de vue de la superficie que du point de vue de la diversité
biologique faunique et végétale (Greenpeace International, 2007; Alain Karsenty, 2005; Marie-Claude Smouts,
2001). Dans une évaluation détaillée de l’importance systémique de la forêt au Cameroun, Sungkekang Mbatu
(2006) rappelle que :
Cameroon is a country endowed with abundant forests. The southern part of the country
constitutes part of the spectacular lowland rain forest of Central Africa that stretches across
regions of Cameroon, the Central African Republic, Congo Brazzaville, the Democratic Republic
of Congo, Equatorial Guinea and Gabon. For the past three decades, Cameroon has fast been
loosing its portion of the rain forest. The rain forest of Cameroon is located between latitudes 2˚
and 5˚ North of the equator, occupying about 70% of the country’s land area. The forest

21 Lire:
- Ndumbe Louis Njie, 2017, Sustainability of njansang (Ricinodendron heudelotti) Value Chain and its Contribution ti Livelihood in the SouthWest Region
of Cameroon, PhD Dissertation, Faculté des sciences agronomiques de l’Université de Dschang.
- Verina Ingram, Marcus Ewane, Louis Njie Ndumbe and Abdon Awono, 2017, “Challenges to governing sustainable forest food: Irvingia spp. from
southern Cameroon”, in Forest Policy and Economics/Elsevier, July 2017.
- Abdon Awono, 2016, Enjeux et dynamiques de l’exploitation des Produits forestiers non-ligneux au Cameroun, Thèse de doctorat en
Géographie et Aménagement de l'espace, Université Paul-Valéry Montpellier 3.
- Abdon Awono, Verina Ingram, Jolien Schure and Patrice Levang, 2013, Guide for small and medium enterprises in the sustainable non-timber
forest product trade in Central Africa, éd. CIFOR, Bogor-Indonesia.
22 Lire :

- Ludovic Frère, 2001, Les mille et une forêts. Vie et disparition, éd. Favre/Greenpeace, Lausanne.
- Marie-Claude Smouts, 2001 Forêts tropicales, jungle internationale. Les revers d’une écopolitique mondiale, éd. Les presses de Sciences Po,
Paris.

14
constitutes a diversity of fauna and flora that has put Cameroon on the biodiversity map of the
world. It is home to over 8,000 species of birds, close to 400 species of mammals, and more
than 9,000 plant species, 150 of which are found nowhere else in the world. The forest is also
home to the indigenous peoples and communities of the southern low lands of Cameroon,
providing them with food, shelter, clothing, and their cultural and spiritual survival. It is also an
invaluable asset for water conservation and a “living laboratory” for education, scientific research
and recreation. Cameroon’s rain forest, therefore, constitutes a complex ecological system that
is critical not only to the nation and the region, but most to the global community as well. If
Cameroon’s rain forest is going to be sustained, sustaining it will have to be important to the
people of Cameroon. According to a recent African Development Bank report (ADB, 2003), it is
estimated that the forest sector of Cameroon contributes more than 3% of the Gross domestic
product (GDP) and accounts for 7% of total export 23.

Avec l’arrivée des Européens, et depuis les premiers établissements commerciaux coloniaux à la fin du début
du XVIIIème siècle, cette ressource abondante va faire l’objet d’une exploitation frénétique et sans répit,
notamment par les compagnies européennes soutenues par leurs États ou appareils gouvernementaux
respectifs. Il en découle comme le relève Sungkekang Mbatu (2006), que :
Despite the economic importance of the rain forest to the country’s economy, it has been
disappearing at an average rate of 100,000 hectares per year (ADB, 2003). This alarming rate of
deforestation is due to increasing activities such as lumbering, shifting cultivation, logging for
trade and for fuel wood, and road construction. According to the ADB (1995), licensed logging
companies in Cameroon were responsible for the lost of 64,550 km² of forest in 1994.
Environmental groups in the country, such as Bird Life International, Global Forest Watch, and
World Wide Fund for Nature have continued to fight against the increasing number of logging
companies in the country. According to a Global Forest Watch report in 2000, between 1995 and
2000, the number of logging enterprises in Cameroon increased from 350 to 600, controlled by
25 logging companies. With increasing logging together with other land use activities,
Cameroon’s tropical forest is fast disappearing and national and international environmental
groups (nongovernmental organizations) fear at such a high rate of deforestation, the country’s
rain forest might cease to exist in a matter of a few years from now, if something is not done to
remedy the situation24.

23 Richard Sungkekang Mbatu, 2006, Forest Policy : Forest Loss and Land use Cover Change in Cameroon, travail partiel du programme de thèse
PhD, Oklahoma State University.
24 Idem.

15
Carte 2 : Atlas forestier du Cameroun 2011

Source : Ministère des forêts et de la faune du Cameroun & le World Resources Institute
(https://sig2016.esrifrance.fr/posters2016/CMR_Poster_2015_fr.pdf et/ou http://cmr.forest-atlas.org/#l=en).

16
Pour prendre toute la mesure de l’ampleur des enjeux écologiques et diverses autres implications que
l’exploitation industrielle des forêts tropicales humides présente aux différentes échelles locale, nationale,
régionale, globale, Marie-Claude Smouts (2001) dresse un portrait précis et quasi exhaustif des enjeux et
implications qui sont mobilisés par les forêts tropicales humides :
Les écologistes les plus sensés, dit-elle, font valoir que la forêt tropicale est un fabuleux
réservoir de ressources génétiques dont les propriétés alimentaires et médicinales sont loin
d’avoir été explorées. Laisser disparaitre un tel patrimoine avant même qu’il soit connu, serait un
appauvrissement et un gaspillage désolant pour l’ensemble de l’humanité. Par ailleurs, les
naturalistes ont montré que le haut niveau de biodiversité des forêts tropicales s’accompagnait
d’interrelations innombrables. Espèces animales et végétales y vivent en formant des
associations très poussées, chacune ayant un rôle fonctionnel particulier, abri, prédation,
pollinisation, dispersion des graines, fourniture de nourriture, etc. Ces associations impliquent
parfois une bonne douzaine d’espèces et sont essentielles pour la régénération naturelle des
forêts. La disparition d’une espèce ou d’un groupe d’espèces sous l’effet d’une perturbation du
milieu entraine inévitablement une modification de l’ensemble, autre différence avec les forêts
tempérées où les écosystèmes sont moins complexes et le risque d’anéantissement moins
élevé.
L’équilibre est donc fragile et repose sur une série d’interdépendances mal connues d’autant
que la majeure partie de la faune et de la flore tropicales est composée d’éléments rares
difficiles à étudier. Parmi les espèces rencontrées, 10 à 20% seulement sont caractérisées par
de grands effectifs. Autant une perturbation locale et limitée peut être favorable à la diversité,
autant une fragmentation poussée et une déforestation massive entrainent la disparition des
habitats et une rupture de la chaine écologique souvent irréparable. Dans ces cas-là, en effet,
les processus de régénération sont très lents. En quarante ans, un sol dénudé peut se voir à
nouveau recouvert d’arbres (forêts secondaires), mais cela n’a parfois que l’apparence d’une
vraie forêt, les arbres n’ont pas les caractéristiques d’une sylve mature, la diversité végétale est
faible et la diversité animale ne se reconstruit pas entièrement […]
Les sols tropicaux sont pauvres, la couche arable y est mince, la matière organique y est faible.
Si la forêt pluviale donne une telle impression d’abondance et d’exubérance c’est, précisément,
parce qu’elle contribue à la formation et à l’amélioration des sols par sa capacité unique à
recycler très rapidement les substances nutritives libérées par ses organismes en
décomposition : feuilles, insectes, champignons, charognes, etc. Privés de cet apport par des
déboisements excessifs, les sols s’épuisent, perdent leurs éléments nutritifs, sont lessivés par
des pluies violentes, brèves et violentes des climats tropicaux. L’érosion s’installe […]
Selon les forestiers, la forêt régularise l’écoulement des eaux et protège contre les crues. Les
cimes des arbres retiennent l’eau de la pluie et l’évapore dans l’atmosphère. Les racines
absorbent l’eau du sol, la rejettent dans l’air; elles aident aussi à fixer les racines des bassins
versants. Les arbres et les souches forment des obstacles naturels à l’écoulement. La
destruction de la forêt modifie les mécanismes de régulation hydraulique. Là où la présence
d’un réseau de racines, d’une couche d’humus ou d’un couvert dense réduisaient le
ruissellement à la surface et facilitaient l’infiltration de l’eau à l’intérieur du sol, plus rien ne
s’oppose à la force des précipitations, à l’écoulement vers les rivières. Les cours d’eau
débordent, les inondations sont dévastatrices. Les conséquences sont incalculables […]
Ce que l’on sait avec certitude, en tout cas, c’est que, d’une façon ou d’une autre, la
déforestation influe sur le débit des eaux et les grandes fluctuations ont des conséquences
dramatiques sur la flore et la faune des cours d’eaux. Les prises de poissons dans les rivières et

17
les eaux côtières diminuent et, avec elles, le revenu et l’équilibre alimentaire des populations
[…]
Non seulement un peu partout sous les Tropiques, des populations locales voient leurs
conditions de vie menacées par les effets d’un déboisement mal conduit mais, de plus en plus,
l’impact de la déforestation sur la régulation de l’eau douce au niveau mondial et sur le
fonctionnement climatique global commence à susciter des inquiétudes. Par des mécanismes
de rétroaction dont il ne convient pas d’exposer ici les aspects techniques, la forêt influence les
échanges d’énergie entre le sol et l’atmosphère. Elle pèse sur les différents paramètres du
système climatique : pouvoir réflecteur du rayonnement solaire, transfert de vapeur d’eau par
évaporation-transpiration, stockage et libération du gaz carbonique, interception des poussières
en suspension (aérosols), etc. On sait que les grandes régions des forêts humides, l’Amazonie
et le Bassin du Congo en particulier, jouent un rôle important dans le cycle de l’eau et celui du
climat. Des simulations montrent, par exemple, que la disparition complète de la forêt
amazonienne conduirait à une réduction des précipitations dans la région déjà très sèche du
Nordeste brésilien de 0,5 mm par jour et de 6% sur l’ensemble du Bassin amazonien. La
température moyenne de la région pourrait s’élever de 4 degrés. Diminution de la pluviométrie,
augmentation de la température : les effets climatiques en seraient ressentis à des milliers de
kilomètres, avec des manifestations ponctuelles impossibles à prévoir25.

25 Op. cit.

18
Carte 3 : Le Cameroun sur une carte sous-régionale

Légende : Cette autre carte relève plus clairement l’État camerounais dans son contexte sous-régional
immédiat. Autour du Cameroun, on distingue le Nigéria, le Niger, le Tchad, la Centrafrique, la République
démocratique du Congo, le Congo Brazza, le Gabon, la Guinée équatoriale, Sao Tomé & Principe.
Source : http://geology.com/world/cameroon-satellite-image.shtml

Eu égard aux conditions arbitraires de son inscription dans l’histoire dite moderne, l’Afrique n’a réussi jusqu’ici
ni à immerger et à fusionner complètement dans l’histoire de la modernité capitaliste, encore moins à
domestiquer et à prendre le contrôle authentique des leviers essentiels du système moderne auquel elle a été
brutalement articulée. D’où ses difficultés irréductibles à mobiliser les ressources adéquates d’une projection
propre qui occasionne un repositionnement historique définitif lui permettant de se déployer à l’optimum,

19
indépendamment des propositions exogènes, c’est-à-dire aussi des intentions, des intérêts et des termes qui
lui sont étrangers et dont elle n’a ni les moyens d’assumer les implications opérationnelles ni les moyens de
suivre les exigences de performance (Mbog Bassong, 2013; Mubabinge Bilolo, 2011, 2007). Aussi est-il
nécessaire pour mieux comprendre les dysfonctionnements irréductibles qui se manifestent de la mise en
œuvre du Régime des forêts de 1994 et de la marginalisation des communautés villageoises dans la
gouvernance forestière au Cameroun, d’enraciner l’analyse dans les conséquences déstructurantes d’une
Histoire violente imposée sans répit à l’Afrique depuis le IIIème siècle avant l’ère conventionnelle (Mubabinge
Bilolo, 2011, 2007, 2004, 1986).

En effet, dès le VIIème siècle de l’ère conventionnelle, et après avoir constitué aussi bien le berceau de
l’humanité que le berceau de la civilisation, notamment avec l’élaboration de l’agriculture, de la spiritualité, de
la langue, de l’écriture, de la science, de la technologie, de l’organisation sociale, etc. (IRSN, 2017; Kalamba
Nsapo, 2016; Omotunde, 2015, 2014, 2009, 2002, 2000; John Baldock, 2012; Kum’a Ndumbè III (Prince),
2007; Philippe Charlier, 2011; Dirk Huylebrouck, 2005; Cheikh Anta Diop, 1981, 1954; etc.)26, le paradigme
cosmologique de la Maât sur lequel l’Afrique s’est constituée (Mbog Bassong, 2015, 2013) se voit subjugué et
renversé par les peuples venus d’Asie et d’Europe. Tout à tour, et souvent simultanément, l’Afrique est
26 Lire entre plusieurs autres :
- Dirk Huylebrouck, 2005, “L'os d'Ishango, l'objet mathématique le plus ancien”, in ResearchGate
(https://www.researchgate.net/publication/238081069_L'os_d'Ishango_l'objet_mathematique_le_plus_ancien); “L'Afrique, berceau des mathématiques”,
in Pour La Science, n°47, avril-juin 2005 (http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-l-afrique-berceau-des-mathematiques-21875.php). Sur le
même sujet, voir éventuellement aussi au : Muséum des sciences naturelles de Bruxelles, “La Tablette, la Calculette, le Bâton ou l’Os d’Ishango, Une
machine à calculer vieille de 20 000 ans...” (https://www.naturalsciences.be/sites/default/files/dossier_presse_ishango_0.pdf), Royal Belgian Institute of
Natural Sciences, Bruxelles.
- Cheikh Anta Diop, 1981, Civilisation ou Barbarie. Anthropologie sans complaisance, éd. Présence Africaine, Paris; 1954, Nations nègres et
cultures, éd. Présence Africaine, Paris.
- Nioussérê Kalala/Jean-Philippe Omotunde, 2015, Cosmogenèse kamite, éd. Anyjart, Baie-Mahault
(https://www.youtube.com/watch?v=qVHxSO4_ETI et https://www.facebook.com/AntillaisBeLikeBis/videos/891854170991344/); 2015, L’Afrique
impériale. La thèse coloniale face à la vérité historique, éd. Anyjart, Baie-Mahault; 2014, L’Afrique noire : Initiatrice des législateurs antiques,
éd. Anyjart, Baie-Mahault; 2014, La monnaie au temps des pharaons : une antériorité africaine, éd. Anyjart, Baie-Mahault; 2009, L’Afrique :
berceau des concepts de monnaie et d’étalon monétaire, éd. Menaibuc, Paris; 2002, Les racines africaines de la civilisation européenne, éd.
Menaibuc, Paris; 2000, L’origine négro-africaine du savoir grec, éd. Menaibuc, Paris.
- John Baldock (avec EA Wallis & Denis-Armand Canal et Mary Evans), 2012, Le Livre des Morts. Nouvelle édition illustrée, éd. Paris. Sur le même
sujet, lire évenuellement aussi : Grégoire Kolpaktchy, 2012 (1954), Le livre des morts des Anciens Égyptiens, éd. Dervy, Paris et /ou Paul Pierret,
1882, Le livre des morts des Anciens Égyptiens, éd. Ernest Ledoux, Paris
(https://archive.org/stream/lelivredesmorts00piergoog#page/n9/mode/2up).
- Kum’a Ndumbè III (Prince), 2007, L’Afrique s’annonce au rendez-vous la tête haute, éd, Afric’Avenir/Exchange&Dialogue, Douala/Berlin. Lire
éventuellement : Kum’a Ndumbè III (Prince) & Jean-Yves Loude, 1989, Dialogue en noir et blanc, éd. Présence Africaine, Paris.
Nous suggérons particulièrement d’écouter le professeur, le prince Kum’a Ndumbè III, qui en développe ici les enjeux historiques ainsi que les
implications intellectuelles majeurs quant à la Situation de l’Afrique-dans-le-monde : https://www.youtube.com/watch?v=tsdfvvSpyKI et
https://www.youtube.com/watch?v=IN16Xi9b-ks et https://www.youtube.com/watch?v=H9sciElTWpI et
https://www.youtube.com/watch?v=GNknY8Miaek et https://www.youtube.com/watch?v=8m-vq2ccxgI et
https://www.youtube.com/watch?v=eVpVvvU5d6U.
- Fondation AfricAvenir International, 2017, “Confrontation armée programmée et déjà vécue à travers les religions et la spiritualité en Afrique au 21ème
siècle : Quelle alternative religieuse et spirituelle dans une Afrique en pleine renaissance?”, colloque organisé du 03 au 04 mai 2017 à Bonabéri-Douala
(Cameroun) en partenariat avec la Fondation allemande Gerda Henkel Stiftung, dans le cadre de l’École Doctorale “Héritage & Innovations” de la
Fondation AfricAvenir.
Ici, la Déclaration du Colloque de Bonabéri du 4 mai 2017
(http://www.fondationafricavenir.org/index.php?option=com_content&view=article&id=383:confrontation-armee-programmee&catid=156:ecole-
doctorale&Itemid=421).
- Philippe Charlier, 2011, L’Égypte antique, une civilisation négro-africaine. L’ADN africain du pharaon Toutankhamon
(https://www.youtube.com/watch?v=JlEHGZmpt2s et http://www.dailymotion.com/video/xk4vf_l-egypte-civilisation-negro-africai_news)
- Kalamba Nsapo, 2016, Théologie africaine. Les grands courants de pensée de l’Antiquité au 21 ème siècle, éd. Édi-CAD (avec l’Institut africain
d’études prospectives, INADEP).

20
définitivement attaquée, déstabilisée et dominée par les Arabes et les Européens. Pendant plus de dix siècles,
l’Afrique fera systématiquement l’objet d’une violence radicale (Edward Berenson, 2012, 2005)27 notamment
avec l’exploitation spoliante de ses ressources humaines, le pillage frénétique et ininterrompu de ses
ressources agricoles et minières, le ravissement prodigieux de ses ressources culturelles, spirituelles et
intellectuelles. De cette Histoire violente dont plus de dix siècles consécutifs d’esclavages orientale et
atlantique, de domination coloniale (Franz Fanon, 2006, 1961, 1952)28 et aujourd’hui de “dépendance”
néocoloniale et internationale constituent les moments les plus emblématiques, Joseph Ki-Zerbo (2003)
énonce avec une assurance inédite que : « La traite des Noirs fut le point de départ d’une décélération, d’un
piétinement, d’un arrêt de l’histoire africaine. Je ne dis pas de l’histoire en Afrique, mais d’une inversion, d’un
retournement de l’histoire africaine. Si l’on ignore ce qui s’est passé au travers de la traite des Noirs, on ne
comprend rien à l’Afrique »29.

Voici ce qu’on apprend de la Traite orientale des Africains telle que reconstituée par Tidiane Ndiaye (2008)
dans son livre devenu une référence classique sur le sujet, “Le génocide voilé” :
“Sous l’avancée arabe, des millions d’Africains furent razziés, massacrés ou capturés, castrés et
déportés vers le monde arabo-musulman. Cela dans des conditions inhumaines, par caravanes
à travers le Sahara ou par mer, à partir des comptoirs à chair humaine de l’Afrique orientale.
Telle était en réalité la première entreprise de la majorité des Arabes qui islamisaient les
peuples africains, en se faisant passer pour des piliers de la foi et les modèles des croyants. Ils
allaient souvent de contrées en contrées, le Coran d’une main, le couteau à eunuque de l’autre,
menant hypocritement une “vie de prière”, ne prononçant pas une parole sans invoquer Allah et
les hadiths de son Prophète”.
Et l’auteur nous livre beaucoup de détails. Les tactiques employées inspirées du djihad
(attaques surprises en pleine nuit, suivies du massacre des vieux) puis enseignées aux
partisans, le cynisme, la zizanie, les justifications racistes bestiales, les motivations mercantiles,
la légalisation et la sanctification de la traite, l’effondrement des civilisations africaines, le
dépeuplement systématique de régions entières, grandes comme des pays européens, et les
cortèges d’esclaves, le long de routes marquées de part et d’autre par les squelettes blanchis et
les dépouilles plus récentes, mutilées, de leurs prédécesseurs tombés en chemin, les
castrations systématiques, souvent totales (75% de mortalité, mais une valeur multipliée sur le
marché), les avortements et assassinats réguliers des enfants des esclaves sexuelles,
l’épouvantable “normalisation” de ces processus, des siècles durant :
“Stanley constata que dans certaines régions d’Afrique, après leur passage [des négriers arabo-
musulmans], il ne subsistait guère plus de 1% de la population. Dans le Tanganyika, les images
des horreurs de la traite étaient visibles partout. Nachtigal, qui ne connaissait pas encore la
région, voulut s’avancer jusqu’au bord du lac. Mais, à la vue des nombreux cadavres semés le
long du sentier, à moitié dévorés par les hyènes ou les oiseaux de proie, il recula d’épouvante. Il

27 Parmi de nombreux auteurs ayant documenté ce sujet, lire le très édifiant livre de : Edward Berenson, 2012, Les héros de l'Empire : Brazza,
Marchand, Lyautey, Gordon et Stanley à la conquête de l'Afrique, éd. Perrin, Paris.
Suivre également le document sonore que cet historien américain a consacré il y a une dizaine d’années au “Scandale de 1905 de la Mission coloniale
francaise au Congo” notamment à travers la figure de Savorgnan de Brazza” (https://www.youtube.com/watch?v=3IRlXHrrcZA).
28 Franz Fanon, 2006, Pour la révolution africaine. Écrits politiques, éd. La Découverte, Paris; 1961, Les damnés de la terre, éd. Maspero, Paris;

1952, Peau noire, masque blanc, éd. du Seuil, Paris.


29 Lire l’ouvrage pour le moins intéressant À quand l’Afrique? Entretien avec René Holenstein, Éd. d’en bas, Lausanne, 2013 (1ère éd. 2003).

21
demanda à un Arabe pourquoi les cadavres étaient si nombreux aux environs d’Oujiji et
pourquoi on les laissait aussi près de la ville, au risque d’une infection générale. L’Arabe lui
répondit sur un ton tout naturel, comme s’il se fût agi de la chose la plus simple du monde :
“Autrefois, nous étions habitués à jeter en cet endroit les cadavres de nos esclaves morts et
chaque nuit les hyènes venaient les emporter : mais, cette année, le nombre des morts a été si
considérable que ces animaux ne suffisent plus à les dévorer. Ils se sont dégoûtés de la chair
humaine”.
Et les chiffres, les comparaisons, les estimations. Les dates, les décisions. Quelques dessins et
photographies. La reconnaissance de la lutte contre l’esclavage par divers mouvements
civiques, religieux et politiques de l’Occident, mais aussi les tergiversations des acteurs des
grandes puissances après que tout cela ait été révélé et officiellement condamné. Les veuleries,
les complicités. Mais surtout : la totale absence de repentir, de quelconque regret, des
Musulmans ou des Arabes actuels30.

Plus tard, contrainte au projet total31 de “civilisation”, la colonisation de l’Afrique dès la fin du XVIIème siècle par
l’Europe consacre la disparition de l’Afrique indigène, la disparition de l’Afrique dans son auto-organisation et
sa cohérence endogène comme entité culturelle propre (Bwemba Bong, 2013; Olivier Leservoisier & Salah
Trabelsi, 2014; Lisa Aubrey, 2014, 2013; Fabienne Guillén & Salah Trabelsi, 2012; Klah Popo, 2010; Tidiane
Ndiaye, 2008; J.-P. Omotunde, 2008)32, ainsi que sa dépossession définitive à ses communautés. Par la suite
en effet, la réception enthousiaste de l’appel solennel lancé le 18 mai 1879 par Victor Hugo pour la conquête,
la colonisation, l’exploitation et la civilisation de ce monde qu’est l’Afrique dont Hugo disait que la brutalité
constituait un obstacle à l’histoire de l’humanité, va motiver, en réalité, une énième vague de déplacement des
Européens vers l’Afrique, mais dont la spécificité déterminante réside dans l’expansion territoriale, culturelle,
politique et économique de l’Europe, dont la spécificité réside dans le caractère organisé, résolu, systématique
et définitif de la démarche. Il s’agit d’étendre l’univers européen en faisant de l’Afrique –qui est destinée à être
transformée –une extension authentiquement européenne. Pour Victor Hugo qui reprend intégralement ce que
Georg W.F. Hegel33 avait déjà pontifié depuis longtemps :
Il est là, devant vous, ce bloc de sable et de cendre, ce monceau inerte et passif qui depuis six
mille ans fait obstacle à la marche universelle, ce monstrueux Cham qui arrête Sem par son

30 Tidiane N’diaye, 2008, Le génocide voilé. Enquête historique, éd. Gallimard, Paris.
Le texte cité ici est extrait du compte rendu de lecture publié dans Point de bascule, édition du 8 juin 2008.
31 Dans La logique totalitaire. Essai sur la crise de l’Occident, Jean Vioulac (éd. Épiméthée, Paris, 2012) parlerait de “totalitaire” ou “totalitariste”.
32 Lire cette édifiante littérature sur le sujet :

- Bwemba Bong, 2013, Quand l’Africain était l’or noir de l’Europe, éd., Dagan, Paris. Cette troisième édition a reçu le célèbre prix Imhotep 2013.
- Lisa Aubrey, 2015, “Cameroon, the Transatlantic Slave Trade, and Bimbia the Apertura: Research Findings of 166 Slave Ship Voyages and their
Disembarkations” (http://files.cameroonwebnews.com/uploads/2014/09/Cameroon-and-the-Transatlantic-Slave-Trade-Dr-Lisa-Aubrey.pdf); 2013,
“Exposing Cameroon’s Connection to the Transatlantic Slaves Trade via its Slavery Diaspora and Bimbia: Research Impetus, Methodology and Initial
Findings” (http://fr.scribd.com/doc/179985731/Exposing-Cameroon-s-Connection-to-the-Transatlantic-Slave-Trade); Lisa Aubrey & Alain Kenfack, 2015,
“Exposing Bimbia (Cameroon), another Transatlantic Slave Port Uncovered”, Villages d’Afrique Magazine, Apex Museum, Atlanta.
- Olivier Leservoisier & Salah Trabelsi, 2014, Résistances et mémoires des esclavages. Espaces arabo-musulmans et transatlantiques, éd.
Karthala, Paris.
- Fabienne Guillén & Salah Trabelsi (dir.), 2012, Les esclavages en Méditerranée. Espaces et dynamiques économiques, éd. Casa de Velasquez,
Madrid.
- Klah Popo, 2010, Histoire des traites négrières. Critique afrocentrée d’une négrophobie académique, éd. Anibwe, Paris.
- Tidiane N’diaye, 2008, Le génocide voilé. Enquête historique, éd. Gallimard, Paris.
- Jean-Philippe Kalala Omotunde, 2008, Histoire de l’esclavage. Critique du discours eurocentriste, éd. Menaibuc, Paris.
33 Lire Georg Wilhelm Friedrich Hegel, 1822-1830, La Raison dans l’histoire. Introduction à la philosophie de l’histoire, éd. Pocket, Paris, 2012.

22
énormité, l’Afrique. Quelle terre que cette Afrique! L’Asie a son histoire, l’Amérique a son
histoire, l’Australie elle-même a son histoire, qui date de son commencement dans la mémoire
humaine; l’Afrique n’a pas d’histoire; une sorte de légende vaste et obscure l’enveloppe. Rome
l’a touchée pour la supprimer et quand elle se crut délivrée de l’Afrique, Rome a jeté sur cette
morte immensité une des épithètes qui ne se traduisent pas : Africa portentosa, c’est plus et
moins que le prodige, c’est ce qui est absolu dans l’horreur; le flamboiement tropical, en effet,
c’est l’Afrique, et il semble que voir l’Afrique, ce soit être aveuglé : un excès de soleil est un
excès de nuit.
Déjà les deux peuples colonisateurs, qui sont deux grands peuples libres, la France et
l’Angleterre, ont saisi l’Afrique : la France la tient par l’ouest et par le nord, Angleterre la tient par
l’est et par le midi. Voici que l’Italie accepte sa part de ce travail colossal, l’Amérique joint ses
efforts aux nôtres; car l’unité des peuples se révèle en tout; l’Afrique impose à l’univers une telle
suppression de mouvement et de circulation qu’elle entrave la vie universelle et la marche
humaine ne peut s’accommoder plus longtemps d’un cinquième du globe paralysé. Les hardis
pionniers se sont risqués et dès leurs premiers pas, ce sol étrange est apparu réel; ces
paysages lunaires deviennent des paysages terrestres; la France est prête à y apporter une
mer. Cet univers qui effrayait les Romains attire les Français…
Refaire une Afrique nouvelle; rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation tel est le
problème, l’Europe le résoudra.
Allez, peuples, emparez-vous de cette terre! Prenez-la! À qui? À personne! Prenez cette terre à
Dieu. Dieu donne la terre aux hommes. Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-la!34.

C’est dans cet élan frénétique arbitraire que l’Afrique est colonisée, articulée à la “civilisation” de la rationalité
cartésienne35 et de la modernité, et définitivement transformée. Du point de vue de l’organisation sociale, les
différents acteurs européens qui en prennent possession la découpent et l’organisent arbitrairement en une
multitude de territorialités qui épousent ipso facto par leurs spécificités identitaires les particularités des grands
pays coloniaux d’Europe. C’est ainsi que nait l’État moderne africain, à l’image et sous la forme du reflet de la
collectivité politique européenne, avec un État central dirigée par une élite dont l’attribut de la science infuse et
l’autorité incontestés doivent développer la production et la distribution des richesses, organiser et contrôler
tous les aspects de l’activité et de la vie collective, et incidemment favoriser la stabilité sociale ainsi que
l’épanouissement économique collectif (Bertrand Badie, 1992)36. C’est ainsi que l’Afrique est inscrite dans un
paradigme économique capitaliste fondé sur la propriété privée et axé sur le profit et dont l’État garantit la
pérennité en encadrant –à défaut d’encourager –l’enrichissement individuel à outrance et la protection de
l’investissement privé (Pascal Van Griethuysen, 201237; Hernando De Soto, 200038; Jean Ziegler, 198839; John

34 Lire le dossier consacré par Le Monde diplomatique à “L’Afrique, avenir de l’Europe”, le fameux discours impérialiste et colonial de Victor Hugo du
18 mai 1879. Voir l’édition numérique d’octobre-novembre 2009, ici : https://www.monde-diplomatique.fr/mav/107/HUGO/18320.
35 Carl Ritter, 1817-1859, Introduction à la géographie générale comparée, éd. Les Belles Lettres, Paris.
36 Bertrand Badie, 1992, L’État importé. Essai sur l’occidentalisation de l’ordre politique, éd. Fayard, Paris.

Lire éventuellement aussi, Pierre Péan, 2010, Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, éd. Fayard, Paris.
37 Pascal van Griethuysen, 2012, “Bona diagnosis, bona curatio: How Property economics clarifies the Degrowth debate”, in Ecological Economics,

n°84.
38 Hernando De Soto, 2005 (2000), Le mystère du capital. Pourquoi le capitalisme triomphe en Occident et échoue partout ailleurs?, éd.

Flammarion, Paris.
39 Jean Ziegler, 1988, La victoire des vaincus. Oppression et résistance culturelle, éd du Seuil, Paris.

23
Roger Commons, 192440). L’énoncé que formule Thierry Michalon (1984) qui a également reposé l’analyse
des fragilités structurelles de l’État africain sur la dimension historique est particulièrement édifiant :
Les États mis en place par le colonisateur sur un continent africain dont il avait, lors de la
conquête, détruit les royaumes et collectivités traditionnels, sont issus de découpages
territoriaux très arbitraires. Les institutions étatiques instaurées à l’intérieur de ces frontières
furent directement transposées de l’Europe, et se ramenèrent très vite à une administration
centrale aussi nombreuse qu’inefficace. Officiellement motivée par la volonté de construire les
nations, cette centralisation répondait aussi à des motifs moins avouables qui sont
probablement aussi à l’origine de la constante régression de l’idée panafricaine […]
Tracées arbitrairement en dehors des configurations ethniques, culturelles ou économiques
tangibles, les frontières des États africains se distinguent –plus qu’ailleurs –par deux caractères
aux conséquences fâcheuses : (1) elles ont été imposées de l’extérieur par les puissances
colonisatrices –à partir des principes définis par la Conférence de Berlin (1884-1885) –et non
pas déterminées par les Africains eux-mêmes au fil de leur histoire; (2) elles restent
extrêmement récentes, et leur signification n’a pu encore s’intégrer pleinement à l’univers
culturel des communautés concernées. Cette artificialité des frontières africaines semble
confortée par leur caractère monolithique, uniforme, rigide, des États que l’on a voulus
implanter.
De ce point de vue, les États nés à la souveraineté en 1960 ne sont pas partis de zéro. Ils sont
héritiers des dizaines d’années d’efforts que le projet colonial a investis pour implanter en
Afrique des structures, des habitudes, des valeurs étroitement dérivées de celles en vigueur en
métropole. Et la Loi-cadre de 1956 –avec sa détermination spécifique dans les différents États –
avait mis en place, notamment avec l’autonomie interne, des institutions totalement étrangères
aux traditions politiques des communautés et peuples africains.
Les jeunes États africains ont donc puisé dans le droit français ses conceptions les plus
jacobines, les plus élitistes et inégalitaires, les plus antidémocratiques donc.41

C’est ainsi que l’histoire de l’Afrique devient celle d’une articulation violente et douloureuse, maladroite et
ratée, contradictoire et dysfonctionnelle aux paradigmes dominants tour à tour ou simultanément
européennes, occidentales et judéo-chrétiennes, arabo-musulmanes, asiatiques ou chinoises (Thierry
Michalon, 2011, 1984; Franz Fanon, 2006, 1961, 1952). L’histoire de l’Afrique devient l’histoire d’une absence
de soi à soi, d’une obsession pour un référent identitaire, autrement dit d’une dépendance existentielle à
l’autre qui est soi-même, la nécessité existentielle d’un attachement systémique radical à ce que F. Braudel
(1986, 1985, 1979, 1958, 1949) appellera l’économie-monde occidental ou que I. M. Wallerstein (2014, 2012,
2011, 2009, 2008, 2006, 2001, 1999, 1995, 1991, 1988, 1985, 1975, 1966) a nommé le système-monde
international42. Pour illustrer le caractère cohérent et systémique de cette démarche à l’égard des
communautés indigènes, Marie-Claude Smouts (2001) rappelle que :

40 John Roger Commons, 1924, Legal Foundations of Capitalism, éd. The MacMillan, New York.
41 Op. cit.
42 Lire :

- Fernand Braudel, 1986, Une leçon d'histoire (exposé délivré aux Journées Fernand Braudel des 18, 19 et 20 octobre 1985 à Châteauvallon), éd.
Flammarion/Arthaud, Paris; 1985, La dynamique du capitalisme, éd. Arthaud, Paris; 1979, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVème-
XVIIIème siècles, éd. Armand Colin, Paris; 1958, “Histoire et sciences sociales. La longue durée”, in revue Réseaux, vol. 5, n°27, 1987

24
L’internationalisation de la préoccupation environnementale et l’implication dominante des
acteurs puissants dans la prise en charge des forêts tropicales humides, qui vont donner lieu à
la mise en place forcée des aires protégées et des projets de conservation un peu partout. Dès
lors, la protection des sites, de la flore et de la faune au nom d’une certaine conception
occidentale de la vie sauvage s’est accompagnée de drames et de tragédies sans nombre.
Depuis la création des parcs nationaux et de réserves fauniques au Kenya et en Tanzanie d’où
les éleveurs ont été chassés sans ménagement, jusqu’à l’extension du Chitwan National Park
au Népal qui a entraîné le déplacement de milliers de paysans, en passant par les villages
détruits au lance-flammes ou à la grenade au Togo et en Indonésie, les exemples abondent de
crimes commis au nom de la protection de l’environnement qui sont autant de crimes contre les
droits de l’Homme.
En effet, par définition, les aires protégées restreignent les usages sur un territoire délimité.
Elles privent les populations de droits qu’elles exerçaient depuis des temps immémoriaux sur
des terres qu’elles pensaient leurs, elles démantèlent les systèmes traditionnels d’organisation
de l’espace et les pratiques locales d’échange et de gestion.
[Dans le meilleur des cas, les projets s’accompagnent d’opérations de développement et
d’éducation pour faire comprendre à ces populations qu’elles doivent changer de comportement,
ne plus fonder leur subsistance uniquement sur la chasse, la cueillette et le ramassage des
produits forestiers, bref, qu’il s’agit de perdre les repères associés à la forêt et à son caractère
sacré. Cependant, le traumatisme est toujours profond. Les pratiques délibérées de sabotage,
d’incendies, de massacres d’animaux ne sont pas rares, qui exacerbent les tensions sociales et
les conflits entre les populations et les autorités. Les coûts sociaux de la conservation sont très
lourds; ils sont essentiellement supportés par ceux qui vivent dans les aires protégées ou qui en
ont été rejetés à la périphérie, tandis que les bénéfices, purement récréatifs, vont aux
écotouristes, aux randonneurs et aux amateurs de films venus se divertir] »43.

Dès lors, il nous semble pour le moins difficile, du point de vue méthodologique, de développer une analyse
crédible des sociétés africaines qui garantisse une efficacité théorique radicale, dans une approche qui
s’émancipe de l’histoire ou qui ignore les implications de l’Histoire sur l’Afrique (François-Xavier Verschave,
199844), l’histoire entendue aussi bien chez Raymond Aron (1948), Ronald F. Atkinson (1978), Giovanni
Busino (2003, 1986), Robert Franck (2012) ou Günther Anders (1956)45 –pour ne citer que ces quatre

(http://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1987_num_5_27_1320); 1949, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II,


éd. Armand Colin, Paris.
- Immanuel M. Wallerstein, 2014, Le capitalisme a-t-il un avenir? (avec Craig Calhoun, Randall Collins, Michael Mann, Georgio Derluguian), éd. La
Découverte, Paris; 2012, La fin de quelle modernité? Éd. La Républiques des lettres, Paris; 2011, Le capitalisme historique, éd. La Découverte,
Paris; 2009, Comprendre le monde, éd. La Découverte, Paris; 2008, L'universalisme européen. De la colonisation au droit d'ingérence, éd.
Démopolis, Paris; 2006, Comprendre le monde. Introduction à l'analyse des systèmes-monde, éd. La Découverte, Paris; 2004, Sortir du monde
étasunien, éd. Liana Levi, Paris; 2001 (avec F. Chesnais, G. Duménil et D. Lévy), Une nouvelle phase du capitalisme?, éd. Syllepse, Paris; 1999,
L'histoire continue, éd. Éditions de l’Aube, La Tours d’Aigues; 1999, L'Après-libéralisme. Essai sur un système-monde à réinventer, éd. Éditions
de l’Aube, La Tours d’Aigues; 1996, Ouvrir les sciences sociales. Rapport de la Commission Gulbenkian pour la restructuration des sciences
sociales, éd. Descartes & Cie, Paris; 1995, Unthinking Social Sciences. The Limits of Nineteenth Century Paradigms, éd. Polity Press/Blackwell,
Cambridge; 1992, Le système-monde. Du XVème siècle à nos jours. Tome 2 : Le Mercantilisme et la consolidation de l’économie-monde
européenne, éd. Flammarion, Paris; 1992, Le système-monde. Du XVème siècle à nos jours. Tome 1 : Capitalisme et Économie-monde (1450-
1640), éd. Flammarion, Paris; 1991 (avec Samir Amin, Giovanni Arrighi et André Gunther-Frank), Le grand tumulte. Les mouvements sociaux dans
l’économie-monde, éd. La Découverte, Paris; 1988 (avec Étienne Balibar), Race, nation, classe, les identités ambiguës, éd. La Découverte, Paris;
1985 (réédition de 2002), Le capitalisme historique, éd. La Découverte, Paris; 1975, Les Inégalités entre les États dans le système international.
Origines et perspectives (texte issu du Colloque organisé à l’Université McGill sur le problème de l’inégalité dans le système mondial contemporain),
éd. Centre québécois des relations internationales/Université Laval, Québec City; 1966, L'Afrique et l'indépendance, éd. Présence africaine, Paris.
43 Op. cit.
44 Lire l’édifiant : François-Xavier Verschave, 1998, La Françafrique, le plus long scandale de la République, éd. Stock, Paris.
45 Günther Anders, 2002 (1956), L’Obsolescence de l’homme. Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, éds de l’Encyclopédie

des nuisances et Ivréa, Paris.

25
théoriciens –comme « La logique de l’histoire, c’est-à-dire l’ordre rationnel suivant lequel pouvaient se dérouler
les évènements »46. Voici en quels termes et dans quelle forme Robert Franck pose le problème
épistémologique :
Peut-on ignorer l’histoire des phénomènes sociaux, lorsqu’on veut les expliquer? L’explication
dans les sciences sociales doit-elle faire une place à l’histoire? Faut-il qu’elle prenne en compte
le temps, la succession des évènements et l’évolution des phénomènes sociaux ? L’utilité de
l’histoire pour la recherche en économie, en sociologie, en démographie, en psychologie sociale
ou en ethnologie parait incertaine. On ne nie pas l’histoire soit source d’informations, mais on
n’attend pas de ces informations qu’elles nous guident dans dans la découverte de l’explication
des phénomènes étudiés. L’épistémologie des sciencess sociales est d’ailleurs généralement
muette sur le rôle de l’histoire dans l’explication des phénomènes sociaux. Cette franche
démarcation entre l’histoire et les autres sciences sociales est-elle regrettable?
Cependant, la relation entre l’histoire et les autres sciences sociales a quelque chose de
singulier. Car l’histoire n’a pas pour objet telles ou telles propriétés particulières des
phénomènes sociaux comme c’est le cas des autres sciences sociales. L’histoire étudie la vie
sociale sous tous ses aspects. Quant aux propriétés de la vie sociale, elles sont toutes de
nature historique! C’est pour cela qu’on est en droit de se demander s’il n’est pas nécessaire,
pour expliquer convenablement les phénomènes sociaux, d’étudier leur histoire. Il faut aussi se
demander si l’épistémologie des sciences sociales ne devrait pas accorder une plus grande
attention à l’histoire. Afin de répondre à ces questions, et afin d’apprécier la contribution de
l’histoire aux sciences sociales, je proposerai une approche renouvelée du rôle des strructures
dans l’explication […]47.

En effet, longtemps avant Giovanni Busino (2003-1986), Omotunde (2015-2000), José Do Nascimento (2011,
2008)48, Oscar Pfouma (1993)49 ou Gilbert Rist (2015-1996), Jean Ziegler (1971) avait énoncé la pertinence
méthodologique de l’histoire dans l’analyse sociologique et la nécessité particulière de son application sur le
cas spécifique de l’Afrique et des communautés africaines. Pour le sociologue suisse :

La méthode est importante en ce sens qu'il convient d'essayer de formuler les éléments
essentiels d'une théorie permettant de comprendre l'Afrique et sa culture hélas, souvent
agressée par la colonisation intellectuelle et comment elle a pu survivre et se transmettre dans
la Diaspora africaine, au Brésil en particulier. Qui veut chercher à comprendre l'Afrique en
général et le comportement social de l'une quelconque de ses communautés ne peut négliger la
question première du temps et de ses diverses représentations. L'européen a tendance à
penser que ses propres représentations sont communes à l'ensemble des peuples de la terre et
élude, en règle générale, cette question épistémologique fondamentale et fort complexe qui est
à l'origine de toute tentative de communication. D'où : l’existence de nombreux courts-circuits.
La notion du temps (ou les différentes représentations qu'on en a), est ici primordiale et une des

46 Robert Franck, 2012, “Histoire et structure”, in Jean-Michel Berthelot, Épistémologie des sciences sociales, éd. PUF, Paris.
47 Ibid.
48 José Do Nascimento (dir.), 2008, La renaissance africaine comme alternative au développement. Les termes du choix politique en Afrique,

éd. L’Harmattan, Paris.


Voir également ses deux documents vidéos consacrés :
- pour le premier au “développement comme discours d’aliénation”
(https://www.youtube.com/watch?v=Acm900eDM6M);
- et pour le second à “La Renaissance comme alternative au développement” (https://www.youtube.com/watch?v=Cha9A8VZC7E).
49 Oscar Pfouma, 1993, Histoire culturelle de l’Afrique noire, éd. Publisud, Paris.

26
clés de l'entendement humain. Or, il reste à établir ce que nous avons en commun avec d'autres
civilisations et à élaborer d'éventuels tableaux de concordances […]
C’est bien là le sens général et le type de réflexion qu'il nous propose de méditer afin de mieux
saisir le problème africain dans son ensemble et celui de la Diaspora africaine en particulier…
“Chaque vie, chaque société, débouchent sur l'infini. Aucune théorie ne résume l'histoire. En
d'autres termes, la sociologie reste impuissante à définir l'être ignoré de l'homme. L'aventure de
chacune des sociétés existant aujourd'hui sur notre planète est spécifique, irréductible et dans
le sens précis du terme mystérieuse.
Le concept de Pascal sert ici à expliquer le phénomène : la sociabilité donnée est un tronc
d'arbre, trop large pour être embrassé totalement par nos bras. Mais le tronc n'est point
intelligible. Autrement dit, l'intelligence sociologique saisit l'objet jusqu'à une limite définie par
l'infirmité de ses concepts. Ou, en d'autres termes encore, la nuit étoilée des motivations
africaines n'est pas impénétrable, elle est mystérieuse. Elle se révélera progressivement, à
mesure que les Africains produiront librement leur vie”. Quelle sera cette vie africaine à venir?50.

En l’occurrence, le déploiement actuel de l’Afrique dans l’histoire se fait à travers une organisation territoriale
et une identité politique complètement étrangères aux systèmes de représentation propres aux communautés
africaines indigènes. Autrement dit, le visage par lequel l’Afrique se présente et s’articule aujourd’hui à la
communauté mondiale n’est pas le résultat d’une démarche endogène et authentique (Felwine Sarr, 2016)51 :
il est directement le produit d’interventions historiques exogènes puissantes qui ont radicalement transformé
l’Afrique pour en faire un véritable épouvantail historique (Michel Babadjide, 201752; Erick Gbodossou, 2016;
Claude Villeneuve et al, 201353; Esoh Elame et al, 201254; Jean-Emmanuel Pondi, 2011; José Do Nascimento,
2008; Joseph Ki-Zerbo, 2003; Sévérin Cécile Abéga, 2001, 2000; Oscar Pfouma, 1993; etc.). Cette réalité
intangible est particulièrement validée par l’ensemble des travaux à vocation critique qui se sont penchés sur
l’Afrique avec toute la profondeur réflexive, indépendamment du domaine, de la discipline ou de la
problématique.

C’est ainsi qu’à la destruction radicale de sa stabilité méta-psychologique consécutivement à la violence


inédite des esclavages arabe et européenne (Lisa Aubrey, 2014, 2013; Bwemba Bong, 2013; Olivier
Leservoisier & Salah Trabelsi, 2014; Fabienne Guillén & Salah Trabelsi, 2012; Klah Popo, 2010; Tidiane

50 Louis Schneiter, 1971, Compte-rendu de lecture : “Le pouvoir africain : éléments d'une sociologie politique de l'Afrique noire et sa diaspora aux
Amériques”, in revue L’Homme et la société, n° 22, éd. du Seuil, Paris.
51
Felwine Sarr, 2016, Afrotopia, éd. Philippe Rey, Paris.
52 Dans ces deux édifiants documents sonores (https://www.youtube.com/watch?v=AuJX9jm9LZs et https://www.youtube.com/watch?v=7gh2EziqHrs)

de 6 et 59 minutes, Dr Michel Babadjidé et Dr Erick Gbodossou déclinent respectivement les contours fondamentaux et les termes essentiels dans
lesquels l’approche critique africaine endogène formule le problème africain/la problématique de l’Afrique aujourd’hui.
53 Claude Villeneuve (dir.), 2013, Forêts et humains : une communauté de destin. Pièges et opportunités de l’économie verte pour le

développement durable et l’éradication de la pauvreté, éds OIF/Eco-Conseil/UQAC/IEPF.


54 Esoh Elame, “Décoloniser l’aménagement forestier” (avec Nicole Huybens, Martin Tchamba, Patrice Bigombe Logo, Guéhi Jonas Ibo et coll.) in

Forêts et humains. Une étude complète (Le texte est disponible ici :
- http://www.ifdd.francophonie.org/ressources/livre_forets_complet/Forets_Chap_02/files/assets/basic-html/page31.html
et/ou
-http://www.ifdd.francophonie.org/ressources/livre_forets_complet/Forets_Chap_02/files/assets/basic-html/page4.html
et/ou
-http://www.ifdd.francophonie.org/ressources/livre_forets_complet/Forets_Chap_02/files/assets/basic-html/toc.html).

27
Ndiaye, 2008; Omotunde, 2008) à l’incarcération de la colonisation poursuivie aujourd’hui encore, la
dépossession radicale de son intellectualité propre avec la domination des religions et de la pensée
occidentale et arabo-musulmanes, l’Afrique s’est vue fermement articuler à une intellectualité exogène, dans
un contexte de dépouillement et de fragilité totale qui va provoquer une sorte de dépendance profonde
absolue à l’égard des dynamiques et propositions intellectuelles exogènes (Franz Fanon, 2006, 1961, 1952).
Mwayila Tshiyembé (2001) indique avec précision ce qu’il en est : « Déboussolée par l’islamisation, la
christianisation, la traite négrière, la colonisation européenne et la post-colonisation des Nègres par les
Nègres au moyen de l’État post-colonial, l’Afrique noire a perdu son génie créateur de l’organisation sociétale
et par conséquent la maitrise de son destin. Dès lors, elle ne peut juguler la crise du politique que si elle
retrouve son initiative historique, en réinventant son propre modèle de l’État multinational et de la société civile
multiculturelle »55.

De facto, lorsque l’occupation coloniale de l’Afrique commence au XIXème siècle, l’esclavage européen vient à
peine de s’achever, après près de 400 ans d’activité (Lisa Aubrey, 2015; Bwemba Bong, 2013; Klah Popo,
2010; J.-P. Kalala Omotunde, 2008; etc.)56. De même, il ressort des travaux les plus sérieux ayant
spécialement porté sur la Traite esclavagiste orientale des Africains, qu’elle a chevauché l’esclavage
atlantique, commencé bien plus tôt, duré plus longtemps, et déployé une violence sinon similaire,
probablement plus radicale sur les Africains (Olivier Leservoisier & Salah Trabelsi, 2014; Fabienne Guillén &
Salah Trabelsi, 2012; Tidiane Ndiaye, 2008)57.

Dès lors, la violence de la colonisation européenne intervient comme un enchainement qui ne laisse ni aucun
répit ni aucun moment de reconstitution systémique (psychologique, mentale, intellectuelle, démographique,
sociale, économique et politique) aux communautés africaines (Edward Berenson, 2012, 2005; Franz Fanon,
2006, 1961, 1952; Ferdinand Oyono, 1956; Mongo Beti, 1956)58. Et si la Traite esclavagiste a effectivement
été aboli, aucun analyste de bonne foi ne saurait rigoureusement garantir aujourd’hui encore que l’emprise
coloniale sur l’Afrique a également pris fin (Achille Mbembe, 2010; Mongo Beti & Odile Tobner, 1989)59. Jean
Suret-Canale (1973) rappelle ici l’infrastructure opératoire sur laquelle se déploie l’Afrique moderne :
Le système d'exploitation appliqué aux colonies françaises d'Afrique tropicale auquel Jean
Dresch devait donner dès 1946 le nom d'“économie de traite” –terme qui a reçu depuis droit de
cité –fut sans doute l'une des variantes les plus rétrogrades de la colonisation moderne. Dans le
prolongement direct de la Traite des esclaves, l'économie de traite moderne s'est contentée de

55 Mwayila Tshiyembé, 2001, “Le défi de la renaissance”, in Inpact Tribune, n°18, janvier 2001.
56 Op. cit.
57 Op. Cit.
58 Lire :

- Ferdinand Oyono, 1956, Le vieux nègre et la médaille, éd. Présence Africaine-10/18, Paris ; 1956, Une vie de boy, éd. Présence Africaine, Paris.
- Mongo Beti, 1956, Le pauvre Christ de Bomba, éd. Présence Africaine, Paris.
59 Mongo Beti et Odile Tobner, 1989, Dictionnaire de la négritude, éd. L’Harmattan, Paris.

28
substituer, au trafic du “bois d'ébène” des négriers d'antan, le commerce des produits locaux,
agricoles ou de cueillette : peu ou pas d'investissements productifs, tout au plus un équipement
sommaire permettant l'importation des produits manufacturés européens et l'exportation des
produits locaux.
Comme au temps de la “première” colonisation mercantile et esclavagiste, depuis le XVI ème
siècle, c'est le commerce qui joue le rôle essentiel, représenté principalement par quelques
grandes compagnies rapidement intégrées au grand capital financier international. Ce
commerce n'est jamais un véritable commerce “libre”. Son extension et ses marges
bénéficiaires sont fonction de l'emprise administrative. L'administration coloniale a en effet pour
rôle principal d'assurer l'alimentation des circuits commerciaux coloniaux, d'abord en éliminant
ou en réduisant à un rôle subalterne le commerce africain traditionnel, ensuite en obtenant par
la contrainte ce que l'on ne pouvait espérer demander au “libre-échange”.60

Dès lors, la situation actuelle de l’Afrique ainsi que le visage qu’elle déploie témoignent essentiellement de
l’inaboutissement et du caractère conflictuel de son articulation à l’intellectualité opératoire, de son
empêtrement dans la mondialité actuelle. Thierry Michalon (1984) est sentencieux et formel : « La situation
désastreuse du continent est en partie imputable, à mon sens, au mimétisme institutionnel ainsi encouragé
chez les élites et à l’ignorance délibérée de tout ce qui relève de la culture, de la vision de la vie, bref, de la
schizophrénie développée chez les intellectuels africains par leurs études juridiques selon les traditions
françaises »61.

De facto, l’on comprend parfaitement que la portée théorique de cet énoncé du juriste africaniste –dont on sait
que l’analyse porte essentiellement sur l’infrastructure juridique et institutionnelle –est systémique et intègre
toutes les dimensions de l’intellectualité opératoire de la modernité africaine. D’où l’importance déterminante
de son intérêt dans la validité de l’explication de la marginalisation des communautés villageoises par la non-
endogénéité des Réformes forestières et l’opérationnalité des contraintes structurelles paradigmatiques, mais
aussi interscalaires et contextuelles.

Il en est éminemment des politiques publiques en matière d’environnement et d’exploitation des ressources
naturelles, comme on peut le voir par exemple chez Pascal Tozzi (2010) autour de l’émergence du

60 Jean Suret-Canale fait partie de cette catégorie très réduite de chercheurs européens qui, à contre-courant du fonctionnalisme colonial, a développé
une analyse crédible sur la situation contemporaine de l’Afrique [dans le monde]. C’est probablement dans cet esprit invoque Jean Dresch (1946, “Sur
une géographie des investissements de capitaux. L'exemple de l'Afrique Noire”, in Bulletin de l’Association des géographes français, Vol. 23, n˚
117).
Lire Jean Suret-Canale : 1980, Essais d'histoire africaine. De la Traite des Noirs au néocolonialisme (Recueil de textes), Éditions sociales, Paris;
1973, “De la colonisation au génocide. Le système concessionnaire en Afrique équatoriale française, d’après C. Coquery-Vidrovitch et P. Kalck”, revue
La pensée, n° 171; 1972, Afrique Noire. De la décolonisation aux indépendances, Éditions Sociales, Paris; 1958-1971, Afrique Noire occidentale
et centrale. Tome 1 et Tome 2, Éditions sociales, Paris.
61 Thierry Michalon (avec Ébénézer Njoh-Mouelle), 2011, L’État et les clivages ethniques en Afrique noire, éds. Ifrikiya & du CERAP,

Yaoundé/Abidjan.

29
mécanisme de certification ou Rozenn Nakanabo Diallo (2013) qui a travaillé sur le Mozambique. Alors qu’on
apprend du premier chercheur que :
L’idée d’une gouvernance forestière locale et participative est consacrée par la Déclaration de
Rio qui invite “les parties intéressées, parmi lesquelles les collectivités locales et la population
autochtone” de même que les “habitants des forêts et les femmes” à participer “à l'élaboration et
à la mise en œuvre des politiques forestières nationales”. En ce sens, la certification, source de
production de normes environnementales, a la vocation générique d’un cadre susceptible
d’engager les acteurs locaux à construire des dispositifs participatifs adaptés. Le discours
promu par des organisations écologistes à travers les systèmes de certification met en avant
cette participation jusqu’à donner l’impression qu’elle est une finalité, reléguant souvent au
second plan l’évaluation des effets concrets sur la gestion forestière. La centralité du critère
participatif est partagée par tous, que ce soit les agences internationales ou bailleurs de fonds
présents dans le débat international sur les forêts. Si l’implication des populations locales a
connu des fortunes diverses au fil du temps, des idéologies et enjeux environnementaux, elle
est aujourd’hui consensuelle. À travers les programmes forestiers des organismes
internationaux, est prise en charge l’adhésion des peuples forestiers à “l’impératif
conservationniste” de même que leur participation au niveau local. On y définit leur rôle, leurs
devoirs, leurs intérêts, célébrant leurs pratiques soudainement devenues “naturellement” aptes
à préserver le milieu et à être intégrées dans les politiques de développement durable. Dans
plusieurs pays, les locaux sont incités à établir un secteur associatif solide, corollaire de
l’incontournable gestion communautaire et durable des ressources, propice aux dynamiques
certificatrices62;

La seconde développe une analyse identique à partir d’une dimension différente de la problématique
environnementale qui lui permet d’énoncer que :
La reconfiguration de l‘État a une dimension directement exogène : il s‘agit d‘incorporer dans le
paysage réglementaire et législatif national des instruments et des catégorisations “légitimes” à
l‘échelle internationale, et portés par les Bailleurs de fonds et leurs partenaires. Par exemple, le
texte final de la Politique de conservation reprend les catégories de l‘Union internationale pour la
conservation de la nature (UICN) concernant les aires protégées. Il s‘agit également de
reprendre et de discuter les recommandations d‘experts dont les rapports ont été commandités
par les Bailleurs de fonds. Enfin, il s‘agit de transposer et d‘ancrer des manières de voir,
notamment les mots d‘ordre de la Banque mondiale en matière de conservation.
Les indications quant à l’influence immédiate que le Chapitre 11 de l’Agenda 21 approuvé lors
de la Conférence de Rio 1992 présente sur les “Politique et Stratégie de développement des
forêts et de la faune sauvage” adoptées en 1997 au Mozambique sont révélatrices du
fonctionnement de la construction des injonctions internationales qui sous-tendent une
dépendance institutionnelle au Mozambique. Ainsi, des conférences internationales “décident”
sur la base de travaux d‘experts, et ces discours deviennent les cadres de l‘action que les
organisations internationales (FAO, PNUD, Banque mondiale, WWF, AFD, UICN, etc.)
traduisent en manuels de procédures qui contingentent fortement les possibles des acteurs lors
des concertations sur la scène nationale. Il y a donc certes consultations multi-acteurs au niveau
national, mais elles sont largement formatées par les grandes conventions internationales. C’est

62 Pascal Tozzi 2010, "Gouvernance des forêts et développement durable : mobilisations sociétales et conflits autour de la certification forestière",
communication faite au colloque Développement durable, communautés et sociétés organisé par le CR 21 "Transactions sociales" de l'Association
Internationale des Sociologues de Langue Française (AILSLF) et qui s'est tenu du 16 au 18 juin 2010 à l'Université de Haute-Alsace (Mulhouse).
Lire également : Pascal Tozzi, 2011 (avec Stéphane Guéneau et Abdourahmane Ndiaye), Gouverner par les normes environnementales : jeux
d’acteurs et de puissance dans la certification forestière; 2011, Pour une gestion durable des forêts, éd. Rue d’Ulm, Paris.

30
en effet à partir des cadres découlant des injonctions internationales que se formule et se
déploie l’action publique mozambicaine de conservation de la nature63.

Toutes choses qui suggèrent que les transformations d’impact structurel intervenues dans la géopolitique et
l’économie internationales du fait du développement de la globalisation et des normes opératoires privées vont
amener les gouvernements non seulement à se rendre disponibles aux modes nouveaux pluralistes ou
alternatifs de gouvernance, mais aussi à engager des réformes sectorielles ou d’ensemble dans les politiques
publiques nationales afin de les conformer aux nouvelles exigences dominantes de compétitivité. Il en découle
que sur le plan de son identité politique et géopolitique, non seulement l’Afrique est un morcellement fabuleux
d’États chétifs créés sur l’arbitraire d’intérêts étrangers et les caprices des puissances européennes, mais le
contenu intellectuel stratégique sur lequel se déploie l’existence des micro-États qui la constituent est lui-
même totalement sous le contrôle et la domination des dynamiques externationales et des intérêts
économiques et géopolitiques non-endogènes (Joseph Ki-Zerbo, 2008; Mwayila Tshiyembé, 2001, 2000)64.
Telle est la situation générale de l’Afrique, à peu de choses et au détail près. Et c’est à partir de cette trame
structurelle opératoire qu’au bout de son analyse des enjeux institutionnels mobilisés par la mise en œuvre
des politiques publiques environnementales au Mozambique, Nakanabo Diallo (2013) indique :
L‘État au Mozambique est sous régime d‘aide depuis les années 1980. Cela signifie que des
Bailleurs de fonds internationaux (i.e. organisations internationales de développement
multilatérales et bilatérales, et les organisations internationales de protection de
l‘environnement) sont parties prenantes de l‘action publique, avec des financements, des visions
du monde et du personnel expatrié. La prégnance de l‘aide internationale est promotrice de
politiques néolibérales, et remet en question le pouvoir et la souveraineté de l‘État. En ce sens
nous parlerons de “gouvernance hybride”, pour montrer combien la souveraineté n‘est ni tout à
fait nationale ni tout à fait globale. Nous utilisons l’expression, “sous régime d’aide”, pour
caractériser la situation de fort poids de l‘aide internationale au Mozambique. L‘État au
Mozambique fonctionne en grande partie grâce à cette aide, et étudier l‘État au Mozambique ne
peut faire abstraction de ce contexte. Aussi peut-on affirmer que l‘analyse des politiques de
conservation de nature au Mozambique est dans le même temps une étude des modalités et
des ressorts de l‘aide au Mozambique et, au-delà, des référentiels sur laquelle cette aide se
fonde. Et pour reprendre les termes de Harrison (2010) : “International aid is constitutive of
African States. It is part of State‘s development policy” 65.

L’empreinte exogène sur l’Afrique est donc puissante, profonde, totale et vieille (Harana Paré, 2017; François
Mattei, 2014; Charles Onana, 2013, 2011; José Do Nascimento, 2008; Oscar Pfouma, 1993; Serge Latouche,

63 Rozenn Nakanabo Diallo, 2013, Politiques de la nature et nature de l’État. (Re)Déploiement de la souveraineté de l’État et action publique
transnationale au Mozambique, Thèse de doctorat, Université de (Sciences po) Bordeaux.
64 Lire :

- Joseph Ki-Zerbo, 2008, Histoire critique de l’Afrique, éd. Panafrika/Silex/Nouvelles du Sud, Dakar.
- Mwayila Tshiyembé (avec Robert Wazi), 2007, L'avenir de la question noire en France. Enjeux et perspectives, éd. L’Harmattan, Paris; 2001,
L'Afrique face à ses problèmes de sécurité et de défense; Présence Africaine, Paris; 2000, L'État post-colonial : facteur d'insécurité en Afrique,
Présence Africaine, Paris.
65 Op. cit.

31
1988; Bebebe, 1978)66. Elle se reflète entièrement sur la collectivité politique africaine d’aujourd’hui, depuis la
domination symbolique et la substitution radicale des schèmes africains par l’intellectualité arabo-musulmane,
occidentale et judéo-chrétienne ainsi que la mise en place d’une addiction existentielle à l’égard des
propositions culturelles, idéologiques et intellectuelles extérieures; jusqu’à la souscription quasi-fusionnelle
aux systèmes anthropologiques et d’organisation de la vie sociale dominants –dans le traitement qu’en fait
Jacques Revel (2012) lorsqu’il parle de “régime d’historicité”67, dans toutes les dimensions institutionnelles,
politiques et économiques de la vie (Thomas Deltombe et al, 2016, 2011; Jean-Pierre Bat & Pascal Airault,
2016; Simon Nkén, 2014; Pierre Péan, 2014; Patrick Pesnot & Monsieur X, 2008; José Do Nascimento, 2008;
Pierre Laniray, 2006; Omotunde, 2006; Boubacar Boris Diop, Odile Tobner et François-Xavier Verschave,
2005; François-Xavier Verschave, 2005; Oscar Pfouma, 1993; Mongo Beti & Odile Tobner, 1989; Mongo Beti,
1972; Ferdinand Oyono, 1956)68. Il en découle entre autres impacts fondamentaux qui vont engager
l’existence/la viabilité des collectivités politiques africaines la structuration définitive du système de production

66 Lire :
- Harana Paré, 2017, “Conflit et génocide rwandais. La République française est-elle totalement compromise?” (https://francais.rt.com/opinions/40367-
conflit-genocide-rwandais-republique-francaise-est-elle-totalement-compromise).
- François Mattei & Laurent Gbagbo, 2014, Pour la vérité et la justice. Côte d’Ivoire : révélations sur un scandale français, Éditions du Moment,
Paris.
- Charles Onana, 2013, France-Côte d’Ivoire, la rupture. Confidences et documents secrets, éd. Duboiris, Paris; 2011, Côte d’Ivoire, le coup
d’État, éd. Duboiris, Paris.
- José Do Nascimento (dir.), 2008, La renaissance africaine comme alternative au développement. Les termes du choix politique en Afrique, éd.
L’Harmattan, Paris. Voir également ses deux documents vidéo consacrés pour le premier à “La Renaissance comme alternative au développement”
(https://www.youtube.com/watch?v=Cha9A8VZC7E), et pour le second au “Le développement comme discours d’aliénation des élites africaines”
(https://www.youtube.com/watch?v=Acm900eDM6M).
- Oscar Pfouma, 1993, Histoire culturelle de l’Afrique noire, éd. Publisud, Paris.
- Serge Latouche, 1988, L'Autre Afrique, entre don et marché, éd. Albin Michel, Paris
- Bebebe (Guy Emmanuel Galiba, Ngalebha), 1978, Les Cahiers de macchémologie, vol.1, éd. L’Observatoire macchémologique, Chennevières-sur-
Marne.
67 Jacques Revel, 2012, “Les sciences historiques”, in Jean-Michel Berthelot, Épistémologies des sciences sociales, éd. PUF, Paris.
68 Lire :

- Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, 2016 (avec la préface d’Achille Mbèmbè), La guerre du Cameroun : l’invention de la
Françafrique, éd. La Découverte, Paris; 2011, Kamerun! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948 - 1971), éd. La Découverte,
Paris.
Lire également : Thomas Deltombe, 2008, “Cameroun, il y a cinquante ans, l’assassinat de Ruben Um Nyobè”, in Le Monde diplomatique, édition du
13 septembre 2008 (https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-09-13-Cameroun).
- Jean-Pierre Bat et Pascal Airault, 2016, Françafrique : opérations secrètes et affaires d’État, éd. Tallandier, Paris.
- Antoine Glaser, 2016, Arrogant comme un français en Afrique, éd. Fayard, Paris; 2014, AfricaFrance. Quand les dirigeants africains
deviennent les maîtres du jeu, éd. Fayard, Paris.
- Jean-Pierre Bat, 2015, La fabrique des barbouzes. Histoire des réseaux Foccart en Afrique, éd. Nouveau Monde Éditions, Paris.
- Simon Nkén, 2014, L’empreinte suspecte de Louis-Paul Aujoulat sur le Cameroun d’aujourd’hui, éd. K2Oteurs/Librairie Taméry, Paris.
- Pierre Péan, 2014, Nouvelles affaires africaines. Mensonges et pillages au Gabon, éd. Fayard. Paris; 2010, Carnages. Les guerres secrètes
des grandes puissances en Afrique, éd. Fayard, Paris; 2005, Noires fureurs, blancs menteurs, éds. Fayard/Mille et Une nuits, Paris; 1988,
L'Argent noir. Corruption et sous-développement, éd. Fayard, Paris; 1983, Affaires africaines, éd. Fayard, Paris.
- Patrick Pesnot & Monsieur X, 2008, Les dessous de la Françafrique, éd. Nouveau Monde Éditions, Paris.
- Stephen Smith & Antoine Glaser, 2008, Sarko en Afrique, éd. Plon, Paris; 2005, Comment la France a perdu l'Afrique, éd. Calmann-Lévy, Paris;
1997, Ces messieurs Afrique 2. Des réseaux aux lobbies, éd. Calmann-Lévy, Paris; 1994, Ces messieurs Afrique. Le Paris-Village du continent
noir, éd. Calmann-Lévy, Paris; 1993, L'Afrique sans Africains. Le rêve blanc du continent noir, éd. Stock, Paris.
- Pierre Laniray (dir.), 2006, François-Xavier Verschave, L’homme qui voulait soulever les montagnes, éd. Les Arènes, Paris.
- François-Xavier Verschave, 2005, De la Françafrique à la Mafiafrique, éd, Tribord, Bruxelles; 2000, Noir silence. Qui arrêtera la Françafrique?,
éd. Les Arènes, Paris; 1998, Françafrique. Le plus long scandale de la République, éd. Stock, Paris; 1994, Complicité de génocide? La politique
de la France au Rwanda, éd. La Découverte, Paris.
- Boubacar Boris Diop, Odile Tobner et François-Xavier Verschave, 2005, Négrophobie. Réponse aux “négrologues”, journalistes françafricains et
autres falsificateurs de l’information, éd. Les Arènes, Paris.
- Mongo Beti & Odile Tobner, op. cit.
- Mongo Beti/Eza Boto, 1972, Main basse sur le Cameroun, éd. Maspero, Paris; 1956, Le pauvre Christ de Bomba, éd. Présence Africaine, Paris;
1954, Ville cruelle, éd. Présence Africaine, Paris.
- Ferdinand Oyono, op. cit.

32
et d’échange des richesses dont Michel Norro (1994) dit : « Nous avons souligné l’importance du marché
mondial dans l’évolution de l’économie africaine. C’est la demande étrangère qui est à l’origine du secteur
moderne de production et qui, aujourd’hui encore, en détermine largement la structure et le dynamisme. Il
n’est donc pas surprenant que la crise qui a affecté le marché mondial depuis le début des années 70 ait eu
de profondes répercussions en Afrique »69.

De même, c’est ce qui amène Samir Amin (1970) à énoncer au bout de son analyse de la condition historique
de l’Afrique dans la modernité que :
Le sous-développement [de l’Afrique] n'est compréhensible que replacé dans une perspective
mondiale; il ne peut être expliqué que comme un effet de la dynamique des relations du mode
de production capitaliste entre le centre et la périphérie : “Alors qu'au centre la croissance est
développement, c'est-à-dire qu'elle intègre; à la périphérie, la croissance n'est pas
développement car elle désarticule. Au sens propre, à la périphérie la croissance fondée sur
l'intégration au marché mondial est développement du sous-développement” 70.

La crise économique des années 1980 procédait de l’atteinte des seuils maximaux de productivité ainsi que du
bouleversement général des structures économiques du monde industrialisé : après la croissance
exponentielle à laquelle elles donnèrent lieu entre la fin de la Guerre de 1945 et le milieu des années 1970, les
structures de l’économie occidentale –en tant que moteur de l’économie mondiale –semblèrent avoir atteint
leurs limites et se retrouvèrent dès lors comme à la croisée des chemins. Et parce que nécessairement
influencées par les incertitudes de “l’économie-monde occidentale” (Fernand Braudel, 1986, 1985, 1979,
1958, 1949) à laquelle elles étaient structurellement arrimées à leur fondation et dont elles dépendaient
complètement, les économies des États périphériques comme le Cameroun (Immanuel Wallerstein, 2014,
2012, 2011, 2009, 2008, 2006, 2001, 1999, 1995, 1991, 1988, 1985, 1975, 1966), essentiellement fondées sur
l’exportation des matières premières agricoles et minières pour la consommation des pays industrialisés,
s’essoufflèrent rapidement et s’effondrèrent brusquement (Daniel Etounga-Manguelle, 2016; Marie-Claude
Smouts, 2001; Michel Norro, 1994; Samir Amin, 2012-1970; Stanislas Spero Adotevi, 1972; Fernand Braudel,
1986, 1985, 1979, 1958, 1949).

Voici en quels termes Thierry Michalon (1984) brosse le tableau synoptique de l’État africain en général, au
moment où lui viennent les réformes forestières :

69 Michel Norro, 1994, Économies africaines. Analyse économique de l'Afrique subsaharienne, éd. De Boeck, Louvain-la-Neuve/Paris. Ce texte
réédité en 1998 est devenu un ouvrage de référence.
Les énoncés formulés par Norro sont attestés et corroborés par les analyses de plusieurs économistes dont Nicolas Agbohou, Séraphin Prao Yao,
Demba Moussa Démbélé, Kako Nubukpo, Mamadou Koulibaly, notamment autour du Franc CFA. À ce sujet, lire le point qu’en a fait Fanny Pigeaud
(Mediapart du 7 août 2016) dont nous avons cité quelques extraits.
70 Samir Amin, 1970, L’accumulation à l’échelle mondiale. Critique de la théorie du sous-développement, éd. Anthropos, Paris.

L’extrait repris ici est tiré du Compte-rendu de lecture que Guy Caire fait du livre. In revue Tiers-monde, 1972, Vol. 13, n˚52, sur le thème, “Le
capitalisme périphérique”.

33
La troisième décennie d’indépendance n’a pas commencé, en Afrique noire, dans des
conditions très rassurantes. De la Côte-d’Ivoire au Tchad s’ouvre un large éventail de situations
allant d’une prospérité à la fois liée à l’extérieur et concentrée à la capitale, jusqu’à une sous-
alimentation généralisée entrainant une mortalité élevée. Partout, la dépendance envers les
pays industrialisés s’est accrue, la prise et la conservation du pouvoir s’effectuent hors de tout
processus électif libre, les initiatives de l’État se perdent dans les sables mouvants d’une
administration inerte, une petite bourgeoisie de fonctionnaires et de spéculateurs prospère à la
capitale alors que la situation sanitaire voire alimentaire des couches populaires stagne ou
régresse.
À cette stagnation on trouve des raisons. Pour nombre de dirigeants africains la cause en réside
dans les mille liens d’assujettissement néo-colonial tissés jour après jour par les puissances
occidentales, qu’ils vitupèrent donc bruyamment. Pour d’autres dirigeants noirs, et pour une
partie de leurs homologues occidentaux, la paralysie africaine provient d’une transplantation
trop imparfaite des institutions et des comportements qui ont l’Occident à sa puissance. Il
importe donc avant tout de parfaire cette transplantation, de fignoler l’imitation et le mimétisme.
Enfin, pour une large part de l’opinion publique des pays industriels et de leurs gouvernants
contraints à la réserve que leur imposent leurs fonctions, l’explication réside dans l’incapacité
foncière à se prendre en main de peuples [des Africains] que l’on méprise sans les connaitre : la
commisération cache mal ici des sentiments vieux comme le monde et profondément ancrés.
[Cependant,] Aucune de ces explications ne peut être acceptée. La première parce qu’elle
permet de reporter sur autrui la responsabilité de ses propres carences. La deuxième parce
qu’elle repose sur la conviction que l’Homme Blanc a trouvé la recette du bonheur, et que
l’Homme Noir, pour y accéder à son tour, n’a qu’à se transformer en Blanc. La troisième, enfin,
parce qu’elle s’enracine sur le vieux fond de racisme, solide comme du béton, qui s’alimente
d’orgueil et d’ignorance71.

Fridolin Martial Fokou (2012) dresse le tableau succinct mais précis du contexte économique structurel dans
lequel le Cameroun se trouve au moment où s’annoncent les exigences internationales de réformes des
politiques économiques et forestières. Pour le chercheur :
Malgré la croissance exceptionnelle des années 1970-1980, “l'économie camerounaise
présentait des facteurs de blocage que les statistiques officielles ne faisaient pas ressortir”
(Georges Courade, 1984). [En effet] L'agriculture concerne les trois quarts de l'économie
camerounaise. Avant la manne pétrolière, elle contribuait pour plus de 70% aux recettes des
devises du pays et alimentait pour près de 40% le budget de l'État [...] Or, le pays accuse une
tendance à la stagnation et à la baisse [...] Si le Cameroun est 5ème producteur mondial de
cacao, sa production stagne depuis plusieurs années. Celle du café Robusta, après avoir atteint
le niveau record de 110.000 tonnes en 1984-1985, a ralenti, tandis que l'Arabica est en déclin
depuis 1980.
Lorsqu'on sait que le tableau dressé ci-dessus affecte en premier lieu les populations locales,
on peut dès lors comprendre le contexte social du Cameroun après 198572.

71Thierry Michalon, dans son livre au titre évocateur, Quel État pour l’Afrique?, éd. L’Harmattan, Paris, 1984, déjà cité.
72Fridolin Martial Fokou, 2012, Le symbole de la paix dans le processus de démocratisation des régimes monolithiques d’Afrique noire. Le cas
du Cameroun, Mémoire de Diplôme de l’École normale supérieure de Yaoundé, Université de Yaoundé I.

34
Dans la même perspective qui permet d’avoir une idée synthétique du scénario camerounais, il est souvent
rappelé ainsi qu’on peut lire chez Michel Norro (1988) et dans la littérature consacrée à l’histoire économique
du Cameroun qu’:
Au début des années 1980, le Cameroun était parmi les pays africains les plus prospères du
point de vue économique. En effet, jusqu’en 1985 et pendant deux décennies de croissance
régulière, l’économie camerounaise a enregistré des taux de croissance réels de l’ordre de 7%.
La seconde moitié des années 1980 fut marquée par une forte récession. Une des causes est la
chute des cours du café, du cacao et du pétrole qui ont conduit à une détérioration des termes
de l’échange. Avec la crise qui se déclare en 1985, sanctionnée par la dévaluation du Franc
CFA en 1994, le gouvernement camerounais entreprend des mesures de relance économique
et réalise, avec l’appui des bailleurs de fonds, des programmes de stabilisation et d’ajustement
structurel qui ont entraîné la mise en veilleuse des réflexions sur le moyen et le long terme73.

Dès lors, confronté comme la plupart des autres États africains aux effets de la crise économique ainsi qu’aux
“fourches caudines” (F.M. Fokou, 2012) au bout desquelles le Fonds monétaire international et la Banque
mondiale l’avaient accroché et suspendus, il advint comme le rappelle Alain Karsenty (2016) que :
Between the early 1990s and the mid-2000s, important changes occurred in the regulatory
frameworks of several forested Central Africa’s countries, in order to foster sustainable
management of the forest resources and to increase transparency and co-benefits from the use
of such resources. All the six forested countries (Cameroon, Congo, DRC, Gabon, Central
African Republic and Equatorial Guinea) adopted new forest codes during the period, often
supported and assisted by international organizations. In some of the countries, the involvement
of the World Bank in both the preparation and the implementation of new legal principles through
the publication of decrees and “Arrêtés (“Orders”), has been especially noticeable, e.g., in
Cameroon and the DRC, given the World Bank’s financial levers in these two countries through
the attachment of “conditionalities” to critical loans and grants during negotiations with these
countries […]
By the end of the 1990s, Cameroon was a country with high debts and serious cash flow
problems. The country went into a quite brutal process of “structural adjustment”, with severe
cuts in public expenditures and civil servant wages. Many of the civil servants were dismissed
(people coined an ironic term saying that the civil service was “déflatés”) in the early 1990s.
Financial and technical assistance from the World Bank and the International Monetary Fund
had been granted, on the condition that reforms would be introduced in various sectors. These
“conditionalities” triggered for the reform of the forest sector in Cameroon, which will inspirit
eventually similar processes in some of the neighbouring countries […]
The forest policy advice of the World Bank to the government of Cameroon was formulated in
the context of the 1987 Tropical Forestry Action Plan, the 1989 review of the agricultural sector,
and subsequent Country Assistance Strategies. The preferred delivery instrument was a policy-
based lending program that started in 1989 […] In some of the countries, the involvement of the
World Bank in both the preparation and the implementation of new legal principles through the
publication of decrees and “arrêtés (“Orders”), has been especially noticeable, e.g., in
Cameroon and the DRC, given the WB’s financial levers in these two countries through the

73 Lire Michel Norro, 1998 (2ème éd.), Économies africaines. Analyse économique de l’Afrique subsaharienne, De Boeck. Cependant, l’extrait cité
ici a été collecté dans les ressources Internet suivantes :
http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/la_crise_des_ann%C3%A9es_1970%E2%80%931990/187371 et
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_du_Cameroun.

35
attachment of “conditionalities” to critical loans and grants during negotiations with these
countries […]
The World Bank took a prominent role in the forestry dialogue and the reform processes in these
five countries, with more or less success. This strong involvement and its modalities can be
attributed to the convictions of the then World Bank staff in charge of the sectoral operations for
Central Africa. But it was facilitated by the “structural adjustment” plans of that period that gave
the World Bank levers to orient the policy dialogue in certain directions, notably for reforming the
system of concessions. With the end of the structural adjustment period, large portions of these
countries’ foreign debts were cancelled through the HIPC (Highly Indebted Poor Countries
[known in French as “Initiative PPTE en faveur des Pays pauvres très endettés”]) process
toward the end the 2000s.
The core of the “rentier” system has always been the allocation system for concessions (whether
for forestry, mining or agriculture). In some cases, the allocation was granted through a
commission –or bidding –which made the decision processes opaque and plagued by
corruption. After this point was raised in several World Bank documents in the 1990s concerning
Central Africa (Grut et al. 1991), designing a transparent and competitive allocation system
became a priority for the “conditionalities” set by the Bank for disbursing loans and cancelling
debts. It was considered to encourage waste, “creaming” and the holding of huge areas by
concessionaires at the expense of other potential uses or tenure (Grut et al. 1991; Gray 2002).
Public revenue from the timber trade was low, compared to what could have reasonably been
expected for an activity spread over such large areas74.

C’est probablement le lieu de rappeler qu’au-delà de leur confinement dans l’économie-monde au rôle exclusif
de fournisseurs des ressources énergétiques fossiles et minières ou de pourvoyeurs patentés des matières
premières agricoles, l’estimation de la valeur des richesses et du travail produits en Afrique relève d’instances
et d’acteurs complètement étrangers [non-impliqués ou plutôt ignorants ou insensibles, indifférents et non
préoccupés] à l’Afrique. Le volume monétaire qui lui est octroyé [à l’Afrique] est fonction de ces estimations
définitivement et idéologiquement minimalistes et lui permet tout juste de valider symboliquement sa présence
factice ou instrumentale dans l’économie mondiale. Les prix des ressources énergétiques fossiles et minières
et des matières premières agricoles sont fixés par des instances et des acteurs aux représentations et intérêts
complètement étrangers [ignorants, insensibles et non préoccupés] à l’Afrique, c’est-à-dire en fonction
d’intentions mais aussi des besoins et des valeurs proprement arbitraires (Daniel Etounga-Manguelle, 2016;
Sébastien Bouchard, 1999; Thomas Piketty, 2013, 1997, 1994; Michel Norro, 1994; Samir Amin, 2012-1970;
etc.).

C’est dans ce contexte caractérisé d’un côté par les incertitudes économiques profondes causées par
l’écroulement des termes du commerce des matières premières agricoles et minières75; et de l’autre côté par
la consécration globale du militantisme environnemental et la souscription au développement durable, que les
74 Op. cit.
75 Sur le schéma parfaitement bien décrit par Michel Norro (Économies africaines. Analyse économique de l’Afrique subsaharienne, éd. De Boeck
Supérieur, Bruxelles, 1994), il convient de rappeler que la production et le commerce des matières constituent la principale source de devises pour
l’économie camerounaise.

36
réformes forestières émergent au Cameroun, ou pour utiliser l’heureuse formule d’Ongolo et Brimont (2015),
que :
Les pays africains sont entrainés dans le mouvement environnementaliste global en faveur du
développement durable qui se concrétise avec la mise en place d’un nouveau Régime des
forêts et de la faune en 1994.
[Pour les deux analystes,] Les critiques envers les élites africaines aux commandes des jeunes
États postcoloniaux ont été renforcées par la crise économique des années 1980, qui a induit un
endettement massif des pays africains auprès des institutions financières internationales, dont la
Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Afin d’accélérer les remboursements des
dettes suite aux défaillances de certains États, ces institutions ont entrepris d’imposer aux pays
endettés un ensemble de mesures d’austérité destinées à réduire leurs dépenses publiques,
mesures regroupées sous le vocable de “Programmes d’ajustement structurel” […]
À l’instar de plusieurs États africains, la gouvernance forestière au Cameroun a connu une
profonde réforme de son cadre juridique à la suite du Sommet de la Terre de Rio de 1992. La
réforme de la Loi très centralisée de 1981 portant régime des forêts donne lieu à de nouvelles
lois dont la Loi forestière de 1994 et la Loi-cadre sur l’environnement de 1996.

Cependant, il nous semble tout aussi utile de rappeler, pour annoncer une des dimensions caractéristiques de
la préoccupation essentielle de cette thèse –dont il convient d’indiquer qu’elle est essentiellement aussi
centrée sur l’État africain problématique (H. Blaszkiewicz, 2014; Rozenn Nakanabo Diallo, 2013; Makhtar
Kanté, 2009; Mwayila Tshiyembé, 2001, 2000; T. Michalon, 2011, 1984; B. Badie, 1992; etc.)76 et les
implications systémiques qui en découlent à partir d’une analyse novatrice des résultats mitigés des réformes
forestières sur les communautés villageoises –que les leaders politiques camerounais les plus autorisés
donnèrent curieusement l’impression d’avoir une lecture abstraite de la réalité économique de l’État, du statut
de l’économie camerounaise ainsi que de la nature de ses rapports avec l’économie internationale ou globale.

C’est donc avec une surprenante et invraisemblable conviction ainsi que dans un enthousiasme étonnamment
naïf qu’en 1982 et en 1986 respectivement, le premier président de la république du Cameroun affirme : « J'ai
laissé un pays fort économiquement et qui fait la fierté de toute l'Afrique. En effet, le Cameroun est un pays
stable où tous les indices sont au vert, ce qui augure d'un pays en bonne santé » (Ahmadou Ahidjo, 1982)77;

Et le second, qui aura hérité de la direction de l’État cinq ans plus tôt, déclare péremptoirement que : « Le
Cameroun n’ira pas au FMI » (Paul Biya, 1986)78.

76 Mwayila Tshiyembé, 2001, L'Afrique face à ses problèmes de sécurité et de défense; Présence Africaine, Paris; 2000, L'État post-colonial :
facteur d'insécurité en Afrique, Présence Africaine, Paris.
77 In Fridolin Martial Fokou, 2012, Le symbole de la paix dans le processus de démocratisation des régimes monolithiques d’Afrique noire. Le

cas du Cameroun, Mémoire de Diplôme École normale supérieure de Yaoundé.


78 Cité par le journal gouvernemental, Cameroon Tribune, édition du 22 mars 1986.

37
Cependant, et comme on aurait pu le prévoir, étant donné que la structure réelle et opératoire [historique et
géopolitique] de l’économie de l’État était toute entière dépendante d’un système international sur lequel il
n’avait aucun contrôle, et par conséquent que la production de la richesse était essentiellement dépendante
de l’exportation des matières premières agricoles et minières et ce, en dépit de toutes les fragilités
structurelles historiques et institutionnelles qui caractérisaient la collectivité politique camerounaise : « Ils
furent très vite rattrapés par la réalité. Paul Biya dût se résoudre à prendre le chemin de New York et à se
soumettre aux fourches caudines des organisations de Bretton Woods et de leurs Programmes d’ajustement
structurel » (Fridolin Martial Fokou, 2012)79.

Voilà la situation de l’Afrique et du Cameroun, le statut de l’Afrique dans l’histoire, ainsi que le référent
théorique qui détermine toute analyse sérieuse de l’Afrique. Et c’est à partir de cette perspective clairement
suggérée par les travaux de Fernand Braudel (1986, 1979, 1967, 1958, 1949)80 que nous construisons
l’explication de la marginalisation chronique des communautés villageoises sur l’exogénéité des Réformes
forestières ainsi que sur l’existence opératoire des contraintes structurelles paradigmatiques, interscalaires et
contextuelles. Il en découle que la biographie de l’Afrique, l’histoire de l’Afrique, et le statut de l’Afrique dans
l’histoire, constituent des éléments d’identité tout à fait singuliers (Thierry Michalon, 1984; Jean Suret-Canale,
1980, 1973; Oscar Pfouma, 2004, 1993). La prise en compte primordiale de cette singularité épistémologique
est aussi centrale que décisive dans toute analyse de l’Afrique. Dès lors, quelles que soient sa probité, sa
rigueur et sa bonne volonté, une analyse de l’Afrique qui omet de référer à cette singularité historique de
l’Afrique court le risque d’être aussi improbable qu'approximative.

79 Op. cit.
80 Op. cit.

38
2. Problématique et contexte environnemental

Si l’affirmation de la raison contre la nature et l’inclination essentielle ou fondamentale de la modernité


capitaliste pour le productivisme et le profit (Jean Ziegler, 2011, 2005, 1985, 1988)81 ont indiscutablement
déblayé et ouvert à l’humanité un univers immense de possibilités en termes de connaissances, d’habiletés et
de compétences d’action (Ulrich Beck, 1986)82, il n’en demeure pas moins que l’enracinement du fait politique
et du fait économique dans une perspective quasi-fétichiste de puissance ainsi que dans le besoin effréné et
illimité de pouvoir, de production et d’enrichissement a provoqué et cristallisé l’émergence de conditions
critiques structurelles qui se manifestent sur le plan social et humain par une aggravation inédite de toutes
sortes de dysfonctionnements et de contradictions fondamentales, de fractures, de fragmentations et
d’exclusions; et sur le plan écologique par l’appauvrissement et l’amenuisement irréversibles des ressources
naturelles et par conséquent des capacités homéostatiques de la planète (Benjamin Guillemaind et Arnaud
Guyaut-Jeannin, 1999; Serge Latouche, 1988)83. Au moment de finaliser l’écriture de la présente thèse, la
revue Bioscience vient de publier un manifeste alarmiste sur l’état de la Terre et les menaces existentielles qui
pèsent sur elle84; de même, les médias viennent également de révéler à nouveau, dans la fièvrosité et le
retentissement dont ils sont devenus maitres dans la mise en actualité de l’information, l’ampleur structurelle
du phénomène dit de “l’évitement fiscal” et incidemment des magouilles économico-financières de toutes
sortes telles qu’elles structurent, soutendent et biaisent le fonctionnement des institutions politiques et la vie
publique, autant à travers ce qui s’est manifesté dans un cas sous la forme du “Rapport/Enquête Duchesneau”
sur le financement illicite des partis politiques au Québec85; qu’à travers la réalité des paradis fiscaux telle que
révélée par ce qui a été baptisé dans un cas “Panama Papers”, et dans l’autre “Paradise Papers”86 Mais pour

81 Jean Ziegler, 2011, Destruction massive. Géopolitique de la faim, éd. du Seuil, Paris; 2008, La haine de l’Occident, éd. Albin Michel, Paris; 2005,
L’empire de la honte, éd. Fayard, Paris; 1988, La victoire des vaincus. Oppression et résistance culturelle, éd du Seuil, Paris; 1985, Les rebelles.
Contre l’ordre du monde, du Seuil, Paris; 1978, Main basse sur l’Afrique, éd. du Seuil, Paris; 1971, Le pouvoir africain. Éléments d’une
sociologie politique de l’Afrique et sa Diaspora aux Amériques, éd. du Seuil, Paris.
82 Ulrich Beck, 2001 (1986), La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, éd. Flammarion (Aubier), Paris.
83 Op. cit.
84 Lire : William J. Ripple et al, 2017, “World Scientists’ Warning to Humanity: A Second Notice”, in BioScience review of the 13th November 2017,

Oxford University Press on behalf of the American Institute of Biological Sciences (https://academic.oup.com/bioscience/article/4605229).
Cette information est relayée en français par le journal Le Monde [Planète] sous le titre : “Le cri d’alarme de quinze mille scientifiques sur l’état de la
planète”, dans sa parution du 13 novembre 2017 (http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/11/13/le-cri-d-alarme-de-quinze-mille-scientifiques-sur-l-
etat-de-la-planete_5214185_3244.html).
85 À défaut d’avoir pu accéder au Rapport lui-même, les deux documents de synthèse suivants produisent une information édifiante le caractère

sturcturel des pratiques illicites qui biaisent la classe politique et l fonctionnement du jeu politique :
- http://www.tvanouvelles.ca/2017/11/27/des-politiciens-sen-sont-mis-plein-les-poches-selon-duchesneau-1 .
- http://www.journaldemontreal.com/2017/11/27/des-politiciens-sen-sont-mis-plein-les-poches-selon-duchesneau .
86 Autour des “Paradise Papers”, suivre cet édifiant document sonore de 25 minutes contenu comme “Exclusif/Dossier spécial” dans l’édition du 5

novembre 2017 du Téléjournal de Radio-Canada (17’ - 42’21’’ : http://ici.radio-canada.ca/tele/le-telejournal-22h/2016-2017/episodes/393583/episode-


du-5-novembre-2017).
Quant aux “Panama Papers”, une documentation tout aussi intéressante et aussi diversifée qu’abondante est disponible ici :
https://panamapapers.icij.org/ .
Tel est l’écho que renvoit éminemment aussi le scandale ignoré du financement de la campagne présidentielle française de l’UMP avec à sa tête
Nicolas Sarkozy par la Libye de Mouammar Kadhafi en 2007. Le premier organisera une guerre internationale en 2011 à l’issue de laquelle le second
sera assassiné laissant l’État libyen jadis stable et prospère complètement détruit et dans la désolation, avec toutes les implications chaotiques que cela
présente sur l’Afrique depuis toutes ces années.

39
revenir à l’objet à partir duquel se développe la présente thèse, Marie-Claude Smouts (2001) évoque à cet
égard : « Le comportement de ces multinationales à l’égard de la forêt inquiète pour deux raisons au moins :
leur méthodes d’exploitation, avec “les pires pratiques forestières du monde”, détruisant tout sur leur passage
au point de ne laisser “pas même un seul exemplaire d’essence commercialisable sur le site”; et l’opacité de
leur structure »87.

Dans son analyse de la situation, Sébastien Bouchard (1999) note :


Depuis la fin des années 1970, on peut constater l’amplification des inégalités entre les pays et
dans la plupart des sociétés. Ce recul des conditions de vie de la majorité de la population de la
planète prend la forme d’une hausse du chômage et de la pauvreté, d’une précarisation de
l’emploi et d’une multiplication des coupures dans les mesures sociales des États.
Parallèlement, la valeur des actifs financiers est en hausse rapide et les multinationales, de plus
en plus concentrées au fil des fusions, font des profits-records. Cette polarisation de la richesse
nous est présentée comme inévitable par le discours dominant, qui soutient que le pouvoir
politique ne peut plus intervenir à cause du "contexte de mondialisation des marchés"88.

C’est cette constante paradigmatique qui préoccupe Mbog Bassong (2013) quand il relève que :
Si plus personne ne doute des avantages que le paradigme cartésien a procurés (le
développement prodigieux de la science et la montée en puissance de la technologie),
malheureusement ce développement n’a apporté ni plus de paix, ni plus de bonheur, ni plus de
santé. Il y a quelque temps, de telles prouesses scientifiques faisaient encore rêver. Aujourd’hui,
on se surprend à remettre en cause leurs avantages.
Dès le départ, ces prouesses ont donné l’illusion à la conscience de l’Occident que la
généralisation du modèle dit prométhéen relevait d’un universalisme rationnel et du coup,
certains idéologues de l’eurocentrisme y ont perçu un déterminisme sélectif de la nature. De
Lapouge, Napoléon, Hitler, Gobineau, Lévy-Bruhl, Hume, Hegel, Comte, etc., ont, chacun en ce
qui le concerne, imprimé à leurs égos respectifs, la marque de cet eurocentrisme darwinien
légitimé. Ils pontifièrent alors que toute réalité ne pouvait que relever de cette conscience, et la
vie ne pouvait que correspondre à cette approche dont l’Occident était porteur du flambeau89.

Marie-Claude Smouts (2001) formule en des termes plus articulés et détaillés les contours de la préoccupation
en même temps que son énonciation introduit au cœur de l’exploitation des ressources forestières :
L’humanité s’est fort mal assurément organisée pour garantir la pérennité de ses ressources
naturelles sur la planète Terre si l’on en juge par le sort qu’elle réserve à ses forêts tropicales,
les plus vastes, les plus peuplées, les plus riches en espèces animales et végétales, les plus
abondantes en ressources économiques, les plus chargées de rêves et de cosmogonies. Au

Sur ce dernier sujet, lire : Fabrice Arfi et Karl Laske, 2017, Avec les compliments du Guide. Sarkozy-Kadhafi, l’histoire secrète, éd. Fayard, Paris
(https://www.youtube.com/watch?v=ChjJLdcWePM et https://www.youtube.com/watch?v=UlOJNJVQizQ).
87 Op. cit.
88 In “La phase néolibérale de l’économie-monde, La mondialisation de l’économie : son histoire et sa situation récente”, 1999,

http://www.lagauche.com/spip.php?article1246
89 Op. cit.

40
début du XIXème siècle, il existait environ 3 milliards et demi d’hectares de forêts sous les
Tropiques. À la fin du XXème siècle, il n’en restait plus que la moitié. Près de 200 millions
d’hectares ont été perdus entre 1980 et 1995. La perte annuelle des forêts dans les pays en
développement se situe entre 13,7 millions d’hectares et 15,5 millions d’hectares […] On a
déboisé de façon sauvage, pour le commerce du bois, pour l’exploitation minière dans le bassin
forestier, pour étendre les cultures à grand renfort d’engrais et de pesticides. Conséquences :
une sédimentation des principaux affluents et une augmentation des dépôts dans les lacs et
cours d’eau, souvent déjà peu profonds. Tout l’équilibre alimentaire [tous les équilibres qui en
dépendaient] de la région et des environs peut en être affecté90.

En effet, la généralisation planétaire des risques et la prise de conscience à l’échelle globale des menaces
radicales qu’ils présentent sur l’existence de la Terre et de l’humanité vont donner lieu, notamment dès le
début des années 1970 aux États-Unis, à la structuration de la conscience collective environnementale : à la
suite de diverses dynamiques intellectuelles, scientifiques et militantes qui sensibilisent aux questions
écologiques dès la fin du XIXème siècle (la déforestation, la pollution atmosphérique, la contamination de l’eau
et de l’air, la disparition de la biodiversité, etc.)91, l’affirmation de la sociologie environnementale avec l’analyse
par le New Ecological Paradigm formulée en 1978 par Riley Dunlap et William Catton92, la création du World
Wild Fund for Nature en 1961 ou de Greenpeace en 1971, l’inauguration du “Jour de la Terre” en 1970 sous
l’impulsion du sénateur américain Gaylord Nelson, la publication du “Rapport Meadows”, The Limits to Growth,
par le Club de Rome en 1972, la création du Programme des Nations unies pour l’environnement (UNEP) la
même année, etc., constituent le faisceau d’éléments qui cristallisent définitivement la problématique
environnementale et consacre le paradigme dit du développement durable.

Eu égard aux ressources diverses, ligneuses et non ligneuses, fauniques, floristiques et aquacoles dont elle
est constituée, mais aussi aux besoins existentiels et sociaux divers, économiques, cultuels, d’alimentation, de
curiosité scientifique ou de détente que développent les hommes, la forêt n’a pas cessé de faire l’objet d’une
exploitation constante depuis les premières civilisations, que cette exploitation fût d’échelle domestique ou
plus tard d’échelle industrielle. Du point de vue de son exploitation industrielle, les besoins divers
d’aménagement vont essentiellement donner lieu à l’abattage toujours plus important des arbres pour la
conquête des espaces et l’exploitation du bois destiné aux constructions diverses. Cette démarche
d’exploitation de la forêt, essentiellement basée sur l’exploitation de la matière ligneuse, va se développer

90 Marie-Claire Smouts, 2001, op. cit.


91 Le livre de la biologiste Rachel Carson, Silent Spring [1963 (1962), éd. Plon, Paris] est un moment important. Son impact dans la sensibilisation aux
effets des pesticides agricoles sur la détérioration des conditions de reproduction des oiseaux et des insectes se trouve au cœur de la fondation du
mouvement environnemental mondial. Les livres de Paul Ehrlich, The Population Bomb [1971(1968), éd. Les Amis de la Terre] et de Barry Comoner,
The Closing Circle (1971, éd, The Random House Inc., New York) sont également fondamentaux et participent de la fondation de la conscience
environnementale d’aujourd’hui.
92 William R. Catton Jr et Riley Dunlap, 1980, “A New Ecological Paradigm for Post-Exuberant Sociology”, in American Behavioral Scientist, vol. 24,

n°1, September/October 1980.


Dunlap et Catton sont considérés comme les fondateurs de la sociologie de l’environnement.

41
continuellement au cours de l’histoire, notamment avec l’accroissement démographique et surtout l’avènement
du capitalisme.

Dès lors, adossée –dans le cas africain à l’étude –sur un État qui s’est souverainement approprié le territoire
et tout ce qui la constitue, dont l’une des missions régaliennes est d’en assurer la sécurité, et dont la
responsabilité de redistribution des richesses repose essentiellement aussi sur la définition de l’impôt et des
taxes, l’activité industrielle va investir le sol et le sous-sol pour en exploiter frénétiquement les ressources,
indépendamment de leur complexité naturelle ainsi que de leurs implications systémiques humaines, sociales
et écologiques. C’est dans ce contexte d’exploitation effrénée des ressources naturelles (Pierre Péan, 2014,
2010, 1988; C.G. Kouna Eloundou, 2012; Ivo Ngome, 2006; R. Sungkekang Mbatu, 2006; Phil René Oyono,
2006; François-Xavier Verschave, 2005, 2000, 1998; Mongo Beti, 1972; Engelbert Mveng, 1963; G. Lapie,
1928) et de prise en otage de la richesse collective par les élites, les groupes d’intérêts et de pression
qu’émergent les risques divers que posent non seulement la disparition des forêts tropicales mais aussi
l’exclusion des communautés périphériques et des populations indigènes.

Au cours de l’édifiante conférence qu’il a donnée en automne 2011 au Musée de la civilisation de Québec sur
le thème Histoire et évolution de la foresterie au Québec. La gestion forestière au Québec : une histoire à
raconter, Luc Bouthillier décrit l’évolution de l’exploitation forestière capitaliste et de la foresterie au Canada,
en indiquant les contextes et conditions d’émergence des préoccupations de rationalisation de la gestion des
ressources forestières qui naissent progressivement dans le sillage de la déforestation93. C’est dans le même
sens qu’André Champagne réfère à la sensibilité écologique précoce de Thomas Jefferson sur les
conséquences de l’exploitation industrielle des forêts. Champagne dit du vingt-sixième président américain
qu’ : « Il se rendait bien compte que la forêt américaine était en train de disparaître. Dès 1900, il ne restait
qu'un quart de la forêt que les premiers découvreurs avaient vue. Ce qu'il déplorait également, c'était les
méfaits de l'industrie minière américaine, qui s'appropriait d'immenses espaces du territoire américain et qui,
pour exploiter le minerai, causait un tort considérable à la nature »94.

Le développement du monde industrialisé atteint son apogée dès le début des années 1970. C’est à la même
époque qu’émerge également une réflexion structurée sur les conséquences critiques que la croissance
capitaliste et moderne présente sur la planète et les conditions de vie des hommes, notamment avec la

93 Luc Bouthillier, 2011, Musée de la civilisation, Québec


(http://www.ihqeds.ulaval.ca/fileadmin/fichiers/fichiersIHQEDS/Evenements/2011_Events/201109_Conf_LucBouthillier_Histoire_forets.pdf)
94 In “Science et technologie. Les origines de la conscience écologique”, Radio.Canada.ca, du mercredi 2 décembre 2015

(http://ici.radio-canada.ca/emissions/medium_large/2015-2016/chronique.asp?idChronique=391384).

42
croissance de la production, l’industrialisation, les aménagements urbains, l’agriculture, etc. La superficie de la
forêt ne cessera d’être réduite, avec une déforestation à grande échelle qui va s’accompagner de la disparition
de la biodiversité. Ces deux dimensions remettent en question aussi bien la vie des populations indigènes
dont l’existence totale dépend intimement de l’intégrité des écosystèmes forestiers, que les fonctions
naturelles de la forêt en termes de biodiversité, de stabilisation des sols, de séquestration du carbone ou de
régulation du climat à l’échelle globale. En 1992 se tint au Brésil, la troisième Conférence des Nations unies
pour l’environnement et le développement durable, vingt ans après la première du genre organisée à
Stockholm en Suède, et dix ans après celle de Naïrobi au Kenya. Cette première édition brésilienne du
Sommet de la Terre eût un retentissement intellectuel et politique majeur, dans la mesure où c’est avec elle
que furent réellement consacrées au statut de préoccupations communes globales, la problématique de
l’Environnement ainsi que le projet du Développement durable (Marie-Claude Smouts, 2001). La première
rencontre de Rio intervint à la même époque que la crise économique mondiale commencée à la fin des
années 1970 et qui s’amplifia dès le milieu des années 1980. En effet, ce qu’il convînt plus tard d’appeler “la
crise économique des années 1980” fut une crise économique structurelle qui allait se poursuivre dans la
décennie suivante. Ce fût également l’époque du “Rapport Brundtland” (Commission mondiale pour
l’environnement et le développement, 1987) autrement dit, de la prise de conscience consommée [du point de
vue environnemental] de la crise de la modernité.95 En effet, avec la publication en 1987 de Our Common
Future, par la CMED, la mise sur pied en 1988 du Groupe intergouvernemental d’experts chargé du suivi de
l’évolution du climat (GIEC), et l’organisation du troisième Sommet de la Terre au Brésil en 1992,
l’infrastructure essentielle [intellectuelle et organisationnelle] sur laquelle se charpente la préoccupation
internationale de transformation de la modernité capitaliste est déjà campée.

C’est la cristallisation de cette réflexion environnementale sur les enjeux écologiques, économiques et
humains de l’exploitation des forêts qui provoque, depuis le Rapport Brundtland (1987) jusqu’à nos jours, en
passant par la première Conférence de Rio de Janeiro (1992), les dynamiques globales de réformes
environnementales auxquelles souscrivent divers acteurs de tous secteurs d’activité, à travers ce qu’on va
appeler le développement durable ou soutenable, c’est-à-dire la poursuite de la croissance moderne par la
production capitaliste des richesses, mais dans une démarche d’acceptabilité inclusive intégrant
structurellement l’exigence environnementale d’une consommation minimale de ressources naturelles qui
provoque le moins d’effets déstructurants irréversibles sur l’écosystème, tienne compte des exigences
existentielles des communautés riveraines, et favorise l’aménagement des conditions de conservation et de
régénération des ressources naturelles.

95 C’est en 1987 que la Commission des Nations Unies pour l’environnement et le développement durable, alors présidée par Gro Harlem Brundtland
(Ministre d’État et ancien Ministre de l’environnement de Norvège), publie le fameux rapport intitulé Notre avenir à tous plus connu depuis sous
l’appellation de Rapport Brundtland.

43
Dès lors, on peut dire qu’au-delà des besoins d’optimisation économique de l’industrie forestière, les réformes
forestières vont être envisagées dans le but de résorber divers risques et crises dont les principaux sont :
− La déforestation et la diminution des capacités de séquestration du carbone et de régulation
climatique globale. L’exploitation frénétique des ressources –qui se détermine aussi bien en termes
d’agrandissement de l’espace consacré à l’agriculture industrielle qu’en termes de diminution
drastique du couvert forestier, des arbres et de la matière ligneuse pour le bois industrielle et même
de récolte d’espèces fauniques –entraine irréversiblement la disparition du couvert végétal, la
disparition de la biodiversité, la perturbation des conditions de conservation naturelle des équilibres
écosystémiques, l’appauvrissement et la dégradation des sols, etc.
− la déstructuration des conditions d’existence et des modes de vie des populations indigènes
forestières ainsi que leur précarisation définitive.

En d’autres termes, les réformes environnementales forestières interviennent dès la fin des années 1980 avec
la préoccupation d’articuler le besoin paradigmatique ou capitaliste de production des richesses aux exigences
d’efficacité écologique et de performance économique et sociale, notamment à travers un approfondissement
de la démocratie qui passe par la décentralisation de la compétence de gestion à de nouveaux pôles
périphériques de pouvoir et de légitimité collective, et la participation des acteurs locaux; qui passe de manière
générale par le développement de l’innovation sociale ou institutionnelle et technologique. Le défi ultime de
cette nouvelle démarche étant aussi de transformer les structures intellectuelles et matérielles opératoires
d’exploitation des ressources forestières, c’est-à-dire les conditions, les approches et outils de planification, de
coordination et de gestion; les conditions de production et de l’offre (équipements, techniques, institutions,
gouvernance); et les conditions d’approvisionnement, de distribution et de consommation (institutions,
gouvernance, mise en marché). Phil René Oyono (2005) présente ainsi le contexte théorique et intellectuel
dans lequel cette dynamique globale de réforme à laquelle l’Afrique sera articulée se développe :
Decentralization is broadly defined as a process of transfer of powers, responsibilities, and
resources from the Central State to lower territorial units and/or locally elected bodies and
authorities. Presented as the best form of decentralization, democratic decentralization implies
that authorities or decentralized entities representing the local populations are elected by them
and are accountable to them. During the last two decades, decentralization stood out as a
critical issue in debates related to liberalization, democratization, poverty reduction, and
environmental sustainability in Third-world countries. Since the beginning of the 1990s, waves of
natural resource management decentralization experiments are being implemented in Africa96.

96Phil René Oyono, 2005, “Profiling Local-Level Outcomes of Environmental Decentralization. The Case of Cameroon’s Forests in the Congo Basin”. In
Journal of Environment & Development, Vol. 14, n°2, June 2005, Sage Publications.

44
3. Des réformes du secteur forestier introduites au Cameroun au début des années
1990
Si pour la validité de notre thèse [et subséquemment, la capacité à identifier les limites théoriques
fondamentales du paradigme d’analyse dans lequel les travaux précédents ont été réalisés], il est nécessaire
de garder à l’esprit que les travaux réalisés jusqu’ici [auxquels nous référons nécessairement] l’ont été dans
une approche fonctionnaliste, par-delà le caractère décisif de leur contribution dans la documentation
scientifique et donc la connaissance et la compréhension de l’économie forestière au Cameroun, c’est en
toute logique que nous invoquons Parfait Oumba (2007) pour faire une description synthétique mais
exhaustive et précise des Réformes forestières introduites au Cameroun au début des années Quatre-vingt-
dix. Pour ce chercheur qui fait partie –avec Bigombe Logo, Alain Karsenty, Phil René Oyono, Paolo Omar
Cerutti, Assembe Mvondo, Guillaume Lescuyer, Kouna Eloundou, Giuseppe Topa, Ongolo Assogoma,
Stéphane Labranche, Ngoumou Mbarga, Jérémie Mbairamadji, et plusieurs autres –des analystes les plus
autorisés des enjeux que soulève la problématique environnementale dans l’économie forestière en Afrique
centrale :
La loi n° 94 du 20 janvier 1994 remanie en profondeur la loi forestière 81/13 du 27 novembre
1981 portant régime des forêts de la faune et de la pêche et son décret 83/169 du 12 avril 1983.
Elle contient des éléments novateurs pour le pays et la sous-région : (1) zonage de l'ensemble
du domaine forestier, (2) attribution concurrentielle des concessions d'exploitation, (3) politique
de taxation, (4) seuil obligatoire, (5) forêts communales et forêts communautaires.
La nouvelle politique forestière du Cameroun intègre les préoccupations de la société
camerounaise et de la communauté internationale vis-à-vis de la conservation de la nature, ainsi
que des nouveaux concepts établis à l'échelle mondiale en matière de développement et de
l'environnement. Elle s'articule en effet autour de cinq grandes orientations à savoir : (1) assurer
la protection du patrimoine forestier et participer à la sauvegarde de l'environnement et à la
préservation de la biodiversité de façon pérenne; (2) améliorer la participation des populations à
la conservation et à la gestion des ressources forestières afin que celles-ci contribuent à élever
leur niveau de vie; (3) mettre en valeur les ressources forestières en vue d'augmenter la part de
la production forestière dans le produit intérieur brut; (4) assurer le renouvellement de la
ressource par la régénération et le reboisement en vue de pérenniser le potentiel; (5) dynamiser
le secteur forestier en mettant en place un système institutionnel efficace et en faisant participer
tous les intervenants dans la gestion forestière et environnementale.
Cette politique forestière apporte ainsi des innovations susceptibles de contribuer davantage à
un développement durable des ressources forestières telles que la création d'un fond de
développement forestier, la décentralisation de la gestion des ressources forestières, une plus
grande protection des écosystèmes forestiers et habitats de la faune, la mise sur pied de
mesures de soutien pour le maintien et le renforcement de la place des nationaux dans l'activité
industrielle du secteur, le financement des activités de développement forestier à travers des
programmes, une différenciation dans la gestion, des forêts permanentes et celles à vocations
multiples, les prélèvements de la ressource en fonction de la possibilité des forêts, une

45
préoccupation plus grande en matière de protection du couvert végétal avec l'introduction de la
notion des zones à écologie fragile et enfin la valorisation des autres produits forestiers97.

À cette présentation, on peut ajouter la description que Symphorien Ongolo & Laura Brimont (2015) font de
l’orientation démocratique et décentralisatrice alléguée à ces Réformes qui ont abouti à la mise en place de la
Loi n° 94 du 20 janvier 1994 portant Régime des forêts. Pour les deux chercheurs :
La gestion communautaire des forêts au profit et par les populations locales peut être identifiée
à plusieurs niveaux et sous différentes formes de décentralisation vers les communes, ou de
dévolution vers les “communautés villageoises riveraines”. L’objectif de la forêt communautaire
est donc de donner aux communautés villageoises riveraines un accès légal à l’exploitation des
forêts afin de favoriser le développement local (Ezzine-de-Blas et al, 2009). La décentralisation
des forêts se matérialise par un transfert de gestion de l’État central vers les communes. Les
forêts communales sont, à ce titre, des entités dont l’exploitation est censée bénéficier au
développement des communautés bénéficiaires, et par ricochet, aux populations locales des
zones concernées. À côté de ce processus de décentralisation de la gestion des forêts, la Loi
forestière prévoit un partage des bénéfices issus des forêts de production du domaine public.
Cette répartition des bénéfices est connue sous l’appellation de Redevance forestière
d’aménagement (RFA), payée par les entreprises d’exploitation forestière à l’État qui en assure
le partage. Ces fonds sont ensuite alloués pour 40% aux communes, dont la moitié pour les
communes de la zone forestière concernée, et l’autre moitié pour un Fonds commun à
l’ensemble des communes du pays. Le reste de la RFA est alloué à 50% pour l’État et à 10%
pour les communautés villageoises98.

L’énonciation qu’en fait Patrice Bigombe Logo (2007) complète parfaitement cette présentation notamment en
suggérant les problématiques et préoccupations théoriques de notre thèse :
« Après une longue période de forte étatisation de la gestion forestière, la réforme forestière
intervenue au Cameroun en 1994 a innové en consacrant, de manière formelle, la
décentralisation de la gestion forestière, matérialisée par la reconnaissance de l’accès et de
l’appropriation des espaces forestiers par les communautés villageoises riveraines et les
collectivités territoriales décentralisées et la répartition des redevances et taxes forestières entre
l'État, les communes rurales et les communautés villageoises riveraines des zones soumises à
l’exploitation forestière. Cette réforme qui participe de la civilisation des régimes et des pratiques
de gestion de l’État forestier devait, entre autres, contribuer à la construction de la démocratie
locale dans la gestion des forêts Camerounaises, accroître la participation des populations à la

97 Fabrice Parfait Oumba, 2007, Développement durable et gestion des forêts du Bassin du Congo : étude comparative des politiques
forestières du Cameroun et de la République du Congo, Mémoire de Master en Droit international et comparé de l'environnement, Université de
Limoges-France.
C’est cette étude fondatrice qui lui permet par la suite d’écrire entre autres : 2016, “Planification forestière et équilibre climatique dans le Bassin du
Congo. Les expériences du Cameroun et de la République démocratique du Congo”; 2016, “Le Développement durable saisi par le droit international”;
2016, “Rethinking the African Economic Recovery in Sustainable Development. The Case of Environmental Projects”; 2015, “La pratique des projets
environnementaux en Afrique”, in Jean-Didier Boukongou, Émergence de l'Afrique, éd. Presses de l’UCAC, Yaoundé; 2015, Préface de l’ouvrage La
mise en œuvre du Mécanisme pour un développement propre au Cameroun : le cas du projet de récupération des gaz à effet de serre, de
Victorine Ghislaine Nzino Munongo, éd. Edilivre; 2015, “Promouvoir une culture de la gouvernance en Afrique”, in Jean Didier Boukoungou et Laurent
TENGO, Gouvernance et lutte anticorruption en Afrique, éd. Presses de l'UCAC, Yaoundé; 2014, “La contribution du droit administratif à la
réparation des atteintes à l’environnement au Cameroun”, in Revue de droit administratif, n°4; 2014, “Gestion durable des ressources naturelles en
Afrique. Quelle place pour le droit?”, in Revue africaine de droit de l'environnement, n°2; 2014, “Le règlement amiable des litiges en matière
d'environnement au Cameroun”, in Liaison Energie Francophonie, n°4, 3ème trimestre; 2013, “Le rôle des organisations sous-régionales dans
l’intégration et le développement du droit international de l’environnement en Afrique centrale”, in Revue africaine de droit de l'environnement, n°00;
2008, “Controverse sur le statut juridique de la notion de développement durable”, in Bulletin de l'APDHAC, n°31.
98 Op. cit.

46
prise des décisions sur leur gestion, asseoir une dynamique de débat, de discussion et de
dialogue autour de la gestion des forêts, contribuer à l’amélioration des conditions de vie des
populations villageoises riveraines à travers la réalisation des œuvres sociales (adductions
d’eau, construction et entretien des routes, écoles, cases-santé, médicaments, projets, etc.) et
enfin garantir une gestion rationnelle et durable des ressources forestières. Il s’agissait de
développer une foresterie sociale, c’est-à-dire, une foresterie axée sur les gens et orientée vers
la construction du bien-être des populations locales riveraines »99.

En effet, la problématisation que suggère la présente thèse porte essentiellement, non sur la pertinence
contextuelle ou la validité technique des réformes en tant qu’innovations institutionnelles et économiques,
mais sur les déterminants structurels permanents qui expliquent qu’en dépit de leur validité intellectuelle ou de
leur cohérence technique paradigmatique, les Réformes mises en place dans le contexte de la collectivité
politique camerounaise donnent constamment lieu à des résultats mitigés. Même s’il convient également de
relever que pour certains acteurs, notamment les chercheurs et les organisations environnementalistes et de
la société civile, la logique et les dispositions essentielles du Régime des forêts adopté en 1994 font la part
belle aux intérêts industriels et économiques, autrement dit à l’exploitation industrielle et aux entreprises
forestières, au détriment des préoccupations environnementales (Samuel Nguiffo, 2015)100. C’est ainsi que
l’exploitation des ressources forestières, notamment le bois industriel, a été encouragée par les bailleurs de
fonds internationaux [notamment la Banque mondiale et le Fonds monétaire international] et intensifiée dans
le cadre des Programmes d’ajustement structurel, au mépris total des risques écologiques, des
préoccupations sociales et de toutes les exigences de “développement durable” dont les mêmes institutions
ont souvent aussi voulu être les chantres à d’autres occasions, dans une démarche qui contredit les alliances
aussi inédites qu’improbables nouées avec des organisations écologistes (Peter Dauvergne, 1997) 101. Aussi
Antoine Lassagne (2005) n’hésite-t-il pas à conclure que : « L’Union européenne et ses États-membres
modèlent directement ou indirectement les politiques de développement et de protection de la forêt. Ces
créanciers appuient les politiques d’ajustement structurel et de libéralisation économique imposées par le FMI
et la Banque mondiale, lesquels encouragent l’exploitation industrielle du bois afin d’accroitre les revenus de
l’État qui pourront être alloués au remboursement de la dette »102.

En effet, l’allégation démocratique et décentralisatrice ainsi que l’ouverture formelle du champ de l’exploitation
forestière industrielle aux communautés locales constituent le facteur le plus déterminant ayant permis d’un

99 Patrice Bigombe Logo, 2007, “Les élites et la gestion décentralisée des forêts au Cameroun. Essai d’analyse politiste de la gestion néopatrimoniale
de la rente forestière en contexte de décentralisation”, CERAD/GEPAC/GRAPS, Université de Yaoundé II.
100 Cf l’entretien qu’il nous accordé dans les locaux du CED à Yaoundé…
101 C’est le cas de l’Alliance Banque mondiale-WWF que nous avons évoquée plus haut à la page…. À ce propos, lire également Peter Dauvergne,

1997, Shadows in the Forest: Japan and the Politics of Timber in Southeast Asia (Politics, Science, and the Environment), éd. Massachusetts
Institute of Technology Press.
102

47
côté la mise à nue des incompétences de l’État103 dans sa vocation à présenter une politique cohérente de
protection des citoyens et de mise à leur disposition de meilleures conditions de vie [comme le relève
froidement Gérard Conac dans sa préface au livre de Thierry Michalon (1984)]; et de l’autre la découverte des
faiblesses structurelles ainsi que du dénuement systémique (intellectuel, citoyen ou politique, technique,
économique) des communautés villageoises en tant qu’entité-partie de la collectivité politique camerounaise.
En effet, en plus d’être structurellement mal articulées à la collectivité politique moderne et au paradigme de
l’économie capitaliste parrainé par l’État, les communautés villageoises dont nous avons vu très tôt qu’elles
sont déjà profondément frappées de désorientation existentielle radicale par l’histoire, se voient encore
déstabilisées par les propositions capitalistes qui leurs sont miroitées par l’exploitation industrielle de la forêt.
C’est ainsi que dans un profond désarroi, et comme affolées et paniquées, elles se trouvent décentrées,
dépourvues de repères et désorganisées quand elles se voient contraintes de prendre part à un système
économique dont elles n’ont aucun contrôle : « Atomisée par son insertion dans le cadre culturel étranger,
énonce Serge Latouche (1999) dans une perspective théorique générale, et jugée avec les critères de la
civilisation étrangère, l’entité agressée est déjà misérable avant d’avoir été détruite. Le sous-développement
préexiste dans l’imaginaire avant même de s’inscrire cruellement dans la chair des peuples »104.

Quoique les deux chercheurs semblent plutôt les percevoir approximativement, ce sont ces contradictions
structurelles spécifiques à l’émergence et au déploiement historiques de la collectivité politique du Cameroun
que Brown & Schreckenberg (2001) expriment également quand ils indiquent que :
[La réussite des réformes] dépend beaucoup des conditions sociales locales. La gestion
communautaire est particulièrement difficile dans la zone forestière à cause de la forte valeur
des bois en cause. Un soutien extérieur et des garanties sont des moyens importants de
redresser le rapport de forces entre les communautés locales et les forestiers industriels […]
Cela concerne à la fois les contacts des sociétés d’abattage et ceux des ONG. Par exemple, un
contact initial établi par une société d’abattage avec une communauté forestière –avant le
contact avec des ONG et d’autres agences de soutien –n’est pas favorable au développement
effectif d’une forêt communautaire et risque de constituer des divisions au sein de la
communauté, avec différentes factions en lutte pour contrôler les bénéfices qui en découlent.
Comme l’indiquent plusieurs documents, les agences qui interviennent doivent également
planifier leurs propres interventions soigneusement afin d’établir localement la confiance et un
bon soutien105.

La double allégation environnementale et décentralisatrice affectée aux Réformes intervenues dès le début
des années 1990 a suggéré une inflexion substantielle à l’économie forestière dans le Bassin du Congo ainsi
qu’au rapport intellectuel qui va se développer dans l’exploitation des ressources forestières au Cameroun. En
103 https://www.youtube.com/watch?v=EoGfc1Js0mo
104 Serge Latouche (avec Fouad Nohra et Hassan Zaoual), 1999, Critique de la raison économique. Introduction à la théorie des sites
symboliques, éd. L'Harmattan, Paris.
105 David Brown & Kathrin Schreckenberg, 2001, “Foresterie communautaire : relever le défi camerounais”, in Réseau de foresterie pour le

développement rural, document du réseau 25a, DFID/FRR/ODI, Londres.

48
effet, c’est à l’aune de cette inflexion intellectuelle majeure campée par la première “Conférence de Rio pour
l’environnement et le développement” que s’est déployée une abondante activité scientifique notamment
d’analyse et de recherche évaluative dont les résultats vont établir constamment un ensemble de
dysfonctionnements irréductibles inhérents à la mise en œuvre du Régime des forêts adopté en 1994. 106
L’analogie qui se dégage du traitement que Marie-Claude Smouts (2001) fait de l’évolution intellectuelle de la
profession de forestier est édifiante. Pour la politologue française :
Lorsque l’idéologie de la conservation absolue a commencé à s’exprimer sur la scène mondiale,
toute la science d’exploitation industrielle capitaliste qui s’est établie pendant des siècles, et qui
avait confié aux forestiers la mission d’assurer un rendement soutenu de la forêt ainsi que le
renouvellement de la ressource pour garantir les profits de telle sorte que le propriétaire n’ait
pas de rupture dans ses revenus et son épargne a été profondément ébranlée. Dans la tradition
classique des forestiers, il leur fallait connaitre les arbres, les conditions de récolte optimales,
les techniques d’abattage, les systèmes de transport, etc., tout ce paradigme a été décrié et
remis en question. Parce qu’ils osaient dire quand et comment il fallait couper les arbres, les
ingénieurs forestiers ont été accusés d’être vendus à l’industrie du bois, et la profession s’en est
trouvée profondément déstabilisée.
À la foresterie et aux forestiers d’aujourd’hui, il faut prendre en compte l’ensemble de l’activité
forestière dans toute sa complexité et ajouter aux compétences anciennes celles qui vont
permettre le respect de la biodiversité, des droits des populations locales, la foresterie
communautaire, etc.107

En effet, c’est dans la nature et la profondeur du changement à l’œuvre que se trouve l’inflexion majeure
paradigmatique. Encore faut-il –dans le souci d’exploiter toutes les implications théoriques mobilisées par
l’indication de Marie-Claude Smouts –que dans le contexte spécifique du Cameroun, les compétences
techniques et déontologiques que la chercheure reconnait ainsi aux forestiers, aient jamais été mises en
œuvre, eu égard aux deux biais historiques structurels que constituent non seulement du fait de la démarche
coloniale essentiellement frénétique d’exploitation des ressources forestières (Pierre Péan, 2014, 2010, 1988;
C.G. Kouna Eloundou, 2012; Ivo Ngome, 2006; R. Sungkekang Mbatu, 2006; Phil René Oyono, 2006;
François-Xavier Verschave, 2005, 2000, 1998; Mongo Beti, 1972; Engelbert Mveng, 1963; G. Lapie, 1928),
mais également plus tard, dans la suite de l’existence de la collectivité politique camerounaise post-coloniale,
les contradictions inhérentes au mode de construction de l’État africain qui donneront lieu à un accaparement
néopatrimonial des richesses collectives par les élites politiques et dirigeantes, sous la forme d’un système
prébendier et rentier des affaires publiques (Bakker Nongni & Guillaume Lescuyer, 2016; Hélène Blaszkiewicz,
2014; Paolo Cerutti et al, 2013; Rozenn Nakanabo Diallo, 2013; Makhtar Kanté, 2009; Friede-Magloire Ngo

106 En effet, l’orientation évaluative de la recherche antérieure et des travaux sur lesquels nous fondons la préoccupation de la présente thèse réfère à
la définition que W. Seyive Affodegon (2017) donne de l’évaluation : « L’évaluation de la performance est une activité de jugement sur le mérite ou les
échecs de l’institution ». In “Effets du design institutionnel sur la performance des ombudsmans du secteur public : utilisation des ensembles flous
d’analyse qualitative comparée (fsQCA)”, Projet de thèse de doctorat en science politique, Université Laval.
107 Op. cit.

49
Youmba-Batana, 2007; Mwayila Tshiyembé, 2001, 2000; Thierry Michalon, 2011, 1984; Gervais Ludovic
Itsoua-Madzous, 1997; Bertrand Badie, 1992; etc.).

Autrement dit, au lieu de constituer le cadre définitif de production des richesses suffisantes et du bien-être
généralisé, la modernité capitaliste va davantage et finalement se présenter comme le paradigme par
excellence de production des risques et crises de toutes sortes (Peter Dauvergne, 2008; Ulrich Beck, 1986).
C’est ainsi que la gouvernance environnementale va se présenter comme articulation intéressante de deux
problématique et approche nouvelles : la problématique environnementale qui établit les limites du paradigme
de l’économie capitaliste en mettant en exergue le caractère déterminant des dimensions écologique et socio-
culturelle dans la démarche d’exploitation des ressources naturelles et de production des richesses. Elle est
articulée à l’approche de la gouvernance censée ouvrir la planification, l’élaboration et la mise en œuvre du
système institutionnel à tous les acteurs, avec la préoccupation de conjuguer les représentations, besoins et
intérêts des différentes parties prenantes, d’optimiser la mise en œuvre des solutions institutionnelles,
d’assurer l’acceptabilité sociale et par conséquent de limiter les risques et les crises. L’énonciation par laquelle
William Mark Bevir (2001) articule le concept de gouvernance et celui de gouvernementalité est éclairante :
Governance is commonly associated with practical and policy-orientated voices, dit-il;
governmentality with critical and theoretical ones. The literature on governance usually focuses
on institutions and policies; the literature on governmentality concentrates on meanings and
discourses. Studies of governance often rely on formal ahistorical modes of explanation; studies
of governmentality typically incorporate a historical perspective. These differences between
‘governance’ and ‘governmentality’ create an aura of excitement around the thought of bringing
them together. Curiosity rises at the suggestion that such an apparently odd couple might
become bedfellows […] So, ‘governance’ and ‘governmentality’ are surprisingly promising
bedfellows. They have enough similarities to be able to speak to one another about overlapping
theoretical perspectives and empirical concerns. Yet, they have enough differences to be able to
learn from one another –hopefully to the enrichment of both108.

Il en découle clairement que l’utilisation du concept de gouvernance telle que présente dans l’intitulé de notre
thèse est faite dans un sens large qui porte également le concept de gouvernementalité. Car, ce qu’il convient
de retenir essentiellement du point de vue de la préoccupation épistémologico-théorique de notre explication,
c’est que les deux concepts partagent le souci de re-découvrir, de rouvrir et de restituer à l’examination
critique cette boite noire qu’est l’État en contexte africain, à travers une analyse novatrice [par l’approche
sociohistorique et le concept de contraintes structurelles] des contradictions que manifeste la mise en œuvre
de la politique publique forestière. C’est ainsi que pour Mark Bevir (2001) :
Governance and Governmentality share in particular a concern to open up the black box of the
State. Not for them the concept of the State as a monolithic entity that can act as a dependent or
independent variable. Instead, they disaggregate the State, drawing attention to the diffusion of

108
Op. cit.

50
political power and political action, and exploring the porosity of the border between State and
civil society [d’autant que] The governance literature has begun to pay greater attention to
beliefs and traditions. Policy actors are no longer treated straightforwardly as the rational
pursuers of power or as cogs in institutional wheels. Instead, interpretive approaches to
governance now echo the governmentality literature in recognising that policy actors draw on
historically contingent webs of meaning109.

En revanche, l’analyse que le politologue anglo-américain développe des rapports théoriques qu’entretiennent
les deux concepts suggère une discussion critique, nuancée et contextualisée de la définition proposée. En
effet, pour le chercheur :
Students of governance forget that the study of pressure groups and policy networks arose as
part of a broad shift of focus away from institutions and structures, and towards actual
behaviour, mentalities and attitudes. I do not want here to preclude appeals to institutions. But I
do want to suggest that institutions should be analysed in terms of people’s actions and so their
mentalities, intentions, beliefs and desires. Scholars of governance might draw on the concept of
‘governmentality’ to develop a greater awareness of both the theoretical content of their
approach and the importance of discourses. The concept of ‘governmentality’ often echoes an
interpretive approach to governance. So, for a start, governmentality suggests an abstract,
theoretical analysis of governance as composed of the networks and power relations that
connect various parts of civil society to the central State. It suggests that governance concerns
all the diverse networks that operate at the boundary of State and civil society, where these
networks extend far beyond the core executive to cover the actors and practices that constitute
the norms and power relations. In addition, governmentality suggests that these power relations
and norms are not (or not only) institutions or social structures, but rather contingent products of
dominant discourses, especially the knowledge and technologies developed by the social
sciences themselves […]
Students of governance might learn to be more attentive to meanings and more sensitive to
contingency. Students of governmentality might learn to avoid structuralist tropes and thereby
become more resolute and consistent in their use of historicist genealogies. This encounter
between ‘governance’ and ‘governmentality’, then, suggests that they might complement one
another within a shared research agenda. They might combine to use ethnographic and textual
analyses to recover the subconscious and conscious beliefs that are embedded in variegated
and complex patterns of rule (Mark Bevir, id).

Il convient cependant d’indiquer qu’au-delà de la discussion suggérée sur l’influence des institutions ou des
structures et l’action des dynamiques contingentes –deux termes qui ne se contredisent pas nécessairement –
dans le processus de construction des instruments de gouvernement ou de pouvoir, et étant donné que
l’analyse de Bevir ne réfère exclusivement qu’au seul contexte occidental, ce qu’il nous semble intéressant à
relever est que : « The governance literature encourages the use of ethnography and elite interviews to study
the conscious beliefs and motivations of policy makers. The governmentality literature then encourages the
use of textual or discourse analysis to study the traditions that provide the historical background to the tacit
and subconscious beliefs of policy makers. Together they might provide a historicist account of the

109 Ibid.

51
assumptions, knowledge and convictions embedded in contemporary ruling, that is, in the neoliberal era and
its aftermath » (Ibid.).

Sous réserve d’un recensement indexatoire qui porterait spécialement sur la question, il est fort probable que
les problématiques mobilisées par l’exploitation des ressources forestières au Cameroun et l’introduction de
l’environnement dans le contexte africain contemporain participent des thèmes les plus abondamment traités
ces vingt à vingt-cinq dernières années au Cameroun dans la littérature scientifique, toutes disciplines
confondues (A. Karsenty, 2005). En effet, de 1996 –soit deux ans seulement après la mise en place du
Régime actuel des forêts –à aujourd’hui, à côté des publications institutionnelles issues d’une pléthore
d’organisations de diverses vocations et nature, le nombre de chercheurs s’étant intéressés à l’étude des
politiques forestières et de l’économie forestière au Cameroun est tout simplement impressionnant : de Patrice
Bigombe Logo, Giuseppe Topa, Friede-Magloire Ngo Youmba-Batana, Phil René Oyono ou François Ekoko à
Paolo Cerutti, Ousseynou Ndoye, Adonis Milol, Alain Karsenty, Marie-Claude Smouts, Antoine Lassagne,
Guillaume Lescuyer ou Symphorien Ongolo, en passant par Jérémie Mbairamadji, David Brown & Kathrin
Schreckenberg, Kouna Eloundou, Verina Ingram, Assembé Mvondo, Ngoumou Mbarga, Richard Sungkekang
Mbatu, Parfait Oumba, etc., etc.., l’économie forestière et le secteur forestier, en lien plus ou moins direct avec
les préoccupations écologiques, économiques et démocratiques qui en découlent, a été examiné à partir de
multiples points de vue et sous diverses approches d’analyse. Traitant de la gouvernance forestière au
Cameroun au tout début des années 2000, c’est-à-dire plusieurs années après les Réformes forestières qui
aboutissent à la mise en place du Régime des forêts de 1994, David Brown & Kathrin Schreckenberg (2001)
affirment, que :
Le cas du Cameroun constitue l’un des plus grands défis pour la foresterie communautaire sous
les tropiques et a suscité un intérêt exceptionnel dans la communauté internationale [Les deux
auteurs parlent du “défi camerounais” et relèvent que] Le cas du Cameroun a suscité un intérêt
exceptionnel dans la communauté internationale. Cet intérêt est lié non seulement à
l’importance de ce pays –grand producteur de bois tropicaux, dépositaire de biodiversité et
réserve de richesses environnementales –mais aussi au fait que ses ressources forestières ont
longtemps été gérées d’une manière qui excluait les communautés résidentes et dépendantes
des forêts, de presque tous les bénéfices qu’on peut en tirer. En fait, le type de gestion
forestière que ce pays a connu est, de bien des façons, l’antithèse de tout ce que l’on cherche à
réaliser grâce à la “foresterie communautaire”.
Quel que soit le contexte, il risque d’y avoir des conflits d’intérêts entre divers groupes
intéressés par la ressource, mais cela est particulièrement vrai au Cameroun où les principales
parties prenantes ont des niveaux assez disparates de pouvoir d’achat et d’influence politique.
D’un côté, on trouve les habitants des forêts qui sont dispersés, désorganisés et impuissants et
qui dépendent lourdement de la forêt et des ressources qu’elle procure, mais dont la sécurité
foncière et la voix au niveau national sont souvent minimales. D’un autre côté, les entreprises de
bois qui ont lourdement investi dans les opérations d’abattage et de transformation du bois, ont
des liens étroits avec les autorités politiques nationales et beaucoup à perdre de l’exercice d’un
contrôle public (et encore plus à gagner de son absence). À celles-ci, il faut ajouter un lobby

52
environnemental international à la voix de plus en plus stridente pour qui, dans l’ensemble, la
valeur des forêts camerounaises réside davantage dans leurs valeurs à long terme –
environnement, option et existence –que dans leurs utilisations directes, et pour qui aucun des
principaux partis nationaux ne représente le groupe d’intérêt primordial.
Réconcilier ces intérêts rivaux ne semble pas facile et la possibilité d’y parvenir ne peut, même
à présent, être garantie. Pourtant, il convient de relever le défi, si l’on veut que l’utilisation
durable des forêts ait réellement un sens dans la vie des populations rurales pauvres. L’histoire
que l’ensemble des documents de cette série décrit, c’est qu’en dépit de l’énormité du défi à
relever, on peut faire des progrès réels à partir d’un certain seuil d’inquiétudes locales et
internationales et que les bénéfices recherchés peuvent déborder du secteur forestier pour
profiter aux domaines plus généraux de la gestion publique. Toutefois, ces progrès prennent du
temps et exigent de la ténacité et un engagement financier à long terme de la part aussi bien
des acteurs locaux que des bailleurs de fonds internationaux110.

L’intérêt de ce propos qui semble mêler un enthousiasme suspect et une certaine naïveté intellectuelle est de
planter le décor en annonçant les caractéristiques principales du contexte national ou local à partir duquel se
développe la présente analyse sociologique de la marginalité des communautés villageoises dans la
gouvernance forestière. Et pour en ajouter à la suggestion très claire de la structure exhaustive ainsi que des
éléments et conditions permettant de mieux comprendre l’explication des dysfonctionnements auxquels va
donner lieu la mise en œuvre du Régime des forêts de 1994, il est important de se rappeler que :
Le Sommet mondial de la Terre de Rio 1992, qui inscrit le concept de développement durable
comme ligne directrice de l’action internationale environnementale, a conforté la mondialisation
du modèle de gouvernance des ressources naturelles destiné à dépasser la relation exclusive
classique entre l’État et les entreprises privées. Ce nouveau paradigme qui émerge dans la
décennie 1980 procède directement du tournant décisif qui bascule l’Aide publique au
développement d’un modèle de gouvernement centré sur l’État vers une gouvernance privée
avec un rôle a minima de l’État, où la participation des populations locales dans les projets de
développement est devenue une condition indispensable pour les États
récipiendaires (Symphorien Ongolo et Laura Brimont, 2015)111.

Pour Fabrice Parfait Oumba (2007) qui s’intéresse à la gouvernance actuelle des forêts du Bassin congolais :
La destruction des écosystèmes forestiers du Bassin du Congo s'accélère sous l'effet conjugué
de la pression démographique, de l'aggravation de la pauvreté et de l'action prédatrice de
puissants groupes industriels qui contournent les réglementations et bénéficient de la
complaisance des autorités. Selon la FAO, au Cameroun, près de 2 millions d'hectares de forêts
furent perdus entre 1980 et 1995, près d'un dixième de la forêt existant en 1980. Les taux de
déboisement au cours de cette période étaient en moyenne de 0,6%, ce qui représente le 2ème
taux le plus élevé de déboisement annuel dans le Bassin du Congo (Global Forest Watch). La
production forestière du Cameroun a triplé en 22 ans, passant de 1,2 millions de m 3 en 1975 à
3,0 millions de m3 en 1997; 60% d’espèces d’arbres sont menacées de disparition; plusieurs
espèces d'animaux dont le rhinocéros noir et le chimpanzé sont menacées d'extinction. Alors
que les pouvoirs publics justifient l'expansion de l'exploitation forestière industrielle par les

110 David Brown & Kathrin Schreckenberg, 2001, “Foresterie communautaire : relever le défi camerounais”, in Réseau de foresterie pour le
développement rural, document du réseau 25a, DFID/FRR/ODI, Londres.
111 Op. cit.

53
impératifs de développement économique et social, on constate paradoxalement que les
régions forestières, dans lesquelles l'exploitation industrielle est pratiquée depuis des décennies
(voire dans certains cas depuis le début de la période coloniale), restent parmi les plus pauvres
(enclavement, manque d'infrastructure de base, faible scolarisation, faible couverture sanitaire,
etc.).
On peut par conséquent s'interroger sur l'efficacité réelle des politiques et des actions menées,
tant au niveau national que sous-régional et international, et engager un débat sur le nécessaire
réajustement et remodelage de ces politiques. Pour certains acteurs forestiers, le principe
d'équilibre évoquée plus haut, affirmé lors du Sommet de Rio et du Sommet des chefs d'État
d'Afrique centrale sur la conservation et la gestion durable des forêts tropicales à Yaoundé, et
sur lequel se fondent les nouvelles législations forestières nationales, constitue un leurre dans
un contexte caractérisé par l'instabilité politique, l'insécurité alimentaire et l'aggravation de la
pauvreté. Sur la question de la gouvernance forestière, si la plupart des États se sont dotés de
réglementations forestières favorables en théorie à une gestion durable des forêts, on peut
cependant déplorer le fait que ces règles peinent à être appliquées : à la faiblesse des capacités
humaines, techniques et financières s'ajoute la corruption qui constitue aujourd'hui un des
obstacles majeurs à l'application effective des nouvelles normes juridiques112.

De manière constante, ces différentes études ont traité de la naissance et du développement historique de
l’exploitation industrielle des forêts dans le territoire connu aujourd’hui sous la désignation de “Cameroun”;
elles ont traité des dynamiques économiques et environnementales globales et des acteurs ayant motivé les
réformes forestières de la fin des années 1980, et surtout elles ont étudié et évalué diverses implications
institutionnelles, sociales, financières, écologiques mobilisées par la mise en place d’un nouveau Régime des
forêts en 1994. De la compréhension synthétique que nous osons en donner, nous pourrions affirmer que
toutes ces analyses participent d’une logique fonctionnaliste (Bertrand Badie, 1992), qu’elles s’inscrivent dans
le paradigme intellectuel de l’économie moderne ou capitaliste, et qu’elles peuvent se résumer dans ces
résultats de recherche auxquels parviennent Jérémie Mbairamadji (2009) dans son évaluation des Réformes
forestières à l’aune des principales préoccupations qui lui ont été alléguées : « Au Sud-est Cameroun, la
décentralisation de la gestion forestière a mené à la cristallisation du pouvoir décisionnel local autour de deux
acteurs étatiques, le Sous-préfet et le Maire, à l’instauration de nouveaux rapports de force et à la
compromission des pratiques traditionnelles de gestion forestière existantes. Il en a résulté la marginalisation
des populations et leur faible participation à la gestion des forêts communautaires et des redevances
forestières »113 ;

112Fabrice Parfait Oumba, op. cit.


113Jérémie Mbairamadji, 2009, “De la décentralisation de la gestion forestière à une gouvernance locale des forêts communautaires et des redevances
forestières au Sud-est Cameroun”, in revue VertigO, Vol. 9, n˚1, mai 2009.

54
Et Marie-Claude Smouts (1998) pour qui : « Les populations indigènes, les communautés locales, les
organisations villageoises –qui ont pourtant un rôle déterminant dans la mise en œuvre des solutions sur le
terrain –sont restées peu représentées » (citée par Jacques Theys, 2003)114.

C’est dans le cadre de ce paradigme opératoire ou dominant (Jean Vioulac, 2012; Jean Ziegler, 1985)115 que
les résultats présentés et les énoncés formulés par ces différents travaux affirment leur validité et leur
pertinence théoriques, qu’il s’agisse :
- de la nature coloniale ou de l’inspiration néolibérale de l’exploitation industrielle des ressources
forestières (R. Nakanabo Diallo, 2013);
- de la marginalisation des populations villageoises ou de l’instrumentalisation des communautés
locales dans les artifices institutionnelles à prétention démocratique (Symphorien Ongolo et Laura
Brimont, 2015; Marta Fraticelli et al, 2012);
- de la gestion patrimoniale des ressources et la captation rentière des dividendes financières par les
élites et les intérêts arbitraires (Patrice Bigombe Logo, 2012, 2010, 2007, 2003, 2000, 1999, 1996)116;
- du rôle de sentinelle, de coaching et de formation joué par les ONG et autres acteurs de la société
civile auprès des communautés villageoises pour une participation effective et conséquente des
acteurs locaux à la gouvernance forestière (Jérémie Mbairamadji, 2009; Phil René Oyono et al,
2007);
- de ce que Alain Karsenty appelle le “sabotage” des intentions économiques et environnementales
authentiques par l’enracinement d’une culture de la corruption (Paolo O. Cerutti et al, 2013; Paolo O.
Cerutti & Guillaume Lescuyer, 2011; Pierre Titi Nwel, 2009, 1999; Paolo Omar Cerutti & Luca
Tacconi, 2008; Fabien Eboussi Boulaga & Valentin Siméon Zinga, 2002)117, etc.;

114 Jacques Theys, 2003, “La Gouvernance, entre innovation et impuissance. Le cas de l’environnement”, in Réseau Développement durable et
territoires Dossier 2, Gouvernance locale et Développement Durable.
115 Lire :

- Jean Vioulac, 2012, La logique totalitaire. Essai sur la crise de l’Occident, éd. Épiméthée, Paris.
- Jean Ziegler, 1985, Les rebelles. Contre l’ordre du monde, éd. du Seuil, Paris.
116 Patrice Bigombe logo (avec Daou Dominique Joiris, sous la coordination de), 2010, Gestion participative des forêts d’Afrique centrale, éd. Quae,

Versailles; 2007, op. cit;


117 Lire entre autres :

- Pierre Titi Nwel (avec l’encadrement et l’appui financier de la Friedrich Ebert Stiftung), 2009, La lutte contre la corruption au Cameroun. De 1999 à
2008, éd. Presses Universitaires d’Afrique, Yaoundé; [(dir.), avec l’encadrement et l’appui financier de la Friedrich Ebert Stiftung et de GERDDES-
Cameroon], 1999, De la corruption au Cameroun, éd. SAAGRAPH, Yaoundé
- Fabien Eboussi Boulaga & Valentin Siméon Zinga (avec l’encadrement et l’appui financier de la Friedrich Ebert Stiftung), 2002, Lutte contre la
corruption. Impossible est-il camerounais?, éd. Presses Universitaires d’Afrique, Yaoundé
- Friedrich Ebert Stiftung, 2000, Ce n’est pas ça la corruption?, éd. Presses Universitaires d’Afrique, Yaoundé
Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Alain Karsenty stigmatise un contexte institutionnel et social particulièrement gangréné par la culture de la
corruption, et qui expliquerait en grande partie les résultats mitigés qui ressortent unanimement de l’évaluation des réformes et de la mise en œuvre du
Régime des forêts de 1994.

55
- ou dans l’ensemble, du caractère pour le moins mitigé des réformes portées par la Loi de 1994 qui
provoque depuis quelques années aujourd’hui le besoin d’élaborer un nouveau régime des forêts
plus enraciné et articulé au contexte camerounais (Robinson Djeukam & Aristide Chacgom, 2013)118.

De même, l’évaluation que les OSC camerounaises font de la mise en œuvre des réformes de 1994 dès le
milieu des années 2000 met en lumière trois problèmes majeurs significatifs des contradictions profondes
inhérentes à la gouvernance forestière au Cameroun et caractéristiques de la marginalisation des
communautés villageoises : le déclassement de leurs visions propres du monde et de leurs représentations
spécifiques de la vie (Antang Yamo, 2015), la disqualification de leurs intérêts et aspirations, et la négation/la
minoration de leurs droits (Robinson Djeukam & Aristide Chacgom, 2013)119. Trois problèmes dont nous
verrons à l’aune de l’approche socio-historique et de l’analyse par les contraintes structurelles
(paradigmatiques, interscalaires et contextuelles) qu’ils s’enracinent dans les conditions primordiales
d’émergence ou ontogénétiques de la collectivité/modernité politique camerounaise. En tant que manifestation
emblématique des dysfonctionnements irréductibles qui émergent de cette structure historique opératoire, la
marginalisation des communautés villageoises se caractérise essentiellement par la disqualification
intellectuelle, l’incompétence technique et l’impréparation citoyenne des acteurs locaux sur l’exploitation
industrielle des forêts et les questions environnementales ainsi que leur exclusion du contrôle réel de la
gouvernance forestière (Mbog Bassong, 2013; Serge Latouche et al, 1999), toutes faiblesses dont l’appareil
étatique lui-même n’est pas indemne, du fait de son statut périphérique dans le système de dépendance
(Noam Chomsky, 2016, 2005, 2003, 1995; Guy Martin, 2014; Prao Yao, 2013; Samir Amin, 2012-1970; Mueni
wa Muiu & Guy Martin, 2009; Nicolas Agbohou, 2008; Immanuel Wallerstein, 2014, 2012, 2011, 2009, 2008,
2006, 2001, 1999, 1995, 1991, 1988, 1985, 1975, 1966; Michel Norro, 1994; Bertrand Badie, 1992; Fernand
Braudel, 1986, 1985, 1979, 1958, 1949; Thierry Michalon, 1984; Stanislas Spero Adotevi, 1972; etc.). C’est
dans ce contexte qu’il s’agit aussi de formuler les logiques structurelles opératoires sur lesquelles se construit
le déploiement sans précédent des organisations non gouvernementales ainsi que l’action d’appui que les
acteurs de la société civile offrent aux communautés villageoises pour améliorer leur participation à la
gouvernance forestière, réhabilitant en même temps la préoccupation environnementale de la réforme
(Dieudonné Bitondo, 2005).

En effet, s’il est impossible d’ignorer les acquis intellectuels et politiques (A. Karsenty, 2016) revendiqués sans
nuances et sans contextualisation par Phelps, Webb et Agrawal (2010) ou l’IUFRO (2010) à la décentralisation

118 Robinson Djeukam & Aristide Chacgom, 2013, Étude évaluative des contributions à la réforme forestière liées aux droits communautaires et
de leur prise en compte dans l’Avant-projet de loi forestière, éd. Rights Resources Initiative (RRI)-Green Development Advocates (GDA),
Washington/Yaoundé.
119 Robinson Djeukam & Aristide Chacgom, 2013, Étude évaluative des contributions à la réforme forestière liées aux droits communautaires et

de leur prise en compte dans l’Avant-projet de loi forestière, RRI-GDA, Yaoundé.

56
environnementaliste, force est de constater que l’essentiel de la littérature spécialisée consacrée à l’analyse
des réformes environnementales et forestières ayant eu lieu en Afrique se révèle moins enthousiaste à l’égard
de la gouvernance forestière au Cameroun. En effet, autant elle affirme une disponibilité intellectuelle nouvelle
–la rupture cognitive démocratique dont parlent S. Labranche (2009) et J. Theys (2003) –dans la gestion des
affaires publiques environnementales soucieuse de performance sociale, écologique et économique, qui se
détermine dans l’activité des OSC/ONG ainsi que dans une sensibilité et une participation plus conséquente
des communautés locales, et surtout au contenu des proposition et à la nature engagée et assumée du
rapport de la société civile au processus –en cours –de réforme de la Loi des forêts de 1994 ; autant à cause
des facteurs historiques, de contraintes structurelles opératoires diverses et de l’enracinement paradigmatique
classique, la décentralisation et la participation se révèlent davantage prétextées dans les faits qu’elles ne
relèvent de la réalité (Nongni et Lescuyer, 2016 ; Ongolo et Brimont, 2015 ; Ngoumou Mbarga, 2013 ;
Karsenty et Ongolo, 2012 ; M. Fall, 2012 ; Labranche, 2009 ; Kanté, 2009 ; Oyono, 2006 ; Assembé Mvondo,
2006 ; Lassagne, 2005 ; Theys, 2003). En effet, pendant que Jérémie Mbairamadji (2009) observe qu’ :
« Au Sud-est Cameroun, la décentralisation de la gestion forestière a mené à la
cristallisation du pouvoir décisionnel local autour de deux acteurs étatiques, le Sous-préfet
et le Maire, à l’instauration de nouveaux rapports de force et à la compromission des
pratiques traditionnelles de gestion forestière existantes. Il en a résulté la marginalisation
des populations et leur faible participation à la gestion des forêts communautaires et des
redevances forestières »120,

Candau et Deuffic (2009) montrent par l’examen de plusieurs dispositifs de gouvernance dits participatifs
comment certains acteurs –notamment les communautés villageoises –se voient phagocytés dans un
fonctionnement où la participation est davantage postulée que symétriquement pratiquée, et dans lesquels
certains acteurs se retrouvent clairement dépendants et soumis à la logique et à l’arbitraire d’autres acteurs.
Dans les deux cas, les difficultés que rencontrent les réformes forestières et les propositions
environnementales de gestion participative des ressources forestières semblent renvoyer en fin de compte à
la conjonction d’une part de la biographie structurelle du contexte –en l’occurrence celui de la constitution
historique de la collectivité politique camerounaise –qui ne semble pas préparée (Alain Karsenty, 2016, 2002;
D. Brown, 2002 ; Jake Brunner & François Ekoko, 2000), et d’autre part aux résistances structurelles que
l’histoire du contexte colonial africain oppose au modèle institutionnel et politique moderne.

120 Op. cit.

57
L’articulation de ces deux résultats –l’un empirique et l’autre théorique –corrobore parfaitement les analyses
de Stéphane Labranche (2009) dont les travaux examinent la participation, ou celles de Pascal Tozzi (2011)
ou Stéphane Guéneau (2007) sur l’étude des implications mobilisées par la certification. Les conclusions des
travaux de ces trois derniers auteurs viennent conforter les observations déjà formulées par Antoine Lassagne
(2005) qui s’était préoccupé quelques années plus tôt des stratégies de pouvoir à l’œuvre dans la
gouvernance forestière au Cameroun. Cependant, s’il en découle ainsi l’absence ou l’exclusion des
communautés villageoises des motivations de la Réforme forestière et du processus d’élaboration de la Loi de
1994 portant régime des forêts peuvent être expliquées par le modèle wébérien de l’État caractérisé par la
structure triptyque “hiérarchie-autorité-bureaucratie” ou l’approche paradigmatique classique de gouvernement
top-down, il n’en demeure pas moins que le cas de l’État du Cameroun en tant que collectivité politique
[moderne africaine] présente une plus grande complexité dont l’analyse nécessite une approche novatrice tout
aussi complexe. En effet, le contexte africain camerounais est un contexte historique particulier,
structurellement différent des contextes industrialisés ou occidentaux à partir desquels la théorie sociale
opératoire de l’environnement a été élaborée, et l’analyse efficace des problématiques qu’il manifeste exige en
conséquence des outils conceptuels et théoriques spécifiques (Mbog Bassong, 2013). C’est donc dans ce
contexte que l’énonciation de Daou Véronique Joiris & Patrice Bigombe Logo (2010) recoupe parfaitement le
corpus épistémologique à partir duquel la présente thèse développe sa problématique. Pour les deux
chercheurs : « La forêt est confrontée à la réalité même des sociétés qui la gèrent. La gestion participative est
présentée, reconnue et établie comme la référence des politiques publiques environnementales, l'ultime
recours des processus de gestion des forêts d'Afrique centrale, mais elle s'avère aujourd'hui difficile à mettre
en œuvre et connaît des fortunes diverses. Comment expliquer ce décalage entre la rhétorique participative et
sa mise en pratique localement? »121.

En effet, la plupart des travaux consacrés à l’évaluation de la gouvernance forestière au Cameroun établissent
l’existence de problèmes divers inhérents à la mise en œuvre du nouveau régime forestier, problèmes qui se
manifestent notamment autour de l’activité souvent transgressive des industriels favorisée par l’enracinement
de la corruption (Cerutti et al, 2013), les modalités illicites de prélèvements des ressources, l’inexistence des
inventaires préalables, le bâclage des études d’impact, la non-effectivité des investissements socio-
économiques dans les régions d’exploitation du bois, la régénération douteuse et improbable des forêts, les
statuts et rôles dysfonctionnels des élites, des maires, et des administrations publiques, la position marginale
des communautés locales dans les divers mécanismes de décision et de gestion, etc. La préoccupation
qu’énonce Charlotte Gisèle Kouna Eloundou (2012) à la motivation de sa thèse permet immédiatement non
seulement d’établir l’évaluation pessimiste des résultats de la Réforme, mais également d’annoncer clairement

121 Daou Véronique Joiris & Patrice Bigombe logo (sous la coordination de), 2010, op. cit.

58
les trois types de contraintes structurelles (paradigmatiques, contextuelles et interscalaires) que nous
proposons pour l’explication radicale de la marginalisation chronique dont les communautés villageoises sont
l’objet dans le système d’exploitation de la forêt au Cameroun :
Nous nous intéressons, indique la chercheure, à la décentralisation forestière entreprise au
Cameroun vers le milieu des années 1990, dans la mesure où celle-ci est présentée comme
une initiative impulsée de l’extérieur et que le pays a une longue histoire de gestion centralisée
des forêts. Concrètement, il est question d’étudier la mise en œuvre de la décentralisation
forestière dans la région-Est et de voir si elle tient les promesses de développement local et de
conservation de la biodiversité forestière adulées par ses promoteurs.
La décentralisation de la gestion des forêts au Cameroun résulte des réformes de la politique
forestière intervenues après un peu plus d’un siècle de gestion centralisée, autoritaire, exclusive
et coercitive des forêts, établie et reproduite par les politiques forestières coloniales et
postcoloniales de 1884 jusqu’au début des années 1990. Elle a pour principaux supports
juridiques la Loi n° 94/01 du 20 janvier 1994 (dite la Loi) portant régime des forêts, de la faune
et de la pêche, et le Décret N° 95/531/PM du 23 août 1995 (dit Décret) fixant les modalités
d’application du régime des forêts122.

Cependant, au-delà de cette intelligence de la problématique environnementale appliquée à l’économie


forestière, et contrairement à la logique générale d’émergence des réformes environnementales telle qu’elle
se dégage de la cohérence historique et structurelle des contextes industrialisés (Valérie Angeon & Armelle
Caron, 2009; Suvi Huttunen, 2008)123, la littérature scientifique n’établit pas, dans le cas du Cameroun, la
formulation de revendications portées à l’interne par des acteurs locaux, sur lesquelles le besoin de réformes
forestières se serait appuyé au début des années Quatre-vingt-dix, nonobstant l’existence de conditions
critiques endogènes (A. Karsenty, 2016, 1999; S. Ongolo, 2015; Paolo O. Cerutti et al, 2013; Ngoumou
Mbarga, 2013; G.C. Kouna Eloundou, 2012; Théophile Bouki, 2010; Jérémie Mbairamadji, 2009; Phil René
Oyono, 2009, 2006; Parfait Oumba, 2007; Assembe Mvondo, 2006; Mikaël Poissonnet & Guillaume Lescuyer,
2005; Antoine Lassagne, 2005; Elong Mbassi, 2003; Patrice Bigombe Logo, 2002, 1996; David Brown &
Kathrin Schreckenberg, 2001; Marie-Claude Smouts, 2001; Adonis Milol, 1999; etc.) dont il faut relever
qu’elles auraient effectivement pu motiver une controverse environnementale, au modèle de celle qu’a suscité
L’Erreur boréale au Québec au début des années Deux mille. En effet, c’est la parution du film de Richard
Desjardins & Robert Monderie (1999)124 qui va cristalliser l’attention sociale sur les implications
environnementales de l’industrie forestière au Québec, et motiver une prise de conscience collective qui va à
son tour provoquer une dynamique de réorientation quasi-sociétale de l’économie forestière au Québec (Alain

122 Op. cit.


123 - Valérie Angeon & Armelle Caron, 2009, “Quel rôle joue la proximité dans l’émergence et la pérennité de modes de gestion durable des ressources
naturelles?”, in Natures Sciences Sociétés, 17.
- Suvi Huttunen, 2009, “Ecological Modernization and Discourses on Rural Non-Wood Bioenergy Production in Finland from 1980 to 2005”, in Journal
of Rural Studies, 25.
124 Dans un papier qui fait l’écho des implications qu’il a provoquées dans la collectivité québécoise, Réginald Harvey dit du film L’Erreur boréale

(1999) et de ses réalisateurs, Richard Desjardins et Robert Monderie, qu’« ils ont été des allumeurs de réverbères qui, dix ans plus tard, ont redonné à
la forêt québécoise, son statut de territoire national (…) ». In “Grâce à L'Erreur boréale la forêt a encore un avenir. Les Québécois sont en phase de
réappropriation de leurs forêts”. Publié dans l’édition numérique du journal Le Devoir du 16 avril 2011.

59
Fréchette, 2009). Cette dynamique aboutit au vote de la “Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier”
en 2010, par où l’État reprend à l’industrie le contrôle et la responsabilité de la planification forestière, de
l’aménagement durable des forêts du domaine de l’État et de leur gestion125.

Dès lors deux interrogations devraient permettre de rendre compte de la préoccupation théorique de la
présente thèse : la principale est centrée sur l’identification des éléments qui structurent la cohérence des
dysfonctionnements à l’œuvre, et l’autre se veut l’illustration opérationnelle de l’État africain contemporain
comme mécanisme aussi déficient que problématique d’organisation et de conduite de la collectivité politique.

125 Le nouveau régime forestier québécois est entré en vigueur le 1er avril 2013, soit trois ans après son adoption.

60
4. Questions de recherche

4.1. Question principale


Par quel dispositif théorique peut-on articuler conditions de motivation ou d’émergence des Réformes
forestières du début des années Quatre-vingt-dix et modalités d’élaboration du Régime des forêts de 1994
pour obtenir une explication générale de la marginalisation des communautés locales dans l’économie
forestière au Cameroun? Autrement dit, comment la démarche socio-historique et l’analyse par les contraintes
structurelles permettent-elles d’expliquer la marginalisation des communautés villageoises dans la
gouvernance forestière au Cameroun en étayant la cohérence de la non-endogénéité des besoins de réformes
forestières et de l’absence des communautés dans le processus d’élaboration de la Loi des forêts?

4.2. Question annexe


Quel éclairage la participation décisive des OSC/ONG dans la gouvernance forestière donne-t-il de l’État
africain dans sa vocation principiale à développer des politiques publiques essentiellement significatives des
intérêts existentiels de la collectivité? En d’autres termes, en quoi l’action de plus en plus déterminante d’appui
des acteurs de la société civile aux communautés locales montre-t-elle l’incapacité de la modernité politique
camerounaise à garantir la durabilité [endogène] réelle de l’économie forestière, notamment dans un contexte
international de dépendance systémique et structurelle?

4.3. Identité théorique et orientation générale de la thèse


Étant donné le caractère relativement ouvert de la postulation dans l’univers théorique des sciences sociales
(Michel Gutelman, 1974)126, nous formulons deux principales hypothèses auxquelles nous articulons un
certain nombre de concepts susceptibles de conduire notre démarche de recherche.127 Pour traiter de la
question principale, notre thèse propose le concept de contraintes structurelles pour l’analyse de la trajectoire
historique de la collectivité politique camerounaise et de la problématique forestière, mais aussi pour l’analyse

126 Michel Gutelman, 1974, Structures et réformes agraires. Instruments pour l’analyse, Maspéro, Paris.
127 Dans la théorisation de cette problématique épistémologique fondamentale qui engage l’identité des sciences sociales, Gilles Gagné relève que :
« Malheureusement (ou heureusement), comme toute “grille” théorique quelconque produit fatalement, un jour ou l'autre, dans un domaine
d'application ou dans l'autre, des objectivations “intéressantes” (c'est-à-dire surprenantes, instructives, décevantes ou suggestives), il a fallu
se rendre à l'évidence et reconnaître que toutes les grilles étaient formellement égales en droit. Les chercheurs étant en général des gens
bien élevés qui savent se montrer tolérants face à l'orientation sexuelle, religieuse ou politique de leurs pairs, l'extension du principe de
tolérance à l'orientation théorique d'autrui n'a posé alors aucun problème grave. Cela ne veut pas dire que la coexistence des grilles
d'analyse et des paradigmes soit nécessairement pacifique, mais seulement que, dans des univers de recherche où faire des choix
théoriques est devenu une sorte de droit du chercheur, les polémiques théoriques sont considérées désormais comme étant l'expression des
rivalités sans conséquence qu'implique ce nouveau pluralisme, puisqu'elles servent essentiellement à l'autopromotion de ceux qui ont le
mauvais goût de faire du tapage autour de leur “je-me-moi-ma-grille-mes-concepts-mes-recherches”. Par opposition à ce tapage rétrograde,
le véritable tribunal des choix théoriques est la sérénité même puisque c'est l'utilité de la recherche pour une meilleure compréhension d'un
des nombreux aspects des différents domaines de l’action efficace qui fonde en dernière instance tout jugement ».
In “La théorie a-t-elle un avenir?”, La revue du Mauss, 1er et 2ème trimestres 1992, n˚15/16.

61
des contexte et conditions d’émergence des dynamiques [économico-financières et environnementales] de
motivation des réformes forestières qui arrivent au Cameroun au début des années 1990, ainsi que pour
l’analyse des modalités de participation des différents acteurs concernés au processus d’institutionnalisation
(Dieudonné Bitondo, 2005) ou de transnationalisation (R. Nakanabo Diallo, 2012) des réformes à travers la
mise en œuvre du Régime des forêts adopté en 1994.

4.4. Hypothèse de recherche


En guise d’hypothèse, nous affirmons que les motivations non-endogènes –essentiellement économico-
financières et secondairement environnementales –des réformes forestières expliquent la marginalisation des
communautés villageoises dans la gouvernance forestière au Cameroun. Autrement dit, dans le sillage de
Fouad Nohra (1999) pour qui « Il est nécessaire de remonter aux représentations, valeurs et cadres
symboliques d’une société afin d’expliquer son rapport aux processus économiques » (1999)128, nous tentons
de montrer que la manifestation de dysfonctionnements irréductibles ainsi que l’émergence de contradictions
diverses dans la mise en œuvre du Régime des forêts de 1994 s’expliquent à partir de l’assise structurelle
toute entière non-endogène des réformes auxquelles ce Régime s’articule. En d’autres termes, notre
préoccupation de recherche consiste à démontrer que les dysfonctionnements irréductibles auxquelles
l’exploitation des ressources naturelles donne lieu au Cameroun constituent un problème éminemment
structurel dont nous pensons qu’il s’enracine dans les contradictions fondamentales de l’armature intellectuelle
opératoire en même temps qu’il procède des incohérences inhérentes aux conditions d’émergence et de
déploiement de la collectivité politique camerounaise ainsi qu’aux difficultés diverses qui découlent de son
statut géopolitique dans le système de dépendance internationale. En dépit de sa longueur, l’énonciation
formulée ci-après par Mbog Bassong (2013) permet d’étayer la préoccupation théorique centrale de notre
thèse et de mieux comprendre, dans la suite, les mécanismes cognitifs, intellectuels et institutionnels ainsi que
les implications structurelles qui expliquent la marginalisation des communautés locales dans l’économie
forestière au Cameroun. Pour le théoricien soudanais :
L’organisation d’une machine monopolistique du capital dont les ressorts nous apparaissent
historiquement et anthropologiquement situés en Occident, fonde de proche en proche une
culture qui étend ses métastases clientélistes à l’échelle planétaire. Aujourd’hui, toutes les
nations sous l’emprise de la culture économique du capital perdent le chemin de la valeur. Il est
donc clair comme l’indique Serge Latouche, que “Le développement économique apparait bien
comme un drame culturel”, dans cet affrontement qui se déploie sur le double plan
anthropologique i.e. social, politique, économique et institutionnel (colonisation); et cognitif,
notamment eu égard aux dysfonctionnement et contradictions que soulève la prétention
universalisante de la modernité.

128 Fouad Nohra (avec Serge Latouche et Hassan Zaoual), op. cit.

62
En l’occurrence et dans l’ensemble, deux projets de civilisation, occidental et africain,
s’affrontent : dans le premier, le projet du gain est institué comme une loi économique qui
prescrit que des investissements effectués par des agents puissent produire une croissance,
laquelle croissance est susceptible d’être maximisée du fait même de cette loi et des institutions
programmées pour la légitimer, en droit comme en philosophie [Ainsi naît l’individualisme
méthodologique et organisationnel des idées et des théories]. L’élite locale est son principal allié
dans l’organisation de sa pérennité. Dans le second, qui procède de la cosmologie kamite, il y a
une éthique de vie communautaire dont la valeur, convenablement perçue par les agents
économiques traditionnels, tente de résister aux institutions qui véhiculent les gains contrôlés
par l’élite locale129.

Quelques années plus tôt, Fabrice Parfait Oumba (2007) suggérait déjà la validité ultérieure de ces intuitions,
notamment en observant dans son étude comparative des politiques forestières du Cameroun et des autres
États du Bassin forestier du Congo à l’aune des exigences du développement durable que :
Beaucoup de pays en développement manquent des moyens financiers et humains nécessaires
pour la préparation, la mise en œuvre et le suivi de plans de gestion forestière, ainsi que des
mécanismes assurant la participation et l'engagement de toutes les parties prenantes à la
planification et à la mise en valeur des forêts. Lorsque ces plans existent, ils se limitent souvent
à assurer la production de bois, sans tenir compte des produits et services autres que le bois ou
du maintien des valeurs sociales et environnementales130.

Cinq ans après Parfait Oumba, Rozenn Nakanabo Diallo (2012) aboutit aux mêmes résultats dans son
analyse des politiques publiques environnementales mozambicaines, dans une thèse où la sociologue se
préoccupait de :
Questionner les ressorts de l‘action publique dans un contexte d‘extranéité, et plus finement
d‘interroger la nature de l‘État en action dans un régime d‘aide. Ce dernier implique une
dépendance aux nombreuses facettes, financière et cognitive principalement, mais il a aussi
ceci d‘intéressant de placer la question de la transnationalisation de l‘action publique au cœur
de l‘analyse. C‘est en somme une invitation à réfléchir sur les formes de “State-making” sur un
espace extraverti, caractérisé par les moindres capacités de l‘État à intervenir dans la
production de politiques publiques comme un acteur significatif. C‘est pourquoi nous raisonnons
sur l‘État dans une perspective d‘historicisation progressive, donc par définition non aboutie et
toujours en processus d‘acquisition –qui parvient, en jouant sur ses capacités faibles et
variables, à contraindre des espaces décisionnels131.

Il se dégage de cet ensemble d’éléments que les problématiques qu’abordent l’étude de Nakanabo Diallo et le
présent travail se recoupent tous les deux, sans pour autant se chevaucher. En effet, pendant que la première
se préoccupe de montrer comment l’État africain contemporain, dans sa prétention wébérienne à la
souveraineté, survit aux contraintes liées à la situation structurelle –ou plutôt au statut –de dépendance à

129 Mbog Bassong, op. cit.


130 Parfait Oumba, op. cit.
131 Op. cit.

63
l’égard de dynamiques, de forces et d’intérêts internationaux, au régime de l’aide au développement et aux
injonctions cognitives et politiques qui en découlent (Noam Chomsky, 2016, 2005, 2003, 1995; Guy Martin,
2014; Prao Yao, 2013; Samir Amin, 2012-1970; Mueni wa Muiu & Guy Martin, 2009; Nicolas Agbohou, 2008;
Immanuel Wallerstein, 2014, 2012, 2011, 2009, 2008, 2006, 2001, 1999, 1995, 1991, 1988, 1985, 1975, 1966;
Michel Norro, 1994; Bertrand Badie, 1992; Fernand Braudel, 1986, 1985, 1979, 1958, 1949; Thierry Michalon,
1984; Stanislas Spero Adotevi, 1972; etc.); la nouveauté décisive de notre thèse est de se préoccuper
essentiellement de la nature de ce que Nakanabo Diallo (2013) et avant elle Jean-François Bayart (1996)
appellent “extranéité” ainsi que de la relation de causalité que cette extranéité entretient avec les
dysfonctionnements manifestés dans la mise en œuvre de réformes économico-financières et
environnementales dont il est établi qu’elles sont abstraites de la structure historique de leurs contextes de
destination et dénuées d’enracinement endogène. Nous rejoignons en cela Bertrand Badie (1992) qui,
analysant le phénomène de l’importation du modèle occidental énonce que :
La dépendance ne tient pas seulement à l’imitation, mais renvoie aussi au dysfonctionnement
du produit importé. Les développementalistes fondaient leur théorie sur la certitude que la
diffusion des modèles occidentaux de gouvernement pouvait se réaliser d’une part sans rupture
de sens et d’autre part sans susciter, à travers les dissonances culturelles, de nouvelles
dysfonctions.
C’est pourtant bien la remise en cause de cette croyance qui a inversé, de la façon la plus
manifeste, les conclusions auxquelles étaient parvenus les tenants de la théorie du
développement : perdant leur fonction, c’est-à-dire leur efficacité et leur performance, les
produits importés deviennent également porteurs de significations nouvelles qui tendent à
reconstruire la scène politique dans laquelle ils s’insèrent selon des formes renouvelées qui, au
total, la rendent encore davantage dépendante.
Cette observation vaut pour les données du jeu politique; mais s’applique également au
système normatif, aux expressions idéologiques et au contenu du débat politique 132.

Éventuellement, l’on retiendra également l’illustration que Badie (1992) fait de cette énoncé avec l’instrument
que constituera le parti politique dans la dynamique de la collectivité politique moderne et dont le politologue
dit que l’analyse laisse transparaitre trois caractéristiques propres et inexportables de l’histoire occidentale :
D’abord la libération des modes de communalisation : les progrès de l’individualisation des
rapports sociaux, ceux, corrélativement, du mouvement associatif, le dépérissement des
solidarités communautaires ont, dès le XIXème siècle, initié sinon une demande, du moins une
potentialité de mobilisation partisane qui apportait une satisfaction en propre à l’individu-
adhérent, permettant ainsi à la sociologie wébérienne d’envisager le parti comme une
“sociation”.
Ensuite, l’histoire occidentale a intimement mêlé parti et conquête du pouvoir, en synchronisant
la formation des partis politiques et celle de la mobilisation électorale, alors que, dans les
anciens pays colonisés, la constitution des partis politiques s’est faite essentiellement dans la
perspective de revendiquer l’indépendance et de cristalliser des comportements de type

132 Op. cit.

64
nationaliste : au lieu de concourir pour le pouvoir, les partis ont été créés pour rassemble contre
la puissance tutélaire.
Enfin, dans l’histoire occidentale, le jeu partisan a été inventé, alors que s’étaient constitués,
souvent depuis plusieurs siècles, des clivages sociaux complexes dont l’exaltation alimentait en
même temps les dynamiques associatives et la compétition pour le pouvoir : l’ancienneté de ces
clivages créait des solidarités horizontales solides, alors que la pérennité des solidarités
verticales et des jeux de clientèle suscite en Afrique ou en Asie une recomposition de la
concurrence politique sur le mode du jeu factionnel qui bouleverse d’autant les principales
fonctions partisanes. Dès lors, dans cette confrontation politique dominée par cette logique,
l’insertion des fonctions d’élaboration programmatique, d’agrégation des intérêts ou d’éducation
militante, perd probablement toute chance d’efficacité, peut-être même toute raison d’être133.

Comme on le voit, le constat formulé aussi bien par F.P. Oumba que par Nakanabo Diallo suggère déjà
clairement la problématique de l’exogénéité des réformes en même temps qu’il conforte l’hypothèse du
caractère essentiellement prétexté et formel des institutions mises en place dans le sillage du nouveau régime
forestier. En effet, c’est cette omission théorique fondamentale de la recherche antérieure dans l’analyse des
réformes environnementales et de la gouvernance forestière au Cameroun que vise à combler la présente
thèse, notamment à travers l’opérationnalisation d’une perspective d’explication socio-historique, qui se veut
plus large, et d’une approche conceptuelle novatrice plus poussée et plus indiquée. Si cette optique
d’explication intègre nécessairement les acquis institutionnalistes tels qu’engrangés par la sociologie de
l’environnement, la science politique ou les diverses approches d’analyse des politiques publiques, la
préoccupation théorique de cette thèse entend davantage focaliser la recherche sociologique sur les
déterminants ultimes, sous-jacents134 ou structurels –ce qu’Immanuel Wallerstein (2000) appellent “lignes de
force” ou “trends séculaires”135 –qui rendent possible la marginalité des communautés locales, tout en
favorisant l’éclosion de dynamiques civiles et non étatiques de capacitation citoyenne et technique des
communautés villageoises et des acteurs locaux. Autrement dit, dans une démarche de recherche qui
dépasse les perspectives fonctionnaliste et institutionnaliste d’analyse développées dans leurs travaux
respectifs par Elinor Ostrom (2005, 1999, 1990)136, Jesse C. Ribot (2006, 2002), Arun Agrawal (2010, 2007,
2005, 2001)137, Krister Andersson (2005, 2002)138 ou Kouna Eloundou (2012)139 par où ces chercheurs et les
autres procèdent à l’évaluation de la décentralisation comme démarche durable de gestion des ressources

133 Op. cit.


134 La structure ou la trame opératoire à partir de laquelle se déploient les productions sociales apparentes ainsi que l’ensemble des phénomènes
institutionnels et manifestations politiques fonctionnelles, exactement comme « L'actif sous-jacent est l'actif réel sur le prix contractuel duquel porte le
produit dérivé concerné » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Actif_sous-jacent).
135 Dans son article "C'était quoi, le Tiers-monde?", paru dans Le Monde diplomatique, n°557, août 2000.
136 Ostrom, E., 2005, Understanding institutional diversity, Princeton University Press, Princeton, NJ; 1999, Self-governance and natural

resources management, CIFOR; 1990, Governing the Commons: the Evolution of Institutions for Collective Action, Cambridge CUP.
137 Arun Agrawal (avec Phelps, J. and Webb, E. L.), 2010, “Does REDD+ Threaten to Recentralize Forest Governance?”, in Science, Vol. 328, du 16

avril 2010; (avec M.C. Lemos) 2007, “A Greener Revolution in the Making? Environmental Governance in the 21st Century”, in Environnement, Vol.
49, p. 36-45; 2005, Environmentality. Technologies of Government and the Making of Subjects, Duke University Press; 2001, “Common Property
Institutions and Sustainable Governance of Resources”, in World Development, Vol.29, n°10.
138 Op. cit.
139 Op. cit.

65
forestières, la préoccupation théorique de notre thèse entend s’approprier l’approche sociologique qui selon
Goubert : « permet de rendre compte des déterminants majeurs ou fondamentaux, du pourquoi des
décalages, des inadaptations, des dysfonctionnements, des interdépendances qui n’apparaissent pas, des
productions de structures nouvelles, de la reproduction de structures anciennes et des équilibres dans le sens
des régulations et des autorégulations »140, dans la même démarche que celle que développe André Turmel
(2017) dans Le Québec par ses enfants. Une sociologie historique…141, par où il propose une explication de
certaines contradictions caractéristiques de la société québécoise d’aujourd’hui.

En effet, si les travaux antérieurs déterminent des éléments incontestablement pertinents permettant
d’identifier les facteurs mécaniques des contradictions manifestées dans la gouvernance forestière au
Cameroun, ils ne produisent pas un cadre général d’explication dans lequel l’ensemble des facteurs
dysfonctionnels identifiés s’articulent et se structurent : ils ne permettent pas, comme l’indique Giovanni
Busino (1986) :
[l’identification des] dynamiques sous-jacentes, c’est-à-dire ce que ses processus d’élaboration
et de développement ont d’invariant et d’intemporel, au-delà des éléments contingents qui nous
permet d’aller au tréfonds des évènements, ce tréfonds dans lequel nous pouvons intervenir par
des processus d’interaction; c’est-à-dire ce qui permet de saisir ce noyau fondamental, sinon de
la porter à la surface, du moins d’apprendre au chercheur qu’on ne peut pas se borner aux
apparences, et que les apparences ne sont rien d’autre que la partie émergée de l’iceberg et
qu’il faut aller plus loin pour comprendre tout le reste […]
Il n’y a pas de véritable compréhension de la réalité sociale sans une connaissance approfondie
de son histoire, de sa durée, de sa permanence, sans la prise en compte de notre condition
historique, sans la perception plus ou moins claire de ces phénomènes du passé qui seuls
peuvent élucider l’existence actuelle. Car la permanence du passé, seulement sa connaissance
peut nous aider à saisir la continuité des systèmes culturels et des structures sociales, à
comprendre les ruptures, les discontinuités émergeant à certains moments des relations entre
les hommes et la société, entre les caractères et la structure sociale. La bonne connaissance du
passé nous permet également de comprendre les contraintes, institutionnelles, culturelles et
sociales, auxquelles la conceptualisation sociologique demeure le plus souvent soumise, ainsi
que l’inertie qui résulte de l’opposition entre le passé et le présent, entre l’action et la théorie,
entre la connaissance et l’action sociale142.

André Gunder-Frank conforte notre intuition de façon décisive en occasionnant ipso facto le dépassement
d’une faute méthodologique fondamentale et d’une impasse théorique irréductible qui ont prospéré jusqu’ici
avec la méconnaissance, le confinement et la prescription de la critique historique africaine telle qu’elle est

140 Cité par G. Busino, 2003, op. cit.


141 André Turmel, 2017, Le Québec par ses enfants. Une sociologie historique (1850-1950), éd PUM, Montréal.
142 Op. cit.

66
campée et systématisée avec Cheikh Anta Diop (1954)143 et Théophile Obenga (1980)144. En effet, une
vingtaine d’années avant Busino, Gunder-Frank (1968) énonce que :
Nous ne pouvons espérer formuler, pour la majorité de la population mondiale qui souffre du
sous-développement, une théorie et une politique du développement adéquates, si nous ne
commençons par apprendre comment son histoire économique et sociale passée a pu
provoquer son actuel sous-développement.
Et pourtant, la plupart des analystes font porter leur étude seulement sur les pays métropolitains
développés et ne prêtent guère attention aux pays coloniaux et sous-développés.
C’est pourquoi la plupart de nos catégories théoriques et l’inspiration de notre politique de
développement ont été exclusivement le fruit de l’expérience historique des pays capitalistes
avancés d’Europe et d’Amérique du Nord.
Comme de toute évidence l’expérience historique des pays coloniaux et sous-développés a été
toute différente, la théorie courante ne reflète aucunement le passé de la partie sous-
développée du monde et ne reflète qu’en partie celui du monde pris dans son ensemble. Qui
plus est, notre ignorance de l’histoire des pays sous-développés nous induit à postuler que leur
passé, et même leur présent, ressemblent, aux stades antérieurs de l’histoire des pays à
présent développés. Cette ignorance et cette supposition faussent gravement notre conception
du sous-développement et du développement contemporain.
En outre, la plupart des études sur le développement et le sous-développement ne tiennent pas
compte de la nature des relations économiques et autres entre la métropole et ses colonies au
cours de l’histoire de l’expansion et du développement mondial du système mercantiliste et
capitaliste. C’est-à-dire que, en général, notre théorie ne peut expliquer la structure et le
développement du système capitaliste considéré dans son ensemble, ni ne rend compte des
raisons pour lesquelles il engendre simultanément le sous-développement dans quelques-unes
de ses parties, et le développement économique dans d’autres 145.

C’est à la suite de la démarche ainsi campée par Giovanni Busino –dont on voit bien qu’elle s’articule à
l’approche d’André Gunder-Frank (1970) rappelée plus haut –que nous postulons la nécessité de développer
une sorte d’anamnèse par laquelle il s’agit d’identifier les leviers structurels (Gilbert Rist, 2015, 2010, 1997,
1996, 1992; José Do Nascimento, 2008; Oscar Pfouma, 2004, 1993)146 à partir desquels s’explique la

143 Cheikh Anta Diop, 1954, Nations nègres et cultures, éd. Présence Africaine, Paris.
144 Théophile Obenga, 2005, L’Égypte, la Grèce et l’école d’Alexandrie : histoire interculturelle dans l’Antiquité. Aux sources égyptiennes de la
philosophie grecque, Khepera/L’Harmattan, Paris; 1990, La Philosophie africaine de la période pharaonique. 2780-330 avant notre ère, éd.
L’Harmattan, Paris; 1980, Pour une nouvelle histoire, éd. Présence Africaine, Paris; 1986, “Méthodologie en histoire africaine”, in Les Cahiers du
CELTHO, n°1, Niamey; 1983, “De l'État dans l'Afrique précoloniale : le cas du royaume de Kouch dans la Nubie ancienne”, in Présence Africaine, n°
127-128, 3ème et 4ème trim., Paris; 1981, “Nouveaux acquis de l'historiographie africaine”, in Éthiopiques, n° 27, juillet 1981, Dakar; 1972, “Esquisse
d'une morphologie de l'histoire africaine”, in Présence africaine, n° 83, Paris; 1971, “Connaissance du passé humain de l'Afrique”, in Présence
africaine, numéro spécial, "Réflexions sur la première décennie des Indépendances en Afrique noire", 3 ème trim., Paris; 1970, “Méthode et conception
historique de Cheikh Anta Diop”, in Présence Africaine, n° 74, Paris; 1970, “Méthodologie de l'histoire africaine. Sources locales”, in Africa Rivista,
année XXV, décembre 1970, Rome; 1969, “L'Afrique dans l'Antiquité”, in Présence Africaine, n° 72, Paris.
145 André Gunder-Frank, 1968, Capitalisme et sous-développement en Amérique latine, éd. Maspero, Paris.
146 Lire :

- Gilbert Rist, 2015, Que reste-t-il du “développement”?, éd. La Découverte, Paris; 2014, “Le développement durable : les habits neufs du
développement”, conférence donnée dans le cadre de l’Université d’automne de l’Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société,
Université Laval; 2010, L’économie ordinaire. Entre songes et mensonges, éd. Presses de Sciences po, Paris; 2002, “Le développement : habits
neufs ou tenue de camouflage?”, in Défaire le développement, Refaire le monde. Atelier 1 : Les habits neufs du développement, Actes du
colloque organisé en 2002 à Paris sur “L’après-développement”, avec La ligne d’horizon et Le Monde Diplomatique, accueilli par le Programme
MOST, au Palais de l'UNESCO les 28 février, 1er, 2 et 3 mars (http://www.web.ca/~bthomson/decroissance/actes_colloque_2002.html); 1997, La
mondialisation des anti-sociétés. Espaces rêvés et lieux communs, éd. Cahiers de l’IUED, Genève; 2015 (1996), Le développement. Histoire
d’une croyance occidentale, éd. [4ème, revue et augmentée] Presses de Sciences po, Paris; 1992 (avec Marie-Dominique Perrot et Fabrizio Sabelli),

67
marginalisation chronique des communautés locales dans la gouvernance forestière au Cameroun. Comme
c’est le cas dans l’analyse par laquelle Thomas Bierschenk (2010) parle “d’amnésie structurelle” :
Il s’agit de repenser les effets combinés des interventions de développement, effets qui vont au-
delà de ceux qu’impliquent une politique ou un projet individuel, et qui sont par conséquent
“hors-champ” pour une approche empirique qui tend à se focaliser sur un projet particulier. La
dépolitisation et la traduction techniciste ont été identifiées comme deux effets potentiels
combinés générés par la somme de nombreuses interventions individuelles de développement;
“l’amnésie structurelle” pourrait en être un troisième.
Il s’agit également de relier le “développement” à d’autres pratiques de “production du monde”,
et dans sa volonté de mettre en relation données empiriques relatives à des micro-événements
–pour laquelle une anthropologie du développement centrée sur les acteurs est particulièrement
bien équipée –avec des processus de plus grande envergure –qui sont plus difficiles à saisir
avec l’outillage méthodologique classique de l’anthropologie. Une grande partie de
l’anthropologie du développement, celle, plus ancienne, centrée sur les projets, n’a pas réussi à
enchâsser ses micro-histoires dans des récits plus larges et à faire le lien entre analyse locale et
tendances globales147.

En effet, l’activité d’enracinement des préoccupations environnementales et démocratiques de la Réforme


forestière que vont déployer plus tard les ONG et autres acteurs de la société civile se fait sur l’opportunité
d’une double incompétence des communautés locales : l’incompétence citoyenne qui se mesure à la qualité et
au volume de leur participation à la collectivité politique, et l’incompétence technique sur la problématique
environnementale et la décentralisation (S. Ongolo et L. Brimont, 2015), deux dimensions qui elles-mêmes
reposent sur les conditions historiques problématiques de formation de l’État camerounais.

4.5. Objectifs de la recherche


Dès lors, la préoccupation essentielle de notre thèse est de montrer que la configuration actuelle que
manifeste la gouvernance forestière au Cameroun, notamment avec d’un côté la marginalisation des
communautés villageoises, et de l’autre côté une intense activité de suivi général du secteur des forêts mais
aussi d’empowerment des communautés locales par l’activité des OSC/ONG, s’explique à partir des
conditions d’émergence et de production de la réforme forestière, et dans l’ensemble, par les contraintes
structurelles (paradigmatiques, interscalaires et contextuelles) auxquelles le Cameroun en tant qu’État ou
collectivité politique est confronté. En d’autres termes, l’objet du présent travail est de montrer que du fait de
sa motivation non-endogène et essentiellement fondée sur des préoccupations macro-économiques,

La mythologie programmée. L’économie des croyances dans la société moderne, éd. Presses universitaires de France, Paris; 1992 (avec Majid
Rahnema et Gustavo Esteva), Le Nord perdu. Repères pour l’après-développement, Éditions d’en bas, Lausanne.
- José Do Nascimento, 2008, op. cit.
- Oscar Pfouma, 2004, Les Larmes du Soleil. Traduction et commentaire critique de trois Textes des Sarcophages égyptiens, éd. Menaibuc,
Paris; 2000, L'harmonie du monde. Anthropologie culturelle des couleurs et des sons en Afrique depuis l'Égypte ancienne, éd. Menaibuc,
Paris; 1996, Le nègre de Velasquez et le miroir de l'histoire, éd. Publisud, Paris; 1993, Histoire culturelle de l’Afrique noire, éd. Publisud, Paris.
147 Thomas Bierschenk, 2010, “Historiciser et localiser les approches. Anthropologie et développement”, Conférence plénière de l’Association pour

l’anthropologie du changement social et du développement (APAD), Bulletin de l’APAD, 32-33/2010.

68
économicistes ou financières (Jérémie Mbairamadji, 2009; Dieudonné Bitondo, 2005; Alain Karsenty, 1999;
Paul Dasse, 2003; Mikael Poissonnet & Guillaume Lescuyer, 2005; Jake Brunner & François Ekoko, 1999;
etc.), le label “environnemental” accolé aux réformes forestières ayant eu lieu au Cameroun au début des
années Quatre-vingt-dix participe moins d’une démarche environnementale authentique bien sentie qu’il ne
relève d’une dynamique non cohérente qui en fait une simple allégation rhétorique.

En effet, alors qu’une démarche environnementale authentique et cohérente –et non artificielle ou factice –
aurait fait des communautés villageoises des acteurs incontournables et centraux ainsi que les destinataires
par excellence, les réformes forestières qui aboutissent à la mise en place du Régime des forêts de 1994 ont
été non seulement motivées en dehors des dynamiques historiques constitutives de ce qui se présente
aujourd’hui comme la réalité camerounaise et des préoccupations existentielles endogènes, mais surtout elles
ont été élaborées en l’absence des communautés villageoises. Cette absence aux origines des Réformes
handicape la capacité de participation optimale des communautés villageoises à l’économie forestière en
même temps qu’elle remet en question toute la pertinence de la réforme environnementale dans le contexte
national. Antoine Lassagne (2005) qui a étudié la gestion des ressources forestières dans le Sud-Est du
Cameroun est formel : « Si dans les discours institutionnels et politiques dominants comme dans les énoncés
des programmes de coopération internationale, les formules consensuelles du “développement durable” et de
la “participation locale” se sont imposées de toute leur évidente bienveillance, leur mise en œuvre dans la
pratique ne sert guère la cause de ceux qui sont censés en être les bénéficiaires »148.

Cependant, formulée ainsi, cette base heuristique n’est réellement déterminante dans la théorie de la
marginalisation des communautés locales dans la gouvernance forestière au Cameroun que si elle est
complétée par son articulation à la trame structurelle qui soutend les premiers facteurs identifiés. Autrement
dit, l’explication de la marginalisation des communautés locales tient, en fin de compte et en dernière analyse,
aux facteurs structurels permettant d’expliquer l’absence des communautés villageoises ou portant sur
l’exclusion des communautés locales des conditions de motivation de la Réforme forestière et du processus
de construction du Régime forestier. C’est ce continuum structuré de facteurs et paramètres déterminants qui
permet d’expliquer la marginalité des communautés villageoises ainsi que la manifestation de
dysfonctionnements majeurs dans la mise en œuvre de la gouvernance forestière.

148Antoine Lassagne, 2005, “Exploitation forestière, développement durable et stratégies de pouvoir dans une forêt tropicale camerounaise”,
Anthropologie et Sociétés, vol. 29, n° 1.
Cette lecture de la réalité camerounaise est établie à la signature et confirmée une dizaine d’années plus tard par Christian Penda Ekoka, Expert
financier économiste et Conseiller technique à la présidence de la république du Cameroun [(!) : dans cet édifiant document sonore produit de
l’émission “Entretien avec…”, STV du jeudi 11 janvier 2018 : https://www.youtube.com/watch?v=aoZB0QXOtRk et/ou
https://www.youtube.com/watch?v=8zEAwlYGJLs).

69
Aussi notre thèse se donne-t-elle un double objectif. D’une part, il s’agit d’expliquer comment l’inexistante
participation des communautés locales dans l’émergence de la Réforme forestière et la construction de la Loi
des forêts de 1994 est due à l’irruption abrupte de l’État moderne colonial. En effet, la prétention élitiste et
rationaliste de coordination centralisée des affaires publiques va opérer un schisme social structurel entre les
éléments constitutifs de l’organisation moderne dominante et les communautés indigènes dans une démarche
arbitraire, exclusive et violente de constitution de la collectivité politique qui finit par mettre en doute la
légitimité endogène ainsi que toute la cohérence interne de l’État (Bertrand Badie, 1992; Thierry Michalon,
1984). D’autre part, il s’agit de montrer comment la structure historique dans laquelle se constitue un État
moderne colonial essentiellement déficient de sa dépendance à l’égard des dynamiques internationales
dominantes va inspirer la mise en place de réformes qui, du fait de leur abstraction endogène et de leur
désarticulation de la réalité et du vécu réel de la collectivité politique camerounaise vont se solder sinon par un
échec (Greenpeace, 2007; Karsenty, 2007), du moins par un ensemble de contradictions structurelles.

Cette démarche s’inspire des approches suggérées dans leurs préoccupations respectives épistémologiques,
théoriques et méthodologiques par Marc Jacquemain et Bruno Frère (2008)149, Gisèle Belem (2006)150, Jean-
Michel Berthelot et al (1998)151, Goulongo Mbara Guerandi (1997)152 ou Véronique Daou & Patrice Bigombe
Logo (2014, 2010)153, Daniel Compagnon (2011)154 ou Ongolo et Brimont (2015)155, en même temps qu’elle
s’inscrit dans la tradition sociologique d’analyse « des transitions micro-macro et la complexité des processus
agrégatifs » relevée par Dominique Raynaud156 et avant lui par Samir Amin (1970) ou René Passet (1996)157.
En effet, les enjeux mobilisés par l’exploitation industrielle des forêts tropicales comportent une part
déterminante de spécificité liée à aussi bien à l’identité propre des contextes indigènes concernés qu’à

149 Elieth P. Eyebiyi, 2009, “Marc Jacquemain, Bruno Frère, Pascal Balancier et Frédéric Claisse. Épistémologie de la sociologie. Paradigmes pour le
XXIème siècle”, in Lectures. Les comptes rendus, Revues.org.
L’auteur rend compte de Marc Jacquemain et Bruno Frère, 2008, Épistémologie de la sociologie. Paradigmes pour le XXIème siècle, éd. De Boeck
Supérieur, Bruxelles.
150 Gisèle Belem, 2006, “Le développement durable en Afrique : un processus sous contraintes. Expérience de l’industrie minière malienne”, in VertigO,

Vol.7, n°2.
151 Jean-Michel Berthelot, 1998, “Les nouveaux défis épistémologiques de la sociologie”, Sociologie et sociétés, vol. 30, n°1.
152 Goulongo Guerandi Mbara, 1997, L'étude des contraintes extérieures dans le processus de développement en Afrique : le cas du Burkina

Faso, Thèse de doctorat, Université Paris V René Descartes.


153 Daou Dominique Joiris et Patrice Bigombe logo (avec Sévérin Cécile Abéga), 2014, “La gestion participative des forêts en Afrique centrale : logique

développementiste, gouvernance anti-participative et stratégies d’acteurs”, in Revue d’ethnoécologie, n°6; Daou Dominique Joiris & Patrice Bigombe
logo (sous la coordination de), 2010, Gestion participative des forêts d’Afrique centrale, éd. Quae, Versailles.
154 Daniel Compagnon, 2015, “Réalité multiscalaire et articulations multiniveaux dans la gouvernance environnementale globale”, in François Gemenne

(dir.), L’enjeu mondial : l’environnement, éd. Presses des sciences po, Paris; 2013, “L’environnement dans les RI”, in Thierry Balzacq et Frédéric
Ramel (dir.), Traité de relations internationales, éd. Presses de Sciences Po, Paris; (avec Sander Chan and Aysem Mert), 2012, “The Changing Role
of State”, in Frank Biermann and Philipp Pattberg, Global Environmental Governance Reconsidered, MIT Press, Cambridge; (avec Fanny Florémont
et Isabelle Lamaud), 2011, “Sub-Saharian Africa. Fragmented Environmental Governance without Regional Integration”, in Lorraine Elliott et Shaun
Breslin (eds), The Regionalization of Environmental Governance, Routledge, Londres; (avec François Constantin, dir.), 2000, Administrer
l'environnement en Afrique. Gestion communautaire, conservation et développement durable, éd. Karthala-Ifra, Paris.
155 Op. cit.
156 Dominique Raynaud, 2011, “L’épistémologie sociologique confrontée aux avancées de la physique statistique”, Université Pierre-Mendès-France.
157 Op. cit.

70
l’histoire de ces contextes (Amartya Sen, 2005)158, notamment en Afrique, dans la même logique que
développe Bertrand Badie (1992) quand il traite de “la territorialisation du monde” :
Le principe de territorialité échappe souvent à la critique tant il semble évidemment universel.
Composante décisive du jeu étatique, il est pourtant lié à une histoire; élément essentiel du
système international contemporain, il heurte également de plein fouet quantité d’autres
histoires, ainsi que bon nombre d’autres cultures. Si les relations internationales sont aujourd’hui
plus ou moins conformes au modèle interétatique aronien, c’est d’abord parce qu’elles se sont
constituées à partir de l’universalisation forcée de l’idée de territoire […] Cet alignement forcé
sur l’histoire occidentale ne va sans susciter incertitudes et tensions qui révèlent de manière
éclatante les limites d’une telle exportation. En effet, l’incertitude contemporaine de l’ordre
territorial tient essentiellement à deux séries de facteurs : la persistance des cultures
communautaires qui ne cesse de les remettre en cause et de les dénaturer; les systèmes de
sens, qui se dégagent des différentes cultures, donnant à l’idée de territoire une signification
autre, qui ne saurait se ranger dans ce que lègue et ce qu’exporte la culture occidentale159.

C’est cette intuition fondamentale qui trame particulièrement les travaux de Gilbert Rist (2015, 2010, 1997,
1996, 1992)160, José Do Nascimento (2008)161 ou Oscar Pfouma (1993)162 et que formule implacablement
Serge Latouche (1999) quand il affirme que « L’échec du développement s’explique par le fait que les
modèles économiques issus de la science économique occidentale se trouvent confrontés à l’inadéquation du
site »163.

L’analyse sociologique de la marginalité des communautés locales dans la gouvernance forestière au


Cameroun nous situe d’emblée au cœur de la modernité africaine. Le contexte à partir duquel se développe
cette préoccupation épistémologique est pluriel et s’enracine dans trois bassins : historique, intellectuel et
environnemental. Le bassin historique, celui qui rend compte de l’évolution de l’Afrique depuis l’Antiquité
jusqu’à la naissance des collectivités politiques actuelles; le bassin de la modernité capitaliste, qui décrit
l’évolution de l’organisation sociale, la nature et la vocation de la collectivité politique, l’évolution du statut et
des responsabilités de l’institution étatique dans la mise en œuvre de l’action publique et la production des
richesses; le bassin environnemental, à partir duquel émergent, s’élaborent, s’affirment et se développent les

158 Amartya Sen, 2005, La démocratie des autres. Pourquoi la liberté n’est pas une invention de l’Occident, éd. Payot, Paris.
159 Op. cit.
160 Gilbert Rist, 2015, Que reste-t-il du “développement”?, éd. La Découverte, Paris; 2014, “Le développement durable : les habits neufs du

développement”, conférence donnée dans le cadre de l’Université d’automne de l’Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société,
Université Laval; 2010, L’économie ordinaire. Entre songes et mensonges, éd. Presses de Sciences po, Paris; 2002, “Le développement : habits
neufs ou tenue de camouflage?”, in Défaire le développement, Refaire le monde. Atelier 1 : Les habits neufs du développement, Actes du
colloque organisé en 2002 à Paris sur “L’après-développement”, avec La ligne d’horizon et Le Monde Diplomatique, accueilli par le Programme
MOST, au Palais de l'UNESCO les 28 février, 1er, 2 et 3 mars (http://www.web.ca/~bthomson/decroissance/actes_colloque_2002.html); 1997, La
mondialisation des anti-sociétés. Espaces rêvés et lieux communs, éd. Cahiers de l’IUED, Genève; 2015 (1996), Le développement. Histoire
d’une croyance occidentale, éd. [4ème, revue et augmentée] Presses de Sciences po, Paris; 1992 (avec Marie-Dominique Perrot et Fabrizio Sabelli),
La mythologie programmée. L’économie des croyances dans la société moderne, éd. Presses universitaires de France, Paris; 1992 (avec Majid
Rahnema et Gustavo Esteva), Le Nord perdu. Repères pour l’après-développement, Éditions d’en bas, Lausanne.
161 Op. cit.
162 Oscar Pfouma, 1993, Histoire culturelle de l’Afrique noire, éd. Publisud, Paris.
163 Op. cit.

71
problématiques écologistes, environnementales et démocratiques qui appellent à une nouvelle modernité. En
effet, dans une démarche de recherche qui se préoccupe d’articuler le statut historique de l’État africain
(Bertrand Badie, 1992; Thierry Michalon, 1984) et l’opérationnalité des contraintes structurelles
paradigmatiques, interscalaires et contextuelles, le corpus épistémologique et la préoccupation théorique de
notre thèse portent moins sur le destin écologique des forêts tropicales que sur trois implications existentielles
que le paradigme de gestion ou le système de gouvernement (Bruno Latour, 2008; Michel Foucault, 1982,
1980, 1979, 1978)164 de l’exploitation industrielle capitaliste des forêts tropicales mobilise (Peter Dauvergne,
2013, 2008, 1997)165 : le malaise structurel qu’en vivent les communautés villageoises des régions forestières
d’exploitation, et subséquemment de manière générale; l’ontologie politique de l’État camerounais (la nature
de la collectivité politique en place, la nature de son fonctionnement et de son déploiement en tant que telle, la
nature de sa projection dans l’histoire globale en tant que collectivité politique); et par conséquent la qualité
des institutions, le rôle et la responsabilité collective des élites dirigeantes.

C’est le lieu approprié de rappeler du point de vue de l’inflexion paradigmatique évoquée, que la gouvernance
environnementale est une démarche intellectuelle et une approche opérationnelle de gestion des affaires
publiques dont on dirait qu’elle est consubstantielle à “la modernité réflexive” ainsi qu’aux dynamiques de
remise en question ou de dépassement de la modernité classique (Bastien Sibille, 2006)166. En effet, le
paradigme de la gouvernance est affirmé pour éclater le centre classique du gouvernement qu’il entend
désormais distribuer et enraciner dans une pluralité de périphéries compétentes, dissolvant relativement ainsi
la hiérarchie traditionnelle de conduite des affaires publiques dans la collaboration des dynamiques d’acteurs
et de réseaux d’acteurs. Dans la logique de Jacques Theys (2003)167, cette désintermédiation qui rend
possible l’opérationnalité institutionnelle à travers une modalité nouvelle directe et horizontale d’interaction
entre les acteurs, repose fortement sur le souci rationnel de réduire les “coûts de transaction” compris comme
ressources mobilisées, prix à payer ou conséquences liés aux “risques” du modèle conventionnel ou classique
de gouvernement (Jean Mercier & Julien Domingue, 2012). Avec l’avènement du paradigme de la
gouvernance, le pouvoir devient un concept d’analyse transactionnel du point de vue théorique; et du point de

164 Lire :
- Bruno Latour, 2008, “Pour un dialogue entre science politique et science studies”, in Revue
française de science politique, Vol. 58, 2008/4.
- Michel Foucault, 2004, Sécurité, Territoire, Population. Cours au Collège de France, 1977-1978, éd. Gallimard, Paris; 2001, Dits et écrits : 1954-
1988, éd. Gallimard, Paris.
165 Peter Dauvergne, (avec Jane Lister), 2013, Timber, éd. Polity, Cambridge; 2013, Eco-Business: A Big-Brand Takeover of Sustainability, éd.

Massachusetts Institute of Technology Press; 2008, The Shadows of Consumption. Consequences for the Global Environment, éd. Massachusetts
Institute of Technology Press; 1997, Shadows in the Forest: Japan and the Politics of Timber in Southeast Asia (Politics, Science, and the
Environment), éd. Massachusetts Institute of Technology Press.
166 Bastien Sibille, 2006, “Gouvernance et gouvernementalité”, article publié dans le cadre des activités de la Chaire de recherche du Canada en

citoyenneté et gouvernance, Université de Montréal (http://www.cccg.umontreal.ca/pdf/sibille_gouvernance_et_gouvernementalite.pdf).


167 Jacques Theys, 2003, “La Gouvernance, entre innovation et impuissance. Le cas de l’environnement”, in Réseau Développement durable et

territoires Dossier 2, Gouvernance locale et Développement Durable. Au besoin, lire également de Theys : 1993, “Le savant, le technicien et le
politique”, in La nature en politique ou l’enjeu philosophique de l’écologie, éd. L’Harmattan, Paris.

72
vue opérationnel, un instrument social transactionnel, permettant de réduire les risques écologiques et les
coûts sociaux (Michel Casteigts, 2003, 2009).

Cela étant, c’est à la lumière des perspectives alléguées par les réformes environnementales que s’est
développé un univers de plus en plus structuré d’organismes dits de la société civile (OSC), d’acteurs de la
recherche et d’autres acteurs non gouvernementaux, dont l’activité contribue, eu égard aux diverses
contraintes structurelles à l’œuvre, à la cristallisation des différentes préoccupations de gouvernance et de
durabilité (écologique, économique et sociales), dans :
Ces dynamiques dont Rozenn Nakanabo Diallo (2013) dit qu’elles ne sont pas propres à
l‘Afrique ou aux pays en développement en général. Jobert (2003) pointe ainsi la montée en
puissance de réseaux internationalisés d‘expertise et de philanthropie qui représente un
processus de contournement des institutions publiques classiques, au profit de “grands
assembleurs privés” dont l‘autorité publique devient la captive. Selon cette lecture, il y aurait
dessaisissement “volontaire” du politique, et contournement de la bureaucratie via le
développement d‘agences autonomes […] Ces enjeux se rattachent finalement à la question
plus large de la gouvernance globale, qui fait référence au fait que les États sont de plus en plus
incorporés au sein de réseaux transnationaux d‘acteurs et d‘institutions. Dans cette optique, ça
n‘est pas tant l‘idée de fragmentation de la souveraineté qui est interrogée, mais plutôt “the
proliferation of forms of power, control and authority that increasingly lie outside national
governments” (Duffy, 2006b) 168.

C’est ce que, traitant spécifiquement de l’implantation de l’Évaluation environnementale au Cameroun,


Dieudonné Bitondo (2005, 2008) appelle le “processus d’institutionnalisation”. En effet, il ressort des travaux
du chercheur :
qu’au-delà des considérations purement techniques, l’institutionnalisation de l’évaluation
environnementale du développement routier en forêt doit s’inscrire dans une démarche
adaptative, attentive aux particularités contextuelles, étant donné qu’elle est soumise aux
pressions incessantes des acteurs […] Cette évolution est quelque peu contraire au schéma
classique […] Mais de toute évidence, plutôt que de passer par un tel processus qui aurait
nécessité plus de temps, le Cameroun et la Banque mondiale ont opté pour une autre
solution169.

Pour Alain Karsenty (2016), « Many other policy orientations have also been promoted : compulsory
management plans for concessions and protected areas, reorganization of the institutions involved in forest
supervision and plantations, etc. The achievements in terms of disclosure of public information, transparency
and accountability have been quite impressive (Giuseppe Topa et al., 2009) […] »170.

168 Op. cit.


169 Op. cit.
170 Op. cit.

73
C’est en fin de compte l’inflexion intellectuelle suggérée par les allégations environnementales de la Réforme
forestière de 1994 qui nous a permis d’envisager une démarche d’analyse plus approfondie des
dysfonctionnements manifestés dans la mise en œuvre de la gouvernance forestière, une démarche d’analyse
qui entend dépasser l’approche courante portée jusqu’ici sur les éléments organiques et fonctionnels, pour se
préoccuper d’identifier les structures opératoires qui les soutendent. En partant de l’énonciation d’Arnoldussen
et al (2008) selon laquelle :
L'approche participative alléguée aux réformes environnementales mises en place au début des
années 90 dans divers pays africains ne contribue pas à une meilleure gestion des ressources
naturelles en Afrique centrale. Les projets de développement et de conservation sont confrontés
à des difficultés importantes, notamment en raison d'une incompréhension flagrante des réalités
sociales et politiques. L'adhésion des populations locales aux projets dits “participatifs” reste dès
lors trop faible. En fait, que ce soit au Cameroun, au Gabon, en République centrafricaine, dans
les deux Congo ou au Tchad, l’approche participative est arrivée soit trop tôt, soit trop tard171.

Dès lors, la marginalité des communautés villageoises dans l’économie forestière au Cameroun peut être
considérée comme un phénomène réverbère par excellence, tant elle concentre tous les enjeux et dimensions
essentiels constitutifs de la collectivité politique camerounaise, tant elle cristallise toutes les dynamiques
structurelles et tous les aspects caractéristiques de ce qu’est l’État du Cameroun, dans son rapport avec le/au
monde.172 En effet, la diversité des enjeux intellectuels et culturels, institutionnels et politiques, écologiques,
économiques et sociaux mobilisés par la forêt, ses ressources et leur exploitation173 font de l’économie
forestière que son analyse permet d’éclairer l’ensemble du système dont cette économie fait partie. Pour
Marie-Claude Smouts (2001) :
Par la multiplicité et l’enchevêtrement des problèmes rencontrés, la politique de sauvegarde des
forêts tropicales offre aux spécialistes des relations internationales un splendide terrain
d’observation. Elle permet d’étudier le fonctionnement de la société mondiale à partir d’un cas
concret soulevant la quasi-totalité des questions actuellement débattues dans la discipline.
Justement, en restituant entièrement notre lecture des enjeux des forêts tropicales dans le
champ de l’action internationale, notre démarche vise à contribuer à la réflexion en cours sur la
nouvelle sociologie des relations internationales en ce temps où les grands paradigmes
fondateurs de la discipline sont remis en cause –État, puissance, souveraineté, etc. –sans que

171 Ce constat est uniformément formulé dans leurs divers travaux par les différents auteurs de l’ouvrage collectif consacré à l’analyse des dynamiques
de gouvernance environnementale actuellement à l’œuvre en Afrique, Gouvernance et environnement en Afrique centrale : le modèle participatif
en question, éd. Tervuren, MRAC.
172 Cette disponibilité épistémologique spécifique de l’économie forestière, de la forêt, de l’exploitation des forêts tropicales, des politiques forestières au

Cameroun est clairement établie par une abondante littérature scientifique. On peut référer entre autres auteurs à :
- Paolo Omar Cerutti, Luca Tacconi, Guillaume Lescuyer & Robert Nasi, 2013, “Cameroon's Hidden Harvest: Commercial Chainsaw Logging,
Corruption, and Livelihoods”, Society and Natural Resources Review, 26/5;
- Alain Karsenty, 2005, “Les enjeux des réformes dans le secteur forestier en Afrique centrale”, in Cahier du GEMDEV n°30 – Quel développement
durable pour les pays en développement?);
- Guillaume Lescuyer, 2005, “La biodiversité, un nouveau gombo?”, in Natures Sciences Sociétés, n°3, vol. 13);
- Marie-Claude Smouts, 2001, op. cit.;
- Etc.
173 Luc Bouthillier dit de la forêt qu’elle « n’est pas qu’un tas de bois et une source de matières premières, mais plutôt un territoire de même qu’un

écosystème susceptible de produire divers autres services ». In Réginald Harvey, le journal Le Devoir, édition du 16 avril 2011.

74
les mécanismes du transnationalisme qui tend à les remplacer soient encore bien élucidés. Ce
faisant, le dessein n’est pas étranger aux préoccupations des forestiers.
D’abord, parce que la dimension internationale est omniprésente dans la gestion forestière des
pays tropicaux : la bataille des normes autour de l’aménagement durable se déroule à l’échelle
internationale et les nouveaux mots d’ordre sont imposés de l’extérieur; les acteurs intervenant
dans l’exploitation ou la conservation de la forêt sont souvent étrangers au pays; le poids des
institutions financières internationales et des bailleurs de fonds est constant; les bois tropicaux
sont des produits de base qui s’échangent sur le marché international et se trouvent soumis à
tous les aléas de la conjoncture mondiale.
Ensuite, parce que le caractère multifonctionnel de la forêt implique un dialogue entre les
sciences humaines et les autres sciences encore plus poussées qu’ailleurs.
Enfin, et surtout, parce que se pose une question de fond commune à tous : comment relever
collectivement un défi qui intéresse l’humanité tout entière174 dans un monde politiquement
fragmenté soumis à des logiques locales à la fois interdépendantes et contradictoires?175.

C’est le même potentiel réverbère du phénomène forestier que Alain Karsenty (2005) relève également ici
quand il indique que :
Le secteur forestier, du fait notamment de la globalisation des questions d’environnement, n’est
plus l’objet exclusif des arrangements d’un cercle discret réunissant des spécialistes forestiers
de l’administration ou des organisations internationales et une poignée d’entreprises connues de
longue date. Les ONG d’environnement et de développement, nationales ou occidentales, ont
investi le champ de l’information (et de la dénonciation) sur l’exploitation forestière. Les projets
de toute sorte (conservation, conservation-développement, aménagement pilote, système
d’information, etc.) ont fleuri ces quinze dernières années et ont transformé ce secteur d’activité
naguère assez opaque en l’un des plus documentés. Cette explosion de l’information ne pouvait
manquer d’avoir des répercussions sur le plan de la gouvernance du secteur. D’autant qu’à la
faveur des mesures d’ajustement ou des prêts de reconstruction économique, les institutions
financières internationales que sont la Banque mondiale et le Fonds monétaire international vont
susciter un ensemble de réformes structurelles qui n’oublient pas le secteur forestier, et vont
conduire à des modifications profondes de certains équilibres176.

Aussi peut-on dire de la présente thèse qu’elle traite de l’économie politique forestière177 dans le cadre d’une
sociologie consacrée à l’analyse des implications sociales et systémiques inhérentes à la gestion de
l’exploitation des ressources forestières en contexte africain. C’est également dans ce sillage notionnel que
nous parlons d’économie forestière, notion par laquelle nous opérationnalisons le rapport utilitariste que les

174 Nous nous référons abondamment à l’ouvrage de Marie-Claude Smouts –Forêts tropicales, jungle internationale. Les revers d’une écopolitique
mondiale, éd. Les presses de Sciences Po, Paris, 2001 –pour témoigner de son importance dans la documentation des enjeux internationaux que
mobilisent les problématiques économiques et écologiques dans l’exploitation des forêts. Cependant, l’intellectualité dans laquelle Smouts élabore cet
immense travail n’est pas indemne d’arbitraires idéologiques, ce qui ne manque pas de mitiger la validité scientifique de ses analyses.
En l’occurrence, on peut se demander pourquoi cette préoccupation –dont on ne saurait nier la légitimité –est formulée pour les forêts tropicales et pas
pour d’autres questions…
175 Marie-Claude Smouts, 2001, op. cit.
176 La remarque que nous avons formulée plus haut quant au travail de M.-C. Smouts sur la mitigation de la validité théorique des analyses par les

arbitraires idéologiques qui les charpentent vaut entièrement pour Alain Karsenty auprès de qui nous nous abreuvons abondamment aussi et dont nous
reconnaissons qu’il est incontestablement l’un des meilleurs spécialistes de l’économie forestière dans le Bassin du Congo.
Alain Karsenty, 2005, op. cit.
177 Traitant de la prise en charge internationale des forêts tropicales, Marie-Claude Smouts parle d’écopolitique, terme contracté pour dire l’économie

politique.

75
hommes en tant qu’individus, communautés et groupes d’intérêts divers construisent à l’égard de la forêt dont
ils exploitent les ressources. Nous utilisons donc indifféremment comme des synonymes, économie forestière,
exploitation industrielle de la forêt et gouvernance forestière, pour désigner autant l’infrastructure
institutionnelle que le contenu des activités, autant le cadre institutionnel et réglementaire de gestion que
l’ensemble des activités de production et d’exploitation dont la forêt et ses ressources font l’objet, que ces
activités soient explicitement définies par le système institutionnel formel –que nous désignons ici par le terme
“gouvernance” –ou qu’il s’agissent d’activités qui se développent par défaut en fonction de l’inadaptabilité du
système institutionnel. Étant entendu que les enjeux théoriques essentiels visés par l’analyse ne dépendent
pas des nuances techniques qui différencieraient les trois termes.

Il conviendrait de rappeler ici que la sociologie de l’environnement dans laquelle s’enracine notre thèse
participe éminemment de la sociologie politique dont nous pensons qu’elle constitue l’une des plus parfaites
inflexions, notamment au regard de la diversité des acteurs en interaction, des représentations et des intérêts
dont elle se préoccupe, et par conséquent à la diversité des modes et mécanismes de déploiement de l’action
publique qu’elle présente à l’analyse. La question politique telle que développée dans l’étude des sociétés
modernes, notamment à travers les problématiques de l’action publique, du débat public, de la démocratie, de
la participation, de la délibération ou de la représentation, est une question éminemment complexe, a fortiori
dans les conditions historiques et structurelles propres aux collectivités politiques modernes d’Afrique telles
que le Cameroun. Yves Sintomer (2011) identifie habilement les principaux enjeux mobilisés par la question
politique dans le contexte de la modernité politique à travers son analyse des notions de “participation” et de
“délibération” :
Nous sommes en effet les seuls à penser qu’un homme ne se mêlant pas de politique, dit-il en
paraphrasant la maxime de Périclès rapportée par Thucydide, mérite de passer, non pour un
citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile. Nous intervenons tous personnellement dans le
gouvernement de la cité au moins par notre vote ou même en présentant à propos nos
suggestions. Car nous ne sommes pas de ceux qui pensent que les paroles nuisent à l’action.
Nous estimons plutôt qu’il est dangereux de passer aux actes avant que la discussion nous ait
éclairés sur ce qu’il y a à faire [avant de planter clairement le décor problématique inhérent au
gouvernement démocratique dans les sociétés modernes] La notion de politique, comprise
comme impliquant non seulement des luttes pour le pouvoir d’État –un trait commun à la plupart
des sociétés –, mais encore une discussion publique institutionnalisée des choses de la cité. De
ce point de vue, politique et délibération publique constituent des notions intrinsèquement liées.
D’emblée cependant, la question se posa de savoir si ces dispositifs favorisaient une prise de
décision raisonnable ou à l’inverse la manipulation des opinions d’un peuple ignorant –une
thèse défendue par la grande majorité des écrits de l’époque, et notamment par Platon. Une
délibération publique bien menée était-elle compatible avec la participation du grand nombre?
Avant même d’être philosophique, la question constituait un enjeu politique fondamental178.

178 Yves Sintomer, 2011, “Délibération et participation : affinité élective ou concepts en tension?”, in revue Participations, n°1.

76
Ce propos est fondamental comme on le verra tout au long du texte, eu égard aux deux préoccupations
théoriques portant d’une part sur les implications causales de l’absence des communautés locales à la
motivation des réformes forestières et à l’élaboration du nouveau régime des forêts sur les performances de la
gouvernance forestière; et d’autre part sur la problématique de l’État africain.

77
5. Notions centrales de la thèse et concepts d’analyse

5.1. La notion de “contraintes”


Du point de vue sémantique, la notion de contraintes –que nous choisissons d’emblée d’employer au pluriel –
présente une signification identique à celle que renvoient d’autres notions telles que “facteurs”, “déterminants”
ou “causes”. A priori, tous ces termes seraient effectivement interchangeables dans le cadre d’un discours
courant, et nous pourrions valablement parler autant de facteurs, de déterminants ou de causes que nous
parlons de contraintes. Cependant, dans l’optique spécifique, la préoccupation propre et la problématique
particulière développées dans la présente thèse, nous assumons qu’il s’agit davantage et essentiellement de
contraintes, dans la mesure où partant d’une perspective réflexive critique qui entend synthétiser et donc
construire leur cohérence et dépasser tout le référentiel théorique fonctionnaliste sur lequel s’est développé le
corpus actuel d’analyse et d’évaluation des réformes environnementales en Afrique dans le secteur forestier,
nous inscrivons cette démarche épistémologique et théorique dans une sorte d’ontologie politique à laquelle
convient définitivement la notion de contraintes.

Au contraire, les notions de facteurs, de déterminants et de causes sont soit trop circonstanciées et limitées
par des situations particulières, soit trop vagues, et ne satisfont pas toutes les caractéristiques identifiées au
concept de contraintes.

Cette conception de la notion de contraintes se dégage particulièrement de la définition opérationnelle que la


littérature mobilise dans des domaines aussi variés que la physique, la sociologie, la physiologie, le droit,
l’histoire, la géologie, la science politique, la psychologie, etc. La réalité de contraintes semble permanente et
se découvre constamment quand il s’agit pour ces différentes disciplines de traiter de phénomènes aussi
divers que la viscosité (Jean-François Devillers), le droit (Jean Dabin), la domination (Claude Rivière),
l’écoulement du sang et la cinétique des fluides (Claude François, Bernard Le Fur; Jean-François Stoltz; Jean-
Loup Delcroix), le fait social (Claude Javeau), les roches (Jean Aubouin, Roger Coque; Pierre Habib), les
normes et déviances (François Bourricaud; Michel Lallement), la résistance des matériaux (Jean Lemaitre), la
rhéologie (Bernard Persoz, Dragos Radenkovic), l’architecture (Michel Benicourt, Raymond Servières), les
métaux (Georges Cizeron; Gilbert Frade), etc.179. C’est à niveau seulement que notre démarche croise ce que
Raymond Aron (1948) appelle la subjectivité –qu’il distingue aussi bien de la croyance que du positivisme –par
où « Les décisions du chercheur interviennent dans la construction des termes, la sélection des faits,

179 Encyclopædia Universalis (http://www.universalis.fr/recherche/?q=contraintes).

78
l’interprétation des ensembles. La connaissance scientifique, conclue-t-il, reste inséparable des hommes
vivants et de leur histoire. L’histoire implique des jugements synthétiques a priori »180.

Dans cette démarche d’ontologie politique, la notion de contraintes épouse toute la largeur et la profondeur de
la réalité. Les contraintes se trouvent au cœur de l’être-même, elles sont inhérentes à l’être auquel elles
participent et dont elles semblent consubstantielles. Les contraintes sont donc plus larges et plus profondes,
elles occupent une réalité plus permanente et plus ample, elles tapissent la réalité de part en part, elles sont
présentes dans toute la réalité, elles sont la réalité. Dès lors, il y aurait même comme une redondance à
conjuguer contraintes et de structure tant les deux notions, du point de vue de leur participation à l’être,
semblent consubstantielles et partagent les mêmes qualités, exactement comme quand René Passet (1996)
observe que « Nous sommes ici à l’intersection de plusieurs disciplines. L’économiste doit se doter des outils
qui lui permettent de dialoguer avec l’écologiste, le physicien, le biologiste… et de bénéficier des
enseignements que chacun, dans sa discipline, peut lui apporter. Faute de quoi, il se condamne à ne pouvoir
rendre compte d’aucune des conséquences que l’activité économique comporte pour son environnement. Ce
dialogue devient une exigence de la survie »181.

C’est ainsi qu’au regard de la diversité des dimensions épistémologiques abordées et des enjeux théoriques
examinés, l’approche méthodologique de la présente thèse ne saurait se satisfaire d’un confinement exclusif
dans une unique perspective d’analyse, étant donné, du reste, que la préoccupation fondamentale de notre
recherche se rend entièrement disponible à la définition que Samir Amin (1970) donne de la connaissance,
notamment quand il énonce que « La seule science possible est celle de la société, car le fait social est un : il
n’est jamais économique seulement, politique seulement ou idéologique seulement, etc., bien qu’il puisse
pertinemment être approché d’un angle particulier, celui qu’offrent les spécificités disciplinaires traditionnelles
pratiquées à l’université, l’économie, la sociologie, la science politique, etc. Mais cette opération d’approche
particulière n’a de chance de rester scientifique que si elle sait mesurer ses limites et préparer le terrain pour
la science totale »182.

Notre approche –qui participe de la sociologie critique –est donc en même temps plurielle, syncrétique,
synthétique et systémique. Principalement charpentée sur la socio-histoire, elle s’appuie essentiellement aussi
sur la sociologie de l’action publique, l’analyse de l’État africain et dans une bonne mesure sur le néo-
institutionnalisme. Au sujet de l’approche néo-institutionnaliste, il convient d’indiquer que la postulation du

180 Raymond Aron, 1981 [1948], Introduction à la philosophie de l’histoire. Essai sur les limites de l’objectivité historique [complétée par des
textes récents], éd. Gallimard, Paris.
181 Passet, R., 1996, L’Économique et le Vivant, éd. Economica, Paris.
182 Samir Amin, 1970, op. cit.

79
concept de contraintes structurelles et son opérationnalisation comme concept central d’analyse autour duquel
se développe notre thèse, s’articule parfaitement à la définition qu’André Lecours (2002) formule de l’approche
néo-institutionnaliste dont le politiste dit :
Le néo-institutionnalisme est une école qui a pour objectif de “structurer le politique” en
conférant aux institutions une importance théorique [...] En effet, le néo-institutionnalisme
suggère que l’analyste politique gagne à débuter avec les institutions plutôt qu’avec les acteurs.
Non pas que le monde néo-institutionnaliste soit exclusivement formé d’institutions et de
processus structurants. L'ontologie néo-institutionnaliste est constituée d'institutions coexistant
avec des acteurs, que ce soient des groupes, des individus, des classes sociales ou des élites
politiques. Le néo-institutionnalisme confère donc aux institutions la primauté théorique et
analytique. Parmi les trois catégories de néo-institutionnalisme, nous allons privilégier
l'approche sociologique qui conceptualise les institutions comme la formalisation de pratiques
socioculturelles183.

Cependant, c’est ici qu’il nous semble le plus pertinent de remarquer que la mobilisation des dynamiques
institutionnelles et des dimensions structurelles comme éléments moteurs ou primordiaux de l’explication ne
signifie pas la méconnaissance du rôle des acteurs. L’analyse par le concept de contraintes structurelles ne se
pose pas nécessairement a priori la question de son identité sociologique à l’égard du changement, de la
stabilité ou des implications inhérentes au rapport qu’un acteur développe à l’égard du changement ou de la
stabilité : sa préoccupation essentielle étant d’abord d’identifier et d’établir les éléments constitutifs des
structures opératoires à partir desquelles se développent les dynamiques sociales. Dans ce débat en même
temps épistémologique et méthodologico-théorique, il nous semble que les dimensions structurelles et les
dimensions institutionnelles se construisent nécessairement sur le déploiement et l’expression des acteurs. On
ne saurait donc parler ni d’exclusion ni de contradiction, un peu comme s’il s’agissait de :
réconcilier deux types d’explications souvent dissociées : les explications institutionnelles qui
analysent les structures et les organisations, et les explications culturelles qui analysent les
attitudes et les valeurs partagées […]
[Et Hervier-Lartigot de préciser que] Le néo-institutionnalisme sociologique constitue un cadre
pertinent pour l’analyse de l’action publique : il peut contribuer à rendre compte des
mécanismes de mimétisme et du poids de logiques d’action peu prises en compte par d’autres
approches (telle la Logic of appropriateness) dans la genèse, l’institutionnalisation et le
changement des arrangements institutionnels des politiques publiques. En portant l’attention sur
les routines et les cadres d’interprétation institutionnalisés, le néo-institutionnalisme sociologique
ouvre aussi des perspectives intéressantes et complémentaires de celle du néo-
institutionnalisme historique pour comparer des politiques publiques nationales, ainsi que pour
étudier la genèse et l’évolution de politiques publiques sur le long terme (Louise Hervier-Lartigot,
2010)184.

183 André Lecours, 2002, “L’approche néo-institutionnaliste en science politique : unité ou diversité?”, in Politique et Sociétés, vol. 21, n° 3.
184 Louise Hervier-Lartigot, 2010, “Le néo-institutionnalisme sociologique”.

80
Au niveau théorique, et pour dépasser les reproches souvent adressés à l’analyse néo-institutionnaliste dont
« son manque de modélisation et de structure théorique ainsi que son manque d’ambition théorique sur les
mécanismes causaux les plus pertinents » (Louise Hervier-Lartigot, 2010), l’approche sociohistorique se
focalise essentiellement sur les acteurs en tant qu’ils sont porteurs de structures opératoires, en tant que ces
acteurs véhiculent des lignes de forces qui se sont cristallisées dans le temps et l’espace, en fonction de
représentations, d’intérêts et de projets de diverses natures qui rendent possible et déterminent non
seulement les conditions d’émergence des institutions mais également la nature du processus de construction
des institutions, dans le sens où selon Louise Hervier-Lartigot (2010), « L’action ne peut être décontextualisée
car fortement influencée par les institutions qui permettent aux acteurs d’interpréter le monde et le
comportement des autres et de décider ainsi quel est le comportement approprié à adopter »185.

Il n’y a donc pas du point de vue de la théorie sociale, de contradiction radicale entre l’affirmation des
institutions comme matrice ou référence comme c’est le cas chez les durkheimiens, et l’affirmation du potentiel
révolutionnaire ou institutionnalisant des acteurs, tel qu’il est décliné par les néo-institutionnalistes, les
constructivistes, l’individualisme méthodologique ou ce que Pierre Bourdieu (1987) appelle le constructivisme
structuraliste par où il énonce qu’:
Par structuralisme ou structuraliste, je veux dire qu'il existe, dans le monde social lui-même, [...]
des structures objectives indépendantes de la conscience et de la volonté des agents, qui sont
capables d'orienter ou de contraindre leurs pratiques ou leurs représentations. Par
constructivisme, je veux dire qu'il y a une genèse sociale d'une part des schèmes de perception,
de pensée et d'action qui sont constitutifs de ce que j'appelle habitus, et d'autre part des
structures sociales, et en particulier de ce que j'appelle des champs. Permettant ainsi d’allier le
rôle de l’individu dans la construction des savoirs et l’influence des structures sur ces
individus186.

Aussi le traitement théorique du rapport entre “acteurs” et “institutions” dans l’analyse des réformes
environnementales forestières ne se pose-t-il pas nécessairement dans une opposition manichéenne
intangible, étant donné que comme le dirait Ki-Zerbo (2003) que l’universel n’est pas nécessairement dans la
domination d’une dimension sur une autre, mais davantage dans la composition complexe et juste de toutes
les dimensions. Dès lors, autant nous pensons comme G. Busino (2003) que :
Bien manié, le concept de structure arrive à rendre compte des décalages, des
interdépendances qui n’apparaissent pas, de la production de structures nouvelles, des
inadaptations de niveaux et des équilibres dans le sens des régulations et des autorégulations.
Mais pour y parvenir, il faut savoir comment construire cette notion abstraite, cette théorie,
autrement dit, la structure, dont Claude Lévi-Strauss a dit : “Les structures sociales sont des
objets indépendants de la conscience qu’en prennent les hommes (dont elles règlent pourtant
l’existence) et sont aussi différentes de l’image qu’ils s’en forment que la réalité physique diffère
185 Op. cit.
186 Pierre Bourdieu, 1987, Choses dites, éd. Éditions de Minuit, Paris.

81
de la représentation sensible que nous en avons ou des hypothèses que nous formulons à ce
sujet”187;

Autant dans le cadre de notre thèse qui participe de l’analyse sociologique, il s’agit d’une détermination
paradigmatique, qui n’est donc pas une détermination ne varietur qui serait ad vitam aeternam, et qui
ravalerait l’agence et les stratégies des acteurs. En effet, c’est dans cette cohérence logico-théorique que
Busino (2003) peut ajouter qu’:
À l’intérieur de telles formations les individus disposent d’une marge de liberté, mais les
interdépendances qui les lient aux autres limitent leur liberté de choix. Il y a une articulation
constante entre la transformation des sensibilités humaines, des comportements sociaux, et la
construction de l’État; entre la formation de l’État et la différenciation des fonctions sociales,
entre les processus de civilisation, la structure du pouvoir, les relations sociales et les
comportements individuels et les normes esthétiques. En d’autres termes, l’interdépendance
existant entre les différents niveaux de réalité et la complexité des voies à travers lesquelles
s’effectuent les échanges réciproques, est un processus complexes. Les mécanismes
d’intériorisation des principes rationnels et l’incorporation des normes de conduite permettent
d’imbriquer l’individuel avec le collectif, le mental avec le comportemental, la psychologie avec
la sociologie, la sociologie avec l’histoire188.

C’est ainsi que du point de vue d’une analyse macroscopique référant aux logiques synthétiques motrices qui
se dégagent de l’histoire et de la philosophie de l’histoire (Giovanni Busino, 1986; Ronald Atkinson, 1978;
Günther Anders, 1956; Raymond Aron, 1948), l’influence des acteurs est relativisée par la détermination
institutionnelle et structurelle. C’est ainsi qu’au niveau épistémologique, la théorie néo-institutionnaliste
découvre la complexité des institutions aussi bien quant à leurs conditions d’émergence et leurs modes de
construction que du point de vue de la diversification de leurs sources qui ne relèvent plus de la seule initiative
étatique mais désormais aussi de l’initiative privée (Mamoudou Gazibo, 2002)189. Pour illustrer avec
l’émergence des nouvelles normes environnementales, John Forrer & Karen Mo (2013) mentionnent par
exemple que : « The FSC certification –as a non-State and market-based approach –drew attention as a new
form of global governance. There were expectations that the certification regime would fill the void left by
ineffectual government regulations, litigations, and advocacy »190.

C’est ainsi que dans son articulation aux politiques publiques par exemple, l’approche néo-institutionnaliste
entrevoit le passage de la conception classique de la planification fondée sur le contrôle exhaustif sur les
variables déterminantes, à une conception complexe et pluripolaire, ouverte à la participation d’acteurs

187 Giovanni Busino, 2003, op. cit.


188 Op. cit.
189 Mamoudou Gazibo, 2002, “Le néo-institutionnalisme dans l’analyse comparée des processus de démocratisation”, in Politique et Sociétés, vol. 21,

n˚3.
190 - John Forrer & Karen Mo, 2013, “From Certification to Supply Chain Strategy An Analytical Framework for Enhancing Tropical Forest Governance”,

in Organization & Environment, vol.26, n˚3.

82
périphériques ou non traditionnels, flexible et disponible à de nouvelles variables explicatives, que celles-ci se
présentent sous forme de préoccupations sociétales ou crises, d’acteurs ou de nouvelles forces
institutionnalisantes, ou d’influences politiques opératoires jadis “non-institutionnelles”. En rencontrant ainsi le
constructivisme sociologique, le néo-institutionnalisme consacre l’extension des variables indépendantes –tant
du point de vue des acteurs que du point de vue des échelles et même des enjeux et préoccupations –dans le
processus de construction des normes, des institutions et des systèmes de gouvernance, ou de transition
paradigmatique. C’est dans cette perspective que traitant de la gouvernance dont il dit qu’elle est loin de se
limiter aux formes de régulation qui ne sont ni marchandes ni étatiques, Michel Casteigts (2010) pense que :
La gouvernance se situe à l’articulation de la coordination marchande et de la régulation
institutionnelle. Si précisément elle est territoriale, c’est qu’elle est le lieu d’interactions
systémiques qui permettent des arbitrages croisés entre aspects différents de l’action collective ;
elle doit donc s’adosser à un dispositif qui “fasse système”, c'est-à-dire qui lui donne stabilité et
cohérence, ce que ni le fractionnement traditionnel des activités économiques ni l’organisation
du monde social ni l’architecture institutionnelle ne peuvent séparément garantir. Il appartient
donc au territoire, à différentes échelles, de “faire système” pour servir de cadre aux
mécanismes de régulation croisée inhérents au développement durable. C’est en lui que
s’inscrivent les dispositifs décisionnels et cognitifs qui instaurent une nouvelle configuration
d’action collective, le management territorial stratégique (MTS). Cette notion désigne un
dispositif qui associe le territoire comme cadre de régulation, la mutualisation des savoirs
comme principe cognitif, la coopération comme organisation opérationnelle, la gouvernance
comme processus décisionnel, le projet comme horizon stratégique, les conventions comme
condition d’efficacité, les transactions comme mode opératoire et le développement durable
comme référence partagée191.

Les acteurs sont donc essentiels, en ce qu’ils charpentent, véhiculent et cristallisent les dynamiques
institutionnelles et les dimensions structurelles. C’est cette dialectique plutôt complexe qu’illustre clairement
cette énonciation de Bertrand Badie (1992) qui, comme Achille Mbembe, Mamadou Diouf et Memel Fotê
(1997), ne s’est rendu disponible à la réflexivité critique, ni allé au bout de l’analyse historique :
L’observation du rôle des acteurs contribue quelque peu à désacraliser et à limiter les
déterminismes, à remettre en cause la pertinence des explications infra-structurelles et à
introduire une part de liberté dans cet espace qu’occulte le postulat d’une incorporation forcée
au système économique international. De façon encore plus sensible, elle met fin à l’hypothèse,
évidemment trop simple, de rapports univoques entre dominants et dominés, puisqu’elle
suggère que la dépendance se construit au moins partiellement sur une convergence de
stratégies, réunissant, dans un échange fonctionnel, élites du Nord et celles du Sud.
Les travaux de Galtung avaient fort opportunément attiré notre attention sur cette réalité, en
partant de l’hypothèse que l’impérialisme ne pouvait atteindre sa pleine capacité que si, de part
et d’autre de la frontière qui sépare, au sein du système international, le centre et la périphérie,
les acteurs individuels et collectifs entretenaient un certain type d’harmonie. Cette harmonie
supposait d’abord une convergence active entre les intérêts des élites du centre et ceux des
élites de la périphérie. Elle impliquait ensuite que les conflits entre élites et masses fussent plus
191- Casteigts, M., 2010, “Réforme(s) territoriale(s) : de la complexité comme solution à la simplification comme problème”, in Espaces et sociétés,
n°142. Lire également : 2009, “Transactions interculturelles et intégration territoriale. Le cas du pays basque”, in Pensée plurielle, vol. 2, n°21, Cairn
info.

83
aigus à périphérie qu’au centre. Elle réclamait enfin que les intérêts des masses du centre et
ceux des masses de la périphérie fussent conflictuels [Cette troisième condition n’est pas
nécessaire].
On voit clairement tout ce qui se profile derrière ces données apparemment simples : une
stratégie de collaboration –au moins partielle –entre Princes du Sud et Princes du Nord
exigeant, entre autres, que la dépendance soit également rétributrice pour les premiers; la
reproduction, voire l’aggravation, du fossé entre élites et masses du Sud, séparant les espaces
sociaux et la scène politique officielle de façon fonctionnelle pour la pérennisation du projet de
dépendance192.

Comme on le voit, la mobilisation des concepts de contraintes structurelles –dont l’efficacité heuristique se
développe sur l’invocation de l’histoire et de la philosophie de l’histoire –permet de valider la cohabitation non-
exclusive qu’entretiennent d’un côté les institutions et les structures, et les possibilités de création qu’offre
l’activité des acteurs, de l’autre. Sans que la nécessité ontologique de cette communication ne remette en
question “l’illusion héroïque des acteurs” dont parle Michel Dobry (1992), autrement dit sans que la liberté des
acteurs n’émancipe ces derniers des suggestions historiques, intellectuelles, culturelles, idéologiques,
institutionnelles et structurelles auxquelles ils sont contraints. Rozenn Nakanabo Diallo (2013) analyse l’action
publique environnementale au Mozambique et rend également compte de la relation tout entière
paradigmatique que les dynamiques d’acteurs entretiennent avec les structures opératoires historiques,
intellectuelles, géopolitiques, internationales ou économiques :
[…] Nous avons mis en évidence des systèmes de complémentarité et d‘échange, indique
Nakanabo Diallo. Ainsi, les Ministères centraux (et plus concrètement les instances du parti
Frelimo et le pouvoir politique centralisé autour de la présidence) s‘appuient sur les Bailleurs de
fonds, qui financent les administrations des deux parcs de Gorongosa et Limpopo, pour qu‘il y
ait une gestion effective de la nature et pour que des politiques de développement soient mises
en place. L‘État n‘a pas les capacités pour cela : il n’est pas à même d‘atteindre ces espaces et
ces populations. Or, l‘enjeu est de taille pour l‘État-Frelimo, puisqu‘il s‘agit, dans un contexte
post-conflit, de (r)établir une présence et de revendiquer une légitimité sur l‘ensemble de son
territoire, notamment dans des régions où son contrôle est traditionnellement faible.
En ce sens, la délégation de compétences aux Bailleurs de fonds d’investir dans ces régions
reculées peut servir à renforcer la présence étatique et par extension le contrôle des populations
et des ressources grâce aux règles d‘action de l‘État moderne portées par les organismes
délégataires. Inversement, les Bailleurs de fonds ont besoin de l’État et s‘appuient sur lui pour
développer leur industrie de l‘aide : ils n‘ont de légitimité et de marge de manœuvre que parce
que et tant que l‘État l‘entend de cette façon. L‘État est ainsi dépositaire de la “Commodity of
Sovereignty” (Igoe & Brockington, 2007), essentielle pour conférer de la légitimité à des
interventions “Externally-driven”, surtout lorsqu’il s’agit de questions liées à la terre et aux
ressources naturelles, enjeux sensibles dans des contextes où ces dernières constituent des
ressources essentielles pour les populations.
Il existe en somme un réseau de dépendance mutuelle, dans lequel l’État est en quelque sorte
le “Hub”. Dans cette optique, la régulation exercée par l‘État consiste en du monitoring des
administrations transnationales193.

192 Op. cit.


193 Op. cit.

84
Telle que scannée ici, la réalité mozambicaine rend fidèlement compte du contexte institutionnel africain en
général et de l’influence que sa structuration historique spécifique, coloniale et dépendante, présente aussi
bien sur la configuration de la scène politique nationale et sur l’orientation de l’activité des acteurs en
présence, que du point de vue de l’origine et des types d’acteurs que de la nature et des modalités de leurs
[inter]actions.

5.2. La notion de “structure”


La structure est une réalité intellectuelle. Autrement dit, la structure est le produit de la pensée humaine dans
son effort de connaissance de l’être et de conceptualisation du réel. Dans le processus de l’analyse qu’il en
fait, Jean Piaget (1973) dit : « Notons dès maintenant, car ce sera utile pour nos conclusions, que les
structures fondamentales dont ont parlé les Bourbaki et, depuis lors, les partisans de l’idée de catégorie,
paraissent constituer non pas des abstractions simplement formelles, mais des réalités fortement enracinées
dans la pensée naturelle »194.

L’opérationnalisation que nous en faisons dans notre thèse s’inspire fermement autant du projet de recherche
de Lucien Sebag (1964)195 et de l’utilisation qu’en fait Edgar Morin (2011) quand traitant des conséquences
critiques de la modernité capitaliste en tant que produit d’un rationalisme disjonctif, le sociologue énonce :
« Certes, notre conscience écologique progresse, localement et globalement, par sauts, à l’occasion de
dégâts, dégradations et catastrophes. Mais cette progression est freinée par des structures institutionnelles
sclérosées, par d’énormes intérêts économiques, et de nombreux verrous subsistent, en dépit des grandes
conférences internationales qui ont jalonné ces dernières décennies »196;

Que de la définition qu’en formule Giovanni Busino (2003) dans son analyse fondamentale de la science
sociologique. Busino dit :
Le concept de structure permet d’aller au-delà de la partie contingente des comportements,
d’aller au tréfonds des évènements; il aide à saisir le noyau fondamental d’un phénomène, à
aller par-delà les apparences, par-delà le manifeste; il donne au chercheur l’élément pour ainsi
dire permanent d’un système, le système d’un objet construit.
La structure n’est pas immédiatement observable. Grâce à elle, selon Wittgenstein, “dans l’état
des choses, les objets se comportent les uns par rapport aux autres d’une manière déterminée.
La manière dont les objets s’enchainent dans l’état des choses constitue la structure de l’état

194 Jean Piaget (dir.), 1973, L’explication dans les sciences, éd. Flammarion, Paris. Cet ouvrage est le produit du Colloque de l’Académie
internationale de philosophie des sciences organisé en septembre 1970 au Centre international d’épistémologie génétique de Genève.
195 Lucien Sebag, 1964, Marxisme et structuralisme, éd. Payot, Paris.
196 Edgar Morin, 2011, La voie. Pour l’avenir de l’humanité, éd. Fayard, Paris.

85
des choses. La forme est la possibilité de la structure. La structure du fait consiste dans la
structure des choses.”
Inutile de rappeler que les théories n’existent nulle part dans la réalité. Ce sont des “filets”
utilisés pour saisir la complexité du réel. Sans théorie et au vu de la quantité des données à la
disposition du chercheur, il serait difficile de commencer une enquête, de classer les matériaux,
de les interpréter. Et la structure est un autre niveau de la théorie, avec son cortège des notions
de fonction et de signification. La structure est d’une très grande puissance heuristique. En effet,
elle aide à expliquer les dynamiques sous-jacentes des phénomènes, à élucider les processus
d’élaboration et de développement des évènements, en ce qu’ils ont d’invariant et d’intemporel.
On oppose à la notion de structure celle de conjoncture. Si la structure est l’élément permanent,
la conjoncture est par contre l’ensemble des variations à court terme d’un certain nombre de
variables caractéristiques. En d’autres termes, les structures sont des constantes, et des
éléments d’évolution, mais d’une évolution lente. Grâce à la notion de structure, il est possible
de repérer les interdépendances des modes de production, des hiérarchies sociales, des
institutions et des croyances.
Ce concept, bien manié, arrive à rendre compte des décalages, des interdépendances qui
n’apparaissent pas, de la production de structures nouvelles, des inadaptations de niveaux et
des équilibres dans le sens des régulations et des autorégulations. Mais pour y parvenir, il faut
savoir comment construire cette notion abstraite, cette théorie, autrement dit, la structure, dont
Claude Lévi-Strauss a dit : “Les structures sociales sont des objets indépendants de la
conscience qu’en prennent les hommes (dont elles règlent pourtant l’existence) et sont aussi
différentes de l’image qu’ils s’en forment que la réalité physique diffère de la représentation
sensible que nous en avons ou des hypothèses que nous formulons à ce sujet”197.

Dans ce sillage représentatif aussi bien des travaux engagés par Lucien Sebag (1964) par où l’anthropologue
a contribué à éclairer la trame commune ainsi que les régions de rencontre du matérialisme historique de Karl
Marx et du structuralisme de Claude Lévi-Strauss, que de la contribution devenue classique de Michel Crozier
& Erhard Friedberg (1977)198, le “structurel” se définirait comme la logique essentielle sur laquelle se construit
le rapport qu’un élément ou une dimension entretient avec un autre ou avec un système. Alors que le
“structural” rendrait compte de la cohérence organique ou structurelle de deux ou plusieurs éléments ou
dimensions dans un ensemble-système.

5.3. Le concept de “contraintes structurelles”


Du point de vue de la science sociologique et de manière générale de la théorie sociale, on dira qu’une
dimension opératoire de la vie collective ou un faisceau d’éléments modaux [de dispositions mentales ou
idéologiques, de pratiques, de forces, de mécanismes, de façons de faire, d’institutions, d’attitudes, de
postures, de démarches intellectuelles, politiques, militaires ou stratégiques] constitue une “contrainte
structurelle” quand il s’est cristallisé au fil du temps comme cadre intellectuel, institutionnel ou géo-politique,

197 Giovanni Busino, 2003, op, cit.


198 Michel Crozier et Erhard Friedberg, 1997, L’acteur et le système : les contraintes de l’action collective, éd. du Seuil, Paris.

86
comme référence culturelle ou comme tendance civilisationnelle opératoire sur la trame, dans le sillage et au
modèle desquels se déterminent, se déploient et se réalisent les modes de pensée et d’activité. Une
contrainte structurelle est donc aussi un cadre intellectuel ou une référence institutionnelle enracinée; c’est en
même temps la trame, la couverture, le socle, le squelette et l’obstacle en fonction desquels s’organisent,
fonctionnent ou se déploient les activités humaines, que celles-ci soient individuelles ou collectives. Une
contrainte structurelle suggère donc autant une ligne de force intellectuelle que toute autre intangibilité
matérielle ou pratique dans les limites desquelles se développent la pensée et l’activité.

Avant de poursuivre, un mot sur la petite histoire du concept de contraintes structurelles. Près de trois ans
après en avoir eu l’inspiration et après l’avoir formulé, nous avons toujours pensé –non sans une égotiste
fierté –que nous étions l’authentique géniteur exclusif du concept de “contraintes structurelles”, non seulement
parce que nous ne l’avions rencontré nulle part auparavant dans la littérature scientifique, mais aussi parce
que d’éminents professeurs qui avaient suivi l’évolution de notre cheminement doctoral dès l’élaboration de
notre Synthèse s’y sont radicalement opposés dans le cadre de notre Projet de thèse. On peut affirmer
aujourd’hui que ce fut par un défaut d’information. Pour rester pudique. En effet, notre surprise a été immense
quand, alors que nous commencions déjà la rédaction en poursuivant l’exploitation de la littérature, nous
sommes tombé sur l’article particulièrement bien senti de Daou V. Joiris & Patrice Bigombe Logo intitulé
“L’heuristique de la littérature grise sur le développement participatif du Bassin congolais” (2012)199. Nous
avions déjà des contacts avec Patrice Bigombe Logo, l’un des deux auteurs du texte, dont il convient
d’indiquer qu’il est l’un des plus grands connaisseurs de la problématique environnementale ainsi que des
enjeux sociaux, institutionnels, politiques, économiques et écologiques auxquels l’exploitation industrielle des
forêts donne lieu en Afrique. Dans une disponibilité et une spontanéité que seul un chercheur peut déployer à
l’égard d’un autre, Bigombe Logo nous a fait l’amitié de nous accorder une longue interview au mois de juin
2015 dans le cadre de notre d’enquête de terrain au Cameroun, mais sans que jamais, il n’évoque ni ne
mentionne spécialement le concept de “contraintes structurelles” qu’il avait pourtant co-formulé avec
Véronique Joiris deux ou trois ans plus tôt. En lisant rigoureusement leur article, nous avons compris non
seulement que le caractère particulièrement théorique de cette production n’en faisait pas le texte le plus
médiatisé, mais surtout que le concept de “contraintes structurelles” émergeait de leur réflexion comme une
sorte d’insight ou d’intuition à laquelle ils n’ont prêté qu’une attention furtive, et jamais comme un concept
central d’explication ou d’analyse. En effet, quoique les deux chercheurs prirent le temps de le définir [ce qui
atteste clairement qu’ils en sont parfaitement conscients de la valeur et qu’ils lui accordent toute son
importance], le concept n’a été mentionné que deux fois et de surcroit à la fin du texte, ni à l’introduction ou à
la conclusion et jamais dans le résumé.

199 Publié dans la revue Bulletin de l’APAD, 36-34, 2012.

87
La réflexion critique à laquelle se consacrent Daou V. Joiris & Patrice Bigombe Logo dans “L’heuristique de la
littérature grise sur le développement participatif du Bassin congolais” est fondamentale dans la mesure où cet
article représente le seul texte –à notre connaissance –qui développe une critique réellement synthétique de la
théorie sociale environnementale ainsi qu’une analyse non-fonctionnaliste de la problématique des ressources
forestières dans le Bassin du Congo et auquel s’articule en conséquence la démarche de recherche que nous
proposons.

Cependant, nous allons infiniment plus loin que Joiris & Bigombe pour identifier et développer le potentiel
heuristique du concept de contraintes structurelles en le déclinant dans ses trois dimensions paradigmatique,
interscalaire et contextuelle ou historique. Aussi nous considérons-nous toujours non comme le géniteur
exclusif mais en toute légitimité comme le créateur authentique de ce qui pourrait désormais s’affirmer comme
“l’analyse par le concept de contraintes structurelles”.

Du triple point de vue épistémologique, méthodologique et théorique, l’analyse par les contraintes structurelles
approfondit la critique de la non-cumulativité dans les sciences sociales telle que particulièrement stigmatisée
par Daou Joiris & Bigombe Logo (2012), en même temps qu’elle lui offre un cadre général de compréhension :
Dans une contribution récente, relèvent les deux chercheurs, Lewis rappelle les nombreuses
réflexions préalables sur la temporalité particulière des projets. L’anthropologie du
développement, écrit Lewis, notamment au travers d’études de cas et de monographies très
fines, montre la tendance a-historique qu’ont les agences de développement à vivre dans le
“perpétuel présent”, à reformuler leurs approches et à se projeter dans le futur plutôt que de se
penser en continuité d’événements passés. Il cite, entre autres, les recherches sur la production
cotonnière au Mozambique d’Isaacman (1997) qui parle de “l’amnésie historique” des projets,
les cadres du développement étant focalisés sur des projections dans le futur plutôt que sur une
compréhension des logiques économico-politiques héritées des contextes coloniaux. Rien de
neuf à l’horizon. À la suite d’autres auteurs qui tenaient des propos similaires, Olivier de Sardan
insistait en 1995 sur le fait que “tout projet intervient dans un milieu qui a déjà subi de
nombreuses interventions précédentes et qui en garde la trace, bien que la tendance naturelle
dans un projet soit toujours de considérer que l’histoire démarre avec le projet, de sous-estimer
systématiquement tout ce qui s’est fait auparavant et de surestimer l’impact du projet”. La
“tendance naturelle” des projets à s’inscrire dans une temporalité a-historique est donc connue.
En revanche, l’influence de cette a-historicité sur la production de connaissances de
consultance semble passée sous silence. La pratique projet s’inscrit dans une discontinuité
historique d’un double point de vue : de celui de l’histoire des populations concernées par son
intervention, et de sa propre histoire en tant que projet. L’évocation du passé des communautés
concernées par l’intervention des projets est souvent absente des Termes de référence et des
commandes d’études adressées aux sciences sociales. Cela signifie en d’autres termes que la
conception et la mise en œuvre des projets se réalisent en faisant abstraction des événements
historiques qu’ont vécu les populations ciblées ou concernées par ces derniers.

88
Par ailleurs, la pratique projet est marquée par un autre mode d’a-historicité. En effet, celle-ci
s’inscrit dans une discontinuité par rapport à sa propre histoire ou à l’histoire d’autres projets
ayant une expérience du même ordre. Elle est plutôt caractérisée par des préoccupations de
l’ordre de la projection dans l’avenir et par une tendance omniprésente à la confusion entre les
intentions (le futur) et les réalisations (le présent). Dans le cas des politiques participatives du
Bassin congolais, le contexte diachronique des milieux sociaux concernés par l’intervention de
projet est largement occulté. Dans les Termes de référence, la rubrique “présentation du
contexte d’intervention”, l’histoire localisée des populations ciblées, précoloniale, coloniale et
contemporaine, est généralement très faiblement, voire pas du tout documentée [Et quand une
information pertinente est produite dans ce cadre, elle l’est généralement à titre figuratif ou tout
simplement à titre d’épouvantail, dans une vocation formaliste de remplissage].
De même, dans la rubrique relative aux thématiques d’enquête commanditées aux sciences
sociales, un accroissement des connaissances sur l’histoire localisée est loin de représenter
une priorité. Les moyens financiers n’y sont pas consacrés, que ce soit pour réaliser une
recherche bibliographique ou des enquêtes de terrain. Le même constat s’impose concernant
une tendance à une forme d’amnésie historique quant à l’intervention même des projets. Le
suivi actif des deux premières phases du programme régional Écosystèmes forestiers d’Afrique
centrale (ECOFAC) ainsi qu’une documentation sur les phases suivantes et sur des projets
complémentaires, montrent clairement, sur une quinzaine d’années, à quel point l’appropriation
des données en sciences sociales est superficielle et répétitive. De phase en phase, l’histoire
pourtant sérieusement mouvementée des interactions entre le programme et les communautés
riveraines des concessions d’exploitation ou des aires protégées est pratiquement absente. À
chaque fois, les documents de référence des politiques, programmes et projets reprennent, à
peu de choses près, les mêmes informations dans les mêmes rubriques comme si le projet
amorçait un premier contact dans un terrain vierge. L’histoire des interactions entre le projet et
les populations n’est pas mobilisée par les concepteurs et les gestionnaires des projets en tant
que caractéristique essentielle du contexte d’intervention.
L’épistémologie des logiques sous-jacentes à la gestion des projets montre clairement que
celle-ci présente un caractère cyclique avec une tendance forte à la reproduction de prémisses
récurrentes (évolutionnistes, occidentalo-centristes, néo-malthusiens, etc.). L’exercice, dans ce
contexte de la production de connaissances en sciences sociales, indique également une
tendance à la mobilisation de données non cumulatives. Des analyses antérieures relatives aux
interactions projets-population ne sont pas convoquées. Cette absence de capitalisation des
expériences se manifeste verticalement, en raison d’une propension à l’a-historicité et
horizontalement, en raison du cloisonnement sectoriel des interventions, mais surtout en raison
d’une faible habitude de la part des projets à valoriser l’évolution d’une intervention donnée et à
considérer que cette information puisse contribuer à l’affinement d’un protocole.
La réalisation de consultances liées à la mise en œuvre des politiques participatives dans le
Bassin congolais est indiscutablement caractérisée par une absence de recours aux
expériences précédentes. Le cas du dysfonctionnement chronique, depuis les années 1980, des
“Comités de gestion”, quel que soit le secteur concerné, en est un exemple parlant. Des études
en anthropologie du développement et en politologie montrent que les dysfonctionnements de
ces Comités sont récurrents. Les difficultés rencontrées seraient dues au caractère exogène
des comités. Malgré ce constat, et malgré les moyens considérables mis en œuvre pour
promouvoir divers appuis technicistes (méthodes de résolution des conflits, enquêtes rapides,
etc.), les Comités de gestion continuent jusqu’à présent d’être conçus d’après les mêmes
principes exogènes. Et les sciences sociales, de leur côté, continuent de formuler les mêmes
critiques à ce propos… Sur ce point, mais il ne s’agit que d’un exemple parmi d’autres, les
praticiens en sciences sociales ne s’appuient pas sur l’état des connaissances qui ressort de la
littérature académique pour fournir les compréhensions les plus appropriées. Ils se réfèrent à
l’état des connaissances de la littérature grise et ce n’est qu’à partir de là qu’ils fournissent des

89
recommandations. Celles-ci sont répétitives puisque les données mobilisées sont non
cumulatives200.

En effet, le problème de l’abstraction historique ou de la désarticulation temporelle des analyses portant sur
les dynamiques sociales contemporaines en Afrique se pose avec d’autant plus d’acuité que les contextes
africains actuelles se caractérisent essentiellement, autant du point de vue simplement historique et
systémique que du point de vue macchémologique (traumatologie historique)201 par une intellectualité aliénée,
essentiellement inspirée par une référence non indigène ou locale, et polarisée sur des préoccupations et des
objectifs formulés par des intérêts extérieurs à l’Afrique (José Do Nascimento, 2008; Oscar Pfouma, 2004,
1993). Avec la marginalisation des communautés villageoises dans la gouvernance forestière au Cameroun et
plus généralement avec les dysfonctionnements irréductibles manifestés par la mise en œuvre des réformes
dites environnementales et à haute productivité économique intervenues dans l’économie forestière au début
des années 1990, c’est la cohérence de la modernité africaine qui semble fondamentalement remise en
cause : c’est la structure historique à partir de laquelle elle se déploie qui semble plus que jamais fragile, parce
que fondée sur un complexe intellectuel de référence exogène et non enraciné qui éprouve du mal à résorber
ses contradictions originaires. C’est ainsi que pour Daou Joiris & Bigombe Logo (2012) :
Concernant les politiques participatives dans le Bassin congolais, la comparaison des effets des
approches développementistes, tous secteurs et pays confondus, donc dans une perspective
transsectorielle et transrégionale, fournit des résultats surprenants auxquels les approches
cloisonnées de la consultance habituelle n’aboutissent pas, tout au moins de façon aussi
évidente. Cette mise en perspective montre très clairement que l’essentiel des difficultés
rencontrées sur le terrain, à l’instar du dysfonctionnement chronique des Comités de gestion
mentionné plus haut, est imputable tant au contexte socio-politique et néocolonial d’implantation
qu’au modèle de développement lui-même. De la sorte, la pratique-projet, y compris les études
et les interventions commanditées aux sciences sociales, s’exerce abstraction faite des
connaissances acquises sur les enjeux récurrents suscités par les politiques de développement,
donc sur ses modalités d’appropriation.
Cette approche qui consiste à s’inscrire dans une discontinuité d’expériences enferme la
pratique-projet, et celle des sciences sociales dont les études et les interventions se réalisent en
leur sein, dans une vision du futur limitée aux objectifs de projet et aux logiques supposées leur
être sous-jacentes du point de vue du développeur. Elle contribue à la production de
connaissances technicistes ou fonctionnelles à court terme, qui manquent de recul critique et de
perspective visionnaire pour envisager tous les futurs possibles. Les modalités d’appropriation
connues dans des contextes apparentés ne sont pas répertoriées en tant que scenarii
probables. À titre d’exemple, la littérature grise sur les approches participatives mises en œuvre
dans le Bassin congolais, concernant la gestion des aires protégées, n’envisage pas, dans le
cadre logique, l’éventualité hautement probable de conflits ou de tensions entre le projet et les

200 Daou Véronique Joiris & Patrice Bigombe Logo, 2012, op. cit.
201 Lire :
- Bebebe (Guy Emmanuel Galiba, Ngalebha), 1978, Les Cahiers de macchémologie, vol.1, éd. L’Observatoire macchémologique, Chennevières-sur-
Marne.
Bebebe est le fondateur de l’analyse macchémologique.
- José Do Nascimento, 2011, conférence sur La Renaissance africaine comme alternative au développement
(https://www.youtube.com/watch?v=Cha9A8VZC7E).

90
populations riveraines. Alors que l’ensemble de la littérature en anthropologie du développement
sur la gestion sociale des aires protégées témoigne de l’existence intrinsèque de ces conflits,
dans la pratique-projet, la thématique des interactions conflictuelles apparaît comme un tabou,
un “impensé du développement”.
Dans le Bassin congolais, tout au moins concernant les approches participatives investiguées
au sein de notre programme de recherche GEPAC, d’autres logiques et stratégies d’acteurs,
relevées dans la littérature anthropologique du développement comme inhérentes à la mise en
œuvre de certaines politiques, sont frappées d’invisibilité : tout ce qui a trait aux enjeux fonciers,
aux enjeux de représentativité administrative et politicienne, aux rapports de domination, de
clientélisme et de corruption. Ce dernier trait majeur dans lequel s’inscrit la pratique en sciences
sociales au sein de l’institution projet entrave cette dernière dans la formulation de pronostics,
de scenarii, de prédictions. La tendance des sciences sociales appliquées à produire des
connaissances non prédictives est cependant renforcée par une tradition académique selon
laquelle, contrairement aux sciences naturelles, la complexité des interactions sociales ne se
prêterait que très difficilement à des projections dans l’avenir (Picouet et al., 2004)202.

À propos de “L’amnésie historique”, Allen F. Isaacman (2013) formule ce concept révélateur au bout de plus
de quarante ans de recherches sur les implications immédiates de l’histoire et de la colonisation sur les
déficiences structurelles ultérieures des collectivités politiques des États d’Afrique sub-saharienne.203 C’est la
pertinence heuristique du concept d’amnésie historique d’Isaacman qui conforte la validité théorique de la
traumatologie historique (l’analyse macchémologique) proposée par Bebebe [de son nom complet Guy
Emmanuel Galiba, Ngalebha]204 dès les années 1970. C’est à aussi à cette démarche que s’articule l’approche
socio-historique d’analyse de la marginalisation des communautés locales non seulement à partir des
contraintes structurelles en général, mais très spécifiquement à partir de la détermination historique. Dès lors,
l’analyse par le concept de contraintes structurelles représente-t-elle un moment théorique dont la vocation est
de faire un point critique sur le paradigme d’analyse de la collectivité politique et de la modernité africaines, en
identifiant les déterminants les plus susceptibles de corriger ou de [ré]orienter et d’aboutir l’analyse. C’est dans
cette perspective que traitant de “La confusion entre recommandations structurelles et conjoncturelles”, Joiris
& Bigombe (2012) relèvent que :
Lorsqu’il parle “d’amnésie structurelle”, Bierschenk (2007) évoque comment les effets combinés
des interventions de développement échappent à “l’approche empirique qui tend à se focaliser
sur un projet particulier” et à la difficulté à “mettre en relation données empiriques relatives à des
micro-évènements –pour laquelle une anthropologie du développement centrée sur les acteurs
est particulièrement bien équipée –avec des processus de plus grande envergure –qui sont plus
difficiles à saisir avec l’outillage méthodologique classique de l’anthropologie”. “Une grande
partie de l’anthropologie du développement”, écrit-il encore, “n’a pas réussi à enchâsser ses

202 Op. cit.


203 Allen F. Isaacman, 2013, Dams, Displacement and the Delusion of Development : Cahora Bassa and Its Legacies in Mozambique, 1965-2007,
éd. Ohio University Press; 2004, Slavery and Beyond : The Making of Men and Chikunda Ethnic Identities in the Unstable World of South-
Central Africa, 1750-1920, éd. Heinemann Educational Books; 1995, Cotton Is the Mother of Poverty : Peasants, Work, and Rural Struggle in
Colonial Mozambique, 1938-1961 (Social History of Africa), éd. Heinemann; 1997, Cotton, Colonialism and Social History in Sub-Saharan Africa,
éd. James Currey; 1983, Mozambique : From Colonialism to Revolution, 1900-1982, éd. Westview Press; 1976, Tradition Resistance
Mozambique. Anti Colonial Activity in Zambesi Valley, 1850-1921, éd. Heinemann; 1972, Mozambique : Africanization of a European Institution,
the Zambezi Prazos, 1750-1902, éd. University of Wisconsin Press.
204 Op. cit.

91
micro-histoires dans des récits plus larges et à faire le lien entre analyse locale et tendances
globales”.
L’histoire de l’expertise en sciences sociales appliquée aux politiques participatives du Bassin
congolais montre une incapacité à dépasser des clivages analytiques, à s’inscrire dans une
pratique d’expériences cumulatives, et de ce fait à distinguer les contraintes structurelles des
contraintes conjoncturelles. Par “contraintes structurelles”, nous entendons ce qui se trouve au
fondement historique, social, économique et politique du milieu dans lequel intervient un projet,
à savoir, pour le Bassin congolais, l’absence de mouvements sociaux, les reconfigurations
opaques en réaction aux politiques, le néocolonialisme, l’absence de démocratie, le clientélisme
et la corruption205.

Le concept de contraintes structurelles s’articule parfaitement bien non seulement à l’analyse économique que
Samir Amin (1970-2012)206 fait aussi bien du capitalisme que des rapports dysfonctionnels de dépendance
que l’Afrique entretient avec le système international, et par conséquent au concept braudélien d’économie-
monde globale qui sera approfondi et infléchi plus tard par Immanuel Wallerstein (2014, 2012, 2011, 2009,
2008, 2006, 2001, 1999, 1995, 1991, 1988, 1985, 1975, 1966) par le concept de système-monde.
Contrairement à l’entendement restreint que choisit d’en avoir Bertrand Badie (1992), la notion d’économie
dont il est question dans les concepts de Fernand Braudel (1986, 1985, 1979, 1958, 1949)207 et d’Immanuel
Wallerstein est générique et désigne l’ensemble des dimensions intellectuelles, économiques, politiques et
géopolitiques qui structurent les relations internationales (Noam Chomsky, 2016, 2005, 2003, 1995; Stanislas
Spero Adotevi, 1972)208. La définition qu’en formule Jacques Adda (1996) est particulièrement éclairante. Pour
le chercheur :
Les historiens peuvent apporter un éclairage original à l'étude des échanges internationaux,
traditionnellement réservée aux économistes. Forgée par Fernand Braudel dès 1949, la notion
d'économie-monde éclaire utilement la genèse de l'économie mondialisée dans laquelle nous
vivons. Celle-ci ne serait, en effet, que le déploiement d'une économie-monde particulière, celle
de l'Europe, devenue mondiale au cours des cinq derniers siècles. Il s'agit d'un “morceau de la
planète économiquement autonome, capable pour l'essentiel de se suffire à lui-même et auquel
ses liaisons et ses échanges intérieurs confèrent une certaine unité organique”. Une partie de
l'univers donc, formant un tout économique, qui enjambe les frontières politiques et
linguistiques. L’économie-monde se caractérise par une structure fortement hiérarchisée. Elle
est pourvue d'un centre où affluent et d'où repartent informations, capitaux, marchandises et
travailleurs, d'une semi-périphérie composée de zones assez développées, mais malgré tout
secondes du point de vue du développement économique, et d'une immense périphérie où
dominent, pour reprendre les termes de Braudel, “l'archaïsme, le retard, l'exploitation facile par
autrui”. Ces déplacements successifs du centre de gravité de l'économie-monde illustrent la
prépondérance du principe concurrentiel au sein d'un espace non unifié politiquement. La
distinction entre économie-monde et empire-monde proposée par Wallerstein permet de mieux
comprendre ce point. Wallerstein nomme "système-monde" tout réseau d'échange impliquant
une division du travail se déployant sur un espace plurinational.

205 Ibid.
206 Op. cit.
207 Op. cit.
208 Stanislas Spero Adotevi, 1998 (1972), Négritude et Négrologues, éd. Le Castor Astral, Paris.

92
Les deux principaux types de systèmes-mondes sont l'empire-monde et l'économie-monde. La
différence réside dans leur configuration politique. Dans un cas, la division internationale du
travail se déploie au sein d'un espace étatique unique. Dans l'autre, elle se déploie dans un
espace inter étatique. Dans un cas, la nature des relations entre les différentes parties du
système est politique avant d'être économique. Dans l'autre, les relations entre les
différentes unités qui composent l'économie monde (cité-État, État-nation, empire) sont
principalement d'ordre économique. Dans un cas, la chute du centre entraîne l'effondrement de
l'empire tout entier. Dans l'autre, le déclin économique du centre s'accompagne de l'accession
d'un pôle d'accumulation concurrent au statut hégémonique209.

Cela étant, et sans être totalement disqualifiés, les critères de différenciation que formule Immanuel
Wallerstein sont tout juste indicatifs et ne semblent plus très opératoires aujourd’hui, tant par rapport à ce qu’il
appelle l’empire-monde –qui épouse les contours de l’État territorial westphalien –dont il convient de relever
qu’il est devenu poreux du fait des développements géostratégiques contemporains [qu’ils soient coloniaux,
idéologiques ou fondés sur un autre facteur], de la libéralisation globale, de l’internationalisme militant; que par
rapport à ce qu’il appelle l’économie-monde, étant donné que celle-ci se déploie désormais en s’aidant
essentiellement des ressources géopolitiques convoyeuses des intérêts financiers et économiques.

Du point de vue de la filiation théorique, l’intuition des “contraintes structurelles” s’articule clairement aussi à
l’approche développée par Crozier & Friedberg dans le cadre des recherches qu’ils ont développées sur les
organisations et à partir desquelles ils publié leur célèbre ouvrage, L’acteur et le système. Les contraintes de
l’action collective (1977). En effet, l’analyse par le concept de contraintes structurelles suppose
nécessairement aussi les notions de marge de manœuvre, de pouvoir, de coordination, de degré
d’indépendance; elle considère également qu’il n’y a pas de champ non structuré, c’est-à-dire de champ sans
l’existence de rapports de pouvoir; elle n’est pas loin de la notion d’organisation que les deux sociologues
définissent comme cadre général de structuration des rapports humains dans l’action, et plus exactement
comme :
processus qui se déploient dans des champs d'action les plus divers et qui permettent de
structurer, de stabiliser et de réguler les rapports entre un ensemble d'acteurs individuels et/ou
institutionnels liés par des interdépendances stratégiques autour de problèmes ou d'intérêts
communs. [Pour Yann Attal (2001) qui explique Crozier & Friedberg,] Une organisation,
phénomène sociologique, est toujours un construit social, qui existe et se transforme seulement
si d’une part elle peut s’appuyer sur des jeux permettant d’intégrer les stratégies de ses
participants et si d’autre part elle assure à ceux-ci leur autonomie d’agents libres et coopératifs.
L’acteur est donc engagé dans un système d’action concret et doit "découvrir, avec la marge de
liberté dont il dispose, sa véritable responsabilité". L’action organisée est un construit social qui
aide les hommes à trouver des solutions aux problèmes d’action collective en vue d’objectifs
communs mais qui, simultanément, oriente leur comportement, circonscrit leur liberté d’action,
conditionne leurs résultats. D’où le paradoxe.

Jacques Adda, 1996, “Braudel, Wallerstein et le système d’économie-monde”, in Alternatives Économiques, n° 143, décembre 1996. Lire aussi
209

son livre devenu presqu’un classique, La mondialisation de l’économie. De la genèse à la crise, éd. La Découverte, Paris, 2001.

93
Au cœur de l’action collective, on rencontre des effets contre-intuitifs dus au décalage entre les
orientations et les intentions des acteurs. C’est que l’organisation serait un champ de
coopération et d’interdépendance entre acteurs avec des intérêts même contradictoires, c’est-à-
dire un ensemble de "jeux structurés", la solution.
Dans cette perspective, les problèmes de coopération (et donc d’intégration) des acteurs
sociaux poursuivant des objectifs multiples, et d’incertitude liée au caractère indéterminé des
ressources (technologiques, économiques) seraient redéfinis et résolus en vue de l’amélioration
des résultats. Cependant, il n’y a pas d’action sociale sans pouvoir, car s’ils constituent des
instruments pour la solution de problèmes, les construits d’action collective sont aussi des
contraintes pour ces solutions. Il faut donc les réguler par un système de pouvoir. On obtiendra
ainsi des résultats toujours contingents de la mobilisation des acteurs –ainsi que des sources
d’incertitude pertinentes vécues comme des opportunités –car contrôlés dans une structure de
jeu donné, pour développer des relations et des tractations avec d’autres joueurs (et donc leur
attitude d’autonomie)210.

Cependant, l’analyse par les contraintes structurelles se démarque clairement de l’approche de la sociologie
des organisations développée par Crozier & Friedberg. En effet, au-delà de l’organisation, la démarche
d’analyse que nous proposons pose la collectivité comme cadre de référence. Ici, il s’agit non pas seulement
de l’action organisée mais surtout aussi de l’action collective avec les acteurs organisationnels, institutionnels
ou collectifs [dans leurs interinfluences à toutes les échelles globale, régionale, nationale ou locale] comme
unités d’intérêt et cibles d’étude. Et si « La stratégie de l’acteur ne peut donc se concevoir seulement en
termes d’objectifs clairs et de projets cohérents mais comme un jeu dans l’organisation, contingent au
comportement et au vécu du participant. Ainsi, la stratégie de l’acteur revêt deux aspects : offensif pour saisir
les opportunités et contraindre, et défensif pour agir et échapper aux contraintes » (Y. Attal, 2001),

La filiation que l’analyse par les contraintes structurelles développe avec l’analyse organisationnelle est une
filiation putative ou par défaut dans la mesure où les deux approches ne partagent ni la même référence
épistémologique, ni le même cadre conceptuel, ni la même préoccupation théorique. Avec l’approche par les
contraintes structurelles, le regard porte davantage et essentiellement sur la détermination de l’action
collective par les structures historiques, à partir des conséquences que ce rapport opératoire porte sur le
comportement des institutions stratégiques et la qualité de l’action collective, un peu comme c’est le cas avec
la théorie de la contingence structurelle dont Yann Attal (2001) rappelle qu’elle permet de prévoir pour
l’organisation les types de variables et les influences sur la performance qu’elle pourrait subir. Et si pour la
sociologie des organisations par exemple qui s’est développée autour de Crozier & Friedberg (1977), « il faut
privilégier l’idée qu’il existe une multiplicité de champs fractionnés qui apportent des exigences contradictoires
auxquelles il faut que l’organisation s’adapte » (Yann Attal, 2001)211, l’analyse de la gouvernance forestière par

210 Yann Attal, 2001, “Compte rendu de lecture de Michel Crozier et Erhard Friedberg, L'acteur et le système. Les contraintes de l'action collective,
éd. du Seuil, Paris, 1977”, (http://mip-ms.cnam.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1295877017933).
211 Yann Attal, 2001, “Michel Crozier, Erhard Friedberg, L’acteur et le système : les contraintes de l’action collective”, Compte rendu de lecture.

94
le concept de contraintes structurelles montre que la manifestation des dysfonctionnements divers qui
émergent du processus d’élaboration des Réformes forestières et de mise en œuvre du Régime des forêts de
1994 se déterminent principalement dans la marginalité des communautés locales est le résultat de la
conjonction des trois types de contraintes structurelles : paradigmatiques, interscalaires et contextuelles ou
historiques.

La différence fondamentale que l’analyse par les contraintes structurelles signe avec l’approche
organisationnelle porte donc aussi sur la finalité. La finalité de l’action organisée intéresse l’organisation en
tant que groupes d’individus qui créent ou adhèrent à cette organisation, sur la base de représentations et
d’intérêts arbitraires; alors que la finalité de l’action collective est la collectivité comme instance ultime. C’est
ainsi que pendant que dans la sociologie des organisations on parle de jeux, d’opportunités et de
contingences, pendant qu’on y « interprète le comportement humain comme l’expression d’une stratégie dans
un jeu, dans un ensemble de contraintes à découvrir » (Yann Attal, 2001), et pendant qu’elle est obsédée par
la liberté de l’acteur organisationnel ainsi que sa capacité à choisir et à modifier les contraintes et les règles du
jeu; l’analyse socio-historique par les contraintes structurelles identifie les lignes de force cristallisées qui
modulent les dynamiques collectives, dans un contexte où les intérêts collectifs engagent nécessairement
l’existence toute entière de la collectivité et des acteurs collectifs. L’analyse socio-historique de l’action
collective par le concept de contraintes structurelles se veut complexe et va plus loin que l’approche
stratégique des organisations : elle relativise l’incidence collective du jeu d’acteurs organisationnels, et c’est
dans cette perspective qui résout “le paradoxe” identifié dans l’approche organisationnelle, d’une action
organisée qui peut contredire les intérêts collectifs, étant donné qu’elle confond généralement action
organisée avec action collective. En effet, si dans la théorie de Crozier & Friedberg :
Les conditions et modalités, les "construits" des jeux à travers lesquels les acteurs parviennent
à trouver leur coopération font peser des contraintes spécifiques sur les capacités d’action, de
développement et de changement d’un ensemble, comme de chacun de ses membres. Pour
découvrir le poids de ces contraintes : "Il s’agira de découvrir les caractéristiques, la nature et
les règles des jeux qui structurent les relations entre les acteurs concernés et, partant,
conditionnent leurs stratégies, et de remonter ensuite aux modes de régulation par lesquels ces
jeux s’articulent les uns aux autres et sont maintenus en opération dans un système
d’action" (Y. Attal, 2001),

Il n’en demeure pas moins non seulement que l’action et la liberté se déploient dans un contexte et un cadre
historique spécifique qui les orientent en fonction de ses postulats idéologiques; mais surtout aussi, que cette
détermination essentiellement idéologique et politique présente des conséquences qui sont fonction du niveau
de participation historique des acteurs aux postulats idéologiques et politiques à l’œuvre. C’est ainsi que,
autant le processus qui conduit la Réforme forestière au Cameroun à manifester [entre autres

95
dysfonctionnements] la marginalité des communautés locales s’accommode du caractère “contingent” et
“limité” de la rationalité des acteurs ou de l’omniprésence du pouvoir dans la modulation des rapports sociaux;
autant l’approche d’analyse que nous suggérons dépasse le relativisme et l’échelle microscopique de Crozier
& Friedberg pour qui « Le pouvoir est un mécanisme quotidien de notre existence sociale que nous utilisons
sans cesse dans nos rapports avec nos amis, nos collègues, notre famille, etc. Partout et donc pas
nécessairement là où on l'attend, c'est-à-dire en haut de la hiérarchie, car le pouvoir prend sa source dans les
relations interpersonnelles »212.

Même si dans l’ensemble, et comme dans la sociologie des organisations de Crozier & Friedberg, la
préoccupation opérationnelle ultime consiste [pour paraphraser Yann Attal (2001)] de produire des
connaissances capables d’éclairer une pratique. Non dans le sens où elle serait capable de fournir des
recettes ou de formuler des lois générales qu’il suffirait de suivre ou d’appliquer, mais dans celui où elle veut
permettre aux acteurs concernés de mieux se situer dans leurs champs d’action et de mieux en mesurer les
contraintes et les réactions apparemment "irrationnelles" ainsi que leur propre contribution à la construction de
ces contraintes. Il s’agirait donc d’un "raisonnement sur les écarts" que le chercheur découvrira en confrontant
ses hypothèses à la réalité. Comme l’approche organisationnelle, l’analyse socio-historique par les contraintes
structurelles part donc du vécu des acteurs dans leurs interinfluences à toutes les échelles globale, régionale,
nationale et locale pour reconstruire non pas la structure sociale générale, mais la logique et les propriétés
particulières de sa régulation, c’est à dire la structuration de la situation ou de l’espace d’action considéré en
termes d’acteurs, d’enjeux, d’intérêts, de jeux et de règles du jeu qui donnent sens et cohérence à ce vécu.
Devant la nature contingente du phénomène auquel elle s’intéresse, l’approche organisationnelle ne peut
s’engager que dans une analyse clinique et pour tout dire également et nécessairement contingente de la
réalité des relations qui, dans un espace particulier, se nouent entre les acteurs concernés. À partir de la
connaissance que lui fournit cette analyse, l’analyste pourra reconstruire non seulement la logique des
rapports et des influences à l’œuvre entre les acteurs, mais aussi la nature des modes de régulation qui
structurent tout système d’action concret. Et Crozier & Friedberg peuvent énoncer que « Tout changement
proposé pour l’épanouissement des individus, le développement de leurs activités ou l’amélioration du climat
ou des performances de l’ensemble qu’ils constituent, passe par la transformation de ces systèmes »213.

L’approche socio-historique à laquelle nous articulons l’analyse par les contraintes structurelles est
particulièrement bien opérationnalisée dans le domaine de l’analyse de la structure macroscopique des

212 Op. cit.


213 Op. cit.

96
économies africaines par Patrick Guillaumont (2006, 1985)214, Michel Labonne (1994)215 et plusieurs autres
auteurs. En effet, traitant de la vulnérabilité et des facteurs de la stagnation économique de l’Afrique, dans une
perspective que nous appellerions fonctionnalisme critique ou réflexif, Patrick Guillaumont observe que :
« La vulnérabilité a récemment fait l’objet d’un regain d’intérêt pour des raisons variées touchant
aux façons dont elle affecte le développement des pays. Nous pouvons d’ailleurs la définir
comme le risque pour un pays d’être durablement affecté par des facteurs exogènes et
imprévus. Elle est le produit de trois éléments : l’ampleur de ces facteurs, généralement
identifiés comme des “chocs”, l’exposition du pays à ces chocs et la faible résilience, c’est-à-dire
la faible capacité à y faire face ou à les gérer. Dans une large mesure la vulnérabilité des pays à
faible revenu est structurelle, indépendante de la volonté du pays, notamment pour ce qui
concerne les chocs et l’exposition aux chocs ; dans une moindre mesure elle est aussi politique,
donc susceptible d’être modifiée par la volonté du pays, ce qui est notamment le cas de la
résilience. S’agissant des “chocs” exogènes, ils s’analysent pour une grande part en termes
d’instabilité. C’est pourquoi nous nous attachons ici à l’impact des facteurs exogènes
d’instabilité.
Il y a dix ans diverses sources exogènes d’instabilité, termes d’échange, climat, instabilité
politique semblaient expliquer dans une large mesure la faible croissance de l’Afrique. Or ces
sources demeurent, laissant subsister une forte vulnérabilité des économies africaines.
L’histoire récente de certains pays, comme la Côte d’Ivoire, illustre cette vulnérabilité. Elle
témoigne de la vulnérabilité spécifique des pays qui voient durablement interrompue leur
expérience de croissance et anéantis les espoirs qu’elle portait, par exemple, comme on le
disait naguère encore en Côte d’Ivoire, voir les “éléphants d’Afrique” prendre le relais des
“dragons et tigres d’Asie”. Elle entretient simultanément une image d’Afrique instable et risquée,
qui affecte un bien plus grand nombre de pays que ceux où l’instabilité a compromis la
croissance, et dans une certaine mesure le continent tout entier. L’impact potentiel des facteurs
exogènes d’instabilité sur le développement économique africain doit donc faire l’objet d’une
attention soutenue et d’une recherche sur les moyens de le prévenir. C’est une façon de
répondre à la question du “défi de l’environnement de la croissance en Afrique”.
À cette fin, nous montrons en premier lieu que le niveau présent de vulnérabilité des économies
africaines (par rapport aux chocs externes et aux chocs naturels) reste élevé comparé à celui
des autres économies en voie de développement, tant en ce qui concerne l’ampleur des chocs
auxquels elles sont soumises que leur exposition structurelle à ces chocs : nous l’illustrons en
utilisant des indices synthétiques de vulnérabilité structurelle, en particulier l’Economic
Vulnerability Index (EVI) récemment développé aux Nations unies […]
Les effets de l'instabilité des exportations, une cause essentielle de vulnérabilité structurelle des
pays en développement, ont longtemps été discutés dans les travaux recourant à des
régressions de croissance. Il y a vingt ans, les résultats pouvaient s'avérer mitigés, en partie à
cause de faiblesses méthodologiques et en partie à cause d'un intérêt excessif des auteurs pour
les effets de l’instabilité sur l'épargne (voir plus bas). Aujourd'hui, il semble qu'un consensus ait
émergé de différentes études pour conclure que l'instabilité des exportations (ou celle des
termes de l'échange) a bien des effets négatifs sur la croissance. Les effets trouvés sont même
encore plus significatifs quand sont testés simultanément l'effet positif de la croissance des

214 Patrick Guillaumont, 2006, “La vulnérabilité économique, défi persistant à la croissance africaine/Economic Vunerability, Still a Challenge for African
Growth”, CERDI, CNRS et Université d’Auvergne (https://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Knowledge/09484238-FR-LA-
VULNERABILITE-ECONOMIQUE.PDF); 2006, “La vulnérabilité macroéconomique des pays à faible revenu et les réponses de l'aide”, in Revue
d'économie du développement, 2006/4, Vol. 14; 1985, "Facteurs externes et politique économique en Afrique subsaharienne", in (sous la dir. de Tore
Rose) Afrique subsaharienne. De la crise au redressement, éd. OCDE, Paris; 1985, "External Factors and Economic Policy in Subsaharan Africa", in
(sous la dir. de Tore Rose) Crisis and Recovery in Subsaharan Africa. Realities and Complexities, éd. OCDE, Paris.
215 Michel Labonne, 1994, L’impact des Programmes d’ajustement structurel sur l’agriculture en Afrique. Guide pour l’évaluation et le suivi, éd.

FAO, Rome.

97
exportations et celui négatif de l'instabilité des exportations, et quand soit (a) l'instabilité des
exportations est pondérée par le ratio des exportations au PIB, lequel est d'autant plus important
que la population est peu importante, soit (b) l’instabilité est celle même du ratio des
exportations au PIB (Dawe, 1996). L'exposition aux chocs est alors prise en compte.
L'instabilité des exportations n’est pas la seule dont les effets aient été testés. Plusieurs
instabilités primaires, largement exogènes, qui agissent sur le taux de croissance, sont
significativement plus importantes dans les pays d'Afrique subsaharienne que dans les autres
pays en développement, Nous avons précédemment avancé qu’elles avaient été un facteur
majeur du ralentissement du taux de croissance en Afrique subsaharienne dans les années
1970 et les années 1980 (Guillaumont, Guillaumont Jeanneney et Brun, 1999). Ces instabilités
primaires étaient celles des termes de l'échange ou de la valeur réelle des exportations
(pondérée par le ratio des exportations au PIB), de la valeur ajoutée agricole (pondérée par la
part de cette valeur ajoutée dans le PIB), et l'instabilité politique. La première et la troisième de
ces instabilités ralentissaient significativement la croissance, mais non l'instabilité de la valeur
ajoutée agricole, laquelle au demeurant, mais cette fois non pondérée, apparaissait dans
d'autres travaux agir significativement (Guillaumont et Chauvet, 2001) »216.

Comme on le voit, l’appareil conceptuel que mobilise Patrick Guillaumont pour analyser les difficultés
économiques auxquelles l’Afrique est confrontée identifie divers déterminants que le chercheur appelle
indifféremment : vulnérabilités structurelles des économies africaines, facteurs structurels d’exposition aux
chocs exogènes, sources structurelles de la vulnérabilité, obstacles structurels à la croissance, handicaps
structurels à la croissance, etc.

Nous postulons qu’il existe trois types de contraintes structurelles (paradigmatiques, contextuelles et
interscalaires) dont la validité heuristique se nourrit de l’information pertinente collectée autant dans la
littérature scientifique que directement auprès des différents acteurs intéressés à la question forestière ou
impliqués dans la gouvernance forestière. Il s’agit d’une démarche inspirée de Dominique Raynaud (2006)217
et préoccupée de « faire passer les faits de l’aléatoire à la cohérence logique, par l’intermédiaire de causalités
singulières », pour le formuler dans les mots de Giovanni Busino (1986)218. Chacun de ces types de
contraintes structurelles est validée par la mise en évidence d’éléments précis considérés comme indicateurs
à partir desquels on peut les saisir concrètement, dans le déploiement quotidien aux diverses échelles d’action
[globale ou internationale, régionale, nationale, locale] des acteurs, des institutions et des activités.

216 Patrick Guillaumont, 2006, “La vulnérabilité économique, défi persistant à la croissance africaine/Economic Vunerability, Still a Challenge for African
Growth”, CERDI, CNRS et Université d’Auvergne (https://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Knowledge/09484238-FR-LA-
VULNERABILITE-ECONOMIQUE.PDF); 2006, “La vulnérabilité macroéconomique des pays à faible revenu et les réponses de l'aide”, in Revue
d'économie du développement, 2006/4, Vol. 14; 1985, "Facteurs externes et politique économique en Afrique subsaharienne", in (sous la dir. de Tore
Rose) Afrique subsaharienne. De la crise au redressement, éd. OCDE, Paris; 1985, "External Factors and Economic Policy in Subsaharan Africa", in
(sous la dir. de Tore Rose) Crisis and Recovery in Subsaharan Africa. Realities and Complexities, éd. OCDE, Paris.
217 Dominique Raynaud, 2006, Étude d’épistémologie et de sociologie des sciences, GEMAS, Grenoble.
218 Op. cit.

98
En effet, et en guise d’illustration, il ressort de l’exploitation du livre de Marie-Claude Smouts, Forêts
tropicales, jungle internationale. Les revers d’une écopolitique mondiale (2001)219, que l’analyse de la
marginalisation des communautés villageoises dans la gouvernance forestière au Cameroun par le concept
des contraintes structurelles rend essentiellement compte aussi et éprouve la validité heuristique des concepts
braudélien et wallerstanien d’économie-monde global et de système-monde, en même temps qu’elle permet le
dévoilement du caractère global de la problématique environnementale ainsi que la prise en charge
internationale des enjeux relatifs aux forêts [tropicales] :
« Par cette sociologie des relations internationales appliquée aux défis globaux nouveaux dont
celui des menaces environnementales planétaires, indique M.-C. Smouts, nous essayons de
voir quels systèmes d’acteurs a façonné l’idée de forêt tropicale comme un bien public mondial
justifiant l’intervention politique des institutions internationales, les lieux et mécanismes de
marchandage, les schémas d’influence conduisant à cette mise sur agenda. Puis, nous
analysons le type de régulations produites par l’activité internationale, leur mode d’apparition et
leur contenu, leurs implications éthiques et politiques, en particulier dans les relations entre pays
industrialisés et pays en développement. Nous examinons aussi la réception de ces règles
informelles, les différents aspects de l’articulation entre le niveau global où se définit la règle
internationale et le niveau local où elle doit être mise en œuvre »220.

Pour étayer le concept de contraintes structurelles, nous suggérons deux dimensions de réalité qui nourrissent
l’explication de la marginalité des communautés locales dans la gouvernance forestière et la mise en œuvre
du Régime forestier. Il s’agit de l’incidence déterminante de l’exogénéité dans la constitution intellectuelle, la
structuration sociale, la configuration politique, le fonctionnement institutionnel et le déploiement historique des
collectivités politiques africaines. De même, le mode violent, exclusif et totalitaire d’articulation de la modernité
capitaliste aux systèmes et contextes indigènes africains semble avoir nécessairement provoqué l’émergence
d’un conflit paradigmatique irréductible qui se traduit par la manifestation constante de dysfonctionnements
implacables (José Do Nascimento, 2008; Oscar Pfouma, 1993; Bertrand Badie, 1992; Thierry Michalon, 1984;
Franz Fanon, 1961).

5.4. Le concept de “contraintes structurelles paradigmatiques”


Le concept de contraintes structurelles paradigmatiques se construit dans la filiation directe de la définition
que Thomas Kuhn (1962) donne du paradigme221. Aussi renvoient-elles à la détermination intellectuelle totale
de la production culturelle, sociale, technologique, institutionnelle, artistique, politique, économique, de la
pensée opératoire, autrement dit à la structuration totale et systémique de l’intellectualité opératoire. Dans le
cadre spécifique de notre thèse qui se préoccupe d’expliquer la marginalisation chronique des communautés

219 Éd. Presses de Sciences Po, Paris, 2001.


220 Ibid.
221 Thomas Kuhn, 1972 (1962), La structure des révolutions scientifiques, éd. Flammarion, Paris. Lire également Patrick Juignet, 2015, “Les

paradigmes scientifiques selon Thomas Kuhn”, in Philosophie, science et société [en ligne (http://www.philosciences.com).

99
villageoises dans la gouvernance forestière au Cameroun, il s’agit de la dépendance radicale de la pensée
opératoire (la science, la culture, les modes de vie, les références, les aspirations existentielles, le projet
historique) à l’égard de l’intellectualité dominante et exogène, qui elle-même se fonde sur la détermination
historique (structurelle et systémique) de la collectivité politique camerounaise par la modernité et le modèle
rationaliste qui est aussi le modèle classique de coordination ou de gouvernement, ou le modèle économique
capitaliste de production et de croissance, comme on le retrouve dans les travaux de Jean Vioulac (2013),
Mbog Bassong (2013), Michel Casteigts (2010), Denis Salles (2009), Jacques Theys (2003), Alf Schwarz
(1982, 1980)222, Thierry Michalon (1984)223, etc.

Les contraintes structurelles paradigmatiques renvoient en l’occurrence au centralisme étatique, à la


production des richesses par le mode capitaliste d’exploitation des ressources, et à l’économie coloniale ou
techno-industrielle du “développement” (Gilbert Rist, 2015, 2014, 2010, 2002, 1996, 1992; José Do
Nascimento, 2008; Alf Schwarz, 1982, 1980)224 –telle qu’elle se déploie aujourd’hui à travers l’appareillage de
la coopération internationale et l’infrastructure de la mondialisation, autour de la Banque mondiale, du Fonds
monétaire international, des institutions financières, des banques et des agences de notation (Gregory Palast,
2001)225, autour des Nations Unies, de l’Organisation mondiale du commerce et de l’ensemble du système
économique et financier multilatéral opératoire (Chantal Line Carpentier, 2014)226. L’énonciation qu’en formule
Thierry Michalon (1984) permet de saisir toute l’ampleur de l’empreinte paradigmatique dysfonctionnelle ainsi
que toute la portée du facteur structurel originaire :
L’idéologie coloniale, reprise à peu près intacte par les dirigeants des jeunes États africains,
reposait sur un postulat fondamental : les institutions étatiques centralisatrices importées
d’Europe allaient rapidement briser les cultures traditionnelles africaines, c’est-à-dire les
solidarités ethniques, régionales, linguistiques, villageoises. Et sur leurs ruines, l’État-nation
importé ferait naitre en quelques années une culture “moderne”. Au contraire, plaquées sur des
sociétés et des mentalités qui leur étaient totalement étrangères, les institutions “modernes”
vont immédiatement tourner au vide, n’ayant aucune concordance avec la réalité sociale. Cette
situation de rémanence des mentalités traditionnelles et par conséquent de modernité inaboutie
et bancale a vidé l’État africain de tout contenu, ne le laissant subsister que comme façade,
comme décor de théâtre, mais aussi comme distributeur de privilèges et outil de répression.
Aujourd’hui encore, le décalage entre la culture et les mentalités, d’une part, les institutions et

222 Op. cit.


223 Au détail, les travaux référés se déclinent ainsi qu’il suit :
- Jean Vioulac, 2013, La Logique totalitaire. Essai sur la crise de l'Occident, PUF-Épiméthée;
- Mbog Bassong, 2013, Le savoir africain. Essai sur la théorie avancée de la connaissance, Montréal, éd. Kiyikaat;
- Michel Casteigts, 2010, “Réforme(s) territoriale(s) : de la complexité comme solution à la simplification comme problème”, Espaces et sociétés,
n°142; 2009, “Transactions interculturelles et intégration territoriale. Le cas du pays basque”, Cairn info;
- Denis Salles, 2009, “Environnement : la gouvernance par la responsabilité?”, VertigO, Hors série 6;
- Op. cit.
224 Alf Schwarz, op. cit.
225 Gregory Palast, 2001, “IMF's four steps to damnation. How crises, failures, and suffering finally drove a Presidential adviser to the wrong side of the

barricades?” (http://www.guardian.co.uk/business/2001/apr/29/business.mbas?INTCMP=SRCH)
226 Chantal Line Carpentier, 2014, “Les Objectifs de développement durable et l’Agenda post-2015 de l’ONU”, Université d’automne 2014 de l’Institut

EDS Université Laval.

100
l’État, d’autre part, reste immense. Là réside probablement une des causes essentielles de la
navrante inefficacité de l’État africain dans ses actions de développement227.

En d’autres mots encore, les contraintes structurelles paradigmatiques se déclinent dans la procession
coloniale de la collectivité politique camerounaise (Simon Nkén, 2014; Daniel Abwa, 2000)228 et le confinement
de l’État post-colonial dans la dépendance internationale (Noam Chomsky, 2016, 2005, 2003, 1995; Guy
Martin, 2014; Prao Yao, 2013; Samir Amin, 2012-1970; Mueni wa Muiu & Guy Martin, 2009; Nicolas Agbohou,
2008; Immanuel Wallerstein, 2014, 2012, 2011, 2009, 2008, 2006, 2001, 1999, 1995, 1991, 1988, 1985, 1975,
1966; Michel Norro, 1994; Bertrand Badie, 1992; Fernand Braudel, 1986, 1985, 1979, 1958, 1949; Thierry
Michalon, 1984; Stanislas Spero Adotevi, 1972; etc.). Elles se déterminent également dans la logique
autoritaire de coordination ainsi que dans l’approche centralisée de gestion des affaires publiques par l’État
seul. Dans le cas spécifique africain, cette logique est amplifiée par une rupture de type culturel entre d’un
côté un État élitiste qui ne tient son existence et sa légitimité que de l’histoire coloniale continuée et de lui-
même; et de l’autre les communautés villageoises instrumentalement constituées en tant qu’acteur par la
réforme environnementale. C’est ainsi que dans la logique d’exploitation des ressources et de production des
richesses, l’État –que l’on ne saurait dissocier dans ce contexte du système-monde, de l’économie-monde
globale ou du système de la dépendance et des lignes de force internationales –définit les orientations
politiques et les modalités stratégiques, et les applique avec “l’aide” –quand ce n’est pas à la suggestion, à la
pression ou au contrôle et avec l’agence –des acteurs financiers, économiques et géopolitiques
internationaux, en fonction d’intérêts qui ne correspondent pas toujours avec les disponibilités structurelles des
contextes d’implémentation (Parfait Oumba, 2007).

Les contraintes structurelles paradigmatiques se traduisent aussi dans la position inexistante ou périphérique
et marginale des communautés locales aussi bien quant à l’origine et la motivation des réformes du secteur
forestier que quant à la qualité de leur présence dans le processus d’élaboration et de mise en œuvre du
nouveau Régime des forêts. Ce paramètre est particulièrement important dans la mesure où il détermine
radicalement la validité, l’implémentation et l’impact des orientations stratégiques mobilisées par la politique
forestière, mais aussi par ricochet la validité de toute la politique forestière comme on le verra avec
l’indisponibilité systémique et l’incompétence intellectuelle, technique et logistique et l’échec de la technologie

227Op. cit.
228Simon Nkén, 2014, L’empreinte suspecte de Louis-Paul Aujoulat sur le Cameroun d’aujourd’hui, éd. K2Oteurs/Librairie Taméry, Paris.
Daniel Abwa, 2000, Commissaires et Hauts-Commissaires de la France au Cameroun (1916-1960). Ces hommes qui ont façonné politiquement
le Cameroun, éd. Karthala, Paris.

101
des forêts communautaires (S. Ongolo & L. Brimont, 2015; Ghislain Fomou, 2015; Daniel Tonyè, 2008229;
Ngoumou Mbarga, 2013; F. Parfait Oumba, 2007; P. Bigombe Logo).

Schématiquement, les contraintes structurelles paradigmatiques –dont la primordialité dans le triptyque


typologique proposé par cette thèse –se déterminent de manière générale dans les éléments suivants :
- La divergence des représentations que la modernité capitaliste et les communautés indigènes ont de
la forêt;
- La dualité juridique inopératoire née de cette rencontre dans la génération des collectivités africaines
actuelles (Marie Fall, 2006; Étienne Le Roy, 1997, 1990) et dont Parfait Oumba (2007) relève que :
L'indétermination des régimes fonciers, le flou juridique créé par la plupart des législations, et
surtout les difficultés d'application des textes dues à la résistance des droits coutumiers
traditionnels face aux droits dits modernes entraînent une anarchie des usages en milieu
forestier. L'inadaptation des normes résultant d'une forte tendance à l'étatisation des sols, à leur
nationalisation, soit par pour des raisons idéologiques, soit en raison des choix des politiques de
développement par le biais du contrôle des terres, a entraîné une démobilisation des
populations relativement à une gestion écologiquement rationnelle des forêts. La mainmise de
l'État sur les terres et la centralisation de leur gestion sont apparues comme une mise en cause
de la capacité des institutions traditionnelles à gérer leur environnement; elles ont retiré aux
autorités locales traditionnelles leur rôle contrôle effectif des pratiques rurales : celles-ci, par
exemple, ne peuvent plus punir les infractions relatives à la gestion des ressources forestières,
ces infractions étant désormais soumises à la seule appréciation des agents forestiers qui n'ont
pas du tout les moyens de leurs missions230;

- La disqualification intellectuelle [culturelle, sociale et politique] des communautés indigènes dans le


déploiement de l’État moderne (Mbog Bassong, 2013);
- L’exclusion et l’inexistence citoyenne des communautés villageoises.

Ces éléments qui constituent les indicateurs fondamentaux des contraintes structurelles paradigmatiques se
déterminent à leur tour par :
- L’opposition ou l’incompatibilité manifestée entre l’État ou la collectivité politique moderne et les
villages ou les ethnies comme forme d’organisation collective indigène;
- Entre la vocation capitaliste de l’exploitation industrielle de la forêt et le rapport écosystémique que
les indigènes entretiennent avec la forêt (Doti Bruno Sanou, 2014; Claude Villeneuve et al, 2013;
Mbog Bassong, 2013; Esoh Elame et al, 2012; Mubabinge Bilolo, 2007; Sévérin Cécile Abéga, 2001,
2000; Akwah G. Neba, 1996; Serge Bahuchet, 1994; Guéhi Jonas Ibo, 1994; Jean Ziegler, 1988);

229 Daniel Tonyè, 2008, Évaluation de l'impact de la gestion des forêts communautaires au Cameroun, Thèse de doctorat, Université Laval,
Quebec City.
230 Op. cit.

102
- Entre le droit moderne ou civil de propriété [appropriation privée], et les règles coutumières de
gestion solidaire et communautaire des ressources de la terre, de l’espace, de la faune.

L’interprétation opérationnelle qu’en font Edgar Morin & Jean-Louis Lemoigne (1999) est parfaitement
édifiante :
Les paradigmes, ce sont les principes des principes, les quelques notions maîtresses, qui
contrôlent les esprits, qui commandent les théories, sans qu’on en soit conscient nous-mêmes.
Le paradigme que produit une culture est en même temps le paradigme que reproduit cette
culture.
[Pour les deux théoriciens] L’absence de complexité dans les théories scientifiques, politiques et
mythologiques est elle-même liée à une certaine carence de complexité dans l’organisation
sociale elle-même, c’est-à-dire que le problème du paradigmatique est extrêmement profond
parce qu’il renvoie à quelque chose de très profond dans l’organisation sociale qui n’est pas
évident de prime abord; il renvoie à quelque chose de très profond, sans doute, dans
l’organisation de l’esprit et du monde noologique […]
Ainsi par exemple, ce que l’on peut appeler le grand paradigme d’Occident qu’a très bien
formulé Descartes, qui est la disjonction entre l’objet et le sujet, la science et la philosophie,
c’est un paradigme qui ne contrôle pas seulement la science, mais qui contrôle également la
philosophie. Voici donc un paradigme, qui contrôle des types de pensées totalement différentes,
voire antagonistes, mais qui les obéissent également231.

Nous dirions qu’au commencement de la marginalisation des communautés locales comme de l’ensemble des
dysfonctionnements et contradictions identifiés dans la mise en œuvre du Régime des forêts de 1994, il y a les
contraintes structurelles paradigmatiques. En réalité et à parler plus rigoureusement, il s’agirait davantage de
contraintes historico-paradigmatiques. Cette précision vaut également pour les contraintes structurelles
contextuelles et les contraintes structurelles interscalaires, étant donné que la structure de ces trois types de
contraintes ne peut être effectivement cernée qu’à partir des dynamiques et facteurs historiques par lesquels
elles se sont constituées. Cela dit, nous parlerons généralement dans ce texte de contraintes structurelles tout
court, pour des raisons de simplification du langage et d’efficacité.

5.5. Le concept de “contraintes structurelles interscalaires”


Les contraintes structurelles interscalaires renvoient à la co-présence de différents niveaux de structuration de
l’action stratégique politico-institutionnelle, ainsi qu’à la cohabitation de plusieurs forces et dynamiques
d’activité, que cette action provienne respectivement ou simultanément d’acteurs et dynamiques étatiques ou
non-gouvernementaux, ou que les acteurs et dynamiques d’activité se déploient aux échelles sub-étatique,

231 Edgar Morin & Jean-Louis Lemoigne), 1999, L’intelligence de la complexité, L’Harmattan, Paris

103
inter-étatique ou dans le cadre de dynamiques bilatérales, régionales, multilatérales, internationales ou
globales. Dès lors, les contraintes structurelles interscalaires consistent aux enjeux, risques, et
dysfonctionnements qui se dégagent des rapports non nécessairement convergents entre les représentations
et les intérêts des différentes échelles/acteurs en contact. C’est dans cette conceptualité que s’ordonne et se
comprend l’énonciation de Marie-Claude Smouts (2001) traitant de la configuration internationale et globale de
la problématique de l’exploitation industrielle des forêts tropicales ainsi que des enjeux multiples qui en sont
mobilisés. M.-C. Smouts relève ainsi au tout début des années 2000 que :
Si prémices il y a d’une écopolitique internationale, cela n’a rien à voir avec l’établissement d’un
quelconque régime. Il n’y a pas de système mondial d’action collective, pas de grand accord
formalisé, pas de structure institutionnelle qui s’impose à tous, pratiquement pas d’engagements
financiers communs à long terme, bref, rien de ce qui fait le bonheur des théoriciens des
régimes. Et pourtant, il se passe quelque chose : les représentations de la forêt tropicale ont
considérablement évolué depuis quelques années, et cela chez tous les acteurs; les
conceptions de l’aménagement forestier durable ont tendance à s’unifier tout en prenant de la
substance; quantités d’initiatives locales et régionales sont prises, commentées et évaluées à
l’échelle internationale; bref, une sorte de référentiel commun s’est constitué qui pèse non
seulement sur les discours et l’élaboration des lois nationales, exercices souvent formels, mais
aussi de plus en plus souvent sur les modes concrets d’utilisation des espaces forestiers.
Le seul fait qu’un système d’information, de réflexion et d’évaluation relie un nombre important
d’acteurs significatifs dans le domaine forestier est en soi un phénomène. La question est de
savoir qui en fait partie, comment il tient, quels types d’interactions il produit et qui en bénéficie.
Système bien hétérogène, en effet, que celui-ci : par la nature des acteurs qui le composent, par
la diversité des rôles et des moyens d’influence qui s’y exercent, par la variété des secteurs
concernés. Aucune catégorie d’acteurs n’est unitaire. Chacune est divisée et chaque élément de
chaque catégorie se trouve engagé dans des relations de conflit/coopération avec tous les
autres, avec des clivages variables selon les lieux et selon les moments :
- Les États n’ont pas les mêmes points de vue et, sur le plan interne, toutes leurs
administrations n’ont pas les mêmes représentations de l’enjeu forestier;
- Les grandes organisations internationales ont leur culture propre et des intérêts
bureaucratiques qui les font se poser en rivales, bien qu’elles poursuivent en principe les
mêmes objectifs;
- Les ONG font chorus sur tous les thèmes (respect des écosystèmes, protection de la
biodiversité, redistribution équitable des revenus de la forêt, etc.) mais elles sont en
concurrence médiatique et financière et ne choisissent pas toutes les mêmes options
stratégiques;
- Les experts communiquent bien entre eux mais ont tendance à se poser en s’opposant et à
entretenir les débats techniques qui sont leur gagne-pain;
- Les industriels ont les mêmes intérêts à défendre, mais ils n’ont pas la même histoire, pas les
mêmes contraintes, ni les mêmes atouts face aux États, aux ONG, au marché, dans une
concurrence devenue mondiale […]
Tirant sa force de ses compétences techniques, la technocratie ou le système forestier
transnational définit les concepts, notamment celui de gestion forestière durable, construit des
normes comme les critères et indicateurs de la certification, élabore des principes de politique
forestière applicables mondialement. [Cependant,] La question non résolue est celle de la
médiation entre ce système [transnational ou global] et la myriade de sous-systèmes nationaux

104
et locaux avec lesquels il lui faut établir des partenariats pour s’inscrire dans une gestion
concrète »232.

Même si l’on ne saurait nier la réalité de la complexité que Marie-Claude Smouts s’efforce de détailler ici au
maximum, toutes les différenciations et les catégorisations que la chercheure relève ne semblent pas
pertinentes, eu égard notamment aux spécificités contextuelles (Molefi Kete Asante, 2014, 2011, 2010, 2007,
2003, 1996, 1992; A.K. Bangura, 2015, 2011; J.-E. Pondi, 2011; A. Mbembe, 2010, 1997, 1990; José Do
Nascimento, 2008; Amartya Sen, 2005; Oscar Pfouma, 1993; T. Michalon, 1984).

L’opérationnalisation de l’analyse par les contraintes structurelles interscalaires se déploie à travers un certain
nombre d’indicateurs globaux et spécifiques dont les plus significatifs sont respectivement :
- L’articulation problématique et déficiente de l’Afrique à la modernité et au cosmopolitisme;
- L’origine monolithique de la pensée opératoire à partir des contextes dominants et la procession
unidirectionnelle depuis les États et acteurs forts de l’information structurante;
- La situation localisée dans le Nord et la coordination systémique par le Nord des conditions de
contrôle des dynamiques d’analyse, de traitement et de conduite des réformes forestières;
- L’origine idéologique et intellectuelle dans le Nord ainsi que la localisation des acteurs
gouvernementaux, institutionnels et médiatiques les plus actifs ou les plus en vue dans le contexte
occidental;
- La répartition inégalitaire et dépendante –selon que l’on est du Nord ou du Sud, des contextes forts et
dominants ou d’Afrique, acteurs internationaux et d’envergure internationale ou acteurs nationaux et
locaux –de la contribution et de la participation aux dynamiques et actions;
- Les sources internationales de la problématique des forêts tropicales et l’agence directe de la Banque
mondiale dans l’opérationnalisation itinérante des réformes dans les régions concernées dont le
Bassin du Congo;
- Etc.

Dans le cadre de la problématique qui est analysée dans cette thèse, les contraintes structurelles
interscalaires sont significatives de la marge de manœuvre ténue dont disposent les acteurs
gouvernementaux et locaux de la “périphérie” (I. Wallerstein, 2009, 1991, 1975; B. Badie, 1992; F. Braudel,
1986, 1985, 1979, 1958, 1949) dans l’économie politique forestière internationale, eu égard à la marginalité de
leur statut dans le système international de dépendance, mais aussi en fonction de la faiblesse de leurs
capacités de participation ou d’influence sur les dynamiques globales géopolitiques, commerciales et
financières, idéologiques, etc. En d’autres termes, les contraintes structurelles interscalaires rendent compte

232 Op.cit.

105
des implications intellectuelles, politiques, économiques ou écologiques qui résultent des rapports inégalitaires
que les États faibles et les acteurs locaux entretiennent dans les divers cadres multilatéraux et bilatéraux avec
les acteurs et les intérêts dominants. C’est dans cette perspective qui éclaire la cohérence de son propos
d’une lumière nouvelle que l’analyse de Marie-Claude Smouts (2001) prend également tout son sens. En effet,
la politiste indique qu’ :
Au début du XXIème siècle, globalement, la forêt tropicale ne cesse de reculer, pour des raisons
diverses et toujours politiques. Le mépris des populations locales, les choix de développement,
les conflits armés, le comportement prédateurs de certaines compagnies, la captation de la
rente forestière par les dirigeants politiques et leurs clients, la mauvaise gestion, la corruption,
telles sont les causes majeures du dommage. [Cependant,] Nulle part, et dans aucune des listes
des causes directes ou sous-jacentes de la déforestation dressée par les organisations
internationales, on ne trouvera ces causes ainsi répertoriées et formulées. Mais tous ceux qui
travaillent sur le sujet les connaissent et les rencontrent sur le terrain […] Ces causes profondes
de la destruction de la forêt tropicale sont aussi entretenues par le jeu d’intérêt d’intervenants
extérieurs. Intérêts bureaucratiques de telle organisation internationale qui cherchera à imposer
son modèle en méconnaissance des réalités locales, des intérêts économiques de tel État qui
fermera les yeux sur le comportement pillard de ses sociétés forestières dans les régions
avoisinantes ou de tel autre qui encouragera ses entreprises dans la quête de gros contrats de
travaux publics destructeurs de l’environnement, intérêts commerciaux de grands conglomérats
pour qui l’exploitation forestière n’est qu’une part dans leur portefeuille d’activités, intérêts privés
de tel personnage profitant des réseaux clientélistes rémunérateurs tissés par l’ancienne
métropole dans les “pays amis”. Les espaces forestiers offrent des ressources multiples à des
acteurs divers aux intérêts contradictoires. Ceci est vrai partout mais, dans les régions
tropicales, les acteurs sont plus nombreux, de provenances plus diverses et de statuts plus
inégaux que dans toute autre région du monde233.

Quelques années plus tard, l’étude plus ciblée que Parfait Oumba (2007) fait des politiques forestières dans le
Bassin du Congo conforte la validité de l’énoncé de Smouts. Il mentionne ainsi que :
Dans le cadre du PAFT, il serait naïf de croire que l'intervention de la communauté
internationale était une initiative à la suite de “l'Armée du Salut”. Il n'en est rien. D'après les
correspondants de l'Organisation africaine du bois (AOB), [autant les militants et acteurs
environnementalistes se sont mobilisés pour imposer un changement de paradigme eu égard
aux risques et crises environnementaux; autant] les bailleurs ont dicté la conduite du processus.
En Côte d'Ivoire par exemple, dans une phase précédente, les financements étaient consacrés
aux opérations de reboisement industriel qui, par le fait d'une préparation de terrain de type
mécanisé, occasionnent une perte de diversité biologique. Les groupes de consommateurs des
pays importateurs des bois tropicaux ont menacé, par ONG écologistes interposées, de
boycotter ces bois si les forêts n'étaient pas aménagées. En République démocratique du
Congo, ce fut un véritable directivisme. Les termes utilisés pour qualifier la contribution des
Bailleurs sont très évocateurs : “le leadership de mission multidonatrice”.
À travers les différentes contributions et “la politique du gros bâton”, les donateurs ont presque
réussi leur mission de pacification écologique en Afrique centrale. Ainsi, ces nouvelles politiques
forestières, bien que cohérentes et appuyées par les bailleurs n'ont pas manqué d'être

233 Op. cit.

106
critiquées. Déconnectées des réalités sociales dans la conception, elles ont été mises à
l'épreuve au contact de celles-ci dans la phase d'implantation234.

5.6. L’exemple du mécanisme REDD+


Le Programme Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation a été initié en 2008 sous la
coordination des Nations Unies, et son objectif est de réduire substantiellement et sur la durée les émissions
de carbone inhérentes à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays forestiers sous-
industrialisés. L’extension “plus” date de la Conférence de Cancún (2010) et réfère à l’adjonction de la
dimension “accroissement des capacités de séquestration du carbone notamment par la transformation des
systèmes de production agricole” (CNUCC, 2011). Le REDD+ se déploie sous la forme d’un contrat de
performance négocié à l’intérieur de la Convention des Nations Unies sur les changements climatiques
(CNUCC) par lequel un premier camp d’acteurs constitué des pays industrialisés, d’investisseurs,
d’organisations non-gouvernementales et divers donateurs individuels et associatifs, s’engage à compenser
financièrement un second camp d’acteurs constitué des pays forestiers et sous-industrialisés qui s’engagent
quant à eux à réduire les émissions forestières de carbone. En sus de l’exigence subséquente de souscription
aux systèmes novateurs de production agricole et agroforestiers que le mécanisme propose, l’obtention des
paiements compensatoires exigent des pays sous-industrialisés qu’ils présentent des preuves tangibles de
réduction effective des émissions (Phelps, Webb & Agrawal, 2010).

Le mécanisme REDD+ se présente ainsi comme une incitation majeure de réduction des émissions d’origine
forestière du fait du potentiel de financement qu’il mobilise à l’adresse des pays forestiers sous-industrialisés
dont les gouvernements sont appelés à mettre en place de nouvelles stratégies nationales d’exploitation des
ressources forestières qui soient inclusives et collaboratives, associent les différentes parties prenantes (les
communautés locales, les industriels, les ONG et autres acteurs associatifs ou de la société civile, la
recherche, les intervenants étatiques) et tiennent compte des différents besoins et intérêts, déterminent
clairement le régime des tenures, s’arriment au marché du carbone, satisfassent les quotas nationaux de
carbone, définissent des conditions optimales et des modalités lisibles de gestion des fonds prévus pour les
acteurs locaux.

Cependant, du point de vue de la logique paradigmatique qui soutend le déploiement global du Programme, il
convient de relever cet élément particulièrement intéressant qui atteste l’enracinement radical de la modernité
capitaliste : en effet, en reposant essentiellement les exigences de performance écologique sur la capacitation

234 Op. cit.

107
des bassins forestiers tropicaux en matière de séquestration de carbone, REDD+ confesse comme ce qui
serait l’incapacité actuelle des pays industrialisés à procéder à court et même moyen termes à la modification
structurelle de leurs systèmes de production et de consommation (Gilles Lipovetsky, 2009; Peter Dauvergne,
2008)235, notamment quand on apprend avec Sébastien Bouchard (1999) expliquant le concept d’économie-
monde tel que formulé par F. Braudel ou I. M. Wallerstein que :
La mondialisation ou globalisation des marchés ou de l’économie, peut être présentée comme la
phase extrême de l’expansion du marché comme régulateur des échanges internationaux. La
libéralisation des frontières commerciales, planifiée depuis la fin de la Deuxième Guerre
mondiale par le GATT, combinée aux avancées technologiques dans le domaine des transports
et des communications, a permis de décupler le commerce mondial : "1/5ème de la production
mondiale fait aujourd’hui l’objet d’échanges internationaux. Le commerce mondial des biens et
services a dépassé pour la première fois en 1995 le seuil des 6000 milliards de dollars, soit
l’équivalent de 24 fois le budget de la France. Il double en volume tous les neuf ans". Cette
libéralisation du commerce réduit la capacité d’intervention des États […]236.

Jacques Adda (1996) formule la même intelligence du paradigme dominant dans sa lecture de Braudel et
Wallerstein :
Comme au sein d'un empire, observe-t-il, le centre est, de fait, investi d'une fonction de maintien
de l'ordre et de défense de l'économie-monde dont le coût budgétaire grève sa compétitivité.
L'existence d'échanges internationaux n'est toutefois pas un critère suffisant de la notion de
système. Le critère essentiel est la division internationale du travail […]
Le trait spécifique de l’économie-monde est son caractère capitaliste. Le terme capitalisme,
pour Wallerstein, désigne un système structurellement orienté vers l’accumulation illimité du
capital. Du caractère capitaliste de l’économie-monde européenne découle sa vocation
universelle, autrement dit sa propension à s’étendre à l’ensemble de l’espace mondial en tirant
partie de l’hétérogénéité de cet espace. Ceci nous amène à la notion de “périphérie”.
Métaphore spatiale, cette notion dérive directement du caractère expansif de l'économie-monde
européenne. La périphérie ne se conçoit, bien sûr, qu'en opposition au “centre du système” que
l'on peut circonscrire à l'ensemble des puissances engagées dans la lutte pour l'hégémonie au
sein de l'économie-monde. La périphérie n'est pas l'extérieur du système, elle en fait partie. Ce
qui définit la périphérie est son mode d'insertion particulier dans le réseau d'échanges d'une
économie-monde ou plus précisément, dans la division internationale du travail promue par les
puissances qui dominent cette économie-monde.
Il importe en effet ne pas s'en tenir à l'échange. La division internationale du travail entre zones
centrales et périphériques n'est pas le simple produit d'une distribution aléatoire des ressources
naturelles ou factorielles de par le monde. Elle met en jeu une maîtrise des filières
d'approvisionnement et de commercialisation et une emprise multiforme du centre sur les
productions périphériques.

235 Lire:
- Gilles Lipovetsky, 2009, Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d'hyperconsommation, éd. Gallimard, Paris; 2006, La société de déception,
éd. Textuel, Paris; 2004, Les temps hypermodernes, éd. Librairie générale française, Paris; 1992, Le crépuscule du devoir. L'éthique indolore des
nouveaux temps démocratiques, éd. Gallimard, Paris; 1987, L'empire de l'éphémère. La mode et son destin dans les sociétés modernes, éd.
Gallimard, Paris; 1983, L'Ère du vide. Essai sur l'individualisme contemporain, éd. Gallimard, Paris.
- Peter Dauvergne, 2008, The Shadows of Consumption. Consequences for the Global Environment, éd. Massachusetts Institute of Technology.
236 Sébastien Bouchard, 1999, “La phase néolibérale de l’économie-monde”, in La Gauche (http://www.lagauche.ca/La-phase-neoliberale-de-l-

economie-monde).

108
La périphérisation désigne le processus de restructuration des productions des régions tombant
sous le contrôle politique (colonisation) ou économique du centre de l'économie-monde, en
fonction de ses besoins de consommation finale ou intermédiaire. Les productions périphériques
sont ainsi dissociées de la satisfaction des besoins locaux et deviennent directement branchées
sur le marché dit mondial. Dans les régions les plus développées de la périphérie (l’Extrême-
Orient à l’époque coloniale), la complémentarité vis-à-vis des productions du centre est imposée
par l’élimination de toute concurrence effective ou virtuelle.
Toutefois, l’expansion du capitalisme à l’échelle mondiale ne se traduit pas seulement par
l’instauration des rapports de domination entre des économies ayant un niveau de
développement inégal. Elle est aussi génératrice d’une diffusion de capitaux, des techniques et
des méthodes d’organisation qui suscitent une contestation permanente des avantages acquis.
Wallerstein situe les bases matérielles de l’hégémonie dans les trois domaines de la production,
du commerce et de la finance. Elles se font et se défont dans cet ordre particulier, la domination
financière survivant un temps à l’érosion de sa base réelle, productive et commerciale237.

En effet, non seulement cet aspect fondamental de la géopolitique environnementale met ainsi en exergue la
réalité opératoire de rapports asymétriques tant entre les échelles qu’entre les acteurs, mais l’analyse du
Programme fait également écho à diverses questions fondamentales d’ordres paradigmatique et politique dont
celle de savoir si REDD+ ne constitue pas une autre stratégie de contrôle du rythme de croissance des États
faibles et par conséquent de leur niveau d’exploitation des ressources dont on appréhenderait la contribution
potentielle à l’aggravation du risque écologique. C’est ainsi que cette préoccupation interroge le degré de
considération que le Programme fait des États forestiers sous-industrialisés dans leurs exigences de
souveraineté et d’auto-détermination ainsi que dans leurs intentions légitimes de croissance. Dès lors, les
dissensions observées autour du Protocole de Kyoto ou dans le processus de négociation de la Convention
sur la lutte contre les changements climatiques par exemple, tendent à montrer que les dispositifs
internationaux de la gouvernance environnementale sont essentiellement le résultat de rapports de force entre
les acteurs puissants, les États forts, les acteurs dépendants et les États faibles, par où chacun entend
protéger ses acquis et défendre ses intérêts. C’est à l’identification de cette réalité dans son analyse des
dynamiques scalaires conflictuelles que Stéphane Guéneau (2007) est amené à conclure à la crise du
multilatéralisme.

À l’aune du contexte africain. À cause de l’importance des financements compensatoires qu’il mobilise et de la
complexité des exigences techniques proposées (élaboration d’un plan forestier détaillé de séquestration du
carbone, mise en place d’une base de données fiables aussi bien sur le suivi quantitatif des réductions
d'émissions au niveau national que sur les valeurs des transactions entre acheteurs et vendeurs, etc.), les
Programmes REDD+ semblent [hors de portée des communautés villageoises (Phelps et al, 2010)]
essentiellement relever de la compétence d’États dont les profondes fragilités institutionnelles en tant que

237 Jacques Adda, op. cit.

109
collectivités politiques sont établies (Bakker Nongni & Guillaume Lescuyer, 2016; Alain Karsenty, 2016;
Hélène Blaszkiewicz, 2014; Paolo O. Cerutti et al, 2013; Paolo O. Cerutti & Guillaume Lescuyer, 2011; Thierry
Michalon, 2011, 1984; Pierre Titi Nwel, 2009, 1999; Makhtar Kanté, 2009; Paolo Omar Cerutti & Luca Tacconi,
2008; Fabien Eboussi Boulaga & Valentin Siméon Zinga, 2002; Reinnier Kazé, 2014; Transparency
International, 2011, 1999, 1998; Cyprien Awono, 2011; Patrice Bigombe Logo, 2007; Samuel Nguiffo, 2001;
Gervais Ludovic Itsoua-Madzous, 1997; etc.). Et quand à cela on ajoute que le Programme REDD+ –comme
l’ensemble des politiques publiques environnementales dont il constitue désormais une dimension organique –
est motivée et conduite par des acteurs extérieurs dont les représentations, les intérêts et les besoins ne
coïncident pas nécessairement la structure opératoire sur laquelle se construit et se déploie le contexte de
destination, il en découle que les politiques publiques environnementales qui sont mises en place dans les
États africain comme le Cameroun ne se préoccupent de la durabilité écologique et sociale que dans la forme
et les mots. Aussi n’arrivent-elles pas à provoquer des impacts mélioratifs durables d’ampleur sociétale, quand
leur mise en œuvre ne manifeste simplement pas des contradictions irréductibles en termes d’incohérences
institutionnelles et de dysfonctionnements divers, économiques, sociales et écologiques, comme c’est le cas
des Réformes forestières mises en place au Cameroun au début des années 1990 par la Banque mondiale et
dans le sillage du premier Sommet de Rio. Antoine Lassagne (2005) qui a étudié la gestion des ressources
forestières dans le Sud-Est camerounais dans le cadre du Régime des forêts adopté en 1994 est formel : « Si
dans les discours institutionnels et politiques dominants comme dans les énoncés des programmes de
coopération internationale, les formules consensuelles du “développement durable” et de la “participation
locale” se sont imposées de toute leur évidente bienveillance, leur mise en œuvre dans la pratique ne sert
guère la cause de ceux qui sont censés en être les bénéficiaires »238.

C’est dans cette perspective qui se préoccupe déjà clairement des contradictions ontogénétiques et
phylogénétiques qui déchirent la collectivité politique camerounaise et africaine –que Phelps et al (2010)
constatent que la majorité des demandes gouvernementales ayant sollicité les financements REDD+ semblait
éluder les préoccupations de gouvernance, des modalités de répartition des bénéfices notamment avec les
communautés villageoises; le contenu des dossiers ne se préoccupait que marginalement des conditions et
mesures de capacitation citoyenne des populations riveraines. Selon Phelps et al, c’est lorsque les donateurs
ont observé ces manquements fondamentaux et exigé que les dossiers soient corrigés pour garantir leur
enracinement dans les préoccupations de durabilité sociale que les copies ultérieures ont adopté le langage
de la participation locale et du partage des bénéfices avec les communautés villageoises, dans une
perspective concertée de distribution des compétences où les gouvernements se consacreraient
essentiellement à l’identification des sites, à l’appui de la dynamique de réduction des émissions de carbone

238 Op. cit.

110
par les activités de développement local, la négociation et l’analyse des systèmes nouveaux de production
agricoles par les savoirs indigènes ou la mise en place d’un protocole rigoureux de sanction des performances
des acteurs locaux, notamment par une mise à disposition lisible des encouragements et des paiements
convenus, seraient des facteurs décisifs de performance environnementale du mécanisme.

Il découle des problématiques et enjeux mobilisés par REDD+ (la logique qui soutend le Programme, les
conditions de souscription, d’accès et de gestion des financements proposés) qu’ils rendent compte non
seulement de l’origine et du contexte de motivation des politiques publiques environnementales à l’œuvre
dans les États tels que le Cameroun mais aussi des contraintes structurelles internes à la modernité politique
camerounaise, toutes choses qui hypothèquent implacablement l’opérabilité des préoccupations de durabilité
alléguées. C’est le même schéma qui se dégage des travaux de Rozenn Nakanabo Diallo (2013)239 sur les
politiques publiques de conservation au Mozambique :
Une étude publiée en 1999 par l’UICN fît apparaître que dans dix pays forestiers importants,
moins d’un quart des zones déclarées officiellement protégées étaient convenablement gérées
et la plupart n’étaient pas gérées du tout. La plupart des aires protégées ont un statut de
protection faible, incertain, recouvrant des obligations mal définies. Les différentes catégories de
gestions recommandées par l’UICN sont rarement intégrées dans les lois nationales et,
lorsqu’elles le sont, les pays peinent à leur donner le contenu adéquat faute de moyens et
surtout faute de conviction. À moins qu’elles ne génèrent de confortables revenus touristiques,
les aires protégées sont généralement impopulaires au niveau local. Leur défense apparaît
rarement comme une priorité pour l’État, sauf quand il y trouve prétexte pour mettre au pas des
populations rebelles au nom de l’écologie planétaire.
La première solution proposée par les défenseurs de l’environnement pour conserver les forêts
tropicales est celle qui a été utilisée de longue date par les pays industrialisés pour la protection
de la vie sauvage et des paysages naturels d’importance exceptionnelle : l’instauration d’aires
protégées. D’énormes pressions ont été exercées sur les gouvernements des pays tropicaux
pour qu’ils créent de nouvelles zones de protection, parcs nationaux ou réserves biologiques, et
qu’ils étendent celles qui avaient été instaurées au temps de la colonisation. C’est ainsi qu’en
1992, l’UICN proposait que chaque pays mette au moins 10% de sa forêt en parc national ou
autres systèmes d’aires protégées. En 1997, le WWF se déployait pendant la Session
extraordinaire de l’Assemblée générale de Rio+5 pour faire accepter cet objectif par les États
rassemblés. L’année suivante, il concluait un accord [inédit] avec la Banque mondiale… 240.

5.7. Le concept de “contraintes structurelles contextuelles”


Les contraintes structurelles contextuelles s’inscrivent dans le débat déjà ancien qui a porté sur la construction
cognitive des rapports entre l’universalisme, le cosmopolitisme, le relativisme, et par conséquent sur le statut
théorique des variables locales dans l’explication, et de manière générale à la sociohistoire intellectuelle,
239 Rozenn Nakanabo Diallo, 2013, op. cit.
240 Op. cit.

111
politique, institutionnelle, sociale et économique d’une entité collective donnée, en l’occurrence celle du
Cameroun241. C’est dans cette optique qu’Amartya Sen (2005) parle de “La démocratie des autres. Pourquoi la
liberté n’est pas une invention de l’Occident”242; qu’Hernando De Soto (2000) analyse “Pourquoi le capitalisme
triomphe en Occident et échoue partout ailleurs?”243; ou que traitant de ce qu’il appelle la vision
cosmopolitique de l’altérité, Ulrich Beck (2004) parle de :
La vérité des autres [en se demandant :] Comment les sociétés gèrent-elles l’altérité et les
frontières au beau milieu d’une crise mondiale d’interdépendance? [Pour le sociologue
allemand] Chaque mode de gestion se rattache à son tour aux formations sociales historiques
de la prémodernité, de la modernité et de la post-modernité. Cette démarche nous montre que
la pratique universaliste, tout comme le relativisme ou autres modes de gestion, porte en elles
des impulsions contradictoires. L’universalisme renferme une obligation de respect des autres
par principe et c’est pour cette même raison qu’il n’entraîne pas d’injonction qui susciterait la
curiosité ou le respect de l’altérité des autres. Au contraire, l’universalisme sacrifie la spécificité
des autres à une égalité universelle qui nie le contexte historique de sa propre naissance et de
ses intérêts. Voilà le double visage de ce Janus qu’est l’universalisme : respect et hégémonie,
rationalité et terreur.
D’un autre côté, l’insistance sur le contexte et la relativité de certains points de vues proviennent
du besoin impératif de reconnaitre la différence des autres. Mais, conçu et pratiqué dans
l’absolu, cet impératif tend à affirmer qu’il est impossible de comparer les diverses perspectives
entre elles –affirmation qui se traduit par une ignorance réciproque déterminée d’avance.
En second lieu, le cosmopolitisme réaliste ne saurait être compris, élaboré et pratiqué de
manière exclusive mais plutôt dans un rapport qui intègre, entre autres, l’universalisme, le
contextualisme, le nationalisme et le transnationalisme. Cette alchimie d’éléments sémantiques
propre à l’optique cosmopolite est partagée par les visions universaliste, relativiste ou
nationaliste mais constitue même temps une façon de se différencier d’eux […] Aussi le
cosmopolitisme réaliste doit-il faire face à la douloureuse question de ses propres limites : la
reconnaissance de la liberté d’autrui doit-elle s’appliquer aussi aux despotes et aux démocrates,
aux renards anti-cosmopolitiques comme aux poules mouillées qu’ils pourchassent?
En d’autres termes, le cosmopolitisme réaliste doit affronter une idée qui est particulièrement
étrangère au cosmopolitisme en général : en reconnaissant l’autre comme le pivot de sa
perception de la société et de la politique, il se fait des ennemis qu’il ne peut maîtriser que par le
recours à la force. Il faut donc comprendre ce paradoxe : pour protéger les principes
fondamentaux de chacun (notamment la défense des droits civiques et la garantie de respecter
la différence des autres), il peut parfois être nécessaire de violer ces mêmes principes244.

Exactement dans l’approche développée par Étienne Le Roy (2016, 2011, 1997)245 dans l’analyse de
l’articulation de la modernité occidentale aux systèmes indigènes africains de gestion foncière, le théoricien
allemand signifie ainsi non seulement les difficultés formulées par le caractère problématique ainsi que par la

241 À ce sujet, lire utilement : Jean Ziegler, 1971, Le pouvoir africain. Éléments d’une sociologie politique de l’Afrique et sa Diaspora aux
Amériques, éd. du Seuil, Paris
242 Amartya Sen, 2005, La démocratie des autres. Pourquoi la liberté n’est pas une invention de l’Occident, éd. Payot, Paris.
243 Hernando De Soto, 2005 (2000), Le mystère du capital. Pourquoi le capitalisme triomphe en Occident et échoue partout ailleurs?, éd.

Flammarion, Paris.
244 Ulrich Beck, 2004, op. cit.
245 Étienne Le Roy, 2016, “Pourquoi, en Afrique, le droit refuse-t-il toujours le pluralisme que le communautarisme induit?”, in revue Anthropologie et

Sociétés, Vol. 40, n° 2; 2011, La terre de l’autre. Une anthropologie des régimes d’appropriation foncière, éd. LGDJ, Paris; 1997, “La formation
de l’État en Afrique, entre indigénisation et inculturation”, in GEMDEV, Les avatars de l’État en Afrique, éd. Karthala, Paris.

112
rencontre conflictuelle et non apaisée entre d’un côté les prétentions d’un universalisme monolithique et
autoritaire, et de l’autre le caractère central et irréductible des réalités locales. C’est ainsi que le caractère
central et déterminant de l’histoire locale et des réalités endogènes va fonder l’analyse des problématiques
environnementales telles qu’elles sont posées dans l’essentiel des travaux majeurs produits dans ce
domaines, que l’on retrouve indifféremment chez Catherine Baron (2003), Aurélie Sierra & Nathalie Lewis
(2009), Suvi Huttunen (2008), Lummina G. Horlings & Terry K. Marsden (2011)246, etc., tous développés à
partir des contextes spécifiques des pays industrialisés.

Pour Yann Attal (2001) réinterprétant la théorie des organisations telle qu’elle est déclinée aussi bien par Peter
Blau que par Pugh, D.J. Hickson et al, « le contexte est assurément une contrainte, c’est-à-dire un ensemble
de facteurs limitant. Quant à Chandler, il envisage le contexte comme une contrainte pour l’organisation ».
Plus tôt, Hassan Zaoual avait déjà énoncé dans une perspective plus générale que : « Les concepts, quels
qu’ils soient, demandent, en réalité, une interprétation qui les relativise aux contextes dans lesquels ils ont
émergé. À l’évidence, ils sont des mythes rationalisés qui viennent en soutien aux pratiques d’une société
donnée »247.

Par exemple, c’est par le concept de contraintes structurelles contextuelles que l’on entrevoit sous une lumière
nouvelle l’articulation cohérente du phénomène des élites au contexte spécifique de la collectivité politique
camerounaise, les élites dont Patrice Bigombe Logo (2007) analyse le rôle particulièrement contreproductif
dans la gouvernance forestière au Cameroun :
Il est question, indique le chercheur, d’une catégorie restreinte d’individus qui se distinguent de
la masse soit parce qu’elles disposent de qualités particulières, soit parce qu’elles ont de
l’influence sur le groupe. Au pluriel, la notion d’élite renvoie “aux personnes qui se trouvent en
position prééminente dans les différentes sphères d’activité”. Giovanni Busino précise à cet
égard que les élites désignent “la minorité disposant, dans une société déterminée, à un
moment donné, d’un prestige, de privilèges découlant de qualités naturelles valorisées
socialement (par exemple, la race, le sang, etc.) ou de qualités acquises (cultures, mérites,
aptitudes, etc.)”. Cette définition semble la plus adaptée à l’analyse des modes et logiques
d’action des élites dans la gestion décentralisée des forêts qui constitue l’ossature de cette
modeste réflexion. Au moins pour deux raisons. La première, c’est qu’elle met en exergue sur la
configuration minoritaire du groupe de personnes qui forment l’élite et la seconde parce qu’elle
fait ressortir la base constitutive d’une position élitiste dans le contexte de la gestion

246 Lire :
- Catherine Baron, 2003, “La gouvernance : débats autour d’un concept polysémique”, Droit et société 54/525;
- Aurélie Sierra & Nathalie Lewis, 2011, "Gouvernance sur le territoire. Un regard attentif à la configuration du pouvoir." La gouvernance à l'épreuve
des enjeux environnementaux et des exigences démocratiques, éd. Éric Duchemin;
- Suvi Huttunen, 2009, “Ecological Modernization and Discourses on Rural Non-Wood Bioenergy Production in Finland from 1980 to 2005”, in Journal
of Rural Studies, 25;
- Lummina G. Horlings and Terry K. Marsden, 2011, “Towards the real green revolution? Exploring the conceptual dimensions of a new ecological
modernisation of agriculture that could feed the world”, in Global Environment Change 21.
247 Op. cit.

113
décentralisée des forêts au Cameroun, en l’occurrence, les positions sociales et politiques
acquises et les fonctions exercées.
Le pouvoir qu’acquièrent les élites dans le champ de la gestion décentralisée des forêts et qui
constitue le levier de prédation de la rente forestière résulte, non pas nécessairement des
qualités naturelles, mais des qualités acquises dans leur vie et leurs activités, de leur capital
culturel, politique et social. Dans le champ de la gestion décentralisée des forêts, les positions
acquises au niveau politique et social déterminent le comportement des acteurs et structurent
leurs comportements. En tant qu’arène de construction et de mise en œuvre des politiques et
des mécanismes de participation et de responsabilisation des populations locales et
autochtones dans la gestion des forêts, la gestion décentralisée des forêts est un lieu de
tensions et de luttes pour le contrôle des ressources. Bien que la gestion décentralisée des
forêts ait déjà fait l’objet d’une abondante littérature au cours des deux dernières décennies,
l’investigation sur la place, le rôle et la responsabilité des élites dans la faiblesse des résultats
de cette réforme reste, de manière paradoxale, à faire. En fait, presque toutes les études
précédentes ont établi que, cette réforme, pionnière dans l’ensemble du Bassin Congolais, n’a
pas encore produit les résultats attendus par l’État, les partenaires au développement et les
populations villageoises riveraines, du fait, entre autres, des modes d’action des élites. Leurs
manières de faire, d’agir et de gérer des élites sont présentées comme les principaux facteurs
limitant l’investissement des revenus de la gestion décentralisée des forêts dans le
développement local. Qu’il s’agisse de la gestion des forêts communautaires, des zones
d’intérêt cynégétique à gestion communautaire ou des redevances forestières, l’action des élites
est fortement remise en cause. Les bénéfices résultant de la gestion décentralisée des forêts
n’atteignent pas encore de manière satisfaisante les populations villageoises riveraines des
forêts exploitées et ne contribuent pas, de ce fait, à l’amélioration de leurs conditions de vie248.

C’est aussi autour du contexte et dans la perspective d’opérationnaliser l’explication par le concept de
contraintes structurelles contextuelles que l’on va également envisager l’examen de l’histoire institutionnelle et
politique de l’État camerounais pour développer une analyse de la gouvernance forestière qui se nourrisse des
interactions spécifiques identifiées ici par Gisèle Kouna Eloundou (2013) qui relève que : « […] Quant aux
Communes, elles ont reçu à partir de 1973, la responsabilité de gérer une partie des taxes forestières pour
reconstruire les infrastructures endommagées par l’exploitation du bois »249.

C’est aussi sur le cas du Cameroun que Parfait Oumba (2007) relève que :
Pour certains acteurs forestiers, le principe d'équilibre affirmé lors du Sommet de Rio [1992] et
du Sommet des chefs d'État d'Afrique centrale sur la conservation et la gestion durable des
forêts tropicales à Yaoundé [1999], et sur lequel se fondent les nouvelles législations forestières
nationales, constitue un leurre dans un contexte caractérisé par l'instabilité politique, l'insécurité
alimentaire et l'aggravation de la pauvreté. Sur la question de la gouvernance forestière, si la
plupart des États se sont dotés de réglementations forestières favorables en théorie à une
gestion durable des forêts, on peut cependant déplorer le fait que ces règles peinent à être
appliquées : à la faiblesse des capacités humaines, techniques et financières s'ajoute la

248
Op. cit.
249
Op. cit.

114
corruption qui constitue aujourd'hui un des obstacles majeurs à l'application effective des
nouvelles normes juridiques […]
La paupérisation et le sous-développement représentent de véritables contraintes sociales à
une gestion durable des forêts du bassin du Congo250.

Dès lors, comment expliquer ce destin pour le moins mitigé clairement suggéré par Kouna Eloundou et Parfait
Oumba et qui se traduit par la persistance des problèmes dont la Réforme était censé venir à bout? Pour
RMBK que nous avons interrogé, agroéconomiste et expert d’INADÈS-Formation –une des plus anciennes
organisations non-gouvernementales actives dans le développement rural au Cameroun, « Les écarts
observées sur le terrain par rapport à la mise en application de ces lois nous laissent interrogateur, d’où les
problèmes sus évoqués ». En suggérant de répondre à cette question par la mobilisation du concept de
“contraintes structurelles”, la préoccupation de notre thèse est d’analyser les conditions intangibles qui
expliquent non seulement les échecs et dysfonctionnements persistants dont l’une des manifestations les plus
emblématiques est la marginalité des communautés locales; mais également le déploiement d’une importante
activité non-étatique de capacitation permettant d’améliorer le potentiel d’attention des communautés locales à
l’égard du système d’exploitation des ressources forestières, à travers l’étude diachronique et synchronique de
la gouvernance en tant que cadre institutionnel ou organisationnel de mise en œuvre ou de déploiement du
Régime d’exploitation des ressources forestières.

Comme tous les autres analystes –auxquels s’articulent les interlocuteurs non étatiques et non industriels que
nous avons interrogés –Kouna Eloundou et Parfait Oumba suggèrent que les dysfonctionnements et les
faiblesses divers qui caractérisent la gouvernance forestière au Cameroun découlent directement de la nature
intrinsèque de l’État africain/camerounais ainsi que du caractère incertain des institutions collectives (Bertrand
Badie, 1992; Thierry Michalon, 1984). En effet, l’opérationnalisation de l’approche socio-historique et de
l’analyse par le concept de contraintes structurelles permet de mettre en évidence les principaux éléments
constitutifs de la faiblesse ontogénétique de l’État africain/la collectivité politique camerounaise :
- L’origine exogène coloniale ainsi que la procession et le déploiement jacobins de l’État,
contre/sans/en dehors des communautés indigènes
- L’émergence et la cooptation arbitraires des élites pour servir les intérêts coloniaux, privés et
sectaires;
- La polarité intellectuelle exogène ainsi que l’aliénation occidentale des élites;
- La fragmentation sociale structurelle entre les élites et le reste de la collectivité;

250 Parfait Oumba, op. cit.

115
- L’inexistence d’une citoyenneté collective partagée, notamment pour les composantes populaires ou
non-élites;
- L’accaparement des ressources collectives ainsi que la gestion néo-patrimoniale des affaires
publiques, dans la non-responsabilité collective des élites;
- La conduite autocratique de l’État et l’irresponsabilité citoyenne collective des élites politiques et
administratives;
- L’exclusion intellectuelle et citoyenne des populations dans le déploiement de la collectivité politique.

Brunner & Ekoko (2000) illustrent bien cette explication lorsqu’ils relèvent que :
En août 1997, le gouvernement a ré-offert 26 concessions avec une redevance à la superficie
minimale de 1500 CFA/ha. 190 sociétés ont fait des offres. Les résultats ont montré que les
postulants étaient disposés à payer 3-4 fois plus que la redevance à la superficie minimale. Mais
16 des 26 concessions n'ont pas été attribuées au plus offrant. Dans la majorité des cas, le
comité interministériel (constitué de représentants de cinq ministères, du syndicat national de
l'industrie et de l'Assemblée Nationale) a recommandé que les concessions soient attribuées à
la société occupant le premier rang selon des critères techniques, même si l'offre financière était
beaucoup plus faible. Après que les recommandations aient été soumises au Premier Ministre
pour accord, six concessions ont été accordées à des individus qui n'apparaissaient même pas
dans les listes examinées par la commission, mais connus pour être des soutiens clés du
régime. Strictement parlant, la loi a été respectée car elle réserve au Premier Ministre le droit
d'outrepasser les recommandations du comité dans les cas où l'intérêt national est menacé.
Mais la décision du gouvernement a positivement brisé l'esprit de la loi251.

Comme avec le cas d’un autre État africain, en l’occurrence le Congo-Brazzaville, Parfait Oumba établit
clairement que les conflits, les guerres, la corruption, l’absence de démocratie et surtout l’inexistence quasi-
absolue de citoyenneté, la faiblesse du droit et de l’appareil judiciaire –autant d’éléments que l’auteur
concentre dans le concept de “désorganisation étatique” –constituent un terreau favorable à l'exploitation
anarchique des ressources naturelles.252 Voici ce que Cyprien Awono (2011) en dit :
Selon un rapport de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption (SNLCC) élaboré par la
Commission nationale anticorruption du Cameroun, environ 2,8 milliards d'euros de recettes
publiques ont été détournées entre 1998 et 2004 au Cameroun. Pressé par les bailleurs de
fonds, le gouvernement a lancé une “Opération épervier” de lutte contre la corruption qui a déjà
abouti à la condamnation à de lourdes peines de prison de plusieurs personnalités, dont des ex-
ministres et anciens dirigeants d'entreprises publiques. Toutefois, le rapport de la Stratégie
nationale de lutte contre la corruption souligne aussi que “de l'avis des experts et observateurs
avertis, les réformes institutionnelles ainsi que les sanctions prises par le gouvernement pour
réprimer les actes de corruption ne se traduisent pas par un recul significatif de ce phénomène”.
Officiellement, le gouvernement espère que le Cameroun sera à l'horizon 2015 “un pays où

251 Jake Brunner & François Ekoko, 2000, “La réforme de la politique forestière au Cameroun : enjeux, bilan, perspectives”, World Resources Institute
(WRI), Washington.
252 Ibid.

116
l'intégrité constitue une valeur capitale pour tout citoyen, avec une croissance économique
fondée sur le travail bien fait, distribuée de manière équitable” […]
Toutes les études réalisées tant au Cameroun qu'à l'étranger, montrent que la plupart des
entreprises publiques et parapubliques ont été pillées par l'entourage de Paul Biya [chef de
l’État en place depuis 35 ans]. Si certains complices du régime (tombés en disgrâce) ont été mis
aux arrêts dans le cadre de l'Opération épervier, d'autres continuent de narguer l'opinion
publique. [Raison et explication probable :] L'arrestation de nombreux dirigeants des sociétés
d'État ou d'anciens ministres, relèverait davantage de règlements de compte. Même si leur train
de vie et la fortune amassée étaient en inadéquation avec leurs rémunérations et avantages liés
à leurs fonctions, il n'en demeure pas moins que beaucoup de leurs compères qui ont parfois
pillé un peu plus qu'eux sont toujours dans la mangeoire. Le clientélisme a prévalu et prévaut
dans le choix des dirigeants des sociétés d'État. Tout porterait à croire que la plupart des
fossoyeurs des caisses de l'État ne sont libres que parce qu'ils ont partagé et partagent une
bonne partie de l'argent détourné avec Paul Biya. De ce fait, Paul Biya ne pourrait se tirer une
balle dans le pied en les mettant aux arrêts. En réalité, ceux qui sont généralement mis aux
arrêts sont confondus à cause de leurs ambitions politiques (sic)253.

C’est dans ce contexte collectif d’incertitude institutionnelle et de modernité inaboutie que selon l’analyse que
Parfait Oumba (2007) fait de la gouvernance des ressources forestières :
Le plus souvent, l’utilisation des revenus issus de l’exploitation des forêts communautaires et
des RFA communautaires n’est pas conforme aux exigences légales, et ce, pour deux raisons :
1) le Comité de gestion des écotaxes forestières est principalement composé des chefs de
villages et des notables; 2) dans la gestion des RFA communales, le maire qui est entouré de
ces conseillers municipaux reste le seul gestionnaire valable et formel selon le cadre légal.
De ce dispositif de gestion, il ressort que le niveau de participation de toute la couche de la
société est dérisoire. Dans les deux cas, il y a une exclusion systématique des Pygmées Bakas
[représentatifs ici d’une frange des communautés indigènes, villageoises et/ou riveraines] dans
les organes de gestion. Du fait de leur appartenance à une ethnie minoritaire, ceux-ci sont tenus
à l’écart des processus de prise de décisions, de l’accès à des services et aux informations
relatives à ces deniers publics. L’exclusion de ce peuple découle de la réalité socioculturelle
locale. Depuis leur sédentarisation, ce sont les Bantous qui déterminent la place et le rôle que
chaque groupe humain doit occuper dans la société. À côté de cela, il y a aussi des rapports
sociaux très inégalitaires et des considérations culturelles qui les confinent dans une position de
subordination et de dépendance vis-à-vis des Bantous. Cette exclusion est encore plus
insidieuse dès lors qu’elle se fait à travers les institutions locales dans lesquelles les élites
politiques s’illustrent : elles ne font pas preuve de largesse à leur égard […] Pour le moment, il
est impossible d’apprécier l’efficacité de la démarche de développement durable promue par la
réforme de 1994254.

Si cette mise en exergue spécifique de la marginalité spécifique des communautés Bakas participe de la
problématisation propre à son étude, il convient de préciser que dans le cadre de notre thèse, non seulement
la marginalité des Bakas ne signifie pas, à l’opposé, la participation optimale des autres communautés
villageoises; mais ce qui s’avère davantage intéressant du point de vue de notre préoccupation théorique c’est

253 Cyprien Awono, 2011, Le néo-patrimonialisme au Cameroun : Les leçons sur le mal africain, Mémoire de Maitrise de Sciences politiques,
Université de Sherbrooke, QC, CAN.
254 Théophile Bouki, op. cit.

117
que les enjeux de la fragmentation sociale citoyenne des Pygmées s’articulent entièrement à la structure des
dysfonctionnements irréductibles auxquelles donnent lieu les conditions et modalités historiques de mise en
place de l’État moderne en Afrique. C’est cette analyse –documentée par l’ensemble des travaux d’analyse de
l’économie forestière camerounaise et d’évaluation des Réformes mises en place au début des années 1990 –
que conforte précisément Kouna Eloundou (2012) quand elle indique : « Nos résultats mettent également en
lumière des relations d’interdépendances inégales entre les Communes et les sociétés forestières partenaires
d’une part, et entre les communautés villageoises et les exploitants forestiers d’autre part. Ils indiquent par
ailleurs, des rapports de dépendance de ces trois catégories d’acteurs vis-à-vis des institutions étatiques dont
le pouvoir autoritaire reste fort et prégnant »255.

Autrement dit, la place prépondérante et exclusive des Services étatiques collusés avec les élites et les
industriels (Noam Chomsky, 2005, 1995) –ainsi que la mise à l’écart arbitraire des Bakas participent
éminemment de l’opérationnalité des contraintes structurelles contextuelles ou historiques [mais aussi
paradigmatiques]. De même, ces deux faits confortent non seulement la marginalité des communautés locales
dans la gouvernance forestière, c’est-à-dire leur exclusion citoyenne et leur l’incompétence technique, mais ils
attestent également la présence de contradictions fondamentales au cœur du Régime des forêts à l’œuvre. En
d’autres termes, la démarche d’exclusion des communautés locales s’explique dans l’histoire de l’émergence
et de la constitution de l’État camerounais, dans une logique intellectuelle originaire qui n’intègre ni la
citoyenneté universelle, ni la démocratie participative, toutes choses alléguées a priori et formellement aux
Réformes et dont la préoccupation selon Yves Sintomer (2011) interprétant Habermas est qu’elle
vise fondamentalement à s’attaquer au décalage gouvernants/gouvernés. Des théoriciens
comme Pateman et MacPherson réaffirment la valeur clef de la participation civique. Condition
sine qua non d’un autogouvernement démocratique, celle-ci a une portée éducative, elle
instaure un cercle vertueux : plus on participe et plus on est en mesure de participer
efficacement, car l’horizon des acteurs s’élargit, leurs connaissances sur le monde en général et
sur l’univers politique se développent, leur confiance en eux s’accroît. C’est pourquoi il importe
de comprendre les causes de l’apathie civique et de réfléchir aux moyens de la surmonter. Les
structures autoritaires ou hiérarchiques qui existent dans la société civile sont les facteurs
majeurs qui handicapent la participation politique du grand nombre. Il faut penser la politique au-
delà de la sphère du gouvernement256.

De ce point de vue, l’enjeu théorique est de montrer dans un premier temps que l’absence des communautés
locales dans le processus de réforme du secteur forestier au Cameroun est d’abord le résultat d’une double
disjonction. Une première disjonction culturelle paradigmatique par laquelle l’État moderne s’est imposé
comme la forme d’organisation collective par excellence et dont l’une des modalités d’existence, à savoir la
production à grande échelle des richesses, passe en l’occurrence par l’exploitation industrielle intensive du

255 Op. cit.


256 Op. cit.

118
bois, indépendamment de l’impact déstructurant de cette approche sur la structure écosystémique forestière.
À cet égard, Amilhat Szary et coll. (2009) développent une intéressante perspective culturelle du
développement durable qu’il nous semble utile de relever. En effet, pour Esoh Élamè (2009) :
Le concept de développement durable issu de la Conférence de Rio nous a offert une nouvelle
grille de lecture des mutations accélérées que connait notre planète, en s’identifiant comme un
processus conciliant l’écologique, l’économique et le social. Son universalité semble s’imposer à
tous, des scientifiques aux politiques, en passant par les mouvements associatifs. Malgré sa
popularisation, il nous semble juste de relever aussi les oppositions féroces qui l’accompagnent.
À côté des idées altermondialistes, émerge désormais une idée plus radicale visant à défaire
complètement la notion de “développement” et dénonçant son imposture coloniale, son
ethnocentrisme avec ses ambitions d’occidentalisation du monde. D’après Serge Latouche
(2004), l’un des plus grands protagonistes du Mouvement anti-utilitariste dans les sciences
sociales (M.A.U.S.S), il faut sortir de bon gré du développement avant qu’il ne soit trop tard et
que l’on soit forcé de le faire. Pour Latouche, le développement est à refuser à cause de ses
contradictions, notamment le paradoxe écologique de la croissance, laquelle implique la
création des besoins et l’accumulation. C’est dans ce contexte qu’il propose d’impulser, plutôt
qu’un retour en arrière, une stratégie de décroissance.
Sans toutefois vouloir transformer ce texte en débat pour ou contre le développement durable,
nous souhaitons partir d’un constat consensuel : la culture reste pour l’instant absente de toute
élaboration théorique du développement durable. L’unité totalisante du développement durable
dans sa trilogie “social, économie, environnement” considère de manière implicite la culture
comme un élément constitutif des piliers social et économique. La non-reconnaissance, sans
équivoque, de la perspective culturelle du développement durable a pour conséquence de faire
passer sous silence d’autres besoins tout aussi fondamentaux, à savoir la paix, le dialogue
interculturel, la non-discrimination, etc. Il ressort clairement de la conception actuelle du
développement durable, que l’on peut se passer de la culture pour se développer. Stanislas
Spero Adotevi (2004) souligne justement qu’il y a des questions jusqu’ici oubliées ou écartées
qui doivent être mises à jour : quels sont les facteurs culturels ou socioculturels qui influent sur
le développement? Quel est l’impact du développement économique et social sur la culture?
Comment combiner les aspects positifs d’une culture traditionnelle avec la modernisation?
Quelles sont les dimensions culturelles du bien-être individuel et collectif? Ces questionnements
peuvent nous renseigner sur les motivations de l’absence de la problématique culturelle dans
les discours théoriques définissant le développement durable.
Notre propos vise à montrer en quoi les ajustements culturels et interculturels du
développement durable sont indispensables pour contribuer à en faire un concept fédérateur,
d’échange de pratiques citoyennes, de partage et de construction d’un monde meilleur. Il s’agit
de proposer un fondement conceptuel du développement durable permettant de mieux
apprécier le rôle de la diversité culturelle dans toute stratégie de développement durable à
l’aune de la mondialisation.
La trame culturelle dont il est question est définie en tant que “ensemble de références
culturelles par lequel une personne ou un groupe se définit, se manifeste et souhaite être
reconnu”. Il s’agit d’une diversité culturelle liée d’une part aux différences existant entre les
cultures et d’autre part à la manière dont chaque culture organise ses contenus, les
hiérarchisent ainsi que les représentations du monde qui en découlent. D’après Meyer-Bisch
(1993), “pour comprendre le culturel, il faut faire référence à l’identité culturelle. Sans la culture,
l’homme ne manque pas seulement d’épanouissement, il n’est pas”. La diversité culturelle se
positionne dans le débat sur la perspective culturelle du développement durable comme un
aspect important appelé à s’imposer face à la volonté globalisante de l’économie. La diversité

119
culturelle au sens idéal fait référence à une reconnaissance de fait du multiculturalisme et des
particularismes culturels la sous tendant… 257.

L’approfondissement de cette discussion sur la dimension culturelle peut s’avérer d’autant plus intéressant et
radical qu’il contribue à questionner l’ensemble du concept de “développement durable”. En effet, si la validité
et même la légitimité du concept de “développement” sont déjà fortement discutées et polémiquées, le
concept de “durabilité” qui est défini comme « la satisfaction des besoins des générations présentes sans
compromettre les capacités des générations futures à satisfaire leurs propres besoins » (Marie-Claude
Smouts, 2001) –s’avère tout aussi sujet à caution, ainsi que le rappelle Esoh Elame (2009). Entendue comme
satisfaction des “besoins”, quand on sait dans ce contexte paradigmatique qu’il s’agit essentiellement des
besoins [économiques], la définition du développement durable semble profondément biaisée à priori par une
sorte d’arbitraire paradigmatique. En effet, la domination et le règne absolu de la dimension économico-
financière dans le paradigme moderne capitaliste a fini par cristalliser l’impression de la primauté absolue de
la dimension économique dans la conception humaine de l’univers et de la vie.

Or, en l’occurrence, toutes les sociétés humaines n’ont pas toujours élaboré et construit leur rapport
intellectuel à la forêt sur la base des besoins économiques. La notion de besoins économiques est une notion
ultérieure opérationnelle, secondaire dans l’ordre ou la hiérarchie des dimensions constitutives de la
Weltanschauung, c’est-à-dire de la rationalisation de l’univers ou la saisie intellectuelle cohérente unique que
les communautés humaines se font de la vie et de leur projection dans cet univers-vie (Gilbert Rist, 2014,
2002, 1996)258. Dès lors, par leur nature ainsi que par les modalités de leur satisfaction, les besoins
économiques –que l’on va davantage considérer comme système économique –seront fonction de l’instance
supérieure des représentations, par où les sociétés humaines disent leur conception de l’univers, de la vie et
des termes de leur déploiement dans l’univers. Voici le témoignage qu’en délivre Jean Ziegler (1975) au bout
de ses travaux sur la cosmologie africaine : « Toute la vocation des initiés est d’éprouver l’univers s’éprouve
vivant. En d’autres termes, la fonction unique de l’action et de la présence des hommes est de maintenir la vie
sur terre. Dans le système nagô des Yorouba [dans l’actuel Nigeria], il est énoncé que l’homme est fait pour la
vie. La maintenir sur terre et la perpétuer dans l’autre monde sont même ses deux fonctions privilégiées »259.

257 In Anne-Laure Amilhat-Szary, Joseph Esoh-Élamè, J.-C. Gaillard et Franck Giazzi, 2009, Culture et développement : la durabilité renouvelée par

l'approche interculturelle, éd. Publibook ÉPU.


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http://books.google.ca/books?id=XZjA3wzNQ8cC&pg=PA204&lpg=PA204&dq=Moabi+Sp%C3%A9cial+2002&source=bl&ots=U5MTQK4OVi&sig=FD6
PC5erAThoN8prP4BDgrxCAU0&hl=fr&sa=X&ei=xz5qVMrHJcSGyAT-
4IKYBw&ved=0CFsQ6AEwCQ#v=onepage&q=Moabi%20Sp%C3%A9cial%202002&f=false
258 Op. cit.
259 Jean Ziegler, 1975, Les vivants et la mort. Essai de sociologie, éd. Du Seuil, Paris.

120
De même, Mbog Bassong (2013) rappelle que : « Dans la tradition Bambara du Komo, une des grandes
traditions initiatiques du Mandé, “Maa Ngala le créateur de toutes choses et l’Être-un, fît de l’homme le gardien
de son Univers et le chargea de veiller au maintien de l’Harmonie universelle” ainsi que le rapporte Amadou
Hampaté Ba »260.

Une seconde disjonction historique et contextuelle à laquelle s’articulent les conditions d’émergence et de
construction des réformes forestières. C’est cette disjonction significative du caractère raté des fondements
culturels et intellectuels de la collectivité politique moderne camerounaise qui occasionne l’exclusion et
l’absence des communautés villageoises comme partie-prenante légitime et essentielle à la motivation des
réformes. C’est cette disjonction qui explique l’impréparation citoyenne et l’incompétence technique des
communautés locales aux réformes environnementales. Parfait Oumba (2007) relève que :
Les populations ont, pendant longtemps, été marginalisées dans les politiques publiques
forestières. Par leurs réactions, elles semblent dire aux pouvoirs publics : “Puisque vous les
avez conçues sans nous, nous agirons sans tenir compte d'elles et de vous”. Beaucoup de
chercheurs occidentaux sont surpris des incursions régulières des populations riveraines dans
les réserves, parcs et autres aires protégées, alors que la plupart des activités qu'elles y
développent sont interdites. Au Ministère de l'environnement du Cameroun, la Direction des
aires protégées est au courant de la situation. Cet état de choses peut bien s'expliquer par les
perceptions et croyances des populations. Il est intéressant d'écouter les populations parler des
forêts environnantes. Elles croient toujours que ce n'est pas l'État qui leur donne le droit de
propriété sur leurs forêts. Elles croient que ce sont elles les véritables propriétaires. Aussi, il y a
leur perception de la forêt. Elles estiment qu'elle ne peut pas finir. Elles considèrent aussi la
forêt comme une réserve de terres en même temps qu'elles trouvent la forêt difficile à dompter.
L'agriculture itinérante sur brûlis est la méthode culturale séculaire utilisée, pourtant dégradante
pour la forêt. C'est plutôt les exploitants qu'elles considèrent comme des voleurs ou des pilleurs
que l'État encadre et favorise. Elles pointent sur elles leur doigt accusateur.
Ainsi, même sensibilisées, les populations riveraines augmentent toujours la pression autour
des aires protégées pour leur alimentation, elles semblent ne plus avoir d'autres alternatives.
Cette donnée constitue en soi une remise en cause de l'efficacité du PAFT, car si les
populations avaient été mises au centre de ces politiques ou encore adéquatement intégrées
dans celle-ci, les concepteurs auraient mis assez d'importance sur l'éducation environnementale
tout en apprenant des populations qui maîtrisent leur environnement avec lequel il semble
régner une harmonie séculaire261.

C’est également cette disjonction structurelle qui occasionne la place par défaut de premier plan que les
organisations non étatiques et divers acteurs de la société civile vont jouer plus tard dans l’animation du
secteur forestier au Cameroun, notamment en favorisant l’amélioration de l’articulation citoyenne, intellectuelle
et technique des communautés villageoises au régime d’exploitation des ressources forestières. Pour Fabrice
P. Oumba (2007) :

260 Op. cit.


261 Op. cit.

121
Le rôle des ONG locales devrait être extrêmement important. À plusieurs reprises, au cours des
réunions précédentes –concernant le PAFT et réunissant le groupe dit des conseillers et les
Comités FAO –plusieurs ONG du Nord ont regretté que les ONG du Sud (et les populations)
soient si peu impliquées et consultées lors de l'élaboration des plans nationaux. Cette réalité
n'est pas très facile à modifier et il est bien difficile de leur imposer des partenaires malgré eux.
Il conviendrait sans doute que, de manière à ne pas heurter de front la légitime susceptibilité
des gouvernements locaux, les pays et agences du Nord travaillent à favoriser le dialogue entre
ONG et gouvernements du Sud, sans adopter des positions trop intransigeantes ou voyantes
sur ce sujet (…) En outre, l'absence de référence aux pratiques rurales fait naître, non
seulement un véritable conflit de droits, mais encore une opposition entre l'État représenté par
les agents forestiers et les populations locales. Aussi, le paysan cherche-t-il à éviter l'État tout
en continuant à mener les activités prohibées ; l'infraction est intégrée par la couvre, et devient
alors un phénomène social ; les forestiers, qui de toute façon ne sont pas assez nombreux pour
faire face à la situation, hésitent dès lors à verbaliser le délinquant qui se trouve du reste
protégé par la société dont il est membre (sic)262.

Les conséquences de ces deux disjonctions se déploient sur une structure sociale camerounaise caractérisée
par la cristallisation [d’une culture] de la corruption; ces conséquences se déterminent à travers diverses
contradictions dans lesquelles l’ensemble des acteurs –l’État, les entreprises industrielles, les ONG et
organisations semblables, mais aussi les communautés locales entendues comme forme d’organisation
imposée aux populations indigènes par l’État (Ongolo et Brimont, 2015) –se retrouvent impliqués. Pour
Symphorien Ongolo & Laura Brimont :
L’instrumentalisation des règles de gestion communautaire n’est pas l’apanage de la
bureaucratie administrative, elle est aussi pratiquée par les communautés locales et les
instances de gestion des forêts communautaires. Il est courant que le statut légal des forêts
communautaires serve de caution à diverses transactions de blanchissement de produits
frauduleux (Cuny, 2011; REM, 2007) [Dans ses activités de capacitation des communautés
riveraines, d’observation et de suivi de la gouvernance forestière au Cameroun, l’organisme
FODER a établi ces faits…]
En effet, selon la Loi forestière du Cameroun, tout transport de produits forestiers des zones de
production légales aux zones de consommation ou d’exportation doit être accompagné d’une
“Lettre de voiture” délivrée et paraphée par l’Administration forestière. Ces Lettres de voiture,
encore appelées Documents sécurisés, sont donc des certificats qui attestent de la légalité des
bois issus des forêts communautaires, et qui permettent à l’Administration en charge de la
fiscalité forestière d’estimer le montant des taxes à payer par une forêt communautaire. Or, il a
souvent été constaté que des Lettres de voiture étaient utilisées par les gérants de forêts
communautaires pour légaliser, contre rémunérations, des stocks de bois ou d’autres produits
forestiers spéciaux issus de l’exploitation anarchique, ou informelle, effectuée hors des surfaces
légalement allouées par l’Administration forestière263.

C’est aussi ce que relèvent Paolo Cerutti et al (2013). Il se dégage en effet de leur étude des mécanismes de
la corruption dans la dimension informelle de la gestion de l’économie du bois industriel au Cameroun qu’il y a

262 Op. cit.


263 Op. cit.

122
une utilisation abusive des positions de pouvoir par les élites gouvernantes dans la gestion des affaires
publiques, notamment par la transformation des ressources collectives –en l’occurrence les ressources
forestières ligneuses –en rentes privées. Dans leur quête des logiques qui soutendent la corruption, les
chercheurs rapportent ceci que :
The leitmotiv explaining these insistent deployment of the corruption was arbitrariness. That is,
State officials across the country often apply locally and temporarily established ad hoc rules
instead of the letter of the law. The use of ad hoc rules is a consequence not only of the 7 years
(1999-2006) during which small-scale logging titles were officially suspended, but also of the
active role the Ministry has since played in increasing the confusion through a proliferation of
contradictory legal texts. Indeed, in recent years, the Ministry has adopted three different
regulations on the allocation and management of small-scale logging titles (MINFOF, 2006,
2007, 2009), one revoking another or carrying contradictory or unclear rules.
The proliferation of regulations serves two concurrent purposes: It nourishes discussions at the
highest level –demonstrating to international counterparts that considerable political effort is
being expended to solve the problem –and it increases arbitrariness on the ground. Frequency
of change and artificially constructed legal complexity are fundamental to the system, as the less
clear a rule is, the easier it is for a State official to demand a bribe264.

Autrement dit, et a contrario, l’avantage de l’enracinement endogène des réformes se détermine dans son
quadruple caractère cohérent, systémique, durable et résolu. En l’occurrence, non seulement la dynamique de
réformes du régime d’exploitation des ressources forestières se serait déployée avec plus de profondeur et de
force, mais la mobilisation de l’ensemble des acteurs aurait également entrainé la mobilisation conséquente
des ressources. C’est ainsi que dans leur démarche d’explication du basculement exclusif brusque que le
processus de réforme de la Loi des forêts va connaitre en 2012 alors qu’il avait été engagé quatre ans plus tôt
dans une orientation participative et inclusive, Nongni & Lescuyer (2016) tentent d’en établir les
conséquences. Les deux chercheurs estiment que :
Un premier constat s’impose : trois ans après que le MINFOF a repris la main sur l’élaboration
des avant-projets de texte, la proposition de loi n’a toujours pas été soumise à l’Assemblée
Nationale et personne ne sait quand elle le sera. L’absence de concertation lors des
négociations finales sur ces textes pose aujourd’hui deux problèmes significatifs pour finaliser
cette réforme. D’une part, elle a fait perdre au MINFOF plusieurs de ses soutiens importants,
comme certaines chancelleries ou bailleurs internationaux, qui avaient contribué à faire voter la
loi forestière en 1994 (Ekoko 2000). D’autre part, le MINFOF s’est vu reprocher son manque de
concertation avec les autres administrations nationales lors de la révision de la loi forestière.
Cette critique a été reprise par la Primature pour retarder l’examen du projet de loi et pour créer
deux nouveaux groupes de travail pour analyser respectivement les préoccupations des chefs
traditionnels et des opérateurs du secteur privé. De plus, certains ministères ont procédé de leur
côté à leur lecture critique des avant-projets de texte pour remettre en cause de manière
unilatérale plusieurs propositions novatrices pour la gestion durable des forêts et la protection
des minorités […]

264 Op. cit.

123
La défiance actuelle des acteurs extérieurs vis-à-vis de ce processus de réforme ne tient pas
tant au choix d’un modèle rationnel de prise de décision par le MINFOF que du changement
unilatéral de modèle de décision en cours de concertation […]
Les réticences des acteurs extérieurs lors du processus consultatif de réforme de la loi
forestière ne sont donc pas associées au choix du modèle rationnel de décision, mais plutôt au
changement des règles de jeu en cours de route et sans consultation préalable. Le changement
décidé de manière unilatérale du modèle de concertation a créé un sentiment de méfiance qui
fragilise la légitimité même du processus. Toutefois, selon les personnes interrogées, cette perte
de crédibilité du MINFOF aux yeux des partenaires extérieurs pourrait constituer pour
l’administration forestière un risque mineur et une perte négligeable à moyen terme. Par contre,
la fragilisation même temporaire et l’isolement de l’administration forestière face aux autres
administrations placent le MINFOF dans une posture délicate dans le processus plus global
d’aménagement du territoire, où de nombreuses forêts permanentes sont menacées par
l’extension des activités minières et agricoles (Lescuyer et al. 2014)265.

Au-delà des résistances et autres inadéquations qu’elle est ainsi susceptible de prévenir, l’émergence
endogène permet donc d’éviter les situations conflictuelles et dysfonctionnelles que les différentes recherches
évaluatives ont identifiées dans la mise en œuvre du régime d’exploitation des ressources forestières au
Cameroun. Parfait Oumba (2007) rappelle que :
Concernant la mise en œuvre des plans nationaux d’exploitation durable des ressources
forestières, peu de pays tropicaux (9 au total) ont terminé la première phase d'élaboration (ou
de révision) de leur plan national. Cependant, un certain nombre de remarques peuvent d'ores
et déjà être formulées, et il conviendrait de s'y intéresser pour devancer les problèmes à venir.
- L'engagement politique des pays tropicaux est primordial. De la force de cet engagement
dépend, en effet, la réussite des actions. Il semblerait que les pays où le chef de l'État ou du
gouvernement ait pris très officiellement position en faveur du plan national, en le plaçant
parmi les priorités de sa politique, soient peu nombreux. Dans la plupart des cas,
l'engagement politique n'a pas dépassé le département ministériel en charge du secteur
forestier : c'est insuffisant.
- L'engagement économique nécessaire des pays tropicaux découle en grande
partie du précédent. Peu de ministères de l'économie, des finances et du plan ont été
réellement impliqués et se sentent concernés. À cet égard, on doit malheureusement
considérer que les plans nationaux ainsi élaborés ne constituent en rien un progrès par
rapport à ce qui était précédemment fait.
- L'engagement des différents partenaires locaux ne semble pas suffisamment
assuré. Trop de plans ont été élaborés à partir de la seule mobilisation des cadres
administratifs du pays (et parfois même des seuls cadres forestiers), sans que le secteur
privé, les ONG et les populations soient consultés réellement. On peut craindre, dans ces
conditions, que la mise en œuvre des actions ne soulève des problèmes de compréhension et
d'adhésion d'un grand nombre des partenaires actifs sur le terrain266.

C’est effectivement ce tableau social que présente le contexte camerounais. On y voit une collectivité politique
fragmentée entre d’un côté, les élites administratives, économiques et politiques qui conduisent les affaires

265 Op. cit.


266 Op. cit.

124
publiques; et de l’autre toutes les autres catégories de la population dont l’activité et la situation sociale ne
relèvent pas des instances que l’on dirait hautes de la collectivité ou n’ont aucune incidence directe sur la
conduite des affaires publiques. Cette fragmentation structurelle produit une situation de non-responsabilité
collective dans laquelle les premiers ne se sentent citoyennement ni redevables ni obligés des seconds. Dès
lors, à cause du caractère artificiel, non enraciné et non substantiel des institutions collectives opératoires –
telles que la justice, la démocratie, les élections, la liberté, la protestation publique, etc. –cette fragmentation
structurelle de la société va occasionner une incapacité citoyenne des seconds à agir sur l’activité, le mandat
et les prérogatives collectifs des premiers.

Les trois types de contraintes structurelles s’imbriquent très souvent les unes dans les autres, chacun
conservant généralement son identité propre et ses caractéristiques spécifiques, exactement comme dans
cette ontologie des structures que rappelle Jean Piaget (1973) :
[…] Cela reviendrait donc à dire que la raison d’une proposition d’un théorème est atteinte dans
la mesure où on peut l’appuyer sur une structure. Et, en effet, le premier caractère remarquable
d’une structure est sa nécessité intrinsèque. Une structure comporte, comme chacun sait, non
seulement des lois de composition mais encore un auto-réglage lui permettant de conserver ses
deux propriétés fondamentales de ne jamais sortir de ses propres frontières (c’est-à-dire qu’en
combinant deux éléments de la structure on trouve encore un élément de la structure) et, d’autre
part, de ne jamais faire appel à des éléments extérieurs à elle, celle-ci se suffisant donc à elle-
même. La structure possède ainsi une nécessité intrinsèque, première condition que nous
disions être celle de toute explication. Mais le deuxième caractère remarquable de la structure
est qu’elle est un instrument de construction. Elle est même fondamentalement un organe de
construction puisqu’elle constitue un système de transformations et non pas une forme statique
quelconque, sans quoi tout serait structure. C’est un système de transformations avec leurs lois
de composition, engendrant donc des réalités qui sont nouvelles sans être irrationnelles,
puisqu’elles sont déterminées par ces lois de composition. La constructivité propre aux structure
se manifeste en outre par le fait qu’elles ne se réduisent pas les unes aux autres, mais se
combinent entre elles : il n’y a pas d’identité, il y a complémentarité entre les structures. Par
exemple, dans le cas des structures-mères de Bourbaki, les structures algébriques et les
structures d’ordre peuvent se combiner, mais ne se réduisent pas l’une à l’autre, les structures
algébriques et les structures topologiques de même, etc. Rappelons enfin qu’une structure peut
se différencier indéfiniment, en complétant ses lois de composition, c’est-à-dire en introduisant
des axiomes limitatifs qui font que, du groupe, on passera à des sous-groupes déterminés, et
ainsi de suite267.

267 Op. cit.

125
5.8. L’articulation à la modernité capitaliste et ses implications
La présente thèse n’est pas nécessairement un procès de la modernité capitaliste –notamment dans son
articulation à l’Afrique –tel que le développent avec vigueur Noam Chomsky (2016, 2005, 2003)268, Gilbert Rist
(2015, 2010, 1997, 1996, 1992)269, Louis Favreau (2015, 2008, 2007, 2004)270, Mbog Bassong (2013)271,
Serge Latouche (2012, 2005, 1999, 1998)272, Edgar Morin (2011, 1999)273, Gilles Lipovetsky (2009, 2006,
2004, 1992, 1983)274, Peter Dauvergne (2008)275, José Do Nascimento (2008)276, Jacques Adda (2001)277,
Benjamin Guillemaind et Arnaud Guyaut-Jeannin (1999)278, Paul Bairoch (1994, 1971)279, Giovanni Arrighi
(1991)280, André Gunder-Frank (1985-1968)281, René Dumont (1962, 1974, 1980, 1986, 1991, 1994, 1995)282,

268 - Noam Chomsky, 2016, Who Rules the World?, éd. Henry Holt & Company, New York;; 2016, Requiem for the American Dream. Noam
Chomsky and the Principles of Concentration of Wealth & Power, documentaire video de Peter Hutchison, Kelly Nyks et Jared P. Scott, PF
Productions/FilmRise; 2005, Comprendre le pouvoir. L’indispensable de Chomsky, éd. Aden, Bruxelles; 2005, Quel rôle pour l’État, éd.
Écosociété, Montréal; 2003, Sur le contrôle de nos vies, éd. Allia, Paris; 2004 (2003), Dominer le monde ou sauver la planète?, éd. Fayard, Paris;
2003, Idéologie et pouvoir, éd. EPO, Berchem; 2003 (avec Edward Herman), La fabrique de l'opinion publique. La politique économique des
médias américains, éd. Le serpent à plumes, Paris; (avec Robert W. McChesney), 2000, Propagande, médias et démocratie, éd. Écosociété,
Montréal; 1998, Entretiens avec Chomsky (David Barsamian), éd. Écosociété, Montréal; 2008 (1988, avec Edward Herman), La fabrication du
consentement. De la propagande médiatique en démocratie, éd. Agone, Marseille.
269 Gilbert Rist, 2015, Que reste-t-il du “développement”?, éd. La Découverte, Paris; 2014, “Le développement durable : les habits neufs du

développement”, conférence donnée dans le cadre de l’Université d’automne de l’Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société,
Université Laval; 2010, L’économie ordinaire. Entre songes et mensonges, éd. Presses de Sciences po, Paris; 2002, “Le développement : habits
neufs ou tenue de camouflage?”, in Défaire le développement, Refaire le monde. Atelier 1 : Les habits neufs du développement, Actes du
colloque organisé en 2002 à Paris sur “L’après-développement”, avec La ligne d’horizon et Le Monde Diplomatique, accueilli par le Programme
MOST, au Palais de l'UNESCO les 28 février, 1er, 2 et 3 mars (http://www.web.ca/~bthomson/decroissance/actes_colloque_2002.html); 1997, La
mondialisation des anti-sociétés. Espaces rêvés et lieux communs, éd. Cahiers de l’IUED, Genève; 2015 (1996), Le développement. Histoire
d’une croyance occidentale, éd. [4ème, revue et augmentée] Presses de Sciences po, Paris; 1992 (avec Marie-Dominique Perrot et Fabrizio Sabelli),
La mythologie programmée. L’économie des croyances dans la société moderne, éd. Presses universitaires de France, Paris; 1992 (avec Majid
Rahnema et Gustavo Esteva), Le Nord perdu. Repères pour l’après-développement, Éditions d’en bas, Lausanne.
270 Louis Favreau, 2015, “Sommes-nous en panne d’histoire? Quel projet de société alternatif pour le Québec : social-démocratie ou social-écologie?

Ou comment changer de trajectoire dans une économie ouverte et mondialisée où règne le tout-marché mais aussi l’urgence d’agir pour répondre au
défi écologique?”. In Les Carnets de Louis Favreau, Chaire de recherche en développement des collectivités, Université du Québec en Outaouais,
édition du 4 octobre 2015 (http://jupiter.uqo.ca/ries2001/carnet/spip.php?article108).
Lire aussi Louis Favreau : 2008 (avec Lucie Fréchette et René Lachapelle), Coopération Nord-Sud et développement. Le défi de la réciprocité, éd.
Presses de l’Université du Québec, Quebec City, QC, CAN; 2007 (avec Abdou Salam Fall, sous la dir. de), L’Afrique qui se refait. Initiatives socio-
économique des communautés et développement en Afrique noire, éd. Presses de l’Université du Québec, Quebec City, QC, CAN; 2004 (avec
Abdou Salam Fall et , sous la dir. de), Le Sud… et le Nord dans la mondialisation. Quelle alternative? Le renouvellement des modèles de
développement, éd. Presses de l’Université du Québec, Quebec City.
271 Mbog Bassong, 2013, La théorie économique africaine. L’alternative à la crise du capitalisme mondial, éd. Kiyikaat, Montréal.
272 Serge Latouche, 2012, L'âge des limites, éd. Mille et une nuits, Paris; 2005 (1989), L'Occidentalisation du monde. Essai sur la signification, la

portée et les limites de l'uniformisation planétaire, éd. La Découverte; 2004, “Et la décroissance sauvera le Sud”, in Le Monde diplomatique,
édition de novembre 2004; 1999, avec Fouad Nohra, et Hassan Zaoual, Critique de la raison économique. Introduction à la théorie des sites
symboliques, éd. L'Harmattan, Paris; 1998, L'Autre Afrique, entre don et marché, éd. Albin Michel, Paris; 2001, La Déraison de la raison
économique. Du délire d'efficacité au principe de précaution, éd. Albin Michel, Paris; etc.
273 Edgar Morin (2011, 1999), op. cit.
274 Gilles Lipovetsky, 2009, Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d'hyperconsommation, éd. Gallimard, Paris; 2006, La société de

déception, éd. Textuel, Paris; 2004, Les temps hypermodernes, éd. Librairie générale française, Paris; 1992, Le crépuscule du devoir. L'éthique
indolore des nouveaux temps démocratiques, éd. Gallimard, Paris; 1987, L'empire de l'éphémère. La mode et son destin dans les sociétés
modernes, éd. Gallimard, Paris; 1983, L'Ère du vide. Essai sur l'individualisme contemporain, éd. Gallimard, Paris.
275 Peter Dauvergne, 2008, The Shadows of Consumption. Consequences for the Global Environment, éd. Massachusetts Institute of Technology.
276 José Do Nascimento (dir.), 2008, La renaissance africaine comme alternative au développement. Les termes du choix politique en Afrique,

éd. L’Harmattan, Paris.


277 Jacques Adda, 2001, La mondialisation de l’économie. De la genèse à la crise, éd. La Découverte, Paris.
278 Benjamin Guillemaind et Arnaud Guyaut-Jeannin (sous la dir.), 1999, Aux sources de l’erreur libérale. Pour sortir de l’étatisme et du

libéralisme, éd. L’Âge d’Homme, Lausanne.


279 Paul Bairoch, 1994, Mythes et paradoxes de l’histoire économique, éd. La Découverte, Paris; 1992 (1971), Le Tiers-Monde dans l'impasse. Le

démarrage économique du XVIIIème au XXème siècles, éd. Gallimard, Paris.


280 Giovanni Arrighi (avec Samir Amin, André Gunder-Frank et Immanuel Wallerstein), 1991, Le grand tumulte. Les mouvements sociaux dans

l’économie-monde, éd. La Découverte, Paris.


281 André Gunder-Frank, 1985, Critiques et contre-critiques, éd. Anthropos, Paris ; 1981, Réflexions sur la nouvelle crise économique mondiale,

éd. Maspero, Paris; 1978, L'accumulation dépendante, éd. Anthropos, Paris; 1977, L'accumulation mondiale : 1500-1800, éd. Calmann-Lévy, Paris;
1971, Lumpenbourgeoisie et lumpendéveloppement, éd. Maspero, Paris; 1970, Le développement du sous-développement : Amérique latine,
éd. Maspero, Paris; 1968, Capitalisme et sous-développement en Amérique Latine, éd. Maspero, Paris.

126
Samir Amin (1970-2012)283, Alf Schwarz (1982, 1980)284, Thierry Michalon (1984)285, et bien d’autres
analystes. Cependant, dans la mesure où la problématisation la plus réflexive de la marginalisation des
communautés villageoises dans la gouvernance forestière en Afrique (Rozenn Nakanabo Diallo, 2014; Hélène
Blaszkiewicz, 2014; Jérémie Mbairamadji, 2009; Ahmadou Makhtar Kanté, 2009; Fabrice Parfait Oumba,
2007; Marie Fall, 2006; Gervais Ludovic Itsoua-Madzous, 1997; etc.) semble devoir référer autant à la
philosophie de l’histoire qu’à l’histoire (Giovanni Busino, 1986; W.J. van der Dussen, 1991; Ronald F.
Atkinson, 1978; Günther Anders, 1956; Raymond Aron, 1948; André Gunder-Frank, 1968, 1970)286 dans
lesquelles s’origine et se déploie la collectivité politique camerounaise; et dans la mesure où la démarche
d’analyse par le concept de contraintes structurelles (paradigmatiques, interscalaires, contextuelles) que nous
proposons ici porte essentiellement sur la prétention universaliste et le caractère expansionniste des
dynamiques culturelles, intellectuelles, politiques, économiques et géopolitiques les plus opératoires (Noam
Chomsky, 2016, 2005, 2003, 1995287; Immanuel Wallerstein, 2014, 2012, 2011, 2009, 2008, 2006, 2001,
1999, 1995, 1991, 1988, 1985, 1975, 1966288; René Passet, 1996289; Bertrand Badie, 1992290; Fernand
Braudel, 1986, 1985, 1979, 1958, 1949291; Stanislas Spero Adotevi, 1972292), alors la modernité capitaliste se
présente comme la cible [ou peut-être plutôt un bassin] épistémologique la plus pertinente et par conséquent
comme la préoccupation paradigmatique qui recueille et cristallise toute l’analyse.

282 À partir de la connaissance et du vécu qu’il a eus de l’Afrique, René Dumont est l’un des plus éminents critiques de la modernité capitaliste et de la
modernité africaine. Lire entre autres :
1966 (1962), L’Afrique noire est mal partie, éd. Seuil, Paris; 1974, L’utopie ou la mort, éd. Seuil, Paris; 1995, Ouvrez les yeux! Le XXIème siècle est
mal parti, éd. Arlea, Paris; (avec Charlotte Paquet), 1994, Misère et chômage : libéralisme ou démocratie, éd. Du Seuil, Paris; (avec Charlotte
Paquet), 1991, Un monde intolérable. Le libéralisme en question, éd. Seuil, Paris; 1986, Pour l'Afrique, j'accuse, éd. Plon, Paris; (avec Marie-
France Mottin), 1980, L’Afrique étranglée, éd. Seuil, Paris.
283 Samir Amin, 2012, L’implosion du capitalisme contemporain. Automne du capitalisme, printemps des peuples?, Éditions Delga, Paris; 2009,

Sur la crise : Sortir de la crise du capitalisme et sortir du capitalisme en crise, éd. Le temps des cerises, Montreuil; 2005, Afrique. Exclusion
programmée ou renaissance, éd. Maisonneuve & Larose, Paris; 2004, Le virus libéral. La guerre permanente et l’américanisation du monde, éd.
Le temps des cerises, Montreuil; 2002, Au-delà du capitalisme sénile, éd. PUF, Paris; 1996, Le dialogue inégal. Écueils du nouvel économique
international, éd. Cetim, Genève; 1992, L’Empire du chaos. La nouvelle mondialisation capitaliste, éd. L’Harmattan, Paris; 1988, Impérialisme et
sous-développement en Afrique, éd. Economica, Paris; 1986, La déconnexion. Pour sortir du système mondial, éd. La Découverte, Paris; 1976,
L’impérialisme et le développement inégal, Éditions de Minuit, Paris; 1970, L’accumulation à l’échelle mondiale. Critique de la théorie du sous-
développement, éd. Anthropos, Paris.
284 Alf Schwarz : 1982, Le Tiers-monde et sa modernité de seconde main, éd. Fundação José Augusto, Tirol-Natal, RN, Brésil; (sous la direction de),

1980, Les Faux prophètes de l'Afrique ou l'afr(eu)canisme, éd. Les Presses de l'Université́ Laval, Québec, QC, Canada.
285 Thierry Michalon (2011, 1984), op. cit
286 Lire :

- W.J. van der Dussen, 1991, Objectivity, Method, and Point of view: Essays in the Philosophy of History, éd. Brill Academic Publishers,
Leiden/New York.
- Giovanni Busino, 1986, La permanence du passé. Questions d’histoire de la sociologie et d’épistémologie sociologique, éd. Librairie Droz,
Genève.
- Ronald F. Atkinson, 1978, Knowledge and Explanation in History. An introduction to the Philosophy of History, éd. Cornell University Press,
Ithaca-New York.
- André Gunder-Frank, 1968, “Le développement du sous-développement”, in Cahiers Vilfredo Pareto, Tome 6, n°16/17, éd. Librairie Droz, Genève;
1970, Le développement du sous-développement, éd. Maspero, Paris.
- Raymond Aron, 1981 [1948], Introduction à la philosophie de l’histoire. Essai sur les limites de l’objectivité historique [complétée par des
textes récents], éd. Gallimard, Paris.
287 Noam Chomsky, 2016, Who Rules the World?, éd. Henry Holt & Company, New York; 2005, Quel rôle pour l’État, éd. Écosociété, Montréal; 2004

(2003), Dominer le monde ou sauver la planète?, éd. Fayard, Paris; 2003, Idéologie et pouvoir, éd. EPO, Berchem; 1995 (1994), L’an 501. La
conquête continue, éd. Écosociété, Montréal.
288 Immanuel Wallerstein, op. cit.
289 René Passet, 1996, L’Économique et le Vivant, éd. Economica, Paris.
290 Bertrand Badie, op. cit.
291 Op. cit.
292 Stanislas Spero Adotevi, 1998 (1972), Négritude et Négrologues, éd. Le Castor Astral, Paris.

127
5.9. La modernité capitaliste
Si la sagesse de la définition qu’en formule Anthony Giddens (1990), à savoir qu’elle constitue « des modes
de vie ou d’organisation sociale apparus en Europe vers le Dix-septième siècle, et qui progressivement ont
exercé une influence plus ou moins planétaire »293 convient parfaitement, l’acception que nous
opérationnalisons ici entend expliciter au maximum la définition volontairement conceptualisée de la modernité
capitaliste par le sociologue allemand pour l’articuler à toutes ses implications historiques (idéologiques,
intellectuelles, culturelles, économiques, techniques, sociales, institutionnelles, politiques, internationales et
géopolitiques, etc.), en considérant nécessairement sa totale dimension artefactuelle et cognitive.

5.10. La philosophie de l’histoire


La philosophie de l’histoire est à comprendre comme la logique dominante à l’inspiration et à l’influence de
laquelle la civilisation se construit et se développe. Contrairement au totalitarisme platonicien, hégélien ou
marxien –que critiquera Karl Popper (1945)294 –la philosophie de l’histoire dans notre thèse pourrait également
être appréhendée comme la logique synthétique qui oriente le déploiement de l’histoire. En en indiquant la
méthodologie de recherche, Raymond Aron (1948) qui la définit aussi bien comme “saisie globale” que comme
“l’organisation de l’expérience causale et du récit total, de la connaissance de soi à celle du passé et au retour
à soi”, énonce qu’il s’agit à cet effet de :
« suivre le mouvement naturel qui va de la connaissance de soi à celle du devenir collectif, par
l’utilisation d’une méthode descriptive ou, si l’on veut, phénoménologique. Par cette démarche,
la science n’est pas isolée de la réalité, puisque aussi bien la conscience que l’histoire prend du
passé est un des caractères essentiels de l’histoire elle-même; elle traduit le doute par lequel
passe inévitablement l’individu qui réfléchit sur sa situation d’être historique, en considérant le
fait premier que l’histoire est pour l’homme non pas quelque chose d’extérieur, mais l’essence
de son être. L’homme n’est pas seulement dans l’histoire : il porte en lui l’histoire qu’il explore.
Je me découvre, moi parmi les autres et dans l’esprit objectif, je reconnais l’histoire-objet
comme le lieu de mon action, l’histoire spirituelle comme le contenu de ma conscience, l’histoire
totale comme ma propre nature. Je me confonds avec mon devenir comme l’humanité avec son
histoire. [Dès lors,] La théorie du savoir entraine une théorie de la réalité : le sujet aperçoit son
historicité et ne renonce pas à l’effort pour la surmonter »295.

293 Anthony Giddens, 1994 (1990), Les conséquences de la modernité, éd. L’Harmattan, Paris.
294 Nous invoquons “objectivement” K. Popper à dessein. Il s’agit non seulement de signaler l’apport de sa critique dont on se rappelle qu’elle s’articule
à sa conception scientifique des sciences sociales; mais également par souci de justice, pour suggérer éventuellement à nos lecteurs de s’informer et
de tenir compte de son approche, même si elle ne s’accommoderait pas nécessairement de l’approche que nous développons dans la présente thèse.
Lire Karl R. Popper, 1956, Misère de l’historicisme, éd. Plon, Paris; 1945, La société ouverte et ses ennemis, éd. du Seuil, Paris.
Au besoin, lire également Georg W.F. Hegel, 1979, (1837), Leçons sur la philosophie de l’histoire, éd. J. Vrin, Paris; 1998 (1820), Les principes de
la philosophie du droit, éd. PUF, Paris.
295 Op. cit.

128
5.11. L’histoire et la structure historique opératoire
Dans ce contexte, l’histoire est comprise autant comme le cadre que comme les manifestations significatives
du déploiement des forces et des acteurs ainsi que comme la détermination empirique à laquelle l’œuvre de
ces dynamiques donne lieu.

5.12. La perspective complexe et écosystémique de la “forêt”


Toute définition est idéologique, autrement dit fonction du rapport existentiel et donc de la représentation
cosmologique, intellectuelle ou idéologique, culturelle et totale que l’on déploie à l’égard de la réalité que l’on
définit. Dans sa thèse de doctorat, Ott-Duclaux-Monteil (2013) relève que :
Les ressources naturelles issues des forêts constituent un élément central des moyens de
subsistance des populations locales et autochtones d’Afrique. Les forêts du Cameroun, du
Congo Brazza, du Congo RDC et du Gabon regorgent d’énormes ressources. Plusieurs
potentialités sont offertes à ces pays par la richesse et la diversité de la faune, la flore,
l’exploitation des ressources du sous-sol, du bois et des produits forestiers non ligneux.
L’exploitation de ces ressources pourrait être un moyen efficace pour l’amélioration des
conditions de vie des populations locales et autochtones qui dépendent de ces forêts. Toutefois,
malgré les mécanismes juridiques, politiques et économiques mis en place par les différents
gouvernements, la participation des populations à la gestion des forêts reste très relative. La
promotion et la protection de leurs droits sociaux et économiques demeurent aussi
problématiques. Plusieurs années après la mise en place de ces réformes, de nombreuses
questions persistent pour savoir si les objectifs de transparence, d’équité et d’efficacité tant
recherchés ont été atteints296.

En fait, ce que Cécile Chantal Ott a omis d’indiquer c’est que la forêt comme entité écologique n’est pas
isolée : sa pertinence épistémologique –dans la théorie sociale –et sa participation radicale à la préoccupation
théorique réside en ce qu’elle constitue l’infrastructure ou la trame écosystémique qui structure l’existence des
communautés indigènes riveraines. Il en découle que les dynamiques de l’écosystème forestier engagent
radicalement la dynamique existentielle des communautés riveraines. Dès lors, que ce soit du point de vue de
l’approche par les “Droits fondamentaux” ou des approches environnementale et de la gouvernance
notamment par la conduite inclusive des affaires publiques qu’elle induit (Bastien Sibille, 2006; Guy Peters &
John Pierre, 1998; RAW Rhodes, 1997, 1996; etc.), toute démarche intellectuelle ou d’exploitation des
ressources forestières devrait nécessairement partir de la relation structurale à caractère existentiel qui lie les
communautés riveraines à la forêt. Ce que conteste l’expérience à partir de laquelle se déploient l’histoire de
l’économie des ressources forestières, la gouvernance forestière au Cameroun ainsi que la Réforme mise en

296 Cécile Chantal Ott-Duclaux-Monteil, 2013, Exploitation forestière et droits des populations en Afrique centrale, éd. L’Harmattan, Paris.

129
place autour de la Loi des forêts de 1994; et qui fait l’objet de l’analyse par le concept de contraintes
structurelles paradigmatiques, interscalaires et contextuelles. En effet, l’on observe une nette évolution entre
une première définition qu’en donne le Régime colonial français pour qui « La forêt, c’est tous les terrains
recouverts de végétations ligneuses dont les fruits exclusifs ou principaux sont le bois (d’ébénisterie,
d’industrie ou de service, de chauffage, charbons de bois, etc.) et dont les accessoires (écorces, kapok,
caoutchouc, glu, résines, gommes, bambous, palmiers spontanés) sont les végétaux et produits végétaux qui
ne sont pas considérés comme d’exploitation agricole »297;

Une deuxième définition issue de l’Ordonnance n°73-18 du 22 mai 1973 fixant régime des forêts, de la faune
et de la pêche où la forêt apparait comme « Les terrains comportant une couverture végétale et capables soit
de fournir du bois ou des produits autres qu'agricoles, soit d'abriter la faune sauvage, soit d'exercer sur le sol,
le climat et le régime des eaux un effet indirect (art. 2) »298, et;

La définition actuelle formulée par le Régime forestier ayant résulté des Réformes mis en place au début des
années 1990. En effet, d’après la Loi n°94/01 du 20 janvier 1994, la forêt est définie comme
étant « l’ensemble des terrains comportant une couverture végétale dans laquelle prédominent les arbres, les
arbustes et d’autres espèces susceptibles de fournir des produits autres qu’agricoles ».

Quant à la présente thèse, elle considère davantage la forêt, au-delà du milieu naturel et du système
biophysique qu’elle constitue [en tant que biotope et biocénose], comme un environnement écosystémique,
c’est-à-dire un massif structuré recouvert d’une formation végétale dans laquelle prédominent les arbres,
arbustes et autres espèces susceptibles de fournir des produits autres qu’agricoles (Loi de 1994) auquel
s’articule nécessairement le donné humain et la dimension sociale qui s’attache concrètement ou
symboliquement au territoire. En effet, la définition opérationnelle que nous développons de la forêt dans cette
étude en fait un écosystème total qui articule biotope écologique et biotope humain. Autrement dit, du point de
vue strictement épistémologique, en tant qu’étude sociologique au centre de laquelle se trouve l’entité
forestière, notre approche considère la forêt comme un milieu de vie humain ainsi qu’un cadre existentiel
complexe intégrant structuralement l’activité économique, l’activité culturelle, l’activité collective ou politique
(Christine Farcy, Jean-Luc Peyron et Yves Poss, 2011)299. Dès lors, si la forêt est un espace qui, dans la
définition légale, regroupe différentes formations telles que les forêts denses humides sempervirentes, les

297 In Charlotte Gisèle Kouna Eloundou, 2012, Décentralisation forestière et gouvernance locale des forêts au Cameroun. Le cas des forêts
communales et communautaires dans la région Est, Thèse doctorat en géographie, Université du Maine, Le Mans, France.
298 Ibid.
299 Lire Forêts et foresterie. Mutations et décloisonnements, ouvrage produit à l’issue du colloque de l’Association de Science Régionale de Langue

Française (ASRDLF), qui s’est tenue en 2011 à Schœlcher (Martinique) à l’invitation de l’Université des Antilles et de la Guyane, à l’occasion de l’Année
internationale des forêts.

130
forêts denses humides semi-décidues, les forêts galeries, les forêts marécageuses, les forêts de mangroves,
les mosaïques forêts savanes, les plantations forestières diverses et d’autres formations forestières naturelles
constituées de bambous, de palmiers raphia (Gisèle Kouna Eloundou, 2012), la forêt dans sa complexité
systémique, c’est-à-dire où tout est lié, est surtout à considérer comme un espace qui articule et cristallise
divers enjeux dont les enjeux existentiels humains, culturels, économiques et institutionnels (Doti Bruno
Sanou, 2014; Claude Villeneuve et al, 2013; Mbog Bassong, 2013; Esoh Elame et al, 2012; Sévérin Cécile
Abéga, 2001, 2000; Akwah George Neba, 1998; Serge Bahuchet, 1994; Guéhi Jonas Ibo, 1994)300. L’analyse
anthropologique de Sévérin Cécile Abéga (2001) est édifiante et permet de cerner complètement l’enjeu
paradigmatique en question :
Aujourd'hui nous avons une approche de l'environnement purement matérialiste et économiste.
Donc par exemple on va présenter la forêt comme un gisement de ressources : ressources
ligneuses, réserve de protéines. En Afrique noire, notre temple c'est la forêt, c'est le lac, c'est le
rocher, c'est la caverne, c'est l'arbre sacré. On ne peut donc pas aujourd'hui dire qu'on
s'intéresse à la nature, à l'environnement en Afrique et oublier ce côté-là qui est le plus
important pour nous!
Les États européens qui coexistent avec les nôtres aujourd'hui savent que lorsqu'on fait tel
projet routier, il ne faut pas abattre telle cathédrale parce que c'est un patrimoine national; de
même un bois sacré peut être considéré comme un patrimoine national parce que c'est un lieu
de culte et un haut lieu culturel; de même la forêt dans laquelle vivent nos totems, les esprits de
nos ancêtres et dans laquelle nous nous ressourçons, doit être préservée; de même enfin cette
forêt ne doit pas seulement être vue comme un espace où on va couper des arbres ou tuer des
animaux pour les vendre. On doit la restituer à sa dimension sacrée, ce qui permettra de
préserver cet environnement naturel. Mais c'est ça qui permettra aussi à l'homme de se
préserver parce que ce n'est pas seulement le pygmée qui vit dans la forêt, ce n'est pas
seulement le Bantou qui vit dans son village à côté de la forêt, nous-mêmes de la ville
aujourd'hui, nous avons ces liens-là par rapport à la forêt. Si jamais vous essayez aujourd'hui
d'aller attenter au lieu où on a enterré le cordon ombilical d'un Camerounais et qui est souvent
un lieu naturel, il deviendra votre ennemi parce qu'il aura l'impression que vous en voulez à sa
vie. Donc il reste quelque chose de sacré : ce lien que nous avons par rapport à la terre, ce lien
que nous avons par rapport à la forêt, par rapport à l'eau.
Chez les Badjué [une des communautés de la région Est du Cameroun] quand un enfant naît ou
quand un enfant a grandi loin de son village natal, quand il y revient pour la première fois, on le
présente à la forêt, on le tient face à la forêt et on lui récite les noms de ses ancêtres. Pourquoi?
Parce que ces ancêtres sont supposés s'être transformés en animaux. On lui dira tel gorille,
c'est ton grand-père; tel chimpanzé, c'est ta tante paternelle; tel éléphant, c'est un oncle, etc.

300Lire :
- Doti Bruno Sanou, 2014, Politiques environnementales : traditions et coutumes en Afrique noire, éd. L’Harmattan, Paris.
- Claude Villeneuve (dir.), 2013, Forêts et humains : une communauté de destin. Pièges et opportunités de l’économie verte pour le
développement durable et l’éradication de la pauvreté, éds OIF/Eco-Conseil/UQAC/IEPF.
- Sévérin Cécile Abéga, 2000, Les choses de la forêt. Les masques des princes Tikar de Nditam, éd. PUCAC, Yaoundé.
- Akwah George Neba, 1998, Tabous et conservation des ressources naturelles chez les communautés forestières du Sud-Cameroun : Étude
des restrictions relatives à l’exploitation de la faune chez les Baka,
Bakwele et Bagando, Msc Dissertation in anthropology, University of Yaoundé I.
- Guéhi Jonas Ibo, 1994, “Perceptions et pratiques environnementales en milieu traditionnel africain : l’exemple des sociétés ivoiriennes anciennes”, in
Fonds documentaire ORSTOM, Centre de Petit Bassam, Abidjan.
- Serge Bahuchet (sous la direction de), 1994, Situation des populations indigènes des forêts denses humides, Commission européenne, OPO,
Luxembourg.

131
Alors à la vue des faits aussi massifs, peut-on continuer à considérer la forêt tout simplement
comme un gisement de richesses, une réserve dans laquelle il faut puiser pour avoir de
l'argent? Moi, je pense que non! Pour l'Africain traditionnel, planter un arbre va plus loin.
N'importe qui ne peut planter n'importe quel arbre; de même n'importe qui ne peut pas couper
n'importe quel arbre. Il y a des arbres qu'une femme ne peut pas couper, il y a des arbres qu'un
homme ne peut pas couper, etc., parce qu'il y a une triple dimension religieuse, spirituelle et
culturelle attachée à l'arbre. Prenez les Tikar [une des communautés de la région Nord-Ouest-
Centre du Cameroun] qui ont un groupe de masques, les masques des princes qui sont
présentés comme étant la réincarnation des esprits ancestraux de la forêt. À partir de là, vous
voyez manifestés d'une manière extrêmement vigoureuse ces liens à la forêt, ces liens à l'arbre.
Il y a chez ce peuple un arbre que les esprits des ancêtres aiment bien : c'est le fromager. On
ne coupe pas le fromager, c'est la résidence des esprits, voyez-vous ! Donc si vous coupez le
fromager, vous vous mettez à dos ces esprits-là. Et les Tikar l'ont compris, eux qui vouent un
culte quasi religieux au fromager.
Les droits de l'homme professent la liberté religieuse et nous venons de montrer justement que
la forêt, la terre, la mer ont une dimension religieuse. Et si les droits de l'homme affirment la
liberté de culte, alors attenter à la forêt, à la mer ou à la terre pour ceux qui leur accordent une
valeur religieuse, c'est attenter à leur liberté de culte. De même il y a là des ressources sur
lesquelles les populations vivent. Si on exploite ces ressources sans discernement, on prive ces
populations de quelque chose qui leur apportait à manger et qui leur permettait de vivre
sereinement leur culture. Donc là aussi, c'est leurs droits les plus fondamentaux qui sont
touchés. Comme vous le voyez, il y a un lien et un lien absolument clair entre l'environnement et
les droits fondamentaux de la personne humaine301.

Comme on le voit, cette définition qui fait nécessairement de la forêt une totalité écosystémique s’identifie à la
définition proposée par les OSC/ONG dans la réforme de la réforme (Robinson Djeukam & Aristide Chacgom,
2013)302, au moment où l’on peut dire des acteurs nationaux qu’ils se sont appropriés la problématique
forestière dans ses différentes dimensions environnementales et politiques.

5.13. La notion de “non-endogénéité”


Pour bien comprendre. La non-endogénéité ne signifie pas nécessairement l’exogénéité ou ce que Nakanabo
Diallo (2013) –analysant les politiques publiques environnementales au Mozambique –appelle “extranéité”303.
En plus de l’exogénéité –ou de l’extranéité –qui rend effectivement compte de leur procession extérieure,

301 Op. cit.


302 Robinson Djeukam & Aristide Chacgom, 2013, Étude évaluative des contributions à la réforme forestière liées aux droits communautaires et
de leur prise en compte dans l’Avant-projet de loi forestière, éd. Rights Resources Initiative (RRI)-Green Development Advocates (GDA),
Washington/Yaoundé. Les auteurs reprennent la définition du Réseau des femmes africaines pour la gestion communautaire des forêts (RECACOF)
dont on perçoit bien la préoccupation de complexité ainsi que le souci écosystémique :
« Sont au sens de la présente Loi considérées comme forêts : (a) les terrains recouverts d’une formation végétale à base d’arbres ou d’arbustes aptes à
fournir des produits forestiers, abriter la faune sauvage et exercer un effet direct ou indirect sur le sol, le climat ou le régime des eaux; (b) les terrains
qui, supportant précédemment un couvert végétal arboré ou arbustif, ont été coupé à blanc ou incendiés et font l’objet de régénération naturelle ou de
reboisement; (c) par extension, sont assimilées aux forêts, les terres réservées pour être recouvertes d’essences ligneuses soit pour la production du
bois soit pour la régénération forestière soit pour la protection du sol ».
303 Rozenn Nakanabo Diallo, 2013, op. cit.

Lire éventuellement aussi son texte : 2015, “Sustainability and politics: experiences from Mozambique”, in AfricAvenir International.

132
c’est-à-dire à partir de dynamiques idéologiques, intellectuelles, économiques ou géopolitiques internationale
ou globale, la non-endogénéité se préoccupe également de l’absence des acteurs citoyens locaux et des
dynamiques spécifiquement indigènes (Thierry Michalon, 1984) dans la motivation des réformes, de même
que leur exclusion dans le processus d’élaboration de la Loi des forêts et les mécanismes de contrôle de sa
mise en œuvre. C’est ainsi qu’autant l’exogénéité explique la disqualification et l’incompétence des
communautés villageoises dans le nouveau paradigme environnemental ou de gestion durable des forêts,
autant la non-endogénéité va expliquer leur instrumentalisation et leur marginalisation du point de vue de la
gouvernance. L’énonciation que formule Sévérin Cécile Abéga (2001, 2000)304 –que reproblématise et
structure par la suite Mubabinge Bilolo (2007)305 dans une approche historique nourrie par la philosophie de
l’histoire –est d’un intérêt théorique capital en ce qu’il conforte le potentiel heuristique du concept de non-
endogénéité; mais aussi en ce qu’il favorise l’intellection de toute la problématique de la dépendance
systémique de l’Afrique à l’égard de l’Extérieur qui se trouve au cœur de la présente thèse. Pour
l’anthropologue :
Quand j’énonce dans mon livre que les grands thèmes –parmi lesquels l'écologie, qui mobilisent
l’intellectualité et les institutions africaines ces dernières années, naissent tous d'une insertion
dans les courants qui traversent le monde plutôt que des réflexions des intellectuels locaux, cela
veut dire tout simplement que l'intellectuel local ne travaille pas assez; et lorsqu'il travaille, il
oublie de prendre en compte les problèmes de son peuple. Il y a une faible intersection entre
l'intellectuel et le milieu qui l'environne. Parce qu'il lit les grands auteurs étrangers, sans réfléchir
aux problèmes qui concernent la vie et la survie de son peuple. Les défis qui nous concernent
sont nombreux; mais tant qu'on n'en a pas parlé ailleurs, nous n'en parlons pas.
Parlant d'environnement, c'est depuis des siècles que nous vivons la disparition de nos
éléphants, de nos buffles, de nos caméléons, de nos oiseaux, mais les africains ne s'en sont
pas plaints. N'oublions quand même pas qu'autrefois nous nous habillions de plumes d'oiseaux,
de peaux d'animaux, de pagnes d'écorce. Donc, quand l'arbre disparaît, quand l'animal
disparaît, c'est quelque chose d'essentiel que nous perdons! Or, ce ne sont pas les africains qui
ont été les premiers à signaler cette perte. La conscience écologique nous a été révélée
d'ailleurs… Ce n'est pas que les Africains n'en avaient pas conscience. Mais l'Africain qui en
avait conscience, n'était pas l'intellectuel! C'était peut-être le paysan, c'était le pygmée dans la
brousse qui s'est rendu bien compte que le gibier devenait rare, qu'il y avait déjà un mal-être, un
mal-vivre; il voyait l'avenir en noir à cause de cela. Mais est-ce que ses plaintes, ses
revendications, ses observations ont été comprises par les autres? Non, il a fallu que ce
discours nous arrive de l'Occident pour qu'on se rende compte qu'à côté de nous le pygmée et
le pêcheur se plaignaient, que telle population se plaignait […]
Je ne reproche rien aux multiples initiatives internationales auxquelles les Africains adhèrent,
toutes les conventions qu'on signe pour protéger les droits de l'homme et l'environnement en
Afrique, sinon une chose : elles n'écoutent pas suffisamment les Africains. D'abord l'africain lui-
même est en déphasage par rapport à son milieu, mais aussi parce que l'Africain ne réfléchit
pas assez à son milieu, n'écrit pas assez, ne produit pas assez pour proposer aux autres. Par

304 Abéga, S.C., 2001, "Nos ressources forestières sont pillées contre de l'alcool, des verroteries et des bibelots", Interview accordée à Eugène Fonssi
et Yves Kamgain, magazine Ecovox, 24 avril 2001 (http://www.cipcre.org/ecovox/eco23/rencontr.htm); 2000, Les choses de la forêt. Les masques
des princes Tikar de Nditam, éd. PUCAC, Yaoundé.
305 Mubabinge Bilolo, 2007, Percées de l’éthique écologique en Égypte du -IIIème millénaire, éd. Publications universitaires africaines/African

University Studies, Munich/Kinshasa.

133
conséquent, l'Afrique n'est pas suffisamment écoutée. Et l'Afrique joue le parent pauvre dans les
organisations internationales. C'est pour cela que les valeurs africaines sont négligées et
qu'elles ne transparaissent pas dans l'élaboration des textes d'aujourd'hui. Ces textes ne nous
satisfont qu'à moitié et ne peuvent pas résoudre tous nos problèmes306.

5.14. Les “communautés locales” dans la gouvernance environnementale


Dans la présente thèse, nous parlons indifféremment de communautés locales, de communautés villageoises,
de communautés riveraines et de communautés indigènes.

En effet, comme il se dégage des Réformes ainsi que des principales orientations stratégiques qui la
constituent –au rang desquelles le mécanisme des forêts communautaires par exemple –la notion de
“communautés locales” dans le contexte camerounais est d’importation exogène. Sa formulation n’est
l’aboutissement d’aucun processus historico-politique cohérent interne. Elle émerge dans le sillage de la
reconnaissance des droits des peuples minoritaires, indigènes ou autochtones ainsi que dans la foulée des
exigences démocratiques et pluralistes que les acteurs structurants du système international et les
dynamiques globales dominantes imposent dès la fin des années 1980 aux acteurs dépendants et aux entités
périphériques comme le Cameroun (Immanuel Wallerstein, 2014, 2012, 2011, 2009, 2008, 2006, 2001, 1999,
1995, 1991, 1988, 1985, 1975, 1966; Bertrand Badie, 1992; Fernand Braudel, 1986, 1985, 1979, 1958, 1949;
Stanislas Spero Adotevi, 1972). Parmi les principaux éléments moteur de ce mouvement on peut citer : la
chute du Mur de Berlin et le triomphe du libéralisme occidental en 1989; le discours du chef de l’État français
François Mitterrand adressé aux chefs d’États africains réunis à La Baule au Sommet France-Afrique de
1990307; la Convention n°169 des Nations unies relative aux peuples indigènes et tribaux qui est adoptée en

306 Sévérin Cécile Abéga, 2001, op. cit.


Au besoin lire également son autre texte auquel nous référons : Les choses de la forêt. Les masques des princes Tikar de Nditam, éd. PUCAC,
Yaoundé, 2000.
307 Lire :

- Joseph Keutcheu, 2014, “L’ingérence démocratique en Afrique comme institution, dispositif et scène”, in revue Études internationales, Vol. 45, n˚3,
septembre 2014.
- Hilaire de Prince Pokam, 2012, Communauté internationale et gouvernance démocratique en Afrique, éd. L’Harmattan, Paris.
- Babacar Guèye, 2009, “La démocratie en Afrique : succès et résistances”, in Pouvoirs, vol. 129, n˚ 2.
- Albert Bourgi, 1998, “François Mitterrand et la démocratie en Afrique : le discours de La Baule, huit ans après”, in Chroniques et publications
d’Albert Bourgi (https://albertbourgi.wordpress.com/1998/02/18/francois-mitterrand-et-la-democratie-en-afrique-le-discours-de-la-baule-huit-ans-
apres/).
- Jean-Francois Obiang, 1996, Aide française et processus de démocratisation. Les cas du Bénin et du Gabon (1990-1994), Mémoire de Diplôme
d’études approfondies en science politique, Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne.
- François Tabi Akono, 1995, Le discours de La Baule et les processus démocratiques en Afrique. Contribution à une problématique de la
démocratie et du développement dans les pays d’Afrique noire francophone, Thèse de doctorat en science politique, Université de Clermont-
Ferrand.
- François Lissouck, 1994, Le discours de La Baule et le pluralisme en Afrique noire. Essai d’analyse d’une contribution à l’instauration de la
démocratie dans les États d’Afrique noire d’expression française, Mémoire de Diplôme d’études approfondies en science politique, Institut
d’études politiques de Lyon.
- Jean-François Bayart, 1991, “La problématique de la démocratie en Afrique noire : La Baule, et puis après?”, in Politique africaine, n° 43, octobre
1991.

134
1989 et mise en vigueur en 1991; la Conférence mondiale pour l’environnement et le développement durable
de Rio 1992, notamment quand il encourage la participation des populations en enjoignant la nécessité de
déléguer des responsabilités de gestion aux échelons locales (Agenda 21, Chapitre 8); etc. C’est avec la
Conférence d’Istanbul (1996) et la consécration du concept de “partenariat” qu’une légitimité
environnementale d’échelle planétaire vient conforter non seulement l’irruption de nouveaux acteurs dans le
domaine de la gouvernance ainsi que le rôle déterminant des ONG dans le déploiement global des
dynamiques environnementalistes, mais également l’émergence de formes jusque-là inédites de gestion
collaborative du climat, de l’eau, des forêts, de la biodiversité, de l’air, des sols, des ressources fossiles, etc.
(A. Agrawal & M. C. Lemos, 2007). C’est donc cette dynamique intellectuelle qui consacre la légitimité des
acteurs non gouvernementaux et des organisations de la société civile comme condition indispensable de tout
développement durable, notamment à l’issue de la deuxième Conférence des Nations unies sur les
établissements humains. En effet, c’est à l’issue du Sommet mondial d’Istanbul tenu en juin 1996 que « Le
principe de partenariat stipule qu’acteurs gouvernementaux et acteurs non-gouvernementaux sont traités
comme des partenaires égaux dans l’accomplissement d’une tâche commune, et qu’ils partagent les mêmes
opinions et la même vision stratégique. Les forces idéologiquement non-alignées sur les objectifs des
“partenaires”, qu’elles soient étatiques ou non-étatiques, sont exclues d’office » (Marguerite A. Peeters, 2006).

C’est ainsi que dans cette nouvelle démarche paradigmatique –environnementale et démocratique –
d’organisation collective et de conduite des affaires publiques, les communautés locales sont érigées en un
acteur spécifique ou authentique, à côté des autres acteurs impliqués dans la gouvernance forestière que sont
l’État, les communes, les exploitants industriels, les organisations associatives non gouvernementales et de la
société civile, les organismes de recherche, etc. Dès lors, dans la dynamique des Réformes qui seront
implémentées au Cameroun où il constitue en même temps le paramètre de possibilité et d’opérationnalisation
des forêts communautaires –dont il est particulièrement intéressant de rappeler qu’elles représentent
l’élément-pivot allégué par les réformistes pour la durabilité et l’environnementalité de la nouvelle orientation
stratégique de l’économie forestière, la création du concept de “communautés locales” et l’émergence de cet
acteur nouveau apparait comme le résultat de l’influence des dynamiques environnementales, libérales,
démocratiques et de gouvernance qui s’affirment à l’échelle globale dès la début des années 1990. C’est ce
que confirme parfaitement Fabrice P. Oumba (2007) quand il indique qu’ :
Au Cameroun, les forêts communautaires constituent une catégorie nouvelle, dans la mesure où
la Loi n°81/13 du 27 novembre 1981 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche [que
les Réformes vont remplacer par la Loi n˚94/01 du 20 janvier 1994 aujourd’hui encore en
application] ne l'envisageait pas expressément. Le législateur de 1994 qui l'institue n'en fournit
d'ailleurs pas une définition, et se borne à préciser que toute activité dans une forêt

- François Mitterrand, 1990, Discours Sommet des chefs d’États France-Afrique, La Baule, le 20 juin 1990
(http://nsarchive.gwu.edu/NSAEBB/NSAEBB461/docs/DOCUMENT%203%20-%20French.pdf).

135
communautaire doit, dans tous les cas, se conformer à son plan de gestion; que “les produits
forestiers de toute nature résultant de l'exploitation des forêts communautaires appartiennent
entièrement aux communautés villageoises concernées” (Article 37). Cette catégorie de forêt est
définie par le Décret n°95/531 fixant les modalités de la Loi n°94/01 qui entend par là “une forêt
du domaine forestier non permanent, faisant l'objet d'une convention de gestion entre une
communauté villageoise et l'administration chargée des forêts” (Article 3-11).
Ainsi, depuis 2001, seule une exploitation artisanale est en principe autorisée sur les forêts
communautaires. La surface des forêts communautaires est plafonnée à 5000 hectares et
celles-ci doivent être dotées d'un plan simple de gestion validé par l'Administration. Les
populations locales devraient bénéficier également de l'exploitation des forêts communales à
travers les redevances versées à la commune par le bénéficiaire du Permis308.

De même, procédant à une sorte d’analyse ontogénétique du concept de communautés locales ainsi qu’à son
opérationnalisation dysfonctionnelle dans la mise en œuvre du Régime forestier de 1994, S. Ongolo A. & L.
Brimont (2015) relèvent que :
Le vocable de “communauté” et sa forme légale de Groupes d’initiative commune (GIC) s’avère
effectivement plus favorable à un modèle uniforme de société civile locale, effaçant par là
même, la complexité liée autant à l’organisation indigène qu’aux représentations indigènes des
choses. De plus, privilégier les GIC était également une occasion pour l’État d’assurer son
pouvoir dès la base, et ce à travers un cheminement administratif très codifié de création des
GIC. Dans ce processus, les fonctionnaires et les élites, les deux types d’acteurs étant souvent
les mêmes, deviennent des mentors plus ou moins bienveillants des populations locales peu
familières des rouages de la bureaucratie publique309.

Il en découle que non seulement les communautés indigènes sont disqualifiées d’office par la modernité
politique à l’œuvre qui ne l’intègre ni ne l’articule dans son déploiement intellectuel et institutionnel, mais les
enracinements arbitraires aussi bien économiques que de pouvoir (corruption, néopatrimonialisme, intérêts
privés) se sont gangrénés et fermement cristallisés au point de devenir incompatibles avec toute
préoccupation réelle de l’intérêt collectif et donc de redistribution (Paolo O. Cerutti et al, 2013; Paolo O. Cerutti
& Guillaume Lescuyer, 2011; Pierre Titi Nwel, 2009, 1999; Paolo Omar Cerutti & Luca Tacconi, 2008; Fabien
Eboussi Boulaga & Valentin Siméon Zinga, 2002). Le caractère structurel ou sociétal du phénomène de la
corruption dans la société camerounaise est parfaitement confirmé par défaut par quelques fonctionnaires
parmi les cinq ayant accepté notre demande d’entrevue, notamment VNDG dont nous avons repris les
réponses dans l’Annexe II.

Comme on le voit, dans le contexte socio-politique camerounais où se déploie la dynamique des Réformes du
début des années 1990 et dans la nomenclature du Régime forestier mis en place en 1994, on a davantage

308 Fabrice Parfait Oumba, 2007, op. cit.


309 Op. cit.

136
parlé au départ de “communautés villageoises”, de “communautés riveraines” et de “communautés de base”.
D. Brown & K. Schreckenberg (2001) signalent qu’:
À aucun moment, la législation camerounaise ne cherche à définir la notion de “communauté”
dans les mains de laquelle la gestion d’une “forêt communautaire” est placée. André Djeumo
(1998) examine en profondeur les différents types de statut juridique qu’une “communauté” peut
choisir d’adopter et le fait qu’aucune des options possibles ne reflète de manière satisfaisante
l’un des types de communauté qui existe dans la réalité. L’hétérogénéité de la notion de
“communauté” est mise en lumière par Ruth Malleson (2000) ainsi que les difficultés que cela
pose pour une gestion des ressources à caractère communautaire310.

L’appellation spécifique, “communautés locales”, qui sera finalement consacrée dans le discours public et la
littérature scientifique, marque une stabilisation conceptuelle convenue, obtenue sur la base d’une sorte de
consensus tacite à partir de la terminologie internationale. Aux communautés locales l’on adjoint généralement
la notion de communautés autochtones, le souci étant de distinguer les populations originaires ou
d’établissement ancien d’un territoire concédé à l’exploitation forestière des populations tout aussi fermement
établies mais à une époque relativement plus récente. La présente thèse ne sous-estime pas ces nuances qui
mobilisent des problématiques et des enjeux spécifiques réels, elle ne néglige pas non plus ces différences
conceptuelles qui présentent toute leur importance dans d’autres cadres de recherche. Cependant, dans la
mesure où sa préoccupation centrale porte davantage sur les éléments qui les réunissent, notre thèse se
focalise essentiellement sur les enjeux communs qui sont mobilisés par l’évocation des notions de populations
locales et autochtones. Aussi utiliserons-nous donc indifféremment “communautés locales”, “communautés
indigènes”, “communautés villageoises”, “communautés autochtones”, “communautés riveraines”, pour
signifier la même chose.

Les communautés locales naissent donc de la conjugaison de la préoccupation environnementale et du


paradigme de la démocratie participative, autrement dit de l’exigence de donner la parole à tout le monde et
particulièrement aux “gens d’en bas” et aux acteurs périphériques et au-delà, de favoriser leur participation
directe à l’élaboration et à la gestion des affaires publiques et particulièrement des ressources naturelles
(Guillaume Gourgues et al, 2013)311. Les “communautés locales” ne sont donc pas à confondre avec les
“collectivités locales” que l’on connait également sous les termes communes, municipalités ou collectivités
territoriales décentralisées, qui sont des entités territoriales participant du modèle de périphérisation de
l’organisation territoriale de l’État. La définition formulée ci-après par Krister P. Andersson (2002) permet
d’identifier et de comprendre la tradition institutionnelle de laquelle relève ces deux réalités :

310
Op. cit.
311 Op. cit.

137
In the natural resource management literature these two terms are often used synonymously,
suggesting that municipal government is the citizenry’s most local governance system. In the
context of Bolivia, however, it is important to emphasize the difference between local and
municipal governments. This distinction becomes essential when discussing local collective-
action problems involving primarily local citizens because municipal governments are often
physically very far away from large parts of the citizenry. It is not uncommon that a Bolivian
municipality hosts more than a hundred rural communities. Within each of these communities
there may very well be a formal institutional structure, such as village by-laws, elected
community representatives and even a village council. It would be more appropriate to call this
local-level institution the local government312.

Cette définition convient également au contexte camerounais, à la seule différence que c’est dans le sillage
des réformes environnementales forestières que la réalité des communautés locales en tant que nouvel acteur
citoyen ou nouvelle entité partie de la gouvernance au Cameroun va être alléguée et constituée.

Cette perspective radicalement nouvelle suggérée à la gestion des affaires publiques –dont on dirait qu’elle
participerait également de ce qu’on va appeler la postmodernité (Gilles Gagné, 1992313 ; André Berten,
1991314 ; Jean-François Lyotard, 1979)315 –indique sans ambiguïté l’exigence et la préoccupation
collaboratives formulées par le paradigme de gouvernance.

Dès lors, dans le sillage de l’émergence des communautés locales, le paradigme de la gouvernance appelle
une redéfinition du pouvoir du point de vue de la participation, en fonction de la diversité de légitimités en
présence dans le champ collectif. Du point de vue environnemental, il s’agit d’une démarche nouvelle de
conduite de l’action publique qui repose sur trois principaux paramètres : « les failles laissées par les
dispositifs étatiques et interétatiques » (Pascal Tozzi, 2010), la redécouverte de la complexité et des
interdépendances écosystémiques, et l’importance pluridimensionnelle des ressources écologiques (Edgar
Morin, 2011, 1999 ; Jean Ziegler, 1988). La définition qu’en élabore Jérémie Mbairamadji (2009) est
particulièrement intéressante dans la mesure où pour le chercheur :
La gouvernance est aussi considérée comme l’établissement de processus, de règles et de
structures partagés de gestion, autant informels que formels, qui facilitent la coordination, la
coopération et la complémentarité entre les gouvernements et les organisations d’un même
domaine. La réalisation de la gouvernance forestière invite à supprimer du système d’action
local de gestion forestière les rapports de dépendance avec pouvoir ascendant et d’instaurer
plutôt des rapports d’interdépendance avec pouvoir diffus dans tout le système d’action. Un tel

312 Krister P. Andersson, 2002, “Can Decentralization save Bolivia’s Forests? An Institutional Analysis of Municipal Forest Governance”, in Dissertation
Series, n˚9, CIPEC, Indiana University.
313 Gilles Gagné, 1992, “Les transformations du droit dans la problématique de la transition à la postmodernité”, in Jean-Guy Belley et Pierre Issalys

(dir.), 1993, Aux frontières du juridique. Études interdisciplinaires sur les transformations du droit, éd. GEPTUD-Université Laval, Quebec City.
Au besoin, lire également : 1997, “Les rapports de l’État et du citoyen”, dans la revue Société, vol.8, n˚18/19, et; 1991, “L’avenir de la théorie dans les
sciences sociales/La théorie a-t-elle un avenir?”, in La Revue Mauss, 1er et 2ème trimestres 1992, n˚15/16.
314 André Berten, 1991, “Modernité et postmodernité : un enjeu politique?”, in Revue philosophique de Louvain, Vol. 89, n˚81.
315 Jean-François Lyotard, 1979, La Condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Éditions de Minuit, Paris.

138
aménagement du système d’action créerait alors les bases d’une collaboration inclusive et
égalitaire, indispensables pour une gestion participative et durable de la forêt et des retombées
forestières locales, mode de gestion qualifié dans cet article de gouvernance forestière316.

Cependant, héritée de la colonisation européenne et totalement enracinée dans la modernité capitaliste


occidentale, la collectivité politique africaine s’est essentiellement caractérisée par une gouvernance jacobine,
centralisée, monolithique et autocratique qui, au-delà du contrôle qu’elle exerce fermement sur l’expression
publique, est radicalement coupée des populations périphériques auxquelles le gouvernement n’est obligé par
aucun lien de cohérence collective, institutionnelle, politique ou citoyenne. Aussi la naissance des
communautés locales détermine-t-elle une nouvelle géographie politique censée se déployer désormais
ailleurs qu’à partir du centre du pouvoir collectif ou de l’État, avec divers autres acteurs. Du double point de
vue historique et théorique, cette possibilité d’envisager le débat public dans une conjonction de termes
pluriels et non nécessairement convergents, ailleurs que dans et à partir du centre, connait un moment
d’ancrage majeur avec Jürgen Habermas (1996, 1992, 1981)317. Dans l’interprétation qu’il en fait, Yves
Sintomer (2011) dit de la théorie habermassienne qu’elle
fait ressortir théoriquement pour une audience allant au-delà des historiens des Lumières un fait
social, sémantique et politique majeur, l’apparition à la fin du XVII ème et au XVIIIème siècle d’un
public distinct de l’étatique, voire tourné contre lui. Alors qu’avec l’essor des monarchies
absolues, l’adjectif “public” signifiait étatique (le français contemporain en garde encore la trace
dans une expression comme “les pouvoirs publics”), le substantif “public” désigne à partir de
cette époque un espace et une couche sociale spécifiques. Il renvoie non plus à la communauté
des chrétiens ou aux sujets du souverain, mais à celle des “personnes privées faisant usage
public de leur raison”. Pour Habermas, cette couche sociale est pour l’essentiel composée des
bourgeois éclairés, et le lieu à la fois abstrait et concret (notamment à travers les salons) dans
lequel se déploient leurs discussions constitue l’espace public. Le terme allemand
d’Öffentlichkeit désigne à la fois cette sphère de la délibération publique et la force dont elle est
le médium (cette seconde signification rejoignant celle d’“opinion publique” en français).
L’espace public se présente comme libre, égalitaire et marqué par une confrontation publique
des opinions qui permet de faire jouer la publicité kantienne. L’idée forte qui s’en dégage est
que l’action étatique doit être légitimée par des raisons qui soient à la fois publiques et profanes,
devant un espace extérieur, ce “tribunal de l’opinion” dont parlera l’historien Baker. La légitimité
de l’État ne dépend plus de lui-même ou d’un ordre divin mais, précisément, de la façon dont
son action y est évaluée. Au XVIIIème siècle, cette logique ne prend pas automatiquement une
signification démocratique : l’espace public peut conseiller le souverain (absolutisme éclairé), le
contrôler (monarchie parlementaire) ou le fonder (souveraineté populaire).
Plus tard, à partir des années 1970, avec l’évolution de la critique théorique qui en est faite,
l’espace public devient l’une des dimensions que les Allemands vont nommer, en utilisant un
néologisme formé à partir de l’anglais et des langues latines, la Zivilgesellschaft, la “société
civile” tout court. L’infrastructure de l’espace public n’est dès lors plus la sphère de l’économie
privée et de la famille bourgeoise mais le monde vécu structuré communicationnellement. Il
représente la dimension publique d’un mode de socialisation qui pousse les individus à

316Op. cit.
317Jürgen Habermas, 1987 (1981), Théorie de l’agir communicationnel, Fayard, Paris; 1997 (1992), Droit et démocratie, Gallimard, Paris; 1998
(1996), L’intégration républicaine. Essais de théorie politique, Fayard, Paris.

139
dépasser leurs points de vue particuliers dans l’agir coopératif. Face à l’État bureaucratique et
au marché, l’espace public constitue un contrepoids critique318.

Cependant, il découle de ce contexte aussi exogène que formel d’enfantement institutionnel contradictoire,
que les communautés locales ne peuvent manifester la conscience de leur existence en tant qu’acteur319,
étant donné qu’au moment où les Réformes forestières sont engagées à l’orée des années 1990, elles
n’existent pas en tant qu’acteur dans le contexte sociopolitique, institutionnel ou citoyen du Cameroun. C’est
donc la dynamique environnementale dans laquelle s’élabore le Régime des forêts de 1994 qui leur donne
une existence politique que l’on dirait formelle et circonstancielle mais qui, en tant que telle, notamment dans
un contexte structurellement non préparé à un virage intellectuel d’une ampleur aussi radicale, portait déjà les
germes des dysfonctionnements ultérieurs. Parfait Oumba (2007) indique ainsi que :
Parce qu'elles sont conçues dans une optique exclusive, les législations forestières des pays
étudiés restent avant tout répressives et donc aliénantes. Leur finalité étant de limiter l'accès de
la forêt aux populations tentées de s'en servir pour leur usage. Les lois nient en cela la capacité
des populations rurales à gérer convenablement les forêts. Dans ce contexte, les populations ne
trouvent aucun intérêt à conduire des améliorations sylvicoles dans des forêts dont elles ne sont
pas propriétaires. Il s'ensuit donc une démobilisation sociale et un désintéressement des
populations qui estiment que pour résoudre les problèmes immédiats, il vaut mieux couper et
brûler ce qu'on peut en évitant de se faire prendre, et en n'attendant pas que le voisin l'ait fait
avant. La mainmise des États sur les forêts réduit les populations à un rôle passif, dans un
contexte d'affaiblissement des autorités traditionnelles. Cette déresponsabilisation des
populations accélère le processus de déforestation. Au demeurant, les impératifs de protection
de l'environnement et la nécessaire applicabilité des droits des populations locales et
autochtones ont amené la communauté internationale à reconnaître l'importance de ces
dernières dans la protection des écosystèmes, notamment les écosystèmes forestiers320.

Comme on le voit, l’analyse que nous développons n’est pas une analyse fonctionnaliste de la gouvernance
forestière en Afrique. La préoccupation de notre thèse ne porte ni à l’identification ou à l’énumération des
contradictions, ni à l’examen et à la classification des dysfonctionnements que manifeste la mise en œuvre du
Régime issu des Réformes forestières du début des années 1990. Les travaux d’approche fonctionnaliste qui
analysent l’émergence et la mise en œuvre du Régime des forêts mis en place en 1994 au Cameroun ainsi
que les difficultés qui en découlent sont abondants dans la littérature scientifique. Ces travaux nous semblent
parfaitement complets en ce qu’ils font le tour des problèmes manifestés, que ceux-ci relèvent des dimensions
sociales, politico-institutionnelles, économiques, commerciales ou financières, ou qu’ils relèvent des

318 Yves Sintomer, 2011, “Délibération et participation : affinité élective ou concepts en tension?”, in revue Participations, n°1.
Lire aussi son livre, La démocratie impossible? Politique et modernité chez Weber et Habermas, éd. La Découverte, Paris, 1999.
319 Lire ce qu’en dit Georges Boniface Nlend V, 2007, L'exploitation de l'Okok (Gnetum Africanum) par les femmes au Cameroun. Analyse

sociologique de l'émergence d'une cueillette de rente et de ses implications socioéconomiques et environnementales dans la région
forestière de Sa'a, Mémoire de DEA, Université de Neuchâtel, Suisse.
320 Op. cit.

140
dimensions écologiques. Ce sont ces travaux qui établissent avec une constance radicale le phénomène
empirique sur lequel se construit notre thèse, à savoir : la marginalisation des communautés locales dans la
gouvernance forestière. Par exemple, le constat formulé en 2010 par l’Évaluation conjointe de l’Organisation
des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de l’Organisation internationale des bois
tropicaux (OIBT) –soit deux ans avant la thèse de Kouna Eloundou à laquelle nous référons abondamment
pour présenter le tableau empirique des dysfonctionnements et problèmes tels qu’ils sont identifiés et attestés
dans leur diversité dans l’économie forestière au Cameroun tout au long de son évolution dans le temps –se
veut particulièrement sentencieux :
Dans tous les pays de l’Afrique centrale, relèvent les auteurs, la contrainte principale empêchant
la gouvernance forestière durable est constituée par le non-respect des lois forestières à tous
les niveaux de la société. Les répercussions –la déforestation, la dégradation des ressources
forestières et la perte des revenus gouvernementaux –sont quasiment les mêmes dans tous les
pays. L’exploitation illégale des ressources forestières est très répandue. Le manque de
coordination entre les trois branches du gouvernement (exécutif, législatif et judiciaire) et le
faible engagement politique vis-à-vis de l’application et du respect des politiques et de la
législation dans le secteur forestier sont deux éléments communs à tous les pays. Les
problèmes de capacités [logistiques, technologiques, industrielles, etc.] et le manque de
financements constituent un autre obstacle de taille. Le processus d’application des lois
forestières demande un engagement plus fort, ce qui aiderait à renforcer l’engagement des
secteurs public et privé ainsi que de la société civile, favorisant ainsi la collaboration et la
conscience de la nécessité d’agir321.

Nous avons voulu aller au-delà de l’horizon théorique fonctionnaliste d’identification, de description et de
qualification des problèmes posés dans la gestion institutionnelle et le gouvernement collectif des ressources
forestières au Cameroun, dans la mesure où il nous a semblé que l’intérêt théorique d’une thèse de doctorat
qui se consacre aujourd’hui encore à ce phénomène, et qui de surcroit se donne de procéder à la
caractérisation de la marginalisation des collectivités locales aurait été sinon redondant, du moins très
marginal.

Cependant, pour quels enjeux scientifiques devoir aller au-delà de la démarche fonctionnaliste d’analyse de
l’économie forestière en Afrique?

Motivée par une démarche de réflexivité critique qui se préoccupe incidemment d’en éprouver la substance à
l’aune de la théorie de la valeur, notre prétention de développer une analyse fondamentale de l’économie
forestière au Cameroun repose sur une sorte de nœud épistémologico-théorique dont la première dimension

321Jürgen Blaser, 2010, L’application des lois forestières et la gouvernance dans les pays tropicaux (Évaluation, région par région, de l’état de
l’application des lois forestières et de la gouvernance dans le secteur forestier dans les pays tropicaux et recommandations utiles à leur
amélioration), Rapport réalisé pour l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation internationale des bois
tropicaux (OIBT).

141
est la rémanence de contradictions irréductibles que présente un regard macro-longitudinal jeté sur
l’exploitation industrielle de la forêt au Cameroun, de ses débuts avec la colonisation européenne à nos jours;
et la seconde, la préoccupation d’identifier et de formuler les ressorts premiers ou ultimes qui expliquent aussi
bien l’échec des Réformes forestières proposées au début des années 1990 que la manifestation des
dysfonctionnements structurels établis dans l’émergence et la mise en œuvre de la Loi des forêts de 1994, et
qui mitigent les objectifs allégués aux Réformes. Le tout, dans une démarche qui, sans aucune prétention de
même nature, se formulerait dans les termes de Serge Latouche (1986) résumant la préoccupation théorique
et intellectuelle d’Immanuel Wallerstein :
Immanuel Wallerstein a entrepris de réaliser une gigantesque mosaïque dont le sujet n'est rien
moins que “le système du monde du XVème siècle à nos jours”. Si la dimension du projet peut
paraître démesurée aux yeux des “Social Scientists” hyperspécialisés des deux rives de
l'Atlantique, il s'inscrit dans la tradition des grandes synthèses continentales de Hegel à Max
Weber en passant par Marx. L'ampleur du dessein est impérativement exigée et justifiée par
l'analyse théorique de l'auteur. La fresque déjà ambitieuse brossée auparavant par Fernand
Braudel se trouve en quelque sorte ancrée en profondeur par le recours aux sciences
sociales322.

C’est dans cette perspective que la méthode sociohistorique nous a semblé la plus indiquée, eu égard au
potentiel heuristique qu’elle suggère, notamment dans la logique qu’inspire Ulrich Beck au commencement de
son ouvrage de référence, La société du risque (1986), quand le sociologue allemand rappelle que « Le XXème
siècle a été riche en catastrophes historiques : deux guerres mondiales, Auschwitz, Nagasaki, puis Harrisburg
et Bhopâl, et aujourd’hui Tchernobyl. Autant d’éléments qui invitent à la circonspection dans le choix des mots,
et aiguisent le regard que l’on peut porter sur les spécificités historiques »323.

En effet, en articulant l’histoire et la philosophie de l’histoire, l’approche réflexive critique –qu’illustrent


parfaitement Ulrich Beck (1986) ou Anthony Giddens (1990) –nous est apparue d’emblée comme la plus
susceptible de révéler les déterminants premiers ou ultimes ainsi que l’armature structurelle ou permanente
qui éclairent la marginalisation des communautés villageoises dans la gouvernance forestière au Cameroun.
En d’autres termes, en favorisant la reconstitution des facteurs divers historiques, idéologiques, intellectuels,
politiques, économiques, géopolitiques, dans leur cristallisation, leur constance et leur convergence, le
déploiement de la réflexivité critique à travers l’analyse sociohistorique permet d’identifier, d’établir et de
formuler les types de cohérence que dégagent les divers dysfonctionnements structurels et contradictions
irréductibles auxquels donne lieu l’émergence des Réformes forestières et la mise en place d’un nouveau
Régime des forêts au début des années 1990 au Cameroun.

322 Serge Latouche, 1986, “Déterminisme économique et pensée anti-systémique : le paradoxe de Wallerstein”, une lecture des deux ouvrages majeurs
d’Immanuel Wallerstein, Le système du monde du XVème siècle à nos jours, Tome I : Capitalisme et économie-monde (1450-1640), et Tome II :
Le mercantilisme et la consolidation de l'économie-monde européenne (1600-1750). In Tiers-monde, vol. 27, n°105.
323 Ulrich Beck, 2001 (1986), La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, éd. Flammarion (Aubier), Paris.

142
Il en découle que : non seulement le caractère non-endogène des Réformes forestières et l’absence des
communautés villageoises dans la motivation et la planification du nouveau Régime des forêts expliquent la
marginalisation des communautés villageoises dans le système économique forestier à l’œuvre, mais nous
pensons que la validité de cette hypothèse repose sur l’existence de cohérences opératoires que l’on peut
saisir sous la forme de trois types de contraintes structurelles : paradigmatiques, interscalaires et
contextuelles.

Même si elle se préoccupe essentiellement de théoriser la structure permanente qui explique la “coproduction
à géométrie variable de l‘action publique” (R. Nakanabo Diallo, 2013) économique dans les secteurs
environnemental et forestier, la problématique de notre thèse s’articule clairement aussi à la sociologie de
l’action publique dont Nakanabo Diallo rappelle qu’elle est définie
comme étant le fruit d‘interactions pluri-acteurs résultant de l‘élaboration collective et
conflictuelle de programmes d‘action, en mettant l‘accent sur les processus d‘interactions entre
acteurs, publics et privés, nationaux et internationaux. Cette approche “tient à la fois compte de
l’action des institutions publiques et de celle d‘une pluralité d‘acteurs, publics et privés issus de
la société civile comme de la sphère étatique, agissant conjointement, dans des
interdépendances multiples, au niveau national mais aussi local et éventuellement
supranational, pour produire des formes de régulation des activités collectives” (Commaille,
2004). Il s‘agit en d‘autres termes d‘une lecture concevant l‘action publique comme un
entrelacement d‘actions multiples, complémentaires et contradictoires et négociées, d’une
analyse contextualisée de la fabrique collective de l‘action publique, en situant les interactions
entre acteurs au prisme de leurs systèmes de représentation respectifs, des ressources dont ils
disposent et des intérêts qu‘ils poursuivent324.

Dans cette perspective théorique –qui s’articule clairement aussi à la sociologie de l’action publique
(Nakanabo Diallo, 2013; Massardier, 2003; Commaille, 2004; Hassenteufel, 2008; Lascoumes & Le Galès,
2009) –et pour étayer l’explication des dysfonctionnements de la gouvernance forestière au Cameroun par le
concept de non-endogénéité, nous postulons l’existence opératoire de trois types de contraintes structurelles
(paradigmatiques, interscalaires et contextuelles) dont nous pensons qu’elles déterminent, influencent et
encadrent le déploiement tout entier de la collectivité politique camerounaise. Comme dans la démarche
d’analyse au bout de laquelle Ulrich Beck (1986) formule le concept de “modernité réflexive”,
l’opérationnalisation des concepts de contraintes structurelles paradigmatiques, interscalaires et contextuelles
se présente comme l’outil théorique le plus adéquat permettant d’éclairer : « Les maux, les menaces et les
risques ne viennent plus de l’extérieur inquiéter la société, ils sont engendrés et manufacturés par cette
société elle-même. D’où l’obligation où elle se trouve de se repenser elle-même –c’est le sens du mot “réflexif”

324
Op. cit.

143
–en secouant une à une les bases sur lesquelles la société industrielle s’est construite » (Bruno Latour,
2001)325.

En clair, pour reprendre les mots de l’épistémologue Lévy-Leblond (2007) : « Ce que nous voulons, c’est
obtenir une compréhension structurelle de la réalité, dans une vieille démarche qui remonte aux
pythagoriciens, c’est-à-dire trouver sous la confusion des apparences, certains principes unificateurs et, le cas
échéant, les éléments constitutifs du monde »326.

En effet, pour mieux comprendre et en guise d’illustration : la portée heuristique et la pertinence des concepts
de contraintes structurelles dans l’explication des dysfonctionnements irréductibles de la marginalisation des
communautés villageoises dans l’économie forestière au Cameroun ressortent également de leur articulation
aux concepts d’économie-monde globale et de système-monde proposés plus tôt par Fernand Braudel (1986,
1985, 1979, 1958, 1949) et Immanuel Wallerstein (2014, 2012, 2011, 2009, 2008, 2006, 2001, 1999, 1995,
1991, 1988, 1985, 1975, 1966), notamment à travers l’énonciation que Bertrand Badie (1992) fait –des
ressorts politiques –du système de dépendance qui régit et caractérise la globalité internationale. Badie
observe que :
La sociologie de la dépendance fait une entrée d’autant plus fracassante dans le domaine des
sciences sociales qu’elle parvient également à y imposer plusieurs postulats. Celui d’abord de
l’unité des sciences de la société puisque seule la dissociation des approches économique et
politique pouvait entretenir l’illusion de la souveraineté des États faibles. Celui ensuite de la
dimension internationale du développement, puisqu’une analyse purement interniste pouvait
occulter dangereusement les vraies raisons du retard économique et mettre celui-ci sur le seul
compte des facteurs culturels. Celui enfin de la nature déterminante des relations
transnationales qui bousculent frontières et souverainetés, réunissent l’étude du pouvoir aux
échelles nationale et internationale, et conduisent à découvrir l’existence d’un système
capitaliste unificateur à l’échelle du globe, doté d’un centre et d’une périphérie.
Dans cette vision, celle-ci paraissait manipulée au moins d’un triple point de vue. Pillée par le
centre, elle alimente le développement économique des puissances hégémoniques.
Structurellement en retard, l’aggravation de son sous-développement sert les intérêts du centre
et renforce les conditions de sa domination. Rivée dans l’accomplissement des fonctions
assignées par la division internationale du travail, elle sert un développement dont elle ne retire
aucun bénéfice. Au total, cette vision économiciste s’imposait par son fonctionnalisme : l’ordre
de la dépendance se forge et se reproduit sans que rien ne puisse remettre en cause son
efficacité et son inéluctable logique […]
La mondialisation reconstruit l’idée même de la dépendance. Supposant un ordre international
unifié, s’alimentant d’un processus complexe de diffusion des modèles, elle implique d’abord

325 Il s’agit d’un extrait du commentaire de Bruno Latour à l’édition de la version française de La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité
(Ulrich Beck, 1986). Édition Flammarion (Aubier), Paris, 2001.
326 Jean-Marc Lévy-Leblond, 2007, “(Re)mettre la science en culture : de la crise épistémologique à l’exigence éthique, allocution prononcée lors de

l’inauguration de l’Institute for Scientific Methodology (ISEM) de Palerme en mars 2007, in Courrier de l’environnement de l’INRA, n°56, décembre
2008.
Le propos repris ici est tiré “Savoir c’est prévoir” (Entretien avec Ruth Scheps), in Les sciences de la prévision, éd. Du Seuil, Paris, 1996, cité par
Mbog Bassong (op. cit.).

144
l’existence d’une structure de pouvoir qui anime les rapports internationaux. Complexe dans son
identité, cette structure ne répond à aucun mono-déterminisme et ne peut pas être tenue pour
exclusivement économique. Elle n’est pas non plus réductible à un jeu simple d’acteurs, ni en
tout cas à un complot des dominants. Sa principale propriété est de créer des réseaux et aussi
des utilités qui unissent les acteurs du Nord et du Sud qui sont porteurs d’intérêts et d’objectifs
très diversifiés. Suscitant le pouvoir, la mondialisation crée aussi sa propre contestation,
engendre ses propres conflits, se dote de ses propres lignes de clivage. Trouvant sa visibilité
dans l’uniformisation des modèles, elle confère aux tensions qu’elle engendre une tonalité
principalement culturelle […]
Contradictoire dans ses réalisations, utopique dans ses prétentions, naïve dans ses postulats,
dénoncée et parfois diabolisée, génératrice de conflits souvent violents, la dépendance
culturelle occasionnée par les rapports [géo]politiques asymétriques du dialogue auquel appelle
l’universel demeure et même s’étend, contrôle en tout cas de plus en plus la scène
internationale. Et c’est derrière toutes ses ambiguïtés qu’apparait peut-être l’hypothèse
essentielle : au-delà de ces dysfonctions, parfois grâce à elles, la dépendance culturelle dispose
d’une immense capacité politique déterminante dans le fonctionnement du système international
et par conséquent dans le contrôle de l’évolution des sociétés périphériques. À ce titre, elle est
efficace et fonctionnelle, tant pour les exportateurs de modèles que pour ceux qui les importent
[…] Aucune volonté n’arrête ni n’accélère le rythme de travail de la main invisible qui régule le
système économique international […]
D’une manière générale, la force de la dépendance clientéliste est d’engendrer, au sein des
sociétés assujetties, une catégorie dirigeante qui parvient à retirer du patronage dont elle jouit,
dans divers registres, une position de domination dont elle se persuade assez vite et assez
facilement qu’elle ne saurait être améliorée par la promotion d’une stratégie alternative de type
nationaliste. Plus précisément encore, cette catégorie sociale se trouve confortée dans sa
position effectivement cliente dès lors qu’elle peut établir par expérience que son propre pouvoir
se trouve réellement renforcé par son rôle de “domestication” de l’aide extérieure327.

C’est dans ce sillage méthodologique et théorique que nous affirmons que c’est l’opérationnalité conjointe et
permanente de ces trois types contraintes structurelles dans la construction, l’organisation et le déploiement
de l’État du Cameroun qui met le destin de la collectivité politique à la totale disposition des dynamiques
extérieures (internationales ou globales) en l’ouvrant à la motivation non-endogène des institutions
stratégiques sur lesquelles l’État se déploie. En l’occurrence, c’est l’articulation structurelle de ces facteurs qui
explique en conséquence le caractère dysfonctionnel du Régime forestier de 1994 ainsi que la marginalisation
des collectivités locales dans la gouvernance des forêts au Cameroun. Cet énoncé qui rend parfaitement
compte de l’opérationnalité du concept de contraintes structurelles éclaire d’un jour nouveau une réalité
abondamment documentée dans la littérature scientifique, ainsi qu’il ressort de cet édifiant extrait du texte de
Thierry Michalon (1984) :
Dans l’ensemble, en affirmant que leur préoccupation est de porter leurs pays au
“développement”, tout se passe du point de vue de la mécanique intellectuelle à l’œuvre,
comme si les gouvernants africains étaient obsédés par le modèle occidental qui s’impose à eux
comme l’unique perspective historique : tout se passe comme si les dirigeants africains
croyaient que l’Afrique de demain sera semblable à l’Occident d’aujourd’hui, avec la réunion des

327 Op. cit.

145
principales dimensions que sont l’urbanisation, l’industrialisation, la société de consommation
généralisée. Cette fascination pour le mode de vie occidental constitue le principal moteur des
élites et des classes dirigeantes. Il s’agit là, pourrait-on dire, d’une forme d’auto-colonisation.
L’imitation de ce mode de vie et le rattrapage de ce niveau de consommation, ainsi donnés
comme perspectives aux populations africaines, constituent en réalité un mythe et un poison.
Ce mythe de l’accession prochaine de tous à la société de consommation joue pourtant un rôle
politique décisif sur le Continent noir : il justifie l’imitation dès aujourd’hui par les couches
dirigeantes –et Dieu sait que ces privilèges sont ruineuses pour ces pays –du mode de vie qui,
prétendent-elles, sera demain généralisé; il justifie aussi l’orientation vers l’extérieur des
économies nationales –sur le schéma suivant : l’exportation des produits du pays permet
d’importer des biens de consommation, souvent réservés à la minorité.
[Dès lors,] Le développement, conçu comme une tentative de rattraper et de généraliser le
mode de vie occidental, sert donc de prétexte à la formation, par l’intermédiaire de l’État, d’une
couche de privilégiés jouissant dès aujourd’hui de ce type d’existence328.

Par la mobilisation des concepts de contraintes structurelles et la solidarité théorique que ces concepts
dégagent au contact de l’analyse de la dépendance internationale (Noam Chomsky, 2016, 2005, 2003, 1995;
Immanuel Wallerstein, 2014, 2012, 2011, 2009, 2008, 2006, 2001, 1999, 1995, 1991, 1988, 1985, 1975, 1966;
Guy Martin, 2014; Prao Yao, 2013; Samir Amin, 2012-1970; Mueni wa Muiu & Guy Martin, 2009; Nicolas
Agbohou, 2008; Michel Norro, 1994; Bertrand Badie, 1992; Thierry Michalon, 1984; Fernand Braudel, 1986,
1985, 1979, 1958, 1949; Stanislas Spero Adotevi, 1972; etc.), la thèse que nous développons se trouve à la
confluence de plusieurs disciplines dont la science politique, les relations internationales, l’économie politique
et l’histoire, dans une démarche qui a longtemps meublé la réflexion épistémologique et le débat
méthodologico-théorique fondamental, et qui rejoint Mbog Bassong (2013) notamment quand il rappelle les
dimensions de la trilogie normative de la science complexe, dans une préoccupation portée sur l’unité du réel
qu’avait déjà clairement développée Karl Popper (1956, 1945) : l’unité du Réel, la stabilité structurelle des
éléments essentiellement dynamiques, et la transformation du désordre en ordre.329 C’est au cœur de cette
préoccupation quant aux conditions les plus sûres de production d’une connaissance authentique et tangible
que Jean Piaget (1973) rappelle qu’il est :
Inutile de multiplier les exemples pour montrer qu’il y a là un domaine de recherche
interdisciplinaire d’importance assez générale. Le problème revient en définitive à se demander
jusqu’à quel point l’homme contemporain dépend de son histoire. Une réponse superficielle qui
pourrait être tirée de ce que l’on vient de voir consisterait à soutenir que les facteurs historiques
ont d’autant plus d’importance qu’ils sont intemporels et relèvent, comme les normes
rationnelles, d’invariants que l’histoire retrouve mais ne crée ou n’explique pas, tandis que les
grands changements historiques qui introduisent des continuités entre certains systèmes de
normes et les précédents soulignerait davantage les rééquilibrations synchroniques que des
processus constructeurs continus.

Op. cit.
328

Mbog Bassong, 2013, La théorie économique africaine. L’alternative à la crise du capitalisme mondial, éd. Kiyikaat, Montréal.
329

Karl R. Popper, 1956, Misère de l’historicisme, éd. Plon, Paris; 1945, La société ouverte et ses ennemis, éd. du Seuil, Paris.

146
En réalité, il y a l’histoire des évènements, ou des manifestations visibles et en partie
contingentes, et il y a l’histoire du dynamisme sous-jacent ou des processus d’élaboration et de
développement. Or, on sait de plus en plus qu’un développement organique est bien davantage
qu’une histoire d’évènements ou qu’une succession de phénomènes : il est structuration ou
organisation progressives, dont les étapes qualitatives sont subordonnées à une intégration
croissante. C’est pourquoi l’histoire de la civilisation est de plus en plus une œuvre
interdisciplinaire où l’histoire des sciences et des techniques, l’histoire économique, la sociologie
diachronique, etc. doivent analyser concurremment les innombrables faces des mêmes
transformations. Mais c’est aussi pourquoi l’histoire est explicative même en ce qui apparait
comme des invariants intemporels, car ils ne sont revenus tels qu’en fonction de processus
constructifs et d’équilibration qu’il s’agit de reconstituer et qui, en différant d’un domaine à
l’autre, s’éclairent les uns les autres en leurs oppositions autant qu’en leurs mécanismes
communs330.

C’est cette logique qui va se déterminer dans la nature des institutions mises en œuvre ainsi que dans les
implications auxquelles elles donnent lieu, tel que cela se dégage ici avec Alain Karsenty (2016) : « The
community forests (CFs) were limited to a maximum of 5,000 ha, and the Ministry of Forestry obtained a
modification in the draft law that excluded the community forests from the future Permanent Forest Estate
(PFE), in spite of the legal requirement to draw up a (simplified) management plan that would guarantee long-
term forestry use for the CFs. Since the highest quality forests were located in zones planned to be gazetted
(to be included in the PFE), community forests have often been located in less rich forests »331.

330 Jean Piaget, 1966, “Problèmes généraux de la recherche interdisciplinaire et mécanismes communs”, in Tendances principales de la recherche
dans les sciences sociales et humaines. Première partie : sciences sociales, éd. UNESCO, Paris.
331 Op. cit.

147
6. Autres éléments méthodologico-théoriques fondamentaux

6.1. La pertinence de l’implication personnelle


Nous sommes né à Mapoubi-Mangaa332, un village africain situé non loin d’Édéa, au cœur de la forêt tropicale
humide, à l’intérieur des terres de la Baie du Biafra, dans le Bassin du Congo. Comme en témoignent avant
nous Jean-Marc Ela ou Charles Ateba Eyene333, nous avons aussitôt appris à connaitre cet environnement
complexe qu’est la forêt dense pluviale, à le côtoyer, à nous imprégner existentiellement des ressources les
plus diverses dont elle dispose, en vivant avec elle, et par conséquent à percevoir à vue d’œil, très souvent
postérieurement, les évolutions que ce milieu total subissait de l’activité anthropique. C’est ainsi que nous
avons vu progressivement s’éloigner ou disparaitre tant d’insectes, d’oiseaux, de mammifères, de plantes, tant
d’autres phénomènes pittoresques propres à ce milieu, tant d’arbustes et d’arbres, comme ces Moabi dont
nous récoltions le fruit d’où nous extrayons l’huile alimentaire la plus précieuse pour nos communautés
indigènes. Ces arbres quasi-sacrés furent systématiquement chassés et coupés avec la construction de la
grand’route et surtout, par l’incessante pression de l’exploitation forestière industrielle.

Nostalgique outré refusant toute résignation face au destin de mort qu’imposaient l’arbitraire d’une société
définitivement prise en otage par les collusions capitalistes des élites politiques (Noam Chomsky, 2005,
1995)334, administratives et industrielles, mon père nous a fait planter deux rejetons de Moabi, à mon frère
ainé et moi. Aujourd’hui, près de quarante ans plus tard, si les deux arbres ont définitivement pris de la
verticalité, « il faut attendre [comme la plupart des grands arbres des forêts tropicales humides] plus de 50 ans
en moyenne pour leur maturité, plus de 600 ans pour la hauteur maximale, et plus de 250 ans pour atteindre
le diamètre maximal » (Yvon Ibata, 2014)335.

À côté de l’arbre, nous avons également vu s’éloigner et disparaitre le petit céphalophe à pelage fauve 336,
familier des jachères et des jardins situés non loin des habitations où il se nourrissait tout en gardant le cœur
de la forêt comme sa matrice régénératrice. Nous avons vu s’éloigner et disparaitre tant d’éléments forestiers

332 Mapoubi est effectivement la dénomination administrative de mon village. Situé de part et d’autre de la route reliant les villes de Douala et Yaoundé,
précisément entre les villes d’Édéa et de Pouma, Mapoubi relève de la communauté Mangaa-Ndokok.
333 Dans le livre issu des entretiens qu’il lui a accordés, Jean-Marc Ela. Le sociologue et théologien africain en boubou (éd. L’Harmattan, Paris,

1999), Yao Assogba dit de Jean-Marc Ela qu’ :


« Il a passé son enfance à Ngoadzip, le village de son père, au cœur de la forêt équatoriale où l’on pratiquait le “métier de la chasse à l’aide des
pièges”. Influencé par un cousin chasseur, il a appris ce métier en jouant à tendre des pièges, ce qui le socialisait en même temps à la culture des gens
de la forêt. “Je dois par ailleurs souligner que cette expérience m’a permis, non seulement de m’exercer aux techniques de chasse mais aussi et surtout
de mieux connaître la forêt”. Le jeune Ela découvre que les pratiques des chasseurs de la forêt s’articulent autour de savoir-faire et techniques très
spécifiques ». C’est la même biographie qui ressort du documentaire que Jean Materne Ndi a consacré à Charles Ateba Eyene, l’intrépide intellectuel
camerounais décédé à la fleur de l’âge. In Hommage à Charles Ateba Eyene, éd. Images d’Afrique/Équinoxe TV, janvier 2017 [(notamment entre
17’12’’ et 19’45’’)].
334 Noam Chomsky, 2005, Quel rôle pour l’État, éd. Écosociété, Montréal; 1995 (1994), L’an 501. La conquête continue, éd. Écosociété, Montréal.
335 Au sujet du Moabi (Baillonella Toxisperma) et au besoin, lire le traitement qu’en fait Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Baillonella_toxisperma).

Lire surtout Yvon Ibata, 2014, “Le Moabi : l’arbre qui cache la forêt, l’arbre de vie et de profit”, in http://www.mediaterre.org/actu,20141013094913,6.html
336 Il s’agirait probablement, parmi les nombreuses sous-espèces connues, du Cephallofus sylvicultor, ogilbyi, natalensis, dorsalis ou rufilatus.

148
et tant de choses constitutives de l’écosystème de forêts denses équatoriales, devenus intimes, sinon nous-
même, du moins partie de nous-même. Ce que nous tentons de formuler ici participe de l’existentiel viscéral,
dans une sorte de mystique que l’on ne saurait ressentir, vivre et peut-être exprimer qu’à partir de l’intérieur, et
dont peut dire qu’il est aussi significatif de la valeur. C’est aussi dans cette posture que l’on comprendra la
validité théorique de cette thèse consacrée à l’explication des causes de la marginalisation chronique des
communautés villageoises dans l’économie des forêts dans le Bassin du Congo, un peu quand Gilles Gagné
(1992) que « La théorie a l’avantage d’être le seul champ qui soit, en droit à tout le moins, parfaitement
commun à toutes les recherches; s’inquiéter ne serait-ce qu’un peu, à son sujet, c’est un peu
s’inquiéter, fût-ce par un détour, de soi-même »337.

Modèle de forêt tropicale humide, notre village pourrait constituer l’objet archétypique des problématiques de
l’exploitation industrielle des forêts tropicales et de la gouvernance des ressources forestières dans les États
d’Afrique où se manifeste la marginalisation chronique communautés indigènes. En effet, au moment où nous
naissons –nous sommes au début des années 1970 –les compagnies forestières ont commencé l’exploitation
du bois depuis longtemps, à la fin du XIXème siècle, avec la colonisation allemande. Aujourd’hui encore, nous
nous rappelons certains noms des premières entreprises d’exploitation forestière restés vissés dans
l’imaginaire collectif locale et dont nous entendions l’évocation courante dans les discussions, tant les
conditions de leur arrivée ainsi que les modalités de leur présence et de leur activité furent dramatiques. Nguii
Dikond, un de mes aïeuls, en ligne directe338, a été assassiné par des hommes en armes allemands, même si
nous nous en doutons un peu, nous n’avons jamais établi ni dans quelles circonstances précises ni pour quels
motifs, pour quels intérêts et enjeux.

Nous avons personnellement retrouvé quelques traces rémanentes des premières pistes laissées par
l’extraction des grumes dans la forêt. Et surtout, plus tard, nous avons été témoin de l’éloignement et de la
disparition du tissu et du bagage forestier de la forêt, sans qu’aucun acquis structurel ou durable en termes
d’infrastructures n’y ait jamais été implanté pour témoigner d’une incertaine retombée économique probante.
Inutile d’évoquer quelque improbable acquis politique ou citoyen sur les populations et dans la communauté
(Thierry Michalon, 1984). Et notre village, Mapoubi-Mangaa, comme tous les nombreux villages africains que
j’ai visités depuis plus d’une dizaine d’années autour de l’exploitation des ressources forestières, est demeuré
aussi pauvre et aussi exclu de la logique intrinsèque de déploiement de l’État : aujourd’hui encore, il n’est pas
électrifié, alors même que c’est dans le domaine ancestral revendiqué par la communauté qu’a été construit

337 Gilles Gagné, 1992, La théorie a-t-elle un avenir?, in La revue du Mauss, 1er et 2ème trimestre, n°15/16, pages 43-57.
338 Nguíí Dikónd est mon arrière-grand-père paternel, le père du père de mon propre père.

149
l’un des plus puissants barrages hydroélectriques d’Afrique. Pourtant, le cas de Mapoubi-Mangaa, mon village,
n’est pas isolé. En effet :
Dans les villages Lom2, Deng-Deng, Yoko-Betougou et Koundi, qui bénéficient de deux unités
forestières d’aménagement (UFA) de 232.000 ha, les plaintes sont les mêmes : “Le village n’a
pas de centre de santé. Nous sommes obligés de nous déplacer à Belabo, à une quarantaine
de kilomètres pour recevoir des soins. Les coûts de transport, d’hébergement et de
nourriture découragent les gens qui choisissent dès lors la médecine traditionnelle”. La plupart
des habitants pensent que l’exploitation forestière n’a pas d’impact bénéfique. Maisonnettes en
terre battue avec des toitures de nattes de raphia, pas d’adductions d’eau potable, encore moins
d’électricité. “Notre principal moyen d’éclairage est la lampe tempête. Dans la majorité des cas,
les ménages s’approvisionnent en eau dans des sources de fortunes souvent pas aménagées. Il
nous manque des infrastructures scolaires et sanitaires”, déplore Baba Soulé le chef de la
communauté musulmane […] Essouka Gomone, le maire de Belabo –le chef-lieu du territoire –
estime, lui, qu’“il y a un impact réel des redevances forestières”. Il se félicite de certaines
réalisations telles la “réfection des salles de classes dans les villages Deng-Deng et Goyoum,
l’entretien des routes, la construction des forages et quelques appuis notamment la distribution
des intrants aux agriculteurs pour booster la production aux agriculteurs” (Ange-Gabriel Olinga,
2013)339.

L’intérêt de notre thèse pour la marginalisation dont les communautés villageoises font l’objet dans la
gouvernance forestière au Cameroun nous inscrit pleinement au cœur de la sociologie de l’environnement en
tant que dimension spécialisée de la sociologie politique (R. Dunlap & W.R. Catton, 1980). En effet, l’examen
de cette préoccupation épistémologique donne lieu à l’analyse d’une problématique majeure soulevée par les
diverses dynamiques –intellectuelles, politiques et institutionnelles –inhérentes aux rapports essentiellement
économiques que les individus, les groupes et les collectivités vont développer et entretenir avec les
ressources [naturelles] forestières. En effet, autant on peut dire que du point de vue historique, les réformes
environnementales à partir desquelles découle la gouvernance environnementale émergent essentiellement
des pays industrialisés où se développe également la conscience du risque écologique en tant que résultat
d’un paradigme intellectuel et culturel dans lequel les exigences de progrès, de bien-être, de richesse, bref de
production des conditions d’épanouissement impliquait nécessairement le déploiement d’une démarche
conflictuelle de prédation de l’homme à l’égard de la nature (Louis Favreau, 2015, 2008, 2007, 2004; Gilbert
Rist, 2015, 2010, 1997, 1996, 1992; Serge Latouche, 2012, 2005, 1999, 1998; Edgar Morin, 2011, 1999; Gilles
Lipovetsky, 2009, 2006, 2004, 1992, 1983; Peter Dauvergne, 2008; Jacques Adda, 2001; Benjamin
Guillemaind et Arnaud Guyaut-Jeannin, 1999; André Gunder-Frank, 1985-1968; Fritjof Capra, 1985; Olivier
339 Ange-Gabriel Olinga, 2013, “La désillusions des populations des zones forestières”, in JADE (édition du 18 février 2014), Forêt. Sauver le bois
africain. Reportages au cœur de la forêt camerounaise
(https://fr.scribd.com/document/239805929/Foret-Sauver-Le-Bois-Africain-Reportages-au-coeur-de-la-foret-camerounai).
Ce texte a également été publié par l’Association des journalistes africains pour l’environnement, AJAFE, dans son édition du 31 octobre 2013
(http://ajafe.org/la-desillusion-des-populations-des-zones-forestieres/).
Lire également : François Xavier Eya, 2007, “Cameroun : La déforestation, une forme de suicide”, in Jade Cameroun (édition du 3 août 2007)/Syfia,
avec le projet Promotion de la culture scientifique et technique, PCST
(http://www.jadecameroun.com/?q=cameroun%20la%20d%C3%A9forestation%20une%20forme%20de%20suicide).

150
Costa de Beauregard et al, 1981); autant la gouvernance environnementale est incidente de “la conscience
globalisée du risque environnemental et écologique” (U. Beck, 1986), et se déploie dans une double logique
interactive, en même temps plurielle et uniforme, qui épouse le phénomène de la mondialisation et de “la
modernité réflexive” en tant que contexte de dilatation-contraction spatio-temporelle décrite par A. Giddens
(1994) et Harvey (1992). Dans le commentaire qu’il fait de l’ouvrage de Grégory Quénet intitulé Qu’est-ce que
l’histoire environnementale? L’environnement a une histoire (2014), Hicham-Stéphane Afeissa parle d’ :
une interrogation sur les réquisits épistémologiques d’une “histoire totale” qui se voit contrainte
de mobiliser des concepts et des méthodes pourtant incommensurables les uns aux autres
(ceux des sciences de la nature, d’une part, et ceux des sciences sociales et des humanités,
d’autre part), et, last but not least, une réflexion prospective sur une thématique émergente –
celle des humanités environnementales –qui, selon l’auteur, “est potentiellement capable de
réorganiser les études sur les sociétés et leur environnement et de prendre sous son aile, non
seulement l’histoire environnementale, mais aussi toute les disciplines qui font les humanités : le
droit, la littérature, l’histoire de l’art, l’anthropologie, la sociologie, la science politique et la
philosophie”340.

Dès lors, contrairement à nombre de chercheurs dont le travail a été dédié à la forêt dans sa participation
épistémologique à la fièvre globale de la problématique environnementale générale, la forêt tropicale humide
est une réalité concrète que nous abordons autant avec toute la gravité scientifique requise qu’avec une
assurance méthodologique radicale, un phénomène dont nous avons directement vécu toute la dynamique
d’évolution et par conséquent tous les aspects problématiques, et dont nous prétendons parler en même
temps avec toute la rigueur requise et avec une grande proximité affective et intellectuelle. A contrario, en
dépit des efforts de précaution, de prudence, de nuance, de rigueur méthodologique et théorique dont elle n’a
pas cessé de s’entourer souvent, malgré le recours systématique et l’invocation constante des “observateurs
et enquêtes de terrain”, Marie-Claude Smouts (2001) par exemple –à laquelle nous référons constamment
pour l’identification des problèmes et la formulation des dysfonctionnements divers qui se dégagent de la prise
en charge globale de l’exploitation industrielle des forêts tropicales humides –semble incapable d’éviter les
approximations, les mélanges douteux, les incongruités et autres partis pris arbitraires qui altèrent l’analyse et
la relation qu’elle fait de la réalité.

En effet, autant sa préoccupation épistémologique et théorique fût essentiellement d’analyser l’évolution des
modalités institutionnelles de prise en charge des forêts tropicales telles qu’elles émergent des dynamiques
politiques et géopolitiques internationales, tel que ces dynamiques sont elles-mêmes structurées par la
rencontre pas toujours convergente des divers enjeux philosophiques, économiques, intellectuels, techniques,
financiers, écologiques, géostratégiques (Mbog Bassong, 2013); autant sa démarche d’analyse qui n’est pas

340In Slate.fr, du 5 mai 2014 (http://www.slate.fr/tribune/86629/histoire-environnement-histoire).


Le livre de Grégory Quénet est publié aux éditions Champ Vallon, Seyssel/France.

151
une critique réflexive des dysfonctionnements irréductibles et des contradictions fondamentales qu’elle
identifie effectivement, semble incapable d’intégrer la profondeur de l’expérience existentielle qui aboutirait à
une connaissance radicale articulée ou enracinée en toute cohérence à l’histoire et la philosophie de l’histoire.
C’est ainsi qu’au sujet de la déforestation par exemple dont la chercheure reprend la définition formulée par
Mati Palo –à savoir qu’elle est « La suppression complète des forêts existantes et leur remplacement par
d’autres utilisations du sol » –Marie-Claude Smouts (2001) ne dispose pas de l’ancrage empirique suffisant qui
lui permettrait de rendre sereinement compte de la réalité des oppositions à caractère idéologique mobilisées
autour de la perception de ce phénomène, notamment en tenant compte des spécificités du contexte africain
(Abdul Karim Bangura, 2015, 2011; Molefi Kete Asante, 2014, 2011, 2010, 2007, 2003, 1996, 1992; Jean-
Emmanuel Pondi, 2011; Achille Mbembe, 2010, 1997, 1990; José Do Nascimento, 2008; Oscar Pfouma, 1993;
Thierry Michalon, 1984). En dépit d’une intelligence juste, on n’a pas beaucoup de mal à déceler quelque
atermoiement dans sa narration :
La part des populations rurales dans la consommation du bois-énergie résulte d’un travail de
collecte familial, souvent réservé aux femmes, destiné à la consommation du foyer et difficile à
quantifier. Sauf de rares exceptions, très localisées, il n’est pas démontré que l’exploitation du
bois de feu par ces populations soit une cause significative de la déforestation.
Diverses études suggèrent que la proportion du bois mort et du bois provenant des arbres
abattus abandonnés sur place par les exploitants forestiers est beaucoup plus importante dans
cette collecte familiale que la part du bois sur pied.
En Afrique et en Asie, notamment, le diamètre des arbres et la difficulté de les couper avec un
matériel rudimentaire sont tels que la collecte se fait se fait de préférence dans des zones déjà
déforestées. Les femmes se plaignent, d’ailleurs, d’avoir à marcher loin pour y accéder. Une
villageoise éduquée, ancienne institutrice rencontrée au Sud-Cameroun, nous le disait crûment :
“Il nous faut des tronçonneuses, car avec les machettes, c’est trop difficile”. (Nous n’avons pas
été la seule à entendre un tel propos et le “donnez-nous des tronçonneuses” est une
revendication fréquente des populations rurales, y compris lorsqu’elles habitent dans des forêts
“protégées”).
Plus encore que la recherche du bois de feu, la technique de “culture sur brûlis” ou “abattis-
brûlis” est présentée comme “la” pratique destructrice par excellence des paysans pauvres et
des ethnies “primitives”. Elle a été longtemps placée en tête des causes de la déforestation par
les études spécialisées. Les projections apocalyptiques pour la fin de ce siècle ne manquent
pas où l’on voit la forêt tropicale humide hantée de paysans nomades et isolés, brûlant les
arbres et détruisant les sols toujours plus avant dans la grande forêt naturelle. La confusion est
entretenue, souvent à dessein, entre l’agriculture sur brûlis et le recours au défrichage par le feu
utilisé pour convertir le territoire forestier à d’autres usages. C’est ainsi qu’en 1997, lors des
incendies très médiatisés de Bornéo et de Sumatra, les tribus forestières furent désignées
comme les grands coupables par ceux-là mêmes, exploitants industriels et gouvernants
corrompus, qui étaient à l’origine directe et indirecte de la catastrophe.
Pourtant, avant de tout perdre dans le brasier, leurs ressources vitales et leur organisation
sociale, les Dayaks de Kalimantan pratiquaient une riziculture sur brûlis héritée d’un long savoir
traditionnel qui permettait aux communautés villageoises de vivre sur leurs récoltes tout en
assurant la “durabilité” de leur territoire forestier.
Selon les experts en agronomie tropicale, la technique de culture sur brûlis avec jachère
arborée utilisée sur tous les continents a montré sa supériorité en termes de coûts en travail sur

152
tous les autres systèmes de culture dans un contexte de terre abondante et de faible population.
Elle permet de tirer parti des sols médiocres. Dans la pratique traditionnelle des tribus
forestières, le système est celui de l’essart rotatif : la même parcelle n’est brûlée que tous les
quinze ou vingt ans; le brûlis met à la disposition des quantités importantes de nutriments qui
serviront d’engrais; après une ou deux années de culture, l’essart est mis en jachère pour au
moins quinze ans. Cela permet la repousse d’une forêt secondaire, le contrôle des adventices
détruites par l’ombre des arbres, la reconstitution d’une biomasse qui restituera la possibilité de
fertiliser à nouveau le sol par le brûlis. Tout dépend, évidemment, de la durée de la jachère qui
doit être longue, de la dimension et de la disposition des surfaces d’abattis-brûlis qui ne doivent
pas trop fragmenter la forêt. Des rotations trop courtes, une surface déboisée trop grande, des
parcelles trop rapprochées ne permettent plus à la forêt de se renouveler.
Dans les politiques de colonisation destinées à mettre en cultures de nouvelles terres gagnées
sur la forêt, les leçons de gestion forestière qu’auraient pu donner maintes de ces populations
“primitives” n’ont pas été prises en compte par les propagateurs d’une agriculture “moderne”
(Marie-Claude Smouts, 2001)341.

De fait, si dans une logique abstraite, la croissance démographique, les pratiques culturales traditionnelles et
l’exploitation du bois-énergie ou bois de feu, constituent les facteurs idéaux par lesquels les acteurs et
dynamiques dominants (État, industriels, aménagement forestier, intérêts financiers et économiques)
expliquent la déforestation et son amplification constante, tel ne serait pas nécessairement le cas dans la
réalité comme l’établit ce cas indonésien que Smouts (2001) rapporte pourtant elle-même et auquel a fortiori
elle identifie des incongruités majeures. Il s’agit de :
La relation entre le nombre de migrants et la surface déboisée fait l’objet d’appréciations
totalement fantaisistes, même à l’échelle d’une province. Ainsi, dans une province du Sud de
Sumatra, les autorités locales donnaient les chiffres suivants : 51.000 familles installées dans la
forêt, 700.000 hectares détruits, plus de 50% de la forêt protégée abattus. “Cela voudrait dire
que chaque famille aurait défriché une moyenne de 14 hectares. Or, les observations montrent
que les terres des migrants dépassent rarement 1 à 2 hectares”. Soit le nombre de migrants
spontanés est sous-estimé et “le chiffre de 51.000 devrait être multiplié par 10 ou 15”, soit les
coupes illégales sont le fait d’autres acteurs que les migrants […]
En fait, les liens entre la croissance démographique, la pauvreté et la déforestation dans les
pays tropicaux ne sont pas des liens de causalité simple. Une importante étude d’Angelsen &
Kaimowitz a passé en revue plus de cent quarante modèles économiques analysant les causes
de la déforestation tropicale. Elles montrent que les modèles fondés sur l’hypothèse
démographique donnent des résultats contradictoires : certains établissent que la croissance
démographique augmente la déforestation, d’autres, qu’elle a des effets mitigés, d’autres enfin,
qu’elle n’a aucun effet.
De la même façon, sur le plan théorique, le lien entre la croissance économique et le taux de
déboisement n’est pas clair. D’un côté, on peut s’attendre à ce que l’élévation du revenu
national s’accompagne d’une augmentation de l’emploi dans d’autres secteurs que les
domaines forestiers et agricoles, et que cela réduise d’autant la pression sur la forêt : les
populations mieux éduquées peuvent demander une meilleure protection de la nature, l’État
plus solide être mieux en mesure d’assurer cette protection.
La vérité se trouve probablement dans la combinaison des deux […] Les deux vont de pair et le
caractère contextualisé des données d’analyse diminue fortement l’argument favori des

341 Op. cit.

153
compagnies forestières selon lequel le paradigme agricole serait le principal facteur de la
déforestation.
D’une telle confusion, qui n’est qu’un exemple de ce que l’on observe partout dans les pays
tropicaux, on peut tirer au moins quatre enseignements : tout le monde triche, ce qui n’est pas
une révélation; le gouvernement est dans l’incapacité de savoir exactement quelles sont ses
ressources forestières342; les communautés riveraines sont des boucs émissaires commodes;
leur nombre est tel que les politiques de répression et d’exclusion sont totalement illusoires et
inefficaces343.

Dès lors, dans une perspective méthodologico-théorique qui semble particulièrement convenir au contexte
spécifique du Cameroun, par-delà les querelles idéologiques que détermine un tableau d’intérêts divergents et
difficilement conciliables, quelles approches méthodologiques et autres garanties théoriques mobiliserait-on
pour contester au World Rainforest Movement de penser que « L’aménagement forestier durable est un mythe
[autrement dit que] L’exploitation commerciale des bois tropicaux est la responsable principale du
déboisement des forêts anciennes. Le développement important de l’industrie d’exploitation de produits
ligneux conduit à une pression toujours plus grande sur la ressource, amenant à abattre toujours plus d’arbres
et à déboiser toujours plus d’espaces » (in Marie-Claude Smouts, 2001)344;

Notamment lorsque s’inscrivant dans la même logique, le Rapport 1989 de l’Organisation internationale des
bois tropicaux (OIBT) intitulé “No Timber without Trees”, rappelle qu’ :
il était démontré qu’en 1988, pratiquement aucune forêt tropicale ne bénéficiait d’un
aménagement approchant, fût-ce de loin, d’un niveau durable. Mais surtout, c’était une
révolution, le Rapport affirmait que l’obtention d’un rendement soutenu en bois n’était pas, en
soi, un aménagement durable des forêts. Une telle affirmation allait à l’encontre de la conviction
la mieux ancrée en foresterie traditionnelle, elle démentissait l’approche qu’avait alors la FAO et
la plupart des forestiers européens. Le Rapport ouvrait de nouvelles perspectives sur les
conditions d’un aménagement durable (in M.-C. Smouts, op. cit.);

Et surtout quand il est également relevé que :


La pression sur la forêt est de plus en plus forte en ceci qu’elle s’accompagne d’une
diversification nouvelle dans le nombre des espèces exploitées. Jusqu’au début des années
1990, une seule espèce, l’okoumé, représentait environ 70% du volume exporté. Maintenant, la
production de “bois divers” représente une grande part des exportations avec plus de soixante-
cinq essences mises en marché dont une vingtaine en forte progression.
Une publication que l’on ne saurait suspecter d’être défavorable à l’exploitation forestière des
bois tropicaux accompagne la présentation de ces chiffres du commentaire suivant : “D’un côté,
la récolte de soixante-cinq essences permet une meilleure valorisation de l’hectare de forêt

342 C’est exactement le cas du Cameroun, et nous avons personnellement eu l’occasion de palper cette réalité dans le cadre d’une recherche antérieure
le système de gestion des produits forestier non ligneux (Georges Boniface Nlend V/CIFOR, 2009, inédit).
343 Op. cit.
344 Lire particulièrement Esoh Elame, “Décoloniser l’aménagement forestier” (avec Nicole Huybens, Martin Tchamba, Patrice Bigombe Logo, Guéhi

Jonas Ibo et coll.) in Forêts et humains. Une étude complète, op. cit.

154
ouvert, et beaucoup d’économistes s’en réjouissent. D’un autre côté, le prélèvement important a
un impact plus conséquent sur le tissu forestier et sa biodiversité : propagation de l’okoumé dont
la régénération est facilitée par les éclaircies, mais aussi maintien de l’ouverture des forêts par
les coupes de repasses successives pour suivre l’évolution du marché”. La tendance à exploiter
les essences jusque-là peu récoltées est une tendance générale, encouragée par les
économistes de la Banque mondiale en Asie comme en Afrique. L’objectif avancé est d’inciter
les entreprises à mieux valoriser les ressources de l’espace ouvert en obtenant une plus grande
productivité à l’hectare et de les conduire ainsi à parcourir moins de surface tout en allégeant la
pression sur les essences les plus commercialisées.
Cependant, certains se demandent jusqu’où peut-on aller avec ce mode d’exploitation intensive
tout en maintenant un écosystème” (in M.-C. Smouts, op. cit.)?

Nous ne sommes pas nécessairement écologiste –dans le sens idéologique et politique de ce terme. En
revanche, eu égard à la nature de notre implication personnelle et de l’expérience pour le moins dramatique
que nous avons directement vécue du système d’exploitation industrielle des forêts dans les communautés
villageoises africaines, nous nous inscrivons dans la suite des Benjamin Guillemaind et Arnaud Guyaut-
Jeannin (1999), Fritjof Capra (1985) et de nombreux autres chercheurs pour intégrer la question de la valeur
dans notre préoccupation théorique générale, en considérant comme le second que « L’étude des valeurs est
d’une importance capitale pour toutes les sciences sociales. Les experts qui considèrent que le problème des
valeurs est non-scientifique et cherchent à l’éviter s’attèlent à une tâche impossible »345; ou comme les
premiers que « […] Face à ces deux matérialismes de l’Avoir que sont le capitalisme et le marxisme, nécessité
se fait jour de réenchasser l'économie dans le spirituel et le politique, dans l’Être et le Devenir, c'est-à-dire
dans le Divin comme dans !'Humain afin qu'émerge une nouvelle civilisation traditionnelle »346.

Telle que recoupée par la sociologie de l’environnement, notre démarche intellectuelle s’inscrit donc au cœur
de l’analyse réflexive critique de l’histoire sociale moderne, avec en toile de fond la rémanente problématique
de la valeur telle que posée par Karl Marx (1867) et renouvelée par plusieurs autres théoriciens (Joseph
Stieglitz, 2015, 2012, 2010, 2006, 2003; Thomas Piketty, 2013, 2004, 1994; Amartya Sen, 2012, 2005, 2003,
2000; Gilles Lipovetsky, 2009, 2006, 2004, 1992, 1983; etc.)347 mais surtout telle que renouvelée par Mbog

345 Fritjof Capra, 1985 (1975), Le Tao de la physique, éd. Sand Tchou M., Paris.
Lire éventuellement aussi : 2015, La science d'avant-garde. L'homme face à l'univers dans tous ses états, éd. Macro Éditions; 2007, Croissance
sans limites. Objectif Zéro pollution. Croissance économique et régénération de la nature, Éditions Quintessence, Aubagne; 2004 (2002), Les
Connexions invisibles, éd. Le Rocher, Monaco; 2003 (1997), La Toile de la vie. Une nouvelle interprétation scientifique des systèmes vivants,
éd. Le Rocher, Monaco; 1988, Sagesse des sages, éd. Le Rocher, Monaco; 1994 (1982), Le Temps du changement, éd. Le Rocher, Monaco.
346 Benjamin Guillemaind et Arnaud Guyaut-Jeannin, op. cit.
347 Lire :

- Karl Marx, 2009 (1867), Le Capital. Critique de l'économie politique (Quatrième édition allemande), éd. PUF/Quadrige, Paris.
- Joseph Stieglitz, 2015, The Great Divide Unequal Societies and What we can do about them, éd. W.W. Norton & Company, New York, NY; 2012,
The Price of Inequality. How Today's Divided Society Endangers Our Future, éd. W.W. Norton & Company, New York, NY; 2010, Le triomphe de
la cupidité, éd. Les Liens qui libèrent, Paris; 2006, Un autre monde. Contre le fanatisme du marché, éd. Fayard, Paris; 2003, La Grande
Désillusion, éd. Fayard, Paris; 2003, Towards a New Paradigm in Monetary Economics, éd. Cambridge University Press, Cambridge, UK; 2003,
Quand le capitalisme perd la tête, éd. Fayard, Paris.

155
Bassong (2016) dans son effort de formulation systématique de la Théorie africaine348. C’est probablement
cette préoccupation qui nous a aimantée vers l’élaboration de cette thèse qui apparait également comme une
sorte d’ontologie politique axée sur la place marginale des communautés indigènes dans la gouvernance des
ressources forestières au Cameroun. Car la préoccupation ultime porte essentiellement aussi, du point de vue
philosophique et éthique, sur le déploiement totalitaire de la modernité capitaliste ainsi que sur le caractère
fondamentalement contradictoire de ce paradigme à partir duquel se développe une activité humaine qui
remet en question les conditions d’existence de la vie sur la durée, dans une démarche [économique] qui
s’abstrait de la valeur et de la complexité (Edgar Morin, 2011, 1999; Benjamin Guillemaind et Arnaud Guyaut-
Jeannin, 1999; Fritjof Capra, 1985). Autrement dit, et dans le sillage de Guillemaind et Guyaut-Jeannin qui
pensent que :
Le capitalisme occidental peut enfin se montrer pour ce qu'il est : une gigantesque machine à
tuer les peuples. La compétition marchande internationale des entreprises vue comme un
moyen d'accélérer la croissance, la concurrence de tous avec tous, mais en réalité de tous
contre tous, devrait-on dire, comme façon de stimuler les individus, la liberté de “laisser faire,
laisser aller, laisser passer” comme forme d'épanouissement d'une communauté, relèvent
d'une confusion totale. Elle reste néanmoins symptomatique d'une crise de valeurs;

Les préoccupations que formule Jean De Munck (2011) s’avèrent plus que jamais fondamentales :
Peut-on faire de la sociologie sans jeter, sur la société, un regard chargé de présupposés
normatifs, [se] demande l’épistémologue ? Vissé à un positivisme qui se fonde sur ce qu’on peut
appeler l’interdit de Hume : rien ne permet de franchir la frontière pour des raisons logiques.
De l’explication vraie de croyances fausses, on ne pourrait déduire la critique morale et politique
du groupe social qui les entretient. De la révélation de mécanismes de domination derrière les
croyances intériorisées par les acteurs, on ne pourrait pas passer à la critique de ce pouvoir
mais seulement constater qu’il y a du pouvoir et de la domination dans une société donnée. On
peut décrire le fonctionnement d’une société, en expliquer la chaîne des causes et des effets
mais non point formuler à son sujet un jugement évaluatif, encore moins une perspective
réformatrice.
[Cependant,] À l’inverse de David Hume, il y a une autre position qui soutient l’inévitabilité du
franchissement de la prétendue barrière séparant le “is” du “ought” par les sciences sociales.
C’est par exemple la position de Charles Taylor lorsqu’il remarque qu’il est impossible de donner
une explication en sciences sociales qui ne soit herméneutiquement connectée à des jugements
de valeur. Pour expliquer, nous mobilisons un “conceptual framework”. Celui-ci induit toujours
une forme d’évaluation de la réalité.

- Thomas Piketty, 2013, Le capital au XXème siècle, éd. Seuil, Paris; 2004 (1997, 1ère édition), L’économie des inégalités, éd. La Découverte, Paris;
1994, Introduction à la théorie de la redistribution des richesses, éd. Economica, Paris
- Amartya Sen, 2012 (2009), L’idée de justice, éd, Flammarion, Paris; 2005, La démocratie des autres. Pourquoi la liberté n’est pas une invention
de l’Occident, éd. Payot, Paris; 2003, Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, éd. Odile Jacob, Paris; 2000, Repenser
l’inégalité, Seuil, Paris.
348 Mbog Bassong, 2016, La théorie du droit en Afrique. Concept, objet, méthode et portée, éd. Medu Neter, Paris; 2016, Les impacts des

météorites. Essai sur une des origines fabuleuses des ressources minières au Cameroun, éd. Menaibuc, Paris; 2015, La Philosophie Africaine
: des Mythes au Logos de Kemet, éd. Anyjart, Guadeloupe; 2014, Maât, la théorie du tout. Essai sur la vérité générale de l'univers, éd. Menaibuc,
Paris; 2014, La sociologie africaine. Essai sur le pouvoir du paradigme de complexité, éd. Menaibuc, Paris; 2013, La théorie économique
africaine. L’alternative à la crise du capitalisme mondial, éd. Kiyikaat, Montréal; 2013, Le savoir africain. Essai sur la théorie avancée de la
connaissance, éd. Kiyikaat, Montréal; 2013, La religion africaine. De la cosmologie quantique à la symbolique de Dieu, éd. Kiyikaat, Montréal;
2012, La pensée africaine. Essai sur l’universisme philosophique, éd. Kiyikaat, Montréal; 2007, Les fondements de l’État de droit en Afrique
précoloniale, éd. L’Harmattan, Paris.

156
“We can say that a given explanatory framework secretes a notion of good, and a set of
valuations, which cannot be done away with –though they can be over-ridden –unless we do
away with the framework. Of course, because the values can be over-ridden, we can only say
that the framework tends to support them, not that it establishes their validity. But this is enough
to show that the neutrality of the findings of political science is not what it was thought to be”
(Charles Taylor, 1985).
La notion capitale est ici celle de “sécrétion” d’une position évaluative par une théorie
explicative. L’explication ne peut pas ne pas être interprétée comme un soutien, ou au contraire
une critique, d’un groupe au sein de la société349.

La préoccupation ultime de cette thèse s’enracine donc sans ambiguïté dans la théorie de la valeur dans
l’inflexion africaine que développe Mbog Bassong (2013) :
La valeur se pose comme une connaissance se rapportant à l’unité existentielle de l’Être. Cette
unité est productrice de valeurs multiformes et complexes qui lui sont associées dans les divers
domaines de la connaissance, eux-mêmes liés aux niveaux de réalité les plus divers tels que
perçus par les cultures humaines, en termes de savoir et de savoir-faire. Le rôle de premier plan
que nous attribuons aux institutions politiques, sociales, culturelles et religieuses y rejoint celui
de l’histoire et du passé, où la pensée considérait le monde comme une unité dans la diversité,
laquelle diversité a été produite par la transformation progressive de ses composantes
respectives aux finalités complémentaires. Dans l’ensemble, l’unité existentielle de l’Être a une
forme précise qui, appliquée à l’action humaine, fonde une éthique dont le but est d’agir
conformément à cette unité, afin qu’à l’éternité cosmique corresponde l’éternité sociale, en
termes d’harmonie de soi, autour de soi et dans tout l’écosystème.
En économie [en l’occurrence, au sens large qui comprend autant les préoccupations de
production des richesses que toutes les autres dimensions impliquées, qu’elles soient humaines
ou non], le concept de valeur correspond bien à l’expression de la forme élémentaire de la
complexité (“tout est lié”). Aussi la valeur nous convie-t-elle à intégrer toutes les connaissances
sur l’homme dans une même unité, en les articulant, afin qu'émerge une science plus globale
qui engendrerait la science économique purifiée du “drame culturel” que lui a identifié Serge
Latouche (1999) que nous vivons sous la forme d’un développement sans épanouissement. La
pensée économique de la valeur invite à saisir la dimension complexe du Réel et expérimente,
pour cette raison, le monde comme un réseau de relations intégrées, complexes, s’imbriquant
en sous-unités hiérarchisées, relativement autonomes et en interdépendance, et surtout se
complexifiant dans le temps et dans l’espace pour gagner davantage en autonomie.
La question éthique revient donc sur le devant de la scène épistémologique. Dans son livre,
L’économie est une science morale, Amartya Sen, prix Nobel d’économie en 1998 et professeur
à Harvard, pense la science économique comme une science du bien-être commun : “L’espèce
humaine, dit-il, ne peut agrandir son espace qu’en réduisant son appétit économique et
technique et en augmentant son éthique plurielle”. Dans cette optique, quelle éthique sociale
face à l’État dominant et la liberté économique qu’entretient l’intérêt du gain, toutes choses qui
ôtent toute responsabilité à la communauté auto-instituée qui, en temps normal en Afrique,
entend produire et faire respecter les valeurs susceptibles d’assurer la survie du groupe social
et le bien-être de tous?350.

349 Op. cit.


350 Op. cit.

157
6.2. Les suggestions de l’analyse critique africaine contemporaine, notamment avec Mbog
Bassong

Au-delà de la théorie critique générale (Karl Marx, Samir Amin, Pierre Bourdieu, Jürgen Habermas, Michel
Foucault, Theodor Adorno, Alain Touraine, Ulrich Beck, Serge Latouche, Anthony Giddens, Amartya Sen,
Jean Vioulac, Gilbert Rist, Louis Favreau, Joseph Stieglitz, Thomas Piketty, Gilles Lipovetsky, etc.) à la filiation
de laquelle s’identifie la préoccupation d’analyse proposée par la présente thèse351, l’analyse critique africaine
telle que développée par Mbog Bassong (2016-2008), Felwine Sarr (2016), José Do Nascimento (2011, 2008),
Grégoire Biyogo (2015, 2011, 2007)352, Dibombari Mbock (2016-2010)353, Oscar Pfouma (2004, 1993)354, etc.,
auxquels j’articule Amartya Sen (2012, 2005, 2003, 2000)355 par exemple, participe de la base normative
“substantielle” sur laquelle s’adosse et se développe notre démarche d’explication des dysfonctionnements et
contradictions implacables auxquels donnent lieu la mise en œuvre des Réformes forestières portées par la
Banque mondiale au début des années 1990 au Cameroun. Au sujet de cette sorte de garantie
épistémologico-théorique, Jean De Munck (2011) observe que :
La base normative du sociologue critique doit être explicitée et rendue aussi visible, argumentée
et valide que doit l’être, en principe, sa base épistémologique cognitive. Luc Boltanski (1990)
s’étonnait que Pierre Bourdieu n’ait jamais explicité le concept d’égalité que sa critique très
stimulante présupposait. Cette remarque de Luc Boltanski rappelle celle de Jürgen Habermas
objectant avec beaucoup de tact à Theodor W. Adorno que sa base normative était quelque peu
chétive face à l’ampleur de son projet de théorie critique. Bref, comme le résume Andrew Sayer
(2000), “Any social science claiming to be critical must have a standpoint from which its critique
is made, whether it is directed at popular illusions which support inequality and relations of
domination or at the causes of avoidable suffering and frustration of needs. But it is strange that
this critical social science largely neglects to acknowledge and justify these standpoints. For
instance, a rich understanding of the ways in which power is embedded in social space has
developed; although it is generally accepted that power is not wholly negative, the writing in this

351 À ce propos, nous référons aussi à Emmanuel Renault qui pense que :
« Cette alliance paradoxale me semble féconde puisque la Théorie critique invite à l’autoréflexion tout à la fois épistémologique (sur les principes et les
méthodes), sociologique (sur la position sociale du chercheur) et politique (sur la valeur sociale de ses choix d’objet et les conséquences politiques de
ses prises de position), de même qu’elle milite pour une théorisation dépassant les limitations disciplinaires, en incitant au soupçon quant à la
pertinence des spécialisations et des partages disciplinaires, voire à l’intégration de différentes perspectives théoriques. Dans la mesure où la
spécialisation et la technicisation toujours plus poussées qui sont dans l’air du temps sont ruineuses aussi bien pour la valeur théorique que pour la
valeur sociale et politique du savoir sociologique, l’idée de Théorie critique peut donc apparaître comme un correctif salutaire »
(In Emmanuel Renault, 2012, “De la sociologie critique à théorie critique”, article publié dans la revue Sociologie [online], n°1, vol. 3, et mis en ligne le
15 juin 2012).
352 Grégoire Biyogo, 2015, “Leçon de Prescription sur l'endogénisme”, conférence donnée au Colloque international du CERDOTOLA

(https://www.youtube.com/watch?v=-rKSS0C_O2Y&feature=share et https://www.youtube.com/watch?v=7438nCof2-A); 2011, Déconstruire les


accords de coopération franco-africaine. Par-delà l'unilatéralisme et l'interventionnisme économique, politique et militaire, éd. L’Harmattan-
Gabon, Libreville; 2007, Histoire de la philosophie africaine (Livre IV). Entre la postmodernité et le néopragmatisme, éd. L’Harmattan-Gabon,
Libreville.
353 Op. cit.
354 Op. cit.
355 Amartya Sen, 2012 (2009), L’idée de justice, éd, Flammarion, Paris; 2005, La démocratie des autres. Pourquoi la liberté n’est pas une

invention de l’Occident, éd. Payot, Paris; 2003, Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, éd. Odile Jacob, Paris; 2000,
Repenser l’inégalité, Seuil, Paris.

158
area is undeniably critical in tone, and yet little attention is given to normative implications, to
how things ought to be different”.
Prenons le cas de l’explication politique. S’il est impossible de donner une explication des
dysfonctionnements de la démocratie sans s’appuyer sur une version normative minimale de la
démocratie, il appartient à une entreprise rationnelle d’exposer cette version normative et d’en
rendre compte dans le débat de la philosophie politique autant que dans celui de la science
politique. Il en va de même en sociologie : la description d’un fonctionnement en termes de
domination ou de violence symbolique n’est valide qu’à la double condition d’expliciter les
procédures d’identification des comportements pertinents, les prédicats de leur description et les
schémas causaux supposés à l’explication, d’une part; et, d’autre part, n’est valide qu’à la
condition de justifier les évaluations (les dénonciations et les approbations) implicites à cette
description/explication. Sans ce deuxième volet de l’effort scientifique, le sociologue fait passer
“en fraude” ses évaluations […]
On peut dire qu’une base normative est substantielle si elle fournit des principes matériels
d’évaluation. Ces principes peuvent porter sur la justice ou sur la vie bonne, comme disent les
philosophes. Ainsi en va-t-il de la notion normative d’égalité mobilisée par bien des sociologues
pour faire apparaître un réel social fondamentalement injuste. On ne peut contester l’apport
immense de la sociologie à la problématique des discriminations. C’est un des domaines des
sciences sociales où la sociologie s’est avérée particulièrement utile. Mais il n’est pas sûr que
les sociologues se soient toujours comportés de manière rationnelle car ils ont souvent laissé
dans l’ombre la définition normative du concept dont ils faisaient si grand cas. Or, le sociologue
progresse en scientificité en explicitant son échelle de valeurs implicite. À cet égard, la critique
prétendue “immanente” ne suffit pas puisque comme le dit Luc Boltanski (1990), “la simple
description des inégalités exerce un effet de sélection et de détermination et enferme en elle-
même une définition vague et implicite de ce que devrait être l’égalité”. Il faut cependant noter
qu’une base normative substantielle peut être plus ou moins complète, étoffée et ouverte à la
révision356.

Dans son tout récent livre intitulé “La théorie du droit en Afrique”357, et dans le sillage de Jean Vioulac (2012)
ou de Benjamin Guillemaind et Arnaud Guyaut-Jeannin (1999) par exemple, Mbog Bassong (2016) montre
que la définition de la raison, de la science et de la culture, par opposition ou contre la nature, constitue une
erreur fondamentale autant du point de vue ontologique que dans l’ordre de la connaissance. De même,
l’élaboration d’un droit rationnel ou positif et la construction du modèle d’organisation politique sous la forme
de l’État constituent une démarche prétentieuse qui sera à l’origine de contradictions et dysfonctionnements
irréductibles auxquels la civilisation moderne ainsi que l’ordre politique de l’humanité font face aujourd’hui. En
effet, après avoir favorisé le bond qualitatif scientifique et technologique emblématique de son triomphe (Fritjof
Capra, 1985), la modernité capitaliste qui s’enracine dans le rationalisme cartésien semble porteuse d’une
démarche dont la logique à caractère disjonctive (Edgar Morin, 2011, 1999) et totalitariste (Jean Vioulac,
2013) s’avère incapable d’assurer la cohérence essentielle de la complexité écosystémique qui a éclos les
communautés humaines et les ressources naturelles (Benjamin Guillemaind et Arnaud Guyaut-Jeannin,

Op. cit.
356

Mbog Bassong, 2016, La théorie du droit en Afrique. Concept, objet, méthode et portée, éditions MeduNeter, Paris.
357

Dans la même démarche, lire également Mbog Bassong, 2016, Maât, la théorie du Tout. Essai sur la vérité générale de l’univers, éd. Menaibuc,
Paris.

159
1999). C’est ainsi qu’à la suite de Nkoth Bissék (2004) qui énonce que « Le principe central de l’univers est sa
tension constante vers la consolidation de l’existence. Et cette existence est conçue comme étant liée à la
capacité de ses composantes à améliorer leur solidarité et à maitriser les forces du désordre »358,

Mbog Bassong (2013) décline les enjeux existentiels mobilisés par la différence paradigmatique que
l’intellectualité indigène africaine établit avec la modernité capitaliste, notamment sur le plan économique.
Pour le théoricien éthiopien :
L’échange économique est aussi soumis à la pulsion de cette visée salvatrice : consolider et
affermir par le biais de la valeur, “la capacité de ses composantes à améliorer leur solidarité, à
maîtriser les forces du désordre” et à conjurer la tendance naturelle de l’existant au conflit. Mayi
Matip, un autre initié de la religion bassa du Cameroun, indique que “le Mbok symbolise
l’Univers et s’organise comme lui, en deux faces. D’ailleurs, le mot Mbok signifie, dans son sens
restreint, Univers, qui vient du mot Bok qui lui-même signifie : ranger, disposer en ordre pour
obtenir le contenu le plus dense possible”. Pour Théophile Obenga, “Il s’agit donc, au fond,
d’une philosophie du bonheur. Tout le contraire d’une philosophie qui engendre la désolation
individuelle et collective, le nihilisme, le culte volontaire de l’angoisse. La raison qui secrète la
terreur, la dictature, le fascisme, le nazisme, ne produit pas, en fin de compte, une morale digne
de l’homme, depuis sépare de ses proches parents paléontologiques”.
Maât est, pour ainsi dire, la philosophie de ce qui unit l’homme rationnel à l’Univers
connaissable : il s’agit d’une norme inférée de l’observation des lois de la nature, de l’infiniment
petit à l’infiniment grand où toutes les choses et tous les êtres retrouvent leur unité.
En fin de compte, la thèse d’une théorie économique “pure”, détachée des phénomènes
sociaux, politiques et initiatiques apparait illusoire, ne serait-ce que dans le cas de l’Afrique. De
fait, le pouvoir initiatique contient en puissance l’idéologie des solidarités imbriquées dans
l’organisation sociale, économique et écologique […]
Le mode d’organisation sociale qui a prévalu dans la collectivité africaine a joué très tôt, le rôle
de frein à l’expansion de la rationalité marchande. Dans la mesure où le profit et le gain
monétaires n’ont pas eu le capital argent en perspective et surtout n’ont pas pour objectif la
maximisation de la plus-value, la possibilité d’une reproduction élargie du capital ne s’est pas
imposée dans les esprits comme une donnée essentielle. C’est ainsi que les ressources
naturelles nobles, notamment les pierres précieuses, relevaient du pouvoir régalien, autrement
dit de la compétence exclusive du roi ou du pharaon dont Bernadette Menu et Nkoth Bissék
nous apprenaient plus haut qu’en tant qu’incarnation divine, leur vocation toute entière consistait
à assurer le bien-être et la sécurité des populations. Ainsi, l’or, l’argent et autres étaient destinés
au prestige des pharaons, aux temples et aux trésors des dieux. Éventuellement, ils étaient
remis en circulation suivant les besoins économiques collectifs.
La valeur des ressources naturelles, en l’occurrence des pierres précieuses, était donc
parfaitement connue et aucun mystère n’était fait autour de leur destination. Simplement, la
religion et l’éthique de l’échange par le biais de Maât persuadaient tout le monde de l’évidence
du caractère sacré qui devait leur être assigné, de manière à évacuer les tentatives
d’accumulation compulsive et égoïste des biens, avec ce que cette inclination potentielle pouvait
entrainer en termes de vols, d’appropriation arbitraire et d’exploitation dissolue des ressources,
toutes choses que l’on savait porteurs de richesses mais aussi sources de désordres […]
La nécessité d’une intelligence plus globale de l’humain se fait désormais pressante en raison
de l’ampleur des crises et des impasses manifestes à toutes les échelles de la société et de
358 Nkoth Bissék, Mbog : concept et portée d’une autre vision du monde, ouvrage inédit.

160
l’écosystème. La connaissance de la pensée économique africaine peut permettre d’agréger les
connaissances favorables à l’évolution de la science économique nécessairement amenée à se
renouveler dans la complexité. Il est donc question de réinstaurer l’intégrité de la valeur
africaine, l’Être-Valeur, que les anciens Égyptiens ont appelé Maât, c’est-à-dire la norme inférée
du Principe d’Ordre de l’Univers, des objets inanimés à toute la création vivante dont l’harmonie
est essentielle à la survie de l’homme […]
Ce qui est finalement en jeu dans le mode de régulation des sociétés africaines, c’est la visée
axiologique de l’activité économique et des échanges, de la distribution des richesses et des
finalités poursuivies par le pouvoir initiatique dans l’organisation de l’économie. La question
centrale de la théorie économique devient la suivante : quels sont les mécanismes de la
croissance qui ont assuré la cohérence et la viabilité du modèle socioéconomique africain? […]
Il en découle naturellement que le profit par tous les moyens ne constitue pas un phénomène
social universel. Dans les sociétés africaines en particulier, la valeur prend forme dans la
représentation culturelle et scientifique de la réalité et renvoie à une pensée cosmologique
créatrice de l’ordre, lequel ordre institué et institutionnalisé tient l’économie pour une forme de
réalisation au même titre que le droit, la morale, les arts, l’architecture, la régulation sociale,
etc.359.

C’est cette critique que développe significativement Oscar Pfouma (2004, 1993) et Serge Latouche (2012,
2005, 2004, 1999, 1998) par où le second théoricien suggère l’urgence d’une alternative intellectuelle à la
modernité économique capitaliste classique360. La dissociation opérée entre l’ordre naturel et l’ordre du monde
est à l’origine de l’éclatement des référents structurants (Ulrich Beck, 1986; Anthony Giddens, 1990). C’est à
partir de cette rupture que l’Occident va appeler “rationalisante” et “libérale” que nait, se développe et se
cristallise l’intellectualité occidentale actuelle (Ulrich Beck, 1986; Anthony Giddens, 1990). Mais c’est à partir
de là aussi que s’établit la différence radicale avec la perspective endogène africaine de la Totalité, c’est-à-
dire aussi de l’organisation collective et de l’ordre politique (Mbog Bassong, 2013) élaborés sur le schéma et la
logique de la complexité inscrite dans la nature. C’est seulement à partir de cette insurrection intellectuelle
dissociative que s’affirme la prétention “indiscutablement” “rationnelle” et “universelle” de l’État capitaliste
moderne. Voici comment Ulrich Beck (1986) formule le problème :
On voit apparaitre, dans le monde moderne développé qui avait tout fait pour abolir les
handicaps dus à la naissance, et offrir à l’homme une place dans le tissu social qui ne dépende
que de ses choix propres et de ses performances, un destin “ascriptif” du danger, un destin d’un
genre nouveau auquel aucune performance ne permet d’échapper.
Contrairement aux États et aux situations de classes, ce destin n’est pas placé sous le signe de
la misère, mais sous celui de la peur, et il ne s’agit justement pas d’un résidu de la tradition,
mais d’un produit du monde moderne, qui plus est, se trouve au stade de développement le plus
avancé […] Car on continue à vivre sous l’effet de ce choc anthropologique : on prend
conscience de ce que les formes de vie civilisées dépendent de la nature, que l’on appréhende
désormais dans son caractère menaçant. Or cette dépendance avait été abolie par toutes nos
catégories : “l’indépendance” et “la vie personnelle”, la nationalité, l’espace et le temps […]361.

359 Op. cit.


360 Serge Latouche, op. cit.
361 Ulrich Beck, 1986, op. cit.

161
Cependant, autant dans son bassin occidental d’émergence où il n’est pas acquis qu’il soit définitivement
arrivé à maitriser le chaos des dysfonctionnements auxquels son déploiement donne lieu (Edgar Morin, 2011,
1999) que dans les contextes [africains] où il a été imposé (Hélène Blaszkiewicz, 2014; Rozenn Nakanabo
Diallo, 2013; Makhtar Kanté, 2009; José Do Nascimento, 2008; Mwayila Tshiyembé, 2000; Jean-François
Bayart, 1999, 1996, 1989; Gervais Ludovic Itsoua-Madzous, 1997; Oscar Pfouma, 1993; Bertrand Badie,
1992; Thierry Michalon, 1984; etc.)362, l’État apparait comme une institution essentiellement contradictoire et
conflictuelle, appelée en permanence à gérer le conflit irréductible provoqué par la prétention autoritaire d’un
ordre politique abstrait à dissoudre ou à régenter des ordres politiques traditionnels séculaires auto-organisés
et constitués à partir de leur propre expérience existentielle et historique sur le temps long. C’est cette
inclination paradigmatique du modèle occidental que Mbog Bassong (2013) énonce :
Aussi le chaos est-il permanent dans le modèle occidental ou cartésien. C’est dans le domaine
politique que cette tendance à diviser a eu des conséquences néfastes bien plus ressenties par
l’ampleur des dégâts directs et indirects : l’esclavage, la colonisation, le néocolonialisme, les
guerres de religion, les religions de guerre, les croisades, les génocides, etc., tiennent pour
l’essentiel à cette logique binaire conflictuelle forts/faibles, dominants/dominés, égaux/inférieurs,
civilisés/indigènes, mais aussi esprit/matière, nature/culture, sujet/objet, mais aussi “c’est ça” ou
“ce n’est pas ça”, etc., significative d’une tendance à diviser, à catégoriser et finalement à
dominer.
[Pour le théoricien éthiopien], le dualisme cartésien a permis de penser le monde en objets
séparés, indépendants, sous l’emprise des lois éternelles, invariables, consacrées par la logique
newtonienne. Cette méthode d’appréhension du Réel –qualifiée de rationnelle –a légitimé la
catégorisation, la simplification, la compartimentation, la disjonction qui a ouvert la voie à
l’opposition, à la compétition, à la concurrence économique et à la violence politique dont la
raison procède des inégalités, des injustices sociétales, des parias et autres laissés-pour-
compte. Et comme l’énonce Fritjof Capra, “Le dualisme cartésien et la vision mécaniste du
monde se sont avérés à la fois bénéfiques et nuisibles. Ils ont réussi à permettre le
développement de la physique classique et de la technologie, mais ont eu des conséquences
néfastes pour notre civilisation”363.

Louis Favreau (2015) observe quant à lui une :


mondialisation qui a surtout creusé les inégalités et est en train de créer un immense gâchis
écologique.
Aujourd’hui, on donne des moyens aux firmes multinationales qui ont déjà tout. Les outils
législatifs et financiers sont conçus pour elles. Alors qu’elles n’ont pas de problèmes de

362 Lire :
- Hélène Blaszkiewicz, 2014, “L’État c’est personne”. Politiques de conservation, gestion de l’incertitude et crise structurelle de l’État béninois.
Le cas du parc W., Mémoire de Master en Études africaines, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UFR 11-Science politique
- Rozenn Nakanabo Diallo, 2013, op. cit.
- Mwayila Tshiyembé, 2000, L'État post-colonial : facteur d'insécurité en Afrique, Présence Africaine, Paris.
- Jean-Francois Bayart, 1999 (avec Stephen Ellis et Béatrice Hibou), La criminalisation de l’État en Afrique, Éditions Complexe, Bruxelles; (dir.),
1996, La greffe de l’État, éd. Karthala, Paris; 2006 (1989), L’État en Afrique. La politique du ventre, éd. Fayard, Paris; 1984, La politique africaine
de François Mitterrand, éd. Karthala, Paris; 1979, L’État au Cameroun, éd. Presses de la Fondation des sciences politiques, Paris.
- GEMDEV, 1997, Les avatars de l’État en Afrique, éd. Karthala, Paris.
- Bertrand Badie, op. cit.
- Thierry Michalon, 1984, Quel État pour l’Afrique?, éd. L’Harmattan, Paris.
363 Op. cit.

162
trésorerie et qu’elles ont accès au crédit. Elles bénéficient de soutiens juridiques, politiques et
même diplomatiques... [C’est exactement la même perception et les mêmes termes que formule
Samuel Nguiffo au sujet des Réformes forestières et du Régime des forêts de 1994. Cf.
l’entretien qu’il nous a accordé au cours de nos enquêtes auprès des acteurs…] De même l’aide
publique au développement des pays du Sud a de plus en plus pour objectif de favoriser des
multinationales par des investissements (miniers, pétroliers et autres) qui ne font que consolider
ce qu’on pourrait appeler du développement forcé et extraverti. On est très loin de la prise en
compte des besoins des communautés locales. Cette aide cautionne plutôt la course aux
ressources (achat de terres, ressources d’approvisionnement en eau, minerais de tout acabit).
Ce type de développement se fait au détriment du tissu économique productif local et de la PME
et au détriment aussi bien sûr d’organisations paysannes et de petits producteurs,
d’associations villageoises, de groupes de femmes transformatrices, d’entreprises collectives
(coopératives, mutuelles et associations à caractère marchand) qui peinent à trouver une
capitalisation propre et des politiques publiques qui leur sont favorables.
En d’autres termes le capitalisme de marché globalisé d’aujourd’hui n’améliore le sort que d’une
minorité et creuse davantage les inégalités sociales. De plus le marché est particulièrement
aveugle sur l’environnement car sa destruction ne lui coûte généralement pas beaucoup pour le
moment, ce qui conduit à la surexploitation de ressources limitées364.

C’est de ces contradictions irréductibles que traite Bertrand Badie (1992) lorsqu’il parle d’universalisation
manquée, de déviance créatrice, ou de désordres intérieurs et internationaux de l’État occidental exporté 365.
Dès lors, Jean Bakouma (2014) peut effectivement constater que :
[…] La question de la compétition d’usage des terres se pose avec acuité au regard des
attentes en termes d’inclusion de tous les acteurs dans la gestion forestière, de réduction de la
pauvreté rurale, et enfin de conservation. Aussi, la stratégie de diversification des sources de
capture de rente économique par les États est fortement contrariée par les risques de conflits
sociaux et d’accroissement de vulnérabilité des écosystèmes naturels qui lui sont liés. Une telle
stratégie n’est pas “soutenable” à moyen-long terme du fait des dégradations qu’elle
engendre366.

C’est ainsi qu’au cœur de ses irréductibles contradictions intrinsèques, le paradigme de la modernité
capitaliste va générer ses propres monstres d’une extrême à l’autre. Ainsi qu’il se dégage de ce témoignage
de Marie-Claude Smouts (2001) :
La conservation est une idéologie. Elle a ses intégristes pour qui toutes les espèces doivent être
protégées contre les humains et dont l’idéal serait de voir 50% des forêts tropicales placées
sous stricte protection. L’ONG influente et fort bien implantée dans les circuits internationaux,
Conservation International, représente bien cette façon de voir.
Mais la conservation est aussi un gagne-pain. Un vaste réseau international s’est développé à
travers les ONG, l’Union européenne et les Pays du G7, dont la raison d’être et les moyens de
subsistance sont les aires protégées. Un engagement sincère et le souci d’œuvrer pour la
protection de la nature et le mieux-être des populations pauvres s’accompagnent de motivations

364 Louis Favreau, ” État social (2) : Le New Deal proposé par l’écologie politique”, in Les carnets de Louis Favreau, 2 avril 2015
(http://jupiter.uqo.ca/ries2001/carnet/spip.php?article104).
365 C’est l’objet de la troisième et dernière partie de son livre, L’État importé. L’occidentalisation de l’ordre politique, déjà cité.
366 Jean Bakouma, 2016, “Le développement forestier inclusif passe par l’utilisation responsable des terres”, in Buttaud G. & J.-C. Nguinguiri, La

gestion inclusive des forêts d’Afrique centrale : passer de la participation au partage des pouvoirs, éds. FAO/CIFOR, Libreville/Bogor.

163
puissantes [radicales] pour monter et faire vivre des projets, y compris lorsque les chances de
succès s’avèrent aléatoires. Les experts et les chercheurs y trouvent un terrain
d’expérimentation, les personnels des ONG du Nord, un emploi et des responsabilités
gratifiantes, les étudiants-chômeurs de la région, une occasion de se rassembler en ONG locale
pour avoir des tâches de sous-traitance, et, sur place, quantité de petits métiers se développent
et vivent grâce aux projets : chauffeurs, cuisiniers, employées de maison, artisans, vendeurs de
bière, etc.
Petits et grands projets de conservation se sont multipliés, fragmentant le territoire des pays
tropicaux en mosaïques de conservation et en îlots relatives de prospérité, sous le concept à la
mode de Projets intégrés de conservation et de développement/Integrated Conservation and
Development Projects (ICDP). Réalisations souvent instables, artificielles, non intégrées dans
une stratégie de développement d’ensemble pour le pays, en concurrence pour leur
financement avec un grand nombre de projets similaires dans le monde entier.
Les échecs ont été nombreux. Il a fallu chercher d’autres modèles et l’on a “découvert” une
vérité première : compte tenu de l’impossibilité de mettre un garde forestier derrière chaque
arbre et derrière chaque gorille, la seule façon de conserver la forêt est de reconnaitre les droits
d’usage des populations riveraines et de les rendre compatibles avec une gestion durable des
ressources. Un courant se développe aujourd’hui pour réclamer une approche de la
conservation forestière rompant avec la démarche traditionnelle des parcs nationaux et se
fondant au contraire sur les usages traditionnels des populations. On reconnait que les forêts
vierges sont un mythe, que les forêts naturelles ont toujours été habitées par des populations,
que ces populations savaient en prendre soin et qu’un projet de conservation a de meilleures
chances de réussir et de durer s’il prend en compte les traditions et les savoirs locaux [Encore
qu’il s’agit toujours ici d’une ruse et d’un stratagème des intérêts/de la raison écologiques, d’une
démarche violente de domination et d’assimilation mais qui entend prospérer en obtenant
sournoisement une certaine légitimité indigène].
Le danger serait qu’un nouveau romantisme se construise autour de ces merveilleux peuples
des forêts qui sauraient spontanément quoi faire aujourd’hui pour conserver les arbres et les
espèces animales pour peu qu’on les laisse faire et que les gouvernements ne s’en mêlent pas
(…) Dans les pays développés, le thème de la forêt tropicale ne laisse personne indifférent.
Rêve de l’Éden perdu, souvenir de l’époque coloniale, vague sentiment de culpabilité (bois
précieux/bois d’ébène), mythe de la nature inviolée, tout se mélange pour construire la forêt
dense humide en objectif affectif. Son recul inéluctable en ajoute à l’émotion [Comme quoi cette
représentation dominante se construit sur les péchés de la colonisation et les remords de
l’histoire violente des impérialismes coloniaux (Thierry Michalon, 1984)].
Tout aussi marqué par les fantasmes de l’homme blanc, ce pari sur l’innocence originelle de
l’indigène a de bonnes chances d’être perdu. Là encore les déceptions abondent. Au Paraguay,
par exemple, les populations Ache qui vivaient jusque-là de chasse et de cueillette se sont vu
reconnaître leurs droits à l’intérieur d’un vaste périmètre de réserve en 1988. Un an plus tard,
elles avaient abattu tous les arbres qu’elles pouvaient, bradé toutes les espèces
commercialisables, utilisé l’argent ainsi recueilli pour monter des échoppes et faire du petit
commerce. Des vêtements, des maisons, de la nourriture, des jeux, des boissons, c’était
l’abondance. Cinq ans après, tout s’était effondré. Les échoppes étaient fermées, il n’y avait
plus rien à acheter. Le niveau de vie était retombé encore plus bas que dans les années 1970.
Décidément le Ache n’est pas un Homo economicus rationnel! Pas plus d’ailleurs que ses
homologues d’Amazonie brésilienne dont beaucoup ont connu les mêmes infortunes, pour les
mêmes raisons : l’harmonie des populations avec leur environnement n’est pas une donnée
établie une fois pour toutes [surtout quand cette harmonie –il s’avère nécessaire de le préciser –
a été radicalement remise en question et brisée par un paradigme dont le rapport aux autres
civilisations semble essentiellement totalitariste]. Elle s’est construite avec le temps, dans des

164
relations d’échange non monétarisées portant sur des produits issus du travail et du savoir-faire
local. [Dans leur prétention universaliste qui font du paradigme rationaliste de la modernité
capitaliste la référence historique absolue] L’irruption de la modernité et de l’économie de
marché a détruit cet équilibre367.

À l’opposé, et au-delà de ce qu’elle donne lieu à la critique du paradigme de la modernité capitaliste la


perspective endogène africaine de la Totalité à laquelle s’articulent la complexité et l’approche écosystémique
s’avère particulièrement intéressante en ce qu’elle s’articule à la ré-émergence du paradigme environnemental
(Mubabinge Bilolo, 2007)368, notamment aux “Quatre lois de l’écologie” qu’avait déjà formulé Barry Commoner
(1971) au tout début des années Soixante-dix et par lesquelles il est énoncé que :
− Chaque chose est connectée aux autres, et qu’il y a une seule écosphère pour tous les organismes
vivants tel que ce qui affecte l'un affecte également tous les autres;
− La nature est mathématique et parfaite, et que le genre humain a développé la technologie pour
améliorer la nature, mais les changements introduits par les prétentions rationalistes présentent des
risques existentiels pour l’écosystème;
− Dans la nature, chaque côté de l'équation doit être en équilibre, car toute activité d’exploitation et de
production des biens et services a nécessairement un coût écologique qui doit être compensé ou
résorbé;
− Chaque chose va quelque part. Il n'y a pas de déchets dans la nature, et il n'y a pas un ailleurs en
soi, absolument déconnecté, où l'on puisse jeter les déchets369.

Dans une formulation synthétique qui rejoint parfaitement la critique de la disjonction arbitraire et artificielle
opérée dans le Réel entre la nature et le rationnel, disjonction à partir de laquelle se sont développées et
cristallisées la modernité et l’économie capitaliste (Mbog Bassong, 2013; Edgar Morin, 2011, 1999), Philippe
Boudes (2009) rappelle que :
La récente prise de conscience des dommages causés par certaines activités humaines sur ce
milieu naturel a eu pour conséquence de mettre en question cette séparation du domaine de
l’action humaine de celui des lois de la nature (Bourg, 1993), en la présentant comme une
construction sociale voire en l’abolissant totalement. Il apparaît qu’une telle reconnaissance des
“problèmes” d’environnement a d’abord été impulsée par les sciences naturelles, mais bien des
penseurs ont su associer ces préoccupations environnementalistes à des thématiques sociales,
comme la technique, la population, les systèmes scolaires et médicaux et plus généralement
aux limites d’une civilisation industrielle, de son système de pouvoir, de ses technosciences, en
un mot d’une société et d’une humanité de plus en plus inhumaine et mécaniste (Duclos, 2006;
Juan, 2007). Cette association des préoccupations environnementales et des questionnements
sociaux pourrait d’ailleurs définir l’écologie politique; elle s’impose en tous cas comme l’une des

367 Op. cit.


368 Lire l’intéressant livre de Mubabinge Bilolo (2007) sus-cité.
369 Barry Commoner, 1971, The Closing Circle, éd, The Random House Inc., New York.

165
composantes majeures de ce changement de millénaire. Pour Moscovici (2002), “il apparaît que
notre question sociale en cette fin de siècle et au siècle suivant sera la question naturelle”.
Aujourd’hui plus que jamais, parce que l’environnement est devenu une menace causée par
l’interaction des activités humaines et des ressources naturelles, “la situation semble s’être
dramatiquement détériorée” (Luhmann, 1993)370.

Comme l’indique Edgar Morin (2011) : « Homo Sapiens ne doit plus chercher à dominer la Terre, mais à la
ménager et à l’aménager. Dès lors, le développement, même sous sa forme adoucie de “durable”, doit être
problématisé. Pour ce faire, une réforme de la connaissance s’impose. Nous vivons sous l’emprise d’une
pensée disjonctive, qui sépare ce qui est inséparé, et d’une pensée réductrice, qui réduit le complexe au
simple »371.

C’est Marie-Claude Smouts qui formule avec exactitude l’opérationnalité de cette préoccupation intellectuelle –
en même temps scientifique, philosophique et éthique –dans le champ épistémologique de l’économie
politique des ressources naturelles forestières, notamment en relevant l’importance prise par les sciences
sociales dans l’analyse des principales problématiques qui sont mobilisées. Pour Smouts (2001) :
Connaitre le rapport foncier en tant que rapport social déterminé par l’espace, comprendre ce
que recouvre les notions de respect des savoirs locaux, de droits des peuples indigènes et des
populations locales, d’appropriation, analyser les droit d’usage sur l’espace forestier, savoir
comment ces droits sont répartis, tous ces préalables à la gestion optimale de la forêt,
demandent un travail de terrain minutieux et prolongé mené par de bons analystes des
systèmes d’organisation sociale de mettre en évidence l’importance des relations non
marchandes dans la plupart des sociétés vivant dans les espaces forestiers tropicaux. L’accent
mis par la Banque mondiale sur la réduction de la pauvreté comme élément majeur de sa
stratégie favorise cette tendance nouvelle introduite dans l’analyse par les sciences sociales à
considérer ce qui se passe “en bas”372.

Même si, comme on le voit, l’approche de la politologue française reste tributaire d’une rationalité
essentiellement binaire ainsi que d’une démarche dualiste dont l’inconvénient est qu’elles conduisent à une
fragmentation dichotomique de la réalité, coinçant l’analyse entre deux options opposées et exclusives (Alain
Minkanda, 2016)373.

C’est donc à partir de cette perspective soucieuse de profondeur et d’exhaustivité que se comprennent
également non seulement le choix de l’approche socio-historique mais également l’option d’une analyse par le
concept de contraintes structurelles, dans une démarche en rupture avec la tradition fonctionnaliste, qui

370 Philippe Boudes, 2009, “Simmel et l'approche sociologique de l'environnement”, in la revue Émulations, n°5, janvier 2009
371 Edgar Morin, 2011, op. cit.
372 Op. cit.
373 Alain-Patrice Minkanda, 2016, Problématique de l’anthropologie philosophique dans l’œuvre de Pierre Meinrad Hegba. Fondements et

Enjeux, Thèse de doctorat en philosophie, Université de Yaoundé I.

166
s’inspire et se nourrit de l’approche endogène. Sur le plan strictement intellectuel –qui articule notre implication
personnelle aux exigences de l’analyse scientifique –la démarche d’analyse que nous déployons dans cette
thèse repose sur deux présuppositions fondamentales regroupées génériquement dans ce que nous allons
appeler les incertitudes inhérentes à l’assimilation et le gâchis d’une disparition intellectuelle totale de l’Afrique.
L’assimilation incertaine réfère aux conditions de dénuement et de dépouillement intellectuel ainsi qu’à la
profonde fragilité dans lesquelles les communautés africaines sont appelées à participer ou plutôt à immerger
dans le paradigme de la modernité. Il s’agit de la probabilité d’incertitude inhérente à la dissolution de l’identité
et des repères culturels indigènes (Dibombari Mbock, 2016, 2014; Felwine Sarr, 2016; Doti Bruno Sanou,
2014; Guéhi Jonas Ibo, 1994)374, autrement dit du potentiel d’inaboutissement lié à la dilution totale des
communautés africaines dans d’autres univers culturels. Toutes choses qui charpentent la situation
“problématique” de l’Afrique et la performance improbable des Africains dans le monde contemporain.

Il en de même de l’absurdité d’une disparition culturelle radicale par l’assimilation. En effet, la dissolution du
monde indigène africain ou la dilution totale de ce patrimoine culturel dans les univers occidentaux, chinois,
hindous, russes, etc., constitue une perte culturelle en soi et en tant que telle, une perte sèche dans le
patrimoine intellectuel de l’humanité. En l’occurrence : fondée sur une cohérence spirituelle, tramée par des
lieux symboliques indépendants des arbitraires du relativisme des intérêts multiples, et commandée par des
dimensions structurantes extra-discursives telles que la solidarité, l’esprit de coopération, le partage, l’estime,
la parenté, la morale, la parole, le don, la promesse de règlement de dette, la vérité, la dignité, les attitudes,
l’entraide, le cadeau, le souci de bonnes relations, l’équité, etc., l’ontologie politique africaine est toute entière
fondée sur l’interpénétration et l’intégration de tous les segments du corps social. D’où la fondation primordiale
et l’orientation essentielle de la collectivité politique africaine indigène non à partir de l’individu, mais sur
l’entité collective et vers la solidarité communautaire (Mbog Bassong, 2013; Guéhi Jonas Ibo, 1994), dans la
logique clairement identifiée par les égyptologues Georges Posener, Serge Sauneron et Jean Yoyotte (1959),
selon laquelle : « C’est l’interaction des forces qui assurent l’ordre universel, de ses éléments constitutifs
essentiels tels que les mouvements célestes, la régularité des phénomènes saisonniers, la suite des jours, le
lever chaque matin d’un soleil nouveau, etc., aux plus humbles de ses manifestations, celles de la société

374Parmi de nombreux travaux, nous référons aussi à :


- Dibombari Mbock, 2016, Traité sur Maât, éd. Lulu.com; 2016, Le défunt justifié, éd. Lulu.com; 2016, Les Hiéroglyphes égyptiens, éd. Lulu.com;
2015, Banga i Nwaat. La parole divine. Essai sur les hiéroglyphes égyptiens, éd. Lulu.com; 2015, La crucifixion d’Osiris, éd. Lulu.com; 2014,
Km.t, Les voies du retour, éd. Lulu.com; 2014, Nkaâmbok, éd. Lulu.com; 2014, Les filles de Sitifaani, éd. Lulu.com; 2014, Kongolo. Cent pierres
et neuf ventres, éd. Lulu.com; 2014, La passion d’Osiris, le Christ avant Jésus, éd. Lulu.com; 2014, Km.t, le sens du nom, 2013-2014 (col. Les
mémoires des peuples noirs, éd. Lulu Press Inc.; 2014, La philosophie égyptienne du Christ, éd. Lulu.com; 2014, Osiris, le Christ qui vient du Sud,
éd. Lulu.com; 2013, Kongo. Nouvelles recherches sur les sources négro-africaines de la civilisation appelée égyptienne, éd. Lulu.com; 2013,
Ousiré, le Dieu entre nos mains, Tome 1, Éditions Kiyikaat, Montréal; 2010, Le Dieu noir. Anthologie interdite au moins de 50.000 ans, Éditions
Kiyikaat, Montréal.
- Doti Bruno Sanou, 2014, Politiques environnementales : traditions et coutumes en Afrique noire, éd. L’Harmattan, Paris.
- Guéhi Jonas Ibo, 1994, “Perceptions et pratiques environnementales en milieu traditionnel africain : l’exemple des sociétés ivoiriennes anciennes”, in
Fonds documentaire ORSTOM, Centre de Petit Bassam, Abidjan.

167
humaine, la concorde des vivants, la piété religieuse, le respect sur terre de l’ordre conçu par des dieux, d’où
la justice dans les rapports sociaux et la vérité dans la vie morale »375.

Cette ontologie politique de l’interdépendance génétique de tous les éléments du corps social s’articule et se
structure dans une conception totale et systémique de l’univers où l’homme et l’organisation sociale sont
nécessairement une partie organique de la totalité mathématique créatrice (Dibombari Mbock, 2016, 2014,
2013; Mbog Bassong, 2013; Théophile Obenga, 1990, 1973; Cheikh Anta Diop, 1988, 1981, 1960)376. Dès
lors, la collectivité ou l’État sera une cosmologie politique régie par le principe de la Maât, i.e. de la vérité, de
l’ordre et de la justice, telle que la reconstituent également Henri Decœur (2012) ou Bernadette Menu,
2005)377, car :
l’enjeu a toujours été de conjurer le retour au chaos et au désordre primordial engendré par les
divers déterminismes naturels et sociaux. Les rois africains anciens, les pharaons, ont eu
conscience de ce que le cosmos et ses règnes, à la fois humain, animal, végétal et minéral
constituent un Tout qui intègre divers niveaux de création et d’organisation des échanges de
toutes sortes. Il faut en assurer le lien en vue de réaliser l’harmonie cosmique du Tout. Ainsi
l’invisible et le visible, le matériel et l’immatériel s’interpénètrent sans qu’il ne soit possible
d’établir une frontière étanche entre les deux sphères. À toutes les échelles de l’organisation
sociale, l’action humaine doit instaurer ou restaurer ce besoin de liaison et d’harmonie
producteur de vie.
Aussi les phénomènes économiques de production et d’échange s’organisent-ils par le biais de
l’action politique des rois et des pharaons autour de la valeur, Maât, pour que précisément cette
harmonie cosmique soit préservée et continue d’irriguer, sans cesse, l’espace social, politique et
écologique. L’échange de Maât est donc à la fois matériel et immatériel, il englobe et transcende
le mode de production économique avec des hiérarchies qui reproduisent et manifestent un
caractère indivisible et interdépendant, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, et de la plus
petite cellule sociale à la plus grande. Tant que cette finalité économique est respectée par les
parties prenantes dans l’organisation du pouvoir, tout échange économique est porteur de vie
pour chacun et pour tous (Mbog Bassong, 2013)378.

375 Georges Posener (avec la collaboration de Serge Sauneron et de Jean Yoyotte), 2011 (1959), Dictionnaire de la civilisation égyptienne, éd.
Fernand Hazan, Paris.
376 Lire :

- Dibombari Mbock, ibid.


- Mbog Bassong, 2013, La théorie économique africaine. L’alternative à la crise du capitalisme mondial, éd. Kiyikaat, Montréal;
- Théophile Obenga, Paris; 1990, La philosophie africaine de la période pharaonique : 2 780-330 avant notre ère, éd. L’Harmattan, Paris; 1973,
L’Afrique dans l’Antiquité (Égypte pharaonique/Afrique noire), éd. Présence Africaine, Paris.
- Cheikh Anta Diop, 1988, Alerte sous les Tropiques. Articles 1946-1960. Culture et Développement en Afrique noire, éd. Présence africaine,
Paris; 1967, Antériorité des civilisations nègres. Mythe ou vérité historique?, éd. Présence Africaine, Paris; 1960, L'Afrique noire précoloniale.
Étude comparée des systèmes politiques et sociaux de l'Europe et de l'Afrique Noire, de l'Antiquité à la formation des États modernes, éd.
Présence Africaine, Paris.
377 Lire :

- Dibombari Mbock, ibid.


- Mbog Bassong, op. cit.
- Henri Decœur, 2012, “Maât, entre cosmologie et mythe : le principe constitutionnel d’un État de racine chtonienne en ancienne Égypte”, in Revue
juridique Thémis, 45-2, janvier 2012.
- Bernadette Menu, Maât : L'ordre juste du monde, éd. Michalon, Paris, 2005; 2004, Égypte pharaonique. Nouvelles recherches sur l’histoire
juridique, économique et sociale de l’ancienne Égypte, éd. L’Harmattan, Paris.
378 Op. cit.

168
En effet, au-delà de l’industrie du folklore qu’il est devenu de mode de promouvoir à partir des oripeaux
identifiés au patrimoine culturel africain, non seulement il n’est pas superfétatoire que les communautés
africaines –comme toute autre communauté –développent leurs propres représentations du monde et
perfectionnent leur déploiement existentiel en fonction de leur patrimoine intellectuel indigène (Jean Ziegler,
1988, 1971)379; mieux encore, la mobilisation des propositions culturelles africaines pourraient s’avérer
salvatrice et présenter en même temps une réelle perspective de vie ou de revivification à la communauté
humaine et une authentique bouffée d’oxygène pour l’humanité, en cette époque particulièrement troublée (P.
Dauvergne, 2008; U. Beck, 1986; A. Giddens, 1990) qui semble manifester une sorte d’essoufflement du
monolithisme occidental; en cette époque où le développement du paradigme occidental semble avoir atteint
un point critique qui s’accompagne d’impasses diverses occasionnées par l’avènement de changements
structurels et systémiques majeurs (Michel Onfray, 2017; Thomas Piketty, 2014; Jean-Marie Donegani, 2013;
Hervé Kempf, 2013; Douglas Winnail, 2012; Slavoj Zizek, 2011; Bernard Montaud, 2009; Jean Ziegler, 2008,
2005; Mubabinge Bilolo, 2007; Oswald Spengler, 1948; E. Morin, 2011, 1999; Barry Commoner, 1990;
etc.)380 : « Le développement économique accéléré reste un impératif, même si la sagesse est vêtue de
haillons » dit en toute beauté Serge Latouche (1988), commentant un texte de Jean Ziegler381. C’est ce qui se
dégage de l’analyse que plusieurs auteurs dont Jean Ziegler (1988, 1971), Edgar Morin (2011, 1999), Paul
Ricœur (2000), Étienne Le Roy (2016, 2011, 1997)382, Mbog Bassong (2016, 2013) ou Gilles Lipovetsky
(2009, 2006, 2004, 1992, 1983)383 font de la modernité en rapport aux propositions intellectuelles africaines.
D’un côté, alors que selon Edgar Morin (2011) :

379 Jean Ziegler, 1988, La victoire des vaincus. Oppression et résistance culturelle, éd du Seuil, Paris; 1971, Le pouvoir africain. Éléments d’une
sociologie politique de l’Afrique et sa Diaspora aux Amériques, éd. du Seuil, Paris.
380 L’une des manifestations emblématiques de cet essoufflement est l’explosion en Occident de l’engouement que l’on voit pour les écologismes et

autres naturismes de toutes sortes, pour le yoga, le bouddhisme, le dalaï-lama, le retour à l’alimentation “bio”, etc. Et dans une certaine mesure de
l’humanitaire et des droits de la personne humaine.
Au besoin lire :
- Michel Onfray, 2017, Décadences, éd. Flammarion, Paris.
- Thomas Piketty, 2014, Le Capital au XXIème siècle, éd. du Seuil, Paris.
- Hervé Kempf, 2013, Fin de l’Occident, naissance du monde, éd. du Seuil, Paris.
- Jean-Marie Donegani, 2013, “Crise de l’Occident, crise du christianisme, crise de la différence”, in Recherches de Science Religieuse, Tome 101,
juil.-sept. 2013 (Penser la différence dans la crise culturelle de l’Europe), éd. Centre Sèvres, Paris.
- Douglas Winnail, 2012, “La mort de l’Occident”, in Le monde de demain de Juillet-Septembre.
- Slavoj Zizek, 2011, Vivre la fin des temps, éd. Flammarion, Paris.
- Gilles Lipovetsky, 2009, Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d'hyperconsommation, éd. Gallimard, Paris; 2006, La société de déception,
éd. Textuel, Paris; 2004, Les temps hypermodernes, éd. Librairie générale française, Paris; 1992, Le crépuscule du devoir. L'éthique indolore des
nouveaux temps démocratiques, éd. Gallimard, Paris; 1987, L'empire de l'éphémère. La mode et son destin dans les sociétés modernes, éd.
Gallimard, Paris; 1983, L'Ère du vide. Essai sur l'individualisme contemporain, éd. Gallimard, Paris.
- Bernard Montaud, 2009, Bénie soit la crise de l’Occident. Une analyse spirituelle de la crise, éd. Édit’as, Gehée.
- Jean Ziegler, 2008, La haine de l’Occident, éd. Albin Michel, Paris; 2005, L’empire de la honte, éd. Fayard, Paris.
- Mubabinge Bilolo, 2007, op. cit.
- Barry Commoner, 1992 (1990), Making Peace with the Planet, éd. New Press, New York.
- Oswald Spengler, 1948, Le déclin de l’Occident. Esquisse d’une morphologie de l’histoire universelle, éd. Gallimard, Paris.
381 Serge Latouche, 1988, Compte-rendu de lecture : “Jean Ziegler, La victoire des vaincus. Oppression et résistance culturelle”, in revue Tiers-Monde,

vol. 29, n◦ 116, éd. PUF, Paris.


382 Lire :

- Étienne Le Roy, 2016, “Pourquoi, en Afrique, le droit refuse-t-il toujours le pluralisme que le communautarisme induit?”, in revue Anthropologie et
Sociétés, Vol. 40, n° 2; 2011, La terre de l’autre. Une anthropologie des régimes d’appropriation foncière, éd. LGDJ, Paris; 1997, “La formation
de l’État en Afrique, entre indigénisation et inculturation”, in GEMDEV, Les avatars de l’État en Afrique, éd. Karthala, Paris.
- Paul Ricœur, 2000, La mémoire, l’histoire, l’oubli, éd. du Seuil, Paris.
383 Op. cit.

169
L’Occident ressent en lui un vide et un manque : de plus en plus d’esprits désemparés font
appels aux psychanalyses et aux psychothérapies, au yoga, au bouddhisme zen, aux
marabouts, etc. D’aucuns essaient de trouver dans les cultures et les sagesses d’autres
continents des remèdes à la vacuité créée par le caractère quantitatif et compétitif de leur
existence. Nous vivons ainsi dans une société où les solutions que nous voulons apporter aux
autres sont devenus nos problèmes384 […] Claude Lévi-Strauss a su démontrer qu’il y avait des
trésors, des vérités, des vertus dans ces cultures dites primitives. Aujourd’hui, nous nous
rendons compte de ce qu’est la barbarie de notre société civilisée385;

Paul Ricœur confesse en des termes poignants qu’« Au moment où nous découvrons qu’il y a des cultures et
non pas une culture, au moment par conséquent où nous faisons l’aveu d’une sorte de monopole culturel,
illusoire ou réel, nous sommes menacés de destruction par notre propre découverte. Il devient soudain
possible qu’il n’y ait plus que les autres, que nous soyons nous-même un autre parmi les autres, toute
signification et tout but ayant disparu, il devient possible de se promener à travers les civilisations comme à
travers des vestiges ou des ruines » (cité par Anthony Giddens, 1990)386.

De l’autre côté, Étienne Le Roy relève que « Le modèle africain parait original par rapport à l’Occident. Là où
celui-ci conçoit un rapport dualiste d’unités autonomes entre le concept et la réalité, le sujet l’objet, la nature et
la culture, l’Afrique tentera de découvrir une seule unité de sens, soit par association spécifique (non-
dissociation des éléments sémantiques constitutifs), soit par une démarche de type dialectique qui cherche à
dépasser la différenciation des éléments pour une donnée plus large qui les englobe dans un complexe plus
significatif que celui de leur simple addition »;

Ce que Mbog Bassong (2013) explique dans une tentative de théorisation générale :
Construite sur une logique ternaire qui engendre l’inclusion du tiers, dit-il, la pensée africaine
inspire une posture relativiste, et donc de tolérance, de dialogue, de consensus qui est aussi
acceptation cognitive de la différence. L’autre devient ainsi une pierre d’attente dans la
construction de soi. Cette posture fait émerger la complexité socio-économique, c’est-à-dire l’un
et le multiple, l’unité et la diversité enchevêtrées dans l’organisation, et par conséquent,
l’intégration économique des nationalités claniques et tribales, le partage équitable, la
coopération et le communautarisme économique sur la base du caractère inaliénable des terres.
Telle est la raison pour laquelle l’organisation multiculturelle et multinationale est millénaire en
Afrique et fonde une tradition de la société indigène. Ce n’est que dans ce sens que l’économie
peut porter la marque de la valeur.
L’organisation matérielle est aussi dynamique que l’organisation immatérielle : la complexité est
présente à chacun de ces deux niveaux et présuppose une dialectique de dépassement de la
discrimination originelle et compositionnelle. Or, c’est bien cette approche ternaire qui favorise
l’intégration du tiers par le biais de ce dépassement. Contre le modèle rationaliste qui s’est
imposé à nous, la pensée indigène entrevoit la prudence comme une méthode d’accès à
384 Edgar Morin, 2011, La voie. Pour l’avenir de l’humanité, éd. Fayard, Paris.
385 Edgar Morin & Jean-Louis Lemoigne, 1999, L’intelligence de la complexité, éd. L’Harmattan, Paris.
386 Anthony Giddens, 1994 (1990), Les conséquences de la modernité, éd. L’Harmattan, Paris.

170
l’inclusion du tiers aux fins de la recherche du consensus, de l’unité. Cette méthode permet de
conjurer le désordre et le conflit, là où l’Occident rend irréductible l’affrontement des contraires.
Dans le modèle africain ou kamit, l’opposition discriminatoire est première et source d’entropie,
étant suivie d’une synthèse dialectique de la discrimination introduite. C’est de cette dialectique
que nait l’antagonisme fondateur ou génésique (néguentropie)387.

6.3. L’Afrique comme une particularité épistémologique et méthodologique


La pertinence méthodologique de l’approche socio-historique ainsi que la validité théorique de l’analyse par le
concept de contraintes structurelles comme démarche par excellence d’explication générale de la
marginalisation chronique des communautés locales dans la gouvernance forestière au Cameroun ne
sauraient faire l’économie de l’impact que présente le statut spécifique de l’Afrique dans l’histoire.

L’Afrique constitue une épistémologie particulière, ainsi qu’il se dégage de toute démarche de réflexivité
critique qui déploie une approche socio-historique d’analyse référant à l’histoire et à la philosophie de l’histoire,
en rupture avec la tradition fonctionnaliste d’analyse. Le paradigme dominant d’analyse de l’Afrique, celle à
partir de laquelle se développent toutes les analyses de l’Afrique, celle qui a fermement tramé le rapport
intellectuel universel à l’Afrique, celle sur laquelle se déploient les collectivités politiques africaines
d’aujourd’hui, ce paradigme dominant a arbitrairement sectionné l’Histoire et décrété l’historicité de l’Afrique
autour de la colonisation européenne, en imposant les trois périodes dites pré-coloniale, coloniale et post-
indépendances. Or, l’Afrique –dont c’est précisément le lieu de rappeler qu’elle a abrité l’humanité de sa
naissance à l’émergence de l’homo sapiens sapiens –ne nait pas avec la colonisation. Autrement dit, ça n’est
ni avec l’Europe, ni en fonction de l’Europe que l’historicité de l’Afrique se constitue (Mubabinge Bilolo, 2011).
Il en découle que le phénomène colonial représente plutôt un moment dramatique de rupture relativement
récent dans l’histoire de l’Afrique, un phénomène qui participe des constituants dramatiques ayant
radicalement disloqué la cohérence de l’historicité africaine telle qu’elle s’est construite depuis les origines
jusqu’à l’émergence des civilisations égypto-nubienne, Monomotapa, Oyo, Mali, Loango ou Ghana par
exemple.

En d’autres termes, non seulement la maladresse méthodologique et l’invalidité théorique du paradigme


intellectuelle dominant proviennent de ce que l’approche d’analyse fonctionnaliste sectionne arbitrairement
l’histoire en même temps qu’elle la confond métonymiquement avec la modernité ou l’histoire de la modernité
capitaliste, mais il en découle comme conséquences que l’irruption irréductiblement non convergente de la

387 Op. cit.

171
modernité capitaliste dans les mondes indigènes suffit amplement à expliquer non seulement les
dysfonctionnements manifestés dans le processus d’élaboration et de mise en œuvre du Régime forestier de
1994, mais également –de manière générale et en amont (dans la constitution de la structure systémique
opératoire) –les diverses incompétences et incapacités qui seront identifiées plus tard chez les communautés
villageoises. Dès lors, l’émergence coloniale de l’État camerounais actuel ainsi que la disqualification du
paradigme indigène qui en résulte procèdent directement du mode conflictuel et exclusif d’implantation de la
modernité capitaliste dans les mondes africains (Mbog Bassong, 2016, 2013; Mubabinge Bilolo, 2011, 2007).

L’Afrique constitue en soi un enjeu historique majeur. L’émergence de l’Afrique à la modernité politique
s’inscrit dans un temps historique long qui se caractérise singulièrement par la difficulté que les communautés
africaines éprouvent depuis plusieurs siècles à se déployer et à se projeter proprement dans le monde,
indépendamment de toute intermédiation extra-africaine majeure. En effet, après les époques
authentiquement africaines qui voient l’éclosion dans l’Antiquité et le Moyen-âge des civilisations égypto-
nubienne, malienne, songhaï, ashanti, kuba, loango, ghanéenne, Punt, etc., toutes civilisations –dont la
documentation quoiqu’occultée existe (Omotunde, 2015, 2014, 2009, 2002, 2000; Dibombari Mbock, 2013,
2015; Mawuna Koutonin, 2014; Runoko Rashidi, 2013, 2012; Robin Walker, 2011, 2008, 2006; David Imhotep,
2011; Molefi Kete Asante, 2007; Mubabinge Bilolo, 2011, 2007; Yoporeka Somet, 2005; Doumbi-Fakoly, 2004;
Filippo Pigafetta & Duarte Lopes, 2002; Théophile Obenga, 1995, 1990; John Henrik Clarke, 1994; Cheikh
Anta Diop, 1981; Ivan Van Sertima, 1976; Chancellor James Williams, 1974; Richard W. Hull, 1972; Ben
Jochannan, 1971; Thor Heyerdhal, 1970; Basil Davidson, 1962; Paul Mercier, 1962; George G. M. James,
1954; Leo Frobenius, 1952; Olfried Dapper, 1686; etc.)388 –qui ont déjà complètement disparu au XVIIème
siècle, l’émergence des collectivités politiques africaines contemporaines va essentiellement se faire avec
l’agence autoritaire et sous la houlette des puissances politiques européennes, en fonction des dynamiques
idéologiques et intellectuelles exogènes. Il en découle entre autres implications, que le rapport intellectuel à
l’Afrique n’est ni neutre ni gratuit. En cinq point précis, Mbog Bassong (2013) synthétise exhaustivement la
situation générale de l’Afrique en révélant du même coup la structure historique opératoire et l’état authentique
des lieux à partir desquels se développent la mise en place du Régime des forêts de 1994 au Cameroun et la
marginalisation des communautés villageoises dans l’économie forestière qui s’en dégage, structure historique
et état des lieux auxquels nous articulons l’explication par la non-endogénéité et les contraintes structurelles.

388- Mawuna Koutonin, 2014, “100 African Cities Destroyed By Europeans: WHY there are seldom historical buildings and monuments in sub-Saharian
Africa!”, in Silicon Africa, édition du 1er novembre 2014 (http://www.siliconafrica.com/terra-nullius/).
- Robin Walker, 2011, If you want to learn Early African History START HERE, éd. CreateSpace (Independent Publishing Platform); 2008, Before
the Slave Trade: African World History in Pictures, Black History Studies publications, London, UK; 2006, When We Ruled: The Ancient and
Medieval History of Black Civilisations, éd. Every Generation Media, London, UK.
- Filippo Pigafetta & Duarte Lopes, 2002, Le royaume de Congo et les contrées environnantes : 1591, éd. Chandeigne/Unesco, Paris.

172
Pour le théoricien bassa, la situation générale de l’Afrique et la structure historique dans laquelle elle se
déploie aujourd’hui se caractérisent essentiellement dans les termes suivants :
− Une pression générale des modèles religieux, culturels et éducationnels s’exerce sur les
capacités cognitives des élites politiques; d’où la sujétion, l’exploitation, la compromission et
l’aliénation observées, avec comme corollaire, l’impasse dans la créativité, la production
intellectuelle, la recherche scientifique et l’organisation politique du développement.
− Cette impasse globale de la réflexion s’accompagne de l’incapacité à concevoir un modèle
alternatif; de la sorte, le modèle dominant de circonstance exporte tout simplement ses
propres contradictions qui s’apparente par certains contours, à des solutions. Au vrai, cette
impasse globale dissimule mal la généralisation du chaos social. Partout, la pauvreté, les
déviances sexuelles, la prostitution, la délinquance, la corruption, le détournement de
deniers publics, les putschs militaires, l’inflation des égos, l’individualisme prononcé, le
tribalisme, les guerres, les conflits fratricides, les sectes d’obédience exogène, les religions
révélées, etc., compromettent l’idéal de renaissance de la culture africaine.
− De la sorte, les mécanismes institutionnels traditionnels sont contrariés par les enchainements
complexes de la nature même de l’État dominant et son modèle économique de marché.
Ceux-ci éclatent l’ordre symbolique des échanges qui, naguère, contrariait les égos et la
recherche effrénée du profit. Depuis lors, le rationalisme individuel est entré en conflit avec
le rationalisme communautaire.
− Dans ces conditions, les multinationales peuvent s’organiser pour piller et polluer durablement,
en toute impunité, avec la bienveillance des élites corrompues là où hier, les contre-
pouvoirs initiatiques imposaient de la façon la plus ferme, force et respect; les
communautés historiques naguères auto-instituées sont à la solde des États qui dictent un
autre son de cloche aux populations locales. Il en est ainsi de cette surexploitation des
forêts qui déloge les Baka (Pygmées) de leur habitat, sans compensation aucune [Et
même, une “compensation” dont on peut douter de la nature réellement compensatoire].
− Nous assistons donc impuissants, à la désintégration du tissu économique et social qui tient,
pour l’essentiel, à l’emprise du rationalisme individuel réfractaire à la valeur. Cet
individualisme corrompt désormais, en plus de l’ordre communautaire en voie de
déstructuration, l’ordre initiatique naguère envisagé comme le dernier rempart contre les
forces religieuses d’aliénation389.

La position centrale de l’Afrique dans l’histoire humaine constitue un “problème” qui, en tant que tel, a
profondément et fermement déterminé son analyse, l’analyse qu’on en fait, de même que le rapport à ses
habitants (Cheikh Anta Diop, 1954)390. Aussi n’est-il jamais aisé de traiter de l’Afrique, notamment dans une
posture qui ne s’articule pas nécessairement au complexe intellectuel opératoire, à la perception opératoire
que l’on a de l’Afrique et de ses habitants (Thierry Michalon, 1984; Jean Ziegler, 1971) 391, au corpus de
connaissances à partir desquels l’intellectualité opératoire saisit l’Afrique (Georges Boniface Nlénd V, 2017)392.

389 Op. cit.


390 Lire Cheikh Anta Diop, 1954, Nations nègres et cultures, éd. Présence Africaine, Paris.
391 Lire :

- Thierry Michalon, 1984, op. cit.


- Jean Ziegler, 1971, Le pouvoir africain. Éléments d’une sociologie politique de l’Afrique et sa Diaspora aux Amériques, éd. du Seuil, Paris;
1978, Main basse sur l’Afrique, éd. du Seuil, Paris.
392 Lire le livre que nous venons de publier : 2017, Urgence d’État fédéral et nécessité d’un leadership authentique en Afrique. Une approche

décisive pour déverrouiller la Réflexivité bloquée et amorcer la Renaissance, éd. MeduNeter, Paris.

173
Longtemps avant que José Do Nascimento (2008) ne trahisse et déconstruise le stratagème du
“développement” comme mécanisme parfait d’envoutement radical des élites africaines393; plus de vingt ans
avant qu’Abdul Karim Bangura (2015, 2011)394, Molefi Kete Asante (2014, 2011, 2010, 2007, 2003, 1996,
1992)395 ou Jean-Emmanuel Pondi (2011)396 ne publient leurs remarquables contributions quant à la nécessité
méthodologique d’une analyse de l’Afrique à partir d’elle-même, Achille Mbèmbè (1990) avait déjà clairement
énoncé la pertinence radicale de cette épistémologie spécifique :
Pour poser, avec tant soit peu de sérieux, le problème des rapports entre l’exercice du pouvoir
et de la coercition, la production de la violence et les dynamiques de l’accumulation dans
l’Afrique contemporaine, il faut, d’entrée de jeu, se placer à distance des discours pseudo-
scientifiques qui, dans le champ de l’analyse politique et économique, prétendent résumer
l’Afrique d’un seul mot : la crise. Peut-être ne mesure-t-on encore suffisamment, ni la vulgarité
théorique, ni la profondeur du cul-de-sac intellectuel dans lesquelles ils sont conduits.
Observons simplement que l’extraordinaire violence exercée contre l’objet de savoir qu’était
supposée être l’Afrique –et à laquelle ils ont abouti –n’est pas neuve dans la tradition
occidentale. Et que si, depuis le début des –années Quatre-vingt, on croit savoir à peu près tout
de ce que l’État, le marché, bref la reproduction des richesses en Afrique n’est pas, on ne sait
toujours pas, aujourd’hui, ce qu’elle est effectivement. Autrement dit, la prise au sérieux de la
“longue durée”, des rationalités autochtones tout comme des pratiques tâtonnantes des acteurs,
au sein de configurations changeantes où il n’y a pas de facteurs internes coupés d’autres qui
leur seraient externes : tout ceci n’est pas encore admis comme condition essentielle de
l’intelligence des formations historiques africaines et point de départ obligé de toute analyse
comparative qui les prend pour protagonistes principaux397.

C’est dans le processus de consolidation des fondations théoriques de cette critique fondamentale formulée
par A. Mbèmbè que Dika Akwa nya Bonambela (1982) énonçait déjà une vingtaines d’années plus tôt
qu’« Aujourd’hui, le chercheur africain et le chercheur occidental de l’époque de la décolonisation ne sauraient
avoir la prétention d’avancer la science dans la connaissance de l’Afrique, s’ils continuent à ignorer
l’expérience propre à l’Afrique, les racines socio-épistémologiques de son savoir spécifique, la logique interne
qui sous-tend le développement de ses sociétés et l’indissociabilité des phases "traditionnelle" et "moderne"
de celle-ci »398.

393 Dans un édifiant document sonore (vidéo) portant sur Le développement comme discours d’aliénation des élites africaines, José Do Nascimento
déconstruit « l’arme immatérielle [idéologique] » d’impacts immenses et profonds qu’est le “développement”
(https://www.youtube.com/watch?v=vCnrfFSsD3s et https://www.youtube.com/watch?v=FmqdrkzhoNI). Lire également José Do Nascimento (dir.),
2008, La renaissance africaine comme alternative au développement. Les termes du choix politique en Afrique, éd. L’Harmattan, Paris.
394 Abdul Karim Bangura, 2015, Toyin Falola and African Epistemologies, éd. Palgrave MacMillan, New York; 2011, African-Centered Research

Methodologies. From Ancient Times to the Present, Cognella Academics Publishing, San Diego, CA.
395 Molefi Kete Asante, 2014, Facing South to Africa. Toward an Afrocentric Critical Orientation, éd. Lexington Books, Lanham, MD; 2011, As I

Run Toward Africa. A Memoir, éd. Routledge, New York, NY; 2010, Maulana Karenga. An Intellectual Portrait, éd. Polity Press, Cambridge, UK;
2007, An Afrocentric Manifesto. Toward An African Renaissance, éd. Polity Press, Cambridge, UK; 2007, The History of Africa. The Quest of
Harmony, éd. Routledge, New York, NY; 2003 (Revised and Expanded Edition), Afrocentricity. The Theory of Social Change, éd. Africa American
Images, Chicago, IL; 1998, The Afrocentric Idea, éd. Temple University Press, Philadelphia, PA; 1996, African Intellectual Heritage. A Book of
Sources, éd. Temple University Press, Philadelphia, PA; 1992 (1990), Kemet, Afrocentricity and Knowledge, éd, Africa World Press, Trenton, NJ
396 Jean-Emmanuel Pondi (dir.), 2011, Repenser le développement à partir de l’Afrique, éd. Afredit, Yaoundé.
397 Achille Mbèmbè, 1990, “L’État en Afrique. Pouvoir, violence et accumulation”, in Politique africaine, n° 39, d’octobre 1990.
398 Dika Akwa nya Bonambela, 1982, Problèmes de l’anthropologie et de l’histoire africaines, Éditions Clé, Yaoundé.

174
Pour articuler aux contraintes structurelles contextuelles et en valider l’opérationnalité, nous dirions à travers la
discussion méthodologique et théorique suggérée par Thomas Bierschenk (2010), que :
La “localisation” des analyses est une dimension qui a été indument négligée. L’idée de
localisation peut porter tant sur l’écriture anthropologique que sur ses terrains. À propos de
ceux-ci, on a pu décrire les évolutions de la théorie anthropologique en lien avec les sites à
partir desquels celle-ci s’est développée. L’approche holistique de la culture de Bronislaw
Malinowski, par exemple, aurait fondé sa plausibilité dans la nature insulaire des sociétés
océaniennes et l’approche en réseau de l’École de Manchester dans le caractère fluide des
relations sociales en Afrique centrale et australe. Une réflexion de ce genre appliquée à
l’anthropologie du développement est toujours en quête d’auteurs : une anthropologie du
développement dont l’inspiration empirique vient de l’Inde, de l’Indonésie ou de l’Amérique latine
est-elle différente d’une anthropologie du développement centrée sur l’Afrique? C’est très
probable, mais ce sont précisément les frontières géographiques de l’APAD qui nous ont
empêchés d’identifier les éventuelles spécificités des situations de développement africaines399.

Mbog Bassong (2011) ordonne les différents enjeux ainsi mobilisés en insistant sur le fait que :
Cette “expérience propre à l’Afrique” mérite un examen plus approfondi de ses bases
ontologiques. Celles-ci font encore défaut dans les recherches et dévoilent, pour ainsi dire, un
déficit de rigueur que l’observe dans les tâches d’encadrement et de performation des étudiants.
Il y a quelques années, rappelle-t-il, nous sommes intervenus dans ce sens en soulignant les
causes de tant d’errances épistémologiques. Elles sont les suivantes : (1) le handicap
psychosociologique né de la (trop) grande influence des présupposés épistémologiques de la
rationalité dominante; (2) la forte parcellisation des disciplines universitaires et la difficulté
conjointe d’une herméneutique du savoir africain; (3) le conformisme analytique des recherches
universitaires souvent empreintes de mandarinat intellectuel; (4) la crétinisation d’une sociologie
appauvrie par la méconnaissance d’une histoire et d’une culture africaines authentiques,
objectives et cohérentes. Nous n’avons pas changé d’avis. Nous pensons que la question de la
méthode d’accès à la rationalité africaine impose une révision du cadre “classique” de la
démarche analytique400.

Aiguillé par une manifestation symptomatique du délabrement structurel systémique profond qui caractérise la
collectivité politique africaine moderne, et fondé dans une démarche/approche de réflexivité critique adossée
sur l’histoire et la philosophie de l’histoire, l’analyste d’ancrage africain perçoit difficilement autre chose que ce
qui apparaît comme l’inconsistance historique des collectivités politiques africaines. Aussi, pour fonder
l’explication que la présente thèse développe de la marginalisation des collectivités villageoises dans la
gouvernance forestière au Cameroun –parmi les multiples dysfonctionnements et contradictions irréductibles
auxquels la mise en œuvre des Réformes forestières introduites au début des années 1990 donne lieu au

399 Thomas Bierschenk, 2010, “Historiciser et localiser les approches. Anthropologie et développement”, Conférence plénière de l’Association pour
l’anthropologie du changement social et du développement (APAD), Bulletin de l’APAD, 32-33/2010.
400 Mbog Bassong, 2011, Sociologie africaine. Paradigme, Valeur et Communication (https://mbombog.wordpress.com/2011/03/03/sociologie-

africaine-paradigme-valeur-et-communication/).
La version éditée et commercialisée de ce livre a été publiée en 2014 sous le titre La sociologie africaine. Essai sur le pouvoir du paradigme de
complexité…, éd. Menaibuc, Paris.
Lire éventuellement aussi : Mbog Bassong, 2016, La théorie du droit en Afrique. Concept, objet, méthode et portée, éd. Medu Neter, Paris; et
2007, Les fondements de l’État de droit en Afrique précoloniale, L’Harmattan, Paris.

175
Cameroun, nous dirions avec Bertrand Badie (1992) dont la perspicacité remarquable de l’analyse la place
aujourd’hui plus que jamais au cœur de l’heuristique authentique de l’actualité [géostratégique] du monde,
que :
Le parcours des États d’Afrique n’a pas été conforme aux modèles annoncés [a fortiori, dans un
contexte global où] La mondialisation décrit la constitution d’un système international qui tend
vers l’unification de ses règles, de ses valeurs, de ses objectifs, tout en prétendant intégrer en
son sein l’ensemble de l’humanité. Le processus semble naturellement conforter voire,
consacrer la convergence. Mais en réalité, il en marque plutôt les limites en laissant apparaitre
plusieurs inconséquences : activant l’importation des modèles occidentaux dans les sociétés du
Sud, il en révèle l’inadéquation; incitant les sociétés périphériques à s’adapter, il suscite des
espoirs d’innovation tout en risquant de les tromper; précipitant l’unification du monde, il
encourage la renaissance et l’affirmation des individualités; dotant l’ordre international d’un
centre de pouvoir plus structuré que jamais, il tend à le conflictualiser davantage401.

6.4. L’État africain problématique


La littérature scientifique présente un abondant corpus concernant l’analyse critique de l’institution étatique en
Afrique. Dans le texte liminaire du dossier consacré à son analyse multidisciplinaire, le GEMDEV (1997)
observe que :
Pendant plus de deux décennies, l’État africain a été au cœur des débats intellectuels et
politiques relatifs à presque tous les aspects des expériences actuelles et à l’avenir du
continent. Les raisons de cette préoccupation sont diverses, certaines étant associées à des
inquiétudes bien fondées sur les origines, la structure et l’histoire de l’État, d’autres motivées par
un anti-étatisme étroit et tendancieux.
L’État africain est, semble-t-il, bien parti pour battre le record du plus grand nombre d’épithètes
jamais employées pour décrire une institution. Il a été qualifié de “surdéveloppé”, “prébendier”,
“patrimonial/néo-patrimonial”, “rentier”, “népotiste”, “vacillant”, “kleptocrate”, “sultaniste”,
“convivial”, “Léviathan boiteux”, “Bantoustan international”, “fantôme”, “criminel”, “omnipotent
mais jamais omniprésent”, etc.
Bien que la majeure partie de ces adjectifs aient été associés aux approches de “Public Choice”
et à la nouvelle école d’économie politique qui a dominé les discussions sur l’Afrique dans les
années 1980 et 1990, il est également vrai que leur utilisation transcende les barrières
disciplinaires et s’est étendue à d’autres écoles de pensée, y compris celles associées aux
notions de postcolonie. Il est vrai, et discutable, que la problématique de l’État africain est un
domaine d’intérêt académique où les frontières entre les différentes approches théoriques pour
l’étude des politiques, de l’économie et de la société sont les plus floues. Nombre de chercheurs
ont noté que cette situation reflète l’importance de la mesure du point auquel sont parvenues les
préoccupations instrumentalistes des politiques libérales appliquées par la Banque mondiale et
le Fonds monétaire international qui dominent le champ de la réflexion sur l’État402.

401Op. cit.
402Op. cit.
Lire aussi le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESIRIA), 2004, La problématique de l’État en
Afrique, in http://codesria.org/spip.php?article301&lang=fr

176
En effet, si l’État est nécessairement à envisager comme l’instrument macro-institutionnel d’opérationnalisation
des intérêts des populations constituées comme collectivité politique, cette conception ontologique de l’État se
trouve profondément fissurée en Afrique par un certain nombre de facteurs historiques qui remettent
radicalement en question la légitimité des élites scolarisées, administratives et politiques à incarner et surtout
à représenter et à porter les intérêts authentiques de l’ensemble du corps social et de la collectivité politique
(Rozenn Nakanabo Diallo, 2015, 2013; CODESIRIA, 2004; GEMDEV, 1997; Thierry Michalon, 1984). En guise
d’illustration, quand S. Ongolo Assogoma (2016) observe pourtant avec beaucoup de prudence que :
« Quelles que soient les motivations propres à chaque État, la poursuite des intérêts nationaux constitue le
socle commun de l’engagement des gouvernements dans la diplomatie climatique dont le symbole du rituel
annuel est la tenue des Conférences des Parties (COP). Si la position de chaque État résulte d’un ensemble
complexe de motivations plus ou moins cyniques ou vertueuses, trois tendances dominantes se sont
dessinées depuis le début des négociations climatiques »403,

Le chercheur fait l’impasse sur une dimension majeure de l’analyse avec comme implication qu’il passe
également à côté de facteurs fortement déterminants. En effet, l’analyse développée par Symphorien Ongolo
participe de cette analyse fonctionnaliste qui semble incapable de rendre compte des contradictions
structurelles qui caractérisent l’institution étatique en contexte africain, mais dont nous pensons qu’elles
expliquent en grande partie le caractère pour le moins problématique de l’État dans l’Afrique moderne, de la
collectivité politique africaine d’aujourd’hui. C’est cette préoccupation que présente également les travaux du
GEMDEV (1997) :
Pour nombre de chercheurs intéressés par la question, peut-on y lire, il convient de
reproblématiser l’État en Afrique, pour cause d’insuffisance grave de la part de ce dernier à au
moins deux niveaux :
− D’abord présenté tout au long des années 1960 comme un catalyseur du
développement, l’État s’attela, à ce titre, à introduire une centralisation politique
excessive assorti d’un activisme économique mal inspiré qui, à la longue, conduisirent
à la déliquescence de ses propres structures.
− En second lieu, au plan intellectuel, sous l’impulsion d’un État monolithique, l’attention
des élites fût détournée des préoccupations de production économique ou politique. Au
lieu d’être encouragée comme partout ailleurs, la fonction créatrice ou constructrice
(donc développementaliste) de l’intellectuel africain fût tuée par l’État.
D’où, comme le dit le CODESIRIA, la nécessité de reproblématiser le rôle de l’État en ces
termes : “De la question d’hier, comment les sociétés africaines doivent-elles se gouverner, à la
question contemporaine, comment se présente la question du Gouvernement, se joue le destin

403Symphorien Ongolo A., 2016, “Climat et gouvernance globale : la COP, une arène d’hypocrisie ou de vertu?”, in Thinking Africa (Opinion libre n°10
– novembre 2016 : http://www.thinkingafrica.org/V2/wp-content/uploads/2016/11/OL_N10_Ongolo_N%C3%A9gociations-climatiques_comprendre-les-
motivations-des-Etats.pdf).

177
de l’Afrique, à la fois face aux contraintes externes et face aux exigences sociales et à leurs
modes très violents d’expression” […]
Le CODESIRIA pense plus utile pour une recherche appropriée sur l’État africain, de se pencher
sur les questions centrées autour des thèmes tels que : l’identification de l’expression de la
société civile dans le contexte africain; l’inclusion dans le champ épistémologique des
problèmes d’inorganisation souvent générés ou exacerbés par l’État africain. Pour les
chercheurs de l’institut dakarois, il ne saurait y avoir démocratie, donc d’État de droit sur le
Continent, tant que ce dernier ne sera pas issu d’un choix réellement populaire. Dans ce
contexte, l’indigénisation de l’État [ce que nous appelons l’endogénisaton] revient, de façon
schématique, à opérer une réappropriation des modes de désignation des élites politiques [et
plus encore de toutes les autres élites intellectuelles, administratives, économiques], une
transformation qui conduirait à assurer une prise en compte fidèle des aspirations du peuple [et
par conséquent plus de cohérence dans le déploiement de la collectivité politique]. Au regard de
la réalité opératoire sur le terrain, le rôle actuel de l’État se situe aux antipodes de pareilles
considérations. Et c’est très souvent le fossé qui sépare les aspirations des citoyens des actions
des décideurs qui constitue le gaz inflammable à partir duquel se sont allumées les révoltes
africaines des années 1990.404

L’approche socio-historique et l’analyse par les contraintes structurelles établit une incidence directe entre ces
contradictions essentielles qui sillonnent l’État africain et la marginalisation dont les communautés villageoises
font implacablement l’objet dans la gouvernance forestière au Cameroun (H. Blaszkiewicz, 2014; Rozenn
Nakanabo Diallo, 2013; Mwayila Tshiyembé, 2001, 2000; T. Michalon, 2011, 1984; Makhtar Kanté, 2009; B.
Badie, 1992; etc.).

Comme on le voit, l’analyse historique fonctionnaliste à partir de laquelle s’est construite l’intellectualité
opératoire de l’Afrique s’inscrit dans une perspective qui établit clairement une rupture arbitraire –pour le
moins déstructurante, sédimentée sans interruption sur près d’un millénaire par la violence des contacts avec
l’extérieur (Mongo Beti & Odile Tobner, 1989; Franz Fanon, 2006, 1961, 1952)405 –entre une première Afrique
auto-organisée qui produit un dynamisme démographique et des performances intellectuelles, techniques,
artistiques, socio-politico-institutionnelles et économiques inédites (Louise Marie Maes, 1985; Jean Suret-
Canale, 1980, 1964; Théophile Obenga, 1993, 1973; Joseph Ki-Zerbo, 2003, 1972; Cheikh Anta Diop, 1967,
1960; Paul Mercier, 1962; Basil Davidson, 1962; Paul Mercier, 1962; Leo Frobenius, 1952; Olfried Dapper,
1686; Omotunde, 2015, 2014, 2002, 2000; etc.)406; et une deuxième Afrique, l’Afrique moderne ou
d’aujourd’hui, endémiquement sous performante, qui semble familière de sa contemporanéité mais qui n’est

404 Le soulignement en gras et les commentaires intercalés, sont de nous-même. Il s’agit d’une part de conforter l’articulation de notre thèse sur des
acquis théoriques ou de recherche ; et d’autre part de signaler la nature de l’inflexion que notre thèse apporte à cette approche théorique.
405 Lire :

- Mongo Beti & Odile Tobner, op. cit.


- Franz Fanon, op. cit.
406 Entre autres références, lire :

- Basil Davidson, 1962, L'Afrique avant les Blancs, PUF, Paris.


- Paul Mercier, 1962, Civilisations du Bénin, éd. Société continentale d'éditions modernes, Paris.
- Léo Frobenius, 1952, Histoire de la civilisation africaine, éd. Gallimard, Paris.
- Olfried Dapper, 1686, Description de l'Afrique, éd. Wolfgang, Waesberge, Boom & Van Someren, Amsterdam.

178
pas moins le produit immédiat de plus de dix siècles des Traites esclavagistes orientale et européenne et de
plus de trois cent ans de colonisation (Mongo Beti & Odile Tobner, 1989; Franz Fanon, 2006, 1961, 1952). En
effet, l’invalidité scientifique de la thèse de “la continuité historique” de l’État ou de l’organisation collective
repose sur trois dimensions fondamentales : la filiation cosmologique et l’identité intellectuelle, l’empreinte de
l’histoire coloniale, les implications contemporaines de l’économie-monde. En d’autres termes, l’approche
dominante de l’Afrique, devenue l’approche exclusive et courante qui développe cette thèse-là présente ainsi
une entorse irréductible à la science, en tant qu’elle nie une double historicité à l’Afrique : une première
l’historicité que nous appellerions originaire dont Doti Bruno Sanou (2014) dit qu’:« Il apparaît de toute
évidence dans l’histoire que toute communauté qui s’organise prend conscience d’elle-même et développe
progressivement des capacités pour trouver des réponses aux problèmes qu’elle affronte. Il n’existe aucune
société qui ne soit organisée et qui n’ait mis en place des garde-fous pour maintenir et promouvoir son
organisation »407;

Et une seconde historicité qui rend compte de cette Afrique qui a émergé et exporté la civilisation, généré et
essaimé de brillantes sociétés partout dans le continent, et dont entre autres témoignages celui par où Pline
l’Ancien affirme que « Sur l’usage du papyrus égyptien reposent toute l’histoire et toute la Civilisation »408.

C’est dans cette démarche critique et de déconstruction du paradigme courant d’analyse de l’Afrique que se
développe notre analyse de l’État africain moderne, dans une approche qui révèle le caractère spécieux et
instrumentalisé des débats qui promeuvent dès les années 1970-1980 l’idée de « la continuité historique et
407 Doti Bruno Sanou, 2014, Politiques environnementales : traditions et coutumes en Afrique noire, éd. L’Harmattan, Paris.
À ce sujet, lire utilement aussi Mbog Bassong, op. cit.
408 Témoin oculaire des processions sacerdotales dont il décrit ci-après le contenu, notamment avec des prêtres portant le coffre ou cercueil d’Osiris

auquel se rattachent la royauté, le sacerdoce, la justice, la médecine, les arts, toutes choses significatives de la “Civilisation” créé par les Égyptiens et
dont parle Pline l’Ancien, Clément d’Alexandrie dit dans Les Stromates (livre écrit vers 193 après J.-C.) :
« C’est le chanteur qui ouvre la marche, portant quelques-uns des attributs de la musique. Il faut, dit-on, qu’il sache par cœur les deux livres
d’Hermès : le premier contient les hymnes des dieux pendant que le second renferme les règles de la vie royale. Après le chanteur s’avance
l’horoscope qui tient dans sa main l’horloge et la palme, symbole de l’astronomie. Il doit connaitre et avoir sans cesse à la bouche les livres
d’Hermès qui traitent de cette science. Ces livres sont au nombre de quatre : le premier disserte sur le système des astres qui paraissent fixes, un
autre sur la rencontre et sur la lumière du soleil et de la lune; les deux derniers sur le lever. Vient en troisième lieu le scribe sacré, ayant des
plumes sur la tête et dans les mains un livre et une règle sur lesquels se trouvent aussi l’encre et le roseau qui lui servent pour écrire. À son tour, il
est tenu de connaitre tout ce qui concerne les hiéroglyphes, la cosmographie, la géographie, le cours du soleil, de la lune et des cinq planètes, la
chorographie de l’Égypte et la description du Nil. Il doit pouvoir décrire les instruments et les ornements sacrés, ainsi que les lieux qui leur sont
destinés, les mesures, et généralement tout ce qui appartient au cérémonial. À la suite des trois personnes dont nous venons de parler, s’avance
celui qu’on nomme l’ordonnateur (le maitre des cérémonies), qui tient une coudée comme attribut de la justice, et un calice pour faire des libations.
Il doit être instruit de tout ce qui regarde le culte des dieux et le sacrifice. Or, il y a dix choses qui embrassent le culte des dieux et toute la religion
égyptienne. Ce sont : les sacrifices, les prémisses ou offrandes, les hymnes, les prières, les pompes, les jours de fête, etc. Enfin, pour terminer la
marche vient le prophète, portant l’aiguière, suivi de ceux qui portent les pains envoyés. Car le prophète est, en outre, chargé chez les Égyptiens
de la distribution des comestibles. Le prophète, en sa qualité de pontife suprême, doit connaitre les dix livres que l’on nomme sacerdotaux. Ces
livres traitent des lois, des dieux et de tout ce qui a rapport à la discipline sacerdotale. Il y a donc quarante-deux livres d’Hermès extrêmement
nécessaires. Trente-six, qui contiennent toute la philosophie égyptienne, sont soigneusement étudiés par ceux dont nous venons de parler. Quant
aux six derniers qui ont trait à la médecine et traitent de la constitution du corps, des maladies, des instruments, des remèdes, des yeux et enfin
des femmes (accouchement, menstrues, etc.), ils sont l’objet de l’étude assidue de ceux qui portent le manteau, c’est-à-dire des médecins ».
Éditions du Cerf, Lyon/Paris, 1951.
Lire :
- Dibombari Mbock, 2013, Kongo. Nouvelles recherches sur les sources négro-africaine de la civilisation appelée égyptienne, éd. Lulu.com .
- [Le propos cité de Pline l’Ancien est rapporté par] Auguste-Émile Egger, 1849, Essai sur l’histoire de la critique chez les Grecs, Libraire A. Durand,
Paris.

179
institutionnelle [ou non] entre l’expérience africaine précoloniale du politique et l’organisation collective
occidentale »409. Pour comprendre définitivement, voici le propos de Harris Memêl Fotê (1997) sur lequel
Mamadou Diouf & Achille Mbembe (1997), Stephen Smith (2003)410 et la dynamique dominante d’analyse de
l’Afrique –à laquelle Daniel Etounga-Manguelle (1991)411 n’a pu non plus résister –s’accordent :
Du point de vue théorique, il est certain que toute institution étrangère ne réussit à avoir une
efficacité à l’intérieur d’une société que par la médiation des autochtones : des autochtones en
tant qu’acteurs, de leur conscience, de leur réinterprétation, leur coopération, par leur
“collaboration” –pour employer un terme colonial. Dans ce sens, toutes les institutions coloniales
ont rencontré, peu ou prou, des interlocuteurs autochtones qui ont participé à leur mise en
œuvre, à leur enracinement, d’une manière ou d’une autre.
On peut prendre l’exemple de l’Administration : déjà, dès la mise en place de la colonisation,
quand ce ne sont pas les autochtones de la colonie, ce sont d’autres autochtones d’une autre
colonie –et donc des Africains –qui sont utilisés pour assurer l’occupation. C’est ainsi qu’est né
le terme générique de Tirailleurs Sénégalais par lequel on désigne tous les Africains utilisés
dans les rangs de l’armée française dès la Guerre de 1914. Ensuite les interprètes. Nous les
rencontrons bien avant la colonisation proprement dite, au moment des “découvertes”
portugaises. Plus tard, dès les premières conquêtes, on utilise les Africains qui sont des
ressortissants de différentes régions culturelles. Ceux qui ont été exportés au Portugal comme
esclaves ou non, ceux sont ceux-là qui servent ensuite à entrer en rapport avec les Africains
indigènes. Un autre exemple : les médecins africains formés dans les écoles coloniales, et qui
sont ensuite utilisés pour les grandes actions de santé publique. Prenons l’économie des
plantations : ce sont les Africains qui, de gré ou de force, cèdent des terres qui,
traditionnellement, ne sont pas aliénables […]
Dans cette dialectique que déploie le système colonial, c’est “l’indigène” qui est “assujetti”; et
c’est “l’indigène assujetti” qui devient, dans une certaine mesure citoyen, mais par une action
d’en-haut, exogène. Parmi les “indigènes”, on fait des “sujets” et parmi les “sujets”, on fait, d’une
fraction, des “citoyens”, une “élite” –c’est-à-dire ce que l’a appelé les “évolués” –par opposition
[aux arriérés, retardés, retardataires ou] “immobiles”.
Ce qu’il y a donc de continu, ce sont les citoyens créés, produits par le système colonial. Ce
sont eux qui vont assurer le passage, la transition de l’État colonial à l’État africain
contemporain. On peut se demander si ce n’est pas par cette origine qu’à leur tour, ils vont
développer l’assujettissement d’une part, et d’autre part l’indigénisation. Il y a, apparemment, un
moment de rupture, dont on peut chercher le sens. C’est le moment du suffrage universel qui va
engager la Loi-cadre dans le système colonial français. Mais c’est un moment de compromis
entre l’État colonial et les masses indigènes412.

C’est la même approche qui fonde la critique souvent arrogante et condescendante de Bertrand Badie qui
semble n’avoir retenu de l’analyse historique qu’une dimension sommaire et caricaturale. C’est ainsi que

409 La thèse de la continuité historique est défendue par les historiens et politologues français et assimilés regroupés notamment dans le Groupement
d’intérêt scientifique pour l’étude de la mondialisation et du développement (GEMDEV), qui parlent de « l’idée d’une importation du modèle de l’État
européen par les Africains, un peu comme l’on importe un produit de contrebande » (Étienne Leroy, 1997, “La formation de l’État en Afrique, entre
indigénisation et inculturation”, in Les avatars de l’État en Afrique, éd. Karthala, Paris.
410 Stephen Smith, 2003, Négrologie. Pourquoi l’Afrique meurt, éd. Calmann-Lévy, Paris.

Cependant, en réponse, les analyses développées dans cet ouvrage ont immédiatement été démontées par :
- Pierre Péan, 2005, Noires fureurs, blancs menteurs, éds. Fayard/Mille et Une nuits, Paris.
- Boubacar Boris Diop, Odile Tobner et François-Xavier Verschave, op. cit.
411 Op. cit.
412 Dans une discussion à trois entre : Harris Memel Fotê, Mamadou Diouf & Achille Mbembe, 1997, “L’état civil de l’État en Afrique”, in GEMDEV, 1997,

Les avatars de l’État en Afrique, éd. Karthala, Paris.

180
comme M. Diouf, H.M. Fotê, A. Mbèmbè, S. Smith et plusieurs autres, B. Badie (1992) martèle que : « Plutôt
que logique de système, la dépendance s’impose donc comme logique interactive. Plutôt que déterminée de
façon intangible par des facteurs qui échappent à toute volonté humaine, elle est perpétuellement créée et
recréée selon des procédures en définitive très proches du modèle clientéliste (…) »413.

Cette approche est parfaitement illustrée par Antoine Glaser (2014) dans son livre, “AfricaFrance. Quand les
dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu”414. Dans le domaine théorique et de la recherche, on la
retrouve également développée chez Rozenn Nakanabo Diallo (2013), notamment quand elle relève dans son
analyse des politiques environnementales mozambicaines que « La fabrique réglementaire se joue à Maputo
[entendu, dans la capitale, loin et en dehors des communautés périphériques d’implémentation], où se
formulent politiques, programmes nationaux et lois –dans un processus d‘ajustements entre représentants de
l‘État et représentants de Bailleurs de fonds. Ces ajustements s‘opèrent dans le cadre de fortes injonctions
internationales, mais nous avons montré qu‘elles pouvaient aller de pair avec un État en conditions de
négocier sa dépendance »415.

Cependant, du point de vue de la critique africaine radicale et de l’approche endogène africaine fondée sur la
tradition d’analyse développée depuis Cheikh Anta Diop (1981, 1967, 1960, 1954)416 et Théophile Obenga
(2012, 2007, 2001, 1996, 1973)417 jusqu’à Mbog Bassong (2016, 2014, 2013, 2012, 2007)418, Felwine Sarr
(2016)419 et plusieurs autres, deux lacunes théoriques majeures invalident l’analyse formulée par Memêl Fotê
–considéré ici comme représentatif du paradigme courant d’analyse de l’Afrique. La première lacune de fond
porte sur la qualité de “citoyens” alléguée aux indigènes par la ruse coloniale. Un examen plus attentif
découvre en effet que l’enjeu colonial dépasse incomparablement ce qui apparait essentiellement comme une
compromission stratégique ou de façade, dans la mesure où en réalité, la cooptation d’un certain nombre
d’indigènes au statut d’élites n’est qu’une médiation : en dépit de leur irruption dans la conduite des appareils
institutionnels et administratifs qui leur ouvre la proximité officielle ou protocolaire des européens, les élites
indigènes ne seront véritablement ni destinées à participer de la source et au contrôle du projet de domination
coloniale, ni à devenir les égaux en nature des colons (Simon Nken, 2014, 2010; Kouna Eloundou, 2012; Marc

413 Op. cit.


414 Antoine Glaser, 2014, AfricaFrance. Quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu, éd. Fayard, Paris.
415 Op. cit.
416 Cheikh Anta Diop, op. cit.
417 Théophile Obenga, 2012, L’État fédéral d'Afrique noire : la seule issue, éd. L’Harmattan, Paris; 2007, Appel à la jeunesse africaine, éd. Ccinia

Communication; 2001, Le sens de la lutte contre l’africanisme eurocentriste, éd. Khepera/L’Harmattan, Paris; 1996, Cheikh Anta Diop, Volney et
le Sphinx. Contribution de Cheikh Anta Diop à l'historiographie mondiale, éd. Présence Africaine, Paris; 1995, Géométrie égyptienne.
Contribution de l’Afrique antique à la Mathématique mondiale, éd. L’Harmattan, Paris; 1993, Origine commune de l’égyptien ancien, du copte et
des langues africaines modernes. Introduction à la linguistique, éd. L’Harmattan, Paris; 1990, La philosophie africaine de la période
pharaonique : 2 780-330 avant notre ère, éd. L’Harmattan, Paris; 1973, L’Afrique dans l’Antiquité (Égypte pharaonique/Afrique noire), éd.
Présence Africaine, Paris.
418 Mbog Bassong, op. cit.
419 Op. cit.

181
Ferro, 2003; Thierry Michalon, 1984; Ferdinand Oyono, 1956; Mongo Beti/Eza Boto, 1989, 1972, 1954;
Félicien Challaye, 1935; etc.)420. Dans une énonciation générale Mbog Bassong (2013) formule une
explication encore plus efficace. Pour le théoricien éthiopien :
Les élites politiques intellectuellement et spirituellement appauvries puis embourgeoisées,
prolongent ainsi les acquis de l’hégémonie coloniale tout en œuvrant pour leur seul horizon de
jouissance individuelle, quitte à compromettre, même de manière définitive, les intérêts
matériels et immatériels de tout le continent. Cooptées pour la plupart dans les réseaux du
pouvoir politique dominant au bénéfice de leur allégeance à l’ordre du capitalisme mondial, ou
alors triées dans le volet du militantisme partisan, les élites se posent encore, plus d’un demi-
siècle après les indépendances politiques, en relais des stratégies d’asservissement. Dans ces
conditions, on ne saurait s’attendre à mieux; la complicité bienveillante et active des grandes
nations dont le souci est cette quête toujours renouvelée d’une jeunesse économique, sert de
paravent au maintien d’une caricature d’État souverain421.

Ce schéma qui s’applique à l’ensemble des territorialités africaines est effectivement identifié au cœur des
politiques environnementales à l’œuvre dans les différents États africains (Symphorien Ongolo & Laura
Brimont, 2015; Hélène Blaszkiewicz, 2014; Rozenn Nakanabo Diallo, 2013; Makhtar Kanté, 2009; Marie Fall,
2006; Gervais Ludovic Itsoua-Madzous, 1997)422. En effet, dans le cas du Mozambique qu’elle a étudié,
Nakanabo Diallo relève que :
Les canons coloniaux en matière de conservation sont repris, en les transposant dans le
contexte de l‘État-parti postcolonial. Il existe à l‘indépendance quatre parcs nationaux, cinq
réserves nationales et douze réserves de chasse. Créés à l‘époque coloniale, principalement au
début du XXème pour les réserves de chasse, et dans les années 1950 et 1960 pour les parcs
nationaux et les réserves nationales, ces aires protégées sont vouées à la conservation, au
sens de protection de la faune et de la flore au sein d‘espaces délimités sur le territoire. Cette
gestion de la nature sous forme d‘aires de conservation reprend l‘idée de barrière entre l‘homme
et la nature –selon le schème occidental naturaliste des relations homme/nature (Descola,
2005). Elle réserve la préservation des ressources naturelles (avant tout faunistiques) au

420 Lire :
- Marc Ferro (dir.), 2003, Le livre noir du colonialisme. XVIème-XXIème siècles : de l'extermination à la repentance, éd. Robert Laffont, Paris.
- Ferdinand Oyono, op. cit.
- Mongo Beti/Eza Boto, (1989, avec Odile Tobner), Dictionnaire de la négritude, éd. L’Harmattan, Paris; 1972, Main basse sur le Cameroun, éd.
Maspero, Paris; 1954, Ville cruelle, éd. Présence Africaine, Paris.
- Félicien Challaye, 1998 (1935), Un livre noir du colonialisme. Souvenirs sur la colonisation, Éd. Les Nuits Rouges, Paris.
421 Op. cit.
422 Lire :

- Hélène Blaszkiewicz, op. cit.;


- Rozenn Nakanabo Diallo, 2015, “Sustainability and politics: experiences from Mozambique” (Post 2015-Everything Better? African perspectives on
Global Challenges), in AfricAvenir International; 2013, op. cit.
- Makhtar Kanté, 2009, “Décentralisation, gouvernance forestière et démocratie au Sénégal : y a-t-il un avant et un après 1996?”, in Vertigo, Hors-série
6.
- Marie Fall, 2006, Dynamique des acteurs, conflits et modes de résolution pour une gestion durable des ressources naturelles dans la réserve
de biosphère du Delta du Saloum (Sénégal), Thèse de doctorat de géographie, Université de Montréal.
- Gervais Ludovic Itsoua-Madzous, 1997, Les activités prédatrices et le devenir de la forêt de la Lékoumou (Congo-Brazzaville). Cas de
l’exploitation forestière dans les Unités forestières d’aménagement (UFA) Sud 10 et Sud 11, Mémoire de Maitrise en Géographie physique,
Université Marien-Ngouabi, Brazzaville.
Lire éventuellement aussi ce petit billet sur l’exploitation forestière au Congo-Brazzaville, intitulé “Gestion de la forêt congolaise. Interminable polémique
sur l’exploitation de la forêt congolaise” (http://www.congopage.com/?page=imprimersans&id_article=4962).

182
bénéfice de quelques-uns –les chasseurs de l‘élite coloniale et plus généralement des touristes
internationaux423.

Une indication importante. Tout au long de ce texte, nous parlons souvent indifféremment de l’Afrique et du
Cameroun, en confondant les deux entités. Nous avons spécifiquement traité de cette identité dans un livre
récemment paru424, et la présente thèse ne constitue certainement pas le cadre approprié pour discuter de
cette problématique fondamentale qui se trouve au cœur de l’enjeu existentiel de reconfiguration endogène de
la territorialité politique africaine. Aussi nous limiterons-nous ici à indiquer qu’en tant qu’elle procède de
l’approche critique de l’histoire et de la philosophie de l’histoire, cette identité représente l’une des bases
intellectuelles les plus probantes permettant de décadenasser le verrou intellectuel sur lequel se construit
l’incarcération définitive de l’Afrique (Felwine Sarr, 2016; José Do Nascimento, 2008; Ismaël Aboubacar
Yenikoye, 2007; Thomas Callaghy, 2002, 1993, 1987) et par conséquent la fragilité structurelle permanente et
endémique sur laquelle se construisent la connaissance opératoire et le paradigme dominant d’analyse de
l’Afrique. Dans une perspective macchémologique, nous pensons que l’intention sur laquelle la Conférence de
Berlin (1884-1885) fut organisée ainsi que les implications radicalement déstructurantes qui découlent de la
violence subie de l’éclatement arbitraire de l’Afrique en micro-États non-viables qui font le lit de toutes sortes
de contradictions et de fragilités existentielles (intellectuelles, institutionnelles, géopolitiques) constitue un
paramètre central dans toute analyse concernée de l’État africain moderne et par conséquent des
dysfonctionnements qu’il manifeste.

Au-delà de spécificités somme toute artificielles et non-décisives que l’on voudra trouver pour identifier des
différences factices consécutives à la démarche coloniale de substantialisation des micro-territorialités,
l’identité du Cameroun et de l’Afrique est éprouvée autant par les sciences historique et anthropologique
(Mbog Bassong, 2016, 2013; Dieudonné Toukam, 2016; Omotunde, 2015, 2014; Dibombari Mbock, 2014,
2013; Théophile Obenga, 2012, 2007, 1993, 1973; Mubabinge Bilolo, 2011, 2004; Oscar Pfouma, 2004;
Amadou Hampâté Bâ, 1994; Cheikh Anta Diop, 1977, 1960; Maurice Delafosse, 1901; etc.)425 et l’analyse

423 Op. cit.


424 Georges Boniface Nlénd V, 2018, Urgence d’État fédéral et nécessité d’un leadership authentique en Afrique : une approche décisive pour
déverrouiller la réflexivité bloquée et amorcer la Renaissance, éd. MeduNeter/Librairie Taméry, Paris.
425 Lire entre autres :

- Mbog Bassong, op. cit.


- Dieudonné Toukam, 2016 (Nouvelle édition, revue et augmentée), Histoire et anthropologie du peuple bamiléké, éd. L’Harmattan-Cameroun,
Yaoundé.
- Omotunde, 2015, Prières et Hymnes de nos ancêtres Kamits, éd. Anyjart, Baie-Mahault; 2015, Cosmogénèse kamite, éd. Anyjart, Baie-Mahault;
2014, L’Afrique noire : Initiatrice des législateurs antiques, éd. Anyjart, Baie-Mahault.
- Dibombari Mbock, op. cit.
- Théophile Obenga, op. cit
- Mubabinge Bilolo, 2011, Vers un dictionnaire cikam-copte-luba. Bantuïté du vocabulaire égyptien-copte dans les essais de Homburger et
d'Obenga, éd. Publications universitaires africaines/African University Studies, Kinshasa/Munich; 2007, Percées de l’éthique écologique en Égypte
du -IIIème millénaire, éd. Publications universitaires africaines/African University Studies, Munich/Kinshasa; 2004 (1986), Les cosmo-théologies
philosophiques de l’Égypte antique. Problématiques, prémisses, herméneutique et problèmes majeurs, éd. Menaibuc, Paris.

183
géopolitique globale, que par l’économie politique des ressources naturelles et énergétiques. Dans un
exercice intéressant, Greenpeace International (2007) élabore un édifiant parallèle entre le Cameroun et la
République démocratique du Congo, notamment quant aux enjeux, implications et perspectives mobilisés par
les réformes du secteur forestier dans les deux États :
En République démocratique du Congo, la forêt appartient aussi à l'État. Aucun processus de
zonage n'est en place, à l'exception de quelques projets pilotes. En 2005, dans le cadre du
développement d’un de ces projets pilote, des ONG congolaises ont introduit une plainte auprès
du panel d'inspection de la Banque Mondiale pour demander une enquête sur le respect de ses
politiques de sauvegarde en matière de respect des peuples indigènes. Ces ONG craignent que
les droits des populations riveraines soient ignorés au profit des forestiers. Jugée recevable,
cette plainte est actuellement à l'étude. Cependant, tout indique actuellement que l'exploitation
industrielle du bois en RDC sortira gagnante du processus de révision de la légalité des titres
forestiers en cours, titres qui concernent plus de 20 millions d'hectares! Et légaliser ces titres
forestiers provoquerait, comme au Cameroun, un zonage de facto à grande échelle avant même
que les communautés n'aient été consultées. À l'heure actuelle, en RDC, la coupe n'est
soumise à aucun plan d'aménagement. Si le nouveau Code forestier rend de tels plans
obligatoires, il est probable qu’ils soient encore moins contraignants qu'au Cameroun.
Dans ce contexte, on ne peut que s’étonner que les agences de développement françaises et
allemandes aient l'intention de soutenir financièrement les sociétés forestières dans la
préparation de leurs plans. Compte tenu des carences institutionnelles et de l'absence d'un
processus de zonage transparent et concerté entre tous les acteurs, ce soutien financier n'est
certainement pas la manière la plus efficace d'utiliser les fonds publics. Il tient plutôt de
l'exercice de “désinformation écologique” de la part des gouvernements concernés. En RDC,
l’attribution des titres forestiers par appel d'offres n'a pas encore été utilisée. Plus de 20 millions
d'hectares, répartis en 156 titres, ont été attribués par le biais de procédures de gré à gré. Plus
de la moitié de ces titres ont vraisemblablement été attribués, échangés ou renouvelés en
violation du moratoire sur l'attribution de nouveaux titres forestiers instauré en mai 2002. En
octobre 2005, la Banque Mondiale a usé de son influence politique pour inciter le président
Kabila à signer un décret mettant sur pied une révision de la légalité des 156 titres existants.
Comme au Cameroun, c'est une Commission interministérielle qui doit décider de la conversion
ou non des titres en concessions à long terme. Le processus est également supervisé par un
Observateur indépendant.
Au vu de l'expérience au Cameroun, Greenpeace craint que la Banque Mondiale, bien qu'elle
soit l’initiatrice et le moteur de cette réforme, ne se contente des résultats faussés d'un
processus de révision de la légalité à l'issue décevante. Les interférences politiques et la
corruption au sein de la Commission interministérielle représentent des risques considérables,
susceptibles de saper les résultats du processus. Les taxes de superficie introduites par le
nouveau Code forestier en RDC doivent en théorie être redistribuées au niveau local : 25% pour
les Provinces et 15% pour les “Territoires”. La législation spécifie également que ces taxes
doivent être affectées exclusivement à des investissements dans des infrastructures au bénéfice
des communautés locales. Les recherches menées par Greenpeace indiquent, et ce n'est pas

- Oscar Pfouma, 2004, Les Larmes du Soleil. Traduction et commentaire critique de trois Textes des Sarcophages égyptiens, éd. Menaibuc,
Paris; 2000, L'harmonie du monde. Anthropologie culturelle des couleurs et des sons en Afrique depuis l'Égypte ancienne, éd. Menaibuc,
Paris; 1996, Le nègre de Velasquez et le miroir de l'histoire, éd. Publisud, Paris; 1993, Histoire culturelle de l’Afrique noire, éd. Publisud, Paris.
- Amadou Hampâté Bâ, 1994, Contes initiatiques peuls, éd. Stock, Paris.
- Cheikh Anta Diop, 1960, L'unité culturelle de l'Afrique noire. Domaines du patriarcat et du matriarcat dans l'Antiquité classique, éd. Présence
Africaine, Paris; 1977, Parenté génétique de l'égyptien pharaonique et des langues négro-africaines, éd. Présence africaine, Paris.
- Maurice Delafosse, 1922, Les Noirs de l’Afrique. Avec 4 cartes, Éd. Payot et Cie, Paris; 1901, Sur des traces probables de civilisation
égyptienne et d'hommes de race blanche à la Côte d'Ivoire, Éd. Masson et Cie, Paris.

184
une surprise, qu'à ce jour, les administrations locales n'ont pas reçu d'argent des taxes, alors
que les sociétés forestières prétendent les payer depuis des années.
Greenpeace craint que comme au Cameroun, la fraude, la corruption et le détournement des
fonds publics ne se répandent dans le secteur forestier en RDC et qu'ils n'y plombent également
le processus de réforme entamé. En RDC, le Code forestier de 2002 prévoit aussi des forêts
communautaires, mais un décret d'application manque toujours. Là encore, le risque est bien
réel que les forêts communautaires ouvrent la porte à l'exploitation industrielle du bois. La
superficie et la durée des permis de foresterie communautaire restent à définir et la question de
savoir si elles ne pourront être attribuées que dans les zones forestières “non-permanentes”,
comme au Cameroun, reste en suspens.
Les leçons à tirer du Cameroun sont claires : la réforme du secteur forestier en République
démocratique du Congo telle qu’elle est prônée par la Banque Mondiale a beaucoup de chances
d'échouer ou, au mieux, d'avoir un impact très limité. Intérêts matériels, corruption et collusion
entre régime politique, intérêts privés et bailleurs de fonds auront vraisemblablement une
influence bien plus prononcée sur les pratiques du secteur que les quelques mesures et garde-
fous proposés pour l'assainir. Les Bailleurs de fonds finançant à hauteur de 60% le budget de
l'État congolais, la communauté internationale détient à la fois le pouvoir et la responsabilité de
faire en sorte que les erreurs du Cameroun ne soient pas répétées426.

Dès lors, pour bien comprendre la structure paradigmatique à partir de laquelle nait l’intention coloniale, sur
laquelle se construisent, se déploient et se cristallisent le rapport colonial et –à une échelle plus englobante –
du rapport intellectuel opératoire à l’Afrique, il conviendrait –ainsi que le suggère Jean-Claude Abada Medjo
(2015)427 –de retrouver le discours que prononça Victor Hugo dans la seconde moitié du XIXème siècle lors
d’un banquet célébrant l’abolition de l’esclavage. Commentant cet évènement fondateur de la philosophie
coloniale, Le Monde diplomatique (2009) rappelle que « Victor Hugo y voyait dans l’Afrique un univers ignoré
et barbare auquel l’Europe, si elle voulait devenir un nouveau monde, se devait d’apporter la civilisation. Ce
banquet commémoratif présidé par Victor Hugo, réunissait chez Bonvalet, près de 120 convives. Ce jour-là,
Hugo avait à sa droite Victor Schœlcher et Emmanuel Arago, et à sa gauche, Adolphe Crémieux et Jules
Simon. On remarquait dans l’assistance des sénateurs, des députés, des journalistes, des artistes… »428.

Ce fût l’occasion pour le poète du haut de son immense légitimité intellectuelle de formuler cette déclaration
majeure et de pontifier :
Quant à nous [l’élite française et européenne], puisque nous sommes de simples chercheurs du
vrai, puisque nous sommes des songeurs, des écrivains, des philosophes attentifs; puisque
nous sommes assemblés ici autour d’une pensée unique, l’amélioration de la race humaine;
puisque nous sommes, en un mot, des hommes passionnément occupés de ce grand sujet,

426 Greenpeace International, 2007, “Réforme du secteur forestier : Échec au Cameroun, pillage annoncé en RDC”, in Bulletin de l’exploitation
industrielle des forêts tropicales, février 2007 (http://www.greenpeace.org/belgium/Global/belgium/report/2007/2/lecons-cameroun.pdf).
427 Jean-Claude Abada Medjo, 2015, Discours sur l’Afrique. Les représentations sur l’Afrique dans les discours de Hugo, Sarkozy et Obama,

Éditions des Archives contemporaines, Paris.


428 Le Monde diplomatique, octobre-novembre 2009, dans un dossier intitulé “L’Afrique, avenir de l’Europe” et consacré au fameux discours

impérialiste et colonial de Victor Hugo du 18 mai 1879.

185
l’homme, profitons de notre rencontre, fixons nos yeux vers l’avenir; demandons-nous ce que
fera le vingtième siècle.
Le moment est venu de donner au vieux monde cet avertissement : il faut être un nouveau
monde; le moment est venu de dire aux quatre nations d’où sort l’histoire moderne, la Grèce,
l’Italie, l’Espagne et la France, qu’elles sont toujours là, que leur mission s’est modifiée sans la
transformer, qu’elles ont toujours la même situation responsable et souveraine au bord de la
Méditerranée, et que, si on ajoute un cinquième peuple, celui qui a été perçu (entrevu) par
Virgile, et qui s’est montré digne de ce grand regard : l’Angleterre, on a à peu près tout l’effort de
l’antique genre humain vers le travail, qui est le progrès, et vers l’unité qui est la vie.
La Méditerranée est un lac de civilisation, ce n’est certes pas pour rien que la Méditerranée a
sur l’un de ses bords le vieil univers et sur l’autre l’univers ignoré, c’est-à-dire d’un côté toute la
civilisation et de l’autre toute la barbarie. Le moment est venu de dire à ce groupe illustre de
nations : Unissez-vous allez au sud!
Où les rois apporteraient la guerre, apportez la concorde. Prenez-la, non pour le canon, mais
pour la charrue, non pour le sabre mais pour le commerce, non pour la bataille mais pour
l’industrie, non pour la conquête, mais pour la fraternité. Versez votre trop-plein dans cette
Afrique, et du même coup, résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en
propriétaires!
Allez, faites des routes, faites des ports, faites des villes, croissez, cultivez, multipliez, et que sur
cette terre, de plus en plus dégagée des prêtres et des princes, l’esprit divin s’affirme par la
paix, et l’esprit humain par la liberté!429.

Jean-Pierre Paulhac (2011) souligne dans l’étude qu’il en faite, que :


Cette allocution fut saluée par une énorme salve d’applaudissements, soulignée de cris
enthousiastes tels que : “Vive Victor Hugo!”, “Vive la République!”
[Et pour rappeler le caractère déterminant des implications que va mobiliser cet évènement
historique, Paulhac relève l’enthousiasme que le discours du poète suscita auprès du public et
particulièrement de son ami de longue date, Victor Schœlcher qui ne se retînt pas de l’appuyer
en déclarant que :]
La cause des nègres que nous soutenons et envers lesquels les nations chrétiennes ont tant à
se reprocher, devait avoir votre sympathie; nous vous sommes reconnaissants de l’attester par
votre présence au milieu de nous”. Puis il évoque toute la force de la voix de Victor Hugo
susceptible de “porter la lumière à des populations encore dans l’enfance, et leur enseigner la
liberté, l’horreur de l’esclavage, avec la conscience réveillée de la dignité humaine; votre parole
Victor Hugo, aura puissance de civilisation; elle aidera ce magnifique mouvement
philanthropique qui semble, en tournant aujourd’hui l’intérêt de l’Europe vers le pays des
hommes noirs, vouloir y réparer le mal qu’elle lui a fait. Ce mouvement sera une gloire de plus
pour le dix-neuvième siècle, ce siècle qui vous a vu naître, qui a établi la république en France
et qui ne finira pas sans voir proclamer la fraternité de toutes les races humaines430.

À la suite de Bossuet (1689), David Hume (1742), Montesquieu (1748), Voltaire (1756), Emmanuel Kant
(1764), Georges Cuvier (1817), Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1822), Julien Joseph Virey (1827), Alfred

429 Victor Hugo, 18 mai 1879, Discours sur l’Afrique (http://ferbos.jeanfrancois.free.fr/psychanalyse-et-creation/IMG/pdf/texte-de-victor-hugo_.pdf). Au


besoin, référer utilement aussi à :
Le Nouvel Observateur, 2012, Dossier consacré à “La colonisation : un détail de l’histoire? (la France, Victor Hugo, Jules Ferry)”, édition numérique du
20 mai 2012 (http://lafranceetlhommeafricain.blogs.nouvelobs.com/tag/victor+hugo+colonisation).
430 Jean-Pierre Paulhac, 2011, “Victor Hugo et l’Afrique, ou la naïveté civilisationnelle”, in I&M, Bulletin n°29.

186
Michiels (1853), Joseph Arthur de Gobineau (1853), Raphael Blanchard (1860), et après eux, Ernest Renan
(1882), Jules Ferry (1885), Joseph Teilhard de Chardin (1889), Paul Topinard (1895), Lucien Lévy-Bruhl
(1922), André Gauthier Walter (1951), Albert Schweitzer (1952), Le Père J. Prat (1941), etc., cet appel de
Victor Hugo cristallise le prisme à partir duquel l’Afrique est introduite dans la modernité contemporaine,
autrement dit, l’infrastructure primordiale sur laquelle se noue le consensus intellectuel européen, universel et
actuel sur l’Afrique –qui autorise Prat (1941) à affirmer que : « J'ai prouvé que les langues bantoues viennent
de la langue latine. J'ai montré qu'elles ont été créées de toutes pièces par des lettrés blancs à l'usage des
pauvres noirs. La langue latine était trop compliquée pour des bouches nègres. C'est pourquoi on fit la charité
à ces pauvres gens de la leur simplifier. Chaque tribu a sa langue propre »431;

Et que résume parfaitement ici Antoine Glaser & Stephen Smith (1994) : « Comme dans la chanson de Jean
Ferrat (1972), “À moi l’Afrique”, pendant longtemps en France, “J’aime l’Afrique” fut un credo banal. On aimait
ce continent dont on disait souvent, aussi, que c’était “un beau pays”, attachant, certes “sauvage”, mais,
finalement, peuplé de gens un peu comme nous, francophones, et en tout cas, “très gentils” »432.

C’est à partir de là que se comprennent indifféremment, contre tous les faits et contre toute la science
historique, l’image schématique instrumentale ainsi que le rapport infantilisant, condescendant et paternaliste
que l’on a de l’Afrique; la logique de falsification de l’histoire et d’évacuation de l’Afrique de l’histoire
(Omotunde, 2015-2000; Dibombari Mbock, 2015, 2013; Mawuna Koutonin, 2014; Runoko Rashidi, 2013,
2012; Robin Walker, 2011, 2008, 2006; David Imhotep, 2011; Molefi Kete Asante, 2007; Mubabinge Bilolo,
2007; Yoporeka Somet, 2005; Doumbi-Fakoly, 2004; Filippo Pigafetta & Duarte Lopes, 2002; Théophile
Obenga, 1995, 1990; John Henrik Clarke, 1994; Cheikh Anta Diop, 1981; Ivan Van Sertima, 1976; Chancellor
James Williams, 1974; Richard W. Hull, 1972; Ben Jochannan, 1971; Thor Heyerdhal, 1970; Basil Davidson,
1962; Paul Mercier, 1962; George G. M. James, 1954; Leo Frobenius, 1952; Olfried Dapper, 1686; etc.); la
mise en route en France d’une Loi sur “le rôle positif de la colonisation” (Louise Marie Maes, 1996)433; le refus
radical de l’idée d’indemnisation du crime des razzias négrières transatlantiques et de l’esclavage; etc. C’est
ainsi que si hier, Victor Hugo a repris Hegel et De Gobineau, aujourd’hui encore l’élite politique européenne
reprend Victor Hugo comme naturellement, presque mot pour mot (Olivier Pironet, 2007)434. En effet, le 26
juillet 2007, Nicolas Sarkozy alors chef de l’État français, fît un discours solennel à Dakar dans lequel il exclut
l’Afrique de l’Histoire :

431 Le Père J. Prat, 1941, Les langues nitales. D’où viennent les langues préfixales dites langues bantoues? Elles viennent de la langue latine,
éd. Bagnères-de-Bigorre, Les éditions pérénéennes, Strasbourg.
432 Stephen Smith & Antoine Glaser, 1993, L'Afrique sans Africains. Le rêve blanc du continent noir, éd. Stock, Paris

(http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4814520q/f11.image).
433 Louise Marie Maes-Diop, 1996, Afrique noire. Démographie, sol et histoire, éd. Présence Africaine, Paris.
434 Lire Olivier Pironet, 2007, “Les sources hégéliennes du discours de Nicolas Sarkozy à Dakar. Le philosophe et le président : une certaine vision de

l’Afrique”, in Le Monde diplomatique, édition de novembre 2007 (https://www.monde-diplomatique.fr/2007/11/PIRONET/15274).

187
Le drame de l'Afrique, dit-il, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le
paysan africain ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition
sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence
toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès. Dans cet univers
où la nature commande tout, l'homme échappe à l'angoisse de l'histoire qui tenaille l'homme
moderne mais l'homme reste immobile au milieu d'un ordre immuable où tout semble être écrit
d'avance. Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la
répétition pour s'inventer un destin. Le problème de l'Afrique et permettez à un ami de l'Afrique
de le dire, il est là. Le défi de l'Afrique, c'est d'entrer davantage dans l'histoire. Le problème de
l'Afrique, c'est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de
l'éternel retour car l'Afrique a le droit au bonheur comme tous les autres continents du monde435.

Dix ans plus tard, François Fillon, un autre homme politique français, candidat de tout premier rang à l’élection
présidentielle de 2017, dira : « La France n'a pas inventé l'esclavage. Faire douter de notre histoire, cette
démarche d’instruction est honteuse! La France, c'est quinze siècle d'histoire depuis le baptême de Clovis à
Reims. Non, la France n'est pas coupable d'avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d'Afrique, d'Asie
et d'Amérique du Nord! »436.

Il en découle que les “citoyens” dont parle Memêl Fotê ne sont ni plus ni moins que des épouvantails
instrumentalisés pour faire office de simples mandataires et procureurs destinés à légitimer localement par
leur indigénéité un projet colonial dont il est utile de rappeler qu’il est radical et définitif (Georges Boniface
Nlénd V, 2017; Noam Chomsky, 2005, 1995; Antoine Glaser, 2016; Bernard Lugan, 2011, 2006, 2003)437, à
consolider l’ancrage du contrôle et de la domination coloniale, à poursuivre un projet devant rester tout entier
sous le contrôle total de l’intention coloniale de confinement, d’incarcération, de contrôle et de domination
(Harana Paré, 2017438; Thomas Deltombe et al, 2016, 2011; Jean-Pierre Bat & Pascal Airault, 2016; Jean-
Pierre Bat, 2015; Bernard Lugan, 2015, 2011, 2006, 2003; Simon Nkén, 2014; Antoine Glaser, 2014; Pierre
Péan, 2014, 2010, 2005, 1988, 1983; François Mattei, 2014; Thomas Callaghy, 2011; Charles Onana, 2013,
2011; Mubabinge Bilolo, 2011; Patrick Benquet, 2010; Patrick Pesnot & Monsieur X, 2008; Ismaël Aboubacar
Yenikoye, 2007; Pierre Laniray, 2006; Boubacar Boris Diop, Odile Tobner et François-Xavier Verschave, 2005;
François-Xavier Verschave, 2005, 1998; Mongo Beti & Odile Tobner, 1989; Jean Ziegler, 1985, 1978; Jean
Suret-Canale, 1980; Mongo Beti, 1972; Ferdinand Oyono, 1956).

435 En réponse, plusieurs ouvrages seront publiés pour dénoncer cette entorse faite contre l’histoire et la science historique. Lire entre autres :
- Makhily Gassama (dir.), 2008, L’Afrique répond à Sarkozy. Contre le discours de Dakar, éd. Philippe Rey, Paris, 2008.
- Le Monde Afrique, “Le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy. L'intégralité du discours du président de la République”, édition du 9 novembre 2007
(http://www.lemonde.fr/afrique/article/2007/11/09/le-discours-de-dakar_976786_3212.html).
436 François Fillon formule cette déclaration à l’occasion d’un meeting organisé le 28 août 2016 à Sablé-sur-Sarthe, dans le cadre de sa campagne

électorale pour l’élection présidentielle française.


437 Lire:

Bernard Lugan, 2015, Osons dire la vérité à l’Afrique, éd. du Rocher, Monaco; 2011, Décolonisez l’Afrique!, éd. Ellipses M., Paris; 2006, Pour en
finir avec la colonisation, éd. du Rocher, Monaco; 2003, God Bless Africa. Contre la mort programmée du Continent noir, éd. Carnot, Chatou.
438 Lire Harana Paré, 2017, “Conflit et génocide rwandais. La République française est-elle totalement compromise?”

(https://francais.rt.com/opinions/40367-conflit-genocide-rwandais-republique-francaise-est-elle-totalement-compromise).

188
La deuxième lacune tout aussi de fond porte sur la nature même des éléments que mobilise Memêl Fotê pour
constituer la substance de l’argument qui attesterait aussi bien de la “continuité que de la “composition” que
Stephen Smith (2003) appelle également dans le même registre d’analyse le “suicide assisté”439. Que ce soit
par leur action et leur contribution, ou que ce soit par leurs positions ou leurs statuts, l’argumentaire par lequel
Memêl Fotê démontre la collaboration des Africains à la colonisation européenne de l’Afrique et à partir duquel
il déduit logiquement la paternité africaine de l’État indépendant moderne postcolonial se construit tout entier
sur des éléments essentiellement artificiels et superficiels de forme liés à la charpente du système colonial
ainsi qu’aux seules dimensions d’opérationnalisation. Pas un seul élément ne porte ni sur l’agence des
Africains à la dimension intellectuelle ou leur participation à l’élaboration de la dimension philosophique, ni sur
leur implication dans les instances de planification stratégique du projet colonial. Pas un seul élément probant
dans la démonstration n’indique une quelconque dynamique intellectuelle et politique indigène dont on dirait
qu’elle serait rentrée volontairement, en toute authenticité et dans les conditions d’égalité de forces en contact
et en négociation avec le projet colonial pour que de cette rencontre qu’on supposerait sereine et concertée ne
sortent le système colonial et par la suite l’État africain postcolonial (Boubacar Boris Diop, Odile Tobner et
François-Xavier Verschave, 2005; Pierre Péan, 2005)440.

De même, quand on regarde le caractère arbitraire –en ce qu’ils sont essentiellement fondés sur la
souscription aux intérêts dominants coloniaux –des modes de désignation et de cooptation des élites
politiques, administratives et économiques qui héritent de l’Administration coloniale européenne (Simon Nken,
2014; Harris Memêl Fotê et al, 1997), quand on regarde le sort dramatique qui a systématiquement été
réservé aux résistances indigènes et nationalistes à la domination coloniale (assassinats, bannissements,
confinements, ostracisations, etc.), toutes choses qui confirment parfaitement l’explication que nous formulons
d’un projet colonial radical, totalitaire et définitif destiné à rester tout entier sous le contrôle total, immédiat et
permanent de l’intention coloniale de confinement, d’incarcération, de contrôle et de domination (Harana Paré,
2017; Antoine Glaser et Stephen Smith, 2016, 2014, 2008, 2005, 1997, 1994, 1993; Bernard Lugan, 2015,
2011, 2006, 2003; François Mattei, 2014; Charles Onana, 2013, 2011)441, l’hypothèse de “l’appropriation”

439 Stephen Smith, 2003, Négrologie. Pourquoi l’Afrique meurt, éd. Calmann-Lévy, Paris.
Cependant, en réponse, les analyses développées dans cet ouvrage ont immédiatement été démontées par :
- Pierre Péan, 2005, Noires fureurs, blancs menteurs, éds. Fayard/Mille et Une nuits, Paris.
- Boubacar Boris Diop, Odile Tobner et François-Xavier Verschave, op. cit.
440 Les deux ouvrages sont ci-dessus indiqués.
441 Lire :

- Harana Paré, 2017, “Conflit et génocide rwandais. La République française est-elle totalement compromise?” (https://francais.rt.com/opinions/40367-
conflit-genocide-rwandais-republique-francaise-est-elle-totalement-compromise).
- Antoine Glaser, 2016, Arrogant comme un français en Afrique, éd. Fayard, Paris; 2014, AfricaFrance. Quand les dirigeants africains
deviennent les maîtres du jeu, éd. Fayard, Paris.
- Stephen Smith & Antoine Glaser, 2008, Sarko en Afrique, éd. Plon, Paris; 2005, Comment la France a perdu l'Afrique, éd. Calmann-Lévy, Paris;
1997, Ces messieurs Afrique 2. Des réseaux aux lobbies, éd. Calmann-Lévy, Paris; 1994, Ces messieurs Afrique. Le Paris-Village du continent
noir, éd. Calmann-Lévy, Paris; 1993, L'Afrique sans Africains. Le rêve blanc du continent noir, éd. Stock, Paris.

189
locale ou indigène ou de “la continuité historique” devient irrévocablement peu plausible. Tel est, pensons-
nous, l’énonciation qui aboutit rigoureusement les promesses théoriques que Diouf, Fotê & Mbèmbè (1997)
ont pourtant clairement avancées, notamment quand le premier rappelle avec pertinence le régime juridique et
le statut de non-citoyen auquel l’indigène a été confiné à la fondation de la collectivité politique moderne en
Afrique : « Dans l’État colonial, l’indigène, c’est celui qui est soumis au Code de l’indigénat. Il n’a aucun droit à
l’action. Comme on disait à l’époque, il est taillable et corvéable à merci. Il est soumis à l’arbitraire le plus
absolu du Commandant de cercle. Il peut être emprisonné sans jugement. Il n’a pas le droit de témoigner.
C’est quelqu’un qui est délesté de tous les attributs qui font un citoyen »442.

Sans que ces trois chercheurs ne soient capables d’en développer les implications théoriques les plus
radicales, probablement à cause d’un déficit d’ordre méthodologique.

Il n’est pas non plus nécessaire de référer aux modalités du rapport géopolitique que la France a entretenu
avec l’Afrique depuis 1960, ni à l’expérience dite de la “Françafrique” (Thomas Deltombe et al, 2016, 2011;
Jean-Pierre Bat & Pascal Airault, 2016; Jean-Pierre Bat, 2015; Antoine Glaser, 2016, 2014; Pierre Péan, 2014,
2010, 2005, 1988, 1983; François Mattei, 2014; Charles Onana, 2013, 2011; Patrick Benquet, 2010; Patrick
Pesnot & Monsieur X, 2008; Stephen Smith & Antoine Glaser, 2008, 2005, 1997, 1994; Pierre Laniray, 2006;
Boubacar Boris Diop, Odile Tobner et François-Xavier Verschave, 2005; François-Xavier Verschave, 2005,
1998; Philippe Marchesin, 1995; Mongo Beti & Odile Tobner, 1989; Mongo Beti, 1972; etc.)443 –significative de
l’action interférente et de l’influence prégnante de la France en Afrique ces soixante dernières années –pour
convenir avec Joseph Ki-Zerbo (2003)444 ou Achille Mbembe (2010)445, Bernard Lugan (2011, 2006)446 ou
Stanislas Spero Adotevi (1972)447 et bien d’autres théoriciens, de ce que les indépendances proclamées des
territoires africains furent des “simulacres d’indépendances”, autrement dit de simples subterfuges de
solennité par lesquels la France, ayant inspiré, instruit et construit les institutions, signé divers accords et
ententes secrets, choisi les élites, mis en place tous les outils de contrôle de l’économie et de l’éducation, et
installé le système de sécurité, etc., garda la maitrise totale du destin des États dits indépendants. Abordant

442 In Mamadou Diouf, Harris Memêl Fotê et Achille Mbembe, op. cit.
443 Lire :
- Patrick Benquet, 2010, [Document vidéo] Françafrique. 50 ans sous le sceau du secret, production Compagnie des phares & balises, Paris; avec
Le Nouvel Observateur et France2 (https://www.youtube.com/watch?v=_G1VocQvSJw ou https://vimeo.com/135618093).
- François-Xavier Verschave, 1998, La Françafrique. Le plus long scandale de la République, éd. Stock, Paris.
444 Joseph Ki-Zerbo, 2008, Histoire critique de l’Afrique, éd. Panafrika/Silex/Nouvelles du Sud, Dakar; 2003, À quand l’Afrique? Entretien avec

René Holenstein, Éditions d’en bas, Lausanne; 1972, Histoire critique de l’Afrique, éd. Hatier, Paris.
445 Achille Mbembe, 2010, Sortir de La grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, éd. La Découverte, Paris; 2000, De la postcolonie. Essai sur

l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, éd. Karthala, Paris; 1996, La naissance du maquis dans le Sud-Cameroun (1920-1960).
Histoire des usages de la raison en colonie, éd. Karthala, Paris; 1988, Afriques indociles. Christianisme, pouvoir et État en société
postcoloniale, éd. Karthala, Paris.
446 Bernard Lugan, 2011, Décolonisez l’Afrique!, éd. Ellipses M., Paris; 2006, Pour en finir avec la colonisation, éd. du Rocher, Monaco; 2003, God

Bless Africa. Contre la mort programmée du Continent noir, éd. Carnot, Chatou.
447 - Stanislas Spero Adotevi, 1998 (1972), Négritude et Négrologues, éd. Le Castor Astral, Paris.

190
l’ambiguïté des indépendances acquises par les nouveaux États africains, Achille Mbembe suggérait déjà en
1997 que « L’on se pose également la question de savoir s’il y a vraiment une différence de qualité entre la
période coloniale formelle et la période post-indépendance qui suivit. A-t-on véritablement changé d’époque,
ou s’agit-il du même théâtre, des mêmes jeux mimétiques et des mêmes spectateurs, des mêmes convulsions
et de la même injure? Dans ce cas, peut-on vraiment parler de dépassement? Autrement dit, l’indigène n’est-il
qu’une catégorie coloniale? Ne fait-il pas également partie de l’alphabet postcolonial? »448.

C’est dans cette perspective que l’on apprend avec un grand intérêt auprès de Pierre-Flambeau Ngayap
(1983) qu’« Au cours de la première décennie de l'indépendance, les conseillers techniques de la Présidence
de la République sous Ahmadou Ahidjo –premier chef de l’État du Cameroun –étaient en majorité un
personnel de l'Assistance/Coopération technique française : MM. Rousseau et Domissy en 1960, M. Bescond
en 1962, MM. Voillerau et Blanc en 1966, M. Cazes, conseiller technique au cabinet militaire depuis 1971 »449.

Pour illustrer le caractère radical de la colonisation et rendre compte de l’infrastructure destinée à charpenter
la domination, l’incarcération et la prise en otage définitives des États-folklores auxquels on alléguait la
souveraineté, Fanny Pigeaud (2016) rappelle l’exemple particulièrement emblématique du mécanisme
monétaire que la France mettra en place dans les États d’Afrique pour garder un contrôle total sur leur
existence :
Le Franc CFA, rappelle-t-elle, a été créé officiellement le 26 décembre 1945. Six ans avant, la
France avait mis sur pied une “Zone Franc” en instaurant une législation commune des changes
au sein de son empire colonial, au début de la Seconde Guerre mondiale. L’objectif : “se
protéger des déséquilibres structurels en économie de guerre” et continuer à s’alimenter en
matières premières à bas prix auprès de ses colonies. CFA signifiait “Colonies françaises
d’Afrique” puis, à partir de 1958, “Communauté française d’Afrique”. Lorsque la France a
accordé l’indépendance à ses colonies africaines, au début des années 1960, elle leur a imposé
la reconduction du système de la Zone Franc. Le Franc CFA est alors devenu Franc de la
“Communauté financière africaine” en Afrique de l’Ouest, et Franc de la “Coopération financière
en Afrique centrale” pour l’Afrique centrale.
La zone franc compte en effet deux sous-ensembles en Afrique : l’Union économique et
monétaire ouest-africaine (UEMOA) composée de huit pays (Bénin, Burkina, Côte-d’Ivoire,
Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) et la Communauté économique et monétaire de
l’Afrique centrale (CEMAC) qui rassemble six États (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon,
Guinée-Équatoriale et Tchad). Chacune a sa banque centrale : la Banque centrale des États
d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) à Dakar, et la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC) à
Yaoundé. Les billets et pièces de monnaie de la CEMAC ne sont pas utilisables au sein de
l’UEMOA et vice-versa.
La Zone Franc repose sur quatre principes : (1) le Trésor français garantit la convertibilité
illimitée du Franc CFA en Euro (autrefois en Franc français); (2) la parité du Franc CFA avec

448 Achille Mbembe (avec Mamadou Diouf et Memel Fotê), 1997, op. cit.
449 Pierre Flambeau Ngayap, 1983, Cameroun, qui gouverne? De Ahidjo à Biya, l’héritage et l’enjeu, éd. L’Harmattan, Paris.

191
l’Euro est fixe; (3) pour assurer cette parité, les réserves de change des pays de la Zone Franc
sont centralisées dans leurs banques centrales, qui doivent en déposer la moitié sur un compte
courant dit “Compte d’opérations”, logé à la Banque de France et géré par le Trésor français;
(4) les transferts de capitaux entre la Zone Franc et la France sont libres.
Pour la France, et par extension l’Europe depuis le passage à l’Euro, ces règles sont
intéressantes sur le plan économique. Grâce à la parité Franc CFA/Euro, l’Hexagone peut
continuer à acquérir des matières premières africaines (cacao, café, bananes, bois, or, pétrole,
uranium…) sans débourser de devises, et ses entreprises peuvent investir dans la Zone Franc
sans risque de dépréciation monétaire. Ces dernières, grâce à la libre circulation des capitaux,
rapatrient leurs bénéfices en Europe sans entrave. Les multinationales comme Bolloré,
Bouygues, Orange ou Total en profitent tout particulièrement. Bruno Tinel, maître de
conférences à l’Université de Paris 1, observe que “Le système permet d’assurer les profits des
groupes européens qui ne paient rien pour cette garantie : ce sont les citoyens africains qui, via
les réserves de change placées au Trésor français, paient la stabilité du taux de change”.
En 1996, le président du Gabon, Omar Bongo, a expliqué : “Quand vous demandez à un
Français dans la rue, il vous dira : Ah, pour l’Afrique, on dépense beaucoup d’argent. Mais il ne
sait pas ce que la France récolte en retour, comme contrepartie. Un exemple : nous sommes
dans la Zone Franc. Nos comptes d’opérations sont gérés par la Banque de France, à Paris.
Qui bénéficie des intérêts que rapporte notre argent? La France”. Une chose est certaine : les
réserves de change africaines permettent à la France de payer une petite partie de sa dette
publique : 0,5%, selon les calculs de Bruno Tinel. En 2014, les réserves placées sur les
comptes d’opérations étaient de 6 950 milliards de Francs CFA, soit 10,6 milliards d’Euros […]
Pour les économistes, ce n’est pas un hasard si 11 des 14 pays africains de la Zone Franc sont
aujourd’hui classés parmi les pays les moins avancés. “Les taux de croissance de la Zone CFA
sont moins élevés sur les dix dernières années” par rapport aux autres pays d’Afrique, a
reconnu le rapport “Afrique France : un partenariat pour l’avenir”, remis en 2013 aux autorités
par l’ex-ministre Hubert Védrine. Si le Franc CFA n’est pas la seule explication à cette situation,
il y contribue grandement.
En Afrique, les problèmes causés par le Franc CFA, sujet longtemps tabou, sont de plus en plus
souvent évoqués dans des émissions de télévision, des conférences publiques, les réseaux
sociaux. En France, des initiatives visent à informer les décideurs et l’opinion publique : si le
système de la Zone Franc est resté aussi longtemps figé, c’est en partie parce que l’omerta a
longtemps prévalu à son propos.
Beaucoup d’économistes africains affirment que le Franc CFA est un frein à l’éclosion des
économies africaines, avançant plusieurs raisons, dont deux principales. La première est liée à
l’arrimage à l’Euro : cela rend le Franc CFA tributaire des événements de la Zone Euro plutôt
que de ceux de la Zone Franc, et lui donne par conséquent la même valeur, forte, que l’Euro,
sans lien avec le contexte de ses pays utilisateurs. Cette surévaluation du Franc CFA a des
conséquences : les États de la Zone Franc, dont les économies sont parmi les plus faibles du
monde, ne développent pas leur industrie et ne modernisent pas leur agriculture, puisque cela
leur revient moins cher d’importer des produits manufacturés et agricoles à bas coût, explique
Bruno Tinel. À l’inverse, leurs exportations sont peu compétitives. Les États de la Zone Franc
sont donc toujours des fournisseurs de matières premières non transformées. Comme ils
produisent souvent les mêmes ressources, les États échangent très peu entre eux, bien qu’ils
aient la même monnaie. Du coup, le commerce intrarégional est faible et peu porteur de
développement.
Seconde grande raison qui fait du Franc CFA un obstacle au développement : le maintien à tout
prix de sa parité avec l’Euro. Pour que cette dernière soit assurée, les États de la Zone Franc se
voient imposer des taux d’inflation très bas, proches de ceux de la Banque centrale européenne
: ceux de l’UEMOA ne doivent pas dépasser 2% et ceux de la CEMAC 3%. Les banques

192
nationales rationnent par conséquent les crédits aux entreprises. Si bien que ces derniers
représentent seulement 23% du PIB dans la Zone Franc, contre environ 150% en Afrique du
Sud et plus de 100% dans la Zone Euro. Pour Christian Noyer, “La mise en œuvre de la
limitation du financement monétaire des États crée une contrainte forte et salutaire pour les
budgets des États”.
Le problème, c’est que les taux choisis ne sont pas adaptés à des économies en
développement. “Nous sommes soumis aux impératifs de la Banque centrale européenne,
obnubilée par la discipline budgétaire et la lutte contre l’inflation, alors que la priorité de nos
pays sous-développés devrait être l’emploi, l’investissement dans les capacités productives, la
création d’infrastructures. Ce qui implique une plus forte distribution de crédits au secteur privé
comme au secteur public”, soutient depuis plusieurs années l’économiste sénégalais Demba
Moussa Dembélé. Ex-ministre togolais de la prospective, Kako Nubukpo est du même avis : “On
n’a pas d’émergence sans crédit et plus d’inflation inciterait à investir. Il y a une contradiction
entre le discours sur l’émergence, qui demande des financements importants, et le système du
Franc CFA. Nos politiques monétaires ne tiennent pas compte de l’objectif de croissance”, dit-il
au journal Mediapart. Il se désole de voir les banques nationales posséder d’importantes
surliquidités inutilisées du fait du rationnement du crédit et les États obligés d’emprunter sur les
marchés internationaux à des taux élevés, supérieurs à ceux de la BEAC et de la BCEAO.
Le discours officiel des autorités françaises à propos du Franc CFA, monnaie utilisée par 14
pays africains, est toujours le même : “c’est une monnaie africaine. Le Franc CFA appartient aux
Africains, l’avenir de cette monnaie appartient aux Africains”, a ainsi dit Michel Sapin, ministre
français des finances, le 11 avril 2016, lors d’une visite au Sénégal.
Ce n’est pas l’exacte vérité. C’est la France qui tient toujours les rênes du Franc CFA. Son
emprise se lit à plusieurs niveaux. Il y a d’abord le Traité sur lequel est construit le dispositif de
la Zone Franc : il ne s’agit pas, comme le voudrait la logique, d’un accord passé entre les
banques centrales africaines, la BCEAO et la BEAC, et la Banque centrale européenne, par
exemple, mais d’un accord passé entre ces banques centrales africaines et… le Ministère
français des Finances. Dans la pratique, la BEAC et la BCEAO n’ont quasiment pas de pouvoirs
en termes de politique monétaire. Les grandes décisions se prennent à Paris. La France est en
outre présente dans chacune de leurs instances. Deux des 14 administrateurs de la BEAC sont
français (les autres sont des représentants de chaque État membre à raison de deux par pays).
Au sein du Conseil d’administration, toute décision concernant la modification des statuts de la
banque centrale doit être prise à l’unanimité, ce qui signifie que la France a un droit de veto. Le
schéma est le même pour le Comité de politique monétaire de la Banque. Un des trois membres
du Collège des censeurs, qui contrôle l'exécution du budget de la Banque, est aussi désigné par
la France.
La présence française au sein des organes de la BCEAO est identique. Pour l’ex-Ministre
ivoirien des Finances, Mamadou Koulibaly, la BEAC et la BCEAO “n’ont d’africain que le nom.
En réalité, elles n’ont aucun pouvoir et ne sont rien de plus que de gigantesques institutions
bureaucratiques qui ne décident pas des politiques monétaires. Elles sont là pour faire croire
aux pays de la Zone Franc qu’ils sont maîtres de leur destinée. Les pays de la Zone Franc
continuent de perpétuer un système mis en place par l’ancien bourreau colonial”450.

Cet extrait est long comme il est souvent le cas dans cette analyse dont la préoccupation est d’identifier les
structures qui expliquent l’échec du Régime des forêts de 1994 ainsi que la marginalité des communautés
locales dans la gouvernance forestière au Cameroun. Cependant, comme tous les autres extraits, le caractère

450Fanny Pigeaud, 2016, “Le Franc CFA, une monnaie nocive pour les États africains”, dans la série Le Franc CFA en question. Enquête, du journal
français Mediapart, édition du 7 août 2016.

193
fondamental de la politique monétaire qu’il décrit offre un regard précis, détaillé et exhaustif sur le statut
historique et géopolitique de l’État camerounais et par conséquent sur la nature des arbitraires structurelles et
les contradictions irréductibles auxquelles la collectivité politique africaine moderne est confrontée. Le tableau
présenté autour du Franc CFA permet de comprendre les ressorts structurels ou ultimes des
dysfonctionnements implacables qui émergent des Réformes forestières proposées au Cameroun au début
des années 1990 par la Banque mondiale et les dynamiques environnementales globales, ainsi qu’il ressort du
dernier ouvrage spécialisé publié sur la question (Kako Nubukpo et al, 2016) :
Le Franc CFA, monnaie qui régente le développement de quinze pays africains depuis plusieurs
décennies, apparait ainsi, à la lumière de son histoire et de ses mécanismes de fonctionnement,
comme non seulement un reliquat colonial mais aussi et surtout comme un véritable frein à tout
dynamisme de l’économie, et ceci justement en raison du fait que sa dimension politique est
occultée. En entretenant l’économie de traite coloniale, le Franc CFA semble mal répondre aux
définitions théoriques de la monnaie, notamment d’un point de vue structurel. Son “artificialité”
dans la gouvernance des échanges renvoie à l’image d’une économie qui a oublié sa dimension
avant tout sociale et culturelle, empêchant la réalisation du but pacificateur de la monnaie.
Massimo Amato souligne “qu’une monnaie unit quand elle est utilisée pour payer et pour rendre
possible le paiement”, et constituant ainsi une “mesure de désarmement financier” au sens de
John Maynard Keynes451.

Plusieurs autres chercheurs –dont Nicolas Agbohou (2008), Hubert Kamgang (2000), Séraphin Prao Yao
(2012) et longtemps avant eux Tchundjang Pouemi (1980) –traitent des aspects techniques de cette
problématique monétaire majeure ainsi que des enjeux et implications divers qu’elle mobilise.452

Autrement dit, l’on voit bien comment et à quel niveau le paradigme dominant d’analyse de l’Afrique porte une
faute d’analyse irréductible : non seulement les chercheurs prennent pour acquis que les indépendances vont
radicalement évacuer la volonté d’incarcération définitive intrinsèque au projet colonial; mais surtout, ils vont
affecter une substance intellectuelle intangible à celui qui hérite du vrai-faux départ de l’administrateur
européen, à savoir le procureur indigène du projet colonial, c’est-à-dire cet indigène que le colon a
soudainement transformé et érigé en élite dirigeante de l’État africain indépendant moderne. Dans une
démarche dérobée et abstraite de l’histoire, c’est à ce mandataire colonial que l’analyse erronée affecte la
faculté de disposer d’une vision intellectuelle ou idéologique propre et par conséquent la capacité de projeter

451 Kako Nubukpo, Martial Ze Belinga, Bruno Tinel et Demba Moussa Dembélé (dir.), 2016, Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. À qui profite
le franc CFA ?, éd. La Dispute, Paris.
L’extrait cité est du compte rendu de lecture qu’en a élaboré Elieth Eyebiyi, in revue Lectures [En ligne] du 13 février 2017
(http://lectures.revues.org/22322).
452 Lire :

- Séraphin Prao Yao, 2012, Le Franc FCA, instrument du sous-développement, éd. L’Harmattan, Paris;
- Nicolas Agbohou, 2008 (nouvelle édition), Le Franc CFA et l’Euro contre l’Afrique, Éd. Solidarité mondiale, Paris;
- Hubert Kamgang, 2000, Le Cameroun au XXème siècle. Quitter la CEMAC, puis œuvrer pour une monnaie unique dans le cadre des États-Unis
d’Afrique, Éditions Renaissance Africaine, Yaoundé;
- Tchundjang Pouemi, 1980, Monnaie, servitude et liberté : la répression monétaire de l’Afrique, éd. Jeune Afrique, Paris.

194
historiquement l’État africain, comme si le système et les mécanismes de l’intention coloniale s’étaient
subitement éteints/évaporés avec les indépendances de façade et avaient subitement cessé d’être opératoires
(Mubabinge Bilolo, 2011; A. Mbèmbè, 2010; J. Ki-Zerbo, 2003; François-Xavier Verschave, 1999, Fabien
Eboussi Boulaga, 1997; Stanislas Spero Adotevi, 1972). C’est exactement la même démarche
historiographique erronée que l’on retrouve consacrée chez Olivier Pétré-Grenouilleau (2004) sur l’analyse
des razzias négrières transatlantiques et de la Traite esclavagiste des Africains.453 Pourtant,
quoiqu’essentiellement articulée au paradigme colonial ou dominant, l’analyse de Victor T. Le Vine n’est pas
moins éclairante à plusieurs égards. En effet, pour ce politologue français qui fit partie à une certaine époque
des experts les plus écoutés sur l’Afrique et le Cameroun, notamment dans ce contexte paradigmatique de
dépendance totale et d’aliénation systémique des États africains post-indépendances à l’égard de la pensée et
du modèle européens :
Qu’est-ce qui fait d’un État une nation? [Se demande T. Le Vine dont l’intuition est plus
intéressante encore quand il indique que] Le fait juridique de l’indépendance était pour nous
politologues, moins importants que les critères essentiels à retenir pour construire des nations
fortes, socialement cohérentes et conscientes d’elles-mêmes.
On peut s’interroger, par exemple, sur la possibilité, pour une génération d’hommes habitués à
servir les autorités coloniales soit à les combattre, soit à se transformer du jour au lendemain en
une élite capable de gouverner; avec des cadres d’une bureaucratie conçue pour servir le
pouvoir colonial. Les secteurs d’une économie moderne structurée en fonction des besoins
d’une métropole extérieure pouvaient-ils être reconvertis pour donner la préférence aux priorités
locales?
[Alors, “Qu’est-ce qui fait d’un État une nation?” (Noam Chomsky se demandera : Quel rôle pour
l’État?454 pour traiter de la même préoccupation), la réponse à la question de Victor T. Le Vine
est clairement négative, au regard aussi bien de la dépendance systémique (intellectuelle,
économique, stratégique et collusionnelle) de la direction politique de l’État africain à l’égard des
acteurs et intérêts internationaux que des motivations exogènes des Réformes forestières, de la
fragmentation structurelle de la société et de la rupture citoyenne qui produit l’exclusion des
communautés locales du processus d’élaboration du Régime des forêts, des incompétences
diverses (techniques, logistiques, intellectuelles) identifiées à l’Administration gouvernementale
et aux communautés locales, des implications dysfonctionnelles profondes –dont la marginalité
des communautés locales –auxquelles la mise en œuvre de la gouvernance forestière donne
lieu, etc.]455.

453 En dépit de leur position intellectuelle et géopolitique dominante, les thèses formulées par cet auteur français ont été clairement dénoncées par les
travaux de chercheurs Africains du Continent et de la Diaspora :
- "L’affaire Olivier Pétré-Grenouilleau : éléments de chronologie" : https://www.clionautes.org/spip.php?article925;
- Bwemba Bong, 2013, Quand l’Africain était l’or noir de l’Europe. Démontage des mensonges et de la falsification de l’histoire de l’hydre des
razzias négrières transatlantiques, Éditions Dagan, Paris;
- Klah Popo, 2010, Histoire des Traites négrières. Critique afrocentrée d’une négrophobie académique, Éditions Anibwe, Paris;
- Lisa Aubrey & Alain Kenfack, 2015, “Exposing Bimbia (Cameroon), another Transatlantic Slave Port Uncovered”, Villages D’Afrique Magazine, Apex
Museum, Atlanta;
- Clarisse Juompan-Yakam , 2015,. “Esclavage : l’amnésie française”, in Jeune Afrique, édition du 11 mai
(http://www.jeuneafrique.com/231633/politique/esclavage-l-amn-sie-fran-aise/);
- Jean-Luc Bonniol, 2007, “Les usages publics de la mémoire de l'esclavage colonial”, in BDIC/Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 85,
2007/1
- Claude Ribbe, 2005, Le crime de Napoléon, Éditions Privé, Paris;
- Etc.
454 Noam Chomsky, 2005, Quel rôle pour l’État?, éd. Écosociété, Montréal.
455 Victor T. Le Vine, 1984, Cameroun, du Mandat à l’Indépendance, éd. Présence Africaine, Paris.

195
Intrinsèquement enracinée dans un corpus de postulats et une référenciation théorique biaisés dans le sillage
de la domination systémique de l’Afrique, cette faute d’analyse qui conduit les chercheurs dans l’enfermement
méthodologique aux matériaux historiques classiques produits et imposés par l’intellectualité dominante, est
lourde de conséquences. En effet, en déterminant très tôt leurs postulats et en structurant de part en part leurs
analyses, c’est cette erreur fondamentale qui va altérer et limiter les résultats auxquels aboutissent les
chercheurs, invalidant ultimement aussi les analyses pourtant minutieuses et résolues des René Dumont
(1962, 1974, 1980, 1986, 1991, 1994, 1995), Thierry Michalon (1984), Marie-Claude Smouts (2001), Bertrand
Badie (1992), Mwayila Tshiyembé (2001, 2000), etc. En décidant arbitrairement de sectionner l’histoire, en
isolant les causes lointaines et premières des causes médianes et immédiates, et surtout en oubliant de
chercher la cohérence irréductible du continuum historique, bref de fonder l’analyse de l’Afrique à partir d’un
point intermédiaire et non originaire de l’histoire, cette approche méthodologique erronée manque deux
paramètres centraux d’explication de la faillite manifestée par la collectivité politique africaine : (1)
l’ontogenèse de l’État et (2) les conditions de génération des élites (politiques, intellectuelles, administratives,
économiques et dirigeantes) indigènes. Dès lors, en dépit de l’authenticité notoire de sa préoccupation
africaine, l’analyse développée par Stephen Smith (2003) ou Mamadou Diouf, Memêl Fotê & Achille Mbèmbè
(1997) et bien d’autres chercheurs ne permet pas d’expliquer les contradictions structurelles que manifeste la
collectivité politique africaine moderne. Pourtant, en dépit du regard clairement ironique mais caricatural et très
sommaire qu’il donne de l’approche radicale africaine, Achille Mbembe (1997) semble disposer de toutes les
ressources méthodologico-théoriques :
J’ai l’impression que la crise actuelle que manifeste l’Afrique, la faillite de l’État africain et le
déclin de ce que l’on appelait naguère le “développement” favorisent, chez nous, la quête de
quelque chose qui ne renvoie plus qu’à soi-même. L’idée qui est à la base de ces mouvements
de pensée, ou plus précisément de ces récits, est simple : notre échec en ce siècle
s’expliquerait par le fait que toutes nos entreprises se sont déployées à partir d’un centre qui
nous renvoyait chaque fois à autre chose qu’à nous-mêmes. On voit bien la poussée de ces
récits dans les milieux intellectuels africains, avec le retour à l’Égypte (…)
La véracité de l’explication n’est pas le plus important. Ce qui est important, c’est la fonction
fabulatrice que cette approche de “désoccidentalisation” mobilise, l’extraordinaire puissance qui
en fait une mémoire vivante de nos tourments dans le présent. Ce qui est également important,
ce sont les prémisses d’une autre identité que cette approche laisse entrevoir. On nous propose
donc de sortir de l’Occident, de nous purger de l’Occident pour nous en sortir. Le problème est
de savoir où finit l’Occident et où nous commençons. Qu’est-ce que cette frontière, comment la
voir, comment la franchir et comment la déplacer? J’ai le sentiment que cette frontière est
fuyante, et que la tâche de la contenir dans le temps dans l’espace, la tâche de la purgation, ou
si vous voulez, de désoccidentalisation, va être longue et ardue pour ceux qui l’entreprennent456.

456 Op. cit.

196
Incarnée par un chercheur africain de premier plan, cette ponctuation est particulièrement intéressante dans la
mesure où elle permet d’identifier la manifestation la plus aboutie du mécanisme de désarticulation
méthodologique de l’analyse dominante de l’Afrique à l’égard de l’histoire, et particulièrement sur les
chercheurs africains notamment quant à leur statut dans l’histoire ou à leur responsabilité historique : [c’est
ainsi que] dans un moment aussi peu commun de son raisonnement analytique, Achille Mbèmbè résume ainsi
les faiblesses logiques de sa posture idéologique, en même temps qu’il confesse le double caractère
aporétique et limité de la portée historique de son analyse ainsi que son enracinement définitif [par défaut]
dans l’intellectualité d’obédience coloniale. Tout en donnant le sentiment d’être parfaitement conscients du
caractère biaisé et donc faussé des conditions de participation des indigènes à la colonisation, ainsi que des
contradictions et des arrangements les plus nébuleux dans lesquels l’État colonial se mue abruptement en
État africain (Thomas Deltombe et al, 2016, 2011; Jean-Pierre Bat & Pascal Airault, 2016; Simon Nken, 2014,
2010; Pierre Péan, 2014, 2005, 1983; Patrick Pesnot & Monsieur X, 2008; François-Xavier Verschave, 2005,
2000, 1998), et en dépit des “promesses” qu’A. Mbembe, M. Diouf & H.M. Fotê (1997) suggèrent, notamment
par une postulation pertinente ainsi que par l’emploi d’un vocabulaire approprié, les trois analystes n’en
capitalisent pas complètement le potentiel théorique.

La faute d’analyse mécaniquement reproduite ici par Mamadou Diouf, Memêl Fotê & Achille Mbèmbè (1997)
s’est généralisée dans la théorisation de l’Afrique, tant elle trame profondément, parcourt et enveloppe
complètement la lecture que nombre de chercheurs africains et non-africains font de la “situation” du
Continent. Il en est de l’analyse que Rozenn Nakanabo Diallo (2013) fait dans sa thèse du Mozambique et de
ses politiques de conservation de la nature, et par laquelle illustrant ce que Symphorien Ongolo a formulé
comme “le stratagème du gecko”, la politologue africaine énonce que « L‘État mozambicain est certes “faible”,
mais il demeure malgré tout un État, c‘est-à-dire une entreprise de domination souveraine, au centre du jeu de
l‘action publique transnationale en dépit de ses incapacités, et grâce à un jeu sur ces dernières. L‘État au
Mozambique n‘est certes pas un État surpuissant, mais ses faibles capacités peuvent aller de pair avec des
processus de captation et de valorisation des ressources disponibles dans le cadre du régime de l‘aide
internationale »457.

En effet, la préoccupation théorique essentielle de R. Nakanabo Diallo était de montrer qu’en dépit de sa
fragilité et de sa mise sous régime de l’aide internationale au développement, l’existence de l’État moderne
africain n’était pas remise en question; qu’au contraire, par le déploiement de mécanismes de cession des
parties de son pouvoir et de sa souveraineté au “monde des Bailleurs de fonds”, l’État africain arrivait à garder
la main de son existence et de son authenticité, à s’imposer et à consolider sa légitimité internationale, en

457 Op. cit.

197
profitant des/en utilisant les compétences déléguées aux acteurs internationaux pour affirmer sa souveraineté
à l’extérieur et surtout l’étendre et la conforter à l’intérieur en tant qu’État. Or, ce qui a complètement échappé
à cette sociologie très fonctionnaliste que développe Nakanabo Diallo, c’est que la vocation de l’État n’est pas
qu’institutionnelle : l’État ne s’épuise pas tout entier dans la légitimité de sa souveraineté institutionnelle,
encore moins dans le statut ou la reconnaissance officiel de cette souveraineté. En effet, quoique primordiale
et centrale, la légitimité de la souveraineté institutionnelle est la base d’une vocation infiniment plus étendue
qui est totale et historique. Dès lors, l’État est le mécanisme par lequel une collectivité politique se définit et se
construit une identité historique ainsi que le mécanisme par lequel une collectivité politique met en œuvre et
déroule un projet historique propre. Thierry Michalon (1984) formule exactement la même intuition quand il
indique que :
L’État [dont Thierry Michalon rappelle qu’] il remplit deux fonctions essentielles. (1) Une fonction
politique, ascendante, permettant aux membres de la nation [les citoyens] d’exprimer leurs
besoins, et de les faire monter aux organes de gouvernement qui se chargent d’en animer le
traitement. Sous cet angle, l’État se présente comme un ensemble d’organes politiques,
destinés à transmettre des impulsions de bas en haut, c’est-à-dire d’une manière dite
“démocratique”. Participant à cette fonction politique, les individus sont des “citoyens”, c’est-à-
dire des membres actifs de la cité, de la société, sur qui tout l’État est enraciné et puise sa
substance, son énergie. Le fonctionnement correct du processus politique est donc le
fondement de la “légitimité” des organes dirigeants, c’est-à-dire de leur conformité aux désirs
réels des citoyens. (2) Une fonction administrative, descendante, par laquelle les gouvernants
mettent en application, sous forme de règles obligatoires, les décisions qu’ils ont prises grâce
aux idées et aux hommes dont le processus politique les a ravitaillés. Sous cet angle, l’État se
présente comme un ensemble d’organes administratifs destinés à transmettre des impulsions
de haut en bas, de manière autoritaire. Dès lors, les citoyens sont des “administrés”, soumis en
tant que tels aux injonctions de l’Administration.
L’État ne se résume donc pas, comme beaucoup le croiraient, aux organes dirigeants. L’État,
c’est tout l’ensemble que nous venons d’indiquer : les citoyens, les organes assurant la fonction
politique, les dirigeants, les organes assurant la fonction administrative, et enfin les administrés
qui ne sont autres que les citoyens.
Mais ce n’est pas du tout cette image de l’État que le colonisateur français a introduite et
diffusée en Afrique. En effet, les “colonies” n’étaient que des morceaux de la République
française, soumises aux décisions des organes dirigeants parisiens, et longtemps dépourvues
de tout organe politique. Les Africains n’étaient pas des citoyens associés à la prise des
décisions les concernant, mais de simples sujets soumis aux règles de l’Administration. Les
réformes introduites par la suite pour étendre la citoyenneté française furent impuissantes à
faire des Africains d’authentiques citoyens, car le suffrage restreint et le système du double
collège électoral tinrent la plupart d’entre eux à l’écart de tout processus politique. Pire encore,
l’absence d’éducation citoyenne et politique des masses privera les opérations électorales de
l’essentiel de leur signification.
On peut donc affirmer que l’État colonial se ramenait à une Administration, car tous les
processus politiques se déroulaient en métropole ou/et au niveau des gouvernants. Seule
fonctionnait la partie administrative de l’État. Les colonisés ne se sont jamais senti des citoyens,
mais purement et simplement des administrés, assujettis à l’autorité d’une Administration qui
recevait ses ordres d’ailleurs. C’est cette conception partielle de l’État, amputé de toute sa
branche politique, presque toujours restée inconnue, est la conception qui se déploie aujourd’hui

198
encore. Dans cette optique, l’État se limite à une Administration, un ensemble d’organes
imposant leur volonté aux hommes et dirigés par un groupe de personnes parvenues au pouvoir
par des moyens étrangers aux processus politiques à proprement parler. De même, des
individus se ressentent uniquement comme des administrés, des assujettis, et nullement comme
des citoyens participant aux décisions et au choix des dirigeants : aux yeux de ces populations,
l’État est une entité extérieure et dominatrice, mais pas une chose publique, une res publica,
une république.
Cet héritage constitue sûrement l’un des handicaps les plus graves dont souffrent encore les
pays d’Afrique458.

Sans lui enlever sa valeur scientifique, la validité de la thèse de Nakanabo Diallo vient affirmer par défaut
l’opérationnalité des contraintes structurelles historiques (interscalaires et paradigmatiques) qui réduisent
certains États, en l’occurrence les États d’Afrique, au statut d’épouvantails, d’États-folklore ou folkloriques, à la
merci de toutes sortes d’intérêts et d’intentions arbitraires, de projets, de démarches et de dynamiques
(idéologiques, intellectuels, économiques, militaires) d’acteurs globalisés ou internationaux puissants (Jean-
Pierre Bat & Pascal Airault, 2016; Thomas Deltombe et al, 2016, 2011; Pierre Péan, 2014, 2010, 2008, 2005,
1988; Patrick Pesnot & Monsieur X, 2008; François-Xavier Verschave, 2005, 2000, 1998; etc.). C’est ce que
l’auteure atteste par défaut quand elle conclue que :
Si l’État mozambicain est un État aux faibles capacités (i.e. financières, matérielles et en termes
de compétences), il est néanmoins un État en action, à même de décider –ou de décider de ne
pas décider. [Pour Nakanabo Diallo, cet État] ne répond pas à la définition d‘un État fragile au
sens d‘un État qui “ne peut pas” ou “ne veut pas”. L‘entreprise de domination étatique au
Mozambique est en somme un processus de captation et de valorisation des ressources au
profit de l‘État –cela pas dans le cadre d‘une stratégie bien pensée et hyper rationnelle, mais au
contraire en fonction des ressources disponibles. Ces dernières sont fluctuantes –le régime de
l‘aide implique des projets à durée de vie limitée, et dont les fonds peuvent être bloqués par les
Bailleurs internationaux. L‘action publique dans un régime d‘aide est en ce sens faite de
négociations permanentes et d‘ajustements mutuels précaires459.

C’est ce qu’illustre particulièrement la confiscation globale dont la forêt tropicale a fait l’objet de la part de “la
communauté internationale” qui en a arbitrairement fait un “patrimoine mondial” et un “bien planétaire”. Or,
ainsi que le relève M.-C. Smouts (2001) :
Un tel discours patrimonial exprime un ordre de justification supérieur, avec pour effets de
“déterritorialiser” et de “décontextualiser” cette réalité bien située qu’est la forêt tropicale : pour
le bien-être de l’humanité, il faut sauvegarder la forêt. Ce discours éthique a d’abord exprimé
une idéologie de la conservation propre aux ONG des pays du Nord. Il a ensuite été adopté par
les gouvernements des pays industrialisés pour impliquer les pays en développement et leurs
populations dans une négociation mondiale lorsque la prise de conscience des menaces sur
l’environnement a émergé. Cette rhétorique signifie en bref : ce qui se passe dans vos forêts
dépasse vos intérêts territoriaux.

458 Op. cit.


459 Op. cit.

199
Ce discours globalisant est un discours stratégique. Il justifie l’intervention extérieure dans la
définition des normes de gestion qui seront mises en œuvre par les acteurs locaux. Et puisqu’il
s’agit de sauvegarder un bien [devenu] immatériel pour le bénéfice de tous les humains et de
celui des générations futures, rien ne s’oppose à ce que les organisations internationales, les
États du G7, des associations de défense de la nature, des experts connus ou autoproclamés,
et finalement tout un chacun, s’expriment sur ce qui est bien ou mal, souhaitable ou
condamnable, dans la gestion des forêts tropicales460.

Dans la même logique, décrivant le parallèle entre les Réformes forestières de la fin des années 1980 et la
dynamique actuelle de mise en place du REDD+, Alain Karsenty (2016) relève que :
Whatever the likelihood of a future REDD+ scheme delivering offsets for the international carbon
markets, it seems more and more evident that the public funding associated with REDD+ will
have to be sustained and probably increased through time. This will be to give the poorest
countries the financial means needed to address the domestic drivers of deforestation and to
pay for the reforms of forest-related policies that are critical for tackling the issue.
Phase II of REDD+ is designed along those lines and the recent Central African Forest Initiative
(CAFI) is to be seen in this perspective. It is unlikely that most of the countries can move quickly
to Phase III, which is performance-based. “Investing” will be the key word for long to come, the
“reward” dimension remaining a possible feature of the REDD+ mechanism once the numerous
difficulties (additionality of the reductions, risks of leakage, permanence issue, side-effects on
biodiversity, opposition of social NGOs, etc.) have been overcome. And as long as public aid for
investment is concerned, donors will want to monitor the effective and equitable use of their
money461.

L’analyse qu’Hélène Blaszkiewicz (2014) fait des politiques de conservation au Bénin conforte le caractère
d’épouvantail folklorique de l’État africain, tel que ce diagnostic est constamment établi dans toutes les études
sérieuses ayant examiné la collectivité politique africaine actuelle (Bernard Lugan, 2015, 2011, 2006, 2003;
Thierry Michalon, 2011, 1984; Jean-François Bayart, 2006, 1979; Mwayila Tsiyembe, 2001, 2000;
CODESIRIA, 2004; Marie-Claude Smouts, 2001; François-Xavier Verschave, 1999; Béatrice Hibou, 1999;
GEMDEV, 1997; Gervais Ludovic Itsoua-Madzous, 1997; Bertrand Badie, 1992; Jean-François Médard, 1990;
Thomas M. Callaghy, 1987; André Gunder-Frank, 1970; etc.)462. À l’issue de ses recherches, Hélène
Blaszkiewicz présente les mêmes résultats que ceux de Rozenn Nakanabo Diallo (2013) sur le Mozambique
ou de Gervais Ludovic Itsoua-Madzous (1997) quelques années plus tôt sur le Congo dit “Brazzaville”463.
Selon Blaszkiewicz :

460 Op. cit.


461 Op. cit.
462 CODESIRIA, 2004, La problématique de l’État en Afrique, in http://codesria.org/spip.php?article301&lang=fr
463 Dans ce document sonore consacré au caractère pour le moins douteux et controversé la place officielle accordé dans l’histoire officielle du Congo

au colonisateur francais Savorgnan de Brazza, l’analyse que développe Théophile Obenga est aussi édifiante quant à l’identité nominale de l’ensemble
des États d’Afrique qu’elle est éclairante quant au statut de la collectivité politique africain actuelle : https://www.youtube.com/watch?v=MyWjySYOSSs.
Sur le même sujet, suivre utilement aussi cette enrichissante intervention d’Edward Berenson (2005) sur l’histoire du colonialisme francais à travers ce
qui est appelé “Le scandale de 1905 de la Mission coloniale du Congo” à travers la figure de Savorgnan de Brazza :
https://www.youtube.com/watch?v=3IRlXHrrcZA .

200
Le secteur de la conservation béninoise est un secteur politique en crise structurelle, ouvrant la
voie à une compréhension de la stabilité précaire de l’État béninois. Par stabilité précaire, nous
voulons désigner la position de celui-ci, sur la scène internationale comme sur la scène politique
locale, qui semble toujours en équilibre entre des forces intégratrices et désintégratrices à ces
différents milieux. Sur la scène internationale, le Bénin est qualifié de “Donor darling” depuis
deux décennies. Son rôle de précurseur dans les “transitions démocratiques” africaines, dès
1989, et la stabilité politique qui s’en est suivie, a fait de cet État un territoire d’accueil privilégié
pour les investissements en termes d’aide publique au développement. Cependant, les
régressions enregistrées en termes de libertés publiques et de “criminalisation de l’État” ces
dernières années compromettent fortement la présence des bailleurs sur le territoire béninois.
La non-éligibilité au Fonds américain Millenium Challenge Account, et le départ annoncé, fin
2013, de la coopération danoise pour cause de corruption et de mauvaise gestion publique
démontrent cette progressive perte de légitimité du Bénin auprès des bailleurs de fonds
internationaux.
Sur le plan politique interne, la topographie de l’État béninois s’apparente à ce que Catherine
Boone définit comme une “occupation administrative” : “concentrated institutional structure;
centralized authority. State institutions seem suspended balloon-like over the rural localities.
State agents govern the localities from a few strategic outposts of the State, and act with great
autonomy from local influences and pressures. This strategy looks a lot like military occupation.
En effet, l’observation d’un milieu rural béninois, et spécialement dans le département de
l’Alibori, rend patente la relative absence d’institutions ou de représentations étatiques en milieu
rural. Le siège de la préfecture se situe dans la ville de Parakou, à plus de 200 kilomètres au
Sud de Kandi.
Sur le terrain politique, l’autorité de l’État central est donc défiée par d’autres structures dont la
légitimité auprès de la population est au moins égale à celle de l’État. Thomas Bierschenk et J.-
P. Olivier de Sardan parlent de la “micro-variabilité” des arènes politiques locales en Afrique, et
plus particulièrement au Bénin. Elles se caractériseraient par une “autonomie partielle des
arènes politiques locales” c’est-à-dire “que l'histoire nationale y laisse clairement ses traces,
mais que les grands événements “d'en haut” reçoivent une signification propre au niveau local,
et s'enchâssent dans un contexte spécifique qui les colore, les transforme, les réorganise”.
L’avènement de la décentralisation par la loi de 1999 complique un peu plus la répartition locale
de la légitimité politique.
Dans ce cadre, étudier les politiques de conservation au Bénin donne un regard particulier sur
ces deux arènes et sur la place précaire de l’État dans celles-ci : au plan international, les
projets de protection de la nature de ses aires protégées donnent au Bénin une bonne image,
celle d’un pays soucieux des contraintes environnementales. Le relatif échec des programmes
successifs sur le parc du W, comme on le démontrera par la suite, peut cependant
compromettre cette situation. Sur le plan intérieur, et selon la littérature sur les aires protégées,
les politiques de conservation pourraient être un moyen pour l’État de réinvestir politiquement
ses périphéries, via notamment la présence de corps para-militaires étatiques (comme les
forestiers), ou via l’inflation normative relative aux statuts d’utilisation des sols et de la
ressource464.

Donc, dire de l’État africain ou de la collectivité politique africaine moderne tel qu’elle existe aujourd’hui en
Afrique, qu’elle est le produit d’une “[re]composition” à laquelle contribue l’héritage africain indigène –comme
c’est le cas de la démarche du GEMDEV (1997)465 mais aussi comme le laisse souvent croire en filigrane

464
465 GEMDEV, 1997, Les avatars de l’État en Afrique, éd. Karthala, Paris.

201
Rozenn Nakanabo Diallo (2013) –est non seulement le résultat d’une démarche intellectuelle de
travestissement de l’histoire, mais surtout relève d’une grossière inexactitude scientifique qui ne manque pas
d’invalider des analyses perspicaces fondées sur un corpus épistémologique incontestablement pertinent.
C’est ainsi que dans l’analyse de ce qu’il appelle “la logique clientéliste” de la dépendance internationale et de
son environnement systémique global, Bertrand Badie (1992) relève que :
L’action des élites des États périphériques doit être abordée dans un contexte
multidimensionnel et complexe. (1) Dans celui de leur propre espace national d’une part, du fait
d’un ordre social segmenté, de relations sociales verticales, d’une scène politique qu’elles
prétendent monopoliser et contrôler de façon non concurrentielle alors que cette scène se
trouve structurée selon des modèles culturels et institutionnels qui la séparent de la société. (2)
Dans celui d’un environnement international d’autre part, qui contrôle les sources de
financement internes de ces sociétés, mais qui déterminent aussi les règles du jeu interétatique,
les normes internationales, les flux internationaux, les orientations diplomatiques, et donc les
conditions d’accès à la scène internationale.
Face à cette pluralité de contraintes, des convergences stratégiques paraissent s’imposer :
séparées des espaces sociaux internes et bousculées dans leur légitimité, les élites dirigeantes
des États périphériques ont intérêt à investir sur la scène internationale et à rechercher le
patronage des Princes du Nord dont ils peuvent par ailleurs obtenir protections et ressources
leur permettant de renforcer ensuite leurs positions au sein de leurs propres sociétés. Mais
réciproquement, cette stratégie clientélaire les encourage à systématiser leurs pratiques
patrimoniales : d’une part parce qu’elle les dote de ressources capables de rendre celles-ci
effectives; d’autre part parce que leur orientation de plus en plus marquée vers l’extérieur et leur
clientélisation renforcée aggravent le fossé qui les sépare des espaces sociaux internes,
réduisant ainsi les capacités institutionnelles de communication entre gouvernants et gouvernés,
et rendant donc inévitable le recours au bricolage néo-patrimonial [Et c’est sur cette analyse
reposant sur une postulation historique arbitraire et erronée, ainsi que nous l’avons vu tantôt,
que l’auteur peut conclure en s’enthousiasmant d’un résultat apparemment cohérent mais qui,
en réalité, est aussi approximatif qu’incomplet :] La solidarité entre politique intérieure et
politique extérieure parait ainsi profonde, vérifiant l’hypothèse du fondement politique de la
dépendance […]
Conformément à leur logique clientéliste traditionnelle, les flux de la dépendance internationale
restent fondamentalement asymétriques et n’ont pas la même signification selon qu’ils
proviennent des “patrons” ou des “clients”. Installés au centre, les premiers maîtrisent le langage
et les règles du jeu international, tandis qu’ils s’imposent également comme producteurs des
normes qui sont censées concerner l’ensemble des acteurs. Cette asymétrie vaut sur les plans
financier, économique, militaire ou technologique, mais elle s’affirme aussi sur le plan
symbolique. L’État-patron définit les symboles dont l’État-client doit se parer pour rester son
obligé : toute l’expression verbale, musicale, vestimentaire, tout ce qui concourt à la mise en
scène du pouvoir s’élabore au centre pour encadrer la vie socio-politique des États-clients. Plus
encore, l’asymétrie de ces rapports se traduit par des phénomènes de mimétisme
constitutionnel forcé : l’État-client est conduit à identifier ses propres structures politiques à
celles de l’État-patron. L’apport de l’État-patron à l’État-client atteint ainsi l’identité même du
second, alors que la contribution apportée en échange n’a qu’un effet périphérique, qui
n’entraine que des modifications marginales des équilibres socio-politiques des États
dominants. C’est très précisément dans cette asymétrie que se situent les éléments décisifs qui
font du rapport de clientèle un rapport de dépendance466.

466 Op. cit.

202
Cependant, contrairement à ce que l’analyste français énonce –dans une démarche dont nous montrons que
les postulats erronés faussent les résultats, étant donné qu’en se fondant sur une considération partielle de
l’histoire, il substantialise un moment historique tout entier colonial (les élites et l’État) charpenté non pas sur
le clientélisme, mais plutôt sur le mécanisme de l’incarcération (Ismaël A. Yenikoye, 2007; Thomas Callaghy,
2002, 1993, 1987) –et en dépit de la perspicacité heuristique au premier et même au second degré du concept
qu’il formule, la dépendance structurelle systémique à laquelle la collectivité politique camerounaise –comme
l’ensemble des États africains –ainsi que les déficiences profondes qu’elle manifeste, se construisent d’abord
et essentiellement, non sur la “captation de souveraineté”, mais plutôt sur l’incarcération intellectuelle et la
captation culturelle. C’est bien ce qu’enseigne Milan Hübl –et avant lui Günther Anders (1956)467 –lorsqu’il
rappelle que « Pour liquider les peuples, on commence par leur enlever la mémoire. On détruit leurs livres,
leur culture, leur histoire. Puis quelqu’un d’autre leur écrit d’autres livres, leur donne une autre culture, leur
invente une autre histoire. Ensuite, le peuple commence lentement à oublier ce qu’il est, ce qu’il était. Et le
monde autour de lui l’oublie encore plus vite » (cité par Milan Kundera, 1979)468.

C’est le même mécanisme que Cheikh Anta Diop (1981) avait déjà clairement énoncé dans ce qui pourrait
être comme son texte le plu accompli, Civilisation ou barbarie : « L’impérialisme, tel le chasseur de la
préhistoire, tue d’abord spirituellement et culturellement l’être, avant de chercher à l’éliminer physiquement. La
négation de l’histoire et des réalisations intellectuelles des peuples africains noirs est le meurtre culturel,
mental, qui a déjà précédé et préparé le génocide ici et là dans le monde »469.

Mieux encore, dans une énonciation théorique générale construite sur l’actualisation de la théorie de la valeur,
Mbog Bassong (2013) explique les dimensions-clé en jeu ainsi que les mécanismes à l’œuvre :
Il existe une trilogie fonctionnelle dans les formes d’organisation sociale et politique qui
produisent des formes de valeur différentes : la spiritualité qui est la vision du monde plus ou
moins marquée par les formes religieuses, la science qui est le modèle théorique
d’appréhension du Réel, et la politique qui est le modèle institutionnel d’opérationnalisation
sociale des idées. En fait, l’un ne va pas sans l’autre dans cette trilogie puisque la société est un
“Tout” organique et systémique en ces trois dimensions.
Le modèle économique propre au capitalisme mondial ne se préoccupe pas des facteurs extra-
économiques qui interviennent dans l’organisation des phénomènes économiques. De plus, il
n’inscrit pas les déséquilibres (chômage structurel, inflation, pauvreté) comme des problèmes
liés à la croissance même s’il se donne à en parler dans les analyses. Car pour croître, il a
besoin de dominer et d’être indifférent aux défaillances de son modèle, tant que celui-ci peut lui
servir de support de domination. Pour croître, ce modèle a besoin d’une élite locale qui fait

467 Op. cit.


468 Milan Kundera, 1979, Le livre du rire et de l’oubli, éd. Gallimard, Paris.
469 Cheikh Anta Diop, 1981, Civilisation ou Barbarie. Anthropologie sans complaisance, éd. Présence Africaine, Paris.

203
allégeance à son ordre spirituel (son paradigme de catégorisation cartésienne) et cognitif (sa
vision du monde de compétition et de concurrence). Aussi intervient-il dans l’organisation du
pouvoir local pour y renforcer son emprise.
C’est ainsi que pour avoir intériorisé comme légitime l’identité de l’Occident conquérant et
vainqueur, cette élite interprète le Réel par rapport à la dominance économique extérieure dont
il reçoit en retour le privilège d’organiser, au nom de l’ex-métropole, la conduite du destin
historique de l’État néocolonial. Sous contrôle extérieur, toutes les entités historiques auto-
instituées [entendre, les communautés indigènes ou villageoises] subissent désormais la même
contrainte : le diktat local d’une élite faisant allégeance à un ordre préoccupé par ses seuls
intérêts mercantilistes470.

C’est cette perspective substantielle qui découvre les incohérences théoriques et les approximations
heuristiques fondamentales de l’analyse de Bertrand Badie. En effet, comment affirmer préalablement ainsi
que le fait le politologue français que :
La dépendance qui, comme le pouvoir, est d’autant plus efficace et active qu’elle ne s’exerce
pas de manière coercitive et qu’elle ne recourt à la contrainte que de façon exceptionnelle,
puisant le meilleur de ses ressources dans les captations de souveraineté diplomatique, des
fonctions socioéconomiques et d’aménagement politico-institutionnel [et reconnaitre pour
conclure plus loin que] La dépendance prend corps dans la culture, dans l’imitation dans
l’image. Son étonnante capacité symbolique surclasse l’effet des infrastructures, des pesanteurs
diplomatiques et même des contraintes militaires. Sur la scène internationale, comme dans les
microsociétés, le poids du conformisme, la pression du contrôle social, la suprématie du modèle
dominant, ont pu paraître efficaces et durables. Sans conduire l’abandon à la coercition, la
dépendance culturelle s’est imposée comme le principe le plus prometteur de l’unification du
monde : elle est sans conteste le fondement le plus clair de ce qu’on a nommé significativement
“l’ordre international”. Aussi la dépendance et sa contestation renvoient-elles aujourd’hui à une
curieuse opposition de stratégies : diffuser sa propre culture pour mieux dominer les autres,
faire ainsi de son particularisme l’expression de l’universel. Autant dire qu’à force d’être
sollicitées voire manipulées à des fins politiques pour dominer, les identités s’imposent comme
des instruments de l’action politique (Bertrand Badie, 1992)471,

Rejoignant [contradictoirement] ainsi Mbog Bassong et Milan Hübl qui démontrent que la cristallisation durable
de toute dépendance systémique repose davantage et essentiellement sur des conditions de durabilité portant
sur le contrôle total des dimensions culturelle, intellectuelle, cognitive et symbolique; et non sur des étapes
ultérieures qui ne sont ni plus ni moins que des dimensions instrumentales ou plutôt des mécanismes et
modalités d’opérationnalisation du processus de domination.

Dès lors, la captation de souveraineté apparait comme une implication purement mécanique dont rendent
essentiellement et abondamment compte Stephen Smith et Antoine Glaser (2016, 2008, 2005, 1997, 1994,
1993). Ces deux auteurs sont journalistes d’enquête, particulièrement introduits dans les arcanes politico-

470 Op. cit.


471 Bertrand Badie, op. cit.

204
stratégiques et diplomatiques des pouvoirs africains dans leurs rapports avec la France et les acteurs
diplomatiques puissants. Les livres –ci-dessous référés en infra –qu’ils en ont produits constituent une
documentation particulièrement intéressante qui nourrit directement aussi bien l’opérationnalité du concept de
contraintes structurelles que la validité de l’analyse socio-historique.472 La captation de souveraineté y apparait
comme la conséquence automatique d’une captation primordiale ou fondamentale qui est la condition
structurale de sa possibilité et de son déploiement. Ça n’est qu’en considérant préalablement l’incarcération
intellectuelle et la captation culturelle comme condition primordiale qu’il devient possible que « Dépossédé
directement ou par le biais de réseaux sociaux qui échappent à son contrôle, l’État dépendant devient la proie
de trois types de captations que manifestent trois secteurs essentiels de sa souveraineté : la fonction
diplomatique, la coordination des fonctions sociaux économiques, l’organisation de l’espace public » (Stephen
Smith et Antoine Glaser, 2016)473.

En déployant une démarche radicale fondée sur la philosophie de l’histoire et l’histoire, notre thèse montre
qu’en tant que manifestation emblématique des dysfonctionnements structurels et des contradictions
profondes auxquels la collectivité camerounaise donne lieu, la marginalisation des communautés villageoises
dans la gouvernance forestière est le résultat d’une conjonction cohérente de facteurs historiques que nous
appelons contraintes structurelles, significatifs de l’émergence ontogénétique et du développement
phylogénétique de l’État au Cameroun : la procession coloniale et le déploiement jacobin de la collectivité
politique moderne (Simon Nkén, 2014; Daniel Abwa, 2000)474, en dehors des communautés indigènes;
l’émergence et la cooptation arbitraires des élites pour servir les intérêts coloniaux, privés et sectaires; la
polarité intellectuelle exogène ainsi que l’aliénation occidentale des élites; la fragmentation sociale structurelle
entre les élites et le reste de la collectivité; l’inexistence d’une citoyenneté collective partagée, notamment
pour les composantes populaires ou non-élites; l’accaparement des ressources collectives ainsi que la gestion
néo-patrimoniale des affaires publiques, dans la non-responsabilité collective des élites; la conduite
autocratique de l’État et l’irresponsabilité citoyenne collective des élites politiques et administratives;
l’exclusion intellectuelle et citoyenne des populations dans le déploiement de la collectivité politique.

472 Lire :
- Antoine Glaser, 2016, Arrogant comme un français en Afrique, éd. Fayard, Paris.
- Stephen Smith & Antoine Glaser, 2008, Sarko en Afrique, éd. Plon, Paris; 2005, Comment la France a perdu l'Afrique, éd. Calmann-Lévy, Paris;
1997, Ces messieurs Afrique 2. Des réseaux aux lobbies, éd. Calmann-Lévy, Paris; 1994, Ces messieurs Afrique. Le Paris-Village du continent
noir, éd. Calmann-Lévy, Paris; 1993, L'Afrique sans Africains. Le rêve blanc du continent noir, éd. Stock, Paris.
473 Lire :

- Antoine Glaser, 2016


- Stephen Smith & Antoine Glaser
474 Daniel Abwa, 2013, Cameroun : Histoire d'un nationalisme 1884-1961, éd. CLÉ/NENA, Yaoundé; 2000, Commissaires et Hauts-Commissaires

de la France au Cameroun (1916-1960). Ces hommes qui ont façonné politiquement le Cameroun, éd. Karthala, Paris.

205
C’est par cette démarche d’analyse que la dimension mimétique –que Bertrand Badie a pourtant souvent
mobilisée pour caractériser la dépendance des États fantoches à l’égard du système international et des États
forts –trouve toute sa pertinence. Donc, au-delà de l’apparente efficacité qu’il revêt, le concept de “captation
de souveraineté” proposé par B. Badie pour schématiser la dépendance, celui-ci n’est heuristiquement valide
dans le cas spécifique de l’État africain problématique que s’il intègre préalablement et se développe sur la
captation culturelle et intellectuelle [des élites et de l’État].

Il en découle que la thèse de la composition et de la continuité est foncièrement erronée de son inconsistance
théorique fondamentale, à moins que…, pour ceux qui la formulent et la défendent, la participation d’Africains
–pour le moins complètement captifs et conditionnés (Mongo Beti, 1956)475 –au déploiement des seuls
éléments de charpente et d’opérationnalisation d’un projet colonial qui pourtant se nourrit d’une assise
philosophique et repose sur une base idéologique (Mongo Beti & Odile Tobner, 1989; Albert Schweitzer, 1952;
André Gauthier Walter, 1951; Lucien Lévy-Bruhl, 1922, 1927; Paul Topinard, 1895; Joseph Teilhard de
Chardin, 1889; Jules Ferry, 1885; Ernest Renan, 1882, 1871; Victor Hugo, 1879; Raphael Blanchard, 1860;
Alfred Michiels, 1853; Joseph Arthur De Gobineau, 1853; G.W. Friedrich Hegel, 1830; Julien Joseph Virey,
1827; Georges Cuvier, 1812, 1817; Emmanuel Kant, 1764; Voltaire, 1756, 1734; Montesquieu, 1748; David
Hume, 1742; J.B. Bossuet, 1689; etc.)476 n’emporte complètement la participation volontaire et apaisée des

475 Mongo Beti, 1956, op. cit.


476 Lire :
- Le Monde diplomatique, 2009, “Dossier : L’Afrique, avenir de l’Europe” articulé au fameux discours impérialiste et colonial de Victor Hugo du 18 mai
1879, édition numérique d’octobre-novembre 2009 (https://www.monde-diplomatique.fr/mav/107/HUGO/18320);
- Le Nouvel Observateur, 2012, Dossier consacré à “La colonisation : un détail de l’histoire? (la France, Victor Hugo, Jules Ferry)”, édition numérique
du 20 mai 2012 (http://lafranceetlhommeafricain.blogs.nouvelobs.com/tag/victor+hugo+colonisation);
- Mongo Beti et Odile Tobner, op. cit.
- André Gauthier Walter,
- Albert Schweitzer, 1952, À l'orée de la forêt vierge. Récits et réflexions d'un médecin en Afrique équatoriale française, éd. Albin Michel, Paris.
- Lucien Lévy-Bruhl, 1976 (1922), La mentalité primitive, éd. Retz-CEPL, Paris; 1996 (1927), L’âme primitive, éd. PUF, Paris;
- Paul Topinard, 1895, L'anthropologie, éd. C. Reinwald et Cie, Paris.
- Jules Ferry, 1885, Discours en faveur de l'expansion coloniale, devant la chambre des députés, le 28 juillet 1885; 1982 (1871), La réforme
intellectuelle et morale et autres écrits, éd. Albatros/Valmonde, Paris.
- Georg Wilhelm Friedrich Hegel, 1981 (1822-1830), La Raison dans l’histoire. Introduction à la philosophie de l’histoire, éd. Plon, Paris;
- Victor Hugo, 18 mai 1879, Discours sur l’Afrique (http://ferbos.jeanfrancois.free.fr/psychanalyse-et-creation/IMG/pdf/texte-de-victor-hugo_.pdf);
- Raphael Blanchard, 1860, “Sur le tablier et la stéatopygie des femmes boschimanes”, in Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, éd.
Masson, Paris.
- Joseph Arthur de Gobineau, 1967 (1853), Essai sur l’inégalité des races humaines, éd. P. Belfond, Paris.
- Julien Joseph Virey, 1827, Histoire naturelle du genre humain, éd. Dufart, Paris.
- Voltaire, 1962 (1756), Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, Éditions sociales, Paris; 1734, Traité de métaphysique, in Œuvres complètes,
éd. Esneaux et Rosa, Paris, 1823;
- David Hume, 2001 (1742), Sur les caractères nationaux, in Essais moraux, politiques et littéraires et autres essais, éd. PUF, Paris;
- Emmanuel Kant, 1990 (1764), Essai sur les maladies de la tête. Observation sur le sentiment du beau et du sublime, éd. Flammarion, Paris.
- Georges Cuvier, 1817, Observations sur le cadavre d'une femme connue à Paris et à Londres sous le nom de Vénus hottentote, in
(https://archive.org/details/bub_gb_R2q2Weu3Q4IC); 1812, Recherches sur les ossements fossiles : où l'on rétablit les caractères de plusieurs
animaux dont les révolutions du globe ont détruit les espèces, éd. G. Dufour & E. d'Ocagne, Paris/Amsterdam.
- Montesquieu, 1972 (1748), L’esprit des lois, éd. Seghers, Paris.
- Ernest Renan, 2007 (1882), Qu’est-ce qu’une nation?, éd. Le mot et les reste, Marseille.
- Joseph Teilhard de Chardin, (1889), La Guinée Supérieure et ses missions. Étude géographique, sociale et religieuse des contrées
évangélisées par les missionnaires de la Société des Missions Africaines de Lyon, in (https://archive.org/details/laguinesupri00teil).

206
communautés à l’élaboration de cette assise idéologique, en oubliant deux faits constants et intangibles : (1)
que les collaborateurs Africains auxquels on réfère ne sauraient être représentatifs des communautés
indigènes dont on aura manqué de considérer qu’elles sont profondément défaites et incarcérées par une
violence systémique continument subie sur près d’un millénaire; (2) que le projet colonial est essentiellement
arbitraire et exclut toute cohabitation avec la communauté indigène trouvée en place –comme on le voit dans
la présente thèse, que ce soit en suivant la cohérence historique de l’exploitation capitaliste des forêts, à
travers ce témoignage poignant de Félicien Challaye (1935) :
[À l’aube du XXème siècle,] Au moment de commencer ce qui sera un long périple colonial, alors
que l’école de la République lui avait inculqué qu’il s’agissait de faire progresser des peuples de
races inférieures au contact de la civilisation blanche, Félicien Challaye indique : “Quand je suis
parti il y a trente-cinq ans, dans le premier de mes grands voyages, je croyais naïvement ce
qu’on m’avait enseigné dans les écoles de la République”. Mais le philosophe et journaliste
français prend vite conscience et constate près de trois décennies plus tard, dans une
démarche réflexive et critique qui va le porter à inventorier méthodiquement les dérives et les
contradictions du système colonial : “Il s’est imposé à moi une certitude : la colonisation n’est
pas une entreprise humanitaire; elle est un régime d’oppression politique ayant pour fin
l’exploitation économique des peuples soumis”477.

En effet, à l’opposé de l’analyse approximative développée dans le paradigme dominant, l’approche de


réflexivité critique et d’analyse radicale par l’histoire et la philosophie de l’histoire –à laquelle participe la
présente thèse –montre, comme l’énonce Bertrand Badie (1992), que :
Depuis les Lumières, la domination politique exercée par l'Occident sur les “pays du Sud”
s'accompagne –quand elle ne la précède ou ne la prépare pas –d'une domination culturelle plus
forte encore […] Lorsqu’on apprécie l’occidentalisation de manière globale, au-delà de ses
réalisations formelles, tout se passe alors comme si la dynamique de l’importation, les
contraintes et les tropismes qui s’exercent sur elles, l’emportaient sur les conditions propres à
chaque mécanisme importateur pour en uniformiser la réalisation et pour mieux légitimer leur
prétention réellement universelle […] La décolonisation, loin d'avoir fourni aux sociétés du Tiers-
monde le moyen de trouver une organisation qui corresponde à leurs traditions, a même
fortement accentué ce phénomène. Derrière une rhétorique de rupture, les leaders du Sud se
font les importateurs de notre droit, de notre modèle de développement, de notre forme de
démocratie représentative. Ces Princes, leurs entourages et leurs intellectuels pensent,
agissent, construisent largement en fonction de nos catégories.
Hormis peut-être au Japon, cette occidentalisation imposée échoue parce que la greffe est
impossible. Cet échec rend largement compte de l'évolution du monde contemporain depuis
1945. Il éclaire l'histoire de l'Inde comme celle du monde arabe et de l'Afrique noire, ou encore
de l'Amérique latine et de la Chine, voire les incertitudes propres au Japon d'aujourd'hui. En
dépit des espoirs que les élites ont mis en elle, l'occidentalisation, manquée, est cause de

- Alfred Michiels, 1853, Le Capitaine Firmin ou La vie des nègres en Afrique, in (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5821244n/f6.image)/éd.
Librairies Garnier Frères, Paris.
- Jacques-Bénigne Bossuet, 1689, [Première à cinquième] Avertissements aux protestants sur les Lettres du Ministre Jurieu contre l’histoire des
variations. Le christianisme flétri, éd. Chez la Veuve de Sébastien Mabre-Cramoisy, Paris.
Lire également Alain Saint-Victor, 2015, “Les fondements historiques du racisme dominicain. Les origines de l’antihaïtianismo”, in Nouveaux Cahiers
du socialisme, du 18 août 2015 (https://www.cahiersdusocialisme.org/les-origines-de-lantihaitianismo/).
477 In Christelle Taraud, 1999, “Félicien Challaye, Un livre noir du colonialisme. Souvenirs sur la colonisation”, Compte rendu de lecture publié dans

L’homme et la société, Vol. 134, n° 4 consacré à “Littérature et Sciences sociales”.

207
multiples traumatismes sociaux et facteur de désordre dans les relations internationales. La
cacophonie d'un monde qui ne parvient ni à unifier ses règles du jeu ni à faire leur place aux
différences constitue sans nul doute la plus lourde des menaces qui pèsent sur l'humanité478.

Dès lors, la dimension significative la plus déterminante de l’historicité que l’analyse devrait nécessairement
identifier et formuler réside non pas dans la photographie de l’attitude des entités dominées et des acteurs
indigènes mais plutôt dans la substance qui structure la réalité sociale manifeste et dont seule permet de
rendre compte une approche systémique du contexte historique total (intellectuel ou culturel, politique,
militaire, économique, géopolitique); l’élément d’explication se trouve dans la découverte du mécanisme
historique qui rend compte des conditions de potentialisation des communautés indigènes et par conséquent
des modalités toutes “simulées” (Achille Mbèmbè, 1997) de leur participation à l’appropriation et à
l’enracinement indigène des institutions coloniales. La convocation de deux témoignages historiques tangibles
parmi de nombreux autres, permet non seulement d’éclairer les conditions fondamentales ainsi que le moment
fondateur de ce que l’on pourrait appeler le dysfonctionnement ou la divergence primordiale structurante, mais
il permet également d’affirmer sans nuance que le choix n’a véritablement jamais été laissé aux communautés
indigènes de disposer de la “Civilisation” à leur guise, ou de disposer pleinement de l’une de ses dimensions
comme elles l’auraient voulu. Autrement dit, quand Achille Mbèmbè (1997) énonce que « C’est donc l’Autre
qui m’affuble du prénom d’indigène, dans un vain effort pour s’extirper d’une situation qu’il a pourtant créée, et
qui fait que, strictement parlant, il n’y a d’indigène que par rapport à un intrus »479,

L’hypothèse de l’appropriation autant que celles de “la mission civilisatrice” ou du “partage de la culture”
deviennent une démarche forcée, violente et totalitaire de légitimation de l’intrusion et de l’effraction. Pour
Mbog Bassong (2013) qui en formule une explication générale :
Le besoin de disjonction culturelle et cognitive, en termes d’altérité et de différenciation
caractéristique du cartésianisme, se double d’un besoin de réductionnisme des autres
particularités. La pensée du tiers-exclu se consolide et s’affermit aux frontières de l’égotisme
culturel de l’Occident conquérant imbus de son histoire dont elle tient à tirer quelque gloriole. Il
s’agit de dévaluer toutes les autres pensées, à défaut de les intégrer dans son point de vue
cartésien, mais sans jamais céder un iota de la visée universaliste de son mode d’Être […] La
logique économique de l’Occident rationnel tend à s’approprier le cadre d’un capitalisme intégral
dont l’enjeu est de polariser ses seuls intérêts à une échelle devenue planétaire. À ce jeu, les
États dominateurs pèsent de tout leur poids sur les élites des États dominés en vue de
reproduire leurs structures mentales et culturelles, et bien entendu leurs propres contradictions
transactionnelles. Entre temps, le “petit peuple” déploie ses réflexes culturels pour parer au
pire480.

478 Op. cit.


479 Mamadou Diouf, Harris Memêl Fotê et Achille Mbembe, op. cit.
480 Op. cit.

208
Il en découle que l’Afrique courante, l’Afrique d’aujourd’hui, celle dont la familiarité et la stabilité de l’image
mentale construite par un paradigme qui définit son historicité en fonction du fait colonial européen donne la
paresseuse conviction qu’elle est l’Afrique de toute éternité; l’Afrique ancrée dans les structures mentales et
intellectuelles opératoires, l’Afrique présentée dans le paradigme dominant d’analyse, cette Afrique-là n’est, en
réalité, qu’une ombre et une silhouette auxquelles on a donné une existence authentique, que l’on veut
nécessairement substantialiser, à laquelle on a donné vie, que l’on veut nécessairement transformer ou
substituer à l’Afrique authentique… qui, elle-même, n’existe plus, néantisée –comme on vient de l’indiquer –
par la violence de l’histoire comme rupture radicale, comme négation de ses repères et de ses références,
comme négation radicale de sa personnalité et de son identité, qui, en tant que l’ombre d’elle-même est une
entité dans l’aliénation et le désarroi absolus, complètement déboussolée et profondément déstructurée
(Fabien Eboussi Boulaga, 1997; Mongo Beti & Odile Tobner, 1989; Paul Bairoch, 1994, 1971; Franz Fanon,
1961, 1952)481. Et c’est dans ce contexte d’accointances –Symphorien Ongolo parle de “connivence”482 –
coloniales françafricaines comme diraient Jean-Pierre Bat & Pascal Airault (2016, 2015), Pierre Péan (2014,
2010, 2005, 1988, 1983), Patrick Pesnot & Monsieur X (2008) ou François-Xavier Verschave (2005, 1998)483
entre les élites politico-administratives et les actionnaires de l’industrie forestière au Cameroun, contexte
essentiellement influencé et porté par les intérêts privés politico-financiers, qu’un mode irresponsable et quasi-
criminel d’exploitation des ressources forestières s’est développé pendant près d’un siècle au Cameroun.
Alain Karsenty (2016) rappelle que :
The taxation system was also subject to scrutiny. Most of the tax collected was for the export of
logs; the royalties proportional to the surface granted in concessions were inexistent or very low.
This configuration was adapted to a discontinuous activity, characterized by “stop-and-go”
phases, where taxes were due only when the timber was sold and exported. This did not mean
that the concessionaires had no “tax-like” costs: corruption costs were –and still are –significant
and many “parafiscal” contributions requested by various administrations and bodies for their
own sake, put a strain on companies’ budgets. In sum, companies pay almost all the time to
myriad of bodies, but only a tiny part of this money reaches the public treasury in Democratic
Republic of Congo, RDC, and in Cameroon484.

481 Lire :
- Mongo Beti & Odile Tobner, op. cit.
- Paul Bairoch, 1994, Mythes et paradoxes de l’histoire économique, éd. La Découverte, Paris; 1992 (1971), Le Tiers-Monde dans l'impasse. Le
démarrage économique du XVIIIème au XXème siècles, éd. Gallimard, Paris.
- Franz Fanon, 1961, Les damnés de la terre, éd. Maspero, Paris; 1952, Peau noire, masque blanc, éd. du Seuil, Paris.
482 Le chercheur (Symphorien Ongolo Assogoma) a utilisé ce terme au cours de l’entretien qu’il nous a accordé.
483 - Jean-Pierre Bat et Pascal Airault, 2016, Françafrique : opérations secrètes et affaires d’État, éd. Tallandier, Paris.

- Jean-Pierre Bat, 2015, La fabrique des barbouzes. Histoire des réseaux Foccart en Afrique, éd. Nouveau Monde Éditions, Paris.
- Pierre Péan, 2014, Nouvelles affaires africaines. Mensonges et pillages au Gabon, éd. Fayard. Paris; 2010, Carnages. Les guerres secrètes
des grandes puissances en Afrique, éd. Fayard, Paris; 2005, Noires fureurs, blancs menteurs, éds. Fayard/Mille et Une nuits, Paris; 1988,
L'Argent noir. Corruption et sous-développement, éd. Fayard, Paris; 1983, Affaires africaines, éd. Fayard, Paris.
- Patrick Pesnot & Monsieur X, 2008, Les dessous de la Françafrique, éd. Nouveau Monde Éditions, Paris.
- François-Xavier Verschave, 2005, De la Françafrique à la Mafiafrique, éd, Tribord, Bruxelles; 2000, Noir silence. Qui arrêtera la Françafrique?,
éd. Les Arènes, Paris; 1994, Complicité de génocide? La politique de la France au Rwanda, éd. La Découverte, Paris.
484 Op. cit.

209
C’est à l’analyse de cette Afrique réelle ou tragique –qui est loin de l’image de l’Afrique définitivement prise en
otage par le rouleau compresseur du paradigme dominant et le monolithisme irréversible de la modernité
capitaliste, l’Afrique courante et connue de tous dont l’histoire dominante de la modernité capitaliste semble
s’être fait le jouet et l’épouvantail par excellence –qui n’est ni fabulée par l’idéologie et l’obsession du
développement (Gilbert Rist, 2015, 2014, 2010, 2002, 1997, 1996, 1992; José Do Nascimento, 2008)485 ni
instrumentalisée par les discours économicistes des grands intérêts financiers internationaux que quelques
années seulement à la suite de René Dumont & Marie-France Mottin (1982) qui parlent de “L’Afrique
étranglée”486, Thomas M. Callaghy (1987, 1993, 2002)487 développe une explication identique de l’échec
africain notamment quand il parle de “l’Afrique cernée”, dans une dynamique d’analyse qui indique le piège
kafkaïen dans lequel l’Afrique semble inflexiblement enfermée (Paul Bairoch parle de “l’impasse” mais aussi
de “mythes et de paradoxes…”, 1994, 1971)488 : pendant plusieurs années, Bernard Lugan ne cessera de crier
et de plaider pour la décolonisation de l’Afrique avec “Décolonisez l’Afrique!” (2011), “Pour en finir avec la
colonisation” (2006) ou “God Bless Africa. Contre la mort programmée du Continent noir” (2003)489. C’est de
cette préoccupation que traite Harana Paré (2017)490 et plus densément Charles Onana dans deux de ses
édifiants ouvrages que sont “France-Côte d’Ivoire, la rupture. Confidences et documents secrets” (2013) et
“Côte d’Ivoire, le coup d’État” (2011)491. C’est la même approche d’analyse qu’infléchit Aboubacar Yenikoye
(2007) en proposant le concept d’incarcération.

C’est à partir de cette perspective d’analyse qu’il devient pleinement cohérent d’énoncer que la marginalisation
des communautés locales dans la gouvernance forestière au Cameroun se présente essentiellement comme
la conséquence structurelle d’un ensemble d’intrants historiques fondateurs ou de données originaires portant
sur les conditions d’émergence et de constitution de la collectivité politique camerounaise, mais également

485 Lire :
- Gilbert Rist, 2014, “Le développement durable : les habits neufs du développement”, conférence, Université d’automne de l’Institut Hydro-Québec en
environnement, développement et société, Université Laval, Quebec City; 2002, “Le développement : habits neufs ou tenue de camouflage?”, in Défaire
le développement, Refaire le monde. Atelier 1 : Les habits neufs du développement, Actes du colloque organisé en 2002 à Paris sur “L’après-
développement”, avec La ligne d’horizon et Le Monde Diplomatique, accueilli par le Programme MOST, au Palais de l'UNESCO les 28 février, 1er, 2 et
3 mars (http://www.web.ca/~bthomson/decroissance/actes_colloque_2002.html); 1996, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, éd.
Presses de Sciences po, Paris.
- José Do Nascimento, 2008, op. cit.
486 René Dumont et Marie-France Mottin, 1980, L’Afrique étranglée, éd. du Seuil, Paris.
487 Thomas M. Callaghy, 2011 (2002), Intervention and Transnationalism in Africa: Global-Local Networks of Power, co-éd. Thomas Callaghy,

Ronald Kassimir & Robert Latham, Cambridge University Press, Cambridge; 1993, Hemmed In. Responses to Africa′s Economic Decline, éd.
Columbia University Press, New York; 1987, “The state as Lame Laviathan: the patrimonial administrative state in Africa”, in Zaki Ergas (ed.), The
African State in Transition, éds. MacMillan/St. Martin’s, Londres/New York.
488 Paul Bairoch, 1994, Mythes et paradoxes de l’histoire économique, éd. La Découverte, Paris; 1992 (1971), Le Tiers-Monde dans l'impasse. Le

démarrage économique du XVIIIème au XXème siècles, éd. Gallimard, Paris.


489 Bernard Lugan, 2015, Osons dire la vérité à l’Afrique, éd. du Rocher, Monaco; 2011, Décolonisez l’Afrique!, éd. Ellipses M., Paris; 2006, Pour

en finir avec la colonisation, éd. du Rocher, Monaco; 2003, God Bless Africa. Contre la mort programmée du Continent noir, éd. Carnot, Chatou.
490 - Harana Paré, 2017, “Conflit et génocide rwandais. La République française est-elle totalement compromise?”

(https://francais.rt.com/opinions/40367-conflit-genocide-rwandais-republique-francaise-est-elle-totalement-compromise).
491 Charles Onana, 2013, France-Côte d’Ivoire, la rupture. Confidences et documents secrets, éd. Duboiris, Paris; 2011, Côte d’Ivoire, le coup

d’État, éd. Duboiris, Paris.


Lire également François Mattei & Laurent Gbagbo, 2014, Pour la vérité et la justice. Côte d’Ivoire : révélations sur un scandale français, Éditions
du Moment, Paris.

210
comme la manifestation d’un ensemble de dysfonctionnements inhérents aux modalités de déploiement de
l’État au Cameroun. Concrètement : dans une étude (inédite) réalisée il y a quelques années avec le Centre
pour la recherche forestière international (CIFOR), nous relevons en termes d’incompétences techniques et
logistiques une situation d’incohérence irréductible entre les orientations stratégiques telles qu’elles sont
formulées d’un côté, et les disponibilités fonctionnelles des ressources et mécanismes censés les mettre en
œuvre, de l’autre. En effet, non seulement les activités de production –tant du bois industriel que des produits
forestiers non ligneux –se déploient sur des inventaires approximatifs, imaginaires ou factices, mais les
Services gouvernementaux mis en place sont incapables de contrôler les espaces et superficies exploités, et
encore moins de monitorer les ressources réellement prélevées par les différents exploitants. Ainsi, aux
incompétences intellectuelles et techniques se greffent les incompétences logistiques territoriales, notamment
avec un État qui peine à asseoir un contrôle immédiat total de son espace, de ses ressources et des activités
qui s’y développent. Il s’agit d’une faiblesse stratégique, organisationnelle et logistique ainsi qu’une faiblesse
en infrastructures opérationnelles par où l’État est incapable d’assurer et de réaliser les différentes missions
techniques, administratives, d’exploitation, de contrôle ou de gestion auxquelles donne lieu la mise en œuvre
de la Réforme forestière (Rozenn Nakanabo Diallo, 2013; S. Nguiffo, 2004, 2001; etc.). C’est la généralité
structurelle des dysfonctionnements de ce type qui amène Symphorien Ongolo & Laura Brimont (2015) à
affirmer que « Depuis les indépendances intervenues dans la majorité des pays d’Afrique subsaharienne,
l’État peine à assurer la maitrise et le plein exercice de son autorité régalienne sur le domaine forestier
national »492.

C’est dans la même logique que Dieudonné Bitondo (2005) analyse l’institutionnalisation dans le contexte
camerounais de l’Évaluation environnementale en tant qu’exigence globale nouvelle de durabilité du
développement routier. Pour le chercheur :
L’institutionnalisation de l’évaluation environnementale au Cameroun ne concerne pas
uniquement la promulgation des lois et la signature de textes y afférents ou encore la création
de structures en charge. Bien que ces étapes soient des dimensions importantes de
l’institutionnalisation, elles sont loin d’être suffisantes. Elle doit aussi se préoccuper de la
fonctionnalité et de l’efficacité de l’ensemble du système, et en particulier viser l’intégration
effective des conclusions de l’évaluation environnementale dans la prise de décision. Ce dernier
aspect dépend fortement de l’appropriation par les acteurs concernés de l’objet, rendant
l’institutionnalisation tributaire du jeu des acteurs et de ses contextes d’application493.

492 Symphorien Ongolo Assogoma et Laura Brimont, 2015, “Sociétés civiles et gestion communautaire des forêts en Afrique centrale : leçons et
perspectives pour la gouvernance environnementale”, article publié dans Jean-Jacques Friboulet, Jean Brot et Hubert Gérardin (sous la dir.), 2015,
Dynamiques des sociétés civiles en économies ouvertes. Études de cas et perspectives (Afrique de l’Ouest, Europe, Maghreb), éd. Karthala,
Paris.
493 Op. cit.

211
Les problèmes et contradictions que manifeste la gouvernance forestière au Cameroun et auxquels s’articule
la marginalisation des communautés villageoises peuvent être identifiés et regroupés en quatre principales
catégories qui se chevauchent souvent : les inadaptabilités culturelles ou intellectuelles, les faiblesses
institutionnelles, les incompétences techniques, logistiques et financières, la corruption généralisée (Paolo O.
Cerutti et al, 2013; Paolo O. Cerutti & Guillaume Lescuyer, 2011; Pierre Titi Nwel, 2009, 1999; Paolo Omar
Cerutti & Luca Tacconi, 2008; Fabien Eboussi Boulaga & Valentin Siméon Zinga, 2002; Eboussi Boulaga,
1997).

Cette situation que l’on dirait d’embrigadement intellectuel et d’aliénation structurelle, dans laquelle les
communautés indigènes semblent complètement prises en otage, découle directement de la violence radicale
du contact colonial européen (Edward Berenson, 2012, 2005)494 et par conséquent des conditions exogènes
d’émergence de la collectivité politique actuelle. En effet, l’État moderne et capitaliste africain, dans lequel
cohabitent improbablement le système moderne et les oripeaux insistants du système indigène, nait et se
constitue essentiellement au détriment de la collectivité politique indigène et contre elle, autrement dit, sans
les communautés indigènes, sans considération structurelle de leurs représentations, et contre les besoins et
les intérêts indigènes. Il en découle comme le rappelle Alain Karsenty (2016), que :
Land tenure is generally featured as “dual”, with opposition between the State monopoly or
ownership of land and resources, and the customary practices which allow the “land master” to
allocate plots of land to newcomers who are guaranteed traditional family property rights over
the cleared land, as long as the plot is cultivated. But another duality is even more important: the
overlapping between community lands and forest concessions. Such overlaps are manageable
since they are usually not mutually exclusive (see Lescuyer et al. 2012). But there are also
cases where trees are the subject of competition between concessionaires and populations:
Moabi (Baillonella toxisperma) trees for seed oil and bark, Sapele (Entandrophragma
cylindricum) trees for caterpillars. Yet, community claims for an economic autonomy are limited.
Greater autonomy would be difficult to sustain, given the limited access to markets, credit and
affordable transport. The relationships with concessionaires are ambiguous: on the one hand,
logging activity creates trouble for hunting, cropfarming and so forth, but on the other hand, local
communities see concessions as opportunities for employment, and for bargaining (various
“compensations” are expected or claimed)495.

C’est la même réalité que Marie Fall (2006) est arrivée à formuler une dizaine d’années plus tôt à l’issue de la
thèse de doctorat qu’elle a consacrée à l’analyse de la dynamique des acteurs dans la mise en place de la
Réserve de biosphère du delta du Saloum au Sénégal. En effet, l’examen des conflits et autres
dysfonctionnements manifestés dans le sillage de projet a permis à la chercheure soudanaise d’observer que :
Les divergences d’intérêts et de systèmes de référence entre les acteurs, notamment les
populations locales d’ethnie Socé et Niominka, les acteurs gouvernementaux, les organisations

494 Op. cit.


495 Op. cit.

212
non gouvernementales et les exploitants privés, sont à l’origine des conflits. Les références
juridiques sont opposées : d’une part, il y a un droit coutumier qui encourage l’exploitation et
l’utilisation des ressources, appliqué par les populations locales, et d’autre part, il existe un droit
moderne défendu par les acteurs gouvernementaux qui essaient de faire valoir la conservation
(…)496.

Du point de vue méthodologique et théorique, c’est à cette approche d’analyse qui s’avère sinon nécessaire et
incontournable, du moins efficace de l’Afrique, eu égard à son historicité et à son statut spécifique dans
l’histoire, que souscrit la démarche de la présente thèse.

496Marie Fall, 2006, Dynamique des acteurs, conflits et modes de résolution pour une gestion durable des ressources naturelles dans la
réserve de biosphère du Delta du Saloum (Sénégal), Thèse de doctorat de géographie, Université de Montréal.

213
CHAPITRE II : DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE (SITES, SOURCES, OUTILS DE
COLLECTE DES DONNÉES)

Grégoire Madjarian dit :


« Il est toujours difficile après-coup de retracer les raisons qui ont
conduit à chercher, sans verser dans une reconstitution
involontaire, reconstitution qui opère à partir des résultats acquis et
organise l’itinéraire de la recherche dans la perspective de ces
résultats ; comme si la démarche qui conduit à ces résultats s’était
immédiatement imposée et que la recherche sans égarement ni
désordre, sans inflexions de l’itinéraire ni détours, ni
contournements, sans modification des instruments de route
(concepts et hypothèses), n’avait eu qu’à avancer droit au but
comme un navire sur une ligne régulière. Le travail théorique par
lui-même tend nécessairement à refouler l’ordre de la recherche au
fur et à mesure que se déploie l’ordre d’exposition, déploiement qui
représente la négation nécessaire de toute temporalité, la négation
des origines réelles »
(In L’invention de la propriété. De la terre sacrée à la société
marchande, éd. L’Harmattan, Paris, 1991).

Au regard de la démarche théorique ainsi campée, nous avons souscrit à une approche classique de
recherche qui nous a porté, dans le sillage des ressources documentaires ciblées pour l’élaboration du Projet
de thèse, à la collecte d’informations dans la littérature scientifique spécialisée, en l’occurrence celle qui est
consacrée depuis une vingtaine d’années à l’exploitation des forêts et aux politiques publiques forestières au
Cameroun. Autrement dit, nous sommes partis d’une réalité constante fermement établie par la recherche
antérieure : la marginalisation des communautés villageoises dans la gouvernance forestière au milieu des
dysfonctionnements structurels divers et des contradictions irréductibles qui se manifestaient dans la mise en
œuvre de la Loi des forêts de 1994. En guise de rappel, la marginalisation systémique des communautés
villageoises dans l’économie forestière au Cameroun représente le phénomène emblématique des
dysfonctionnements et autres problèmes et difficultés manifestés dans la gouvernance forestière; elle se
traduit par une sorte de désarticulation structurelle ou d’articulation déficiente et déficitaire des communautés
villageoises au système de gestion de l’exploitation industrielle des forêts. L’une des conséquences
fondamentales de ce rapport contradictoire étant la disqualification intellectuelle et politique/citoyenne des
communautés villageoises du système de gestion de l’exploitation industrielle des forêts ainsi que l’absence
d’impacts socio-économiques structurel alternatifs dans les territoires d’exploitation, en termes de mise en
place des conditions durables et sécuritaires d’existence. L’analyse consacrée par Patrice Bigombe Logo
(2007) au statut dysfonctionnel des élites locales dans la décentralisation de l’économie forestière permet ainsi

214
d’éclairer non seulement une dimension essentielle du corpus épistémologique à partir duquel la présente
thèse se développe, mais également le potentiel heuristique du concept de contraintes structurelles
contextuelles dans l’explication radicale de la marginalité des communautés locales et de manière générale
des difficultés du Régime des forêts mis en place au Cameroun en 1994. Relativement à l’accès des
communautés villageoises aux ressources financières issues de l’exploitation du bois, Bigombe Logo (2007)
relève qu’:
En ce qui concerne la fiscalité forestière décentralisée, les dynamiques de recouvrement, de
circulation et de distribution des revenus forestiers sont porteuses de nombreuses déviations qui
hypothèquent la transparence et les fondements de la décentralisation. Actuellement, les
redevances forestières sont versées au Trésor public. Une fois les sommes d'argent payées au
Trésor, le Programme de sécurisation des recettes forestières établit des chèques à l'adresse
des maires et receveurs municipaux qui sont convoqués par radio pour retirer les chèques.
Après la réception des chèques, les maires et les receveurs sont responsables du recouvrement
des espèces et de la gestion des fonds reçus en fonction de leur organisation propre. Les 50%
transférés aux recettes municipales ne sont pas toujours affectés de façon distincte aux
différents comptes des bénéficiaires que sont les communes (40%) et les communautés
villageoises riveraines (10%). La part de 10 % destinée aux communautés villageoises est
intégrée dans les comptes communaux et ne sert généralement pas au financement des
réalisations sociales attendues. Les 50 % de la RFA due aux communes et communautés
villageoises riveraines et de la taxe de 1000 F/m3 à la recette municipale ne sont pas
suffisamment investies dans la réalisation des œuvres sociales et communautaires (adduction
d’eau; électrification; construction et entretien des routes et ponts; construction, entretien ou
équipement des établissements scolaires, des formations sanitaires etc.).
Généralement, dès que l’argent est versé, plusieurs cas de figures se présentent par rapport à
son affectation : intégration des comptes communautaires (10% de la RFA) aux comptes
communaux; surfacturation des travaux; retenues abusives et taxes imaginaires; détournement
des fonds. L’intégration des 10% de la part de redevance forestière annuelle due aux
communautés villageoises riveraines aux comptes communaux ne permet pas une gestion
distincte des fonds. Les 10% sont le plus souvent dépensés pour le compte de la commune et
au détriment des communautés qui en sont les légitimes bénéficiaires. Le dysfonctionnement
des comités de gestion des redevances forestières et des comptabilités municipales a favorisé
les pratiques de surfacturation des travaux réalisés dans les villages au nom des communautés
villageoises. La rente forestière (la part des 10% versés aux communautés villageoises) est
utilisée à des fins personnelles par les maires, au mépris du respect des dispositions juridiques
régissant la gestion de ces fonds. Ainsi, entrepreneurs et populations (chefs de village, certains
représentants des populations dans les comités de gestion de la RFA) sur présentation des
factures Proforma aux maires, obtiennent d’eux des mandats de paiement des factures en vue
de la réalisation des travaux des projets arrêtés et dont le montant est largement supérieur au
coût réel (facturation d’un puits d’eau à environ 1 million de F CFA alors que le coût réel est
compris entre 300.000 et 400.000 F CFA). Pour se faire payer, les détenteurs des mandats de
paiement sont obligés de se soumettre aux exigences des receveurs municipaux et des
percepteurs qui leur imposent des taxes imaginaires (TVA) et des retenues abusives (de l’ordre
de 10 à 30% sur le montant à payer) conditionnant tout paiement.
C'est la raison pour laquelle des travaux engagés sont inachevés ou ne sont pas du tout
effectués : l’argent a été détourné et le reste des sommes ne suffit pas pour les réalisations
prévues. Les détournements des fonds ne sont pas en reste. L’argent décaissé pour la
réalisation des projets retenus emprunte le plus souvent des destinations inconnues et n’est

215
investi nulle part pour le compte des communautés villageoises. Raison pour laquelle les
réalisations sociales déclarées n’existent pas aux lieux indiqués (réalisations fictives, etc.). C’est
le cas de la prétendue électrification du village Toungrelo (Arrondissement de Dimako) qui n’est
pas effective jusqu'ici; les prétendues constructions des puits d’eau (Ngolambélé à Dimako) à
partir des revenus forestiers (RFA et taxe de 1000 F/m3) alors que c’est l’œuvre des exploitants
forestiers et certaines ONGs internationales (CARE, Plan International). Les mêmes tendances
existent dans la gestion des revenus issus de l’exploitation de la faune au sud-est du pays497.

Du point de vue strictement épistémologique, et pour compléter ce tableau caractéristique de la spécificité du


contexte dont nous suggérons une explication structurelle d’un phénomène critique, nous référons également
à Hubert Ngoumou Mbarga (2013) dont l’évaluation du Régime de 1994 à travers le diagnostic des forêts
communautaires n’a pu épargner le rôle incertain des élites dans la gouvernance forestière au Cameroun. Le
chercheur note également que :
La rétribution individuelle des élites se traduit par des pratiques de détournement des fonds. En
fait, “le manque de transparence dans la circulation de l’information et la redistribution des fonds
(Mbang et Campo), la non déclaration des montants des chèques dus aux populations (Mbang
et Djoum), le manque de critères objectifs de partage des fonds (Mbang et Campo) sont des
phénomènes courants observés dans les communes. La non production des documents
comptables (toutes les communes étudiées), garants d’une traçabilité et d’une lisibilité de la
gestion des fonds reste aussi un élément qui ne favorise pas le bon fonctionnement de la
gestion de la rente forestière communautaire. Par ailleurs l’argent perçu par certains maires au
profit des communautés (commune de Mbang) n’est pas redistribué aux communautés et
emprunte des destinations inconnues”. Ces destinations inconnues aboutissent dans des
réalisations privées au seul bénéfice des gestionnaires (villas, voitures, etc.). Les fonds
détournés servent à l’entretien d’un vaste réseau composé de parents, de courtisan(e)s, d’amis,
au niveau local et central. L’émergence des “Big men” [que l’on désigne indifféremment dans le
contexte camerounais en tant qu’élites, VIP, Grands types ou personnalités importantes]
contribue à installer des circuits sophistiqués de corruption basés sur l’enrichissement personnel
des gestionnaires des revenus de la forêt et l’utilisation privative des biens collectifs. Les
positions d’autorité offrent l’opportunité d’accès aux ressources publiques pour la satisfaction
des besoins privés, au détriment de la collectivité. Le pouvoir politique ouvre l’accès aux
ressources économiques qui confortent la puissance des “Big men” et les soustrait à la reddition
des comptes498.

De fait, la préoccupation méthodologique d’aller sur un terrain abondamment documenté par de nombreux
travaux antérieurs aurait pu s’avérer caduque. Cependant, au-delà de l’abondance de la littérature spécialisée
–et par conséquent de la documentation quasi-exhaustive de l’économie forestière camerounaise autant du
point de vue des préoccupations spécifiques de la science sociologique que des différentes autres
préoccupations disciplinaires (économique, sciences politiques, forestières, biologiques, fiscalité, etc.) –
l’authentification de certaines informations principales relatives au statut organique ou socio-politique des
communautés locales dans la collectivité politique camerounaise (leur [niveau de] participation aux conditions
497Patrice Bigombe Logo, 2007, op. cit.
498Hubert Ngoumou Mbarga, 2014, L’action collective locale et la gestion des forêts communautaires : cas des communautés rurales de Djoum
au Sud Cameroun, Thèse de doctorat, Université Michel de Montaigne-Bordeaux III.

216
de motivation ou d’émergence des Réformes ainsi qu’au processus d’élaboration de la Loi des forêts; leur
[niveau de] participation à la gouvernance ainsi que leur présence effective dans les instances de contrôle ou
de décision; etc.) a exigé que nous approchions directement l’ensemble des acteurs pertinents intéressés et
impliqués dans l’économie politique forestière au Cameroun. C’est ainsi que relativement à l’émergence des
Réformes au début des années 1990, si la reconstitution du tableau repose essentiellement sur l’information
spécifique qu’en produit la littérature scientifique consacrée à l’évaluation critique de la gouvernance forestière
notamment telle qu’elle se déploie depuis la mise en place du Régime des forêts de 1994, l’information
pertinente collectée dans la littérature est consolidée par les données que nous avons recueillies directement
auprès d’acteurs divers rencontrés sur le terrain. De même, tout en contrôlant la réalité de la marginalisation
des communautés villageoises et des dysfonctionnements divers; la collecte directe d’informations auprès des
acteurs devait également permettre l’identification des conditions et facteurs qui favorisent le déploiement des
OSC/ONG dont l’action d’information, de sensibilisation, de formation et de contrôle permet l’enracinement
effectif des préoccupations environnementales, économiques et démocratiques qui avaient été alléguées à la
mise en place du Régime forestier.

Dès lors, après avoir opérationnalisé les concepts principaux d’analyse dont il s’agissait de formuler
exhaustivement sinon les indicateurs du moins les marqueurs conceptuels [étant donné l’orientation
essentiellement théorique de notre préoccupation de recherche], nous nous sommes investis dans un
troisième moment à l’identification des données significatives ainsi qu’à la formulation d’une énonciation qui
établissent et rendent compte –à partir des correspondances qui se dégageaient de la mise en rapport des
données collectées dans la littérature scientifique et les entretiens et des marqueurs théoriques élaborés à
partir des hypothèses et des concepts d’analyses –de la cohérence et des régularités théoriques manifestes.
Dès lors, la validation ou la validité explicative des hypothèses et concepts que nous avions formulés au
départ était fonction ou reposait sur l’ampleur de la cohérence que nous arriverions à construire. Il en découle
que du point de vue de l’identité méthodologique, notre thèse participe essentiellement de ce que Jean Piaget
(1973), référant à Cournot, appelle :
des démonstrations explicatives. En effet, poursuit l’épistémologue suisse, expliquer c’est
répondre à la question du “pourquoi”, c’est comprendre et non pas seulement constater,
autrement dit, c’est dégager la “raison” sur le terrain des sciences déductives et la “causalité”
dans le domaine des sciences physiques. Dégager la raison d’une réalité quelconque, formelle
ou réelle, c’est montrer qu’elle est nécessaire, et par conséquent c’est s’appuyer sur un modèle
déductif. Mais, en même temps, trouver la raison, c’est saisir ce qu’il y a de nouveau, c’est
justifier une construction effective.
En d’autres termes, chercher la raison ou l’explication, c’est aussi admettre implicitement
l’insuffisance d’un simple réductionnisme. En l’occurrence, il s’agit d’un réductionnisme qu’on
pourrait appeler interne et qui cherche la raison d’une réalité nouvelle dans la supposition qu’elle
était préformée ou prédéterminée en quelque réalité antérieure. On pense aussitôt à l’œuvre si

217
instructive et courageusement paradoxale d’Émile Meyerson qui voulait ramener l’explication à
l’identification : expliquer c’est montrer ce qui était préformé dans l’état antérieur. Par exemple
(et Meyerson cite souvent ce mot de Bossuet), “le bouton explique la rose”, expliquer signifiant
ici au sens propre, sortir de ses plis ou dégager dans l’effet ce qui était déjà antérieurement
contenu dans la cause.
Dès lors, l’explication ou recherche de la raison des choses comporte un paradoxe : il s’agit de
concilier la nécessité, d’un côté, avec la production des changements, d’un autre côté.
Autrement dit, il s’agit de comprendre les nouveautés comme nécessaires, et c’est là notre
problème central. Elles ne sauraient être considérées comme préformées, sans quoi elles ne
seraient pas nouvelles. Mais elles ne peuvent pas non plus être considérées comme
contingentes, sans quoi elles ne seraient pas nécessaires, et on ne les “comprendrait” plus.
Ceci parait contradictoire, mais il y a quand même là une double exigence de la pensée : d’une
part, la raison veut comprendre le divers et se refuse à le considérer, avec Meyerson, comme
de l’irrationnel; mais d’autre part, la raison veut que toute construction soit nécessaire, sinon
nous retombons effectivement dans l’irrationnel.
Sur le terrain des sciences déductives, la solution de l’explication semble être cherchée de plus
en plus aujourd’hui dans la direction des structures [!], que l’on passe aux structures-mères des
Bourbaki avec leurs combinaisons et leurs différenciations; ou encore aux catégories de Mc
Lane & Eilenberg (des classes avec les fonctions qu’elles comportent) et donc aux morphismes
de tous genres499.

L’exclamation insérée ci-dessus entre crochets dans l’extrait du texte de Jean Piaget est de nous-même. Il
s’agit de relever la concordance théorique parfaite qui se révèle ici entre nos propositions conceptuelles
d’analyse construites sur les structures ou plus exactement sur les contraintes structurelles, et les énoncés
acquis depuis longtemps dans la théorie. Ce qui semble encore plus intéressant, c’est l’unité du réel qui est
clairement suggérée par cette correspondance tangible établie entre une préoccupation que nous formulons
dans le cadre de la théorie sociale, et un acquis théorique ferme élaboré à partir des sciences mathématiques.
Exactement dans la perspective que Karl Popper (1956, 1945)500 a développée et défendue, notamment à
travers sa critique de l’historicisme. Dès lors, même s’il est acquis sans aucune ambigüité que la démarche de
notre thèse ne participe pas de l’approche déductive propre aux mathématiques, étant donné que la
préoccupation consiste à valider l’opérationnalité des hypothèses et concepts d’analyse postulés à travers
l’identification d’une cohérence structurelle qui ordonne et articule les différentes dimensions déterminantes
portées par l’information scientifique et empirique collectée ou disponible, il n’en demeure pas moins que ce
caractère essentiellement théorique de notre préoccupation spécifique de recherche –qui est fondée sur “le
besoin d’expliquer la manifestation implacable de dysfonctionnements fondamentaux dans la motivation des
Réformes forestières du début des années 1990 et la mise en œuvre du Régime des forêts de 1994 ainsi que
les conditions d’émergence et de permanence de la marginalisation des communautés villageoises dans la
gouvernance forestière au Cameroun en tant que phénomènes nécessaires” [pour paraphraser Jean Piaget

499 Jean Piaget (dir.), 1973, L’explication dans les sciences, éd. Flammarion, Paris. Cet ouvrage est le produit du Colloque de l’Académie
internationale de philosophie des sciences organisé en septembre 1970 au Centre international d’épistémologie génétique de Genève.
500 Karl R. Popper, 1956, Misère de l’historicisme, éd. Plon, Paris; 1945, La société ouverte et ses ennemis, éd. du Seuil, Paris.

218
(1973)] à partir d’une phénoménalité fermement établie –fait de cette démarche authentiquement hypothético-
déductive qu’elle déploie une certaine sensibilité avec la logique déductive. Pour le dire simplement Nasr
Elayech (2010) observe que :
Le terme hypothético-déductif prête souvent à confusion. Pour le pédagogue tunisien, Le terme
exact serait plutôt démarche inductive avec raisonnement hypothético-déductive, une
expression un peu trop longue pour être couramment employée qui, en plus, exprime un
pléonasme puisque toute démarche inductive intègre un raisonnement hypothético-déductive.
En effet, dans la démarche hypothético-déductive, on part du connu pour arriver à l'inconnu, du
particulier pour aller au général, du concret pour aller vers l'abstrait : l'expérience est prise
comme point de départ de toute recherche physique mais elle est idéalisée et schématisée
(modélisation). Il s’agit d’une méthode de recherche qui vise à conduire l'apprenant à une vérité
à laquelle on voulait aboutir. Il s'agit de l'habituer à dégager les idées générales, à réfléchir, à
juger la vérité et l'erreur. Elle utilise des techniques pédagogiques de l'ordre de la découverte501.

Autrement dit, du point de vue méthodologico-théorique, en pratiquant une double approche socio-historique
et synchronique pour établir non seulement la validité des hypothèses et concepts d’analyse que nous avons
proposés au départ, mais également l’opérationnalité des constantes structurelles qui expliqueraient aussi
bien la situation marginale actuelle des communautés locales dans le régime forestier que l’émergence d’une
collaboration compensatoire horizontale entre les organisations de la société civile [développement rural,
défense des droits des communautés villageoises, environnementalistes], nous ferions ainsi écho à la
démarche méthodologique qui amena Durkheim à affirmer le rôle déterminant de l’histoire pour la recherche
sociologique, notamment quant à l’articulation du “contingent” (qui relève de l’histoire) et du “nécessaire”
(propre à la sociologie) : « […] L’histoire, énonçait-il, est le seul instrument dont dispose le sociologue pour
résoudre ces sortes de questions. En un mot, l’histoire joue, dans l’ordre des réalités sociales, un rôle
analogue à celui du microscope dans l’ordre des réalités physiques. La sociologie est donc, en grande partie,
une sorte d’histoire entendue d’une certaine manière.
Nous sommes convaincu qu’un jour viendra où l’esprit historique et l’esprit sociologique ne différeront plus que
par des nuances »502.

Pouvait-il en être autrement dans le cadre d’une analyse rigoureuse de ce contexte spécifique qu’est la
collectivité politique camerounaise? En effet, une dizaine d’années plus tôt, dans une sorte de communication
intellectuelle rétroactive, Dieudonné Bitondo (2005) énonçait déjà clairement dans la même perspective
d’analyse du processus de mise en place de “l’évaluation environnementale” comme conditionnalité organique
de réalisation de grands travaux au Cameroun que :

501 Nasr Elayech, 2010, Théorie de l’apprentissage, Rapport de stage doctoral, Université de Monastir, Tunis.
502 Cité par Giovanni Busino, op. cit.

219
Le contexte historique s’intéresse à la diachronie, c’est-à-dire à la succession d’événements
dans le temps, succession dont elle cherche à dégager la notion de causalité historique. Les
considérations historiques sont du reste transversales à tous les autres aspects contextuels
dans la mesure où chacun d’eux peut s’analyser sous l’angle historique. L’analyse historique est
complémentaire de l’analyse sociale qui est plus synchronique et se préoccupe des situations
présentes et des structures sociales qui les caractérisent. La manière de s’organiser et d’agir
varie beaucoup et est largement fonction des héritages du passé. Le développement d’une
conscience environnementale est en grande partie dû à la prise de conscience suite à des faits
historiques dont en particulier la survenue de catastrophes et la diminution des ressources
naturelles. L’analyse des régions ou des structures ayant eu des expériences d’évaluation
environnementale et où il existe des données sur le suivi de ces expériences offre une bonne
base pour la conception et la révision des schémas d’institutionnalisation503.

Cette approche présente deux avantages : elle permet d’établir les positions, les statuts et les compétences
(intellectuelles, politiques, citoyens) ainsi que les capacités d’action et l’activité effectives des différents
acteurs à l’époque où intervient l’exigence [exogène] des Réformes forestières. Elle permet également
d’éclairer cette époque primordiale à partir de la réflexivité qu’en donnent les mêmes acteurs aujourd’hui, eu
égard aux dysfonctionnements manifestés dans la mise en œuvre d’un Régime dont le caractère novateur
avait été vanté et des problèmes fondamentaux auxquelles les communautés villageoises sont contraintes;
mais également à la généralisation des activités d’endogénisaton (d’enracinement ou d’approfondissement)
développées par les OSC/ONG (Samuel Assembe Mvondo, 2006, 2005). En d’autres termes, le choix de la
double démarche socio-historique et synchronique ouvre également au déploiement d’un large spectre de
logiques d’action, de dynamiques politiques et de situations sociologiques à l’œuvre dans les différentes
phases du processus des réformes forestières au Cameroun, un comme quand Guillaume Gourgues et al.
(2013) observent que :
Les discours critiques, quelle que soit leur nature, révèlent l’existence d’une tension entre
l’exercice d’un gouvernement, les résistances que ce gouvernement provoque et la “mise en
participation” du social. Reprenons le fil de nos analyses critiques : elles nous donnent à voir
une configuration politique dans laquelle la participation est de plus en plus pensée comme une
offre, répondant à une demande sociale incertaine, avec l’appui d’un champ de professionnels.
Les problématiques sectorielles spécifiques montrent qu’elle s’applique de manière différente en
fonction des rapports de force propres à chaque espace social de gouvernement. Les individus
pris dans ce jeu participatif peuvent ainsi s’ériger contre cette mise en participation ou au
contraire, l’accepter, la détourner, l’ignorer504.

Dans l’ensemble, l’approche de recherche que nous avons déployée pour développer cette thèse s’appuie sur
une double démarche à caractère socio-historique et synchronique qui semble parfaitement convenir à
l’analyse des ressorts structurels typiques que nous identifions à l’évolution de l’économie forestière et de

503 Dieudonné Bitondo, op. cit.


504 Op. cit.

220
l’exploitation industrielle des forêts dans cette collectivité politique africaine qu’est le Cameroun. Cette double
démarche convient spécialement à l’analyse de la marginalité des communautés villageoises dans
l’infrastructure opératoire de mise en œuvre des institutions et du régime d’exploitation des ressources
forestières ainsi qu’aux conditions et modalités d’enracinement progressif des problématiques
environnementales au Cameroun. En effet, comme dans l’approche de la “théorie des catastrophes”
développée par René Thom, par où le chercheur formule la stabilité structurelle et la morphogenèse de la
réalité à partir de l’analyse du mouvement des catégories antagonistes et complémentaires de la réalité en
termes de “catastrophes”, notre démarche d’analyse des déterminants structurels à l’œuvre dans le
déploiement des Réformes forestières au Cameroun au début des années 1990 s’intéresse aux structures
porteuses des dynamiques à l’œuvre, en tant que leur dévoilement éclaire l’armature sous-jacente des
dysfonctionnements et de la marginalisation des communautés locales qui en émergent (Clément Morier,
2011)505. En guise de rappel de la préoccupation épistémologique, et pour conforter la validité de la démarche
d’analyse que nous proposons : de nombreux travaux ont été réalisés ces vingt dernières années pour évaluer
la gouvernance forestière au Cameroun notamment à partir de la Réforme ayant abouti à la mise en place
d’un nouveau Régime des forêts en 1994. Dans cette abondante littérature, nous avons choisi deux textes qui
permettent de camper la problématique de notre thèse. Ils sont extraits des publications de Théophile Bouki,
forestier et ingénieur en développement local; et de Charlotte Gisèle Kouna Eloundou, ingénieure en foresterie
et géographe. Pour Théophile Bouki (2010) qui suggère clairement un aperçu synthétique de la situation :
L’une des innovations de la réforme forestière traduite par la loi du 21 janvier 1994 reste
l’affectation financière d’une partie des redevances forestières annuelles versées par les
opérateurs économiques qui opèrent dans ces forêts soumises à l’exploitation forestière. Elle
est représentée par une écotaxe communautaire en faveur des villages et des campements
Bakas. À cela s’ajoute la RFA communale versée aux maires des communes rurales. En
légalisant cette compensation financière, les pouvoirs publics ont tenté de pallier les lacunes de
l’ancien système de gestion de la rente forestière totalement marqué par le centralisme étatique.
Dès 1998, le Ministère des finances et celui de l’administration territoriale ont signé un arrêté
conjoint pour rationaliser sa gestion. Sous cet aspect, nous considérons que les politiques ont
fait un pas géant vers la reconnaissance des liens ancestraux unissant les populations locales
et leur forêt via la taxe forestière intégrée dans chaque exercice budgétaire annuel. Les sommes
collectées par le Trésor public sont redistribuées à deux principaux bénéficiaires : les
populations riveraines et la Commune. Du point de vue organisationnel, la part revenant aux
villageois est versée aux maires des Communes situées dans les zones d’exploitation forestière.
Dans la foulée, le gouvernement a institué les Comités de gestion des redevances forestières
(CGRF), précisant les modalités d’utilisation de ces deniers publics. En principe, ces sommes
ne peuvent être affectées qu’à la réalisation des projets sociaux à caractère collectif. Même si la
réalité actuelle n’est pas conforme à cette exigence, force est de reconnaître l’efficacité de cette
ouverture politique. Compte tenu de cette évolution, il ne serait pas plausible pour les

Clément Morier, 2011, Théorie des catastrophes et science politique. Éclairage de la théorie du politique chez Jean Baechler par les
505

morphologies de René Thom : vers un structuralisme dynamique, Éditions universitaires européennes.


De René Thom directement, lire : 1990, Apologie du logos, éd. Hachette, Paris; 1983, Paraboles et catastrophes. Entretiens sur les
mathématiques, la science et la philosophie, éd. Flammarion, Paris; 1977 (1972), Stabilité structurelle et morphogenèse. Essai d'une théorie
générale des modèles, éd. Interéditions, Paris.

221
populations locales de manquer de reconnaissance vis-à-vis des politiques qui ont manifesté
une attitude positive par rapport à la répartition de cette manne forestière.
À chaque exercice budgétaire annuel, le payement de ces taxes est effectif. Par exemple,
l’Arrondissement de Djoum compte aujourd’hui neuf Unités forestières d’aménagement ou forêts
de production attribuées au 20 juin 2005. Sur les redevances forestières annuelles versées à
cette Commune et aux populations riveraines (entre 2000 et 2004) par le Programme de
sécurisation des recettes forestières (PSRF), les données disponibles font état de 811.593.527
millions de Francs CFA de taxe communale et de 203.217.222 millions de Francs CFA de taxe
communautaire (respectivement 1.237.185 et 309.782 euros). Cependant, le principal problème
qui fruste les populations villageoises, reste son utilisation inappropriée par les acteurs censés
les représenter, c’est-à-dire qu’une partie de cette rente est souvent utilisée à des fins
personnelles. L’affectation de ces 10% de redevance destinées aux communautés locales est
rarement l’émanation des villageois.
Dès lors, ne convient-il pas de se demander si les orientations politiques définies après la
Conférence de Rio de 1992 répondent réellement aux attentes et aux aspirations des “peuples
autochtones”? Les acquis de la politique forestière promulguée en 1994 sont-il favorables à leur
développement? La situation actuelle des Bakas de l’Arrondissement de Djoum révèle qu’il est
difficile de répondre positivement à ces questions. Ils sont les premières victimes de
l’exploitation forestière dans leur territoire. La pauvreté chronique reste l’une des menaces les
plus graves qui pèsent sur eux506.

Comme pour approfondir et compléter les préoccupations épistémologiques du premier chercheur, Charlotte
Gisèle Kouna Eloundou (2012) procède une analyse plus étendue du Régime des forêts de 1994 qui porte sur
l’évaluation de l’orientation décentralisatrice alléguée au nouveau système de gouvernance de l’économie
forestière :
Si la gestion décentralisée des forêts est théoriquement porteuse de promesses et d’espoirs de
développement socio-économique local et de conservation des ressources forestières, la
question est de savoir ce qu’il en est concrètement dans la pratique, plus de quinze ans après
sa mise en place au Cameroun. Notre recherche entend compléter les études déjà réalisées,
qui mettent globalement en lumière des dysfonctionnements reliés aux textes et aux procédures
régissant la gestion forestière décentralisée et sa mise en œuvre. Celles-ci soulignent
également de faibles capacités de gestion des Communes et des communautés villageoises,
des pratiques de corruption et du clientélisme associé. Outre cela, la qualité de la gouvernance
de ces forêts est mise en question […] D’où l’intérêt de notre recherche qui analyse à la lumière
de la gouvernance, la mise en œuvre de la décentralisation forestière censée conduire à la
conservation des ressources forestières et au développement socio-économique dans des
contextes locaux variés et sur des territoires chargés d’une longue histoire de gestion forestière
coloniale et postcoloniale centralisée, autoritaire, exclusive, coercitive, clientéliste et rentière 507.

Par la nature des éléments qu’ils mobilisent, tant du point de vue épistémologique que du point de vue
théorique, ces deux préoccupations confortent la capacité de la démarche d’analyse que nous déployons à

506 Théophile Bouki, 2010, Les forêts communautaires du Sud-Cameroun : un outil d'application du développement durable à l'échelle
villageoise?, Thèse de doctorat réalisée au Laboratoire Dynamiques sociales et recomposition des espaces, Université de Paris Nanterre.
Le texte présenté ici est extrait de l’article intitulé, “Les oubliés du développement durable : au-delà de la décentralisation, l’inquiétude des “peuples
autochtones” du Sud-Cameroun (http://www.cesbc.org/developpement_durable/textes/Lesoubliesdudeveloppementdurable.pdf).
507 Charlotte Gisèle Kouna Eloundou, op. cit.

222
s’articuler parfaitement à la logique méthodologique développée il y a quelques années dans son étude par
Dieudonné Bitondo (2005) est également susceptible de conforter le potentiel heuristique de notre démarche.
En effet, les “trois principales phases” par lesquelles D. Bitondo analyse l’institutionnalisation de l’évaluation
environnementale au Cameroun sont édifiantes et permettent de valider la pertinence de notre propre
démarche d’analyse de la marginalisation des communautés locales par l’approche socio-historique et le
concept de contraintes structurelles. Dans une perspective d’ensemble qui recueille parfaitement les
préoccupations méthodologiques et conceptuelles de la présente thèse, le chercheur indique :
Nous avons postulé que l’institutionnalisation de l’évaluation environnementale à travers son
cadre normatif est un processus essentiellement contingent. Pour l’analyser adéquatement,
nous identifions les différentes phases à travers lesquelles l’évolution du cadre normatif s’est
déployée. Cet effort de traduction en phases de l’évolution de l’évaluation environnementale ne
l’isole pas des périodes tout à fait homogènes du point de vue des critères retenus, mais traduit
une volonté de donner un sens à l’analyse. Aussi avons-nous opté pour une délimitation qui
intègre le contexte et les faits marquants de l’évolution du cadre global de l’évaluation
environnementale au Cameroun tout en prenant en compte les spécificités liées à l’évaluation
environnementale du développement routier508.

Dès lors, expliquant ce qu’il appelle “La phase de marginalité (avant 1992)” dans son analyse de la dynamique
de mise en place de l’évaluation environnementale au Cameroun, D. Bitondo mentionne que :
C’est la période avant le Sommet de Rio de Janeiro correspondant grossièrement à la période
de construction du réseau routier camerounais avec peu de place faite aux considérations
environnementales et à la participation publique. En ce qui concerne la nature des normes,
l’évaluation environnementale dans son acception actuelle n’était pas codifiée et l’on ne peut
pas parler d’assise légale ou réglementaire de la préoccupation de recherche d’options
environnementalement plus viables ou encore de participation publique. La recherche des
itinéraires les plus courts, la faisabilité technique et les coûts de construction sont les éléments
fondamentaux sur lesquels s’appuyaient les ingénieurs pour déterminer les tracés routiers. Les
aspects environnementaux étaient pris en compte comme éléments contraignants ou
favorisants qui influencent les choix techniques et les coûts. Les aspects sociaux étaient
considérés dans le cadre de la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique qui
prévoit un dédommagement pour les populations de déguerpir dans le cadre de la construction
des routes509.

Relativement à celle qu’il appelle “La phase de formalisation générale (1992-1996)”, le chercheur relève que :
C’est la période entourant le Sommet de Rio et qui suit le début des Programmes d’ajustement
structurel avec la Banque mondiale et le Fond monétaire international. Le Sommet de Rio et le
Plan d’ajustement structurel ont introduit d’importantes réflexions et réformes relatives à la prise
en compte de l’environnement dans ces secteurs. Cette phase est marquée par des avancées
aux plans légal et organisationnel de la gestion globale de l’environnement et des ressources

508 Dieudonné Bitondo, 2005, Institutionnalisation de l’évaluation environnementale du développement routier en forêt du Bassin du Congo. Le
cas du Cameroun, Thèse de doctorat, Université de Montréal.
509 Op. cit.

223
forestières comme conséquences de l’internalisation des engagements de Rio et des
conditionnalités des bailleurs de fonds510.

Quant à la troisième, “La phase de spécialisation (après 1996)”, pour Bitondo :


C’est la période après la mise en place d’une structure de gestion de l’environnement et d’une
réglementation environnementale spécifiques au secteur routier comme conséquence de
l’implication des bailleurs de fonds et des ONG dans la gestion forestière et le développement
routier. Cette implication s’est surtout manifestée à travers la nouvelle stratégie de
développement routier, le projet d’oléoduc Tchad-Cameroun, le projet d’entretien de la route
Abong-Mbang/Lomié, et l’aménagement de l’Unité forestière d’aménagement 09024511.

Les logiques essentielles mises en exergue dans chacune de ces trois périodes identifiées par Bitondo
rencontrent parfaitement les dimensions structurelles opératoires permettant d’expliquer non seulement les
difficultés de mise en œuvre du Régime forestier de 1994 et la marginalité des communautés locales qu’elle
manifeste, mais aussi l’envergure inédite que va prendre l’action des OSC/ONG dans le monitoring de la
gouvernance forestière au Cameroun. Nous aurons ainsi que la leçon de Raymond Aron (1948) –qu’avait déjà
déclinée Samir Amin (1970)512 et que conforteront largement plusieurs autres théoriciens dont René Passet
(1996) –a été retenue : « La connaissance scientifique reste inséparable des hommes vivants et de leur
histoire »513.

510 Ibid.
511 Ibid.
512 Samir Amin, 1970, op. cit.
513 Raymond Aron, 1981 [1948], Introduction à la philosophie de l’histoire. Essai sur les limites de l’objectivité historique [complétée par des

textes récents], éd. Gallimard, Paris.

224
7. Sites, sources directes d’information, déroulement de la collecte et difficultés :
expérience et leçons d’un terrain de recherche compliqué et difficile d’accès

À la validation académique de notre projet de recherche, nous avons envisagé différents acteurs et sources
directes d’information pertinentes qu’il nous semblait utiles d’approcher, dans un souci d’exhaustivité. C’est
ainsi que nous avons planifié de travailler auprès de :
− Trois communautés locales des grandes régions d’exploitation forestière du Cameroun,
respectivement dans les provinces de l’Est [Yokadouma, Gari Gombo, Dimako (Projet
d'aménagement pilote intégré, API, à Dimako)], du Centre [ODA à Mbalmayo], du Sud [Tropenbos à
Kribi] ou du Littoral.
− Des acteurs gouvernementaux et étatiques (Ministère des forêts et de la faune, Ministère de
l’environnement, Ministère de l’économie et des finances, Collectivités territoriales décentralisées,
autres administrations et agences gouvernementales, parlementaires);
− Des acteurs industriels (exploitants agréés et autres investisseurs);
− Des représentations locales de la Banque mondiale, du Fonds monétaire internationale et de l’Union
européenne ;
− Des organismes spécialisés étrangers de coopération et ONG internationales d’avant-garde (UICN,
AFD, SNV, GTZ, USAID, WWF, RainForest Alliance, etc.). Avant l’émergence d’ONG
camerounaises, ces organismes ont constitué la toute première infrastructure d’action “non-
gouvernementale” dans les domaines du développement rural, d’environnement et des questions
forestières. Dans un contexte socio-politique du début des années 1992 institutionnellement fermé à
la société civile et à l’expression politique pluraliste, ils ont été les seuls organismes non-
gouvernementaux à porter et à relayer les préoccupations environnementales dans la dynamique de
mise en place des Réformes forestières qui aboutira à l’adoption du Régime des forêts de 1994.
Aujourd’hui encore, ces organisations restent entièrement partie prenantes dans la gouvernance
forestière dans laquelle elles apportent une assistance technique, matérielle et financière aux
différentes activités d'élaboration, de mise en œuvre et de gestion, de suivi-évaluation.
− Des ONG locales (FODER, CED, Green Development Advocates, INADÈS-Formation, ASTRADHE,
CIAD, SAILD, APIFED, PERAD, etc.).
− Des Projets et autres mécanismes institutionnels d’action, autres acteurs organisationnels associatifs
et organismes régionaux et locaux pertinents (Projet SDDL, TROPENBOS, REPAR, RIDDAC,
CEFDHAC, COMIFAC, CARPE, CIPCRE, OCFSA, RAPAC, l’Association des journalistes africains

225
pour l’environnement, Greenpeace, PRGIE, PFBC, ECOFAC, FORAFRI, REPOFBAC, RIFFEAC,
REFADD, RAAF, etc.).
− Des chercheurs et experts.
− Des acteurs individuels et citoyens (élites locales, leaders d’opinion, journalistes spécialisés, les
anciens ministres des forêts et représentant de l’UICN en Afrique centrale, à l’époque de l’élaboration
du nouveau régime, etc.).

Ce tableau a été substantiellement modifié à notre arrivée auprès de FODER514, l’organisme qui avait agréé la
demande de l’Université de servir d’attache institutionnelle pour la phase de collecte de données directes sur
le terrain et qui devait encadrer et faciliter notre séjour de recherche au Cameroun. Plusieurs facteurs
conjoncturels et structurels ont présidé à la reconfiguration de la géographie des acteurs et sources directes
d’information que nous allions pratiquer :
− La difficulté pour FODER de réajuster son calendrier d’activité alors en exécution à toutes mes
préoccupations de contact et de recherche d’information;
− La saison des pluies qui commençait dans cet environnement équatorial et qui rendait les
déplacements dans la plupart des régions rurales difficiles;
− Le mauvais état des routes et le caractère impraticable des voies d’accès aux localités situées en
zones forestières;
− La sensibilité sinon inexistante à tout le moins très problématique du contexte et des gens pour la
recherche et qui débouche sur leur indisponibilité aux chercheurs;
− La redondance fortement probable des réponses aux questions que nous allions adresser ainsi que
la saturation rapide quant aux préoccupations spécifiques de recherche que nous présentions à nos
interlocuteurs, ont très tôt rendu relativement caduque la pertinence d’une large multiplication et
même diversification des cibles à interviewer. Cette dimension de la redondance et de la saturation
nous a été révélée à l’issue d’une sorte d’enquête-test que nous avons réalisée auprès des différents
experts en service à FODER et dont les profils et les expériences de base et les compétences nous
permettaient d’avoir la température de l’ensemble des sources envisagées. Autrement dit, étant
donné que nous avions préalablement exploité l’essentiel de la littérature scientifique existante sur
l’exploitation des ressources forestières dans le Bassin du Congo et au Cameroun, il nous est vite
apparu dès le début des discussions préliminaires avec les acteurs de terrain et par la suite à
l’évaluation des informations que nous commencions à recueillir directement auprès des uns et des
autres, que nous disposions presqu’exhaustivement déjà de l’information recherchée [ainsi que nous

514 FODER est l’acronyme de Forêts et Développement Rural.

226
l’indiquions plus tôt pour apprécier l’importance scientifique de la recherche effectuée jusqu’ici sur ce
sujet].

En effet, à quelques détails et nuances près portant généralement sur la formulation des énoncés plutôt que
sur leur contenu, les informations majeures dont nous avions besoin pour nos analyses étaient déjà pour
l’essentiel documentées des premiers travaux de Patrice Bigombe Logo, de Phil René Oyono, de Jake
Brunner & François Ekoko, de Stéphane Labranche ou de Giuseppe Topa, etc., aux tout récents, des Bakker
Nongni & Guillaume Lescuyer, Alain Karsenty, Paolo Omar Cerutti et al, Symphorien Ongolo & Laura Brimont,
Ngoumou Mbarga, Charlotte Gisèle Kouna Eloundou, etc. Dès lors, du point de vue de la pertinence et de
l’efficacité méthodologiques, les entretiens que nous avons réalisés sur le terrain auprès des acteurs impliqués
doivent être considérés à juste titre non comme la principale modalité méthodologique de collecte
d’informations, mais davantage comme une modalité complémentaire importante. En guise d’illustration,
Marie-Claude Smouts (2001) rapporte ci-après les résultats d’ :
Une enquête de terrain menée par deux experts sur les méthodes d’une société forestière
malaisienne installée au Cameroun [et qui permet de couvrir l’essentiel des dysfonctionnements
irréductibles et des contradictions structurelles sur lesquels se développe la présente thèse].
L’enquête relève des méthodes d’exploitation “plutôt rustiques”, avec des prélèvements sans
planification préalable, irréguliers, parfois “à la limite de la dynamique forestière”. Elle confirme
l’absence de considération pour les communautés locales : tout le personnel est malaisien
(chefs de projet, routiers, abatteurs, débardeurs, etc.). Les Camerounais n’ont accès qu’aux
emplois de prospecteurs et de manœuvres. Ils sont payés sur une base forfaitaire, sans
participation aux bénéfices. Les ouvriers malaisiens ont un contrat d’un an, ils travaillent sept
jours sur sept et sont payés au rendement. Plus les abatteurs et les conducteurs d’engins
coupent et enlèvent, plus ils gagnent d’argent […]
Toutes les compagnies cherchent à faire des bénéfices, c’est leur mission première. La façon
dont elles s’y prennent est liée au contexte, à la nature du terrain d’opération, aux attentes de
leurs clients et de leurs actionnaires, à la marge de manœuvre dont elles disposent face aux
autorités et aux populations locales. Un même groupe, quelle que soit sa nationalité, ne se
comportera pas de la même façon dans toutes les circonstances et pour toutes les opérations.
Par exemple, au Cameroun, en 1999, tout le milieu professionnel du bois parlait des bulldozers
d’une compagnie française parfaitement respectable, et respectée, qui se trouvaient qui se
trouvaient là où ils n’auraient pas dû être pour approvisionner les usines du groupe en toute
illégalité. Il faut dire qu’en cette période-là tout était bloqué en raison d’un bras de fer entre le
président du Cameroun et la Banque mondiale. L’attribution des concessions était suspendue.
Personne ne savait à qui et comment elles seraient distribuées, à l’exception de quelques
compagnies en relation directe avec la présidence qui ne se faisaient aucun souci. On ignorait
aussi quelles essences seraient interdites à l’exportation en application de la réglementation
attendue sur le commerce des grumes.
En cette période d’incertitude, qu’une entreprise forestière cherche à s’approvisionner fût-ce de
façon illicite ne choquait vraiment personne. De façon générale, on n’a jamais autant coupé de
façon sauvage au Cameroun que pendant ces longs mois d’expectative… […]
Dans ces conditions, le fait que le rythme d’exploitation soit très élevé et que l’intensité des
prélèvements s’apparente parfois à une coupe à blanc ne saurait surprendre. Avec cette logique
de court terme et de rendement maximal, le potentiel économique d’une concession est vite

227
épuisé. Il faut aller ailleurs et ouvrir de nouvelles surfaces : cette façon de faire n’est viable que
si les surfaces accessibles sont énormes et ne sont pas déjà occupées par des concurrents.
C’est ce qu’ont réalisé les opérateurs malaisiens qui pensent l’exploitation au niveau mondial et
ont entrepris une stratégie de contrôle des principales forêts denses humides dans les grands
bassins d’approvisionnement de la ceinture intertropicale515.

Comme on le voit, au contact des deux sources de données mobilisées, il nous a semblé assez clair très tôt
que la première, à savoir la littérature scientifique, pouvait produire l’information suffisante dont nous avions
besoin pour établir d’une part que la Réforme forestière intervenue au début des années 1990 procédait d’une
dynamique globale –exogène et non d’une dynamique endogène; et d’autre part, que les communautés
villageoises n’avaient pas participé à l’élaboration du Régime des forêts de 1994 –aujourd’hui encore à
l’œuvre et –qui découle de cette Réforme. Dès lors, il devenait possible, sans avoir nécessairement recours à
la seconde source d’information (entrevues avec les acteurs), que nous parvenions à opérationnaliser le
concept de contraintes structurelles et d’en faire un outil théorique permettant effectivement non seulement
d’établir en quoi la Loi des forêts de 1994 procédait d’une dynamique non-endogène dont l’élaboration avait
exclu les communautés villageoises; mais surtout aussi de montrer que ces deux facteurs constituaient la
structure permanente qui explique la marginalisation implacable des communautés locales. Les entrevues que
nous avons réalisées avec les différents acteurs concernés par l’exploitation industrielle des forêts au
Cameroun ne constituent donc pas –nécessairement –en tant que source d’information pertinente, le levier
méthodologique le plus déterminant sur lequel se construit la validité des analyses que nous développons.
Autrement dit, si les données collectées auprès des acteurs sur le terrain permettent effectivement d’étayer,
de conforter et de nourrir l’information pertinente recherchée, les analyses que nous développons ne sont pas
strictement formulées, dans une démarche d’inférence inductive, à partir de la seule lecture que les acteurs
ont du Régime forestier à l’œuvre, de l’exploitation forestière et de la gouvernance forestière.

Cependant, il n’en demeure pas moins important que la mobilisation que l’on peut faire du point de vue qu’un
acteur immédiat donne sur une préoccupation spécifique représente toujours sans aucun doute un élément
authentique de caution, de contrôle ou d’évaluation de la validité de l’information de base que nous
recherchions. Il en est particulièrement des conditions d'émergence de la Réforme et du contexte
d’élaboration de la Loi; du comportement et de l’action des différents acteurs et de la qualité des rapports
qu’ils entretiennent entre eux; ou du rôle réflecteur des OSC/ONG, c’est-à-dire la capacité que leur action a,
d’un côté de révéler les faiblesses et les incompétences (intellectuelles, techniques, logistiques) de l’État ou
même l’activité souvent dysfonctionnelle des industriels; mais aussi de découvrir les fragilités des
communautés locales, de l’autre côté. Cette préoccupation méthodologique n’est pas éloignée de celle que

515 Op. cit.

228
formule Sten Hagberg (2011) dans une problématique de recherche différente mais affinitaire, notamment
quand il indique que :
Notre “analyse sociale” avait pour but de cerner les perceptions et les expériences des
populations vivant dans la pauvreté à travers les notions de travail, d’emploi, d’occupation et de
revenu […] En tant qu’outil, l’analyse sociale ne se focalise pas uniquement sur les dimensions
sociales de la société, mais englobe également les dimensions économiques, politiques,
sociales et culturelles à l’échelle locale.
Les perspectives et les expériences des acteurs eux-mêmes restent au cœur de l’analyse.
Cette approche “par le bas” est importante dans la mesure où les politiques publiques du
gouvernement comme les stratégies de développement des bailleurs de fonds mentionnent la
“lutte contre la pauvreté” dans quasiment tous leurs documents516.

La double démarche à partir de laquelle nous avons construit notre mode de déploiement sur le terrain
(commencer par la périphérie pour finir par Yaoundé, en croyant que la disponibilité des cibles serait plus
évidente dans la capitale) s’est non seulement avérée inexacte et inopérationnelle, mais finalement lourde de
conséquences. Dans l’ensemble, en dehors de quelques rares cas concernant les organisations de la société
civile, les personnes ayant côtoyé la recherche dans leur propre cursus de formation, ou les personnes qui
entendaient profiter de notre “tribune” pour communiquer un message institutionnel, etc., le contexte social et
institutionnel camerounais nous a semblé peu ouvert à la recherche [sociale]. En effet, pour des raisons que
nous ne saurions ni établir clairement ni identifier exhaustivement, les gens –qu’ils soient considérés comme
organisations ou comme individus –ne se rendent pas [spontanément] disponibles au chercheur; ils ne
semblent pas convaincus de l’importance de consacrer du temps au chercheur; ils sont indifférents,
indisponibles, réfractaires et méfiants.

C’est sur cette réalité irréductible et permanente que s’est déroulé notre séjour de recherche au Cameroun.

Cette sorte de répulsion à l’égard de la recheche [sociale] s’est manifestée très tôt alors que nous étions
encore au Canada : la phase conditionnelle qui consistait à trouver préalablement une attache institutionnelle
d’accueil et d’encadrement a été pour le moins laborieuse. Pendant plus de deux mois, de la dizaine
d’organisations (publiques et privées) que nous avions contactées, FODER comprise, auxquelles nous
prenions soin de préciser que notre présence ne supposait aucune exigence financière ni aucune prise en
charge de cette nature de leur part, pas une seule n’a daigné ne serait-ce que répondre à notre demande.
Finalement, c’est grâce à une approche informelle, par l’entregent de notre propre frère ainé, Pascal Mathias
Nlénd Nlénd qui collabore avec FODER depuis quelques années, que la direction de cet organisme a accordé
de nous encadrer.

516 Sten Hagberg, 2011, “Trajectoires de l'anthropologie du développement à la suédoise”, in Ethnologie française, vol. 41 (3).

229
C’est le lieu ici de témoigner à nouveau ma profonde gratitude à FODER pour la qualité tout simplement
exceptionnelle de la disponibilité et de l’encadrement dont j’ai bénéficiés autant de l’organisation en tant que
telle que du personnel.

Sur le terrain, nous avons été particulièrement stupéfait et surpris par l’indifférence [c’est le terme le plus
décent et le plus pudique que nous choisissons d’employer pour qualifier le phénomène], la fermeture
hermétique et l’opacité que nous avons rencontrées auprès des agences internationales,
intergouvernementales, de la coopération technique bilatérale et multilatérale. Il nous est difficile d’expliquer
cette attitude. En fait, nous éprouvons une sorte d’hésitation pudique à oser une explication –centrée sur la
méfiance, la protection des expertises acquises, diverses autres “compromissions” intellectuelles,
idéologiques, politico-institutionnelles, etc. –qui pourrait s’avérer arbitraire, subjective et approximative. Cela
dit, le caractère clairement critique que suggérait notre approche de recherche –et qui se dégageait des
questions formulées dans le Guide d’interview –notamment à l’égard des paradigmes opératoires sur lesquels
l’économie forestière camerounaise se déploie (la géopolitique, les relations internationales, le
développement, etc.), pourrait constituer un élément explicatif pertinent. Par la fermeture, l’indisponibilité et
l’opacité, il s’agissait alors pour ces acteurs de “la coopération et du développement” comme pour les acteurs
gouvernementaux, de nous priver d’une information susceptible de nourrir nos hypothèses et concepts
analytiques. Marie-Claude Smouts (2001) ne relève-t-elle pas par exemple que :
La première solution proposée par les défenseurs de l’environnement pour conserver les forêts
tropicales est celle qui a été utilisée de longue date par les pays industrialisés pour la protection
de la vie sauvage et des paysages naturels d’importance exceptionnelle : l’instauration d’aires
protégées. D’énormes pressions ont été exercées sur les gouvernements des pays tropicaux
pour qu’ils créent de nouvelles zones de protection, parcs nationaux ou réserves biologiques, et
qu’ils étendent celles qui avaient été instaurées au temps de la colonisation. C’est ainsi qu’en
1992, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) proposait que chaque pays
mette au moins 10% de sa forêt en parc national ou autres systèmes d’aires protégées. En
1997, le Fonds mondial pour la nature (WWF) se déployait pendant la Session extraordinaire de
l’Assemblée générale de Rio+5 pour faire accepter cet objectif par les États rassemblés.
L’année suivante, il concluait un accord avec la Banque mondiale (…)517?

D’autres explications très contextuées sont possibles.

C’est ainsi que par le peu d’intérêt qui leur sera accordé, nos demandes d’entrevue –que nous serons quasi
systématiquement amené à doubler sous la forme d’un dossier complet comprenant une lettre de
présentation, l’attestation de recherche, le Guide d’interview et même dans certains cas une version

517 Op. cit.

230
contractée du projet de thèse lui-même –resteront souvent lettre-morte et donc souvent refusées. Quand une
acceptation de principe sera formulée, elle ne sera pas ferme, ne sera pas concrétisée, ou sera honorée après
beaucoup de temps, beaucoup d’insistance, avec beaucoup de difficulté.

Dans l’ensemble, le caractère aléatoire des accords de disponibilité des personnes contactées et le caractère
incertain des rendez-vous vont finalement nous amener à nous déplacer abondamment, de manière
désordonnée et parfois à parcourir de grandes distances, en peu de temps, dans des conditions indues –
notamment en motocyclette ou dans des autos de fortune bondées, sur des routes carrossables, en mauvais
état et non éclairées, en composant avec la conduite anarchique et non disciplinée des automobilistes –et
souvent en fin de compte sans grands résultats. Charlotte Gisèle Kouna Eloundou (2012) qui a exploré le
même terrain de recherche dans le cadre de sa thèse de doctorat, à laquelle nous référons constamment du
point de vue de l’identification des problèmes et de la formulation des dysfonctionnements inhérents à
l’économie forestière au Cameroun, témoigne ainsi de notre terrain commun :
[…] L’état des routes est un facteur limitant pour la conduite des études dans la région Est, et
plus particulièrement dans le département de la Boumba et Ngoko, surtout lorsqu’on ne dispose
pas de moyens de transport personnels et adaptés. Les routes ou les pistes en terre sont la
plupart du temps en mauvais état aggravé en saison pluvieuse. En outre, l’éloignement et
l’enclavement du département, de ses communes et ses villages limitent le nombre et la
régularité des moyens de transport en commun. Le mauvais état des routes, la faible
disponibilité et l’irrégularité des moyens de transport constituent une difficulté importante à
laquelle nous avons été confrontés pour nous déplacer sur le terrain et mener comme souhaité
notre recherche. Une autre difficulté rencontrée est liée à l’indisponibilité des maires souvent en
déplacement dans le cadre de leurs missions. Cette situation ne nous a pas permis d’accéder à
certains documents tels que les comptes administratifs de la Commune de Gari Gombo, dont la
consultation requiert l’autorisation du maire. L’inaccessibilité de l’information est une difficulté à
laquelle le chercheur fait souvent face au Cameroun, surtout lorsqu’il s’agit d’un secteur
“sensible” comme celui de la gestion forestière autour de laquelle gravitent de nombreux
enjeux518.

C’est dans ce contexte que nous serons victime d’un grave accident de la route –le 1er août 2015 sur le trajet
Yaoundé-Lomié. C’est aussi dans ce contexte que les ressources financières minimales mises à notre
disposition par le Centre canadien de recherche pour le développement international (IDRC), le Fonds général
pour les études supérieures (FGES) du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), et la Faculté
des sciences sociales de l’Université Laval à travers la Bourse d’excellence du Fonds Georges-Henri-
Lévesque –vont s’avérer avoir été largement sous-estimées. Au total, si les ressources financières évoquées
ci-avant mises à notre disposition ont été d’une importance décisive, elles se sont en fin de compte avérées
insuffisantes, eu égard aux dépenses courantes (déplacements intérieurs et autres frais y afférents) et aux

518 Gisèle Charlotte Kouna Eloundou, op. cit.

231
dépenses imprévues additionnelles que nous avons été contraints d’effectuer. Nous avons dû recourir souvent
à des emprunts auprès de la famille et des amis pour pouvoir satisfaire telles dépenses ou boucler telles
autres. La conjonction traumatique des blessures corporelles –heureusement sans gravité –et des fragilités
psychologiques accumulées par la tension psychologique permanente, de la fébrilité mentale, de la frustration,
du sentiment d’absurdité et même parfois de colère que le déroulement du terrain nous imposait ainsi vont
nous amener à précipiter la fin de notre séjour de collecte de données ainsi que notre départ du Cameroun.

Cela dit, en deux mois, et du strict point de vue de la représentativité, nous avons pu couvrir l’ensemble des
régions ainsi que l’essentiel des cibles envisagées.

En outre, nous avons souvent eu le sentiment que les gens auxquels nous sollicitions une entrevue ne nous
regardaient pas comme un “simple” étudiant, autrement dit dans la posture neutre d’un étudiant que nous
dirions “normal”. Au-delà de l’orientation critique de nos préoccupations de recherche que les questions
formulées dans notre Guide d’interview n’arrivaient pas totalement à dissimuler, cette perception marquée
procédait peut-être de notre âge, mais surtout probablement parce que nous avions à une certaine époque été
un cadre supérieur de l’Administration publique plutôt libre d’opinion, que nous avions déjà signé quelques
tribunes intellectuellement engagées, que nous venions d’une université canadienne et plus directement que
nous venions du Canada, une région du monde particulièrement bien réputée. En effet, quand nous
réussissions à obtenir une interview, ces divers casquettes et traits de personnalités par lesquels nous étions
probablement regardés semblaient orienter la lecture que les uns et les autres nous donnaient des choses.
C’est ainsi que les acteurs étatiques et les fonctionnaires des organismes intergouvernementaux se livraient
systématiquement à la justification des politiques publiques ainsi qu’à la défense des choix et de l’image de
l’État. Cette posture a parfois donné lieu à des réactions inattendues aux relents surréalistes. Au-delà des
éléments intéressants d’analyse qu’elle mobilise notamment dans la caractérisation du contexte structurel
historique, intellectuel et socio-politique de la collectivité politique camerounaise, tel est le cas de la réponse
que VNDG, un haut responsable du Ministère des forêts et de la faune, formule à la question, “Q. : Comment
expliquez-vous l’existence de difficultés dans les rapports entre les différents groupes d’acteurs impliqués
dans la gouvernance forestière?” :
[…] Il y a l’intérêt général et l’intérêt individuel. Personne ne voudrait s’engager dans un
partenariat sans que son intérêt soit pris en compte. La partie perdante dans une telle relation
cherchera à se satisfaire autrement. Les populations et certaines parties prenantes pensent que
le bois et la faune sont les seules ressources gratuites et auxquelles l’accès doit être libre. C’est
faux! Il faut reconnaitre que le Cameroun, en tant qu’un pays émergent compte sur ses
ressources naturelles pour son développement économique! Or la loi ne l’est pas si elle n’est

232
appliquée! Parfois c’est cette application qui fait mal aux contrevenants! Il n’y a pas de
prisonniers heureux! (sic)519.

Quant aux acteurs locaux, aux organismes associatifs et aux communautés villageoises, répondre à nos
questions étaient aussi l’occasion de déplorer leurs conditions de vie, de critiquer le gouvernement, de
formuler des diverses doléances. À un degré plus mesuré, les organisations de la société civile qui jouissaient
d’une réelle aura nationale et qui se prévalaient d’une certaine envergure s’illustraient dans une critique
modérée, dans une sorte d’auto-censure, comme pour éviter de s’attirer d’éventuelles représailles de l’État.

Cependant, par-delà ces aléas et contraintes somme toute caractéristiques de moult terrains de recherche en
contexte non-occidental520, la difficulté limitante par excellence dans la réalisation de notre projet de recherche
aura été le défaut d’un financement substantiel sur la durée. Si nous avons incontestablement bénéficié du
confort matériel de l’Université (la disposition permanente d’un bureau et le confort de l’environnement
académique général), ce défaut majeur a pesé lourdement sur les conditions de réalisation et surtout de
finalisation de la présente thèse.

519 Entretien avec…


520 On pourrait éventuellement référer aussi à:
- Janine A. Clark and Fancesco Cavatorta, 2017, “Introduction : The Methodological and Ethical Challenges of conducting research in the Middle East
and North Africa”, in Sigrid Vertommen, 2017, Doing Political Science Research in the Middle East and North Africa: Methodological and
Research Challenges, éd. Oxford University Press Can., Don Mills, ON.
- Florence Bouillon, Marion Fresia & Virginie Tallio (dir.), 2005, Terrains sensibles et experiences actuelles de l’anthropologie, éd. Centre d’études
africaine EHESS (collection Dossiers africains), Paris.

233
8. Les outils de collecte et d’analyse
Nous avons principalement opté pour deux outils : les entretiens semi-directifs pour la collecte directe
de l’information auprès des acteurs, et l’analyse de contenu pour l’exploitation de la substance
destinée à éprouver les hypothèses et concepts de recherche. Les entretiens semi-directifs –que
nous appelons plus souvent interviews ou entrevues –ont été utilisés auprès de personnes répondant
dans les différentes catégories d’acteurs ciblées au titre de ressources individuelles ou au nom d’une
organisation. Par l’analyse de contenu, le croisement des diverses informations récoltées a
effectivement permis la formulation des inférences susceptibles de valider les hypothèses ainsi que
les concepts d’analyse proposés, autrement dit de confirmer la validité de l’influence opératoire des
contraintes structurelles paradigmatiques, interscalaires et contextuelles dans la manifestation des
dysfonctionnements divers qui émergent dans la gouvernance forestière au Cameroun.

Les entretiens semi-directifs et l’analyse de contenu se sont parfaitement accordées à la


préoccupation de validation autant des contraintes structurelles inhérentes au processus des
réformes environnementales forestières au Cameroun, que pour l’identification et la formulation des
implications sociologiques mobilisées à travers les dynamiques de collaboration développées entre
les OSC/ONG et les communautés locales. L’utilisation de ces deux outils s’est avérée parfaitement
appropriée pour notre préoccupation de recherche, dans une perspective qui se souciait
essentiellement d’identifier les correspondances entre d’un côté, les informations collectées
directement auprès des acteurs ou collectées dans la littérature scientifique et d’autres
documentaires.

C’est le lieu pour nous de formuler une précision méthodologique qu’impose la spécificité de notre
problématique. À côté des sources directes que nous venons d’évoquer, dans le cadre de notre
recherche les sources primaires quant à elles ont essentiellement consisté en les rapports d’activités
des différents acteurs, les discours publics ou officiels, les memoranda, d’autres documents et textes
se rapportant au sujet; alors que les sources secondaires réfèrent à la littérature scientifique et à la
documentation journalistique rapportant des évènements et des faits liés à l’économie forestière en
Afrique et au Cameroun, et traitant du sujet et des problématiques connexes. Cependant et ainsi que
nous l’annoncons très tôt dans le texte, eu égard à l’importance des enjeux épistémologiques que
soulèvent aussi bien l’objet de notre recherche que la démarche dans laquelle nous construisons

234
notre thèse, et par conséquent considérant l’incidence que la préoccupation théorique de notre
recherche ainsi que le statut épistémologique que sa spécificité porte dans la production de
l’information de base sur laquelle se développe notre thèse, il s’avère plus adéquat dans la présente
thèse de classer la littérature scientifique dans la catégorie des sources directes d’information.

En effet, la situation problématique que présente la gouvernance forestière au Cameroun dans les
vingt dernières années et les difficultés que nous avons entrevues au départ autour de la
participation dysfonctionnelle et marginale des communautés locales dans la mise en œuvre du
Régime des forêts et de la faune de 1994, notamment à partir des résultats des recherches
consacrées de manière constante depuis plusieurs années à la gouvernance forestière au Cameroun
–et qui ont fondé notre démarche de recherche –ont été très vite et amplement confirmées dans la
phase de collecte des données. C’est ainsi qu’il est attesté chez dans l’ensemble de la littérature
scientifique, notamment chez Charlotte Gisèle Kouna Eloundou (2012) dont on peut dire de la thèse
de doctorat qu’elle recoupe et synthétise les résultats des travaux des vingt dernières années sur la
question que :
Le Cameroun a entrepris des réformes de sa politique forestière au début des années
1990. Ces réformes ont succédé à plus d’un siècle de politiques forestières coloniales et
postcoloniales, caractérisées par une gestion très centralisée des forêts. Elles se sont
traduites par la mise en place en 1994, d’une loi instituant la décentralisation de la
gestion forestière. Grace à cette loi, les communes et les communautés villageoises
gèrent des forêts en vue d’en assurer la conservation et d’en tirer des revenus
substantiels pour développer leurs localités. L’objectif de notre étude est d’analyser la
mise en œuvre de la décentralisation forestière dans la région Est du Cameroun, en
utilisant la gouvernance comme cadre d’analyse. La méthodologie mise en œuvre est
pluridisciplinaire. Dans un premier temps, nous avons fait une analyse historique des
politiques forestières antérieures à la décentralisation forestière au Cameroun, afin
d’appréhender la gestion des forêts pendant la période coloniale et postcoloniale de
1884 à 1993, et de mettre en évidence les rôles des populations locales et des
communes dans cette gestion. Nous avons ensuite étudié le processus de gouvernance
des forêts communales et communautaires dans la région Est, en analysant les
interactions entre les principaux acteurs impliqués dans cette gouvernance et les
mécanismes de régulation de leurs actions. Nous avons en outre analysé les effets
induits sur le plan socio-économique et écologique. Une analyse des expériences de
gestion des forêts par les communes et les communautés villageoises dans d’autres
régions à Dimako au Cameroun, à Madagascar et dans les pays d’Amérique tropicale, a
été également faite dans une logique comparative.
Les résultats de notre étude indiquent que pendant la période coloniale et postcoloniale
de 1884 à 1993, le rôle des populations locales était limité à l’exécution des taches
rémunérées et/ou forcées. Quant aux communes, elles ont reçu à partir de 1973, la

235
responsabilité de gérer une partie des taxes forestières pour reconstruire les
infrastructures endommagées par l’exploitation du bois. Nos résultats mettent
également en lumière des relations d’interdépendances inégales entre les communes et
les sociétés forestières partenaires d’une part, et entre les communautés villageoises et
les exploitants forestiers d’autre part. Ils indiquent par ailleurs, des rapports de
dépendance de ces trois catégories d’acteurs vis-à-vis des institutions étatiques dont le
pouvoir autoritaire reste fort et prégnant. Quant au développement socio-économique
local et à la conservation des forêts attendus de la gouvernance forestière, notre
analyse montre des résultats en-deçà des espérances. Certes l’on note quelques
retombées socio-économiques pour les populations locales mais dans l’ensemble, de
nombreuses faiblesses limitantes pour une gouvernance efficace sont mises en lumière.
La plupart des insuffisances relevées sont mises en évidence dans notre analyse des
expériences de gestion des forêts par les communes et les communautés villageoises
dans d’autres localités à Dimako au Cameroun, à Madagascar et dans les pays
d’Amérique tropicale521.

Nous avons personnellement souligné l’insistance de l’auteure sur l’existence permanente « de


nombreuses faiblesses limitantes pour une gouvernance efficace » afin de mettre en exergue le rôle
particulièrement éclairant que cette observation joue pour le concept de “contraintes structurelles”.
Dès lors, cette indication de la chercheure suggère clairement non seulement le caractère particulier
du contexte africain et par conséquent la différence historique et structurelle déterminante qu’il signe
avec les pays industrialisés et du Nord, toutes choses auxquelles sensibilise particulièrement Jean
Ziegler (1978, 1971) qui estime que la spécificité historique de l’Afrique constitue un paramètre
théorique décisif522; mais en conséquence la nécessité de mobiliser des approches et outils
spécifiques pour l’analyse efficace des problématiques que ce contexte manifeste. En effet, comme
on le verra plus loin, dans la mesure où elle se construit sur une posture de réflexivité critique,
l’approche sociohistorique articulée à l’analyse par le concept de contraintes structurelles que nous
proposons se présente comme la démarche qui complète et aboutit les analyses –réellement
pertinentes –à caractère fonctionnaliste développées jusqu’ici sur l’Afrique (Oscar Pfouma, 1993)523.
En guise d’illustration, Patrick Guillaumont (2007, 1985) développe ci-après une analyse sans
concession des conditions structurelles de l’économie africaine, mais une analyse dont le défaut
irréductible, la faiblesse profonde ou la limite fondamentale est qu’elle se construit dans une trame
paradigmatique (intellectuelle ou idéologique et méthodologique) dont l’inopérabilité ultime dénote le
caractère biaisé, monolithique et exclusif :

521 Op. cit.


522 Jean Ziegler, 1971, Le pouvoir africain. Éléments d’une sociologie politique de l’Afrique et sa Diaspora aux Amériques, éd. du Seuil, Paris;
1978, Main basse sur l’Afrique, éd. du Seuil, Paris.
523 Oscar Pfouma, 1993, Histoire culturelle de l’Afrique noire, éd. Publisud, Paris.

236
La vulnérabilité, indique l’économiste français, a récemment fait l’objet d’un regain
d’intérêt pour des raisons variées touchant aux façons dont elle affecte le
développement des pays africains. Nous pouvons d’ailleurs la définir comme le risque
pour un pays d’être durablement affecté par des facteurs exogènes et imprévus. Elle est
le produit de trois éléments : l’ampleur de ces facteurs, généralement identifiés comme
des “chocs”, l’exposition du pays à ces chocs et la faible résilience, c’est-à-dire la faible
capacité à y faire face ou à les gérer. Dans une large mesure la vulnérabilité des pays à
faible revenu est structurelle, indépendante de la volonté du pays, notamment pour ce
qui concerne les chocs et l’exposition aux chocs; dans une moindre mesure elle est
aussi politique, donc susceptible d’être modifiée par la volonté du pays, ce qui est
notamment le cas de la résilience.
S’agissant des “chocs” exogènes, ils s’analysent pour une grande part en termes
d’instabilité. C’est pourquoi nous nous attachons ici à l’impact des facteurs exogènes
d’instabilité. Il y a dix ans diverses sources exogènes d’instabilité, termes d’échange,
climat, instabilité politique (Guillaumont, Jeanneney et Brun, 1999) semblaient expliquer
dans une large mesure la faible croissance de l’Afrique. Or ces sources demeurent,
laissant subsister une forte vulnérabilité des économies africaines. L’histoire récente de
certains pays, comme la Côte d’Ivoire, illustre cette vulnérabilité. Elle témoigne de la
vulnérabilité spécifique des pays qui voient durablement interrompue leur expérience de
croissance et anéantis les espoirs qu’elle portait, par exemple, comme on le disait
naguère encore en Côte d’Ivoire, voir les “éléphants d’Afrique” prendre le relais des
“dragons et tigres d’Asie”. Elle entretient simultanément une image d’Afrique instable et
risquée, qui affecte un bien plus grand nombre de pays que ceux où l’instabilité a
compromis la croissance, et dans une certaine mesure le continent tout entier.
L’impact potentiel des facteurs exogènes d’instabilité sur le développement économique
africain doit donc faire l’objet d’une attention soutenue et d’une recherche sur les
moyens de le prévenir. C’est une façon de répondre à la question du “défi de
l’environnement de la croissance en Afrique”. À cette fin, nous montrons en premier lieu
que le niveau présent de vulnérabilité des économies africaines (par rapport aux chocs
externes et aux chocs naturels) reste élevé comparé à celui des autres économies en
voie de développement, tant en ce qui concerne l’ampleur des chocs auxquels elles
sont soumises que leur exposition structurelle à ces chocs : nous l’illustrons en utilisant
des indices synthétiques de vulnérabilité structurelle, en particulier l’Economic
Vulnerability Index (EVI) récemment développé aux Nations unies. En second lieu nous
analysons les conséquences de la vulnérabilité sur la croissance africaine, ainsi que, à
travers la croissance et d’autres canaux, sur la réduction de la pauvreté et le
développement de l’Afrique : nous soutenons à la lumière de l’expérience passée que
les facteurs de vulnérabilité jouent un rôle négatif important dans l’évolution
économique, particulièrement dans le cas de l’Afrique524.

Si, comme on le voit, le diagnostic de P. Guillaumont est quasiment incontestable, dans la mesure où
il perçoit déjà clairement l’opérationnalité de l’exogénéité, des chocs, des contraintes et des

524Patrick Guillaumont, 2007, "La vulnérabilité économique, défi persistant à la croissance en Afrique", in African Development Review/Revue
africaine de développement, vol. 19, n˚1, du mois d’avril 2007; 1985, "External Factors and Economic Policy in Subsaharan Africa", in T. Rose (Ed.),
Crisis and Recovery in Subsaharan Africa. Realities and Complexities, OCDE, Paris.

237
structures, son fonctionnalisme –c’est-à-dire sa limite fondamentale paradigmatique (intellectuelle ou
idéologique et méthodologique) –la rend incapable de s’émanciper du système. Aussi est-il comme
automatiquement conduit, au bout d’une analyse pourtant implacable, de s’enfermer mécaniquement
dans la reproduction du même paradigme opératoire :
nous en tirons, se contente-t-il maigrement, la leçon que faire face au problème de la
vulnérabilité doit être une priorité pour la politique de financement international du
développement en Afrique : nous soulignons l’importance de la contribution que peut
apporter ce financement pour amortir les chocs, soit au moyen de critères d’allocation
de l’aide appropriés, soit à travers des mécanismes de compensation des chocs, soit
encore pour soutenir des actions visant à diminuer structurellement la vulnérabilité. Une
aide accrue apportée aux pays africains pourrait ainsi soutenir durablement leur
croissance et leur développement525.

Plusieurs chercheurs développent leurs analyses sur la trame de l’intuition théorique indiquant
l’opérationnalité de l’exogénéité, des chocs, des contraintes et des structures. Dans le sillage de
Gérard Conac (1984) qui mentionne que « L’État en Afrique et du contexte international que l’Afrique
est loin de se construire elle-même dans l’isolement, au contraire, elle subit les contraintes de
l’extérieur et les contrecoups des concurrences économiques et les rivalités politiques et
idéologiques des grandes puissances »526;

Guerandi Mbara (1997) et Gisèle Belem (2006) élaborent leurs thèses respectives sur « Le
développement durable en Afrique : un processus sous contraintes. Expérience de l’industrie minière
malienne »527 et « L'étude des contraintes extérieures dans le processus de développement en
Afrique… »528;

Pendant que Driss Ezzine-de-Blas, Manuel Ruiz Perez et Vermeulen (2011), Daniel Compagnon
(2000) et surtout Symphorien Ongolo A. et Laura Brimont (2015) parlent respectivement pour les
premiers de « External influences on and conditions for community logging management in
Cameroon »529, des « Impératifs et contraintes de la gestion communautaire des ressources »530

525 Ibid.
526 Gérard Conac, Préface in Thierry Michalon, 1984, op. cit.
527 Gisèle Belem, 2006, “Le développement durable en Afrique : un processus sous contraintes. Expérience de l’industrie minière malienne”, in VertigO,

Vol.7, n°2, dans le sillage de sa thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal.


528 Goulongo Guerandi Mbara, 1997, L'étude des contraintes extérieures dans le processus de développement en Afrique : le cas du Burkina

Faso, Thèse de doctorat, Université Paris V René Descartes.


529 Driss Ezzine-de-Blas, Manuel Ruiz Perez and Cédric Vermeulen, 2011, “Management Conflicts in Cameroonian Community Forests”, in Ecology

and Society review, Vol.16 (1), 1st of March.

238
pour le deuxième; et « du problème des barrières structurelles dans la difficulté à modifier la
gouvernance forestière locale en Afrique »531 pour les derniers.

C’est ainsi que, inspirée dans une sorte de rupture réflexive, notre thèse va se préoccuper de
formuler les référents premiers et permanents [ce que nous appelons ci-dessus structures
opératoires] sur lesquels se développent les difficultés (dysfonctionnements et contradictions)
rapidement apparues dans la mise en œuvre de la Loi n°94/01 du 20 janvier portant régime des
forêts et de la faune au Cameroun. Un peu comme pour suivre Thierry Michalon (1984) qui,
analysant l’inconsistance et la précarité de l’institution étatique africain, énonce qu’« […] Une autre
voie d’explication n’a guère été explorée jusqu’ici dans les analyses des problèmes de l’État africain,
alors qu’elle a été défrichée depuis une dizaine d’années par les réflexions faites autour du
développement rural. Celle qui consiste à chercher la cause de l’inefficacité des rouages de l’État
dans leur inadaptation structurelle aux caractères de la société »532.

Et si du point de vue conceptuel ou typologique, nous proposons de catégoriser les travaux d’Oyono,
Karsenty, Bigombe Logo, Lescuyer, Assembé Mvondo, Cerutti, Kouna Eloundou et autres –dont
nous adoptons les résultats ici –dans une sorte de fonctionnalisme paradigmatique; à l’opposé, ou
plutôt à côté, nous pourrions dire de la démarche de la présente thèse qu’elle s’inscrit dans une sorte
de réflexivité critique ou d’ontologie politique [critique]. En effet, par la démarche d’analyse que nous
développons,
Il s’agit [pour coller à l’énonciation épistémologique que Jean De Munck (2011) formule
de la sociologie critique (Karl Marx, Michel Foucault, Jürgen Habermas, Pierre Bourdieu,
Alain Touraine, Thomas Piketty, Amartya Sen, Gilles Lipovetsky, etc.)] autant de rendre
compte du pourquoi? et du comment? des phénomènes sociaux par leur description
rigoureuse et leur explication cohérente que d’identifier des mal-fonctionnements ou des
pathologies dans la société –que sont l’aliénation, l’exploitation, la domination –dans
une perspective évaluative. Il importe en effet de souligner que l’ambition de la
sociologie critique inclut l’ambition de la sociologie cognitive, sans pour autant s’y limiter
[…]
Nous sommes dans une tradition sociologique qui expérimente des possibilités et des
limites, découvre ou se fourvoie, régresse ou progresse. Toute sociologie critique
530 In Daniel Compagnon et François Constantin, 2000, Administrer l’environnement en Afrique. Gestion communautaire, conservation et
développement durable, éd. Karthala, Paris.
531 Symphorien Ongolo Assogoma et Laura Brimont, op. cit.
532 Op. cit.

239
suppose donc, comme un de ses moments constitutifs, une critique rétrospective de la
critique sociologique antérieure autant qu’une critique des théories sociales non
critiques dont elle se démarque […]
Le criticisme kantien constitua, dans l’histoire de la sociologie, de Wilhelm Dilthey et
Max Weber à Hans Albert, une source presqu’inépuisable de réflexivité. Mais la voie
critique ouverte par Emmanuel Kant ne débouche pas nécessairement sur le criticisme.
On peut aussi prêter à la phénoménologie, au structuralisme et à la déconstruction, un
potentiel critique.
Il n’en ressort que plus clairement qu’en ce deuxième sens aussi, la sociologie ne peut
pas ne pas être une science critique. Comme toute science, elle ne peut se déployer
sans doubler sa recherche d’une méta-recherche sur ses propres principes. L’histoire
de la science et la réflexion sur son histoire nous ont appris que l’épistémologie de la
sociologie n’existe pas a priori (au contraire de ce que pouvait espérer un kantisme
orthodoxe appliqué aux sciences de la société). Aucun canon de la sociologie n’est
identifiable dans le grand ciel de l’épistémologie. Une critique vigilante et continue n’en
est que plus nécessaire533.

En effet, comme on le verra plus loin de façon plus approfondie la variable qui s’avère intéressante à
relever dans le cadre de la présente thèse –et que ni Kouna Eloundou ni aucun autre chercheur n’a
explicitement relevé jusqu’ici –c’est l’absence des communautés locales à l’étape primordiale de la
motivation des réformes. En effet, sur la base des expériences citoyennes européennes, nord-
américaines ou sud-américaines, l’on est tenté de supposer qu’une citoyenneté enracinée et
assumée dans le contexte camerounais aurait infléchi le scénario d’implantation des réformes
environnementales, notamment dans le sens où selon Gourgues et al (2013) :
Le scepticisme et les réticences caractérisent tout particulièrement les mouvements
sociaux et les acteurs collectifs organisés de la société civile, existant préalablement à
l’offre de participation. Ces attitudes s’expriment selon des modalités et des degrés
divers, de l’adhésion distanciée au boycott et au sabotage lorsque les militants estiment
que les procédures de débat public sont biaisées, mensongères et artificielles. Les
critiques associatives, militantes et syndicales s’accumulent, se répondent, dialoguent
parfois, et engagent une réflexion sur les travers de cette participation descendante et
“octroyée”534

Cette variable est d’autant plus centrale que les communautés locales sont alléguées comme les
destinataires par excellence des réformes ou à tout le moins l’une des cibles essentielles des
réformes. Notre perspective d’analyse entend donc focaliser particulièrement –en utilisant la
conceptualité de Guillaume Gourgues et al (2013) –sur :

533 Jean De Munck, 2011, op. cit.


534 Guillaume Gourgues, Sandrine Rui et Sezin Topcu, 2013, “Gouvernementalité et participation. Lectures critiques”, coll. Participations, 2013/2 n°6.

240
− toutes sortes d’écarts : distance aux principes politiques fondateurs, fossé entre
gouvernants et gouvernés, disjonction entre droits formels et démocratie réelle,
distorsion de la logique de publicité, etc. Sont particulièrement incriminés les effets
de dépossession induits par la délégation ou encore la tendance oligarchique des
démocraties qi encouragent l’apathie et la passivité des citoyens;
− [Dans la mesure où] Les théories participationnistes réintroduisent la question sociale
et mesurent le chemin à parcourir pour que parmi les citoyens libres et égaux en
droit, personne ne manque à l’appel des activités politiques;
− Car les inégalités sociales de fait entravent la réalisation des libertés politiques, ce qui
n’est en retour pas sans conséquence sur le quotidien des individus et des groupes
sociaux (MacPherson, 1977). Par ailleurs, l’inégale distribution du pouvoir dans des
configurations où État et société civile ne sont jamais strictement séparés, ou encore
la colonisation des mondes vécus par les modes de gouvernement technocratiques,
révèle et accroît les limites des modes de régulation démocratique535.

Le caractère structurel de ces dysfonctionnements semble conforter la préoccupation d’analyse de


Phil René Oyono (2009) qui, pour les établir rigoureusement, met l’emphase sur la nature complexe
des relations asymétriques entre les acteurs, des différences qui séparent les acteurs, et qui selon le
chercheur établit que : « Aborder la question de la “décentralisation démocratique” [qui se
caractérise, selon Manor (1999) ou Ribot (2001, 2003) par le transfert des pouvoirs, des
responsabilités et des ressources à des autorités/entités locales élues, représentatives des
populations, et de ce fait redevables à leur égard] et des pouvoirs au Cameroun rural exige que l’on
identifie d’abord les acteurs décentralisés et que l’on fasse une exploration des modes de
construction de leur légitimité »536.

De même, dans un texte intitulé “La désillusion des populations des zones forestières”, Ange-Gabriel
Olinga (2013) rapporte dans les colonnes de la presse que :
Les habitants de la Commune de Bertoua ne sont pas satisfaits des retombées de
l’exploitation forestière. Une situation contestée par le maire sortant qui se félicite de
nombreuses réalisations. Les populations de la Commune de Bertoua, chef-lieu de la
région de l’Est ont la dent dure contre leur maire et les exploitants forestiers. Cette
commune très enclavée est pourtant entourée de forêts riches en essences à fort
potentiel économique à l’instar du Moabi, du Tali, du Kossipo, du Sapeli ou encore du
Padouk rouge. Ces bois sont exploités par des sociétés forestières qui ont, au regard de
la loi des obligations envers la commune et les populations riveraines de ces forêts. “La
réalisation des œuvres sociales est l’une des obligations que la loi impose à l’exploitant
forestier en dehors des impôts qu’il doit payer. Il s’agit de la construction et l’entretien

535 Dans son article intitulé “Gouvernementalité et participation. Lectures critiques”, coll. Participations, 2013/2 n°6.
536 Op. cit.

241
des routes, des ponts, des ouvrages d'art ou des équipements à caractère sportif, la
construction, l’entretien ou l’équipement des établissements scolaires, des formations
sanitaires, etc.”, explique Jean Pascal Mbolang, un responsable du Plan de
développement villageois (PDL), une organisation non gouvernementale impliquée dans
les activités d’exploitation forestières […] Interrogés sur l’impact des revenus tirés de
l’abattage du bois, les populations concernées sont partagées entre la colère et le
désarroi : “L’exploitation forestière dans nos villages a toujours suscité l’espoir,
remarque Farouk Badoukou un chef traditionnel de l’arrondissement de Belabo.
Malheureusement, tout ne se passe pas comme prévu. Ici les sociétés d’exploitation ne
contribuent pas à la réalisation des œuvres sociales. Elles se contentent simplement
d’élargir les routes et les racler pour faciliter le passage de leurs grumiers”537.

Au tableau des éléments problématiques et dysfonctionnels qui manifestent le caractère mitigé de la


Réforme, il y a principalement la marginalité persistante des communautés villageoises (Ange-
Gabriel Olinga, Anne Matho, 2013538; Théophile Bouki, 2010) dont l’amélioration des conditions
d’articulation effective à la dynamique de gouvernance forestière ne viendra ultérieurement qu’avec
l’action des OSC/ONG (Amis de la Terre, 2013)539. Pour Sévérin Cécile Abéga (2001) :
Les forêts aujourd'hui sont vidées de leurs ressources à cause des gens qui sont en
ville, à cause des gens qui ont le pouvoir. De même s'agissant de l'abattage des arbres,
combien de villages profitent des arbres qui sont abattus dans leurs forêts? Allez dans
la province de l'Est, c'est celle qui donne le plus de bois à la nation. Combien y a-t-il de
routes bitumées? Combien y a-t-il d'infrastructures sociales de base? Il faut s'interroger!
Si vous vous mettez sur la route d'Abong-Mbang, de Bertoua ou sur la route de Batouri,
essayez de compter ce qui va à l'Est et ce qui en sort. Alors vous comprendrez quand
vous aurez vu le nombre de camions qui descendent chargés de grumes d'essences
rares d'arbres magnifiques, et quand vous aurez compté le nombre de camions qui
remontent chargés d'alcool et de boissons en tout genre, vous comprendrez qu'en fait
on appauvrit, on pille les ressources de ces gens-là contre de l'alcool, contre des
verroteries, contre des bibelots540.

La littérature scientifique atteste ainsi avec une constance singulière l’émergence et la manifestation
de dysfonctionnements divers qui ont largement mitigé les préoccupations démocratiques,
institutionnelles, environnementales, écologiques, sociales et économiques alléguées à la motivation

537 Cette publication de l’association des Journalistes d’Afrique pour le développement (JADE) a été relayée par le Net journal “Camer.be” dans son
édition du 16 septembre 2013.
538 Le document auquel les deux journalistes rapportent les faits établit une photographie édifiante du contexte de l’exploitation industrielle des forêts au

Cameroun et de la situation de l’économie forestière qui fait l’objet de notre thèse : https://fr.scribd.com/document/239805929/Foret-Sauver-Le-Bois-
Africain-Reportages-au-coeur-de-la-foret-camerounai .
539 In “Gouvernance forestière au Cameroun : Les exploitants véreux dans le collimateur des communautés” (http://www.foei.org/fr/actualites/amis-de-la-

terre-cameroun-gouvernance-forestiere-les-exploitants-vereux-dans-le-collimateur-des-communautes)
540 Sévérin Cécile Abéga, 2001, op. cit.

242
de la Réforme forestière de 1994 (Symphorien Ongolo; Paolo Cerutti; Bigombe Logo; Alain Karsenty;
Phil Oyono; Jérémie Mbairamadji; Parfait Oumba; Kouna Eloundou; Brunner & Ekoko; etc.).

243
CHAPITRE III : BASE ÉPISTÉMOLOGIQUE DE LA RECHERCHE (LE STATUT
PROBLÉMATIQUE DE LA GOUVERNANCE FORESTIÈRE AU CAMEROUN)

L’aménagement d’une articulation spécialement consacrée à la présentation des éléments et situations qui
établissent sinon l’échec des Réformes forestières introduites au Cameroun au début des années 1990
(Greenpeace, 2007), en tout cas le caractère pour le moins mitigé des résultats issus du Régime des forêts de
1994 ne relève pas d’un formalisme méthodologique, même si la présentation des dysfonctionnements
irréductibles et des contradictions structurelles diverses qui se manifestent dans la gouvernance forestière au
Cameroun a presqu’exhaustivement été documentée par l’abondante littérature enregistrée depuis une
vingtaine d’années sur l’économie forestière dans le Bassin du Congo (Nongni & Lescuyer, 2016; Ongolo &
Brimont, 2015; Paolo Cerutti et al, 2013; Ngoumou Mbarga, 2013; Kouna Eloundou, 2012; etc., Marie-Claude
Smouts, 2001; etc.). Même si l’explicitation de notre démarche méthodologico-théorique a exigé très tôt dans
le texte que nous étayions l’approche socio-historique [la référence à l’histoire (G. Busino, 1986) et à la
philosophie de l’histoire (R. Aron, 1948; R.F. Atkinson, 1978; G. Anders, 1956)] et étayions l’opérationnalité
des contraintes structurelles (paradigmatiques, interscalaires, contextuelles) tout au long du déploiement de la
thèse. Dès lors, il s’agira davantage d’une présentation analytique ou analysée plutôt que d’une présentation
simplement descriptive ou schématique des indicateurs dysfonctionnels.

244
9. Réformes forestières et émergence des contradictions structurelles
L’histoire de l’économie forestière camerounaise est abondamment documentée, depuis les travaux de Patrice
Bigombe Logo (1996, 1994), Vicente Ferrer & Eavan O'Halloran (1997), Phil René Oyono (1998, 1997, 1995),
Jean-Christophe Carret & Pierre-Noël Giraud (1998), Adonis Milol (1999), François Ekoko (1999, 1997) ou
Filip Verbelen (1999) jusqu’à ceux de Bakker Nongni & Guillaume Lescuyer (2016), Alain Karsenty (2016),
Ongolo Assogoma (2015), Paolo O. Cerutti et al (2013) ou Kouna Eloundou (2012). C’est cette documentation
qui établit la manifestation constante de situations problématiques significatives de difficultés implacables
auxquelles [la préoccupation d’optimalisation de] l’économie forestière est confrontée. Le Régime des forêts
adoptée en 1994 avait été annoncé à l’époque comme une réforme révolutionnaire, comme un code qui
révolutionnerait aussi bien la capacité de l’économie forestière à constituer une source majeure de production
des richesses nationales que la place des communautés villageoises dans le système de gestion des
ressources forestières. Quelques années plus tard, l’évaluation de sa mise en œuvre présente sinon un échec
patent du moins un tableau très mitigé. Pour quelques-uns de nos interlocuteurs, nous serions tout
simplement en face d’une Loi bien écrite et porteuse de bonnes intentions, « qui aurait occasionné des
résultats largement plus probants quand bien même elle ne fût appliquée qu’à 50% »541. Cette évaluation de la
situation et cette perception des choses sont attestées par Marie-Claude Smouts (2001) qui observe qu’:
En 1988, moins de 1% des forêts tropicales se trouvait sous aménagement durable. En 2000,
selon l’OIBT, la situation était meilleure. Pourtant à bien lire les rapports des experts, on
s’aperçoit que le progrès se marque surtout dans le domaine administratif, législatif et
réglementaire. Avec l’aide de la Banque mondiale, de la FAO et de nombreux spécialistes,
presque tous les pays producteurs se sont lancés dans la définition d’une nouvelle politique
forestière et dans la rédaction de nouveaux codes, avec l’engagement d’élaborer de nouvelles
stratégies intégrant la gestion forestière durable dans un contexte plus large d’aménagement du
territoire.
Sur le conseil des experts internationaux, les pays se dotent d’un domaine forestier permanent
sur les terres appartenant à l’État, ce qui est souvent le cas dans les pays tropicaux, ils assurent
une plus grande sécurité des droits de jouissance et des titres de propriété sur les terres
privées.
Mais dans la pratique, force est de constater l’absence d’aménagement effectif dans la plupart
des pays tropicaux. Les Plans de gestion sont bien établis, mais ne sont pas mis en œuvre542.

En effet, la mise en œuvre de la nouvelle Loi forestière va s’avérer problématique, à cause essentiellement de
l’émergence de contradictions structurelles irréductibles provoquées par la rencontre entre d’un côté, les
préoccupations [macro]économiques ou économicistes implacables (A. Karsenty, 2016, 2002; D. Brown, 2002;
J. Brunner & F. Ekoko, 2000) et des prétentions environnementales formelles (Ongolo et Brimont, 2015); et de
l’autre, les contraintes sociétales opératoires inhérentes à la structuration historique de la collectivité politique

541 Notre entretien avec…


542 Op. cit.

245
camerounaise (Mbog Bassong, 2013; Marie-Claude Smouts, 2001; Bertrand Badie, 1992; Thierry Michalon,
1984). C’est ainsi qu’en guise d’illustration, Paolo O. Cerutti et al (2013) relèvent que : « We show that State
officials may be collecting some 46 million in informal payments each year, part of which is siphoned into a
pyramidal system that manages careers not by merit, but by the price one can pay. We argue that corruption
becomes a root cause of policy failures when disillusioned State officials perceive that those at the top of the
pyramid do not have the legitimacy needed to promote Reforms. Arbitrariness, mistrust, and contradiction then
predominate, thus weakening the rule of law »543.

Dans une approche synthétique qui schématise le bilan d’ensemble des Réformes forestières introduites au
Cameroun au début des années 1990, Bigombe Logo (2007) livre un tableau sans équivoque :
Dans l’optique des concepteurs et des bénéficiaires de la réforme de 1994, la gestion
décentralisée des forêts devait consacrer la foresterie sociale, c'est-à-dire, une foresterie axée
sur les gens, une foresterie servant de levier pour la construction du développement local, la
lutte contre la pauvreté, l’amélioration des conditions générales de vie des populations
forestières. La réforme visait une triple finalité : une finalité politique, une finalité économique et
sociale et une finalité écologique.
Au plan politique, il s'agissait de traduire dans les faits les principes de la participation et de la
responsabilisation des populations villageoises dans la gestion des ressources forestières, à
promouvoir la démocratie locale et la gouvernance dans la gestion des ressources forestières.
Au plan économique et social, la réforme devait permettre d'accroître la contribution du secteur
forestier au développement local et à la lutte contre la pauvreté, avec la réalisation des œuvres
économiques et sociales (adductions d’eau, électrification, construction et entretien des routes,
des ponts, des ouvrages d’art ou des équipements à caractère sportif, construction, entretien ou
équipement des établissements scolaires et des formations sanitaires, acquisition de
médicaments, financement des micro-projets générateurs de revenus, etc.).
Et, enfin, au plan écologique, elle visait à garantir une gestion durable des écosystèmes
forestiers.
Le bilan qui est fait aujourd’hui de la mise en œuvre de cette réforme laisse apparaître des
résultats faibles et mitigés sur les conditions de vie des populations villageoises et un
enrichissement des élites locales gestionnaires des produits et des avantages de la gestion
décentralisée des forêts544.

Les situations dysfonctionnelles manifestées dans la mise en œuvre du Régime des forêts issu des Réformes
du début des années 1990 sont de divers ordres : intellectuels, techniques, administratifs, logistiques,
institutionnels, politiques, de gouvernance, et par conséquent environnementaux (culturels, sociaux,
économiques, écologiques). Synthétisé au maximum, le tableau critique de l’économie forestière
camerounaise affiche les éléments et situations dysfonctionnels suivants :

543 Op. cit.


544 Patrice Bigombe Logo, 2007, op. cit.

246
1. Le statut ou positionnement définitivement privilégié des industriels sur l’échiquier ainsi que la
persistance de modes arbitraires d’exploitation intensive des ressources.
2. La concentration exclusive des compétences réelles de gestion et du pouvoir ultime de décision aux
mains du gouvernement et des acteurs étatiques.
3. Le biais structurel de l’immixtion de la corruption et de l’ingérence du néopatrimonialisme dans la
mise en œuvre des institutions.
4. L’exclusion des communautés indigènes des préoccupations stratégiques et des leviers
opérationnels (leurs représentations, leurs intérêts spécifiques, leurs besoins endogènes) donne lieu
à leur articulation instrumentale ainsi que leur présence folklorique à la gouvernance.
5. Conséquences :
− La forêt en tant que système biologique est détruite et profondément appauvrie.
− Les richesses financières qui résultent de cette exploitation intensive sont accaparées par les
industriels et les élites (administratives, politiques, économiques).
− Les communautés villageoises se retrouvent dans le désarroi, désemparées, dans une situation de
désolation existentielle devant leurs biotopes déstructurés, sans aucune ressource alternative ni
aucune orientation compensatoire substantielle.
− La faiblesse structurelle des impacts économiques et des bénéfices financiers tant au niveau national
qu’au niveau local des communautés villageoises (inexistence d’investissements structurants en
termes d’infrastructures durables pertinentes; marginalité de l’emploi des populations riveraines dans
l’activité d’exploitation forestière).

− Etc.

247
10. La marginalisation des communautés villageoises
En effet, la mise en œuvre du nouveau régime forestier va manifester de profondes contradictions ainsi que de
multiples dysfonctionnements dont la plus emblématique est la marginalisation des communautés villageoises,
tant du point de vue des rapports existentiels ou écosystémiques que les communautés indigènes
entretiennent avec la forêt (Doti Bruno Sanou, 2014; Mbog Bassong, 2013; Claude Villeneuve et al, 2013;
Esoh Elame et al, 2012; Akwah G. Neba, 1996; Mubabinge Bilolo, 2007; Sévérin Cécile Abéga, 2001, 2000;
Serge Bahuchet, 1994; Guéhi Jonas Ibo, 1994; Jean Ziegler, 1988), qu’en termes de participation citoyenne
dans la conduite de la gouvernance forestière et des retombées économiques de l’exploitation industrielle de
la forêt. Plusieurs études ayant examiné les statuts et rapports entre les différents acteurs directement
impliqués dans la gouvernance forestière établissent que les communautés locales sont un acteur marginalisé
aussi bien du point de vue citoyen et politique, en termes de présence directe et d’influence effective dans la
planification, l’élaboration et la mise en place des institutions collectives stratégiques opératoires, en
l’occurrence du Régime forestier et de son opérationnalisation; que du point de vue des bénéfices réels
globaux et structurels (économiques ou écosystémiques) que ces communautés étaient en droit d’attendre
des réformes forestières à l’œuvre (Ongolo Assogoma, 2015; Ngoumou Mbarga, 2013; COMIFAC, 2015,
2013; Kouna Eloundou, 2012; Cerutti et al, 2010; Bouki, 2010; CEFDHAC, 2007; Poissonnet et Lescuyer,
2005; P. Oumba, 2007; A. Milol, 1999; Assembé Mvondo, 2006; Mbairamadji, 2009; Oyono, 2009, 2006;
Lassagne, 2005; Elong Mbassi, 2003; Mbous, 2002; Karsenty, 1999; Bigombe Logo, 2002, 1996; etc.). Au
terme des recherches qu’il a consacrées aux performances du Régime des forêts de 1994, notamment en
examinant le degré de cohérence opérationnelle entre les orientations stratégiques telles qu’elles sont
formulées dans la Loi, le fonctionnement des mécanismes de mise en œuvre, et les résultats obtenus, Phil
René Oyono (2005) écrit :
The study we did explores and profiles the local-level outcomes of the Decentralization
introduced by 1990s Reforms. It shows that the experiment has not yet brought up expected
positive results and very often generates internal conflicts, a new social stratification and the
marginalization of traditional authorities. Second, the article argues that decentralized
management is not producing positive economic results, as there is no significant economic
change in the case study villages. Third, it demonstrates that the experiment is leading to
negative environmental results, such as the degradation of many community forests in the
forested Cameroon. The author recommends that policy makers, researchers, non-
governmental organizations, and the local communities design a monitoring framework for
decentralized management545.

Au sujet du statut politique et de l’expression citoyenne par exemple, Ongolo et Brimont (2015) relèvent que :
Sur le plan démocratique, les populations et leurs instances représentatives locales sont
passées d’une situation de spectateurs passifs à celle d’acteurs plus ou moins actifs de la

545 Phil René Oyono, 2005, op. cit.

248
gestion forestière, du moins sur le plan formel. La gestion communautaire des forêts n’a pas
échappé à certaines contraintes de gouvernance déjà connues dans un système de gestion
centralisé. Il s’agit en particulier de l’instrumentalisation des règles et des lois, de la
superposition des normes de tenure, du poids des bureaucraties et de la capture de rente546.

De même, Théophile Bouki (2010) parle des communautés locales comme des « oubliés du développement
durable »547, pour signifier qu’au-delà des dispositions institutionnelles formelles –telles qu’elles sont traduites
dans les Réformes matérialisées par l’adoption d’une nouvelle Loi des forêts et sur lesquelles se focalisent les
travaux de John Rogers Commons548, Raphaëlle Dancette549 ou Christian Hey (2005, 1994)550 par exemple –
qui sont censées ouvrir aux communautés villageoises la compétence d’intervention, de participation et de
bénéfice dans l’exploitation des ressources forestières (Phelps, Webb and Agrawal, 2010551; Kristen P.
Andersson, 2005, 2002552; Jesse Ribot, 2006, 2002; A. Agrawal and E. Ostrom, 2006553; T. O’Riordan,
2001)554, la mise en œuvre effective du Régime des forêts de 1994 se caractérise essentiellement par la
marginalisation systématique des communautés locales. Cette marginalisation structurelle se manifeste, en
tant que défaut de pouvoir et absence politiques, par l’exclusion des représentations, des besoins, des
intérêts, des préoccupations mais aussi des capacités, des moyens, des ressources, des dispositions propres
des communautés villageoises dans les orientations stratégiques de la Loi des forêts et les conditions
d’opérationnalisation de la gouvernance forestière. Cette marginalisation se manifeste ainsi en tant
qu’inexistence citoyenne et incompétence technique des communautés villageoises dans le système moderne
d’exploitation industrielle ou capitaliste des ressources forestières (S. Ongolo Assogoma, 2015; Ngoumou
Mbarga, 2013).

En guise d’illustration, et parlant indifféremment en termes de « mépris des populations locales, de modes de
développement choisis, de comportements prédateurs », Marie-Claude Smouts (2001) rappelle le défaut qui
est fait à la multifonctionnalité de la forêt dont elle rappelle que :

546 Op. cit.


547 Théophile Bouki, 2010, “Les oubliés du développement durable : au-delà de la décentralisation, l’inquiétude des peuples autochtones du Sud-
Cameroun”, Publications du Centre d’études stratégiques du Bassin du Congo. Extrait de sa thèse de doctorat, Les forêts communautaires du Sud-
Cameroun : un outil d'application du développement durable à l'échelle villageoise?, Université de Paris X.
548 Au sujet de John Rogers Commons (1934), lire James A. Sterns, 2010, “John R. Commons and the Evolution of Institutions: The Case of the Malian

Cotton Sector”; ou Bernard Chavance, 2012, “John Commons’s organizational Theory of Institutions: a Discussion”.
549 Raphaëlle Dancette (avec Jean-Pierre Revéret), 2010, “Biodiversité marine et accès aux ressources. Pêche et autres biens et services écologiques

sous pression extrême”, in Revue Tiers Monde, n° 202.


550 Christian Hey, 2005, “EU Environmental Policies: A Short History of the Policy Strategies”, in EU Environmental Policy Handbook. A Critical

Analysis of EU Environmental Legislaion, éd. Stefan Scheuer.


551 Arun Agrawal (avec Phelps, J. and Webb, E. L.), 2010, “Does REDD+ Threaten to Recentralize Forest Governance?”, in Science, Vol. 328, du 16

avril 2010
552 Krister P. Andersson (avec Clark C. Gibson et Fabrice Lehoucq), 2005, “Municipal Politics and Forest Governance: Comparative Analysis of

Decentralization in Bolivia and Guatemala”, in World Development, Vol.34, n°3; 2002, “Can Decentralization Save Bolivia’s Forests? An Institutional
Analysis of Municipal Forest Governance”, in Dissertation Series n°9, CIPEC, Indiana University.
553 Arun Agrawal & Elinor Ostrom, 2006, “Political Science and Conservation Biology: a Dialog of the Deaf”, in Society for Conservation Biology, Vol.

20, n°3.
554 Timothy O’Riordan, 2001, “Environmental Science on the Move”, in Environmental Science for Environmental Management, éd. Longman

Scientific and Technical.

249
La forêt n’est pas un milieu clos réservé aux forestiers, indépendant de l’environnement socio-
politique et des autres secteurs de la vie publique. La forêt n’est pas non plus seulement une
source de matières premières pour le commerce et l’industrie, pas seulement une source de
revenus pour les États et les élites politiques, pas seulement une ressource dont plusieurs
centaines de millions de personnes tirent leurs moyens de subsistance, pas seulement une
réserve de biodiversité intéressant l’ensemble du genre humain, pas seulement un écosystème
où vivent plusieurs millions d’autochtones, chasseurs-collecteurs pour lesquels l’homme et la
forêt sont une unité, La forêt est tout cela à la fois et forme un système555.

S. Ongolo Assogoma et L. Brimont (2015) concluent leur analyse en présentant un tableau général de la
situation en guise d’évaluation d’ensemble des vingt ans des réformes forestières camerounaises. Pour les
deux chercheurs :
Tout comme dans plusieurs autres cas africains, la mise en œuvre des processus de
décentralisation et de dévolution des ressources forestières au Cameroun affiche un bilan
mitigé. Si les entités locales de la société civile font désormais partie de la gestion des forêts,
leur rôle et leur niveau d’influence dans la gouvernance demeurent marginaux.
En ce qui concerne les forêts communautaires, le concept de société civile est davantage utilisé
comme un label pour les acteurs dominants –qui sont l’État central, les élites et les ONG de
conservation –pour délimiter leurs interventions au niveau local. Pour les communes forestières,
les importantes sommes d’argent reçues de l’État central [au titre de la Redevance forestière
d’aménagement] ont peu, voire pas, bénéficié aux populations rurales à qui elles étaient
destinées dans la majorité des cas. Entre 2000 et 2006, l’État camerounais a redistribué
environne 10 à 12 millions de dollars US aux communes et communautés villageoises riveraines
des zones forestières, sans véritable incidence sur le développement de ces localités. Le faible
impact de la rente forestière sur le développement local est notamment lié aux vastes
détournements de fonds organisés par les membres des équipes municipales et associatives,
motivés davantage par leur enrichissement personnel que par la prospérité et le bien-être
collectifs556.

555 Op. cit.


556 Op. cit.

250
11. Modes indifférents et mécanismes écologiquement peu-durables d’exploitation des ressources

À la marginalisation des communautés locales dans le système de gouvernance forestière, les études sus-
évoquées articulent divers autres dysfonctionnements au rang desquels les modes et mécanismes peu
écologiquement durable d’exploitation des ressources (Parfait Oumba, 2007). Exactement comme ce qu’a
révélé L’Erreur boréale au Québec : « On coupe trop, on coupe mal, et il n’y a personne qui en est
responsable » (Réginald Harvey, 2011)557. L’information qu’en présente Parfait Oumba (2007) est aussi
intéressante qu’édifiante :
La destruction des écosystèmes forestiers du Bassin du Congo s'accélère sous l’effet de l'action
prédatrice de puissants groupes industriels qui contournent les réglementations et bénéficient
de la complaisance des autorités [Selon la FAO, près de 2 millions d'hectares de forêts furent
perdus entre 1980 et 1995 au Cameroun, c’est-à-dire près du 1/10ème de la forêt existant en
1980. Selon Global Forest Watch, les taux de déboisement au cours de cette période étaient en
moyenne de 0,6%, ce qui représente le 2ème taux le plus élevé de déboisement annuel dans le
Bassin du Congo]. En effet, la production forestière du Cameroun a triplé en 22 ans, passant de
1,2 millions de m3 en 1975 à 3,0 millions de m3 en 1997. 60% des espèces arbres sont
menacées de disparition; plusieurs espèces d'animaux dont le rhinocéros noir et le chimpanzé
sont menacées d'extinction. Alors que les pouvoirs publics justifient l'expansion de l'exploitation
forestière industrielle par les impératifs de développement économique et social, on constate
paradoxalement que les régions forestières, dans lesquelles l'exploitation industrielle est
pratiquée depuis des décennies, restent parmi les plus pauvres : enclavement, manque
d'infrastructure de base, faible scolarisation, faible couverture sanitaire, etc.558.

Ces résultats sont corroborés et complétés par les travaux de Kouna Eloundou (2012) qui relève également
que :
Quant au développement socio-économique local et à la conservation des forêts attendus de la
gouvernance forestière, notre analyse montre des résultats en-deçà des espérances. Certes l’on
note quelques retombées socio-économiques pour les populations locales mais dans
l’ensemble, de nombreuses faiblesses limitantes pour une gouvernance efficace sont mises en
lumière. La plupart des insuffisances relevées sont mises en évidence dans notre analyse des
expériences de gestion des forêts par les communes et les communautés villageoises dans
d’autres localités à Dimako au Cameroun559.

Pour attester fermement et avec assurance de la fragilité [à défaut de parler de “l’échec” (Greenpeace,
2007560)] du Régime des forêts mis en place en 1994 et mettre en exergue les éléments constitutifs de la
faiblesse structurelle des propriétés environnementales et démocratiques dont ses promoteurs l’ont affublées

557 Op. cit.


558 Parfait Oumba ajoute que « la persistance d'une gestion peu démocratique et non transparente de la chose publique qui caractérise en général ces
deux États, soulève des interrogations quant à une réelle prise en compte de la notion du développement durable dans la gestion de leur potentiel
forestier. La République du Congo balbutie encore des retombés d'une longue période d'instabilité politique et le Cameroun, classé pendant longtemps
par [l’organisme] “Transparency international” comme l'un des pays les plus corrompus au monde, est en train d'expérimenter les politiques anti-
corruption mises en œuvre depuis lors. Ainsi, il se pose dans ces deux pays, une exigence de bonne gouvernance ». Op. cit.
559 Op. cit.
560 Op. cit.

251
à l’époque, nous avons également procédé à l’identification des principales dimensions sur lesquelles insiste
la dynamique locale ou nationale de réforme du Régime des forêts engagée dans la seconde moitié des
années 2000, à côté de l’information convergente produite par la littérature scientifique et les témoignages
recueillis auprès des chercheurs, des organismes de la société civile et des communautés villageoises. En
effet, les préoccupations formulées par les OSC/ONG se résument essentiellement dans ce qu’elles appellent
“les droits communautaires”, “les aspirations des communautés” et les changements structurels de fond. Selon
les organismes de la société civile qui portent cette dynamique interne, la réforme du Régime forestier doit
favoriser d’un côté : « Une meilleure reconnaissance et une plus grande garantie des usages communautaires
et une participation accrue des populations à la gestion des forêts et au partage des bénéfices qu’elle génère.
Il s’agit de reconnaitre les droits aussi divers que le droit à l’information, le droit à la consultation et à la
participation, le droit d’accès à la justice, le droit d’usage, le droit à l’indemnisation/compensation, et le droit au
partage des revenus tirés des services environnementaux » (Robinson Djeukam & Aristide Chacgom, 2013).

De l’autre côté, pour satisfaire les exigences environnementales et de durabilité, relativement aux
changements structurels de fond, le mouvement local de modification du Régime issu des Réformes des
années 1990 doit procéder à la :
modification en profondeur de la Loi forestière camerounaise de manière à changer des
éléments du système de gestion des forêts que nous avons hérités de la colonisation et qui
marginalisent les communautés locales et autochtones, accordant le plus grand poids à l’État,
aux industriels et aux agences de conservation. L’objectif ultime étant de reconnaitre un droit de
propriété aux communautés villageoises, sur la totalité ou sur une partie des forêts relevant de
leurs terroirs coutumiers.
[Dans une démarche proche de l’approche [inter]culturelle proposée par Esoh-Élamè et al
(2009)561 et destinée à rompre avec le monolithisme exclusif du paradigme colonial, il s’agit
d’envisager :]
− une délimitation des terroirs coutumiers des communautés à travers une procédure qui
serait réalisée conjointement par les Services gouvernementaux en charge des
domaines, des forêts et du territoire, avec les communautés et les organisations de la
société civile;
− l’octroi, sans formalité préalable, d’un titre foncier à chaque communauté villageoise
sur les superficies considérées, qui seraient une propriété inaliénable du village, même
lorsqu’elles se trouveraient sur le domaine forestier permanent;
− la gestion des espaces et des ressources au sein de la forêt de chaque village par les
structures coutumières de gestion existantes, avec l’appui technique et la supervision
du Ministère en charge des forêts;
− de l’application du droit coutumier à l’intérieur de l’espace couvert par le titre foncier
collectif (Ibid).

Joe Esoh-Élamè, Anne-Laure Amilhat-Szary, Jean-Christophe Gaillard et Frank Giazzi, 2009, Culture et développement : la durabilité renouvelée
561

par l'approche interculturelle?, éd. Publibook.

252
À lui seul, l’appel formulé par les organisations de la société civile pour l’intégration des aspirations des
communautés villageoises et la reconnaissance des droits communautaires dans la Loi des forêts [les deux
dimensions qui recoupent le cœur de la préoccupation environnementale] suffit à attester la non-endogénéité
du Régime des forêts mis au début des années 1990 ainsi que l’arbitraire des conditions structurelles dans
lesquelles il sera mis en œuvre et dont l’une des conséquences emblématiques est la marginalisation des
communautés villageoises.

En dépit de la souscription formelle à l’approche environnementale (Krister Andersson, 2002)562, c’est sur la
base des faiblesses de l’État et des contradictions structurelles qui caractérisent son déploiement –et dont
l’une des conséquences est la marginalisation des acteurs locaux dans la gestion des compétences
décentralisées –que les organisations spécialisées non-étatiques vont émerger et développer une
collaboration de proximité avec les communautés locales, dans le dessein de renforcer les capacités de
participation de ces dernières dans la gouvernance forestière, contribuant également ainsi à la viabilisation
générale du Régime forestier mais aussi à une sorte de réhabilitation environnementale des Réformes
(Rozenn Nakanabo Diallo, 2013; Dieudonné Bitondo, 2005).563

562 Nous référons à la logique relevée par Krister Andersson, dans son texte intitulé “Can Decentralization Save Bolivia’s Forests? An Institutional
Analysis of Municipal Forest Governance”, in Dissertation Series, n°9, CIPEC, Indiana University, 2002. Au besoin lire également: Kristen P.
Andersson (avec C.C. Gibson and F. Lehoucq), 2005, “Municipal Politics and Forest Governance: Comparative Analysis of Decentralization in Bolivia
and Guatemala”, in World Development, Vol.34, n°3.
563 En effet, et comme il se dégage aussi bien de nos propres données de terrain que de la littérature, les communautés locales n’ont participé ni à la

motivation des réformes forestières, ni à l’élaboration de la nouvelle Loi des forêts de 1994.
C’est cette perspective de recherche est particulièrement développée par Dieudonné Bitondo dans ses travaux consacrés à l’institutionnalisation de
l’évaluation environnementale dans le développement routier au Cameroun. L’auteur analyse le « processus contingent, évolutif et adaptatif » des
suggestions exogènes à travers l’examen des modes d’internalisation, d’appropriation et d’optimisation par les acteurs camerounais des dynamiques
globales environnementales.
R. Nakanabo Diallo se préoccupe également de la même problématique pour proposer le concept de transnationalisation, dans son étude de l’action
publique environnementale au Mozambique.

253
12. Évaluation méthodologico-théorique de la recherche antérieure et dépassement réflexif de la
démarche d’analyse de l’économie forestière camerounaise

Tous les travaux ayant jusqu’ici porté sur l’analyse de l’économie forestière et l’évaluation de la gouvernance
des forêts au Cameroun, notamment dans le sillage du Régime des forêts de 1994, semblent s’être focalisés,
dans une approche essentiellement fonctionnaliste, soit sur l’examen des outputs économiques à travers
l’architecture fiscale et le fonctionnement des conditions et mécanismes de rentabilité financière du secteur
forestier (A. Karsenty, 2016, 2012, 2006; Jake Brunner & François Ekoko, 2000), soit sur l’analyse
institutionnelle de la décentralisation comme approche par excellence de gestion durable des forêts (Krister P.
Andersson, 2005, 2002)564, soit encore sur l’analyse des implications consécutives à la fonctionnalité des
artefacts institutionnels ou mécanismes de gouvernance mis en place (Jeanne Dancette, 2004; Christian Hey,
1994)565, soit enfin sur l’analyse des discours publics destinés à relayer les dynamiques environnementales
globales aux échelles nationales et locales. Aussi ces études ont-elles permis l’identification de
dysfonctionnements divers d’ordres culturels, sociaux, économiques, écologiques, politiques et de
gouvernance, ainsi que leur description. Symphorien Ongolo & Laura Brimont (2015) énoncent par exemple
que :
Selon la Loi forestière [de 1994, en cours], l’exploitation du bois-énergie nécessite l’obtention
d’un “Permis d’exploitation des produits spéciaux [dont le charbon de bois]” ou d’un “Permis
d’exploitation du bois de feu”. L’exploitation du bois-énergie est éligible dans les concessions de
forêts communautaires et communales, mais d’après les estimations, moins de 1% des 240.000
tonnes de charbon produites au Cameroun en 2009 provenait des zones de production ayant
des Permis légaux (Schure et al, 2010). Un constat similaire est fait pour la production informelle
de bois d’œuvre, qui serait largement supérieure à la production formelle de bois au niveau
national (Lescuyer et al, 2013)566.

De même, et toujours en guise d’illustration pour formuler son intérêt pour ce qu’elle appelle “La politique
forestière postcoloniale. De l’indépendance jusqu’en 1993” et analyser les implications majeures mobilisées
par l’évolution politico-institutionnelle de l’exploitation industrielle des forêts au Cameroun, voici la
problématisation que propose Charlotte Gisèle Kouna Eloundou (2012) :
Dès l’avènement de la République unie du Cameroun, différents textes régissant la gestion
forestière furent élaborés. Les deux principaux textes sont l’Ordonnance n° 73-18 du 22 mai
1973, fixant le régime forestier, et la Loi n° 81-13 du 27 novembre 1981, fixant le régime des
forêts, de la faune et de la pêche. Ces textes allaient-ils s’inscrire en rupture ou en continuité
avec les politiques forestières britannique et française dont hérita le Cameroun indépendant?

564 Kristen P. Andersson (avec C.C. Gibson and F. Lehoucq), 2005, “Municipal Politics and Forest Governance: Comparative Analysis of
Decentralization in Bolivia and Guatemala”, in World Development, Vol.34, n°3; 2002, “Can Decentralization Save Bolivia’s Forests? An Institutional
Analysis of Municipal Forest Governance”, in Dissertation Series, n°9, CIPEC, Indiana University.
565 Jeanne Dancette, 2004, Les mots de la mondialisation : décalages conceptuels, Équivalences 3 -Hieronymus, Berne; 2003, “Percebois, J.

(2002) : Terminologie anglais-français du commerce international : théories, politiques, accords et institutions”, Economica, Paris.
566 Symphorien Ongolo Assogoma et Laura Brimont, op. cit.

254
Quelles étaient leurs caractéristiques? Accordaient-ils aux Camerounais une place plus
importante dans la gestion des forêts que les politiques forestières coloniales?567.

Le questionnement formulé ici par la chercheure est représentatif de l’approche fonctionnaliste qui a orienté
jusqu’ici la quasi-totalité des travaux ayant été réalisés sur l’exploitation des ressources naturelles en Afrique
ou la gouvernance forestière au Cameroun. S’il conduit incontestablement à mesurer le niveau de décalage
que les politiques forestières de l’État “indépendant” opèrent vis-à-vis des politiques forestières coloniales et à
identifier les éléments permanents de dysfonctionnement qui persistent dans les deux époques, force est de
constater le caractère pour le moins sommaire de la préoccupation théorique et de la profondeur théorique
critique. Même s’il s’agit de préoccupations pertinentes permettant effectivement entre autres d’évaluer la
performance sociale et économique des institutions mises en œuvre ou plus généralement
l’environnementalité et la durabilité des différents régimes d’exploitation des ressources forestières; de suivre
toutes les nuances prises dans cette évolution relative par les principaux acteurs ou parties prenantes;
d’apprécier les enjeux à l’œuvre ainsi que l’évolution des représentations et des intérêts dominants, les
préoccupations envisagées s’avèrent complètement hors de portée de questions aussi fondamentales que
celles qui se préoccupent de formuler les conditions de manifestation et de permanence des phénomènes
identifiés, d’expliquer comment et pourquoi le Décret colonial de 1946 restera aussi longtemps en application
après les indépendances, et surtout de trouver une explication générale à l’exclusion constante des
représentations endogènes et des acteurs indigènes dans l’institutionnalisation du rapport capitaliste aux
ressources forestières.

C’est ainsi que même des études de l’envergure de celle au bout de laquelle Marie-Claude Smouts publie
Forêts tropicales, jungle internationale. Les revers d’une écopolitique mondiale (2001)568, qui ont suggéré la
prétention de constituer une synthèse dans l’analyse environnementale de la question forestière, n’ont pu se
libérer de l’enfermement paradigmatique fonctionnaliste. Marie-Claude Smouts n’arrive qu’à pressentir et à
subodorer la nécessité théorique d’une analyse qui découvre la cohérence permanente des contradictions à
l’œuvre, notamment quand elle relève dans sa catégorisation des approches consacrées d’analyse de la
politique mondiale de sauvegarde des forêts tropicales humides que « Si l’on est “structuraliste” et d’un néo-
marxisme propret, on expliquera la dégradation de la forêt par les structures de l’économie mondiale et la
faiblesse des organisations de la société civile, associations de consommateurs et mouvements sociaux, face
aux multinationales et aux grandes institutions financières »569,

567 Op. cit.


568 Éd. Les Presses de Sciences Po, Paris.
569 Op. cit.

255
Sans jamais parvenir anticiper la singularité des enjeux épistémologiques et théoriques mobilisés par la
présente thèse. C’est ainsi que pour José Do Nascimento (2008) :
L’inefficacité des solutions apportées jusqu’ici et par conséquent l’impasse dans laquelle se
trouve l’Afrique viendraient de l’interprétation erronée des réalités africaines. Une analyse plus
probante de l’Afrique se construirait peut-être par la macchémologie par où l’on interprète la
réalité du Continent noir sous l’angle de la traumatologie historique, dans une démarche qui se
préoccupe des traces, des empreintes, des séquelles décisives forcément laissées sur le tissu
ou la structure des communautés africaines au moins par les quatre derniers siècles
d’agressions hyperviolentes : l’esclavage, la colonisation, les religions révélées, la version
africaniste de l’histoire africaine, la guerre froide.
Les sociétés africaines ont été cassées, tordues. Aussi s’agit-il non d’imiter quoi que ce soit ou
de rattraper qui que ce soit, mais de réparer et de restaurer ce qui a été cassé et tordu […]
La macchémologie est une discipline scientifique nouvelle fondée dans les années 1960 à
l’Université parisienne de Saint Denis par Guy Emmanuel Galiba (Ngalebha), un universitaire
africain aussi connu sous le nom de Bebebe qui fut professeur de philosophie et d'épistémologie
des sciences. La macchémologie est présentée dans les trois volumes de son ouvrage "Les
Cahiers de la macchémologie". La macchémologie est l’étude des macchèmes (actes de luttes
et actes de combat) qui prennent leur origine dans des macchématiques (série de macchèmes
intégrés, corrélés et liés par un sens, un but ou une fin). Ces macchèmes produisent
des macchéta c'est-à-dire des traces, séquelles, hématomes, empreintes laissées par un
macchème ou une macchématique. Maccheta est le pluriel de macchetum. Un macchème est
donc un acte de combat, un acte de lutte. Un macchetum est la trace laissée par cet acte de
combat. Une macchématique est une série de macchèmes intégrés, corrélés et liés par un sens,
un but ou une fin.
Galiba nous donne l’exemple suivant : le coup de poing administré par Mohammed Ali à son
adversaire est un macchème; quant à l’œil poché que l’on voit sur son adversaire, c’est un
macchétum. Pour simplifier on va dire que la machémologie consiste à interpréter certains
phénomènes sociaux comme une trace (macchetum) ou comme des traces (maccheta) laissées
par des macchèmes (actes de luttes ou actes de combat). Ainsi par exemple la frontière entre
les deux Corées est un macchetum laissé par un macchème (la guerre froide). La guerre froide
elle-même en tant que macchème était l’expression d’une macchématique : la rivalité entre
l’Union soviétique et les États-Unis pour universaliser leur modèle de société respectif.
Il importe de prendre conscience qu'un macchème ne se traduit pas seulement en termes d'acte
de lutte matérielle (une guerre par exemple). Il peut aussi se présenter dans la forme d'un acte
de lutte intellectuelle. Comme acte de lutte intellectuelle, un macchème peut être porteur
d'une violence épistémologique et symbolique. Comme tel, il vise à obtenir la subordination
intellectuelle de certains acteurs sociaux ou de l'ensemble d'un peuple. Tel est le cas
du concept de développement […]
La macchémologie a une racine latine : macher (combat, lutte). C'est sur cette même racine
qu'a été formé le mot français logomachie. En fait beaucoup de gens font de la macchémologie
sans en être conscient. Il en est ainsi par exemple de toutes les personnes qui recourent au
concept de renaissance historique. Un processus de renaissance historique suppose en effet
un cataclysme antérieur qui a laissé des traces en termes d'handicap, un cataclysme antérieur
qui a laissé des pathologies. Le processus de renaissance historique vise justement entre autre
chose à faire échec à ces pathologies570.

570 Lire :
- José Do Nascimento, 2011, conférence sur La Renaissance africaine comme alternative au développement
(https://www.youtube.com/watch?v=Cha9A8VZC7E).

256
En effet, parce que totalement immergé dans la routine fonctionnaliste d’analyse inhérente au paradigme
moderne ainsi qu’au rapport industriel ou capitaliste à la forêt, aucun de ces travaux ne s’est préoccupé des
structures opératoires sous-jacentes dont l’existence rendrait possible l’émergence des dysfonctionnements
identifiés, ou sur laquelle s’adosseraient les divers problèmes identifiés; aucun ne s’est intéressé à l’existence
d’une influence immédiate de structures opératoires spécifiques [en tant que chainon théorique manquant qui
complèterait la cohérence] sur la manifestation des contradictions qui ont constamment été identifiées par ces
travaux. Dès lors, on dirait que l’analyse fonctionnaliste a clairement établi non seulement l’impact des
Réformes que le gouvernement camerounais a introduit dans l’économie des ressources forestières en 1994
mais aussi dans leur diversité, tous les dysfonctionnements que la gouvernance forestière va manifester au
Cameroun. « Pourtant, relativise Bertrand Badie (1992), les initiatives de conjoncture et les déploiements
symboliques ne peuvent pas rivaliser avec un faisceau de facteurs qui eux, relèvent du temps long et d’une
réalité strictement matérielle : la faible capacité politique de l’État en développement, la rareté des ressources
dont disposent les élites au pouvoir du fait d’une identité strictement politique, l’étroitesse des moyens dont
elles disposent pour rester au pouvoir et pour contenir la pression sociale »571.

En effet, comme les autres chercheurs évoqués, M.-C. Smouts (2001) a incontestablement identifié les
problèmes opératoires les plus pertinents, notamment quand elle relève que :
Deux données majeures dont il faut nécessairement tenir compte dans l’analyse de la
problématique : les particularités de l’exploitation du bois dans les pays tropicaux, et les
fragilités des institutions politiques et sociales dans ces pays […]
La faiblesse du cadre institutionnel ne facilite pas la mise en œuvre d’un aménagement durable.
Une grande partie du bois mis sur le marché ne provient pas de concessions forestières dûment
enregistrées mais d’un abattage illégal dont le volume va croissant presque partout. La faiblesse
et, souvent, la complicité de l’Administration, encouragent ce commerce illicite dans un contexte
où la demande explose et la ressource a tendance à diminuer. Peu d’États ont les moyens de
faire respecter leur réglementation et de contrôler l’application des plans d’aménagement.
Par exemple au Gabon, un des pays les plus riches, un agent du Ministère des eaux et forêts
est responsable en moyenne de la surveillance de 864 km2 de concessions forestières et il n’a
pas toujours de véhicules à sa disposition. Ailleurs, la situation est pire : au Cameroun, par
exemple, un agent de terrain du Ministère de l’environnement et des forêts doit inspecter en
moyenne près de 21 000 ha de concessions dans la seule province de l’Est, celle où le niveau
des activités forestières est le plus élevé […] peu de moyens pour connaitre des conflits et
rendre la justice, peu de mécanismes de règlement des conflits, peu de régulation sociale.
La mise en œuvre des plus beaux codes forestiers rédigés avec l’aide des meilleurs experts
internationaux bute sur ces réalités-là572;

- Bebebe (Guy Emmanuel Galiba, Ngalebha), 1978, Les Cahiers de macchémologie, vol.1, éd. L’Observatoire macchémologique, Chennevières-sur-
Marne.
571 Op. cit.
572 Op. cit.

257
Mais sans jamais pousser l’analyse plus loin pour pouvoir s’ouvrir au niveau ultime de la réflexivité critique qui
suggère ce remarquable témoignage méthodologico-théorique de Henry R. Nau (2007) dans son livre devenu
classique, Perspectives on International Relations. Power, Institutions, and Ideas :
Confucius, the Chinese philosopher, once said: “To learn without thinking is vain; to think without
learning is dangerous”. Learning or knowing anything requires both thought and investigation,
theory and facts.
I confirm Confucius insight’s when I took a break from teaching to serve in government from
1975 to 1977 and again from 1981 to 1983. At that point, having spent a decade in the
classroom, I thought I would learn at about how policy was really made. I would have access to
all the facts, even to the secret one kept intelligence agencies, and I would understand the logic
behind how those facts related to policy choices.
My first awakening came when an officer form one of the intelligence agencies paid me a visit,
not to give me the facts I so wanted, but to ask me which facts I might be interested in. Oh, I
suddenly realized: “The facts” depend on which theory or set of ideas I might wish to test. Now, I
had to do some thinking. What did I really want to know? Well, of course, I wanted to know what
was happening. But I didn’t have time to learn about was happening everywhere, so I had to
focus on certain areas and issues. And I wanted to know not just facts but what causes of those
facts (…)573.

De même, à l’échelle du Cameroun, la démarche fonctionnaliste d’analyse de l’économie forestière


camerounaise et d’évaluation du Régime des forêts de 1994 n’a pu donner lieu à aucune explication générale
qui permette d’identifier ce qui ferait l’unité des divers dysfonctionnements et contradictions relevés par les
différentes études.

Pour revenir à la préoccupation d’analyse diachronique qui porte Charlotte Gisèle Kouna Eloundou (2012) à
examiner l’évolution des politiques forestières de l’époque coloniale à nos jours, nous dirions qu’au-delà de
certains aménagements –qui furent plus organiques qu’essentiels –centrés sur la compétence du Ministère de
l’agriculture en matière de gestion des forêts ou sur la définition du domaine forestier national, l’Ordonnance
de 1973 ne provoqua pas d’inflexion structurelle endogène notoire, que ce soit au regard des enjeux
paradigmatiques intellectuels et existentiels des communautés villageoises, ou que ce soit qu’au regard des
enjeux écologiques ou des enjeux économiques (Kouna Eloundou, 2012). De 1973 à 1990, une kyrielle
souvent conflictuelle d’institutions en charge de la production, de l’aménagement et de la conservation fut
créée à un rythme frénétique, un rythme dont on peut dire qu’il était significatif d’une absence de science
propre et plus complètement d’une vision endogène stratégique claire et assumée de la forêt en tant que
dimension constitutive essentielle de l’être-total du Cameroun comme collectivité politique. Pour Marie-Claude
Smouts (2001), la théorie des Réformes forestières destinées à faire de l’exploitation des forêts au Cameroun
un secteur économiquement performant, écologiquement viable et socialement durable procédait entièrement

Henry R. Nau, 2014, Perspectives on International Relations. Power, Institutions, and Ideas, éd. George Washington University/Sage
573

Publications, Washington, DC.

258
et directement d’« Un discours globalisant fabriqué dans les pays du Nord voulant appliquer partout les
mêmes recettes, héritées souvent des leçons de sylviculture enseignées en Europe dans les années 1950 ou,
pis, concoctées par des économistes distingués et des écologistes illuminés n’ayant jamais séjourné plus de
deux jours dans une forêt humide peu hospitalière, ce discours-là n’a aucune chance d’être fructueux ailleurs
que dans les circuits internationaux où il s’auto-alimente »574.

À cette époque que l’on pourrait appeler l’âge d’or de “l’assistance technique” européenne, il n’est pas exclu
que cette profusion d’institutions fut davantage le fait de quelques “coopérants” français plutôt que le produit
d’une analyse proprement endogène [patiente et cohérente]. En effet, en moins de vingt ans, la Direction des
forêts, le Fonds national forestier et piscicole (FNFP), le Centre national de développement forestier
(CENADEFOR), l’Office national de régénération des forêts (ONAREF), l’Office national pour le
développement des forêts (ONADEF), l’Agence national d’appui au développement forestier (ANAFOR), etc.,
sont autant de mécanismes créés qui se succédèrent et surtout coexistèrent et se chevauchèrent souvent, au
sein du Ministère de l’agriculture, sans résultats probants, puisque :
Les inventaires forestiers, l’aménagement des réserves forestières et la recherche forestière ne
semblent pas avoir produit les résultats escomptés. Pour Marcel Yon (2007), les raisons de ces
insuffisances sont liées à la faible qualification du personnel, au manque de coordination et aux
interférences […] La disparition de ces différentes structures est justifiée par le manque ou
l’insuffisance de moyens pour la poursuite des actions entreprises et par le fait que le secteur
forestier était peu pris en compte par le Ministère de l’agriculture (Faure, 1990) qui assurait la
tutelle de l’administration forestière jusqu’en 1992. Elle révèle des difficultés de gestion et
d’aménagement des forêts au Cameroun, avant les réformes du secteur forestier, des
institutions de gestion des forêts et de la politique forestière, intervenues à partir de
1992 (Kouna Eloundou, 2012).

C’est aussi cette abstraction endogène ou indigène des Réformes forestières, cette absence de science
proprement locale de la forêt et ce défaut de conscience collective existentielle de la forêt qui expliquent les
contradictions irréductibles manifestées dans la mise en œuvre du Régime des forêts de 1994. L’un des
aspects dysfonctionnels les plus caractéristiques des manquements profonds constatés aux Réformes
forestières implantées au Cameroun est la méconnaissance de l’économie informelle dont la littérature
spécialisée établit pourtant dans ce contexte de modernité plaquée et inaboutie (Hernando De Soto, 2005,
1994)575 qu’elle constitue la modalité d’articulation par excellence de la plus grande partie de la population qui
se trouve structurellement exclue de l’économie officielle et formelle. Dès lors, quand Jake Brunner & François
Ekoko (2000) énoncent que :

Op. cit.
574

Hernando De Soto, 2005, Le mystère du capital. Pourquoi le capitalisme triomphe en Occident et échoue partout ailleurs, éd. Flammarion,
575

Paris; 1994, L'autre sentier : la révolution informelle dans le Tiers-monde, éd. La Découverte, Paris.

259
L'augmentation de l'exploitation illégale est liée à deux mesures incluses dans la loi sur la forêt
de 1994 : de plus hautes redevances à la superficie et la reconnaissance légale des forêts
communautaires. L'élévation des redevances à la superficie a eu deux effets : tout d'abord, elle
a rendu les grandes concessions plus chères à exploiter que les ventes de coupe. La redevance
à la superficie minimum payable pour une vente de coupe est plus élevée que pour une
concession, mais les ventes de coupe ne nécessitent pas de plan de gestion et peuvent être
exploitées en un an, tandis que les concessions demandent un plan de gestion, et la redevance
à la superficie est payable sur l'ensemble de la concession pour 30 ans. En résultat, la
redevance à la superficie pour un volume de bois coupé dans les concessions est trois fois plus
lourde que pour un volume de bois issu des ventes de coupe. Il n'est pas surprenant que les
exploitants préfèrent couper dans les ventes de coupe. Deuxièmement, des redevances à la
superficie élevée et un contrôle inadéquat par le gouvernement signifient que l'exploitation
illégale est facile et rentable. Un autre facteur vient s'ajouter : en 1996, le MINEF a garanti aux
villageois le droit de recevoir 1000 CFA par mètre cube de bois coupé dans les ventes de
coupe. Auparavant, les villageois recourraient souvent à la violence pour défendre leurs forêts
coutumières contre les exploitants; ils les ont ensuite encouragés à abattre illégalement en
échange des 1000 CFA par mètre cube. Les exploitants sont satisfaits de payer cette taxe, car
les villageois les protègent contre les interférences du gouvernement. Selon un observateur,
pour chaque vente de coupe exploitée légalement, quatre le sont de façon illégale. La taxe de
1000 CFA a également aggravé les tensions sociales. Les villageois sont irrités par le fait que
les communes gardent souvent les 10% de la redevance à la superficie qui leur sont destinés.
Cette taxe devrait servir à financer des écoles, des puits et d'autres infrastructures publiques
demandées par les comités de gestion villageois. Au lieu de cela, une fausse facture est
fréquemment émise, aucun investissement n’est fait, et les communes dépensent l'argent en
bière ou campagnes politiques. Dans l'autre cas, la taxe de 1000 CFA va droit aux villageois, et
représente le premier bénéfice direct qu'ils aient reçu de l'exploitation. Cela a conduit à la
formation d'une alliance entre les villageois et les exploitants contre les communes, ce qui
menace de miner le programme de décentralisation du gouvernement576;

À la suite de quoi Alain Karsenty (2016) confesse plus tard que :


The World Bank has always been queasy about “small titles”, calling for more stringent
regulations but at the same time wanting to keep them for the benefit of Cameroonians and to
facilitate the development of small-scale enterprises, especially in the Community Forests.
Globally, the World Bank has overlooked the “informalization” of the forest sector, and has been
uneasy in its efforts to formulate appropriate policy responses (beyond the usual calls to
“formalize the informal” and remove the red tape that strangles small and medium
enterprises)577,

Les résultats auxquels ces différents chercheurs arrivent confirment définitivement –par défaut –non
seulement l’inopérabilité de l’exogénéité ainsi que le lien immédiat de causalité qui existe entre la non-
endogénéité des Réformes forestières et la manifestation implacable des dysfonctionnements irréductibles qui
accompagnent la mise en œuvre du Régime des forêts de 1994; mais aussi de manière générale les
contradictions fondamentales inhérentes au paradigme historique et d’analyse à partir duquel l’Afrique est
aujourd’hui articulée à la modernité capitaliste (José Do Nascimento, 2008; Oscar Pfouma, 1993). Autrement

576 Op. cit.


577 Op. cit.

260
dit, comment peut-on agir sur un contexte spécifique avec la prétention d’y provoquer des changements
mélioratifs structurels existentiels (bien-être, richesse, sécurité, durabilité, etc.) en y déployant une approche
qui ignore et exclue l’écrasante majorité de ses populations?! Qui ignore « qu’une grande partie de
l’exploitation forestière au Cameroun se pratique encore en dehors du cadre légal. Cette exploitation que l’on
qualifie d’illégale, ou anarchique, est soit le fait de dépassement de surfaces de concessions, soit le fait de
coupes pratiquées entièrement en dehors des Unités forestières d’aménagement, soit le résultat d’une coupe
par un forestier dans une UFA appartenant à un autre forestier » (Antoine Lassagne, 2005)578?!

C’est aussi pour répondre à cette question que Mbog Bassong formule cette énonciation générale par où le
théoricien biafrais explique que :
La logique économique de l’Occident rationnel tend à s’approprier le cadre d’un capitalisme
intégral dont l’enjeu est de polariser ses seuls intérêts à une échelle devenue planétaire. Dans
ce jeu, les États dominateurs pèsent de tout leur poids sur les élites des États dominés en vue
de reproduire leurs structures mentales et culturelles, et bien entendu, leurs propres
contradictions transactionnelles. Entre temps, le “petit peuple” déploie ses réflexes culturels
pour parer au pire.
Le “refus” du développement de l’Afrique n’est plus un secret. Ce “petit peuple”, qui a le cœur à
l’ouvrage, mobilise toute son énergie culturelle dans la production d’un cadre informel qui tend à
neutraliser les référents juridico-politiques, économiques, financiers et institutionnels dominants.
En effet, en ignorant l’ordre culturel local, le capitalisme dominant formalise avec l’État dominé
un espace de non-droit oppressant qui entre, pour cette raison, en conflits ouvert avec les
valeurs et les réalités endogènes.
L’intention dominatrice de l’État –en tant qu’appareil, institution et mécanisme –est désormais
dévoilée : elle induit un contexte de développement chaotique imposé de l’extérieur avec la
bienveillance d’une élite intérieure incapable de produire une alternative conséquente [du fait
non seulement de son instrumentalité politique mais surtout aussi de son abstraction indigène et
de son aliénation intellectuelle radicale]579.

Quand Paolo Omar Cerutti et al (2013) rappellent que :


In 1994, the government of Cameroon adopted a new forest law with a particular focus on forest
management and a greatly revised forestry taxation system that specifically targeted the large-
scale, export-oriented industrial forestry sector. However, small-scale chainsaw production,
although receiving some legislative consideration, did not garner the necessary attention in
terms of the implementing regulations needed to translate the letter of the law into a reality
adapted to the needs of operators [Et en prenant soin de préciser que] At the time [from the
mid-1990s to the 2000s], when the country was struggling to recover from the economic crisis
that hit hard in the 1980s, such neglect in favor of the industrial sector was understandable580,

578 Op. cit.


579 Mbog Bassong, 2013, La théorie économique africaine. L’alternative à la crise du capitalisme mondial, éd. Kiyikaat, Montréal.
Dans la même veine, lire aussi, Le savoir africain. Essai sur la théorie avancée de la connaissance, éd. Kiyikaat, Montréal, 2013.
580 Paolo Omar Cerutti et al, op. cit.

261
Les quatre chercheurs confortent la double thèse de l’abstraction endogène de l’État comme collectivité
politique ainsi que de l’extraversion et de la désarticulation intellectuelle et citoyenne des élites dirigeantes; et
par conséquent de l’absence d’une science propre et d’une vision endogène sur laquelle repose le rapport
collectif stratégique à la forêt, nourrissant ainsi la suite structurale dans laquelle s’enracinent les
dysfonctionnements et contradictions auxquels vont donner lieu la mise en œuvre du Régime forestier de
1994 ainsi que la marginalisation continuée des communautés villageoises. De même, Symphorien Ongolo et
Laura Brimont (2015) font le point autour de la cohabitation inopérante et biaisée entre les mondes indigènes
et l’État moderne en observant que :
Le processus de décentralisation et de dévolution des forêts est structuré sur un socle juridique
dualiste, où un dispositif légal de droit moderne se superpose à un dispositif de droit coutumier,
l’un tendant à ignorer l’autre. Cette situation est, en outre, renforcée par le mode de propriété de
la tenure foncière légale, qui relève principalement du domaine privé de l’État. L’organisation et
la spécificité coutumière du foncier villageois basées sur les notions de clan, de lignage ou de
famille n’ont été que très faiblement intégrées, voire ignorées, dans le processus de dévolution
de la gestion forestière au Cameroun.
Au contraire, l’État a exigé des communautés villageoises la création et l’organisation d’entités
juridiques formellement consensuelles et reconnues par le droit moderne comme instances
légales pouvant solliciter une forêt communautaire. C’est ainsi que des Groupes d’initiatives
communes, les GIC, formes d’associations paysannes jadis imposées pour les politiques de
soutien à l’agriculture paysanne, ont été recyclés comme entités juridiques de base pour les
forêts communautaires, et cela, au détriment des formes coutumières d’organisation locale.
Cette approche des pouvoirs publics avait pour principale motivation de contourner la
complexité sociale581.

C’est ce flou artistique inhérent à la gestion arbitraire et patrimoniale des affaires publiques –que traitant
spécifiquement de la corruption et de l’ampleur de l’informel dans l’économie du bois industriel au Cameroun
Cerutti et al (2013) appellent “Fuzzy Legal Edifice” (un dispositif légal flou) –qui explique par exemple aussi
l’existence d’une irrésolution chronique entre les Communes et les sociétés d’exploitation industrielle du bois,
notamment quant à l’obligation d’aménagement des infrastructures socio-économiques. Kouna Eloundou
(2012) mentionne ainsi que :
Les redevances étaient reversées entièrement aux Communes locales concernées par
l’exploitation forestière et ne pouvait avoir un autre usage que celui prévu. Mais cette disposition
semble avoir été à l’origine de dissensions entre les collectivités publiques et les sociétés
d’exploitation forestière. D’autant plus que, les collectivités publiques s’attendaient à ce que ces
sociétés continuent d’assurer la réalisation des infrastructures socio-économiques dans la zone
d'exploitation forestière comme le stipulait l'Ordonnance du 22 mai 1973. Or, d’après la nouvelle
disposition de la Loi du 27 novembre 1981, la réalisation des infrastructures socio-économiques
devait être faite par les collectivités publiques qui percevaient des recettes à cet effet. Cette
nouvelle disposition fut accueillie favorablement par ces sociétés qui se plaignaient du poids des
charges financières liées à l’exploitation forestière.

581 Op. cit.

262
Le débat autour de la réalisation des infrastructures socio-économiques par les entreprises
forestières payant en même temps les redevances destinées aux Communes n'est toujours pas
clos. Ces entreprises estimant que le payement de la redevance destinée aux Communes
devrait les exempter des dépenses supplémentaires de réalisation de ces infrastructures dont la
charge revient aux Communes bénéficiaires des redevances forestières. Mais dans la pratique,
dans le but d’apaiser les tensions sociales avec les populations locales, de maintenir leurs
activités et s’inscrire dans le processus de certification forestière, les entreprises réalisent des
œuvres socio-économiques, alors que les Communes bénéficiaires et gestionnaires des
redevances forestières en font moins582.

C’est aussi ce qui explique qu’en dépit du principe participatif et de l’orientation inclusive initiale du processus
de réforme du Régime des forêts, engagé en 2008, le Ministère des forêts ait décidé unilatéralement en 2012
de changer de cap et d’avoir le contrôle exclusif et total sur la synthèse des propositions faites pendant la
phase multiacteurs ainsi que sur l’élaboration de l’Avant-projet de Loi forestière. Pour B. Nongni & G. Lescuyer
(2016) :
Selon une première interprétation, ce changement de gouvernance dans le processus de
réforme de la loi pourrait s’expliquer par une absence de volonté politique réelle de promouvoir
un processus inclusif. N’étant pas en mesure d’exprimer formellement le rejet d’un processus
participatif de révision de la loi, dans un contexte de négociation de l’accord de partenariat
volontaire « Forest Law Enforcement, Governance and Trade” (FLEGT) avec l’Union
européenne, l’administration forestière aurait simulé une volonté réelle d’engager un processus
participatif. C’est ce qu’Ongolo (2015) désigne sous le terme de “politique du gecko”, pour
exprimer l’usage par certaines bureaucraties de la ruse pour contourner l’influence des
pressions des acteurs internationaux ou transnationaux.
Face à la montée en puissance de nombreux acteurs voulant contribuer à améliorer la
gouvernance forestière, le Ministère de la forêt et de la faune aurait alors fragilisé le processus
de concertation inclusive en multipliant les atermoiements, en prétextant les difficultés à recruter
le consultant ou en s’engageant à remettre les avant-projets de texte à une échéance
impossible à tenir si les partenaires devaient être consultés. Par exemple, plusieurs personnes
interrogées affirment que rien n’empêchait l’administration forestière d’inviter les parties
prenantes à procéder ensemble début 2012 à un réajustement de la feuille de route afin de
produire le texte dans les délais impartis. Dans cette perspective du “gecko”, les contraintes
externes au processus de concertation auraient été instrumentalisées pour ne plus avoir d’autre
choix final qu’un modèle de prise de décision exclusive, permettant à l’administration forestière
de se réapproprier un processus dont elle ne voulait pas, depuis le départ, perdre le contrôle.
Plus largement, le processus de concertation s’apparenterait alors à une simulation de
démocratie, révélant “des régimes à l’enveloppe démocratique et au contenu autoritaire”, pour
emprunter son heureuse formule à Luc Sindjoun (2001)583.

Cette cristallisation structurelle du pouvoir centralisé et du gouvernement autocratique de l’appareil d’État se


détermine également dans l’évolution du statut politique ou citoyen des acteurs de la société civile. En effet,
en dépit de leur émergence profusionnelle et de l’enracinement notoire dans le contexte social camerounais,
Ongolo et Brimont (2015) tiennent à relever que :
582 Op. cit.
583 Op, cit.

263
Au Cameroun, l’émergence de la société civile dans la gouvernance forestière est davantage un
changement de forme que de fond, car les acteurs traditionnels, dont l’État, ont habilement
conservé la substance de leurs pouvoirs. La société civile s’est structurée sous tutelle des
acteurs dominants, et elle a été parfois, instrumentalisée comme objet de légitimation des
stratégies hégémoniques de ces derniers. Cependant, l’objectif ultime de gestion durable des
forêts demeure insatisfait, et de nouveaux instruments internationaux de gouvernance des forêts
émergent régulièrement, avec, entre autres ambitions, de s’appuyer sur ces sociétés civiles
locales584.

Il en découle que l’économie forestière et la gouvernance des ressources forestières au Cameroun sont de
bout en bout l’expression de l’État tel qu’il a émergé et constitué en tant qu’institution et collectivité politique.
Dès lors, autant « la politique forestière postcoloniale camerounaise de 1960 à 1993 s’est inspirée de la
politique coloniale forestière française » (Kouna Eloundou, 2012), autant cette procession historique abstraite
des préoccupations existentielles endogènes et indigènes va se manifester par diverses distorsions
irréductibles entre d’un côté une organisation institutionnelle essentiellement formelle, et de l’autre une
matérialisation problématique des énoncés formulés sur le terrain. Kouna Eloundou mentionne également
que :
La Loi du 27 novembre 1981 portant régime forestier a accentué le problème de coordination de
la gestion forestière déjà posé par l’application de l’Ordonnance du 22 mai 1973. Elle transféra
la gestion des activités traditionnellement dévolues à l’Administration des eaux et forêts des
chasses sous la tutelle du Ministère de l’agriculture (Minagri) à trois Ministères différents. La
gestion de la faune fut confiée au Ministère du tourisme, celle de la pêche et de la pisciculture
au Ministère de l’élevage, de la pêche et des industries animales, et les activités forestières
restèrent sous la tutelle du Minagri. La dispersion de la gestion des forêts, de la faune, de la
pêche et de la pisciculture dans trois Ministères découlerait des limites et des échecs du Minagri
à continuer d’assurer, comme pendant la colonisation française, la tutelle de l’administration
forestière. Elle serait également la conséquence des stratégies politiques et des luttes
d’influence entre les cadres de l’administration en charge des forêts et ceux intéressés par le
contrôle de la gestion des ressources forestières et fauniques génératrice de la rente. Cette
dispersion et le vide juridique causé par les deux années écoulées entre la publication de la Loi
de 1981 et ses Décrets d’application [n°83-169 et n°83-170 du 12 avril 1983] favorisèrent
vraisemblablement le flou dans la gestion de ces ressources et le développement de divers
abus et dérives : corruption, détournements, affairisme, création de petites entreprises privées
d’exploitation forestière par les cadres des administrations forestières et certains hauts
dignitaires du pays.
En somme, les différents textes législatifs et règlementaires établis pendant la période
postcoloniale de 1960 à 1993, et moins encore pendant la période coloniale, ne permirent ni de
réduire de manière radicale les pressions sur les ressources forestières, fauniques et
halieutiques, ni d’inverser la tendance de monopole de l’exploitation forestière au Cameroun par
les entreprises étrangères. Ils ne permirent non plus à l’État de tirer des revenus à la hauteur
des potentialités du domaine forestier et n’impliquèrent pas les populations locales à la gestion
des forêts et de la rente forestière. Des populations locales qui furent des gestionnaires
historiques des ressources forestières avant la colonisation et les premières “victimes” des
politiques forestières exclusives ne faisant d’elles que de simples exécutants des tâches

584 Op. cit.

264
diverses non ou mal rémunérées. Quant aux communes théoriquement impliquées dans la
gestion des forêts et des revenus forestiers à partir de la période postcoloniale, leur implication
fut insignifiante dans la réalité585.

C’est dans ce contexte d’incertitude institutionnelle et de flottement de l’État en tant que mécanisme
[institutionnel] central ou fondamental de conduite de la collectivité politique qu’interviennent dès le milieu des
années 1980 à l’échelle globale, la formulation politique de la problématique environnementale et la crise
économique. C’est dans ce contexte que la Banque mondiale et les dynamiques internationales portent les
Réformes forestières dont la mise en œuvre à travers le Régime des forêts de 1994 va implacablement
manifester des contradictions fondamentales et consacrer la marginalité structurelle des communautés
villageoises au sein de la collectivité politique moderne.

Autrement dit, l’ensemble des travaux réalisés jusqu’ici –qu’ils soient de Phil René Oyono (2005) qui se limite,
au constat des résultats mitigés des réformes, à « recommends that policy makers, researchers,
nongovernmental organizations, and the local communities design a monitoring framework for decentralized
management »586; ou plus récemment de Symphorien Ongolo Assogoma (2015)587 –ne permettent d’expliquer
en quoi la marginalisation des communautés locales en tant que dysfonctionnement emblématique de la
gouvernance forestière au Cameroun serait non seulement le résultat de la structuration historique,
sociologique et politique spécifique du contexte camerounais, dans une logique qui a potentialisé, empêché et
étouffé l’émergence d’acteurs locaux réels, en même temps qu’elle a rendu possibles leur absence politique,
leur incompétence technique et leur impréparation; mais aussi le résultat d’un processus d’émergence et
d’élaboration de la réforme forestière dans lequel les communautés villageoises et indigènes ont été
totalement absentes (Kouna Eloundou, 2012; Parfait Oumba, 2007)588. L’analyse que construit Achille
Mbembe (1997) autour du concept d’indigène permet d’éclairer la structure intellectuelle à partir de laquelle se
noue l’exclusion politique des communautés villageoises, leur absence à la motivation et à l’élaboration des

585 Op. cit.


586 Op. cit.
587 Symphorien Ongolo A., 2015, Essays on the politics of forestland use in global environmental governance, thèse de doctorat, ETH-Zürich

(École polytechnique fédérale de Zurich).


588 Dans une logique poursuivie dans leurs travaux respectifs par Gisèle Kouna Eloundou (2012) et Parfait Oumba (2007), par où les deux chercheurs

mettent en évidence l’exclusion, la marginalisation et l’ostracisation dont les communautés locales font l’objet dans l’économie forestière depuis
l’époque coloniale, William Benbow formulait déjà la pensée suivante pour la classe ouvrière à la fin du XIX ème siècle :
« De toutes les folies dont la nature humaine peut se rendre coupable, disait-il, il n’y en a pas de plus grande que de croire que les autres feront pour
nous ce que nous devrions faire nous-mêmes. Si les autres ne sont pas opprimés, volés, pillés, et dégradés, comment peuvent-ils entrer dans nos
sentiments? Attendre l’aide des autres ou de toute autre classe que celle qui souffre, c’est une pure folie » (in Grand National Holiday and Congress
of the Productive Classes, 1932).
Extrait de la thèse de doctorat de Goulongo Mbara Guerandi, 1997, Études des contraintes extérieures dans le processus de développement en
Afrique. Le cas du Burkina Faso, Université Paris V Descartes.

265
réformes, et leur disqualification politique et technique dans la conduite de gouvernance forestière. Dans la
profondeur et la gravité habituelles qu’on lui connait, Achille Mbembe énonce que :
Dans le cadre d’une relation coloniale qui fût avant tout et essentiellement une relation vénale,
la désignation des communautés autochtones par le terme “indigène” rend compte d’une
expérience complexe provenant du fait que le colonisé qui est l’objet de la vénalité, s’introduisit
dans cette relation par le biais d’un art spécifique : l’art du simulacre. Or, simuler c’est cesser
d’habiter son corps, ses gestes, ses paroles, sa conscience, au moment même de les offrir à
autrui. C’est ce qui fait que l’indigène, en tant qu’objet de vénalité, s’offrit au colon comme s’il
n’était pas lui-même [c’est le phénomène de potentialisation]589 : il s’ouvrit au colon comme s’il
n’était qu’un instrument dont l’auteur ou le propriétaire se serait, à vrai dire, séparé, autrement
dit, en s’ouvrant au colon, c’est son ombre que l’indigène lui offrit.
Dans la confusion de notre présent et dans un contexte où beaucoup ne savent plus eux-
mêmes ce qui est vrai et ce qui est faux, je pense qu’il peut être intéressant, d’un point de vue
psycho-analytique, d’étudier ce que l’on nomme l’indigénisation de l’État sous cet angle, sous
l’angle de l’ombre, du spectre, ou si l’on veut, du double.
De même, la désignation d’indigène renvoyait aussi au statut de “sujet” c’est-à-dire en
l’occurrence à celui qui est “assujetti” à une domination qui le dépasse. Or, comme on le sait
bien, l’histoire de l’État en Afrique, c’est avant tout l’histoire des procédures de
l’assujettissement en même temps que l’histoire des procédures par lesquelles les assujettis
deviennent des citoyens.
On doit également se poser la question de savoir s’il y a vraiment une différence de qualité entre
la période coloniale formelle et la période post-indépendance qui suivit. A-t-on véritablement
changé d’époque, ou s’agit-il du même théâtre, des mêmes jeux mimétiques et des mêmes
spectateurs, des mêmes convulsions et de la même injure? Dans ce cas, peut-on vraiment
parler de dépassement? Autrement dit, l’indigène n’est-il qu’une catégorie coloniale? Ne fait-il
pas également partie de l’alphabet postcolonial?590.

Plusieurs chercheurs semblent avoir pris pour acquis l’allégation environnementale des réformes forestières,
sans se préoccuper ni du rôle central joué par les grandes organisations non-gouvernementales
environnementalistes et surtout de la place primordiale qu’y ont occupé des Bailleurs de fonds tels que la
Banque mondiale, ni des implications déterminantes que présenterait ainsi de manière générale la motivation
non localement enracinée des réformes. C’est ainsi qu’on lit chez Antang Yamo, dans un texte publié en 2015
(!) que « La Loi forestière de 1994 et l’ensemble de décrets et arrêtés ministériels qui l’accompagnent posent
les bases juridiques, institutionnelles et administratives de la redistribution et la gestion de la Redevance
forestière annuelle. La gestion et la redistribution de la RFA se font à travers des institutions et autorités
locales qui, à cet égard, représentent les populations locales »591.

589 La potentialisation est une sorte d’hibernation. Il s’agit d’une technique de protection et de préservation de son soi essentiel contre une agression
infiniment supérieure à ses capacités de lutte et de résistance. Par exemple, en dépit l’âpreté particulière de la violence totale de la colonisation, c’est la
potentialisation qui rend possible non seulement la conservation de l’univers cosmologique, spirituels et religieux indigène tel qu’il existait à l’époque
précoloniale, mais la formulation du projet de Renaissance africaine depuis Cheikh Anta Diop, et plus récemment la contestation de la légitimité de
l’église chrétienne et le retour des systèmes religieux indigènes. Mbog Bassong parle ainsi d’une « élite dessouchée de ses racines [qui] est donc
spirituellement appauvrie. Pendant ce temps, le petit peuple n’est que partiellement ébranlé, trouvant encore dans la culture relativement conservée de
puissantes ressources symboliques pour faire face ». In La théorie économique africaine. L’alternative à la crise du capitalisme mondial, éd.
Kiyikaat, Montréal, 2013.
590 Achille Mbembe (Conversation avec Mamadou Diouf et Harris Memêl Fotê), op. cit.
591 Op. cit.

266
Il en est d’Antang Yamo mais aussi de Parfait Oumba (2007), de Dieudonné Bitondo (2005) et de plusieurs
autres qui semblent étonnamment faire très peu cas des résultats pour le moins mitigés qu’établissent les
analyses évaluatives des réformes environnementales introduites au Cameroun (Elong Mbassi, 2003; P.
Bigombe Logo, 2002, 1996; M.-C. Smouts, 2001; Adonis Milol, 1999) : c’est ainsi que l’on reprend
mécaniquement la rengaine du progrès que représenterait d’office la codification légale au niveau national des
engagements formulés en 1992 à l’issue du Sommet de Rio, sans porter une attention préoccupée aux
facteurs expliquant qu’un État forestier connaissant l’exploitation intensive des ressources forestières sur la
longue durée ait attendu quarante ans après son “indépendance”592 et une double pression exogène
géopolitique économico-financière (A. Karsenty, 2016; Guy Martin, 2014; Mueni wa Muiu & Guy Martin, 2009;
J. Brunner & F. Ekoko, 2000) et intellectuelle ou idéologique environnementale (F.P. Oumba, 2007; P.
Bigombe Logo, 2007, 2002, 1996), pour prendre conscience des enjeux économiques, sociaux et écologiques
de la forêt (Célestin Modeste Bomba, 1991).

En effet, si nous ne saurions omettre de sacrifier à la pudeur formaliste qui encourage à signaler la longueur
exceptionnelle d’un extrait de texte auquel on réfère, nous voudrions davantage nous intéresser à l’importance
majeure que l’information scientifique mobilisée ici par Marie-Claude Smouts (2001) présente sur la validation
de notre thèse, du double point de vue épistémologique et méthodologico-théorique, tant par rapport au
contexte politico-institutionnel et de gouvernance auxquels la Banque mondiale va adresser la préoccupation
internationale de réforme forestière au Cameroun ainsi que de mise en place de l’approche d’aménagement
durable des forêts; que par rapport à l’influence que le paradigme intellectuel dominant présente sur sa
narration.
Au point de départ, indique M.-C. Smouts, un constat irréfutable : l’attribution des concessions
dans les forêts denses tropicales se fait de gré à gré, par arrangement mutuel, selon le bon
vouloir des autorités en place et le bénéfice personnel qu’elles comptent en retirer. La corruption
est intense et s’exerce à tous les niveaux de l’appareil politique et administratif. Les entreprises
ainsi favorisées ne payent pas les redevances comme elles le devraient et elles se soucient peu
de gestion durable.
[Or] Selon la doctrine bien connue des “Property Rights”, si les entreprises avaient des droits
assurés pour lesquels elles auraient payé cher, elles seraient nécessairement portées à gérer
convenablement la ressource. D’où la solution qui s’impose : remplacer le système actuel,
arbitraire sur le plan politique et inefficace sur le plan économique, par la mise aux enchères des
concessions et des ventes de coupe.

592Comme on l’a vu, et surtout sur la base d’une solide littérature sur la critique historique de l’État africain, il n’y a jamais eu d’indépendance au
moment où l’on en a parlé. Non seulement l’organisation de la collectivité politique était étrangère aux communautés indigènes, mais seuls les aspects
folkloriques et les éléments artificiels de l’État relevaient de la “compétence” d’élites indigènes dont il convient aussitôt de dire qu’elles étaient
totalement sous le contrôle colonial et n’avaient d’indigène que les apparences phénotypiques.
Au besoin, lire utilement :
- Guy Martin, 2014, Understanding International Relations. Non-Western Perspectives, éd. Routledge, New York.
- Mueni wa Muiu & Guy Martin, 2009, A New Paradigm of the African State. Fundi wa Afrika, éd. Palgrave MacMillan, New York.

267
La recette est parée de toutes les vertus : c’est le marché qui fixera la valeur de la ressource et
il ne peut que lui donner une valeur élevée puisque les entreprises en compétition doivent dire le
prix qu’elles consentent payer pour leur approvisionnement. C’est une procédure transparente
puisque tous enchérissent sur un pied d’égalité et savent à l’avance quels sont les critères
d’attribution à remplir. Si l’on couple le système de mise aux enchères avec une augmentation
des redevances annuelles à la superficie, voire le remplacement de toutes les taxes par une
redevance unique fondée sur la surface concédée, le coût d’accès à la ressource sera
augmenté. Cela incitera les opérateurs à l’économiser en limitant les gaspillages, tout en
accroissant les recettes de l’État.
Transparence et vérité du marché seront assurées, la forêt sera mieux gérée, et les revenus
tirés de leur exploitation mieux répartis. Et comme l’application de ces mesures pourrait inciter
l’exploitant à récolter encore plus qu’avant pour garder la même rentabilité, il faut assortir
l’attribution des concessions à la présentation d’un Plan d’aménagement forestier. Tout cela
s’accompagne du discours habituel et politiquement correct sur l’attention à porter aux
populations locales.
Ces impeccables scénarios montés par de brillants économistes de l’environnement dans leurs
bureaux climatisés ont donné des résultats qui ont fait s’étrangler d’un rire amer quiconque
connaissait un peu le Cameroun, premier pays dans lequel la Banque mondiale se mit en devoir
de les appliquer.
En 1996, pour augmenter la pression fiscale et redistribuer aux populations locales, le Ministère
de l’environnement et des forêts du Cameroun (MINEF) a introduit dans le “Cahier des charges”
des ventes de coupe l’obligation pour les entreprises de verser aux villageois une taxe de 1.000
F CFA par mètre cube de bois produit. Comme une vente de coupe représente 2.500 hectares
et que la production peut aller de 10.000 à 15.000 m3, une manne énorme et imprévue est
arrivée dans les villages qui n’y étaient pas préparés. Ivresse générale. [Et l’auteur va trouver
l’ouverture idoine pour laisser libre cours au regard colonial :] Jamais on n’a bu autant de bière
dans les forêts camerounaises que ces années-là!
Autre résultat : les villageois qui jusqu’alors défendaient leurs forêts communautaires contre les
exploitants forestiers se sont empressés de s’entendre avec les exploitants, légaux et illégaux,
pour bénéficier de la fameuse taxe. Et comme, Ajustement structurel oblige, les crédits publics
alloués au MINEF ont fondu et que ce dernier n’a pas de véhicules pour procéder aux contrôles
nécessaires, les abattages illégaux se sont multipliés. Beaucoup y avaient intérêt : les villageois
qui touchaient la prime, les entreprises les plus filoutes que les villageois protégeaient contre
toute velléité d’intervention du gouvernement. On peut imaginer, en outre, les jalousies, les
revendications, les conflits locaux que n’a pu manquer d’engendrer un afflux monétaire aussi
massif : “Lorsque j’allais à l’école, nous étions 60 par classe; maintenant, mes enfants sont 120
par classe; ils n’ont même pas l’espace de mobilité suffisant pour écrire. Alors, vous savez, la
forêt… Si avec cet argent, on peut construire des écoles c’est bien. Mais les Communes et les
Chefs de village gardent tout” (Entretien avec un ingénieur forestier au Sud-Cameroun en 1999).
Autre déconvenue : en juillet 1996, le MINEF ouvre la mise aux enchères de 2,5 d’hectares de
concessions forestières réparties en 42 Unités forestières d’aménagement (UFA). Les
entreprises, furieuses des conditions dans lesquelles cela se passe, boycottent l’appel d’offres.
Cinq propositions seulement parviennent au Ministère. L’appel d’offres est annulé. En 1997, le
MINEF met aux enchères 26 UFA pour une surface totale de 1,8 millions d’hectares. 196
entreprises répondent dont plusieurs sont prêtes à payer trois ou quatre fois plus que le prix-
plancher, mais, coup de théâtre : sous des prétextes d’ordre technique, 16 concessions sur 26
ne sont pas accordées au plus offrant, mais à des amis du régime, six sont accordées à des
personnes qui n’avaient même pas répondu à l’appel d’offres et qui se sont empressées de les
donner immédiatement en fermage à des entreprises plus ou moins regardantes […]

268
Et aussi du fait que la Banque mondiale a subordonné un certain temps le décaissement d’une
nouvelle tranche de crédits à la transparence dans l’attribution des concessions, demandant
même à être associée aux décisions. “Ingérence insupportable”, a protesté la Présidence
camerounaise. Pendant plusieurs mois, tout a été suspendu. Les UFA n’étaient pas attribuées,
les exploitants ne savaient pas ce que leur réservait l’avenir, les Permis de coupe étaient
donnés n’importe comment : tout le monde s’est mis à abattre à tort et à travers. Jamais la
pression n’avait été aussi forte et anarchique [Considérée au propre, cette affirmation nous
semble exaltée et tout à fait hasardeuse…].
Un représentant de la Banque mondiale à qui je demandais, “On dit que la Banque mondiale
bloque tout et que cela favorise l’abattage illicite, est-ce exact?”, m’a répondu : “C’est
parfaitement exact mais on va tenir bon. Nous misons sur le long terme, sur l’apprentissage. Le
Cameroun va finir par comprendre qu’il ne peut pas continuer comme cela”.
Il est difficile de porter un jugement impartial sur les effets d’une telle politique tant elle bouscule
de multiples intérêts acquis [coloniaux, capitalistes, néo-patrimoniaux, prébendiers, rentiers,
sectaires, arbitraires, individuels (Friede-Magloire Ngo Youmba-Batana, 2007)]. En l’occurrence,
les mesures fiscales encouragées par la Banque mondiale exaspéraient les entreprises
françaises qui ont fait jouer l’Ambassade de France et le Gouvernement camerounais qui ont
tiré à boulets rouge sur l’institution de Washington.
De façon générale, à court terme, toutes les conditionnalités sont déstabilisantes et très
impopulaires. On y voit l’emprise des Bailleurs de fonds étrangers et une forme d’ingérence
écologiste totalement asymétrique puisque les pays en développement n’ont aucun moyen de
pression contre les pays industrialisés et les ravages dans l’environnement planétaire : effet de
serre, usure de la couche d’ozone, etc. Cependant, les conditionnalités peuvent avoir des effets
positifs si l’État emprunteur a vraiment la volonté d’entreprendre une réforme de sa politique
forestière [Ce qui ne fût jamais le cas au Cameroun, pour les raisons identifiées plus haut, en
référence aux conclusions d’A. Karsenty (2016), J. Brunner & F. Ekoko (2000), etc.] et s’il est
peu à peu convaincu de la pertinence des mesures proposées. Mais, dans ce cas-là, y a-t-il
besoin de conditionnalités? Si les objectifs sont totalement imposés par l’extérieur, les dirigeants
font semblant d’y adhérer, acquiescent à tout et… n’appliquent pas [selon “la technique du
gecko” dont parle S. Ongolo Assogoma (2015)], avec l’appui de leurs clients politiques, de leurs
administrations, de leurs cadres locaux, et même de la population sur laquelle pèse, en général,
l’essentiel des contraintes de l’aménagement structurel.
Ni au Cameroun, ni en Indonésie, ni aux Îles Salomon, ni en Papouasie-Nouvelle-Guinée, les
pressions exercées par la Banque mondiale au travers des Prêts d’Ajustement structurel n’ont
réussi à transformer en profondeur les mécanismes d’attribution des Permis et les conditions
d’exploitation de la ressource.
La leçon est simple : tant qu’à l’intérieur du pays l’équilibre des forces joue en faveur de
l’exploitation industrielle et que les acteurs locaux dans leur ensemble trouvent un intérêt à
l’abattage des arbres, il n’y a rien qu’un intervenant extérieur puisse faire. Les discours
normatifs, la pression des instances internationales et même le “chantage” au déboursement
des prêts sont inopérants.
En revanche, lorsqu’il existe dans le pays une aspiration au changement, un courant
réformateur, des éléments de l’Administration souhaitant que le pillage des ressources cesse,
alors le discours international peut produire des effets bénéfiques et l’on verra les
conditionnalités contribuer effectivement à accélérer le processus. Une sorte de “contrat”
s’instaure alors entre le pays et les intervenants extérieurs, qui requiert de ce dernier du temps,
une compréhension fine et du respect, trois ingrédients qui leur font souvent défaut [Encore faut-
il que “le discours international” soit indemne de tout soupçon!] Donc, on ne saurait mieux le
dire : le ressort d’une politique forestière durable se trouve dans la volonté du pays, le rôle des

269
intervenants extérieurs étant d’aider cette volonté nationale à émerger puis de lui donner les
moyens de s’appliquer.
Sur ce point, la place centrale qu’a prise la Banque mondiale dans le dispositif mondial d’aide et
de recherche n’est pas sans irriter les pays du Sud. Ils doivent traiter avec elle lorsqu’il s’agit de
leur développement. Ils la retrouvent encore s’agissant de leur environnement. Le principal outil
financier de l’action internationale en matière d’environnement est, en effet, le Fonds pour
l’environnement mondial (FEM). L’idée en remonte à la Commission Brundtland qui, en 1987,
recommandait la mise sur pied d’un mécanisme pour aider les pays en développement à faire
les investissements nécessaires pour conserver leurs ressources naturelles. L’idée fût reprise
par la France et par l’Allemagne. En septembre 1989, les deux pays demandèrent à la Banque
mondiale d’étudier les modalités d’un mécanisme financier incitant les pays en développement à
prendre en compte la protection de l’environnement mondial dans leurs programmes et projets
de développement [(?!)].
C’est ainsi qu’en novembre 1990, le FEM fût lancé, sous l’égide de trois organisations, le PNUD,
le PNUE et la Banque mondiale. En 1992, il fût désigné comme le mécanisme financier des
Conventions sur la biodiversité et le changement climatique, au grand dam des pays en
développement qui auraient préféré que les Fonds d’aide destinés à leur permettre d’assumer
leurs obligations à l’égard de ces deux conventions fussent gérés par les Nations Unies. Ils
craignaient de se retrouver pris dans la logique de la Banque mondiale et de ses
conditionnalités. Ils n’avaient pas tort. De facto, le FEM a été complètement pris en main par la
Banque mondiale : le secrétariat du FEM se trouve dans la Banque mondiale, le président du
FEM est le directeur du Département Environnement de la Banque mondiale, les projets du
FEM fonctionnent comme ceux de la Banque mondiale593.

L’évocation de sentiments tels la “jalousie” notamment lorsque la politologue française traite du propos
recueilli montre qu’en dépit des efforts de rigueur qu’elle a investis, son analyse reste profondément limitée
par la faiblesse de son ancrage endogène dans le contexte étudié. En effet, non seulement l’avis de son
interlocuteur est des plus neutres et des plus objectifs qu’un chercheur aurait l’opportunité de récolter, mais
aujourd’hui encore, deux décennies d’année plus tard, cet avis est unanimement formulé par la vingtaine
d’interlocuteurs –en dehors des personnels de l’État, des Communes et des entreprises forestières –que nous
avons interviewés parmi les chercheurs, les OSC/ONG et les communautés villageoises. De même, il y a un
amalgame qui déteint sur la validité péremptoire et définitive de l’énoncé sur l’inopérabilité locale des
dynamiques exogènes, d’où l’intérêt de notre démarche d’analyse –par l’approche socio-historique et le
concept de contraintes structurelles –qui se donne d’identifier, de formuler et d’étayer les conditions
permanentes à partir desquelles cette relation est vraie. La validité théorique de notre démarche d’explication
qui associe l’approche socio-historique –dont la propriété heuristique consiste à suivre les éléments
permanents et constants qui rendent compte de la cohérence structurelle de l’histoire et de la philosophie de
l’histoire –et l’analyse par le concept de contraintes structurelles s’illustre parfaitement quand elle permet de
découvrir les faiblesses fondamentales et les contradictions théoriques de cette lecture très fonctionnaliste et

593 Op. cit.

270
de premier degré –et dont nous n’oserions pas dire qu’elle est abstraite, simpliste et naïve –par où Marta
Fraticelli et al (2012) relèvent que :
L’État camerounais a conservé les outils de la maîtrise de l’exploitation forestière que contrôlait
avant lui l’administration coloniale. Depuis l’indépendance, il a essentiellement alloué des droits
de gestion et d’exploitation à des fins commerciales et protégé les exploitants de toute remise
en cause de cette “vocation” productive des forêts. Jusqu’à une période récente, les
revendications des populations locales à l’égard des territoires forestiers n’étaient que très
marginalement prises en compte. L’État du Cameroun indépendant a largement repris à son
compte la vision coloniale rentière de la forêt. Au fil de décennies de gestion centralisée de
l’appropriation de la rente forestière, se sont établies des relations très déséquilibrées entre les
entreprises exploitantes et les populations locales. Les premières, souvent d’origine étrangère,
entretiennent des liens privilégiés avec les “élites” politiques nationales et locales qui leur ont
garanti l’accès aux ressources forestières […]
La faible réglementation et les grandes difficultés à contrôler ces vastes territoires laissent le
champ libre à une exploitation arbitraire très intense. Les zones désenclavées, comme la
périphérie de Yaoundé, souffrent les premières des conséquences de ce qui n’est autre qu’un
pillage “minier” des ressources forestières. L’exploitation s’intensifie après 1985 avec la chute
des cours du pétrole, du cacao et du café. Dans le même temps, la préoccupation de l’opinion
publique internationale pour la protection des forêts s’amplifie.
Après le Sommet de la Terre organisé par les Nations Unies à Rio en 1992, une plus grande
régulation du secteur forestier et la démocratisation de la gestion des ressources forestières
apparaissent de plus en plus nécessaires594.

En effet, tout en reconnaissant la capacité dont disposent les gouvernements à s’aménager une marge réelle
de manœuvre dans les conditions et modalités d’application des exigences internationales ou extérieures
(Rozenn Nakanabo Diallo, 2013), eu égard à ce que Symphorien Ongolo (2015) appelle “la ruse du gecko”, il
n’en demeure pas moins qu’à côté des conditions géopolitiques dans lesquelles elles sont inspirées et
réceptionnées, les conditions nationales ou locales concrètes [les contraintes structurelles (historiques,
paradigmatiques, contextuelles)] dans lesquelles ces mesures sont mises en application présentent une
inflexion décisive sur l’échec ou le caractère mitigé des impacts attendus des dynamiques imposées. Trois
arguments peuvent être mobilisés à cet égard :
- Primo, dans le contexte de la collectivité politique camerounaise, on ne saurait partir du postulat d’un
“équilibre des forces”. En effet, du point de vue de l’opérationnalité institutionnelle et citoyenne des
différents acteurs ou parties prenantes constitutifs de la population, l’État et les élites dirigeantes
politiques et administratives qui engagent l’exploitation des ressources forestières et la production
des richesses avec la complicité des entreprises industrielles ne sont en aucun cas ni liés aux
communautés villageoises et autres catégories sociales constitutives de la population, ni
responsables et comptables devant la collectivité.

594Marta Fraticelli, Mathieu Perdriault et Cécile Pinsart, version initiale révisée par Christiane Tobith et Patrice Kamkuino, 2012, “La réforme du régime
forestier de 1994. Le cadre législatif camerounais”, Association pour contribuer à l’amélioration de la gouvernance de la terre, de l’eau et des
ressources naturelles (AGTER).

271
- Secundo, l’on ne saurait donc parler “des acteurs locaux dans leur ensemble”, à moins que l’État, les
élites qui le dirigent, et les exploitants forestiers, ne résument et constituent à eux seuls cette
catégorie. Ce qui, dans le contexte politico-institutionnel et de la gouvernance au Cameroun, n’est
effectivement pas très éloigné de la réalité opératoire.
- Tertio, en dehors de tout biais paradigmatique, l’on ne saurait considérer a priori que l’exploitation
industrielle du bois et l’abattage des arbres, fussent-il pour la production de la richesse économique,
confluent l’intérêt de toutes les composantes sociales de la collectivité politique. En effet, si l’intérêt
est évident en ce qui concerne l’État ainsi que les élites –qui en sont la charpente –et les exploitants
industriels, cette évidence ne serait pas acquise aussi rapidement en ce qui concerne les
communautés villageoises dont la forêt constitue un élément existentiel radical : même dans
l’hypothétique et improbable cas où elles en recevraient effectivement en compensation des
conditions structurelles matérielles d’une alternative existentielle viable. En effet, et comme nous le
verrons tout au long de la présente thèse, ce rapport disjonctif dysfonctionnel entre les élites et
leurs/les communautés indigènes est le résultat d’une double violence : une première violence
historique d’aliénation culturelle et intellectuelle qui déracine radicalement et détourne les enfants de
leurs liens avec les représentations indigènes de leurs terroirs, pour en faire des avatars d’un monde
occidental et d’une modernité hallucinés; et une seconde violence elle aussi historique, causée par le
mode abstrait et exogène d’implantation de l’État avec une cooptation arbitraire d’élites politiques et
gouvernantes toutes-puissantes sans aucun lien citoyen avec les autres segments sociaux ni
responsabilité collective auprès des populations. Pour illustrer cette seconde déclinaison de la
violence imposée aux communautés indigènes, Marie-Claude Smouts (2001) évoque :
Les investissements lourds et l’activité industrielle auxquels on associe ordinairement le
développement n’ont fait qu’accélérer le recul de la forêt tropicale. Une industrie minière s’est
développée : étain, cuivre, or, bauxite, cobalt, charbon, minerais de fer, pétrole, gaz naturel…
Elle entraine des défrichements étendus, elle pollue les rivières, elle n’épargne ni les forêts de
protection ni les parcs nationaux, elle met les populations sous dépendance et les déstabilise,
en particuliers les tribus forestières : la Papouasie Nouvelle Guinée connait régulièrement des
troubles sérieux autour de l’exploitation des mines de cuivre; des concessions d’exploitation
houillère sont accordées dans les parcs nationaux du Kalimantan; cinq énormes gisements de
charbon ont récemment été reconnus en Irian Jaya et l’on peut avoir quelques inquiétudes sur le
sort des populations indigènes vivant dans cette partie occidentale de la Papouasie.
De même, au Cameroun, en 1999, l’autorisation a été donnée à une société minière américaine
spécialisée dans le cobalt et le nickel de creuser des puits dans une zone d’exploitation située à
la limite de la Réserve du Dja (classée comme patrimoine mondial de l’humanité!) pour une
superficie tenue secrète mais dont on dit qu’elle pourrait être presqu’égale à celle de la Réserve
elle-même. De tels exemples pourraient être multipliés à l’infini.
[S’il est fort probable que l’adoption de la technologie de l’aire protégée par l’État-dépendant du
Cameroun (Bertrand Badie, 1992) ait été opérée sous la pression des dynamiques écologistes

272
globales ou internationales –dont Béatrice Hibou (1999)595 relève avec beaucoup d’intérêt les
collusions géopolitiques incestueuses notamment la liaison entre la Banque mondiale et
WWF596 –; l’on imagine tout aussi aisément que d’un autre côté, celui de la pression des
urgences économiques auxquelles s’articulent les obligations financières liées au paiement de
la dette la “connivence” développementaliste capitaliste entre l’État et les investisseurs
industriels (Noam Chomsky, 2005, 1995; Symphorien Ongolo, 2016)597 ait conduit le premier à
confier ce vaste espace à l’exploitation minière pour le mettre hors de portée du romantisme
environnementaliste]
En effet, les grands travaux hydrauliques, barrages et réservoirs artificiels, sont presque à
chaque fois des catastrophes écologiques, humaines et culturelles. Il en est éloquemment de
l’affaire du barrage Tucurui en Amazonie brésilienne : avant de mettre à l’eau l’énorme
réservoir, il fallait que le terrain soit entièrement défriché, pour des raisons techniques et
sanitaires. En fait, une partie de la forêt seulement fut coupée à blanc, le restant fut traité au
défoliant : l’entreprise engagée se plaignait qu’il n’y avait pas assez de bois d’œuvre
commercialisable pour rentabiliser la coupe. Elle se mit en faillite et reçut, en guise de
compensation, un Permis d’exploiter sur plus de 90.000 hectares situés dans deux réserves
indiennes avoisinantes598.

C’est à partir de cette structure riscogène et critique que « La pensée de Latouche suggère que l’on puisse
passer, pour plus d’efficacité, du concept de site symbolique d’appartenance (approche économique) qui
recherche et valorise une adaptation contextuelle au modèle dominant, au concept de niche (approche
écologique) qui sert davantage une maitrise du potentiel endogène » (Mbog Bassong, 2013).

Il en est ainsi des approximations socio-anthropologiques douteuses sur lesquelles Alain Karsenty (2016)
fonde son analyse, notamment quand l’économiste français allègue que « The functioning of the community
forests is plagued with the difficulties of collective action (free riding and accountability) in societies where the
“exit option”, allowed by the limited density of population, has prevented the design of strong collective rules
for sustainable use of the resources. The IEG report does not mention the meta-analysis of the literature by
Robinson et al. (2011) which shows an “association between negative forest outcomes and communal land in
Africa” »599.

595 Béatrice Hibou, 1999, “La décharge, nouvel interventionnisme”, in Politique africaine, n° 73; 1999 (avec Jean-Francois Bayart et Stephen Ellis), La
criminalisation de l’État en Afrique, Éditions Complexe, Bruxelles.
596 Lire :

- SGS Trade Assurance Services (TAS) & Natural Resource Monitoring Services (NRMS) Sustainable Forestry Programme, 2003, Projet du Rapport
de l’Alliance Banque Mondiale/WWF pour la Forêt. Établissement des bases d’une Gestion Durable de la Forêt en Afrique. L’origine légale du
bois : un pas vers la Gestion Durable de la Forêt, BM/WWF/SGS, Genève (https://www.illegal-
logging.info/sites/default/files/uploads/WWFWorldBankLegalOriginTimberFrench.pdf)
- World Bank, 2001, L'alliance Banque Mondiale/WWF. Progresser grâce au partenariat, BM, Washington, DC.
597 Noam Chomsky, 2005, Quel rôle pour l’État, éd. Écosociété, Montréal; 1995 (1994), L’an 501. La conquête continue, éd. Écosociété, Montréal.

Symphorien Ongolo Assogoma est l’auteur d’une thèse de doctorat (2015) soutenue à l’École polytechnique de Zurich porte sur l’analyse des facteurs
locaux de mitigation dans le secteur forestier des propositions globales de réformes environnementales. Le chercheur a utilisé le terme “connivence” au
cours de l’entretien qu’il nous a accordé [le 16 août 2016] pour caractériser la nature des rapports que l’État entretient avec les entreprises
d’exploitation, au détriment des préoccupations écosystémiques et des communautés villageoises.
598 Op. cit.
599 Op. cit.

273
Cette démarche qui parcourt et structure également toute l’analyse de Marie-Claude Smouts (2001) apparait
souvent aussi fantaisiste et caricaturale qu’abstraite et approximative, notamment quand la chercheure baisse
la garde de la rigueur scientifique et se laisse emporter par les idées dominantes constitutives des
enracinements paradigmatiques : « Pour la forêt tropicale, l’objet semble plus clair : il y avait des arbres
splendides, des écosystèmes forestiers luxuriants, qui se dégradent et disparaissent, et il faut arrêter cela […]
Qu’est-ce qu’une forêt? Du bois, un espace, une terre (…) Au commencement était le bois. Sa production a
été, est et restera la première fonction de la forêt, quoi qu’on en dise […] L’importance des volumes prélevés
n’est pas, à elle seule, une indication de dégradation de la forêt. Tout dépend de la façon dont ces
prélèvements sont effectués »600.

Il en est de même quand la politologue entend délégitimer et disqualifier les implications idéologiques,
intellectuelles et politiques des enjeux mobilisés par l’exploitation industrielle des forêts tropicales humides,
quand ces implications –dont elle dit qu’elles reposent sur “le mythe des forêts tropicales humides” –sont
provoquées par des acteurs non-experts ou non-scientifiques. C’est aussi à partir d’un biais théorique et d’un
parti pris de type idéologique que se manifestent l’enfermement paradigmatique (Gilbert Rist, 2015, 2010,
1997, 1996, 1992; José Do Nascimento, 2008; Oscar Pfouma, 2004, 1993)601 et le manque de réflexivité
critique holistique dont l’analyste française fait preuve, notamment quand, semblant poser l’aménagement
forestier comme une sorte d’horizon indépassable, elle reprend avec toutes ses contradictions et sans critique
l’antienne binaire et dichotomique selon laquelle :
près de 80% du bois abattu dans les forêts tropicales humides sert de combustible à la
population locale. Une petite partie seulement du bois récolté industriellement (13 à 16%) est
introduite sur le marché mondial. Cela relativise à la fois le rôle du commerce international dans
la déforestation. Plus de 40% du bois abattu par les compagnies forestières est laissé sur place,
trop cher à transporter et pas assez rentable lorsqu’il ne s’agit pas d’essences facilement
commercialisables. De façon générale, la faible rentabilité du bois tropical pousse à des
prélèvements toujours plus élevés. Des études récentes ont montré que plus on augmentait la
valeur du bois pour les compagnies forestières, notamment par des mesures fiscales, dans le
but de les amener à limiter le gaspillage et à mieux utiliser la ressource, plus les compagnies
augmentaient leurs prélèvements y compris dans des zones jusque-là considérées comme de

600Op. cit.
601Lire :
- Gilbert Rist, 2015, Que reste-t-il du “développement”?, éd. La Découverte, Paris; 2014, “Le développement durable : les habits neufs du
développement”, conférence donnée dans le cadre de l’Université d’automne de l’Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société,
Université Laval; 2010, L’économie ordinaire. Entre songes et mensonges, éd. Presses de Sciences po, Paris; 2002, “Le développement : habits
neufs ou tenue de camouflage?”, in Défaire le développement, Refaire le monde. Atelier 1 : Les habits neufs du développement, Actes du
colloque organisé en 2002 à Paris sur “L’après-développement”, avec La ligne d’horizon et Le Monde Diplomatique, accueilli par le Programme
MOST, au Palais de l'UNESCO les 28 février, 1er, 2 et 3 mars (http://www.web.ca/~bthomson/decroissance/actes_colloque_2002.html); 1997, La
mondialisation des anti-sociétés. Espaces rêvés et lieux communs, éd. Cahiers de l’IUED, Genève; 2015 (1996), Le développement. Histoire
d’une croyance occidentale, éd. [4ème, revue et augmentée] Presses de Sciences po, Paris; 1992 (avec Marie-Dominique Perrot et Fabrizio Sabelli),
La mythologie programmée. L’économie des croyances dans la société moderne, éd. Presses universitaires de France, Paris; 1992 (avec Majid
Rahnema et Gustavo Esteva), Le Nord perdu. Repères pour l’après-développement, Éditions d’en bas, Lausanne.
En 2014, nous avons personnellement assisté à une conférence de G. Rist intitulée “Le développement durable : les habits neufs du développement”,
donnée dans le cadre de l’Université d’automne de l’Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société, Université Laval.
- José Do Nascimento, 2008, op. cit.

274
peu d’intérêt. La croyance dans l’efficience par le marché postule que les opérateurs privés
auront tout intérêt à utiliser des méthodes de rendement soutenu si les principales entraves au
fonctionnement du marché sont levées : interdictions des exportations des grumes, obligations
faite aux concessionnaires de transformer une partie du bois récolté, etc. Aucune confirmation
empirique n’a jusqu’à présent vérifié ce postulat (Marie-Claude Smouts, 2001).

Cette démarche amnésique d’analyse [du point de vue de la philosophie de l’histoire], qui prend l’histoire en
chemin en donnant l’impression que cette rencontre représente le début absolu de l’histoire, aboutit à
l’autoritarisme de la modernité capitaliste dont parle Jean Vioulac (2012) ainsi qu’au monolithisme
évolutionniste arbitraire du “développement” que déconstruisent parfaitement Gilbert Rist (2015, 2010, 1997,
1996, 1992), Claude Villeneuve et al (2013), Esoh Elame et al (2012), José Do Nascimento (2008) ou Oscar
Pfouma (1993), dans un paternalisme raciste d’une singulière violence dénoncé aussi bien par Franz Fanon
(1961) que par Thierry Michalon (1984) ou Edward Berenson (2012, 2005) et aujourd’hui sous une lumière
nouvelle par Françoise Vergès (2017)602. Il en est ainsi de cet exemple indonésien auquel Marie-Claude
Smouts (2001) articule le tableau africain :
De formidables déplacements de populations ont fait reculer la forêt primaire dans les zones
tropicales humides au cours du XXème siècle. Rappelons, par exemple, le programme
“Kolonisatie” démarré en Indonésie par le colonisateur néerlandais, en 1905, dans le but de
convertir en espaces agricoles les îles forestières par l’envoi de centaines de milliers de
“Transmigrants” venus de Java et de Madura. L’objectif était de réduire la pression sur la terre
dans les îles surpeuplées et de développer la culture du riz dans les “îles extérieures” avec des
techniques modernes autrement plus performantes, pensait-on, que les méthodes archaïques
des populations autochtones : entre 1905 et 1941, le colonisateur a déplacé 229.905 (les
archives néerlandaises sont bien tenues!).
Lorsque la question de la forêt tropicale est devenue un sujet de préoccupation internationale,
que les ONG ont commencé à lancer des campagnes de critique à la fois sur les atteintes à
l’environnement et sur la dépossession des populations autochtones, que “Friends of Earth”
s’est engagé dans la dénonciation des dommages écologiques dus à la Transmigration,
l’Indonésie, comme tous les pays tropicaux, a fait de la conservation de l’environnement une
priorité affichée dans tous les discours. Au nom de cette priorité, l’administration s’en est pris
non pas aux compagnies forestières dont les pratiques de coupe détruisent de 60 à 95% du
couvert forestier pour récolter quelques mètres cubes à l’hectare, mais au maillon le plus faible
dans l’enchaînement des causes de la déforestation.
L’exemple indonésien n’est pas unique. On a vu les mêmes pratiques dans certains pays
d’Afrique. Dans beaucoup de pays, l’alibi de la protection de la forêt et de la biodiversité
dissimule des luttes féroces autour de la question foncière. Elle sert de justification aux mesures
d’expulsion les plus inhumaines (on a vu des villages évacués au lance-flammes en Afrique. Le
résultat immédiat est d’appauvrir un peu plus les populations les plus pauvres dans les régions
les moins hospitalières) […]
Dans les politiques de colonisation agricole, les exemples de désastres écologiques sans
contrepartie sont légion. C’est cela qui fait problème. Ainsi, selon les observateurs de terrain, “la
grande majorité des centres de Transmigration en culture vivrière pluviale de Sumatra et de

602 Françoise Vergès, 2017, Le ventre des femmes. Capitalisme, racialisation, féminisme, éd. Albin Michel, Paris
(https://www.youtube.com/watch?v=vLjJSHO7CAo). Lire éventuellement aussi Nègre, Négrier, Traite des nègres, à partir de trois articles du Grand
dictionnaire universel du XIXème siècle, (avec Pierre Larousse), éd. Bleu autour, Saint-Pourçain-sur-Sioule, 2007.

275
Kalimantan connut un échec flagrant”. Faute de rendements suffisants, des dizaines de milliers
de transmigrants ont fini par renoncer à l’agriculture après moins de cinq ans, laissant derrière
eux un paysage dévasté, un sol épuisé et des friches infestées d’adventices herbacées. De
façon générale, la pauvreté n’a pas diminué, elle s’est déplacée et a augmenté dans les régions
d’accueil603.

En effet, c’est à partir de la base idéologico-théorique –elle-même directement inspirée de la démarche de


légitimation de la volonté de puissance, de domination, de prédation et de contrôle définitif des territoires –qui
trame les analyses de B. Badie, A. Karsenty, M.-C. Smouts et autres que les puissances coloniales
européennes vont faire main basse sur les terres indigènes africaines (Joseph Ki-Zerbo, 2008)604 qu’elles vont
se destiner à “mettre en valeur”, contre la conclusion de cette étude anthropologique sur la situation des
populations indigènes des forêts denses humides qui affirmera sentencieusement plus tard qu’« Il n’y a pas de
forêt vierge »605! (M.-C. Smouts, 2001). Robinson Tchapmegni (2016) opérationnalise cette logique coloniale
de l’histoire à travers son analyse du fameux litige foncier [porté devant la Commission africaine] opposant la
communauté Bakweri [installée sur la côte Atlantique dans la Baie du Biafra] à l’État du Cameroun [dont elle
est essentiellement, organiquement et pleinement censée être partie] dont nous développons tout au long de
la présente thèse qu’il est d’essence et de procession coloniales. Dans ce long mais aussi édifiant
qu’intéressant extrait, il ressort des travaux de ce chercheur théoricien du droit que :
Les plaignants du Bakweri Land Claims Committee (BLCC) allèguent par ailleurs qu’à l’issue de
la Première Guerre mondiale qui a vu la défaite militaire de l’armée allemande qui sera ipso
facto chassée du Cameroun, les Britanniques avaient reconnu le statut de “terres coutumières”
aux anciennes propriétés allemandes situées en territoire Bakweri qu’ils avaient confiées en
tutelle au gouverneur du Nigéria et pour le compte des populations Bakweri. En parcourant la
Décision rendue par la Commission africaine, on peut lire l’énoncé suivant : “Le plaignant
déclare que les terres en question avaient été saisies au détriment des propriétaires fonciers
Bakweri entre 1887 et 1905 par les colons allemands, ce qui avait été reconnu par les autorités
coloniales britanniques et l’Assemblée Générale des Nations Unies (cf. Document 189 des
Nations Unies, paragraphe 16) en novembre 1949, et que ces terres avaient été récupérées par
le gouvernement colonial britannique, suite à la Seconde Guerre mondiale, qui les a déclarées
‘Native Lands’(terres indigènes) et placées sous la garde du Gouverneur du Nigéria pour qu’il
les tienne par fidéicommis pour les Bakweri. En 1947, les terres ont été mises en bail à une
corporation statutaire nouvellement créée, la CDC, pour une période de 60 ans, afin qu’elle les
gère et les mette en valeur jusqu’à ce que le peuple Bakweri soit capable de les gérer sans
assistance extérieure”.
À l’analyse, en reconnaissant le statut de “terres coutumières” aux terres Bakweri,
l’administration coloniale britannique procédait ainsi à une rétrocession juridique de la propriété
des terres injustement arrachées à cette communauté indigène. Mais l’indépendance du
Cameroun dans les années 1960 allait marquer un nouveau tournant dans ce différend, à cause
de la nationalisation des terres Bakweri par la nouvelle administration camerounaise.
603 Op. cit.
604 Joseph Ki-Zerbo, 2008, Histoire critique de l’Afrique, éd. Panafrika/Silex/Nouvelles du Sud, Dakar.
605 Comme on le voit, la démarche de “mise en valeur” des terres indigènes que déploie la colonisation européenne procède d’une distorsion de

l’histoire qui s’enracine dans une prétention idéologique arbitraire radicale. En d’autres termes, cette démarche repose sur une prétention autocratique
radicale raciste fondée sur une deuxième prétention, darwinienne, et sur une troisième prétention, celle de la supériorité radicale de l’humanité
européenne, sur lesquelles vont se développer les idées –elles-mêmes douteuses –du progrès ou de la mission civilisatrice.

276
Si dans la logique stricte du droit opératoire camerounais, il ne fait aujourd’hui l’ombre d’aucun
doute quant à la propriété étatique des terres de la Cameroon Development Corporation, CDC,
cette évidence juridique n’explique pas comment on serait passé d’une location de terres à une
propriété publique. En effet, cette véritable curiosité juridique ressemblerait plutôt à l’utilisation
de la voie de fait administrative, dénoncée par les Bakweri à l’époque où ils furent expropriés de
force par l’Empire colonial allemand. En fait, tout porterait à croire que l’histoire s’est répétée,
autrement dit, qu’il y aurait eu “Bis repetita” dans l’affaire de l’expropriation des terres Bakweri.
En effet, l’administration camerounaise aurait mimé et joué “la carte coloniale allemande”: faire
croire aux populations Bakweri qu’on leur louait leurs terres, alors qu’il ne s’agissait ni plus ni
moins en réalité que d’une nationalisation.
[De même, R. Tchapmegni relève plus loin] une réaction systématique et quasi-allergique de la
grande majorité des dirigeants politiques africains face à la reconnaissance du statut de peuple
autochtone aux communautés indigènes villageoises de leurs États.
Même si la nationalisation des terres Bakweri est juridiquement défendable en droit international
au regard du sacro-saint principe de la souveraineté des États sur leurs ressources naturelles, il
y a lieu de souligner que la mise en œuvre surprenante et déguisée de ce principe fondamental
de droit international heurte de front d’autres principes tout aussi fondamentaux, à l’instar du
droit de propriété, ainsi que la sécurité du commerce et des investissements. Cet extrait de
l’encyclopédie canadienne est particulièrement évocateur :
“Quand un État nationalise les avoirs d'investisseurs étrangers, la position des pays occidentaux
industrialisés (surtout les États-Unis) est que la nationalisation ne se justifie qu'après le
versement rapide d'indemnités appropriées, déterminées par une autorité impartiale. Toutefois,
les pays en voie de développement, souvent très frustrés par la domination étrangère,
prétendent que les États ont une souveraineté perpétuelle sur leurs ressources et ont le droit de
procéder à des nationalisations afin de favoriser l'autodétermination et le développement
économiques. Ils réclament que la nationalisation et les indemnités soient assujetties aux seules
lois du pays où a lieu la nationalisation, position formulée dans les résolutions de l'Assemblée
générale des Nations Unies, y compris la résolution 1803 de décembre 1962. Néanmoins, la
nationalisation s'accompagne en général d'indemnités versées par souci d'équité et en raison
de la nécessité de préserver la confiance des investisseurs étrangers”.
Pour le cas de la communauté Bakweri, l’expropriation ou la nationalisation de leurs terres ne se
serait jamais accompagnée d’une indemnité préalable ni postérieure, ce qui serait de nature à
“mettre de l’huile au feu” dans le différend opposant l’État camerounais à cette communauté,
dont la diaspora s’est mobilisée à travers le monde entier, pour faire échec au projet
gouvernemental camerounais visant à privatiser les terres de la CDC en les vendant à des
investisseurs privés étrangers. C’est sans doute cette forte mobilisation internationale qui aurait
abouti à la saisine de la sous-commission des Nations-Unies pour la prévention de la
discrimination et la protection des minorités ainsi que la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples pour voir condamner le gouvernement camerounais à reconnaître, à
respecter et à mettre en œuvre les droits fondamentaux de la communauté Bakweri en tant que
peuple autochtone606.

Cette démarche à laquelle s’articulent les différents éléments mobilisés ici confirme non seulement la
procession coloniale et l’essence jacobine de la collectivité politique du Cameroun (Simon Nkén, 2014; Daniel

606Dans un texte intitulé La sanction en droit international des atteintes aux droits des communautés traditionnelles et autochtones à la terre,
au territoire, et aux ressources naturelles en Afrique. La substance de ce travail a été présentée par Robinson Tchapmegni en novembre 2016, au
cours d’une conférence du Groupe de recherche en droit des ressources naturelles et de l’énergie en Afrique/Chaire de recherche et d’innovation
Goldcorp en droit des ressources naturelles et de l’énergie (https://www.drne.ulaval.ca/fr/atelier-de-recherche-la-sanction-en-droit-international-des-
atteintes-aux-droits-des-communautes).

277
Abwa, 2000)607, mais également l’aliénation intellectuelle et coloniale de ses élites politiques dirigeantes, et en
fin de compte son “incarcération” (Harana Paré, 2017; François Mattei, 2014; Charles Onana, 2013, 2011;
Mubabinge Bilolo, 2011; Thomas Callaghy, 2002, 1993, 1987; Ismaël Aboubacar Yenikoye, 2007) continue et
permanente par les intérêts coloniaux et non-endogènes (Thomas Deltombe et al, 2016, 2011; Jean-Pierre
Bat & Pascal Airault, 2016; Jean-Pierre Bat, 2015; Antoine Glaser, 2016, 2014; Pierre Péan, 2014, 2010,
2005, 1988, 1983; Patrick Pesnot & Monsieur X, 2008; Stephen Smith & Antoine Glaser, 2008, 2005, 1997,
1994; Pierre Laniray, 2006; Boubacar Boris Diop, Odile Tobner et François-Xavier Verschave, 2005; François-
Xavier Verschave, 2005, 1998; Mongo Beti & Odile Tobner, 1989; Thierry Michalon, 1984; Jean Ziegler, 1978;
Mongo Beti, 1972; Ferdinand Oyono, 1956).

Autrement dit, comment peut-on considérer comme une évidence absolue et irréductiblement indiscutable que
si on leur avait préalablement demandé leur avis, les communautés indigènes auraient choisi de disposer des
écoles, des hôpitaux, des routes, des adductions d’eau potable, du réseau domestique d’électricité [c’est le kit
qui est caricaturalement proposé par la modernité coloniale pour justifier son universalité absolue]; plutôt que
de conserver la structure forestière à laquelle elles articulaient leur existence et qui leur permettaient d’avoir le
contrôle sur leur existence? Sur la base du niveau de notre implication personnelle dans la problématique,
telle que nous l’avons présentée très tôt, rien n’est sûr (Amartya Sen, 2005; Ulrich Beck, 2004; Hernando De
Soto, 2000).

Il en découle qu’en dehors des élites dirigeantes et dans une certaine mesure des élites administratives dont
on sait qu’elles sont davantage les héritières naturelles et des légataires directes de l’État colonial que des
représentantes authentiques de la communauté indigène, les populations dans leur écrasante majorité n’ont
jamais fait corps avec l’organisation collective au point d’en devenir et d’y exister comme des citoyens
assumés (Thierry Michalon, 1984). C’est ce que rappelle ainsi Mamadou Diouf (1997) :
Quand on réinterprète la séquence postcoloniale, des indépendances jusqu’à ce qu’on appelle
les processus de démocratisation, à l’aune du “Code de l’indigénat” sur lequel s’est fondé le
rapport de l’État moderne aux communautés africaines, on retrouve cette même logique
juridique d’exclusion des populations, notamment avec des constitutions qui ont constamment
changé dans le sens de la réduction des capacités citoyennes. Dès lors, on peut effectivement
se poser la question de savoir quelle est la différence entre le “citoyen” africain postcolonial et
“l’indigène” sous la colonisation608.

C’est probablement le moment le plus indiqué de relever qu’à l’aune de l’évidence exclusive que le paradigme
de la modernité capitaliste –dont il n’est pas inintéressant de rappeler que c’est le même qui se renouvelle

607 Daniel Abwa, 2013, Cameroun : Histoire d'un nationalisme 1884-1961, éd. CLÉ/NENA, Yaoundé; 2000, Commissaires et Hauts-Commissaires
de la France au Cameroun (1916-1960). Ces hommes qui ont façonné politiquement le Cameroun, éd. Karthala, Paris.
608 Mamadou Diouf (Conversation avec Achille Mbembe et Harris Memêl Fotê), op. cit.

278
dans la modernisation écologique –a réussi à imposer dans l’intellectualité opératoire, le caractère radical de
l’approche d’analyse que nous proposons et la démarche de réflexivité critique qu’elle déploie à l’égard du
paradigme dominant à la lumière de l’histoire et la philosophie de l’histoire, ne seraient pas indemnes du
sentiment d’impasse ou d’aporie théorique. En guise d’illustration, référons à cet extrait du texte de Marie-
Claude Smouts (2001) dont la cohérence et la logique apparemment parfaites figurent essentiellement le
fonctionnalisme et l’influence paradigmatique (Gilles Gagné, 1984)609 :
Pour une communauté influente d’économistes de l’environnement, écrit Smouts, une politique
de gestion forestière des terres rationnelle suppose que l’information sur la valeur économique
totale de la forêt soit la plus complète possible, que cette valeur soit traduite en termes
monétaires et comparée aux coûts et avantages d’une conversion du capital forestier à d’autres
usages (agriculture commerciale, infrastructures, exploitation minière, et autres). Sans cette
évaluation préalable, des décisions prises en principe pour favoriser le développement
conduisent à des désastres économiques, écologiques et sociaux. L’histoire récente en donne
maints exemples. La Banque mondiale et les autres Bailleurs de fonds encouragent cette
approche coût-avantage en considérant que la déforestation n’est pas un mal en soi mais
qu’elle doit être empêchée chaque fois qu’elle n’a pas d’utilité économique, qu’elle menace
gravement la stabilité de l’environnement en général, qu’elle risque de donner lieu à des conflits
sociaux.
Dans cette logique, il convient d’identifier toutes les composantes de la valeur économique
totale de la forêt et de les évaluer une par une en affectant un prix à chacune. En principe, cela
devrait conduire à considérer simultanément toutes les fonctions de la forêt sans en privilégier
une par rapport à d’autres a priori. Si elle était véritablement appliquée, cette neutralité
méthodologique aurait l’avantage d’amener à prendre en considération tous les biens et
services attachés à la forêt et par conséquent tous les agents intéressés par l’utilisation de cet
espace. Personne ne serait oublié et les processus de “gestion participative” et de redistribution
aux populations locales finiraient par s’imposer d’eux-mêmes. En réalité, tel n’est pas le cas
dans la mesure où l’application de la méthode, déjà difficile dans les pays industrialisés, est
systématiquement biaisée dans les pays tropicaux.
La représentation de la forêt dense humide comme un bien économique est largement
répandue et plutôt bien acceptée aujourd’hui. Aux défenseurs de l’environnement, elle donne un
argument supplémentaire pour plaider en faveur du respect de la ressource et de la gestion
durable : la protection de la nature n’est pas une exigence éthique, elle a aussi une valeur
économique. Aux exploitants forestiers, elle permet de justifier leur activité face aux critiques de
ceux qui les accusent de tous les malheurs de la forêt : une forêt non exploitée est un bien qui
perd de sa valeur marchande et sera livré à toutes les dégradations. Aux Bailleurs de fonds à la
fois courtisés, redoutés et critiqués de toutes parts, elle donne des critères objectifs légitimes
pour accepter ou refuser de financer des projets : un projet sans justification économique ne
mérite pas d’être encouragé. Aux économistes de la forêt, enfin, elle procure des contrats de
recherche, de l’influence et de la satisfaction de voir leurs discussions théoriques déboucher en
partie sur le monde réel610.

Dès lors, eu égard à la place centrale qu’occupe la variable communautés villageoises dont il s’agit pour notre
thèse d’analyser la marginalisation dans la gestion publique de l’économie forestière au Cameroun, nous

609 Du point de vue de l’intérêt de la critique théorique, lire utilement : Gilles Gagné, 1984, “Lettre ouverte à un économiste”, ici :
https://www.fss.ulaval.ca/sites/fss.ulaval.ca/files/fss/sociologie/professeurs/lettre_ouverte__un_conomiste.pdf
610 Op. cit.

279
dirions sans ambiguïté que l’approche d’analyse déployée tout au long de notre thèse n’est ni normative, ni
nécessairement centrée ou obsédée par le tropisme indigène. Cependant, au regard de la problématique
examinée (la marginalisation chronique des communautés villageoises dans l’économie industrielle des forêts)
et des déterminants historico-structurelles postulés pour l’expliquer, la préoccupation constante de l’analyse va
essentiellement porter à l’identification des structures opératoires à l’œuvre que nous proposons sous la forme
de contraintes structurelles paradigmatiques, interscalaires et contextuelles. Dès lors, même si la validité de
l’analyse classique –par l’aménagement forestier durable –ancrée dans la rationalité dominante que formule
M.-C. Smouts peut paraitre absolue et indiscutable a priori sur le plan logique, il n’en demeure pas moins
qu’elle ne dément pas non plus que le déploiement dominant du paradigme de la modernité capitaliste se soit
fait dans une démarche arbitraire, exclusive, autocratique et violente à laquelle les composantes indigènes,
villageoises ou populaires de la collectivité politique de laquelle relèvent les communautés locales éprouvent
du mal à s’articuler (Mbog Bassong, 2013; Bertrand Badie, 1992; Thierry Michalon, 1984; Alan Moorehead,
1966; Franz Fanon, 1961). En effet, c’est le potentiel critique ou riscogène inhérent au déploiement universel
du monolithisme paradigmatique qui amène Ulrich Beck (2004) à formuler « La vérité des autres »611; et qui,
dans la définition des implications dysfonctionnelles de l’irruption violente de l’État colonial et de la modernité
capitaliste sur l’économie forestière et les communautés indigènes porte Mbog Bassong (2013) à énoncer
que :
L’omission que la science économique fait de l’interrogation sur la logique de la nature et
surtout, la mesure intrinsèque de sa valeur anthropomorphique et scientifique, rend alors
compte des difficultés réelles qui pèsent sur l’analyse et l’interprétation des phénomènes
économiques hors de son champ de perception des réalités autres que celles de l’Occident.
Aussi la science économique encourt-elle le reproche d’alimenter, par l’ignorance des diverses
réalités, une crise sans fin de ses modèles prévisionnels.
Nous voilà fixés sur le déclin annoncé de la macroéconomie et la crise de la rationalité des
grandes séries sur la production, l’emploi, l’accumulation du capital, la productivité, etc. Retour à
la littérature, au droit, à l’histoire, aux institutions, à l’écologie, pour comprendre l’économie
revenue à sa cohérence microéconomique première, faute d’une théorie explicative de tous les
phénomènes économiques et leurs référents culturels sous-jacents. Avec la fin des certitudes et
l’émergence de la science complexe, une tendance générale se dégage, laquelle tendance est
suspendue au poids de la posture relativiste. C’est ce que ponctue le physicien Lévy-Leblond
quand il affirme que “la rationalité ne peut être que locale; qu’il n’y a ni rationalité universelle, ni
science universelle, ni formalisme universel”612.

611 Ulrich Beck, 2004, “La vérité des autres. Une vision cosmopolitique de l’altérité”, in Cosmopolitiques, n°8, décembre 2004.
Dans la même perspective critique, lire également :
- Amartya Sen, 2005, La démocratie des autres. Pourquoi la liberté n’est pas une invention de l’Occident, éd. Payot, Paris.
- Hernando De Soto, 2005 (2000), Le mystère du capital. Pourquoi le capitalisme triomphe en Occident et échoue partout ailleurs?, éd.
Flammarion, Paris.
612 Op. cit.

280
CHAPITRE IV : POLITIQUES FORESTIÈRES COLONIALES ET RÉGIMES DES
FORÊTS AU CAMEROUN AVANT LES RÉFORMES DU DÉBUT DES ANNÉES
1990

Le rapport des communautés humaines à la forêt est vieux comme le monde. Dans les régions forestières
d’Afrique particulièrement, la forêt constitue l’univers existentiel de communautés anciennes qui y développent
une économie écosystémique garantissant rigoureusement d’un côté, la vitalité des populations humaines et
de l’autre, le renouvellement optimal des ressources naturelles. La complexité du rapport indigène que les
populations forestières africaines ont à la forêt a fait l’objet d’études diverses, historiques, anthropologiques,
économiques (Doti Bruno Sanou, 2014; Claude Villeneuve et al, 2013; Esoh Elame et al, 2012; Mubabinge
Bilolo, 2007; Sévérin Cécile Abéga, 2001, 2000; Akwah George Neba, 1998; Serge Bahuchet, 1994; Guéhi
Jonas Ibo, 1994; Mbog Bassong, 2013; etc.)613. Quoique synthétique, l’énonciation suivante de Guéhi Jonas
Ibo permet d’en avoir une idée précise et très fidèle :
Contrairement à ce que soutiennent certains analystes des écoles libérales [autrement dit ce
que nous appelons également dans la présente thèse le paradigme dominant auquel participe
particulièrement l’analyse fonctionnaliste dans laquelle rentre l’essentiel de la littérature
scientifique portant spécialement sur les questions forestières et environnementales ou de
manière générale sur l’Afrique] selon qui “comme les forêts sont une ressource commune, elles
sont surutilisées et un individu n’a aucun intérêt à préserver un arbre s’il y a un risque que
quelqu'un d’autre le coupe, et s’il n’a certainement aucun intérêt à en planter”(Problèmes
économiques, 1992), la propriété collective de la terre considérée strictement dans le cadre
traditionnel africain –dont la préoccupation philosophique porte sur la maîtrise des
antagonismes, la prédominance de l’intérêt général sur les aspirations individuelles, la
prépondérance de la solidarité, etc. –en garantissait une gestion écologiquement saine.
Deux autres raisons fondamentales militent en faveur de l’hypothèse ci-dessus avancée.
Premièrement, dans les sociétés africaines anciennes, la terre n’était pas considérée comme la
propriété collective des seuls vivants mais elle était aussi et surtout celle des générations
disparues à qui il faudrait, le moment venu, rendre des comptes : “Chaque génération tient ses
droits de la génération précédente sans que celle-ci perde son droit de regard sur l’usage qui
est fait du patrimoine commun. Chaque génération joue à l’égard de celle qui l’a précédée le
rôle d’administrateur des biens collectifs et est de ce fait tenue de lui rendre compte de ses

613Lire :
- Doti Bruno Sanou, 2014, Politiques environnementales : traditions et coutumes en Afrique noire, éd. L’Harmattan, Paris.
- Mubabinge Bilolo, 2007, op. cit.
- Abéga, S.C., op. cit.
- Akwah George Neba, 1998, Tabous et conservation des ressources naturelles chez les communautés forestières du Sud-Cameroun : Étude
des restrictions relatives à l’exploitation de la faune chez les Baka,
Bakwele et Bagando, Msc Dissertation in anthropology, University of Yaoundé I.
- Guéhi Jonas Ibo, 1994, “Perceptions et pratiques environnementales en milieu traditionnel africain : l’exemple des sociétés ivoiriennes anciennes”, in
Fonds documentaire ORSTOM, Centre de Petit Bassam, Abidjan.
- Serge Bahuchet (sous la direction de), 1994, Situation des populations indigènes des forêts denses humides, Commission européenne, OPO,
Luxembourg.

281
actes d’administration. La perspective de cette reddition des comptes est une garantie efficace
contre les actes de disposition” (Kouassigan, G-A, 1966).
La deuxième raison se situe dans le fait que dans ces sociétés traditionnelles [contrairement à
l’idée ancrée dans une certaine sociologie évolutionniste, le terme “traditionnel” ne voudrait en
aucun cas signifier que ces sociétés, étaient figées, immuables et indéfiniment répétitives. Il
signifie plutôt que les institutions opératoires sur lesquelles se déployait le fonctionnement social
étaient historiquement édictées par ces sociétés elles-mêmes, c’est-à-dire à partir de la
rationalité endogène, sans ingérence extérieure], la terre n’était pas seulement un patrimoine
commun mais était surtout aussi un “bien sacré” dont l’utilisation impliquait l’accomplissement
d’un certain nombre de rites transmis de génération en génération. Par ces cérémonies rituelles
l’agriculteur africain ancien exprimait une sollicitude certaine envers la nature. La portée
environnementale de ce comportement est d’autant plus grande qu’il est l’expression d’un
système de pensée dans lequel le rapport des sociétés à la nature se pose en terme de vie ou
de mort. C’est ainsi par exemple que dans le souci de maintenir cet équilibre vital, la société
traditionnelle africaine a favorisé l’émergence d’un corps de “maîtres de la terre et des bois
sacrés” qui étaient “les garants de l’observance des coutumes ancestrales et les ordonnateurs
des rites agraires” (Sawadogo, A., 1977).
Tout ceci atteste de l’existence, au niveau de la société traditionnelle africaine, d’une
superstructure environnementale ou écosystémique ayant contribué à la création d’un ensemble
de techniques agraires parmi lesquelles le brûlis occupe une place très importante (…)614.

Cette analyse de Guéhi Jonas Ibo est fondamentale en ce qu’elle porte et résume toute la structure
cosmologique opératoire africaine. Elle recoupe parfaitement la théorisation plus élaborée que Mbog Bassong
fait de la connaissance endogène africaine dans les divers domaines du religieux, du droit, de l’économie, de
la politique, etc. C’est la même structure d’analyse que Mubabinge Bilolo, Esoh Elame et al, Doti Bruno
Sanou, Akwah George Neba, Claude Villeneuve et al, Sévérin Cécile Abéga, Guéhi Jonas Ibo ou dans une
certaine mesure Serge Bahuchet développement et appliquent dans l’analyse des problématiques
environnementales et forestières en Afrique.

Nous en invoquerons souvent quelques dimensions majeures, mais seulement par défaut ou en guise de
référent théorique et conceptuel, étant entendu que le fond de la présente analyse –sociologique des causes
de la marginalisation des communautés villageoises dans la gouvernance forestière au Cameroun –engage
essentiellement l’histoire des systèmes d’exploitation de la forêt en contexte moderne et capitaliste.

Ce rapport écosystémique et existentiel que les communautés africaines indigènes entretiennent avec la forêt
va radicalement changer avec l’arrivée des Européens et la mise en place de l’économie capitaliste que

614 Guéhi Jonas Ibo, 1994, op. cit.

282
Philippe Léna (2011) appelle également “l’économie prédatrice”615. Voici dans quels termes Marie-Claude
Smouts (2001) présente le tableau du rapport capitaliste à la forêt :
Les pays européens ont défriché leurs forêts boisées pendant des siècles. Platon se désolait
déjà, quatre cents ans avant notre ère, de voir autour d’Athènes une terre “comme le squelette
d’un corps décharné par la maladie” et les monts d’Attiques dénudés “là où l’on coupait encore,
il n’y a pas très longtemps, de grands arbres propres à monter les plus grandes constructions”.
La Grèce antique a eu ses réfugiés écologiques. Des milliers d’habitants ont dû se déplacer,
chassés par l’érosion irréversible de leurs terres que plus rien ne protégeait du soleil et du vent.
Le déboisement aveugle mené par l’Empire romain sur tout le pourtour de la méditerranée a
contribué à la ruine des villes les plus prospères d’Asie mineure autant que les guerres et autres
catastrophes. Les ambitions maritimes de Venise au XVème siècle puis les guerres du XVIème
siècle, ont porté un coup funeste à la forêt méditerranéenne dont la majeure partie a connu une
dégradation définitive [Et l’analyste de conclure que] Les études abondent pour démontrer que
la recherche de la rentabilité est difficilement compatible avec la gestion durable616.

C’est ainsi [du point de vue méthodologique] que pour identifier la cohérence diachronique et les processus
historiques à partir desquels se construisent et s’opérationnalisent les contraintes structurelles
(paradigmatiques, interscalaires et contextuelles) dont la thèse affirme qu’elles inspirent, nourrissent,
charpentent et influencent l’économie forestière au Cameroun; qu’elles orientent le déploiement des modalités
d’exploitation des ressources forestières; et par conséquent qu’elles expliquent la marginalisation chronique
des communautés dans la gouvernance forestière, nous suivrons les logiques opératoires portées par les
différents Régimes des forêts qui ont été pratiqués au Cameroun, depuis l’époque coloniale allemande
jusqu’aux Réformes dites environnementales qui aboutissent à la mise en place du Régime des forêts de 1994
(Mewondo Mengang, 2004, 1998617). Dans une énonciation efficace, Jonas Ngouhouo Poufoun (2008) fait un
rappel synthétique des logiques structurelles ayant jusqu’ici guidé l’économie forestière au Cameroun :
La promotion des exportations des grumes depuis la période coloniale, l'expansion rapide et
progressive du secteur bois à partir des années 90 avec les pressions non négligeables des
politiques d'ajustement structurel (PAS) et l'objectif du Cameroun de passer de la position de
3ème exportateur africain de bois en 1995 à la 1ère en 2002, expliqueraient une hausse de 100%
d'abattage, puis une hausse de 400% du taux de déboisement en 2004 (Dudley et al, 1995).
Cette politique a contribué à une rotation sous-optimale avec des conséquences énormes. Nous
pouvons citer la difficulté de contrôle de l'activité, le non-respect des règles […]618.

615 Philippe Lena travaille depuis plusieurs années sur les enjeux environnementaux divers mobilisés par l’exploitation industrielle de la forêt
amazonienne. Lire entre autres : 2013, “Les impasses du développement”, In Por que o decrescimento?, Publication des Éditions du Sénat brésilien;
2011, “De l’économie prédatrice au post-développement en Amazonie”, In Technoscience et altérité (sous la dir. de F. Gaudez), L’Harmattan, Paris;
2010, “Quelques points critiques concernant les projets et politiques publiques de développement durable”, In L'Amazonie brésilienne et le
développement durable, Martine Droulers et François-Michel Letourneau (dir.), Éditions Belin.
616 Op. cit.
617 Joseph Mewondo Mengang, 1998, “Evolution of Natural Resource Policy in Cameroon”, Yale F&Es Bulletin, n°102.
618 Jonas Ngouhouo Poufoun, 2008, Certification de gestion durable des forêts et efficacité socioéconomique des entreprises du secteur dans

le bassin du Congo. Cas du Cameroun, Mémoire de Master en sciences économiques, Université de Yaoundé II.

283
Dès lors, contrairement au fonctionnalisme du schéma élaboré par Charlotte Gisèle Kouna Eloundou (2012)
pour rendre compte de l’évolution « Historique de la gestion forestière au Cameroun »619, nous suggérons une
approche radicale et de rupture dont l’intérêt heuristique est qu’elle permet la reformulation des catégories
historiques en deux grandes périodes :
− La période africaine indigène caractérisée par un rapport propre ou spécifique écosystémique à la
forêt.
− La période européenne et moderne caractérisée par la production capitaliste se détermine en deux
sous-périodes :
1- La sous-période coloniale (allemande, britannique et française);
2- La sous-période postcoloniale ou néocoloniale (de 1960 à nos jours).

On peut affirmer que l’exploitation capitaliste des ressources forestières camerounaises nait le jour où
commence l’histoire moderne de la collectivité territoriale camerounaise, avec la signature le 17 décembre
1850 du premier Traité de coopération entre le Gouvernement britannique et les chefs des communautés
indigènes de la côte atlantique. En effet, au-delà du monopole commercial qui leur est octroyé, les accords
ainsi signés donnent désormais aux Anglais le droit de s’immiscer dans l’organisation collective locale
(Engelbert Mveng, 1963)620. Cependant, dès la fin des années 1860, cette mainmise anglaise sera
constamment contestée sur le terrain par l’activité des commerçants allemands. Le monopole anglais est
officiellement supplanté le 12 juillet 1884 avec la signature du Traité germano-duala. Cette date marque
également le début de la domination coloniale allemande sur le territoire/l’État embryonnaire du Cameroun. La
colonisation allemande prendra fin avec la défaite de l’Allemagne dans la Grande guerre de 1914. En 1916, le
Royaume Uni et la France se partagent le Cameroun.621

Cependant, du point de vue paradigmatique, il convient de retenir qu’avec l’immixtion dès 1850 des Anglais
dans l’organisation institutionnelle et collective indigène commence effectivement la prise de possession
coloniale totale du territoire qui deviendra l’État du Cameroun.

En tant que fait historique, la colonisation européenne de l’Afrique qui se déploie à partir du XV ème siècle est
d’abord économique. C’est sur la dimension économique de l’aventure coloniale que seront bâties toutes les
autres dimensions, culturelle, linguistique, religieuse et politique. Paul Zang Zang (2010) note que :

619 Gisèle Kouna Eloundou, op. cit.


620 Engelbert Mveng, 1963, Histoire du Cameroun, éd. Présence africaine, Paris.
621 S’il fût encore possible jusqu’à la fin des années 1980 au Cameroun de rencontrer des vieillards parlant allemand, la génération des indigènes

germanophones a quasiment disparu aujourd’hui.


Lire aussi Pierre Péan, 2010, Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, éd. Fayard, Paris.

284
En 1841, l’économiste Friedrich List (1904) écrit dans un ouvrage célèbre : “Les colonies sont le
meilleur moyen de développer les infrastructures, le commerce extérieur, et enfin une marine
respectable” (Adalbert Owona, 1996). De nombreuses sociétés coloniales voient le jour en
Allemagne dans la première moitié du 19ème siècle. Celles-ci ont pour but d’encourager les
Allemands à l’émigration. D’importants noyaux d’Allemands se forment à cet effet. En 1883, la
Chambre de Commerce allemande publie sur le territoire qui deviendra le Cameroun un rapport
dans lequel le territoire est dépeint comme un eldorado et ses populations comme pacifiques.
Mais l’institution regrette que le Reichstag ne prête pas main forte aux colons allemands comme
le font la France et l’Angleterre pour leurs ressortissants622.

Pour les Européens, la préoccupation essentielle –et même existentielle ou obsessionnelle –est de prendre
possession des ressources abondantes et diverses dont regorge l’Afrique pour produire la richesse nécessaire
au décollage de son potentiel industriel.623 Dans le fameux discours qu’il prononce le 28 juillet 1885 pour
l’expansion coloniale de la France, Jules Ferry affirme que :
La question coloniale, c'est, pour des pays voués par la nature de leur industrie à une grande
exportation, comme la nôtre, la question même des débouchés. La fondation d'une colonie c'est
la création d'un débouché […] Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai! Il faut dire
ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures parce
qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures. Ces devoirs
ont souvent été méconnus dans l'histoire des siècles précédents, et certainement quand les
soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l'esclavage dans l'Amérique centrale, ils
n'accomplissaient pas leur devoir d'hommes de race supérieure. Mais de nos jours, je soutiens
que les nations européennes s'acquittent avec largeur, grandeur et honnêteté de ce devoir
supérieur de la civilisation. À l'heure qu'il est, vous savez qu'un navire de guerre ne peut pas
porter, si parfaite que soit son organisation, plus de 14 jours de charbon et qu'un navire qui n'a
plus de charbon est une épave sur la surface des mers abandonné au premier occupant. D'où la
nécessité d'avoir sur les mers des rades d'approvisionnement, des abris, des postes de défense
et de ravitaillement624.

C’est ainsi qu’en se déployant sur l’Afrique, l’Europe s’étire et s’étend : elle se donne l’espace vital qui lui
permettra d’assurer définitivement non seulement sur le plan existentiel sa survie et son épanouissement
(Paul Zang Zang, 2010; Adalbert Owona, 1973; E. Mveng, 1963), mais également sa stabilité sur le plan
politique, « L’expansion coloniale étant envisagée, ainsi que l’énonce l’historien britannique Eric Hobsbawm
(1989), comme moyen de diminuer le mécontentement des masses européennes »625.

Que ce soit avec l’Allemagne ou avec la France et l’Angleterre, le territoire colonisé est organisé dans la
perspective des Européens, c’est-à-dire en fonction de leur vision, de leurs intérêts et de leurs besoins, dans
une démarche radicale de supériorité culturelle et de domination raciale qui ne fait aucune concession aux
622 Paul Zang Zang, 2010, “La dégermanisation du Cameroun”, in Revue électronique internationale des sciences du langage Sudlangues, n°14,
déc.
623 Lire utilement aussi : Pierre Péan, 2010, Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, éd. Fayard, Paris.
624 Discours de Jules Ferry en faveur de l'expansion coloniale, devant la chambre des députés, le 28 juillet 1885.

Sango Mathias, 2013, in Le Cameroun dans les Relations internationales. Le Cameroun colonial.
625 Lire Eric J. Hobsbawm (1989) dans son très intéressant : L’ère des empires (1875-1914), éd. Fayard, Paris.

285
communautés indigènes (Achille Mbembe, 2010; Thierry Michalon, 1984). Il en sera particulièrement aussi de
l’administration de la terre et de l’exploitation de l’espace forestier (Samuel Nguiffo, Paul Étienne Kenfack et
Nadine Mballa, 2009)626. Ghislain Fomou (2015) indique ainsi avec stupéfaction qu’« Avant l’adoption de la Loi
des forêts de 1994 [!], les communautés riveraines n’avaient aucun droit reconnu sur la forêt, même pas sur
les espaces exploités de manière traditionnelle pour leurs besoins élémentaires tels que se nourrir, se soigner
ou construire un logis. Elles ne pouvaient pas non plus se prévaloir d’être propriétaire d’un espace qu’elles
exploitaient pour vivre, même si elles y étaient depuis toujours. Ce qu’elles pouvaient à la rigueur récolter pour
leurs besoins de subsistance était les produits forestiers non ligneux »627.

626 Samuel Nguiffo, Pierre Étienne Kenfack et Nadine Mballa, 2009, “L’incidence des lois foncières historiques et modernes sur les droits fonciers des
communautés locales et autochtones du Cameroun”, in Les droits fonciers et les peuples des forêts d’Afrique Perspectives historiques,
juridiques et anthropologiques, Forest Peoples Programme, UK.
627 Ghislain Fomou, op. cit.

286
Carte 4 : Émergence coloniale et création artificielle de l’État du Cameroun

Légende : Comme c’est le cas de tous les autres États actuels d’Afrique, l’évolution des frontières du territoire
camerounais a généralement obéi aux changements des rapports géostratégiques entre les puissances européennes
coloniales [dans la logique que développe Pierre Péan dans son édifiant livre, “Carnages. Les guerres secrètes des
grandes puissances en Afrique” (éd. Fayard, Paris, 2010)]. Cette carte montre comment ce que les Européens ont
désigné comme le “Cameroun” a souvent changé –étant à la fois le Tchad, la République centrafricaine, le Congo, le
Gabon, la Guinée équatorial et le Nigéria actuels –selon que ces Européens étaient Allemands, Anglais ou Français.
Source : Atlas du Cameroun, Danielle Ben Yahmed et Nicole Houstin, 2010, éd. JeuneAfrique, Paris.

287
Comme on le voit, quelles qu’en soient les modalités apparentes et la diversité des stratagèmes utilisés, la
démarche de prise de possession coloniale des territoires africains va se déployer dans une violence radicale
(Edward Berenson, 2012, 2005) –pour le dire dans la pudeur scientifique, ainsi qu’il apparait dès le départ
avec le Discours colonial de Jules Ferry (1885)628, ou comme il se dégage des termes du Traité germano-
duala (1884) :
Nous, soussignés, rois et chefs indépendants du territoire nommé Cameroun, situé le long du
fleuve Cameroun, entre le fleuve Bimbia au Nord et Kwakwa au Sud, et jusqu’au 4 0 10’ de
latitude Nord, avons aujourd’hui au cours d’une assemblée tenue sur la Factorie allemande sur
le rivage du roi Akwa, volontairement décidé que :
Nous abandonnons totalement aujourd’hui nos droits concernant la souveraineté, la législation
et l’administration de notre territoire à MM. Édouard Schmitt agissant pour le compte de la firme
C. Woermann, et Johannes Voss, agissant pour le compte de la firme Jantzen & Thormälen,
tous deux à Hambourg et commerçant depuis deux années dans ce fleuve.
Nous avons transféré nos droits de souveraineté, de législation et d’administration de notre
territoire aux firmes susmentionnées, avec des réserves suivantes :
1- Le territoire ne peut être cédé à une tierce personne.
2- Tous les traités d’amitié et de commerce qui ont été conclus avec d’autres
Gouvernements étrangers doivent rester pleinement valables.
3- Les terrains cultivés par nous, et les emplacements sur lesquels se trouvent nos
villages doivent rester la propriété des possesseurs actuels et de leurs descendants.
4- Les péages doivent être payés annuellement comme par le passé aux rois et aux
chefs.
5- Pendant les premiers temps de l’établissement d’une administration ici, nos coutumes
locales et nos usages doivent être respectés
(Extrait du “Traité germano-duala” du 12 juillet 1884, in Engelbert Mveng, 1963, Histoire du
Cameroun, éd. Présence Africaine, Paris).

628 Op. cit.

288
13. Le régime colonial allemand
Décrivant la mécanique par laquelle les colons Européens vont finalement faire main basse sur les territoires
et les richesses au détriment des “Ententes” convenues avec les communautés indigènes, Charlotte Gisèle
Kounou Eloundou (2012) rappelle comment les Allemands ont procédé :
À la suite de la signature de ce traité considéré comme un “contrat d’aliénation au bénéfice
exclusif des firmes allemandes” (Blaise Alfred Ngando, 2002), la firme Woermann remit tous les
droits acquis à l’Empire allemand à travers la signature le 13 juillet 1884 d’une convention
légalisée par le Consul d’Allemagne au Gabon. Ainsi, le Commissaire impérial allemand déclara
les établissements Woermann et Jantzen & Thormälen sous la protection de l’Allemagne.
De nombreux autres traités commerciaux et d’amitié furent également conclus entre les
commerçants allemands et les chefs indigènes dans d’autres localités du Kamerun.
Dans les faits, la protection des établissements allemands se traduisit par la prise de possession
des territoires concernés ou non par les traités conclus et au mépris des réserves des chefs
indigènes. S’agissant du traité du 12 juillet 1884, ni la réserve sur la non-cession du territoire à
une tierce personne, ni celle sur la propriété des terrains cultivés et les emplacements des
villages des populations locales contenues dans ce traité ne furent respectées. Or ce dernier
stipulait bien que le territoire Duala nommé “Cameroun” ne peut être cédé à une tierce
personne. Mais cette réserve fut dès le lendemain transgressée avec la rétrocession des
acquisitions de la firme Woermann à l’Empire allemand qui décida d’assurer sa protection ainsi
que celle d’autres établissements allemands au Kamerun.
La pratique de la signature des “traités commerciaux et d’amitié entre les chefs indigènes et les
commerçants allemands n’était dans le fond qu’une ruse pour légitimer la colonisation de
l’ensemble du territoire convoité, en usant parfois de la force pour neutraliser les résistances, les
micro-nationalismes anti allemands et les révoltes indigènes face à la dépossession de leurs
ressources. En effet, les Allemands passèrent près de trente ans, sur les trente-deux années de
leur domination sur le Kamerun, à briser les résistances des populations locales (Richard
Joseph, 1986). L’un des exemples marquants des répressions allemandes face aux révoltes des
indigènes est la pendaison le 8 août 1914 de Rudolf Douala Manga Bell, chef supérieur et
meneur de la révolte des Douala contre l’expropriation de leurs terres.
C’est dans cette mouvance d’appropriation et de contrôle du territoire et de ses ressources, et
de domination de ses hommes que fut mise en place la politique forestière coloniale allemande
au Kamerun629.

C’est dans ce contexte dont on dirait qu’il est complètement kafkaïen pour les communautés indigènes, c’est
dans cette démarche toute entière arbitraire et violente de prise de possession coloniale et d’accaparement
que les terres et les espaces forestiers vont être désarticulées ou plutôt abstraits des liens existentiels et des
représentations que les communautés indigènes en avaient établis. Dans une perspective essentiellement
capitaliste et prébendière, les terres et les espaces forestiers sont qualifiés d’inoccupés ou de vacants et ravis
en tant que tels par la nouvelle autorité coloniale (S. Nguiffo, P.É. Kenfack & N. Mballa, 2009). En effet,

629 Op. cit.

289
relativement à l’infrastructure institutionnelle et juridique qui sera mise en place pour encadrer l’économie
forestière, Fabrice Parfait Oumba (2007) relève que :
Pendant l'époque coloniale au Cameroun comme au Congo, beaucoup de textes officiels se
rapportant aux activités forestières ont vu le jour mais il convient de noter que ces différents
textes mettaient plus d'accent sur l'utilisation des ressources ligneuses que sur la nécessité de
conservation ou de reforestation. En fait, il s'agissait essentiellement d'approvisionner autant
que possible, la métropole coloniale en matières premières sous formes de grumes et autres
[…]
À l'analyse, il apparaît que les textes se limitaient à règlementer les relations populations/forêts.
D'après certaines sources, ces premières législations sur les forêts et l’exploitation des
ressources forestières présentaient deux caractéristiques : non seulement les règles posées
visaient principalement l'exploitation du bois et non la protection des forêts, mais aussi elles
encourageaient l'exploitation forestière non durable. Et pour la rendre plus rémunératrice, les
mesures prises devaient être libérales630.

Avec les Allemands, l’élaboration de ce qu’il conviendrait d’appeler le premier Régime forestier se fait à partir
du contrôle total que les entreprises industrielles ont déjà sur les ressources. Des millions d’hectares de terres
sont occupés et affectés, certains pour la création des plantations agricoles, d’autres pour l’exploitation de
produits spéciaux tels que l’ébène, le caoutchouc et diverses espèces de bois d’œuvre. L’immense potentiel
économique de la forêt encourage l’Administration coloniale allemande à créer un Service forestier en 1909.
Ce processus d’institutionnalisation de l’économie forestière se poursuit en 1912 avec la mise en place d’un
cadre institutionnel minimal, celui-ci prendra prématurément fin avec la Grande guerre de 1914 et le départ
précipité du Cameroun où s’installent les deux vainqueurs que sont la Grande-Bretagne et la France.
Cependant, ainsi qu’on l’apprend de Sungkekang Mbatu (2006) ou Kouna Eloundou (2012) la gouvernance
coloniale allemande des forêts au Cameroun se détermine en trois piliers stratégiques essentiels :
l’appropriation de la forêt et son intégration dans le domaine de l’État, l’exclusion radicale des communautés
indigènes de la propriété foncière et l’interdiction de toute exploitation dans le domaine de l’État, le monopole
exclusif d’autorisation et de délivrance des permis d’exploitation, toutes choses qui lui permettent d’avoir le
contrôle total non seulement sur la rente forestière, et dans l’ensemble sur l’aménagement forestier. De
manière générale, la politique forestière coloniale allemande au Cameroun s’articule autour des orientations
suivantes :
− la définition des fonctions du service forestier;
− la création des réserves forestières;
− la délivrance et le contrôle des licences d’exploitation forestière;
− la détermination des conditions spécifiques de gratuité de l’exploitation forestière pour certains
propriétaires ou exploitants forestiers;

630 Op. cit.

290
− la délivrance des licences spéciales concernant les bois et les produits secondaires d’usage local;
− l’appel à la régénération forestière par les bénéficiaires des licences d’exploitation forestière;
− la détermination des règles de paiement des taxes et des redevances forestières;
− la constatation des infractions forestières par des agents forestiers assermentés;
− la définition et la classification des infractions forestières et des sanctions connexes.

En dépit de la création du Limbe Botanic Garden en 1892 destiné à la conservation de la biodiversité et à la


promotion de l’horticulture; malgré la mise en place en 1909 d’un Service de recherche botanique; et au-delà
de la définition de certaines normes générales de base auxquelles devait se référer l’exploitation du bois, ou
des recommandations qui appelaient les exploitants forestiers à la pratique de la régénération, etc., la
dimension écologique de la politique forestière coloniale allemande ne fut jamais déterminante et ne dépassa
guère le stade formel. C’est que, compte tenu de l’extraordinaire aubaine financier qu’elle représentait, la
production du bois cristallisa l’essentiel de l’économie forestière en constituant une importante source de
richesses pour l’Administration et les firmes coloniales (Kouna Eloundou, 2012; Sungkekang Mbatu, 2006).
C’est ainsi que pour la seule année 1913, près de 25.000 tonnes de bois furent extraites des forêts
camerounaises et exportées vers l’Europe, rapportant près d’un million de Deutsche Marks à l’Administration
coloniale allemande631. Ces valeurs relevées par Phil René Oyono (2006) et G. Lapie (1928) indiquent
l’importance majeure de l’exploitation forestière dans l’économie coloniale allemande en même temps qu’elles
suggèrent le caractère investi des rapports que l’Administration coloniale entretient avec les entreprises
industrielles (Sungkekang Mbatu, 2006).

À cette frénétique activité de production qui va se déployer de 1884 à 1911, les Allemands utilisent
essentiellement le travail forcé auquel ils soumettent systématiquement les populations africaines qui ne sont
pas complètement sorties de quatre siècles d’esclavage européen (Bwemba Bong, 2013; Klah Popo, 2010;
Achille Mbembe, 2010; Omotunde, 2008, Richard Sungkekang Mbatu, 2006; Richard Joseph, 1986; Georges
Courade, 1982 et 1980632; Alexandre Owona, 1973; Suret-Canale, 1980, 1973, 1962; Engelbert Mveng, 1963).
En effet, placées en permanence sous la menace de sanctions brutales, interdites de toute activité d’ampleur
dans le domaine forestier sous le prétexte qu’elles développent une utilisation anarchique de la forêt, les
communautés indigènes furent radicalement exclues de tout droit de regard, de tout avis et de toute

631 Nous n’avons pas consulté d’expert pour établir à quelles valeurs réelles et actuelles renvoient exactement les montants ainsi indiqués en Deutsch
Marks [l’ancienne monnaie allemande jusqu’à l’avènement de l’Euro, la monnaie commune de plusieurs États de l’Union européenne, en 2002], ni pour
cette époque-là, ni en comparaison avec le contexte d’aujourd’hui.
Il est cependant avéré que l’exploitation de la forêt fut compulsionnelle et les revenus très importants.
632 Georges Courade, 1982, “Marginalité volontaire ou imposée? Le cas des Bakweri du Mont Cameroun”, ORSTOM/IRD; 1980, “Les plantations

d'Unilever au Cameroun (Plantations Pamol du Cameroun Limited) ou la croissance d'une firme multinationale dans une région marginale”,
ORSTOM/IRD.

291
participation à l’économie forestière. Dès lors, les richesses tirées de l’exploitation de la forêt ne bénéficièrent
sous aucune forme aux communautés indigènes confrontées ainsi, au-delà de la légendaire violence physique
qu’elles subissaient systématiquement des colons Allemands, à l’inestimable violence de la privation, de la
spoliation et de l’aliénation (Mongo Beti & Odile Tobner, 1989; Franz Fanon, 1952). Selon Kouna Eloundou
(2012) : « Les différentes mesures d’interdiction et de restriction des activités des populations camerounaises
dans leurs forêts, de taxation des activités forestières, de délivrance des permis de chasse et d’exploitation
forestière seulement aux Européens capables de payer les taxes, mettaient automatiquement en infraction ces
populations exposées aux sanctions. Ces mesures entraînèrent également des contestations, des résistances
et des frustrations de ces populations systématiquement disqualifiées de l’exploitation forestière »633.

Mais quoiqu’elle constitua une niche économique substantielle, l’exploitation forestière se fît essentiellement
au détriment des communautés indigènes qui en subirent une déstabilisation totale ou systémique :
dégradation profonde de leur milieu de vie et déstructuration de leur cadre existentiel; aliénation radicale de
toute richesse issue de l’exploitation de leurs forêts; dégradation de leur santé et perturbation de leurs repères
d’équilibre et modes de vie consécutivement aux travaux forcés et à toutes les brutalités qui accompagnaient
le système (Mongo Beti & Odile Tobner, 1989)634. Les révoltes et les rébellions qu’en manifestèrent les
indigènes furent réprimées dans l’arbitraire et le sang, comme en témoigne –parmi de nombreux autres cas
(Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, 2016, 2011; Jean-Pierre Bat et Pascal Airault,
2016)635 –l’emblématique procès pénal de Duala Manga Bell et Ngosso Din dont il nous a semblé utile, pour
une information fondamentale exhaustive, de référer un extrait de la transcription originale en Annexes.

L’Allemagne quitta l’Afrique à la fin de la Grande guerre de 1914-1916. Entre 1922 et 1945, la Société des
nations (SDN) plaça les territoires “camerounais” sous le double mandat britannique et français. En 1945, le
mandat se changea en tutelle avec l’avènement de l’Organisation des nations unies (ONU), jusqu’à la
proclamation des indépendances en 1960 pour le Cameroun oriental (français), et en 1961 pour le Cameroun
occidental ou Southern Cameroons (Simon Nkén, 2014, 2010; Daniel Abwa, 2013, 2000; Jean-Claude

633 Op. cit.


634 Mongo Beti & Odile Tobner, op. cit.
635 Lire :

- Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, 2016 (avec la préface d’Achille Mbèmbè), La guerre du Cameroun : l’invention de la
Françafrique, éd. La Découverte, Paris; 2011, Kamerun! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948 - 1971), éd. La Découverte,
Paris.
- Jean-Pierre Bat et Pascal Airault, 2016, Françafrique : opérations secrètes et affaires d’État, éd. Tallandier, Paris.
- Antoine Glaser, 2016, Arrogant comme un français en Afrique, éd. Fayard, Paris; 2014, AfricaFrance. Quand les dirigeants africains
deviennent les maîtres du jeu, éd. Fayard, Paris.
- Stephen Smith & Antoine Glaser, 2008, Sarko en Afrique, éd. Plon, Paris; 2005, Comment la France a perdu l'Afrique, éd. Calmann-Lévy, Paris;
1997, Ces messieurs Afrique 2. Des réseaux aux lobbies, éd. Calmann-Lévy, Paris; 1994, Ces messieurs Afrique. Le Paris-Village du continent
noir, éd. Calmann-Lévy, Paris; 1993, L'Afrique sans Africains. Le rêve blanc du continent noir, éd. Stock, Paris.
Lire également : Thomas Deltombe, 2008, “Cameroun, il y a cinquante ans, l’assassinat de Ruben Um Nyobè”, in Le Monde diplomatique, édition du
13 septembre 2008 (https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-09-13-Cameroun).

292
Kanmogne-Tamuedjon, 2012; Franklin Eyelom, 2007; Jules Sansterre Nkarey, 2004; Victor Julius Ngoh, 2001;
Timothée Zogo, 1998; Martin Z. Njeuma, 1989; Victor T. Le Vine, 1984; A. Owona, 1973; E. Mveng, 1963)636.

636Lire :
- Simon, Nken, 2014, L’empreinte suspecte de Louis-Paul Aujoulat sur le Cameroun d’aujourd’hui, éd. K2Oteurs/Taméry, Paris; 2010, L'UPC de
la solidarité idéologique à la division stratégique. 1948-1962. Essai d’analyse historique, éd. Anibwe, Paris.
- Daniel Abwa, 2013, Cameroun : Histoire d'un nationalisme 1884-1961, éd. CLÉ/NENA, Yaoundé; 2000, Commissaires et Hauts-Commissaires
de la France au Cameroun (1916-1960). Ces hommes qui ont façonné politiquement le Cameroun, éd. Karthala, Paris.
- Jean-Claude Kanmogne-Tamuedjon, 2012, La colonisation et le Cameroun contemporain. Cinquante ans après l'Indépendance et la
réunification, L'Harmattan-Cameroun, Yaoundé
- Franklin Eyelom, 2007, L'impact de la Première Guerre mondiale sur le Cameroun, L'Harmattan, Paris
- Jules Sansterre Nkarey, 2004, Afrique. L'histoire entre le Cameroun anglophone et le Cameroun francophone. De 1472 à 2003, éd. Publibook,
Paris.
- Victor Julius Ngoh, 2001, Southern Cameroons 1922-1961. A Constitutional History (Contemporary Perspectives on Developing Societies), éd.
Ashgate Publishing Limited, London, UK; 1996, History of Cameroon since 1800, éd. Presbook, Limbe; 1987, Cameroon: 1884-1985. A Hundred
Years of History, éd. Navi-Group Publications.
- Timothée Zogo, 1998, Les grandes lignes de l'histoire du Cameroun de 1472 à nos jours, Direction des recherches et des publications, Yaoundé,
1998, 23 p.
- Martin Z. Njeuma, (sous la direction de), 1989, Histoire du Cameroun (XIXème siècle – début XXème siècle), éd. L’Harmattan, Paris.
- Victor T. Le Vine, 1984, Cameroun, du Mandat à l’Indépendance, éd. Présence Africaine, Paris; 1972, The Cameroon Federal Republic. Africa in
the Modern World, éd. Gwendolen M. Carter/Cornell University Press.
- Engelbert Mveng, 1963, Histoire du Cameroun, éd. Présence Africaine, Paris.
Lire également :
- Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, 2016 (avec la préface d’Achille Mbèmbè), op. cit.
Lire également : Thomas Deltombe, 2008, “Cameroun, il y a cinquante ans, l’assassinat de Ruben Um Nyobè”, in Le Monde diplomatique, édition du
13 septembre 2008 (https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-09-13-Cameroun).

293
14. Le régime colonial britannique
Comme le pressentit Rudolf Duala Manga Bell dans sa plaidoirie devant le juge allemand qui le condamna à
mort637, le rapport colonial que les Britanniques et les Français construisirent avec le territoire africain et les
communautés indigènes camerounaises ne fut pas foncièrement différent de celui des Allemands. En effet, si
les Français déployèrent immédiatement un mode centralisé d’administration, les Anglais donnèrent
l’impression, par le stratagème de l’Indirect Rule, de laisser aux indigènes la compétence de s’auto-
administrer. Mais en fin de compte, que ce soit du point de vue de la philosophie de l’histoire ou de l’évaluation
générale de l’expérience coloniale, l’administration indirecte par les Natives Authorities ne fut qu’une
entourloupe et un artifice de gouvernement, sans substance endogène ni impact collectif déterminant : toute
projection de la collectivité resta sous le contrôle des autorités coloniales britanniques; et l’éducation,
l’économie, la planification, le pouvoir, servirent exclusivement l’intérêt colonial (Daniel Abwa, 2013, 2000;
Michèle Fark-Grüninger, 1995; Suret-Canale, 1980, 1973, 1962).

Si l’acte colonial en soi contribua essentiellement à écrasement et par conséquent à l’incarcération systémique
définitive des communautés africaines –Kant parlerait de violence pure– (Harana Paré, 2017; Thomas
Deltombe et al, 2016, 2011; Jean-Pierre Bat & Pascal Airault, 2016; Bernard Lugan, 2015, 2011, 2006, 2003;
Simon Nkén, 2014; Pierre Péan, 2014, 2010, 2005, 1988, 1983; François Mattei, 2014; Charles Onana, 2013,
2011; Edward Berenson, 2012, 2005; Thomas Callaghy, 2011; Mubabinge Bilolo, 2011; Patrick Benquet,
2010; Patrick Pesnot & Monsieur X, 2008; Ismaël Aboubacar Yenikoye, 2007; Pierre Laniray, 2006; Boubacar
Boris Diop, Odile Tobner et François-Xavier Verschave, 2005; François-Xavier Verschave, 2005, 1998; Mongo
Beti & Odile Tobner, 1989; Jean Ziegler, 1985, 1978; Jean Suret-Canale, 1980; Franz Fanon, 2006, 1961,
1952; Mongo Beti, 1972; Ferdinand Oyono, 1956), leur portant ainsi un coup fatal, le caractère
particulièrement pernicieux de la colonisation britannique dans les territoires camerounais résida dans
l’ambiguïté de sa démarche : autant elle donna l’impression d’être indifférente, détachée ou plutôt négligente
notamment à l’égard de l’organisation traditionnelle ou coutumière des communautés indigènes, autant elle fût
essentiellement utilitariste638. L’adoption le 25 février 1925 de la “Land and Native Rights Ordinance”
aménagea même les conditions de la propriété foncière pour les indigènes. Mais la Grande-Bretagne imposa
la langue anglaise comme langue d’instruction et d’administration, et surtout, les rentes forestières et agricoles

637
Lire : Joel Kondo [avec la collaboration de Mbanga Eyombwan, David Ngum à Jemea, et Léopold Moumé-Etia], 2006/1994, Le procès du roi
Rudolf Duala Manga Bell, martyr de la liberté, éd. Imprimerie Saint-Paul, Yaoundé.
638 Reprenant Ibrahim Linjouom (2008) et Benjamin Singer (2008), Kouna Eloundou rapporte que « La gestion des terres restait entre les mains des

populations locales pendant que celle de la plupart des forêts était assurée par l’État colonial » (Op. cit.).

294
furent au bénéfice exclusif de l’Administration coloniale britannique (Dietrich Bandris, 1875639; Joanny Guillard,
2014640; I. Linjouom, 2008).

Autour de sa principale préoccupation stratégique qui fut la gestion exclusive de l’exploitation du bois d’œuvre
et le contrôle total de l’exploitation d’autres produits forestiers précieux, la politique forestière coloniale
britannique au Cameroun reposa de manière générale sur cinq orientations stratégiques, ainsi qu’il se dégage
de l’Ordonnance de 1938 portant préservation et contrôle des forêts :
− L’obligation des exploitants forestiers de planter sept arbres lorsqu’ils en abattaient un;
− L’acquisition des terres là où la destruction des forêts affectait la production forestière;
− L’instauration des formations itinérantes pour accélérer la mise en réserve des forêts;
− L’établissement des Native Authorities pour assurer le contrôle des terres et des forêts inoccupées;
− L’exigence qu’au moins 25% des forêts soient classées en réserves forestières.

C’est ainsi qu’entre 1935 et 1955, on vit la création de plusieurs aires protégées et réserves de conservation
dans les régions de Mokoko, Santchou, Barombi Mbo, Bambuko et Sud-Bakundu (C. G. Kouna Eloundou,
2012; Sungkekang Mbatu, 2006), dans une démarche non concertée avec les communautés indigènes dont
l’une des conséquences les plus immédiates sera la mise sous stress permanente et la déstabilisation de la
structure agricole et donc existentielle des communautés indigènes. Ivo Ngome (2006) relève ainsi que :
Les populations locales étaient très peu prises en compte dans le processus de création de ces
réserves par l’Administration coloniale britannique. Pour lui, une partie de la population dont les
terres avaient été confisquées et classées en réserves forestières était appelée à récolter
rapidement ses produits agricoles et à aller chercher des terres cultivables ailleurs. S’agissant
de la récolte du bois de chauffe et des produits forestiers non ligneux (plantes médicinales,
produits de cueillette) d’usage quotidien, ces populations avaient très peu de solutions
alternatives. Lorsque de nouveaux espaces étaient attribués à certaines, ceux-ci étaient soit
insuffisants pour satisfaire leurs besoins, soit mal délimités, avec des risques d’empiètement
des réserves forestières créées, soit sans titres de propriété pour ces populations.
De toute évidence, la politique forestière coloniale britannique semble avoir été socialement et
économiquement peu bénéfique pour les populations vivant auparavant à l’intérieur et autour de
ces forêts dont leur survie dépendait (cité par Kouna Eloundou, 2012)641.

639 Memorandum on the Forest Legislation proposed for British India, other than the Presidencies of Madras and Bombay, Dietrich Bandris,
1875.
640 Joanny GUILLARD, 2014, Au Service des forêts tropicales. Histoire des services forestiers français d’Outre-mer 1896-1960, Tome 1,

AgroParisTech, Nancy.
641 Ivo Ngome, 2006, “Land Tenure Systems and Protected Sites in SouthWest Cameroon. Effects on Livelihoods and Resources”, in AfricaFiles, vol.4,

n˚3, August 2006.


L’extrait cité ici ressort de l’interprétation que Charlotte Gisèle Kouna Eloundou (2012) fait dans sa thèse –à laquelle nous référons –des informations
produites par Ivo Ngome.

295
C’est ainsi que l’économie forestière coloniale britannique releva de la compétence exclusive de
l’Administration qui déploya une gestion essentiellement arbitraire de la forêt, sur le modèle de la législation
forestière coloniale britannique mise en œuvre vers la fin du XIXème siècle en Inde (Ibrahim Linjouom, 2008;
Benjamin Singer, 2008; D. Bandris, 1875), loin des intérêts, des besoins, des représentations et du rapport
existentiel avec les communautés indigènes.

296
15. Le régime colonial français
De tous les pays coloniaux ayant occupé le territoire camerounais, la France est celui dont l’empreinte est la
plus structurante. En fait, on peut affirmer que l’État moderne du Cameroun est aujourd’hui encore le résultat
immédiat du projet colonial français ou plus simplement, la marque de fabrique de la France (Thomas
Deltombe et al, 2016, 2011, 2008; Simon Nkén, 2014)642, avec toutes les implications dysfonctionnelles et
fâcheuses qui ont accompagné jusqu’ici la trajectoire du Cameroun. Le projet colonial de la France était total
et sans réserve. Fondée sur le triple prédicat de la supériorité raciale, de la domination culturelle et de
l’extension économique, la colonisation française en Afrique se donnait de dissoudre les communautés
indigènes, d’absorber les territorialités indigènes, afin d’émerger de nouvelles collectivités ou entités politiques
qui nourrissent la volonté de puissance et de grandeur impériale de la France sur tous les plans, culturel,
économique et géostratégique (Thomas Deltombe et al, 2016, 2011; Jean-Pierre Bat & Pascal Airault, 2016;
Simon Nkén, 2014; Pierre Péan, 2014, 2010, 2005, 1988, 1983; Patrick Pesnot & Monsieur X, 2008; Pierre
Laniray, 2006; Boubacar Boris Diop, Odile Tobner et François-Xavier Verschave, 2005; François-Xavier
Verschave, 2005; Mongo Beti & Odile Tobner, 1989; Mongo Beti, 1972; Ferdinand Oyono, 1956).

Identique dans les logiques fondamentales et les modalités de déploiement à celles de l’Allemagne et de la
Grande-Bretagne, la démarche coloniale de française à l’égard des ressources forestières camerounaises fût,
cependant, incomparablement plus étendue, contrairement à ce que suggère Marie-Claude Smouts (2001)
qui, parlant de la France comme de l’un des deux seuls pays industrialisés [avec l’Australie] à posséder une
fange relativement importante de forêts tropicales humides, notamment à travers ses démembrements sud-
américains de Martinique, Guadeloupe et Guyane. En insinuant en effet que « (…) La question reste ouverte
de savoir si la France et l’Australie ont à se vanter de la façon dont ils ont géré ce patrimoine naturel forestier
et peuvent donner des leçons aux pays en développement »643, la politologue tente de désimpliquer la France
ainsi que l’impact direct de la modernité capitaliste sur l’exploitation frénétique et le destin critique actuel des
forêts tropicales humides dans les pays en développement. Or, ainsi que nous le rappelons, et surtout tel qu’il
apparait dans le “Guide de la colonisation” appliqué par le Commissariat de la République française au
Cameroun, on lit cette exhortation surréaliste : « Les forêts du Cameroun couvrent environ quinze millions
d’hectares. Avec, ses deux milliards et demi de mètres cubes de bois sur pied, cette forêt offre une richesse
en bois vraiment magnifique. Cette richesse, il faut absolument qu’elle profite à la France. Chose curieuse, les
anciens occupants du Cameroun, si entrepreneurs furent-ils, avaient à peine commencé l’exploitation

642 À ce sujet les livres suivants s’avèrent très intéressants :


- Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, 2016 (avec la préface d’Achille Mbèmbè), op. cit.
Lire également : Thomas Deltombe, 2008, “Cameroun, il y a cinquante ans, l’assassinat de Ruben Um Nyobè”, in Le Monde diplomatique, édition du
13 septembre 2008 (https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-09-13-Cameroun).
- Simon Nkén, 2014, L’empreinte suspecte de Louis-Paul Aujoulat sur le Cameroun d’aujourd’hui, éd. K2Oteurs/Librairie Taméry, Paris.
643 Op. cit.

297
forestière. Ils n’exportaient encore, en 1913, que 11 290 tonnes d’une valeur de 870 000 francs, alors qu’au
Gabon sortaient plus de 150 000 tonnes de bois »644.

C’est ainsi que les Français déploieront une violence au moins identique à celle déployée par les Allemands,
en tout cas plus longue. C’est ce qui se dégage de cette énonciation de Charlotte Kouna Eloundou (2012)
notamment quand elle rappelle que :
L’application du système de prestations annuelles au domaine forestier consistait théoriquement
en la réquisition des populations indigènes et d’autres usagers riverains des forêts pour la
surveillance et la lutte contre les incendies de forêt ou les feux de brousse. Ces prestations
étaient censées être rétribuées si la surveillance devenait active (Art. 25). Toutefois, il est
vraisemblable que celles-ci n’aient pas été rétribuées –du moins à juste titre –et qu’elles aient
conduit à des réquisitions abusives de ces populations. Richard Joseph (1986) signale des cas
d’abus pratiques dans le cadre des prestations annuelles, d’une durée officielle de dix jours, à la
suite desquelles les fonctionnaires français conduisaient les hommes dans les plantations des
Européens ou dans les chantiers de chemins de fer pour de longues périodes (neuf mois).
Ntim (1956, cité par R. Joseph, 1986) souligne également “l’envoi sous escorte dans tous les
centres du Cameroun des centaines d’hommes, de tous âges, à la construction des voies
ferrées et au déboisement des forêts pour l’épanouissement agricole des colons”. Dans la
même vision, Jesse Ribot (2010) note la soumission des populations africaines par les Services
forestiers qui furent à la tête de la colonisation rurale. Pour Oxfam (1999), “l’exploitation
forestière est considérée historiquement comme ayant été au cœur de la relation coloniale
marquée par le travail forcé”. Le lien entre la construction du chemin de fer et l’exploitation
forestière s’explique par le fait que l’un favorisait le développement de l’autre, et vice versa.
En effet, l’exploitation forestière s’est vite développée dans les zones à proximité du chemin de
fer qui facilitait le transport du bois jusqu’aux grandes villes (port de Douala). Le régime forestier
(Arrêté du 21 septembre 1921) donnait la possibilité aux détenteurs de Permis de coupe
ordinaire sur une superficie de 2500 ha, d’obtenir une nouvelle coupe lorsqu’il avait établi cinq
km de voie ferrée. Concrètement, les exploitants forestiers bénéficiaires des Permis de coupe
ordinaire, pouvaient participer à la construction du chemin de fer et recevaient en retour une
coupe supplémentaire atteignant 2500 ha. Étant donné que les réquisitions des populations
indigènes pour la construction du chemin de fer étaient justifiées comme “service public”, il était
possible de retenir ces populations pour lutter contre les incendies de forêts et de les conduire
ensuite dans les chantiers d’exploitation forestière associés aux chantiers de construction de
chemin de fer645.

Dans une approche directe, autoritariste et centralisée –notamment au regard des pouvoirs pour le moins
étendus du Haut-commissaire (Blaise Alfred Ngando, 2002) et tel qu’il se dégage du Décret du 3 mai 1946
portant régime forestier au Cameroun –la France prit complètement possession du territoire et procéda
exhaustivement à son organisation. Elle édicta les institutions, mit en place divers mécanismes de contrôle
des populations, choisit les élites politiques et économiques, procédant ainsi à la structuration systémique de
ce qui devait devenir le contexte, l’univers et l’infrastructure social camerounais. La langue française sera

644 Charlotte Gisèle Kouna Eloundou, op. cit.


645 Op. cit.

298
imposée aux populations comme langue administrative et d’instruction. Pour invoquer une expérience
personnelle et intime en guise d’illustration, je dirais que jusqu’à mon jeune âge, il fut interdit de parler les
langues africaines à l’école, que l’on fut en salle de classe ou en dehors. Les autorités –dont il faut dire dans
ce contexte d’aliénation radicale qu’elles furent plutôt des auxiliaires coloniaux –allèrent jusqu’à nous
apprendre à chanter une chanson que nous chantions tous les matins après l’hymne national et dont l’une des
idées centrales dont je me rappelle encore exactement était « … car celui qui parle bassa646 sera puni! ».

De même, non seulement on commandera également aux populations de construire leurs villages et
habitations le long de routes créées essentiellement pour faciliter le transport des marchandises et le contrôle
des populations647, ou qu’on leur imposera une agriculture orientée vers les cultures de rente d’exportation,
mais les mêmes populations seront mobilisées aux travaux forcées et contraintes au paiement d’un impôt
forfaitaire immuable dit “de capitation” (Blaise Ngando, 2002648; Achille Mbembe, 1996649; Richard Joseph,
1986; Victor T. Levine, 1970650; etc.). Ici aussi, comme avec les Allemands et les Britanniques, la violence
intégrale de la colonisation va accentuer et parachever le délitement sociétal, la désagrégation structurelle et
la dissolution du corps social endogène indigène opérés avec les Traites esclavagistes des Africains (Franz
Fanon, 2006, 1961, 1952; Mongo Beti & Odile Tobner, 1989). À l’identification qu’elle établit de cette violence
dans la politique forestière coloniale française, Kouna Eloundou (2013) dit de cette violence intégrale :
qu’elle eût assurément des conséquences dramatiques sur les Camerounais […] Les
populations subirent d’autres abus liés à l’application du Statut de l’indigénat auquel elles furent
soumises. Introduit au Cameroun en 1924, l’indigénat était un régime disciplinaire spécial en
vigueur dans les colonies françaises d’Afrique équatoriale et occidentale; il fut appliqué aux
indigènes considérés alors comme sujets et portait sur la répression et la punition
(emprisonnement, amendes, châtiments corporels, etc.) par l’Administration coloniale, que ces
infractions fussent prévues ou non par le Code pénal ou par les Arrêtés de police651.

646 Le bassa est la langue africaine que l’on dirait nigéro-congolaise bantou, au même titre que le swahili par exemple. La locution considérée ici réfère
à la langue parlée par de nombreuses populations et communautés de l’actuel État du Cameroun. C’est la langue parlée à Édéa, ma région natale,
dans laquelle je fis toute ma scolarité pré-universitaire. Au besoin, lire entre autres :
- Bellnoun Momha et Meinrad P. Hebga, 2008, Dictionnaire bassa-français, L'Harmattan, Paris;
- Larry M. Hyman, 2003, “Basaá (A.43)”, in The Bantu Languages, éd. Derek Nurse & Gérard Philippson, Routledge, London, UK;
- Deborah Schmidt, 1994, “Phantom consonants in Basaa”, in Phonology 11;
et dans une perspective plus complète, la thèse de Oum Ndigi, 1997, Les basa du cameroun et l'antiquité pharaonique égypto-nubienne :
recherche historique et linguistique comparative sur leurs rapports culturels à la lumière de l'égyptologie, doctorat en linguistique, Université de
Lyon 2, France.
647 Cet élément emblématique de la violence coloniale totale, qui participe éminemment aussi du processus de désubstantialisation, de désorientation et

d’aliénation des communautés africaines, semble avoir particulièrement prospéré et fait tache d’huile. En effet, il est commun de constater aujourd’hui
encore dans les campagnes africaines la construction systématique des habitations à proximité de la route, indifféremment du niveau d’instruction ou du
confort matériel des gens. Cet élément symptomatique de la violence coloniale se déploie dans une démarche complètement fermée aux possibilités
d’aménagement qu’offrirait en l’occurrence l’exploitation d’espaces infiniment plus grands disponibles beaucoup plus loin de la route.
Lire aussi, parmi de nombreux autres : Ira Dworkin, 2006, “Booker T. Washington, l’Afrique et l’imaginaire politique noir américain”, Civilisations Revue
internationale d'anthropologie et de sciences humaines, vol. 55.
648 Blaise Alfred Ngando, 2002, La France au Cameroun 1916-1939. Colonialisme ou Mission Civilisatrice?, éd. L’Harmattan, Paris.
649 Achille Mbembe, 1996, La Naissance du maquis dans le Sud-Cameroun, 1920-1960. Histoire des usages de la raison en colonie, éd. Karthala,

Paris.
650 Victor T. Levine, 1970, Cameroun : du mandat à l’indépendance, éd. Nouveaux Horizons, Paris.
651 Op. cit.

299
C’est dans ce rapport colonial aux communautés indigènes que seront mises en place la politique foncière et
l’économie forestière, notamment à travers plusieurs textes dont l’hystérique cadence de succession (Adolphe
Obam, 2004) indiquait le désir primordial de contrôle total des ressources, dans une cynique démarche de
légitimation normative. Tour à tour, six textes majeurs seront édictés à la suite de l’Arrêté du 4 juin 1918
réglementant l’exploitation forestière au Cameroun et du Décret du 11 août 1920 sur le domaine foncier :
- L’Arrêté du 15 septembre 1921 fixant le régime forestier dans le Territoire du Cameroun;
- Le Décret de 8 mars 1926 fixant le régime forestier dans le Territoire du Cameroun;
- L’Arrêté du 5 octobre 1927 relatif au régime forestier au Cameroun;
- L’Arrêté du 11 juin 1935 fixant le régime forestier au Cameroun;
- Le Décret du 31 décembre 1936 portant réglementation de la chasse dans les principaux territoires
africains relevant du Ministère des colonies;
- Le Décret du 3 mai 1946 fixant le régime forestier au Cameroun.

L’une des approches les plus significatives de la violence coloniale ainsi que de la démarche capitaliste à
laquelle elle s’articulait se détermine dans la définition des conditions d’accès des indigènes aux ressources
forestières. Au-delà de l’édifiant exemple indonésien de la “Transmigration” qu’évoque Marie-Claude Smouts
(2001) dans son livre auquel nous référons abondamment, Charlotte G. Kouna Eloundou (2013) mentionne
également concernant le Cameroun, que « Parmi les différentes catégories de Permis d’exploitation qui
étaient délivrées, ceux spécifiquement réservés aux indigènes étaient les Permis de coupe d’arbre. Les
Permis de coupe d’arbre étaient délivrés par le chef du Service forestier sur avis des chefs de régions, pour
trois arbres au maximum pour la satisfaction “exclusive” des besoins collectifs ou personnel des indigènes.
Leur délivrance était soumise au paiement préalable d’une taxe d’abattage de 20 à 130 Francs par arbre,
calculée en fonction du type d’essence »652.

Au-delà des préoccupations somme toute marginales pour la conservation, il s’agissait essentiellement de
promouvoir l’exploitation forestière et l’industrie du bois d’œuvre, de servir les intérêts économiques ainsi que
les besoins de villégiature des colons, dans une démarche radicale d’apartheid qui devait nécessairement
passer par la définition et l’encadrement des droits d’usage des ressources forestières par les communautés
indigènes. Comme dans cet autre cas africain étudié par Nakanabo Diallo (2013) où le président du
Mozambique rappelle dans un discours prononcé en 1981 qu’« […] Au temps colonial la faune était réservée
au plaisir des gouvernants et de quelques privilégiés »653. Dans l’édifiant et intéressant tableau des faits que

652 Op. cit.


653 Rozenn Nakanabo Diallo, op. cit.

300
rappelle ci-après Kouna Eloundou (2012), il se dégage trois logiques qui soutendent la politique coloniale et
les institutions de gouvernement de l’économie forestière. La première est la logique d’exclusion des
communautés indigènes; la deuxième est la logique d’exploitation frénétique des ressources, et la dernière est
la logique de prévarication et de tricherie. La chercheure rappelle en effet que :
Moyennant une taxe d’abattage fixée par tête d’animal, le détenteur de ce permis pouvait tuer
en supplément trois éléphants, trois hippopotames, dix buffles, une girafe, deux mouflons, un
élan de Derby, six hippotragues, un bongo, un oryx, un addax, un grand koudou, trois
oryctéropes, six parpassas, deux situtongas, trois damans et cinq autruches. En somme, le
bénéficiaire du permis spécial de grande chasse pouvait tuer le double du nombre d’animaux
protégés autorisés pour la chasse. Il suffisait juste que les taxes d’abattage soient payées. En
effet, l’on peut se demander sur quelles bases le nombre d’animaux à abattre était fixé. D’autant
plus que, le Service de l’inspection des chasses souffrait d’une insuffisance de personnel et que
parmi les attributions du personnel de ce Service, ne figurait pas la réalisation des inventaires
de la richesse faunique, base logique de détermination du quota des espèces d’animaux à
chasser [Sans oublier cette précision que] “l’autorisation de port d’armes des indigènes, valant
pour eux le permis de chasser avec des armes non rayées et non utilisées pour le tir à balles,
ne comporte pas le droit de chasser les animaux protégés” (Art. 12).
[Et Kouna Eloundou de se demander :] Mais si l’autorisation de port d’armes des indigènes vaut
pour eux le permis de chasse, pourquoi n’ont-ils pas le même droit que les autres administrés,
de chasser les animaux protégés dont l’abattage est permis dans le cadre des permis spéciaux
de moyenne et grande chasse? Assurément, c’était encore une forme de discrimination établie
par l’Administration coloniale entre les Européens et les sujets indigènes654.

Comme avec les Allemands et les Britanniques, les terres déclarées “vacantes” et les espaces dits “sans
maitres” seront propriété de l’État. C’est ainsi que l’Administration coloniale française va s’approprier la forêt
dont elle va confier l’exploitation aux entreprises européennes de qui elle tirera de substantielles richesses
sous la forme de taxes, de redevances, de frais d’immatriculation et autres impôts divers (Jean Suret-Canale,
1964). Comme le relève Kouna Eloundou (2012) :
(…) Cet Arrêté reconnaissait aux populations “indigènes” les droits d’usage dans les bois et les
forêts du domaine national, uniquement pour la satisfaction des besoins collectifs ou individuels
pour l’habitation, l’habillement, l’alimentation, le chauffage et la fabrication d’objets et d’outils
(Article 23). Il leur autorisait l’exploitation commerciale des produits traditionnellement récoltés
tels que l’Elaeis guineensis (Palmier à huile), le Baillonella toxisperma (Moabi), l’lrvingia
gabonensis (Oba/andok), etc. Ces droits s’appliquaient également dans l’ensemble ou une
partie (cantonnements) des parcelles (lots) faisant l’objet de permis d’exploitation forestière.
L’Arrêté du 15 septembre 1921 stipulait en outre l’octroi de permis spéciaux d’exploitation
forestière aux indigènes autochtones. Ces permis spéciaux dénommés “Permis de chantier”
s’appliquaient sur des parcelles de 10 à 100 ha, pour une durée d’exploitation d’un an. Ils
étaient renouvelables d’année en année sur une période de dix ans, si le titulaire s’était
conformé aux règles d’exploitation forestière et s’il justifiait d’un minimum d’une tonne à l’hectare
de bois évacué au cours de l’année écoulée. Toutefois, les indigènes autochtones requérant
des permis de chantier devaient s’acquitter d’une redevance territoriale annuelle de 0,50
francs/ha et d’une taxe de contrôle de 2 francs par m3 de bois produit.

654 Op. cit.

301
Au vu des statistiques, très peu de Camerounais bénéficièrent de ces permis. Au 31 décembre
1922, seulement 3 permis, tous types confondus, pour une superficie de 5100 ha, furent
délivrés. En 1926, 61 permis d’exploitation forestière d’une superficie de 176 486 ha furent
délivrés. Sur les 176 486 ha, seulement 3486 (2%) représentaient des permis de chantiers
attribués aux autochtones (Camerounais). Le reste concernait les permis de coupe ordinaire
(138 000 ha : 78%) accordés aux Européens et aux indigènes d’autres colonies, et les permis
de coupe industrielle (34 000 ha : 19%) accordés uniquement aux Européens.
L’hypothèse explicative de la très faible détention des permis de chantier par les Camerounais
serait la faible demande de ces permis, du fait vraisemblablement des coûts relatifs à leur
délivrance et à leur exploitation, et/ou à cause du manque ou du peu d’informations sur l’accès à
ces permis.
Cet arrêté confirma aussi le monopole de l’exploitation forestière par les Européens
certainement mieux informés et disposant de plus de moyens financiers pour répondre aux
exigences administratives liées au métier. Il limitait par ailleurs, la possibilité d’exploitation légale
des forêts pour les Camerounais, aux petites superficies d’un maximum de 100 ha. Pourtant, les
Européens pouvaient bénéficier de plus de 50 fois 100 ha (5000 ha) et les indigènes d’autres
colonies de près de 2500 ha655.

Ce qu’il convient de retenir du régime colonial forestier français, c’est qu’ici aussi, les communautés indigènes
furent radicalement désarticulées de leurs territoires et espaces de vie, non seulement en tant qu’aliénation de
leur cadre existentiel mais essentiellement aussi, du point de vue de la collectivité politique coloniale, en tant
que citoyens hypothétiques, citoyens par défaut, contre-citoyens ou tout simplement non-citoyens. En effet,
quand le régime alléguait la possibilité de l’activité industrielle des communautés et acteurs indigènes, ce fût
systématiquement toujours sous la forme d’une sorte de prétexte, dans des conditions marginalisantes ou
clairement prohibitives. Kouna Eloundou (2012) note ainsi la constance dans laquelle le Régime forestier
colonial
interdisait [aux indigènes] d’abattre sans autorisation spéciale, les essences de bois dur tels que
l’ébène et les arbres à produits (Baillonella Toxisperma). Au total, les autochtones requérant les
Permis de chantier devaient assumer des charges financières plus importantes pour une
superficie maximale de 100 ha. Des charges qui n’étaient assurément pas à la portée des
Camerounais et qui les déclassaient de la course à l’exploitation forestière. Le Décret du 8 mars
1926 fixant le régime forestier sur tout le territoire du Cameroun, tout en favorisant l’expansion
de l’exploitation forestière, se caractérisait par la sévérité de la répression des infractions
forestières et par la discrimination envers les agents indigènes constatant les infractions. Cette
discrimination apparaît clairement dans les articles 52 et 53 de ce décret. [Ainsi par exemple :]
- Art. 52 : “Les procès-verbaux seront établis par les auteurs des constatations et signes par
eux… S’ils sont rédigés par les agents indigènes, ils seront affirmés dans les 15 jours de leur
clôture devant l’administrateur ou le fonctionnaire qui en fait fonction, soit au lieu du délit, soit à
celui de la résidence du délinquant”.
- Art. 53 : “Les procès-verbaux dressés par les agents ou préposés européens seront dispensés
de l’affirmation. Les procès-verbaux font foi jusqu’à inscription de faux des faits matériels
délictueux qu’ils constatent. Les procès-verbaux dressés par des préposés indigènes ne feront
foi que jusqu’à preuve du contraire”.

655 Op. cit.

302
Par ailleurs, les demandes d’inscription en faux non justifiées à l’encontre des agents ou
préposés européens donnaient ouverture à une réparation civile à titre de dommages intérêts
(Art. 55).
L’Arrêté du 3 octobre 1927 indique également le maintien d’une répression sévère des délits
forestiers, avec en toile de fond, la discrimination envers les agents forestiers “indigènes” dont
les procès-verbaux de constatation des infractions sont soumis à affirmation et ne font foi que
jusqu’à preuve du contraire. Cette discrimination se traduit aussi dans la recherche et la
poursuite des produits forestiers achetés frauduleusement. En effet, cette recherche et cette
poursuite supposées se faire jusque dans les lieux où les produits frauduleux ont été
transportés, ne pouvaient avoir lieu dans les maisons d’habitation des Européens que sur
autorisation expresse des propriétaires (Art. 68). Il apparaît bien que les contrevenants, selon
qu’ils étaient Européens ou indigènes, étaient traités différemment face à la répression. Il en
était de même pour les agents ou préposés européens et “indigènes” chargés de la constatation
des infractions forestières. Les premiers bénéficiaient de la confiance de l’administration
coloniale française dans l’exercice de leurs fonctions, alors que le travail des autres, bien
qu’assermentés, était mis en doute.
Les nouveautés de l’Arrêté du 3 octobre 1927 concernaient : l’intégration d’une nouvelle
catégorie de bénéficiaires des permis de chantier, la délimitation des zones d’application de ces
permis, les types de bois à abattre, et l’usage et la destination du bois produit. D’autres
nouvelles disposition se rapportaient à la diminution des conditions d’évacuation du bois des
permis de chantier à 0,5t/ha (au lieu d’une tonne à l’hectare comme ce fut le cas dans le passé),
à l’augmentation de la durée du permis de coupe ordinaire d’un an à cinq ans et à
l’augmentation du montant de cautionnement passant de 2500 à 10 000 francs. Outre cela, l’on
note l’augmentation du montant de la redevance territoriale annuelle à 2 francs/ha (au lieu d’un
franc à l’hectare) et le calcul de la taxe d’abattage par arbre sur pied pour un montant compris
entre 2 francs/m3 et 8 francs/m3 pour les permis de chantier. La modification du montant de la
taxe de repeuplement représentant 10% de la taxe d’abattage pour chaque coupe et la
détermination de la Caisse des domaines comme lieu de paiement des taxes d’abattage et de
repeuplement, sont également les nouveautés de l’Arrêté du 3 octobre 1927. Cet arrêté mettait
donc l’accent sur l’augmentation des recettes de l’État en taxant plus l’activité d’exploitation
forestière.
Cette forte taxation réduisait certainement, une fois de plus, les possibilités d’accès des
autochtones à la profession d’exploitation forestière, assurément au profit des exploitants
forestiers Européens. En outre, l’intégration des concessionnaires agricoles comme potentiels
bénéficiaires des permis de chantier constituait une concurrence pour les autochtones. Cette
dernière mesure peut s’expliquer par diverses raisons : la faible demande de permis de chantier
par les Camerounais, les demandes pressantes de permis d’exploitation des forêts par les
concessionnaires agricoles (des Européens en majorité), l’intention de l’administration coloniale
de disqualifier les autochtones de la course à l’exploitation forestière ou le désir de cette
administration de maximiser les recettes de l’État. De plus, les modifications apportées aux
permis de chantier rendaient probablement leur exploitation plus coûteuse et moins rentable
pour les bénéficiaires car ceux-ci devaient assumer pour de petites superficies, des charges
financières en perpétuelle augmentation. En outre, cette exploitation devait porter uniquement
sur des bois interdits à l’exportation et destinés à la satisfaction des besoins locaux en mobilier
et en charpenterie, et se cantonner dans des zones, vraisemblablement moins riches en
essences, à proximité des villages ou dans des concessions agricoles (Art. 14)656.

656 Op. cit.

303
C’est dans cette logique de spoliation et de dépossession tous azimut que le Décret colonial du 3 mai 1946
portant régime forestier au Cameroun raffermit radicalement la non-gratuité des droits d’exploitation et de
récolte des produits forestiers, en les étendant aux communautés indigènes qui se virent ainsi privées même
des droits d’usage. Charlotte Kouna Eloundou (2012) mentionne qu’ :
En effet, l’exercice des droits d’usage pour l’exploitation commerciale des produits secondaires
(rotins, bambous, fruits, écorces et autres plantes) traditionnellement récoltés à titre gratuit,
devint, contrairement aux textes antérieurs, passible du paiement d’une taxe domaniale. Selon
l’Article 79 de l’Arrêté du 26 septembre 1946 : “Les produits forestiers secondaires, qu’ils soient
récoltés en vertu d’un permis d’exploitation ou librement par les indigènes en vertu de leurs
droits d’usage sont passibles d’une taxe domaniale, fixée par arrêté du Haut-commissaire, après
délibération de l’Assemblée territoriale, et perçue à la sortie du territoire par le Service des
douanes”. Bien plus, l’exercice des droits d’usage pour la satisfaction des besoins collectifs ou
personnels des “indigènes” fut conditionné par le paiement en nature, en journées de travail
d’entretien et de surveillance des forêts, de participation à la lutte contre les incendies de forêts
ou de feu de brousse.
Par ailleurs, d’après le Décret du 3 mai 1946, les droits d’usage des indigènes pouvaient être
acquis par des particuliers qui avaient la possibilité d'obtenir pour une durée déterminée, des
Permis d'exploitation des produits secondaires traditionnellement récoltés par les collectivités
indigènes. Cette mesure était censée ne s’appliquer que lorsque les indigènes avaient renoncé
à l’exploitation de ces produits. Mais l’Arrêté du 26 septembre 1946 ne conditionnait pas
l’attribution aux particuliers des Permis d’exploitation des produits forestiers secondaires à la
renonciation de leur récolte par les indigènes. Cet Arrêté prévoyait l’attribution de Permis
d’exploitation commerciale de ces produits à toute personne requérante capable de payer la
Redevance annuelle et la Taxe domaniale (Art. 76, 78 et 79)657.

Au total, au moment où l’indépendance du Cameroun oriental ou sous-tutelle française est proclamée le 1er
janvier 1960, l’économie forestière est fermement établie, et les ressources forestières ont définitivement fait
l’objet d’une exploitation coloniale systématique dont la “méthodique” institutionnalisation avec l’Administration
coloniale française dégage cinq principales caractéristiques :
- La réduction progressive de l’exercice et de la non-gratuité des droits d’usage des populations
camerounaises dans les forêts qu’elles géraient avant la triple domination coloniale allemande,
britannique et française.
- Le contrôle exclusif de la gestion forestière par l’Administration coloniale française, avec pour
corollaire l’exclusion des populations indigènes assujetties à l’exécution des taches manuelles
auxquelles “l’Européen ne saurait, sans compromettre sa santé, se livrer” (Commissariat de la
République française au Cameroun, 1927).
- La disqualification des Camerounais de l’exploitation commerciale de leurs forêts, au profit des
Européens disposant de capitaux importants leur permettant d’obtenir des Permis d’exploitation
forestière et d’assurer les différentes charges financières y afférentes.

657 Op. cit.

304
- La discrimination établie, dans le cadre de la constatation et de la poursuite des infractions
forestières, entre les agents forestiers assermentés indigènes et les agents forestiers européens
bénéficiant de la confiance de l’Administration coloniale française.
- La discrimination appliquée pour l’abattage des animaux concernant les Permis spéciaux de
moyenne et de grande chasse. D’une part, les détenteurs de ces deux types de Permis de chasse
avaient le droit de tuer certains animaux protégés, contre le paiement d’une taxe d’abattage fixée par
tête d’animal. D’autre part, ce droit ne s’appliquait pas aux indigènes titulaires d’autorisation de port
d’armes, valant pourtant pour eux le Permis de chasser avec des armes non rayées et non utilisées
pour le tir à balles.
- La prépondérance des préoccupations économiques sur les préoccupations environnementales et
sociales. Des préoccupations économiques traduites par la taxation croissante des activités
d’exploitation des ressources forestières et fauniques (C. G. Kouna Eloundou, 2012).

À la proclamation des indépendances et longtemps au-delà, et aujourd’hui encore, l’économie forestière


semble ainsi présenter le parfait reflet de la Tragédie coloniale (Samir Amin, 2010)658. Que ce soit à travers la
spoliation et l’aliénation des communautés indigènes, ou que ce soit à travers la ponction frénétique de la forêt
par les agents du capitalisme, la logique de l’économie forestière avec les Allemands, les Britanniques et les
Français participe de cette définition –d’une inédite beauté et d’une profondeur conséquente, à la fois poétique
et tragique –qu’Achille Mbembe (2010) donne du fait colonial :
Le colonialisme fut loin d’être une fusée d’or. Statue géante devant laquelle, apeurées ou
fascinées, les multitudes venaient se prosterner, il dissimulait en réalité un énorme creux.
Carcasse de métal sertie de joyaux splendides, il participait par ailleurs de la Bête et du fumier.
Lent brasier dispersant partout ses panaches de fumée, il chercha longtemps à s’instituer à la
fois comme rite et comme évènement; comme parole, geste et sagesse, conte et mythe,
meurtre et accident. Et c’est en partie à cause de sa redoutable capacité de prolifération qu’il fit
tant trembler le présent de ceux qu’il s’était asservi, s’infiltrant jusque dans leurs songes,
remplissant leurs cauchemars les plus affreux, avant de leur arracher d’atroces lamentations.
La colonisation, quant à elle, ne fut pas qu’une simple technologie, ni un simple dispositif. Elle
ne fut pas qu’ambiguïtés. Elle fut aussi un complexe, un échafaudage de certitudes, les unes
plus illusoires que les autres : la puissance du faux. Complexe mouvant bien entendu, mais
aussi, et à bien des égards, échangeurs fixes et immobiles. Habitué à vaincre sans avoir raison,
elle exigea des colonisés non seulement qu’ils changent leurs raisons de vivre, mais aussi qu’ils
changent de raison, qu’ils deviennent des êtres en écart perpétuel. Et c’est en tant que telle que
le Chose et sa représentation suscitèrent la résistance de ceux qui vivaient sous son joug,

658« L’Afrique, dit Samir Amin, était et reste encore aujourd’hui, le “ventre mou”, la partie la plus vulnérable du système mondial. Et une partie
vulnérable du système mondial est condamnée par la logique même de ce système à être surexploitée. La surexploitation en Afrique, c’est
principalement le pillage des ressources naturelles du continent. C’est-à-dire que l’Afrique est utile pour le système mondial dans la mesure
où elle est une source de richesses naturelles assez fabuleuses. L’Afrique utile, c’est l’Afrique sans les Africains. Les peuples africains pour
le système mondial sont de trop. Ils ne font pas partie de cette frange des travailleurs, sauf les émigrés bien entendu, que l’on surexploite. Ce
qui est intéressant pour l’impérialisme, pour l’appeler par son nom contemporain, ce sont les ressources naturelles de l’Afrique »
Dans un entretien avec Christophe Champin de Radio France International, à l’occasion du “cinquantenaire des indépendances africaines” (émission
RFI du 8 mars 2010) : http://www.rfi.fr/afrique/20100308-samir-amin-le-systeme-mondial-est-grande-partie-responsable-echecs-africains .

305
provoquant indocilité, terreur et séduction à la fois, ainsi que, ici et là, quantités
d’insurrections659.

La dernière norme formellement coloniale régissant l’exploitation des ressources forestières dans le territoire
du Cameroun est française et date du 3 mai 1946. L’indépendance du Cameroun oriental ou sous tutelle
française sera proclamée le 1er janvier 1960. Cependant, il faut attendre 1973, avec l’Ordonnance [!] du 22 mai
fixant régime des forêts, pour voir émerger ce que l’on pourrait considérer comme l’orientation politique ou
juridique de l’économie forestière du Cameroun “souverain”. C’est le 27 novembre 1981 que la première Loi [!]
portant régime des forêts, de la faune et de la pêche est adoptée. Il en découle du point de vue de l’analyse
que s’il n’est pas utile de s’appesantir sur la nomenclature et la hiérarchie de ces trois normes auxquelles
s’intéresserait nécessairement la science juridique (le Décret en 1946, l’Ordonnance en 1973, la Loi en 1981),
il serait en revanche particulièrement important de relever qu’au regard du principe de la continuité
administrative –pour ne pas parler de continuité institutionnelle –et aussi curieux que cela puisse paraitre, c’est
bien le Décret [colonial] du 3 mai 1946 portant régime des forêts qui continua à être appliqué sinon jusqu’en
1981, soit 35 ans, du moins jusqu’en 1973, soit 13 ans, après l’indépendance [!].

En proposant une démarche d’analyse qui articule l’approche socio-historique au concept de contraintes
structurelles (historiques, paradigmatiques, interscalaires et contextuelles), la préoccupation de notre thèse est
d’identifier les logiques opératoires portées par les différents Régimes des forêts qui ont été pratiqués au
Cameroun depuis l’époque coloniale allemande jusqu’à la Réforme dite environnementale et participative de
1994. En l’occurrence, cette démarche d’analyse novatrice qui entre en rupture avec la tradition
fonctionnaliste ou intra-paradigmatique dans laquelle l’économie forestière camerounaise avait jusqu’ici été
étudiée nous amène à questionner les raisons qui expliquent que l’État “indépendant” et “souverain” ait
attendu aussi longtemps sur une matière et un secteur aussi important que la forêt pour définir sa propre
vision stratégique de la forêt et de l’économie forestière (Célestin Bomba, 1991). L’approche d’analyse socio-
historique et l’explication par le concept de contraintes structurelles permettent d’éclairer comment en dépit de
l’ouverture de l’activité industrielle forestière aux indigènes –devenus Camerounais ou citoyens de la
collectivité politique camerounaise avec l’Indépendance –ne fut jamais concluante. Il en résulte en effet qu’à
cause de la différenciation structurelle de départ qui plaçait la propriété des institutions, du pouvoir et du
capital aux mains des Européens, autrement dit à cause de la rupture paradigmatique manifestée par
l’irruption d’une modernité capitaliste dont les indigènes n’avaient jamais ni élaboré le projet, ni tenu les leviers
opérationnels. En effet, que ce soit l’organisation et les mécanismes opératoires, les banques et la mise à
disposition des financements, les machines et appareillages, ou que ce soit l’obligation de payer les taxes et

659 Achille Mbembe, 2010, op. cit.

306
autres redevances qui leur fut imposée, etc., toute la structure de l’économie forestière capitaliste et tout le
système de la production forestière industrielle échappaient complètement aux indigènes. Charlotte Kouna
Eloundou (2012) est amenée à constater qu’ :
En somme, comparativement aux textes coloniaux antérieurs, l’Ordonnance de 1973 donnait
aux Camerounais diverses possibilités d’accéder à l’exploitation commerciale des forêts. Cette
tendance était déjà observée dans le cadre de la politique coloniale forestière française où les
Permis temporaires d’exploitation forestière étaient accordés par Arrêté du Haut-commissaire de
la République française au Cameroun, pour des parcelles inférieures à 10 000 ha. Pour des lots
de 10 000 à 25 000 ha, les Permis d’exploitation étaient attribués par décret présidentiel, sur
rapport du Ministre de la France d’Outre-mer. La superficie maximale des lots détenus par une
personne ou une société ne pouvait excéder 50 000 ha à cette période, sauf pour le cas
d’installations industrielles nécessitant des superficies plus importantes.
Cette mesure exceptionnelle était, évidemment, favorable aux sociétés européennes qui,
seules, pouvaient détenir de grandes installations industrielles. Toutefois, en dehors des Permis
de coupe de bois de chauffage ou à charbon qui étaient délivrés à titre gratuit, les exploitants
forestiers nationaux devaient s’acquitter des charges financières afférentes à l’exploitation
forestière commerciale (taxes, redevances, droits d’exploitation). Ces charges financières
constituaient et constituent encore un des principaux obstacles d’accès à l’exploitation forestière
commerciale pour les Camerounais qui éprouvent des difficultés financières chroniques […]
Suivant l’Ordonnance du 22 mai 1973 fixant le régime forestier national du Cameroun,
l’attribution de chaque Licence ou de chaque coupe entrainait la perception d’une taxe
d’agrément. Pour les détenteurs de Licences, il était exigé la constitution d’un cautionnement
bancaire pour les Camerounais ou les sociétés dans lesquelles l’État ou les nationaux
détenaient au moins 51% des parts, ou d’un cautionnement versé au Trésor pour les sociétés
ou les particuliers étrangers (Art. 34). Une mesure de plus qui traitait distinctement les
exploitants nationaux et les exploitants étrangers, et qui montre que les différentes politiques
forestières appliquées au Cameroun à différentes époques de l’histoire et du statut du pays,
étaient taillées à la faveur des ressortissants de la puissance décideuse.
En effet, les administrations coloniales allemandes, britanniques et françaises établirent des
mesures ou politiques forestières favorables aux Européens pendant la période coloniale. Une
fois sa souveraineté retrouvée, l’administration camerounaise prit des mesures spéciales pour
promouvoir la profession d’exploitation forestière chez les Camerounais. Mais, compte tenu du
monopole de l’exploitation forestière par les Européens au Cameroun et des difficultés d’accès
aux capitaux pour les exploitants forestiers nationaux, ces mesures spéciales ne pouvaient pas
permettre de rattraper le retard accusé par ces exploitants660.

Ainsi, l’analyse de la réglementation de l’économie forestière au Cameroun, depuis les premières


réglementations allemandes jusqu’aux indépendances, établit un continuum structural par lequel les
communautés villageoises semblent avoir été primordialement exclues de la gestion de l’économie forestière.
Cette exclusion radicale des communautés indigènes de l’économie forestière est entérinée avec le Régime
colonial français qui consacre ce que Kouna Eloundou appelle “le monopole de l’exploitation des forêts du
Cameroun par les Européens”. Dès lors, nous affirmons du point de vue théorique [ou encore de la cohérence

660 Op. cit.

307
historico-structurelle (Gilles Gagné, 1992)661] que la marginalisation des communautés locales telle qu’elle est
manifestée dans la mise en œuvre du Régime forestier de 1994 n’est ni un fait spontané ni une émergence
imprévisible et accidentelle. Kouna Eloundou relève que :
L’exploitation des forêts du Cameroun était monopolisée par des Européens. Sur les 2 046 057
ha de superficies consacrées à l’exploitation forestière en 1947, les Européens en possédaient
1 982 662 ha (soit 97%), dont 1 050 000 ha détenus par quatre grandes sociétés : la Sociétés
des forêts tropicales (300 000 ha), les Compagnies françaises du Cameroun (250 000 ha), la
CIFA (250 000 ha) et la société “Les bois du Cameroun” (250 000 ha). La superficie possédée
par les Africains ne représentait que 3% (63 395 ha) de la superficie totale attribuée et exploitée.
Ce monopole fut décrié dans une pétition adressée à l’ONU par un représentant de la
population de la région de Kribi en ces termes :
“Les trois-quarts des forêts de notre région sont déjà absorbés par les colons… Cette population
malheureuse voit à son détriment ses forêts ravagées et disparaitre sans profit, pour les
compagnies de colons… Comme si personne n’existait dans cette région” (in Suret-Canale,
1964).
Le Décret du 3 mai 1946 précisait en outre la destination des revenus issus de l’exploitation du
domaine forestier. Ces revenus étaient affectés au budget local en compensation des dépenses
de gestion et de conservation qu’il était appelé à supporter (Art.2). Ce qui indique que les
populations indigènes ne bénéficiaient pas directement des retombées de l’exploitation de leurs
forêts. Des populations qui travaillaient parfois sans rémunération ou pour de faibles salaires et
étaient tenues de payer l’impôt de capitation représentant au moins la moitié des recettes du
budget local. Ainsi, pour un budget annuel de près de 16 000 000 Francs en 1923, près de
8 000 000 Francs662 des recettes provenaient de la taxe de capitation (Gouvernement français,
1923).
En effet, les revenus forestiers (taxes et redevances forestières, etc.), comme les autres
revenus issus des impôts (capitation) et de l’exploitation ou de la vente d’autres ressources
naturelles du Cameroun, devaient couvrir les propres dépenses du pays (colonie) et toutes les
dépenses faites par la métropole française, d’après la loi des Finances du 13 avril 1900 en
France, concernant les colonies et plus tard les pays sous mandat. Le Cameroun devait donc
subvenir à ses besoins uniquement à partir de ses ressources jusqu’au lendemain de la
Deuxième guerre mondiale, à l’instar de la prolongation du chemin de fer Douala-Yaoundé qui
fut réalisée sans aide “extérieure” (de la France métropolitaine) ni recours à l’emprunt.
Ainsi, tout le poids des investissements et les dépenses de fonctionnement faits avant 1946,
reposaient sur les populations indigènes obligées de payer l’impôt de capitation et assujetties au
travail forcé au nom du “service public”. Assurément, le recours au travail forcé permettait la
réalisation des économies par rapport au paiement des salaires aux forçats et le paiement de
l’impôt de capitation par les populations indigènes qui avaient pu percevoir un pseudo salaire663.

Il en découle que les communautés villageoises se trouvent ainsi comme totalement désarmées, autant du
point de vue intellectuel, devant un rapport différent essentiellement capitaliste, industriel et commercial à la
forêt, à l’espace, à la terre, et aux ressources forestières; que du point de vue citoyen, institutionnel et
politique, dans un système d’organisation et d’encadrement dont la conduite –qui relève essentiellement de la
compétence d’une sorte de coalition ou de caste d’acteurs étatiques et industriels –échappe complètement à
661 Gilles Gagné, 1992, “La théorie a-t-elle un avenir?”, in La revue du Mauss, 1er et 2ème trimestres 1992, n˚ 15/16, pages 43-57
662 Un calcul spécialisé est nécessaire pour estimer la valeur réelle de ces montants aujourd’hui…
663 Op. cit.

308
leur contrôle. Les communautés villageoises ne disposent pas des ressources qui leur permettraient de suivre
l’organisation et le fonctionnement de la collectivité politique : elles sont comme contraintes de regarder l’État
–qui ne s’articule à elles que comme alibi –de loin (Nlend V, 2007)664, c’est-à-dire sans aucune relation
historique de co-naissance ou de co-création, sans aucun rapport de filiation intellectuelle, et par conséquent
sans aucune capacité de participation et d’action citoyenne de leur part, sans aucune responsabilité ni
dépendance de la part de l’État; les communautés villageoises ne sont pas au courant de la Loi des forêts et
ne disposent pas des outils intellectuels et techniques leur permettant de s’articuler et d’agir sur le Régime
forestier. C’est dans ce contexte de gestion exclusive des affaires publiques et des ressources collectives
sous le mode des rentes patrimoniales, de prébendes et de trafics arbitraires de toutes sortes que se va se
développer ce que Bigombe Logo (2007) appelle “La construction de la figure d’élites productives dans la
demande et l’acquisition des espaces forestiers”. Pour le chercheur :
L’implication des élites dans la demande et l’acquisition des forêts communautaires et
communales et des zones d’intérêt cynégétique à gestion communautaire est considérable. Il
n’existe presque pas de dossiers d’attribution de ces espaces qui n’aient pas bénéficié, de
manière directe ou indirecte, de l’appui ou d’un quelconque soutien des élites. Dans leurs
trajectoires diverses, à savoir, des fonctionnaires retraités aux maires des communes rurales,
en passant par des élites scolarisées villageoises, toutes interviennent ou agissent, à différents
niveaux, pour faire aboutir les demandes des espaces forestiers décentralisés. Leur action porte
sur plusieurs répertoires, en l’occurrence, la prise d’initiative, la mobilisation communautaire, la
contribution financière, le montage intellectuel du dossier, directement ou avec l’appui des
techniciens, le démêlement des procédures administratives, le suivi des dossiers.
Dans ce cheminement, les élites se construisent et se donnent l’image d’agents productifs,
c’est-à-dire, de citoyens utiles qui travaillent pour le développement de leurs communautés. Les
élites se forgent l’image des “bâtisseurs”, de ceux qui impulsent, catalysent et canalisent les
initiatives de développement local. À titre d’exemple, les résultats de l’étude sur l’évolution des
forêts communautaires réalisée par la Coopération britannique et le Ministère de
l’environnement et des forêts, en avril 2004, montre qu’au moins 48% de forêts communautaires
bénéficient de l’appui financier des élites, toutes catégories confondues, dans leur processus
d’établissement et de développement.
À cet égard, Gabriel Tchuitcham écrit que “les premières expériences à propos des forêts
communautaires montrent que ce sont les élites locales, bien informées et possédant parfois de
solides appuis politiques ou jouissant d’un rang privilégié au sein de l’Administration, qui ont pris
les devants pour solliciter la création d’une forêt communautaire et en ont financé le processus,
dans la plupart des cas avec l’appui financier des opérateurs économiques. Certes, les ONG et
les projets ont progressivement investi le secteur, mais leurs interventions ne représentent que
40% des initiatives en décembre 2003 pour ce qui concerne le financement du processus
(MINEF, 2003). La grande majorité des forêts communautaires reste financée par les élites
locales qui mettent sur pied des instances locales de gestion figuratives”. Il en est de même
pour les forêts communales et les zones d’intérêt cynégétique à gestion communautaire dont les
initiatives d’établissement sont entreprises, respectivement, par les élites politiques municipales
et les élites villageoises, fonctionnaires retraités et personnes âgées disposant d’une influence
dans l’arène villageoise et avec lesquelles les services de développement sont en relation665.

664 Op. cit.


665 Patrice Bigombe Logo, 2007, op. cit.

309
Il découle clairement de cette documentation du contexte social camerounais, que l’émergence du
phénomène des élites-hérauts-et-héros que décrit parfaitement Bigombe Logo (2007) repose sur la disjonction
originaire fondamentale consécutive à l’émergence coloniale de la collectivité politique moderne de type
européen. C’est cette disjonction originaire irréductible qui va consacrer la rupture citoyenne de type structural
entre d’un côté l’État (l’institution étatique) moderne, et de l’autre les communautés indigènes (comme
éléments essentiels constitutifs de la population). Dès lors, devant cette situation quasi dantesque mais réelle
de communication bloquée ou impossible, l’émergence du phénomène des élites va se présenter comme
l’indispensable modalité de liaison ou de médiation permettant surtout au maillon le plus fort (le système
gouvernemental) de se déployer et d’étendre sa domination sur le maillon le moins adapté (les communautés
villageoises). Il en découle ce que Patrice Bigombe Logo (2007) va décrire comme le rôle contreproductif des
élites dans la gouvernance forestière : en effet, dans une sorte d’agencement scélérat et spécieux
essentiellement destiné à offrir les communautés locales à la légitimation formelle des orientations politiques
ou stratégiques collectives lancées par l’État, les élites qui ont la confiance des communautés villageoises –
dont il convient d’indiquer qu’elles sont généralement leurs communautés d’origine –vont plutôt s’enrichir
égoïstement sur leur dos, contribuant ainsi à la cristallisation de leur marginalisation.

Comme on le voit, la manifestation de dysfonctionnements structurels et de contradictions irréductibles depuis


les conditions de motivation des Réformes du début des années 1990 jusqu’à l’élaboration et la mise en
œuvre du Régime des forêts de 1994 qui en découle ne devraient apparaitre ni comme un phénomène
exceptionnel ni comme un évènement surprenant. Cependant, pour en arriver à cette évidence théorique, il
s’est avéré indispensable de développer une approche d’analyse originale qui rompe avec l’identification
fonctionnaliste des mécanismes dysfonctionnels divers qui se dégagent de la gouvernance forestière et la
description de la marginalisation des communautés villageoises, pour suivre la piste de la cohérence
structurelle de l’histoire qui constitue et enveloppe l’émergence de la collectivité politique camerounaise. C’est
dans une logique analogue que Gilles Gagné (1992) formula sa critique de la prise en otage des sciences
sociales par l’utilitarisme. Pour le théoricien :
[…] L'utilité d'une telle éthique est suspendue au respect de cette ligne, c'est-à-dire à la
décision qui consiste à faire du champ d'action éthique des décideurs un champ de recherche,
et au relus de subordonner cette recherche à une théorie générale de ce qui est pensé ici
comme “environnement global” de ce champ d'action, comme “société complexe” qui n'est
jamais que l'entour ténébreux de chacun des domaines d'intérêt pratique pris isolément.
Si on entend par théorie et par disciplines théoriques le fait que les sciences sociales visaient
toujours à comprendre la structure d'ensemble des rapports sociaux et le fait qu'elles
prétendaient du même coup que l'utilité des lumières ainsi acquises devait passer par leur
diffusion la plus large possible dans la société, alors il est clair que la multiplication
contemporaine, sur le mode professionnel, de savoirs locaux du social implique l'abandon du

310
projet théorique au profit de l'accumulation de modèles et de paradigmes qui n'ont pas à être
intégrés entre eux, qui d'ailleurs s'ignorent largement les uns les autres et ont donc le principe
de leur unité respective en dehors d'eux. En repoussant dans la société, c'est-à-dire dans la
complexité “naturelle” du social, la détermination de leurs frontières, elles s'obligent à procéder
à la rationalisation sectorielle de l'activité humaine sur la base d'une réification initiale qui atteint
tout le reste. Une telle attitude ne pose évidemment aucun problème en elle-même puisqu'elle
est l'attitude tout à fait commune et parfaitement légitime de quiconque s'occupe de quelque
chose de valable : il n'est pas nécessaire de viser une théorie de l'échange pour travailler à
améliorer le climat dans une prison, cela dût-il impliquer la prise de décision en contexte de
conflit de valeurs. Le problème qui nous intéresse ici tient donc uniquement au fait que tous ces
savoirs pratiques, patentés et accrédités du social, en se partageant cette substance sociale
telle qu'elle se présente elle-même, c'est-à-dire découpée en morceaux formellement
indépendants quant à leurs normes, quant à leur logique et quant à leurs problèmes, se
présentent ensemble comme développement du projet de connaissance de la société qu'ont
formulé les sciences sociales classiques; un tel développement rompt forcément avec la
conception de la théorie à laquelle ces sciences ont lié jadis leur destin.666

666 Gilles Gagné, 1992, “La théorie a-t-elle un avenir?”, in La revue du Mauss, 1er et 2ème trimestres 19992, n˚15/16, pages 43-57.

311
CHAPITRE V : CONDITIONS D’ÉMERGENCE DES RÉFORMES ET DU
PROCESSUS DE MISE EN PLACE DE LA LOI DES FORÊTS DE 1994
16. Biais fondamentaux à travers le déploiement des agendas économiques internationaux et l’agence des
institutions financières de Bretton Woods

En dehors des affirmations formulées par nos interlocuteurs des agences gouvernementales par où les
fonctionnaires interrogés prétendent que la maitrise des réformes forestières du début des années 1990 fût
tout entière sous le contrôle de l’État –dans une démarche qui participe comme nous le verrons plus loin des
contraintes structurelles contextuelles en même temps qu’elle s’inscrit dans le souci de conservation des
intérêts arbitraires politico-économiques prébendiers et néo-patrimoniaux établis (Bakker Nongni et Guillaume
Lescuyer, 2016)667, l’ensemble des données collectées aussi bien dans la littérature scientifique qu’auprès des
acteurs des organisations de la société civile et des communautés villageoises établissent sans ambiguïté une
causalité immédiate et directe entre l’action de la Banque mondiale à l’entrée, et la mise en place de réformes
forestières à la sortie. L’exigence ou le besoin de réforme du Régime d’exploitation des ressources forestières
au Cameroun au début des années 1990 procède non des acteurs nationaux, locaux ou indigènes, ni à partir
de la conscience que ces acteurs auraient eu de l’évolution interne des modes d’organisation politique et de
production économique propres à la collectivité politique camerounaise, non de l’aboutissement des
dynamiques sociales et des conditionnalités endogènes camerounaises, mais plutôt d’une motivation
entièrement exogène, fût-elle développée à partir des premières et avec la contribution individuelle de
quelques experts africains comme le défend désespérément Alain Karsenty (2016). Ainsi Jake Brunner &
François Ekoko (2000) rappellent pertinemment que :
L'histoire longue et compliquée du processus de réforme a donné plusieurs indications. Tout
d'abord, des clauses sur la forêt sont essentielles pour assurer le passage de lois et de décrets
clés, mais se sont révélées inefficaces pour faire appliquer des changements institutionnels
nécessaires à leur mise en place. Le MINEF n'est pas parvenu à participer effectivement au
processus de réforme à cause de sa faiblesse interne, de conflits d'intérêts et du manque de
soutien politique élevé. Pendant les négociations, la Banque Mondiale a demandé au ministère
des articles et des études politiques qu'il n'avait ni la capacité ni l'autorité de faire. Le résultat a
été un fossé de plus en plus important entre ce que la Banque Mondiale demandait et ce que le
ministère pouvait (ou voulait) donner. La Banque Mondiale voulait faire suivre les réformes
politiques avec un projet sur la forêt pour renforcer la capacité analytique du ministère. Il aurait
peut-être été plus efficace de combiner le dialogue politique avec un effort ciblé de la Banque
Mondiale pour que le personnel se sente plus responsable et impliqué dans les réformes668.

667 Bakker Nongni et Guillaume Lescuyer, 2016, “La réforme de la Loi forestière camerounaise. Un processus de concertation en forme de double
spirale”, in Buttoud et Nguinguiri, 2016, La gestion inclusive des forêts d’Afrique centrale : passer de la participation au partage des pouvoirs,
éd. FAO/CIFOR, Libreville/Bogor.
668 Op. cit.

312
Marie-Claude Smouts (2001) indique clairement que la motivation lointaine des réformes forestières qui se
déploient au Cameroun au début des années 1990 s’enracine au milieu des années 1970, notamment à partir
de l’inquiétude que les États-Unis et plusieurs pays de l’Union européenne formulent devant les informations
de plus en plus alarmantes sur les risques planétaires liés à la disparition galopante des forêts tropicales.
C’est cette préoccupation primordiale qui va définitivement donner lieu à une dynamique véritablement
internationale coordonnée à partir des années 1980 autour du Programme alimentaire mondial et avec le
FAO, à laquelle participent également le gouvernement des États-Unis, le Programme des Nations-Unies pour
l’environnement (PNUE), la Banque mondiale et le World Resources Institute, le Fonds mondial pour la nature
(WWF), l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), etc. Comme le relève Smouts (2001) :
L’objectif premier plus ou moins avoué du Plan d’action forestier tropical [PAFT] qui est élaboré
était de fournir un cadre dans lequel renforcer l’action internationale dans le secteur forestier
des pays tropicaux, en augmentant les financements et les investissements. Les pays
européens, principaux fournisseurs d’aide, en faisaient grand cas. La communauté des bailleurs
de fonds utilisait le PAFT comme cadre de référence dans sa politique de répartition des aides
multilatérales et bilatérales. Dès lors, l’aide extérieure annuelle allant au secteur forestier
tropical doubla entre 1985 et 1990, ce qui témoignait du large soutien international dont
bénéficiait le PAFT. C’est ainsi que plus de soixante-dix pays tropicaux à l’exception du Brésil
acceptèrent d’être des partenaires actifs du Plan et manifestèrent leur intention de s’engager
dans l’élaboration de Plans d’action forestiers nationaux, sortes d’application aux différents États
du schéma général669.

Mais, le PAFT –que Marie-Claude Smouts (2001) qualifie de production “techno-bureaucratique” –ne fût lui-
même qu’une étape médiane dans le processus d’internationalisation des risques liés à l’exploitation des
forêts tropicales ainsi qu’à la mondialisation de leur prise en charge. Dans ce processus que Smouts divise en
trois étapes, l’analyste relève que :
[…] C’est seulement dans le troisième temps que les grands pays forestiers entrèrent en lice
pour tenter de reprendre la main et de faire respecter une souveraineté sérieusement
malmenée. À la veille de Rio 1992, la mêlée était générale […] Le PAFT ne fut pas le seul
faisceau de l’action environnementale concernant les forêts tropicales. Dans les années 1980,
quantités d’autres initiatives ont été soutenues par différentes organisations, privées et
publiques, dans l’idée de concilier le développement privé et la lutte contre le déboisement :
stratégies de conservation avec l’UICN, les Plans nationaux d’action environnementale avec la
Banque mondiale, les Plans directeurs forestiers avec la Banque africaine de développement,
les Projets d’aménagement des ressources forestières avec la Banque mondiale, etc. Tous ces
projets avaient en commun d’être dirigés depuis le haut, dominés par les experts étrangers et
les agences de développement et d’imposer une traduction des enjeux à laquelle n’avaient
participé ni les communautés locales, ni les peuples indigènes, ni les paysans, bref aucun de
ceux dont ils allaient bouleverser les conditions de vie […] Et tant que les experts, les
fonctionnaires internationaux et les ONG du Nord restèrent les médiateurs exclusifs entre la
forêt tropicale et la scène internationale, la défense des forêts pluviales pouvait passer pour une

669 Op. cit.

313
préoccupation de pays riches, mus par une classe moyenne urbaine rêvant de paradis
perdus670.

En effet, au bout d’une première dynamique peu concluante construite sur le Plan/Programme d’action
forestier tropical (PAFT) et coordonnée par la FAO, la Banque mondiale va se présenter comme le héraut de
la préoccupation internationale de contrôle de l’exploitation des forêts tropicales671. Sur cette dimension qui est
au centre de son analyse de la problématique forestière, Marie-Claude Smouts (2001) relève que :
La préoccupation de la déforestation de la forêt tropicale a émergé à la fin des années 1980
comme l’un des problèmes environnementaux les plus critiques pour la communauté
internationale. Que la dégradation des forêts tropicales humides compromette les possibilités de
développement, exacerbe les tensions sociales, détruise les cultures indigènes, c’était bien sûr
regrettable pour les populations concernées et la morale internationale, mais restait du ressort
des ONG et des agences spécialisées de l’ONU. Qu’elle puisse avoir des conséquences
catastrophiques sur la biodiversité, et surtout, qu’elle contribue au changement climatique à
l’échelle mondiale, cela méritait que les États les plus riches s’en soucient et que soient mis au
point les outils de mesure et de détection permettant d’évaluer précisément la menace […] Ce
fut la Banque mondiale qui s’affirma et devint le lieu de pouvoir et d’expertise dominant. Au
début des années 2000, presque tous les pays tropicaux étaient dans les Plans nationaux, sous
la haute surveillance de la Banque, et des ONG qui travaillent avec elle672.

670 Op. cit.


671 Marie-Claude Smouts complète en indiquant qu’il s’agit d’: « Organisations que l’histoire et des cultures institutionnelles mettent pourtant en
compétition, l’OIBT et la FAO sont en rivalité feutrée, tandis que la Banque mondiale est, pour tous les acteurs du système forestier mondial, le
partenaire à la fois incontournable et dénigré » (op. cit., 2001).
672 Op. cit.

314
17. La motivation économico-financière des réformes forestières des années 1990
En réalité, l’engagement au premier rang de la Banque mondiale dans la planification et la conduite de la
question environnementale et forestière à l’échelle globale reposait sur le levier financier ainsi que sur
l’infrastructure internationale de la dépendance. Il s’agissait en l’occurrence, dans le cas des pays forestiers
tropicaux comme le Cameroun, de résorber les implications de la crise économique notamment en rapport
avec les capacités de l’État à satisfaire les exigences de paiement de la dette contractée et entretenue auprès
du système international du financement du “développement” (A. Karsenty, 2016, 2002; D. Brown, 2002;
Brunner & F. Ekoko, 2000). La définition des modalités de mobilisation des financements devait favoriser
incidemment l’articulation des politiques publiques aux exigences environnementales nouvelles ainsi qu’aux
engagements internationaux pris pour le développement durable notamment lors du Sommet de la Terre de
Rio 1992. M.-C. Smouts (2001) est formelle :
Jusqu’à la fin des années 1980, la Banque mondiale était surtout la cible des associations de
défense de l’environnement. Celles-ci lui reprochaient de s’être engagée dans la logique
d’ajustement structurel initiée par le FMI et de contribuer ainsi à la fragilisation des systèmes
sociaux des pays en développement et à l’augmentation de la dette. Les associations de
défense de l’environnement reprochèrent également à la Banque mondiale de pousser les pays
à augmenter leurs exportations et donc à tirer sur leurs ressources forestières673.

C’est cette logique qui aboutit à la mise en place au Cameroun d’un nouveau Régime des forêts et de la faune
dès janvier 1994.

Pour être l’un des spécialistes les plus reconnus de l’économie forestière au Cameroun, Alain Karsenty (2016)
présente ici les indications qui rendent authentiquement compte de l’infrastructure sur laquelle les réformes
forestières arrivent au Cameroun. Selon le chercheur français :
The forest policy advice of the World Bank to the government of Cameroon was formulated in
the context of the 1987 Tropical Forestry Action Plan, the 1989 review of the agricultural sector,
and subsequent Country Assistance Strategies. The preferred delivery instrument was a
policybased lending program that started in 1989 […] The reform in Cameroon was prepared in
the early 1990s by a mixed team composed of high profile officials from various ministries, World
Bank staff, and consultants. An important document on forest policy was published in 1992 by
the Cameroonian government. It summed up one year of discussions by the mixed team, and
set out much of the content of the 1994 forestry law. This law, thus, was not “imposed” by the
World Bank on the Cameroonian government, as is often believed. But the small number of
Cameroonian civil servants involved in the process suggests that the “ownership” of the process
was too limited. Ekoko and Brunner (2000) mentioned the absence of implication of the
Parliament’s Representatives which eventually led to the Parliament’s eliminating a number of
items previously agreed upon with the Bank and adopting unwelcome (from the World Bank and
the Government’s perspective) amendments to the Forestry Law (such as the introduction of a
log export ban). Local NGOs, although mentioned as major stakeholders in the World Bank

673 Op. cit.

315
policy documents, did not participate in the discussions, and no real efforts were made to
explain the orientations afterwards: The Bank staff was perhaps convinced they would welcome
the Bank’s effort to promote better governance, community forestry and a better fiscal system in
a way that would benefit the local councils and the communities. Cameroon has been a
laboratory for introducing an auction system for forest permits that is unique in tropical
forestry674.

À la suite de Marie-Claude Smouts (2001), l’économiste forestier prend le soin d’indiquer la procession
originaire du rôle et de l’action déterminants de la Banque mondiale dans les réformes forestières
camerounaises, notamment en rappelant leur articulation structurale à la dynamique internationale
commencée dans les années 1980 avec le FAO et le Programme d’action forestier tropical, dynamique à
laquelle l’on ne saurait oublier d’associer [l’environnementalisme véhiculé dans] la légende de Chico Mendès
et le drame des Pygmées et autres peuples indigènes, tels que racontée par les médias (M.C. Smouts, op.cit.,
2001). La relation que Karsenty fait ici de l’origine et des conditions d’émergence des réformes ayant abouti à
la mise en place de la Loi des forêts de 1994, est la plus précise et la plus détaillée de toutes celles qu’il nous
a été donné de recueillir jusqu’ici. Aussi est-ce à ce tableau que réfèrent également Brunner & Ekoko (2000)
ainsi que tous les autres auteurs quand il s’agit de dire l’origine et le contexte des réformes forestières de la fin
des années 1980 au Cameroun675.

De même, il résulte de l’examen de l’économie forestière au Cameroun pendant la période coloniale, et de la


période coloniale –dont on dirait dans le formalisme de l’histoire officielle ou dominante qu’elle s’achève avec
l’indépendance en 1960 –jusqu’à la fin des années 1980, que les éléments de fait/les conditions objectives qui
se dégagent de la situation de cette époque établissent la même structure riscogène que celle au prétexte de
laquelle la Banque mondiale et l’environnementalisme globalisant présentent la nécessité des Réformes
forestières au Cameroun au début des années 1990. Du point de vue écologique, non seulement aucune base
systématique (rigoureuse et exhaustive) d’inventaires des ressources biologiques n’existe au niveau national
comme au niveau des différentes régions, non seulement aucune étude d’impact environnemental n’est
exigée comme préalable à toute exploitation de l’espace naturel (Dieudonné Bitondo, 2005), mais l’exploitation
des ressources est aussi frénétique qu’arbitraire et dissolue, du fait de l’obsession des industriels européens

674Op. cit.
675En plus des premiers travaux cites, référer également à:
- Giuseppe Topa, Alain Karsenty, Carole Megevand and Laurent Debroux, 2009, The Rain Forests of Cameroon: Experience and Evidence from a
Decade of Reform, World Bank Publications, Washington;
- Vincent, Gibson & Boscolo, 2005, “The politics and economics of timber reforms in Cameroon”, World Bank Institute, World Resources Institute;
- Jake Brunner & François Ekoko, 2000, “La Réforme de la Politique Forestière au Cameroun: Enjeux, Bilan, Perspectives”, traduction de Benoît
Fontaine, World Ressources Institute;
- Jean-Christophe Carret, 2000, “La réforme de la fiscalité forestière au Cameroun. Débat politique et analyse économique”, in Bois et forêts des
Tropiques, n°264 (2);
- Boniface Essama Nssah & James J. Gockowski, 2000, Cameroon: Forest Sector Development in Difficult Political Economy, World Bank
Publications, Washington;
- Etc.

316
pour le gain, le profit et la rentabilité financière (Kouna Eloundou, 2012; Sungkekang Mbatu, 2006; Ivo Ngome,
2006; Marie-Claude Smouts, 2001), dans un environnement intellectuel et institutionnel de domination
coloniale européenne, de corruption généralisée des élites politiques, administratives et villageoises, dans
lequel se déploient toutes sortes de collusions et de loyautés arbitraires (Paolo O. Cerutti et al, 2013; Paolo O.
Cerutti & Guillaume Lescuyer, 2011; Pierre Titi Nwel, 2009, 1999; Paolo Omar Cerutti & Luca Tacconi, 2008;
Fabien Eboussi Boulaga & Valentin Siméon Zinga, 2002). Parfait Oumba (2007) regrette ainsi que :
« Malheureusement, il est à déplorer que les dispositions des codes forestiers relatives à l'aménagement et à
la réalisation des inventaires souffrent d'inapplication »676.

Et quand bien même des inventaires seraient préalablement réalisés, sur quelles préoccupations l’auraient-ils
été : pour la quantification du potentiel ligneux (préoccupation économico-financière)? Pour établir la structure
écosystémique et soupeser les impacts éventuels de l’exploitation industrielle du bois sur les divers équilibres
en présence (préoccupation écologique)? Ou pour articuler ces deux premières démarches en intégrant les
besoins et intérêts existentiels des communautés riveraines? Dans un contexte camerounais où l’État jacobin
et d’origine coloniale se déploie en rupture à l’égard des communautés indigènes ou villageoises et ne se sent
aucune obligation de responsabilité citoyenne vis-à-vis des populations ordinaires, où le système de
production des richesses –qui repose sur l’alliance entre le gouvernement et les industriels (Noam Chomsky,
2005, 1995) –porte sur un paradigme (l’aménagement forestier) essentiellement orienté sur l’extraction de la
matière ligneuse, il est évident que les inventaires partiels, approximatifs et très souvent formels qui existent
ont été effectués dans le souci de déterminer les volumes de bois exploitables et par conséquent d’exploiter
les arbres et essences commercialement intéressants, au détriment de la durabilité environnementale
(Guillaume Lescuyer et al, 2012). Sur la vacuité des inventaires allégués, et dans une démarche qui va
également établir l’inopérabilité de la dépendance systémique, Ngoumou Mbarga (2013) fournit un élément de
preuve aussi intéressant que tangible à travers l’analyse des conditions et modalités d’opérationnalisation des
inventaires comme exigence essentielle de durabilité :
L’inventaire d’aménagement préconisé dans les forêts communautaires est un inventaire multi-
ressources. Il se distingue de l’inventaire classique par la prise en compte des autres
ressources dont les produits forestiers non ligneux ou la faune lors de la prospection. D’après le
manuel, la prospection permet d’obtenir les informations sur la distribution des essences dans la
forêt, les zones marécageuses, les champs, les plantations et les jachères. Les normes
nationales d’inventaire recommandent que le sondage d’aménagement soit réalisé à un taux
minimum de 1% dans les unités forestières d’aménagement. Rappelons que le taux de sondage
lors de la prospection est un paramètre très important pour l’estimation de la ressource
disponible. En effet, la qualité de cette estimation dépend de l’application du taux de sondage
approprié, lors de la prospection.

676 Op.cit.

317
Dans le cadre des forêts communautaires, aucune indication n’est spécifiée concernant le taux
de sondage excepté l’indication que les layons d’inventaire devraient être distants de 200 à 250
m les uns des autres. Ce qui correspondrait plus ou moins à un taux de sondage de 8% en
inventoriant sur une bande de 10 m de part et d’autre du layon (PFC Dja, 2003). Ceci dit,
l’examen des plans simples de gestion des forêts communautaires étudiées montre que le taux
de sondage utilisé lors des inventaires était de 2% contrairement à celui de 8% indiqué de
manière implicite dans le manuel. La question qu’on peut alors se poser est celle de savoir
pourquoi le taux de 2% a été choisi dans ce contexte des forêts communautaires de Djoum. Est-
ce parce qu’il permettait la meilleure estimation du potentiel ligneux ou tout simplement parce
qu’il permettait le meilleur compromis en terme de coûts?
La comparaison des résultats bibliographiques avec l’analyse des résultats d’inventaire fournis
dans les plans simples de gestion des quatre forêts communautaires étudiées permet de dire
que le choix du taux de sondage de 2% pour l’estimation du potentiel ligneux est totalement
arbitraire. Ce taux est assez bas pour refléter le potentiel ligneux réel des forêts étudiées. Ni la
qualité de l’estimation du potentiel de la forêt, ni les coûts ne justifient son choix. Au contraire,
l’inventaire d’exploitation est réalisé en plein chaque année sur la parcelle à exploiter dans
chacune des forêts communautaires étudiées. Ce qui est de nature à générer davantage des
coûts (le déplacement chaque année des techniciens pour la même tâche) encore moins de
permettre une bonne vision à moyen terme (sur plusieurs années).
Par ailleurs, la répartition des arbres par classes de diamètre n’apparaît pas dans les tables. De
ce fait, l’évaluation de l’état du peuplement est quasiment impossible et ne permet, ni la
connaissance de la structure diamétrique des essences exploitables, ni le calcul du taux de
reconstitution comme le remarquait déjà Rossi (2008). En effet, le taux de sondage de 2%
appliqué à l’inventaire multi ressources d’aménagement pour l’élaboration du plan simple de
gestion, bien qu’étant exigeant techniquement, matériellement et financièrement (qualité des
prospecteurs, traitement informatique, boussoles, GPS, SIG) n’est finalement que peu efficace
comme outil d’aide à la décision. Comme le soulignent Julve, Vandenhaute, Vermeulen,
Castadot, Ekodeck & Delvint (2007), les structures à même d’effectuer le traitement poussé des
données d’inventaires permettant la détermination des diamètres minimaux d’aménagement
essence par essence et la délimitation de la forêt en parcelle iso-volume sont rares et
coûteuses.
L’administration forestière camerounaise n’ayant pas les moyens de contrôle de sa politique,
tolère le découpage des forêts communautaires en parcelles annuelles iso-surfaces. Pourtant
lesdites forêts communautaires présentent une hétérogénéité des espaces (présence des
champs, plantations, zones marécageuses…). Ce qui est une grave aberration677.

Le Rapport que Greenpeace International (2007) consacre à l’exploitation des forêts tropicales d’Afrique
permet de situer les conditions des dysfonctionnements ainsi établis :
Au Cameroun, indiquent les écologistes, c’est en 1994 que le nouveau Code forestier a été
adopté. Cette réforme figurait dans le programme d'ajustement structurel signé par le
gouvernement avec la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International. Les attentes
étaient immenses...
Légalement, la forêt appartient à l'État, non pas aux populations locales. C’est l’une des racines
de l'échec de la réforme forestière au Cameroun. Le plan de zonage provisoire des régions
forestières, établi en 1993, a été élaboré sans la participation de ces dernières. Ce plan reflétait
clairement la priorité du gouvernement et des bailleurs de fonds : tirer le maximum de revenus
de la production de bois et, dans une moindre mesure seulement, protéger la forêt (Hoare

677 Op. cit.

318
Alison, 2006). En réalité, les populations locales furent tout simplement expropriées de leurs
terres par l'État.
En 2007, alors que la plus grande partie de la forêt dite “productive” est allouée à l'exploitation
industrielle du bois, force est de constater que la contribution du secteur forestier à la réduction
de la pauvreté reste négligeable. Ce qui est appelé “aménagement forestier” au Cameroun
n'offre aucune garantie de durabilité et n'est en fait qu'une forme de destruction légalisée de la
forêt. Malgré les garde-fous mis en place, le manque de transparence, la corruption et l’impunité
continuent à caractériser le secteur678.

Ces éléments confirment les craintes formulées bien plus tôt au début des années 2000 quant aux
dysfonctionnements structurels qui empêchent la mise en œuvre optimale d’une politique forestière durable au
Cameroun : « Dans un contexte où la seule justification de l’exploitation industrielle du bois est sa rentabilité
économique pour l’État, dénonçait déjà à l’époque Samuel Nguiffo (2001), il y a lieu de s’interroger sur les
raisons de la persistance de la fréquence et de l’importance des pratiques illégales dans le secteur forestier au
Cameroun, et sur l’impunité qui les entoure. Il faut dire que les sommes en jeu sont parfois immenses, tout
comme le manque à gagner pour le trésor public »679.

En guise d’illustration, et dans une évaluation d’ensemble qui éclaire une dimension majeure de la structure
permanente à partir de laquelle les diverses incohérences et dysfonctionnements se manifestent
implacablement dans le déploiement du système de gestion de l’économie forestière, Greenpeace
International (2007) relève qu’ :
Au Cameroun, la loi oblige les sociétés forestières à faire un plan d'aménagement,
renouvelable, pour une période de quinze ans. Le résultat escompté était la promotion d'une
gestion durable des ressources forestières. Les entreprises disposent de trois ans à dater de
l'attribution de la concession pour préparer ce plan, mais cette obligation n'est pratiquement
jamais respectée. La plupart des concessionnaires exploitent la forêt sans s’appuyer sur un plan
approuvé par les autorités, souvent pour des durées allant bien au-delà des trois ans prévus par
la loi. Dans certains cas, les entreprises exploitent une grande partie de leur concession, puis
l'abandonnent avant même l'expiration de la période de trois ans. Plus de dix ans après les
premières attributions, un certain nombre de plans d'aménagement ont finalement reçu une
approbation ministérielle même si, dans de nombreux cas, les conventions définitives ne sont
toujours pas signées. Par ailleurs, dans les cas où les plans sont approuvés et mis en œuvre, la
durabilité n'est pas au rendez-vous : la législation forestière camerounaise autorise ouvertement
l'exploitation forestière non-durable. Il est par exemple parfaitement légal de ne pas prévoir de
mesures de gestion spécifiques concernant un certain nombre d'essences clés de la
concession. Les niveaux de récolte sont souvent basés sur des inventaires périmés. Pour de
nombreuses essences exploitées commercialement, les taux de reconstitution ne sont que de
50% (Vandenhaute & Heuse, 2006). Conséquences : même lorsque ces plans sont respectés,
de nombreuses essences sont surexploitées et la forêt se dégrade. Une étude récente effectuée
à la demande de l'agence de développent allemande GTZ recommande que tous les plans

678 Greenpeace International, 2007, “Réforme du secteur forestier : Échec au Cameroun, pillage annoncé en RDC”, in Bulletin de l’exploitation
industrielle des forêts tropicales, février 2007 (http://www.greenpeace.org/belgium/Global/belgium/report/2007/2/lecons-cameroun.pdf).
679 Samuel Nguiffo, 2001, “La chèvre broute où elle est attachée. Propos sur la gestion néo-patrimoniale du secteur forestier au Cameroun”. Texte

publié par Forest Monitor, Cambridge, UK (http://www.forestsmonitor.org/fr/reports/549968/549979).

319
d'aménagement soient revus afin de garantir une vraie durabilité. Une recommandation qui
risque de faire long feu...
Le Code forestier camerounais de 1994 a introduit un système d'appel d'offres public pour
l'attribution des concessions forestières et des permis de “ventes de coupe”. Chaque offre se
voit attribuer un score technique et économique, et le marché est adjugé par une Commission
interministérielle. Cette réforme était supposée favoriser une gestion forestière plus durable et
des taxes plus élevées. En réalité, les résultats du système d'appel d'offres relèvent plutôt de la
farce. En dépit des nouvelles procédures, de nombreuses irrégularités ont en effet été
commises. En 1996, le gouvernement camerounais a accordé sept concessions sans même
avoir recours à l'appel d'offres, en utilisant la bonne vieille procédure de gré à gré. Aujourd’hui,
quatre de ces concessions sont toujours exploitées par la même société et deux autres ont été
officiellement “transférées” en 2005. Parmi les vingt concessions attribuées en 1997, seules six
sont allées aux sociétés recommandées par la Commission et ayant introduit l'offre la plus
élevée (CIFOR, 2006). La plupart des autres ont été attribuées à des membres de l'élite
politique. La Commission interministérielle a régulièrement attribué des concessions à des
sociétés connues pour leurs activités illégales d'exploitation forestière à grande échelle. La
procédure d'attribution des concessions est clairement influencée par des officiels possédant
apparemment des liens avec des enchérisseurs (Behle, 2000).
En réaction à ces anomalies, la Banque Mondiale a recommandé des changements qu’elle a
imposés par le biais des conditionnalités incluses dans la troisième phase du programme
d'ajustement structurel. Parmi ces changements, figurait la nomination d'un “Observateur
indépendant” du processus d'attribution. Malheureusement, la présence d'un tel mécanisme est
restée sans effet sur l'ingérence politique et autres irrégularités flagrantes lors des appels
d'offres. Parmi les problèmes les plus fréquemment rapportés par l'Observateur indépendant
figurent la falsification de rapports techniques, le délit d’initiés et un manque généralisé de
confidentialité ayant pour conséquence des offres moins élevées.
Un autre élément-clé de la réforme du secteur forestier au Cameroun est l'augmentation de la
taxe de superficie forestière et sa répartition entre État (50%), communes (40%) et populations
riveraines (10%). Cette mesure faisait figure de pierre angulaire dans l'apport du secteur
forestier à la réduction de la pauvreté. Entre 2000 et 2005, environ 67 millions de dollars US ont
par conséquent été officiellement transmis aux Communes et Comités locaux chargés de la
gestion de ces fonds au bénéfice des communautés. Malheureusement, l'impact de ces
transferts financiers sur la réduction de la pauvreté est demeuré négligeable. La pauvreté dans
les zones d'exploitation forestières reste très élevée et les infrastructures de base (routes,
écoles, installations sanitaires) sont souvent dans un état pitoyable. La grande opacité entourant
la gestion de ces fonds fait que d’importantes sommes sont détournées ou mal dépensées,
mettant à mal les structures de pouvoir traditionnelles, exacerbant l'animosité entre les autorités
et les villageois, et causant des conflits liés à la propriété foncière (Fomété, 2001). Les audits
successifs confirment l'impact limité des revenus de l’exploitation forestière sur la démocratie
locale, les résultats économiques marginaux qui en découlent et les effets négatifs sur
l’aménagement durable (Bigombe Logo, 2003), alors que les détournements de fonds sont la
pratique dominante.
La volonté politique nécessaire pour réformer de manière radicale les pratiques actuelles fait
quant à elle toujours défaut. Le Code forestier camerounais prévoit la possibilité pour les
communautés d'obtenir et de gérer leurs propres forêts. La majorité de ces “forêts
communautaires” n'ont néanmoins pas apporté une réponse à la hauteur des résultats
escomptés, à savoir plus d'emplois et de revenus au niveau local, afin d'améliorer les conditions
de vie de l'ensemble de la communauté. Les procédures administratives sont lourdes et peu
adaptées aux capacités des communautés locales. Légalement, celles-ci ont des droits de
préemption pour exploiter certaines forêts des zones “non-permanentes” mais, en pratique, les

320
communautés sont rarement au courant de cette possibilité. Résultat : ces forêts sont souvent
cédées à des exploitants industriels sous la forme de ventes de coupe, qui détruisent la forêt en
un laps de temps record et sans bénéfices réels pour les communautés. Lorsque des
communautés sont parvenues à obtenir des forêts communautaires, les exploitants industriels
ont réussi à conclure dans la moitié des cas des accords avec les autorités et les chefs locaux
et abusé de ces forêts à des fins d'exploitation forestière industrielle (MINEF, 2003).
Les documents officiels relatifs au bois provenant de forêts communautaires ont également été
utilisés à grande échelle pour blanchir la coupe illégale. Des écarts considérables existent entre
la production de bois déclarée et les quantités qui pourraient être produites de manière réaliste
dans les forêts communautaires. Enfin, étant donné que les forêts communautaires ne peuvent
exister que dans la zone forestière “non permanente”, les communautés ont principalement
accès à des blocs forestiers déjà dégradés et moins productifs680.

C’est cet édifiant tableau –que l’on retrouve constamment chez Jake Brunner et & François Ekoko (2000) et
Guillaume Lescuyer (2005) et récemment bien établi par Paolo O. Cerutti et al (2013) ou Bakker Nongni &
Guillaume Lescuyer (2016) –qui nourrit et consolide l’opérationnalité des contraintes structurelles
paradigmatiques, interscalaires et contextuelles dans l’explication de la marginalisation chronique des
communautés villageoises dans les politiques publiques forestières au Cameroun. La constance de ces
données est établie par l’ensemble de la littérature spécialisée (scientifique et journalistique); elle a été
confortée par toutes les entrevues que nous avons eues avec les communautés villageoises ainsi que par nos
interlocuteurs des OSC/ONG et de la recherche. À titre d’exemple de chercheurs interrogés, nous
mentionnerons Patrice Bigombe Logo, Alain Karsenty et Symphorien Ongolo, respectivement politologue,
économiste et ingénieur forestier et politologue. Au regard de notre index bibliographique, Bigombe Logo,
Karsenty et Ongolo font partie des chercheurs auxquels nous référons souvent dans la présente thèse et dont
les travaux ont contribué à la documentation scientifique des politiques publiques forestières dans le Bassin du
Congo.

Il en est de même du point de vue économique : avec un tissu industriel quasi inexistant et des capacités
locales de transformation qui se trouvent au niveau le plus élémentaire, la quasi-totalité des ressources est
exportée à l’état brut au profit des économies européennes, et au détriment de l’économie locale qui se
contente de recettes fiscales minimales (Marta Fraticelli et al, 2012; P. Bigombe Logo, 1995, ; Phil R. Oyono,
2009, 2006; Alain Karsenty, 2005, 2000; Timothée Fomété, 2001; Jake Brunner & François Ekoko, 2000;
Jean-Christophe Carret, 2000; etc.). Le diagnostic ne change pas quand il s’agit de la dimension “sociale” par
où l’on évalue le statut citoyen, politique et existentiel des communautés villageoises ou riveraines : depuis
l’époque coloniale jusqu’à nos jours, elles assistent à la déstructuration et à la disparition de leur espace
[forestier] vital, sans en obtenir une compensation substantielle en termes de compétences citoyennes et

680 Op. cit.

321
politiques ou d’alternatives économiques majeures et durables (S. Ongolo, 2015; Paolo O. Cerutti et al, 2013;
Ngoumou Mbarga, 2013; Kouna Eloundou, 2012; Jérémie Mbairamadji, 2009; Phil René Oyono, 2009, 2006;
Parfait Oumba, 2007; Friede-Magloire Ngo Youmba Batana, 2007; Assembe Mvondo, 2006; Mikaël
Poissonnet & Guillaume Lescuyer, 2005; Antoine Lassagne, 2005; Elong Mbassi, 2003; David Brown &
Kathrin Schreckenberg, 2001; Adonis Milol, 1999; etc.). Pourtant, force est de constater qu’en dépit de ce
contexte tout entier riscogène et critique, le besoin de révolution de l’économie forestière au Cameroun ne
viendra pas de la perception endogène des multiples risques qu’avait jusque-là inspiré le système
d’exploitation de la forêt et des ressources forestières. F.P. Oumba (2007) relève que :
La prise de conscience des enjeux du Bassin du Congo s'est vraisemblablement accrue avec le
Sommet de la Terre de Rio en 1992. La pression exercée par les ONG et les bailleurs de fonds
internationaux a conduit les gouvernements à refondre leur cadre juridique et institutionnel, à se
doter d'un cadre d'actions cohérent (programmes nationaux de gestion environnementale, plans
d'actions forestiers nationaux, etc.), et adopter des instruments de planification de gestion et de
surveillance moderne. Le cas du Cameroun est un exemple concret, dans la mesure où, comme
le souligne Paul Dasse, “c'est aujourd'hui une constante que l'éveil de la conscience écologique
enclenché au Cameroun à l'occasion du sommet de Rio a remarquablement impulsé la mise en
œuvre nationale et même non conventionnel de l'environnement”. La participation du Cameroun
au Sommet de Rio a été une façon pour lui de repenser son droit de l'environnement, car au
lendemain de son retour de Rio, le Cameroun a pris de nouvelles initiatives en faveurs du
développement et de la protection de l'environnement681.

De même, une démarche d’analyse inversée –que nous développons à partir du discours plutôt conformiste
des acteurs gouvernementaux –permet également d’obtenir une caractérisation parfaitement exhaustive du
contexte à partir duquel se manifestent les divers dysfonctionnements [N.B. : Les annotations portées entre
crochets dans l’extrait sont de nous-mêmes. Il en est très souvent le cas dans plusieurs extraits. En l’espèce, il
s’agit de signaler ou de mettre en exergue les éléments qui présentent une incohérence irréductible
susceptible de remettre fondamentalement en question la validité théorique de l’analyse. À l’inverse, les
préoccupations ainsi suggérées tendent à conforter la validité de l’approche théorique que nous proposons].
Pour VNDG, l’un de nos interlocuteurs du Ministère de forêts :
Les relations du MINFOF avec tous les acteurs sont bonnes, productives et rassurantes, grâce
à un Ministre dynamique [Que pourrait-on dire devant cette affirmation, si ce n’est qu’il s’agit
d’une perception hallucinante, surréaliste et de mauvaise foi, tant elle est radicalement
contredite par toutes les informations, que ce soit celle qui proviennent de la littérature
scientifique ou celle que nous collectons directement sur le terrain? C’est cette disposition
d’esprit qui donne le ton et détermine la valeur argumentative de tous les autres éléments de la
réponse] Bien sûr qu’il y a toujours des brebis galeuses mais celles-ci ne sont plus une menace
de manière à remettre en cause les relations avec le MINFOF. Quelques réserves : les ONG
doivent être de même à assister/appuyer le MINFOF dans sa mission/politique et non grâce aux
critiques constructives et expertise complémentaire [?!] Les communautés doivent dénoncer des
mauvaises pratiques et ne pas se liguer contre le MINFOF qui en fait lutte pour la cause de

681 Op. cit.

322
celles-ci. Les exploitants forestiers doivent se faire des bénéfices mais doivent davantage se
rendre compte de la lourde responsabilité qui est la leur, gestion durable des forêts pendant au
moins 30 ans. Les administrations locales doivent renforcer les efforts de MINFOF en mettant à
la disposition de celui-ci les forces de maintien de l’ordre armées pour les missions de contrôle
et de patrouille. Les communes font de leur mieux mais manquent d’expertise, ils doivent se
faire assister par le MINFOF, ses partenaires et les ONG [6 fois, le discours du fonctionnaire se
formule sur le mode de “devoir”, autrement dit de ce qui est à accomplir. Pourquoi parler en
termes d’exigence hypothétique future, alors qu’il s’agit précisément sinon d’étayer la surréaliste
affirmation formulée dès le départ, du moins de décrire la situation actuelle et concrète des
choses?]
[De même, à la question “Qu’est-ce que la Révision du régime des forêts en cours va apporter à
la gouvernance forestière au Cameroun?”, notre interlocuteur parle d’] Un accès améliorée à la
ressource, la transformation locale des produits ligneux, une plus grande responsabilité des
acteurs vis-à-vis de leur rôle dans la gestion durable, la traçabilité des bois exploités, la
modernisation de la chaine d’approvisionnement, la transformation plus poussée du bois,
l’approvisionnement en bois légal local et export, une meilleure participation (sic)682.

Comme on le voit, ce propos qui est censé répondre à la question, “Si vous deviez qualifier les rapports entre
les différents acteurs impliqués dans la gouvernance forestière, que diriez-vous de leur qualité?” recoupe
parfaitement l’intellectualité opératoire à l’œuvre dans la collectivité politique camerounaise en même temps
qu’il rend parfaitement compte de la structure générale sur laquelle se sont construites et fonctionnent
l’identité et la personnalité de la société politique camerounaise. Il en découle que si son influence directe sur
l’explication générale est marginale ou quasi-nulle, les éléments significatifs qu’il mobilise ne permettent pas
moins de nourrir pleinement par défaut la validité des contraintes structurelles dans l’explication de la
marginalisation chronique des communautés locales dans le système de gestion de l’économie forestière au
Cameroun. En effet, une analyse détaillée du propos de VNDG qui synthétise parfaitement le tableau des
problèmes manifestés par la mise en œuvre de la gouvernance forestière au Cameroun permet de dégager
quelques cohérences structurelles :
- Il s’agit d’un propos formaliste et flatteur. En tant que cadre assumant des responsabilités dans
l’Administration publique, notre interlocuteur semble clairement vouloir protéger le système auquel il
s’identifie et dont il bénéficie de la structure du fonctionnement. Par ce discours complaisant et
démagogique auquel la hiérarchie sera sensible, il réaffirme sa solidarité et sa fidélité, s’aménageant
ainsi les conditions d’assurance de sa carrière individuelle.
- Par l’invocation du phénomène de la corruption comme d’un danger ou d’une menace qui
hypothèque profondément toute préoccupation d’efficacité ou de performance, il en atteste
involontairement la participation à l’opérationnalité des contraintes structurelles dans l’explication des
contradictions auxquelles la mise en œuvre des Réformes forestières des années 1990 est
confrontée.

682 Op. cit.

323
- Dans ce contexte dont il faut rappeler qu’il a été contraint à l’ouverture politique pluraliste par
l’évolution des dynamiques globales683, l’activité de plus en plus importante des ONG semble
délégitimer les prétentions enracinées de l’État et en fait des concurrents qui mettent à nu les
incompétences structurelles et systémiques donc souffre l’État. Pour reprendre Daniel Bourmaud
(1997) dont l’intuition cristallise parfaitement notre démarche théorique :
Quelque trente années d'indépendance ont conduit l'Afrique vers de nouveaux rivages où le
passé affleure à chaque instant. La politique africaine ne se laisse dévoiler qu'en opérant un
nécessaire retour vers les différentes couches qui, par sédimentation, constituent le substrat de
l'Histoire immédiate. Les structures précoloniales, la domination coloniale ont lourdement
façonné les systèmes politiques issus des indépendances. Aujourd'hui, les pesanteurs
autoritaires affectent directement les mutations en cours. Le pluralisme se fraye un chemin
hasardeux dans une épaisseur historique toujours présente, mais en permanence remodelée
par l'effet des conjonctures et des acteurs. Cultures, logiques sociales, économies, facteurs
internationaux s'entremêlent pour faire émerger une Afrique différenciée où le pire n'est pas
inéluctable684.

Le développement des OSC semble trahir une Administration publique qui se présente davantage comme un
outil de gestion/contrôle politique que comme l’instrument technique de facilitation des conditions de
viabilisation de la collectivité, de production et de mise à disposition des services aux populations. En guise
d’illustration, les OSC/ONG semblent gagner toute la légitimité collective du fait de leur activité concrète de
renforcement des capacités des communautés villageoises dans l’identification et la dénonciation de la
corruption, des transactions irrégulières de toutes sortes ainsi que les pratiques d’exploitation non-durables et
illégales. De même, ce sont les organisations de la société civile qui vont évoquer l’importance que revêt la
réalisation de la cartographie participative en amont du processus de définition des espaces d’exploitation et
d’affectation des concessions forestières, dans une démarche réellement inclusive et collaborative qui
assujettisse l’exploitation forestière aux exigences existentielles des communautés indigènes, autrement dit
aux usages divers que les communautés villageoises font de la forêt.
- Parfaitement représentatif des élites scolarisées dont nous avons indiqué plus tôt qu’elles sont
intellectuellement dépossédées de toute référence indigène propre et coupées des populations, le
fonctionnaire porte un regard supérieur, condescendant, abstrait et distant sur les populations
villageoises et de manière générale sur les catégories pauvres de la population. Ce rapport
intellectuel indique la fragmentation structurelle originaire qui caractérise la modernité politique
africaine. En effet, la faible considération qu’il semble en avoir suggère clairement que pour notre
interlocuteur, les communautés villageoises représentent sinon une sorte de cadet social du moins
un acteur citoyen au rabais dépourvu de toutes personnalité et compétences lui permettant de s’auto-

683 On invoque souvent la chute du Mur de Berlin et le Discours de la Baule…


684 Daniel Bourmaud, 1997, La politique en Afrique, éd. Montchrestien, Paris.

324
déterminer. C’est à partir d’ici qu’il devient de plus en plus évident que les communautés villageoises,
la société civile et tous les acteurs périphériques ont été absents de la dynamique des réformes
forestières des années 1990. La conduite des réformes par la Banque mondiale avec l’État participe
de la structuration historique de la collectivité politique et de la réalité efficace de l’époque, que ni le
caractère formel de l’ouverture pluraliste et des Réformes forestières portées par la Banque mondiale
et les dynamiques environnementalistes ne semblent avoir dissipé. On peut en effet affirmer que
dans la géographie politique de la fin des années 1980 au Cameroun, il n’y avait pas grand-chose en
dehors de l’État; c’est avec l’État que tout était possible, qu’il existait quelque chance de voir une
initiative institutionnelle, une innovation politico-économique ou un changement stratégique,
opérationnalisée, indépendamment de son amplitude.
- En revanche, contrairement au mépris suggéré à l’égard des communautés villageoises, le propos du
fonctionnaire révèle la haute estime que l’on a pour les investisseurs et acteurs industriels à qui l’on
ne semble même pas pouvoir exiger le respect scrupuleux des engagements environnementaux, et
auxquels on laisse la liberté de vouloir ou non satisfaire la contrepartie des investissements
socioéconomiques affectés à leur activité dans les communautés riveraines.
- Au-delà du constat qu’il établit des incompétences techniques et logistiques de l’Administration en
charge des forêts, notre interlocuteur semble se désespérer de l’esseulement institutionnel ou
organique du MINFOF qui se voit ainsi isolé et désarticulé des autres Administrations. Cette
dimension institutionnelle du contexte structurel de la collectivité politique camerounaise exprime
l’absence de cohérence et de vision stratégique d’ensemble, de même qu’il traduit l’inconsistance de
l’État en tant qu’institution centrale de cristallisation du projet collectif.
- Non seulement le regard porté sur les Communes rend compte de l’enracinement néo-patrimonial du
système de conduite des affaires publiques et du mode de gouvernement de la collectivité, c’est-à-
dire sans obligation citoyenne ni responsabilités vis-à-vis des populations, mais il confirme la gestion
cavalière des institutions et des affaires publiques, dans un contexte essentiellement caractérisé par
l’incohérence et reposant sur les dynamiques arbitraires des élites gouvernantes.

En effet, au-delà des allégations environnementalistes et démocratiques destinées à légitimer le déploiement


d’un Régime forestier dont il est établi qu’il n’a pas eu les impacts sociaux, économiques et écologiques
escomptés, autant Alain Karsenty (2016) confirme les conclusions auxquelles Ngoumou Mbarga (2013) et
Symphorien Ongolo (2015, 2013) étaient déjà arrivés sur l’échec des forêts communautaires en en parlant
comme d’une grande désillusion (“Community Forestry : The Great Disappointment”) : « Community forests in
Cameroon, which covered over 1.5 million ha in 2011 (Cuny, 2011), have been plagued by the “elite capture”

325
phenomenon, a phenomenon facilitated by cumbersome, costly red-tape connected to the creation and
functioning of community forests »685;

Autant Ongolo et Brimont (2015) observent que :


L’État central au Cameroun reste donc maître de la gestion forestière grâce à un transfert de
pouvoir partiel où les entités non étatiques locales demeurent dépendantes du pouvoir central.
Qu’il s’agisse des forêts communales ou communautaires, les appareils d’État gardent un
pouvoir important et souvent discrétionnaire en matière d’affectation des forêts, de contrôle de
procédures, ou encore de suspension, voire, d’arrêt des transferts de pouvoir.
À titre d’exemple, l’Administration en charge des forêts n’est tenu à aucun délai de procédure
lorsqu’il s’agit de délivrer une convention définitive ou d’approuver un Plan simple de gestion à
une forêt communautaire. Guillaume Lescuyer et al (2008) estiment que la procédure de
demande et d’attribution d’une forêt communautaire peut durer entre 1 an et demi et 5 ans, avec
un coût estimé entre 2800 et 32000 dollars US. Ce contexte d’incertitude oblige les
communautés villageoises à solliciter le soutien d’organismes extérieurs (ONG internationales,
entreprises forestières), ou encore des élites locales, afin de bénéficier de leurs ressources
techniques et financières. Dans la majorité des cas, ces dynamiques de soutien conduisent à
des logiques d’accaparement ou de capture de rente de la part des élites et des ONG, ou à des
dérives d’instrumentalisation visant à légitimer des levées de fonds de la part des ONG
internationales686.

C’est ainsi qu’en dehors des informations collectées dans les Services de l’État et auprès des responsables en
charge des affaires forestières que nous avons rencontrés dans l’Administration publique, hormis les données
produites par les organisations intergouvernementales et les institutions très politisées –et/ou très sensibles
aux analyses réflexives et critiques de fond ainsi qu’aux analyses non fonctionnalistes –telles que la Banque
mondiale qui, comme le SNV (Agence néerlandaise de développement), le WWF (Fonds mondial pour la
nature) ou la COMIFAC (Commission des forêts d’Afrique centrale), n’a donné aucune réponse à nos
multiples demandes d’information et qui s’est radicalement fermé à nos insistantes tentatives de contact, tous
les travaux et études ayant planché ainsi que toute la documentation journalistique produite sur le sujet depuis
une vingtaine d’années sur le Régime forestier actuel, établissent fermement que les dynamiques dites de
réforme forestière commencées à la fin des années 1980 dont procède la mise en place de la Loi des forêts
de 1994 sont essentiellement globales et trouvent d’abord leurs origine et leviers de déclenchement dans les
contextes du Nord et chez les acteurs internationaux. Autrement dit, le changement de régime forestier qui
intervient au début des années 1990 ne viendra ni des préoccupations endogènes en tant que conscience
manifestée par les acteurs nationaux ou locaux de l’évolution critique de la foresterie coloniale et de
l’exploitation industrielle du bois au Cameroun, ni de l’initiative de quelque acteur national ou local que ce soit,
et encore moins des communautés villageoises ou indigènes. Contrairement à la logique générale

685 Alain Karsenty, 2016, “The World Bank’s Endeavours to reform the Forest Concessions’ Regime in Central Africa: Lessons from 25 years of efforts”,
in International Forestry Review, Vol.18 (S1).
686 Op. cit.

326
d’émergence des réformes environnementales telle que présentée par Valérie Angeon et Armelle Caron
(2009)687 par exemple, aucune source fiable de données (littérature scientifique, littérature journalistique ou
profane, organismes, associations, groupes, individus) n’établit dans le cas du Cameroun, ni la formulation de
revendications portées publiquement à l’interne par des acteurs locaux, ni l’existence d’une controverse
portant sur un “problème”688 d’exploitation des forêts ou d’économie forestière, sur lesquels le besoin de
réformes se serait appuyé.

Au contraire, l’ensemble des sources de données auxquelles nous avons eu accès, aussi bien dans la
littérature scientifique et la documentation journalistique, qu’à partir de l’information directe que nous avons
collectée par les entrevues, établissent une double motivation non-endogène des réformes forestières qui
produisent le Régime des forêts de 1994. Il s’agit d’une première motivation exogène économico-financière
portée par la Banque mondiale et destinée à optimiser les conditions de rentabilité économique et financière
du secteur forestier, notamment à une époque critique où en pleine récession, le Cameroun devenait
incapable non seulement d’assurer les besoins internes de fonctionnement et d’investissement, mais surtout
d’honorer le paiement de sa Dette multilatérale et bilatérale (A. Karsenty, 2016; J. Brunner & F. Ekoko, 2000).
C’est ainsi que selon Alain Karsenty (2016) :
The “underpricing” of timber resource, thanks to an unbalanced fiscal structure (taxes on
exported wood rather than on the volume cut or the surface granted), was considered as a
source of waste and inefficiency affecting the entire value chain. It was also deemed as being a
transfer of the economic rent to the concessionaires at the expense of the public treasury. Such
underpricing was attributed to the structure of the fiscal system, but also to the discretionary
allocation system that prevented transparent and fair competition. Competition could be a tool
for showing willingness to pay the loggers to access the resource, as was later revealed in
Cameroon (Giuseppe Topa et al., 2009). Focusing on bringing competition into the allocation
system was considered as an opportunity to kill two birds with one stone: raise the stumpage
value of commercial timber and introducing transparency and fairness into an opaque
mechanism. Efficiency and governance could, then, go hand in hand. In addition, the expected
higher fiscal revenue could be shared between the central government and the local
governments: in Cameroon, the reform entitled local councils on whose territory the logging was
taking place to 40% of the area fee (set through auctioning) and 10% was granted to the
neighbouring communities689.

687 Valérie Angeon et Armelle Caron, 2009, “Quel rôle joue la proximité dans l’émergence et la pérennité de modes de gestion durable des ressources
naturelles?”, Natures Sciences Sociétés, 17.
688 Sur la théorie de la transformation d’un “problème environnemental” lié à l’exploitation des ressources forestières ou à toute autre ressource, en un

“problème public”, lire Ange Mawussé Dovi, 2015, et l’application qu'il en fait dans la Construction médiatique des inondations : exemple du Togo
de 2007 à 2011, Mémoire de Maitrise de sociologie, Université Laval, Canada.
689 Op. cit.

327
18. L’État-formel et le marketing environnemental et participatif du nouveau Régime des forêts

La seconde dimension de la motivation exogène des Réformes forestières se veut à vocation


environnementale –“l’énorme pression verte des années 1992-1995” dont parle Marie-Claude Smouts (2001) :
elle provenait directement de l’émergence globale de la problématique de l’environnement depuis le début des
années 1980, et sera consacrée avec le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro de 1992. En effet, la
Conférence mondiale pour l’environnement et le développement durable qui va se dérouler au Brésil consacre
les dynamiques écologistes les plus diverses dont les démarches conservationnistes ou protectionnistes –
préoccupées aussi bien de la biodiversité que de la séquestration du carbone et des changements climatiques
–portées par de puissantes ONG internationales (UICN, WWF, Greenpeace, etc.). La CMED qui se tient à Rio
consacre aussi des dynamiques géopolitiques et sociales qui se préoccupent des enjeux existentiels mobilisés
par l’exploitation industrielle des forêts et la déforestation galopante, notamment à l’égard des communautés
indigènes, autochtones ou villageoises, en même temps qu’elle donne une forte impulsion et une grande
légitimité à de nouvelles catégories d’acteurs constituées de mouvements, d’associations, d’organisations et
de dynamiques ne relèvent ni des gouvernements ni des intérêts industriels. C’est dans cette logique –
légitimée par les Arun Agrawal (2010, 2007, 2005) ou Elinor Ostrom (2006)690 –que Krister P. Andersson
(2002) relève que « Decentralization has become a common policy strategy to address governance failures
associated with natural resource management. Several international treaties, for example, point to the
advantages of a decentralized government structure for addressing environmental problems »691.

Dans ses travaux d’évaluation des réformes forestières mises en place en Afrique centrale au début des
années 1990, Fabrice Parfait Oumba (2007) mobilise un certain nombre d’éléments permettant d’attester
solidement la dépendance exogène complète, intellectuelle, technique et financière des dynamiques
stratégiques à l’œuvre dans le secteur forestier en Afrique. Pour le chercheur kongolais :
C'est le Comité de la mise en valeur des forêts dans les tropiques (CMVFT) qui, lors de sa 6 ème
Session tenue à Rome en octobre 1983, a reconnu la nécessité d'une action urgente en faveur

690 Lire entre autres:


- Arun Agrawal (avec Phelps, J. and Webb, E. L.), 2010, “Does REDD+ Threaten to Recentralize Forest Governance?”, in Science, Vol. 328, du 16 avril
2010.
- - Arun Agrawal (avec M.C. Lemos) 2007, “A Greener Revolution in the Making? Environmental Governance in the 21st Century”, in Environnement,
Vol. 49, p. 36-45; 2005, Environmentality. Technologies of Government and the Making of Subjects, Duke University Press; 2001, “Common
Property Institutions and Sustainable Governance of Resources”, in World Development, Vol.29, n°10.
- Arun Agrawal & Elinor Ostrom, 2006, “Political Science and Conservation Biology: a Dialog of the Deaf”, in Society for Conservation Biology, Vol.
20, n°3.
- Krister P. Andersson (avec Clark C. Gibson et Fabrice Lehoucq), 2005, “Municipal Politics and Forest Governance: Comparative Analysis of
Decentralization in Bolivia and Guatemala”, in World Development, Vol.34, n°3; 2002, “Can Decentralization Save Bolivia’s Forests? An Institutional
Analysis of Municipal Forest Governance”, in Dissertation Series n°9, CIPEC, Indiana University.
- Timothy O’Riordan, 2001, “Environmental Science on the Move”, in Environmental Science for Environmental Management, éd. Longman
Scientific and Technical.
691 Krister P. Andersson, 2002, “Can Decentralization Save Bolivia’s Forests? An Institutional Analysis of Municipal Forest Governance”. In

Dissertation Series, n°9, CIPEC, Indiana University.

328
des forêts tropicales. Cet organisme statutaire de la FAO, est notamment chargé de “suivre les
programmes internationaux concernant les forêts tropicales et l'action concertée que les
gouvernements et les organisations internationales devraient entreprendre pour assurer la mise
en valeur et l'utilisation rationnelle des forêts tropicales et de leurs ressources”. À cette même
session, le Comité a également reconnu la nécessité de cerner et de définir les domaines
hautement prioritaires, afin de présenter à la communauté internationale des donateurs une
série de programmes de développement bien précis. Il a recommandé que la FAO mette sur
pied des groupes ad hoc chargés d'élaborer des propositions en vue de programmes d'action
dans les domaines prioritaires identifiés par le comité au niveau régional ou mondial.
La FAO, donnant suite à cette recommandation, a convoqué en mars 1985 une réunion
d'experts pour examiner les propositions de programmes d'action. Celles-ci, après avoir été
révisées par la réunion d'experts, ont été soumises au Comité lors de sa 7ème Session, tenue à
Rome en juin 1985. Le Comité les a approuvées et a recommandé qu'elles soient présentées au
9ème Congrès forestier mondial ainsi qu'à d'autres instances et organismes importants. Le
Comité a également recommandé que ces propositions soient complétées par des profils de
projets d'investissement nationaux, établis par les gouvernements avec l'assistance de la
Banque mondiale et d'autres institutions compétentes. En collaboration avec le Programme des
Nations Unies pour le développement et avec le World Resource Institute, organisme non
gouvernemental dont le siège est à Washington DC, la Banque mondiale a calculé les besoins
d'investissement dans 56 pays tropicaux pour une période de cinq ans. Des profils
d'investissement ont été formulés pour chacun des 5 domaines prioritaires retenus. Le plan
d'action forestier tropical a donc été solennellement adopté par la communauté forestière
internationale lors du congrès forestier mondial de Mexico en juillet 1985. C'est un plan en ce
sens qu'il s'agit d'un plan d'action pour sauver les forêts tropicales en accroissant l'intérêt
politique, et donc financier, pour ces forêts par la mise en évidence de leur rôle économique et
social dans le développement de nombreux pays tropicaux.
Le Plan d'action forestier tropical est donc essentiellement un cadre conceptuel pour l'action. Il
ne dispose ni d'un fonds mondial particulier, ni d'une structure centralisée pour sa mise en
œuvre. Il a été conçu pour inciter les gouvernements, les organismes gouvernementaux et non
gouvernementaux et les populations concernées à prévoir et appliquer les solutions les mieux
adaptées aux besoins spécifiques du pays ou de la région en cause. Sa bonne application exige
donc que les gouvernements nationaux soient résolus à lui accorder une haute priorité. Pour
cela, il est nécessaire que les responsables du secteur forestier puissent proposer à leurs
gouvernements un plan d'action national s'appuyant sur les réalités physiques, économiques et
sociales du pays. Lorsque ce plan n'existe pas encore ou a besoin d'être révisé à la lumière des
cinq domaines d'action du PAFT, les pays qui le souhaitent peuvent demander une aide aux
organismes d'assistance au développement qui disposent des compétences et des moyens
financiers nécessaires. C'est au département des forêts de la FAO que se trouve la Cellule de
coordination des actions internationales du PAFT, placée directement sous l'autorité du chef du
département des forêts. Cette Cellule reçoit les demandes des pays qui souhaitent une aide
extérieure pour la mise à jour ou la réalisation de leur plan d'action forestier national. Elle
interroge ensuite les organismes d'aide (aides bilatérales, institutions et banques
internationales) afin de connaître leur intérêt à participer à l'élaboration de ces plans et aider à
leur mise en œuvre692.

692 Op. cit.

329
C’est donc dans une logique toute entière globale que l’exigence environnementaliste a été relayée à l’échelle
nationale par le gouvernement camerounais. Dans une énonciation édifiante, F. Parfait Oumba (2007) rappelle
clairement que c’est sous le contrôle et l’appui d’acteurs financiers et diplomatiques internationaux que :
La question relative à la protection des forêts du Bassin du Congo préoccupe beaucoup
d'acteurs sur le plan international depuis le lancement de l'initiative sur la protection de la forêt
du Bassin du Congo par le Secrétaire d'État américain Colin Powell. Cette initiative à laquelle
participe la France, le Japon, l'Allemagne, l'ONU, l'Union européenne, la Banque mondiale,
l'Organisation internationale des bois tropicaux, le WWF et d'autres institutions encore, a pour
objectif d'unir les efforts de la communauté internationale pour protéger le Bassin du Congo.
Cette mobilisation justifie en fait l'envergure et le caractère vital que revêt cette initiative de
préservation et d'utilisation durable de l'un des “poumons” du globe terrestre693.

De même, dans leur tableau des acteurs ayant pris part à la formulation de la Réforme forestière du début des
années Quatre-vingt-dix au Cameroun, Jake Brunner & François Ekoko (2000) indiquent que :
Les principaux protagonistes impliqués dans la réforme politiques sur la forêt étaient le Ministère
en charge des forêts, la Présidence de la république, l'Assemblée nationale et la Banque
Mondiale. Cette dernière a fourni d’énormes efforts pour réformer la politique forestière du
Cameroun. Le secteur privé et le gouvernement français ont joué des rôles secondaires, et les
ONG ont eu un impact minimal sur les discussions [notamment parce que] Les ONG nationales
n’ont été légalisées qu’en 1990 et étaient faibles au début du processus de réforme694.

Dans le même sillage, et abordant le rôle déterminant que la Banque mondiale a joué aussi bien dans la mise
en agenda et l’opérationnalisation de la préoccupation internationale de réforme forestière que dans la mise
en place des politiques d’aménagement durable des forêts –c’est-à-dire en réalité d’exploitation soutenue du
bois industrielle et de productivité économique maximale –dans les pays tropicaux et en particulier les pays du
Bassin du Congo au premier rang desquels le Cameroun qui en a constitué le galop d’essai, Marie-Claude
Smouts (2001) relève que : « Sur le processus de consultation qui avait été engagé en 1989-1990 dans les
pays en développement, il est indiqué que l’attention de la Banque mondiale s’était essentiellement focalisée
surtout sur les ONG, et la Banque n’avait pas pris suffisamment de soin de s’assurer un large consensus du
secteur privé et de “la société civile”, la société civile n’étant pas définie mais supposant clairement aussi les
communautés de base et les populations civiles »695.

Comme on le voit, la nature (conditions, modalités) de la souscription des collectivités politiques africaines aux
dynamiques globales économiques et/ou environnementalistes est complexe et problématique. Cette
complexité se caractérise, du point de vue des relations internationales, par une asymétrie qui découvre les
fragilités structurelles [historiques et institutionnelles] des États africains à l’analyse desquels Daniel

693 Op. cit.


694 Op. cit.
695 Op. cit.

330
Compagnon (2015)696 va parler de “quasi-États” pendant que Karsenty & Ongolo (2011)697 parlent de “Fragile
States” et plusieurs autres auteurs dont Robert Jackson (1990)698 de “souverainetés relatives”. Cette
articulation problématique des États africains aux dynamiques globales se caractérise également, du point de
vue de la géopolitique opérationnelle, par la possibilité d’alliances entre les acteurs environnementalistes et
les pouvoirs financiers en dehors de toute capacité des États africains à contrôler les dynamiques de ces
sphères de connivence (Peter Dauvergne, 1997)699. En guise d’illustration, c’est dans ce contexte international
qui échappe complètement au contrôle stratégique des États-folklores africains que l’Alliance Banque
mondiale/WWF a été mise en place. Et dans le document qui rapporte la convention de coopération que le
Fonds mondial pour la nature (WWF) va nouer avec la Banque mondiale, il est mentionné que :
L’Alliance Banque mondiale/WWF pour la conservation et l’utilisation durable des forêts est une
réponse à une crise : l’appauvrissement continu de la biodiversité des forêts au niveau mondial
ainsi que des biens et services basés sur les forêts, essentiels au développement durable.
L’objectif de l’Alliance est d’obtenir une réduction significative de la destruction et de la
dégradation de tous les types de forêts. À cet effet, l’Alliance travaille avec les gouvernements,
le secteur privé et les communautés locales […] L’Alliance multiplie les efforts pour atteindre ces
trois objectifs sur un large éventail de types de forêts et de régions géographiques. En
conjuguant l’accès au dialogue politique, le pouvoir de rassemblement, la capacité analytique et
les opérations de financement de la Banque mondiale avec la présence sur le terrain, les
partenariats avec le secteur privé et l’expérience en matière de conservation des forêts du
WWF, l’Alliance est à même de mener des actions de gestion forestière sur divers fronts. Grâce
à la collaboration de différents partenaires, depuis les gouvernements, en passant par le secteur
privé, jusqu’à la société civile, l’Alliance crée un effet multiplicateur qui amplifie et approfondit
son impact (WWF & Banque mondiale, 2001)700.

De cette configuration géopolitique qui fait de l’État africain tout entier en tant que collectivité politique, et par
conséquent des élites dirigeantes, administratives, économiques et intellectuelles, des populations et de
l’ensemble du corps social de simples consommateurs et serviteurs d’une pensée [totalement] élaborée
ailleurs, il va découler une dépendance systémique profonde tant sur le plan intellectuel que sur le plan
opérationnel ou logistique, autrement dit tant du point de vue de l’expertise, des ressources humaines et des
compétences techniques, que du point de vue de l’opérationnalité des ressources financières et des outils

696 Daniel Compagnon, 2015, “Réalité multiscalaire et articulations multiniveaux dans la gouvernance environnementale globale”, in François Gemenne
(dir.), 2015, L’enjeu mondial : l’environnement, éd. Presses des sciences po, Paris.
697 Op. cit.
698 Robert Jackson, 1990, Quasi States: Sovereignty International Relations and the Third World, éd. Cambridge Press University, Cambridge;

1986, “Negative Sovereignty in Sub-Saharan Africa”, in Review of International Studies, Vol. 12, octobre 1986.
699 Peter Dauvergne, 1997, Shadows in the Forest: Japan and the Politics of Timber in Southeast Asia (Politics, Science, and the Environment),

éd. Massachusetts Institute of Technology Press.


700 Banque mondiale & WWF, 2002, Rapport annuel de L’Alliance Banque mondiale/WWF pour la conservation et l’utilisation durable des

forêts. Progresser grâce au partenariat : Catalyser le changement de la politique et des pratiques forestières.
Lire également :
- SGS Trade Assurance Services (TAS) & Natural Resource Monitoring Services (NRMS) Sustainable Forestry Programme, 2003, Projet du Rapport
de l’Alliance Banque Mondiale/WWF pour la Forêt. Établissement des bases d’une Gestion Durable de la Forêt en Afrique. L’origine légale du
bois : un pas vers la Gestion Durable de la Forêt, BM/WWF/SGS, Genève (https://www.illegal-
logging.info/sites/default/files/uploads/WWFWorldBankLegalOriginTimberFrench.pdf)
- World Bank, 2001, L'alliance Banque Mondiale/WWF. Progresser grâce au partenariat, BM, Washington, DC.
Lire aussi Peter Dauvergne, 1997, Shadows in the Forest: Japan and the Politics of Timber in Southeast Asia (Politics, Science, and the
Environment), éd. Massachusetts Institute of Technology Press.

331
technologiques. Du point de vue de l’origine et de la motivation intellectuelles, Alain Karsenty (2016) relève
que :
During the 1980s and 1990s, there were several very active schools of thought on natural
resources management, especially on timber. Economists such as Malcolm Gillis, David
Repetto, Jeffrey Vincent, John Gray and William Hyde, amongst others, wrote several influential
papers on the economics of forest concessions. Most of the analyses were derived from
Malaysia and Indonesia where forest resources had been rapidly depleted whilst
concessionaires enjoyed high profits. For West and Central Africa, a report by Grut et al. (1991)
prepared for the World Bank, carried these analyses further and formulated policy
recommendations which were to have a strong influence of the World Ban’s work in Central
Africa701.

Par exemple, Brown & Schreckenberg (2001) indique sans aucune ambiguïté que « Dans la plupart des pays
africains, la gestion à caractère communautaire a été introduite par l’intervention de projets [de la coopération
internationale bilatérale ou multilatérale] (Bojang, 2000). Le programme du Department for International
Development (DFID), le département exécutif du gouvernement britannique chargé de l'aide humanitaire et de
l'aide au développement, au Cameroun était le fer de lance de la liaison des interventions au niveau des
projets et de l’influence politique dans le secteur forestier »702.

Il en est également ainsi de l’attention spéciale que le Groupement d’intérêt scientifique pour l’étude de la
mondialisation et du développement (GEMDEV) intéressé par les dynamiques du phénomène politique en
Afrique accorde au déploiement de nouveaux acteurs dans le champ de la gouvernance. Pour cette
dynamique de chercheurs français (1997) :
Le concept d’émergence occidentale de la “société civile” doit nécessairement être réévalué à la
lumière tropicale africaine. La société civile dont il est tant question dans les pays du Nord et qui
est présentée comme un contrepoids aux “dérives antidémocratiques” des gouvernements de
ces contrées occidentales épouse-t-elle les mêmes contours socio-politiques en Afrique? Peut-
elle adopter ou jouer le même rôle en Afrique qu’en Europe? Plus concrètement, certains
chercheurs du CODESIRIA se sont posés la question de savoir : comment identifier avec
certitude la société civile en milieu urbain? Comment arrêter les critères consistant à définir ceux
qui en font partie ou ceux qui en sont exclus? Les islamistes font-ils par exemple partie de ce
groupe? Comment identifier la société civile en milieu rural? Bref, les débats sur la société civile
–souvent présentée comme la planche de salut des démocraties naissantes africaines –ne sont-
elles pas un remaquillage de la vieille théorie de la modernisation [politique]? On est en droit de
se demander si la “Civil Society” telle que présentée par la majorité des penseurs occidentaux
ne représente pas, une fois de plus et sous le prétexte d’universalité, une tentative d’imposition
au reste du monde de normes culturelles et politiques caractéristiques de leurs propres
sociétés703.

701 Op. cit.


702 Op. cit.
703 GEMDEV (dir.), 1997, Les avatars de l’État en Afrique, éd. Karthala, Paris.

332
C’est probablement à la suite de cette énonciation que Marie-Claude Smouts (2001) reviendra quelques
années plus tard sur la même préoccupation épistémologico-théorique pour relever qu’:
[Il] Reste à savoir si la clarté et l’universalité sont des objectifs compatibles dans un domaine
aussi politique que la forêt. [En effet, si] La clarté est indispensable à l’établissement de
méthodologies reconnues et utilisées par l’ensemble de la communauté scientifique pour
permettre la comparaison et favoriser les collaborations. Elle est recherchée par les techniciens
qui se comprennent fort bien entre eux et souhaitent que la précision du vocabulaire et la
concision des définitions limitent les marges d’interprétation politique [En revanche,]
L’universalité exprime au contraire l’infinie complexité du monde […]704.

Dès lors, au regard de cette dépendance intellectuelle –et donc systémique –que le contexte africain entretient
avec l’extérieur (Mubabinge Bilolo, 2011), et eu égard au caractère essentiellement exogène de la pensée
opératoire sur laquelle la collectivité camerounaise se déploie, on peut énoncer quant aux conditions
d’émergence des réformes forestières et de construction du Régime des forêts de 1994, que le gouvernement
a coordonné ou facilité de sa légitimité d’“État souverain” (Nakanabo Diallo, 2013; Bertrand Badie, 1992) le
cadre d’élaboration et de mise en œuvre des réformes institutionnelles –sur la base d’exigences économico-
financières formulées par la Banque mondiale (A. Karsenty, 2015; J. Brunner & F. Ekoko, 2000) –le tout au
nom d’une préoccupation paradigmatique nouvelle –environnementale et démocratique –supposée favoriser la
participation optimale de tous les acteurs à l’économie forestière ainsi que l’exploitation durable des
ressources, dans une dynamique dont Nakanabo Diallo (2013) –qui a étudié les politiques publiques
environnementales au Mozambique –dit qu’elle est également d’inspiration néolibérale. Pour la chercheure :
[…] le néolibéralisme dont il convient d’indiquer qu’il est un système et en tant que tel va
largement au-delà de la sphère économique. De fait, le néolibéralisme entend une refonte de
l‘État : en tant que discours, les réformes appuyées par les Bailleurs de fonds ont insisté –et
insistent toujours comme on le verra plus loin –sur les notions de transparence, d‘efficacité et de
participation (Harrison, 2001), de réduction de la sphère d‘action de l‘État, et de croissance
favorable aux plus pauvres (“Pro-Poor Growth”), qui deviennent autant de critères d‘évaluation
de la marche de l‘État. Ces objectifs se rassemblent sous le vocable de “gouvernance”, et plus
précisément de “bonne gouvernance” (World Bank, 1992; World Bank, 1994) et concernent tous
les secteurs de l‘action publique, y compris donc les politiques environnementales. Goldman
(2001) parle par exemple de “The Green Neoliberal Project in which neo-colonial conservationist
ideas of enclosure and preservation and neoliberal notions of market value and optimal resource
allocation find common cause”. De même, en reprenant les termes d’Igoe & Brockington (2007),
Neoliberal conservation promises a world in which it is possible to eat one‘s conservation cake
and have development desert too”705.

C’est ainsi que traitant d’une autre dimension de la même problématique, Dieudonné Bitondo (2005) a établi le
constat suivant :

704 Op. cit.


705 Op. cit.

333
D’abord quasiment absentes avant 1992, les dispositions normatives et organisationnelles
forment une armature de base au niveau national dans le cadre des réformes impulsées par le
Sommet de Rio et le plan d’ajustement structurel (1992-1996). Alors que cette armature reste
globalement ineffective pendant cette phase à cause entre autres du manque de textes
d’application, elle s’opérationnalise dans le cas particulier du développement routier après 1996
du fait de l’implication des Bailleurs de fonds et des ONG dans certains projets et programmes
déclencheurs, non sans poser le problème de coordination de l’ensemble du système706.

C’est ce que confirme par défaut le propos de VNDG707, ingénieur forestier en service au Ministère des forêts
et de la faune, dans une démarche raisonnante dont la préoccupation consiste essentiellement à affirmer la
souveraineté totale de l’État sur la conduite stratégique indépendante des affaires publiques et de la
collectivité. Pour le fonctionnaire du Gouvernement :
Le rôle de l’État était primordial, puisque c’est lui qui avait décidé de tendre la main aux autres
parties prenantes. L’État devait examiner les propositions et valider sur la base de faisabilité des
propositions des uns et des autres. C’est l’État qui devait arrimer la loi à l’ensemble de la
politique de nationale devant permettre l’utilisation rationnelle des ressources forestières et
fauniques tout en garantissant sa durabilité pour les générations futures.
L’État a reçu le soutien technique des experts et des partenaires (allemande, britannique, UE
…)708.

Nakanabo Diallo (2013) problématise cette démarche en se demandant dans l’autre cas africain du
Mozambique : « Comment l’État continue de se déployer en dépit de sa mise en dépendance remarquable et
apparemment irrésistible en termes matériel, financier et cognitif par le système international de l’aide au
développement [Aussi formule-t-elle] l’enjeu du “State making”. Cet enjeu a la particularité d‘être politisé, cela
dans un double sens : celui de l‘affirmation de la compétence et de la souveraineté de l‘État »709,

Favorisant également le redéploiement des stratégies de captation néopatrimoniale ainsi que leur
réajustement aux configurations institutionnelles nouvelles.

Tel que dressé, ce tableau –qui est confirmé à la signature par l’ensemble des données collectées sur le sujet
aussi bien dans la littérature qu’auprès des acteurs sur le terrain –porte exhaustivement toute la problématique
de la présente thèse dès lors que ni aucun interlocuteur ni aucune autre source sur le terrain n’a mentionné la
présence et la participation des communautés villageoises dans la dynamique de mise en place de la Loi des

706 D. Bitondo, op. cit.


707 Il nous semble important de signaler qu’au-delà des conditions dans lesquelles nous avons quasiment forcé la disponibilité de ce contact, ce haut
responsable de l’Administration en charge des forêts a délibérément choisi de refuser la formule de l’entrevue interactive telle que nous la lui avons
sollicitée, optant de répondre par écrit au Guide d’interview. Naturellement, au-delà de la négation de toute possibilité d’échange et de discussion,
l’inconvénient de cette solution est l’impossibilité de creuser, de demander une explicitation ou de suggérer plus d’éclairage. Dans ce contexte de
disponibilité mitigée et ambiguë à la recherche sociale critique, nous n’avions pas d’autre choix que de nous en contenter.
708 Mon entretien avec ce haut fonctionnaire du Ministère des forêts et de la faune…
709 Op. cit.

334
forêts de 1994. Autrement dit, les Réformes forestières matérialisées par la mise en place du Régime des
forêts de 1994, en tant qu’institution stratégique de projection collective du Cameroun, sera élaborée et mise
en place en dehors des communautés villageoises et par conséquent en l’absence de l’un des segments de la
population dont elle est censée porter les préoccupations existentielles et vitales. Du point de vue de la
violence opératoire des contraintes structurelles et de la dépendance, les termes du témoignage formulé par
Brunner & Ekoko (2000) sont tout simplement stupéfiants tellement ils rendent compte dans leurs traits les
plus tragiques, de la précarité géopolitique et internationale, de l’inconsistance intellectuelle et institutionnelle
de l’État, de la fragmentation socio-politique interne de la collectivité politique. En effet, les États africains –
dont il convient d’indiquer qu’ils ont été constitués par le Projet colonial européen comme collectivité politique
moderne, contre les communautés indigènes (Mwayila Tshiyembé, 2001, 2000; Thierry Michalon, 1984) –
semblent complètement pris au dépourvu : constitués par l’intention coloniale en tant que bassin de
ressources et moyen d’expansion/de développement de l’empire européen (Philippe Marchesin, 1995)710, les
États africains sont comme pris en otage et “entrainés” (Symphorien Ongolo et Laura Brimont, 2015) dans un
tourbillon paradigmatique qui ne leur laisse même pas le répit minimal de la réflexion sur ce qui leur arrive ou
plutôt sur ce dans quoi ils sont embarqués. Marie-Claude Smouts (2001) rappelle ainsi que :
Jusqu’à une époque récente, l’économie politique des bois tropicaux était fondée sur une
division internationale du travail de type colonial : les compagnies des pays industrialisés
exploitaient les forêts des pays en développement, récoltaient le bois brut et transportaient la
matière première hors du pays pour la transformer […] Cependant, un nombre important de
pays producteurs ont formellement interdit l’exportation de grumes hors de leur territoire. Mais
sous la pression du Fonds monétaire international, cette interdiction fût levée (…) De son côté,
le Cameroun a interdit depuis le 20 janvier 1999 les exportations sous forme de grumes de
vingt-trois essences traditionnelles, parmi lesquelles les essences les plus demandées en
Europe, tout en soumettant quantité d’autres essences à des autorisations spéciales
d’exportation accordées sous réserve de “surtaxe à l’exportation” et de paiement des droits de
sortie, y compris sur l’ayous, la principale essence exploitée au Cameroun avec le sapelli. Ceci
n’a pas manqué de causer une grande agitation dans les milieux du bois français, provoquant
en conséquence non seulement la hausse des exportations illégales mais également maintes
études et réunions sur la fiscalité forestière au Cameroun [notamment quand on sait que] La
limitation des exportations de bois brut satisfait l’orgueil national [?!?] de populations exaspérées
par les norias de camions grumiers qui roulent à grande vitesse, souvent sans éclairage,
causant des accidents sans nombre pour emporter au loin les ressources d’une forêt qu’elles
considèrent comme leur.
La limitation ou l’interdiction des exportations de grumes visent à créer plus de valeur ajoutée
sur place, à créer des emplois, et à favoriser le développement industriel dans les pays
producteurs. Elle est encouragée par des ONG qui y voient un premier pas vers la suppression
du commerce international des bois récoltés dans les forêts denses humides711.

710 Qu’on se rappelle ces deux affirmations convaincues de François Mitterrand :


- « Il ne pourra y avoir d’Histoire authentique de l’Afrique si la France en est absente » et
- « Sans l’Afrique il n’y aura pas d’Histoire de France au 21 ème siècle »
(in Philippe Marchesin, 1995, “Mitterrand l’Africain”, in Politique africaine, n˚58, juin 1995).
Lire également : Philippe Marchesin, 1995, “La politique africaine de François Mitterrand”, in Politique africaine, n˚58, juin 1995.
711 Le soulignement en gras est de nous-mêmes. Il s’agit de mettre en exergue les éléments indiquant la problématique de notre thèse et nourrissant

directement les concepts d’analyse que nous développons.

335
Aussi leur participation à la dynamique environnementale globale, ou plutôt leur situation dans le mouvement
écolo-sensible global rend-elle compte d’États de dernier rang, États-folklore ou folkloriques, résignés et
contraints à être menés au bâton par une intellectualité monolithique dominante (Jean Vioulac, 2012) qui
épouse structurellement l’évolution de l’histoire industrielle de la modernité capitaliste, autrement dit par une
pensée opératoire qu’ils subissent et dont l’idéologie, les intentions et les agendas leur échappent, où la
Banque mondiale et le WWF peuvent inattendument collaborer à la définition de stratégies communes (Peter
Dauvergne & Jane Lister, 2013)712 en direction de leurs partenaires gouvernementaux, notamment les États
d’Afrique. C’est dans ce contexte que Marie-Claude Smouts (2001) peut révéler que « Lors des négociations
de Rio 1992, l’enjeu central n’était pas la conservation. L’objectif premier était commercial et financier : les
pays industrialisés voulaient un libre accès aux ressources génétiques situées dans les forêts tropicales des
pays en développement, sous prétexte qu’elles constituaient un patrimoine commun de l’humanité »713.

Pour comprendre la filiation essentielle et structurelle qui existe entre les États dominants, les organismes dits
de coopération et les acteurs internationaux et multilatéraux tels que la Banque mondiale ou le Fonds
monétaire international, nous convoquons Bertrand Badie (1992) dans son élaboration du concept de
“captation de souveraineté des fonctions socioéconomiques” des États faibles. Pour lui :
Le multilatéralisme porté par la Banque mondiale et le FMI favorise une intervention croissante
des pays du Nord dans la vie socio-économique des États dépendants, la diffusion en leur sein
de modèles de développement et une ingérence sans cesse plus accusée dans leur économie,
sur un mode d’autant plus vigoureux que l’action multilatérale offre l’alibi et le confort de
l’anonymat. Dès lors, le maintien et la réorientation du bilatéralisme permettent, de leur côté, de
consolider, “sur des bases plus saines”, les acquis d’une dépendance politique714.

Cette analyse –bien illustrée par Antoine Glaser (2014)715 –est reprise et approfondie par Daniel Compagnon
(2015, 2013, 2012, 2011)716, et c’est exactement la même réalité que réfère Antang Yamo (2015) lorsqu’il
indique que « Depuis les années 1990, les gouvernements des pays en développement ont entrepris un vaste
mouvement de transfert des responsabilités et pouvoirs de gestion des ressources naturelles et des bénéfices
à des institutions locales »717.

712 Peter Dauvergne et Jane Lister), 2013, Eco-Business: A Big-Brand Takeover of Sustainability, éd. Massachusetts Institute of Technology.
713 Op. cit.
714 Op. cit.
715 Antoine Glaser, 2014, AfricaFrance. Quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu, éd. Fayard, Paris.
716 Daniel Compagnon, 2015, “Réalité multiscalaire et articulations multiniveaux dans la gouvernance environnementale globale”, in François Gemenne

(dir.), L’enjeu mondial : l’environnement, éd. Presses des sciences po, Paris; 2013, “L’environnement dans les RI”, in Thierry Balzacq et Frédéric
Ramel (dir.), Traité de relations internationales, éd. Presses de Sciences Po, Paris; (avec Sander Chan and Aysem Mert), 2012, “The Changing Role
of State”, in Frank Biermann and Philipp Pattberg, Global Environmental Governance Reconsidered, MIT Press, Cambridge; (Favec anny Florémont
et Isabelle Lamaud), 2011, “Sub-Saharian Africa. Fragmented Environmental Governance without Regional Integration”, in Lorraine Elliott et Shaun
Breslin (eds), The Regionalization of Environmental Governance, Routledge, Londres; (avec François Constantin, dir.), 2000, Administrer
l'environnement en Afrique. Gestion communautaire, conservation et développement durable, éd. Karthala-Ifra, Paris.
717 Op. cit.

336
Les illustrations de la dépendance systémique ainsi que des contraintes et fragilités structurelles qui en
découlent sont légion, ou plutôt la règle. En fait, c’est toute la modernité politique africaine qui pourrait en être
présentée comme la détermination empirique. Au hasard : au Mozambique dont Rozenn Nakanabo Diallo
(2013) analyse la réception nationale ou locale et la mise en œuvre des politiques environnementales de
conservation de la nature, la chercheure relève que :
Cette transnationalisation des idées et des pratiques passe donc par la formation de réseaux de
politiques publiques autour des questions de conservation de la nature, réseaux composés
d‘élites nationales –que nous appellerons régulièrement “élites administratives et expertes” –
formées dans des orientations compatibles avec les discours dominants des Bailleurs de fonds
internationaux et pour la plupart rémunérées par des agences internationales de développement
et/ou de conservation et de représentants de Bailleurs et d‘organisations internationales de
protection de l‘environnement, et dans une moindre mesure d‘ONGs nationales et
internationales.
Dans le cadre d‘un État mozambicain fragile –au sens que l’État dispose de faibles capacités
d‘action –ces personnes-ressources sont rares et, partant, clés. Elles forment un noyau
d‘acteurs nationaux qualifiés et rompus à la grammaire de l‘aide et à ses codes de procédure.
Surtout, ces élites sont le signe de la dimension exogène de la fabrique de l‘action publique, et
cela au cœur même de l‘État. Dès lors, l‘action publique d‘un État en situation d‘extranéité,
comme c‘est le cas du Mozambique, implique l‘exercice d‘une sorte de droit de regard de la part
des organisations internationales de l‘aide. Ce contrôle de l‘action s‘exerce notamment par la
réalisation de leurs feuilles de route via l‘emploi d‘élites nationales situées au cœur même de
l‘État718.

Comme on le voit, les États africains sont littéralement happés et emportés par l’engrenage inarrêtable de la
modernité capitaliste –quand bien même cette modernité capitaliste eût poussivement souscrit à une inflexion
réflexive d’écologisation ou d’environnementalisation liée à la conscience de risques réels. C’est notamment
ce que tente de montrer Marie-Claude Smouts (2001) quand, évaluant le niveau de prise en charge des forêts
tropicales dans la législation internationale en comparaison des autres matières environnementales, elle
observe que l’enracinement profond des enjeux industriels a contraint le Sommet de Rio 1992 à des
résolutions strictement “diplomatiques” sur l’exploitation des forêts :
Aucun texte obligatoire ne vient indiquer ce qui est licite et ce qui ne l’est pas dans la gestion
des forêts du point de vue de la communauté internationale. Le seul engagement international
spécifiquement consacré aux forêts est une Déclaration intitulé dans le plus pur style onusien :
“Déclaration de principes, non juridiquement contraignante, mais faisant autorité, par un
consensus mondial sur la gestion, la conservation et l’exploitation écologiquement viable de
tous les types de forêts”! Cette Déclaration est un compromis politique donnant un peu
satisfaction à tout le monde et n’engageant à rien de précis. Les pays tropicaux et l’industrie
forestière voient reconnus les principes selon lesquels les États ont le droit souverain et
inaliénable d’utiliser, de gérer et d’exploiter leurs forêts conformément à leurs besoins.

718 Op. cit.

337
Les défenseurs des peuples des forêts [et non “les peuples des forêts” eux-mêmes] ont fait
admettre que les politiques forestières devraient reconnaitre et protéger comme il convient
l’identité, la culture et les droits des populations autochtones [dans une démarche dont on a
aucun mal à établir qu’elle est aléatoire. En revanche,] Les pays en développement [ou plutôt
l’industrie] ont obtenu la mise en exergue claire de la dimension productrice de la forêt et des
espaces forestiers : rôle de la forêt dans la satisfaction des besoins énergétiques,
l’approvisionnement en bois de feu ou en bois industriels; le droit de convertir les zones
forestières à d’autres usages dans le cadre du plan général de développement économique et
social adopté par un pays sur la base de politiques rationnelles d’utilisation des terres; reconnu
et encouragé fortement le rôle des plantations des forêts [mais aussi et surtout dirait-on] des
cultures permanentes en tant que ressources durables et écologiquement rationnelles d’énergie
renouvelable et de matières premières industrielles. Car leur contribution au renforcement au
maintien des processus écologiques et à l’allègement des pressions exercées sur les forêts
vierges et anciennes, ainsi qu’à la promotion de l’emploi et du développement à l’échelon
régional avec une participation appropriée des populations locales [est d’une importance
centrale]719.

La présente thèse fourmille de nombreux autres termes et expressions que les chercheurs invoqués ont
employés pour caractériser ce contexte dans lequel les intérêts des communautés riveraines sont littéralement
estompés.

719 Op. cit.

338
19. Indisponibilité structurelle contradictoire de l’État aux préoccupations environnementales ou de
performance des réformes forestières

Pourtant, nous ne saurions occulter le caractère non totalement partagé de la convergence épistémique et
théorique sur la non-endogénéité des politiques forestières actuellement à l’œuvre au Cameroun. En effet,
c’est sans aucune surprise –dans l’environnement spécifique du Cameroun –que nous avons recueilli des
acteurs gouvernementaux une lecture différente du contexte, des circonstances et des conditions
d’émergence des Réformes du début des années 1990 et du processus de mise en place en 1994 d’une
nouvelle Loi des forêts. Pour les fonctionnaires de l’État, l’on ne saurait affirmer péremptoirement que les
communautés locales n’ont participé ni à la motivation de la Réforme forestière ni à l’élaboration du Régime
des forêts de 1994, étant donné qu’il est essentiellement du fonctionnement de l’Administration publique et
des attributions des agents publics en poste dans leurs localités respectives d’activité, de collecter
l’information locale, de documenter les diverses situations auxquelles les populations font face dans les
diverses localités, et de relayer les problèmes, préoccupations et besoins spécifiques des communautés dans
les diverses régions du pays. On pourrait voir dans cet argument de nos interlocuteurs gouvernementaux une
tentative d’opérationnalisation de la théorie de la représentation telle que déclinée par les Bernard Manin
(2012, 1995), Adam M. Wellstead et al (2003) ou Hanna Fenichel Pitkin (1967) par où :
En fonction des circonstances, le peuple délègue contractuellement sa souveraineté aux
représentants pour qu’ils parlent et agissent au nom du groupe (Cecilia Lutrell, 2012). La
dévolution des pouvoirs et des responsabilités aux autorités locales représentatives part du
présupposé selon lequel les décisions prises à partir du niveau le plus bas sont plus conformes
aux besoins et aspirations des citoyens (Elinor Ostrom, 1990; Daniel W. Bromley, 1991; Arun
Agrawal et Jesse C. Ribot, 1999; J. C. Ribot, 2011). En transférant des pouvoirs et des
responsabilités à des institutions et autorités locales représentatives des populations dans le
cadre de la REDD+, on pourrait aboutir comme le pensent Anne M. Larson et Jesse C. Ribot
(2010), à des résultats plus conformes aux besoins et aspirations des populations
locales (Antang Yamo, 2015)720.

Pour VNDG, fonctionnaire en service au MINFOF, la mise en place d’un nouveau Régime forestier reposait
sur un certain nombre de constats :
- La Loi de 1981 [qu’abroge le Régime des forêts de 1994 en place], essentiellement
répressive, était pratiquement dépassée au vu des nouveaux enjeux;
- La création des aires protégées étaient unilatérale;
- On était conscient du potentiel des PFNL [produits forestiers non ligneux] mais le cadre
réglementaire ne permettait pas la valorisation desdits produits;
- l’État ne pouvait plus suffire à lui seul de gérer les ressources et garantir leur durabilité
et par conséquent [de freiner] la déplétion des ressources forestières et fauniques721.

720 Op. cit.


721 Op. cit.

339
De l’avis de ce haut responsable du Ministère en charge des forêts, la démarche de l’État reposait
essentiellement sur quatre raisons qui expliquent les Réformes initiées au début des années 1990 dans le
secteur forestier :
- Le désir pour le Cameroun d’atteindre l’objectif de 30% de sa superficie sous
protection.
- La volonté d’ouvrir la gestion des ressources forestière et faunique à la gestion
participative.
- Le désir de moderniser sa gestion basée sur un programme qui résulterait à la longue
à une stabilisation des terres affectées à la foresterie et à la protection de la faune.
- Le niveau de vie des populations vivant dans et autour des forêts et des entités
d’exploitation forestière était toujours très bas malgré les recettes importantes issues
de ladite exploitation (sic)722.

C’est ainsi que du point de vue des modalités d’élaboration de la Loi de 1994 et du contexte institutionnel dans
lequel le nouveau Régime allait être mis en place, VNDG affirme dans une démarche aussi surréaliste
qu’abstraite des dynamiques internationales structurantes, et surtout contre la constance des faits et au
rebours de toutes les données de réalité (Nongni & Lescuyer, 2016), y compris la réalité opératoire qui
aujourd’hui encore (!) a permis au Gouvernement de pouvoir rompre unilatéralement l’engagement collaboratif
de construction d’un nouvelle Loi des forêts, que :
Le processus était participatif, consultatif et itératif, sans perdre les acquis. Par exemple, les
aires protégées qui avaient été créées dans le temps de manière unilatérale. De même, la
nouvelle Loi a conservé les aspects positifs et points forts de l’ancienne loi, ce qui fait qu’on
pouvait encore se référer à la Loi de 1981 si celle-ci était plus avantageuse. Comme il est
difficile pour un groupe d’élaborer un document, un petit noyau d’expert a mis sur place un
projet qui a été enrichi par tous les parties prenantes. La mouture finale a été validée dans des
ateliers nationaux et provinciaux, puis à l’Assemblée nationale (sic).

Donc, du contexte intellectuel et institutionnel qui se dégage de leur lecture de la problématique, on dirait que
pour les acteurs gouvernementaux, ce sont les cadres de l’État et l’expertise technocratique gouvernementale
qui disposent de la légitimité et des compétences techniques appropriées pour procéder aux analyses
spécialisées ou sectorielles, en l’occurrence de la situation de l’économie forestière, et éventuellement à
l’élaboration des politiques ou à la traduction des besoins collectifs en outils stratégiques.

En effet, il se dégage du propos de cet agent de l’État comme de tous les acteurs étatiques –faisant partie des
très rares fonctionnaires qui ont accepté de nous accorder un entretien –que le discours destiné à rendre
compte de la motivation des Réformes de 1994 participe également, au-delà de la tendance que le système

722 Op. cit.

340
déploie à s’enraciner et à se protéger, de ce que Thomas Bierschenk (2010) appelle « le double discours de la
part des élites africaines et de ce que Shalini Randeria appelle un “État rusé” »723. Cette lecture s’oppose à la
réalité constante dont témoignent tous les autres acteurs, notamment les communautés villageoises et les
organisations de la société civile; elle va à contre-courant des faits que relève dans une constante inédite
l’ensemble de la littérature scientifique et que reprend ici Marie-Claude Smouts (2001) :
[…] La très forte présence de la Banque mondiale dans la définition des politiques forestières
des pays où elle intervient à travers les Prêts des Programmes d’ajustement structurel (PAS).
De plus en plus, la Banque mondiale, mais aussi le FMI et les autres institutions multilatérales
de financement, lient ou conditionnent le déboursement des prêts à la réforme des politiques
forestières, au Cambodge, au Cameroun, en Indonésie, au Surinam, en Papouasie-Nouvelle
Guinée, etc. Sur ce que devait être une bonne politique forestière en Afrique, la Banque
mondiale s’était forgée une doctrine à partir d’un postulat inspiré des bonnes règles de gestion
des ressources naturelle renouvelables dégagées par les économistes de l’environnement : plus
de transparence dans l’octroi des Permis de coupe ajoutée à plus de rentrée des recettes
fiscales conduit à plus de rationalité dans la gestion de la ressource […]
Ce ne sont pas les États et les gouvernements qui ont joué un rôle moteur dans la motivation
des réformes environnementales dans le domaine des forêts […] Les progrès enregistrés vers
une définition commune de la question des forêts tropicales humides et des solutions pour y
répondre [notamment avec l’élaboration du PAFT] sont nés d’un jeu itératif entre organisations
internationales, experts et Ministères techniques, structurés par des ONG présentes
simultanément sur le terrain et au niveau international724.

À l’opposé, les agents gouvernementaux et les acteurs affinitaires de l’État que nous avons pu interviewer
réfutent la procession exogène de la Réforme forestière du début des années 1990. À partir d’une position
relevant davantage de l’idéologie que de la constance et de la cohérence des faits, ils affirment que la stabilité,
la souveraineté, l’indépendance, la viabilité et la crédibilité de l’État camerounais ne font l’objet d’aucune
remise en question qui laisserait penser que l’État aurait perdu le contrôle et la maitrise totale de ses politiques
à un moment de son existence récente ou à une certaine période (entretien avec VNDG)725. À cette
perspective que nous dirions démagogique et instrumentale participent les organisations d’obédience étatique
et intergouvernementales telles que la Commission des forêts d’Afrique centrale (2015) dont on peut lire dans
un des documents que c’est :
Conscients de l’enjeu que représentent les forêts du Bassin du Congo que les pays d’Afrique
centrale ont affiché leur engagement à soutenir les actions politiques pour la mise en œuvre des
pratiques soutenues de gestion durable des ressources naturelles […] L’affectation des terres
forestières et leur aménagement intégré sur la base d’une bonne connaissance de la ressource
sont au cœur du dispositif opérationnel de la gestion durable des forêts. En effet, l’évaluation et
l’observation systématique des forêts et des terres forestières sont des éléments essentiels car
ils permettent de fournir aux planificateurs, aux décideurs et aux communautés locales des
données fiables appropriées et à jour en vue d’une prise de décision éclairée relative à la

723 Thomas Bierschenk, 2010, “Historiciser et localiser les approches”, in Bulletin de l’APAD, Vol. 31-32.
724 Op. cit.
725 Nous synthétisons ici la substance des propos de VNDG, haut cadre du Ministère des forêts et de la faune. Notre entretien, juillet 2015, Yaoundé.

341
planification à long terme de la gestion, la conservation et l’exploitation des ressources
forestières726.

Toutes choses dont on sait aujourd’hui, notamment avec les travaux de D. Arnoldussen et al (2008)727,
qu’elles s’inscrivent essentiellement dans le fonctionnement du système global et qu’elles sont ainsi
envisagées a posteriori pour légitimer le paradigme d’exploitation capitaliste des ressources forestières, et par
conséquent pour consolider les institutions actuelles sur lesquelles se déploie ledit paradigme.

La démarche du fonctionnaire de l’État entend ignorer toute la dynamique internationale qui conditionne et
encadre le déploiement des politiques nationales et des options institutionnelles et stratégiques [ce qui est
surprenant notamment dans un contexte essentiellement dépendant comme celui du Cameroun, des
dynamiques intellectuelles et politiques exogènes (Fabien Eboussi Boulaga, 1997)]728; pour donner de la
substance et du crédit à l’État, autrement dit nourrir la légitimité de l’État, rassurer sur sa capacité à avoir le
contrôle sur les enjeux collectifs et par conséquent la maitrise sur la projection stratégique de la collectivité,
indépendamment de toute influence externe et de toute dynamique à caractère global. La préoccupation
ultime de cette démarche étant le renforcement de la légitimité de l’État et par ricochet le maintien du statu
quo quant au contexte systémique opératoire. Or, comme le martèle Marie-Claude Smouts (2001) :
La logique des dynamiques et processus internationaux qui amène la Banque mondiale à ouvrir
l’économie forestière camerounaise aux réformes est une logique que certains préconisent
d’appeler Politique mondiale, dans laquelle les États n’occupent pas une place déterminante et
où le jeu se déroule largement hors de leur contrôle […]
[En effet, au-delà des diverses Conventions diverses auxquelles les réformes forestières se
réfèrent incidemment, partiellement, indirectement ou par défaut, l’idée d’une Convention
globale portant spécifiquement sur la forêt a connu une inflexion déterminante729] Au Sommet de
Houston, en juillet 1990, le président George Bush avait insisté, avec l’Allemagne, pour faire
adopter par le G7 un texte où les grands leaders du monde industriel se déclaraient prêts à
entamer aussi vite que possible des négociations pour une Convention ou un Accord mondial
sur les forêts. Les ONG poussaient fortement dans ce sens. En 1990, de tous les côtés, on y

726 Commission des forêts d’Afrique centrale, Recueil des bonnes pratiques de mise en œuvre du plan de convergence en Afrique centrale,
COMIFAC.
Aucune date n’est mentionnée pour la publication de ce document. Cependant, eu égard aux indications qu’il contient, on peut avancer qu’il est de la
fin-2014 ou début-2015.
727 Op. cit.
728 Lire :

- Fabien Eboussi Boulaga, 1997, La démocratie de transit au Cameroun, éd. L’Harmattan, Paris.
- Fabien Eboussi Boulaga & Valentin Siméon Zinga (avec l’encadrement et l’appui financier de la Friedrich Ebert Stiftung), 2002, Lutte contre la
corruption. Impossible est-il camerounais?, éd. Presses Universitaires d’Afrique, Yaoundé
Cependant, au-delà du PAFT dans lequel s’origine directement la prise en charge par la Banque mondiale des réformes forestières camerounaises au
début des années 1990, l’on peut citer plusieurs instruments internationaux auxquels les politiques nationales camerounaises se réfèrent officiellement :
- La Convention de Ramsar sur les zones humides d’importance internationale (1971);
- La Convention de l’UNESCO sur le patrimoine mondial (1972);
- La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore menacées d’extinction (CITES, 1973);
- La Convention sur la diversité biologique (Rio, 1992);
- La Convention sur les changements climatiques (Rio, 1992);
- La Convention sur la lutte contre la désertification (Rio, 1992);
- Etc.
729 Philippe Le Prestre, 2011, Vingt ans après : Rio et l’avant-goût de l’avenir, éd. Les Presses de l’Université Laval, Québec/Canada.

342
pensait : la FAO se voyait bien comme le lieu approprié pour mener ce type de négociations; le
Conseil européen de Dublin proposait qu’un Protocole particulier pour les forêts tropicales soit
incorporé dans la future Convention sur le climat; le Parlement européen priait la Commission
d’œuvrer en priorité pour la préparation et la mise en œuvre d’une Convention mondiale sur la
protection des forêts; la seconde Conférence sur le climat recommandait l’adoption d’un
instrument juridique international sur les forêts en liaison avec les textes sur le changement
climatique et la biodiversité; etc. […]
Le haut fait de l’Organisation internationale des bois tropicaux est d’avoir adopté à Bali, en mai
1990, une décision selon laquelle tous les bois tropicaux commercialisés par ses pays membres
sur le marché international devraient provenir des forêts gérées de façon durable à l’horizon
2000. Dans un contexte où le malaise suscité par le devenir des forêts tropicales devenait de
plus en plus lourd et où l’on attendait de la communauté internationale qu’elle se mobilise pour
éviter le désastre annoncé, l’Objectif 2000 de l’OIBT était la réponse de la nouvelle institution
aux interrogations du temps. Elle n’offrait pas une solution globale, mais elle essayait de
catalyser les efforts de ses membres en misant sur des rapports de soutien mutuel entre
commerce des bois tropicaux et conservation. Un fonds spécifique était créé, dit Fonds pour le
partenariat de Bali, pour aider les pays à mettre en œuvre l’Objectif 2000 ou bien leur permettre
de créer des programmes de conservation dans les forêts productrices de bois d’œuvre730.

C’est dans cette perspective alternative d’explication définitivement marginale –dont il apparait surtout qu’elle
est biaisée par l’arbitraire du réflexe de conservation d’une dynamique d’intérêts de classe –que les conditions
relevées par les fonctionnaires de l’État à la motivation des Réformes forestières excluent le contexte global et
les dynamiques internationales pour insister essentiellement sur la déterminance locale. Il en découle que du
point de vue du déploiement structurel de la collectivité politique et de la cohérence historique, la logique
d’explication portée dans le discours des fonctionnaires de l’État est non seulement spécieuse, en ceci qu’elle
tente adroitement de récupérer à son compte des arguments tout à fait pertinents mais dont il appert qu’ils
sont tout entiers formulés à l’échelle internationale; mais également anachronique, en ceci que les principales
dynamiques qui charpentent la problématique environnementale et les moments fondateurs centraux des
réformes forestières s’arriment essentiellement au calendrier international. Mais surtout aussi, la nature des
griefs que le discours étatique relève pour motiver la nécessité des Réformes confirme parfaitement par
défaut, et par le seul fait d’avoir attendu comme par enchantement ce que nous appelons le temps
international pour advenir, la validité des contraintes structurelles historiques paradigmatiques, interscalaires
et contextuelles et par conséquent l’opérationnalité des contradictions ontogénétiques qui sont au cœur de la
collectivité politique camerounaise et qui expliquent la marginalisation des communautés locales dans la mise
en œuvre du Régime des forêts de 1994. L’analyse que nous formulons ici est corroborée par Rozenn
Nakanabo Diallo (2013) dont toute la thèse, consacrée à l’examen des enjeux institutionnels mobilisés par la
mise en place des politiques de conservation au Mozambique, montre comment l’État postcolonial africain en
tant qu’institution centrale de cristallisation de la collectivité politique moderne d’héritage coloniale entend se

730 Op. cit.

343
consolider à travers la reflection/la médiation qu’elle fait au niveau national des enjeux et des problématiques
globaux mais aussi des intérêts internationaux.

Mais surtout, le raisonnement des fonctionnaires et la logique de leur discours actualisent un débat théorique
déjà ancien portant sur les rapports pour le moins nuancés entre participation et délibération que rappelle
Yves Sintomer (2011) :
Si l’invocation de la participation de tous les citoyens au gouvernement de la cité était
constitutive de la “florentina libertas”, la délibération au sens du débat public, pour autant qu’elle
était institutionnalisée, était réservée à un petit nombre, et il fallut attendre la création d’un
Grand Conseil en 1494, quelques décennies avant la chute définitive de la République, pour
qu’elle s’ouvre vraiment. Cette extension ne fut pas sans être contestée. Dans la pensée
politique de l’époque, la discussion des lois et leur adoption constituaient deux fonctions
distinctes, et nombreux étaient ceux qui refusaient qu’elles soient toutes deux exercées par le
grand nombre. Le terme de “deliberazione”, comme dans le vieux français, renvoyait
essentiellement à la prise de décision d’un corps collectif et n’impliquait pas forcément une
discussion. Francesco Guicciardini, l’alter ego de Machiavel et l’un des premiers défenseurs
modernes du gouvernement représentatif, pouvait ainsi écrire : “J’accepte aisément que la
délibération des lois soit prise par le Grand Conseil, parce qu’elles ont un caractère universel et
qu’elles concernent tous les membres de la cité; j’apprécie cependant le fait qu’il soit impossible
de les discuter publiquement, ou du moins seulement en suivant les ordres de la “Signoria” et en
pouvant seulement se prononcer en faveur des projets déposés par celle-ci – car s’il était
permis à n’importe qui de persuader ou de dissuader les autres, cela mènerait à une grande
confusion”731.

Dès lors, la dernière poche de résistance qui s’érigerait encore devant l’armature hypothético-théorique que
développe notre thèse pourrait se retrouver dans la logique et l’argumentaire portés par l’analyse d’Alain
Karsenty. A priori, cet ultime obstacle à la validité du postulat fondateur de notre thèse n’est pas des moindres,
au regard des “états de service” dont se prévaudrait le chercheur français dans la documentation scientifique
de l’économie forestière en Afrique. En effet, nous avons déjà indiqué que Alain Karsenty a séjourné en
Afrique centrale où il a travaillé pendant plusieurs années comme chercheur au Bureau camerounais du
Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) sur l’analyse
économique du secteur forestier, et comme consultant avec la Banque mondiale sur les conditions
d’optimisation économique de l’exploitation des forêts. Karsenty fait authentiquement partie des experts de
premier plan de l’économie forestière du Bassin du Congo et de la gouvernance camerounaise des forêts. Il a
publié de nombreux articles auxquels nous référons abondamment dans la présente thèse. Il fait partie des
acteurs de la recherche que nous avons pu interviewer.

731 Op. cit.

344
En dépit de tous les déterminants d’extranéité732 auxquels le chercheur est confronté, des éléments objectifs
qu’il a pourtant la probité de présenter fidèlement lui-même, Alain Karsenty (2016, 2005)733 ne pense pas
moins qu’il est inexact d’affirmer que les réformes forestières déployées au Cameroun au début des années
1990 et qui donnent lieu à l’adoption d’un nouveau régime des forêts en 1994 sont de motivation exogène,
étant donné [et c’est l’élément-clé de son argument] la participation de consultants d’origine camerounaise
dans les tout premiers “Comités mixtes de travail” qu’organisent la Banque mondiale sur la question dès la fin
des années 1980.

Or, cet élément factuel auquel Karsenty cramponne son argument de la non-exogénéité des réformes
forestières camerounaises ne résiste ni à la théorie sociale environnementale, ni à l’analyse par les approches
du développement durable, de la gouvernance ou de la délibération, étant entendu que pour le capital
théorique qui se dégage de ce bassin d’approches, il s’avère que la présence d’experts camerounais aux
premiers “Comités mixtes de travail” qui posent les bases des réformes forestières sous la houlette de la
Banque mondiale est loin de signifier la “participation” du Cameroun mieux, des Camerounais considérés
comme acteurs politiques c’est-à-dire citoyens et intellectuels, comme acteurs économiques.

En effet, on ne saurait parler d’une motivation authentiquement nationale que dans la mesure où cette
motivation est le résultat historiquement cohérent d’une procession structurelle endogène ou interne, c’est-à-
dire qui met en œuvre une dynamique propre et bien sentie des acteurs locaux, que cette dynamique soit
provoquée par les communautés villageoises, la société civile, l’industrie ou même par le gouvernement, à
partir de la formulation d’un risque qui engage l’ensemble de la collectivité et dans une démarche
d’appropriation collective de la controverse ainsi créée autour d’un enjeu critique commun ou partagé (Louis
Guay et Pierre Hamel, 2015; Luigi Pellizzoni & Laurent Vanini, 2013; Yves Sintomer, 2011; Valérie Angeon et
Armelle Caron, 2009; John Hannigan, 2006; Louis Simard et al, 2006; Jacques Theys, 2000). Pour le dire
autrement, avec les mots de Gourgues et al (2013) :
Ce qui est en cause ici, c’est généralement la question de la place laissée au conflit et aux
forces contestataires. Fondées sur une conception fonctionnaliste qui n’envisage le conflit que
comme une menace pour l’ordre social, bien des procédures participatives et délibératives font
effectivement de son évitement ou de sa réduction une finalité. Or la (re)découverte des idées
de Saul Alinsky par les militants contemporains témoigne de l’aspiration à penser la participation
sans renoncer à la conflictualité.

732 Nous empruntons le concept d’extranéité à Rozenn Nakanabo Diallo qui, elle, se consacre à l’étude des politiques publiques environnementales au
Mozambique. Synonyme de l’exogénéité, l’extranéité rend compte de la procession extérieure des de l’intellectualité opératoire dans les États d’Afrique.
733 Dans plusieurs de ses articles auxquels nous référons abondamment dans le texte –il l’a répété au cours de l’entretien qu’il nous a accordé –Alain

Karsenty insiste sur le fait que même si l’initiative des réformes forestières ayant abouti à l’élaboration d’un nouveau régime des forêts en 1994 relève
de la Banque mondiale, on ne saurait exclure le Cameroun dans cette motivation étant donné que les tout premiers “Comités mixtes de travail”
qu’organise la Banque mondiale comportaient des experts de nationalité ou d’origine camerounaise.

345
Remis au goût du jour au cours d’expériences anglaises ou françaises, les fondements du
“Community Organizing” reposent sur une définition conflictuelle et agnostique de l’intervention
populaire dans les démocraties. Les militants partagent les convictions d’Alinsky : c’est à partir
de leur autonomie, de leur propre organisation, et de leur capacité à construire un rapport de
force avec les pouvoirs publics que les citoyens les plus pauvres parviendront à s’émanciper.
Toute démarche participative n’a alors de sens que si elle admet que “le conflit est le cœur
même d’une société libre et ouverte”. Aussi, poursuit Alinsky, “si l’on devait traduire la
démocratie en musique, le thème majeur serait l’harmonie de la dissonance” (Alinsky, 1971) […]
On doit notamment à ces analyses critiques d’avoir fait passer l’obsession du consensus à
l’arrière-plan, en accordant un statut central aux conflits, aux tensions et aux disputes, perçus
non plus comme des éléments résiduels ou perturbateurs, mais comme la matière même de la
politique et donc des processus délibératifs. Cet éloignement de la “téléologie du consensus”
(Mansbridge et al, 2010) permet ainsi de mieux entrevoir la façon dont les espaces publics
institutionnalisés et les espaces publics oppositionnels (Negt, 2007) font système, et de mieux
penser l’articulation entre les formes de participation relevant de la délibération et celles relevant
de l’activisme, bien qu’elles ne reposent pas sur les mêmes vertus politiques (Young, 2001).
Surtout, ces lectures critiques ont renouvelé la problématique d’inclusion/exclusion
démocratique en portant l’attention sur les acteurs les plus faibles ou en position subalterne,
comme les femmes. La délibération, du fait des contraintes discrètes qu’elle impose –en termes
d’expression et de comportement par exemple –imposerait un “coût d’entrée” dans l’espace
public potentiellement discriminatoire (Sanders, 1997; Young, 2000). Non seulement, ces
analyses ont révélé les impensés et les points aveugles des théories en la matière, mais plus
encore, elles formulent des voies de dépassement des apories des procédures participatives
et/ou délibératives en analysant finement les conditions d’avènement de sujets politiques. Le
concept de “contre public subalterne” forgé par Nancy Fraser compte parmi ces apports
théoriques qui sont utiles tout à la fois pour accompagner l’action critique des mouvements
sociaux et pour fonder l’analyse critique des dispositifs existants734.

Autrement dit, il n’y aurait effectivement eu procession endogène et par conséquent paternité camerounaise
des réformes forestières que si l’ensemble des composantes sinon citoyennes du moins du corps social
camerounais (individualités, associations, institutions, politiques) concernées avait été mobilisé et déployé
sous la forme d’une dynamique nationale, dans une démarche collective politisée et publicisée, négociée,
publique, officielle et médiatisée (Mawussé Dovi, 2015; Rémi Barbier et coll., 2012; Alain Fréchette, 2009;
Marie Revel et al, 2007; Marion Carrel, 2006; Louis Guay et al, 2004)735.

734Guillaume Gourgues, Sandrine Rui et Sezin Topcu, 2013, “Gouvernementalité et participation. Lectures critiques”, coll. Participations, 2013/2 n°6.
735Tel est le schéma classique que décrit l’essentiel de la littérature en sociologie de l’environnement.
Lire les auteurs évoqués dans leurs ouvrages respectifs :
- Rémi Barbier et coll. (sous la dir.), 2012, Manuel de sociologie de l’environnement, PUL;
- Alain Fréchette, 2009, “La gouvernance forestière au Québec : le défi du changement institutionnel dans les systèmes socio-écologique
interdépendant” VertigO, nov.;
- John Hannigan, 2006, Environmental Sociology, 194 p.; et 1995, Environmental Sociology: A social constructionist perspective, London,
Routledge.
Relativement aux approches du développement durable, de la gouvernance, de la délibération et de la participation, référer éventuellement à :
- Louis Guay & Pierre Hamel, 2015, "The environmental governance of Canadian city-regions. Problems, Actions, and Challenges", in Kevin E. Jones,
Alex Lord and Rob Shield (dir.), City Regions in Prospect. Exploring Points Between Place and Practice, éd. McGill-Queen’s University Press,
Montréal & Kingston.
- Luigi Pellizzoni & Laurent Vanini, 2013, “Évaluer la nouvelle critique de la délibération publique”, in Participations, n°6.
- Yves Sintomer, 2011, “Délibération et participation : affinité élective ou concepts en tension?”, in Participations, n°1.
- Marie Revel, Cécile Blatrix, Loïc Blondiaux, Jean-Michel Fourniau, Benoît Heriard-Dubreuil et Rémi Lefebvre, 2007, Le débat public : une
expérience française de démocratie participative, éd. La Découverte, Paris.

346
C’est ce qui se dégage sans ambiguïté de la critique qu’un interlocuteur de la société civile donne de la lecture
développée par le fonctionnaire du gouvernement. En effet, s’il n’est pas sans importance d’indiquer –du point
de vue des enjeux méthodologiques –que dans le refus quasi instinctif des acteurs gouvernementaux
d’accorder la demande d’interview que nous leur adressions, VNDG auquel nous référons ici, avait
conditionné sa disponibilité à notre sollicitation par le choix non discutable de répondre par écrit à notre Guide
d’interview, nous nous sommes contentés des réponses mises à notre disposition, sans aucune possibilité de
relance interactive pour l’explicitation d’une préoccupation ou l’éclairage d’une autre.736 Cependant, pour
contourner cet obstacle en évitant d’engager directement notre propre interprétation des données, nous avons
souvent présenté la lecture d’une catégorie d’acteurs au commentaire d’une autre catégorie. C’est ainsi que
RMBK d’INADÈS-Cameroun formule clairement son scepticisme devant la lecture pour le moins surréaliste et
abstraite que le fonctionnaire développe des conditions d’émergence des Réformes forestières du début des
années 1990. En effet, pour cet expert de l’une des plus anciennes organisations non-gouvernementales
dédiées à la cause du développement rural au Cameroun : « La participation des communautés villageoises
aux Réformes forestières constitue un problème central eu égard au faible encadrement du concept de
participation des populations locales, et étant donné que les mécanismes d’implication des populations locales
dans la gestion des forêts n’ont jamais fait l’objet d’une réelle évaluation »737.

C’est exactement la même analyse que développe Parfait Oumba (2007) quand il énonce que :
L’accès aux ressources forestières, surtout quand il est question d’exploitation pour le bois
d’œuvre, est une affaire de pouvoir. Il est donc éminemment politique. Le processus mis en
œuvre par les différents acteurs pour l’acquisition et l’exploitation des forêts communautaires fait
très peu cas des questions de pouvoir. En d’autres termes, le processus n’a pas donné lieu à un
réel cadre de négociation entre les populations et les autres intervenants. La multiplicité des
conflits observés actuellement autour des forêts communautaires est la preuve patente de cette
situation.
En effet, ces conflits sont le témoignage de la faiblesse de la qualité de la participation et de
l'implication des populations dans le processus, alors que ce processus aurait dû contribuer à
une augmentation du pouvoir des populations locales par rapport à d'autres acteurs. Ainsi, le
défi que devra relever les politiques forestières actuelles est celui de la participation effective à
la gestion des ressources forestières et au-delà celui du développement local durable. Pour être
effective, la participation doit revêtir un caractère endogène, c’est-à-dire apparaitre comme une

- Louis Simard, Laurent Lepage, Jean-Michel Fourniau, Michel Gariepy et Mario Gauthier, 2006, Le débat public en apprentissage : aménagement
et environnement, éd. L'Harmattan, Paris.
- Marion Carrel, 2006, “Politisation et publicisation : les effets fragiles de la délibération en milieu populaire”, in Politix, vol.19, n°75.
- Louis Guay, Laval Doucet, Luc Bouthillier et Guy Debailleul, 2004, Les enjeux et les défis du développement durable : connaître, décider,
agir, éd. Presses de l’Université Laval, Québec.
- Jacques Theys, 2000, “Un nouveau principe d'action pour l'aménagement du territoire? Le développement durable et la confusion des (bons)
sentiments”, in Repenser le territoire : un dictionnaire critique, Éditions de l'Aube, La Tour d'Aigue.
- Etc.
736 Comme on peut le voir dans le document en Annexes (Annexe II), c’est dans une démarche propre que le fonctionnaire a accepté de répondre aux

questions, modifiant souvent la logique et l’ordre du Guide d’entrevue.


737 Entretien avec RMBK de l’ONG INADÈS-Cameroun, Yaoundé, 2015.

347
initiative interne de la communauté. Car de manière générale, il ne s’agit pas à proprement
parler de participation des populations à la gestion des ressources forestières, mais de leur
adhésion à un projet conçu sans elles, et à la réalisation duquel elles ont été juste associées.
C’est le cas notamment de la création des “Comités-paysans-forêts” dans la Réserve de
Lokoundjé-Nyong au Cameroun, ou encore de l’implication des populations ou, à tout le moins
le recrutement de la main-d’œuvre locale, dans les projets de conservation financés par les
bailleurs de fonds internationaux : ECOFAC/Dja dans les villages Meka, Somalomo, Ekom et
UICN-SNV à Lomié738.

Cette analyse extrêmement pointue n’est pas neuve et avait déjà été suggérée par Jean-François Bayart
(1996) qui énonçait une dizaine d’années plus tôt que :
Le déploiement de l’institution étatique en Afrique et l’existence d’une société civile participent
de ce que Gramsci estimait être un “juste rapport”, par opposition à des situations de
“statolâtrie”, en présence d’une société civile primitive et gélatineuse. Dans ces derniers cas, il
s’agit d’un État hétérogène, et soit qu’il fût imposé par la colonisation, soit qu’il procéda d’une
rupture révolutionnaire, en tout cas, cet État a délibérément été construit contre la société civile,
souvent sur un mode mimétique. L’État postcolonial africain appartient incontestablement à
cette catégorie739.

C’est cette analyse qui confirme l’élément central de motivation de la présente thèse à savoir qu’en dépit des
allégations démocratiques ou de décentralisation, d’environnementalité et de durabilité qui lui ont été accolées
a priori, le Régime des forêts mis en place en 1994 a manifesté des dysfonctionnements profonds dans sa
mise en œuvre. L’une de ses contradictions les plus emblématiques est la marginalisation des communautés
locales dans la gouvernance et la gestion de l’économie forestière. L’analyse formulée ci-haut par l’expert
d’INADÈS-Cameroun est non seulement confortée par la littérature scientifique mais surtout, elle est
quasiment attestée par les termes et conditions dans lesquels la dynamique actuelle de réforme du Régime
forestier actuel vont se poser à la fin des années 2000. En effet, on apprend de tous les travaux effectués sur
le sujet, en l’occurrence de ceux de Bakker Nongni & Guillaume Lescuyer (2016), que :
[…] Le Cameroun entend ainsi reconnaître l’importance des forêts pour tous les acteurs
concernés par la gestion forestière, et particulièrement pour les populations locales qui, bien
que dépendant des ressources forestières pour se nourrir, se soigner et exercer les rites
culturels (Rametsteiner et Whiteman, 2014), avaient été marginalisées lors de l’adoption de la
loi forestière du 20 janvier 1994 (François Ekoko, 2000). Cette faible implication des acteurs non
étatiques dans les discussions préalables à l’élaboration de la loi forestière de 1994 a été une
source indirecte de conflits sur l’usage des ressources forestières (G. Lescuyer, 2007;
Samndong et Vatn, 2012; Veuthey et Gerber, 2010) et d’incompréhension quant au régime de
tenure foncière et forestière (Egbe, 2000). C’est dans ce contexte que le Ministère des forêts et
de la faune s’est engagé formellement en 2008 à conduire un processus participatif et inclusif
pour la réforme de la prochaine loi forestière740.

738 Op. cit.


739 Jean-Francois Bayart (dir.), 1996, La greffe de l’État, éd. Karthala, Paris.
740 Extrait de leur tout récent article intitulé “La réforme de la loi forestière camerounaise. Un processus de concertation en forme de double spirale”. In

Buttoud et J.C. Nguinguiri, 2016, La gestion inclusive des forêts d’Afrique centrale : passer de la participation au partage des pouvoirs, FAO-
CIFOR, Libreville-Bogor.

348
Ce propos de Bakker Nongni & Guillaume Lescuyer confirme définitivement au détail près l’exogénéité, la non-
endogénéité, l’absence des communautés villageoises, ainsi que la motivation toute entière internationale et
globale des Réformes forestières dont procède la mise en place du Régime des forêts de 1994.

Nous pourrions donc relever du point de vue théorique que l’intérêt sociologique ou épistémologique des
recherches consacrées à l’environnement et particulièrement à la gouvernance environnementale se
détermine non seulement au niveau des transformations méthodologiques ou stratégiques qui interviennent
dans les modalités de construction des institutions que la problématique environnementale introduit dans
l’approche de gouvernement des affaires publiques, mais également dans la mise en exergue de l’aspect
conflictuel et politique que mobilise la rencontre de représentations et intérêts pour le moins pluriels
(Guillaume Gourgues et al, 2013 ; Mark Bevir, 2011). Il en découle que si les suppositions alléguées par les
acteurs étatiques et les organisations intergouvernementales sont effectivement plausibles, elles n’ont jamais
pu être manifestées sous la forme d’une action politique concrète, eu égard à la minorité citoyenne des
populations villageoises consécutive à la fracture historique structurelle existant dans la collectivité entre l’État
et les populations villageoises. Dès lors, en tant que virtualités, ces suppositions ne sauraient donc constituer
ni un argument de poids, ni un élément déterminant de l’émergence des Réformes ayant provoqué la mise en
place du Régime des forêts de 1994. C’est ainsi en effet qu’en dépit de l’évocation des malaises dont il dit
qu’elles avaient toujours caractérisé l’économie forestière, Phil René Oyono (2006) n’en revient pas moins à
ne présenter pour seul élément tangible que la motivation par les dynamiques globales ou extérieures :
« Depuis la colonisation allemande, le champ des parties prenantes de la gestion des forêts
camerounaises a toujours été habité par des conflits souterrains, qui se transforment assez
souvent en conflits ouverts. Ces conflits et ces malentendus portent globalement sur l'accès des
communautés locales –pour la production des moyens de subsistance à travers l'agriculture et
la chasse –à des aires protégées délimitées par l'Administration coloniale. Ils portent également
sur la revendication d'une “part” équitable dans les bénéfices générés par l'exploitation des
forêts léguées par les ancêtres, et, selon lesdites communautés, arrachées par l'État et les
compagnies étrangères. Ces conflits et ces malentendus sont devenus plus répétitifs après les
indépendances, lorsque les attentes des communautés locales vis-à-vis de l'État central se sont
accrues. Mais741 c'est au début des années 1990, dans la mouvance de la transition vers un
régime politique moins intolérant à l'égard des libertés, que ces conflits se sont réellement
amplifiés et ont gagné en profondeur. Partout dans la zone forestière du Cameroun, des leaders
d'opinion commencèrent à sensibiliser les communautés locales sur le caractère injuste de
l'appropriation exclusive de la rente forestière et de sa plus-value par les compagnies
étrangères et par l'État. Des conflits violents entre les compagnies forestières –protégées
généralement par les forces de l'ordre et les autorités administratives –d'un côté, et les
communautés locales, de l'autre caté, sont enregistrés »742.

741 Le soulignement est de nous-mêmes. Étant entendu qu’avant cette proposition de rupture qu’est “Mais”, l’auteur ne réfèrent aucune des suppositions
ultérieures formulées.
742 Op. cit.

349
20. Approche théorique de la marginalisation structurelle des communautés locales
Dès lors, l’originalité de notre thèse et la spécificité de notre apport consistent à expliquer la marginalité des
communautés villageoises dans la mise en œuvre de la gouvernance forestière à partir de deux paramètres
déterminants irréductibles, dans une démarche qui opérationnalise la théorie critique et l’économie politique
mais aussi l’histoire et la philosophie de l’histoire : leur absence à la motivation des réformes forestières, mais
aussi de leur présence alléguée dans le processus d’élaboration du régime des forêts en vigueur, notamment
quand on sait avec Mark Bevir (2011) que :
Dialogic policy emphasises the collaborative role of the citizen throughout the policy process
(Fischer and Forester, 1993; Forester, 1999; Hajer and Wagenaar, 2003). Dialogic approaches
give citizens an opportunity to exchange relevant viewpoints and arguments before adopting a
policy. The dialogic process might be overseen or facilitated by public officials. Alternatively,
public officials might provide one voice among many in a dialogue. The dialogic process might
be an exercise in consultation or a way of reaching a decision. Typically, dialogic policy making
is an iterative process. Repeated negotiations among conflicting beliefs may discourage
participants from remaining stubbornly uncompromising. Dialogue may move participants
towards substantial compromises and agreements (Roberts, 2002). The compromises and
agreements may increase satisfaction with policy outcomes … Some believe that dialogic policy
making may provide a means of renewing civic life and enhancing political legitimacy743.

C’est le lieu d’insister sur les enjeux fondamentaux mobilisés par la marginalisation citoyenne et politique des
communautés villageoises. En effet, contrairement à la généralisation que formule Marie-Claude Smouts
(2001) notamment quand elle énonce que « Partout, la dimension politique est au cœur du processus »744, la
Loi des forêts qui sera mise en place en 1994 s’origine dans des conditions essentiellement biaisées par le
déficit politique (RMBK INADÈS-Cameroun, 2015745; Guillaume Gourgues et al, 2013; Yves Sintomer, 2011;
Fabrice Parfait Oumba, 2007) : dans un contexte où les réformes sont initiées par la Banque mondiale dont
l’unique interlocuteur est un État colonial porté par des intérêts complètement désarticulés, le nouveau régime
va comme naturellement souffrir d’inconsistance et d’artificialité à cause de son abstraction endogène causée
elle-même par l’absence radicale d’un ancrage citoyen qui aurait été construit par le déploiement d’un débat
collectif. Toutes choses qui lui auraient assuré sa pertinence endogène et collective ainsi que les garanties de
cohérence de son articulation aux préoccupations pertinentes, dans la même perspective que Mark Bevir
(2011) qui se préoccupe du potentiel de cohérence des politiques publiques élaborées dans une démarche
inclusive de tous les acteurs concernés.

En l’occurrence, et dans la mesure où il rend compte des dynamiques des acteurs autour de la formulation et
du contrôle de la norme opératoire, le concept de pouvoir constitue –dans son articulation à deux autres

743 Mark Bevir, 2011, “Governance and governmentality after Neoliberalism”, in Policy & Politics, Vol. 39, n° 4, The Policy Press.
744 Op. cit.
745 L’entretien qu’il nous a accordé…

350
variables que sont la “légitimité” et “l’autorité” que l’on peut rapprocher à ce que J. Candau & P. Deuffic (2009)
appellent “l’intérêt général” –la trame de lecture des divers positionnements que les différents acteurs
occupent ou adoptent dans la construction d’un nouvel échiquier de gestion des ressources
environnementales. Donc, au-delà des enjeux de pouvoir, la gouvernance environnementale mobilise
fondamentalement aussi les préoccupations liées au statut organique ou collectif de chaque acteur, à la
légitimité dont il peut se prévaloir dans le contexte collectif opératoire, et par conséquent aux intérêts
spécifiques que chacun présente dans le champ des interactions (M.-C. Smouts, 2001; Fabien Eboussi
Boulaga, 1997)746. C’est ainsi que les dysfonctionnements manifestés dans la mise en œuvre de la Réforme
de 1994 attestent clairement de ce qu’elles ne procèdent pas de la représentation indigène de la forêt, qu’elles
ne procèdent pas de la connaissance de la réalité locale, et qu’elles ne sont pas la conséquence de
l’intelligence collective endogène. Dans leur analyse des contradictions structurelles manifestées dans la
gouvernance des forêts au Cameroun, et qui selon eux expliquent les divers dysfonctionnements ainsi que les
résultats mitigés obtenus jusque-là des Réformes proposées, Paolo Cerutti et al (2013) avancent, dans une
démarche clairement basée sur ce que notre thèse identifie comme contraintes structurelles contextuelles :
It would be tempting to ascribe the causes of such practices to the ignorance or incompetence of
State officials, who seem to be expected to easily turn into stalwart forest managers thanks to
the pressures and funds deployed by development partners in the name of FLEGT initiatives.
However, such ignorance and/or incompetence are not the most likely root causes of policy
failure, because State officials are often well informed and capable of engaging in complex
political maneuvers (Ascher, 1999; Bayart et al., 1999). Policy failures are best understood as
the result of State officials pursuing illegal or politically strategic objectives for their own benefit
(Ascher, 1999; Bayart et al., 1999; Ross, 1999). The dynamics of such strategies have to be
understood in order to identify who might have the power and the legitimacy to provide genuine
political backing to redress and improve the situation through policy reforms (Ascher, 1999).
Sikor & To, 2011) suggest that the relatively recent discourse about illegal logging in Vietnam
and policies aimed at stopping it (as part of broader processes aiming at reconstituting the
State) served to enhance the legitimacy of the central government in the fight against Illegal
forest activities (IFAs) […]
In other cases, legitimacy and institutional improvements may be harder to achieve, especially
where racketeering and predation are so institutionalized that they have become the normal
modus operandi of the State, as is the case in several African countries that are considering
participation in the Forest Law Enforcement, Governance and Trade (FLEGT) process (A.
Mbèmbè, 2010). We argue that in these countries corruption, defined as the misuse of entrusted
power for private gain (Transparency International, 2011), is more than just an ‘‘all too easy
explanation’’ for policy failures as argued by Ascher (1999, ix). Rather, corruption may be the
root cause of such failures –for instance, as argued by Lambsdorff (2007) –notably in relation to
the fight against IFAs and to reforms planned as part of the adoption of the Plan. Corruption is
an integral part of the complex political economic dynamics it serves. We assess the political
economy of commercial chainsaw logging in Cameroon. Cameroon is a kind of model case
study because it has in place a neo-patrimonial system (Médard, 2002) –which is characterized
by the confusion of the public and private domains and which is not unique among the current
746Lire :
- Marie-Claude Smouts, 2001, op. cit.
- Fabien Eboussi Boulaga, 1997, La démocratie de transit au Cameroun, éd. L’Harmattan, Paris.

351
African FLEGT countries (A. Mbèmbè, 2010) –that, over several decades, has engendered a
wide gap between a tiny elite of wealthy State officials and a large number of disillusioned local
ones (International Crisis Group, 2010a; 2010b). Furthermore, for many years the country has
been at the center of global concern over IFAs and poor governance in the forestry sector
(Brown et al., 2008; Lawson & MacFaul, 2010)747.

Dans le cas de la mise en place des réformes forestières au Cameroun, la littérature établit invariablement une
motivation exogène duelle ou à deux dimensions, articulée d’une part aux intérêts économico-financiers qui
engagent l’État à l’échelle internationale (Alain Karsenty, 2016; Jake Brunner & François Ekoko, 2000) par où
il s’agissait pour la Banque mondiale de supprimer « A discretionary allocation system at the core of the
patronage system and politicians games : high private transfers and low public revenues » (A. Karsenty,
2016); et d’autre part aux enjeux écologiques et environnementaux que cristallise l’exploitation du bassin
forestier congolais (Symphorien Ongolo et Laura Brimont, 2015; Jérémie Mbairamadji, 2009).

En dehors des affirmations formulées par nos interlocuteurs des agences gouvernementales par où les
fonctionnaires interrogés prétendent que la maitrise des réformes forestières du début des années 1990 fût
tout entière sous le contrôle de l’État –dans une démarche qui participe comme nous le verrons plus loin des
contraintes structurelles contextuelles en même temps qu’elle s’inscrit dans le souci de conservation des
intérêts arbitraires politico-économiques prébendiers et néo-patrimoniaux établis (Bakker Nongni et Guillaume
Lescuyer, 2016; Paolo Cerutti et al, 2013; Friede-Magloire Ngo Youmba-Batana, 2007)748, l’ensemble des
données collectées aussi bien dans la littérature scientifique qu’auprès des acteurs des organisations de la
société civile et des communautés villageoises établissent sans ambiguïté une causalité immédiate et directe
entre l’action de la Banque mondiale à l’entrée, et la mise en place de réformes forestières à la sortie.
L’exigence ou le besoin de réforme du Régime d’exploitation des ressources forestières au Cameroun au
début des années 1990 procède non des acteurs nationaux, locaux ou indigènes, ni à partir de la conscience
que ces acteurs auraient eu de l’évolution interne des modes d’organisation politique et de production
économique propres à la collectivité politique camerounaise, non de l’aboutissement des dynamiques sociales
et des conditionnalités endogènes camerounaises, mais plutôt d’une motivation entièrement exogène, fût-elle
développée à partir des premières et avec la contribution individuelle de quelques experts africains comme le
défend désespérément Alain Karsenty (2016). Dès lors, la marginalisation des communautés locales,
villageoises ou indigènes se présente sous la forme d’une situation d’inadaptabilité paradigmatique d’un
segment organique de la collectivité politique censé faire partie intégrante du tout et de l’ensemble, mais qui
éprouve du mal à s’articuler à l’orientation civilisationnelle (intellectuelle, technique) dominante de la

747 Op. cit.


748 Bakker Nongni et Guillaume Lescuyer, op. cit.

352
collectivité politique, à cause de l’opérationnalité de disjonctions structurelles idéologiques et culturelles, des
décalages fondamentaux d’ordre structurel. Pour Marie-Claude Smouts (2001) :
La question délicate entre toutes reste celle de la médiation entre le discours construit par le
système forestier international au nom des intérêts supérieurs de l’humanité et la perception des
populations locales qui en subiront immédiatement les effets. Les sources des malentendus
sont nombreuses. Les définitions de la conservation [par exemple] ne sont pas claires. Non
seulement les populations locales n’ont pas la même perception des arbres et de la forêt que les
défenseurs de la forêt et de la vie sauvage.
La traduction du discours international dans un langage intelligible par ceux qui sont censés le
mettre en pratique n’est pas qu’une perception linguistique! La perception de l’espace et de son
utilisation optimale est par-dessus tout source de conflit : les découpages entrainés par les
projets de conservation, l’écotourisme, les concessions forestières, sont souvent en décalage
avec les usages villageois, les droits coutumiers, les limites symboliques du terroir.
Les rapports entre une société et son environnement naturel reposent sur des équilibres trop
subtils pour être imposées de l’extérieur selon des schémas préfabriqués. Ce décalage entre la
sphère de décision internationale où se construisent les normes dites universelles et les micro-
décisions prises sur le terrain par des populations dont la survie dépend du milieu environnant
est insurmontable749.

Marie-Claude Smouts (2001) indique clairement que la motivation lointaine des réformes forestières qui se
déploient au Cameroun au début des années 1990 s’enracine au milieu des années 1970, notamment à partir
de l’inquiétude que les États-Unis et plusieurs pays de l’Union européenne formulent devant les informations
de plus en plus alarmantes sur les risques planétaires liés à la disparition galopante des forêts tropicales.
C’est cette préoccupation primordiale qui va définitivement donner lieu à une dynamique véritablement
internationale coordonnée à partir des années 1980 autour du Programme alimentaire mondial et avec le
FAO, à laquelle participent également le gouvernement des États-Unis, le Programme des Nations-Unies pour
l’environnement (PNUE), la Banque mondiale et le World Resources Institute, le Fonds mondial pour la nature
(WWF), l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), etc. Comme le relève Smouts (2001) :
L’objectif premier plus ou moins avoué du Plan d’action forestier tropical [PAFT] qui est élaboré
était de fournir un cadre dans lequel renforcer l’action internationale dans le secteur forestier
des pays tropicaux, en augmentant les financements et les investissements. Les pays
européens, principaux fournisseurs d’aide, en faisaient grand cas. La communauté des bailleurs
de fonds utilisait le PAFT comme cadre de référence dans sa politique de répartition des aides
multilatérales et bilatérales. Dès lors, l’aide extérieure annuelle allant au secteur forestier
tropical doubla entre 1985 et 1990, ce qui témoignait du large soutien international dont
bénéficiait le PAFT. C’est ainsi que plus de soixante-dix pays tropicaux à l’exception du Brésil
acceptèrent d’être des partenaires actifs du Plan et manifestèrent leur intention de s’engager
dans l’élaboration de Plans d’action forestiers nationaux, sortes d’application aux différents États
du schéma général750.

749 Op. cit.


750 Op. cit.

353
Une petite parenthèse pour situer cette dynamique opératoire dans son contexte général et mieux comprendre
le bassin originaire des Réformes forestières qui interviennent au Cameroun au début des années 1990. Dans
une perspective globale de lecture des dynamiques politiques à l’œuvre dans la gouvernance
environnementale, on observe que l’inflexion structurelle que la modernité reçoit de la question
environnementale est le fait non pas des gouvernements et moins encore des industries, mais d’une
démarche conflictuelle conduite par les organisations non-gouvernementales et les mouvements associatifs et
citoyens (Rosalind Warner, 2010), à travers un effort souterrain collaboratif informel de longue haleine, par un
travail d’information de proximité, de sensibilisation sub-étatique, et finalement de mobilisation publique
(Marguerite A. Peeters, 2006). D’où l’importance décisive que leur accorde Arthur Mol (2000) dans
l’émergence de la conscience environnementale. Dans une critique radicale des dynamiques postmodernes
auxquelles participent les transformations paradigmatiques posées par l’environnement, Peeters observe
que « La révolution s’est produite au-dessus du niveau national et en-dessous, au niveau de ce qu’on a
appelé le “mouvement de la société civile”. Les vrais “propriétaires” de la nouvelle éthique ne sont pas les
gouvernements et les citoyens qu’ils représentent, mais des groupes de pression poursuivant des intérêts
particuliers qui, comme nous le verrons, se sont saisis subrepticement du pouvoir normatif mondial » (M. A.
Peeters, 2006).

C’est ainsi que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et d’autres organismes affinitaires se
sont souvent faits convoyeurs du projet environnementaliste qu’ils greffent à leurs projets financiers
d’obédience néolibérale, et finissent par provoquer une reconfiguration artificielle des paysages institutionnels
régionaux, nationaux et locaux par la mise en place de politiques environnementales nouvelles dans
lesquelles l’implication de la société civile, des acteurs non-étatiques, locaux et citoyens est censée assurer
une gestion plus objective et efficace des ressources allouées (Peeters, 2006 ; Baron, 2003 ; Jacquet, 2009).
Catherine Baron confirme cette approche globalisante à travers sa perspective territoriale notamment quand
elle relève que la mise en place des programmes d’ajustement structurel en Afrique subsaharienne a présenté
l’exigence de bonne gouvernance comme conditionnalité majeure que les pays devaient satisfaire pour
bénéficier des prêts de la Banque mondiale (C. Baron, 2003). Il en est de même pour le cas mozambicain
étudié par Rozenn Nakanabo Diallo (2013). Pour la chercheure :
Les aires de conservation sont depuis lors de plus en plus associées à des programmes de
développement. Reflétant ici les tendances internationales, les politiques formelles de
conservation mozambicaines insistent sur la nécessaire association de la protection de
l‘environnement –notamment par l’aménagement des aires de conservation –à la lutte contre la
pauvreté. C‘est ce triptyque constitué de : la “participation” des populations locales à la gestion
des aires de conservation et à la promotion du tourisme, par exemple en étant employées
comme gardes de parcs ou personnel hôtelier dans les structures d‘accueil des touristes ou en
bénéficiant d‘activités de sous-traitance, est présentée comme vecteur d‘emplois, et partant de
développement des populations. À partir des années 1990, ce triptyque apparaît de plus en plus

354
dans les feuilles de route des Bailleurs de fonds impliqués au Mozambique –outre la Banque
mondiale, l‘Agence française de développement (AFD) et l‘Agence des États-Unis pour le
développement international (USAID) déjà cités, on peut également mentionner l’Organisation
des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme des Nations Unies
pour le développement (PNUD)751.

Comme on le voit, les dynamiques de mise en place de politiques environnementales étudiées par Fall et
Kanté au Sénégal ou par Antoine Lassagne (2005) et Assembe Mvondo (2006) au Cameroun montrent
comment la gouvernance environnementale s’implante dans certains contextes nationaux et locaux dans une
dynamique de pression environnementaliste globale à laquelle participent certains gouvernements du Nord et
organismes financiers internationaux à travers leurs relations bilatérales ou multilatérales avec les pays
économiquement faibles et sous-industrialisés. Ici, les exigences environnementales ne se préoccupent pas
de l’existence de ressources alternatives –encore moins du projet politique ou de l’économie politique
nationale –qui permettraient aux États de compenser éventuellement la non-exploitation optimale des
ressources naturelles. Il en découle souvent à l’échelle locale comme à l’échelle nationale que les
communautés et les gouvernements se sentent la disponibilité d’opérationnaliser effectivement ou pas les
instruments supposés servir les objectifs de performance environnementale auxquels ils se sont engagés à
travers traités, conventions et autres conférences (A. Lassagne, 2005; J. Theys, 2003). C’est dans cette
logique d’impérialisme environnementaliste qui impacte la géopolitique internationale et s’inscrit dans les
interactions du global avec le local que les pays faibles vont mettre en place des politiques environnementales
dont les incohérences subséquentes trahissent fatalement et en conséquence leur suggestion exogène
(Guéneau, 2007 ; Baron, 2003). C’est dans cette logique typologique qu’on appellerait aussi de sujétion
mimétique que l’appui à la mise en œuvre de la gouvernance environnementale établit un rapport de
dépendance entre les ONG et les gouvernements, notamment dans les pays faibles et sous-performants.

Arthur Mol (2000) accorde une importance aussi primordiale que décisive aux organisations associatives et
civiles dans l’émergence de la conscience environnementale. Dans l’analyse qu’il fait des dynamiques de
modernisation écologique, A.P.J. Mol accorde une importance de premier plan autant à la sensibilité
environnementale de tous les acteurs qu’à l’opinion publique et au contexte national ou régional concernés.
Pour le sociologue néerlandais, non seulement l’activisme écologiste a joué un rôle décisif dans la mobilisation
des experts et de l’information critique, la formulation et la conduite des controverses publiques qui aboutiront
plus tard à la conscience du risque environnemental et par conséquent à la reconnaissance de la place que le
problème environnemental occupe dans l’émergence d’une nouvelle modernité, mais la fiabilité des institutions
et la performance écologique dépendent de cette participation intime et de l’engagement convaincu pour les

751 Op. cit.

355
transformations structurelles. C’est ainsi qu’on voit se déployer des projets alternatifs propres auxquels les
gouvernements et les communautés locales sont les collaborateurs d’organisations non-gouvernementales
(Tozzi, 2011 ; Fall, 2012 ; Paquet, 2009 ; Agrawal & Lemos, 2007 ; Guéneau, 2007). Plusieurs autres études
empiriques confortent l’articulation de la gouvernance à l’irruption d’acteurs non-gouvernementaux et surtout
l’incontestabilité de leur compétence dans les espaces jadis réservés et contrôlés par l’État. En effet, pendant
que M. Fall (2012) décrit comment la région estuarienne de Saloum au Sénégal est aujourd’hui placée sous le
régime d’un projet non-gouvernemental privé d’éco-développement auquel les riverains et les populations
locales semblent participer pleinement, eu égard aux opportunités d’activité, de production des richesses et de
revitalisation écologique qu’il leur offre.

Ainsi donc, c’est au bout d’une première dynamique peu concluante construite sur le Plan/Programme d’action
forestier tropical (PAFT) et coordonnée par la FAO que la Banque mondiale va se présenter comme le héraut
de la préoccupation internationale de contrôle de l’exploitation des forêts tropicales752. Sur cette dimension qui
est au centre de son analyse de la problématique forestière, Marie-Claude Smouts (2001) relève que :
La préoccupation de la déforestation de la forêt tropicale a émergé à la fin des années 1980
comme l’un des problèmes environnementaux les plus critiques pour la communauté
internationale. Que la dégradation des forêts tropicales humides compromette les possibilités de
développement, exacerbe les tensions sociales, détruise les cultures indigènes, c’était bien sûr
regrettable pour les populations concernées et la morale internationale, mais restait du ressort
des ONG et des agences spécialisées de l’ONU. Qu’elle puisse avoir des conséquences
catastrophiques sur la biodiversité, et surtout, qu’elle contribue au changement climatique à
l’échelle mondiale, cela méritait que les États les plus riches s’en soucient et que soient mis au
point les outils de mesure et de détection permettant d’évaluer précisément la menace […] Ce
fut la Banque mondiale qui s’affirma et devint le lieu de pouvoir et d’expertise dominant. Au
début des années 2000, presque tous les pays tropicaux étaient dans les Plans nationaux, sous
la haute surveillance de la Banque, et des ONG qui travaillent avec elle753.

En réalité, l’engagement au premier rang de la Banque mondiale dans la planification et la conduite de la


question environnementale et forestière à l’échelle globale reposait sur le levier financier ainsi que sur
l’infrastructure internationale de la dépendance telle que la décrit Guy Martin (2014)754 ou Noam Chomsky
(2016, 2005, 2003, 1995)755 à la suite de Wallerstein, Braudel et tous les autres. En effet, le caractère
planétaire et l’opérationnalité globale des enjeux mobilisés par l’exploitation des forêts tropicales constituent
une donnée avérée, notamment lorsqu'elle s’articule au concept d’économie-monde global formulé par F.
Braudel (1986, 1985, 1979, 1958, 1949) et qu’Immanuel Wallerstein (2014, 2012, 2011, 2009, 2008, 2006,

752 Marie-Claude Smouts complète en indiquant qu’il s’agit d’: « Organisations que l’histoire et des cultures institutionnelles mettent pourtant en
compétition, l’OIBT et la FAO sont en rivalité feutrée, tandis que la Banque mondiale est, pour tous les acteurs du système forestier mondial, le
partenaire à la fois incontournable et dénigré » (op. cit., 2001).
753 Op. cit.
754 Guy Martin, 2014, Understanding International Relations. Non-Western Perspectives, éd. Routledge, New York.
755 Op. cit.

356
2001, 1999, 1995, 1991, 1988, 1985, 1975, 1966) décline par le concept de système-monde. C’est dans ce
sillage que pour Marie-Claude Smouts (2001) :
La préoccupation [géo]stratégique pour la déforestation dont le caractère ou la dimension
éminemment internationale a été relancée dans la période récente par le petit nombre des
internationalistes s’intéressant à l’écologie, inquiets des menaces qui s’accumulent sur le
fonctionnement des composantes essentielles de la biosphère, et souvent sensibles, il faut bien
le dire, à l’activisme des ONG de défense de l’environnement aux États-Unis, au Canada, en
Angleterre, dans les pays d’Europe du Nord. Depuis les années 1980, la déforestation est
rangée parmi les grandes menaces environnementales, avec le réchauffement climatique, la
diminution de la couche d’ozone, la concentration des métaux lourds dans l’air et dans l’eau, la
dégradation des habitats marins, la raréfaction de l’eau douce, la perte de la biodiversité.
Analyser comment la société internationale réagit à ce risque particulier éclaire sur la façon dont
elle réagit, en général, face aux défis planétaires756.

Il en découle que la définition des orientations stratégiques, politiques et institutionnelles sur les forêts
tropicales, va épouser les contours du système géopolitique mondial qui met en œuvre d’un côté les acteurs
influents, les mécanismes dominants, les intérêts enracinés, les acteurs puissants, les États forts757 –les
“grands pays”, pour utiliser l’expression que les leaders politiques des États forts emploient pour affirmer leur
mode de déploiement ainsi que leur volonté de s’imposer sur la scène internationale –dont Symphorien
Ongolo (2016) dit relativement à la préoccupation environnementale globale que :
Certains pays semblent s’impliquer dans la diplomatie climatique pour s’assurer qu’aucune
décision pouvant remettre en cause leur modèle économique ou leurs privilèges ne soit prise.
Les principaux représentants de ce courant sont les pays producteurs de pétrole, dont le modèle
économique repose sur l’extraction des énergies fossiles qui sont l’une des principales causes
du dérèglement climatique. Il faut également associer à cette catégorie, “l’exception
américaine”. En effet, les États-Unis jonglent dans une attitude ambivalente, entre d’une part, un
engagement en première ligne pour influencer le système multilatéral en tant que première
puissance mondiale; et d’autre part une posture de retrait pour éviter toute remise en cause du
train de vie de leurs citoyens. D’autres pays industrialisés comme le Canada et le Japon jouent
également sur cette ambivalence entre implication formelle à la diplomatie climatique et
désengagement758;

Et de l’autre côté les États systémiquement faibles et les acteurs qui relèvent des contextes internationalement
dépendants. En effet, au moment où elle élabore cette analyse, Smouts (2001) relève que :
La façon dont est traité le sujet “déforestation” reflète moins le caractère particulier de l’objet
“forêts tropicales” que les jeux d’interaction structurant la société mondiale et les relations
internationales à un moment donné. La forêt tropicale est devenue un objet politique mondiale,
c’est-à-dire un objet de négociations internationales pouvant aboutir à des décisions
susceptibles d’affecter mondialement les pratiques politiques et économiques, selon un scénario
à peu près commun à toutes les questions d’environnement d’intérêt planétaire […] Pour
analyser la politique mondiale de sauvegarde des forêts tropicales humides, il suffirait donc de

756 Op. cit.


757Politologue internationaliste, Marie-Claude Smouts parle d’“acteurs internationaux puissants”. ibid.
758 Symphorien Ongolo A., 2016, op. cit.

357
puiser dans des stocks d’approches disponibles et l’on aurait la réponse avant même d’avoir
mené l’enquête. Si l’on est “réaliste”, on verra la forêt comme une ressource naturelle relevant
de la souveraineté de l’État autour de laquelle se livre une compétition dont l’issue dépend des
ressources de puissance dont disposent les différents acteurs étatiques. Si l’on est “néo-
institutionnaliste” libéral, on verra dans la question un problème collectif à gérer pour lequel il
faut mettre les institutions permettant de conduire à un accord plus ou moins formalisé auquel
toutes les parties trouveront avantage et que l’on baptisera “régime”. Si l’on est “structuraliste” et
d’un néo-marxisme propret, on expliquera la dégradation de la forêt par les structures de
l’économie mondiale et la faiblesse des organisations de la société civile, associations de
consommateurs et mouvements sociaux, face aux multinationales et aux grandes institutions
financières. Et si l’on veut être vraiment chic, on s’autoproclamera post-moderne759.

Il s’agissait en l’occurrence, dans le cas des pays forestiers tropicaux comme le Cameroun, de résorber les
implications de la crise économique notamment en rapport avec les capacités de l’État à satisfaire les
exigences de paiement de la dette contractée et entretenue auprès du système international du financement
du “développement” (A. Karsenty, 2016, 2002; D. Brown, 2002; Brunner & F. Ekoko, 2000). La définition des
modalités de mobilisation des financements devait favoriser incidemment l’articulation des politiques publiques
aux exigences environnementales nouvelles ainsi qu’aux engagements internationaux pris pour le
développement durable notamment lors du Sommet de la Terre de Rio 1992. M.-C. Smouts (2001) est
formelle :
Jusqu’à la fin des années 1980, la Banque mondiale était surtout la cible des associations de
défense de l’environnement. Celles-ci lui reprochaient de s’être engagée dans la logique
d’ajustement structurel initiée par le FMI et de contribuer ainsi à la fragilisation des systèmes
sociaux des pays en développement et à l’augmentation de la dette. Les associations de
défense de l’environnement reprochèrent également à la Banque mondiale de pousser les pays
à augmenter leurs exportations et donc à tirer sur leurs ressources forestières760.

C’est cette logique –ou mieux cette structure de l’histoire –qui aboutit à la mise en place au Cameroun d’un
nouveau Régime des forêts et de la faune dès janvier 1994. Dans une formulation synthétique des différentes
préoccupations ayant motivé les réformes qui étaient désormais formalisées dans la Loi, il était attendu du
nouveau régime camerounais des forêts, au modèle des termes que rappelle ci-après Phil René Oyono
(2005), qu’il occasionne des changements mélioratifs substantiels ainsi que diverses transformations de fond :
« Social and policy researchers paying attention to these decentralization experiments all over the world have
identified five types of outcomes likely to be produced by decentralization processes. These types of outcomes
are social outcomes (justice and equity), economic outcomes (wealth and human well-being), political
outcomes (local democracy), ecological outcomes (natural resource sustainability), and policy outcomes
(relevant lessons from field initiatives) »761.

759 Op. cit.


760 Op.cit.
761 Phil René Oyono, 2005, op. cit.

358
Pour Alain Karsenty (2016) dont l’approche insiste sur l’optimisation de la structure institutionnelle de
production de la richesse économique :
The World Bank intervention in Central Africa has been shaped by the “economics of
concessions” debates of the 1990s, using a specific “Theory of change”. In this theory, what
matters for achieving SFM was the incentives given by the pricing system thence, the
importance given to fiscal studies; and the allocation of harvesting rights. The agents who
mattered were the concessionaires (including community forestry enterprises) and the
governments that established the incentives systems. Land and forest tenure issues were not
disregarded but considered as matters to be addressed after the concession regime being
regulated. Informality was difficult to handle within this analytical framework, since the informal
actors bypassed the regulations whose design is the core of the reform processes762.

Du reste, ces deux éléments ne sont complètement déterminants dans la théorie de la marginalisation
chronique des communautés locales dans la gouvernance forestière au Cameroun que s’ils sont eux-mêmes
complétés par les facteurs qui les soutendent. Autrement dit, l’explication de la marginalisation des
communautés locales tient en fin de compte aux structures permettant l’absence ou l’exclusion des
communautés locales des conditions de motivation de la Réforme forestière et du processus de construction
du Régime forestier. C’est aussi ce qui se dégage des contradictions présentes dans le discours des acteurs
gouvernementaux. En effet, répondant à la question, “Comment pourriez-vous expliquer les
difficultés/problèmes que les Communautés locales ont finalement rencontrés jusqu’ici dans la gouvernance
forestière/mise en œuvre du Régime forestier?”, un de nos interlocuteurs du Ministère des forêts semble
relever, pour le déplorer, que « Le manque de respect de la loi soit par ignorance ou par défaillance. Certains
résultats non voulus sont survenus contre prévision, par exemple, les forêts communautaires et les Permis
d’exploitation de bois d’œuvre avaient été mis en place pour approvisionner le marché intérieur du bois, nul
n’avait pas pensé que celles-ci iront aussi exporter leur bois. Autrement dit, il faut une intelligence économique
qui peut prévoir les risques à venir et proposer les solutions aux risques courants » (sic)763.

Cette réponse atteste le caractère non localement enraciné de la logique des Réformes forestières ayant
abouti à la mise en place du Régime des forêts de 1994. En effet, non seulement les communautés locales
n’ont jamais été préparées ni intellectuellement ni citoyennement à participer pleinement et de manière
optimale à la conduite du système de gestion de l’économie forestière : rien dans le développement en même
temps ontogénétique et phylogénétique de la collectivité politique camerounaise ne les a préparées à prendre
pleinement part¸ en tant que composante organique essentielle de l’État moderne camerounais, au
gouvernement (conception, élaboration, conduite, suivi, contrôle) de l’économie forestière; et par conséquent

762 Op. cit.


763 Interview, juillet 2015, Yaoundé.

359
qu’elles n’ont jamais disposé des compétences techniques ni de ressources financières et logistiques qui
auraient suggéré qu’elles pourraient valablement exploiter la technologie des “forêts communautaires”. Mais,
l’implication directe et interférente des élites dans l’opérationnalisation du mécanisme des forêts
communautaires –notamment à travers la sous-traitance de leur exploitation effective par les industriels [les
élites et les industriels qui eux peuvent mobiliser les ressources nécessaires] destinaient d’office la
commercialisation du bois récolté vers les marchés extérieurs (Ongolo Assogoma, 2015; Ngoumou Mbarga,
2013; Bigombe Logo, 2007, 2004, 2000; etc.). Ce résultat rend compte de la faiblesse du capital
d’investissement comme incompétence financière des communautés villageoises. En effet, dans un contexte
de production capitaliste, l’exploitation industrielle des ressources forestières requiert un potentiel suffisant de
ressources permettant d’investir et de satisfaire les diverses conditionnalités administratives et autres
obligations fiscales; d’acquérir et de mobiliser les ressources matérielles et humaines nécessaires à la
réalisation et à la mise en œuvre concrète de l’activité d’exploitation; mais aussi de soutenir cette activité de
façon optimale et durable, non seulement par l’entretien des ressources acquises et disponibles mais
également par le développement de solutions plus performantes. En effet, dans le cadre des travaux par
lesquels le chercheur entendait éprouver la vocation alléguée aux forêts communautaires par les Réformes de
1994, Ngoumou Mbarga (2013) observe que :
Néanmoins, si on considère les quinze années de pratique de la foresterie communautaire au
Cameroun sous l’unique aspect de l’évolution quantitative du nombre de sollicitations et
d’acquisitions de forêts continuellement à la hausse, on peut penser que les communautés
forestières sont entrées dans une phase susceptible de leur donner les capacités et les
ressources nécessaires pour s’autodéterminer économiquement. Malheureusement, les réalités
empiriques montrent qu’on est très loin du compte. Si les bilans de la plupart des expériences
de foresterie communautaire menées à ce jour concluent à la faillite du processus (Julve,
Vandenhaute, Vermeulen, Castadot, Ekodeck, & Delvingt, 2007; Julve & Vermeulen, 2008;
Rossi, 2008; Ndume-Engone, 2010), il faut reconnaitre que la question sur la capacité des forêts
communautaires à soutenir une production économique capable d’enclencher le développement
rural et d’éradiquer la pauvreté, sans compromettre les objectifs de conservation, a rarement été
soulevée764.

En fait, dans ce contexte historique de vacuité endogène de la collectivité politique, on peut même présumer
que l’adoption de la technologie des “forêts communautaires”, en pleine conscience de toutes les
incompétences des communautés villageoises, ne fut qu’un stratagème de plus pour le système jacobin,
intellectuellement et structurellement désarticulé des préoccupations collectives endogènes,
institutionnellement et politiquement non-responsable et non-comptable devant la collectivité politique, de
garder totalement le contrôle prébendier et néopatrimonial de l’exploitation des ressources forestières (Ongolo
Assogoma, 2015; Paolo Cerutti et al, 2013; Ngoumou Mbarga, 2013; Bigombe Logo, 2007, 2004, 2000; etc.).

764Hubert Ngoumou Mbarga, 2013, “La gestion des forêts communautaires face au défi de la pauvreté et du développement rural”, VertigO, la revue
électronique en sciences de l'environnement, Vol.13, n°3. Pour une information plus complète, lire le livre que le chercheur a publié (2015) à partir de
sa thèse : La gestion communautaire des forêts à Djoum au Sud-Cameroun, de l’espoir à l’illusion, éd. Paf, Paris.

360
Pour Bigombe Logo (2007) qui fait le bilan de la gouvernance forestière dans le cadre du Régime des forêts
de 1994 :
La performance politique, économique et sociale locale de cette réforme qui a consacré la
décentralisation de la gestion forestière reste encore très faible, parce que les bénéfices de la
gestion décentralisée des forêts sont capturés et accaparés par les élites intellectuelles et
politiques locales. Elles se comportent en investisseurs politiques et économiques dans l’arène
de la décentralisation de la gestion des forêts et développent des logiques et des stratégies de
captation et de gestion patrimoniale de la rente qui néantisent les efforts de développement des
populations villageoises. En fait, les politiques et pratiques de décentralisation mises en œuvre
dans ce cadre sont autoritaires et reproduisent, au niveau local, les pratiques de l’État forestier.
La garantie d’une performance réelle de cette réforme repose sur la consolidation de l’État de
droit et l’affermissement de la démocratisation de la société politique camerounaise,
précondition de la formation d’un espace public démocratique central et périphérique
garantissant la prise en main collective de leur destin par la communauté des citoyens.
En fait, l’émergence d’une citoyenneté capable de réinterroger sans cesse la nature, le sens et
le bien-fondé du lien représentatif peut contribuer à mettre en mouvement constant, au-delà des
conjonctures électorales, la logique démocratique qui se réduit, jusqu’ici, et ce malgré le
pluralisme politique, à une ruse derrière laquelle se trame et se joue une partition de
l’accumulation, avec les élites prédatrices comme maîtres du jeu. Si finalement, la conjoncture
de la décentralisation de la gestion des forêts ne donne pas une véritable garantie de pouvoir
gestion des ressources et de construction du bien-être aux populations forestières, parce que
les élites reproduisant le modèle prédateur et rentier de l’État central ont capturé,
instrumentalisé et domestiqué le processus, à quoi sert donc cette décentralisation? À quoi sert
une décentralisation qui crée ou renforce de nouvelles élites politiques et sociales sans aucune
notion de responsabilité publique ou communautaire?765.

Il en est de même pour Ongolo Assogoma & Laura Brimont (2015) qui relèvent qu’:
En ce qui concerne la gouvernance, la faible autonomisation qui soutend les processus de
transfert de gestion communautaire des forêts n’a pas été favorable à l’expérimentation d’une
gestion locale effective des forêts sans influence de l’État. De même, les diverses malversations
financières constatées au niveau des instances de gestion communautaires ont jusque-là
produit un effet de discréditation de la capacité des communautés locales à gérer les forêts. La
bureaucratisation de la gestion communautaire des forêts semble, au final, avoir favorisé la
réémergence et la consolidation du pouvoir central dans la gouvernance forestière locale […]
En réalité, ajoutent les deux chercheurs, les communautés locales ne bénéficient que très
rarement de la gratuité de l’appui tel qu’il est prévu de l’Administration des forêts. La majorité
des prestations dont bénéficient ces communautés sont payantes et souvent perçues par ces
dernières comme des labyrinthes à procédures très complexes et coûteuses qui les obligent à
recourir à d’autres soutiens, dont celui des élites, afin de faire avancer leurs dossiers dans
l’Administration. Souvent, les projets de développement participatifs profitent à certains individus
qui utilisent leur capital social, au sens de Bourdieu, pour capter les bénéfices des projets
acquis au nom d’un collectif. Ces acteurs, qualifiés de “courtiers de développement” (Olivier de
Sardan, 1995), favorisent ou exercent des manœuvres d’accaparement propres aux élites à
tendances oligarchiques. Dans les cas rares où l’Administration forestière, avec l’appui des
bailleurs de fonds internationaux, met en place des mécanismes de soutien aux communautés,
ces initiatives se soldent généralement par des échecs, à cause, notamment, des réseaux de

765 Op. cit.

361
corruption et des détournements massifs de fonds publics. Ces diverses contraintes
[structurelles historico-contextuelles] expliquent, en partie, le fort décalage observé entre le
nombre de demandes d’attribution de forêts communautaires et celui de délivrances d’une
convention de gestion définitive, étape ultime du processus d’attribution d’une forêt
communautaire766.

En effet, non préparées et comme contraintes par les structures historiques et politiques opératoires
(la disqualification paradigmatique de la culture indigène par l’économie capitaliste; l’identité jacobine
de la collectivité politique ou la naissance de l’État par le haut; l’irruption coloniale des élites
politiques dirigeantes et le tropisme de la protection des intérêts arbitraires coloniaux, sectaires,
individuels ou de groupes; l’accaparement sans partage citoyen du pouvoir par les élites et la
protection des rentes patrimoniales; la non-responsabilité collective et citoyenne des dirigeants
politiques; l’exclusion des pauvres, des faibles et des masses de la citoyenneté et du gouvernement
de la collectivité; la prise en otage des populations et leur instrumentalisation par les élites et les
appareils de pouvoir; etc.), les populations villageoises sont restées totalement dépendantes des
mécanismes dominants et des intérêts rentiers et patrimoniaux des élites politiques, administratives et
économiques dépositaires sans responsabilité du pouvoir de gouvernement. Ongolo & Brimont (2015)
peuvent ainsi énoncer que :
L’expérience mitigée de la gestion communautaire en Afrique permet de faire l’hypothèse
que les instruments de gouvernance mondiale des forêts ne peuvent pas constituer un
levier de développement local tant que la question des barrières structurelles au sein de
l’État n’est pas résolue. Au rang de ces barrières structurelles figurent l’inversion des
priorités entre intérêts particuliers et intérêt général au sein de la bureaucratie étatique, la
clarification des normes de tenure forestière et foncière, ou l’autonomisation effective
des transferts de gestion767.

Dans un texte écrit à la limite du ras-le-bol, de l’exaspération et de la déception, dans lequel il rend compte
sinon de l’échec du moins du caractère très mitigé des Réformes portées par le Régime des forêts de 1994,
Ghislain Fomou (2015) –expert en service au Programme forêt/environnement du SAILD, une des
organisations non gouvernementales les plus actives dans les secteurs du développement rural et de
l’environnement au Cameroun [qui nous a accordé un entretien]768 –mentionne que :
Les communautés locales sont censées recevoir une partie du produit des taxes forestières, soit
10% de la Redevance forestière payée à l’État par les exploitants en fonction des surfaces
exploitées. Cependant, rentrer en possession de la RFA n’est pas facile pour les communautés
villageoises qui ne savent pas toujours à quelle porte frapper exactement pour recevoir leur dû.
De même, pour acquérir une forêt à des fins d’exploitation, il faut au minimum six mois pour

766 Op. cit.


767 Op. cit.
768 Ghislain Fomou, 2015, “Des forêts communautaires créées, mais mal exploitées”, texte publié dans le magazine La voix du paysan (n˚ 286-287,

des mars-avril 2015) spécialisé dans l’économie agricole et forestière. Du même auteur, lire utilement aussi : “L’exploitation forestière illégale perdure
malgré les moyens déployés”, in La voix du paysan, n˚ 288, du mois de mai 2015.

362
obtenir les documents administratifs autorisant la commercialisation du bois. Mais ce délai est
souvent dépassé et les communautés n’obtiennent jamais d’autorisation. Trois cent dix-sept
forêts communautaires disposent d’un plan simple de gestion validé, mais Cent dix-sept
seulement sont exploitées. Cette situation favorise l’arnaque et le rançonnement des services.
La Loi des forêts a pourtant prévu une aide aux communautés locales pour se constituer en
exploitants; mais cette disponibilité d’aider les communautés à exploiter directement n’a jamais
été opérationnalisée, faute de modalités d’application. Cette situation augmente le coût
d’exploitation et les communautés riveraines sont finalement contraintes de sous-traiter avec les
exploitants forestiers déjà établis qui vont exploiter les ressources de la forêt communautaire et
leur reverser des dividendes. Il est à craindre, 20 ans après, le risque de retour à la case-départ
où les communautés locales n’exploitaient rien et n’étaient propriétaires de rien769.

La disponibilité du contexte camerounais à la corruption et à l’incertitude institutionnelle est amplement


documentée comme l’atteste les enquêtes publiées par Greenpeace International sur l’exploitation illégale du
bois au Cameroun. Il ressort d’un Rapport de 2016 –à la suite d’un premier de 2007 –rédigé par l’organisation
écologiste qu’ :
Une enquête de Greenpeace Afrique sur les opérations d'exploitation forestière illégale au
Cameroun a permis de découvrir une piste de bois volé menant jusqu'au principal exportateur
de grumes au Cameroun, la Compagnie de commerce et de transport (CCT). Les données
présentées dans le rapport intitulé “La Socamba, ou comment le bois volé du Cameroun est
distribué les marchés internationaux”, montrent comment la CCT, qui distribue du bois à des
sociétés dans le monde entier, y compris en Chine et en Europe, s'approvisionne auprès de la
Socamba, une entreprise engagée dans des pratiques illégales et destructrices, y compris la
coupe de bois à plusieurs kilomètres en dehors de sa concession d'exploitation forestière. Ce
nouveau cas vient compléter les preuves déjà présentées par Greenpeace à partir des enquêtes
précédentes ayant porté sur les fournisseurs de la CCT.
En Septembre 2015, Greenpeace a publié trois cas d'exploitation forestière illégale dans des
concessions fournissant la CCT : des titres d'exploitation forestière utilisés par South Forestry
Company, FEEMAM and SOFOCAM. Le Ministre des Forêts, Ngole Philip Ngwese, a proclamé
l'innocence des sociétés exposées par Greenpeace de toute implication dans l'exploitation
forestière illégale. Pourtant, l'une des entreprises qui a fait l'objet des investigations de
Greenpeace, SFC, a été condamnée à deux reprises à payer une amende pour exactement le
genre de pratiques dénoncées par Greenpeace.
En outre, les autorités néerlandaises ont sanctionné l'importateur néerlandais du bois de la CCT
sur la base des éléments de preuve présentés par Greenpeace. “Si le Cameroun est sérieux au
sujet de l'élimination du commerce illégal du bois, il doit travailler en étroite collaboration avec
l'UE pour une mise en œuvre crédible de l'Accord de Partenariat Volontaire, et se fixer comme
priorité première de rétablir un système crédible de suivi indépendant des réglementations
forestières, gouvernance et échanges commerciaux au Cameroun”, a conclu Eric Ini, chargé de
la campagne forêt à Greenpeace Afrique.
Outre la Belgique et les Pays-Bas, le gouvernement britannique considère également le bois du
Cameroun à “haut risque” et a récemment enquêté sur les opérateurs anglais commercialisant
du bois provenant du Cameroun. Ces actions du gouvernement du Royaume-Uni et la sanction
des autorités néerlandaises sont des premiers pas positifs. Cependant, tous les pays de l'UE
doivent traiter le bois du Cameroun comme étant à haut risque, et exiger des normes de
vérification préalable strictes de la part des entreprises importatrices, jusqu'à ce que le

769 Ibid.

363
gouvernement du Cameroun puisse prouver sa volonté et sa capacité à faire appliquer et
respecter les lois et réglementations forestières du pays. Pendant ses recherches sur la
Socamba, Greenpeace Afrique a entrepris des enquêtes sur le terrain en octobre 2014 et janvier
2016 pour documenter les zones où des titres d'exploitation forestière destructive, connus sous
le nom “Ventes de coupe”, ont été émis à des fournisseurs de la CCT. Greenpeace a également
obtenu des témoignages de la part des communautés et des autorités locales, ainsi que des ex-
employés. Greenpeace Afrique a ainsi découvert du bois portant le numéro du “Permis VC 09
01 203”, délivré à la Socamba, à 8 km à l'extérieur de la concession […]770.

Cette structuration spécifique du contexte camerounais et de la collectivité politique camerounaise, qui


participe ainsi qu’on le voit, du caractère pour le moins mitigé des Réformes forestières mais aussi des
dysfonctionnements irréductibles découlant de la mise en œuvre du Régime des forêts de 1994 au premier
rang desquels se trouve la marginalisation des communautés locales, est une donnée établie dont l’une des
principales illustrations est la présence active des OSC/ONG auprès des communautés villageoises. Le crédit
et la légitimité que ces acteurs non gouvernementaux engrangent par un engagement concret et une
implication efficace [ainsi que le relèvent l’ensemble de nos interlocuteurs des communautés locales] dans les
communautés attestent fermement de l’existence de fragilités structurelles dans le système et de l’incapacité
de la gouvernance de l’économie forestière camerounais à satisfaire les préoccupations environnementales et
de durabilité alléguée avec la mise en place du Régime des forêts de 1994.

On remarquera particulièrement qu’en dépit de ce que Symphorien Ongolo & Laura Brimont ne soient pas
nécessairement sociologues ni dans leur formation académique ni dans le déploiement scientifique de leurs
travaux, on voit clairement que les concepts centraux qu’ils mobilisent, notamment : instruments de
gouvernance mondiale, développement local, barrières structurelles, l’État; et surtout la nature des relations
que les deux analystes mettent en exergue, etc., correspondent exactement à la conceptualité sociologique et
à la théorie sociale que nous proposons à travers les notions plus serrées ou affinées de collectivité politique,
du système d’économie-monde global, des contradictions irréductibles inhérentes à l’articulation improbable
entre les contraintes structurelles paradigmatiques et interscalaires et les structures opératoires du contexte
local. Ici aussi et mieux qu’ailleurs, la recherche valide l’hypothèse de la non-endogénéité ainsi que
l’explication des dysfonctionnements par l’opérationnalité des contraintes structurelles paradigmatiques,
interscalaires et contextuelles : la technologie des “forêts communautaires” importée du Canada et “proposée”
aux communautés villageoises camerounaises (Jake Brunner & François Ekoko, 2000; Alain Karsenty, 1999)
ne semble ni s’accommoder ni satisfaire le contexte sociohistorique intellectuel, politique, institutionnel,

770 Greenpeace Afrique, 2016, Rapport : “La Socamba : ou comment le bois volé au Cameroun est distribué sur les marchés internationaux”
(http://www.greenpeace.org/africa/fr/Presse/Socamba-bois-vole-Cameroun-distribue-marches-internationaux/).
Lire aussi : Greenpeace International, 2007, “Réforme du secteur forestier : Échec au Cameroun, pillage annoncé en RDC”, in Bulletin de
l’exploitation industrielle des forêts tropicales, février 2007 (http://www.greenpeace.org/belgium/Global/belgium/report/2007/2/lecons-
cameroun.pdf).

364
économique et écologique, dans ses spécificités opératoires. Dans une perspective générale qu’il formule à
partir du paradigme africain, Mbog Bassong (2013) explique en quoi :
Nous disons que la valeur est un phénomène social complexe qui pose un problème technico-
économique en Afrique en raison d’une distorsion cognitive, politique et institutionnelle introduite
dans sa compréhension puis renforcée par le jeu des relations de pouvoir entre les grandes
nations et les petites nations. Ces relations, par essence dissymétriques, sont prescrites ou
commandées par des intérêts “rationnels” [entendez aussi : modernes et capitalistes] qui eux-
mêmes sont commandés par le calcul. Or c’est bien ces jeux d’intérêts qui tend à anesthésier,
de proche en proche, les capacités cognitives de la classe hégémonique locale dont les enjeux
auraient dû être, comme avec les rois de l’Afrique authentique, de veiller à la prospérité du petit
peuple et de tout le peuple. C’est désormais cette élite dirigeante locale qui utilise son pouvoir
de direction de l’État pour aliéner le projet historique de la valeur dans les économies
traditionnelles. Sa logique économique est celle du modèle capitaliste devenu son modèle de
référence, et dont Serge Latouche dit “qu’elle se résume au dominer pour prendre : le
prélèvement peut se faire de façon directe par le pillage, de façon indirecte par l’échange inégal
et le transfert de la plus-value, ou de façon plus subtile encore par la dépendance et le
rapatriement des profits. Il n’en reste pas moins qu’un flux matériel s’inscrit en actif771.

Non seulement la préoccupation directement héritée du capitalisme colonial est l’exploitation rentière des
ressources ainsi que la production massive des richesses –sans considération des implications inhérentes aux
équilibres écosystémiques –, mais les conditions incertaines d’implantation du paradigme de la modernité
capitaliste en Afrique occasionnent des impacts dysfonctionnels qui seront démultipliés par un contexte
institutionnel de fragmentation structurelle de la collectivité politique caractérisé par une relation généralisée
de type néo-patrimonial aux affaires publiques par laquelle les élites font main basse sur les ressources
publiques dont ils s’enrichissent, sans responsabilité auprès de la collectivité, sans reddition des comptes,
dans une dynamique sociale dont le caractère enraciné et la cristallisation continuelle vont faire le lit d’une
corruption devenue structurelle772 (Reinnier Kazé, 2014; Paolo O. Cerutti et al, 2013;Transparency
International, 2011, 1999, 1998; Paolo O. Cerutti & Guillaume Lescuyer, 2011; Cyprien Awono, 2011; Pierre
Titi Nwel, 2009, 1999; Paolo Omar Cerutti & Luca Tacconi, 2008; Friede-Magloire Ngo Youmba-Batana, 2007;
Fabien Eboussi Boulaga & Valentin Siméon Zinga, 2002; Patrice Bigombe Logo, 2007; Samuel Nguiffo, 2001;
etc.).

C’est dans le même sens et en guise d’illustration qu’en parcourant l’évolution des politiques forestières au
Cameroun, de l’époque coloniale à la Loi de 1994 en vigueur, Kouna Eloundou va évoquer le caractère
essentiellement factice et spécieux des obligations dont toute attribution d’une autorisation d’exploitation est
assortie connues sous le nom de “Cahier de charges”. À l’examen de l’Arrêté du 11 juin 1935 portant Régime

771Op. cit.
772À la question, « Comment expliquez-vous qu’il y ait autant de corruption au Cameroun? », qui lui est posée dans une interview accordée à
JeuneAfrique (Georges Dougueli, édition Internet du 15 mars 2016), le Cardinal Christian Tumi répond : « Oui, la corruption a atteint des proportions
alarmantes dans notre pays » (http://www.jeuneafrique.com/mag/307561/politique/cameroun-cardinal-christian-tumi-jetais-a-place-de-paul-biya/).

365
forestier au Cameroun sous-tutelle français et de la Loi du 27 novembre 1981 –abrogée avec les Réformes du
début des années 1990, la chercheure rend compte de ce qui apparait comme un véritable épouvantail
formaliste qui fut déjà allégué dans les politiques coloniales et dont Kouna Eloundou (2012) indique que :
Les ventes de coupe attribuées de gré à gré ou par vente aux enchères, faisaient l’objet de
cahiers des charges dressés par le service forestier. Ces cahiers indiquaient les limites
matérielles des coupes, déterminaient les obligations spéciales d’exploitation, d’aménagement
et de reboisement imposées aux détenteurs des ventes de coupe, et précisaient les droits de
récolte sur les divers produits naturels. Ils fixaient en plus, en cas d’adjudication, le prix de vente
ou de base global ou par tonne du bois brut abattu ou enlevé de la parcelle de coupe, la durée
de l’exploitation, les délais accordés pour l’enlèvement du bois ou d’autres produits naturels, le
cantonnement pour l’exercice des droits d’usage des indigènes, et d’autres droits et obligations
des acheteurs […]
L’exploitation des forêts par des particuliers ou des sociétés forestières était assortie des
cahiers de charges contenant des clauses générales et des clauses particulières (art. 30). Les
clauses générales concernaient les prescriptions techniques relatives à l’exploitation des
produits forestiers, et les clauses particulières concernaient les charges financières et d’autres
charges liées aux installations industrielles. Les particuliers ou les sociétés forestières exploitant
les forêts devaient s’acquitter du paiement de la redevance de régénération, de la taxe
territoriale, de la contribution au développement forestier, du prix de vente des produits
forestiers et de la contribution à l’exécution des infrastructures socio-économiques. Les taux de
ces taxes étaient fixés par la Loi de finances773.

En effet, ces différentes dispositions et bien d’autres suggèrent que même si le “Cahier des charges” et toutes
les dispositions semblables ne sont que de simples accessoires de légitimation intellectuelle, il n’en demeure
pas moins que dans le principe, leur existence n’était pas moins censée occasionner la mobilisation d’une
contrepartie de la richesse générée par la production/l’exploitation forestière sous la forme d’investissements
substantiels et d’aménagements durables, de compensations matérielles substantielles et de réalisations
diverses infrastructurelles dans les communautés d’exploitation. Au contraire, l’une des constantes qui se
dégagent de l’analyse structurelle des dysfonctionnements du Régime des forêts de 1994 et par conséquent
de la marginalité des communautés villageoises réside dans le déploiement d’une exploitation radicale des
ressources forestières, dans un contexte incapable de donner lieu en retour, en compensation, à un
investissement pertinent et durable qui minimise à l’optimum les risques divers écologiques et sociaux liés à la
déstructuration des écosystèmes, et au-delà, qui produise une contrepartie économique, financière et
matérielle substantielle permettant aux communautés villageoises riveraines d’amortir relativement les impacts
déstabilisants dont elles sont l’objet de l’exploitation industrielle de la forêt.

Il en découle comme contradiction paradigmatique fondamentale que l’unique modalité de production des
richesses imposée aux communautés indigènes africaines depuis la colonisation européenne jusqu’à l’État

773 Op. cit.

366
moderne d’héritage colonial –à savoir la mise en place d’une économie essentiellement extravertie basée sur
une agriculture de rente (coton, cacao, hévéa, café, palmier à huile, etc.) destinée à l’exportation et une
industrie d'’extraction de matières premières forestières et minières (pétrole, diamant, bois, fer, or, etc.)
également destinée à l’exportation (Michel Norro, 1994) –présente relativement à l’exploitation industrielle des
forêts non seulement une incidence écologique d’ampleur inédite sur la dégradation du système forestier dont
l’ampleur drastique est établie (Richard Sungkekang Mbatu, 2006), mais également des retombées
socioéconomiques pour le moins incertaines.

Ce dysfonctionnement en même temps paradigmatique et contextuel se trouve aggravé par la marginalisation


structurelle et systémique des communautés villageoises que la précarité, le dénuement et la pauvreté
économique disposent aisément à l’arbitraire des acteurs dominants capitalistes que sont les élites, les
industries, les agents de l’État (Ongolo et Brimont, 2015; A. Karsenty et S. Ongolo, 2012; C. Awono, 2011; P.
Bigombe Logo, 2007, 2003; S. Nguiffo, 2001). Voici ce qu’en dit un responsable de communauté villageoise
interrogé par Ngoumou Mbarga (2013) :
Nous pensons qu’il n’y a pas grand-chose à attendre de l’exploitation de notre forêt. La
conscience qu’il n’y a pas beaucoup de profits ne nous incite pas à nous battre pour surmonter
les tracasseries et les difficultés afférentes à leur gestion. Nous avons une convention de
gestion de 25 ans avec l’État, à raison de 200 ha à exploiter chaque année. Cette surface ne
nous permet pas d’aller négocier avec un exploitant lointain. Le problème est le volume
négligeable de ressources sur pied à exploiter chaque année. C’est ce qui explique en partie la
léthargie dans laquelle a sombré notre organisation, car la révision du plan simple de gestion est
bloquée depuis 2005, faute de ressources financières. Par ailleurs, le gouvernement ne nous
permet pas de négocier un partenariat avec la SFID [une grande entreprise d’exploitation du
bois] qui est dans le coin, à cause de l’exploitation artisanale des forêts communautaires que
l’État nous impose. Or le danger avec les petits exploitants est qu’ils font une coupe sélective.
Ce sont des gens qui négocient pour exploiter une ou deux espèces. La coupe sélective ne
nous avantage pas, vu le peu de ressources sur pied...774.

Par ailleurs, lorsque nous mettons en exergue la contrainte paradigmatique de l’économie capitaliste et la
fragmentation structurelle de la société qui sera opérée dans le sillage du contrôle colonial du territoire,
notamment avec le choix arbitraire des élites, cette donnée est d’une importance heuristique centrale dans la
mesure où c’est elle qui permet d’expliquer la disqualification structurelle et systémique des communautés
villageoises actuelles non seulement du point de vue de l’articulation organique ou institutionnelle et citoyenne
à l’État moderne, mais aussi du point de vue des conditions d’une participation optimale au système
économique capitaliste. Dans une analyse percutante, Bertrand Badie (1992) montre comment dans la
configuration structurelle et le fonctionnement des États périphériques tels que le Cameroun :

774 Propos rapportés par H. Ngoumou Mbarga dans son travail déjà cité.

367
La logique néo-patrimoniale se trouve encouragée par la situation de segmentarité caractérisée
par la société qui lui fait face.
L’individualisation des rapports sociaux a une histoire qui se confond assez largement avec la
trajectoire occidentale de développement pour donner à l’État, à la société civile et à la relation
de citoyenneté leur pleine signification. Dans cette histoire, l’articulation entre l’État et la société
n’est pas neutre, la multiplicité des solidarités horizontales et des lignes de clivage qui
structurent celles-ci contraignent le jeu politique, définissent les conditions dans lesquelles se
construisent les enjeux, s’élaborent les modes d’alternance au pouvoir, s’organisent les débats.
Dès lors, l’acteur politique n’est pas maitre de son environnement. La persistance des solidarités
communautaires, la priorité des identifications primordiales sur l’identification citoyenne créent,
dans les sociétés périphériques, les conditions d’un double repli, sur les espaces extra-
politiques d’une part, sur les espaces micro-communautaires d’autre part. Face à ces désertions
de l’individu sans qualification politique [c’est ce que nous appelons à l’occurrence
l’incompétence citoyenne…], le professionnel du pouvoir dispose, en même temps, d’une forte
potentialité d’appropriation des biens sociaux et des moyens de déplacer à son profit et avec
autant d’aisance la frontière qui sépare l’espace public de l’espace privé775.

C’est cette constante qui ressort clairement de l’impasse structurelle que Ngoumou Mbarga (2013) établit à la
mise en œuvre du Régime des forêts adopté au début des années 1990. Pour le chercheur :
[…] La réorganisation issue de la Réforme n’a pas contribué à améliorer la situation de la
communauté dans la gestion de sa forêt. En marge de la faible richesse en bois d’œuvre de la
forêt communautaire, la léthargie dans laquelle sombre l’organisation communautaire pose la
question du dynamisme et des capacités des responsables des entités de gestion. Il ne suffit
pas de revendiquer au nom de la démocratie ou de la communauté, la gestion de la forêt. Il faut
d’abord avoir l’audace et la pugnacité nécessaires pour porter un tel projet. Ce qui est en cause,
c’est davantage la défaillance des acteurs communautaires à se situer par rapport à leur
objectif, ce sont leurs capacités à s’approprier le projet et à mettre en œuvre une stratégie de
mobilisation collective et de solidarité communautaire qui s’appuient sur les savoirs et savoir-
faire locaux. Cette situation interpelle aussi la responsabilité de la communauté scientifique et
appelle à la prudence quant à l’information à divulguer afin d’éviter des effets pervers776.

Comme on le voit, la double incompétence citoyenne et technique des communautés locales, qui participe du
tableau caractéristique des contradictions que manifeste la gouvernance forestière au Cameroun, en même
temps qu’elle constitue le paramètre explicatif majeur de la marginalité des communautés locales, est donc
historique paradigmatique et contextuelle. David Brown et Kathrin Schreckenberg (2001) avaient déjà
clairement présenté la situation au tout début des années Deux mille notamment en indiquant que :
De toute évidence, le développement réussi d’une forêt communautaire implique une exigence
d’engagement authentique des Services étatiques. Cependant, lorsque les risques politiques
sont élevés, et que le pouvoir des parties prenantes n’est pas équilibré, le soutien inconditionnel
des agences bilatérales et multilatérales est également essentiel.
En outre, les communautés ont toutes les chances d’avoir besoin d’un certain nombre d’autres
agences, notamment d’ONG nationales et internationales. La foresterie communautaire
nécessite beaucoup de connaissances et permet des économies d’échelle significatives. Celles-
775 Op. cit.
776 Op. cit.

368
ci concernent à la fois le besoin de se tenir informé des derniers développements en matière de
législation et d’interprétation de la loi, et l’importance d’être capable d’agir au niveau du centre
politique (à Yaoundé et dans les capitales de région) et à la périphérie (dans la communauté
locale). De surcroît, il y a plusieurs investissements directs (tels que les inventaires forestiers et
la préparation des Plans de Gestion Simple exigés) qui ne sont probablement pas à la portée de
la plupart des habitants pauvres des forêts, d’un point de vue technique ou financier, bien qu’ils
pourraient engendrer des profits en aval significatifs. La nature du développement des forêts
communautaires qui exige des connaissances et des ressources ne fait qu’agrandir le danger
de les voir saisies par les élites de la communauté.
Timothée Fomété (2001) soutient que l’une des principales fonctions de la société civile doit être
de veiller à ce que cela ne se produise pas en créant et en maintenant un flot transparent
d’informations777.

Plus tard en effet, dans l’étude très ciblée qu’il a réalisée –et à laquelle nous référons, Ngoumou Mbarga
(2014, 2013) montre que les communautés locales sont disqualifiées tant du point de vue des ressources
financières entendu comme capital d’investissement et des disponibilités techniques entendues comme
ressources intellectuelles dont le défaut les empêche de se déployer de manière optimale en tant qu’acteur
dans l’activité d’exploitation forestière; que du point de vue des retombées socio-économiques et matérielles
dont le chercheur montre qu’elles s’avèrent en fin de compte non substantielles et résiduelles. Sur ce dernier
aspect, Ngoumou Mbarga mentionne –pour opérationnaliser une perspective déjà clairement entrevue par
Serge Latouche (1999) –que :
Les résultats obtenus montrent que les emplois créés sont généralement non qualifiés et
regroupent les têteurs, les chargeurs bord de route, les aides-abatteurs/scieurs. Il faut
mentionner que les emplois ainsi créés sont des emplois précaires et qui ne durent que le temps
de l’activité d’exploitation forestière. Si l’on fait mention de l’achat d’un groupe électrogène par la
communauté Oyo Momo, aucune autre communauté ne présente aucun investissement
collectif. Le revenu tiré de l’exploitation de leurs forêts communautaires aboutit plutôt à une
marge bénéficiaire déficitaire de 3 990.352 FCFA. Il apparait par ailleurs qu’excepté AMOTA, les
trois autres communautés forestières ont des comptes débiteurs dus au paiement par le
partenaire des coûts d’exploitation et salaires. La mise en scène de la rentabilité de la forêt
communautaire Oyo Momo est soutenue par la présentation à l’actif de la communauté, de
l’achat d’un groupe électrogène pour l’électrification rurale. Or, selon Ndume-Engone (2010),
Oyo Momo a contracté un crédit de 3 000.000 FCFA pour l’achat de ce groupe électrogène pour
répondre aux exigences du plan simplifié du développement de la communauté, tel que stipulé
dans le volet développement du plan simple de gestion. Pourtant, l’achat de ce groupe
électrogène à crédit n’est pas du tout justifié, lorsqu’on se réfère aux stipulations du “Plan
simplifié de développement de la communauté”, élaboré au terme des études
socioéconomiques auprès de cette communauté et inséré dans le plan simple de gestion. En
effet, celui-ci renvoie l’achat de ce groupe au terme de l’exploitation de la quatrième parcelle
annuelle, en supposant une évolution incrémentielle des bénéfices tirés. Cet achat de confort,
non respectueux des stipulations contenues dans le plan simple, a pour seul but la mise en
scène de la rentabilité économique de la forêt communautaire. Pire, selon Ndume-Engone
(2010), la communauté Oyo Momo se livre à des pratiques mafieuses de “blanchiment de bois”
consistant soit à l’abattage dans les jachères des essences absentes dans l’assiette de coupe

777 Op. cit.

369
pour satisfaire des commandes, soit à l’achat du bois de récupération dans la scierie de la SFID
et à sa transformation avec la scie mobile de marque Lucas Mill. Ces bois sont par la suite
évacués sur le marché avec les lettres de voiture de la forêt communautaire Oyo Momo778.

Dès lors, nous dirions qu’à l’image d’animaux en cage ou de rats de laboratoire, c’est comme si les
communautés villageoises avaient été placées une fois pour toutes dans un cadre ou plutôt sur une voie
unique de laquelle dépendrait exclusivement leur existence totale, sans alternative ni aucune possibilité de
réflexivité. Ngoumou Mbarga nourrit cette optique en ajoutant :
Il apparait à l’analyse de la vie active des forêts communautaires étudiées que le choix du taux
de sondage de 2% appliqué à l’inventaire d’aménagement pour l’estimation du potentiel ligneux
et pour l’élaboration du plan simple de gestion de celles-ci est totalement arbitraire. Ni la qualité
de l’estimation du potentiel ligneux, ni les coûts ne justifient son choix. La confrontation de ce
taux (2%) avec les résultats d’une étude (PFC Dja, 2003) sur le “Projet forêts communautaires
du Dja” menée dans quatre forêts communautaires différentes et appliquant différentes
méthodologies d’inventaires a permis de démontrer qu’il est assez bas pour refléter le potentiel
ligneux réel des forêts étudiées. Par conséquent, les estimations du volume exploitable annuel,
ainsi que les recettes prévisibles contenues dans les plans simples de gestion et de
développement rural des forêts communautaires étudiées sont totalement biaisées. Les faibles
volumes de bois récoltés dans les forêts communautaires MAD et Oyo Momo et leurs difficultés
à satisfaire les commandes reçues fournissent la preuve de leur faible capacité à produire du
bois d’œuvre suffisamment et durablement pour soutenir l’ambition socioéconomique de
réduction de la pauvreté et de réalisation du développement local.
Cette analyse est corroborée par l’aveu même des villageois rencontrés qui déclarent que les
volumes de bois à exploiter annuellement sont négligeables. “Nous avons dit au passage que
l’organisation AMOTA est inactive depuis 2005. Toutes les activités sont suspendues, parce que
nous sommes déçus. L’arrêt de fonctionnement implique que nous n’avons pas pu produire des
biens. Ce qui forcément a découragé un certain nombre d’entre nous”. Ces faibles volumes
limitent les possibilités de marché, puisqu’il serait difficile d’aller négocier des partenariats à
Yaoundé ou à Douala, les coûts de production devenant dans ce cas, supérieurs à la valeur de
la ressource exploitable. Il reste donc l’unique possibilité de se tourner vers les marchés locaux
ou bien de nouer des partenariats avec les petits exploitants de proximité qui, non seulement
pratiquent la coupe sélective, mais aussi, et surtout font des offres très peu intéressantes. Les
forêts communautaires AMOTA et AFHAN, qui avaient déjà connu des activités d’exploitation
d’une parcelle annuelle au moins, étaient dans une phase d’arrêt d’activités au moment de
l’étude. La faillite de la forêt communautaire AFHAN à rapporter des revenus financiers, en dépit
de l’appui et de l’encadrement du Centre pour l’environnement et le développement (CED),
depuis le processus d’acquisition de la forêt, jusqu’au stade de son exploitation et de la
commercialisation du bois, est une belle illustration de cette analyse. Bien plus, l’échec de
l’exploitation et de la commercialisation du bois ici, a décidé la communauté à se lancer dans le
processus de conservation à travers le projet de paiements des services environnementaux
(PSE) avec toujours l’appui du CED. Cette décision rend accessoires les activités d’exploitation
du bois d’œuvre, qui étaient initialement et prioritairement réservées à la forêt communautaire,
la communauté ayant été convaincue du peu, voire de l’absence de rentabilité économique de
l’exploitation du bois de leur forêt779.

778 Ibid.
779 Op. cit.

370
Telle apparait également la contrainte structurelle paradigmatique de l’obsession capitaliste de l’exploitation
industrielle du bois d’œuvre. Les conclusions du chercheur mettent en exergue une situation aporétique dans
laquelle l’exploitation forestière du bois représente la seule perspective dont disposent les communautés
villageoises pour produire les richesses nécessaires à leur bien-être. Or, compte tenu des dysfonctionnements
institutionnels divers de type contextuel inhérents à la collectivité politique [la faillite de l’État], et étant donné
que la perspective de la production des richesses par la seule exploitation industrielle du bois d’œuvre ne
semble pas probante, les communautés villageoises se voient complètement désorientées et dépourvues de
tout repère.

Dans ce contexte historique de fragmentation structurelle arbitraire de la société et de marginalisation


originaire des communautés villageoises, dans lequel les dysfonctionnements institutionnels et le déficit
citoyen font des communautés villageoises des acteurs marginaux, aléatoires et prétextés, sans aucun
pouvoir politique, sous le contrôle des élites et des organes de l’État, même les concessions forestières
attribuées aux communautés villageoises au titre de forêts communautaires le sont négligemment, c’est-à-dire
en dehors de toute préoccupation réelle de performance et de durabilité, c’est-à-dire sans grande
considération et sans conviction pour les communautés villageoises. C’est ainsi que pour Ngoumou Mbarga
(2014), non seulement :
L’État s’est pendant longtemps présenté comme propriétaire et gestionnaire exclusif des terres
et ressources naturelles. Autour de lui gravitaient les exploitants forestiers et autres élites qui
accumulaient des richesses au détriment de l’État et surtout des populations locales qui
s’appauvrissent de plus en plus. Certains auteurs avancent que les communautés participent à
la gestion et à la préservation des ressources naturelles depuis des millénaires, mais n’ont
jamais été récompensées, parce qu’elles ont toujours été reléguées au simple rôle de figurants
et non de partenaires [mais] La faible capacité de production ligneuse des forêts
communautaires étudiées est aussi appuyée par d’autres éléments que l’étude a permis de
relever. Ce sont les caractéristiques de ces espaces forestiers et notamment : (i) leur
localisation sur le domaine forestier non permanent initialement non visé par la norme
environnementale camerounaise (ii) leur taille relativement petite comparée aux concessions
octroyées aux exploitants industriels (iii) leur faible richesse en ressources de bois d’œuvre, la
plupart ayant fait l’objet d’une exploitation industrielle intensive dans le passé et servant de
support d’activités agricoles des populations villageoises. Enfin, un dernier argument qui appuie
ce constat est que les plans simples de gestion des forêts étudiées présentent tous un
découpage en parcelles annuelles iso-surfaces. Pourtant lesdites forêts communautaires
présentent une hétérogénéité des espaces (présence des champs, plantations, zones
marécageuses…) comme nous l’avons relevé plus haut. Or, cette sectorisation de l’espace
devrait permettre de ramener la fonction de production de bois d’œuvre, usage le plus visé par
toutes les communautés forestières, à la superficie réelle ou utile (secteur de production) et à
prendre comme référence cette base pour le calcul des paramètres de gestion et
d’aménagement de la forêt. Ce qui n’est pas le cas dans la réalité. Aussi remettons-nous en
question la possibilité intrinsèque de production forestière offerte par les forêts communautaires
de Djoum. Nous pensons que celles-ci ne sont pas –du moins dans la situation actuelle de leur
orientation sur la production de bois d’œuvre –à la hauteur pour soutenir l’objectif

371
socioéconomique de la réduction de la pauvreté et du développement rural. Nous préconisons
la prise en compte et la mise en œuvre des autres usages qui, quoique mentionnées dans les
plans simples de gestion, sont en réalité peu valorisées. Il convient aussi de ramener
l’exploitation du bois d’œuvre à sa superficie utile si l’on veut préserver l’intégrité de ces
espaces et garantir leur conservation780.

C’est ce qu’établit également Greenpeace International (2007) quand il observe qu’ :


étant donné que les forêts communautaires ne peuvent exister que dans la zone forestière “non
permanente”, les communautés ont principalement accès à des blocs forestiers déjà dégradés
et moins productifs [En effet, Greenpeace relevait déjà plusieurs années avant Ngoumou
Mbarga que] Le plan de zonage provisoire de la forêt mis en place en 1993 devait être suivi par
la délimitation effective entre différents usages des forêts “permanentes”. Mais l'absence de ce
processus et l'attribution progressive de concessions forestières entraîna un zonage de facto
irréversible en faveur des entreprises. Inversement, seule une superficie insignifiante de forêts
relativement peu productives fut attribuée aux communautés forestières781.

Autrement dit, quelle que soit l’innovation qui fut alléguée par le Régime forestier de 1994 (le mode
d’attribution des concessions, la fiscalité en amont, les forêts communautaires, la décentralisation des
compétences, la Redevance forestière d’aménagement, etc.), il ressort comme constante irréductible de
l’ensemble de la documentation produite jusqu’ici des politiques publiques forestières au Cameroun –et donc
de la référence épistémologique de cette thèse –que :
Les travaux sur la RFA et représentation ayant été faites par Tole (2000); Bigombe (2003);
Oyono & Efoua (2006) mettent en exergue la question de la dépendance et la capture des
Comités riverains ou locaux de gestion par des forces extérieures. Les auteurs indiquent que
cette forme de représentation n’est pas responsable et ne conduit pas à la démocratie locale,
car ladite représentation a été mal construite […]
La dévolution des pouvoirs de gestion de la RFA est très peu visible pour être vraiment efficace.
Les autorités locales à qui on a transféré les pouvoirs ne sont pas représentatives. Le fait que
les membres des comités villageois soient nommés par décisions municipales fait que la
représentation au sein des institutions de gestion des bénéfices forestiers ne repose pas sur
une légitimité sociale, ce qui ne peut par conséquent pas permettre l’avènement d’une véritable
représentation démocratique. La mainmise des autorités administratives, municipales et de
l’élite sur les institutions de gestion de la RFA ne laisse généralement pas de marge de
manœuvre aux communautés locales, qui ne peuvent donc pas mettre en échec le pouvoir de
l’autorité décisionnelle qu’est le maire. À Mindourou, la mise en place des comités de gestion de
la RFA et la construction de la représentation n’émergent pas encore comme de réels outils de
démocratie locale et de promotion d’une représentation démocratique. Les modes de
désignation des représentants au sein des comités de gestion et les mécanismes de
redevabilité sont pervertis par les représentants locaux. L’État, en instituant une redevabilité
ascendante dans le processus RFA et en choisissant de le reproduire dans le cadre de la
REDD+, entend tout simplement garder la mainmise sur la gestion des revenus
forestiers (Antang Yamo, 2015).

780 Hubert Ngoumou Mbarga, 2014, op. cit.


781 Op. cit.

372
En face des acteurs étatiques et des organismes gouvernementaux, tous les autres acteurs, qu’ils soient des
chercheurs, des organisations de la société civile, et des populations villageoises immédiatement concernées,
semblent s’accorder pour établir que les communautés locales n’ont ni contribué à la motivation de la Réforme
forestière, ni participé à l’élaboration du Régime forestier de 1994. Selon plusieurs auteurs, l’exigence des
réformes forestières dans le contexte camerounais a davantage été portée par des acteurs internationaux
dominants, notamment par les Bailleurs de fonds préoccupés à cette époque de crise économique par la
viabilité financière du pays; auxquels les dynamiques environnementalistes et démocratiques globales se sont
articulées (Demers-Labrousse, 2012; Sylvain Allemand, 2000). Dieudonné Bitondo (2005) note que :
Globalement, l’institutionnalisation de l’évaluation environnementale dans les pays en voie de
développement a souvent été justifiée par la volonté des pays de respecter les engagements
pris dans le cadre de la signature et la ratification de conventions internationales en relation
avec le développement durable. Un autre argument qui revient aussi est la pression exercée sur
ces pays par la communauté internationale à travers notamment les agences prêteuses comme
la Banque mondiale qui depuis le début des années 1990 fait de l’adoption de politique
environnementale une pré-condition à l’accord de certains prêts ou à la mise en œuvre de
certains programmes dans ces pays782.

De même, à la suite d’Alain Karsenty qui indique très tôt sans équivoque que « La loi forestière du Cameroun
est inspirée par les bailleurs de fonds »783, et bien avant Paul Dasse784 par exemple, Mikael Poissonnet et
Guillaume Lescuyer relèvent que c’est « Suite au Sommet de la Terre tenu à Rio de Janeiro en 1992 et sous
l’impulsion des bailleurs de fonds [que] le Cameroun s’est doté en 1994 d'un nouveau code forestier »785,
c’est-à-dire principalement par l’impulsion de “la communauté internationale” et sous le drapeau de l’État
(Rozenn Nakanabo Diallo, 2013)786 : c’est-à-dire sans que cette mutation ne soit la conséquence d’une crise

782 Dieudonné Bitondo, 2005, Institutionnalisation de l’évaluation environnementale du développement routier en forêt du Bassin du Congo. Le
cas du Cameroun, Thèse de doctorat, Université de Montréal.
783 Alain Karsenty, 1999, “Vers la fin de l’État forestier? Appropriation des espaces et partage de la rente forestière au Cameroun”, Politiques

africaines, n°75.
784 L’on apprend effectivement, à la lecture du texte de Parfait Oumba, que :

« La prise de conscience des enjeux du bassin du Congo s'est vraisemblablement accrue avec le Sommet de la Terre de Rio en 1992. La
pression exercée par les ONG et les bailleurs de fonds internationaux a conduit les gouvernements à refondre leur cadre juridique et
institutionnel, à se doter d'un cadre d'actions cohérent (programmes nationaux de gestion environnementale, plans d'actions forestiers
nationaux, etc.), et adopter des instruments de planification de gestion et de surveillance moderne. Le cas du Cameroun est un exemple
concret, dans la mesure où, comme le souligne Paul Dasse (2003) : “c'est aujourd'hui une constante que l'éveil de la conscience écologique
enclenché au Cameroun à l'occasion du sommet de Rio a remarquablement impulsé la mise en œuvre nationale et même non
conventionnel de l'environnement”. La participation du Cameroun au Sommet de Rio a été une façon pour lui de repenser son droit de
l'environnement, car au lendemain de son retour de Rio, le Cameroun a pris de nouvelles initiatives en faveur du développement et de la
protection de l'environnement » (Op. cit.).
785 Mikaël Poissonnet et Guillaume Lescuyer, 2005, “Aménagement forestier et participation : quelles leçons tirer des forêts communales du

Cameroun?”, VertigO, vol. 6, n°2.


786 Particulièrement caractéristique de l’historicité des États africains, cette démarche qui s’articule également à ce que Ongolo Assogoma appelle “la

tactique du gecko” (2015)


« illustre ainsi la capacité d‘acteurs du Sud à prendre en charge des enjeux externes, à jouer entre et avec les différents registres discursifs
et cognitifs disponibles, et à les ériger en enjeux internes. Cette capacité à jouer sur “plusieurs tableaux” est au cœur de notre étude : elle
permet d‘appréhender la persistance de l‘État, que nous entendons dans ce travail au sens d‘entreprise de domination. Suivant la définition
wébérienne en effet, l'État est une entreprise politique de caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès
dans l'application des règlements le monopole de la contrainte organisée. Dans notre approche, la rupture postcoloniale va ainsi de pair
avec une continuité de l‘État, qui mobilise des ressources différentes pour se redéployer » (Rozenn Nakanabo Diallo, 2013, op. cit.).

373
procédant structuralement d’une dynamique historique endogène proprement camerounaise; sans qu’elle ne
soit le résultat d’une controverse nationale ou interne à la collectivité politique camerounaise significative de la
conscience collective d’un risque/d’une crise; sans que le besoin d’une rupture radicale collective n’ait été
formulé par des acteurs endogènes nationaux et locaux, autrement dit sans qu’il n’existe au niveau national ou
local une compétence dirigeante et un pouvoir effectivement préparés à la gestion durable des ressources
forestières787.

En articulant l’avis des acteurs étatiques –dont on comprend qu’ils se déploient dans une perspective non
critique à caractère fonctionnaliste et organisationnelle –à celui qui se dégage des autres acteurs, l’on aboutit
à ce que Gourgues et al (2013) appelle « les faux-semblants des usages gouvernementaux de la participation
et de l’artificialisation des dispositifs déconnectés d’une demande sociale »788. Dans une formulation plus
complète et plus précise, Dieudonné Bitondo indique à l’issue des recherches qu’il a consacrées à
l’implémentation de “l’évaluation environnementale” comme élément organique de réalisation de grands
travaux en Afrique, que :
L’histoire de l’évaluation environnementale formelle789 dans les pays du Bassin du Congo est
relativement récente puisque beaucoup d’auteurs en situent le début à la suite des conférences
de Stockholm 1972 et de Rio de Janeiro de 1992. Il ne semble pas que l’adoption de l’évaluation
environnementale dans ces pays réponde à des pressions venues de la population et des
acteurs locaux comme ce fut le cas aux États-Unis et dans certains pays du Nord. Elle serait
beaucoup plus une réponse à des engagements internationaux et aux conditionnalités diverses
des bailleurs de fonds et de certains partenaires au développement. En vue d’assurer la prise
en compte de l’environnement lors des prises de décisions concernant le soutien financier aux
projets dans les pays en développement, les institutions financières multinationales dont la
Banque mondiale, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, ainsi que
les banques africaine, interaméricaine et asiatique de développement, ont développé des
directives d’études d’impacts sur l’environnement que les pays ou les entreprises qui font une
demande de financement sont tenus de suivre790.

C’est dans les mêmes termes que Sylvain Allemand (2000) décrit l’introduction du concept de “gouvernance”
dans les pays en voie de développement dont les acteurs internationaux791 entendent ainsi réformer les
modes d’organisation institutionnelle et de gouvernement792. De la même manière, les travaux de Demers-
Labrousse (2012) sur l’analyse du processus démocratique au Cameroun illustrent la dynamique générale par

787 Krister P. Andersson, Clark C. Gibson and Fabrice Lehoucq, 2005, “Municipal Politics and Forest Governance: Comparative Analysis of
Decentralization in Bolivia and Guatemala”, in World Development, Vol.34, n°3.
788 Op. cit.
789 Le qualificatif “formel” utilisé ici par Bitondo revêt toute son importance. Aussi le reprenons-nous plus loin dans la description des causes de la

marginalité des communautés locales, et de manière générale dans le sillage des problèmes inhérents à l’articulation des réformes forestières
camerounaises aux exigences environnementales exogènes.
790 Op. cit.
791 Il s’agit plus précisément des acteurs dont on dirait qu’ils sont les dépositaires du paradigme intellectuel dominant et dont l’un de moments

marquants de l’engagement néolibéral est le “Consensus de Washington”.


792 Sylvain Allemand, 2000, “Gouvernance le pouvoir partagé”, Revue Science Humaine, n°101. Janv.

374
laquelle les préoccupations environnementales sont institutionnalisées en Afrique et au Cameroun. Pour lui :
« L'incursion dans l'historique liée à l'émergence des différentes formes et manifestations de processus
démocratique en Afrique nous démontre que chacune des périodes a contribué au développement d'un aspect
de la situation politique actuelle. Nous voyons aussi que le poids des facteurs extérieurs tels que les
puissances occidentales et les institutions économiques (Fonds monétaire internationale et Banque mondiale),
a un impact direct sur l'exercice de la démocratie dans ces États africains »793.

C’est aussi dans cette logique que s’impose également dans toutes sa pertinence et son efficacité l’éclairante
critique de l’offre de participation que formulent ainsi Guillaume Gourgues et al (2013), notamment quand les
chercheurs s’appuient sur « Joëlle Zask [qui] souligne la contradiction de l’expression “faire participer”,
puisque la participation relève de l’engagement citoyen, mis dans une posture d’enquête sociale. Il y aurait
donc un paradoxe dans l’idée de faire de cet acte une injonction »794.

Il en découle définitivement que la présence de consultants d’origine camerounaise invités dans une
dynamique générée et organisée dans une démarche privée par la Banque mondiale, sous l’encadrement et la
conduite de cette seule institution financière internationale, ne saurait démontrer le contrôle de l’idée et de la
motivation des réformes forestières du début des années 1990 par le Cameroun. C’est pratiquement la même
logique que l’on retrouve dans la théorie de Peter Haas et al (1992)795 sur la constitution des communautés
épistémiques ainsi que leur influence sur la mise en place des transformations intellectuelles et politiques,
notamment par l’émergence à diverses échelles de nouveaux régimes institutionnels en matière
d’environnement.

Au demeurant, l’obstination que manifeste Karsenty conforte par défaut aussi bien la pertinence de l’approche
socio-historique par laquelle la thèse se déploie, que la validité de notre hypothèse sur le caractère central de
la non-endogénéité dans le dispositif théorique de la thèse et l’explication la marginalité des communautés
villageoises et de l’ensemble des dysfonctionnements irréductibles qui émergent de la mise en œuvre du
Régime des forêts de 1994 par le concept des contraintes structurelles (paradigmatiques, interscalaires et
contextuelles). Autrement dit, dans une démarche centralisatrice par laquelle les exigences de réforme du
secteur forestier étaient pensées, discutées et négociées essentiellement par le haut entre les bailleurs de
fonds, quelques experts et l’État, les communautés villageoises n’ont jamais été considérées ni comme une

793 Demers-Labrousse, N., 2012, La démocratie en Afrique subsaharienne : le cas du Cameroun, Mémoire de Maitrise, Université de Sherbrooke.
794 Op. cit.
795 Peter M. Haas, 1997 (1992), “Introduction. Epistemic Communities and International Policy Coordination”, in Knowledge, Power, and International

Policy Coordination, Studies in International Relations, University of South Carolina Press.

375
partie-prenante centrale ou fondamentale dont la situation et la nature des représentations, des besoins et des
intérêts était engagée; ni comme un sujet, un acteur, une source ou une force de proposition déterminante. À
travers une organisation collective de l’État dont l’ancrage citoyen, la responsabilité démocratique, l’articulation
aux composantes sociales périphériques de la population sont littéralement liquéfiés par la constitution
historique coloniale de l’État, des élites intellectuelles, administratives et politiques, et par la corruption (Paolo
O. Cerutti et al, 2013; Paolo O. Cerutti & Guillaume Lescuyer, 2011; Pierre Titi Nwel, 2009, 1999; Paolo Omar
Cerutti & Luca Tacconi, 2008; Fabien Eboussi Boulaga & Valentin Siméon Zinga, 2002; Fabien Eboussi
Boulaga, 1997), nos interlocuteurs gouvernementaux expliquent et justifient les mécanismes par lesquels on
aurait pu représenter les communautés villageoises et parler pour les populations indigènes dans les villages.
Quand on sait a fortiori que cette exclusion aura également emporté avec elle les propriétés d’intégration que
Guillaume Gourgues et al (2013) identifient à la participation collaborative. En effet, pour cette équipe de
chercheurs :
Les travaux empiriques révèlent en quoi l’expérience de la participation repose sur des
épreuves au cours desquelles tous les protagonistes, qu’ils soient porteurs de projet, élus,
citoyens, associations, mettent en jeu les stratégies, les arguments, les intérêts, les identités.
Que ces dispositifs soient structurés par des rapports de pouvoir et que les acteurs sociaux qui
y prennent part soient liés par des rapports sociaux fortement asymétriques ne fait aucun doute.
L’analyse des instrumentalisations, des réticences, des faux-semblants est de ce point de vue
indispensable, tout comme il est indispensable de mieux comprendre la manière dont les
participants –riverains, opposants, mouvements sociaux –peuvent investir et parfois s’approprier
les espaces de participation. C’est d’ailleurs en cela que l’attention portée aux motivations des
participants, qu’ils soient assidus ou qu’ils se détournent des dispositifs permet d’envisager la
pluralité des logiques d’engagement des citoyens et invite à prendre au sérieux les critiques, les
luttes d’influence et les rapports de force qui peuvent s’y déployer796.

En effet, dans le cadre de la présente thèse, le processus de transformation d’un problème environnemental
lié à l’exploitation des ressources forestières –ou à toute autre ressource naturelle –en un problème public est
fondamental tant du point de vue méthodologique que du point de vue théorique, dans la mesure où il permet
de comprendre les implications ultérieures des réformes institutionnelles mises en place, notamment en
termes de cohérence systémique ou structurelle (culturelle, institutionnelle, économique, écologique, sociale),
c’est-à-dire autant à partir des diverses disqualifications et incompétences (intellectuelles, techniques,
logistiques, etc.) que l’on a identifiées aux Services gouvernementaux (Gérard Conac/Thierry Michalon, 1984),
aux communautés villageoises (intellectuelle, technique) qu’à partir du contexte social et collectif dans son
ensemble. Du point de vue de la théorie sociale environnementale, Marie-Claude Smouts (2001) procède à
une minutieuse et exhaustive restitution de la constitution architectonique de la problématique
environnementale comme problème publique, problème social ou problème [géo]politique international. Dès
lors, la cohérence structurale de cette architecture permet d’identifier et d’induire les fragilités structurelles

796 Op. cit.

376
ainsi que les dysfonctionnements et les contradictions que manifeste la mise en œuvre des Réformes
forestières apportées par la Banque mondiale et les dynamiques environnementalistes globales au début des
années 1990 au Cameroun :
Au départ du processus se trouvent des individus, indique la chercheure, généralement des
scientifiques, qui détectent l’existence d’un risque de changement dans le fonctionnement d’une
composante de la biosphère. Des études sont menées qui confirment ou non ce risque, et un
débat s’instaure entre experts. Cette phase de discussion entre spécialistes peut être très
longue comme cela a été le cas pour l’effet de serre dû aux activités humaines, ou plus rapide
dans le cas du rôle des CFC dans la diminution de la couche d’ozone. Cette phase de
discussion entre experts est raccourcie si la nature du risque décelé rejoint des sujets de
préoccupation connexes mobilisant déjà les acteurs sociaux. Ces derniers s’emparent alors du
nouveau thème et l’interprètent ou le traduisent de façon à conforter leur opinion présente et les
positions déjà prises dans les domaines voisins. Cette opération est bien décrite par Pierre
Lascoumes sous le terme de “transcodage”. Le tournant décisif est généralement la survenue
d’un évènement déclencheur qui attire l’attention des médias et du public, et sert de catalyseur.
Alors entrent en scène les entrepreneurs politiques, un ensemble composite de personnalités,
d’associations, de groupes d’intérêts qui mobilisent des ressources et mettent en œuvre des
stratégies, les uns pour amener les responsables politiques à se saisir collectivement de cette
question nouvelle, les autres pour les convaincre de n’en rien faire. Les experts, scientifiques,
spécialistes, sont sollicités de part et d’autre. Des coalitions internationales se constituent qui
s’autoproclament médiatrices entre la science et l’action politique.
L’existence des organisations internationales, et particulièrement des Nations Unies, canalise le
processus, mais en partie seulement. Ces organisations offrent aux entrepreneurs politiques
des tribunes, des cadres où faire discuter les parties prenantes, des instances de légitimation.
Et, surtout, le caractère répétitif du jeu qui s’y déroule permet de maintenir la question sur
l’agenda international bien après que les effets dramatiques de l’évènement déclencheur se
sont dissipés.
Mais il est rare que la définition de l’objet [De quoi parle-t-on?] et sa qualification [Quels sont les
enjeux?] se fassent dans un forum unique, et il n’est plus possible aujourd’hui que les autorités
publiques en gardent l’exclusivité.
Si la construction d’un problème d’environnement en objet politique d’intérêt mondial est
réussie, quantités de réseaux et d’organisations publiques et privées s’en emparent, les lieux et
les thèmes des négociations s’éparpillent. Des rivalités s’instaurent autour de la façon dont il
convient d’aborder le problème [Quel sens a-t-il?] et d’y répondre [Quelle problématique lui
appliquer?].
Les citoyens ordinaires hésitent devant la multiplicité des interprétations qui leurs sont
proposées. Les industriels et autres opérateurs économiques ont de la peine à déterminer les
lieux d’où sortira la “problématique légitime” et la façon dont elle leur sera imposée; les moins
cyniques et les plus sensibles aux variations de l’opinion se mettent sur leur garde et
commencent à chercher avec qui il serait bon de collaborer.
Au fur et à mesure, ce qui est attendu de l’action publique devient de plus en plus flou. Les
gouvernements sont priés d’agir, de fixer des objectifs communs et de négocier des compromis,
mais ils ne maitrisent pas la définition du problème et de ses implications. Celles-ci se font
largement en dehors d’eux.
Dans un jeu que la mondialisation et l’instantanéité des informations ont rendu totalement
ouvert, quantité d’acteurs interviennent pour donner leur interprétation de ce qui est en cause.
Ils opèrent dans des espaces différents, avec des objectifs différents et des évaluations
différentes de la situation présente et à venir. Ceci est vrai de toutes les questions mondiales

377
mais plus encore lorsqu’il s’agit du risque environnemental, sujet complexe qui n’est jamais
d’ordre purement technique mais reflète aussi les choix, les craintes et les aspirations
contradictoires des acteurs sociaux. La biosécurité en donne un bon exemple, qui se discute
dans de multiples forums publics et privés, et dont l’enjeu se modifie au fur et à mesure que les
biotechnologies évoluent et que les entreprises multinationales adaptent leurs stratégies face à
des mouvements d’opinion erratiques et des États divisés.
Pour la forêt tropicale, l’objet semble plus clair : il y avait des arbres splendides, des
écosystèmes forestiers luxuriants, ils se dégradent et disparaissent, et il faut arrêter cela.
Pourtant, la définition du problème, de son étendue et ses conséquences, a été lente, malaisée,
et il n’est pas certain que l’on sache très bien aujourd’hui de quoi on parle quand on place la
déforestation au rang des menaces planétaires797.

Dès lors, sur la base des hypothèses que nous avons formulées, notre démarche d’explication entend montrer
que les multiples dysfonctionnements structurels et contradictions irréductibles ainsi que les problèmes et
difficultés divers manifestés dans la mise en œuvre du Régime de 1994 –en l’occurrence la marginalisation
des communautés villageoises dans la gouvernance forestière –procèdent de l’inexistence d’une motivation
sociale et politique endogène et d’un encrage indigène, autant de paramètres fondamentaux qui, en dépit de
la procession coloniale et jacobine de l’État africain ou du mode autocratique et centralisé de gestion des
affaires publiques (Thierry Michalon, 1984), auraient pu minimiser considérablement les incompétences
occurrentes et habiliter l’ensemble des acteurs concernés (l’État, les communautés locales, les organisations
associatives et de la société civile, les exploitants industriels, les individus) sur l’ensemble de la problématique
ou sur une des dimensions des Réformes mises en places.

Cependant, ces résultats de recherche que valident constamment nos interlocuteurs des communautés
villageoises, de la société civile et de la recherche, contrastent radicalement avec l’avis des acteurs
gouvernementaux. En effet, dans ce propos qui semble surréaliste et étonnamment abstrait de la réalité,
VNDG opine que :
Bien sûr que la mise en place du nouveau régime forestier a contribué à l’amélioration de la
situation d’avant, la participation des populations à travers les forêts communautaires et les
forêts communales leur permet de générer des revenus propres à elles pour le développement,
les redevances forestières et fauniques sont maintenant à la disposition des communautés qui
les gèrent à travers des comités riverains chargé aussi de promouvoir le développement
communautaire. La gestion forestière est décentralisée, certaines responsabilités sont
transférées aux communes. La contribution des produits forestiers non ligneux est plus
substantielle et documentée, le niveau de vie des populations locales évolue lentement mais
surement.
Il faut plutôt dire, beaucoup de choses ont évolué positivement, la gouvernance forestière est
beaucoup amélioré, mais les enjeux sont de plus en plus grands, la nature des problèmes
change et certains défis sont également décentralisés malheureusement : le désir du pays à se
développer se basant sur ses ressources apporte plus de pressions sur les forêts, le

797 Op. cit.

378
déclenchement de l’exploitation du sous-sol du Cameroun est un enjeu important dans le
secteur forêt et faune (concessions forestières et aires protégées), le braconnage devient
transfrontalier et l’intégrité territoriale est menacée. La corruption reste un fléau mais la lutte
contre ce fléau est plus acharnée qu’avant. La photo à mon avis n’est pas aussi mauvaise qu’on
veut faire croire. C’est dire que les méthodes doivent aussi évoluer pour faire face à ces
nouveaux défis. Aussi la loi forestière et textes réglementaires sont en cours de révision,
l’industrialisation du secteur est en cours et le renforcement de l'application du cadre
réglementaire est en vigueur. La capacité opérationnelle du personnel est constamment une
préoccupation798.

Ce à quoi Ngoumou Mbarga (2013) qui a travaillé sur l’évaluation de la technologie des forêts
communautaires à l’aune des objectifs qui lui étaient assignés au départ oppose un ensemble de nouveaux
éléments dont la cohérence disqualifie un propos du fonctionnaire qui sonne résolument vide et faux. En effet,
alléguées par la Réforme de 1994 comme instrument essentiel ou mécanisme décisif de promotion des
communautés villageoises, Ngoumou Mbarga (2013) découvre à l’issue de ses recherches qu’:
En définitive, l’analyse du potentiel ligneux des forêts communautaires étudiées conduit à
remettre en question la possibilité intrinsèque de production forestière offerte par celles-ci. Il
ressort de cette analyse, que le potentiel ligneux dans les forêts communautaires étudiées est
mal estimé et fournit une base fausse de calcul, non seulement des paramètres
d’aménagement, mais aussi et surtout des avantages économiques procurés par celles-ci sur la
base de l’exploitation du bois d’œuvre. Il est alors évident que les forêts communautaires ne
sont pas, du moins dans la situation actuelle de leur orientation sur la production de bois
d’œuvre, à la hauteur pour soutenir l’objectif économique de la réduction de la pauvreté et du
développement rural799.

Mais comme on le voit, en dehors du cercle étatique, aucune autre source d’information consultée ni aucune
étude n’ont conforté cette lecture des conditions et contextes dans lesquels les réformes forestières se sont
développées au Cameroun au début des années 1990. Aussi allons-nous, comme conséquence
méthodologique et théorique majeure, référer essentiellement le développement de notre thèse sur les
principales constantes qui se dégagent des données collectées. L’information “marginale”, c’est-à-dire celle
qui est produite par les acteurs sensibles au gouvernement et à la protection des intérêts que garantit l’État,
sera également invoquée, mais seulement par défaut, pour étayer le développement de la thèse.

Cependant, cette démarche instrumentale de justification intellectualiste est vite rattrapée par la manifestation
de dysfonctionnements profonds liés à la difficulté à articuler les communautés locales aux technologies
économiques libérales, environnementales et démocratiques portées par le Régime forestier. Sinon, sur
quelles connaissances de l’histoire sociale du Cameroun aurait-on fondé l’élaboration des conditions,
modalités et procédures d’attribution et de gestion des forêts communautaires lorsque ces conditions,

798 Notre entretien avec ce haut fonctionnaire du Ministère des forêts et de la faune, Yaoundé, juin 2015.
799 Op. cit.

379
modalités et procédures débordent largement le statut politique, la situation sociale et les prétentions
économiques des communautés villageoises dans la collectivité politique? Ongolo et Brimont (2015) rappellent
que :
Les communautés villageoises riveraines qui sollicitent une forêt communautaire doivent se
constituer en personnalité juridique. L’attribution d’une forêt communautaire se fait à la demande
d’une communauté villageoise à travers un processus long et coûteux pour des entités
villageoises pauvres et peu familières des rouages administratifs. Cette procédure doit être
conduite sous la supervision de l’Administration en charge des forêts, qui, au terme de celle-ci,
attribue, ou non, une convention provisoire à la communauté villageoise. La validation de cette
étape préliminaire donne ensuite lieu à l’élaboration d’un document technique appelé Plan
simple de gestion et, le cas échéant, il peut être demandé à la communauté de soumettre une
étude d’impact environnementale pour l’exploitation de sa forêt. Après la convention provisoire,
une convention définitive de gestion est signée entre l’État et la communauté villageoise pour
une durée de 25 ans renouvelable et résiliable par l’Administration en charge des forêts. Les
coûts liés à l’ensemble de cette procédure sont à la charge de la communauté villageoise. Après
approbation du processus de demande et d’attribution, la mise en œuvre du Plan simple de
gestion est évaluée annuellement par l’Administration en charge des forêts qui gouverne le
processus de délivrance des documents légaux d’exploitation et de transport des ressources
forestières issues de la forêt communautaire800.

Dans ces conditions en effet, il n’est pas étonnant que toutes les études consacrées à l’évaluation du Régime
des forêts établissent des résultats mitigés caractérisés par le maintien de l’embrigadement des communautés
indigènes par l’appareil d’État et leur prise en otage par les élites. Spécifiquement ciblée sur la Redevance
forestière d’aménagement, plus connue sous son acronyme, RFA, l’illustration d’Antang Yamo (2015) s’avère
particulièrement intéressante. Pour le chercheur :
Trois principales constatations se dégagent de l’étude de cas réalisée sur l’exercice de la
représentation subnationale dans la redistribution et la gestion de la RFA : i) Les modalités de
choix et autorités locales sont, toutes, définies par des textes juridiques et administratifs ; ii) La
représentation locale dans la gestion et la redistribution de la RFA est mal exercée, dans la
mesure où les représentants locaux ne répondent pas de leurs actes aux populations qu’elles
représentent ; iii) L’ensemble du processus est confisqué par les autorités locales élues (le
maire, ses collaborateurs et les responsables des comités riverains), qui n’accordent aucun
espace aux populations locales pour s’exprimer et influencer les décisions. Cette situation
produit des stratégies opportunistes et des pratiques qui annulent les efforts pour la démocratie
locale dans la gestion des ressources et des bénéfices forestiers au Sud-Est du Cameroun. Les
représentants locaux, c’est-à-dire les maires et les leaders des comités villageois de gestion,
n’ont pas encore à ce jour fait preuve d’une gestion responsable des revenus. Par ailleurs, ils ne
rendent pas compte aux populations locales et ne sont pas dans l’ensemble sanctionnés
(Bigombe, 2003; Oyono et al., 2008)801.

800 Op. cit.


801 Op. cit.

380
C’est ainsi qu’en fin de compte, le déploiement de réformes forestières ainsi que la mise en place d’un
nouveau Régime des forêts au Cameroun en 1994 ne satisfont pas la logique propre à l’émergence des
controverses environnementales et de développement des processus des réformes environnementales, dans
une démarche qui articule successivement quatre ou cinq principaux moments :
- la formulation d’un risque et sa publicisation;
- l’émergence d’une controverse sociale portée par les acteurs divers en présence (citoyens,
organisations associatives, etc.);
- la mise en place de mécanismes de discussion (négociations, délibérations, etc.) suivie de
l’élaboration participative de nouvelles institutions, avec comme conséquence;
- l’affectation de compétences partagées de planification et de gestion à tous les acteurs
(gouvernementaux, industriels, associatifs et locaux).

Autrement dit, les communautés locales ont été absentes du processus de Réforme forestière; elles n’ont pris
part ni à la formulation, l’élaboration, la discussion et l’adoption, ni à la mise en œuvre du nouveau Régime
des forêts de 1994 : elles n’ont jamais été, pour utiliser les termes d’Yves Sintomer (2011), ni du “pouvoir
constituant [d’un quelconque] espace public”, ni au “cœur de la société politique”, absentes ou exclues de « la
vision habermassienne de la délibération [entendue comme] discussion éclairée tournée vers le bien commun
et opposée au simple marchandage »802. D’abord parce qu’elles n’existent pas en tant que telles à cette
époque, ni en tant que communautés locales, ni en tant qu’acteur citoyen, et surtout parce qu’elles auraient
été politiquement et citoyennement disqualifiées d’office du fait de la structure historique de l’État colonial
jacobin et de son caractère essentiellement exogène ou non enraciné.

802 Yves Sintomer, 2011, “Délibération et participation : affinité élective ou concepts en tension?”, in Participations, n°1.

381
CHAPITRE VI : ANALYSE DES DONNÉES ET OPÉRATIONNALITÉ DES
CONCEPTS D’EXPLICATION

Pour bien comprendre le décalage du discours du fonctionnaire et la logique dissonante qui la porte : il
convient de rappeler, relativement à la nature institutionnelle de la collectivité politique camerounaise, que
nous sommes devant un présidentialisme autocratique et dans une centralisation radicale du pouvoir
(Atangana Mebara, 2016)803, toutes choses qui résultent directement de la procession abstraite exogène et
jacobine d’un État dont nous indiquons qu’il est né par le haut et resté suspendu là-haut. Il s’agit d’un État
dans lequel la citoyenneté, la responsabilité collective et la “démocratie” relèvent davantage du slogan et du
mimétisme des formalismes démocratiques qui se dégagent du déploiement de la culture politique occidentale
contemporaine –en tant que trainée symbolique –qu’elles ne constituent elles-mêmes le fonctionnement
authentique et cohérente qui cristallise une histoire politique propre, autrement dit qu’elles ne sont enracinées
dans la réalité sociale et politique opératoire, et encore moins ne s’inspirent ni ne se construisent à partir du
paradigme indigène/endogène. Il s’agit d’un État où les institutions sont tout juste alléguées, où la conduite
des affaires publiques et l’orientation stratégique collective dépendent essentiellement de l’autorité
discrétionnaire et de la décision arbitraire de l’État, du gouvernement, de l’autorité de l’Administration, c’est-à-
dire en réalité de la hiérarchie dont le chef de l’État est l’incarnation absolue, comme en témoigne
éloquemment dans son dernier livre Atangana Mebara (2016)804 qui a assuré les plus hautes responsabilités
politico-administratives au cœur de ce système. C’est le même phénomène qu’analyse Thierry Michalon
(1984) qui conclue en termes de “présidentialisme négro-africain”. Pour le chercheur français :
Les États d’Afrique francophone se sont dotés [il est plus exact de dire qu’ils ont été dotés], lors
de leur accession à l’indépendance, de régimes étroitement inspirés du régime français de la
Cinquième République, régime mi-parlementaire, mi-présidentiel. Très rapidement pourtant, ces
régimes ont évolué vers un type de régime original, très déséquilibré au profit du chef de l’État,
appelé régime présidentialiste. Le chef de l’État et le chef du gouvernement sont, sauf
exception, le même homme, avec des pouvoirs considérables. Le parlement perd une large
partie de ses attributions et de son autonomie; il peut être dissout par le président, mais il n’a
pas, en contrepartie, la possibilité de renverser le gouvernement. La suppression de tous les
partis politiques autres que celui au pouvoir retire aux élections leur signification normale qui est
de permettre un choix parmi les hommes et les programmes politiques; en même temps, elle fait

803 Jean-Marie Atangana Mebara, 2016, Le Secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités,
éd. L’Harmattan, Paris.
Ancien Ministre d’État, l’auteur écrit cet ouvrage au moment où il est incarcéré depuis une dizaine d’années dans une prison camerounaise à la suite
d’accusations de complots, fraudes et détournements de la fortune publique… Jean-Marie Atangana Mebara, ancien Secrétaire général de la
Présidence de la République du Cameroun et ancien Ministre de l’enseignement supérieur, décrit et explicite avec emphase le caractère prononcé du
présidentialisme camerounais.
804 Ibid.

382
des élus de simples créatures des dirigeants du parti et de l’État, donc leur enlève toute
autonomie805.

Il en découle comme logiquement qu’en termes de rapports structurel (intellectuel et économique) à la forêt,
ainsi que l’énonce Fabrice Parfait Oumba (2007) :
La politique qui signe la marginalisation et l'exclusion des populations de l'exploitation forestière,
et que dupliquent littéralement les législations africaines en la matière, n'était que le
prolongement de la politique forestière française. Née dès la Renaissance, elle a commencé par
être un instrument de lutte pour la protection de la forêt contre les agressions paysannes, dans
le but d'obtenir les chênes de 200 ans indispensables à la Marine de guerre, base de la
puissance. Les cadres institutionnels de gestion ou d’exploitation des forêts en Afrique française
suivront de très près cette politique806.

C’est ainsi que même l’ouverture –essentiellement formelle –de l’activité industrielle forestière aux indigènes –
devenus “Camerounais” ou “citoyens” de la collectivité politique camerounaise –ne put jamais être concluante,
à cause de la différenciation structurelle de départ qui plaçait la propriété des institutions, du pouvoir et du
capital aux mains des Européens, autrement dit à cause de la rupture paradigmatique manifestée par
l’irruption d’une modernité capitaliste dont les indigènes n’avaient jamais ni élaboré le projet, ni tenu les leviers
opérationnels. En effet, que ce soit l’organisation et les mécanismes opératoires, les banques et la mise à
disposition des financements, les machines et appareillages, ou que ce soit la capacité à payer les taxes et
autres redevances, etc., tous les éléments et tout le système de la production forestière industrielle
échappaient complètement aux indigènes. Charlotte Kouna Eloundou (2012) est amenée à constater qu’:
En somme, comparativement aux textes coloniaux antérieurs, l’Ordonnance de 1973 donnait
aux Camerounais diverses possibilités d’accéder à l’exploitation commerciale des forêts. Cette
tendance était déjà observée dans le cadre de la politique coloniale forestière française où les
Permis temporaires d’exploitation forestière étaient accordés par Arrêté du Haut-commissaire de
la République française au Cameroun, pour des parcelles inférieures à 10 000 ha. Pour des lots
de 10 000 à 25 000 ha, les Permis d’exploitation étaient attribués par décret présidentiel, sur
rapport du Ministre de la France d’Outre-mer. La superficie maximale des lots détenus par une
personne ou une société ne pouvait excéder 50 000 ha à cette période, sauf pour le cas
d’installations industrielles nécessitant des superficies plus importantes.
Cette mesure exceptionnelle était, évidemment, favorable aux sociétés européennes qui,
seules, pouvaient détenir de grandes installations industrielles. Toutefois, en dehors des Permis
de coupe de bois de chauffage ou à charbon qui étaient délivrés à titre gratuit, les exploitants
forestiers nationaux devaient s’acquitter des charges financières afférentes à l’exploitation
forestière commerciale (taxes, redevances, droits d’exploitation). Ces charges financières
constituaient et constituent encore un des principaux obstacles d’accès à l’exploitation forestière
commerciale pour les Camerounais qui éprouvent des difficultés financières chroniques […]
Suivant l’Ordonnance du 22 mai 1973 fixant le régime forestier national du Cameroun,
l’attribution de chaque Licence ou de chaque coupe entrainait la perception d’une taxe
d’agrément. Pour les détenteurs de Licences, il était exigé la constitution d’un cautionnement

805 Op. cit.


806 Op. cit.

383
bancaire pour les Camerounais ou les sociétés dans lesquelles l’État ou les nationaux
détenaient au moins 51% des parts, ou d’un cautionnement versé au Trésor pour les sociétés
ou les particuliers étrangers (Art. 34). Une mesure de plus qui traitait distinctement les
exploitants nationaux et les exploitants étrangers, et qui montre que les différentes politiques
forestières appliquées au Cameroun à différentes époques de l’histoire et du statut du pays,
étaient taillées à la faveur des ressortissants de la puissance décideuse.
En effet, les administrations coloniales allemandes, britanniques et françaises établirent des
mesures ou politiques forestières favorables aux Européens pendant la période coloniale. Une
fois sa souveraineté retrouvée, l’administration camerounaise prit des mesures spéciales pour
promouvoir la profession d’exploitation forestière chez les Camerounais. Mais, compte tenu du
monopole de l’exploitation forestière par les Européens au Cameroun et des difficultés d’accès
aux capitaux pour les exploitants forestiers nationaux, ces mesures spéciales ne pouvaient pas
permettre de rattraper le retard accusé par ces exploitants807.

À cette logique radicale d’exclusion structurelle des communautés indigènes, il faut ajouter que les cadres
indigènes devenus les élites administratives, politiques et souvent économiques avaient été entièrement
formés ou moulés et choisis par les Européens. De telle sorte que, que ce soit de par leur éducation
européenne ou de par leur allégeance au système qui les avait cooptés dans une démarche arbitraire dont
l’intention et la préoccupation devaient essentiellement/exclusivement servir les intérêts coloniaux et non de la
collectivité indigène, l’État et la conduite des institutions restaient totalement à la disposition des
représentations exogènes et des intérêts coloniaux européens. C’est cette approche aliénée de la “continuité”
portée par le paradigme dominant d’analyse et défendue entre autres par Achille Mbembe, Mamadou Diouf et
Memel Fotê (1997), qui rend compte de la dépendance systémique; c’est cette approche fonctionnaliste non
critique réflexive, abstraite de l’histoire et par conséquent inopérante que l’on retrouve chez Mamadou Gazibo
(2002), notamment quand traitant de “la démocratisation en Afrique” il réfère naïvement à Adam Przeworski
selon qui :
Dans un monde où le répertoire institutionnel est limité, les nouvelles démocraties apprennent
des vieilles et les unes des autres. Cette perspective découle des théories néo-institutionnelles
de la diffusion des idées et des modèles institutionnels que l’on retrouve chez Peter Hall ou
encore Margaret Weir. Elle permet d’expliquer pourquoi les dynamiques politiques sont
similaires dans des contextes pourtant culturellement ou économiquement différents. Le
mimétisme ou les contagions peuvent imposer une conformité au contexte environnant. Le
passage à la démocratie est lié en partie à la construction européenne, à ses institutions, aux
obligations découlant de ses traités et à l’exigence corrélative d’instauration d’un État de droit.
C’est aussi le cas lorsqu’un conflit survient entre les normes des institutions en place et les
normes de l’environnement externe. Guy Hermet appelle à tenir compte des effets de la
mondialisation actuelle et Larry Diamond parle de révolution démocratique globale. Dans ce
sens, le passage à la démocratie en Europe de l’Est et en Afrique est indissociable de ce
processus global808.

Alors que Thierry Michalon (1984) faisait déjà remarquer il y a trois décennies que :
807 Op. cit.
808 Op. cit.

384
La reproduction au moins apparente par l’État africain des structures administratives transmises
par le colonisateur, celles de l’État-nation centralisé, a constitué l’œuvre majeure des élites au
pouvoir. C’est ainsi par exemple que la ville-capitale, toute centrée sur son désir d’imiter au
mieux les pratiques de la société de consommation, n’est guère pressée de remettre en
question le type d’État qui, précisément, justifie ses privilèges. De même, les Ministères se
ramènent pour l’essentiel à leurs Services centraux, les Services déconcentrés dans les
Provinces et l’arrière-pays demeurant généralement squelettiques et délaissés. Et il s’agit de
maintenir à tout prix ces structures importées.
La somnolente impuissance de cet État-décor, où tout se passe en coulisses, se maintient tant
bien que mal en Afrique, avec la complicité intéressée des milieux étrangers.
Quant au paysan africain, souvent conscient de l’exploitation dont il continue à faire l’objet, il se
borne envers l’État à une forme de résistance passive, tout en consentant, avec l’aide de sa
famille, d’importants sacrifices pour que l’un de ses fils fasse des études complètes. “Tu seras
mon Blanc”, lui répète-t-il lors de cette longue course d’obstacles. Et tout le groupe familial
attend de ce fils, quand il est devenu fonctionnaire, à la fois un accès, même lointain et indirect,
aux privilèges et prestiges de l’Administration, ainsi qu’une compensation psychologique aux
décennies [d’exclusion sociale structurelle du système et] d’humiliations endurées sans mot
dire.
[Comme dans une sorte d’État-cafouillis ou d’État-jungle où l’arbitraire de l’ingéniosité et de la
force constitue la condition par excellence d’existence et de survie; dans lequel chaque individu
va vouer toute son existence à la recherche obsessionnelle de sa place sociale; dans lequel
chaque indigène voudra nécessairement réaliser son humanité à travers son entrée dans la
socialité officielle] L’État ne peut donc guère susciter le dévouement des hommes pour une
œuvre commune de développement, mais, tout au contraire, leur recul et leur méfiance, la
préservation de simples intérêts individuels, dans le cadre de solidarités traditionnelles, privées
et sectaires809.

D’où la gangrène généralisée de la corruption. En effet, dans un contexte où l’arbitraire conditionne l’ensemble
des rapports citoyens ou politiques, il se crée une inégalité structurelle dans l’accès aux services, avec pour
conséquence la privation totale pour les uns, les plus faibles, les plus pauvres, les plus démunis; et la
disponibilité la plus complète, ou l’accès le plus libre et le droit total pour les autres, ceux qui participent des
élites administratives, économiques et politiques ou qui peuvent leur être connectés. C’est cette réalité que
visent Paolo Cerutti et al (2013) lorsqu’ils parlent de « a wide gap between a tiny elite of wealthy State officials
and a large number of disillusioned local ones »810. C’est dans ce contexte que se déploient le néo-
patrimonialisme et le trafic d’influence dans le rapport aux ressources collectives, mais aussi dans l’accès aux
services, aux avantages, aux ressources, etc. Ce contexte fait le lit de la corruption entendue comme
collusions, ententes illicites basées sur l’acquisition d’un service ou l’obtention d’un avantage en fonction non
pas des exigences et critères définis par les règles, mais plutôt de sa capacité à satisfaire les intérêts
arbitraires formulés par les préposés aux charges publiques (Béatrice Hibou, 1999)811. Au Cameroun, la
corruption s’est cristallisée comme donnée structurelle en innervant l’ensemble du corps social, sans

809 Op. cit.


810 Op. cit.
811 Béatrice Hibou, 1999, “La décharge, nouvel interventionnisme”, in Politique africaine, n° 73.

385
exception. La corruption est devenue la règle; elle se déploie sous les formes les plus diverses, dans toutes
les sphères et à tous les niveaux; elle se présente définitivement comme le moyen –compensatoire ou par
défaut –par excellence d’accès pour tous aux ressources, services et avantages dont la disponibilité collective
a été hypothéquée par la fragmentation structurelle arbitraire de la société et le caractère non enraciné des
institutions collectives opératoires. Analysant spécifiquement le déploiement de ces mécanismes
dysfonctionnels dans la gestion publique des ressources forestières, Cerutti et al (2013) relèvent que :
The second building block of the strategy to perpetuate the collection of bribes while evading the
serious implementation of governance reforms involves the mechanisms set in motion when a
state official tries to halt a forest operation that has already been ‘‘approved’’ by powerful
individuals. In this case, stalwart officials normally have to choose between allowing an illegal
operation to continue or being threatened –usually by telephone –with personal or professional
retaliation. Threats follow a hierarchical crescendo, from the initial, often anonymous, claim that
timber ‘‘belonging’’ to a powerful individual is being blocked, to an eventual call from the self-
proclaimed real investor behind the operation, in case the official exhibits a determination to
enforce the law.
Most of the officials interviewed, many of whom also reported the behavior of several unnamed
colleagues, admitted that the initial threat is normally sufficient to end any attempt to enforce the
law. As they describe it, this is not because of lack of courage, poor knowledge of the law, or
unwillingness to apply the law, but rather because of the absence of recourse if they do decide
to remain stalwart. In other words, it is not worth risking one’s career in a system where only two
options seem to be available: ‘‘with us’’ or ‘‘against us.’’ In such a system, challenging someone
who hints at having connections higher up the hierarchy, whether in the army or in the ruling
political party, is equivalent to gaining the reputation of a traitor, with consequences that may
rapidly spread from one’s professional life to livelihoods and family. For instance, several of the
officials interviewed explained how they had stopped timber reportedly ‘‘belonging’’ to top army
officials. In the (few) cases where interviewees refused to comply when their superiors ordered
to release the timber, they were reportedly not only demoted but also transferred to remote
locations as further punishment.
In this context, it becomes clear why, even for those few reported cases when State officials did
decide to stand firm against threats and accepted the negative consequences of their actions,
they did not consider recourse to the judiciary as an option. The judiciary is perceived to be just
another part of the system where ‘‘traitors’’ are regarded as outcasts and judged unfavorably812.

Conformément à l’onto-phylogenèse de l’État africain, et eu égard à la constitution arbitraire par cooptation


coloniale des premières élites dirigeantes, politiques et économiques (Simon Nken, 2014; Harris Memêl Fotê,
1997), c’est effectivement le mécanisme objectivé ci-dessus par Thierry Michalon qui va fonder l’origine de
l’engrenage des contradictions irréductibles et des dysfonctionnements fondamentaux constitutifs de la
précarité de l’État africain, autrement dit, de ce qui est formulé dans la présente thèse comme les contraintes
structurelles contextuelles. Il en est de la gabegie et du népotisme des responsables politico-administratifs à
l’égard des ressources publiques, de la gestion rentière et néo-patrimoniale des richesses collectives, de la

812 Op cit.

386
gangrène de la corruption, etc., autant d’éléments dysfonctionnels qui nourrissent la structure permanente
d’une précarité sécularisée et endémique que stigmatisait récemment encore Charles Ateba Eyene (2013) :
Il convient d’indiquer, regrette l’analyste camerounais, que l’élite camerounaise est le premier
problème du Cameroun. J’insiste pour faire remarquer que les divers dysfonctionnements et les
multiples contradictions qui déterminent les problèmes auxquels le Cameroun est confronté (la
mal-gouvernance, la corruption, la sous-performance généralisée et systémique, tous ces
problèmes que nous vivons) sont causés par ce qu’on appelle “élites”. Parce que ces élites,
cette classe des élites, c’est tout simplement une imposture. Tous ces gens qui sont devenus
riches sans savoir comment ils ont fait, qui refusent de déclarer leurs biens, qui baignent dans le
clientélisme, les crimes de toutes sortes, c’est d’abord et essentiellement le fait des élites. Il est
important d’établir cette différence, car les “petits” Camerounais ont tout donné, ceux qui se sont
expatriés à l’étranger ont tout donné, les petits commerçants, les Buyam-Sellam et autres
débrouillards payent leurs impôts, etc. Mais où donc vont toutes les richesses et les ressources
du pays? Dans la débauche, le gaspillage, le lucre, la mégalomanie… Ça, c’est le travail des
élites813.

Charles Ateba Eyene trouve ainsi dans le cas de la collectivité politique camerounaise, un cadre par
excellence d’opérationnalisation de l’analyse que Bertrand Badie avait déjà proposée avec les concepts de
“clientélisme” et surtout “d’État rentier”,
C’est-à-dire de tout État qui retire une part substantielle de ses revenus de ressources
étrangères, sous forme de rente, avec pour principal effet d’accroître très substantiellement
l’autonomie de l’État [considéré précisément comme l’appareil dirigeant ou politico-administratif]
face au reste de la collectivité et aux autres acteurs sociaux, puisque la quasi-totalité des
revenus perçus viennent de l’extérieur de la société. C’est ainsi que l’effet du pétrole [du bois,
des mines et même des matières agricoles] sur les économies et le jeu socio-politique des pays
producteurs peut être comparé à celui de l’or sur la société espagnole du XVIème siècle :
l’économie de rente encourage les élites à la passivité et incite les États à la facilité. Le
comportement passif des élites s’explique aisément et fait le jeu de tous. Au lieu de s’engager
dans un effort de production, il est en effet plus confortable d’acheter massivement et de
s’approvisionner continuellement à l’étranger; au lieu d’adopter un comportement d’entrepreneur
relevant de l’ascétisme wébérien, mieux vaut se complaire dans les activités lucratives d’une
bourgeoisie rentière qui se partage volontiers entre la spéculation financière et l’acquisition de
prébendes dans la haute bureaucratie814.

Dans ce contexte où du point de vue du statut social et de la personnalité culturelle/intellectuelle, les élites
indigènes s’identifiaient davantage aux colons européens qu’aux autres populations indigènes (Franz Fanon,

813 Analyste socio-politiste et homme politique, Charles Ateba Eyene décrit de l’intérieur la fresque collective du Cameroun ainsi que le contexte
systémique de la réalité camerounaise. Il a publié de nombreux ouvrages dont : 2013, Crimes rituels, loges, sectes, pouvoirs, drogues et alcools
au Cameroun. Les réponses citoyennes et les armes du combat, Éditions Saint-Paul, Yaoundé; 2012, Le Cameroun sous la dictature des loges,
sectes, du magico-anal et des réseaux mafieux. De véritables freins contre l’émergence en 2035, Éditions Saint-Paul, Yaoundé; 2011, Le
mouvement sportif camerounais pris en otage par des braconniers. L'urgence de la mise en œuvre des réformes. Une ne analyse historico-
économique et politico-diplomatique du sport, Éditions Saint-Paul, Yaoundé; 2010, Le management de l'opacité et les drames de la société
camerounaise. L'insolite et la complaisance au détriment du mérite et de la compétence, Éditions Saint-Paul, Yaoundé; 2008, Les paradoxes du
pays organisateurs. Élites productrices ou prédatrices. Le cas de la province du Sud à l’ère Biya, 1982-2007, Éditions Saint-Paul, Yaoundé.
Le propos que nous citons ici est extrait de son intervention sur la chaîne de télévision Canal 2 International, dans le cadre de l’émission “Canal
Presse”, édition du 28 juillet 2013 : https://www.youtube.com/watch?v=RhcDbr37Wmo).
814 Op. cit.

387
2006, 1961, 1952)815; dans ce contexte où, dès lors, l’État, né par le haut n’existait que par le haut –à travers
une élite indigène complètement aliénée et extravertie (José Do Nascimento, 2008; Franz Fanon, 2006, 1961,
1952; Guerandi Mbara Goulongo, 1997; Thierry Michalon, 1984)816, sans lien de filiation ni aucune
responsabilité structurale ou organique (collective, citoyenne, institutionnelle) à l’égard ni des populations ni de
la collectivité, etc., il semblait dans l’ordre des choses qu’ :
[…] En dépit de la volonté manifestée par le Ministre des forêts de valider l’interdiction totale des
exportations de bois sous forme de grume. Toutefois, au sortir de cet atelier, les syndicats du
secteur privé [dont il n’est pas inutile de rappeler qu’ils sont essentiellement constitués
d’entreprises européennes/étrangères] expriment leur opposition à cette mesure au travers des
mémorandums adressés au ministre des Forêts et au Premier Ministre. Devant l’ampleur de la
protestation, l’administration des forêts fait alors marche arrière pour revenir au statu quo, à
savoir la possibilité d’exporter les essences de promotion sous forme de grume (Bakker Nongni
& Guillaume Lescuyer, 2016).

En tant que fait emblématique de ce que Robert Jackson appelle “souveraineté négative”, cette capitulation du
gouvernement camerounais devant les intérêts industriels des États dominants indique clairement que
l’orientation stratégique de l’économie forestière n’aura pas connu de transformation fondamentale ni de
changement radical avec le passage de l’État colonial à l’État “indépendant”. C’est ce qui amène RMBK,
expert en charge des problématiques forestières à INADÈS-Formation, organisme bien implanté dans le
paysage camerounais du développement rural, à observer que :
Le problème ici dans ce processus de modification de diverses Lois des forêts est qu’on passe
d’une modification à une autre, sans une évaluation profonde de la précédente. Résultat : les
problèmes ne sont pas fondamentalement résolus […] En tant qu’acteurs du développement en
contact avec les populations sur le terrain, les révisions récurrentes des lois forestières
s’expliquent aussi par le fait que les retombées issues de la gestion des forêts sont très peu
ressenties par les communautés à la base. Car ces mécanismes sont lourds et il n’y a pas de
transparence réelle dans la gouvernance de ces ressources d’une part et d’autre part, les
mécanismes alternatifs mis en place sont insuffisants et parfois inexistants et les communautés
ou populations locales pour satisfaire leurs besoins essentiels se sentent obligées de se
“débrouiller” par d’autres moyens prohibés par la loi. À titre d’illustration, les populations des
villages riverains vivent essentiellement de l’agriculture; ces populations ne sont pas bien
organisées; et les villages sont enclavés et l’accès au marché pour leurs produits agricoles est
difficile. En outre, ces communautés souffrent d’insuffisance d’encadrement et leurs méthodes
de production sont restées archaïques. Les dispositifs de contrôle de gestion des forêts sont
sclérosés par la corruption ambiante dans le pays entre autres817.

C’est dans ce système prébendier dont il convient utilement de relever qu’il est à l’origine de la fragmentation
sociale de classes qu’une catégorie d’indigènes –cooptés par des réseaux d’intérêts politiques ou

815 Franz Fanon, 2006, Pour la révolution africaine. Écrits politiques, éd. La Découverte, Paris; 1961, Les damnés de la terre, éd. Maspero, Paris;
1952, Peau noire, masque blanc, éd. du Seuil, Paris.
816 Guerandi G. Mbara parle de « l’entrée de l’État par le haut ». In L'étude des contraintes extérieures dans le processus de développement en

Afrique : le cas du Burkina Faso, Thèse de doctorat, Université Paris V René Descartes, 1997.
817 Verbatim de l’entretien qu’il nous a accordé à Yaoundé au mois de juillet 2015.

388
confessionnels (Simon Nkén, 2014)818 –s’enrichiront arbitrairement en assurant du même coup à leurs
entourages familiaux des perspectives sociales radicalement différentes de l’incertitude existentielle à laquelle
la grande partie des populations reste confrontée aujourd’hui encore. Paolo Cerutti et al (2013) procèdent à
une description aussi édifiante que détaillée et exhaustive des mécanismes et modalités de la corruption dans
l’exploitation informelle et le commerce du bois industriel au Cameroun. Il ressort de l’étude qu’ils ont
consacrée pendant plusieurs années sur le phénomène que :
Three-quarters of the commercial operators interviewed ranked administrative harassment
aimed at the collection of informal payments as their top concern. That payments are
determined through three spatially separate locations and activities: the village and council
where the resource is located and harvesting takes place; the roads via which timber products
are transported from stump to market; and the markets where products are sold.
(1) The Access. Payments requested by State officials to grant access to the resource average
about €4,3 per cubic meter harvested. Such requests are not a recent phenomenon, but
interviews reveal that after the suspension of all small-scale logging titles at the end of the 1990s
requests for payment became systematic, as timber, impossible to access, harvest, and trade
through legal means, became a profitable business for State officials.
The most common procedure used to legalize illegally harvested timber is to confiscate and
auction it. The legal procedure is well codified (Decree 2001/1034/PM of 27 November 2001):
after an auction, timber must be hammer-marked with the official government seal and provided
with official paperwork to be transported and sold. It is common practice for state officials to
confiscate timber from a logger and then ‘‘auction’’ it back to the latter on the spot. For such
‘‘auction’’ the logger must make an informal payment to state officials. Official paperwork (or
even receipts for payment) to prove the timber’s legality is not issued in these ‘‘auctions.’’
(2) The Transport. Once timber has been accessed (after paying the necessary bribes), further
rounds of payments are made at regular and occasional checkpoints along the road, as
transportation to markets occurs without official paperwork. Unlike in the forest, payments may
be collected several times along the road, especially when trucks have to cross administrative
borders (i.e., municipal, departmental or regional). Payments are also requested based on the
size of the vehicle (i.e., small or large truck), although the type of product (e.g., planks,
formwork) and species still influence the final amount paid.
Operators do their best to avoid known checkpoints, for instance, by traveling at night or using
secondary roads. Similar payments are required around all major cities by State agents
belonging to the same administrative body. For instance, around the Capital city, Yaounde,
where the largest volumes of informal timber are traded, the most commonly reported values are
around €38 per truck for the Ministry, about €15 for the Gendarmerie, and around €8 for the
police.
It is difficult to estimate the total annual average payments made along the road, mainly because
the total payments made per trip greatly depend on the distance the timber has to cover from
stump to market, that is, the number of checkpoints a truck has to pass through. Nonetheless, a
rough estimate can be derived from the data collected by Cerutti & Lescuyer (2011) from 341
chainsaw milling operations across the national forested territory. On average, chainsaw millers
paid about €5 per cubic meter transported to deliver processed timber from stump to market.
(3) The Commercialization. When the timber reaches the market and is offloaded from a truck,
Ministry personnel in town consider it illegal, as official paperwork is yet again missing, and
seize it. Seizure of timber in the markets is rarely physical (i.e., the timber is left with the depot

818 Simon Nkén, 2014, L’empreinte suspecte de Louis-Paul Aujoulat sur le Cameroun d’aujourd’hui, éd. K2Oteurs/Librairie Taméry, Paris.

389
owner), but State officials often take the precaution of hammer-marking it with the wrong side of
the hammer bearing the official seal, in a sort of territorial demarcation that signifies the right to
collect payments to any colleagues who may inspect the timber afterward. The correct side of
the official seal, indicating that the timber has been seized and auctioned in accordance with the
law, is applied to the stock after the bribe has been paid. Only then can depot owners sell the
timber to the final consumer as if it were of legal origin.
Interviews reveal that payments are regular and specific and are requested per product and per
species. Payments may vary slightly from town to town and from market to market within the
same town, but overall timber is consistently grouped in three broad categories: lighter
hardwood (“bois blanc”), stronger hardwood (“bois rouge or dur”), and precious hardwood. The
latter group includes species such as afrormosia (“Pericopsis elata”), wengué (“Millettia
laurentii”), and bubinga (“Guibourtia spp.”), for which the largest payments are requested. On
average, payments are about €6.6 per cubic meter sold by depot owners. Occasionally, seizing
agents demand a payment in cash and another in kind (timber products that will have to be
delivered to him or her on a regular basis).
As the annual consumption of timber sourced from chainsaw loggers is estimated at about
662,000 cubic meters (Cerutti & Lescuyer, 2011), the total value of annual informal payments to
access (€4.3 per cubic meter), transport (€5 per cubic meter), and sell (€6.6 per cubic meter) the
resource is estimated at about 410.5 million. This amount probably overestimates overall
informal payments, as negotiation of individual payments is a vital part of the underground
economy.
Several factors may lead to a reduction in the payment, making an average rate difficult to
estimate. For example, although payments are established per product and per species (e.g.,
one plank of bubinga), state officials often prefer to discuss total payment per lot (e.g., a lot of
planks of bubinga) or forestry operation (e.g., an aggregated payment for the operation in a
given location), demanding a lump sum for the entire new stock without rigorously counting the
pieces or making distinctions between species. Furthermore, if the road from stump to market is
a long one with several payments required, the seller may be able to obtain a larger reduction on
that particular lot when it reaches the market. Long-term, well-established relationships between
the operator and state officials also create favorable conditions for larger reductions, and
occasionally, the number of barriers and the amounts paid can be drastically reduced if a certain
operation has the support of higher level army or government officials. All in all, a tentative
average discount –based on the values that most interviewees reported –could be around 40%
of the standard informal payments per product and per species. Applying that discount to the
entire production results in an estimate of about €6.3 million in total annual informal payments819.

Cependant, il convient de préciser aussitôt que l’auteur a royalement omis d’indiquer que cette mutation
politico-institutionnelle, la dynamique évolutive qu’il évoque, s’est entièrement faite avec la présence
permanente et dans l’inspiration, l’encadrement, l’assistance et la conduite des puissances [coloniales]
dominantes, eu égard à l’étouffement dont traitent Harana Paré (2017)820, Thomas Deltombe et al (2016,
2011), Antoine Glaser (2016, 2014), Jean-Pierre Bat & Pascal Airault (2016), Bernard Lugan (2015, 2011,
2006, 2003), Simon Nkén (2014), Pierre Péan (2014, 2010, 2005, 1988, 1983), François Mattei (2014)821,

819 Op. cit.


820 - Harana Paré, 2017, “Conflit et génocide rwandais. La République française est-elle totalement compromise?”
(https://francais.rt.com/opinions/40367-conflit-genocide-rwandais-republique-francaise-est-elle-totalement-compromise).
821 François Mattei & Laurent Gbagbo, 2014, Pour la vérité et la justice. Côte d’Ivoire : révélations sur un scandale français, Éditions du Moment,

Paris.

390
Charles Onana (2013, 2011)822, Thomas Callaghy (2011), Patrick Benquet (2010)823, Patrick Pesnot &
Monsieur X (2008), Ismaël Aboubacar Yenikoye (2007), Pierre Laniray (2006), Boubacar Boris Diop, Odile
Tobner et François-Xavier Verschave (2005), François-Xavier Verschave (2005, 1998), Mongo Beti & Odile
Tobner (1989), Jean Ziegler (1985, 1978), Jean Suret-Canale (1980), Mongo Beti (1972, 1956), Ferdinand
Oyono (1956) disent que l’Afrique fait l’objet, pour la protection des intérêts coloniaux et arbitraires
opératoires. À la suite de Jean Ziegler qui parlait déjà une trentaine d’années plus tôt de “Main basse sur
l’Afrique”, et pendant que Callaghy parle de “l’Afrique cernée”, pour indiquer cette sorte de piège historique
total dans lequel l’Afrique serait inflexiblement enfermée, Yenikoye formule le concept d’incarcération, dans
une perspective qui s’avère efficace et à fort potentiel d’analyse dans l’heuristique africaine. Charles Onana
illustre parfaitement cette réalité carcérale dans deux édifiantes études de cas récents portant sur l’influence
directe de la France en Afrique de l’Ouest.824

Tel qu’abondamment décrit et attesté dans la littérature (Reinnier Kazé, 2014; Paolo O. Cerutti et al, 2013;
Guillaume Lescuyer, 2005; Patrice Bigombe Logo, 2007; Jake Brunner & François Ekoko, 2000; Transparency
International, 1999; etc., etc.)825, la collectivité politique camerounaise est un contexte social essentiellement
caractérisé par le trafic d’influence, l’arbitraire, la gestion prébendière et rentière des affaires publiques, ainsi
que par l’appropriation patrimoniale des institutions et des responsabilités collectives par des groupes
d’intérêts privés et des personnes généralement impliquées dans des solidarités arbitraires d’ordres amical,

822 Charles Onana, 2013, France-Côte d’Ivoire, la rupture. Confidences et documents secrets, éd. Duboiris, Paris; 2011, Côte d’Ivoire, le coup
d’État, éd. Duboiris, Paris.
823 La documentation qu’en fait Patrick Benquet est particulièrement édifiante : 2010, [Document vidéo] Françafrique. 50 ans sous le sceau du secret,

production Compagnie des phares & balises, Paris; avec Le Nouvel Observateur et France2 (https://www.youtube.com/watch?v=_G1VocQvSJw ou
https://vimeo.com/135618093).
824 Lire :

- Charles Onana, 2013, France-Côte d’Ivoire, la rupture. Confidences et documents secrets, éd. Duboiris, Paris; 2011, Côte d’Ivoire, le coup
d’État, éd. Duboiris, Paris.
- Mubabinge Bilolo, 2011 op. cit.
- Thomas M. Callaghy, 2011 (2002), Intervention and Transnationalism in Africa: Global-Local Networks of Power, co-éd. Thomas Callaghy,
Ronald Kassimir & Robert Latham, Cambridge University Press, Cambridge; 1993, Hemmed In. Responses to Africa′s Economic Decline, éd.
Columbia University Press, New York; 1987, “The State as Lame Laviathan: The Patrimonial Administrative State in Africa”, in Zaki Ergas (ed.), The
African State in Transition, éds. MacMillan/St. Martin’s, Londres/New York.
- Ismaël Aboubacar Yenikoye, 2007, La fracture mondiale. Afrique : Autopsie d’une tragédie, L’Harmattan, Paris; 2007, L’Afrique doit reprendre
l’initiative de son destin, éd. L’Harmattan, Paris.
- Jean Ziegler, 1978, Main basse sur l’Afrique, éd. du Seuil, Paris. On pourrait utilement aussi lire Les rebelles. Contre l’ordre du monde, du Seuil,
Paris, 1985.
Lire aussi Bernard Lugan, 2015, Osons dire la vérité à l’Afrique, éd. du Rocher, Monaco; 2011, Décolonisez l’Afrique!, éd. Ellipses M., Paris; 2006,
Pour en finir avec la colonisation, éd. du Rocher, Monaco; 2003, God Bless Africa. Contre la mort programmée du Continent noir, éd. Carnot,
Chatou.
825 La documentation qui atteste du contexte socio-politique camerounais et rend compte des caractéristiques relevés ci-haut est abondante. Au besoin,

lire entre autres :


- Reinnier Kazé, 2014, “Cameroun – Environnement. Exploitation forestière illégale : Les journalistes menacés ne peuvent informer”, in JADE (édition
du 18 février 2014) Forêt. Sauver le bois africain. Reportages au cœur de la forêt camerounaise
(https://fr.scribd.com/document/239805929/Foret-Sauver-Le-Bois-Africain-Reportages-au-coeur-de-la-foret-camerounai);
- Paolo Omar Cerutti et al, op. cit.;
- Patrice Bigombe Logo, op. cit.;
- Guillaume Lescuyer, 2005, “La biodiversité, un nouveau gombo?”, in Natures Sciences Sociétés, vol. 13, n˚3;
- Jake Brunner & François Ekoko, 2000, “La Réforme de la Politique Forestière au Cameroun: Enjeux, Bilan, Perspectives”, traduction de Benoît
Fontaine, World Ressources Institute;
- Transparency International, 1999, 1998, Corruption Perceptions Index (Framework Document), Berlin;
- Etc.

391
familial, politique ou confessionnel; où plus qu’ailleurs, le pouvoir judiciaire est allégué et reste à la solde des
forces du pouvoir exécutif qui nomme et contrôle la carrière des magistrats dont l’intégrité est sujet à caution
parce que sollicités eux-mêmes en permanence par la culture bien ancrée du lucre et de la corruption. En
guise d’illustration, la description parallèle que Marie-Claude Smouts (2001) fait de l’ampleur de la corruption
du gouvernement cambodgien et des dirigeants étatiques dans la gestion des ressources forestières et par
conséquent de l’exploitation illégale massive de la forêt rend parfaitement compte de la structure opératoire de
la collectivité politique camerounaise et de la réalité spécifique dans laquelle les Réformes forestières portées
par la Banque mondiale et les dynamiques environnementales globales sont appelées à être mise en œuvre :
Malgré les mesures d’interdiction d’exportation des grumes imposées par le Fonds monétaire
internationale (FMI) à partir de 1996, relève M.-C. Smouts, des Permis d’exploitation illégaux ont
continué d’être délivrés par le gouvernement du Premier ministre Hun Sen, y compris en
direction de la Chine et du Japon. Un document du Département d’État américain faisait état en
1997, de tous ces trafics, et des pressions que tentaient d’exercer les bailleurs de fonds sur les
autorités de Phnom Penh pour qu’elles arrêtent les coupes et les exportations illégales, qu’elles
fassent en sorte que les revenus du bois reviennent dans le budget d’un État tenu à bout de
bras par la communauté internationale. Chose intéressante, le même document se félicitait de
l’action menée dans le même sens par l’ONG britannique Global Witness.
Les bailleurs de fonds ont suspendu leurs prêts à Phnom Penh en 1997 en guise de sanction
contre le peu d’empressement des autorités à lutter contre l’abattage illégal et le pillage de la
forêt par des concessionnaires peu scrupuleux. Les prêts ont repris en 1999 après que Hun Sen
se fût engagé à mettre un frein à ces pratiques. Signes manifestes de cette volonté de sévir : la
mise sur pied d’un mécanisme intersectoriel de contrôle des délits forestiers placé sous le
contrôle de l’ONG britannique Global Witness.
[Ce cas illustre un] Bel exemple de brouillage entre le national, le transnational et l’interétatique
que cette mission confiée à une association privée étrangère chargée de contrôler le
fonctionnement d’organismes publics nationaux dans domaine éminemment souverain puisque
relevant de la Police, des Finances et de l’Aménagement du territoire. Tout cela, sous
l’inspiration des Bailleurs de fonds, FMI, Banque mondiale, Banque asiatique de
développement, donateurs bilatéraux, réunis en groupe consultatif.
Le cas du Cambodge est un des mieux connus, car les plus puissants des acteurs
internationaux s’en sont officiellement saisis. Celui du Libéria commence à être discuté sur la
scène internationale.
S’ils sont extrêmes, les cas du Cambodge et du Libéria ne sont, bien sûrs, pas les seuls où se
pratiquent à grande échelle la corruption et la fraude dans l’exploitation de la forêt et du bois.
Il faudrait parler aussi du Cameroun où des concessions sont souvent attribuées aux amis et à
la parenté, sinon aux amis des amis et de la parenté qui s’empressent de sous-traiter à des
entreprises plus ou moins soucieuses d’aménagement forestier durable [où] on nous a parlé de
“zones interdites” sévèrement “gardées”, de ports clandestins d’où l’on expédiait “de nuit” des
cargaisons illicites de grumes et de bois.
[Au Cameroun comme] Dans tous les pays tropicaux producteurs, l’exploitation de la forêt a
suscité une économie souterraine alimentée par des abattages illégaux [Voir Karsenty (2016)
lorsqu’il relève que l’une des faiblesses des Réformes impulsées par la Banque mondiale fût
d’ignorer l’importance et l’ampleur de la dimension informelle dans le contexte socio-
économique camerounais. Voir surtout aussi Paolo O. Cerutti et al (2013) dont les travaux très
ciblés décrivent la nature et l’ampleur du phénomène de la corruption dans l’économie forestière
au Cameroun]. Le poids des acteurs microéconomiques [Entendre exactement : le poids des

392
dirigeants politiques, des fonctionnaires, des élites, des exploitants industriels] organisés en
réseaux plus ou moins structurés avec la complicité plus ou moins affirmée des autorités
officielles, est une dimension importante [Nous dirions déterminante ou contraignante] de
l’économie internationale des bois tropicaux. On en trouve une démonstration chiffrée dans les
tableaux fournis par l’Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT) sur le commerce des
grumes tropicales : l’écart entre les quantités signalées par un pays exportateur et celles
données par un pays importateur peut varier du simple au double, et cela dans les deux sens.
C’est dire l’ampleur du commerce illégal!826
L’OIBT s’efforce de recueillir les statistiques les plus précises possibles sur les échanges de
bois tropicaux mais elle est obligée d’admettre que le peu de fiabilités des données officielles
face à l’importance des échanges échappant à la comptabilité nationale de ses États membres.
Les statistiques officielles donnent le volume du bois officiellement produit, consommé et
exporté. Elles ne disent pas comment une conjonction d’intérêts politiques et économiques, de
corruption et de mœurs clientélistes, de pratiques d’élites bien installées et d’aventuriers à la
petite semaine contribuent à saccager jour après jour une ressource qui s’amenuise. Les
statistiques officielles ne disent pas les vols, les abattages clandestins, les distributions
arbitraires et sauvages des Permis de coupe, les déclassements de forêts protégées, etc.
Comme le diamant et le pétrole, le bois est une ressource majeure pour le fonctionnement du
système politique de nombreux pays tropicaux. Dans ce cas, une petite partie de revenus
revient au budget de l’État mais l’essentiel est utilisé par les dirigeants pour asseoir leur base
politique, financer leurs réseaux clientélistes, donner des gages à l’armée, s’enrichir
personnellement en instrumentalisant des micro-acteurs qui y trouvent leur compte.
S’approprier la rente forestière le plus vite et le plus largement possible a été la pratique de
quantités d’individus en Afrique et en Asie pendant des décennies et souvent une cause
majeure de la déforestation. Cette prédation est profondément incrustée, tant elle fait partie des
stratégies de pouvoir et de survie827.

Du point de vue théorique, cet extrait de l’analyse de Smouts est particulièrement édifiante tant le texte permet
de cerner, d’illustrer et même de formuler le concept de contraintes structurelles dont notre thèse avance
qu’elles trament la sous-performance des Réformes forestières introduites dans les années 1990 en même
temps qu’elles expliquent les dysfonctionnements et contradictions irréductibles manifestés dans la mise en
œuvre du Régime des forêts de 1994; tant la qualité de l’information produite parvient à mettre en lumière les
régions de conjonction des trois types de contraintes structurelles (paradigmatiques, interscalaires et
contextuelles). Cependant, le parallèle cambodgien et africain, et surtout la relation qu’en formule ici M.-C.
Smouts s’avèrent particulièrement intéressants dans la mesure où ils parviennent à illustrer l’opérationnalité
concrète ou empirique du concept d’analyse autour duquel se développe la présente thèse. En effet, au-delà
du paradigme capitaliste de production des richesses par l’exploitation industrielle de la forêt, l’examen de ce
moment caractéristique des économies forestières cambodgienne et africaine met conjointement en œuvre :

826 Dans ce contexte totalement pris en otage par l’objectif de la production des richesses et des profits maximaux à tous prix et par tous les moyens,
tout le système, tous les acteurs impliqués d’un bout à l’autre de la chaine, participent du paradigme capitaliste et des conséquences critiques
auxquelles son développement donne lieu, en l’occurrence sur le plan environnemental.
827 Op. cit.

393
- Le monolithisme ou l’unilatéralisme économique et géopolitique du système-monde (Noam Chomsky,
2016, 2005, 2003, 1995; Immanuel Wallerstein, 2014, 2012, 2011, 2009, 2008, 2006, 2001, 1999,
1995, 1991, 1988, 1985, 1975, 1966; Guy Martin, 2014; Prao Yao, 2013; Samir Amin, 2012-1970;
Mueni wa Muiu & Guy Martin, 2009; Nicolas Agbohou, 2008; Michel Norro, 1994; Bertrand Badie,
1992; Fernand Braudel, 1986, 1985, 1979, 1958, 1949; Thierry Michalon, 1984; Stanislas Spero
Adotevi, 1972; etc.), notamment avec un centre incarné par un faisceau d’acteurs forts –en
l’occurrence les États-Unis, les institutions et sources de financement –et une périphérie dépendante
incarnée ici par le Cambodge ou le Cameroun. Significatifs des contraintes structurelles
paradigmatiques et interscalaires.
- L’existence opératoire d’une articulation interactionnelle et interinfluente entre d’un côté, des
dynamiques et des acteurs à vocation internationale ou globale dont l’action est portée sur les enjeux
planétaires et qui se déroulent partout dans le monde (les États-Unis et les institutions financières
internationales mais aussi les ONG écologistes ou environnementalistes); et de l’autre côté, des
acteurs régionaux, nationaux et/ou locaux (les États africains et cambodgien avec leurs ressources
forestières et leurs élites dirigeantes, sous assistance financière international et donc sous contrôle
des actionnaires internationaux, qui développe des transactions commerciales avec l’Europe, la
Chine, la Thaïlande ou le Japon). Significative des contraintes structurelles interscalaires.
- La situation de faillite économique des États camerounais, libérien ou cambodgien dont on peut
soupçonner qu’elle découle aussi bien de la guerre civile [pour les deux derniers États] que d’un
système institutionnel de gouvernement caractérisé par un mode opaque et arbitraire de gestion des
affaires publiques dont les conséquences dysfonctionnelles diverses se déterminent dans la prise en
otage néo-patrimoniale des ressources collectives par les élites, la remise en question des conditions
existentielles des communautés villageoises, l’exploitation anarchique du bois et la destruction de la
structure écosystémique forestière et des services écologiques de la forêt (Friede-Magloire Ngo
Youmba-Batana, 2007)828. Significative des contraintes structurelles contextuelles.

Il s’agit donc d’un contexte de modernité superficielle où la tendance obsessionnelle à l’enrichissement


personnel tous azimuts, qui s’appuie sur l’arbitraire, est devenu le leitmotiv de l’ensemble du corps social, de
toutes les catégories et couches de la population, dans un projet collectif se déployant sur un vide axiologique
et dépourvue d’assise idéologique (Mbog Bassong, 2016, 2013; Simon Nken, 2014; Fabien Eboussi Boulaga,
1997). C’est ce tableau du contexte social camerounais que, traitant des dysfonctionnements manifestés dans
la gouvernance forestière en Afrique, Karsenty et Ongolo Assogoma (2011) décrivent ainsi :

Friede-Magloire Ngo Youmba-Batana, 2007, “Manger la forêt”. Jè lipàn, ou la construction sociale de la foresterie en pays Babimbi au sud du
828

Cameroun, éd. Ibidem-Verlag, Stuttgart.

394
The extreme difficulty with which registered private ownership is progressing, particularly in sub-
Saharan Africa, shows that other decision (or nondecision) mechanisms are more powerful than
a hypothetical deliberative “Habermasian” process that would take place at the heart of
government. If one accepts the hypothesis of governments having their own private agendas
(Laffont, 2000) –which is the economist's version of “neo-patrimonialism” (Médard, 1991) or the
“politics of the belly” (Bayart, 1989) –one can easily understand that the various individual
officials tend to take decisions that put their own interests and their countries' short-term
interests first, especially in States with a failing judiciary, an inoperative institutionalized counter-
powers (Court of Audit, inspection bodies, etc.) and a culture of widespread impunity829.

Dans le même ordre de faits caractéristiques du contexte ou plutôt des contraintes structurelles dans
lesquelles émergent les Réformes forestières, Jake Brunner & François Ekoko (2000) relèvent :
L'écroulement des capacités opérationnelles du MINEF et le fait que de nombreux
représentants hauts placés du ministère bénéficiaient des pratiques discrétionnaires auxquelles
la Banque Mondiale voulait mettre un terme ont ébranlé son intérêt à engager sérieusement la
Banque Mondiale dans les négociations sur la politique forestière. Certains représentants du
ministère ont exprimé une hostilité personnelle envers quelques représentants de la Banque
Mondiale, qui auraient imposé des délais irréalistes appuyés par des menaces de suspension
des prêts (Ekoko, 1997).830

Les éléments ici relevés par Brunner & Ekoko sont particulièrement intéressants dans la mesure où ils
illustrent les contraintes structurelles contextuelles ou historiques auxquelles obéit l’exploitation des
ressources au Cameroun. En effet, du double point de vue de la sociologie de l’action publique et de la
sociologie de l’État en Afrique, comment expliquer une telle démarche dont on voit qu’elle n’intègre ni aucune
préoccupation environnementale ni aucune préoccupation inhérente au statut des populations et
communautés villageoises? En effet, si elles n’ont pas été tout simplement ignorées en tant que partie-
prenante de la collectivité politique dans la dynamique de planification, il apparait sans l’ombre d’aucun doute
que les populations et les communautés villageoises n’ont jamais été considérées ni comme une entité sociale
spécifique essentielle, avec ses représentations et ses intérêts; ni comme des acteurs et des citoyens
existants à part entière dans la collectivité, qui formuleraient des besoins propres ou qui, à défaut d’avoir tout à
perdre, auraient éventuellement aussi des avantages ou des bénéfices à tirer de l’exploitation des forêts qui
sont leur cadre naturel de d’existence.

829 In “Can `Fragile States´ decide to reduce their deforestation? The inappropriate use of the theory of incentives with respect to the REDD
mechanism”, Forest Policy and Economics, Elsevier, 2011.
830 Op. cit.

395
21. Opérationnalisation des contraintes structurelles

Toute démarche authentique et rigoureuse de recherche sociologique dont la préoccupation porterait sur la
collectivité politique africaine moderne en général, ou en l’occurrence sur le système de gouvernance
forestière au Cameroun, notamment sur les modalités d’articulation des communautés riveraines à la mise en
œuvre du régime forestier, pose nécessairement l’exigence de sa restitution au contexte historique général
dans lequel la collectivité politique africaine et l’institution étatique camerounaise se construisent et se
déploient. Dès lors, la prétention d’expliquer la problématique des communautés locales dans la mise en
œuvre de la Loi des forêts et la marginalité des communautés villageoises dans la gouvernance forestière
s’inscrit-elle nécessairement dans une dynamique historique totale qui fait de la collectivité politique
d’aujourd’hui le produit immédiat des conditions et processus historiques de sa fondation. Dans cette
perspective d’analyse, Giovanni Busino (1986) pense que :
La liberté du sujet est une illusion. C'est à la société de parler et d’agir. Pas de hasard créateur.
La morphogénèse dérive d'un ordre téléologique caché que le sociologue saura bien révéler.
Les valeurs et les sens? Purs jeux impersonnels de signifiants. Le social transforme les valeurs
en faits, les faits en rapports de forces légitimes et par conséquent l'arbitraire culturel en
subordination et hiérarchie. Tout rapport social est une totalité où se reflète massivement la
société. L'intelligibilité n'est alors que dégagement d’un ordre dissimulé, constat de
déterminismes. Ainsi nous avons cru rétablir le social dans sa prééminence ontologique et dans
son autosuffisance causale. Cet “homo sociologicus” fondé sur des sujets empiriques
prisonniers d'un temps et d'une société, peut-il échapper aux apparences de tout ce qu'il est en
train de vivre; peut-il s'arracher à l'expérience de sa société particulière et de sa propre
existence caractéristique? Peut-il vraiment penser l'autre et l'ailleurs?831.

Comme on le voit, la double préoccupation épistémologique et théorique que formule Busino est fondamentale
et s’inscrit au cœur de la science sociologique. En effet, serait-il rigoureusement suffisant de traiter de la
marginalité chronique des communautés locales dans la gouvernance forestière camerounaise, sans référer
l’analyse du fait social critique à l’œuvre dans la collectivité politique camerounaise à son bassin historique,
c’est-à-dire à l’ensemble structuré ou non des dynamiques originaires et structurantes ainsi que des ruptures
et crises de diverses sortes à partir desquelles la collectivité politique camerounaise émerge? Probablement
que non. Et c’est cette double préoccupation méthodologique et théorique que manifestent également Jake
Brunner et François Ekoko lorsque, traitant de “La Réforme de la politique forestière au Cameroun…”(2000),
ils tiennent à rappeler dès le “Contexte” de leur étude que :
Après l'indépendance en 1960, Ahmadou Ahidjo a dirigé le Cameroun [pendant 22 ans] selon
un système extrêmement centralisé avec un parti unique. Après sa démission pour des raisons
de santé en 1982, il a été remplacé par Paul Biya, qui a poursuivi le système du parti unique
jusqu'en 1990, avant que des mouvements populaires et des pressions extérieures le

831 Op. cit.

396
contraignent à accéder au multipartisme. Les élections législatives de 1992 ont laissé au pouvoir
le parti du président, mais dans une coalition. Les élections présidentielles de la même année,
gagnées par Biya [toujours en place à ce jour, soit 33 ans], sont généralement considérées
comme ayant été grossièrement manipulées, tout comme la deuxième élection présidentielle de
1997. Selon l'indice de perception de la corruption de “Transparency International” (Berlin), le
Cameroun était le pays le plus corrompu du monde en 1998 et 1999832.

Inspirées de l’approche socio-historique et procédant de la cohérence qui se dégage de l’histoire et de la


philosophie de l’histoire, l’analyse par les contraintes structurelles (paradigmatiques, interscalaires et
contextuelles) se profile comme le procédé théorique le plus à même d’expliquer la structure permanente qui
rend possible la marginalisation chronique des communautés villageoises dans la gouvernance forestière au
Cameroun et plus généralement la manifestation implacable de dysfonctionnements irréductibles dans la mise
en œuvre du Régime des forêts de 1994 issus des Réformes forestières portées dans le contexte spécifique
du Cameroun au début des années 1990 par la Banque mondiale et les dynamiques environnementalistes
globales. C’est effectivement le concept de contraintes structurelles qui rend compte du délabrement
systémique radical des communautés africaines consécutivement à la rudesse que l’histoire leur a imposée
sans répit depuis plus de dix siècles; c’est le concept de contraintes structurelles qui éclaire, découvre et
opérationnalise le caractère colonial, jacobin et abstrait de la collectivité politique camerounaise, notamment
dans la prétention alléguée et formelle de l’État moderne africain à cohabiter dualement d’un côté
l’organisation traditionnelle indigène, et de l’autre le système moderne occidental. C’est ainsi que les
dysfonctionnements divers inhérents au contexte d’émergence et de mise en œuvre des Réformes
environnementales forestières du début des années 1990 au Cameroun constituent le phénomène-réverbère
par excellence, dans la mesure où leur analyse permet simultanément de développer une analyse –aussi bien
écosystémique que totale –de l’État dans son ensemble. Ils « servent de révélateurs, pour parler comme M.-C.
Smouts (2001), aux multiples carences de l’État et au poids des responsabilités politiques »833. C’est ce qui se
dégage de l’énoncé d’Alain Karsenty (2016) quand il indique que « A holistic view of the reform processes and
their institutional implications helps to explain why the World Bank –at least the Forestry Team –was seeing
the forestry sector, and especially the reform of the concessions system, as an entry point for improving
governance in Central Africa, beyond the forestry sector itself »834.

Comme on le voit, il découle de cette perspective que sur le plan méthodologico-théorique, la démarche de
notre thèse réfère clairement à l’économie politique forestière et à la théorie critique, par où il s’agit, dans une
approche anamnétique ou diagnostique de type médical, d’expliquer un phénomène problématique insistant et

832 In “La Réforme de la politique forestière au Cameroun : enjeux, bilans et perspectives”, trad. par Benoit Fontaine, World Ressources Institute,
Washington.
833 Op. cit.
834 Op. cit.

397
chronique, de théoriser le caractère endémique et la constance de ce dysfonctionnement qu’est la
marginalisation des communautés locales dans les politiques publiques forestières au Cameroun, en
reconstituant la structure qui se dégage de l’analyse des conditions originaires et de déploiement de la
collectivité politique camerounaise.

Le système moderne est le mode d’organisation dominant et de référence. Dès lors, la structuration coloniale
exclusive de la collectivité politique moderne en contexte camerounais met en place deux groupes distincts :
d’une part les populations scolarisées ainsi que l’élite administrative, économique et dirigeante qui assurent le
fonctionnement du système à différents niveaux; et d’autre part les populations non ou peu instruites à
l’éducation conventionnelle, les paysans, les villageois, les groupes socialement dépourvus de tout lien avec
une élite quelconque, qui ont un accès difficile et aléatoire aux services et ressources publics, qui ignorent tout
ou presque du fonctionnement du système étatique auquel ils sont soumis et dont ils subissent le pouvoir et
les orientations de gouvernement (Bertrand Badie, 1992).

Pour illustrer et présenter le donné empirique camerounais dans lequel se déploie l’économie forestière, nous
avons choisi de référer à quelques chercheurs et experts d’ONG dont les travaux et témoignages procèdent à
une description sociographique précise et exhaustive de la collectivité politique et de la société
camerounaises. Cependant, au-delà du contenu empirique qui est rapporté, l’intérêt de mobiliser un panel
relativement large de chercheurs porte également sur la diversité des styles de narration qui, dans le cas de
certains de ces chercheurs, participent pleinement à la caractérisation de ce qu’est la réalité camerounaise. Il
s’agit entre autres d’Alain Karsenty (2016, 2005), Dieudonné Essomba (2016), Ghislain Fomou (2015),
Cyprien Awono (2011), Jake Brunner & François Ekoko (2000), Bertrand Badie (1992), etc. À partir de leurs
préoccupations scientifiques ou professionnelles respectives, les différents chercheurs et experts rendent
fidèlement compte du statut dépendant de l’État dans la géopolitique internationale, de l’organisation du
pouvoir politique ainsi que des conditions spécifiques de son déploiement, mais aussi de toutes sortes
d’autres fragilités, contradictions et dysfonctionnements structurels collectifs (intellectuels, institutionnels,
politiques) sur lesquels fonctionnent le système social et la collectivité politique camerounaise. Le contexte
dont il s’agit est parfaitement bien introduite par ce diagnostic sans concession que formule Achille Mbembe
(2010) autour de la gestion incohérente du sport en général comme phénomène-réverbère le plus
emblématique de l’État camerounais et à travers un énième cas d’inorganisation devenu caractéristique de
l’équipe nationale de soccer du Cameroun –son pays d’origine :
Chaque équipe nationale de football est à l'image du pays qu'elle représente, le reflet de sa
culture, de ses modes d'organisation et de ses tares. Pour ce qui nous concerne, le constat est
simple : tant de potentialités, mais aussi tant de gâchis, sur fonds d'asthénie morale et
d'impuissance collective. Cette impuissance, on l'aura étalée aux yeux du monde lors des deux

398
matchs qui nous ont opposés au Japon et au Danemark. D'une part, une énorme puissance
potentielle, dont on voit bien ici et là quelques éclairs et quelques éclats, mais qui titube, qui
bégaie, qui ne s'exprime que sur le mode épileptique. De l'autre, le désordre, la pagaille,
l'incurie, les gestes vides de ceux qui sont au bord de la noyade, bref l'auto émasculation. Les
causes structurelles de cette auto émasculation collective sont connues de tous, à commencer
par celles qui relèvent de la politique et de l'économie.
Il y aura bientôt trente ans, une élite libidineuse s'est incrustée à la tête de l'État. En collusion
avec la plupart des forces locales, elle a transformé le pays en l'une des satrapies les plus
vénales de tout le continent. Après avoir procédé à une destruction systématique de
l'infrastructure morale et éthique de notre société, elle a érigé le vol, la perversité et la
transgression en nouvelles normes et coutumes partagées aussi bien par les dirigeants que par
leurs sujets. S'en est suivie une "tonton-macoutisation" généralisée des populations, pauvres et
riches confondus. Au point où aujourd'hui, la sénilité aidant, l'ensauvagement s'est transformé
en culture, en conscience collective et en mode de vie. Tous, on le sait. Et tous, nous sommes
impuissants à y remédier. Le Cameroun de 2010 ressemble aux écuries d'Augias, en attente
d'un nettoyage radical et d'une rupture nette et sans concession. Car, tant que ce régime de la
licence absolue et de la débauche permanente déterminera notre destin, il n'y aura rien à
attendre de l'avenir.
Dans une large mesure, il n'y aura donc aucune possibilité de rayonnement mondial du football
camerounais en l'absence de changements politiques radicaux. De ce point de vue, le fiasco
sud-africain n'est pas seulement une affaire de coach. Certes, ce pauvre Le Guen et ses
acolytes –techniciens obtus et tacticiens de second degré –n'ont cessé de tâtonner, de naviguer
à vue et d'improviser. Mais comme d'habitude, ils étaient loin de tout contrôler. Bien des ficelles
leur échappaient. Ils avaient hérité d'une sélection dont la transition, chaotique, n'avait guère,
comme à l'accoutumée, été planifiée. Ils ont vite découvert que l'équipe nationale était un
marais infesté de crocodiles. Après l'éclaircie du début, la qualification pour la Coupe du monde,
ils ont passé l'essentiel des derniers mois dans la fange. Avant même le coup d'envoi du
Mondial, ils étaient déjà empêtrés dans la boue. Emmenés par Samuel Eto'o un capitaine
talentueux mais égo-narcissique, un brin impétueux et peu porté à la discrétion, les joueurs ont
offert un spectacle d'impuissance consommée.
Sonnés par près de trente ans de pourrissement, les Camerounais sont passés maîtres dans
l'art de la fraude, de l'improvisation et de la prévarication835.

835 Achille Mbembe, 2010, “Pourquoi les Lions indomptables sont-ils devenus si faciles à dompter”, texte publié par Courrier International
(http://www.courrierinternational.com/article/2010/06/24/pourquoi-les-lions-sont-si-faciles-a-dompter) et CameroonVoice.

399
21.1. Déficits ontogénétiques, dysfonctionnements de gouvernance et contradictions institutionnelles
Pour rendre compte de l’expérience sociale générale (Gilles Gagné, 1992)836 dans laquelle le concept de
contraintes structurelles entend introduire la cohérence théorique et valider son potentiel heuristique, nous
invoquons ce moment représentatif de la relation que Cyprien Awono (2011) fait de la réalité sociale
camerounaise. Pour le chercheur :
La confusion du public et du privé est en effet le commun dénominateur à tout un ensemble de
pratiques caractéristiques de l'État camerounais et de sa logique de fonctionnement, à savoir, la
corruption, qu'elle soit purement économique ou liée à un échange social, ou encore le
clientélisme, le patronage, le copinage, le népotisme, le tribalisme ou le prébendalisme. Toutes
ces notions qui ne sont généralement abordées qu'isolément sont subsumées par le recours à
la notion de patrimonialisme, sans perdre pour autant leur spécificité. Mais cette notion doit être
utilisée comme un type idéal, forgé à partir de l'observation empirique mais qui doit sans cesse
lui être confrontée pour mesurer l'écart à la réalité. C'est la raison pour laquelle nous utilisons le
type mixte de néo-patrimonialisme pour distinguer le cas camerounais des situations
traditionnelles. Sauf exception, auquel cas M. Weber parlerait de sultanisme plutôt que de
patrimonialisme. On a au Cameroun des situations néopatrimoniales, car le patrimonialisme ne
fonctionne pas à l'état pur mais se combine avec des logiques qui lui sont étrangères.
Le néo-patrimonialisme n'est pas un type idéal mais un type mixte qui rend le mieux compte de
l'État modal au Cameroun. Pour reprendre la formule de Bayard, l'État a bien été
exporté/importé au Cameroun, mais comme le montre T. Callaghy, il a été patrimonialisé. Ce
patrimonialisme plus ou moins “néo” a des implications immédiates en ce qui concerne la
relation entre État et développement du pays. Pour J-F Médard, de ce qui précède, il paraît clair
que la réalité de l'État camerounais est si éloignée de celle d'un État démiurge du
développement, que la finalité de cet État n'est ni le développement ni même son propre
développement mais l'accumulation des ressources politiques et économiques de ses agents.
Contrairement à ce qu'on sous-entend trop souvent, les pratiques patrimoniales ne sont pas
irrationnelles, –la rationalité se trouvant du côté de l’économie et de la technocratie –mais il
existe une contradiction entre la logique politique et la logique économique du développement,
compliquée par une contradiction propre à la logique politique (sic)837.

On pourrait reprocher à l’auteur une certaine fougue qu’il éprouve du mal à dissimuler dans sa relation de la
réalité socio-politique du Cameroun –pays dont il aurait comme nous un rapport d’implication immédiate. En
effet, le style de Cyprien Awono (2011) est radical de sa franchise et de sa hardiesse, pour ne pas dire qu’il
est sans réserve et fortement empreint de passion. Cependant, si une formulation plus rigoureuse eût été
idéale, le tableau décrit nous semble parfaitement convenir à la réalité, dans les moindres détails.838

836 Gilles Gagné, 1992, “La théorie a-t-elle un avenir?”, in La revue du Mauss, 1er et 2ème trimestres 19992, n˚ 15/16, pages 43-57.
837 Cyprien Awono, 2011, Le néo-patrimonialisme au Cameroun : Les leçons sur le mal africain, Mémoire de Maitrise de sciences politiques,
Université de Sherbrooke, QC, CAN.
838 Au besoin d’une édification par l’actualité,

- Lire cette dernière publication d’Achille Mbèmbè (2017, “Au Cameroun, le crépuscule d’une dictature à huis clos”, in Le Monde Afrique du 9 octobre
2017 : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/10/09/au-cameroun-le-crepuscule-d-une-dictature-a-huis-clos_5198501_3212.html);
- Et suivre ces trois documents sonores dont le contenu rend parfaitement compte de l’État africain et de la modernité politique camerounaise :
https://www.youtube.com/watch?v=1FTaAn5HMLw , https://www.youtube.com/watch?v=IUs9HTZroMY et
https://www.youtube.com/watch?v=EoGfc1Js0mo .

400
Relativement à la réalité domestique du pouvoir politique, Cyprien Awono (2011) observe que :
L'autorité des monarques dans l’organisation traditionnelle reste encore très forte dans le
Cameroun moderne. L'intronisation des rois, chefs supérieurs, Lamibés ou Fons est encore
aujourd'hui l'occasion d'allégeance et de soumission des ressortissants de ces régions. Ces
populations sont soumises à une allégeance duale : traditionnelle (respect et soumission au
chef) et moderne (respect de l'État de droit). Ahmadou Ahidjo puis Paul Biya aujourd'hui en tant
que président de la République sont considérés à titre honorifique comme Fon des Fons
(Paramount Chief de la partie anglophone), chefs des chefs du pays Bamiléké et Bamoun et
chef de tous les Lamibés. Il s'agit, d'après Luc Sindjoun de “la pénétration de la prééminence du
Chef de l'État dans l'ordre politique dit traditionnel à des fins de capitalisation hégémonique,
d'allégeance des sociétés locales” et donc de légitimation de son pouvoir. La plupart des chefs
supérieurs sont membres du Comité central [instance dirigeante] du parti au pouvoir. De cette
façon, Biya contrôle à la fois le pouvoir traditionnel (héréditaire) et moderne (temporel). Il n'est
donc pas surprenant qu'après vingt-huit ans de règne sans partage [35 ans au jour
d’aujourd’hui], tel un chef traditionnel du Cameroun, il gère le Cameroun, comme si son
accession au trône fut héréditaire et que seule la mort pourrait l'en séparer. Tel un monarque, la
“cour” de Biya est constituée de ministres, conseillers et hauts dignitaires de l'administration
dont certains ont été ministres dans les années 1960 et 1970 (sic)839.

Et dans un tableau qui révèle l’identité socio-politique de la collectivité camerounaise, le même chercheur
dévoile le statut tout à fait distinct et spécial des élites dirigeantes ainsi que la nature réelle de leur rapport à la
chose publique et aux autres composantes de la communauté politique. Cyprien Awono (2011) rapporte que :
La presse camerounaise se fait écho en permanence de la gérontocratie qui est installée à la
tête du Cameroun où la moyenne d'âge des dirigeants est de 70 ans. Les “sages sont à la tête
du pays” et les cadets sociaux, comme au village, leur doivent respect et allégeance. Pour imiter
leur chef (traditionnel)/Président (moderne) Biya, certains ministres ne sont pas de reste.
L'ancien Premier ministre, Inoni Ephraïm, [aujourd’hui en prison pour détournement de deniers
publics, dans le cadre d’une opération pour le moins controversée de lutte contre la corruption
dénommée “Épervier”840] se faisait appeler “His Excellency, chief Inoni Éphraïm”. La collusion
néo-patrimoniale entre les titres traditionnels et ceux attribués par Biya confère à leurs
détenteurs des pouvoirs à la fois atemporel et temporel". D'autres aspects [folkloriques] de la
culture traditionnelle ont été transposés dans la gestion de l'État moderne. Comme par exemple
le respect des aînés, un symbole de la solidarité africaine, à l'épreuve de l'administration ou de
la gestion de l'État moderne. Sous couvert du droit d'aînesse, on ne peut reprocher à un aîné
son indélicatesse ou son incompétence. Il vaut mieux faire profil bas lorsqu'une haute
personnalité est en tort, la culture nous interdit de juger “un grand”, il vaut mieux en parler à un
autre “sage” qui verra dans quelle circonstance il en réfèrerait au fautif.
Par ailleurs la gestion du temps qui ressort généralement des clichés véhiculés sur l'Afrique
prend de son importance. Le retard fait partie du quotidien des agents de l'État, l'absentéisme
est chronique. Le directeur arrive au travail après tout le monde, c'est un signe d'autorité. Il n'est

839 Cyprien Awono, 2011, Le néo-patrimonialisme au Cameroun. Les leçons sur le mal africain, Mémoire de Maitrise de Sciences politiques,
Université de Sherbrooke, QC, CAN.
840 La réalité de l’Opération Épervier est particulièrement significative de l’identité de la collectivité politique camerounaise et des dysfonctionnements

profonds qui la taraudent en profondeur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9ration_%C3%89pervier_(Cameroun) .


Au besoin, lire :
- Mathieu Olivier, 2016, “Cameroun. Opération Épervier : ces poids-lourds qui restent en prison”, in Jeune Afrique, édition du 6 juillet 2016;
- Johanna Bukasa-Mfuni, 2016, “Cameroun. Yves Michel Fotso condamné à la perpétuité”, in Le Monde Afrique, du 27 avril 2016;
- Le MondAfrique, 2015, “Cameroun. L’impitoyable machine judiciaire de Paul Biya”, édition du 6 septembre 2015;
- Etc.

401
pas rare de voir des ministres arriver au travail deux à trois heures après l'heure officielle de
travail, d'en repartir beaucoup plus tôt pour éviter les embouteillages. Dans la même logique,
tout se fait à la discrétion et sous “la haute autorité et la vision éclairée” du Président Biya, qui
est omnipotent et omniscient. À longueur de journée, ses louanges et bienfaits sont chantés à la
radiotélévision d'État. Depuis, plus d'une vingtaine d'années le générique qui annonce le journal
radiodiffusé à la télévision d'État, la Cameroon radio and télévision (CRTV), composé par le
chanteur et conteur, Archangelo de Moneko'o, est le suivant : “Paul Biya le peuple camerounais
te remercie pour tous tes bienfaits et te demande d'aller de l'avant...” (sic)841.

Du point de vue de la constitution de la collectivité politique et dans une énonciation largement établie par la
recherche (Bertrand Badie, 1992), aucun engagement contractuel à caractère institutionnel, ni aucun rapport
ni responsabilité mutuelle fondatrice de type citoyen ne lie les élites administratives et les dirigeants politiques
aux autres composantes sociales de la population. Double conséquence : non seulement la citoyenneté des
composantes sociales disqualifiées ou désarticulées n’est pas garantie, mais les élites scolarisées,
administratives et politiques qui assurent le fonctionnement de l’État gouvernent sans aucune responsabilité ni
dépendance à l’égard des premiers dont l’incompétence citoyenne étouffe toute participation politique au
contrôle et à la conduite du gouvernement de l’État. En effet, aussi radical que cela puisse être, tous les
témoignages que nous avons recueillis auprès des communautés locales affirment sans nuances l’inexistence
d’un encadrement quelconque [favorable] ni de la part du gouvernement en général ni de l’Administration en
charge des forêts en particulier. En effet, en dehors des fonctionnaires de l’État (gouvernement, communes),
aucun interlocuteur interrogé au titre des communautés villageoises ne qualifie la présence de l’État de
positive ou de rassurante, contrairement aux allégations environnementales et démocratiques affublées au
Régime forestier mis en place en 1994 et au-delà des mécanismes opérationnels créer pour institutionnaliser,
administrer, encadrer et animer l’économie forestière au Cameroun. C’est ainsi qu’en dépit de la présence de
Postes de contrôle forestier et de chasse dans les Arrondissements des régions forestières842 et malgré
l’existence de Délégations départementales et régionales dans les circonscriptions territoriales
correspondantes en tant que Services du Ministère des forêts –dont il faut ajouter qu’ils sont appuyés dans
leurs lieux respectifs d’activité par la coordination administrative des sous-préfectures, préfectures et
gouverneurs –les communautés villageoises n’accordent aucune confiance ni aucun crédit aux Services
publics forestiers qu’elles considèrent sinon comme inutiles ou de simple figuration, du moins comme
défendant les mêmes intérêts que les exploitants forestiers. Symphorien Ongolo843 parle clairement de

841 Op. cit.


842 Si l’organigramme du Ministère en charge des forêts de la faune prévoit des “Unités techniques opérationnelles” dont il est dit qu’elles s’occupent
d’aménagements d’intérêts spécifiques, le Poste de contrôle forestier et de chasse est le service déconcentré du Ministère le plus proche de l’activité
d’exploitation forestière sur le terrain : « Les Postes de contrôle forestier et de chasse sont chargés du suivi et du contrôle permanent des activités
forestières et de la faune dans leur circonscription de compétence respective » (Décret n° 2005/099 du 06 avril 2005 portant organisation du
Ministère des forêts et de la faune du Cameroun).
843 Ingénieur forestier et politologue, Symphorien Ongolo Assogoma a signé plusieurs articles sur les politiques environnementales et forestières dans

les États du Bassin congolais (https://scholar.google.com/citations?user=EbmRD34AAAAJ&hl=en). Il est l’auteur d’une thèse de doctorat (2015)
soutenue à l’École polytechnique de Zurich porte sur l’analyse des facteurs locaux de mitigation dans le secteur forestier des propositions globales de
réformes environnementales.

402
“connivence” pour caractériser la nature des rapports que l’État entretient avec les entreprises d’exploitation,
au détriment des préoccupations écologiques et sociales. C’est cette présence essentiellement figurative de
l’État et cette substantialisation de sa vocation dans les allégations officielles et les discours formalistes qui se
dégagent de la réponse que VNDG donne à la question, “Quelles activités déployez-vous auprès/en faveur
des communautés locales?”. Pour le haut fonctionnaire du Ministère des forêts, l’action de l’État consiste en :
investigation, sensibilisation, information sur les textes, appui à la planification locale, contrôle
de leur action, pourvoie aux zones d’agriculture, assiste dans la mise en œuvre des projets de
développement, création d’emplois. Les objectifs étant d’améliorer la performance, la
gouvernance, l’appui au développement local, le niveau de vie. Et les résultats aujourd’hui sont
très encourageants malgré les problèmes de corruption, malversation ou détournement des
deniers publics. À terme, il s’agit de mettre en place les projets PPP, d’améliorer
l’approvisionnement du marché local en bois légal, de renforcer les plantations forestières qui
peuvent produire plus du bois que les forêts naturelles, de promouvoir la domestication des
espèces fauniques pour la viande de brousse tout en promouvant la chasse professionnelle et la
vente de viande qui en résulte (sic)844.

Comment comprendre ce regard radicalement négatif des communautés locales sur l’État, si ce n’est à cause
de l’opérationnalité de la rupture originaire profonde qui intervient dans une ontologie politique –caractérisée
par l’irruption violente de la modernité politique occidentale (colonial et jacobine) –qui va développer une
seconde rupture profonde de type citoyen qui se détermine dans la fragmentation sociale de la collectivité
politique, la désarticulation organique des élites coloniales totalement aspirées par le tropisme occidental ainsi
que l’irresponsabilité institutionnelle des dirigeants politiques, toutes choses constitutives de la base
structurelle sur laquelle se développent la gestion prébendière et patrimoniale des affaires publiques et le
cramponnement des intérêts arbitraires privés à caractère rentier, la collusion des élites administratives et
politiques et des industriels, l’enracinement de la corruption et la cristallisation de l’enrichissement illicite en
norme (Ongolo et Brimont, 2015; Béatrice Hibou, 1999; Jean-François Bayart, 1989845)? La réticente
appropriation des Réformes ainsi que l’attitude clairement réfractaire que manifeste le gouvernement
camerounais à l’égard des propositions de la Banque mondiale dans les années 1990 (Jake Brunner &
François Ekoko, 2000) constituent l’indication symptomatique par excellence de la structure opératoire à
l’œuvre. En effet, Cyprien Awono (2011) relève que :
Selon la Banque mondiale, cette crainte était injustifiée car le projet de loi comprenait une
catégorie de taille de concessions, jusqu'à 50 000 ha, ouverte uniquement aux camerounais.
Toutefois, malgré sa rhétorique patriotique, cette opposition semble avoir été motivée
principalement par des intérêts financiers et politiques partisans (Ekoko, 1997). De nombreux
parlementaires étaient impliqués dans l'exploitation forestière, directement ou indirectement
comme actionnaires de sociétés d'exploitation ou propriétaires de licences d'exploitation louées
à des sociétés étrangères. Ils bénéficiaient également de l’attribution discrétionnaire des ventes

Notre entretien avec ce haut fonctionnaire du Ministère des forêts et de la faune (MINFOF), Yaoundé, juin 2015.
844

Lire Jean-François Bayart, 1989, L'État en Afrique. La politique du ventre, Fayard, Paris; et éventuellement aussi Jean Mpélé, 2012, L’affaire
845

Bourgi ou pour en finir avec la politique du ventre et autres négrologies, CADTM (http://cadtm.org/L-affaire-Bourgi-ou-pour-en-finir).

403
de coupe, qui leur permettait de participer à des affaires lucratives avec une capitalisation très
limitée. Ces forêts étaient typiquement sous-louées à des sociétés étrangères (une pratique
connue sous le nom de "fermage"). Les adjudications impliquaient une augmentation des coûts
d'accès à la forêt, et donc une menace pour leurs intérêts financiers. Elles auraient également
éliminé une source importante de népotisme […] la Présidence de la République n'était peut-
être pas mécontente des révisions car elles permettaient la continuation des pratiques
discrétionnaires servant les intérêts de quelques personnes puissantes, de représentants du
gouvernement et de nombreux parlementaires846.

Sur ce fait spécifique, Alain Karsenty (2016) atteste que :


A second round of reforms took place towards the end of the 1990s, with conditionalities tied to
the SAC III loan. A fiscal reform that also addressed the allocation system has been prepared
and partially implemented. After long, tense discussions the Government finally accepted an
independent observer (a Cameroonian citizen) of the allocation process. Allocation rounds in
2000 and 2001 were well organized, with financial offers surprisingly high, reflecting genuine
competition to access the concessions. But a “learning process” took place in the aftermath;
companies in cahoots with corrupt civil servants took advantage of the loopholes in the
allocation process (eliminatory threshold linked to “technical criteria”, etc.) to eliminate genuine
competition in most of the subsequent allocation rounds. In 2005, the allocation was clearly
biased, with, in most cases, one competitor remaining listed for a concession and with unusually
(suspiciously) low financial offers (CIRAD 2006)847.

Dans cette dynamique d’explication, il découle qu’en tant qu’héritage direct de la colonisation et parce que
continuées par un État tout entier construit par les colons européens avec des élites choisies parmi les
indigènes intellectuellement coupées de leurs communautés d’origine, les institutions régissant l’économie
forestière au Cameroun ont de surcroit été élaborées dans une perspective abstraite des exigences collectives
endogènes et des nécessités existentielles inhérentes aux communautés locales; aussi semblent-elles épuiser
toute leur pertinence dans le formalisme de leur énoncé, confrontées à une disjonction originaire de type
culturel ou paradigmatique qui hypothèque leur validité stratégique en même temps qu’elle rend leur
opérationnalisation difficile. Pour Bertrand Badie (1992) qui a consacré l’entièreté de son fameux livre au
traitement des implications dysfonctionnelles produites sur les États africains par la dépendance systémique
de la modernité politique africaine à l’égard des dynamiques internationales et géopolitiques dominantes :
Tout indique que les mimétismes n’ont pas cessé avec la décolonisation, et de surcroit, qu’ils se
sont même amplifiés, en premier lieu dans le domaine constitutionnel : de manière plus étrange
encore, les efforts d’importation l’emportent souvent sur les tentatives d’exportation, les élites
des sociétés du Sud prenant l’initiative d’emprunter, même lorsque par ailleurs elles
condamnent la démarche avec fracas [En effet, complètement aliénées et désubstantialisées
par le caractère définitif et radical du totalitarisme colonial … l’incarcération coloniale, les élites
dirigeantes semblent radicalement incarcérées et captives, ne disposant d’aucun système de
référence propre sur lequel envisager autrement l’historicité des collectivités politiques
africaines, leur existence, et construire leur propre voie].

846 Op. cit.


847 Op. cit.

404
Tout se passe comme si la logique de mondialisation conduisait à l’erreur par l’erreur, en privant
les communautés périphériques de la capacité de se corriger. Ce cercle vicieux tient à un
rapport de forces, cependant qu’on peut formuler l’hypothèse qu’il est aussi alimenté par des
considérations stratégiques et notamment par les avantages qu’en retirent individuellement les
élites qui y participent […] Le Prince du Sud devient un fantoche irresponsable […] Ce que
l’État-patron retire de cette relation tient essentiellement à la reproduction d’un système
international conforme, dans sa structure comme dans sa distribution, à ses propres valeurs et à
ses propres intérêts848.

Thomas Callaghy (1987) renchérit en formulant l’expression du “Léviathan boiteux” pour signifier l’agence des
élites dirigeantes de l’État moderne africain au fonctionnement de la “dépendance clientéliste” que développe
Bertrand Badie et par conséquent à la cristallisation d’un système international asymétrique dont l’une des
incidences finales sera la marginalisation des communautés villageoises dans le domaine de l’économie
forestière et en matière d’exploitation industrielle des forêts tropicales. Pour Thomas Callaghy (1987) :
La construction néo-patrimoniale du pouvoir est en même temps un trait majeur des sociétés en
développement et un élément décisif de la connexion entre princes du Sud et princes du Nord.
Elle décrit un phénomène facilement observable dans les États africains : la stratégie du prince
consiste à s’approprier l’espace politique, et à partir de celui-ci, les principales ressources que
comptent les espaces sociaux privés. Personnelle d’abord, cette pratique devient rapidement
collective, pour bénéficier également aux entourages et à l’ensemble de cette bourgeoisie d’État
dont la survie dépend, à titre principal, de sa capacité à s’insérer dans cette logique de
patrimonialisation.
Le néo-patrimonialisme tient en effet d’abord à la modification des ressources internes dont peut
disposer le système politique, par rapport à la part décisive occupée par les ressources
externes. L’État occidental s’est en partie constitué dans l’accomplissement d’une fonction
d’extraction fiscale, tandis que la société civile a pu exercer, face à lui, un contre-pouvoir effectif
grâce au mécanisme représentatif mis en place pour voter l’impôt. La part modeste, souvent
insignifiante, que représente la fiscalité dans le financement des dépenses d’État au Sud, tant à
démunir la société civile de moyens de pression et de contrôle de celui-ci.
L’État devient ainsi, dans la gestion des rapports avec l’extérieur, le principal pourvoyeur de
ressources : celles-ci, acquises par le jeu de la négociation internationale, renforce la
dépendance des élites des États périphériques par rapport à celles des États du Nord, tout en
les dotant d’un sur-pouvoir par rapport aux espaces sociaux qu’elles sont censées administrer.
En même temps, la logique néo-patrimoniale se trouve encouragée par la situation de
segmentarité caractérisée par la société qui lui fait face.
L’individualisation des rapports sociaux a une histoire qui se confond assez largement avec la
trajectoire occidentale de développement pour donner à l’État, à la société civile et à la relation
de citoyenneté leur pleine signification. Dans cette histoire, l’articulation entre l’État et la société
n’est pas neutre, la multiplicité des solidarités horizontales et des lignes de clivage qui
structurent celles-ci contraignent le jeu politique, définissent les conditions dans lesquelles se
construisent les enjeux, s’élaborent les modes d’alternance au pouvoir, s’organisent les débats.
Dès lors, l’acteur politique n’est pas maitre de son environnement. La persistance des solidarités
communautaires, la priorité des identifications primordiales sur l’identification citoyenne créent,
dans les sociétés périphériques, les conditions d’un double repli, sur les espaces extra-
politiques d’une part, sur les espaces micro-communautaires d’autre part. Face à ces désertions

848 Bertrand Badie, op. cit.

405
de l’individu sans qualification politique [et qui se traduisent en l’occurrence par ce que nous
appelons ici l’incompétence citoyenne des communautés villageoises], le professionnel du
pouvoir dispose, en même temps, d’une forte potentialité d’appropriation des biens sociaux et
des moyens de déplacer à son profit et avec autant d’aisance la frontière qui sépare l’espace
public de l’espace privé.
La gestion de cette frontière est elle-même facilitée par la convergence de plusieurs facteurs.
D’abord le pouvoir est lui-même construit sur un mode communautaire, soit que le tribalisme
atteigne la classe politique, soit que le jeu monocratique en active la clanisation, les titulaires du
pouvoir disposent tous des réseaux leur permettant de traverser sans encombres la ligne qui
sépare le privé du public849.

Quoique juste, cette explication ne présente pourtant pas une analyse parfaitement cohérente du cas
camerounais dans la mesure où elle n’est pas complètement ancrée dans les spécificités du contexte africain
dont il convient de relever que la configuration originaire de l’État est fondamentalement coloniale et se
déploie sur la logique de domination ou d’affaiblissement définitif des communautés indigènes, d’incarcération
permanente et de contrôle total des États périphériques par les États fort (Ismaël Aboubacar Yenikoye, 2007;
Thomas Callaghy, 1987; Jean Ziegler, 1978). C’est ainsi que non seulement le projet colonial va fermement
confiner les États africains au statut économique exclusif de producteurs de matières premières agricoles et
minières (Michel Norro, 1994), mais l’émergence des élites économiques et politiques se fait sur la logique de
la cooptation arbitraire, la préoccupation ultime étant de protéger les intérêts rentiers coloniaux et privés
(Bertrand Badie, 1992). Dès lors, l’État comme l’instrument opérationnel de la collectivité politique va se
construire autour d’une classe d’élites entièrement aliénées et captives, sans plus aucun lien intellectuel avec
les communautés indigènes, ni aucun rapport structural ou organique véritablement institutionnel, politique ou
citoyen avec les populations. Cette approche s’appuie sur l’analyse historique élaborée par Achille Mbembe
(2010; 1996)850 et à partir de laquelle Antoine Lassagne (2005) identifie avec précision l’impact permanent et
l’empreinte opératoire de la colonisation européenne ainsi que la poursuite de logique coloniale dans le
système d’exploitation de la forêt au Cameroun :
La gestion de la souveraineté échut en 1960 à une coalition hétéroclite d’intérêts autochtones
qui n’avait cessé de se prononcer contre l’accession à l’indépendance. S’il n’y eut pas de
rupture dans l’héritage des formes de gouvernementalité nées du colonat, la décolonisation vit
néanmoins apparaître de nouveaux réseaux de pouvoir à la fois plus diffus et plus complexes.
Les structures créées par l’administration coloniale furent transférées intégralement aux
nouveaux administrateurs nationaux qui prirent la relève. Le quadrillage matérialisé par la
structure administrative s’intensifia avec la multiplication des circonscriptions […]
Le processus de gouvernementalisation va dès lors se poursuivre à l’intérieur d’un État
indépendant, avec des frontières définies et une autorité centrale propre. Cela ne provoque
cependant pas la rupture des liens avec l’ancien pouvoir colonial, mais plutôt une redéfinition de
ces liens à la lumière d’un contexte nouveau. On voit donc apparaître des réseaux de relations
beaucoup plus fins et complexes que ceux maintenus par la relation coloniale verticale. Une
849Op. cit.
850Achille Mbembe, 2010, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, éd. La Découverte, Paris; 1996, La Naissance du maquis dans
le Sud-Cameroun, 1920-1960. Histoire des usages de la raison en colonie, éd. Karthala, Paris.

406
partie des principaux détenteurs du pouvoir économique pendant la colonisation reste en place
et cherche à conserver ses intérêts. Pour ce faire, ces acteurs entretiennent des liens étroits
avec le nouveau pouvoir national qui a pris le relais de l’ancienne administration française et
développent un système complexe de relations de clientélisme (M’Bokolo, 1992) qui se tisse au
moment même où le déploiement du capitalisme à l’échelle de la planète redéfinit les rapports
entre “centres et périphéries”. L’ensemble très sophistiqué de réseaux mis progressivement en
place par la France au moment de la décolonisation porte un nom : la Françafrique. Son objectif
était très clair : maintenir les anciennes colonies sous la domination de l’État français. Le
Général de Gaulle, alors à la tête de l’État, décida de déléguer cette charge à Jacques Foccart,
homme de l’ombre par excellence, qui donnera naissance à ce que l’on appelle encore
aujourd’hui le “foccartisme” pour désigner le fonctionnement en réseaux, chargés de garder une
influence sur les pays africains issus de la décolonisation. On trouve, dans ces réseaux, nombre
d’acteurs : hommes politiques français ou africains, entreprises de grande influence inquiétante,
mercenaires à la solde de l’État français. Parmi les différentes stratégies mises en œuvre, on
trouve le détournement de l’aide publique au développement, mécanique parfaitement huilée de
corruption et de détournement de fonds (voir Verschave, 2003; Verschave et Hauser, 2004).
Le secteur de l’exploitation des forêts a été un enjeu économique et politique majeur dans la
passation des pouvoirs aux élites nationales. La plupart des compagnies forestières françaises
en place après la décolonisation se sont vu attribuer des concessions forestières par la nouvelle
administration nationale. L’attribution des titres d’exploitation a joué un rôle clé dans la mise en
place de ces nouveaux réseaux de pouvoir. Les titres d’exploitation furent d’abord distribués par
le pouvoir central aux différentes personnalités importantes de l’État (hommes politiques,
administratifs, militaires), qui en confièrent l’exploitation aux ex-administrateurs français restés
au pays. Les exploitants forestiers français sont ainsi devenus un relais incontournable de la
politique franco-africaine qui s’est mise en place dans les années 1960 et ils restent aujourd’hui
les principaux acteurs du secteur forestier au Cameroun (voir Adda et Smouts, 1989;
Verschave, 2003; Verschave et Hauser, 2004).
À partir des années 1970, de nouveaux acteurs firent leur apparition dans ce réseau complexe
de relations de pouvoir. Les exploitants forestiers français durent d’abord partager leur
monopole avec des exploitants italiens, belges, néerlandais, allemands et britanniques.
Aujourd’hui, les Européens dominent presque totalement l’industrie du bois au Cameroun. Dans
les cas où les concessions sont détenues par des ressortissants camerounais, ce sont encore
des sociétés européennes qui en sous-traitent l’extraction du bois. Ce sont elles aussi qui, dans
la majorité des cas, achètent le bois pour la transformation ou pour l’exportation. Ces sociétés
d’exploitation forestière, dont le siège social se trouve dans l’Union européenne, constituent des
acteurs importants de la filière forestière non seulement parce qu’elles contrôlent la plupart des
concessions forestières et des scieries, mais aussi parce qu’elles jouent un rôle actif dans les
forums internationaux traitant de la gestion forestière dans la région (Forest Monitor, 2001)851.

À l’opposé, lorsque nous lui adressons la question relative à l’explication qu’il aurait des difficultés et
problèmes que rencontrent les communautés locales dans la mise en œuvre du Régime des forêts de 1994,
VNDG donne la réponse suivante :
Comme j’ai dit plus haut, les populations et certaines parties prenantes pensent que le bois et la
faune sont les seules ressources gratuites auxquelles l’accès doit être libre. Non seulement
c’est faux, mais c’est une source de vol, d’exploitation illégale et quand ceux-ci sont interpellés,
ils sont en contentieux! Il n’y a pas de pays ou système sans réglementation qui marche, même

851 Op. cit.

407
chez les communistes il faut la loi! Les lois et textes sont bons, même parmi les meilleurs en
Afrique, mais ils ne sont pas appliqués ni respectés (sic)852.

Comme trempé d’une nature différente ou juché sur une position supérieure et condescendante, l’élite semble
aveugle et sourd aux “éventuels” dysfonctionnements et difficultés que les conditions structurelles de mise en
place du système de gestion de l’économie forestière poseraient “réellement” aux communautés villageoises :
ainsi son propos orgueilleux atteste non seulement de la fragmentation intellectuelle/structurelle radicale qui
existe entre d’une part les populations scolarisées ainsi que l’élite administrative, économique et dirigeante qui
assurent le fonctionnement du système à différents niveaux; et d’autre part les populations non ou peu
instruites à l’éducation conventionnelle, les paysans, les villageois, les groupes socialement dépourvus de tout
lien avec une élite quelconque, qui ont un accès difficile et aléatoire aux services et ressources publics, qui
ignorent tout ou presque du fonctionnement du système étatique auquel ils sont soumis et dont ils subissent le
pouvoir et les orientations de gouvernement (Bertrand Badie, 1992). Le propos indifférent du fonctionnaire
atteste la disjonction paradigmatique qui continue de caractériser les conditions improbables d’articulation de
l’existentialité indigène à la modernité capitaliste, mais également d’indiquer les fragilités originaires de
l’institution étatique dans ce contexte spécifique, en montrant également les incohérences structurelles de
l’État comme institution centrale moderne d’organisation de la collectivité politique.

C’est cette rupture structurelle essentielle située au cœur de la collectivité politique qui donne lieu à la prise en
otage des ressources collectives ainsi qu’au gouvernement exclusif et sans responsabilité des affaires
publiques par les élites administratives et politiques, dans une démarche que plusieurs chercheurs vont
appeler la gestion néo-patrimoniale de l’État (Cyprien Awono, 2011; Patrice Bigombe Logo, 2007; Friede-
Magloire Ngo Youmba-Batana, 2007; Samuel Nguiffo, 2001; Jean-François Médard, 1991; etc.). Pour Samuel
Nguiffo (2001), coordonnateur du Centre pour l’environnement et le développement (CED), qui fait partie des
experts sinon les plus crédibles du moins les plus expérimentés sur les problématiques environnementales et
forestières au Cameroun –que nous avons eu l’opportunité d’interviewer lors de nos enquêtes :
Le schéma théorique de l’État néo-patrimonial présente un dosage des éléments suivants :
1- La personnalisation du pouvoir, qui “irrigue l’ensemble de l’appareil de l’État de haut en bas.
Chaque titulaire d’une parcelle d’autorité se l’approprie et la gère comme un bien propre. À
tous les niveaux, c’est la logique du patronage et du clientélisme qui prédomine”. Elle
s’accompagne d’une atrophie institutionnelle de l’État qui, dans l’exemple qui nous
concerne, pourrait expliquer la faiblesse des moyens de contrôle (matériels et humains) de
l’Administration forestière.
2- Le règne de l’arbitraire, par où l’Administration est inapte à limiter l’expression. Le
comportement des dépositaires de l’autorité de l’État n’étant canalisé par aucune norme,
ces derniers peuvent laisser libre cours à leurs caprices, notamment en rackettant les

852 Notre entretien avec ce haut fonctionnaire du Ministère des forêts et de la faune, Yaoundé, juin 2015.

408
éventuels rebelles au respect des règles du “système”. Il est important de mentionner que
le droit, censé prévenir les activités illégales, organise assez souvent la corruption. Ainsi
par exemple, il est curieux de constater que l’Administration des forêts jouit du pouvoir
d’opérer avec les contrevenants à la législation forestière une transaction qui éteint l’action
contentieuse. Cette disposition de la loi constitue une incitation à la corruption. Le juge
devrait avoir une compétence obligatoire en cette matière.
3- La confusion du public et du privé, est la clé de voûte du système néo-patrimonial. Dans ce
système, “toute l’autorité gouvernementale et les droits économiques correspondant
tendent à être traités comme des avantages économiques privativement appropriés”. C’est
ce qui explique la forte représentation des élites, locales ou nationales, dans l’industrie
forestière, perçue comme un moyen à la fois de jouir des retombées de statut politico-
administratif, et de collecter les ressources financières indispensables à son maintien ou à
son amélioration. C’est ainsi que les fonctions administratives “sont distribuées aux proches
et aux clients comme des prébendes, afin de leur permettre d’assurer leur propre existence,
tout en extrayant le surplus pour le roi”. Un adage camerounais exprime bien cette situation,
en énonçant : “la chèvre broute où elle est attachée”. La gestion du secteur forestier au
Cameroun confirme bien cette dérive patrimoniale de l’État. La forêt est mise à contribution
dans l’entreprise d’accumulation privée de nombreux détenteurs d’une parcelle de pouvoir.
Et la répartition du “gâteau forestier” respecte l’échelle des pouvoirs. La pression sur la forêt
s’est accentuée avec le tarissement des autres sources d’accumulation au début de
l’ajustement structurel.
Il existe deux canaux principaux d’accès aux bénéfices patrimoniaux de la forêt : un premier
canal direct, par la conversion d’une position de pouvoir en titre d’exploitation (légal ou de fait)
ou en monnayant des services rentrant dans le cadre de ses attributions normales (octroi de
titres, mais aussi contrôle de l’exploitation); et un autre canal indirect, en usant de pressions sur
les décideurs politiques et administratifs pour obtenir d’eux des décisions favorables qu’ils
n’auraient autrement pas prises. C’est la mise en œuvre de ces stratégies croisées
d’enrichissement qui a permis la naissance d’un système de corruption autour de la forêt au
Cameroun. La gestion des agréments, des attributions de titres d’exploitation forestière, du
contrôle des activités forestières, et de la gestion des redevances forestières est fortement
influencée par ce système. C’est ainsi qu’à la lecture de la liste des personnes agréées à la
profession forestière au Cameroun, il est aisé de relever des noms d’individus ne remplissant
pas les conditions légales de “connaissances techniques avérées” en cette matière. De même,
l’attribution des titres d’exploitation forestière donne généralement lieu à des irrégularités qui, en
raison de leur gravité et de leur fréquence, ne peuvent être expliquées autrement que par
l’existence de pressions irrésistibles ou de d’incitations financières confortables. Un rapport de
la Banque mondiale dresse un état de la pratique : “Enfin, le gouvernement a commencé la mise
aux enchères des droits de coupe, mais pour les ventes de coupe, et particulièrement lors de
l’allocation des concessions en octobre 1997, les critères d’allocation spécifiés n’ont pas été
entièrement respectés. Les concessions n’ont été octroyées au plus offrant que dans 10 cas sur
25. Dans certains cas, les attributions étaient sous-tendues par des motifs politiques”.
Une autre stratégie d’accès à la ressource forestière consiste en l’octroi de titres d’exploitation
de petites tailles (autorisations de récupération de bois, permis de coupe) qui servent de
prétexte à l’extraction de volumes illimités de bois. Un rapport conjoint MINEF/Banque mondiale
constate que “les exploitations illicites sont connues de façon notoire dans les centres urbains et
n’échappent pas aux agents de l’Administration qui y sont stationnés”. Il en est de même du
contrôle des activités d’exploitation qui n’échappe pas à cette règle. Une étude récente réalisée
dans la province forestière de l’Est indique que 21% des procès verbaux dressés par des
fonctionnaires de l’Administration des forêts pour activités illégales dans le secteur forestier
véreux étaient “arrêtés sur intervention d’une haute personnalité”. La loi est ainsi mise à
contribution dans la dérive néo-patrimoniale du secteur forestier. Deux exemples suffisent à

409
l’illustrer : primo, la possibilité de transiger reconnue par la loi aux agents de l’Administration des
forêts, qui constitue une porte ouverte aux pratiques de corruption. Il aurait été souhaitable
d’obliger l’administration à transmettre les dossiers au juge; et secundo, le statut de deniers
publics reconnus aux redevances forestières, qui ne les protège pas assez contre les
malversations de certains fonctionnaires locaux. Les populations bénéficiaires n’ont en effet pas
qualité pour intenter une action contre les détournements de fonds publics853.

Cette opérationnalisation de l’analyse néopatrimonialiste –que l’on retrouve chez Friede-Magloire Ngo
Youmba-Batana (2007) qui a construit toute sa thèse autour de “manger la forêt” comme cette représentation
allégorique opératoire de l’exploitation forestière structurée dans la mémoire collective camerounaise en tant
que rapport d’accumulation essentiellement alimentaire et glouton et qui s’enracine dans l’histoire d’un État
colonial et postcolonial prédateur854 –présente la synthèse parfaite du contexte systémique camerounais en
général, dans lequel se déploie l’économie forestière en particulier. En effet, dans une intéressante étude
préoccupée d’« examiner de façon approfondie les impacts négatifs de la personnalisation du pouvoir et du
clientélisme dans le contexte particulier du Cameroun », Cyprien Awono (2011) observe que :
Par l'intermédiaire du présidentialisme, la personnalisation du pouvoir et le clientélisme
entravent le respect des règles démocratiques au Cameroun comme dans plusieurs autres pays
d'Afrique subsaharienne. Partant des travaux de Jean-François Médard, nous pouvons avancer
que le néo-patrimonialisme est un sous-produit d'une conjoncture historique spécifique qui
aboutit à une combinaison particulière de normes bureaucratiques [issues de la colonisation] et
patrimoniales [issues de la tradition] contradictoires. Pour Mamadou Gazibo, quiconque observe
la vie politique en Afrique remarque l'importance des logiques non institutionnelles et
notamment l'accaparement de l'État et des ressources par les élites au pouvoir. Les chercheurs
ont développé le concept de néo-patrimonialiste pour rendre compte de cette situation. La
notion de néo-patrimonialisme a l'intérêt d'être moins normative que celle de corruption et plus
comparative que celle de “politique du ventre” [Jean-François Bayart, 2006]. En effet, l'État néo-
patrimonialiste ou rhizome se nourrit de l'intérieur. La “politique du ventre” perdure depuis le
contrôle politique de l'accumulation marchande exercé par les empires soudano-sahéliens
jusqu'au népotisme, à la gabegie et à la corruption actuels […]
De manière générale, la plupart des systèmes de gouvernement en Afrique fonctionnent sur un
double registre : celui des structures officielles ayant une légitimité extérieure, et celui des
structures réelles reflet de compromis sociopolitiques et celui des accumulations relationnelles.
Dans plusieurs pays, l'accès au pouvoir donne une emprise sur les richesses plus que l'inverse.
Les institutions sont largement subverties par un système néo-patrimonial s'appuyant sur des
complicités extérieures. Les réseaux personnels et de solidarité l'emportent sur
l'institutionnalisation de l'État. Pour la politologue Francine Bitee, la complexité de l'équation de
la mutation et de la transition vers la démocratie au Cameroun, tient du fait que le pouvoir
politique d'origine et de configuration dictatoriale et néo-patrimoniale, fortement présidentialisée,
veut porter et forger la démocratie sous la férule de l'autocrate Paul Biya. Ce pouvoir veut
imposer ses critères et son rythme à l'ensemble des protagonistes de la politique et de
l'assainissement social et institutionnel, protagonistes qui lui contestent dès les années 1990, la
légitimité de le faire sans eux […]

853 Samuel Nguiffo, 2001, “La chèvre broute où elle est attachée. Propos sur la gestion néopatrimoniale du secteur forestier au Cameroun”, in Forest
Monitor, Cambridge.
854 Friede-Magloire Ngo Youmba-Batana, op. cit.

410
J-F Médard, nous pouvons avancer que : Le néo-patrimonialisme est un sous-produit d'une
conjoncture historique spécifique qui aboutit à une combinaison particulière de normes
bureaucratiques [issues de la colonisation] et patrimoniales [issues de la tradition]
contradictoires […]
Nous pouvons donc conclure que pour asseoir son autorité, Biya (à l'instar d'Ahidjo) a remodelé
à son avantage les structures administratives héritées de l'époque coloniale et s'inspire des
notions et symboles traditionnels du pouvoir. Au regard de ces caractéristiques, Thomas M.
Callaghy qualifie un tel régime politique “d’État pré-moderne, néo-traditionnel et bureaucratico-
patrimonial”. L'indéniable stabilité politique à la tête du pays de Biya est d'une certaine manière
peut être expliquée par le caractère pyramidal du pouvoir au Cameroun où la pérennité de la
fonction présidentielle est identifiée et sacralisée en une seule personne qui est Biya. Comme le
dit si bien l'adage populaire camerounais, “tout, converge vers Biya de la manière qu'un fleuve
et ses affluents convergent irrésistiblement vers la mer”855.

L’analyse développée par Thierry Michalon (1984) quant aux causes structurelles de la fragilité de l’institution
étatique africaine moderne permet de comprendre les diverses incompétences techniques et logistiques mais
aussi les divers dysfonctionnements qui caractérisent les services administratifs chargés de la mise en œuvre
des réformes forestières. En effet, pour le politologue français :
Dès l’époque coloniale, les territoires d’Afrique furent dotés de services administratifs à la fois
excessivement concentrés à la capitale, et beaucoup plus lourds que ce que les économies
locales pouvaient raisonnablement supporter. En même temps, leur tâche était bien
particulière : assurer le maintien de l’ordre social pour faciliter la mainmise du pouvoir colonial et
de la métropole. Ces caractères de l’administration coloniale ne furent guère relevés à
l’indépendance : les nouveaux dirigeants considérèrent l’Administration comme un outil
réutilisable tel quel par les nouveaux États.
Cette mauvaise répartition dans l’espace –notamment avec une turgescente concentration dans
la capitale et une grave sous-administration des campagnes –et cette totale inadaptation à la
mission d’impulsion économique et sociale, ne sont nullement effacées par le temps. Bien au
contraire, la distribution des postes administratifs et des fonctions –depuis les agents
subalternes jusqu’au sommet de la hiérarchie des Ministères –est demeurée le principal moyen
pour les dirigeants de d’apaiser les mécontentements populaires et de se constituer une large
de “protégés” prêts à les soutenir.
Principal offreur d’emplois, généreuse source de détournements divers, cette Administration
publique, surtout au niveau central, s’est gonflée de manière disproportionnée avec les finances
de l’État, sans pour autant acquérir quelque dynamisme que ce soit. Dès lors, hantés par la
fragilité de leurs positions, les hauts fonctionnaires répugnent à déléguer les responsabilités et
les dirigeants administratifs leur autorité, qui restent ainsi concentrées entre les mains de
quelques personnes, voire d’un seul individu. Toute initiative s’en trouve stérilisée aux différents
niveaux de la Fonction publique, par conséquent incapable de jouer le rôle moteur qui lui est
officiellement attribué856.

Cette configuration surréaliste des services administratifs –dont l’autre caractère est la déconcentration
mécanique et la réplication redondante de toute la géographie gouvernementale dans l’ensemble des unités

855 Op. cit.


856 Lire également Simon Nken, 2014, op. cit.

411
territoriales du pays, sans l’assurance d’aucune pertinence locale ni d’aucune exigence d’efficacité dans les
localités de leur implantation existe aujourd’hui encore et seraient probablement là pour longtemps encore tant
les raisons qui la soutendent [ci-dessus évoquées par T. Michalon (1984)] restent profondément ancrées et
sont loin d’être abattues. Aux premiers déficits fondamentaux vont se greffer d’autres avaries fondamentales
liées aux biais congénitaux du contrat social originaire : la fragmentation sociale, l’irresponsabilité collective
des élites administratives et dirigeantes, l’inexistence politique de contre-pouvoirs et de mécanismes de
sanction et par conséquent le développement d’une véritable culture de la gabegie, de la déprédation des
ressources publiques et la généralisation de l’arbitraire et de la corruption. C’est de cette section moderne
traumatique de l’histoire africaine que traite Etounga-Manguelle dans son fameux “L’Afrique a-t-elle besoin
d’un programme d’ajustement culturel? (1991)”857. C’est ainsi que dans une de leurs séquences d’évaluation
de la gouvernance forestière, le CED & Global Witness (2012) relèvent que :
Dans l’ensemble, on constate actuellement d’importantes lacunes en matière de divulgation de
l’information : les gens ordinaires ont donc du mal à savoir quelles activités forestières sont en
cours et à signaler leurs suspicions d’exploitation illégale. Les opérations illégales peuvent se
dérouler avec un certain degré d’impunité, d’où une perte de revenus pour l’État ainsi que pour
les municipalités et communautés voisines. Par exemple, le volume de bois vendu aux enchères
est généralement tenu confidentiel, permettant ainsi le blanchiment des grumes provenant de
sources illégales sans faire l’objet d’un examen public minutieux. En outre, les titulaires de droits
forestiers locaux sont actuellement gênés par leur incapacité à contrôler correctement les
opérations susceptibles de causer du tort à leurs droits. Il est difficile voire impossible de
procéder à une vérification indépendante des activités car aucune donnée n’est publiée ou les
informations disponibles sont incomplètes ou n’ont pas été mises à jour. L’information qui décrit
avec précision les droits des opérateurs forestiers est généralement difficile à obtenir, y compris
celle concernant les volumes autorisés (quotas) par Permis et par société, et les cartes de
localisation des zones d’exploitation annuelles (surtout pour les petits Permis).
Globalement, les statistiques sur le secteur forestier sont de piètre qualité. L’information n’est
souvent pas publiée conformément aux canaux et méthodes figurant à l’Annexe VII. Le manque
de diffusion proactive peut être imputable à la prévalence de la culture du secret, ou simplement
à l’inefficacité du processus. De nombreux fonctionnaires continuent d’affirmer que la plupart de
l’information qu’ils produisent ou reçoivent est confidentielle, même si elle concerne des biens
publics. Parmi les principaux obstacles figurent l’absence de système centralisé de gestion de
l’information et l’inadéquation des outils et mécanismes devant permettre de diffuser
l’information auprès du plus grand nombre de citoyens.
Il ne fait aucun doute que les ONG auraient un rôle à jouer en matière de synthèse, d’analyse et
de diffusion de l’information, à condition que les autorités tiennent à leur disposition des
données complètes et récentes. Certaines améliorations ont eu lieu ces dernières années, et la
révision en cours du code forestier pourrait permettre de renforcer l’obligation pour les autorités
et d’autres parties prenantes de publier l’information conformément à l’Annexe VII de l’APV858.

857 Daniel Etounga-Manguelle, 1993 (1991), L’Afrique a-t-elle besoin d’un programme d’ajustement culturel?, éd. Nouvelles du Sud, Ivry-sur-
Seine/Paris.
858 CED & Global Witness, 2012, “Améliorer la Transparence dans le Secteur Forestier. Analyse 2012 des lacunes de l’APV Cameroun en matière de

transparence”, document préparé par le Centre pour l’environnement et le développement (CED) et Global Witness, octobre 2012, avec l’appui de
United Kingdom Aid.

412
[En guise d’illustration] À l’échelle de l’État en Afrique. Pendant que Gervais Ludovic Itsoua-Madzous (1997)
parle de “la prédation de la forêt du Congo-Brazzaville” et Hélène Blaszkiewicz (2014) de “la crise structurelle
de l'État béninois”859 dans son analyse du traitement institutionnel des préoccupations environnementales au
Bénin, au regard de l’articulation citoyenne problématique ou dysfonctionnelle des communautés villageoises
aux politiques publiques mises en œuvre dans ce secteur; Rozenn Nakanabo Diallo (2014) relève quant à elle
que les faiblesses de la conservation et des politiques environnementales au Mozambique s’expliquent par
l’absence de légitimité technique et de compétences d’action adéquates :
Dans un Rapport élaboré en 1986 par un consultant du WWF, l‘auteur constate qu‘il n‘y a aucun
écologiste ou biologiste mozambicain au sein du Département de la faune sauvage du Ministère
de l‘agriculture. Cette question du manque de personnel qualifié au niveau basique et au plus
haut niveau est récurrente dans l‘ensemble des rapports de bailleurs étudiés, et transparaît
également dans les Politiques et Programmes nationaux depuis l‘indépendance. C‘est ainsi un
indice clair de l‘absence de capacités de l‘administration mozambicaine dans le domaine
forestier, et une explication de sa dépendance totale aux injonctions externes qui lui sont
adressées. Ces dernières apparaissent comme une ressource considérable pour le pouvoir en
place860.

De même, dans le cas du Sénégal, Ahmadou Makhtar Kanté (2009) note que :
Il est nécessaire de rappeler qu’avant 1996, la gestion des ressources forestières relevait du
pouvoir de l’État central. En 1992, le Sommet de Rio a eu comme conséquences au Sénégal
une première modification du Code forestier en 1993 et puis une seconde modification en 1998
après l’adoption des textes de loi portant transfert du pouvoir de gestion des ressources
forestières aux collectivités locales en 1996 […] du fait du déséquilibre dans les rapports de
pouvoir entre l’État et les institutions locales élues et des jeux d’influence des exploitants
charbonniers, les choix économiques et commerciaux de l’État et de ses clients finiront par
s’imposer au plan local […] Malgré la décentralisation qui a consacré sur le papier le transfert de
compétences en matière forestière, les acteurs non élus que sont les représentants de l’État à
travers ses administrations territoriale et forestière, et les exploitants privés ont encore les
positions les plus déterminantes dans les prises de décision sur l’exploitation forestière […] En
d’autres termes, les agents de l’État servent de courroie de transmission aux pressions de
groupes d’intérêts économiques privés sur une institution locale élue qui n’a pas de compte à
leur rendre861.

Comme on le voit, l’État moderne africain se trouve profondément esquintée par diverses sortes
d’incompétences congénitales (intellectuelles, techniques, logistiques) constitutives de la trame structurelle
d’une corruption qui infeste et infecte l’ensemble du tissu social de la collectivité. C’est ainsi que l’État
moderne d’inspiration non-endogène déploie son existence dans une approche essentiellement capitaliste
avec la complicité des intérêts économiques et des acteurs industriels, en l’occurrence dans une démarche
d’attribution des concessions d’exploitation forestières ou agro-industrielles qui se fait sans les communautés

859 Hélène Blaszkiewicz, op. cit.,


860 Op. cit.
861 Kanté, A. M., 2009, “Décentralisation, gouvernance forestière et démocratie au Sénégal : y a-t-il un avant et un après 1996?”, in Vertigo, Hors-série

6.

413
indigènes et au détriment des représentations et des intérêts villageois. L’État semble également incapable de
mettre en place un cadre institutionnel conséquent, c’est-à-dire qui mobilise les moyens humains
civiques/adéquats et les ressources matérielles et logistiques permettant d’assurer la satisfaction effective des
exigences socio-économiques accolées à l’exploitation durable de concessions forestières attribuées
(compensations financières et investissements matériels divers) et écologiques (qui soit fonction des
ressources en présence, qui contrôle les seuils et quantités critiques, qui garantisse l’existence des espèces
focales animales ou végétales) telles que ces exigences devraient se posent sur le terrain, relativement à la
forêt et vis-à-vis des communautés riveraines. À côté de l’exacte similitude avec cette appréciation qu’elle
formule de son analyse des réformes environnementales forestières envisagées par les Nations Unies au
Cambodge, « Belles idées importées dont la réalisation dépend d’abord de l’évolution de la situation interne et
du jeu des potentats locaux », dit-elle, Marie-Claude Smouts (2001) énonce sentencieusement la pondération
des faiblesses institutionnelles et politiques des États africains sur les Principes internationaux de gestion
forestière durable :
Les gouvernements africains n’ont pas la capacité institutionnelle d’exercer les contraintes
qu’implique la mise œuvre optimale de la GFD […] Faute de moyens leur permettant d’assumer
eux-mêmes les travaux d’aménagement forestiers, les pays tropicaux sont enclins à faire
aménager les forêts de production par les gestionnaires […] Là où, comme au Cameroun, la
grande majorité du territoire forestier est donnée en concession et couverte par des Permis
accordés à des grandes sociétés pour l’exploitation des bois d’œuvre, c’est à ces entreprises
que sera déléguée, en tout cas en partie, la confection du Plan d’aménagement862.

La chercheure éclaire ainsi, en guise d’illustration, le flou qui entoure ce que l’on appelle le “Cahier des
charges” dans la gouvernance forestière au Cameroun. Il s’agit d’un document que les communautés
villageoises et les organisations de la société civile ont souvent évoqué dans nos entretiens mais dont aucun
de nos interlocuteurs –y compris dans le gouvernement –n’a pu nous parler avec précision. Le “Cahier des
charges” serait l’une des modalités de mise en œuvre de l’obligation d’aménagement durable. Dans une
indication qui participe de l’explication de l’opacité entourant cet élément fondamental de suivi de la
gouvernance forestière qu’est le “Cahier des charges”, Marie-Claude Smouts (2001) observe que :
La constitution d’un Plan d’aménagement demande environ trois ans. L’entreprise doit ensuite
déposer le Plan et discuter des modalités de sa mise en œuvre avec le gouvernement dans le
cadre de contrats d’aménagement-exploitation [Il s’agit d’] une contrainte lourde pour ceux des
exploitants qui décident de jouer le jeu. Non seulement la confection d’un Plan d’aménagement
est en soi une réalisation onéreuse, mais la prise en compte de la pluralité des objectifs inscrits
dans la gestion forestière durable peur amener une réduction de la récolte possible et un
manque à gagner, le niveau de l’exploitation de la ressource se situant à un niveau
significativement inférieur à celui d’une exploitation à objectif unique dans le cadre d’un

862 Op. cit.

414
rendement soutenu. Le manque à gagner pour l’exploitant peut s’avérer d’autant plus
considérable que les objectifs et les acteurs sont nombreux863.

863 Op. cit.

415
21.2. Marginalité géopolitique internationale, dépendance systémique exogène, contradictions
institutionnelles internes
Dès lors, dans un contexte camerounais structuré autant par une relation historico-géopolitique d’influence
permanente avec la France [ce que Bertrand Badie (1992) appelle la dépendance clientéliste et dont Jean-
François Médard, commentant L’État au Cameroun de Jean-François Bayart, parle en termes « d’État
clientéliste et d’État patrimonialisé »864] que par une corruption généralisée nourrie par toutes sortes collusions
arbitraires ainsi que par une appropriation néopatrimoniale et rentière des ressources collectives par les élites
administratives et dirigeantes, les engagements d’aménagement forestier durable vont rester lettre-morte.
Antoine Lassagne (2005) relève ainsi que :
Dans le Sud-Est du Cameroun, la présence simultanée dans les mêmes espaces forestiers
d’exploitants européens et de projets de gestion forestière durable initiés par des organismes de
coopération eux aussi européens, de même que les liens qu’ils entretiennent avec les mêmes
populations, tout cela ne peut manquer de poser deux ordres de questions : celui des relations
postcoloniales entre l’ancienne colonie et l’ancien colonisateur, d’une part, et, d’autre part, celui
des relations entre ces deux dynamiques a priori contradictoires que sont l’exploitation et la
gestion-conservation des massifs forestiers865.

C’est ainsi qu’aucun de nos interlocuteurs des communautés villageoises n’a jamais ni participé –avec tous les
autres acteurs impliqués que sont l’État, les exploitants industriels, les OSC/ONG –à l’élaboration d’un
quelconque Cahier des charges, ni été en contact avec un “Cahier des charges”, comme l’exige le principe de
ce document essentiel. Il en découle comme conséquence le déploiement endémique d’une exploitation
abondante des forêts qui, au-delà de son caractère écosystémiquement douteux [qui ne tient pas compte des
enjeux écologiques divers, des enjeux existentiels des communautés], ne laisse aucune empreinte durable
dans les communautés villageoises, que ce soit en termes d’infrastructures, qu’en termes d’acquis
économiques durables et politico-citoyens substantiels. À la suite de Jake Brunner & François Ekoko (2000),
Marie-Claude Smouts (2001) développe également une explication intéressante à partir de la posture
paradoxalement non-convaincue et peu volontariste de l’État auquel les “propositions” exogènes de réforme
des politiques forestières sont destinées. Pour la politologue française :
[…] Les conditionnalités peuvent avoir des effets positifs si l’État emprunteur a vraiment la
volonté d’entreprendre une réforme de sa politique forestière et s’il est peu à peu convaincu de
la pertinence des mesures proposées. Mais, dans ce cas-là, y a-t-il besoin de conditionnalités?
Si les objectifs sont totalement imposés par l’extérieur, les dirigeants font semblant d’y adhérer,
acquiescent à tout et… n’appliquent pas, avec l’appui de leurs clients politiques, de leurs
administrations, de leurs cadres locaux, et même de la population sur laquelle pèse, en général,
l’essentiel des contraintes de l’aménagement structure.

864 Jean-Francois Médard, 1990, “L’État patrimonialisé”, in revue Politique africaine, n° 39, d’octobre 1990. Au besoin, lire Jean-Francois Bayart, 1979,
L’État au Cameroun, éd, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris.
865 Op. cit.

416
Ni au Cameroun, ni en Indonésie, ni aux Îles Salomon, ni en Papouasie-Nouvelle-Guinée, les
pressions exercées par la Banque mondiale au travers des Prêts d’Ajustement structurel n’ont
réussi à transformer en profondeur les mécanismes d’attribution des Permis et les conditions
d’exploitation de la ressource866.

C’est cette sorte de paradoxe édifiant –qui nourrit l’hypothèse de la non endogénéité –que Brunner & Ekoko
(2000) vont étayer avec un faisceau d’éléments probants. En effet, pour les deux chercheurs :
L'application de la Loi sur la Forêt de 1994 a posé des problèmes. À première vue, les lois sur la
forêt et les lois de finance ont réussi à augmenter les revenus par les taxes. En tenant compte
de la dévaluation de 1994, ils ont augmenté de 10 milliards de francs CFA en 1990 à 14
milliards en 1994, puis à 24 milliards en 1997 (Carret, 1998). Sur la même période, la production
de bois est passée d'environ 2 à 3 millions de m3. Le gouvernement a donc fait passer sa part
de la valeur du bois de 6 000 CFA/m3 à 10 000 CFA/m3. Cette augmentation est en partie due
à des redevances à la superficie plus élevées et à l'utilisation des prix du marché pour
déterminer le taux de taxation à l'exportation. Mais l'explication principale est la décision prise
en 1995 par le Ministère de l'Économie et des Finances (MINEFI) d'inviter la société suisse SGS
à contrôler les exportations de bois, qui constituaient 80% des taxes forestières. Cette décision
était motivée par le très faible taux de recouvrement de taxes enregistré au MINEF.
L'application d'autres aspects de la nouvelle Loi s'est également révélée problématique,
notamment pour les adjudications de concessions. L’attribution des concessions par
adjudication publique était indispensable pour maintenir l'engagement du gouvernement dans
les réformes (O’Halloran & Ferrer, 1997). La Banque Mondiale s'est donc inquiétée quand, en
mai 1996, le gouvernement a attribué deux concessions sans adjudication à deux sociétés
d'exploitation forestière françaises. La Banque Mondiale a envoyé une lettre au Président de la
République, demandant la révocation des deux concessions. Il n'y a pas eu de réponse et les
concessions n'ont pas été annulées. Une troisième concession a même été attribuée sous la
table, cette fois-ci dans une zone de conservation. Mais quand la Banque Mondiale a protesté,
la concession a été annulée, une décision qui s'explique par la venue à cette période d'un
colloque de donateurs pour discuter de projets identifiés dans le Plan national de gestion de
l’environnement (PNGE)867.

Brunner & Ekoko présentent ici une donnée qui indique les contradictions diverses qu’ils ont préalablement et
amplement relevées dans l’émergence de la Réforme forestière et la mise en place de la Loi de 1994.
Autrement dit, comment peut-on ne pas vouloir d’une Réforme –comme ils le montrent notamment en parlant
du « manque d’implication de l’emprunteur camerounais » –et se rendre par la suite spontanément et
totalement disposé à l’appliquer? En guise de réponse, Bertrand Badie (1992) pense que :
L’incapacité des élites dirigeantes à se doter d’une fonction de représentation sociale, c’est-à-
dire de se définir soit comme l’expression de certaines catégories d’intérêts sociaux, soit comme
porteurs d’un processus de modernisation socio-économique, aboutit à la confirmation des
formules néo-patrimoniales en même temps qu’à leur délégitimation croissante au sein des
espaces sociaux.
Cette délégitimation est d’autant plus accusée que les élites politiques sont condamnées à une
attitude de plus en plus ambiguë à l'égard du développement. D’une part, celui-ci constitue un

866 Op. cit.


867 Op. cit.

417
objectif valorisant qui correspond étroitement à un rôle assigné à tout chef d’État, qui doit
également s’imposer hiérarchiquement face aux autorités périphériques chargées de tradition.
D’autre part, une politique trop active de développement risque d’être porteuse de plusieurs
effets négatifs : valoriser la compétence des élites technocratiques par rapport à celle,
chancelante, des élites politiques; désenclaver les espaces sociaux et favoriser la constitution
d’une société civile capable de faire contrepoids au système politique, voire de neutraliser les
stratégies néo-patrimoniales. Celles-ci perdraient en effet l’essentiel de leur efficacité dans un
contexte de modernisation active, où les ressources de pouvoir seraient autrement réparties et
où les élites non politiques auraient un accès direct au centre.
La crainte de voir ainsi se constituer une élite rivale conduit les Princes à déployer tout un
ensemble de parades : contrôler activement la formation des jeunes diplômés et les absorber
directement eu sein des appareils administratifs; limiter l’accès des ONG aux espaces sociaux
dont elles cherchent à promouvoir le développement; orienter cette aide prioritairement vers le
financement des dépenses d’État, pour couvrir par la même occasion les frais impliqués par une
gestion néo-patrimoniale du pouvoir868.

En l’occurrence, cette dimension des contraintes structurelles historico-contextuelles chevauche la dimension


“économie-monde globale” des contraintes structurelles paradigmatiques, ainsi qu’il se dégage de cette
énonciation d’Alain Karsenty (2005) : « La gestion de la forêt constitue un enjeu écologique et économique
reconnu, mais aussi au plan de la gouvernance et de la construction de l’État de droit. Le secteur pétrolier et
celui des mines sont nettement plus importants sur le plan de la constitution du PIB, mais leur gestion
concerne une poignée d’acteurs (grandes multinationales, petit cercle gouvernemental et poignée d’hommes
d’affaires internationaux) et demeure d’une opacité impressionnante »869.

En effet, eu égard aux conditions d’émergence et d’élaboration du Régime des forêts de 1994, et du point de
vue des contraintes structurelles, il apparait clairement que c’est dans ce contexte que la question de la
souveraineté est pleinement engagée en tant que la souveraineté que l’on comprendrait comme le niveau de
liberté et d’indépendance dont dispose un État ou dans lesquels trouve un État pour se déterminer et se
déployer en fonction de ses propres représentations et intérêts sans interférence exogène.

C’est dans ce cadre historique ou paradigmatique qu’opèrent l’extraversion et l’orientation exogène de l’État,
la dépendance exogène des élites gouvernantes et la polarisation exogène des orientations/institutions de
gouvernement de l’État. C’est dans le même cadre que se déploient la domination coloniale continuée ainsi
que l’influence inchangée de la France et des pays forts, ce qu’Aboubacar Yenikoye et Thomas Callaghy
appellent respectivement “l’incarcération” de l’Afrique et “le piège” dans lesquels l’Afrique se trouve fermement
pris. Pour Brunner & Ekoko (2000) :

868 Op. cit.


869 Op. cit.

418
La France a joué un rôle ambivalent pendant le processus de réforme –une attitude qui reflète
son rapprochement avec le FMI sur les ajustements macroéconomiques au Cameroun, et son
désir de protéger ses intérêts économiques et géopolitiques. Le Cameroun est la deuxième
économie, et la France le deuxième partenaire commercial en Afrique francophone. La France
voyait le Cameroun comme un rempart contre l'influence anglophone du Nigeria, le géant voisin
du Cameroun. En plusieurs occasions, la France s'était portée caution du Gouvernement du
Cameroun confronté au besoin de mettre en place des réformes douloureuses qui pourraient
avoir provoqué une instabilité politique. Par exemple, lors des négociations avec le FMI en
1988, le gouvernement a convaincu la France d'apporter 400 millions de francs français de plus
pour réhabiliter plusieurs entreprises publiques qui devaient disparaître. En octobre 1993,
pourtant, le gouvernement français a prononcé la “Déclaration d'Abidjan” dans laquelle il refuse
tout soutien budgétaire aux pays n'ayant pas d'accord en place avec le FMI. Cette étape a été
décisive dans les relations entre la France et le FMI, et en janvier 1994 le CFA a été dévalué de
50% par rapport au franc français, ce qui avait été recommandé depuis longtemps par le FMI
[…]
Depuis la fin des années 1960, l'Assemblée nationale du Cameroun se contentait de mettre son
tampon sur la législation du Président. Mais avec le retour du multipartisme et la faible
performance du parti du Président aux élections législatives de 1992, l'Assemblée a commencé
à avoir un rôle plus indépendant. La peur de compromettre le soutien de la Banque mondiale a
conduit la Présidence à faire passer la loi sur la forêt en exerçant une pression sur les
parlementaires, afin qu'ils respectent la discipline des partis, et en laissant aussi peu de temps
que possible aux débats (Ekoko, 1997) […]
Outre la contestation sur les adjudications, les parlementaires ont également proposé d'interdire
l'exportation des grumes pour promouvoir la transformation locale; de faire passer la taille
maximale des concessions de 500 000 ha à 200 000 ha; et de réduire la durée maximale des
concessions à 15 ans (renouvelables pour 15 ans). Ces décisions allaient à l'encontre des
conseils du gouvernement français, qui soutenait que des concessions plus grandes et plus
longues étaient nécessaires pour la gestion durable des forêts (Carret, 1998), et de la Banque
mondiale pour qui l'interdiction de l'exportation des grumes encouragerait la mise en place
rapide d'industries de transformation inefficaces en diminuant le prix local du bois. La
proposition d'interdiction d'exportation des grumes menaçait les intérêts forestiers français et
semble avoir déclenché l'intervention du gouvernement français (Pearce, 1994). En novembre
1993, lorsque la nouvelle Loi sur la forêt était en discussion, le Ministre français de la
Coopération et du développement, qui se trouvait au Cameroun à ce moment, a rencontré le
Président de la République et le Président de l'Assemblée nationale pour discuter de
coopération économique. Il semble cependant que l'une des raisons de sa visite était de faire
pression contre l'interdiction de l'exportation des grumes qui aurait touché les plus grandes
sociétés françaises, sociétés représentant plus de la moitié des exportations de grumes du
Cameroun. Cette visite pourrait être interprétée comme un rappel du soutien politique et
financier que la France a apporté au régime dans des moments cruciaux, soutien que la France
entendait recevoir à son tour lorsque ses propres intérêts étaient menacés. Il est remarquable
de noter que le Ministre français a refusé de rencontrer le principal leader de l'opposition, ce que
le Président de la République a beaucoup apprécié (…)
Selon la Banque Mondiale, son bureau local a lancé une grande campagne de sensibilisation
pour expliquer les bénéfices économiques de la nouvelle Loi. En 1993, elle a embauché la
conseillère du Ministre de l'environnement et des forêts comme responsable du Programme
agriculture et ressources naturelles. Cette personne a apporté une excellente connaissance du
secteur forestier et un grand réseau de contacts au sein et à l'extérieur du gouvernement. Le
Représentant résident de la Banque mondiale au Cameroun est également apparu
régulièrement à la télévision et à la radio pour soutenir que la plus grande transparence donnée
par la nouvelle Loi était dans l'intérêt du pays […]

419
Les amendements apportés par l'Assemblée nationale au projet de loi étaient incompatibles
avec ce que la Banque mondiale considérait comme une politique forestière saine. Au même
moment, le gouvernement négociait un Crédit d’ajustement structurel (CAS) à la suite de la
dévaluation du Franc CFA. La Banque mondiale fit savoir au gouvernement qu'elle n'accepterait
pas la Loi révisée. En réponse, le gouvernement envoya une lettre à la Banque mondiale,
indiquant qu'il soumettrait les révisions de la Loi à la session parlementaire de novembre 1994.
Mais au cours d'une visite au Cameroun, des représentants de la Banque mondiale ont compris
que le Président de la République n'oserait pas provoquer l'Assemblée nationale avec la
nouvelle Loi. La Banque mondiale a réalisé que tous les efforts pour persuader le gouvernement
de demander à l'Assemblée nationale de révoquer les changements les plus importants seraient
inutiles. Elle a donc demandé au Ministère de l’environnement et des forêts de rédiger un Décret
d’application qui interpréterait la Loi en accord avec la proposition de loi acceptée à l'origine par
la Banque mondiale. Le Ministère a donc rédigé un décret qui a été soumis à la Banque
mondiale [?!?] en juillet 1994. Celle-ci a rejeté [?!?] cette version et plusieurs de ses membres
ont passé plus d'un an à réviser le texte ligne par ligne. Une version finale, acceptable pour la
Banque mondiale est sortie en août 1995. Les modifications des modes de vente et de la
fiscalité devaient être examinées dans les lois de finance à venir […]
En 1997, la Banque Mondiale a également réussi à introduire les prix du marché comme base
des taux des taxes à l'exportation, auxquels le gouvernement avait retiré tout sens par des
manipulations des prix de référence à la suite de décisions administratives obscures. Ces prix
sous-estimaient la valeur des grumes de 30-40% et du bois manufacturé de 90%, et
représentaient une perte significative des revenus du gouvernement870.

L’intervention directe du gouvernement français dans le processus de réforme de la politique forestière au


Cameroun –telle que rapportée ici par les deux auteurs –s’avère particulièrement intéressante du point de vue
théorique, eu égard à l’opérationnalisation concrète qu’elle fait de chaque type de contraintes structurelles
mais aussi dans leur conjonction. Dans son analyse de la dépendance clientéliste internationale qui définit les
rapports entre les États-patrons et les États-fantoches et permet en l’occurrence au gouvernement français de
participer à la définition des orientations stratégiques de la politique camerounaise, Bertrand Badie (1992)
appelle ce phénomène caractéristique “la captation de souveraineté diplomatique, des fonctions socio-
économiques et d’innovation institutionnelle”. Pour le chercheur :
La captation de la fonction diplomatique est tout à fait au centre de la logique de dépendance.
Très ancienne dans ses réalisations, précédant très clairement la pratique même de la
colonisation, elle en constitue l’un des éléments de départ les plus évidents, puisque d’une part
elle découle d’un déséquilibre de puissance et que d’autre part elle aboutit à une aggravation
progressive du démantèlement de la souveraineté de l’État dominé. Il n’y a, dans l’évolution des
capitulations notamment, aucune limite claire entre la reconnaissance des droits exorbitants
accordés aux acteurs et intérêts étrangers et la mise en place d’un contrôle consulaire sur les
principales fonctions politiques de l’État dominé. À ce titre, la captation de la fonction
diplomatique devient bien vite un instrument visant d’autres fins, préparant –ou raffermissant, en
l’espèce –l’entreprise de domination coloniale.
En effet, dans l’ère post-coloniale, la même ambiguïté demeure, même si la volonté
unanimement proclamée de dépasser et de fustiger les pratiques passées aboutit à des
distinctions déjà plus subtilement construites. La captation de la fonction diplomatique se fait

870 Op. cit.

420
selon des modes plus informels, ménageant à l’État dominé une souveraineté de façade. Elle se
distingue alors plus clairement de l’intervention dans les aménagements internes de l’ordre
socio-politique qui emprunte couramment d’autres voies.
Marque juridique par excellence de la souveraineté des États, la diplomatie de l’État faible est
captée par celle de l’État fort non plus par recours aux traités inégaux [ce qui n’est pas tout à fait
exact en ce qui concerne la France et les États africains qu’elle a créés, où persistent
aujourd’hui encore l’opérationnalité “d’Accords secrets”871 signés avant ou après les
indépendances avec les dirigeants politiques arbitrairement cooptés qui furent placés à la tête
des États (Boubacar Boris Diop et al, 2014; Grégoire Biyogo, 2011; Bernard Lugan, 2011, 2006;
Achille Mbembe, 2010, 2000, 1996, 1988; Joseph Ki-Zerbo, 2008, 2003, 1972; Stanislas Spero
Adotevi, 1972; etc.)] ou à la pratique des capitulations, mais par l’application banale de la
logique de clientèle : l’État dominant s’érige en État-patron en s’imposant comme prestataire
d’une ressource rare qui lui permet d’obtenir en contrepartie la participation ou le soutien de
l’État dominé et clientélisé à son entreprise diplomatique, notamment au sein des institutions
internationales ou dans le cadre de conflits militaires régionaux.
La captation de la dimension normative de la fonction diplomatique est une marque majeure, et
parmi les plus stables, de la relation de dépendance. Le conformisme diplomatique constitue
évidemment l’une des méthodes les plus sûres auxquelles peut recourir un État faible pour se
protéger et s’impose évidemment comme un choix plus rationnel que le recours à des discours
et à des pratiques contestataires. Ainsi les organisations interafricaines et chaque État pris
isolément au sein du continent noir ont-ils pour principal souci de proclamer la règle de
succession d’État, de se réclamer de l’héritage territorial issu de la colonisation, de proclamer
l’intangibilité des frontières et de revendiquer le droit à l’indépendance et à la souveraineté
nationale.
Le rôle de la captation des fonctions socio-économiques est crucial, notamment dans les
situations post-coloniales : surmontant ou contournant les indépendances formelles, elle conduit
les États dominants à inciter avec succès les États dominés à aménager leur environnement
socio-économique dans une orientation qui leur est favorable872.

Nous relevons plus loin les faiblesses fondamentales qui biaisent cette analyse de Bertrand Badie et la
complétons dans le texte. Au demeurant –et c’est la raison pour laquelle nous y référons –nous reconnaissons
sa perspicacité et sa pertinence opératoire du point de vue fonctionnaliste.

Cela dit, c’est effectivement dans cette dynamique qui réfère concomitamment aux contraintes structurelles
que l’on devrait appeler plus rigoureusement historico-paradigmatiques et interscalaires mais aussi
géopolitiques, l’analyse des conditions de motivation et d’émergence des Réformes forestières du début des

871 Au sujet de cet aspect particulièrement mystérieux qui est autant emblématique du statut historique et géopolitique des États africains que significatif
des contraintes structurelles auxquelles leur historicité est confrontée, lire :
- Boubacar Boris Diop, Issa Ndiaye et Fabrice Tarrit, 2014, “Accord de défense France-Mali : Un retour au temps béni des colonies”, in Pambazuka
News, édition du 02 mars 2014 (http://lider-ci.org/accord-de-defense-france-mali-un-retour-au-temps-beni-des-colonies/);
- Idriss Linge, “Sortir du CFA est le gage d’une meilleure relance des économies de nos pays”, interview avec Dieudonné Essomba, publiée dans le
Journal du Cameroun.com, édition du 8 octobre 2012 (http://www.journalducameroun.com/dieudonne-essomba-sortir-du-cfa-est-le-gage-dune-
meilleure-relance-des-economies-de-nos-pays/);
- Grégoire Biyogo, 2011, Déconstruire les Accords de coopération franco-africains. Vol.1 : Par-delà l’interventionnisme et l’unilatéralisme
économique, politique et militaire, éd. L’Harmattan, Libreville;
- http://cameroonvoice.com/news/article-news-16162.html ;
- http://rue89.nouvelobs.com/2007/07/26/les-accords-secrets-avec-l-afrique-encore-depoque-1831
- https://www.237online.com/article-27016-coop-eacute-ration-cameroun-france-plus-de-50-ans-d--039-accords-iniques-et-cyniques.html .
872 Op. cit.

421
années 1990 au Cameroun met en lumière l’absence de lanterne scientifique purement camerounais et d’un
capital d’expertise endogènes sur la base desquels la collectivité politique camerounaise analyse les enjeux et
facteurs de son existence, à partir desquels elle définit son mode d’organisation, de fonctionnement et de
déploiement Daniel Etounga-Manguelle (2016, 2013)873. Par exemple, autour de la visite effectuée en janvier
2016 par Christine Lagarde, la Directrice générale du Fonds monétaire international, et relativement aux
rapports que le Cameroun entretient avec le FMI, Dieudonné Essomba, analyste et directeur du Centre de
recherches économiques Tchundjang Pouemi de Yaoundé, s’interroge :
La visite de Lagarde vient à la suite d'une immixtion incroyable de cette Institution dans notre
gouvernance macroéconomique. On peut dire à la limite que cette visite vient consacrer une
longue pratique dont j'interroge le fondement […] Comment en effet concevoir que le FMI vienne
au Cameroun sans se préoccuper du déficit commercial, alors même que ce déficit apparait
comme l’une de ses missions [qui consiste à contrôler le système monétaire international afin
d'en assurer le fonctionnement effectif et contrôle la manière dont chaque État membre remplit
les obligations découlant de la section 1 du présent article. En vue de remplir les fonctions
visées ci-dessus, le Fonds exerce une ferme surveillance sur les politiques de change des États
membres et adopte des principes spécifiques pour guider les États membres en ce qui concerne
ces politiques]? De manière logique, le FMI aurait dû demander au Cameroun de limiter, voire
d’annuler ce déficit dangereux et source potentielle d’endettement explosif, y compris par des
mesures protectionnistes. Mais de telles préoccupations auraient été antagoniques avec
l’idéologie du libre-échange et de l’antiétatisme qu’il défend, avec plus de hargne et plus de
dogmatisme que l’OMC elle-même qui a cela pour mission!
À cette infection idéologique s’est superposée une bureaucratisation excessive de cette
institution, avec ses “experts” et ses “consultants”. Une véritable bande de mystificateurs
intellectuels ne comprenant rien en économie, mais utilisant le prestige de cette institution pour
venir éblouir la totocratie (gouvernement de niais et de crétins) qu’on a au Cameroun, à coups
de concepts étranges et mystérieux. Notre gouvernement est devenu un véritable toutou entre
les mains de ces imposteurs qui multiplient les missions, dans la logique même des
bureaucraties à qui on laisse la bride. Comment imaginer un seul instant que des individus
comme cela puissent souhaiter le développement du Cameroun qui signifierait la fin de leur
emploi? Depuis l’atteinte en mars 2006 du “Point d’achèvement des pays pauvres très endettés
(PPTE)” auquel le Cameroun avait été astreint, le FMI n’avait plus rien à faire au Cameroun et il
fallait l’éviter avec la même terreur qu’on éprouve devant les serpents venimeux. Et c’est aux
économistes nationaux, locaux et de la Diaspora, qu’il fallait confier le pilotage de l’économie
camerounaise. Au lieu de quoi le gouvernement a cru qu’il pouvait indéfiniment s’acoquiner avec
le diable, dans le secret espoir qu’il serait dispensé de critiques en cas d’échec (sic)874.

873 Daniel Etounga-Manguelle, 2016, D’où vient l’argent des Blancs?, éd. Les Éditions du Schabel, Yaoundé; 2013, Éloge de la dissidence. Propos
sur la métaphysique du progrès, éd. Éditions CLÉ/NENA, Yaoundé/Dakar.
874 Dieudonné Essomba, 2012, Une voie de développement pour l’Afrique : la monnaie binaire, éd. Centre d’analyses économiques et sociales

(CAES), Yaoundé.
Cet économiste camerounais déploie une contribution remarquable dans la critique radicale des contraintes historiques auxquelles la structure des
économies africaines et camerounaise est confrontée. Le texte cité ici est extrait de son Blog Facebook, notamment de la contribution intitulée “Que fait
le FMI au Cameroun?” du 25 janvier 2016.
La préoccupation intellectuelle de Dieudonné Essomba quant à la nature de l’économie camerounaise illustre parfaitement le concept de contraintes
structurelles (historiques, paradigmatiques, interscalaires et contextuelles) que nous proposons dans la présente thèse pour expliquer la marginalisation
des communautés locales dans la gouvernance forestière au Cameroun.
Il serait intéressant de lire également :
- Jean Baudelaire Belengue, Jean Célestin Pep et Patrice Nyemb [du Réseau associatif des consommateurs de l'énergie, RACE (organisme citoyen de
la société civile camerounaise)], 2014, “Les desseins funestes de la Banque Mondiale et du FMI pour le Cameroun”, texte publié dans
CameroonVoice, édition du 22 juillet 2014 (http://www.cameroonvoice.com/news/article-news-15901.html);

422
Comme on le voit, le rôle central et principal joué par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international
dans la motivation et l’élaboration de la Loi des forêts de 1994 éclaire et articule une conjonction majeure de
contraintes structurelles qui explique les divers dysfonctionnements et contradictions manifestés par la mise
en œuvre et la conduite du Régime forestier camerounais actuel. Du point de vue de la théorie sociale, cette
forte influence directe de la Banque mondiale et du FMI dans la définition des orientations économiques
stratégiques du Cameroun se comprend dans ce que Bertrand Badie (1992) appelle “la captation de la
souveraineté des fonctions socio-économiques”. Pour ce chercheur :
Le transfert de ces compétences dans les années quatre-vingt à la Banque mondiale et au
Fonds monétaire internationale à la suite de l’échec des politiques économiques bilatérales a
conduit ces institutions internationales à imposer en échange, des Programmes d’ajustement
structurel fortement teintés d’orientation néoclassique. De la tractation essentiellement politique
que constituait la coopération bilatérale entre un État dominant et un État dominé, la
dépendance se muait désormais en interaction de type économique : l’aide au développement
se trouvait dès lors soumise à l’acceptation par l’État dominé d’une structuration de son paysage
économique conforme aux vues et aux options de pays occidentaux les plus développés et
faisant fi, la plupart du temps, des paramètres sociaux et culturels propres aux pays du Sud.
Le type de dépendance qui en dérive est double : le procédé tend à faire peser sur les pays en
développement l’essentiel du fardeau de l’ajustement structurel à une économie mondiale en
crise généralisée; ils conduit par ailleurs les pays du Nord à influencer les choix nationaux du
Sud et à y transférer leur modèle de développement économique à un rythme d’autant plus
rapide et dramatique que le pays concerné est classé parmi les moins avancés. La logique
d’exportation vers le Sud des modèles forgés au Nord tend ainsi à s’accélérer à mesure qu’elle
se révèle inappropriée et à s’imposer comme un véritable cercle vicieux.
Loin d’être perçue comme incompatible avec un patronage colonial d’État, la politique
d’ajustement mise en place au niveau multilatéral est ainsi vécue comme un complément
fonctionnel déchargeant partiellement l’État-patron ou dominant de la part la plus lourde du
fardeau financier et lui abandonnant, en fin de compte, la partie la plus profitable de sa fonction
de patronage875.

Il en découle concrètement, comme le relèvent Jake Brunner & François Ekoko (2000), que :
Les grandes entreprises d’exploitation forestière n'étaient pas actives durant la période
d'ébauche de la Loi sur la Forêt de 1994, malgré leur très fort pouvoir de lobby –une position qui
reflète leur attitude ambivalente face à la réforme [Dans ce contexte spécifique, on peut affirmer
qu’elles n’avaient pas nécessairement besoin de prendre directement part à ce processus
puisque le déficit politique qui a caractérisé les Réformes en constituait en réalité la matrice
ontologique. En effet, que ce soit du point de vue de “l’efficacité économique” visée par la
Banque mondiale, ou du fait des collusions prébendières et néo-patrimoniales par lesquelles les
élites administratives, économiques et politiques devaient protéger leurs avantages arbitraires,
l’industrie forestière était assurée de conserver les conditions “optimales” d’activité]. D'un côté,
elles favorisaient un système de taxes plus simple et transparent. De l'autre, les réformes

- Dieudonné Essomba, “Missions statutaires du Fonds monétaire internationale et visite de la Directrice générale du FMI au Cameroun”, Blog
Facebook, 8 janvier 2016; “Quelles solutions pour le Franc CFA?”, in Investig’Action, édition du 5 janvier 2016 (http://www.investigaction.net/fr/quelles-
solutions-pour-le-cfa/).
875 Op. cit.

423
impliquaient des coûts plus élevés et plus de responsabilités. Une fois la Loi passée, cependant,
les représentants de l'industrie ont régulièrement rencontré ceux de la Banque mondiale. Les
sociétés s'attendaient à bénéficier de la nouvelle Loi. Tout d'abord, la Banque mondiale a
promis [?!?] que l'augmentation de la redevance à la superficie minimale serait largement
compensée par de plus faibles taxes à l'exportation des grumes. Le Cameroun avait déjà les
plus forts taux de taxation en Afrique Centrale, et la Banque mondiale ne voulait pas augmenter
[?!?] la charge de taxes globale au-delà de la redevance à la superficie additionnelle payée par
les sociétés lors de l'adjudication des concessions (Carret, 1998). D'autre part, les réformes leur
attribueraient des concessions plus étendues et plus longues.
Troisièmement, elles soutenaient l'opposition de la Banque mondiale à une interdiction de
l'exportation des grumes. Enfin, elles soutenaient sa recommandation de liquider l'Office
national de développement des forêts (ONADEF) qui avait un monopole de fait sur les
inventaires forestiers, la cartographie et les autres services techniques. Toutefois, l'industrie
était en désaccord avec la Banque mondiale sur deux points de base (Carret, 1998). Tout
d'abord, elle était opposée à une redevance à la superficie significativement plus élevée parce
que, bien que représentant moins de 20% de toutes les taxes, elle était fixe et payable à
l'avance et sur l'ensemble de la concession, et pas uniquement sur la surface exploitée
annuellement. Deuxièmement, la Banque mondiale voulait augmenter [?!?] les taxes sur
l'exportation de bois transformé, non taxée auparavant. En effet, cette absence de taxation
bénéficiait aux scieries situées dans le pays, supposées encourager une transformation
inefficace du bois. De son côté, l'industrie soutenait que l'inefficacité de la transformation du bois
était due au manque de compétences et à la mauvaise qualité du bois, et appelait à une
protection continue de l'industrie camerounaise en développement. En juin 1997, afin d'atteindre
les objectifs de revenus des taxes fixés par le FMI, le gouvernement a introduit deux
changements majeurs dans la loi de finance : les taxes à l'exportation sur le bois transformé ont
été presque doublées, et les valeurs de référence utilisées pour les taxes ont été fixées aux plus
hauts cours du marché (Carret, 1998)876.

Aussi s’avère-t-il que dans ce contexte spécifique de surgissement violent de la modernité capitaliste et de
génération coloniale de la collectivité politique, où plus qu’ailleurs –« Achieving forestry-sector Reforms
requires a favorable political system and dedicated State officials » (P.O. Cerutti et al, 2013) –la démarche
sinon clairement opposée du moins ambiguë que l’État qui est censé constituer l’instrument macro-
institutionnel ou organisationnel877 de réalisation des aspirations collectives propres et profondes des
populations constituées dans leur diversité en collectivité politique (Bertrand Badie, 1992; Thierry Michalon,
1984) a souvent déployé vis-à-vis des propositions réformatrices qu’impulsait la Banque mondiale (D. Brown,
2002; J. Brunner & F. Ekoko, 2000)878, constitue la preuve intangible par défaut de la non-endogénéité des
Réformes forestières ayant conduit à la mise en place du Régime des forêts de 1994. C’est ainsi qu’Alain
Karsenty (2002 et 2016) reconnait –contradictoirement –qu’en dépit de sa promulgation officielle :

876 Op. cit.


877 … dans la logique de ce que Karl Marx et Friedrich Engels désignent aussi par le concept de “superstructure”.
Au besoin relire Karl Marx, 1859, Contribution à la critique de l’économie politique, éd. La Pléiade, Paris; Karl Marx et Friedrich Engels, 1848,
Manifeste du Parti communiste, éd. La Pléiade, Paris.
878 Lire également Rozenn Nakanabo Diallo qui a étudié le cas du Mozambique : op. cit., 2013.

424
La Loi de 1994, pour une large part, n’était pas appliquée jusqu’en 1998, faute de textes en
précisant les conditions d’application et, surtout, souligne l’analyste lui-même, de volonté
politique claire.
[Et l’économiste de préciser plus tard dans un autre texte que] The institutionalization of
“community forests” (with a legal status) was also innovative in Central Africa. This agenda was
pushed notably by IUCN, and received the support of the World Bank which shared the idea with
the group of Cameroonian reformers in a mixed commission, in spite of the reluctance of the
majority of the staff in the Ministry in charge of forestry. Unlike it is sometimes considered, this
was not a contingent objective of the World Bank in Central Africa, but it was conceived as the
second step in a sequential dynamic of reforms. For World Bank staff involved in the process, no
community forestry effort would have been possible or conceivable at the margin of an all-
powerful, unregulated forest industry […]
The reform process in Cameroon has never been such as the World Bank staff envisioned
initially. The 1994 Forest Law was not enforced until 1998, primarily because of lack of political
will. This was illustrated in 1996 by the discretionary awarding of six concessions; this act
infringed the 1994 law that stated that all concessions had to be allocated through a public
auctioning system. In spite of assurances to The Bank that these cases would remain the
exception, the first concessions award in 1997 was fraught with irregularities. This showed that,
despite apparent transparency and political willingness, practices had not changed (Symphorien
Ongolo, 2015). Until 1998, neither The Bank nor Cameroon had defined adequate legal and
regulatory instruments to carry out the forest sector reforms (Giuseppe Topa et al., 2009)879.

C’est le même constat que Brunner & Ekoko (2000) ont établi une quinzaine d’années plus tôt notamment
quand ils relèvent sans ambiguïté :
Le manque d'implication de l'emprunteur camerounais. [Pour les deux chercheurs] Le processus
de rédaction du projet de Loi sur la Forêt de 1994 reflète le rôle central joué par la Banque
mondiale et la passivité du gouvernement du Cameroun. Les courriers de la Banque mondiale
au gouvernement entre 1990 et 1992 montrent qu'elle a été l'instrument de la mise en place du
programme de la réforme et du maintien des forces vives du dialogue politique. Du fait de la
faible coordination interministérielle et de la faiblesse interne du MINEF, le gouvernement n'est
pas parvenu, non seulement à conduire le processus de réforme, mais même à y participer
utilement880.

Et si la littérature scientifique ne l’avait pas constamment indiqué, nous en tirerions comme conséquence
logique que pendant les quatre ans qui ont succédé la mise en place tout juste formelle d’un nouveau Régime
des forêts, l’exploitation des ressources forestières a été régie par un flou réglementaire –que Cerutti et al
(2013) énoncent clairement à l’issue des recherches que cette équipe a consacrées aux mécanismes de la
corruption dans l’exploitation informelle et le commerce du bois industrielle au Cameroun881 –; ou plutôt que
cette impasse a été comblée aussi bien par la structure institutionnelle coloniale permanente à partir de
laquelle s’est instituée et enracinée la culture caractéristique de gestion néopatrimoniale et prébendière des
ressources publiques :

879 Op. cit.


880 Op. cit.
881 Paolo Omar Cerutti et al, op. cit.

425
Une illustration de cette situation, indiquait déjà Alain Karsenty (2002), fut l’attribution en 1996
par voie de gré à gré de concessions à deux groupes industriels français, malgré les
dispositions légales qui prévoyaient que tous les titres d'exploitation majeurs (ventes de coupe
et concessions) devaient être attribuées par voie d’appel d’offres. Malgré les assurances
données à la Banque mondiale que ces cas resteraient l’exception, les conditions de l’attribution
de concessions par appel d’offres en 1997 tendaient à montrer que, si les apparences d’un
processus ouvert et transparent avait été mis en place, la pratique, elle, ne changeait guère
dans cette procédure entachée d’irrégularités et de suspicion légitime.
Au sujet des propositions pour la nomination d’un Observateur indépendant dans les
Commissions d’attribution des titres d’exploitation, le Gouvernement va dans un premier temps
refuser le principe même d’un observateur indépendant (OI), arguant que cette demande
constituait en elle-même une présomption d’irrégularités dans le travail de la commission. Puis,
le gouvernement finira par admettre le principe de cet observateur. Celui-ci, choisi par le
Ministère suivant une procédure d’appel d’offres, est, de l’avis général, une personne
compétente et intègre, dont le premier rapport, fort critique, témoignait des importants
dysfonctionnements de la procédure d’attribution882.

Dans l’énonciation qu’elle fait de ce contexte institutionnel camerounais, Marie-Claude Smouts (2001)
mentionne qu’il :
se préoccupe de protéger le système et de préserver les intérêts économiques traditionnels, la
politique forestière devant être construite à partir d’une sorte d’équilibre entre les acteurs
puissants en présence : les défenseurs de l’environnement qui veillent à la préservation de la
biodiversité, mais aussi et surtout les dirigeants administratifs et politiques et les élites de toutes
sortes qui cherchent à tirer des revenus du bois, pour développer leur pays dans le meilleur des
cas, la plupart du temps pour s’assurer une rente, faire tenir tranquille les généraux,
récompenser leur clientèle, pratiquer la politique du ventre; les bénéficiaires des concessions
forestières qui cherchent à maximiser le rendement de leurs investissements et les bénéfices de
leurs actionnaires883.

La situation ainsi décrite par Smouts fait écho à ce tableau constant qui se dégage des différents travaux et
que rappellent Paolo Cerutti et al (2013) : « But strategies for reform could also fall because a government that
itself participates in breaking the law. Indeed, several FLEGT countries present an apparent paradox, whereby
a government promises to reform the governance of its forestry sector by signing a VPA, while in practice
many of the State officials, whose role should be to promote and implement those reforms, are actively
engaged in fostering IFAs through corrupt practices »884.

C’est dans le même contexte et suivant la même logique et la même démarche que le Ministère des forêts
décidera en 2008 de rompre unilatéralement le processus collaboratif de réforme du Régime des forêts en
cours, en passant arbitrairement d’une orientation participative et inclusive convenue par toutes les parties

882 Alain Karsenty, 2002, “Gouvernance et forêts tropicales. L’exemple du Cameroun”, in revue Informations et Commentaires. Le développement en
questions, n˚119, avril-juin 2002, Grenoble/Lyon.
883 Op. cit.
884 Op. cit.

426
prenantes, à une orientation exclusive dont il va finalement prendre seul le contrôle total. Pour Bakker Nongni
& Guillaume Lescuyer (2016) qui tentent d’analyser ce revirement :
Une seconde interprétation présume de la volonté de l’Administration forestière de conduire un
processus inclusif et attribue le changement de cap à des facteurs externes. Selon cette
interprétation, l’adoption du modèle de décision exclusif n’était pas programmée au lancement
du processus en 2008; il aurait résulté d’une conjoncture particulière, où le nouveau ministre
des forêts tenait à respecter les engagements pris par son ministère et à délivrer les textes
attendus au Premier Ministre dans le délai imparti. Une telle “reprise en main” du processus par
le ministre correspond d’ailleurs au style de leadership promu par la hiérarchie de
l’administration forestière. Comme l’indiquaient Kouplevatskaya-Yunusova & Buttoud (2006), les
valeurs culturelles des autorités publiques responsables du processus d’élaboration des lois, et
plus précisément leur compréhension du mode de prise de décision, peuvent favoriser le
basculement d’un processus inclusif vers un processus exclusif. Le basculement d’un modèle
inclusif de décision publique à un schéma exclusif est généralement justifié par la recherche
d’une amélioration de l’efficacité de la prise de décision et la valorisation accrue de l’intérêt de
l’État885.

Il est évident que cette explication est aussi sommaire qu’insatisfaisante dans la mesure où non seulement
elle invalide les potentiels de transformation démocratiques et environnementaux postulés à la participation et
à la démarche inclusive, mais elle se satisfait d’une efficacité formelle et de court terme essentiellement portée
sur les intérêts industriels et gouvernementaux, qui sacrifient royalement la détermination substantielle par
l’inclusion des préoccupations locales ou communautaires et les préoccupations diverses (scientifiques,
corporatistes, etc.) de la société civile. Pour bien comprendre, il serait utile de rappeler que dès le milieu des
années 2000, à l’impulsion de la société civile, le gouvernement camerounais convient d’engager un
processus de réforme forestière largement participatif qui mobilise l’ensemble des acteurs concernés et
intègre les aspirations de toutes les parties prenantes à la gestion forestière. Du point de vue théorique, on
dirait de la démarche consensuelle convenue au départ entre l’État et les autres acteurs –notamment la
société civile et les communautés villageoises –qu’elle participe de la “démocratie communicationnelle”,
concept habermassien qu’explique ainsi Yves Sintomer (2011) :
Habermas va s’attacher à la façon dont la délibération s’institutionnalise dans les procédures de
l’État de droit démocratique et soutient que l’idée de “légitimation procédurale” n’est pas
seulement formelle puisqu’il s’agit d’une matérialisation de principes délibératifs riches de
contenus éthiques. Les théoriciens qui s’inscrivent dans cette lignée adopteront rapidement le
terme de “démocratie délibérative” pour désigner ce paradigme.
L’originalité d’Habermas est d’identifier le pouvoir constituant à l’espace public, et de voir dans
ce dernier le cœur de la société politique. Le pas théorique décisif est d’abattre la cloison entre
opinion publique et délibération. Au lieu de faire de cette dernière, à l’instar de Durkheim, un
quasi-monopole des représentants et de l’opposer à l’opinion publique irrationnelle de la masse,
la démocratie délibérative habermassienne s’ancre résolument dans les discussions ordinaires
des citoyens. Le moment fondateur n’est plus l’élection mais la formation de l’opinion publique.
L’ambition est de montrer que volonté démocratique et raison pratique ne sont pas

885 Op. cit.

427
antithétiques. Plus exactement, les résultats auxquels aboutissent les processus démocratiques
de formation de la volonté et de l’opinion sont faillibles, mais ont pour eux une présomption de
rationalité du fait de leur genèse (à travers l’échange d’arguments) et peuvent toujours être
rectifiés dans les discussions ultérieures. La délibération politique est tournée vers le consensus
raisonnable, même si elle n’y parvient pas forcément dans les faits. La dynamique de la publicité
modifie les positions de chacun, permet d’intégrer le point de vue des autres et de monter en
généralité. Elle transmet à la démocratie sa rationalité propre, qui est à la fois fonctionnelle et
normative. Dans cette optique, la démocratie délibérative procéduralise le concept rousseauiste
de volonté populaire et reformule dans une perspective dialogique la constitution de l’individu et
de ses droits886.

Mais contre toute attente la dynamique inclusive ainsi envisagée va connaitre une sorte de revirement ou de
rétractation totale : invoquant de nébuleux impératifs du calendrier budgétaire, l’État va unilatéralement
procéder à l’exclusion des OSC/ONG et des communautés locales du processus pour prendre le contrôle
exclusif du projet de Loi, dans un contexte intellectuel [historique et structurel] dont il est nécessaire de
rappeler que l’État y est né par le haut, dans une logique jacobine totalitariste, et en dehors des structures
socio-politiques indigènes; où les modalités de génération des élites politiques, économiques et
administratives s’est faite dans une démarche coloniale arbitraire de confiscation et contrôle du territoire par
les classes dirigeantes, « où du fait de la colonisation, l’administration d’État joue un rôle primordial dans la
formulation et l’application des politiques publiques » (Bakker Nongni & Guillaume Lescuyer, 2016), dans une
dynamique dont on ne saurait dire qu’elle intervient aléatoirement. Pour Nongni & Lescuyer (2016) :
Le processus de révision de la loi forestière est officiellement lancé par la décision du 2
septembre 2008 qui crée le groupe de travail multiacteurs chargé du suivi des travaux de
révision des textes de la loi forestière du 20 janvier 1994 et de ses décrets d’application. De
2008 à septembre 2012, c’est le temps du processus inclusif. Les parties prenantes réunies au
sein du groupe de travail élaborent la feuille de route du processus et contribuent à rédiger les
termes de référence du consultant qui devra conduire le processus de révision de la loi
forestière. Au-delà de l’encadrement du travail du consultant, les parties prenantes interviennent
également dans l’identification des problèmes et des solutions par des contributions
thématiques détaillées. De 2010 à 2012, dix-sept contributions sur des thèmes aussi divers que
la gouvernance forestière, les droits des communautés locales et autochtones, les produits
forestiers non ligneux, l’aménagement forestier, le bois-énergie, les forêts communales, le
sciage artisanal ou les changements climatiques, sont envoyées par les partenaires au
Ministère de la forêt et de la faune (MINFOF). Ces contributions prennent la forme
d’amendements précis et justifiés aux articles de la loi forestière de 1994.
La technicité et la qualité de ces propositions ne sont pas remises en cause par le MINFOF, qui
réceptionne les contributions des parties prenantes de 2010 à 2012. Pourtant, en septembre
2012, cette démarche inclusive prend fin à l’instigation du MINFOF qui organise son premier
atelier interne visant à l’élaboration de la mouture de l’Avant-projet de loi. [C’est ainsi que de
façon inattendue et dans une logique arbitraire] L’élaboration de ce texte devient le fruit de
l’expertise exclusive du personnel de l’Administration forestière, estimant qu’il revient à lui seul
de valider ou pas les contributions reçues. [En effet,] Cet atelier interne ne vise pas à assurer la
cohérence juridique des propositions faites par les acteurs extérieurs, mais bien à sélectionner,

886 Op. cit.

428
modifier ou écarter certaines de ces contributions afin de conforter les orientations voulues par
le MINFOF pour la nouvelle loi forestière. Plusieurs propositions sont simplement écartées,
comme celle de reconnaître la propriété traditionnelle sur les arbres localisés dans le domaine
forestier non permanent afin de favoriser leur gestion durable par les propriétaires coutumiers.
De nombreuses propositions sont reprises mais largement modifiées –voire dénaturées –par le
MINFOF. En réalité, comme l’illustrent les quatre exemples suivants, très peu de propositions
sont reprises en tant que telles par le MINFOF887.

De même, il ressort des entretiens que nous avons eus avec les acteurs de la société civile dont Samuel
Nguiffo du CED ou Robinson Djeukam de GDA, mais aussi de l’exploitation du document d’évaluation du RRI,
que le Gouvernement et tous les acteurs avaient au départ convenu de :
- La création dès 2008 d’un groupe de travail multi acteurs composé outre des
représentants des différents départements ministériels concernés, de ceux des
communes forestières, des parlementaires, du secteur privé, des partenaires au
développement, des organisations de la société civile et des populations autochtones,
avec pour mandat de :
• participer à l’élaboration des termes de référence en vue de la sélection du
consultant chargé de mener les études préalables;
• suivre l’exécution des travaux du consultant;
• participer aux consultations menées au niveau des chefs-lieux des régions;
• valider les projets de textes à soumettre au Premier ministre et à l’Assemblée
nationale.
- La main tendue du Ministère des forêts aux parties prenantes intéressées, afin qu’elles
animent des échanges autour des thématiques préalablement identifiées ou d’autres
qu’elles proposeraient, et lui soumettent des contributions à la réforme.
- L’inscription dans les termes de référence du consultant devant accompagner les
acteurs dans la finalisation du processus, des activités suivantes :
• production d’un rapport documentant l’ensemble des contributions et travaux
pertinents pouvant influencer les réformes, y compris dans d’autres
départements ministériels;
• organisation de fora dans chacune des trois grandes régions écologiques du
pays (savane sèche, forêt humide et savane humide), pour s’assurer de la
prise en compte des spécificités locales;
• participation aux ateliers de restitution qui seront organisés par les différents
leaders thématiques;
• présentation pour validation au niveau national des projets de politique
forestière, de loi forestière et de décrets d’application du régime des forêts et
de la faune.
Mais seulement les choses les choses n’ont pas toujours marché comme prévu.
S’agissant d’abord du groupe de travail multi acteurs, il a bien tenu quelques réunions en 2009,
qui ont abouti à la validation des termes de référence du consultant et à l’identification des
thématiques à aborder dans le cadre de la réforme et de leurs leaders, mais n’a plus été
mobilisé depuis lors.

887 Op. cit.

429
Pour ce qui est ensuite de la main tendue du MINFOF, elle a bien été saisie par les diverses
parties prenantes à la gestion forestière, dont l’ANAFOR, l’Observateur indépendant du contrôle
forestier, des partenaires techniques et financiers du MINFOF et des organisations et réseaux
de la société civile. Ces acteurs ont en effet préparé et restitué au MINFOF, principalement
entre janvier 2011 et septembre 2012, diverses contributions thématiques à la réforme
forestière.
Enfin, en ce qui concerne le consultant, le processus mis en place pour son recrutement
n’aboutira qu’en mi-décembre 2012, postérieurement aux ateliers de restitution auxquels sa
participation était prévue. Ce recrutement interviendra également après que le MINFOF ait
transmis aux Services su Premier ministre, pour validation et acheminement jusqu’à
l’Assemblée nationale, un Avant-projet de Loi forestière préparé sans la participation de
l’ensemble des acteurs concernés et non soumis à la validation du groupe national de travail.
Et dans son message lors de la réunion de lancement officiel de la mission du consultant, à
savoir le Bureau d’étude ECOR SARL, son mandat sus-décrit, repris dans les termes de
référence annexés à son contrat connaitra un réajustement. Le MINFOF en exclura les
consultations prévues et confinera le consultant à l’élaboration d’avant-projets de politique
forestière et de décrets d’application du régime des forêts et de la faune. De même, il apparait à
l’examen des propositions en rapport avec les droits communautaires, présentées par les
acteurs associatifs et des communautés villageoises, que bon nombre d’entre elles ont été soit
mises à l’écart soit dénaturées lors de la rédaction peu inclusive de la version de l’Avant-projet
de loi forestière qui a été transmise aux Services du Premier ministre [sic] (Robinson Djeukam &
Aristide Chacgom, 2013)888.

Comme on le voit, cette dynamique récente de correction du Régime des forêts issu des Réformes portées il
ya une trentaine d’années par la Banque mondiale entendait sinon reprendre et réitérer les préoccupations qui
furent simplement alléguées au début des années 1990 en tout cas faire effectivement des préoccupations
environnementales et de gouvernance qui étaient pourtant censées avoir été au cœur de l’élaboration de la
Loi des forêts de 1994 ses chevaux de bataille. Il en est par exemple de :
- La prescription suivant laquelle l’Administration en charge des forêts doit assurer l’accès du public à
l’information sur la gestion des forêts;
- L’exigence de réunions d’information devant précéder le démarrage des activités d’exploitation de
toute forêt et la définition de leur contenu;
- L’affirmation formelle des droits de propriété des populations locales et autochtones sur les forêts et
dans les zones agro-forestières;
- L’intégration et le développement du concept de gestion participative;
- L’introduction de la définition des notions de populations locales, de peuples autochtones et de
communautés riveraines;
- La dissociation et la définition séparée du droit d’usage et du droit coutumier;
- La prescription de l’élaboration d’un nouveau plan d’affectation des terres;

Robinson Djeukam & Aristide Chacgom, 2013, Étude évaluative des contributions à la réforme forestière liées aux droits communautaires et
888

de leur prise en compte dans l’Avant-projet de loi forestière, RRI-GDA, Yaoundé.

430
- Le droit de propriété des communautés sur une partie des forêts relevant de leurs terroirs coutumiers;
- La mise à la charge de l’État du coût de l’assistance technique que les administrations compétentes
doivent apporter aux communautés dans le processus d’exploitation et de gestion des ressources
forestières;
- La définition substantielle et le reversement aux communautés villageoises d’une part substantielle
des revenus issus de l’exploitation forestière;
- L’indemnisation des communautés villageoises et l’exigence de prise en compte, lors du calcul des
dommages et intérêts pour les produits forestiers exploités frauduleusement, de l’ensemble des
préjudices, économiques, écologiques, sociaux et culturels subis par les populations locales.

Le scénario décrit ici constitue l’un des moments les plus éloquents de validation des contraintes structurelles
contextuelles. En effet, alors que le consensus initial de collaboration semblait signer une rupture radicale
avec l’abstraction endogène de la dynamique des réformes du début des années 1990, la rétractation opérée
à mi-chemin par les appareils d’État vient attester l’enracinement viscéral d’un contexte politico-institutionnel
qui n’est disposé ni à la gestion inclusive et transparente –qui serait le gage d’une évolution citoyenne
décisive, ni à la durabilité environnementale et donc à une performance systémique collective. En d’autres
termes, cette révocation brusque du contrat de collaboration qui est aussi un revirement radical unilatéral de
l’État témoigne non seulement d’un enracinement en même temps paradigmatique et contextuel qui ne
semble pas prêt à s’ouvrir aux exigences nouvelles environnementales et démocratiques; mais cette
annulation de la dynamique partenariale de travail va également étouffer les potentiels apports
d’enrichissement intellectuel politique et collectif que les analyses habermassienne ou agrawalienne associent
à la participation collaborative, et par conséquent à la qualité des solutions mais aussi à la viabilité des
conditions de leur mise en œuvre. Bakker Nongni & Guillaume Lescuyer (2016) proposent une intéressante et
innovante piste permettant une explication fonctionnaliste des mécanismes à l’œuvre dans cette démarche
paradoxale qui va porter le Gouvernement dans un premier temps à souscrire avec tous les autres acteurs à
une approche collaboratrice de planification, et par la suite à procéder à une rupture unilatérale de cette
dynamique collaborative qui lui donne le contrôle exclusif sur l’élaboration des institutions collectives. Pour les
deux chercheurs :
La théorie de la “double spirale” explique le passage d’un processus de concertation de type
inclusif à un processus de type exclusif. Cette approche combine des éléments tirés d’une
conception rationaliste de l’élaboration des politiques publiques et d’une conception dite
incrémentale. L’approche rationaliste consiste pour le décideur public à identifier seul les
problèmes, fixer les objectifs, examiner en détail et de manière exhaustive toutes les options de
solutions et choisir la solution supposée être la plus efficace. La politique publique s’élabore ici
sans un véritable débat sociétal, mais suit plutôt une démarche linéaire et déductive (Wodschow
et Nathan, 2012). La participation ne fait pas pleinement partie de cette démarche, même si elle

431
peut être entreprise en cours de route. Elle prend alors la forme d’une consultation des autres
acteurs, sans obligation pour les pouvoirs publics de prendre en compte leurs propositions889.

On voit bien que la démarche arbitraire de repositionnement autoritariste adoptée par le gouvernement remet
brutalement en question les conditions d’une participation authentique ainsi que les promesses d’une
appropriation réelle et par conséquent les facteurs les plus sûrs d’une gouvernance forestière cohérente. Sur
le plan théorique, ce revirement permet d’isoler un premier niveau de cinq éléments permanents
caractéristiques des contraintes structurelles contextuelles à l’œuvre :
- L’enracinement du système de gestion rentière et patrimoniale des ressources forestière;
- L’enracinement du besoin de contrôle par les élites politiques et administratives de la rente forestière;
- Le statut politique et citoyen encore très précaire et aléatoire des acteurs périphériques (la société
civile, les OSC/ONG, les communautés locales);
- La faiblesse ou la lâcheté des institutions notamment au regard de la responsabilité collective;
- La corruption.

Ce premier niveau s’appuie lui-même sur une assise de paramètres plus constitutive de la base des
contraintes structurelles contextuelles. Il s’agit de :
- L’absence d’une impulsion/pression politico-citoyenne exercée de manière permanente sur l’État par
le bas ou à partir de la périphérie (René Kahn, 2010890; Dieudonné Bitondo, 2005891).
- L’inexistence de toute exigence collective de performance à l’égard des mandataires étatiques ainsi
que le caractère aléatoire de l’exigence de résultats aux responsables politiques et
gouvernementaux;
- Le pouvoir exclusif de l’État et ses partenaires financiers et économiques internationaux sur le
discours politique légitime et structurant (A. Schwarz, 1982, 1980)892;
- La création exogène des communautés locales comme nouvel acteur politique et de la gouvernance;
- Les incompétences intellectuelle, citoyenne et technique des communautés villageoises;
- Le caractère inexistant de l’expression citoyenne plurielle dans le contexte socio-politique
national/Les limitations démocratiques (Parfait Oumba, 2007)893;

889 Op. cit.


890 René Kahn, 2010, La dimension culturelle du développement territorial, Revue d'Économie Régionale & Urbaine, Armand Colin.
891 Op. cit.
892 Op. cit.
893 À ce sujet, Parfait Oumba relève que « La gestion durable de l'écosystème forestier reste encore tributaire au Cameroun et au Congo de

l'environnement tant juridique que sociopolitique. Cet environnement se caractérise par un cadre juridique et institutionnel peu évolutif, ainsi qu'une
faible démocratisation des structures de gestion des ressources naturelles ne permettant pas une réelle prise en compte de la notion du développement
durable ». Op.cit.

432
- Les approximations intellectuelles, les indisponibilités démocratiques et les incompétences
techniques de l’État en matière environnementale;
- L’inexistence locale de la conscience d’un problème environnemental.

433
21.3. Déficits originaires, dysfonctionnements institutionnels et marginalisation des communautés locales
Les éléments d’information mobilisés ici sont d’autant plus intéressants qu’ils confortent fermement
l’hypothèse du pilotage exogène des réformes forestières des années 1990. En effet, nous pouvons
sereinement affirmer à ce niveau que le Régime des forêts adopté en 1994 est directement le résultat de
préoccupations économico-financières et environnementalistes dont les dynamiques intellectuelles et
politiques de motivation furent tout entières portées par des acteurs dominants exogènes : motivées à partir de
la configuration géopolitique internationale, c’est comme logiquement que les Réformes qui aboutissent à la
mise en place d’un nouveau Code forestier en 1994 furent conduites par la Banque mondiale et le FMI. C’est
ainsi que l’argumentation selon laquelle : « In fact, at the onset of the reform process, members of Parliament
(with many of them involved in forestry activities) were keener on defending their own privileges than
advocating on behalf of the national economy, the environment and the interests of the rural population »894,
que tente d’introduire Alain Karsenty (2016) pour comprendre la conduite exclusive et autoritaire des
Réformes forestières du début des années 1990 au Cameroun par la Banque mondiale nous semble aussi
spécieuse que fallacieuse étant donné que même si elle rend fidèlement compte de la réalité opératoire du
contexte, l’explication tendancieuse que l’analyste énonce n’est pas moins erronée tant sur le plan formel que
du point de vue logique, eu égards à la fragmentation sociale structurelle et aux contradictions institutionnelles
irréductibles qui caractérisent la collectivité politique camerounaise, au statut dépendant de l’État camerounais
dans la géopolitique internationale, mais aussi au processus systématique qu’aurait exigé le principe de la
participation.

Ce sont ces deux institutions financières multilatérales qui, dans l’écosystème géopolitique international, dans
le contexte historique opératoire, et dans le cas des États faibles, ont assumé la dynamique des réformes et la
conduite de leur processus, en lieu et place du gouvernement camerounais relégué à un statut subalterne et
au rôle de collaborateur, dans un contexte d’inexistence radicale (structurelle et opératoire ou fonctionnelle)
des communautés locales. La validité de cet énoncé théorique fondamental est établie autant par la mise en
cohérence d’informations constantes complémentaires que par l’identification de données a priori non-
convergentes. C’est cette confirmation par défaut qui se dégage de la Commission d’orientation et de
coordination des politiques forestières en Afrique centrale (COMIFAC), notamment quand elle recommande
aujourd’hui encore, plus de vingt ans après la mise en œuvre de la Loi des forêts de 1994 qualifiée
d’environnementale, de durable, de participative et de décentralisée, de « Renforcer systématiquement les
capacités des acteurs locaux, nationaux et sous-régionaux en vue d’optimiser l’appropriation et la

894 Op. cit.

434
capitalisation des nombreuses initiatives souvent impulsées par les partenaires techniques et financiers et
garantir ainsi leur durabilité »895.

De même, c’est cette logique d’explication et cette cohérence intangible de faits qui conduisent Alain Karsenty
(2016) à mentionner, à la suite de Brunner & Ekoko (2000) qui relèvent les rapports sinon polémiques du
moins non-convergents et oppositionnels entre la Banque mondiale et l’État camerounais, que :
World Bank policies resting on “conditionalities” have been criticized for not inducing ownership.
This argument is only partly true, since it is a common practice for governments to be fully part
of the reform process [as we have seen in the case of Cameroon] but at the same time to argue
that they “were forced to adopt measures that hamper their vested interests. Brunner and Ekoko
(2000) were right in noticing the overly exclusive focus on dialoguing with the executive branch
of the government. Representatives of the parliament have often been neglected –leading to
some surprises during the legislative process.
The Bank also tended to believe in spontaneous support for its actions by local NGOs flagged
as “pro-poor”, in favour of conservation and local communities. In reality, the economic paradigm
underlying the World Bank’s “theory of change” is generally not well understood by the local
NGOs. In Cameroon, many NGOs opposed the auction system for concessions on the grounds
that it would favour wealthy foreign operators over national ones. The Bank probably relied too
much on the relationships established with key members of governments and it neglected
creating coalitions for introducing reforms that included large parts of the civil society and the
parliamentarians. Changes in governmental coalitions due to changes in the ministries’ senior
staff have often been synonymous to loss of leverage for reform processes896.

En sus de leur absence à la motivation des Réformes, l’exclusion des communautés villageoises du processus
de formulation, de discussion, d’adoption et de mise en œuvre de la Réforme forestière de 1994 se veut la
traduction naturelle d’un État entièrement tourné vers le haut; d’un État structurellement ou ontogénétiquement
coupé des populations paysannes, villageoises, non ou peu instruites et pauvres; d’un État dont l’une des
caractéristiques emblématiques est l’extrême centralisation du pouvoir comme approche la plus sûre qui
garantisse sinon son extension du moins son enracinement et sa cristallisation durables, mais aussi comme
mécanisme de légitimation des modalités de contrôle et de violence sur les autres segments du corps social;
toutes choses qui font du fonctionnement de l’État qu’il semble essentiellement charpenté sur la corruption et
le trafic d’influence, sur l’arbitraire des positions de pouvoir et le mépris de la citoyenneté universelle, sur
l’absence radicale d’Accountability et de responsabilité collective. En guise d’illustration : par-delà le caractère
très contextué de sa narrative, le document de l’association des journalistes d’Afrique pour le développement
(JADE)897 n’est pas moins précieux, eu égard à la figuration quasi mathématique qu’il fait non seulement du
déficit institutionnel et citoyen à l’œuvre dans la collectivité camerounaise, mais surtout également du contexte

895 Commission des forêts d’Afrique centrale, 2015, Recueil des bonnes pratiques de mise en œuvre du Plan de convergence en Afrique centrale
(Rapport de synthèse), COMIFAC, Yaoundé.
896 Op. cit.
897 Op. cit.

435
social général dans lequel se déploie l’économie forestière au Cameroun. Selon Reinnier Kazé (2014) qui
écrit :
Les reporters qui enquêtent sur l’exploitation forestière sont souvent victimes de pressions,
d’intimidations et de menaces. Beaucoup renoncent à dévoiler ce qu’ils savent, pour préserver
leur sécurité. Au détriment des citoyens, qui ne sont pas informés. “La peur est permanente
lorsque nous enquêtons sur l’exploitation frauduleuse des forêts, confie Alexis Obama Onana,
journaliste à la Radio communautaire du développement de la Mvila, émettant depuis Ebolowa,
dans la région du Sud. À la suite d’un reportage sur les activités d’une entreprise forestière
aujourd’hui dissoute, dont le président du conseil d’administration était un Général de l’armée
camerounaise, le journaliste avait reçu des menaces verbales. Un proche du Général lui a fait
savoir qu’il aurait mieux fait de s’abstenir de traiter ce sujet. Depuis, Alexis Obama n’affiche plus
le même enthousiasme. “Il ya des choses qu’on n’ose plus dévoiler par peur de se faire taper
sur les doigts”, indique-t-il.
Le travail des journalistes sur l’exploitation forestière est “dangereux en ce sens que c’est un
secteur où l’autorité administrative a un droit de regard”, estime Vincent De Paul Messe, chargé
des programmes à Odama FM, une radio communautaire émettant à Nanga-Eboko dans la
région du Centre. “Il y a une complicité entre l’autorité et l’exploitant. Les deux réunis abusent
des riverains”, dénonce-t-il. Selon lui, le journaliste qui prend le risque de décrier ce genre de
complicité “est mal vu et parfois menacé”. “Un ancien Préfet de mon département m’a proféré
des menaces verbales”, révèle Vincent. C’était à la suite de la publication d’un reportage qui
montrait comment cette autorité avait imposé un exploitant forestier aux villageois de la localité
de Mendom, “Il m’a dit que je n’aurais pas dû diffuser la production”. Heureusement pour ce
dernier, ce préfet est parti en retraite peu de temps après la diffusion du reportage, mais ses
intimidations ont refroidi le journaliste. “C’était une source de démotivation. S’il arrive que le
Maire de ma ville soit impliqué dans l’exploitation illégale, je ne serai plus encouragé à aller
enquêter auprès des populations”, dit-il.
De nombreux maires, députés, généraux, responsables locaux et régionaux de l’administration
forestière se sont lancés depuis plusieurs années dans l’exploitation forestière. Profitant de leurs
positions de pouvoir, ils dictent leurs lois, coupant du bois, parfois, au mépris de la législation.
La plupart des journalistes locaux travaillent dans des radios communautaires contrôlées par
certaines de ces personnalités. Ces radios constituent le plus souvent l’unique source
d’informations pour la population.
“Je suis capable de produire un reportage par semaine dans le cadre du projet MIF. Mais je n’en
produis en moyenne qu’un par mois parce qu’il y a des sujets sensibles que je ne peux pas
traiter”, confirme Georges Emmanuel Tsayid, chef de chaîne de Radio Metoung, une radio
communautaire d’Abong-Mbang dans la région de l’Est. Dans le cadre du MIF, Tsayid a réalisé
un reportage qui a été diffusé par les radios partenaires du projet, excepté sur la chaîne qu’il
dirige parce que le sujet critiquait les implications d’un ancien maire d’Abong-Mbang dans
l’exploitation illégale de la forêt. Au moment de la diffusion, le maire était encore en poste. Radio
Metoung est financée par la commune d’Abong-Mbang. “Le journaliste risque un licenciement à
la première occasion. Mais nous craignons aussi pour notre sécurité et celle de nos familles.
Nous sommes dans une petite ville où tout le monde connaît tout le monde”, souligne le
journaliste. “Il y a des choses que nous connaissons mais que nous taisons volontairement pour
ne pas risquer notre vie”898.

898Ce témoignage a été publié le 17 février 2014 par JADE Cameroun (http://237online.com/article-54253-cameroun--exploitation-forestiere-illegale-les-
journalistes-menaces-ne-peuvent-informer.html).

436
Comme on le voit, la marginalisation des communautés locales dans l’économie forestière au Cameroun
procède d’une exclusion originaire qui va se développer sous la forme d’une fragmentation sociale structurelle
qui sépare l’État réel (les populations scolarisées ainsi que l’élite administrative, économique et politique ou
dirigeante qui assurent le fonctionnement du système à différents niveaux) de l’État allégué (les premiers,
avec les populations non ou peu instruites à l’éducation occidentale, les paysans, les villageois, les groupes
socialement dépourvus de tout lien avec une élite quelconque, qui ignorent tout du fonctionnement du système
étatique auquel ils sont soumis, et dont ils subissent le pouvoir et les orientations de gouvernement). Cette
exclusion structurelle systémique est intellectuelle, citoyenne ou politique et donc fonctionnelle va marginaliser
les communautés villageoises des transactions politico-financières qui sont planifiées et réalisées par l’État et
les acteurs internationaux au nom de la gestion durable des ressources. En l’occurrence, Marie-Claude
Smouts (2001) relève l’entente selon laquelle :
L’Agence française de développement (AFD) accorde aux entreprises exploitantes des prêts à
des conditions avantageuses : prêts de dix à quinze ans pour lesquels les entreprises prennent
des crédits à long terme. La contribution de l’AFD peut s’élever jusqu’à 70% du montant de
l’investissement estimé. Le Fonds français pour l’environnement mondial intervient, lui, pour
aider à l’élaboration des compromis qui permettront le respect de la biodiversité et le bon
fonctionnement des rapports sociaux : questions de la viande de brousse, des activités
agricoles, etc. Il cofinance également des interventions visant à mettre en place des techniques
d’abattage à impact réduit. Sa contribution, sous forme de dons, représente en moyenne 10%
de l’investissement. On sait aujourd’hui combien coûte un Plan d’aménagement en Afrique
centrale : entre 20 et 40 F à l’hectare (4 à 5 €). Là-dessus, plus d’un tiers, et parfois la moitié,
est dépensé pour faire l’inventaire de la ressource à long terme dans toute la concession
forestière899.

De cette entente, aucune communauté villageoise n’en sera informée et aucune n’en connaitra les retombées.
Tel que, au cours des entretiens et des échanges que nous avions avec les communautés villageoises au
cours de notre phase de collecte d’informations sur le terrain, il aurait été aussi indécent et presqu’offusquant
d’en discuter avec les populations villageoises tant les informations présentées leur paraitraient lointaines et
abstraites. Pendant ce temps, les arbres continuent d’être coupés et évacués de forêts
écologiquement/écisystémiquement déstructurées, et les villages sont toujours aussi pauvres et démunis, et
les communautés toujours aussi désorientées et désolées de cette aliénation violente dont elles ne
connaissent aucun bénéfice tangible durable. C’est cette violence permanente qui se manifeste dans ce
phénomène rapporté par M.-C. Smouts (2001) et devenu un fait quasiment banal, celui de :
Ces compagnies géantes à qui l’on donne des millions d’hectares de concessions forestières
qui disposent d’un capital considérable et très mobile. On les a vu arriver en Afrique et en
Amérique du Sud au milieu des années 1990, l’exploitation du bois n’étant qu’une petite partie
de leur activité : elles ont aussi des intérêts dans l’agriculture, les plantations de palmiers à
huile… Partout où s’installent ces gigantesques conglomérats industriels –généralement dans

899 Op. cit.

437
l’opacité, ils bénéficient d’amples droits d’extraire du bois, sur des concessions plus ou moins
délimitées900.

C’est le cas de cette cheffe de village près de Djoum que nous avons interviewée901 et qui, tout en déplorant
les impacts déjà déplorables que l’exploitation industrielle des forêts causait déjà dans sa région, se
désespérait également de l’éventualité que présentait un projet industriel agro-forestier annoncé qui
dépouillerait sa communauté de la majeure partie de ses terres et de ses forêts pour ne leur laisser qu’une
portion congrue qui ne suffirait plus même pour le jardinage et l’activité agricole de subsistance. En effet, en
tant que caractéristique emblématique de la faiblesse et de l’instrumentalité de l’État moderne africain, le
système d’allocation des concessions forestières au Cameroun apparait autant comme l’instrument
symbolique de la culture de la corruption, comme l’outil essentiel d’entretien des rentes, le moyen
d’enrichissement des élites, le facteur par excellence de cristallisation de la fragmentation sociale; que comme
le facteur central d’appauvrissement de l’État et de précarisation des populations fragiles mais aussi
d’amplification de la déforestation et de la dégradation des écosystèmes forestiers. C’est ainsi que Brown &
Schreckenberg (2001) notent pour le déplorer, que :
Dans le cas du Cameroun, l’expérience actuelle à grande échelle des forêts communautaires
montre de plus en plus l’importance ainsi que le caractère essentiel de la gouvernance et de la
transparence. Cette problématique est abordée par Timothée Fomété qui traite des problèmes
graves de financement rencontrés par les groupes camerounais lorsqu’ils tentent d’établir leurs
forêts communautaires. Un système fiscal décentralisé est en place pour donner les bénéfices
aux communautés proches des abattages et, théoriquement, ces revenus pourraient être utilisés
pour financer une application en matière de forêt communautaire. Malheureusement, le système
est tellement abusé qu’il bénéficie à seulement quelques-uns, et encore. C’est en partie à cause
d’un manque sérieux de transparence –les communautés ne sont pas conscientes des
ressources (à la fois financières et techniques) auxquelles elles ont droit, pas plus que
l’administration locale, l’administration forestière ou les services judiciaires ne procurent un
service clair et constant […]
L’Administration forestière du Cameroun, comme dans beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest,
a traditionnellement été considéré comme une police forestière, appliquant une foule de
règlements obscurs, essentiellement pour compléter ses maigres salaires. Une réforme majeure
est nécessaire si l’on veut que ces mêmes personnels deviennent les agents de vulgarisation
forestière nécessaires pour faciliter le processus de développement communautaire. De même,
le corps judiciaire local doit commencer à faire appliquer la protection légale des communautés
contre les “incursions” extérieures902.

Comme on le voit, tous ces éléments interrogent sans cesse le statut incertain de l’État du Cameroun ainsi
que la viabilité problématique de la collectivité politique camerounaise. C’est ce doute institutionnel et collectif

900 Op. cit.


901 Mme Ruth Agbame Ngo’o, cheffe de 2ème Degré du Canton Zamane/Village Meyos Obame
902 Op. cit.

438
fortement suggéré par l’État africain qu’Alain Karsenty (2016) formule dans un énoncé cinglant où s’articulent
les trois types de contraintes structurelles (historiques, paradigmatiques, interscalaires et contextuelles) :
« Assuming that these countries had the will to really take action to protect their forests, most countries –
starting with the Democratic Republic of Congo –simply do not have the institutions needed to design and
implement ambitious transformations, such as a land tenure reform or new agriculture policies.
Donors will have to invest heavily and over a long haul not only in institution-building, they will also have to
participate in designing the reforms they will be requested to sponsor, at least partly »903.

Cet énoncé est d’autant plus intéressant qu’il confirme le caractère improbable d’une institution étatique aussi
fragile qu’incertaine (GEMDEV, 1997; Thierry Michalon, 1984), une institution étatique à l’analyse de laquelle
Karsenty & Ongolo (2011) reprennent la notion d’États fragiles904, dont André Gunder-Frank (1970) parle en
termes d’États fantoches, qui entretient l’illusion juridique et politique d’une indépendance que l’économie
politique internationale ainsi que le contexte géostratégique et géopolitique internationale rendent de toute
manière impossible (Noam Chomsky, 2016, 2005, 2003, 1995; Guy Martin, 2014905; Immanuel Wallerstein,
2014, 2012, 2011, 2009, 2008, 2006, 2001, 1999, 1995, 1991, 1988, 1985, 1975, 1966; Guy Martin, 2014;
Samir Amin, 2012, 1970; Michel Norro, 1994; Bertrand Badie, 1992; Fernand Braudel, 1986, 1985, 1979,
1958, 1949; Stanislas Spero Adotevi, 1972; etc.)906, que Fournier et Karsenty (2008) vont décliner en termes
d’États défaillants907, qui apparait chez Robert Jackson ou Daniel Compagnon (2015)908 comme des
souverainetés négatives et des Quasi-États (1986)909, chez G.B. Nlend V (2013)910, Rozenn Nakanabo Diallo
(2013) ou Marie-Claude Smouts (2001) sous la forme d’États-folklores ou folkloriques et d’États faibles911, et
dont on lit chez Thierry Michalon (1984) qu’il s’agit de :

903 Op. cit.


904 Alain Karsenty et Symphorien Ongolo, 2011, “Can Fragile States decide to reduce their Deforestation? The inappropriate use of the Theory of
Incentives with respect to the REDD Mechanism”, in Forest Policy and Economics.
Pour l’OCDE (2005) dont la définition est reprise par plusieurs acteurs internationaux du Nord, est un “État fragile”, tous les « pays caractérisés par un
manque d‘engagement politique et/ou par une faible capacité à développer ou mettre en œuvre des politiques de faveur des pauvres, par la présence
de conflits violents et/ou une faible gouvernance », in OCDE/CAD, 2005, “Piloting the principles for good international engagement in fragile states”,
OECD Note/Report (http://www.alnap.org/resource/8056.aspx).
905 Guy Martin, 2014, Understanding International Relations. Non-Western Perspectives, éd. Routledge, New York.
906 Op. cit.
907 Prudence Fournier et Alain Karsenty, 2008, “États défaillants : Le secteur forestier en Afrique centrale”, in Mondes en développement, Vol.3,

n°143.
908 Daniel Compagnon, 2015, “Réalité multiscalaire et articulations multiniveaux dans la gouvernance environnementale globale”, in François Gemenne

(dir.), L’enjeu mondial : l’environnement, éd. Presses des sciences po, Paris; 2013, “L’environnement dans les RI”, in Thierry Balzacq et Frédéric
Ramel (dir.), Traité de relations internationales, éd. Presses de Sciences Po, Paris; (avec Sander Chan and Aysem Mert), 2012, “The Changing Role
of State”, in Frank Biermann and Philipp Pattberg, Global Environmental Governance Reconsidered, MIT Press, Cambridge.
909 Robert Jackson, 1990, Quasi States: Sovereignty International Relations and the Third World, éd. Cambridge Press University, Cambridge;

1986, “Negative Sovereignty in Sub-Saharan Africa”, in Review of International Studies, Vol. 12, octobre 1986.
910 Georges Boniface Nlénd V, 2013, “Gouvernance environnementale et enjeux politiques…” (inédit), Texte (1/2) tiré de l’Examen de synthèse, Thèse

de doctorat, Université Laval, Québec.


911 Op. cit.

M.-C. Smouts relève notamment que :


« Les pays d'Afrique ont tendance à se remettre aux secrétariats internationaux, à la CNUCED en particulier, du soin de défendre leurs intérêts. Même
dans les négociations où ils doivent intervenir en propre, celles de Lomé par exemple, ou la deuxième conférence sur les PMA (Paris 1990), leur
faiblesse diplomatique est patent […] L'Afrique n'a pas la horde d'experts qui lui serait nécessaire pour discuter d'égal à égal avec ses interlocuteurs
bilatéraux ou multilatéraux. Elle manque également de grands ténors comparables à ceux dont disposent les autres. Dans les grandes négociations,

439
Cet “État mou”, selon l’expression de Gunnar Myrdal, État autoritaire mais peu efficace parce
que fragile et vulnérable. De l’État moderne qu’il mime, L’État en Afrique n’a que les
apparences. Il n’en a ni la rationalité, ni l’effectivité. Dire pourtant qu’il n’est qu’un “État-fiction”
nous parait excessif, car cet État n’est pas un simple État-spectacle. C’est un complexe militaro-
bureaucratique. Certes, on peut discuter de savoir s’il s’agit d’un appareil d’État ou d’un appareil
du Chef de l’État, mais ses moyens d’attraction ou de coercition sont loin d’être insignifiants. Tel
qu’il est, l’État en Afrique représente un pouvoir bien réel pour ceux qu’il peut récompenser ou
frapper (Gérard Conac, op. cit.).912

Pour Rozenn Nakanabo Diallo dont les travaux sur les politiques de conservation au Mozambique déclinent
également cette perspective au bout de laquelle Symphorien Ongolo (2015) va parler de “la stratégie du
gecko”, il s’agit comme d’un paradoxe. La sociologue montre d’un côté
un État à faibles capacités, qui n‘est pour une large part pas en mesure d‘assumer l‘action de
gouvernement, c‘est à dire de définition et de conception de principes d‘action, et de mise en
œuvre de programmes d‘action publique sur le territoire. Le “Policy-making” passe ce faisant par
l‘intermédiaire d‘acteurs internationaux publics et privés; la régulation par ces acteurs se
substitue régulièrement à la régulation étatique. De là un exercice fragmenté de la souveraineté
[Et de l’autre] comment en matière de politiques de conservation de la nature, l‘État à faibles
capacités matérielles et en régime d‘extranéité demeure au centre du jeu. En d’autres termes,
comment en dépit de sa mise en dépendance remarquable et apparemment irrésistible en
termes matériel, financier et cognitif par le système international de l’aide au développement, le
“Shadow of State Power” permet à un État aux capacités limitées de garder la main et de
continuer à faire planer son autorité sur l‘ensemble de l‘action publique913.

Cependant, pour mieux comprendre la fragilité structurelle de l’État africain, référons à nouveau à Bertrand
Badie (1992) qui analyse son existence en tant qu’elle contribue à l’efficacité d’un système international de
dépendance dont l’auteur indique qu’il se nourrit du paradoxe de “la fiction juridique de la souveraineté” et du
jeu de la puissance :
Le système international, rappelle-t-il, ne peut être constitué que d’États souverains dont
l’identité juridique reflète celle des États occidentaux et se trouve consacrée par l’appartenance
à l’Organisation des Nations unies. Dans cet effort d’universalisation, toute la construction
normative internationale est mise au service de l’affirmation de la souveraineté de chaque État,
du droit et du devoir de protection qui en découle. Le premier élément du paradoxe tient au fait
que, tels qu’ils se sont constitués, ces États fantoches ne peuvent, par définition, qu’entretenir
une souveraineté fictive. Disposant de faibles capacités, ils ne sont pas dotés, sur le plan
intérieur, des moyens de satisfaire aux exigences du pacte hobbesien. Composés d’espaces
sociaux éclatés, privés d’une société civile unique et structurée, morcelés par des solidarités
communautaires puissantes, ils ne sont destinataires que de très faibles demandes de
prestations sécuritaires. États faibles face à des États forts, pour reprendre la formule de Joël
Migdal, ils expriment en réalité la configuration identitaire largement fictive.

elle se présente en situation d'infériorité » (Citée par Guerandi Mbara Goulongo, 1997, L'étude des contraintes extérieures dans le processus de
développement en Afrique : le cas du Burkina Faso, Thèse de doctorat, Université Paris V René Descartes).
912 Ces trois documents sonores rendent parfaitement compte du caractère folklorique de l’État africain, notamment dans le contexte camerounais à

l’aune duquel cette étude est réalisée : https://www.youtube.com/watch?v=EoGfc1Js0mo , https://www.youtube.com/watch?v=1FTaAn5HMLw ,


https://www.youtube.com/watch?v=IUs9HTZroMY.
913 Op. cit.

440
À l’exact opposé de cette logique, le système international place l’essentiel de ses ressources
normatives et sa pratique politique dans l’entretien de la personnalité juridique de chaque État :
en récusant toute révision territoriale, érigeant le principe de non-ingérence et de respect de la
souveraineté des États en fondement même de toute pratique diplomatique, ne reconnaissant
comme interlocuteur et comme partenaire dans les négociations que les seuls gouvernements
légaux des États, il compense la faiblesse des capacités intérieures des États par l’entretien,
voire l’activation de leur capacité extérieure. En outre, le manque ou l’absence de légitimité du
centre politique de l’État faible, le caractère fictif ou précaire de ses fonctions d’autorité,
l’inexistence de relations réelles avec ses gouvernés se trouvent à chaque fois compensés par
un afflux de légitimation internationale provoqué par sa seule identité d’acteur ou d’entité
étatique souverain914.

Nakanabo Diallo (2013) arrive à en identifier les implications concrètes dans le développement des politiques
publiques environnementales au Mozambique :
En d‘autres termes, les incapacités de l‘État entraînent la multiplication d‘interventions sur la
scène nationale de la part d‘acteurs et d‘institutions qui prennent en charge une série de
responsabilités censées a priori relever de l‘État. Comme le note Van de Walle (2001), “All over
Africa, the withdrawal from social services is patent, particularly outside the capital. In the
poorest countries of the region, donors and NGOs have increasingly replaced governments,
which now provide a minor proportion of these services”. Dans le même ordre d‘idées, Ferguson
souligne que “neoliberal Africa has in recent years seen a proliferation of collapsed States or
States whose presence barely extends beyond the boundaries of their capital cities (…) modern
social and medical services, where there exist at all, are more likely to be provided by
transnational NGOs than by States” (Ferguson, 2006).
Les appareils transnationaux de conservation/développement prennent ainsi en charge toute
une série de services et de programmes, à la place de l‘État et/ou en son nom. C‘est le cas des
parcs nationaux de Gorongosa et du Limpopo, et c‘est également le cas au Ministère du
tourisme où l‘Unité TFCA conçoit des règlements au nom de l‘État, et même au cœur de
l‘appareil de l‘État. Il y aurait en ce sens coexistence de plusieurs formes d‘autorité et de
contrôle. C‘est ce qu‘Harrison (2004) appelle les “Governance States”, en référence au rôle de
premier plan joué par des réseaux globaux de gouvernance, devenus inséparables des États-
nations. Par extension, c‘est la notion de “Sovereign frontier” que propose l‘auteur, pour
souligner combien la souveraineté est en quelque sorte partagée entre État et acteurs
exogènes; la souveraineté ne serait ainsi ni tout à fait nationale, ni tout à fait globale, mais plutôt
un entre-deux915.

C’est ainsi qu’au bout du compte, les éditeurs du “Document de travail de l'Initiative pour la gouvernance
démocratique des forêts (RFGI)” sont amenés à conclure que « Dans ce contexte marqué par des
administrations locales fragiles, des démocraties naissantes et de puissants intérêts privés, de tels flux de
fonds encouragent la commercialisation et la privatisation des forêts et des ressources naturelles et la
dépossession des utilisateurs des ressources locales » (in Antang Yamo, 2015)916.

914 Op. cit.


915 Op. cit.
916 Op. cit.

441
Le tableau ainsi décrit par ces différents travaux auxquels se réfère notre thèse, qui paraitrait sinon impossible
du surréaliste dans le contexte intellectuel, politique et citoyen des États forts ou dominants, présente
clairement une sorte de chassé-croisé ou de dialogue par défaut du chat et de la souris, entre deux meilleurs
ennemis : l’un, la Banque mondiale, résolument réformiste pour des intérêts de rentabilité économico-
financière, portant et conduisant la dynamique de réforme; et l’autre, l’État camerounais, subissant la
dynamique de réformes qu’elle va cependant adopter –ainsi que le montre Rozenn Nakanabo Diallo (2013)
dans le cas du Mozambique –à travers ce que Symphorien Ongolo (2015) appelle “la technique du gecko”, qui
va en fin de compte en définir les orientations stratégiques de politiques publiques et en assumer les
implications. Paolo Cerutti et al (2013) en donnent ainsi une édifiante illustration quand ils mentionnent que :
The two-pronged strategy just described is very effective when viewed from the perspective of
the small number of powerful individuals at the top of the pyramid who receive a large share of
the extorted payments. It is also perversely effective inasmuch as, with a proliferation of
contradictory legal texts showing ‘‘political will,’’ the ministry can claim that the problems are
rooted in a lack of means and capacity. This same ‘‘lack of means and capacity’’ mantra can be
sold to donors, which may then decide to disburse funds to help make improvements, even
though the claims would not withstand close scrutiny. For instance, while it is legitimate to claim
that Cameroon’s large swathes of forests need more enforcement officers, it is less clear why
more than 20 checkpoints are placed along the only passable road –such as the one connecting
the East Region with neighboring Chad, where large volumes of timber are transported each
year –instead of being posted in the forest where they are sorely needed. Indeed, the
‘‘effectiveness’’ of the current system becomes apparent only when optimization of means and
capacity is defined as giving priority to locations that enable the extraction of the largest amount
of bribes, instead of the places where people and means are technically needed to manage the
forest917.

Dès lors, pour attester, consolider et confirmer l’un des aspects les plus marqués des contraintes structurelles
contextuelles dans la situation de l’économie forestière du Cameroun, plusieurs de nos interlocuteurs –qui se
recrutent autant parmi les OSC/ONG et les communautés villageoises que parmi les acteurs étatiques –ont
tendance à penser qu’en dépit de leur non-endogénéité et par conséquent des contradictions qui naissent du
défaut de leur ancrage dans l’histoire locale et surtout de ce qu’elles ne furent ni le résultat d’une démarche
proprement endogène ni le produit d’un besoin indigène de transformation, le Régime forestier de 1994 et les
propositions de réformes qu’il a portées auraient effectivement pu donner lieu à des résultats relativement
probants [tant sur le plan environnemental qu’en termes de renforcement de la gouvernance et de
développement de la citoyenneté partagée], pour autant que la superstructure étatique (l’État) et
l’infrastructure institutionnelle (les institutions) qui la charpente ait pu présenter un minimum de garanties de
cohérence collective (institutionnelle, citoyen, démocratique), autrement dit si elles n’avaient pas été
profondément viciées par l’arbitraire de la gestion patrimoniale et prébendière, de la corruption et de

917 Op. cit.

442
l’irresponsabilité collective des élites. C’est ce contexte et cette réalité opératoire qu’établissent l’essentiel des
travaux effectués sur le sujet, travaux au premier rang desquels nous référons celui de Paolo O. Cerutti et al
(2013)918 :
When asked what they had done, or intended to do, to solve the problem of administrative
harassment –which is no more and no less than a structural or institutionalized corruption,
relèvent les chercheurs, operators overwhelmingly had the same response: silence,
accompanied by a smile conveying feelings ranging from skepticism to resignation, as if they
could not see any way that the situation could change, regardless of how much they struggled to
improve it. Several State officials expressed similar feelings, substantiating them with examples
of actions that they had initiated either alone or with operators to improve governance, but which
the Ministry subsequently thwarted.
For example, in 2006 operators reached an agreement with one of the Ministry’s Regional
Delegates to pay volume-based taxes on harvested timber. The scheme ran for about 8 months:
the Delegate provided the official paperwork and operators paid around €55,000 into the State’s
coffers. As a result, these operators reportedly experienced considerably less harassment
because they could show official receipts of payment. As easy to implement and effective as the
scheme appears, it came to an abrupt end when the Delegate was replaced. The new Delegate
reportedly preferred to benefit from direct payments, and the prior business as usual was swiftly
reinstated. Timber operators were greatly frustrated because, despite several letters of
complaint sent to the higher levels of the Ministry, no sanction or notice to comply with the
previous scheme was ever imposed on the new Delegate.
Interviewees in different parts of the country recounted similar experiences and, although
technicalities change, the strategy adopted by the Ministry followed a recurrent pattern: an
abrupt halt of the scheme put in place, normally coinciding with a swift change in personnel and
return to business as usual. Interviews thus reveal two building blocks contributing to this
strategy’s effectiveness: a fuzzy legal edifice and a defense system919.

Alain Karsenty (2016) en fait un résumé définitivement édifiant. Pour l’analyste : « To qualify the situation
prevailing in the forest sector in Central Africa, it is not uncommon to hear that the regulatory framework is
globally suitable, but the implementation is failing due to a lack of political will and limited effectiveness of the
public institutions. Even though the framework still needs many improvements, this statement accurately
summarizes the achievements and limitations of the reform processes in Central Africa during the two last
decades »920.

En d’autres termes, dans cette conjonction de contradictions irréductibles et de dysfonctionnements structurels


qui consacrent une sorte de cohérence de l’échec, Cerutti et al (2013) pensent que :
In the long run, a strategy such as this introduces strong tensions into the system, with rippling
negative effects that extend from the morale and professional performance of State officials to
the efficacy of State institutions. As clearly evinced by the interviews, the morale of many State
officials is seriously eroded. Because of a very high unemployment rate, few can escape the

918 Op.cit.
919 Op. cit.
920 Op. cit.

443
system and find a job that, as one interviewee put it, allows the respect of their moral values.
Those who remain must spend much of their days trying to find ways to collect money to feed
the system, while constantly checking whether they are still in the right circle of power or
whether they are doing something that will displease higher officials. Often, they opt for the
safest option of not doing too much, which obviously has direct negative consequences for the
basic performance expected from a functional ministry. It is telling, for instance, that despite the
prominent role that forest revenues have assumed since the adoption of the 1994 forest law,
fiscal control remains the ministry’s most underperformed task, resulting in great losses to the
State.
This seems paradoxical to an external observer, given the relative ease and cost-effectiveness
of performing a task that in some cases would require nothing more than comparing data held
by two ministries. In fact, such controls could result in penalties that would have to be paid to the
Treasury and could then less easily be diverted into the pyramidal system921.

Comme on le voit, la contrainte structurelle de l’indisponibilité d’un capital endogène de compétences


scientifiques et techniques est en même temps historico-contextuel et paradigmatique. Elle réfère directement
à la déstructuration et à la désubstantialisation culturelles dont les communautés indigènes ont été l’objet de
l’esclavage et de la colonisation (Joseph Ki-Zerbo, 2008; Franz Fanon, 2006, 1961, 1952; Samir Amin, 2010;
Félicien Challaye, 1935; etc.)922, en même qu’elle s’articule immédiatement à ce que Thomas Callaghy appelle
“l’Afrique cernée” ou “piégée” (1993) et qu’Aboubacar Yenikoye (2007) formule par le concept de “la
mécanique d’incarcération de l’Afrique”.923 C’est la conscience des implications dysfonctionnelles procédant de
cette situation problématique qui amène René Passet (1996) à énoncer l’impératif selon lequel :
L’économie doit donc retrouver la logique du milieu naturel –physique aussi bien que vivant –
dans lequel elle se développe. C’est à ce niveau que lui apparaitra sa signification profonde,
différente de la simple accumulation des richesses naturelles ou monétaires; qu’elle découvrira
les exigences de sa véritable cohérence, envisagée non seulement de façon interne, mais aussi
par rapport aux mécanismes de reproduction du milieu; et qu’elle pourra déterminer les
instruments non exclusivement monétaires adaptés à la poursuite de ses nouvelles missions 924.

En effet, étant incapable de saisir les enjeux divers inhérents à la forêt dont elle dispose, étant incapable d’en
avoir la maitrise et le contrôle au point non seulement d’en faire une [res]source durable de production du
bien-être mais également d’en suivre l’évolution, la collectivité politique camerounaise manifeste une profonde
lacune ainsi qu’une faiblesse structurelle intrinsèque. L’indisponibilité des compétences scientifiques et
techniques se comprend dès lors comme l’inadéquation du système éducatif et par conséquent de
l’instruction, de la formation, de la mise en place des ressources intellectuelles, scientifiques et techniques

921 Op. cit.


922 Ki-Zerbo, J., 2008, Histoire critique de l’Afrique, éd. Panafrika/Silex/Nouvelles du Sud, Dakar.
Lire utilement aussi : 2003, À quand l’Afrique? Entretien avec René Holenstein, Éditions d’en bas, Lausanne; 1972, Histoire de l’Afrique noire, éd.
Hatier, Paris.
923 Op. cit.
924 Op. cit.

444
pertinentes et adaptées qui étudient pour connaitre parfaitement et opérationnellement leur environnement
systémique, pour en savoir exactement quels en sont la réalité, les enjeux, les besoins, les moyens, modalités
ou conditions de survie et de vitalité.

En effet, soumis à un système éducatif [de production, de transmission et d’exploitation des connaissances
opératoires] essentiellement exogène et par conséquent à une intellectualité résolument extravertie et
mimétique, la collectivité politique camerounaise se trouve désemparée et à la totale disposition des acteurs et
dynamiques extérieurs qui incarnent la référence intellectuelle et historique. En dépit des diplomations de
toutes sortes et des engrangements académiques formels dont la galerie sociale est plutôt bien meublée dans
tous les domaines et secteurs, ces acquisitions sont incapables de constituer un capital intellectuel structuré
ou un capital structuré de compétences scientifiques et techniques opérationnel dans la mesure où elle
manquent en amont d’enracinement et de socle endogène authentique qui les destinent en aval, à travers une
vision collective endogène, à éclairer le déploiement de la collectivité politique. Tout à l’opposé de la
démarche que proposa John Dewey au début du XXème siècle au États-Unis : « une théorie de l’éducation et
une théorie de la démocratie comme enquête sociale, le public se construisant à partir de l’expérience des
communautés locales plutôt que par en haut; il initia un courant pragmatiste qui eut une influence durable sur
les pratiques politiques de participation » (Y. Sintomer, 2011)925.

C’est dans cette configuration intellectuelle et géopolitique aussi aléatoire qu’arbitraire à laquelle les États-
prétextes ou faibles comme le Cameroun sont contraints de participer que Marie-Claude Smouts (2001) peut
relever des revirements idéologiques, intellectuels et stratégiques identiques dans la préoccupation
internationale de mise en place d’une Convention mondiale sur la forêt. L’auteur note ainsi qu’ :
Il s’agissait en 1990, d’adopter un instrument juridique international sur les forêts en liaison avec
les textes sur les changements climatiques et la biodiversité […] Les discussions se sont
poursuivies au sein du Groupe intergouvernemental sur les forêts, créé à l’initiative de la
Commission du développement durable puis du Forum international sur les forêts qui lui avait
succédé. Au fond, le marchandage était le suivant : les pays en développement s’engagerait à
maintenir leur couverture forestière et à conserver la diversité biologique contenue dans leurs
forêts; en échange, les pays industrialisés leur apporteraient un soutien financier et de la
technologie; tous les partenaires, États, agences de financement, secteur privé, ONG, Major
Groups, seraient impliqués dans une coopération pour promouvoir l’utilisation durable de la forêt
tout en développant le commerce des produits forestiers. En réalité, les dés étaient pipés car les
pays riches ne voulaient pas d’engagements financiers et les pays du Sud ne voulaient rien
accepter qui empiétât de près ou de loin sur leur souveraineté et la libre disposition de leurs
richesses.
Lorsque l’Assemblée générale se réunit en 1997, pour réexaminer la question en session
extraordinaire, les ONG influentes avaient changé d’avis et faisaient campagne cette fois contre

925 Op. cit.

445
la mise en place d’une Convention mondiale sur les forêts. Avec les grandes fédérations que
sont Friends of Earth, Greenpeace, WWF, une centaine d’entre elles s’était regroupée au sein
d’un “Forest Policy Project” pour publier un Manifeste expliquant les six raisons pour lesquelles
l’idée n’était plus bonne : les pays allaient s’entendre sur le plus petit dénominateur commun et
s’aligner sur des standards très faibles, ce qui donnerait le feu vert aux pratiques destructrices
et gênerait les initiatives plu exigeantes déjà en cours; le texte serait dominé par les intérêts des
milieux du bois et ne ferait rien contre les pratiques prédatrices d’un nombre grandissant de
firmes multinationales; il affaiblirait le rôle historique de la Convention sur la diversité biologique;
il laisserait de côté les problèmes les plus aigus et les plus difficiles de la forêt, extérieurs pour la
plupart au secteur forestier, et ne s’attaquerait pas aux causes sous-jacentes chroniques de la
déforestation; il risquerait de saboter les initiatives non gouvernementales importantes, telles la
certification, et de nuire à la capacité des populations rurales de décider du sort de leurs propres
forêts [ce qui, dans le cas spécifique du Cameroun, constitue ce que nous pourrions appeler
une abstraction globalisante ou une vue globale de l’esprit]; enfin, la fabrication d’un instrument
mondial juridiquement contraignant était un exercice long et coûteux pendant lequel toute une
série d’actions possibles en faveurs de la forêt serait suspendue, perte de temps et d’argent qui
ferait mieux d’être utilisé pour résoudre des problèmes immédiats et mettre en œuvre des textes
existants926.

En effet, lorsqu’on ausculte la division opérée entre “forêts tropicales” et “forêts tempérées/boréales”; quand
on examine le caractère radical des réticences des pays industrialisés à soumettre le contrôle des forêts
tempérées/boréales au régime international commun de l’OIBT (M.-C. Smouts, 2001), on voit se dégager
clairement une sorte d’apartheid déployé par les États industrialisés assis sur un socle historico-idéologique
stable, dotés d’institutions politico-juridiques et de ressources techniques fiables, à l’égard des États
dépendants, mal nés et dépourvus de toute souveraineté de pensée, ceux dont les États forts et les acteurs
puissants ont ravi ou “capté” ce que Bertrand Badie (1992) appellerait “la souveraineté culturelle, intellectuelle
ou de pensée”, gouvernés par procuration et dénués de ressources techniques adéquates. Autrement dit, les
réticences des pays d’Europe et d’Amérique du Nord à accepter l’extension de la compétence de l’OIBT à
toutes les forêts traduirait une logique discriminatoire entre d’un côté les pays producteurs auxquels on
voudrait affecter un rôle et un statut instrumental, et de l’autre côté les pays consommateurs qui veulent
utiliser les ressources et la puissance dont ils sont nantis pour contrôler les premiers. Mais au-delà de l’OIBT,
la réalité de ce clivage structurel international s’illustre également et particulièrement bien dans la mise sur
pied du Fonds pour l’environnement mondial (FEM). En effet, l’extrait du texte de Smouts qui synthétise la
problématique dont traite notre thèse révèle qu’à la suite de la mise sur pied d’un premier FEM multilatéral –
auquel elle contribue pourtant aussi [!] –et après avoir convenu avec les autres États dominants de greffer ce
nouveau mécanisme de la gouvernance forestière globale à la Banque mondiale, la France ne se réservera
pas de créer un deuxième Fonds particulier pour l’environnement mondial (FFEM) à vocation bilatéral. Pour
Marie-Claude Smouts (2001) :

926 Op. cit.

446
Dans le domaine forestier, la politique de la France cherche à se démarquer de la stratégie du
FEM. La contribution au développement économique et social du pays bénéficiaire est le
premier critère d’éligibilité du FFEM : des programmes ou activités non liés à un projet de
développement ne sont pas éligibles. Mais surtout, alors que, conformément à la stratégie mise
en place en 1991 par la Banque mondiale, le FEM ne finance pas de projets d’exploitation
forestière dans les forêts primaires, le Fonds français pour l’environnement mondial soutient les
démarches d’aménagement durable engagées par plusieurs entreprises forestières dans les
pays du Bassin du Congo et contribue au financement de leurs plans d’aménagement.
La part du cofinancement du FFEM s’élève à 10% du coût total d’un projet, le reste étant pris en
charge sous forme de prêts par l’Agence française de développement. Cette politique s’inscrit
dans une politique générale de la coopération française d’appui à “la valorisation rationnelle
optimale des écosystèmes forestiers”927.

Cette démarche emblématique des relations internationales et tout aussi caractéristique du rapport colonial à
l’égard des États faibles rend parfaitement compte de la non-convergence des représentations et des intérêts
en présence mais également des enjeux réels mobilisés dans les dynamiques internationales qui organisent la
préoccupation de “gestion durable” des forêts tropicales humides selon un double mécanisme d’action : primo,
comme un moyen de pression et de contrôle de la forêt tropicale comme ressource et rente économique
viable; et secundo, comme un rempart écologique viable contre les risques climatiques globaux. Dans une
formulation aussi perspicace que directe qui dit la réalité en même temps que la personnalité de l’intellectuel
américain, Noam Chomsky (1995) est formel :
Dans la période de corruption intellectuelle que nous vivons aujourd'hui, il importe de souligner
que les théories économiques, la démocratie et les droits de l'homme, prônés par les dirigeants
sont des instruments du pouvoir, destinés aux autres nations afin qu'elles se laissent dévaliser
et exploiter plus efficacement. Aucun pays riche n'accepte ces conditions pour lui-même, sauf si
elles lui accordent des avantages temporaires, l'Histoire montre bien que de graves entorses à
ces théories ont constitué un puissant facteur de développement928.

927 Op. cit.


928 Noam Chomsky, 1995 (1994), L’an 501. La conquête continue, éd. Écosociété, Montréal.

447
21.4. Implications inhérentes à l’intervention des organisations non-gouvernementales et de la société civile
Quelle que soit l’élément, le volet, la dimension ou l’orientation opérationnelle considérée dans l’état actuel de
la gouvernance internationale, la dynamique de prise en charge globale de la préoccupation environnementale
se présente comme l’objet qui a le plus éminemment révélé ce qui allait devenir la société civile et les ONG,
comme ce qui a véritablement éclos ces nouveaux acteurs qui ont littéralement redessiné le champ de l’action
politique à toutes les échelles (Bastien Sibille, 2006; Marie-Claude Smouts, 2001; Guy B. Peters & John
Pierre, 1998; RAW Rhodes, 1997, 1996; etc.). Favorisée par l’éclosion à l’échelle internationale de tous types
d’organisations non gouvernementales ainsi que par l’explosion d’un prosélytisme associatif inédit se
réclamant de l’humanitaire et des droits de l’homme, l’émergence de la “société civile” au début des années
1990 au Cameroun en tant qu’organisation non étatique d’entités citoyennes collectives ou individualisées
d’implication et d’action dans la vie publique, est une dynamique qui va disperser la compétence publique et
réduire le monopole et l’omnipotence politique de l’État, eu égard au mode classique de concentration entre
les mains de l’Administration et du gouvernement. Cette situation nouvelle –directement inspirée du
déploiement historique du libéralisme occidental (Bertrand Badie, 1992) –marque une étape remarquable dans
le développement de la modernité politique d’approche démocratique en Afrique/au Cameroun. Par la
dynamique d’émergence de la société civile :
La différenciation du privé et du public est ainsi conçue comme la formule conciliant de façon
optimale l’intérêt général et les intérêts particuliers, tout en favorisant la réalisation d’un espace
économique propre, facteur de développement. Cette individualisation des rapports sociaux et
de l’implication collective est tenue pour émancipatrice et rationalisante : non seulement elle
conduit à une socialisation plus libre et plus critique; mais elle détache également d’une autorité
traditionnelle pour déployer une volonté rationnelle, faisant place au calcul et à
l’évaluation (Bertrand Badie, 1992).

En effet, il convient de rappeler que de manière générale et dans l’ensemble, les organisations dites de la
société civile vont se présenter à l’origine aussi bien comme un contrepoids pour le couple moderne capitaliste
États/entreprises que comme des éveilleurs de conscience, des lanceurs d’alerte et des vigiles à l’égard du
système d’exploitation industriel classique que ce couple incarne. Si du point de vue des enjeux et des intérêts
à l’œuvre, les diverses organisations constitutives de la société civile ne représentent pas une entité
homogène, le substrat qui signe la solidarité de cette diversité ainsi que l’appartenance de tous ces acteurs
jadis périphériques à la société civile repose sur l’unanimité de leur dynamique oppositionnelle vis-à-vis du
rapport capitaliste, industriel et productiviste au bout duquel s’est profilée la crise environnementale. C’est
ainsi qu’au modèle de la dynamique insufflée par le Global Forest Watch [Observatoire mondial des forêts], les
OSC/ONG vont affirmer leur légitimité à partir d’une démarche qui se préoccupe d’éclairer les enjeux
écologiques, économiques, culturels et sociaux (la biodiversité, la justice environnementale, l’exclusion, la
spoliation, les risques climatiques et autres, etc.) mobilisés par le système d’exploitation industriel traditionnel

448
des ressources naturelles/forestières (Assembe Mvondo, 2006, 2005). D’où la cristallisation du sentiment
d’existence d'une sorte d’alliance naturelle d’une part entre cette catégorie d’acteurs et les communautés
locales, villageoises, indigènes ou riveraines, et souvent avec les chercheurs, d’autre part. En effet et comme
le relève M.-C. Smouts (2001) :
L’objectif consistait de monter un dispositif de “surveillance des forêts”; de relier ceux qui sont
mieux placés que quiconque pour savoir ce qui se passe “dans leur coin” (What is happening in
their backyards), à savoir les organisations locales, les communautés de base, les comités de
village, les dépositaires de savoir, etc., et de mettre en réseau à l’échelle mondiale tous les
groupes et tous les individus susceptibles d’obtenir et de diffuser une information précise sur
l’état des forêts, leur gestion, ceux qui les exploitent et la façon dont ils se comportent.
Il s’agissait ainsi de combler une lacune fondamentale en matière d’information en élaborant un
système d’alerte rapide sur les menaces pesant sur les derniers écosystèmes forestiers encore
relativement intacts, en interconnectant l’ensemble des organisations nationales et locales
surveillant ce qui se passe dans les forêts, et cartographiant les activités de développement
forestier (exploitations forestières, mines, construction de routes) et diffuser toutes ces
informations, les cartes montrant l’étendue des surfaces forestières menacées dans les
principales régions de forêts du monde, en précisant l’emplacement des zones d’exploitation, le
nom des compagnies industrielles, les conditions dans lesquelles se déroulent les activités
extractives, comment elles évoluent, quels sont leurs avantages et leurs inconvénients du point
de vue économique et écologique, quelle est la réglementation en vigueur et dans quelle
mesure elle est respectée.
[De même, et étant entendu que] l’urgence était à la résistance et à la dénonciation des
exactions sans nombre dont les populations indigènes et les communautés riveraines étaient
victimes [,] Les ONG vont s’installer et occuper le champ du discours, en s’imposant face aux
autres acteurs. Ce sont elles qui lancent les mots d’ordre et mettent de nouveaux concepts à
l’ordre du jour ou les réinventent : il en est par exemple de l’aménagement forestier durable, de
coupes à impact réduit, etc. Comme elles sont aussi les employeurs de beaucoup de jeunes
diplômés sortis des instituts d’enseignement forestier, et de moins jeunes qui n’ont plus de
postes dans leurs pays, elles peuvent à bon droit se targuer d’une expertise scientifique. Il est
habituel que la Commission et la Banque mondiale s’entourent de leurs conseils et les invitent
dans les réunions de discussion avec les gouvernements nationaux.
Au-delà de l’activisme, les OSC/ONG souhaitent une discussion sur toutes les données qu’elles
publient, notamment sur les deux premiers Rapports faits en 2000 sur le Cameroun et le Gabon.
La mise en place d’un tel réseau n’est pas anodine. Elle épouse à merveille la logique du temps
et joue sur deux ressorts principaux de la mondialisation : la diffusion immédiate de
l’information, le pouvoir d’expression transnationale de la société civile, construisant ainsi une
réputation de crédibilité, avec tout ce que cela représente en termes de moyens financiers et de
soutiens institutionnels929.

Agro-économiste et acteur de la gouvernance forestière en tant qu’employé d’INADÈS-Cameroun, une des


plus anciennes organisations non-gouvernementales actives dans le développement rural au Cameroun,
RBMK illustre et valide cette analyse de Smouts en stigmatisant les contradictions structurelles que présente
la collectivité politique camerounaise, notamment à travers les discordances et antagonismes qui caractérisent

929 Op. cit.

449
la cohabitation de l’État et des OSC/ONG dans le champ forestier camerounais. C’est ainsi que s’il note
l’ouverture de l’action publique aux acteurs non étatiques, cet expert de l’économie forestière dans ce contexte
spécifique ne manque pas d’indiquer que :
Toutefois ces relations seraient encore plus efficaces si l’État pouvait davantage appuyer
financièrement les ONG. Car les ONG interviennent la plupart de temps avec les ressources
des Bailleurs de fonds étrangers et les résultats de leurs travaux sont par conséquents plus
orientés vers la satisfaction de ces derniers que vers ceux des communautés locales. Les ONG
travailleraient alors davantage dans la formation et la sensibilisation des communautés qui fait
tant défaut dans ce secteur. Car en ce moment, l’État fait plus de répression que de la formation
et la sensibilisation des populations930.

Dans la mesure où les bases rationnelles qui fondent l’affirmation des préoccupations écologiques et de
développement durable trouvent un écho pertinent dans la situation sociale, économique, politique et
environnementale du monde, elles vont fortement s’institutionnaliser dès le début des années 1990, en
« devenant des normes qui se propagent dans un nombre sans cesse croissant de domaines » (Stéphane
Labranche, 2009). Cette propagation globale va ainsi inaugurer “la gouvernance environnementale” non
seulement en tant que champ nouveau de rencontre et de négociation d’acteurs les plus divers, de toutes
échelles, de toutes vocations et compétences, dans une configuration essentiellement politique ou conflictuelle
qui consacre de nouveaux acteurs dans toute leur légitimité politique et transforme définitivement la nature
des rapports de pouvoir entre les gouvernements, les organisations non-gouvernementales, les associations,
les institutions financières internationales, le marché et les entreprises ; où se confrontent histoires, cultures,
idéologies, représentations, acteurs et échelles les unes plus différentes que les autres ; mais également où
se créent et se négocient des règles communes de conduite des affaires publiques et des institutions
significatives des enjeux de pouvoir autours des intérêts des différents acteurs. Dans le cas du Cameroun et
des conditions de gestion des ressources forestières, Phil René Oyono (2006) mentionne que :
Selon Mimbimi Essono (2004), ce changement structurant les réformes de la politique forestière
fut mis en œuvre dans un contexte effervescent marqué par la transition démocratique, l'éveil de
la société civile, des demandes de libertés publiques, et des revendications de bien-être des
classes les plus défavorisées du corps social. Ainsi tout le long des années 1990, des
réclamations de justice et d'équité dans l'accès aux bénéfices financiers générés par
l'exploitation et le commerce des bois –et d'autres ressources naturelles –se faisaient de plus en
plus précises, fréquentes, et toniques (Bigombe Logo, 1996, 1994). Les communautés locales,
à l'occasion –et s'appuyant sur l'usage “libre” de la parole –réclamaient ouvertement une part
substantielle de la manne forestière, en même temps que davantage de justice sociale, et une
reconfiguration des éléments de base de la citoyenneté931.

930 Notre entretien avec RMBK d’INADÈS-Cameroun, Yaoundé, juin 2015.


931 Op. cit.

450
En effet, la collectivité politique camerounaise –dans laquelle le système de gestion de l’économie forestière
manifeste des dysfonctionnements irréductibles et des contradictions fondamentales dont la marginalisation
des communautés locales –présente un contexte caractérisé par la rupture citoyenne entre d’un côté l’État et
les élites politiques, administratives, intellectuelles et économiques; et de l’autre les populations pauvres,
illettrées et villageoises; dans un contexte caractérisé par la désarticulation entre l’État qui conduit, dirige et
instruit sans aucune responsabilité institutionnelle, politique ou citoyenne devant les populations; dans un
contexte de gouvernement caractérisé par un présidentialisme autocratique où toute la vie de l’État est définie
par la seule et unique personne du président de la république dont tout dépend et autour de qui tout tourne, la
centralisation; la corruption; dans lequel les collusions coloniales se poursuivent avec une forte influence des
intérêts étrangers (Béatrice Hibou, 1999); etc., les organisations non étatiques vont se révéler comme les
seuls acteurs dont l’action permet d’identifier clairement les faiblesses de l’État ainsi que les
dysfonctionnements manifestés par les institutions dans leur déploiement. Assembe Mvondo (2006) est
formel : « Dans le cas d’espèce, il y a eu une sorte de défaillance des pouvoirs publics pour faire la promotion
de la conformité et de l’application de la Loi de 1994 auprès des communautés locales au Cameroun […] C’est
cette défaillance dans la réalisation de sa mission de promotion de la loi forestière et faunique par les agents
publics, que viennent pallier les interventions des projets WWF et GTZ du Sud-Est du Cameroun »932.

En effet les OSC/ONG se présentent également comme les seuls acteurs capables de porter une perspective
différente et parfois dissonante vis-à-vis de l’action gouvernementale. Par l’interprétation qu’ils en donnent,
Symphorien Ongolo & Laura Brimont (2015) estiment que :
Le retrait de l’État suite aux Programmes d’ajustement structurel et à la fin de la bipolarité de la
Guerre froide a été un tremplin pour les mouvements de démocratisation et a conduit à
l’émergence de nouveaux acteurs sociaux dans les arènes de décision. Parmi les nouveaux
acteurs de la mondialisation désireux de jouer un rôle de contre-pouvoir figurent les entreprises
privées et les organisations de la société civile, souvent identifiées par le terme générique
d’ONG. Les ONG nationales ou internationales aspirent à un statut de défenseur des droits des
populations, voire de la société dans son ensemble, et estiment être les représentants légitimes
d’une population sous oppression (supposée ou réelle) des gouvernements autoritaires933.

Dès lors, les organisations dites de la société civile (OSC) et les organisations non gouvernementales (ONG)
représentent une catégorie-clé dans le paysage socio-politique de la gouvernance forestière au Cameroun. Il
s’agit de manière générale de tous les acteurs citoyens, associatifs, corporatifs, ne relevant ni de l’État ou du
gouvernement ni de l’industrie, qui se donnent la vocation de participer sous une modalité ou une autre à un
secteur d’activité de la vie collective. L’émergence de cette catégorie d’acteurs constitue l’indicateur le plus

932 Assembe Mvondo, S., 2006, “Forestry income management and poverty reduction: Empirical findings from Kongo, Cameroon”, in Development in
Practice, 16/1.
933 Op. cit.

451
tangible de la libéralisation socio-politique au Cameroun. Dans le cadre des problématiques
environnementales et de l’exploitation des ressources forestières, ce sont les organisations étrangères
indépendantes ou associés à la Coopération technique bilatérale qui ont intervenu les premières dans le
contexte camerounais. Elles ont immédiatement été suivies par les organisations initiées par les nationaux,
même si elles sont généralement affiliées aux organisations étrangères et autres mouvements internationaux
dont elles bénéficient d’appuis divers, financiers, idéologiques ou politiques. Cependant, dans ce contexte
systémique particulier où l’État entend conserver le contrôle complet des affaires publiques ainsi que toute la
légitimité de la conduite de la collectivité, le rôle décisif joué par les OSC et autres acteurs de la société civile
pour la viabilisation du Régime forestier et des réformes environnementales alléguées, n’est pas
définitivement acquis et reste dans une dynamique permanente. En effet, c’est en 2014, soit vingt ans après la
mise en œuvre de la Loi des forêts actuelle, que l’institution intergouvernementale chargée de coordonner les
politiques forestières dans le Bassin du Congo (COMIFAC, 2015) se rend disponible à « La reconnaissance
du rôle des communautés et des organisations de la société civile dans la participation à la surveillance de la
gestion forestière fait partie des propositions de la société civile pour la révision de la loi forestière. La prise en
compte d’un telle recommandation permettrait de formaliser l’observation indépendante locale menée par les
communautés et les OSC »934

Cependant qu’en effet, « Selon les organismes de défense des droits des populations locales, ces
communautés n’arrivent toujours pas à exploiter ces espaces sur lesquels elles ont placé beaucoup d’espoir
pour améliorer leurs conditions de vie » (Ghislain Fomou, 2015935.

Il en découle que du point de vue théorique, l’action des OSC/ONG s’articule à l’approche développée autour
de “l’acteur et le système”, notamment dans la mesure où l’appui qu’elles apportent aux communautés
villageoises et qui offre à ces dernières les ressources intellectuelles et techniques leur permettant de
participer plus conséquemment à la gouvernance forestière constitue les stratégies d’adaptation d’acteurs
nécessaires à leur existence organique dans une collectivité/modernité politique camerounaise
fondamentalement confrontée à diverses contraintes structurelles. C’est cette dynamique qui permet à J.
Brunner & F. Ekoko (2000) de relever que :
Bien que la mise en place ait été problématique, les articles concernant les forêts
communautaires ont rendu les communautés locales plus conscientes de leurs droits par
rapport au gouvernement et aux sociétés d'exploitation. De ce fait, les villageois ont délimité
leurs forêts coutumières pour pouvoir retirer un bénéfice financier de l'exploitation et protéger
leurs terres des communautés voisines. La meilleure prise de conscience sur la loi a également

934
935 Ghislain Fomou, op. cit.

452
permis une diffusion presque instantanée des informations concernant les bénéfices des taxes
auxquels ont droit les communautés (Karsenty, 1999b)936.

C’est ainsi que même si le besoin de réformes environnementales n’est pas parti de l’intérieur, s’il n’a été ni
formulé ni porté par les acteurs internes ou nationaux, son implémentation exogène n’a pas moins été
favorisée par l’existence d’une résonance contextuelle réelle, c’est-à-dire par des conditions critiques
disponibles à l’intérieur du territoire camerounais. Alain Karsenty (2016) rappelle ainsi que :
The economic crisis that hit the Cameroonian population, especially as of 1992 (cut in public and
social expenses) and in 1994 (CFA devaluation), has led to growing informality in economic
relationships. The “Structural Adjustments Plans” piloted by the International Monetary Fund and
the World Bank also contributed to this phenomenon: impoverished citizens turned entirely to
the chainsaw lumber operators to buy the timber they needed for construction work. In the
1980s, exports (expressed as roundwood equivalents) were significantly less than registered
production, meaning a large share of the domestic markets was supplied by the formal
production sector. This share diminished slightly in the 1990s and at the end of the decade,
exports even surpassed registered production! The current volume produced by the informal
sector is comparable to the volume produced by the industrial sector. Some chainsaw lumber
operators are collecting their timber in village fallowlands, while others in this informal production
circuit who are better equipped have a “small title”, a category that is hardly controlled and is
known for being a pillar of illegal logging937.

Dès lors, en s’aidant de l’ouverture factuelle aux dynamiques globales dominantes, une abondante activité
d’acteurs non-étatiques et d’organisations associatives va émerger dans le domaine environnemental et du
développement rural, et déployer une activité qui va contribuer à doter les communautés villageoises de
l’ouverture intellectuelle et citoyenne nécessaires ainsi que des capacités d’intervention dans l’exploitation des
forêts et la gouvernance forestière. Au-delà de l’émergence et de la mobilisation d’acteurs nouveaux, la
logique d’appropriation des dynamiques intellectuelles et institutionnelles exogènes ainsi que les modalités de
leur implémentation locale semblent davantage participer de ce que Rozenn Nakanabo Diallo (2013) appelle
“transnationalisation de l’action publique”. C’est aussi ce que Dieudonné Bitondo (2005)938 appelle
“institutionnalisation”, par où les acteurs locaux et le contexte national sont mobilisés par l’État pour
s’intéresser à une exigence intellectuelle ou institutionnelle conjoncturelle internationale.

En effet, eu égard à la constitution historique (exogène et coloniale) de l’État africain qui le met à la totale
disposition des dynamiques dominantes internationales ou globales, les mouvements portés par les acteurs
stratégiques internationaux –notamment les ONG environnementalistes et autres militantismes écologistes –

936 Op. cit.


937 Op. cit.
938 Dieudonné Bitondo, 2005, Institutionnalisation de l’évaluation environnementale du développement routier en forêt du Bassin du Congo. Le

cas du Cameroun, Thèse de doctorat, Université de Montréal.

453
vont parvenir, à défaut de susciter l’émergence en règle de controverses publiques à l’interne à travers les
acteurs camerounais –dont il est important d’indiquer que l’existence institutionnelle et politique fait encore
défaut à cette époque d’autoritarisme monolithique –à mobiliser un second groupe d’acteurs stratégiques
étrangers [institutionnels et étatiques; les organisations financières et diverses plateformes bilatérales et
multilatérales; etc.] dont l’influence plus direct sur le gouvernement camerounais va effectivement provoquer
un processus national qui va s’efforcer de d’endogénéiser les exigences globales de réformes essentiellement
dans le discours public. Voici comment Rozenn Nakanabo Diallo (2013) décrit ce processus de réception de la
commande exogène économique et environnementale :
Notre enquête de terrain s‘est basée sur deux échelles d‘étude : l’échelle de la capitale, Maputo,
où négocient représentants des Bailleurs de fonds internationaux et fonctionnaires du
Gouvernement dans la fabrique de règlements; et l’échelle de deux parcs nationaux, où des
équipes transnationales déclinent règlements et cadres d‘action comme instruments,
expressions et moyens de l‘entreprise étatique de domination et de ralliement à son projet.
L‘intérêt d‘adopter deux échelles d‘étude est double.
D‘abord, proposer des coups de projecteurs sur des échelles différenciées –mais à l‘aune d‘une
même problématique, celle des conditions d‘une régulation étatique dans un régime d‘aide.
Interroger ces deux échelles nous a permis de mettre à jour des modalités diverses de relations
État/Bailleurs de fonds –le sommet de l‘État à travers les hauts fonctionnaires des Ministères
centraux et le Conseil des ministres –étant au centre de l‘analyse dans le premier cas, tandis
que l‘État local –c’est-à-dire les Gouvernement provinciaux et surtout les Administrateurs de
districts –est davantage mis en lumière dans le second. À chaque fois, les élites administratives
mozambicaines, que nous avons appelées “acteurs médiateurs” ont été au cœur de notre
analyse desdites relations, dans la mesure où ce sont ces acteurs qui font le lien entre monde
de l‘État et monde des Bailleurs de fonds : ils ont en somme pour fonction de mettre en œuvre
les ajustements mutuels nécessaires à la marche de l‘action publique. Dans ce cadre, les
dispositifs institutionnels de l‘État (par exemple des comités interministériels), aussi faibles
soient-ils, parviennent à l‘imposer dans les processus décisionnels, ce qui lui permet de
poursuivre son entreprise de contrôle progressif sur des activités transformées en secteurs, sur
des individus transformés en publics, et sur des espaces devenus territoires. Cela signifie que
l‘action tutorée de l‘État lui permet de participer à la transformation de la nature même de sa
domination, d‘une domination potentielle sur des espaces, des foules et des initiatives, à une
domination politique sur un peuple, des citoyens, des territoires administratifs et des secteurs.
Cette transformation vient poser sa présence dominante comme essentielle et naturelle, faisant
de lui non plus un acteur particulier qui revendique son rôle mais l‘acteur disposant légitimement
de la capacité à revendiquer le monopole de la norme.939

Il s’en dégage que la construction de l’identité locale de la volonté de réforme du secteur forestier et
l’acquisition de la légitimité endogène vont passer par ce que N. Fligstein & D. McAdam (2011) appellent la
création d’une identité collective (Collective Identity), c’-à-d d’une sorte d’écho ou de résonance locale à partir
desquels les problématiques environnementales vont pouvoir se poser dans un contexte spécifique en toute

939 Rozenn Nakanabo Diallo, 2013, op. cit.

454
légitimité et en toute cohérence de surface, dans une démarche que Pierre Lascoumes (1994)940 appelle
transcodage. Phil René Oyono (2005) mentionne ainsi que :
In 1994, Cameroon launched a restructuring of its forest management policy, trying to adjust it to
internal demands for democracy, justice, human well-being, and donors’ requirements of (good)
governance. The World Bank, for example, played a central role in the revision of the forestry
code in 1994 and in the restructuring of the overall forestry policy. Change in Cameroon’s
forestry policy has three major goals: to promote popular participation to forest management; to
promote sustainable management, and; to contribute to fight against poverty. The main
instrument set up to lead change in forest management orientations is the Forestry legislation of
1994941.

C’est ici que l’exploitation de l’approche d’analyse par le concept de Strategic Action Fields dans le traitement
des dynamiques d’appropriation des exigences environnementales et d’insertion optimale des communautés
locales dans les réformes forestières camerounaises peut s’avérer particulièrement intéressante. Pour
Fligstein & McAdam (2011) qui développent cette approche :
Actors who are both more and less powerful are constantly making adjustments to the
conditions in the field given their position and the actions of others. This leaves great latitude for
the possibility of piecemeal change in the positions that actors occupy. Even in “settled times,”
less powerful actors can learn how to take what the system will give them and improve their
positions in the field […] Skilled social actors recognize that in a newly emergent situation, the
possibilities for what will ultimately win are open. They have a few kinds of resources that they
can mobilize to push either their own or their group’s interests. Most important are already
existing systems of rules or resources (like money, social connections, or knowledge) that can
be mobilized to convince other groups that they should cooperate rather than compete. If these
are decisive enough, skilled actors can manage to set up a hierarchical field where they
dominate942.

En effet, le caractère international de la problématique environnementale et des enjeux forestiers ainsi que le
poids de plus en plus important des nouveaux acteurs que sont les OSC/ONG, les experts et les organismes
de recherche, constituent une condition réelle de mobilisation d’actions susceptibles sinon d’équilibrer les
rapports de forces classiques en relevant le statut politique des communautés villageoises, au moins
d’accroitre leurs capacités d’influence en augmentant les possibilités institutionnelles et directes de prise de
compte de leurs intérêts dans le système de gestion de l’économie forestière. De même, par ce qu’il appelle
“la socialisation des ONG”, Pierre Beaudet (2014) contribue également à l’explication des conditions et
modalités par lesquelles l’action concertée des organisations militantes et des acteurs locaux parvient à ancrer
un problème environnemental dans un contexte spécifique et à provoquer des transformations institutionnelles

940 Pierre Lascoumes, 1994, L’éco-pouvoir, éd. La Découverte, Paris.


941 Op. cit.
942 Neil Fligstein & Doug McAdam, 2011, “Toward a General Theory of Strategic Action Fields”, American Sociological Association, Washington DC.

455
collectives.943 C’est cette perspective qu’entrevoit Kouna Eloundou (2012) quand au sortir de sa thèse elle
énonce que « Nos perspectives pour une gouvernance efficace, au Cameroun en général et dans notre zone
d’étude en particulier, suggèrent que soit organisée une action collective autour d’un objectif partagé, relatif au
développement socioéconomique local et/ou la conservation de la biodiversité forestière, entre les différents
acteurs stratégiques pertinents (ASP). Cette action pourra être facilitée par les acteurs d’appui bénéficiant
d’une légitimité auprès des ASP »944.

Cependant, dans le sillage de l’articulation forcée du paradigme indigène au système d’exploitation capitaliste
des ressources forestières, il y a cette structure historique qui fait de l’État africain qu’il est confronté d’office à
ses contradictions institutionnelles en tant que collectivité politique, qu’il apparait comme une institution
essentiellement inopérante et fragile (Thierry Michalon, 1984). En guise de rappel : cette faiblesse structurelle
de l’État camerounais repose sur trois paramètres principaux :
- L’origine coloniale de l’État s’accompagne d’un jacobinisme et d’une fragmentation structurelle
(citoyenne, politique et économique) irréductible entre d’un côté les élites (scolarisées,
administratives et politiques) et les investisseurs industriels; et de l’autre, les communautés
villageoises et les populations pauvres.
- L’aliénation intellectuelle radicale du système d’éducation ou de production, de transmission et
d’exploitation des connaissances opératoires ainsi que l’incompétence technique des ressources
humaines locales dans le contrôle et la prise en charge de leur propre contexte existentiel (Michel
Babadjide, 2017945; Mubabinge Bilolo, 2011, 2007, 1986; José Do Nascimento, 2008; Oscar Pfouma,
1993; Thierry Michalon, 1984).
- La dépendance structurelle et systémique aux forces exogènes et aux dynamiques internationales. À
ce propos, l’appréciation que formule Gérard Conac (1984) s’avère particulièrement intéressante :
S’agissant des fonctionnaires africains, dit-il, nous pensons que leur formation, leur statut, leur
carrière, ne leur permettent pas, malgré la bonne volonté de beaucoup d’entre eux, d’être les
animateurs et les éducateurs capables d’aider les populations africaines à réaliser leurs
aspirations à la modernité. Beaucoup de programmes de développement échouent tant en
raison des méthodes inadaptées d’animation et d’encadrement administratif que des systèmes
de décision souvent trop autoritaires et unilatéraux. Le décalage entre les principes de la vie
administrative tels qu’ils sont formulés dans les doctrines européennes, et la pratique africaine
telle que les fonctionnaires la connaissent et la vivent, ne manque pas de déconcerter et de
troubler les populations africaines946.

943 Au-delà de la conférence que Pierre Baudet a donnée sur le thème “Enjeux et défis du développement international. L’aide au développement :
contraintes et perspectives” (Université d’automne 2014 de l’Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société, Université Laval, 30 et
31 octobre 2014), lire son livre intitulé L’altermondialisme : forums sociaux, résistances et nouvelle culture politique, Éd. Écosociété, Montréal,
2010.
944 Op.cit.
945 Dans cet édifiant document sonore (https://www.youtube.com/watch?v=AuJX9jm9LZs) de 6 minutes, Michel Babadjidé décline les contours

fondamentaux et les termes essentiels dans lesquels l’approche critique africaine formule le problème africain/la problématique de l’Afrique.
946 In Thierry Michalon, op. cit.

456
L’énonciation de Thierry Michalon (1984) est définitivement plus édifiante notamment quand il dit de :
Cet État africain qu’il est calqué sur le modèle du colonisateur européen, qu’il veut tout faire,
totalitaire et total, qui tient à tout diriger, à tout contrôler, à tout imposer d’en haut. Tout doit
passer par l’État. Tout doit converger vers lui. Toutes initiatives et actions doivent se faire avec
lui et sous son contrôle. L’organisation étatique devient rapidement dans ce contexte un appareil
au service exclusif d’une minorité, un appareil à l’égard duquel les populations rurales font
preuve de la plus grande méfiance. Elles ne le perçoivent pas comme étant l’émanation d’une
conscience nationale ni comme l’instrument d’un grand dessein politique. C’est ainsi que l’État
africain indépendant continue l’État colonial. Il reste séparé du peuple. Il y a divorce entre l’État
et la nation. L’État africain semble avoir émergé contre la volonté des peuples africains à
envisager leur propre projection dans l’histoire. Les populations africaines sont devenues
prisonnières de leur État, étrangers et exilés dans leur propre patrie947.

La conséquence naturelle de cette historicité par procuration que manifeste le déploiement de l’État africain et
de ce paradigme dominant –dont les propositions ne procèdent pas de la conscience endogène de l’évolution
historique propre à la collectivité politique camerounaise –est l’inopérabilité des technologies exogènes qui,
comme toutes les solutions vendues aux États faibles, pèchent par leur abstraction indigène et leur manque
d’ancrage dans le socle intellectuel local. Quatre moments importants dans l’analyse de Marie-Claude Smouts
(2001) permettent d’illustrer parfaitement la validité des implications dysfonctionnelles inhérentes à la non-
endogénéité. D’abord, quand la politologue française rappelle que :
La première solution proposée par les défenseurs de l’environnement pour conserver les forêts
tropicales est celle qui a été utilisée de longue date par les pays industrialisés pour la protection
de la vie sauvage et des paysages naturels d’importance exceptionnelle : l’instauration d’aires
protégées. D’énormes pressions ont été exercées sur les gouvernements des pays tropicaux
pour qu’ils créent de nouvelles zones de protection, parcs nationaux ou réserves biologiques, et
qu’ils étendent celles qui avaient été instaurées au temps de la colonisation. C’est ainsi qu’en
1992, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) proposait que chaque pays
mette au moins 10% de sa forêt en parc national ou autres systèmes d’aires protégées. En
1997, le Fonds mondial pour la nature (WWF) se déployait pendant la Session extraordinaire de
l’Assemblée générale de Rio+5 pour faire accepter cet objectif par les États rassemblés.
L’année suivante, il concluait un accord avec la Banque mondiale […] En outre, de l’avis
général, le financement international des activités forestières tel qu’il est pratiqué ne correspond
pas aux besoins réels du secteur forestier : orienté vers des projets plus que vers des
programmes, il n’est pas adapté au temps long qui est celui de la forêt tropicale; distribué à
travers une myriade de donateurs ayant chacun leurs critères de sélection et de mise en œuvre,
il entraîne autant de contraintes plaquées de l’extérieur pour les gouvernements bénéficiaires
qu’il n’incite à la définition d’une politique forestière d’ensemble948;

Puis quand elle mentionne pour illustrer les effets qui en découlent logiquement :

947 Op. cit.


948 Op. cit.

457
Une étude publiée en 1999 par l’UICN fît apparaître que dans dix pays forestiers importants,
moins d’un quart des zones déclarées officiellement protégées étaient convenablement gérées
et la plupart n’étaient pas gérées du tout. La plupart des aires protégées ont un statut de
protection faible, incertain, recouvrant des obligations mal définies. Les différentes catégories de
gestions recommandées par l’UICN sont rarement intégrées dans les lois nationales et,
lorsqu’elles le sont, les pays peinent à leur donner le contenu adéquat faute de moyens et
surtout faute de conviction. À moins qu’elles ne génèrent de confortables revenus touristiques,
les aires protégées sont généralement impopulaires au niveau local. Leur défense apparaît
rarement comme une priorité pour l’État, sauf quand il y trouve prétexte pour mettre au pas des
populations rebelles au nom de l’écologie planétaire […]949.

Un troisième moment dans le témoignage de Marie-Claude Smouts vient conforter –à plusieurs égards –
l’explication de l’inopérabilité de la dépendance intellectuelle exogène [dont Mubabinge Bilolo (2011) parle en
termes de “la soumission intellectuelle à laquelle les Africains sont contraints”950], notamment quand l’analyste
semble constater en toute fatalité qu’:
Une part de la déforestation est inévitable, il faut s’y résigner. Chacun l’admet dans son for
intérieur. Ce que personne n’admet, en revanche, c’est le gaspillage, la destruction de la forêt
tropicale de façon quasi irréversible, sans aucun bénéfice pour la collectivité et au mépris des
populations les plus pauvres. L’effort international porte donc sur la gestion rationnelle de la
ressource. Mais “rationnelle” selon quels critères? Selon des critères économiques, disent les
tenants de l’analyse coût-avantage, et de la mise à marché de toutes les fonctions de la forêt.
[Plus intéressant encore quand l’analyste relève que] Pour inciter les pays tropicaux à prendre
soin de leurs forêts, un des arguments les plus souvent avancés est qu’ils possèdent là un
capital national et local dont ils méconnaissent la valeur. En effet, Selon la théorie du “Rational
Choice”, si les décideurs prenaient en compte les coûts véritables des pratiques destructrices de
la forêt, ils mèneraient des politiques publiques plus rationnelles951.

C’est ici qu’il convient de rappeler que l’orientation stratégique pour l’optimisation économique du secteur
forestier qui soutend les Réformes portées au Cameroun au début des années 1990 par la Banque mondiale
s’inspire directement, ainsi que l’indique Marie-Claude Smouts (2001), de :
L’application de l’approche coût-avantage à l’environnement telle qu’elle émerge dans les
années 1980 sous la houlette de ce que l’on a appelé l’École de Londres, notamment avec
David Pearce, son initiateur, et ses collègues dont E.B. Barbier et A. Markandya. Cette
approche a immédiatement suscité un grand intérêt dans la mesure où elle semblait offrir les
moyens de concilier préservation de l’environnement et croissance économique au moment où
le monde découvrait l’ampleur de la déforestation sous les Tropiques. Quantités d’études se
sont attachées à affiner les concepts applicables à la forêt, en particulier les notions
d’avantages, d’usage et de valeur, et à débattre des méthodes d’évaluation.
Une de ces méthodes ayant prospéré est la “méthode d’évaluation contingente” qui ambitionne
de donner un prix à tous les biens et services liées à l’utilisation de l’espace forestier y compris
les utilités en principe exclues de l’échange marchand telles que le plaisir esthétique, la fonction

949 Ibid.
950 Lire l’édifiant livre de Mubabinge Bilolo (2011) cité plus haut.
951 Op. cit.

458
culturelle et symbolique, la forêt comme réservoir de biodiversité, etc. Elle consiste à établir une
sorte de marché fictif et à placer les populations interrogées dans une condition marchande
expérimentale en faisant des enquêtes par questionnaires où l’on demande aux individus
concernés s’ils consentiraient à payer pour bénéficier de tel avantage associé à l’espace
forestier ou bien à recevoir en compensation pour accepter tel coût associé à la modification de
tel espace.
En effet, selon une des hypothèses principales de l’économie du bien-être, les individus sont les
meilleurs juges et l’on peut évaluer les coûts et les avantages attachés à une utilisation de la
ressource en se fondant sur les préférences individuelles. La méthode est censée révéler ces
préférences et les traduire de façon monétaire952.

Il est fort probable que ce soit également à partir de cette approche qu’émergent les concepts d’écotourisme
ou de pourvoiries d’où s’opérationnalisent l’industrie et le commerce marchand des services
environnementaux divers liés aux paysages, à la diversité floristique et faunique, etc. Cependant, s’il se
dégage indiscutablement de cette approche qu’elle infléchit effectivement l’exploitation forestière classique, il
n’en demeure pas moins que sa logique qui reste toute entière capitaliste se préoccupe de pondérer
l’exploitation industrielle en lui suggérant des paramètres écologiques, mais dans une démarche biaisée par la
disqualification arbitraire de la complexité, du holisme et du paradigme écosystémique indigènes (Mbog
Bassong, 2013; Serge Bahuchet, 1994; Edgar Morin, 2011, 1999). Il en découle que si l’approche coûts-
avantages et la méthode d’évaluation contingente occasionnent effectivement une amélioration qualitative de
type écologique, elles n’offrent pas une alternative radicale réellement environnementale au paradigme
industriel et capitaliste dont Marie-Claude Smouts (2001) montre à travers le Plan d’action forestier tropical
(PAFT) en tant que mécanisme fondateur de la dynamique internationale des réformes [environnementales]
forestières –que lui-même :
avait été rédigé de façon à refléter tout ce qui se disait alors sur le rôle de la foresterie dans le
développement et la satisfaction des besoins humains. Il promettait beaucoup et notamment de
concilier à la fois la conservation, les besoins des populations en bois, la rentabilité économique
et les exigences d’une gestion “durable” […] Le PAFT avait tous les caractères d’une
problématique internationale légitime, à tout le moins du point de vue étatique, technique et
bureaucratique.
En réalité, malgré tout le discours dont ils étaient enrobés, au lieu d’innover en s’attaquant aux
racines de la déforestation, les Plans nationaux reproduisaient les pratiques en cours en les
renforçant et en les institutionnalisant. Loin de prendre en considération dans une vision
multisectorielle l’ensemble des éléments conduisant au déboisement dans un pays donné, ils se
limitaient à une approche des plus traditionnelles réduisant la forêt à une pure question de
foresterie. Comment s’en étonner? Les fonctionnaires et les experts qui en étaient chargés
étaient des forestiers. Ils mettaient en place ce qu’ils savaient faire et ce pour quoi ils avaient été
formés : des plans de mise en valeur des forêts tropicales orientés tout entier vers la production
et le développement industriel. À cette époque, la plupart des forestiers tropicaux était d’origine
européenne et s’étaient formés à la sylviculture et à l’économie forestière tropicales pendant la
colonisation. Ils étaient arrivés dans les circuits internationaux à un moment où le modèle

952 Op. cit.

459
dominant en économie du développement était celui du décollage (“Take off”) et de la
production à haut rendement, gage du passage des pays tropicaux à la modernité953.

Quoique long, le quatrième moment n’est pas moins primordial et fondamental en ce qu’il porte sur la
dimension représentation, théorie ou science comme matrice de définition et logiciel d’orientation et
d’opérationnalisation de son déploiement historique et donc de son rapport stratégique à la forêt. En effet, il
est particulièrement intéressant de noter dans la narration de Marie-Claude Smouts (2001) l’instabilité
intellectuelle ou idéologique ainsi que le caractère aléatoire et constamment changeant que connaît la science
[dominante ou opératoire] de la forêt et par conséquent de toutes les implications opérationnelles liées à
l’incidence anthropique. Il en est de la théorie de la déforestation par exemple ainsi que l’identification
subséquente de ses causes :
Pour les agences du système des Nations unies (FAO, OIBT), la majorité des États qui les
composent et les industriels du bois, l’expansion de l’agriculture de subsistance et les vastes
programmes de développement économique, sont les facteurs déterminants du déclin des
forêts, rançon inévitable du développement […] Cependant, récemment, le discours de la FAO a
très légèrement changé en plaçant la surexploitation du bois industriel sur le même plan que
l’exploitation du bois de feu, même si l’exploitation commerciale du bois vient toujours après la
mise en culture des terres forestières et la construction d’infrastructures sur une grande échelle.
Le discours officiel présente la récolte du bois industriel comme un facteur qui peut
éventuellement “aggraver” la “variation du couvert forestier” mais n’est pas la cause directe du
déboisement. À l’inverse, les organisations non gouvernementales qui s’étaient d’abord
mobilisées contre les grands projets routiers puis contre les politiques de transmigration et de
peuplement des forêts, concentrent depuis dix ans tous leurs feux sur l’exploitation industrielle
du bois. Pour elles, l’abattage à des fins commerciales est “la cause première de la dégradation
et de la perte des forêts naturelles qui existent encore” […]
Les défenseurs de l’environnement s’inquiètent également d’une approche qui amène à
conclure que, d’un strict point de vue de l’efficacité économique, il est rationnel de couper dans
la forêt naturelle à grande échelle. Le cas s’est en effet produit. En 1992, par exemple, une
étude coût-avantage sur l’exploitation du bois dans l’État de Parà (Amazonie brésilienne)
concluait que l’aménagement forestier durable n’était pas financièrement rentable pour les
entreprises, tandis que les pratiques ordinaires de coupe “non durable” étaient extrêmement
avantageuses. La même année, un rapport sur l’extraction du bois et l’agriculture sur brûlis en
Amazonie péruvienne concluait que la conversion de la forêt pour l’agriculture par essartage
était un choix rationnel : les paysans n’avaient aucun titre foncier leur permettant de penser à
l’avenir au-delà de deux ans, aucune autre utilisation de la terre ne leur permettait de survivre, ni
les fruits ni l’extraction du latex ne procuraient de revenus comparables à ceux qu’ils pouvaient
attendre de la coupe en une fois de tout le bois commercialisable suivi de la conversion du sol
en terre agricole.
Ce rapport était en contradiction totale avec une autre étude établie quelques années plus tôt,
selon les mêmes méthodes, dans la même région, estimant qu’une coupe sélective périodique,
combinée à une récolte soutenue de fruits et de latex, était l’option d’utilisation de la terre la plus
profitable. Cette étude sur la comparaison coût-avantage des différentes utilisations possibles

953 Op. cit.

460
du sol avait l’une des premières du genre, publiée dans une grande revue, Nature, elle était
l’une des plus citées, ce qui rendit la controverse d’autant plus piquante954.

Cependant, au-delà de cette surprenante instabilité de la science, la préoccupation qui se dégage de


l’opérationnalisation de notre démarche d’analyse par l’approche socio-historique et le concept de contraintes
structurelles (paradigmatiques, interscalaires et contextuelles) est triple et va interroger la collectivité politique
du Cameroun et s’intéresser non à la validité d’une définition ou d’une autre mais plutôt aux conditions
d’émergence et de construction de la collectivité politique camerounais ainsi qu’au statut de l’État du
Cameroun. En effet, au milieu de ces définitions aussi changeantes que contradictoires :
- À partir de quelles garanties et sur quelles bases la collectivité politique camerounaise peut-elle
savoir qui a tort ou qui a raison, autrement dit;
- En sa qualité d’État forestier, comment et dans quelle mesure le Cameroun a-t-il articulé la forêt à ses
enjeux existentiels?
- Quelles sont les orientations stratégiques qui traduiraient la prise en charge endogène camerounaise
de la forêt?

En guise d’illustration : c’est dans ce contexte historique ou structurel caractérisé du point de vue international
par la minorité géopolitique des États africains, la dépossession intellectuelle et la dépendance totale des
États faibles vis-à-vis des acteurs puissants et des dynamiques exogènes globales; et du point de vue interne
en tant que collectivité politique par les dysfonctionnements et contradictions irréductibles qui handicapent leur
réalité institutionnelle, que le Programme onusien de financement de la Réduction des émissions issues de la
déforestation et de la dégradation forestière, notamment par l’accroissement des capacités de séquestration
de carbone (REDD+) leur est aujourd’hui proposé. En revanche, ainsi qu’on le verra relativement à l’identité
théorique de notre thèse ainsi qu’à la validité heuristique de la démarche d’analyse que nous proposons, la
perspective fonctionnaliste dans laquelle Alain Karsenty (2016) présente le Programme des Nations Unies est
théoriquement incongrue tant elle est abstraite et semble ignorer toute la structure historique qui soutend le
statut, la condition et la situation des États auxquels le REDD+ est destiné. En effet pour l’économiste
français : « REDD+ as a “performance-based” payment scheme is particularly appealing for donors since it
relies on financial incentives but does not need any “conditionalities”: the governments are completely
sovereign in deciding on the means and policies they will implement for curbing deforestation »955.

954 Op. cit.


955 Op. cit.

461
Comme on le verra plus loin dans la définition du concept de contraintes structurelles interscalaires, le
mécanisme REDD+ procède en effet de la même dynamique paradigmatique universalisante globale que l’on
dirait également techno-industrielle environnementale de modernisation écologique du développement, dans
laquelle l’Afrique est “entrainée” (Symphorien Ongolo Assogoma & Laura Brimont, 2015). Le mécanisme
REDD+ est un modèle d’illustration des contraintes structurelles interscalaires teintées d’une forte résonnance
paradigmatique. Pour Antang Yamo (2015) :
REDD+ est un programme mondial pour le décaissement de fonds principalement destinés à
payer les gouvernements nationaux des pays en développement, afin de réduire les émissions
de carbone forestier. REDD+ nécessitera des institutions locales permanentes capables
d’intégrer les besoins locaux avec des objectifs nationaux et internationaux […] ONU/REDD
entend ainsi payer les communautés, à travers leurs gouvernements nationaux, pour qu’elles
conservent leurs forêts comme réserve de stockage de carbone. Le signe ‘+’ a été ajouté à la
REDD pour former la REDD+, dont le but est d’appeler à l’amélioration des services des
écosystèmes, la gestion des forêts, la conservation, la restauration des forêts et le reboisement
pour accroître la capacité de stockage du carbone956.

En fait, il s’agit non seulement d’absorber et de mitiger les effets critiques d’une civilisation industrielle qui
semble avoir atteint un rythme inarrêtable, mais également de protéger le potentiel écologique global de la
forêt de la pression critique des besoins économiques croissant des États et régions faibles :
Les forêts tropicales représentent un espoir important de réduction des émissions de CO2 et de
limitation des changements climatiques. À cet effet, les États signataires de la Convention des
Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ont mis en place un mécanisme
d’incitation pour la réduction des émissions de CO2 issues de la déforestation et de la
dégradation des forêts. Le principe du mécanisme REDD+ est de réaliser un transfert de
ressources financières des pays du Nord vers les pays du Sud qui engageraient des politiques
volontaristes de réduction de la déforestation. Si REDD+ s’adresse initialement aux États, ce
mécanisme aspire aussi à impliquer la société civile à travers, notamment, des mécanismes de
paiement pour services environnementaux dont le but est de rémunérer des acteurs privés et
locaux favorables à une mise en œuvre des mesures de réduction des émissions de CO 2 [Il faut
prêter attention au stratagème destiné non seulement à engager les gouvernements au
maximum mais également à ratisser le plus large possible pour activer toutes les contributions
potentielles] (Ongolo et Brimont, 2015).

Il en a été ainsi de l’influence du premier Sommet de Rio sur l’émergence de réformes environnementales
forestières en Afrique; il en est de l’influence de la CCNUCC et les batailles qu’elle a ouvertes sur les
orientations et les modalités de mise en œuvre du REDD+ : autant les États faibles ou périphériques attendent
d’être instruits par les dynamiques exogènes des acteurs forts; autant ils attendent de recevoir de l’extérieur
les modes, les ressources et les moyens de gestion stratégiques de leurs ressources. L’énonciation de Marie-

956 Op. cit.

462
Claude Smouts (2001) répond à ces questions fondamentales dans une tonalité particulièrement résolue. Pour
l’analyse :
La projection de la forêt tropicale au rang de bien mondial a eu comme premier effet de
permettre à n’importe qui de dire n’importe quoi. Pressés d’agit pour “sauver la planète”,
individus médiatiques, associations privées et institutions internationales ont appliqué à cet
enjeu radicalement nouveau les scénarios qu’ils connaissaient déjà, tout en sélectionnant parmi
les questions à résoudre celles qui correspondaient le mieux à leur centre d’intérêt et à ce qu’ils
pensaient savoir-faire. En très peu de temps, les gouvernements des pays tropicaux se sont
ainsi vu proposer, sinon imposer, quantités de mesures hétéroclites par des prescripteurs
différents qui n’étaient déjà pas d’accord entre eux et se querellaient avec toute la morgue des
hérauts de l’humanité. Les populations se trouvaient prises en otage et allaient continuer à
payer le prix, cette fois-ci, de batailles de paradigmes où elles ne pouvaient intervenir […]
Les conséquences de cette opposition conflictuelle de paradigmes et d’acteurs puissants sur un
terrain séculairement investi par des communautés indigènes vont bien au-delà des querelles
intellectuelles et techniques : elles pèsent sur le mode de vie des populations riveraines, la
valorisation de la ressource, la nature des projets de conservation et… la viabilité des projets
[…]
En outre, en cristallisant l’exploitation soutenable des ressources forestières autour de la
certification, le conflit sur la gestion durable aujourd’hui se montre pour ce qu’il est : un conflit
d’intérêt à l’état pur dont l’enjeu premier n’est pas la conservation de la forêt mais plutôt l’argent
et le pouvoir sur les esprits957.

Ainsi, les enjeux divers que mobilise la forêt appellent-ils nécessairement une appropriation endogène, une
problématisation propre et donc une démarche d’analyse appropriée, tant du point de vue culturel, intellectuel
et historique, que du point de vue écologique, sylvicole et de la biodiversité. Quoiqu’empreint d’approximations
et de partis pris idéologiques qui en altèrent souvent l’authenticité, tel est le sens de l’analyse que Marie-
Claude Smouts (2001) développe ici quant à la nécessité de disposer des ressources permettant de déployer
une connaissance authentique solide et par conséquent une vision et un rapport appropriés de son territoire et
de ses ressources :
Pourtant, relève Smouts, la forêt tropicale humide ne s’accommode pas de généralités, aucune
interprétation n’a de valeur universelle. La déforestation [que l’on pourrait substituer, du point de
vue épistémologique, à l’ensemble de la problématique à l’étude ici] est la somme d’histoires
singulières vécues et relatées par des acteurs multiples dont il convient d’écouter la voie sans
hiérarchie préconçue. Tous ne pèsent pas du même poids dans l’espace public international
mais, sur le terrain, tous participent au devenir de la forêt pour le meilleur et pour le pire […]
Pour les forêts tropicales, il y aura toujours une espèce de singe, d’oiseau ou de papillon
susceptible d’être dérangée par le simple fait de couper des arbres et de modifier les habitats, et
par conséquent toujours la possibilité qu’une association de défense de l’environnement parte
en guerre contre l’exploitant au nom de la biodiversité […]
Toute cette effervescence n’a eu jusqu’à présent que peu d’effet sur le rythme de déboisement
et sur les moyens d’y remédier […] Les notions même de forêts, boisement, reboisement,
déboisement ont un contenu différent selon les interlocuteurs. On cherche en vain la fameuse
“communauté épistémique” dont certains internationalistes américains ont montré l’importance

957 Op. cit.

463
dans le processus d’apprentissage et de changement. Tant sur les données de la déforestation,
ses causes et son étendue, que sur les moyens d’en diminuer le rythme, les informations sont
incomplètes et les diagnostics varient. Les experts y gagnent. Les forums se succèdent. Les
rapports s’accumulent. La forêt tropicale continue de se dégrader.
La vérité est qu’il est impossible de déterminer à l’avance et pour tous les espaces forestiers ce
que sera la “durabilité” et de quelle façon elle sera assurée. Cela varie en fonction de l’état du
milieu physique, du type de structure de la forêt, de la densité du couvert, de la composition des
espèces. La gestion durable n’est pas seulement une question de sylviculture. Parce que la
forêt est porteuse d’un ensemble de valeurs composites, économiques, spirituelles,
environnementales, chaque société, chaque partie prenante dans cette société, est amenée à
privilégier à un moment telle ou telle autre de ces valeurs pour déterminer la façon dont la
ressource forestière doit être utilisée958.

Dans une formulation différente plus explicite, nous dirions que dans le cadre de l’explication que nous
proposons [aux dysfonctionnements irréductibles qui interviennent dans la mise en œuvre du Régime des
forêts de 1994 et dont la marginalisation des communautés villageoises dans la gouvernance forestière
représente l’une des modalités majeures], la préoccupation heuristique centrale porte ici sur l’[in]existence
d’une théorie proprement “camerounaise” de la forêt et par ricochet sur l’évaluation que le Cameroun en tant
que collectivité politique [supposée indépendante et souveraine, c’est-à-dire entièrement consciente et
responsable de son historicité] fait de l’incidence anthropique potentielle ou avérée sur cette entité essentielle
de son être/identité qu’est l’espace forestier. Autrement dit, quelle théorie [en tant que système de
connaissances fondamentales intellectuelles et scientifiques construites soi-même à partir de son expérience
historique propre] le Cameroun a-t-il élaboré sur la forêt pour en avoir la maîtrise holistique et cohérente
(autonome, souveraine, endogène) de son existence collective? Sinon, quelles garanties propres et autres
éléments intellectuels d’assurance se serait-il donné pour rester totalement au contrôle de sa forêt et des
enjeux y afférents (déforestation, déboisement, séquestration du carbone, régulation climatique, etc.), étant
entendu que l’on ne saurait rigoureusement envisager un rapport concret ou opérationnel à la forêt qui ne soit
fonction de la théorie (représentation, conception) que l’on en a? En effet, comme on le verra tout au long de
la thèse, la toute première incompétence structurelle est inhérente à l’incapacité à définir une vision
stratégique claire de la forêt et des ressources forestières à partir de l’expérience endogène et des
préoccupations propres. Cette faiblesse structurelle –sur laquelle vont se développer toutes les autres
faiblesses ou incompétences structurelles (institutionnelles, politiques, techniques, logistiques, etc.) est
intellectuelle et se développe à partir des conditions historiques d’implantation de la modernité, des conditions
d’émergence et de construction de la collectivité politique. En effet, elle pose très tôt le problème de
l’intellectualité [la pensée ou la science] opératoire et par conséquent du système éducatif, du contenu des
formations ainsi que de la valeur endogène et de la pertinence sociale des curricula et donc des diplômes.

958 Op. cit.

464
L’émergence de contradictions structurelles dans la mise en œuvre des Réformes présentées au Cameroun
au début des années 1990 par la Banque mondiale et l’environnementalisme globalisant atteste l’inopérabilité
des exigences exogènes et indique clairement que la réponse à ces questions [rhétoriques et indicatives] est
négative. C’est cette intuition majeure qu’énonce ainsi Louis Althusser : « Tout le monde sait que sans théorie
scientifique correspondante, il ne peut exister de pratique scientifique, c’est-à-dire de pratique produisant des
connaissances scientifiques nouvelles. Toute science repose donc sur sa théorie propre […] Toute vraie
science doit fonder son propre commencement »959.

Marie-Claude Smouts (2001) opérationnalise cette énonciation radicale du théoricien français à la


problématique de la gouvernance internationale des forêts tropicales en relevant que :
Les théories et les méthodes visant à faire entrer les préoccupations écologiques dans les
processus de décision ont été élaborées dans les pays industrialisés en référence à des
problèmes se posant chez eux.
La notion de “consentement à payer”, qui est au cœur de la méthode d’évaluation contingente
aujourd’hui proposée pour l’évaluation des forêts tropicales, a été construite pour s’appliquer à
des nuisances telles que le bruit des aéroports, l’odeur des moteurs diesel, les pollutions
chimiques, les dommages causés par les marées noires… assez peu fréquentes dans les forêts
denses humides. Il est significatif que, dans les études et manuels sur les techniques
d’évaluation économique des terres forestières tropicales, on se réfère toujours au rapport sur le
protocole d’application de la méthode d’évaluation contingente qui avait été établi à l’époque, à
la demande du “National Oceanic and Atmospheric Administration” américaine (NOAA), après le
naufrage de l’Exxon Valdez […]
Conçu et utilisé pour les forêts tempérées, tout cet appareil de recherche a été transposé aux
forêts tropicales […]
Ces études qui évaluent les forêts en dollars posent un certain nombre de problèmes. Sur le
plan méthodologique tout d’abord, les données sont loin d’être fiables et le choix des fonctions
évaluées, loin d’être neutre. Les évaluations s’attachent à donner un prix aux biens et services
qui sont objets d’échange marchand et sont les plus faciles à mesurer, c’est-à-dire aux valeurs
d’usage direct au premier rang se trouve l’exploitation du bois et l’extraction des produits
forestiers non ligneux. Même là, les chiffres disponibles sont rares, les quantités produites sont
mal connues tant en raison des faiblesses, voire de l’inexistence, de l’appareil statistique dans
les régions évaluées, que de la fraude largement répandue. La valeur des biens et des services
forestiers réellement mis en marché est difficile à établir, à plus forte raison lorsqu’il s’agit de
faire des projections pour donner un prix à ces biens dans le futur.
Quant aux valeurs d’option et d’existence, elles ne sont généralement pas prises en compte :
trop difficiles à évaluer, exigeant des enquêtes longues et coûteuses qui, de toute façon, sont
totalement inadaptées quand les populations locales pratiquent une économie non marchande
où le don est la forme d’échange privilégiée. Ce qui est évalué reflète plutôt les préférences
implicites et les options méthodologiques de l’évaluateur : un étranger qui plaque ses propres

959 Louis Althusser, 1966, Avertissement au Capital. Livre I, éd. Garnier/Flammarion, Paris.

465
codes culturels sur les individus [Non, il ne s’agit pas d’“individus”, mais d’authentiques
communautés/peuples ayant une histoire culturelle propre, séculairement établie!] dont il
prétend révéler les préférences sur la base de réponses à un questionnaire.
Sur le plan théorique, ensuite : imaginer que le prix fixé pour une fonction donnée révèle les
préférences des acteurs en présence est une illusion. Pense-t-on pouvoir traduire en termes
marchands et individuels les conflits de perception [les représentations], les oppositions d’intérêt
et les compromis éventuels entre des groupes que tout sépare [Oui, mais caricatural et très
réductionniste. Et donc théoriquement peu probant].
Sur le plan politique, enfin, le critère de l’efficacité économique comme seul critère de rationalité
est une démarche purement idéologique. En effet, en faisant de la valeur monétaire des biens et
des services de la forêt la valeur fondamentale, cette approche conduit à rejeter dans la sphère
privée tout le débat politique entre les usagers et à opter pour la loi de la jungle, aux antipodes
de la responsabilité politique qui est, précisément, d’arbitrer entre des intérêts privés, au nom du
bien collectif960.

À l’incertitude inhérente à l’exogénéité telle qu’elle se détermine à travers la conflictualité internationale des
représentations et les divergences des intérêts sur la forêt, il convient d’articuler toujours la violence du rapport
de l’histoire à l’Afrique sur la longue durée, la procession et l’identité coloniales de l’État du Cameroun, la
dépendance intellectuelle systémique de la collectivité politique camerounaise à l’égard des acteurs
internationaux et des dynamiques globales, toutes choses qui forment une cohérence structurelle qui semble
remettre fondamentalement en question la capacité de l’exploitation industrielle de la forêt [comme participant
du paradigme de la modernité capitaliste] à se déployer en toute cohérence et en toute durabilité dans le
contexte spécifique du Cameroun. Il en découle que le rapport stratégique national, local ou communautaire à
la forêt ne saurait dépendre de la science que les forestiers, les industriels ou les écologistes construisent de
la forêt, eu égard à la différence des représentations et des intérêts en présence et par conséquent aux
divergences fondamentales d’ordres méthodologiques et opérationnels qui en découlent quant aux enjeux
mobilisés par la forêt en tant que bassin de ressources diverses. Car l’un des risques inhérents à l’absence
d’une science propre [de la forêt] serait, dans cette géopolitique aussi asymétrique que touffue et instable de
la science opératoire, de voir les États et les acteurs faibles, sinon pris en otage par les États et les acteurs
forts, du moins être “entrainés” (Oscar Pfouma, 1993)961 –comme c’est le cas dans le contexte actuel –dans
une démarche endogènement incohérente aux conséquences dysfonctionnelles et contradictoires (S. Ongolo
& L. Brimont, 2015)962. Et Marie-Claude Smouts (2001) d’en sentencieusement que :
Les rapports entre une société et son environnement naturel reposent sur des équilibres trop
subtils pour être imposées de l’extérieur selon des schémas préfabriqués. Quantité de
médiateurs, experts, ONG, fonctionnaires, prétendent faire le lien entre la forêt et le monde,
entre les réalités locales et la scène internationale. Certains le font et le font bien, au prix d’une
présence continue sur le terrain pendant de longues années, la mobilisation de compétences
étendues, en épousant le temps social qui conduit au compromis durable. Or, combien de

960 Op. cit.


961 Oscar Pfouma, 1993, Histoire culturelle de l’Afrique noire, éd. Publisud, Paris.
962 Op. cit.

466
projets internationaux sont conçus et financés pour une durée excédant quatre ans? Combien
d’hommes et de femmes sont disposés à passer de longs mois au cœur de la forêt humides
partageant la vie des habitants? Pas plus que les fonctionnaires internationaux, les apparatchiks
des grandes ONG n’en sont capables. Ce décalage entre la sphère de décision internationale
où se construisent les normes dites universelles et les micro-décisions prises sur le terrain par
des populations dont la survie dépend du milieu environnant est insurmontable963.

Dans cette perspective intellectuelle endogène qui renvoie à la nécessité de construire sa propre science
(Michel Babadjide, 2017)964 et à sa propre conception de la forêt, c’est-à-dire plus généralement à l’élaboration
des conditions de maîtrise de soi en tant qu’entité collective propre et spécifique, comme condition stable de
contrôle sinon de son rapport aux ressources dont on dispose, du moins de leur exploitation optimale, on peut
supposer, à l’aune du paradigme complexe et écosystémique africain (Doti Bruno Sanou, 2014; Mbog
Bassong, 2013; Claude Villeneuve et al, 2013; Esoh Elame et al, 2012; Mubabinge Bilolo, 2007; Sévérin
Cécile Abéga, 2001, 2000; Akwah George Neba, 1998; Guéhi Jonas Ibo, 1994) que le rapport indigène aux
ressources forestières n’est ni essentiellement commandé par la dimension économique, ni défini par la
préoccupation de productivité des richesses, du gain et du profit; que la dimension économique se définit dans
son ouverture aux autres dimensions de la vie, dans son interpénétration avec les dimensions religieuses,
morales, écologiques, culturelles, sociales, politiques. Exactement dans la logique de l’indication par laquelle
Anna Mancini (2002) relève qu’ « En Égypte, comme dans les tribus étudiées par Marcel Mauss ou par
Bronislaw Malinowski, tout est lié : il n’y a pas d’échange purement économique; l’échange y est beaucoup
plus vaste, et on ne distingue pas entre économie, religion, etc., tout est englobé dans l’échange »965.

Dans une restitution de l’analyse au cadre théorique général de la valeur, notamment telle qu’elle se dégage
de l’épreuve du paradigme de la modernité capitaliste, Mbog Bassong (2013) invoque à nouveau René Passet
dont l’évaluation globale de l’Être –dont il considère la triple dimension humaine, sociale et écologique –est
sans appel. Le théoricien relève qu’ :
(1) Au plan individuel. La croissance de l’avoir n’est plus création mais destruction de l’être. (2)
Au plan social. Au terme d’une évolution dont nous nous sommes efforcés de dégager le
cheminement, le moyen a pris figure de fin; ce qui dissocie devient alors plus fort que ce qui
rassemblait : là où l’adhésion à des valeurs communes permettait de surmonter les oppositions
et de maitriser l’usage des choses, la compétition pour la possession et le contrôle des moyens
place les hommes dans une situation d’antagonisme radical; les vieilles solidarités s’estompent
et rien ne peut les remplacer qu’une sorte de loi de la jungle à peine camouflée par le cynisme
d’affirmations morales et dont chacun sent bien qu’elle sert plus à canaliser les aspirations des
faibles qu’à réfréner les appétits des puissants. (3) Au plan de la biosphère enfin. La régression
des pénuries concernant les produits s’accompagne de l’épuisement des ressources dont ils

963 Op. cit.


964 Dans cet édifiant document sonore (https://www.youtube.com/watch?v=AuJX9jm9LZs) de 6 minutes, Michel Babadjidé décline les contours
fondamentaux et les termes essentiels dans lesquels l’approche critique africaine formule le problème africain/la problématique de l’Afrique.
965 Anna Mancini, 2002, La sagesse de l’ancienne Égypte pour l’Internet, éd. L’Harmattan, Paris.

467
proviennent et du blocage des mécanismes régulateurs dont la disparition menace dans sa
production le milieu qui constitue le support de toute sa vie 966.

966 Op. cit.

468
21.5. Quelques énoncés épistémologiques et méthodologico-théoriques de synthèse
Au moment de conclure cette thèse, il est important de rappeler qu’elle s’est déployée à partir d’une
préoccupation essentiellement théorique enracinée dans la tradition de la sociologie critique dont Jean De
Munck (2011) rappelle que :
La spécificité doit être cherchée à un niveau plus formel. Une sociologie est critique lorsqu’elle
cherche consciemment et explicitement à se situer à la jonction des trois dimensions
constitutives de la sociologie. C’est du reste la définition que Max Horkheimer donnait lui-même
de la théorie critique qui devait être –disait-il –explicative, normative et pratique, comme
l’indique également James Bohmann (1996), dans une approche qui intègre les trois tâches
dans une pratique scientifique cohérente. Telle est la visée de la sociologie critique.
Celle-ci est donc faite d’un alliage conceptuel très exigeant. Deux axes épistémologiques
doivent être déployés. D’abord, un programme de sociologie critique doit chercher à articuler
explication d’une part, normativité de l’autre. Un tel souci appelle plus que des simples
précautions épistémologiques. C’est le noyau dur du programme qui est concerné. Il faut
compléter la base cognitive de la théorie par une base normative ; et il convient d’élaborer un
langage scientifique “évaluatif”, explicité et assumé comme tel. En second lieu, un programme
de sociologie critique pose la question de l’intervention efficace du sociologue dans le réel et
donc celle de sa coordination avec les acteurs sociaux. Cela suppose une théorie de la
communication sociologique. Et cela entraine une conséquence : la sociologie critique ne peut
faire l’économie d’une théorie de la démocratie et de ses conditions actuelles de réalisation967.

Mais que signifie “préoccupation essentiellement théorique”? Pour répondre à cette question centrale, nous
avons pensé entre autres à Thomas Bierschenk (2007), notamment lorsque tentant de dissoudre la fracture
établie entre la recherche anthropologique théorique et l’activité de l’anthropologie appliquée, il rappelle que :
La conviction que l’anthropologie avait un rôle public à jouer, qu’elle pouvait être amenée à
s’impliquer dans des questions d’intérêt pratique, a marqué l’anthropologie américaine en tant
que telle, et elle était partagée par des figures tutélaires, Mead, Benedict ou encore Herskovits,
qui s’étaient activement engagées dans l’effort de guerre et dans la création d’un nouvel ordre
mondial après 1945. Les anthropologues américains partageaient l’optimisme humaniste-libéral
et le populisme égalitaire qui avaient marqué les sciences sociales américaines depuis leurs
origines au 19ème siècle et étaient liés à un élan moral visant à améliorer le monde (Anderson,
2003). Dans ce sens, le New Deal, avec son intérêt pour l’ingénierie sociale, apparaît comme
l’actualisation d’idées plus anciennes, et la Seconde Guerre Mondiale a ranimé ces convictions.
Pour beaucoup de ses praticiens, l’anthropologie constituait une forme de “service public”
(Lantis, 1945, cité par Bennett, 1996) défini comme une combinaison de professionnalisme et
d’ingénierie sociale.
Dans les années 1950, ces convictions humanistes et ces traditions méthodologiques de
l’anthropologie appliquée se sont cristallisées sur un mode radical dans l’œuvre de Sol Tax,
figure rebelle de l’anthropologie américaine, dont le travail, qui cherchait à combler le fossé
entre savoirs et pratiques du développement, mérite une attention bien plus soutenue (et
éventuellement critique) que celle que lui ont accordée les anthropologues contemporains. Dans
la terminologie de Jean-Pierre Olivier de Sardan (2004), on pourrait décrire Sol Tax comme un
précurseur dans la quête du “chaînon manquant” entre recherche et action. Sol Tax dont les
origines biographiques s’ancrent dans le populisme du Middle West, et qui pendant ses études

967 Jean De Munck, 2011, op. cit.

469
avait travaillé avec Ruth Benedict sur son étude des Mescaleros Apaches et Robert Redfield au
Mexique, a très tôt élaboré une distinction entre science “pure” et science “thérapeutique”, cette
dernière touchant à la production de savoirs sur les problèmes de la vie réelle et les fondements
du quotidien comme pré-condition à une pratique progressiste (Bennett, 1996). L’idée centrale
de Tax était celle d’une identité entre travail de terrain et développement communautaire. La
tâche du travailleur de terrain est de faire prendre conscience par le biais de la recherche et
d’une meilleure communication de ce qu’on pourrait appeler en langage actuel les notions
populaires du développement, du bien-être social et de la bonne vie, et d’aider ces dernières à
atteindre ces objectifs968.

De même, dans le témoignage qu’ils délivrent à la mort de Lucien Sebag, l’anthropologue français qui se
donna de conjuguer marxisme et structuralisme, Jean-Paul & Marie-Claire Boons (1965) observent que :
De formation marxiste, Sebag ne pouvait envisager ce projet en dehors d’une action politique
qui lui donnerait son plein sens. L’écart, pourtant, qu’il découvrit peu à peu entre l’action réelle et
l’action souhaitée l’amena à douter de l’opportunité de son militantisme. Il fallait comprendre cet
écart, donc repenser la société avant de travailler à la transformer. Le structuralisme, dans la
mesure où il rejoignait le courant général de la science, apparut à Sebag comme la seule
alternative à la pensée marxiste; la psychanalyse et l’ethnologie fournirent des objets privilégiés
à sa réflexion […] C’est alors qu’il découvrit la psychanalyse, telle qu’était pensée à l’époque par
Jacques Lacan.
C’était passer d’une histoire de la société, commandée par une infrastructure essentiellement
économique, à l’histoire individuelle, régie par une autre infrastructure : celle de l’inconscient.
Mais un rapport s’inversait : le sujet producteur de sens devenait un sujet d’abord pris dans le
sens […] Cette rationalité secrète n’était pas à dévoiler seulement dans les rapports d’un
individu à sa famille et à sa société, mais dans le dessein des cultures entières : tel était le
programme proposé par l’œuvre de Claude Lévi-Strauss, qui ouvrait à Sebag un champ autant
qu’une méthode, où les antinomies conscient-inconscient, individuel-collectif, superstructure-
infrastructure, perdaient de leur pertinence au profit d’une cohérence logique qui unifiait tous les
niveaux de la recherche. Cependant, un nouvel écart surgissait, dans la distance, problématique
pour les sciences de l’homme, entre l’observateur et l’objet de la recherche, sur lequel il refuse
d’agir. Il ne s’agissait plus maintenant pour Sebag que de comprendre969.

“Théorique” signifierait-il alors que la préoccupation de notre thèse s’abstrayait radicalement de toute emprise
sur les urgences opérationnelles fonctionnalistes, ou qu’elle n’était pas liée à quelque préoccupation pratique
ou de réalité? La réponse à cette interrogation est résolument négative (Gilles Gagné, 1992).970 En effet, en
faisant très tôt de la pertinence de l’implication personnelle un paramètre méthodologico-théorique
déterminant de notre démarche d’analyse, nous assumons en toute cohérence de transgresser ce que Jean
De Munck (2011) appelle “l’interdit [positiviste et aseptique] de Hume”, étant donné qu’:
L’engagement normatif du chercheur n’est nullement contradictoire avec une objectivité
descriptive et explicative. Comme y a insisté le pragmatisme contemporain, il n’est

968 Op. cit.


969 In Lucien Sebag, 1964, Marxisme et structuralisme, éd. Payot, Paris. Le texte de Jean-Paul Boons et Marie-Claire Boons a également été publié
sous le titre, “Lucien Sebag”, dans la revue Les Temps Modernes, n°226, mars 1965.
970 Lire utilement Gilles Gagné, 1992, “La théorie a-t-elle un avenir?”, in La revue du Mauss, 1er et 2ème trimestres 19992, n˚ 15/16, pages 43-57.

470
contradictoire qu’avec une version fausse de l’objectivité, une version pré-critique, celle qui
confond réalité scientifique et réalité absolue […]
On sait grâce aux instruments formels contemporains (élaborés notamment par Jaakko
Hintikka) que le franchissement de la frontière humienne peut être logiquement justifié si on se
réfère à la logique des mondes possibles (Gardies, 1987). Sous cet angle, il apparaît que le
monde réel n’est qu’un monde possible parmi d’autres ; il ne prend sa pleine signification qu’en
considération des autres mondes possibles qui ont été exclus. Quant aux mondes souhaitables
ou obligatoires, ils ne prennent également sens que comme un (des) sous-ensemble(s) de tous
les mondes possibles. Avec la notion modale de possibilité, une transition peut être logiquement
construite entre les deux “royaumes” apparemment infranchissables de l’être et du devoir-être.
Thedor W. Adorno insistait sur la nécessité, pour le sociologue, de se débarrasser du
“fétichisme du fait”. Une sociologie critique a pour univers de référence non des faits, mais des
mondes possibles dont le réel ne constitue qu’un segment.
La sociologie critique soutient donc qu’une science qui se prétend réflexive ne peut faire
l’impasse sur les jugements de valeur sécrétés par son explication du monde. Sans doute faut-il
ajouter qu’une chose est de dire qu’un cadre conceptuel d’explication sécrète du devoir-être,
autre chose est de dire que les valeurs ainsi secrétées sont validées en tant que valeurs. En fait,
les jugements de valeur relèvent d’une justification complémentaire à celle qui préside à la
construction du cadre conceptuel explicatif. Une sociologie qui accepte ce raisonnement
herméneutique (et pragmatique) rentre dans une démarche dont les conditions ne doivent pas
être sous-estimées. La première condition est le refus du relativisme intégral en matière de
jugements de valeurs. Le relativisme moral est très en vogue aujourd’hui, puisqu’il s’accorde si
bien avec le libéralisme qui s’impose comme doxa dans le monde capitaliste. Mais on peut
n’être pas relativiste tout en restant très libéral. Affirmer qu’il est possible de justifier certaines
positions éthiques, ce n’est pas nécessairement défendre un dogmatisme moral. C’est
seulement poser que toutes les valeurs ne sont pas simplement des préférences subjectives ou
des données contextuelles. Il se peut que certaines d’entre elles le soient, mais d’autres ne le
sont pas car elles peuvent passer un test de plausibilité rationnelle à l’instar des énoncés
scientifiques constatifs. La sociologie critique est impossible sans une telle affirmation
minimale (Jean De Munck, 2011)971.

Car en optant de développer une explication en profondeur de la marginalisation chronique des communautés
villageoises dans l’économie forestière au Cameroun, qui ne se limite pas aux aspects logistiques pour
identifier les dimensions souterraines permanentes qui justifient la dysfonctionnalité du Régime des forêts issu
des Réformes forestières portées par la Banque mondiale au début des années 1990; et en optant à cet égard
pour une approche sociohistorique ainsi que pour une analyse par le concept de contraintes structurelles qui
s’appuient sur l’histoire et la philosophie de l’histoire (W.J. van der Dussen, 1991; Ronald F. Atkinson, 1978;
Günther Anders, 1956; Raymond Aron, 1948)972, il s’agissait, comme pour la démarche qui a conduit René
Thom (1990, 1983, 1972) à la formulation de “la théorie des catastrophes”, de mettre en évidence « […]

971Op. cit.
972- W.J. van der Dussen, 1991, Objectivity, Method, and Point of view: Essays in the Philosophy of History, éd. Brill Academic Publishers,
Leiden/New York.
- Ronald F. Atkinson, 1978, Knowledge and Explanation in History. An introduction to the Philosophy of History, éd. Cornell University Press,
Ithaca-New York.
- Günther Anders, 2002 (1956), L’Obsolescence de l’homme. Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, éds de l’Encyclopédie
des nuisances et Ivréa, Paris.
- Raymond Aron, 1981 [1948], Introduction à la philosophie de l’histoire. Essai sur les limites de l’objectivité historique [complétée par des
textes récents], éd. Gallimard, Paris.

471
l’existence d’une coproduction simultanée et réciproque d’interactions antagonistes en vue de l’organisation.
Cette méthode laisse entrevoir la possibilité d’une théorie générale abstraite, de nature à favoriser une saisie
cohérente de la forme. Comme le dit Thom lui-même, il s’agit d’une théorie herméneutique qui s’efforce, face à
n’importe quelle donnée expérimentale, de construire l’objet mathématique le plus simple qui puisse
l’engendrer »973.

C’est ainsi que notre thèse retrouve parfaitement aussi la conception que Giovanni Busino formulait du rapport
de la science sociologique à la praxis. Pour François Chazel (2011) qui lui rend hommage :
L’approche de Giovanni Busino porte une double dénonciation, celle de “l’obsession du présent”
d’une part, et celle d’une (supposée) scientificité qui serait uniquement fondée sur le
perfectionnement des outils techniques, de l’autre. En systématisant l’argument et en le
reformulant dans un langage qui est le nôtre, on se risquera à avancer la proposition suivante :
ce que Busino refuse de toutes ses forces, c’est l’enfermement dans un type de sociologie que
l’on appellera “caméraliste”, ce qui en ferait une science auxiliaire, au service des intérêts
immédiats et à court terme de la demande sociale.
Serait ainsi sacrifiée l’ambition d’une sociologie théorique ou, pour employer une expression qui
serait plus en phase avec la sensibilité propre de Busino, d’une sociologie de culture. Et à cette
première proposition pourrait être adjointe une seconde : le rejet de l’idée, si ce n’est de
l’illusion, que la connaissance sociologique puisse servir à définir des impératifs pratiques en
matière d’action politique et sociale. Pour paraphraser Pareto, la “vérité” obtenue par cette
connaissance doit être strictement distinguée de son utilité sociale. Cela ne signifie pas qu’elle
ne puisse pas en avoir : elle est susceptible, le cas échéant, de nous aider dans le choix des
moyens appropriés, même si elle est impuissante à nous imposer un choix déterminé des
fins974.

Cependant, c’est l’énonciation de Raymond Aron (1948) qui éclaire idéalement l’enjeu fondamental de la
médiation méthodologico-théorique que notre thèse s’est donnée d’introduire dans l’analyse des contradictions
irréductibles que le système de gestion de l’économie forestière au Cameroun a constamment manifestées
jusqu’ici, notamment quand le théoricien indique que :
L’histoire est pour l’homme non pas quelque chose d’extérieur, mais l’essence de son être.
L’homme n’est pas seulement dans l’histoire : il porte en lui l’histoire qu’il explore. Je me
découvre, moi parmi les autres et dans l’esprit objectif, je reconnais l’histoire-objet comme le lieu
de mon action, l’histoire spirituelle comme le contenu de ma conscience, l’histoire totale comme
ma propre nature. Je me confonds avec mon devenir comme l’humanité avec son histoire. [Dès

973 René Thom, 1972, Stabilité structurelle et morphogenèse. Essai d'une théorie générale des modèles, éd. W.A. Benjamin, Reading M., New
York.
Au besoin, lire également :
- René Thom, 1990, Apologie du logos, éd. Hachette, Paris; 1983, Paraboles et catastrophes. Entretiens sur les mathématiques, la science et la
philosophie, éd. Flammarion, Paris.
- Clément Morier, 2011, Théorie des catastrophes et science politique. Éclairage de la théorie du politique chez Jean Baechler par les
morphologies de René Thom : vers un structuralisme dynamique, Éditions universitaires européennes.
L’extrait cité ici est l’interprétation qu’en fait Mbog Bassong dans La théorie économique africaine. L’alternative à la crise du capitalisme mondial,
éd. Kiyikaat, Montréal, 2013.
974 François Chazel, 2011, “En hommage à Giovanni Busino, ardent défenseur d’une sociologie ouverte”, in Revue européenne des sciences

sociales, 49-1.

472
lors,] La théorie du savoir entraine une théorie de la réalité : le sujet aperçoit son historicité et ne
renonce pas à l’effort pour la surmonter975.

En montrant comment le rapport de la collectivité politique du Cameroun à sa forêt et aux ressources


forestières est profondément biaisé par diverses contradictions historiques et structurelles opératoires à
diverses échelles, il s’agit de renforcer la base scientifique et théorique d’une [ré]orientation intellectuelle
profonde de l’organisation collective en Afrique; il s’agit également de nourrir les conditions de légitimité
intellectuelle qui suggère résolument la définition d’un [re]positionnement historique et stratégique différent de
la part des collectivités africaines (Georges Boniface Nlénd V, 2018). C’est probablement ici que notre thèse
proclame sa sensibilité à cette sociologie dont Munck (2011) dit qu’elle :
peut également se donner pour mission de guider (conseiller, orienter, favoriser, effectuer soi-
même) une intervention dans la réalité sociale en vue de la transformer. Cette troisième tâche
doit être distinguée de la deuxième car il est possible de porter une évaluation sur la réalité sans
pour autant s’engager dans une action réformatrice. L’action transformatrice constitue un pas
qualitativement différent par rapport à l’évaluation […]
[C’est ainsi qu’au positivisme aseptique] s’ajoutent des raisons morales. Si du point de vue du
problème logique que pose Hume les croyances des acteurs sont produites et reproduites au
sein d’une forme de vie, un jugement évaluatif du sociologue ne pourrait être qu’impérialiste.
Cela peut être justifié pour deux raisons. D’une part, on peut soutenir qu’il n’y a pas de vérité
objective, que toute croyance est relative au contexte au sein duquel elle se forme –en ce y
compris la croyance dans l’objectivité de la science, notamment sociologique (ou
anthropologique). L’autre position est plus nuancée. Elle ne consiste pas à nier que la croyance
du sociologue soit plus objective que celle de l’acteur ou que certaines valeurs soient plus
valides que d’autres. Mais elle conteste le droit du sociologue à perturber les conditions de
reproduction d’une forme de vie […] Je soutiendrais volontiers, tranche Munck, qu’une
sociologie devient critique, au sens non générique, mais spécifique du terme, lorsqu’elle tente
de réfuter ces deux positions fondamentales, épistémologique et morale976.

C’est cette exigence en même temps scientifique et pratique que conforte encore ici Thomas Bierschenk
(2010) :
J’ajouterais à cela, dit l’anthropologue, le fait que les agences de développement, qui sont des
organisations tournées vers la mobilisation des moyens (input-oriented) plus que vers les
résultats (output-oriented), se caractérisent par un degré particulièrement élevé de “tolérance
répressive”, expression empruntée à Herbert Marcuse (1969) : elles révèlent une forte capacité
à intégrer les critiques dans leur discours politique sans pour autant changer leurs pratiques. La
logique d’empilement qui imprègne les Policy Papers est un autre exemple de cette tolérance
répressive : dans les trois Rapports majeurs sur l’Afrique produits par la Banque mondiale
depuis le début des années 1980, les paradigmes structurants et les notions clefs ne se
substituent pas les uns aux autres, mais s’empilent les uns sur les autres, de sorte que ce que
nous trouvons dans le Rapport de 1989 (World Bank, 1989) n’est pas une alternative à
l’Ajustement structurel qui est proposé dans le Rapport Berg quelques années auparavant
(World Bank, 1982), mais “Ajustement structurel” plus “Gouvernance”, tandis que dans le

975 Op. cit.


976 Op. cit.

473
Rapport de 2001 (Gelb, 2000), nous trouvons “Ajustement structurel” plus “Gouvernance” plus
“Participation” plus “Réduction de la pauvreté” (Tepe, 2006).
En d’autres termes, même si nous concédons que les approches des grandes (et petites)
agences de développement international procèdent d’une logique visant à faire des enjeux
politiques des questions techniques, cela ne signifie pas qu’elles y parviennent. En effet, l’un
des arguments les plus convaincants du débat sur le développement en Afrique est que, quelles
qu’aient été les approches choisies par les agences de développement, les élites africaines sont
toujours parvenues à les politiser à leur propre avantage (Van de Walle, 2001). Il semble par
conséquent tout à fait plausible d’avancer que les politiques et approches sectorielles actuelles
du développement sont l’objet des mêmes stratégies locales de détournement, de
démembrement et d’appropriation sélective que celles mises en lumière, il y a longtemps déjà,
par les anthropologues du développement, pour des approches-projets plus classiques du
développement (Bierschenk & Elwert, 1988 ; Lentz, 1988 ; Olivier de Sardan, 1988)977.

Ainsi, en tentant d’éclairer la structure opératoire qui rend possible, d’un côté la procession non-endogène de
la pensée opératoire sur la forêt comme entité naturelle dans un contexte anthropologique africain ainsi que
l’origine essentiellement exogène des technologies/modalités “optimales” ou “durables” d’exploitation des
ressources forestières au Cameroun; et de l’autre l’émergence, le déploiement et la manifestation implacables
des dysfonctionnements structurels dans le système de gestion de l’économie forestière au Cameroun, notre
thèse a clairement suggéré une inflexion méthodologico-théorique novatrice dans l’analyse critique des
problématiques majeures que sont l’État africain moderne, le statut structurel (ontogénétique et fonctionnel)
des communautés villageoises dans la modernité politique africaine, les conditions de définition et de mise en
œuvre des politiques publiques environnementales dans le secteur des forêts. Dès lors, notre thèse renouvelle
la nécessité d’une discussion des termes d’une analyse authentique de l’historicité de l’Afrique ainsi que des
conditions de déploiement des collectivités africaines dans l’histoire actuelle du monde, étant entendu à l’aune
de l’analyse macchémologique (José Do Nascimento, 2011, 2008; Oscar Pfouma, 1993; Bebebe, 1978) et
comme on l’a vu, qu’à la suite de la pression exercée sur leur vitalité par plus de dix siècles d’esclavages
arabe et européen (Lisa Aubrey, 2014; Olivier Leservoisier & Salah Trabelsi, 2014; Bwemba Bong, 2013;
Fabienne Guillén & Salah Trabelsi, 2012; Klah Popo, 2010; Tidiane Ndiaye, 2008; Omotunde, 2008), les
communautés indigènes africaines n’ont pas connu le répit qui leur aurait permis de recouvrer la cohérence
historique originaire ainsi que les ressources intellectuelles systémiques suffisantes pour se reconstituer une
stabilité intellectuelle et structurelle nécessaire à leur re-création historique durable (Joseph Ki-Zerbo, 2013;
José Do Nascimento, 2011, 2008; Mwayila Tsiyembé, 2001; Oscar Pfouma, 1993)978.

En se donnant d’analyser les fondements structurels des contradictions qui caractérisent la situation sinon
irréconciliable du moins profondément dysfonctionnelle des communautés villageoises dans leur articulation

977 Thomas Bierschenk, 2010, “Historiciser et localiser les approches. Anthropologie et développement”, Conférence plénière de l’Association pour
l’anthropologie du changement social et du développement (APAD), Bulletin de l’APAD, 32-33/2010.
978 Op. cit.

474
au système moderne, capitaliste et industriel de gouvernance de l’économie forestière au Cameroun, notre
thèse suggère un repositionnement méthodologique radicalement nouveau des Africains dans l’histoire, dans
la même préoccupation que celle que décline parfaitement Michel Babadjide (2017)979, ou qui porte Abdul
Karim Bangura (2015, 2011), Molefi Kete Asante (2014, 2011, 2010, 2007, 2003, 1996, 1992) ou Jean-
Emmanuel Pondi (2011), pour le premier à traiter des “African-Centered Research Methodologies”980, pour le
deuxième de se nourrir à la matrice africaine981, et pour le second à proposer de “Repenser le développement
à partir de l’Afrique”982; non loin de la logique tout aussi radicale qui se dégage de l’analyse de Gérard Conac
(1984) : « L’expérience directe et concrète qu’il a eue de la dynamique des sociétés africaines contemporaines
inspire à Thierry Michalon un réquisitoire fougueux contre l’État importé. Oui, il y a des États dans l’Afrique
décolonisée mais l’institution étatique dans ses configurations et modalités actuelles, l’État, selon le titre même
du livre, est-il pour l’Afrique? »983.

Cette perspective novatrice d’analyse implique, primo, que du point de vue de la nature même de la collectivité
politique, l’État africain dont il s’agit plus que jamais de discuter devrait être radicalement refondé dans une
configuration territoriale qui soit fonction de critères endogènes pertinents c’est-à-dire aussi sur les besoins et
les intérêts nationaux, qui épouse une géographie proprement africaine, qui réponde nécessairement aux
défis historiques et géopolitiques que présente le monde. Au regard du prodigieux éclatement territorial de
l’Afrique en micro-États coloniaux, cette perspective participe des implications opératoires de l’analyse par le
concept de contraintes structurelles qui pourrait être interprétée en fonction de la théorie dite de la
différenciation structurelle des organisations de Peter Blau (1975, 1970), notamment avec l’idée que
l’accroissement de la taille de la collectivité politique entraine une différenciation plus grande de la structure au
prix d’une baisse d’intensité et des effets de l’ensemble. Ce qui revient à dire comme avec Derek Salman
Pugh, Christopher Robin Hining, David John Hickson et C. Turner (1985, 1976, 1968) que plus l’organisation
est petite, plus fortement elle subit les effets structurels; et plus l’organisation est grande, moins elle subit les
effets structurels (Yann Attal, 2001). En effet, ainsi que l’établit par exemple la précarité totale (structurelle et
systémique) de leur condition interne d’État et de leur statut géopolitique dans le monde, l’arbitraire
fragmentation territoriale de l’Afrique ainsi que le caractère microscopique des collectivités politiques créées
avec l’installation coloniale européenne remettent fondamentalement déjà en question la viabilité historique

979 Dans cet édifiant document sonore (https://www.youtube.com/watch?v=AuJX9jm9LZs) de 6 minutes, Michel Babadjidé décline les contours
fondamentaux et les termes essentiels dans lesquels l’approche critique africaine formule le problème africain/la problématique de l’Afrique.
980 Abdul Karim Bangura, 2015, Toyin Falola and African Epistemologies, éd. Palgrave MacMillan, New York; 2011, African-Centered Research

Methodologies. From Ancient Times to the Present, Cognella Academics Publishing, San Diego, CA.
981 Molefi Kete Asante, 2014, Facing South to Africa. Toward an Afrocentric Critical Orientation, éd. Lexington Books, Lanham, MD; 2011, As I

Run Toward Africa. A Memoir, éd. Routledge, New York, NY; 2007, An Afrocentric Manifesto. Toward An African Renaissance, éd. Polity Press,
Cambridge, UK; 2003 (Revised and Expanded Edition), Afrocentricity. The Theory of Social Change, éd. Africa American Images, Chicago, IL.
982 Jean-Emmanuel Pondi (dir.), 2011, Repenser le développement à partir de l’Afrique, éd. Afredit, Yaoundé.
983 Gérard Conac, dans sa préface au livre de Thierry Michalon, op. cit.

475
(interne et géopolitique) de chacun des États africains actuels (Georges Boniface Nlend V, 2017) 984. C’est ce
qui se dégage clairement par défaut chez Victor T. Le Vine (1984), notamment lorsqu’il relève qu’« En raison
de leur intérêt intrinsèque, nous nous sommes posé ces questions et cherché un terrain favorable à
l’intégration nationale, susceptible de permettre cette transformation bénéfique de l’État en nation. Nous avons
soutenu la thèse selon laquelle la réalisation de cet objectif impliquait une analyse approfondie de l’évolution
historique, sociale, économique et politique qui conduisit à l’indépendance juridique »985.

En effet, tout en percevant –quoique vaguement –le caractère irréductible du paramètre historique, l’analyse
fonctionnaliste à laquelle participent les prémisses de la thèse de Le Vine n’en fait pas un élément
méthodologique et d’analyse central, se condamnant ainsi à l’impasse endémique à laquelle conduit
l’enfermement dans ce cadre paradigmatique dont on a vu avec Jean Ziegler (1971) ou Thierry Michalon
(1984) que son rapport à l’Afrique est arbitraire, biaisé et donc incertain.

Secundo, du point de vue intellectuel, que les conditions de déploiement stratégique du nouvel État africain
doivent reposer sur la rationalité endogène, c’est-à-dire sur la science des traditions et des coutumes –
[dé]substantialisées dans la modernité aussi bien en tant que curiosités touristiques ou drôleries folkloriques
mais de manière générale dans toutes les contradictions que manifestent les collectivités politiques africaines
contemporaines (Daniel Etounga-Manguelle, 1991)986 –ainsi que sur la traduction stratégique et institutionnelle
des représentations indigènes (Oscar Pfouma, 2004, 1993)987. C’est cette approche nouvelle d’analyse de
l’Afrique qui recoupe et opérationnalise les intuitions concordantes formulées plusieurs années plus tôt par de
nombreux chercheurs. Marie-Claude Smouts (2001) indique ainsi qu’ :
En dernière analyse, le sort des forêts tropicales dépend plus que jamais de la façon dont vont
se combiner, au niveau local et au niveau mondial, les multiples interactions entre le national et
l’international, l’économique et le politique, définition même de l’économie politique
internationale [ce d’autant que] Les grandes ONG internationales elles-mêmes sont devenues
des gestionnaires avec des mentalités d’entrepreneurs. Elles ne mobilisent plus seulement et
essentiellement leurs adhérents contre les causes profondes de la déforestation, elles ne
tiennent plus seulement le discours critique sur le fonctionnement du monde, elles ne proposent
plus vraiment de nouvelles valeurs. Elles appliquent désormais des schémas. Cette posture leur
permet d’être partie prenante du système transnational et d’y imprimer leur marque. Pour
Wolfgang Sachs, “Jadis, les écologistes militaient pour de nouvelles valeurs publiques,
aujourd’hui, ils militent pour de meilleures stratégies de gestion”. Jadis, ils appelaient à plus de

984 Georges Boniface Nlend V, 2017, Urgence d’État fédéral et nécessité d’un leadership authentique en Afrique. Une approche décisive pour
déverrouiller la Réflexivité bloquée et amorcer la Renaissance, éd. MeduNeter, Paris.
985 Victor T. Le Vine, 1984, Cameroun, du Mandat à l’Indépendance, éd. Présence Africaine, Paris.
986 Daniel Etounga-Manguelle, 1993 (1991), L’Afrique a-t-elle besoin d’un programme d’ajustement culturel?, éd. Nouvelles du Sud, Ivry-sur-

Seine/Paris.
987 Oscar Pfouma, Pfouma, 2004, Les Larmes du Soleil. Traduction et commentaire critique de trois Textes des Sarcophages égyptiens, éd.

Menaibuc, Paris; 2000, L'harmonie du monde. Anthropologie culturelle des couleurs et des sons en Afrique depuis l'Égypte ancienne, éd.
Menaibuc, Paris; 1996, Le nègre de Velasquez et le miroir de l'histoire, éd. Publisud, Paris; 1993, Histoire culturelle de l’Afrique noire, éd.
Publisud, Paris.

476
démocratie et d’autonomie locale, maintenant ils ont tendance à soutenir le renforcement du
pouvoir des gouvernements, des entreprises et de la science. Jadis, ils se battaient pour la
diversité culturelle, maintenant ils ne voient pas d’autres choix que celui de pousser à une
rationalisation des modes de vie à l’échelle planétaire988.

Une vingtaine d’années plus tôt, Thierry Michalon (1984) faisait déjà clairement remarquer que :
Depuis quelques années déjà l’on a relevé l’échec des opérations de développement rural
conçues à la capitale, voire hors d’Afrique, puis plaquée sur une paysannerie dont elles
s’efforcent vainement d’obtenir le consentement et la participation. Dès lors, faire faire par les
intéressés eux-mêmes de modestes projets locaux est rapidement apparu comme plus efficace
que faire directement et à grands frais d’ambitieuses réalisations censées tirer en avant toute
l’économie d’un pays ou d’une région.
Prendre conscience que la culture d’un peuple ne se transforme pas en quelques années au
contact d’institutions nouvelles, découvrir qu’elles constituent un bloc massif qui ne se laisse
éroder que très lentement –même lorsque l’emprunt de certains modes de vie tendrait à faire
illusion –, se résoudre à l’abandon des structures et des modèles occidentaux pour rechercher
ce qui serait adapté à l’univers familier des populations concernées, constitue une approche
neuve, exigeante mais féconde des problèmes de l’Afrique989.

Il s’agit d’une démarche intellectuelle radicale censée non seulement restituer la collectivité politique à toutes
ses composantes sociales endogènes, mais surtout censée en faire une collectivité politique dont le
déploiement soit l’expression des représentations authentiques que ses composantes ont du monde. Pour
Grégoire Biyogo (2016) qui se veut l’un des hérauts cette rupture méthodologique majeure :
L’endogénisme est à saisir comme un impératif catégorique et une méthodologie dynamique. À
la vérité, la nouveauté formelle de ce projet s'ouvre dans une tridimensionnalité. (I) Elle vient
d'abord du contenu épistémologique que je lui assigne, en le pensant comme dépositaire d'un
Nouvel esprit scientifique, au double sens bachelardien d'une coupure opérée dans l'histoire des
sciences, et kuhnien d'une opération de renversement du paradigme épuisé de la science
normale par la science nouvelle et révolutionnaire. (II) Ensuite, le "novum" vient du contenu
ontologique que je gage dans le dépassement de l'oubli de l'oubli –de soi, dans le déroulement
d'un tout autre philosopher, renversant cet oubli hyperbolique, en travaillant à l'inauguration d'un
tout autre pensum, d'un tout autre Monde, qui est ouverture vers un autre regard de soi, vers le
"soi" herméneutique. Un autre "soi" avec de nouvelles exigences... (III) Enfin, le dernier axe de
la nouveauté du paradigme et des modèles endogènes, c'est la compréhension homéostatique
de la réforme (à la fois judiciaire, politique, économique, industrielle, philosophique, scientifique,
spirituelle et culturelle). Car aucune institution durable et fiable ne peut se constituer sans un
enracinement profond dans sa longue et propre expérience, non pas pour la répéter "in
extenso", mais pour puiser en elle les potentialités des expériences futures990.

La formulation de l’endogénisme dans la critique africaine n’est pas une intuition radicalement nouvelle
puisqu’on la retrouve clairement annoncée chez Cheikh Anta Diop (1954), Théophile Obenga (1973), Sévérin

988 Op. cit.


989 Thierry Michalon, op. cit.
990 Grégoire Biyogo, 2016, conférence donnée sur “Leçon de Prescription sur l'endogénisme” (Colloque international du CERDOTOLA

(https://www.youtube.com/watch?v=-rKSS0C_O2Y&feature=share).

477
Cécile Abéga (2001, 2000), Mbog Bassong (2016, 2013), Felwine Sarr (2016), José Do Nascimento (2011,
2008), Jean-Emmanuel Pondi (2011), Mubabinge Bilolo (2011, 2007, 2004), Molefi Kete Asante (2014, 2011,
2010, 2007, 2003, 1996, 1992), J.-P. Kalala Omotundé (2015, 2014, 2009, 2006, 2002, 2000), Oscar Pfouma
(2004, 1993), etc. Cependant, le grand mérite de Grégoire Biyogo est de réaffirmer sa pertinence avec un
enthousiasme nouveau. C’est la même démarche que développe un groupe de chercheurs dans un travail
récent publié dans un livre édifiant intitulé Repenser le développement à partir de l’Afrique991.

Mbog Bassong opérationnalise cette perspective dans une critique radicale de l’économie [forestière], en
restituant la double préoccupation théorique et d’ingénierie sociale à l’enjeu ontologique générale censée lui
assurer la validité universelle. En effet, s’appuyant sur le constat cinglant des théoriciens : d’abord Olivier
Costa de Beauregard et al (1981) qui s’inquiètent de ce que « Si l’humanité doit durer, il va falloir trouver un
régime différent de celui de l’expansion continue que nous avons connue jusqu’ici. Ou alors va-t-il se produire
une mutation spirituelle? C’est toute notre culture qui est à repenser à la fois d’une manière plus
rationnellement étudiée, et beaucoup plus spirituelle au sens que les religions donnent exactement à ce
mot »992;

Puis sur Hassan Zaoual (1999) pour qui « La science économique affiche cette résistance paradigmatique
malgré les échecs innombrables tant dans la pratique que dans l’interprétation des crises économiques et des
impasses sociales et écologiques devant lesquels se retrouve la majorité de l’Humanité de notre époque »993,

Mbog Bassong (2013) énonce que :


Face aux exigences de notre monde fini dont les ressources, convoitées sans retenue,
apparaissent également non renouvelables à court et moyen termes par certains contours; et au
moment où la science économique peine à trouver quelque marque d’une approche
épistémologique authentique de la réalité, il nous semble indispensable de donner le point de de
vue de la pensée économique africaine, tant il est établi que les anciens Africains de la vallée du
Nil avaient déjà une réponse à la question de savoir que faire et comment vivre avec une morale
et une éthique qui correspondent au mieux au bien-être de tous et aux équilibres naturels et
sociaux […] Le problème de la valeur consiste aujourd’hui à assigner des limites cognitives à la
science économique capitaliste et à produire une théorie alternative de la valeur […]
Dès lors, et à l’aune de la théorie africaine de la valeur, l’analyse économique va refuser de
donner aux facteurs économiques le rôle exclusif dans l’organisation des rapports d’échange et
de la monnaie. Il en découle quatre ressorts fondamentaux qui déterminent et caractérise
l’activité économique : (1) Le développement durable semble participer de la forme économique
qui rythme les choix et les motivations psychologiques des agents économiques; (2) Les
déterminants profonds de la forme économique et la stabilité des institutions qui en résultent

991 Jean-Emmanuel Pondi (dir.), 2011, Repenser le développement à partir de l’Afrique, éd. Afredit, Yaoundé.
992 Olivier Costa de Beauregard, Michel Cazeneuve et Émile Noël, 1981, La physique moderne et les pouvoirs de l’esprit, éd. Le Hameau, Paris.
993 Hassan Zaoual (avec Serge Latouche et Fouad Nohra), op. cit.

478
fondent un mode de production incluant le tiers, l’altruisme et la coopération, beaucoup plus que
la compétition et la concurrence; (3) La vocation essentielle et la part forte de l’activité
économique étant attribuées à l’autoconsommation paysanne; (4) Dans ces conditions de
coopération, la difficulté s’avère réelle d’attribuer un prix arbitraire aux marchandises dans le
seul but du profit, de la spéculation, ou de l’accumulation, toutes inclinations contraires aux
enjeux de la vie collective et à l’idéologie institutionnelle qui est celui de conjurer le désordre […]
La reconstitution d’une connaissance scientifique globale de l’homme, qui puisse servir de cadre
général pour l’élaboration d’une théorie authentique de la valeur, c’est-à-dire d’une valeur
transcendantale, immatérielle, indépendante des arbitraires du relativisme des intérêts multiples,
et commandée par des dimensions symboliques structurantes et des comportements extra-
discursifs tels que la solidarité, l’esprit de coopération, le partage, l’estime, la parenté, la morale,
la parole, le don, la promesse de règlement de dette, la vérité, la dignité, les attitudes, l’entraide,
le cadeau, le souci de bonnes relations, l’équité, les formes d’organisation sociale, etc.,
auxquels participe essentiellement aussi l’économie.
Comme dans l’Afrique traditionnelle, la cohérence spirituelle doit pouvoir lisser la catastrophe du
profit, des inégalités sociales et de la misère, des injustices et des déséquilibres à la fois
sociaux, politiques et écologiques. Ici doit intervenir, de façon stratégique, le rôle primordial des
institutions ou alors celui d’une organisation plus efficiente des relations sociales, des valeurs et
des hiérarchies dans la forme de l’État. Dès lors, notre objectif est d’élaborer une métathéorie
économique de nature à rendre cohérente l’idée que nous nous faisons du citoyen planétaire
réconcilié avec lui-même (c’est-à-dire avec sa nature cosmique) d’une part, de l’autre avec les
autres hommes, les autres cultures et l’écosystème tout entier. Dans cette optique, la
métathéorie économique peut être porteuse d’une cohérence spirituelle de nature à pacifier le
jeu souvent exacerbé des égos prononcés, mais aussi celui de la compétence déloyale et
dissymétrique au profit des nations technologiquement avancées994.

L’endogénisme se présente ainsi comme la démarche méthodologique par excellence, spécialement dans la
préoccupation d’une analyse authentique de l’Afrique dans l’histoire. Cette pertinence heuristique de
l’approche endogène s’accomplit dans son articulation à la philosophie de l’histoire. Dès lors, ça n’est qu’à
partir de la connaissance totale de soi dans le monde que s’opère réellement la construction consciente de
son existence en tant que projet collectif propre. Ainsi compris, l’endogénisme représente effectivement une
des dimensions fondamentales de la nécessité africaine de discussion d’un nouvel État, autrement dit un des
éléments-clé du mécanisme méthodologique à partir duquel devrait s’élaborer toute analyse crédible de
l’Afrique. L’énoncé qu’en formule Manmút Pém Boniface (2016) est convaincu :

994 Quoique cette analyse soit rigoureusement développée, il n’en demeure pas moins que l’ancrage des structures mentales dans le paradigme
opératoire de pensée et son inexistence concrète ou généralisée dans le tableau social d’aujourd’hui en font un scénario très hypothétique et même
chimérique. Cela dit, l’assise intellectuelle qui est entrevue présente une garantie plus ferme à la préoccupation de développement durable.
C’est cette démarche paradigmatique alternative que formulent dans leurs approches respectives Serge Latouche avec “la décroissance” mais aussi
Louis Favreau avec “l’économie sociale, solidaire et coopérative”.
Au besoin, lire :
- Louis Favreau, 2015, “État social (2) : Le New Deal proposé par l’écologie politique”, in Les carnets de Louis Favreau du 2 avril 2015
(http://jupiter.uqo.ca/ries2001/carnet/spip.php?article104); Louis Favreau (avec Mario Hébert), 2012, La transition écologique de l’économie. La
contribution des coopératives et de l’économie solidaire, éd. PUQ, Quebec City, QC; (avec Mario Hébert), 2011, “La planète n’y arrivera pas si on
ne change pas de modèle! La contribution de l’économie sociale et solidaire à l’heure de Rio+20. Une réponse aux challenges posés par la crise”, in
Cahier d’Initiatives, en Annexe au document d’orientation des Rencontres du Mont Blanc 2011; (avec Lucie Fréchette et René Lachapelle), 2010, Les
défis d’une mondialisation solidaire. Mouvements sociaux, démocratie et développement, éd. PUQ, Quebec City, QC; (avec Jean-Frédéric
Lemay et Christophe Maldidier), 2010, Commerce équitable. Les défis de la solidarité dans les échanges internationaux, éd. PUQ, Quebec City,
QC; 2005, “Qu’est-ce que l’économie sociale? Synthèse introductive”, in Série Recherches, n˚35, Chaire de recherche du Canada en développement
des collectivités, Université du Québec en Outaouais, Gatineau, QC.
- Serge Latouche, op. cit.

479
On peut bien emprunter toutes les réponses technologiques d’autrui –qu’il a progressivement
élaborées et mises au point en fonction de son histoire –mais on ne saurait emprunter la
réponse à la question "Qui suis-je?", cette interrogation étant aussi fondamentale que
déterminante de son "Exister". En effet, "Être" est une décision personnelle et historique [ainsi
que l’indique déjà clairement Raymond Aron (1948) plus haut], c'est-à-dire qui commence et
commande l'Histoire. Ainsi donc, emprunter une réponse identitaire à autrui, c'est se laisser à
l’état de "Sous-Être". Il n'y a pas de décision dans un tel magma pré-conceptuel. La conception
précède toute naissance. "Exister" c'est se concevoir. Alors du "Nos ancêtres les Gaulois" au
"Descendants d'Adam", par exemple, on est dans "l'identique du Sous-couvert" qui détermine
tout appauvrissement anthropologique. L'homme qui se complait dans l'identité d'emprunt est un
Sous-homme qui a développé une haine considérable et un oubli radical de lui- même. Il n'y a
rien de décisif dans cette attitude. Il y a tout simplement une pathologie qui demande des
soins995.

Il ressort de ce point de vue qu’en dehors d’une démarche radicale de remise en question méthodologico-
théorique dans l’analyse de l’Afrique, toutes les approches actuelles que lui applique –de bonne foi consciente
ou non –le paradigme courant porté par les acteurs puissants et les dynamiques globales dominantes (le
développement [durable], la coopération internationale, l’aide au développement, la modernisation écologique,
la démocratie élective et d’alternance, etc., auxquels s’articulent l’analyse coût-avantage, l’analyse
économique contingente, l’analyse par la valeur économique totale, l’aménagement forestier durable, les
mécanismes pour un développement propre, etc.) apparaissent essentiellement comme des approches de
rafistolage dont la préoccupation est de forcer une articulation originairement biaisée à la modernité capitaliste
par l’arbitraire du rapport colonial mais aussi des relations internationales. D’où double le caractère
sentencieux et radical de la démarche d’inversion paradigmatique que propose Serge Latouche (1999) : « Il ne
s’agit donc pas de corriger, adapter, culturaliser le développement et la rationalité économique par métissages
ou hybridations avec des logiques non-occidentales. Il s’agit de les déconstruire et de les dénoncer comme
mythes »996.

Illustrons par un cas parfaitement emblématique de la préoccupation théorique de notre thèse [N.B. : Les
annotations portées entre crochets dans l’extrait sont de nous-mêmes. Il s’agit de signaler ou de mettre en
exergue les éléments qui présentent une incohérence irréductible susceptible de remettre fondamentalement
en question la validité théorique de l’analyse. À l’inverse, les préoccupations ainsi suggérées tendent à
conforter la validité de l’approche théorique que nous proposons]. Si l’on ne saurait a priori douter de la bonne
foi intellectuelle et surtout de la rigueur scientifique par lesquelles Marie-Claude Smouts (2001) évoque :
La constitution d’un Plan d’aménagement demande environ trois ans. L’entreprise doit ensuite
déposer le Plan et discuter les modalités de sa mise en œuvre avec le gouvernement dans le
cadre de contrats d’aménagement-exploitation [Il n’est mentionné nulle part la participation des
995 Manmút Pém Boniface, dans son Blog Facebook consacré à l’analyse des enjeux de l’histoire et de la philosophie de l’histoire sur l’Afrique, post du
23 novembre 2016.
996 Op. cit.

480
communautés villageoises, des organisations de la société civile ou d’autres acteurs,
notamment de la recherche]. Le pari de la France est d’aider à la mise en route d’un processus
qui amène les exploitants à s’engager dans cette démarche difficile, la seule possible [?!?], si
l’on veut que la forêt se renouvelle. Dans ce processus, la dimension temporelle est essentielle.
Si les entreprises font les investissements lourds nécessaires pour conserver la forêt pendant
vingt à trente ans par un taux de rotation et une programmation des prélèvements établis
scientifiquement [?!?], elles attendent en retour de pouvoir repasser pour une nouvelle coupe et
de voir leurs industries alimentées durablement. Cela suppose d’obtenir des concessions sur
une superficie assez vaste pour pouvoir mettre en œuvre un Plan d’aménagement et une durée
assez longue pour permettre un retour sur l’investissement [!?!]. Il faut rapporter le coût de
l’aménagement durable à la production annuelle de mètres cubes de bois sur une durée de
vingt ans au moins. Le contrat implicite est donc le suivant : les entreprises font l’effort de
s’engager dans l’aménagement durable, l’aide et la caution officielle de l’État français les
confortent dans leurs apports avec les gouvernements africains (…)
Le pari semble réussir [?!?]. D’après les estimations de l’Agence française de développement
(AFD), près de 4 millions d’hectares seraient en cours d’aménagement en Afrique centrale,
principalement au Gabon, au Congo, en République centrafricaine et au Cameroun. Une
dynamique serait enclenchée à laquelle participeraient tous les acteurs influents [?!?]. Les
grosses entreprises [dont il est aussi utile qu’intéressant de rappeler qu’elles sont
essentiellement françaises et européennes], tout d’abord, qui semblent embarquer dans le
processus. [En effet,] Les principaux groupes industriels forestiers européens opérant en Afrique
sont regroupés dans une Fondation européenne pour la préservation des ressources de la forêt
africaine. Ils ont demandé à leur association professionnelle, l’Association technique
internationale des Bois tropicaux (ATIBT) [elle-même basée à Paris], une étude sur la définition
d’un Plan pratique d’aménagement des forêts de production africaines : “Cette étude,
essentiellement technique…[?!?] traduit la volonté de l’Association de s’engager, avec
l’ensemble des partenaires (États, populations, organisations internationales, bailleurs de fonds)
dans la gestion durable par la préparation et la mise en œuvre de plans d’aménagement,
l’appropriation de l’aménagement forestier et son utilisation comme un véritable outil de gestion
technique et économique des entreprises” [Est-il besoin de relever que nous sommes au cœur
d’une démarche essentiellement monolithique et unidirectionnelle qui affirme et déploie sa
prétention universelle ?].
Dans un processus très strictement encadré dans la forme, les industriels forestiers en Afrique
souhaitent, en effet, avoir un document commun définissant ce qu’est un Plan d’aménagement
forestier et quel est son mode d’emploi. Chacun l’adaptera sur le terrain997;

La perspective dans laquelle l’auteure développe son analyse reste fermement plombée par ce double biais
de l’enfermement dans la rationalité binaire, l’arbitraire d’une philosophie de l’histoire monolithique, la
prétention totalitariste de la modernité capitaliste (Gilbert Rist, 2015, 2014, 2010, 2002, 1997, 1996, 1992;
Louis Favreau, 2015, 2008, 2007, 2004; Serge Latouche, 2012, 2005, 1999, 1998; Jean Vioulac, 2012; Edgar
Morin, 2011, 1999; Peter Dauvergne, 2008; Jacques Adda, 2001; Benjamin Guillemaind et Arnaud Guyaut-
Jeannin, 1999; André Gunder-Frank, 1985-1968; Fritjof Capra, 1985; Olivier Costa de Beauregard et al, 1981),
et la négation radicale d’une anthropologie [critique] proprement africaine (Mbog Bassong, 2013), dans la
logique de cette « pensée commune [dont François Urvoy (2009) dit qu’elle] a pour traits principaux de

997 Op. cit.

481
comporter une dimension intéressée, d’ériger la particularité culturelle de ce qu’elle conçoit en forme
universelle au-dessus de toute remise en cause et, lorsqu’elle rencontre d’autres formes, de les dévaluer
proportion de l’écart avec la sienne, bref d’ériger sa particularité en norme radicale. Elle peut bien admettre,
parfois, le caractère provisoire et incertain de ses contenus, mais jamais sa manière de penser »998.

La narration de M.-C. Smouts, si elle ne discrédite pas la politologue française ou ne décrédibilise sa


démarche d’analyse, illustre parfaitement tous les biais et limites méthodologico-théoriques d’abord d’une
analyse fonctionnaliste, puis d’une participation abstraite ou non-impliqué du chercheur qui, au-delà de
manquer d’ancrage immédiat avec le contexte ou le phénomène étudié en tant que vécu empirique personnel,
est profondément desservie par le défaut d’une référenciation méthodologique à l’histoire, à la philosophie de
l’histoire et a fortiori à l’analyse par les contraintes structurelles (historiques, paradigmatiques, interscalaires et
contextuelles). Comme si, on avait oublié non seulement la cause de la non-éducation alléguée des
populations mais surtout l’existence authentique du rapport écosystémique des communautés indigènes à la
forêt, une structure existentielle qui leur sera radicalement aliénée dans une historicité arbitraire et dans leur
contact avec la modernité capitaliste. Comme si on avait oublié que :
La pensée africaine est basée sur la croyance en l’existence d’un Ordre, d’un arrangement
dynamique entre les éléments de la nature. C’est cette loi qui détermine par conséquent la
Valeur que le gestionnaire de l’ordre social ou l’artiste s’efforcent d’incorporer dans leur œuvre
de création […] Dans la mesure où le profit et le gain monétaires n’ont pas eu le capital argent
en perspective et surtout la maximisation de la plus-value, la possibilité d’une reproduction
élargie du capital ne s’est pas imposée dans les esprits comme une donnée essentielle (Mbog
Bassong, 2013)999.

C’est probablement le lieu le plus indiqué ici pour synthétiser la discussion méthodologico-théorique que nous
avons suggérée très tôt, notamment à partir des limites identifiées au travail remarquable de Marie-Claude
Smouts auquel nous avons abondamment référé, relativement à trois paramètres fondamentaux que sont :
l’ancrage du chercheur dans le contexte empirique de recherche, l’incidence décisive de l’identité du contexte
dans la validité de l’analyse, et la nécessité de travailler avec les outils théoriques et conceptuels les plus
adaptés, par-delà les précautions déontologiques classiques dont le chercheur peut s’entourer. En effet, dans
ce livre (“Forêts tropicales, jungle internationale. Les revers d'une écopolitique mondiale”)1000 publié en 2001
qui constitue une contribution majeure de la politologue française à la documentation de la problématique
forestière dans le contexte de l’environnement et du développement durable, le travail de Marie-Claude

998 François Urvoy, 2009, Science et ontologie. L’expérience multiforme, éd. L’Harmattan, Paris.
999 Mbog Bassong, 2011, Sociologie africaine. Paradigme, Valeur et Communication (https://mbombog.wordpress.com/2011/03/03/sociologie-
africaine-paradigme-valeur-et-communication/)
La version éditée de ce livre a été publiée en 2014 sous le titre La sociologie africaine. Essai sur le pouvoir du paradigme de complexité…, éd.
Menaibuc, Paris.
1000 Marie-Claude, 2001, Forêts tropicales, jungle internationale. Les revers d'une écopolitique mondiale, éd. Presses de Science Po, Paris.

482
Smouts a essentiellement consisté dans l’analyse de l’évolution des modalités institutionnelles de prise en
charge des forêts tropicales telles qu’elles émergent des dynamiques politiques et géopolitiques
internationales, tel que ces dynamiques sont elles-mêmes structurées par la rencontre pas toujours
convergente des divers enjeux idéologiques, économiques, intellectuels, techniques, financiers, écologiques,
géostratégiques.

Cependant, parce que s’étant aliénée la profondeur de l’approche historique ainsi que le potentiel théorique
que porte le développement d’une démarche d’ethnologie politique à laquelle s’articule la philosophie de
l’histoire (Oscar Pfouma, 1993)1001, l’analyse de Smouts est de bout en bout influencée par un parti pris
paradigmatique pour l’économie de l’environnement et les analyses “coûts-avantages/bénéfices appliquées à
l’utilisation de l’espace forestier”, de même que par la science forestière classique dont il n’est cependant pas
inintéressant de rappeler –qu’elle a encadré la construction, le développement et la consécration de l’industrie
forestière, autrement dit de l’exploitation industrielle capitaliste. En effet, dans l’analyse que développe Marie-
Claude Smouts (2001), le postulat directeur du parti pris théorique de la politologue française :
s’appuie sur un raisonnement simple : les forêts tropicales sont une ressource importante pour
le développement des pays tropicaux. Ces ressources peuvent être de multiples façons :
exploitation du bois, activités de subsistance traditionnelles, conversion en terres agricoles,
parcs nationaux, réserves naturelles, etc. Les décideurs politiques ont la responsabilité de faire
en sorte que l’utilisation de l’espace forestier produise les biens et services les meilleurs pour le
plus grand bien-être possible de la collectivité tout en assurant le respect du milieu naturel.
Dans cette perspective des théoriciens néo-classiques, le préalable à toute décision rationnelle
est une connaissance claire des avantages et des coûts attachés à chacune des différentes
fonctions de l’espace forestier. Pour cela, il convînt d’identifier les divers biens et services
matériels et immatériels procurés par la forêt en les comparant avec ceux que donneraient les
différents projets d’utilisation des terres forestières, d’analyser un à un les bénéfices
économiques attachés à ces biens et services et de les évaluer chacun en termes monétaires,
c’est-à-dire en donnant un prix indiqué par le marché (généralement en dollars). Ce prix
constituera la mesure de l’efficacité économique.
À cela s’ajoute un second postulat : l’allocation des ressources qui sera décidée en fonction de
ce critère d’efficacité économique sera une mesure “rationnelle” apte à produire le meilleur
niveau de bien-être collectif. On est là dans la logique de “l’économie du bien-être” qui stipule
qu’un système de marchés libres permet un usage optimal de ressources et conduit au bien-être
général […]
On sait ce qu’en pense Conservation International mais, pour les pays producteurs de bois
d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (pays ACP) dont l’Union européenne s’est engagée par contrat
à soutenir la politique forestière, cette politique de la main tendue ne peut être qu’une bonne
nouvelle [On pourrait en douter]1002.

1001 Oscar Pfouma, 1993, Histoire culturelle de l’Afrique noire, éd. Publisud, Paris.
1002 Op. cit.

483
Or, en dépit de son efficacité opératoire, ce postulat est lui-même profondément biaisé par un double arbitraire
idéologique économiciste et universalisant : le premier qu’on appellerait de “l’évidence du développement”,
pour faire immédiatement écho aux travaux de Jean Vioulac (2012)1003 et surtout de Gilbert Rist (2015, 2014,
2010, 2002, 1997, 1996, 1992)1004 et José Do Nascimento (2008)1005. Comme le reconnait Smouts (2001) elle-
même au bout de son travail :
Face aux défis nouveaux que pose l’émergence de la forêt tropicale comme objet politique
international, le mode classique et courant d’analyse est utile mais insuffisant. Trop abstrait, trop
éloigné des logiques concrètes, il permet de parler du monde, non de savoir ce qui s’y passe.
Les véritables ressorts opératoires obligent à chercher de nouveaux cadres d’analyse. Les
questions pertinentes aujourd’hui sont celles qui aident à comprendre pourquoi et comment
s’élabore un discours mondial sur la forêt tropicale –dans une logique que Michael Waltzer
appelle “l’universalisme de la loi surplombante”, comment se fait l’articulation de ces normes
générales venues “d’en-haut” et des intérêts particuliers qui s’expriment à d’autres niveaux, où
se situent les espaces politiques de l’action collective, de quel type d’action s’il s’agit et quels en
sont les effets sur les populations destinataires.
Sur cet objet complexe qu’est la forêt tropicale, un discours globalisant s’est construit à l’échelle
internationale. L’idée selon laquelle la tropicale est un bien planétaire qui fait partie du
patrimoine mondial est entrée dans le sens commun. [Or,] La forêt tropicale est une réalité
territorialement située, soumis à des régimes d’appropriation enchevêtrés. Sa gestion exige un
travail d’ingénierie sociale et des arbitrages qui ne sont opérants qu’au niveau local1006.

Et le second, qu’on dirait de “l’évidence de la modernité”, pour référer aux travaux de Jean Vioulac (2012),
d’Edgar Morin (2011, 1999) et surtout de Mbog Bassong (2013), dans une perspective dont il apparait
clairement qu’elle fait une impasse radicale sur les implications de réflexivité critique auxquelles aurait ouvert
une approche –comme celle de la présente thèse articulée à l’histoire et à la philosophie de l’histoire. De
même, la conception écosystémique du rapport à la forêt est radicalement évacuée et certaines dimensions
ne semblent importantes qu’accessoirement, c’est-à-dire en tant qu’elles s’articulent à d’autres. En effet,
ajoute M.-C. Smouts (2001) :
Lorsqu’on regarde la liste des études d’évaluation de la forêt recensées pour la Banque
mondiale et que l’on examine aussi les rapports et manuels et destinés à guider les experts
dans leur entreprise d’évaluation, on est frappé par la minceur des développements consacrés
aux fonctions non marchandes de la forêt et par la superficialité des enquêtes de terrain. [Dès
lors,] Deux fonctions de l’environnement bien connues par l’économie des ressources
naturelles, la valeur d’option et la valeur d’existence, devraient, en principe, être prises en
compte dans l’évaluation de la valeur totale de la forêt. Dans la réalité, elles sont ignorées par
les économistes […]
Malgré ses limites évidentes, l’approche en termes de coût-avantage est devenue le modèle
favori des organisations internationales et des bailleurs de fonds. Elle oriente les décisions de
financement de projets à la Banque mondiale comme à la Banque asiatique de développement.
La vision de la forêt comme un ensemble de biens et de services marchands s’est imposée en

1003 Op. cit.


1004 Op. cit.
1005 Op. cit.
1006 Op. cit.

484
dehors de tout débat politique par la force d’une communauté épistémique sûre d’elle-même,
arrivée à point nommé pour atténuer l’inconfort des décideurs face à la complexité d’un bien
planétaire qu’ils ne savaient pas comment aborder [?!?]1007.

Quelle prétention, pourrait-on s’exclamer, comme si l’histoire humaine n’a jamais existé et n’existe qu’à partir
du seul prisme de la rationalité occidentale et de la modernité capitaliste! Bref, Marie-Claude Smouts élabore
un excellent bilan de l’environnementalisme globalisant ainsi qu’une édifiante synthèse des logiques et enjeux
stratégiques économiques, politiques et intellectuels qui motivent, déterminent et accompagnent le
déploiement et le traitement à l’échelle globale de la problématique environnementale appliquée aux forêts
tropicales humides. Cependant, son analyse semble de part en part sous l’emprise ferme de l’arbitraire
idéologique à partir duquel se développent la segmentation et la priorisation du rationalisme cartésien/la
modernité capitaliste. L’auteur semble avoir effectivement pris fait et cause de l’idéologie dominante lorsque
dans un énoncé conclusif elle reprend sans nuance que « La forêt tropicale constitue environ la moitié de la
superficie boisée dans le monde [mais qu’] elle n’assure que 20% de la production mondiale de bois dont
l’essentiel est auto-consommé sous forme de bois de feu et de charbon de bois »,

Passant ainsi définitivement par pertes et profits le caractère déterminant et structurant du paradigme
moderne capitaliste ainsi que les implications coloniales et géopolitiques opératoires qui en découlent et qui
contraignent les États faibles ainsi que leur infrastructure politique et économique; passant surtout aussi par
pertes et profits le point de vue opposé et non moins recevable des écologistes et des mouvements proches
du ressenti des communautés villageoises quant à la prime ampleur de l’exploitation industrielle et ses
impacts déstructurants radicaux sur la biodiversité et les écosystèmes forestiers :
La surexploitation des forêts naturelles a été menée à un rythme tel depuis une quarantaine
d’années [Seulement!? Curieuse amnésie!], notamment en Afrique et en Asie du Sud-Est, que
le volume de bois commercialisable a fortement diminué, soit que l’espace ait été définitivement
perdu pour l’usage forestier, soit que la forêt n’ait pas eu le temps de se reconstituer après le
premier passage, et un souvent un deuxième et un troisième [Comme c’est le cas à Mapoubi
Mangaa, mon village natal]. On estime de vingt-cinq à trente ans le temps de rotation
nécessaire pour permettre la régénération en milieu tropical, ce temps n’est pas respecté […]
Selon un grand exploitant européen installé de longue date, le Cameroun est peut-être le pays
le plus en danger quant au maintien d’une forêt de production dans l’avenir… La plupart des
pays, que ce soit au Cameroun, au Gabon ou dans la région de l’okoumé au sud du Congo, se
trouvent à un tournant. D’ores et déjà, ou dans les prochaines années, le front pionnier, c’est-à-
dire l’exploitation des zones en première exploitation de forêt vierge, arrive à son terme… Il ne
reste pas ou peu de forêt vierge [Et pendant qu’il semble que nous soyons déjà dans l’urgence
et au cœur de la crise, étant donné que les arbres d’intérêt industriel se raréfient et
disparaissent; qu’] À cela s’ajoute l’arrivée de la Chine dans le commerce international avec les
besoins quasi illimités d’une énorme population et d’une économie en plein essor. De nouveaux
débouchés s’ouvrent sur le marché chinois pour des essences que les opérateurs européens

1007 Op. cit.

485
n’avaient pas coutume d’exploiter, des bois tendres et des arbres de faible diamètre négligés
jusqu’alors.
Ce qui reste de forêts tropicales humides pourrait en être la principale victime.
[En effet,] Les forêts anciennes du Bassin du Congo et de l’Amazonie ont déjà été verrouillées
par la planification industrielle comme d’importants centres de production de bois pour le XXI ème
siècle et l’on voit mal ce qui pourrait contrarier cette exploitation annoncée (Marie-Claude
Smouts, ibid.).

En effet, aucune proposition théorique ne semble y échapper. Ainsi en est-il également de la théorie –très
moderne capitaliste (H. De Soto, 2000; P. Van Griethuysen, 2010)1008 –développée à partir du théorème dit de
Ronald Coase (2005, 2000)1009, qui dit que « L’allocation optimale des ressources naturelles dépend de la
nature et de la répartition des droits de propriété sur ces ressources. Selon les tenants de cette théorie, l’une
des causes sous-jacentes majeures de la déforestation serait l’absence d’une définition claire des droits [de
propriété] sur les différents biens et services de la forêt » (extrait de M.-C. Smouts, ibid.),

Quand bien même elle se dissimule subrepticement derrière la pertinence d’un raisonnement solide, mais qui
se déploie sur une logique sélective et arbitraire fermement vissée à la modernité capitaliste (l’individu, le droit
privé, la propriété privée, etc.).

En effet, on voit bien que [l’implémentation optimale d’]une telle démarche décrite par Marie-Claude Smouts
ne peut être envisagée qu’à partir d’un certain nombre de garanties fondamentales de cohérence historique et
intellectuelle, de stabilité institutionnelle et politique, et de permanence géopolitique et géostratégique. En
effet, le fonctionnement effectif du scénario opérationnel que la chercheure met ici en exergue –avec un
enthousiasme non dissimulé –dans une dynamique qui s’inscrit dans la longue durée, n’est réellement
envisageable que dans un contexte politique endogène et souverain, c’est-à-dire où la collectivité politique se
déploie sereinement en fonction de solutions qu’elle estime les plus appropriées à sa propre vision du monde,
à ses besoins et intérêts authentiques, où la vision stratégique historique de la collectivité politique existe en
tant que conscience collective ou consensus tacite opératoire de tous les membres du corps social, où le
contrôle total des politiques et des institutions et la maîtrise complète du projet stratégique de l’État procèdent
essentiellement et inaliénablement de l’intérieur et des dynamiques intellectuelles et politiques internes ainsi
que des représentations de l’identité propre de la collectivité politique à partir desquels s’élabore et se

1008 Lire:
- Pascal van Griethuysen, 2012, “Bona diagnosis, bona curatio: How Property economics clarifies the Degrowth debate”, in Ecological Economics,
n°84, et;
- Hernando De Soto, 2000, Le mystère du capital. Pourquoi le capitalisme triomphe en Occident et échoue partout ailleurs?, éd. Flammarion
(2005), Paris.
1009 Ronald Coase, 2005, (1988), L'entreprise, le marché et le droit, Éditions d’Organisation, Paris; 2000 (1960), Le coût du droit, éd. PUF, Paris.

486
cristallise l’intellectualité collective opératoire, bref dans une cohérence collective endogène et interne d’où
émergent et se déploient les principaux acteurs sociaux moteurs et le leadership politique.

Eu égard à l’histoire peu probante de l’Afrique dans son articulation chaotique à la modernité capitaliste, qui
s’est manifestée jusqu’ici sous la forme du risque permanent et de la crise multidimensionnelle, c’est cette
démarche qui, en notre sens, conditionne la viabilité et la survie des collectivités politiques africaines. De
même, cette démarche est particulièrement capitale pour la “durabilité environnementale” et surtout pour la
viabilité de la forêt comme entité écosystémique existentielle et éventuellement des “ressources forestières”
comme objet, la viabilité de la collectivité politique et des communautés qui la constituent.

En termes de garanties structurelles et opérationnelles, la démarche suggérée par le scénario de Smouts


nécessite que la collectivité politique s’assure du contrôle total, de la maîtrise complète et de la conduite de
son destin. Il en découle qu’une telle mise en perspective s’avère indiscutablement cohérente dans un
contexte institutionnel et politique endogènement souverain, au modèle de ceux que l’on retrouve dans des
pays comme l’Allemagne, la Russie, l’Inde, les États-Unis, la France, la Norvège, la Chine, la Belgique, le
Canada ou dans une bonne mesure le Brésil, pour ne citer que ceux-là. Autrement dit, tel que le contexte
institutionnel et socio-politique africain a été caractérisé jusqu’ici par la littérature scientifique [où l’on pourrait
référer à Jake Brunner & François Ekoko (2000) ou à Bertrand Badie (1992) qui parlent explicitement pour les
premiers, de l’intervention directe de la Banque mondiale et du gouvernement français dans la motivation des
Réformes forestières et l’élaboration des institutions de gouvernance des forêts au Cameroun1010; et pour le
second, de “la captation de souveraineté diplomatique, des fonctions socio-économiques et d’innovation
institutionnelle” en contexte de dépendance internationale, dans le cas d’États faibles comme le
Cameroun1011], envisager une telle perspective avec autant de sérénité dans le contexte historique et
structurel du Cameroun serait sinon suspect, du moins suggère nécessairement des doutes. Pourtant, la
chercheure française va insister sur cette improbable heuristique fonctionnaliste au service de la structure
historique établie en indiquant que :
la concurrence d’autres produits se substituant au bois, en particulier, le PVC et l’aluminium
avec lesquels sont de plus en fabriquées les fenêtres et les menuiseries extérieures au lieu des
bois tropicaux traditionnels, sachant que de nombreux pays africains dépendent du commerce
des produits primaires du bois pour leurs recettes d’exportation et leurs revenus fiscaux, et des
ressources du bois pour maintenir les élites à leur poste, on peut se demander avec quels
moyens ils pourraient financer les programmes de gestion forestière durable demandés par la
communauté internationale et assurer la transition le commerce de produits de deuxième

1010 Jake Brunner & François Ekoko, 2000, “La réforme de la politique forestière au Cameroun : enjeux, bilan, perspectives”, World Resources Institute
(WRI), Washington.
1011 Bertrand Badie, op. cit.

487
transformation auxquels les pousse la logique du marché s’ils ne s’ouvraient pas tout grand à la
demande asiatique1012.

De facto, et pour dire les choses directement, il ne s’agit ni plus ni moins dans cette démarche d’analyse que
d’un fonctionnalisme au service d’un paradigme dominant et autoritariste (Gilbert Rist, 2015, 2014, 2010,
2002, 1997, 1996, 1992; Jean Vioulac, 2012; José Do Nascimento, 2008; Thierry Michalon, 2011, 1984; Paul
Boccara, 1974)1013, en l’occurrence de la domination et du statu quo colonial dans lequel l’Afrique est
désubstantialisée, aliénée, dominée, tournée vers l’extérieur et définitivement dépendante des acteurs
puissants et des dynamiques exogènes (Eboussi Boulaga, 1997)1014. L’approche qui se dégage du narratif de
Marie-Claude Smouts rend compte d’une perspective historique qui semble comme définitivement acquise, à
l’image de la fin de l’histoire (Francis Fukuyama, 1990)1015, dans laquelle l’Afrique est infantilisée, coincée,
prise au piège, perdue (Paul Bairoch, 1994, 1971), sans moyen ou plutôt disposant d’une marge de
manœuvre tout juste relative ou réduite aux proportions congrues, bref dans une situation largement
documentée (Bernard Lugan, 2015, 2011, 2006, 2003)1016 qui prend le nom d’incarcération dans la
conceptualité d’Ismaël Aboubacar Yenikoye (2007)1017, que Thomas Callaghy formulait déjà quelques années
plus tôt sous l’expression de “l’Afrique cernée” (1993), à laquelle Mongo Beti et Jean Ziegler consacrèrent
deux livres intitulés respectivement –dans une synonymie particulièrement révélatrice –“Main basse sur le
Cameroun” (1972)1018 et “Main basse sur l’Afrique” –auquel il faut nécessairement articuler “Destruction

1012 Op. cit.


1013 Lire :
- Gilbert Rist, 2014, “Le développement durable : les habits neufs du développement”, conférence, Université d’automne de l’Institut Hydro-Québec en
environnement, développement et société, Université Laval, Quebec City; 2002, “Le développement : habits neufs ou tenue de camouflage?”, in Défaire
le développement, Refaire le monde. Atelier 1 : Les habits neufs du développement, Actes du colloque organisé en 2002 à Paris sur “L’après-
développement”, avec La ligne d’horizon et Le Monde Diplomatique, accueilli par le Programme MOST, au Palais de l'UNESCO les 28 février, 1 er, 2 et
3 mars (http://www.web.ca/~bthomson/decroissance/actes_colloque_2002.html); 1996, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, éd.
Presses de Sciences po, Paris.
- Jean Vioulac, 2012, La logique totalitaire. Essai sur la crise de l’Occident, éd. Épiméthée, Paris.
- José Do Nascimento, 2008, op. cit.
- Thierry Michalon (avec Ébénézer Njoh-Mouelle), 2011, op. cit.
- Paul Boccara, 1974, Études sur le capitalisme monopolistique d’État, sa crise et son issue, Éditions sociales, Paris.
1014 Fabien Eboussi Boulaga, 1997, La démocratie de transit au Cameroun, éd. L’Harmattan, Paris.
1015 Francis Fukuyama, 1992, La fin de l’Histoire et le Dernier homme, éd. Flammarion, Paris.
1016 Lire parmi de nombreux autres auteurs : Bernard Lugan, 2015, Osons dire la vérité à l’Afrique, éd. du Rocher, Monaco; 2011, Décolonisez

l’Afrique!, éd. Ellipses M., Paris; 2006, Pour en finir avec la colonisation, éd. du Rocher, Monaco; 2003, God Bless Africa. Contre la mort
programmée du Continent noir, éd. Carnot, Chatou.
1017 Confer deux ouvrages majeurs d’Ismaël Aboubacar Yenikoye publiés en 2007 :

- La fracture mondiale. Afrique : Autopsie d’une tragédie, L’Harmattan, Paris;


- L’Afrique doit reprendre l’initiative de son destin, éd. L’Harmattan, Paris.
1018 Mongo Beti, 1972, Main basse sur le Cameroun. Autopsie d’une décolonisation, éd. Maspero, Paris.

Il n’est pas inutile de rappeler que dans un contexte d’incarcération coloniale définitive et radicale, ce livre qui fut interdit de vente en France et au
Cameroun valut à son auteur d’être persécuté et ostracisé. Dans la présentation qui en est faite aujourd’hui, on peut lire ceci :
« Mongo Beti (1932-2001), écrivain camerounais, est connu pour ses romans, qui ont joué un rôle important dans la prise de conscience
du colonialisme et dans la lutte contre celui-ci.
Publié en 1972 par les Éditions Maspero, “Main basse sur le Cameroun” était un réquisitoire contre les crimes du président Ahidjo,
dictateur du Cameroun par la grâce du néocolonialisme français. Son but fut largement atteint, semble-t-il, puisque le livre fut interdit,
saisi, l'éditeur poursuivi, et l'auteur l'objet de multiples pressions et menaces.
Sa réédition, en 1977, dans une version revue, était encore d'une actualité brûlante à l'heure de l'intervention française au Zaïre (actuel
République démocratique du Congo). Mongo Beti montre en effet que les anciennes colonies d'Afrique occidentale française et d'Afrique
équatoriale française, formellement indépendantes depuis les années 1960, n'en sont pas moins restées étroitement contrôlées par la
France.

488
massive. Géopolitique de la faim” (1978, 2011)1019. C’est comme si l’exploitation industrielle de la forêt
constituait non seulement un évènement fatal, mais surtout un horizon intellectuel indépassable. En effet, non
seulement les collectivités politiques africaines semblent subir la dynamique monolithique de l’histoire
caractérisée par le déploiement et la domination unilatérale des propositions de la modernité capitaliste, mais
les communautés africaines semblent définitivement prisonnières du système économique, financier et
géopolitique mondial. Il en découle logiquement que les intérêts financiers étrangers et les besoins industriels
puissants ont verrouillé les forêts tropicales humides restantes sur la durée. Ainsi, du point de vue de la
pensée opératoire : si l’on peut dire de Marie-Claude Smouts (2001) que son analyse s’inscrit comme
“naturellement” dans le paradigme dominant, il n’en est pas de même des chercheurs africains dont l’analyse
rend davantage compte de l’incarcération intellectuelle sinon définitive du moins profonde et de la dépendance
radicale à l’égard de la pensée opératoire dominante, toutes choses constitutives du caractère radical de la
violence historique imposée à l’Afrique (José Do Nascimento, 2011, 2008; Oscar Pfouma, 1993) et qui
donnent lieu au fonctionnalisme mimétique par où l’analyse semble irréductiblement destinée à l’impasse.
C’est ainsi qu’en dépit d’une prise pertinente sur la réalité empirique, Parfait Oumba (2007) semble incapable
de s’émanciper des structures [coloniales ou de dépendance internationale] existantes :
[…] En définitive, la question de la gestion des ressources forestières dans le Bassin du Congo
ne doit pas être vue, seulement, comme un problème d'environnement, mais comme une
question au cœur des relations environnement/développement. Aucune solution durable ne peut
être trouvée dans une partie du couple si elle ne s'accompagne pas de progrès significatifs dans
l'autre. Il ne faut cependant pas occulter le fait que ce couple est également conflictuel :
historiquement, le développement s'est réalisé au détriment de l'environnement –et notamment
des surfaces forestières. L'effort demandé aux pays du Bassin du Congo est considérable : il
s'agit d'adopter des itinéraires de développement inédits, en évitant de recourir à des solutions
qui entraînent des dommages significatifs à l'environnement. L'appui de la communauté
internationale est donc décisif pour parvenir à relever ce défi. Et cet appui doit se manifester
dans les deux composantes du couple “environnement et développement”, afin de maîtriser les
liens problématiques qui les unissent.
Au niveau international, les pays donateurs et autres bailleurs de fonds doivent aider les pays
de la sous-région à améliorer l'application des lois et la gouvernance du secteur forestier. C'est
l'objectif annoncé du processus AFLEG (African Forest Law Enforcement and Governance) qui
vise à renforcer l'engagement politique de haut niveau en Afrique et les capacités de mise en
application des lois existantes ainsi que la lutte contre la corruption. Un des premiers résultats
de cette initiative est l'accent mis sur la certification et l'origine de légalité des bois importés en
Europe.
En réaction, des systèmes spécifiques de certification d'origine légale, sont actuellement
développés et mis en œuvre comme le Certificat OLB (Origine et légalité des bois). Pour cela,
des cadres règlementaires spécifiques favorables à de meilleures pratiques doivent être mis en
place. Ces changements dans les législations sectorielles et extra sectorielles doivent être
conduits en étroite collaboration avec les administrations, les entreprises et la société civile si on

Trente ans plus tard, ce livre reste un document historique majeur, indispensable pour comprendre les évolutions ultérieures de la
"Françafrique" ».
Parti du Cameroun en 1951, il n’y rentrera qu’en 1991, soit 40 ans plus tard...
1019 Jean Ziegler, 2011, Destruction massive. Géopolitique de la faim, éd. du Seuil, Paris; 1978, Main basse sur l’Afrique, éd. du Seuil, Paris.

489
veut qu'ils soient réellement mis en œuvre par la suite, car au cours des 10 dernières années,
plusieurs bailleurs de fonds ont poussé les pays d'Afrique centrale dans cette direction avec le
développement de nouveaux systèmes de taxation et l'attribution aux enchères publiques des
concessions (sic)1020.

Comme on le voit, en dépit de la validité de la trame épistémologique à partir de laquelle il développe son
analyse, le chercheur semble incapable de développer une perspective réflexive qui s’émancipe de l’analyse
du paradigme dans lequel les choses semblent toujours avoir fonctionné : il semble comme fermement vissé
(José Do Nascimento, 2008; Oscar Pfouma, 1993) à “la communauté internationale”, comme définitivement
captif, incapable d’envisager –ainsi que le fait Paul Kammogne Fokam (2017, 2005, 2000)1021 –un examen
critique du système de la dépendance internationale et de “l’appui” qu’elle apporterait aux États africains,
malgré l’expérience permanente de l’échec endémique, et en dépit de tous les cris formulés depuis près de
cinquante ans par les Samir Amin (2012-1970), Noam Chomsky (2016, 2005, 2003, 1995), Dambisa Moyo
(2009), Jean Ziegler (2011, 2005, 1985, 1978) et tous les autres dont celui qu’Asad Ismi (2004) n’a pas hésité
à intituler “Impoverishing a Continent. The World Bank and the IMF in Africa”1022. Alors que résumant la nature
du rapport opératoire que le Fond monétaire international et la Banque mondiale développent auprès des
États africains, Joseph Stieglitz (2001) dénonçait déjà une dizaine d’années plus tôt « Two concerns about the
IMF/World Bank plans. First, because the plans are devised in secrecy and driven by an absolutist ideology,
never open for discourse or dissent, they “undermine democracy”. Second, they don't work. Under the guiding
hand of IMF structural “assistance” Africa's income dropped by 23% »1023.

Conséquence, c’est comme s’il s’agissait d’une démarche d’analyse stérile avec laquelle on était condamné à
tourner en rond. Dans une énonciation incisive, Yvette Balana (2004) observe que :
Il ne s'agit pas de tomber dans la manie très africaine de courir dans "l’universel" avant même
d'avoir cherché le particulier. Ailleurs, on n'a pas besoin de prouver qu'on fait dans le
cosmopolite et l'universel. Le métissage culturel, c'est l'Afrique seule qui semble l'avoir adopté.
L'autre veut être lui-même, il revendique sa patrie et impose ses valeurs comme universelles à
une Afrique toujours en quête de légitimation exogène.

1020 Op. cit.


1021 Paul Kammogne Fokam, 2017, “Africa, a Global Playground”, exposé magistral présenté à l’occasion de la 1 ère édition des PK Fokam Awards for
Science&Technology de l’Université PKFokam Institute of Excellence (http://www.pkfokam-cap.org/fr/ ou
https://www.youtube.com/watch?v=VDMpn4osc4E); 2005, Misère galopante du Sud, complicité du Nord. Jeux, enjeux, solutions, éd. Maisonneuve
& Larose, Paris; 2000, Et si l’Afrique se réveillait?, éd. Les Éditions du Jaguar, Paris.
1022 Asad Ismi, 2004, Impoverishing a Continent. The World Bank and the IMF in Africa, éd. The Halifax Initiative Coalition

(http://www.halifaxinitiative.org/updir/ImpoverishingAContinent.pdf).
1023 Prix Nobel d’économie en 2001, Joseph E. Stieglitz développe cette analyse dans une interview accordée au journal britannique The Guardian

(https://www.theguardian.com/business/2001/apr/29/business.mbas). Stieglitz est l’auteur d’une abondante critique des dérives totalitaristes de
l’économie libérale globale. Au besoin lire :
Joseph Stieglitz, 2015, The Great Divide Unequal Societies and What we can do about them, éd. W.W. Norton & Company, New York, NY; 2012,
The Price of Inequality. How Today's Divided Society Endangers Our Future, éd. W.W. Norton & Company, New York, NY; 2010, Le triomphe de
la cupidité, éd. Les Liens qui libèrent, Paris; 2006, Un autre monde. Contre le fanatisme du marché, éd. Fayard, Paris; 2003, La Grande
Désillusion, éd. Fayard, Paris; 2003, Towards a New Paradigm in Monetary Economics, éd. Cambridge University Press, Cambridge, UK; 2003,
Quand le capitalisme perd la tête, éd. Fayard, Paris.

490
L'autre n'a pas peur d'être chauvin. Mais l'Afrique fuit l'africanité (…) Les autres peuvent se
donner le droit à l'errance, voire à l'oubli de leurs racines et à l'amnésie, mais pas l'Afrique.
Nous devons trouver l'universel dans l'africanité. Il ne s'agit pas de retourner à des "sources" qui
n'ont pas été sauvegardées et adaptées au contexte actuel. Il est question d'interroger ce qui
reste, de fouiller la mémoire pour réinventer une nouvelle Afrique1024.

Comme on le voit, cette condition d’incarcération radicale des communautés africaines est d’autant plus
opératoire que toute initiative endogène à vocation révolutionnaire ou alternative semble être voué à l’échec,
comme en témoigne précisément le sort réservé à la dynamique de réforme du Régime des forêts et la mise
en échec unilatérale et brusque de l’engagement préalable pour le processus collaboratif d’élaboration d’une
nouvelle Loi forestière (Robinson Djeukam & Aristide Chacgom, 2013)1025. C’est cette réalité opératoire
constante et implacable que formule clairement Michel Norro (1994) quand il observe que :
L'Afrique dispose des hommes et des ressources nécessaires à son développement. Mais avant
de mettre en place une politique économique nouvelle, il faut s'interroger sur les raisons des
échecs antérieurs. C'est le premier but de cet ouvrage qui analyse en profondeur, dans une
perspective à la fois historique et comparative, les principaux domaines de la vie économique :
l'agriculture, l'industrie, l'endettement extérieur, l'environnement international. Les économies
africaines ne se sont pas dégagées d'une structure de production héritée du passé et axée sur
la seule exploitation de quelques ressources naturelles.
À l'inverse, une politique dynamique de développement passe par un effort soutenu de
diversification des activités économiques, source d'économies externes et d'amélioration des
résultats par unité d'effort.
Mais les mentalités changent. Dans un continent meurtri par trop de conflits et qui paie
lourdement la gabegie de régimes corrompus et inefficaces, les hommes veulent autre chose et
ne s'en laissent plus accroire. Avec sa population jeune et dynamique, ses cadres qui faisaient
défaut au temps des indépendances, ses ressources naturelles et ses espaces, l'Afrique a les
moyens de ses ambitions. Pourquoi, alors, avec le changement des mentalités, le temps du
renouveau n'aurait-il pas déjà commencé?
[Et l’analyste d’ajouter que] Nous avons souligné l’importance du marché mondial dans
l’évolution de l’économie africaine. C’est la demande étrangère qui est à l’origine du secteur
moderne de production et qui, aujourd’hui encore, en détermine largement la structure et le
dynamisme. Il n’est donc pas surprenant que la crise qui a affecté le marché mondial depuis le
début des années 70 ait eu de profondes répercussions en Afrique1026.

1024 Yvette Balana, 2004, “L’africanité chez WereWere Liking. De l’Afrique-musée à l’Afrique-laboratoire”, in Africultures. Les mondes en relations,
publication du 7 décembre 2004, article n˚4174.
1025 Robinson Djeukam & Aristide Chacgom, 2013, Étude évaluative des contributions à la réforme forestière liées aux droits communautaires et

de leur prise en compte dans l’Avant-projet de loi forestière, RRI-GDA, Yaoundé.


Pour illustrer cette démarche d’incarcération radicale de l’Afrique sur le plan stratégique et politique, à l’échelle continentale, au-delà du dossier que
présente le site d’information Zakweli.com intitulé “Voici les 22 présidents africains assassinés par la France depuis 1963″
(http://www.zakweli.com/revelation-voici-les-22-presidents-africains-assassines-par-la-france-depuis-1963%E2%80%B3/), lire :
- Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, 2016 (avec la préface d’Achille Mbèmbè), op. cit.
Lire également : Thomas Deltombe, 2008, “Cameroun, il y a cinquante ans, l’assassinat de Ruben Um Nyobè”, in Le Monde diplomatique, édition du
13 septembre 2008 (https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-09-13-Cameroun).
- Jean-Pierre Bat et Pascal Airault, 2016, Françafrique : opérations secrètes et affaires d’État, éd. Tallandier, Paris.
- Jean-Pierre Bat, 2015, La fabrique des barbouzes. Histoire des réseaux Foccart en Afrique, éd. Nouveau Monde Éditions, Paris.
- Patrick Pesnot & Monsieur X, 2008, Les dessous de la Françafrique, éd. Nouveau Monde Éditions, Paris.
- François-Xavier Verschave, op. cit.
- Etc.
1026 Michel Norro, 1998 (1994), Économies africaines. Analyse économique de l'Afrique subsaharienne, éd. De Boeck, Louvain-la-Neuve/Paris.

491
Au-delà des pudeurs idéologiques, c’est probablement le lieu de reconnaitre à V.I.O. Lénine (1917) d’avoir
intuitionné avec justesse la nature totalitaire ou totalitariste de la modernité capitaliste (Noam Chomsky, 2016,
2005, 2003, 1995; Jean Vioulac, 2012), notamment quand il disait du colonialisme qu’il se déploie
véritablement comme le stade suprême du capitalisme : « L'impérialisme –qui se décline aussi en tant
qu’expansionnisme et colonialisme –est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s'est affirmée la
domination des monopoles et du capital financier, où l'exportation des capitaux a acquis une importance de
premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s'est achevé le
partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes »1027.

1027Vladimir Ilitch Oulianov Lénine, 1917 (1925, édition française), L’impérialisme, dernière étape du capitalisme, éd. Bibliothèque
communiste/Librairie Lafayette, Paris.
Lire aussi Samir Amin, op. cit.

492
21.6. Autres leçons d’ordre méthodologico-théorique
La complexité épistémologique particulière des faits humains et des phénomènes sociaux procède
essentiellement de leur identité humaine, autrement dit de la proximité naturelle ou de la nature commune et
intime du rapport qu’ils entretiennent autant avec les chercheurs qu’avec le public. En effet, les faits humains
et les phénomènes sociaux participent de l’expérience existentielle immédiate avérée ou non, affective,
sensorielle ou intellectuelle : c’est tout le monde –y compris le chercheur lui-même –qui est concerné ou
impliqué directement ou non; c’est chacun qui cohabite et connait tel phénomène social, qui a vécu tel fait de
façon permanente ou dans des circonstances conjoncturelles, lui-même ou médiatement par personne
interposée. Etc. D’où cette nécessité de l’expérience qui se décline comme vécu réel mais aussi comme
sentiment du vécu et comme impression du connu, dans un rapport empirique réel ou fabulée qui, s’il rend
effectivement compte de la réalité humaine et sociale, n’en achève pas pour autant les conditions et critères
de son organisation rationnelle, ou en d’autres termes, de sa scientificité. Dès lors, la spécificité de la science
sociologique est d’interroger le statut du phénomène social, de le décrire, d’en ordonner la perception, de
l’examiner et de l’expliquer à l’aide d’une approche clairement identifiée, le tout dans une démarche structurée
et cohérente.

C’est ce que nous avons tenté de faire par la présente thèse consacrée à l’analyse de la marginalisation des
communautés villageoises au milieu des dysfonctionnements structurels divers qui se manifestent dans la
gouvernance forestière au Cameroun, en proposant une explication authentique développée à partir d’une
approche sociohistorique de la collectivité politique africaine moderne et charpentée sur l’opérationnalité des
contraintes structurelles dans la constitution et le déploiement de l’État camerounais.

L’analyse –de la marginalisation chronique des communautés locales dans la gouvernance forestière au
Cameroun –par l’approche sociohistorique et le concept de contraintes structurelles [paradigmatiques,
interscalaires et contextuelles ou historiques] a permis de formuler une explication générale à deux niveaux.
Primo, le Régime des forêts de 1994 à partir duquel se déploie le système actuel de gouvernance de
l’économie forestière au Cameroun procède du paradigme de la modernité capitaliste fondé sur un
rationalisme cartésien prométhéen qui se détermine sur l’État comme mode d’organisation collective ainsi que
sur le dynamisme entrepreneurial privé et la productivité industrielle comme conditions du développement
économique, le tout dans une logique sinon arbitraire et riscogène du moins qui est loin d’être universelle
(Yvon Johannisse, 1994)1028. En effet, l’État moderne s’est installé dans le contexte africain à l’inspiration
d’une idéologie coloniale essentiellement évolutionniste et raciste (Françoise Vergès, 2017, 2007; Mubabinge

1028 Yvon Johannisse, 1994, La magie contemporaine : l’échec du savoir moderne, éd. Québec Amérique, Montréal.

493
Bilolo, 2011)1029, dans une démarche autoritariste, exclusive, jacobine et quasi-eugéniste (Pierre Péan, 2010;
Stephen Smith & Antoine Glaser, 1994; Bernard Lugan, 2003; Thierry Michalon, 1984)1030, contre les
communautés indigènes ou en dehors d’elles. Secundo, dans cette nouvelle collectivité politique exogène
d’héritage colonial –qui est l’État du Cameroun –dont le leadership intellectuel, politique et stratégique, qui
procède de la cooptation coloniale arbitraire, est resté sous la dépendance intellectuelle totale et le contrôle
mécanique intégral du système de domination colonial, sans aucun enracinement ni intellectuel ni
institutionnel ou citoyen endogène; dans un système international [d’inter]dépendance dans lequel l’État
camerounais occupe une position géopolitique aussi marginale que périphérique qui l’offre complètement à la
domination des acteurs internationaux puissants et à l’influence des dynamiques globales (Noam Chomsky,
2016, 2005, 2003, 1995; Immanuel Wallerstein, 2014, 2012, 2011, 2009, 2008, 2006, 2001, 1999, 1995, 1991,
1988, 1985, 1975, 1966; Guy Martin, 2014; Prao Yao, 2013; Samir Amin, 2012-1970; Mueni wa Muiu & Guy
Martin, 2009; Nicolas Agbohou, 2008; Michel Norro, 1994; Bertrand Badie, 1992; Fernand Braudel, 1986,
1985, 1979, 1958, 1949; Thierry Michalon, 1984; Stanislas Spero Adotevi, 1972; etc.)1031, les communautés
villageoises se [re]trouvent radicalement disqualifiées, inaptes, incompétentes et marginalisées, incapables de
s’articuler optimalement aux arcanes du système moderne et de fonctionner dans le paradigme qui s’impose
violemment à elles, tant du point de vue organique en tant qu’entité constitutive de la collectivité politique que
du point de vue citoyen et opérationnel en tant qu’acteurs économique et socio-politique. En effet, lorsque la
dynamique globale des Réformes portées par la Banque mondiale arrive à l’orée des années 1990, c’est dans
le cadre d’un rapport à la forêt essentiellement centré sur l’exploitation industrielle du bois d’œuvre, où l’État
dont l’existence semble intrinsèquement liée au mode de production de richesses par l’exploitation capitaliste
des ressources forestières est miné par des contradictions intrinsèques inhérentes aux conditions de son
émergence et de sa constitution que les communautés villageoises ont été autant absentes à la motivation
des Réformes qu’elles ont été ignorées dans l’élaboration de la Loi des forêt qui engage pourtant directement
leur existence.

Comme on le voit, la démarche d’analyse déployée par notre thèse a essentiellement consisté à identifier les
éléments permanents, les dynamiques constantes, les forces et les facteurs constitutifs des trois types de

1029 Lire :
- Françoise Vergès, 2017, Le ventre des femmes. Capitalisme, racialisation, féminisme, éd. Albin Michel, Paris
(https://www.youtube.com/watch?v=vLjJSHO7CAo); 2007 (préface du livre de Pierre Larousse), Nègre, Négrier, Traite des nègres, à partir de trois
articles du Grand dictionnaire universel du XIXème siècle, éd. Bleu autour, Saint-Pourçain-sur-Sioule.
- Mubabinge Bilolo, op. cit.
1030 Au besoin, lire :

- Stephen Smith & Antoine Glaser, 1993, L'Afrique sans Africains. Le rêve blanc du continent noir, éd. Stock, Paris
(http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4814520q/f11.image)
- Bernard Lugan, 2003, God Bless Africa. Contre la mort programmée du Continent noir, éd. Carnot, Chatou.
1031 Entre autres auteurs, lire :

- Samir Amin, op. cit.


- Immanuel Wallerstein, op. cit.

494
contraintes structurelles dont nous avons postulé l’existence opératoire, sans que l’existence effective et
l’opérationnalité tangible de ces contraintes structurelles ne dépendent nécessairement des résultats
conjoncturels d’une orientation stratégique adoptée ici ou là à laquelle nous aurions fait référence à titre
d’illustration. Il en est, dans un premier exemple, de la déforestation au profit de vastes plantations agricoles
dont on peut lire chez Marie-Claude Smouts (2001) traitant d’un cas malaisien, que « Globalement, le pari de
l’agro-industrie a été gagné, sous le contrôle serré d’une administration veillant aux conditions d’installation
des nombreuses populations déportées, de production et de commercialisation. Les colons se sont
sédentarisés et, d’après la Banque mondiale, se trouvaient relativement satisfaits de leur sort vingt ans après
leur arrivée »1032.

Mais il en tout aussi, dans un second exemple, de l’analyse plutôt sombre et pessimiste que formule
Greenpeace International (2007) quant aux perspectives de réformes forestières que la Banque mondiale
[encore et toujours elle!] entend implanter en République démocratique du Congo, notamment au regard de
l’expérience pour le moins non-concluante du Cameroun :
Deuxième massif de forêts tropicales humides au monde après l'Amazonie, les forêts du Congo
s’étendent du Cameroun à la République démocratique du Congo (RDC) en passant par la
République Centrafricaine, le Congo Brazzaville, la Guinée Équatoriale et le Gabon. Des
dizaines de millions de personnes en dépendent pour leur alimentation, leurs plantes
médicinales ou leur approvisionnement en énergie. Ces forêts revêtent également une
importance cruciale en matière de biodiversité et pour l’équilibre du climat au niveau mondial. La
plus grande partie, encore largement intacte, de cet espace forestier se trouve en République
Démocratique du Congo.
Dans ce pays, les forêts ont souffert de plusieurs décennies de mauvaise gestion, ainsi que
d'une décennie de conflits armés. Les conflits ayant pris fin et un nouveau gouvernement ayant
été élu, elles se trouvent à la croisée des chemins. L'abattage industriel risque d'y devenir une
activité dominante, avec pour conséquence de nombreux et graves problèmes
environnementaux et sociaux... À moins que le gouvernement congolais, la Banque Mondiale et
les autres bailleurs de fonds ne prennent conscience que le modèle d'exploitation qu'ils
préconisent est voué à l'échec et que des modèles de développement alternatifs doivent être
mis en œuvre de toute urgence.
Il s’agirait tout simplement d’un “Copier-Coller” ou comment la Banque Mondiale met en œuvre
en République démocratique du Congo un modèle ayant échoué ailleurs. En effet, la Banque
Mondiale présente la réforme du secteur forestier en RDC comme une manière de promouvoir
une gestion durable des forêts, d'augmenter les revenus de l'État et –surtout –de contribuer à la
réduction de la pauvreté. Un nouveau Code forestier a été publié en 2002 et ses décrets
d'application sont en cours d'adoption. Pour Greenpeace, si la réforme initiée est nécessaire
pour assainir le secteur forestier, la communauté internationale et le gouvernement congolais ne
doivent pas en attendre des miracles. Les recettes imposées par la Banque Mondiale et les
autres bailleurs de fonds sont en effet très similaires à celles introduites au Cameroun il y a plus
de dix ans. Or, tant au niveau environnemental qu'en matière de développement, l'expérience

1032 Op. cit.

495
camerounaise s'avère très décevante. Au lieu de répéter les mêmes erreurs, il est temps d'en
tirer les leçons…1033.

Quoique nécessairement basée sur le donné empirique immédiat, la préoccupation de connaissance


authentique dépasse le théâtre des phénomènes pour envisager la réalité constante qui soutend leur
manifestation. « Science de l’action sociale et de l’action historique » (Alain Touraine, 1965)1034, la science
sociologique ne déroge pas à cet énoncé. Ce d’autant que l’historicité en tant que cadre de déploiement des
socialités humaines dans le temps est davantage historique et philosophique –dans le sens hégélien de ces
termes; de même, les logiques qui structurent la phénoménalité –que celle-ci soit sociale, biologique ou d’un
autre type –ne sont pas toujours apparentes.

En tant que modalité spécifique de connaissance de la réalité humaine, la sociologie ne saurait se contenter
d’épuiser sa préoccupation scientifique dans le tourbillon des conjectures et des conjonctures de la réalité, se
limitant à l’analyse des émergences, de l’inédit, des changements quand bien même ceux-ci se cristallisent
dans un temps et un espace relativement important. Si tout en confortant sa propre démarche la sociologie
reste solidaire de la préoccupation scientifique générale, autant elle va déployer sa méthode d’explication sur
les systèmes d’action qui se manifestent, autant dans sa réflexivité elle cherchera également à identifier les
cohérences des diverses dynamiques qui sont à l’œuvre.

Il en découle que la sociologie n’est pas condamnée à suivre servilement l’instant et l’actualité ni à obéir
mécaniquement à la conjoncture de l’évènementiel, évitant simultanément ainsi non seulement de tomber
dans le piège des arbitraires de toutes sortes de relativismes, mais également d’être complètement emportée
par un savoir tout entier fondé sur les phénomènes dans leur manifestation sinon superficielle du moins
immédiate ou phénoménologique, sans aucune réflexivité sur les dynamiques des permanences à partir
desquelles les phénomènes se manifestent (Gilles Gagné, 1992, 1986)1035. C’est dans cette perspective que
pour André Berten (1991) :
Il y a dans son propos une double dénonciation, celle de “l’obsession du présent” d’une part,
celle d’une (supposée) scientificité qui serait uniquement fondée sur le perfectionnement des
outils techniques de l’autre. En systématisant l’argument et en le reformulant dans un langage
qui est le nôtre –et non celui de Busino –, on se risquera à avancer la proposition suivante : ce
que Busino refuse de toutes ses forces, c’est l’enfermement dans un type de sociologie que l’on

1033 Greenpeace International, 2007, “Réforme du secteur forestier : Échec au Cameroun, pillage annoncé en RDC”, in Bulletin de l’exploitation
industrielle des forêts tropicales, février 2007 (http://www.greenpeace.org/belgium/Global/belgium/report/2007/2/lecons-cameroun.pdf).
1034 Alain Touraine, 1965, Sociologie de l’action, éd. du Seuil, Paris.
1035 Gilles Gagné, 1992, “La sociologie, malgré tout”, in Le Bulletin de l’AEC, Association des études canadiennes, vol. 14, n˚1, printemps 1992, pages

29-33; 1992, “La théorie a-t-elle un avenir?”, in La revue du Mauss, 1er et 2ème trimestres 19992, n˚15/16, pages 43-57; 1986, “Plaidoyer pour la
sociologie à l'intention des débutants”, in Les cahier du LASA (Université de Caen), n˚5, pages 97-107.

496
appellera “caméraliste”, ce qui en ferait une science auxiliaire, au service des intérêts immédiats
et à court terme de la demande sociale. Serait ainsi sacrifiée l’ambition d’une sociologie
théorique ou, pour employer une expression qui serait plus en phase avec la sensibilité propre
de Busino, d’une sociologie de culture. Et à cette première proposition pourrait être adjointe une
seconde : le rejet de l’idée, si ce n’est de l’illusion, que la connaissance sociologique puisse
servir à définir des impératifs pratiques en matière d’action politique et sociale. Pour
paraphraser Pareto, la “vérité” obtenue par cette connaissance doit être strictement distinguée
de son utilité sociale. Cela ne signifie pas –à nos yeux du moins –qu’elle ne puisse pas en
avoir : elle est susceptible, le cas échéant, de nous aider dans le choix des moyens appropriés,
même si elle est impuissante à nous imposer un choix déterminé des fins1036.

Gilles Gagné également développe ce débat avec un indéniable talent dans son texte sur l’avenir de la théorie
(1992)1037.
Notre thèse participe de ce questionnement épistémo-théorique peut-être marginale, mais qui, dans la
tradition des Beck, Giddens, Busino mais aussi Berthelot et autres, entend rappeler la sociologie à son
[double] engagement primordial [scientifique et éthique]. Il ne s’est pas nécessairement agi d’obéir à Bruno
Latour (2001)1038 qui exige de « tout essayer pour renouveler les cadres vermoulus de la sociologie qui sont
aussi, le plus souvent, ceux de la société elle-même » qui s’est enracinée. Il est cependant clair que nous
avons pris le risque de faire une thèse paradigmatiquement non-consonante, sinon du point de vue
institutionnel et de l’intellectualité opératoire, en tout cas du point de vue théorique. C’est en cela aussi qu’elle
est non-fonctionnaliste, dans la mesure où motivée par une réflexivité critique adossée sur l’histoire et la
philosophie de l’histoire, nos hypothèse et concepts d’analyse rentraient d’office en rupture avec les
perspectives habituelles. Avec le risque institutionnel et académique d’être marginalisée; avec le risque
théorique est d’être « non-compris »1039.

Les limites du fonctionnalisme paradigmatique qui a généralement et jusqu’ici caractérisé la recherche sur
l’économie forestière camerounaise se reflètent dans la nature des solutions formulées par les analystes qui,
des solutions dont on a vu qu’elles ne constituent ni plus ni moins qu’une sorte de fuite en avant. En revanche,
la mise en œuvre d’une véritable dynamique politique collaborative qui donne lieu à un investissement
convergent sur la cohérence collective des institutions opératoires permettrait indubitablement, au moins dans
une certaine mesure, ainsi que l’ont envisagé certains de nos interlocuteurs, une amélioration réelle des
impacts systémiques des propositions économiques environnementales dans le secteur forestier. C’est dans
ce contexte que l’énonciation d’Alain Karsenty (2001) prend tout son sens. Pour le chercheur en effet :

1036 André Berten, 1991, “Modernité et postmodernité: un enjeu politique?”, in Revue philosophique de Louvain, Vol. 89, n˚81.
1037 Gilles Gagné, 1992, “La théorie a-t-elle un avenir?”, in La revue du Mauss, 1er et 2ème trimestres 19992, n˚15/16, pages 43-57.
1038 Op. cit.
1039 Au cœur de la période d’achoppement de mon projet de thèse, et parlant au nom de ses deux autres collègues qui constituaient le premier jury

constitué pour examiner mes travaux, mon directeur de thèse d’alors m’a dit, je cite de mémoire le propos formulé pendant une discussion destinée
à déverrouiller les divergences : « Comprends que nous ne te comprenions pas ».

497
The issue of ownership, and more precisely in-depth and sustained ownership of the reform
processes, remains central. But this issue goes well beyond the commitments of the President,
the Minister of Forests and a small group of high-level officials. Increasing transparency and
accountability jeopardizes vested interests entrenched in the public administration. These
interests have the capacity to resist silently and to undermine the reform processes from the
inside. On the other hand, convincing the public opinion of the benefits of the reforms for more
equity and effectiveness is a key achievement when hoping to circumvent the passive resistance
in the inner circles of the public administration. The World Bank probably did not pay enough
attention to the in-depth work that needed to be done with journalists, leaders of associations,
parliamentarians and academics, to explain the ins-and-outs of the reform processes. As for the
NGOs, it is not enough to “bring them on board” through consulting contracts as it tried to do.
Providing training for their members –especially in economics and forest ecology/management
and institutional change –would be extremely useful to developing a shared understanding of the
stakes associated with the reform processes1040.

En proposant une analyse réflexive radicale basée sur la structure historique de l’évolution des Réformes
forestières camerounaises comme participants des dynamiques économiques et environnementales globales
–notamment à l’aune des données les plus constantes de l’histoire et la philosophie de l’histoire –notre thèse a
identifié les enjeux théoriques à l’œuvre et montré comment l’orientation stratégique de l’économie forestière
en Afrique/au Cameroun dépendait de déterminants structurels qui n’avaient jusqu’ici pas encore été
conceptuellement formulés en tant que tels par la théorie sociale.

1040 Op. cit.

498
21.7. Autres énoncés théoriques et de synthèse
Lorsque nous arrivons au Cameroun fin-mai 2015 dans le cadre du séjour de collecte directe des données
auprès des acteurs intéressés par l’économie forestière, la Loi des forêts de 1994 –dont la présente thèse
analyse la structure des dysfonctionnements –semble avoir vécu. Non qu’elle fût déjà définitivement abrogée à
cette date et remplacée par un nouveau Régime, mais le processus de sa révision est censé se trouver dans
une phase avancée à cette époque, à la suite de discussions commencées quatre ans plus tôt dans une
démarche intégrée et collaborative à laquelle l’ensemble des parties prenantes s’étaient associées. Dans ce
contexte historique spécifique où l’approche citoyenne, participative ou démocratique de planification intégrée
ne s’enracine pas dans un socle structurel (culturel, intellectuel, institutionnel, socio-politique) établi, le
processus collaboratif de révision du Régime des forêts sera brusquement et unilatéralement interrompue
pour être confisquée par les acteurs gouvernementaux (R. Djeukam & A. Chacgom, 2013).

De fait, ce que révèle la cohérence structurelle de cette rupture unilatérale, c’est l’identité ontogénétique et
phylogénétique de la collectivité politique camerounaise telle qu’elle s’est constituée jusqu’ici : c’est que le
contexte camerounais, depuis les atermoiements manifestés par l’État devant les propositions de réformes de
la Banque mondiale au début des années 1990 (Jake Brunner & François Ekoko, 2000), jusqu’aux
mécanismes inertiels de prise en otage de la gouvernance par l’appareil étatique classique, qui ont plombé les
éléments novateurs allégués dans les Réformes (David Brown & Kathrin Schreckenberg, 2001), n’a opéré
aucune mutation radicale de l’intérieur qui remette foncièrement en question les contradictions irréductibles qui
la traversent originairement. C’est ce que Brunner & Ekoko (2000) illustrent parfaitement quand ils relèvent
que l’ :
Une des principales faiblesses de la Loi de 1981 sur la forêt était le manque de cadre légal pour
planifier l'utilisation des terres et intégrer la protection de la forêt avec les activités de production
(O’Halloran & Ferrer, 1997). Avec le système précédent, le Premier Ministre avait de fait toute
liberté pour attribuer des concessions forestières, tandis que le Ministre de l'agriculture, puis
celui de l'environnement et des forêts étaient responsables de l'attribution de plus petites
"ventes de coupe". Les plus grandes concessions étaient attribuées pour une période de cinq
ans (mais étaient renouvelables) sur la base des demandes faites par les sociétés d'exploitation
forestière. Ventes de coupe et licences n'impliquaient pas de gestion forestière, et étaient
attribuées sur la base d'un accord mutuel entre les sociétés et les autorités
gouvernementales1041.

Par une autre illustration : Paolo Omar Cerutti, Luca Tacconi, Guillaume Lescuyer et Robert Nasi (2013) font
une description exhaustive et détaillée du tableau de l’économie forestière informelle ou plutôt des
transactions développées en dehors des circuits institutionnels réguliers. L’équipe de chercheurs relève
également les logiques et enjeux que cette dimension structurelle mais “informelle” met en œuvre et dont

1041 Op. cit.

499
Karsenty déplore ci-haut qu’elle n’a jamais été suffisamment prise en compte par la Banque mondiale. Pour
les chercheurs :
The Ministry of Forests and Wildlife decided to illicitly suspend all legally available small-scale
logging titles (Cerutti and Tacconi, 2008). The suspension, initially adopted as a short-term,
extraordinary measure, was in force from 1999 to 2006 and had three major consequences.
- First, it made illegal harvesting the only option for thousands of Cameroonians, as
domestic timber consumption continued to increase, from about 170,000 cubic meters
roundwood equivalent (RWE) in 1993 (Lumet et al., 1993) to about 1 million cubic
meters RWE in 2002 (Plouvier et al., 2002).
- Second, it kept small-scale forestry off the agenda of the official forest policy discourse
(e.g., MINEF, 1999, 2004), thus hampering the possible adoption of policies that could
have better regulated it.
- Third, it provided a perverse incentive for many state officials to collect informal
payments from chainsaw loggers across the country (e.g., JMN Consultant, 2005; Koffi,
2005), as the loggers’ activities were officially illegal but continued because of the
growing domestic demand, which the export-oriented industrial timber sector could not
meet.
When the suspension was repealed in 2006, the new rules, instead of streamlining the
functioning of the sector and contrary to the law (Articles 86 and 94, Republic of Cameroon,
1995), centralized the allocation of small-scale logging titles, shifting the authority from Regional
Delegates to the Ministry in the Capital city and requiring the signature of the Minister of Forests
and the approval of an Interministerial Commission (Republic of Cameroon, 2006). The new
rules made it almost impossible for small-scale operators to gain a license. Unsurprisingly, of
about 100 small-scale permits auctioned in recent years, only two have been requested by
operators. At the same time, corrupt behavior by State officials continued unabated (e.g.,
Resource Extraction Monitoring, 2009)1042.

C’est dans ce contexte que Charlotte Gisèle Kouna Eloundou (2012) qui a couvert une période plus longue qui
s’étend de l’époque coloniale à l’époque actuelle présente les leviers et conditions permanents auxquels
s’articule le tableau brossé par Cerutti et al (2013) et à partir desquels se déploie en toute cohérence les
dysfonctionnements structurels de l’économie forestière au Cameroun. Entre autres éléments significatifs,
Kouna Eloundou relève que :
Les Licences réservées aux nationaux étaient attribuées pour cinq ans renouvelables par le
Ministre de l’agriculture. Pour celles dont les superficies étaient supérieures à 10 000 ha, leur
attribution ou leur renouvellement se faisait par décret présidentiel. Assurément, l’intervention de
la Présidence de la république dans l’attribution de ces titres forestiers témoigne de la forte
implication de l’État camerounais dans la gestion forestière et de l’importance accordée aux
forêts. Mais, au-delà de cette mesure exceptionnelle, il est éclairant de se rendre compte que la
gestion des forêts était contrôlée par les hautes sphères de l’État aussi bien pendant la période
coloniale que pendant la période postcoloniale de 1960 à 19931043.

1042 Paolo Omar Cerutti et al, op. cit.


1043 Op. cit.

500
Dès lors, dans ce contexte qui ne s’est jamais émancipé du contrôle total des intérêts coloniaux (Jean-Pierre
Bat & Pascal Airault, 2016; François-Xavier Verschave, 1998), et qui se caractérise autant par un flou
institutionnel que par une opacité de la gouvernance, la compétence ainsi confiée au Ministre de l’agriculture
et au Président de la république, sans responsabilité citoyenne ni aucune Accountability collectif, l’exploitation
des ressources forestières se poursuit dans les mêmes modalités caractéristiques de la frénésie industrielle
et capitaliste, au détriment de la structure biophysique des ressources comme enjeux écologiques et des
communautés indigènes comme enjeux existentiels et socio-économiques. Le Rapport 2013 d’évaluation de
l’action de la Banque mondiale dans le secteur forestier au Cameroun identifie les conséquences de ce
contexte socio-historique spécifique sur l’exploitation des ressources forestières. Pour les auditeurs de la
Banque mondiale :
The evaluation contains criticisms against the World Bank work on “Concession Reforms in
Tropical Moist Forest Countries with Weak Governance”. The Guardian summed up the IEG
conclusions as follows: “The IEG panel criticised The Bank strongly for: (1) Continuing to
support industrial logging; (2) Not involving communities in decision-making; (3) Assuming that
benefits would accrue to the poor rather than the rich and powerful; (4) Paying little attention to
rural poverty” (in Alain Karsenty, 2016).

L’on est étonné de constater la parfaite similitude entre les éléments dysfonctionnels relevés par ce document
et les termes du Rapport publié cinq ans auparavant par Greenpeace dans lequel l’organisation écologiste
concluait sans ambages que les réformes forestières mises en place au Cameroun avec l’agence de la
Banque mondiale représentaient un échec. À l’époque, Alain Karsenty s’était illustré par la spontanéité de sa
réaction par où il contesta la crédibilité et la validité de ce qui aurait apparu comme un pessimisme
idéologique.1044

Eu égard à la préoccupation méthodologico-théorique d’établir la cohérence diachronique et d’articuler le


contexte actuel de l’économie forestière camerounaise aux dysfonctionnements dont Kouna Eloundou établit
les fondations dans la période coloniale, nous rappelons que :
Les détenteurs de Licences d’exploitation étaient soumis à la participation aux travaux d'intérêts
économique et social et à la construction des routes forestières et des ponts d'intérêt national
(art. 27). Ces exploitants forestiers et ceux qui détenaient des ventes de coupe obtenues par
adjudication, devaient également payer une redevance communale réservée en totalité aux

1044Lire :
- Greenpeace International, 2007, “Réforme du secteur forestier : Échec au Cameroun, pillage annoncé en RDC”, in Bulletin de l’exploitation
industrielle des forêts tropicales, février 2007 (http://www.greenpeace.org/belgium/Global/belgium/report/2007/2/lecons-cameroun.pdf).
- Alain Karsenty, 2007, “Réponse à Greenpeace. À propos du document intitulé Réforme du secteur forestier : Échec au Cameroun, pillage
annoncé en RDC” (https://ur-forets-societes.cirad.fr/content/download/3931/29052/version/1/file/R%C3%A9ponse+au+document+de+Greenpeace.pdf).

501
collectivités publiques, une redevance de reforestation et un droit d’exploiter (Art. 30). Les
modalités de calcul et les taux de paiement de ces charges, et les prix de vente des produits
exploités étaient fixés par décret par la Loi de finances. La redevance communale constituait,
comme les forêts de collectivités publiques, une innovation de la politique forestière
postcoloniale et précisément de l’Ordonnance du 22 mai 1973 fixant le régime forestier national.
Pour une fois, les revenus de l’exploitation forestière étaient directement affectés aux
collectivités publiques (désignées plus tard collectivités territoriales décentralisées). Cette
redevance était destinée à la réalisation des infrastructures socio-économiques endommagées
par l’exploitation forestière (art. 30).
Cependant, les modalités de sa gestion n’étaient pas clairement définies. Le recouvrement des
taxes et des redevances ou des droits relatifs à l’exploitation forestière, à la chasse et à la
pisciculture, était assuré par l’Administration des Eaux et forêts et des chasses, placée sous la
tutelle du Ministère de l’agriculture jusqu’en 1992, année de création du Ministère de
l’environnement et des forêts (MINEF). Mais ce recouvrement ne semble pas avoir été efficace
car les entreprises d’exploitation forestière auraient cumulé entre 1974 et 1975, près de 1,5
milliards de francs CFA, soit l’équivalent de 2 290 076 d’Euros, non recouvrés. Cette défaillance
de recouvrement des recettes forestières fut imputée au dysfonctionnement du Ministère de
l’agriculture (Kouna Eloundou, 2012)1045.

En fait, au regard des résultats négatifs enregistrés par les politiques forestières mises en œuvre après la
proclamation des indépendances, notamment à travers l’ambiguïté et l’imprécision des textes sur divers
aspects essentiels (Kouna Eloundou, 2012), notamment autour du rapport existentiel et écosystémique de la
forêt aux communautés indigènes, mais aussi en rapport avec les implications qui découlent du régime de
propriété des espaces forestiers (Robinson Tchapmegni, 2006; Stanislas Melonè, 1963; etc.)1046, à travers le
manque d’impacts structurels bénéfiques sur la durée, l’on est tenté d’énoncer que les “innovations” –dont
parle Kouna Eloundou –que proposèrent l’Ordonnance du 22 mai 1973 et même la Loi de 1981 ne furent
qu’une diversion formelle sans enracinement substantiel ni endogène ni collective, tout juste destinée à
accompagner une indépendance elle-même formelle et facticement proclamée (Achille Mbèmbè, 2010, 1997;
Joseph Ki-Zerbo, 2003) mais qui devait [se faire] passer pour la fin effective de la domination coloniale et la
prise en main résolue ou authentique de l’État et du destin collectif par les indigènes. Au colonialisme continué
–encore compris dans les concepts de post-colonialisme ou de néocolonisation –se greffaient l’incompétence
intellectuelle et stratégique ainsi que la gangrène de la corruption (Paolo Omar Cerutti et al, 2013).1047 C’est
cette aliénation intellectuelle profonde et cette emprise totale de l’exogénéité sur la modernité africaine
qu’atteste par défaut Thomas Bierschenk (2007) notamment quand il allègue romantiquement

1045 Op. cit.


1046 Charlotte Gisèle Kouna Eloundou relève, relativement aux “droits d’usage” par exemple, que « les politiques forestières postcoloniales, quoique
reconnaissant l’exercice des droits d’usage des populations locales sans contrepartie sur les Licences d’exploitation, les Ventes de coupe et les Permis,
suggérant ainsi une rupture avec le Décret du 3 mai 1946, n’explicitaient pas, comme les réglementations coloniales antérieures, si les produits
secondaires récoltés par les populations locales pouvaient être commercialisés ou non » (Op. cit.).
1047 À côté des travaux particulièrement ciblés de Paolo Omar Cerutti et al (2013) –auxquels nous référons dans le texte –Kouna Eloundou produit

également de multiples illustrations des dysfonctionnements manifestés par la mise en œuvre de la Loi des forêts de 1994.

502
« […] la coproduction euro-africaine des savoirs anthropologiques, à affirmer que, si l’on prête attention aux
trajectoires et réseaux professionnels de nos collègues universitaires et chercheurs africains, il est difficile de
nier leur caractère européo-centré »1048.

L’analyse sociologique des causes de la marginalisation chronique des communautés locales dans la
gouvernance forestière au Cameroun a permis d’éclairer la lame de fond à partir de laquelle se développent
les dysfonctionnements irréductibles qui émergent de la mise en œuvre du Régime des forêts de 1994.
L’approche d’analyse que nous proposons a permis de mettre en évidence et de formuler avec précision les
causes permanentes des contradictions fondamentales que manifestent l’économie forestière camerounaise,
par-delà la mise en exergue formelle d’approches originales nouvelles inspirées des contextes étrangers où
elles s’enracinent en toute cohérence. Il en est des réformes décentralisatrices, des slogans
environnementaux et de toutes sortes d’allégations de bonne volonté et d’engagement pour une exploitation
“durable” des ressources forestières.

Pour illustrer la situation pour le moins mitigée de l’économie forestière camerounaise, une vingtaine d’années
après la mise en place des réformes et du Régime de 1994, l’image la plus adéquate semble être celle d’une
greffe improbable de deux organismes que tout oppose dans leur identité biologique. En l’occurrence, c’est
comme si l’on demandait aussi brusquement qu’à l’improviste :
- [D’une part,] à une collectivité politique confrontée à des contradictions critiques irréductibles
inhérentes à son histoire et à sa structuration ontogénétique;
- De s’articuler fusionnellement ou d’opérer la réception parfaite;
- [D’autre part,] d’une démarche intellectuelle et d’un mode d’organisation collective formulés à partir
de la conscience réflexive d’une tradition historique différente dont l’existence propre était remise en
question par une crise conséquente.

L’énonciation suivante de Symphorien Ongolo A. & Laura Brimont (2015) met en évidence les différents
éléments structurels qui éclairent la difficulté pratique irréductible à laquelle est confrontée la prétention
universelle d’une proposition paradigmatique (intellectuelle et historique) indiscutablement cohérente à se
déployer sous la forme des dynamiques environnementales globales. En effet, alors que dans le cas du
Cameroun, nous sommes dans un contexte africain incarcéré, cerné et sous influence (Harana Paré, 2017;

1048Thomas Bierschenk, 2007 (publié en 2010), “Anthropologie et développement. Historiciser et localiser les approches”, Conférence plénière de
l’APAD, déc. 2007, in Bulletin de l’APAD, 31-32.

503
Paul Kammogne Fokam, 2017, 2005, 2000; Thomas Deltombe et al, 2016, 2011; Jean-Pierre Bat & Pascal
Airault, 2016; Bernard Lugan, 2015, 2011, 2006, 2003; Simon Nkén, 2014; Pierre Péan, 2014, 2010, 2005,
1988, 1983; François Mattei, 2014; Charles Onana, 2013, 2011; Thomas Callaghy, 2011; Patrick Benquet,
2010; Patrick Pesnot & Monsieur X, 2008; Ismaël Aboubacar Yenikoye, 2007; Pierre Laniray, 2006; Boubacar
Boris Diop, Odile Tobner et François-Xavier Verschave, 2005; François-Xavier Verschave, 2005, 1998; Mongo
Beti & Odile Tobner, 1989; Jean Ziegler, 1985, 1978; Jean Suret-Canale, 1980; Mongo Beti, 1972; Ferdinand
Oyono, 1956), dans un contexte périphérique et dépendant (Noam Chomsky, 2016, 2005, 2003, 1995;
Immanuel Wallerstein, 2014, 2012, 2011, 2009, 2008, 2006, 2001, 1999, 1995, 1991, 1988, 1985, 1975, 1966;
Guy Martin, 2014; Prao Yao, 2013; Samir Amin, 2012-1970; Mueni wa Muiu & Guy Martin, 2009; Nicolas
Agbohou, 2008; Michel Norro, 1994; Bertrand Badie, 1992; Fernand Braudel, 1986, 1985, 1979, 1958, 1949;
Thierry Michalon, 1984; Stanislas Spero Adotevi, 1972; etc.), et dans un contexte sous régime d’aide
(Nakanabo Diallo, 2013; Dambisa Moyo, 2009; Jean Ziegler, 2005)1049, avec une collectivité politique de
procession coloniale construite en tant que tel sur une élite arbitrairement cooptée par des intérêts exogènes
et jacobins sans responsabilité collective et citoyenne devant les populations (Simon Nkén, 2014; Daniel
Abwa, 2000)1050 et dont le déploiement de l’essence capitaliste s’est affirmée contre l’existence des
communautés indigènes (Jean Ziegler, 1988)1051, Ongolo A. & Brimont (2015) montrent qu’ :
À travers son ambition d’assurer une synergie harmonieuse entre l’environnement, l’économie
et la société, le concept de développement durable a redéfini les termes du débat sociétal en
matière de gestion des ressources naturelles.
Dans le chapitre 8 de l’Agenda 21 (Plan d’action de Rio 1992), le processus de participation de
la population évoque la nécessité de déléguer des responsabilités de gestion à l’échelon le plus
bas (CNUCED, 1992, Chapitre 8, Section 5). Cette recommandation conforte l’idée qu’il ne peut
y avoir de gestion durable des ressources naturelles tant que les populations vivant à proximité
de ces ressources demeurent marginalisées et démunies. L’implication des populations dans la
gouvernance des ressources naturelles requiert à cet effet un renforcement des capacités des
institutions locales couplé à une approche de gestion participative privilégiant une prise de
décision par le bas (Bottom up). Ce contexte a permis aux institutions financières et aux ONG
internationales de conservation (WWF, Conservation International, Wildlife Conservation
Society, etc.) de poser les bases d’une gestion communautaire des ressources naturelles dans
les pays africains. Dans le secteur forestier, il s’agissait de transférer davantage de
responsabilités de gestion des forêts de l’État central aux communautés locales, perçues
comme entités homogènes plus soucieuses de la durabilité des ressources forestières (Daniel
Compagnon, 2000)1052.

1049 Dambisa Moyo, 2009, Dead Aid. Why Aid is not working and How there is a Better Way for Africa, éd. Farrar, Straus and Giroux, New York.
Jean Ziegler, 2005, L’empire de la honte, éd. Fayard, Paris.
Lire également Jean-Claude Djéréké, 2012, L’Afrique et le défi d’une seconde indépendance, éd. L’Harmattan, Paris; 2007, L’Afrique refuse-t-elle
vraiment le développement?, éd. L’Harmattan, Paris.
1050 Simon Nkén, 2014, L’empreinte suspecte de Louis-Paul Aujoulat sur le Cameroun d’aujourd’hui, éd. K2Oteurs/Librairie Taméry, Paris.

Daniel Abwa, 2000, Commissaires et Hauts-Commissaires de la France au Cameroun (1916-1960). Ces hommes qui ont façonné politiquement
le Cameroun, éd. Karthala, Paris.
1051 Jean Ziegler, 1988, La victoire des vaincus. Oppression et résistance culturelle, éd du Seuil, Paris.
1052 Op. Cit.

504
Avec la manifestation de dysfonctionnements symptomatiques divers au centre desquels se dresse la
marginalisation [la disqualification intellectuelle et politique ainsi que l’incompétence technique et citoyenne]
des communautés villageoises, on voit bien qu’il était pour le moins difficile à une collectivité politique aussi
mal préparée et aussi peu disposée, à un contexte dont on peut dire que toute la structuration historique
(intellectuelle, politique, sociale, institutionnelle) s’opposait aux exigences nouvelles de partage et de
transparence de la gouvernance citoyenne et environnementale, de réussir spontanément une articulation
optimale à la démarche environnementale (Serge Latouche, 1999). C’est le sens de ce propos de Marie-
Claude Smouts (2001) qui pense que :
Contrairement à ce que prédirait une approche réaliste classique des relations internationales,
le principal obstacle entre le global et le local n’est pas le principe de souveraineté, bien qu’il
figure en tête de tous les textes internationaux relatifs aux ressources naturelles […] Plus que la
souveraineté, c’est le mode gouvernement dans les pays du Sud qui importe.
En maints endroits, la responsabilité de mettre en place les conditions nécessaires à
l’établissement de zones forestières protégées et d’en assurer le suivi est confiée à des ONG
internationales financées par les Bailleurs de fonds internationaux (Union européenne, Canada,
États-Unis, etc.), des portions entières de territoire sont gérées par des intervenants extérieurs.
La mise en œuvre de l’aménagement forestier durable est laissée aux entreprises exploitantes.
Le contrôle des exportations de bois, voire la collecte des taxes, sont assurés par des sociétés
privées. L’évaluation de la “bonne” gestion forestière est faite par des organismes de
certification accrédités par des instances extérieures au pays. L’ONG anglaise, Global Witness,
s’est vu confier par le gouvernement camerounais des missions d’inspection auprès des
sociétés forestières. C’est un organisme de recherche privé proche de la Banque mondiale, le
World Research Institute, qui publie et diffuse dans le monde entier le résultat des allocations de
concessions et autres titres d’exploitation forestière au Cameroun. Avec l’accord du
gouvernement, cet organisme a monté un dispositif de surveillance des modes d’exploitation
dans les forêts du pays et survole le territoire pour repérer l’emplacement exact des
concessions et déceler les comportements illégaux. Bref, la médiation entre le système forestier
international et les systèmes d’acteurs locaux participe du phénomène de privatisation des
États”1053.

La nature des préoccupations généralement identifiées autour des représentations propres, des intérêts
endogènes, des besoins et des droits des communautés villageoises; la profondeur et l’amplitude avec
lesquelles ces préoccupations sont formulées; le niveau de rigueur avec lequel on se soucie de voir ces
préoccupations abordées et pratiquées; et même l’assurance technique et la conviction intellectuelle avec
lesquelles ces préoccupations sont formulées; etc., tous ces éléments que l’on retrouve en 2008 dans la
dynamique de réforme du Régime des forêts de 1994 notamment à travers l’Évaluation1054 que les acteurs de
la société civile font du processus de révision de la Loi des forêts (RRI/GDA, 2013)], valident parfaitement
l’hypothèse que les Réformes ayant abouti à la mise en place de la Loi de 1994 –et dont l’analyse des
implications a fait l’objet de la présente thèse –n’ont jamais découlé ni du monde indigène africain ni de

1053Op. cit.
1054Robinson Djeukam & Aristide Chacgom, 2013, Étude évaluative des contributions à la réforme forestière liées aux droits communautaires et
de leur prise en compte dans l’Avant-projet de loi forestière, RRI/GDA.

505
l’évolution de la structure endogène ou interne [historique, intellectuelle, sociale, politique, économique] de la
collectivité politique camerounaise.

Et même, l’on pourrait affirmer que la profondeur de la démarche actuelle de réforme de la réforme –initiée en
2008 sur la pression d’une imprégnation endogène plus assumée des enjeux [forestiers] à l’œuvre ou plutôt
d’une attention plus intime des acteurs périphériques locaux (chercheurs, OSC/ONG, communautés
villageoises) au système –confirme clairement par défaut que les réformes du début des années 1990 ont été
faites dans la précipitation et dans une totale abstraction du donné endogène, accélérées qu’elles furent
probablement à cette époque par les urgences incompressibles des agendas idéologiques internationaux et
des préoccupations financières et économiques multilatérales et bilatéraux. Dès lors, Jean Bakouma (2016) a
raison de conclure que
Le Bassin du Congo connait depuis la fin des années 2000 un regain d’intérêt en matière
d’utilisation des terres ou de changement d’affectation des terres forestières. Cette évolution
répond à la stratégie de diversification économique des États. Elle coïncide avec
l’essoufflement des modèles classiques de gestion participative, et se cumule à l’enlisement de
la mise en œuvre des Accords de partenariat volontaire (APV) avec l’Union européenne et donc
de l’amélioration des de la gouvernance forestière1055.

À l’occasion d’une rencontre internationale d’évaluation organisée en avril 2015 à Yaoundé, un ensemble
d’acteurs nationaux et internationaux, notamment de la société civile, de la recherche et des communautés
locales, affirment que « Vingt ans d’application de la Loi forestière au Cameroun peut se résumer en quelques
mots : décalage entre la législation et la réalité sur le terrain »1056 (Ghislain Fomou, 2015). C’est ce constat
quasi sentencieux qui établit sans ambigüité que les Réformes forestières introduites au Cameroun au début
des années 1990 portaient structurellement dès le départ, les conditions de leur propre inopérabilité. Et
surtout, c’est ce constat qui confirme la structure coloniale d’un État dont l’analyse structurale montre
rapidement qu’il est tout entier [de procession] colonial (Simon Nkén, 2014; Daniel Abwa, 2000) tant dans sa
constitution ontogénétique que dans son déploiement phylogénétique [son institutionnalisation s’est
essentiellement faite par le haut, par la colonisation européenne, par l’action immédiate des États coloniaux
européens, conformément à leurs intérêts stratégiques philosophiques, culturelles, économiques et politiques].
Cette structure qu’atteste l’ensemble des travaux d’analyse historique les plus approfondis élaborés sur le

1055 Jean Bakouma, 2016, “Le développement forestier inclusif passe par l’utilisation responsable des terres”, in Gérard Buttoud et Jean-Claude
Nguinguiri, La gestion inclusive de forêts d’Afrique centrale : passer de la participation au partage des pouvoirs, éds. FAO-CIFOR,
Libreville/Bogor, 2016.
1056 Rapport des travaux de la conférence internationale organisée à Yaoundé du 13 au 15 avril 2015 par le Centre pour l’environnement et le

développement, CED.

506
Cameroun (Simon Nkén, 2014; Daniel Abwa, 2000) expliquent les contradictions et dysfonctionnements
ultérieurs et actuels que l’on observe dans le déploiement de la collectivité politique camerounaise.

En effet, en réitérant principalement la nécessité de définir le droit coutumier en le dissociant du droit d’usage,
d’élargir les sources du régime de la propriété des forêts aux coutumes locales, d’élaborer un nouveau plan
d’affectation des terres forestières dans une démarche concertée et participative, et même de procéder au
rééquilibrage des compétences et pouvoirs au profit des communautés locales et populations indigènes
(Robinson Djeukam & Aristide Chacgom, 2013), le mouvement actuel de réforme montre que l’allégation des
motivations environnementales et autres préoccupations dites démocratiques sous la dynamique de la
Banque mondiale au début des années 1990 ne fût qu’une sorte de saupoudrage cosmétique destinée à faire
effet de mode et surtout à s’accommoder de l’imperium des régences financières internationales et à
s’articuler aux impératifs internationaux économico-industriels, tout en contentant les forces de plus en plus
puissantes du militantisme environnementaliste ambiant. En dépit du destin avorté qu’il va connaitre
ultérieurement du fait de sa rupture unilatérale par le Ministère des forêts, c’est ce que conforte définitivement
et par défaut l’engagement formel pris en 2008 par le gouvernement camerounais pour un réel processus
participatif et inclusif de construction d’une nouvelle Loi des forêts (B. Nongni & G. Lescuyer, 2016).

En s’articulant de manière plus cohérente et authentique aux propositions intellectuelles environnementales et


démocratiques, l’on se rend compte de ce que c’est avec le mouvement de réformes forestières engagé en
2008 et qui témoigne d’une appropriation intellectuelle effective des problématiques environnementale et du
développement durable ainsi que des exigences d’existence politique et de citoyenneté des acteurs locaux,
que ça n’est qu’aujourd’hui, avec cette dynamique de réforme qu’il convient d’appeler de deuxième génération
que semblent réellement mobilisées et adressées les préoccupations qui auraient pu attester au début des
années 1990 de l’environnementalité reélle ou authentique des premières réformes qui vont donner lieu à la
mise en place de Régime des forêts de 1994. C’est ainsi que dans le corpus des propositions défendues par
les organisations de la société civile et les communautés locales se trouvent notamment formulés :
la préoccupation d’élaborer le Plan national d’affectation des terres en s’appuyant sur des
documents cartographiques élaborés avec les techniques et les outils de la cartographie
participative; du souci de spécification dans le détail des mécanismes de participation de tous
les acteurs et particulièrement des communautés villageoises ou riveraines, à travers le
consentement libre, informé et préalable; la description de la procédure de consultation; les
aspects de la gestion forestière tels que l’élaboration des politiques, programmes et textes
législatifs, la mise en œuvre des plans d’aménagement, l’observation et le suivi indépendant des
activités forestière, le partage des retombées financières des services environnementaux; les
modalités de prise en compte des intérêts, besoins et priorités des communautés villageoises
populations lors de l’attribution des titres forestiers […] (Robinson Djeukam & Aristide Chacgom,
2013).

507
C’est dans cette démarche définitivement appropriée des enjeux et préoccupations mobilisés sur la question
de l’économie forestière par les problématiques environnementales et de gouvernance que les intervenants
jadis périphériques peuvent indiquer dans un ton qui dénote d’un confort certain que :
L’objectif global de la Réforme convenue en 2008 est de promouvoir l’amélioration de
l’intégration des droits communautaires en général et des droits des tenures communautaires en
particulier dans la Loi et les décrets d’application qui sortiront du processus de réforme
forestière en cours au Cameroun. Et la démarche d’évaluation du processus de Réforme par les
organisations de la société civile devra plus spécifiquement porter une attention particulière :
- aux propositions visant ou affectant les droits des communautés locales et autochtones qui ont
été soumises au Ministère des forêts, et formuler, le cas échéant, des recommandations
tendant à l’amélioration de leur cohérence avec les aspirations et les intérêts de ces
communautés, au moment de leur intégration dans les textes qui sortiront de la Réforme;
- à l’intégration des besoins et intérêts des communautés locales dans l’Avant-projet de Loi
forestière soumis aux Services du Premier ministre et formuler des recommandations en vue
d’une meilleure reconnaissance et/ou sécurisation des droits communautaires;
- à l’identification des éléments clés à intégrer dans les décrets d’application en cours de
préparation, pour une meilleure reconnaissance et/ou sécurisation des droits
communautaires (R. Djeukam & A. Chacgom, 2013).

Et si le mouvement actuel de réforme de la réforme insiste avec autant de force sur la prise en compte des
droits des communautés de même que sur le caractère central d’articuler la Loi aux préoccupations
essentielles des communautés, cette nouvelle démarche suggère clairement deux conséquences théoriques
majeures. Primo, le Régime des forêts et de la faune mis en place en 1994 était essentiellement orienté par
les préoccupations économiques vers les intérêts industriels et de production économique. En effet, Samuel
Nguiffo du CED est formel et conteste le caractère environnemental de la Loi de 1994 en affirmant « qu’elle
n’a été élaborée à l’inspiration de la Banque mondiale que pour les investisseurs et les objectifs de production,
reléguant à la portion congrue la préoccupation écologique liée à la santé des écosystèmes forestiers et les
préoccupations sociales liées aux implications sur les communautés villageoises »1057.

Les certitudes de Nguiffo sont confirmées aussi bien par Parfait Oumba (2007) que par le Rapport d’évaluation
de l’action de la Banque mondiale dans le secteur forestier au Cameroun. Fabrice Parfait Oumba (2007) est
formel :
Le législateur s'est surtout préoccupé des règles suffisamment coercitives pour amener les
exploitants forestiers à s'acquitter de leurs droits et taxes envers l'État. Le fiscal l'a donc
emporté sur le social. C'est cette impression générale qui se dégage finalement de la
réglementation actuelle des forêts. Le souci du législateur a surtout été économique : procurer à
l'État des devises pour faire face à la récession économique. Finalement, ce n'est qu'à l'État que
l'application de la loi profite, et dans une certaine mesure, à ses débiteurs, les exploitants

1057 Entretien avec Samuel Nguiffo, Yaoundé, juillet 2015.

508
forestiers. Ceux-ci trouveront toujours la juste contrepartie des taxes payées dans l'exploitation
assidue des forêts. Il reste certainement à faire une loi sur les forêts qui tiennent suffisamment
compte des intérêts bien compris des populations riveraines, et finalement des populations
camerounaises en général1058.

De même, pour l’IEG, le Comité d’évaluation de l’expérience de la Banque mondiale :


Attention to Rural poverty has been lacking in World Bank supported concession reform
projects. World Bank policy advice and projects that have supported the reform of industrial
timber concession regimes have usually neglected or underestimated the non-timber values and
uses of the forests with respect to the livelihoods of forest-dependent people, their traditional
claims, sociocultural values, and overall sense of security. Evidence is also lacking that
concessioned natural forests are being managed sustainably” (cité par Karsenty, 2016).

Dès lors la question lancinante est : Comment cela est-il possible si les communautés villageoises avaient été
présentes?

La crise de la modernité capitaliste ainsi que la manifestation de contradictions diverses inhérentes à cette
crise suggèrent logiquement une démarche de remise en question radicale du paradigme intellectuel et
économique actuel (Mbog Bassong, 2016, 2013; Peter Dauvergne, 2013, 2008, 1997; Jean Vioulac, 2012;
Edgar Morin, 2011, 1999, 1981; Paul Boccara, 19741059), dans une approche révolutionnaire qui, en
l’occurrence, soumette l’exploitation des ressources forestières à l’exigence de cohérence écosystémique telle
qu’elle se dégage de la nécessité écologique mais aussi de la structure existentielle (les représentations, les
besoins et les intérêts endogènes) des communautés villageoises. Même si la raison pragmatique exigerait
tout aussi qu’au-delà du radicalisme [de principe] de cette perspective, l’on tienne compte de l’enracinement
structurel des prétentions élitistes et des totalitarismes capitalistes du modèle moderne. En dépit de
l’émergence d’acteurs nouveaux, de dynamiques et lignes de forces nouvelles occasionnées par l’incapacité
des institutions anciennes à prévenir les crises, en dépit de l’affirmation de configurations politiques inédites et
de nouveaux modes de gouvernance nés de la pertinence de problématiques nouvelles (environnementales)
et des coalitions autours d’intérêts nouveaux (écologiques vs économiques), etc., il semble que la
configuration paradigmatique actuelle décline une sorte de néo-institutionnalisme de rupture qui conjugue
exigences de transition paradigmatique radicale (écologismes, décroissance) et enracinement paradigmatique
classique (modernisation de la modernité). Cette perspective de coordination qui participe du “Path
dependence” ou de la synthèse théorique par laquelle Mamoudou Gazibo (2002) aboutit au concept de
“démocratisation à l’amiable”, ne peut développer son alternative qu’en tant que “pacte” entre les héritiers du
modèle classique et les acteurs environnementalistes ou postmodernes, c’est-à-dire finalement comme

1058 Op.cit.
1059 Paul Boccara, 1974, Études sur le capitalisme monopolistique d’État, sa crise et son issue, Éditions sociales, Paris.

509
trajectoire historique structurale des institutions. Il s’agit d’une perspective néo-institutionnelle recomposée qui
se veut pragmatique et efficace1060, dans laquelle transitologie et consolidologie se rencontrent. C’est ce qui
fait dire à M. Gazibo (2002) que tout regard sur les possibilités et les problèmes posés par l’utilisation du néo-
institutionnalisme doit être nuancé, dans une posture qui, en tenant simultanément compte des défis différents
que la transition, la consolidation et la rupture posent à l’analyse, intègre à bonne dose l’institutionnalisme
historique, l’institutionnalisme sociologique et l’institutionnalisme des choix rationnels.

C’est en cela que « le néo-institutionnalisme n’est pas un modèle de changement mais un modèle d’ordre »
(Mamoudou Gazibo, 2002), en tant qu’il décrit et analyse les conditions d’émergence et les éléments de
fonctionnement des nouveaux modes politiques ou de gouvernance à partir de l’émergence d’acteurs
nouveaux, de forces politiques nouvelles, de la mise sur agenda de préoccupations et problématiques
nouvelles dont la pertinence est sinon indiscutable du moins partagée, de l’émergence de nouvelles
configurations socio-politiques et institutionnelles en œuvre, tout ceci non pas hors du paradigme opératoire
mais dans le même paradigme infléchi par la reconfiguration politique née de l’affirmation des préoccupations
et lignes de force nouvelles. Pour Mamoudou Gazibo (2002), « La théorie néo-institutionnelle est ici peu
différente d’autres explications en science politique parce qu’elle est plus armée pour expliquer la stabilité et
les effets de structuration et de continuité, que le changement. Il apparaît à cet égard que l’explication de la
consolidation est plus conforme à l’ontologie institutionnelle, même si c’est au prix d’un risque de réification
des institutions considérées pratiquement comme des acteurs individuels »1061.

Autrement dit, si le déclassement radical du paradigme moderne ne semble pas d’actualité, il n’en demeure
pas moins que la nécessité d’une refondation de l’économie forestière s’impose, dans une orientation
résolument impliquée qui se construise sur une double exigence fondée d’un côté sur la conformation aux
équilibres naturels inhérents à la complexité, et de l’autre côté sur la traduction contextuée des structures
écosystémiques sympathiques et des préoccupations existentielles des communautés, le tout dans une
logique qui renforce les potentiels naturels des ressources en même temps qu’elle développe les conditions
de sécurité et de bien-être des communautés. Par une affinité certaine, cette analyse s’articule parfaitement à

1060 Dans une approche néo-institutionnaliste qui articule institutionnalisme historique, utilitarisme et choix rationnels, et qui met davantage en
perspective la consolidation démocratique [institutionnelle ou paradigmatique] plutôt que la rupture ou la révolution, « A. Przeworski croit aussi en
l’importance du pacte, mais il insiste plus encore sur une explication instrumentale : les institutions démocratiques durent non seulement parce qu’elles
punissent ceux qui ne les respectent pas, mais, mieux encore, parce qu’elles institutionnalisent l’incertitude et offrent aux acteurs un cadre stable dans
lequel ils peuvent défendre leurs intérêts » (Mamoudou Gazibo, 2002).
Dans le même sens Tozzi note que « La certification forestière hérite des caractéristiques du processus global de normalisation auquel elle se rattache,
celles d’une catégorie floue et d’un registre ouvert de l’action publique. La gouvernance de la durabilité ainsi traduite s'affirme dans l'équivoque de
partenariats débordés par les rapports de force et de négociations se déroulant sur fond de concurrence. Les dispositifs certificateurs sont vecteurs de
changements dans les pratiques de gestion des ressources naturelles et ce sens valorisés pour leurs dynamiques innovantes. En même temps, la
certification intègre les contraintes environnementales les plus pressantes en continuant de répondre aux impératifs classiques du système
économique : elle peut apparaître au final comme une logique de conformation aux tendances dominantes » (Pascal Tozzi, 2011).
1061 Op. cit.

510
l’énonciation que formulent Gourgues et coll. (2013) quant au statut de la préoccupation citoyenne et politique
et de la participation :
Comment proposer une analyse critique des dispositifs participatifs et délibératifs suffisamment
objective et à distance de toute approche normative? Une telle posture est-elle seulement
envisageable? Est-elle-même souhaitable, tant il paraît vain de se placer dans un en-dehors
démocratique? Et comment alors faire la critique de l’offre publique de participation sans verser
dans la “haine de la démocratie” (Rancière, 2005)?
La participation des citoyens à l’exercice du pouvoir doit constituer le cœur d’un régime
démocratique : du système politico-administratif aux différents domaines sociaux et
économiques, il convient de développer les mécanismes de démocratie directe et d’étendre le
contrôle démocratique aux institutions au sein desquelles les gens vivent. La portée éducative
de la participation est soulignée par tous les auteurs : non seulement des gains en termes de
développement personnel sont attendus, mais l’intérêt pour les affaires collectives en serait
accru. Participer et faire participer relèvent donc d’un cercle vertueux (Pateman, 1970)1062.

Dès lors, que ce soit du point de vue de la justice environnementale, de la justice sociale, de la démocratie
participative, de l’écologie politique ou du développement durable, le rapport à la forêt en tant que ressource
écosystémique passe par la conciliation radicale entre d’une part, les représentations indigènes des
communautés locales, et les besoins modernes d’autre part. Il ne s’agit donc pas d’envisager une quelconque
aporie paradigmatique dans laquelle seraient irréconciliablement opposés la conservation et l’aménagement. Il
n’en demeure pas moins que de l’avis de Sévérin Cécile Abéga (2001) :
Le problème écologique est mal posé parce que c'est celui qui détruit qui doit payer et non celui
qui subit. Le pygmée ici est en position de victime et non pas de coupable. On ne peut pas lui
demander de planter des arbres et de prendre soin de l'environnement. Cette forêt est encore
dense aujourd'hui, elle était presque entière hier. Hier, c'est il y a 20, 30, 40 ans. Ce n'est rien à
l'échelle de la civilisation pygmée. Les pygmées ont toujours vécu avec cette forêt, ils ne l'ont
pas coupée, ils ne l'ont pas vidée de ses animaux ! Si on doit tenir un discours à caractère
écologique, ce n'est pas au pauvre paysan. Lui, il a peut-être besoin d'un arbre pour faire les
piquets de sa maison mais s'il coupe un arbre il n'en utilisera peut-être qu'une bille. Le reste
peut servir de bois de chauffage ou à d'autres usages domestiques. Cela montre qu'au rythme
de consommation de nos populations, le patrimoine forestier naturel n'est pas menacé. De
même avec les flèches, fussent-elles empoisonnées, avec les lances, avec les lance-pierres on
ne menace pas la biodiversité. Il restera toujours assez d'insectes, de poissons et d'animaux
pour nourrir les populations riveraines de ces zones.
Ce qui menace, c'est l'exploitation industrielle, c'est ceux qui prennent des décisions en réalité
au niveau ministériel, des différents organismes gouvernementaux, au niveau de l'Assemblée
nationale, au niveau de la société civile. C'est là que l'action doit porter pour qu'il y ait des lois
qui protègent et pour qu'elles soient appliquées, car une chose est de voter des lois, une autre
est de les appliquer… Qu'il y ait une vigilance, et ça c'est le rôle de la société civile. La société
civile n'est pas un pouvoir, c'est un contre-pouvoir qui participe à la démocratie en proposant, en
dénonçant, en défendant, en faisant pression, en éclairant. Je pense que la société civile
camerounaise aujourd'hui ne joue pas pleinement ce rôle parce qu'elle se laisse encore prendre

1062 Op. cit.

511
dans les connivences, les allégeances à caractère politique, ethnique, économique. Elle doit
s'en libérer pour jouer pleinement son rôle1063.

Comme on le voit, il s’agit d’une démarche qui préfigure la restitution intellectuelle de l’économie forestière à la
Théorie africaine telle que formulée chez Grégoire Biyogo (2015), Doti Bruno Sanou (2014), Mbog Bassong
(2013), Claude Villeneuve et al (2013), Esoh Elame et al (2012), Mubabinge Bilolo (2007), Sévérin Cécile
Abéga (2001, 2000) ou Guéhi Jonas Ibo (1994). En effet, si les analyses élaborées jusqu’ici dans le cadre
d’une recherche essentiellement fonctionnaliste s’avèrent relativement pertinents du point de vue opérationnel
à court terme et pour les urgences immédiates, il n’en demeure pas moins que dans la mesure où elles
entérinent implicitement la validité paradigmatique de la production capitaliste en ne laissant pour unique
solution aux communautés indigènes que le choix d’une modalité d’articulation à l’économie capitaliste, la
validité de ces analyses reste fondamentalement discutable, insuffisante et approximative du point de vue
théorique, que ce soit à l’aune de la complexité ou de la décroissance qu’à l’aune de la critique endogène.
C’est dans ce sens que traitant des enjeux intellectuels et de la pensée opératoire ainsi que des conditions
structurelles de la performance scientifique en Afrique, Mbog Bassong (2016) énonce, dans la perspective
endogène :
Le drame de la recherche en Afrique, c'est bien que sur un plan rationnel, le chercheur est
souvent inapte à donner un contenu scientifique aux traditions africaines [incapable non
seulement de formuler la science qui soutend les coutumes et traditions, mais également de
restaurer le lien structural qui articule les deux dimensions], faute d'une herméneutique
puissante des faits de culture. En même temps, ce chercheur-là ne suit pas de près les
avancées de la science. Cet hybridisme de circonstance rend alors la recherche très peu
pertinente, voire inopérante. Ailleurs, les traditions ont été interrompues [sous le prisme
macchémologique, José Do Nascimento (2011, 2008) dit qu’elles ont été “cassées et
tordues”] par la colonisation et la religion. C'est de cette manière qu'il faut expliquer l'avance de
l'Asie qui, elle, procède de cette absence de coupure entre la tradition, la science et la
modernité.
En [sou]mettant les Africains à l'école coloniale et à la religion coloniale, ils ont été sevrés du
continuum logique, onto-logique et anthropo-logique qui fait la grandeur [qui sauvegarde cette
cohérence et cette stabilité historique à partir desquelles se cristallisent la conscience de
l’identité, l’intelligence collective et l’intellectualité opératoire] des peuples. Le fil de rasoir a
atteint les Africains dans leur moelle ontologique, en sciant méthodiquement les strates
profondes de leur psyché. Aussi la colonisation a-t-elle fini par raboter nos consciences en
livrant le chercheur africain, bon gré mal gré, consciemment ou inconsciemment, à l'oubli du
confort intellectuel de la sagesse africaine1064.

C’est peut-être à cet égard que les modèles co-constructifs peuvent s’avérer intéressants : dans un travail tout
récent, Bakker Nongni & Guillaume Lescuyer (2016) évoquent ainsi :

1063 Op. cit.


1064 Lire Mbog Bassong, op. cit.

512
La théorie de la “double spirale” appliquée aux politiques publiques forestières est une
résultante du modèle mixte. Ce modèle mixte comportant des phases empruntées aux modèles
rationaliste et incrémental, détermine un ensemble de comportements de “Muddling-Through”
qui peut être figuré par la succession d’une spirale d’ouverture, puis d’une spirale de fermeture
du processus de concertation. La spirale ouverte vers l’extérieur correspond à la situation d’un
processus inclusif d’apprentissage mutuel comprenant plusieurs étapes : motivation et formation
des leaders, introduction de nouvelles méthodes, de nouveaux concepts, de nouvelles idées,
puis expérimentation de ces nouvelles idées. Cette première étape enthousiaste de la
concertation correspond à l’aspect incrémental du modèle mixte, à la phase où les participants
n’ont d’autre objectif prédéterminé que d’apprendre des autres1065.

C’est cette logique que Mbog Bassong (2013) systématise dans une énonciation générale qui éclaire
particulièrement l’opérationnalité des contraintes structurelles paradigmatiques, notamment en identifiant la
disjonction intellectuelle ou idéologique originaire à partir de laquelle l’économie forestière industrielle
engendre la marginalisation des communautés villageoises –parmi tous les autres contradictions et
dysfonctionnements fondamentaux qu’occasionnent les conditions et modalités de déploiement de la
modernité capitaliste en contexte africain. Pour Mbog Bassong :
La question du développement durable est posée, de façon implicite, dans le cadre de la
régulation des processus naturels qui appellent la prise en compte de la valeur à accorder, sous
un angle anthropomorphique, à la logique de la nature et à la signification à donner aux
phénomènes économiques en relation avec cette logique. L’enjeu ici, c’est de tirer avantage du
dialogue systémiste ou intradisciplinaire, de conjurer le désordre qu’induisent les déterminismes
sociaux (évènements improbables et bifurcations) et d’y neutraliser les circuits de prédation
(niveaux de réalité), à défaut d’une conjuration des crises (catastrophes directs ou à
retardement) et de leurs cycles […]
L’économique et la valeur apparaissent comme deux facettes de la même réalité : la vocation de
création de la vie. [En effet,] La restitution de “l’économie” comme l’activité de production et
d’échange des biens et des services dans la “forme valeur” serait, pour cette raison, l’expression
de la valeur inscrite dans l’échange des biens endossés par les protagonistes [dont il convient
de relever qu’ils se déterminent du point de vue de la complexité écosystémique aussi bien en
tant qu’investisseurs et producteurs, consommateurs et institutions, qu’en tant que ressources
naturelles et matières premières] avec en contrepartie, ce qui fait que les conditions de
production et de renouvellement de la vie soient effectuées ou assurées.
Il y a derrière cette approche, un état de satisfaction morale [d’harmonie ou de sécurité] que
toutes les parties impliquées doivent ressentir pour que la raison soit apaisée. Les effets d’une
telle démarche se prolongent sentimentalement et spirituellement, en attendant les prochaines
transactions. Cette démarche ressemble à une mise en gage durable, à une sorte de crédit de
production et de fonctionnement, voire de renouvellement de l’idéal de satisfaction, de vie
engagée pour services équitables rendus.
Dans ces conditions, le gain n’est pas la visée première et, le cas échéant, il est porteur d’une
équité sentie par toutes les parties. C’est cette équité et ce sentiment partagé d’équité qui
permettent alors le renouvellement infini du contrat spirituel de coopération purgé de la violence
que l’activité d’investissement et de production contenait en puissance. L’harmonie entre toutes
les parties est la raison d’être de l’économie1066.

1065 Bakker Nongni et Guillaume Lescuyer, op. cit.


1066 Op. cit.

513
En dépit de son obsession par le tropisme paradigmatique de la modernité capitaliste et du modèle de
l’exploitation industrielle, Alain Karsenty (2016) arrive également aux mêmes conclusions. En effet, dans son
dernier travail sur le sujet, l’économiste français pense que :
The ultimate challenge for donors and committed governments will be to shift from the traditional
approach in terms of national public forest policies to a new paradigm in terms of the coherence
of forest-related policies; this includes all the public and private policies that affect forests,
directly and indirectly (land tenure, agriculture, transports, land-use planning, energy policies,
etc.).
The new paradigm does not only concern forest-related policies in developing countries, but also
policies and consumption patterns in industrial countries, as was recently pointed out regarding
the significant impact of EU policies and consumption patterns on deforestation.
The limited capacity to take action beyond traditional sectoral boundaries is a traditional
weakness of both the organizations and the ministries in developing countries. But, if tropical
deforestation is to be reduced or contained, coherent cross-sectoral policies coupled with
responsible trade and consumption policies in developed countries, will be essential1067.

1067 Op. cit.

514
CONCLUSION

Michel-Alain Combes (2012) :


« L’histoire des sciences montre que le principal n’est pas de
convaincre à tout prix les mandarins de l’époque, quand on défend
une théorie résolument nouvelle et forcément dérangeante. Ces
mandarins, imbus de leur autorité arbitraire et très souvent
provisoire, sont maitres pour snober ou pour étouffer tout ce qui
risque de les faire passer de mode (…) Les mandarins passent, la
science évolue, les théories nouvelles apparaissent. C’est la roue
qui tourne, et certaines affirmations qui peuvent paraitre
exorbitantes aux savants en place ne sont simplement que le reflet
de cette science qui bouge et qui déjà leur échappe »
(In La Terre bombardée, Version 4).

En conclusion de son livre intitulé, “Penser la science ou les enjeux du savoir”, Bernard d'Espagnat (1990) en
arrive à énoncer que seuls « Les phénomènes sont scientifiquement descriptibles, le réel ultime ne l’est
pas »1068. Devant cet énoncé angoissant, que pouvons-nous dire de cette thèse qui s’est donnée la
préoccupation osée d’identifier les déterminants ultimes et les bases permanentes qui expliquent la
marginalisation chronique des communautés villageoises qui se dégage du déploiement de la gouvernance de
l’économie forestière au Cameroun, par-delà les divers autres dysfonctionnements structurels et les
contradictions irréductibles auxquels la mise en œuvre du Régime des forêts de 1994 a donné lieu au
Cameroun?

La présente thèse a porté sur l’Afrique. Sur un phénomène emblématique de la modernité intellectuelle,
politique et économique africaine actuelle. Les données analysées dans cette thèse ont essentiellement été
collectées à partir de deux sources : la littérature scientifique et spécialisée réalisée jusqu’ici sur le sujet et les
divers acteurs impliqués dans la gouvernance forestière au Cameroun. L’exploitation des recherches ayant
précédé notre thèse représente une part très importante dans les données analysées. Dès lors, le défi de la
thèse a consisté à identifier et à constituer les éléments constants à partir desquels se dégage la cohérence
structurelle permettant de comprendre de manière générale l’émergence implaccable des dysfonctionnements
et contradictions irréductibles dans la mise en œuvre des Réformes forestières mises en place dans les
années 1990, et spécialement en quoi la marginalisation chronique des communautés villageoises dans la

1068 Bernard D’Espagnat, 1990, Penser la science ou les enjeux du savoir, éd. Dunod, Paris.

515
gouvernance forestière est une occurrence logique dans le contexte spécifique de la collectivité politique
camerounaise.
Nous n’avons donc pas oublié que dans la forme et l’écriture de notre thèse, le mode de mobilisation des
données destinées à valider l’opérationnalité des contraintes structurelles (paradigmatiques, interscalaires et
contextuelles) dans l’explication des causes de la marginalisation chronique des communautés villageoises
dans l’économie forestière moderne au Cameroun, était commandée de part en part par la nature de la
problématique portée par la thèse ainsi que par la nature du défi théorique qu’elle entendait relever. C’est ainsi
qu’il apparait clairement, par ailleurs, que seules une préoccupation théorique du type de notre thèse et une
démarche d’analyse du type que nous avons proposé ici pouvaient offirir aussi pertinemment aux informations
spécifiques de divers ordres que nous avons mobilisées, non seulement leur pleine valeur épistémologique,
mais également tous leur pertinence et leur plein potentiel scientifique.

Du strict point de vue de la sociologie de l’environnement ou de la description de la gouvernance forestière au


Cameroun, la thèse que nous avons élaborée n’apporte pas nécessairement une nouveauté radicale. Comme
on l’a vu, de nombreux et excellents travaux ont été consacrés depuis plusieurs années à la gouvernance
forestière notamment à partir de l’inflexion notoire que les politiques publiques en matière de forêts ont reçue
de la Réforme du début des années 90. Ils ont exhaustivement décrit et examiné l’économie forestière
camerounaise notamment en en relevant les dimensions institutionnelles, organisationnelles et fonctionnelles
ainsi que les aspects problématiques ou dysfonctionnels1069. Dans l’essentiel, et dans la démarche par
laquelle Jürgen Habermas (1962) analyse “l’espace public”1070, ces travaux ont évalué les Réformes
forestières à partir de divers points de vue mais aussi à l’aune de leurs manifestions concrètes sur les
communautés locales ainsi que leurs retombées écologiques, économiques, sociales, politiques, citoyennes.
On peut dire de tous ces travaux auxquels nous avons abondamment et constamment référé qu’ils présentent
clairement et de manière détaillée la dynamique, l’évaluation et le tableau de la gouvernance forestière au
Cameroun.

Dans ce contexte épistémologique et théorique, si nous avons également contribué à documenter diverses
dimensions que manifeste l’exploitation des ressources de la forêt au Cameroun, il n’en demeure pas que
l’originalité de nos recherches portent davantage sur l’enjeu –de la formulation de la démarche d’analyse et
des outils conceptuels qui permettent –l’explication générale de l’économie forestière telle qu’elle s’est
déployée jusqu’ici dans la collectivité/modernité politique camerounaise. C’est seulement de ce point de vue,
1069 Lire aussi Parfait Thierry Mbous, 2002, L'exploitation forestière et le développement des forêts communautaires au Cameroun. Une action
collective pour la protection de la biodiversité, Mémoire de Diplôme d'études approfondies, Institut universitaire d'études du développement,
Université de Genève.
1070 Jürgen Habermas, 1978 (1962), L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, éd.

Payot, Paris.

516
en tant que “synthèse théorique” (Gilles Gagné, 1992)1071, que notre thèse propose une contribution
intéressante : parce que si l’on s’en tient à la description et à l’analyse des manifestations fonctionnelles de la
collectivité politique camerounaise telles qu’elle se dégagent de la mise en œuvre du Régime des forêts de
1994 et de la gouvernance forestière, si l’on ne va pas au-delà, non seulement on documenterait pareillement
le même phénomène à l’infini et tournerait ainsi en rond, mais on n’arriverait difficilement à passer au dernier
degré de l’explication, au degré essentiel de l’explication, celui par lequel l’on identifie, éclaire et formule les
conditions permanentes ou structurelles à partir desquelles tous les dysfonctionnements et contradictions
fondamentales –au premier rang desquels la marginalité chronique des communautés locales –deviennent
possibles. À la suite d’Alban Bouvier (2006)1072, et pour utiliser la conceptualité de Dominique Raynaud (2008)
synthétisant l’importante contribution de Berthelot à la science sociologique, notamment à travers sa critique
du constructivisme :
Le constructivisme social, très sensible dans les études de sociologie et d’ethnographie
des sciences s’est fait une spécialité de renoncer à l’idée de vérité. La description de
l’activité scientifique proposée par l’auteur ne doit rien à ce courant. Le constructivisme s’est
largement nourrit de l’attention portée aux controverses, riches en éléments passionnels
éloignés du thème classique de la poursuite de la vérité. Le constructivisme développe une
forme d’hyperempirisme à l’égard des pratiques scientifiques, prises dans le détail. Mais la
multiplication des comptes-rendus n’a pas de réelle portée informative. Plusieurs limites
sont inhérentes à ce “style descriptif”, boulimique de détails événementiels, politiques,
idéologiques, économiques ou rhétoriques. L’exhaustivité est impossible. Toute description
reste ordonnée à des intérêts de connaissance. Un programme de recherche doit être jugé aux
thèses qui peuvent être inférées à partir des enquêtes empiriques. Or les thèses générales du
constructivisme sont indépendantes des données empiriques, qu’elles pèsent par leur portée
critique (la vérité n’existe pas; la science est une activité sociale comme les autres, etc.), ou par
des mots d’ordre (routines ordinaires, savoirs tacites, indexation, etc.). Les thèses spécifiques
du constructivisme, qui ont un contenu informatif plus élevé, sont quant à elles régulièrement
contestées par les spécialistes du domaine, historiens ou philosophes des sciences1073.

Notre thèse s’est donc particulièrement intéressée à l’inflexion problématique que le statut historique de la
collectivité politique camerounaise provoque dans le déploiement de la gouvernance forestière. Il s’agit d’une
recherche sociologique qui s’est préoccupée, dans une approche complexe, [éco-]systémique et historique,
d’identifier les enjeux théoriques mobilisés par l’analyse des modalités du rapport de la modernité à la forêt
dans le contexte camerounais, autrement dit dans l’analyse de l’économie forestière au Cameroun. L’énoncé
général qui se dégage de notre thèse est le suivant : la manifestation de dysfonctionnements irréductibles
dans la mise en œuvre des réformes trouve foncièrement son explication dans l’abstraction historique des
réformes du contexte dans lequel elles sont destinées à s’appliquer. Autrement dit, c’est le différentiel
fondamental caractérisé par l’inexistence de leur ancrage dans le vécu total du contexte camerounais ainsi

1071 Gilles Gagné, 1992, “La théorie a-t-elle un avenir?”, in La revue du Mauss, 1er et 2ème trimestres 19992, n˚15/16, pages 43-57.
1072 Op. cit.
1073 Dominique Raynaud, op. cit.

517
que leur incapacité à coïncider parfaitement avec l’histoire du Cameroun et à en faire la synthèse –c’est-à-dire
à résoudre dans leur cohérence structurelle tous les problèmes posés par la constitution de la collectivité
politique camerounaise –qui explique l’émergence de contradictions structurelles dont la marginalisation
chronique des communautés villageoises semble être l’une des expressions les plus emblématiques. C’est
cette conjonction de discordances structurelles confortée par le déficit politique collectif à la motivation des
réformes et caractérisé par l’incapacité des solutions nouvelles à traduire la réalité opératoire, et à apporter les
solutions qui répondent aux préoccupations des gens, qui correspondent à leur situation réelle, à leurs
moyens, aux ressources diverses dont ils disposent, qui explique l’échec des réformes tel qu’il est
constamment et invariablement établi.

L’un des apports majeurs de notre thèse est de montrer qu’au-delà de l’apparente simplicité qu’aurait
finalement pu en donner le caractère jusqu’ici redondant de son traitement fonctionnaliste, la marginalisation
chronique des communautés villageoises dans le système de gestion de l’économie forestière au Cameroun
n’est pas un phénomène banal. En effet, parce que fondée sur la réflexivité critique et développée en
examinant la structure de déploiement de l’histoire, notre thèse a proposé une démarche radicale mais
novatrice d’analyse de ce phénomène apparemment simple constamment établi par la littérature scientifique
des vingt dernières années, mais qui se révèle essentiellement complexe et structurel, significatif de
l’historicité incertaine et problématique de l’ensemble de la collectivité politique africaine. Autrement dit, à
cause du caractère systémique ou total de la violence coloniale (Ira Dworkin, 20061074; Franz Fanon, 2006,
1961, 1952; Ramona Austin, 20051075; Edward Berenson, 2012, 2005) et des conditions exogènes de
naissance de l’État, conditions à partir desquelles vont découler les fragilités institutionnelles collectives (José
Do Nascimento, 2008; Oscar Pfouma, 1993; Bertrand Badie, 1992; Thierry Michalon, 1984); à cause
également de la cristallisation des modes arbitraires de conduites des affaires publiques et de gestion des
ressources collectives (Bakker Nongni & Guillaume Lescuyer, 2016; Alain Karsenty, 2016; Symphorien Ongolo
et Laura Brimont, 2015; Symphorien Ongolo, 2015; Charles Ateba Eyene, 2013, 2012; Paolo Cerutti et al,
2013; Ngoumou Mbarga, 2013; Cyprien Awono, 2011, 2007; Patrice Bigombe Logo, 2007; Jean-François
Bayart, 2006, 1979; Mwayila Tsiyembe, 2001, 2000; Samuel Nguiffo, 2001; Marie-Claude Smouts, 2001;
Béatrice Hibou, 1999; Jean-François Médard, 1990; etc.) et de l’enracinement structurel de la corruption;
l’exploitation industrielle de la forêt va se déployer au détriment de la biodiversité et du potentiel écologique, et
surtout sur l’exclusion des communautés indigènes qui, au-delà de l’aliénation, de la déstructuration et de la

1074 Ira Dworkin, 2006, “Booker T. Washington, l’Afrique et l’imaginaire politique noir américain”, in Civilisations Revue internationale d'anthropologie
et de sciences humaines, vol. 55.
1075 Ramona Austin, 2005, An Extraordinary Generation: The Legacy of William Henry Sheppard, the “Black Livingstone” of Africa, dans la revue

Afrique & histoire, vol. 4, n˚ 2.

518
déstabilisation dont elles sont victimes du rapport colonial et capitaliste à la forêt, ne bénéficient d’aucune
retombée substantielle et durable, tant sur le plan politique et de la participation citoyenne que sur le plan de la
viabilité matérielle et des conditions socio-économiques de vie.

Dès lors, serait-il toujours pertinent –comme il est souvent d’une certaine tradition –de proposer quelque
solution ou “recommandation” que ce soit pour “améliorer” les politiques publiques en matière de gestion de
l’économie forestière, si tant est qu’il convient « d’adopter la posture des Anciens en situation d’insécurité
similaire à la nôtre : il y a la crise? Alors il faut en sortir d’une manière ou d’une autre » (Oscar Pfouma,
2004)1076?

Si la démarche d’explication que nous avons suggérée a semblé parfaitement convenir aux problématiques
posées par la marginalisation chronique des communautés locales dans la gouvernance forestière et
l’exploitation capitaliste et industrielle des ressources forestières en Afrique, il n’est pas exclu que le potentiel
heuristique suggéré par le couplage de l’approche socio-historique et de l’analyse par le concept de
contraintes structurelles puisse tout aussi convenir à l’analyse d’autres problématiques inhérentes au
déploiement historique de l’État moderne en Afrique ou de la modernité dans d’autres contextes mais aussi à
divers autres phénomènes.

Oscar Pfouma, 2004, Les Larmes du Soleil. Traduction et commentaire critique de trois Textes des Sarcophages égyptiens, éd. Menaibuc,
1076

Paris.

519
POST-PROPOS
Le donné actuel de la civilisation humaine, le visage dominant des collectivités politiques et des communautés
d’aujourd’hui, le déploiement de l’histoire que l’on dirait postmoderne, etc., semblent plus que jamais
constitués sur des artifices substantialisés par l’agence d’idéologies émergentes ou anciennes qui sécularisent
méthodiquement et progressivement des visions spécifiques du monde dans tous les domaines,
anthropologiques, institutionnels, économiques (Gilbert Rist, 2015, 2014, 2010, 2002, 1997, 1996, 1992; José
Do Nascimento, 2008; Oscar Pfouma, 1993). Cette tendance historique lourde caractéristique de l’époque
actuelle semble davantage accroitre les potentiels riscogènes de toutes sortes qu’elle ne porte –comme ses
mécanismes promotionnels veulent le faire croire –au progrès, à la sécurité et à la consolidation de la
durabilité. Cette orientation critique de l’histoire humaine semble s’être définitivement cristallisée dès la fin du
XXème siècle à la faveur de la spécialisation toujours plus poussée de la propagande qui trouve aujourd’hui son
expression la plus aboutie dans l’industrialisation du marketing, du lobbying, du Networking et de la
communication, la com’, ainsi qu’il devenu de mode de désigner cette activité de diffusion tous azimuts des
idées, ou plutôt cette obsession pour le contrôle des esprits et la domestication des consciences, qui se trouve
implacablement désormais au cœur de la civilisation (Noam Chomsky, 2016, 2008, 2005, 2003, 2000, 1998,
1988). C’est dans ce paradigme également caractérisé par la fétichisation de l’avoir, l’affirmation du virtuel ou
l’explosion de l’économie spéculative [entre autres phénomènes emblématiques], que le faux est passé pour
le vrai ou que le mauvais s’impose comme le bon (Gilles Lipovetsky, 2009, 2006, 2004, 1992, 1983; Edward
Berenson, 2005)1077. C’est à cet égard que sans nécessairement épouser tout le pessimisme suggéré par son
propos, la préoccupation intellectuelle de Chris Hedges (2009) n’en est pas moins tragique : « Everything is
backwards, deplore-t-il; everything is upside down. We now live in a nation where doctors destroy health,
Lawyers destroy justice, universities destroy knowledge, governments destroy freedom, the press destroys
information, religion destroys morals, and our banks destroy the economy »1078.

Noam Chomsky traite abondamment de ce phénomène depuis une trentaine d’années1079. C’est également de
cette réalité que parle Gilbert Rist au Colloque de Paris organisé en 2002 et consacré à “L’après-
développement”1080; c’est de cette préoccupation de l’histoire que traite aussi le théoricien helvète dans
“L’économie ordinaire. Entre songes et mensonges” (2010) ou dans “La mythologie programmée. L’économie

1077 - Gilles Lipovetsky, 2009, Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d'hyperconsommation, éd. Gallimard, Paris; 2006, La société de
déception, éd. Textuel, Paris; 2004, Les temps hypermodernes, éd. Librairie générale française, Paris; 1992, Le crépuscule du devoir. L'éthique
indolore des nouveaux temps démocratiques, éd. Gallimard, Paris; 1987, L'empire de l'éphémère. La mode et son destin dans les sociétés
modernes, éd. Gallimard, Paris; 1983, L'Ère du vide. Essai sur l'individualisme contemporain, éd. Gallimard, Paris.
- Edward Berenson, 2005, “Le [traitement médiatique du] scandale de 1905 de la Mission coloniale française au Congo”:
https://www.youtube.com/watch?v=3IRlXHrrcZA .
1078 Lire Chris Hedges, 2012 (2009), L'Empire de l'illusion. La mort de la culture et le triomphe du spectacle, éd. Lux Éditeurs, Montréal.
1079 Op. cit.
1080 Gilbert Rist, 2002, “Le développement : habits neufs ou tenue de camouflage?”, in Actes du colloque organisé en 2002 à Paris sur “L’après-

développement” (http://www.web.ca/~bthomson/decroissance/actes_colloque_2002.html).

520
des croyances dans la société moderne” (1992)1081. Il semble que telle est la trame historique dans laquelle se
construit et se déploie désormais la vie humaine dans la mondialité et la modernité, tant du point de vue de
l’organisation collective que du point de vue des orientations et des formes individuelles.

Il en découle un réel sentiment de pessimisme –entendu comme disposition intellectuelle ou philosophique de


l’esprit au même titre que La Nausée qu’éprouva Jean-Paul Sartre…1082 Le pessimisme n’est ni un prétexte
rhétorique, ni une simple attitude d’un esprit qu’on dirait perturbé ou fragile. En observateur assidu du monde,
en abonné compulsif des médias et de l’actualité générale, c’est comme si chaque fois que la civilisation nous
était contée par le prisme du paradigme dominant, nous nous mettions physiologiquement à ulcérer de
frustration et d’impuissance devant le déploiement tout puissant d’une pensée monolithique condescendante,
autoritaire et exclusive qui s’est unilatéralement érigée en Mesure et en Vérité depuis longtemps.

Il est difficile d’échapper au pessimisme lorsqu’on est parvenu à la conscience de l’histoire; lorsque, au bout
du parcours intellectuel assidu dont le présent travail est une étape marquante, on commence à saisir
immédiatement le sens du fonctionnement du monde; lorsqu’a fortiori, dans cette arène théâtrale que
représente “le système-monde” (Immanuel Wallerstein), l’on se trouve plutôt du côté des faibles, c’est-à-dire
des faire-valoir, des marginalisés, des impuissants. Lorsqu’on se rend finalement compte que le monde vit
sous l’oppression et la violence du mensonge, de la dissimulation, de la manipulation et de l’hypocrisie, le
pessimisme devient fatal. Le pessimisme est une réalité brutale et massive qui découle de la connaissance
synthétique [que l’on aurait à un moment donné] de son implication existentielle en tant que sujet dans un
monde pris en otage par des souverainetés arbitraires et autocratiques.

Dès lors, la grande question –inspirée de la préoccupation épistémologique existentielle que formulent Gilles
Gagné (1992), Raymond Boudon (2001) et après ce dernier Monique Hirschhorn (2014) sur la sociologie1083 –
est : quelle est l’avenir des sciences humaines et sociales? En effet, si l’on peut comprendre que la science
politique par exemple pourrait se contenter d’être fonctionnaliste et s’accommoder parfaitement de suivre cette
dynamique du monde et de la modernité actuels, en serait-il pareillement de la sociologie? La vocation et la
préoccupation scientifiques de la sociologie, l’inconscient réflexif et critique qui se trouve au cœur de la

1081 Gilbert Rist, 2010, L’économie ordinaire. Entre songes et mensonges, éd. Presses de Sciences po, Paris; 1992 (avec Marie-Dominique Perrot et
Fabrizio Sabelli), La mythologie programmée. L’économie des croyances dans la société moderne, éd. Presses universitaires de France, Paris.
1082 Jean-Paul Sartre, 1979 (1938), La nausée, éd. Bibliothèque des Chefs-d’Œuvre, Paris.
1083 Lire :

- Raymond Boudon, 2001, “Pourquoi devenir sociologue? Réflexions et évocations”, in European Journal of Social Sciences, Vol. 39, n˚120.
- Monique Hirschhorn, 2014, “Est-il vraiment utile de s’interroger sur l’utilité de la sociologie? Plus de dix ans de débats”, in European Journal of
Social Sciences, Vol. 52, n˚2.

521
démarche sociologique originaire, peuvent-ils se limiter à l’analyse fonctionnaliste des logiques dominantes?
Avec le risque d’être définitivement disqualifiée et de céder à la philosophie critique de l’histoire…?

D’un bout à l’autre de cette thèse, nous n’avons cessé de cheminer avec Jean De Munck (2011) dont l’une
des certitudes les plus assurées est que :
La sociologie ne vaudrait pas une heure de peine si elle ne faisait que conforter, répéter et
valider les croyances qu’entretiennent les acteurs sur le monde social.
D’une manière générale, qu’ils se disent critiques ou non, les sociologues font tous grand cas de
la déconstruction des préjugés, versions fausses et multiples méconnaissances du social.
Comme l’écrit Jean Clam (1995), “La sociologie est structurellement critique avant toute visée
de l’être –et avant toute velléité positive de réforme ou d’amélioration sociale. La logique même
de l’action sociale étant latente et s’effectuant derrière une fantasmagorie d’intentions et
d’actions manifestes et thématiques, la sociologie va s’attacher à décrypter
les facteurs profonds des manifestations sociales et interprétera ceux-ci comme autant de
causes dissimulées”.
La théorie de la fausse conscience n’est somme toute qu’un raffinement optionnel d’un geste
critique minimal et fondamental. Prise en ce sens, la critique est donc consubstantielle à la
sociologie et l’expression “sociologie critique” ne désigne pas, dans l’ensemble des théories
sociologiques, une famille spécifique de sociologies »1084.

1084 Op. cit.

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de l’Aube, La Tours d’Aigues; 1996, Ouvrir les sciences sociales. Rapport de la Commission
Gulbenkian pour la restructuration des sciences sociales, éd. Descartes & Cie, Paris; 1995,
Unthinking Social Sciences. The Limits of Nineteenth Century Paradigms, éd. Polity
Press/Blackwell, Cambridge; 1992, Le système-monde. Du XVème siècle à nos jours. Tome 2 : Le
Mercantilisme et la consolidation de l’économie-monde européenne, éd. Flammarion, Paris; 1992, Le
système-monde. Du XVème siècle à nos jours. Tome 1 : Capitalisme et Économie-monde (1450-1640),
éd. Flammarion, Paris; 1991 (avec Samir Amin, Giovanni Arrighi et André Gunther-Frank), Le grand tumulte.
Les mouvements sociaux dans l’économie-monde, éd. La Découverte, Paris; 1988 (avec Étienne Balibar),
Race, nation, classe, les identités ambiguës, éd. La Découverte, Paris; 1985 (réédition de 2002), Le
capitalisme historique, éd. La Découverte, Paris; 1975, Les Inégalités entre les États dans le système
international. Origines et perspectives (texte issu du Colloque organisé à l’Université McGill sur le problème
de l’inégalité dans le système mondial contemporain), éd. Centre québécois des relations
internationales/Université Laval, Québec City; 1966, L'Afrique et l'indépendance, éd. Présence africaine,
Paris.
- Walliser, B. (dir.), 2010, La cumulativité du savoir en sciences sociales, éd. EHESS, Paris.
- Warner, R., 2010, “Ecological Modernisation Theory: Towards a Critical Ecopolitics of Change?”, in
Environmental Politics, 19:4, 538-556.
- Wieviorka, M. (dir.), 2012, Le peuple existe-t-il?, Éditions Sciences Humaines, Auxerre.
- Vulindlela Ijiola Wobogo, 2015, Cold Wind from The North: The Prehistoric European Origin of Racism
explained by Diop’s Two Cradle Theory, éd. Books on Demand, Charleston (https://www.amazon.com/Cold-
Wind-North-Pre-historic-Explained/dp/1456403303).

AUTRES DOCUMENTS, CONFÉRENCES ET EXPOSÉS


- Textes législatifs camerounais :
* 2000, Décret N° 2000 / 092 / PM du 27 mars 2000 modifiant le Décret N°95 / 531/ PM du 23 août 1995
fixant les modalités d'application du régime des forêts;

545
* 1998, Arrêté Conjoint N° 000122/MINEFI/MINAT du 29 avril 1998 fixant les modalités d'emploi des
revenus provenant de l'exploitation forestière et destinés aux communautés villageoises riveraines;
* 1996, Loi n° 96/12 du 5 août 1996 portant Loi-cadre relative à la gestion de l’environnement;
* 1995, Décret N°95/531/PM du 23 août 1995 fixant les modalités d'application du régime des forêts;
* 1995, Décret N° 95/466/PM du 20 juillet 1995 fixant les modalités d'application du régime de la faune;
* 1994, Loi n° 94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche;
* 1993, La politique forestière du Cameroun (document de politique générale), Yaoundé, 30 juin 1993.
* Partenariat pour les forêts du Bassin du Congo (http://pfbc-cbfp.org/docs_rech-fr.html; http://pfbc-
cbfp.org/docclefs.html).
- Chantal Line Carpentier, 2014, “Les Objectifs du Développement Durable (ODD) et le Programme de
développement des Nations Unies pour l’après-2015. Démarche et contribution de la Francophonie”,
conférence donnée à l’Université d’automne de l’Institut Hydro-Québec, Université Laval, Québec.///Université
d’automne 2014 Inst. eds, sur les OMD, les ODD et l’Agenda des Nations unies à travers la CNUCED :
http://www.ihqeds.ulaval.ca/fileadmin/fichiers/fichiersIHQEDS/Formation/UdA/UDA_2014/PPT14-10-
30_ChantalLineCarpentier.pdf
- Pierre Baudet, Université d’automne 2014 Inst. eds, sur les contraintes et perspectives de l’aide au
développement durable :
http://www.ihqeds.ulaval.ca/fileadmin/fichiers/fichiersIHQEDS/Formation/UdA/UDA_2014/PPT14-10-
30_PierreBeaudet.pdf

546
ANNEXES

ANNEXE I

GUIDE D’ENTRETIEN (APERCU SYNTHÉTIQUE DU) AVEC LES DIFFÉRENTS ACTEURS INTÉRESSÉS PAR
L’EXPLOITATION DES FORÊTS ET LA GOUVERNANCE FORESTIÈRE AU CAMEROUN (MINISTÈRES,
COLLECTIVITÉS LOCALES, INDUSTRIELS, OSC/ONG, CHERCHEURS ET EXPERTS, ETC.

***

Bonjour Madame/Monsieur [NOMMEZ LA PERSONNE PAR SON NOM, SES TITRE, FONCTIONS OU RESPONSABILITÉS]

I/- VOLET HISTORIQUE OU DIACHRONIQUE

1- Avez-vous [NOMMER L’INTERLOCUTEUR/DÉSIGNER SON ORGANISATION PAR SON NOM, SES TITRE, FONCTION OU
RESPONSABILITÉS] participé au processus d’élaboration de la nouvelle Loi des forêts de 1994?
- Si Oui, à quel titre?
Dans quel cadre avez-vous participé au processus d’élaboration du nouveau Régime forestier?
Sauriez-vous qui sont les [principaux] acteurs ayant activement pris part au processus d’élaboration du nouveau Régime
forestier [Indiquez leurs positions, responsabilités, rôles et titres respectifs]?
Quelle a été la nature de votre contribution [Qu’avez-vous dit et qu’avez-vous fait pendant tout le processus]?
- Si Non, selon vous, autour de quelle période/année exactement peut-on situer le déclenchement de la dynamique de
réforme forestière? [Pour être plus précis :] Quels sont les éléments, les conditions, les facteurs décisifs et les acteurs
ayant présidé à l’élaboration d’un nouveau Régime forestier en 1994?

2- À votre avis, qu’est-ce qui a [fondamentalement] motivé le changement de régime forestier au début des années 1990
au Cameroun?

II/- VOLET ACTUEL OU SYNCHRONIQUE

3- Plusieurs travaux de recherche ont été effectués depuis lors sur la gouvernance forestière au Cameroun. Ces travaux
établissent l’existence de problèmes divers inhérents à la mise en œuvre du nouveau régime forestier.
[CITEZ ENTRE AUTRES POUR ILLUSTRER]: l’activité toujours non complètement contrôlée des exploitants; l’exploitation
toujours anarchique des ressources; le non-respect des inventaires préalables; le non-respect des études d’impact; le non-
respect de l’obligation d’investissements socio-économiques dans les régions d’exploitation du bois; le non-respect de
l’exigence de régénération des forêts; le rôle prépondérant des élites, maires et sous-préfets; la marginalisation des
communautés locales des mécanismes de décision et de gestion; etc., etc.
Comment expliquez-vous l’émergence de ces différents problèmes? À votre avis, quelles sont les causes de ces
problèmes? [EN INSISTANT/FOCALISANT SUR LES communautés locales]

547
[ÉVENTUELLEMENT, COMPLÉTEZ ACCESSOIREMENT PAR : … Alors que la mise en place d’un nouveau régime forestier était
censée les réduire, les résoudre ou les prévenir].

4- Au jour d’aujourd’hui, comment peut-on qualifier/caractériser les rapports entre les différents acteurs et parties
prenantes [autrement dit que peut-on dire de la nature des rapports entre] les communautés locales, le Ministère des
forêts/l’État, la préfecture/Sous-préfecture, la Commune/Mairie, les industriels/exploitants forestiers, les élites, les
OSC/ONG? [EN CAS D’ÉVOCATION DE DIFFICULTÉS/PROBLÈMES ENTRE UN ACTEUR OU GROUPE D’ACTEURS ET UN AUTRE,
APPROFONDIR :] Comment expliquez-vous ces difficultés [dans les rapports entre tel et tel autre acteur/groupe d’acteurs]?

5- Comment expliquez-vous les difficultés/problèmes que les Communautés locales rencontrent jusqu’ici dans la
gouvernance forestière/mise en œuvre du Régime forestier?
Comment comment/par quels moyens, actions ou démarches, ces problèmes sont-ils abordés ou traités par les uns et les
autres [Indiquez les acteurs, les actions, les cadres]?

6- [AU CAS OÙ L’ENTREVUE SE FAIT AVEC UN FONCTIONNAIRE DE L’ÉTAT, UNE RESPONSABLE D’OSC/ONG]
- Quelles activités déployez-vous auprès/en faveur des communautés locales?
- Quels en sont les objectifs?
- Comment les évaluez-vous/Quels en sont les résultats au jour d’aujourd’hui?
- Quelles perspectives entrevoyez-vous? [Expliquez]

7- Au bout du compte, et pour finir, une nouvelle Loi des forêts est annoncée dans les prochains mois... Qu’est-ce qui, selon
vous, explique la mise en place d’un nouveau régime forestier, vingt ans [seulement] après le précédent? À votre avis, que
ce soit du point de vue des conditions de motivation que des mécanismes et processus d’élaboration de la nouvelle Loi,
qu’est-ce qui a changé par rapport au début des années 1990?

Madame/Monsieur, nous sommes arrivés au terme de notre entretien.


Pour consolider les informations que vous venez de me donner, il me serait très utile de disposer de la documentation des
activités que nous avons évoquées…
Je vous remercie de votre disponibilité
Georges Boniface Nlénd V

548
ANNEXE II, SUIVI DE QUELQUES COURTES ILLUSTRATIONS VIDÉOPHONIQUES

ENTREVUE AVEC MONSIEUR LUC NDÈBÈ, PRÉSIDENT DU COMITÉ RIVERAIN DE LA COMMUNAUTÉ


MANGAA-NDOKOK POUR LA GESTION ET LE SUIVI DE LA REDEVANCE FORESTIÈRE (AVEC L’AUTORISATION
DE L’INTÉRESSÉ)

- LE QUESTIONNANT/GEORGESBONIFACENLENDV (NVGB) : Bonjour Monsieur Luc Ndèbè et merci de nous recevoir dans le cadre
de cet entretien qui porte sur les communautés locales la gouvernance forestière et précisément la mise en œuvre en cours
du Régime des forêts de 1994 au Cameroun.
Pour introduire l’entretien, pourriez-vous vous présenter et dire les responsabilités qui sont les vôtres dans votre
communauté?
- LE RÉPONDANT/LUC NDÈBE (LN) : Je vous remercie de m'avoir donné l'opportunité de m'exprimer par rapport
à la question.
Je m'appelle Ndèbè Luc, je suis natif du village Mapoubi. À Mapoubi, j'ai occupé plusieurs fonctions, et je
viens d'occuper la fonction de président du Comité de développement de mon village, d'abord. Ensuite j'ai
été élu président du Comité riverain pour la gestion et le suivi de la Redevance forestière dans
l'Arrondissement de Ngwei pour la zone et le secteur Mangaa-Ndokok. Ce secteur [la communauté locale ou
villageoise ciblée ici] comprend huit villages : Ngwei 1, Mapoubi, Logbii, Ébombè, Kondè, Log-Bamal, Song-
Mbock, et Song-Ndong. Et c'est une exploitation forestière qui a été octroyée à la Société forestière du
Cameroun (Sofocam) [entreprise industrielle] pour trois ans, depuis 2013.

NVGB : Merci beaucoup. Je pense que nous n’espérions pas tomber sur un meilleur profil, au regard de vos états de service
et de vos responsabilités.
Pour rentrer réellement dans le vif du sujet, en convoquant votre mémoire, depuis quand ou combien de temps
l’exploitation forestière industrielle est-elle présente chez vous?
- LN : Euh, je suis né le 27 juillet 1959 [sur cette base, notre interlocuteur a 56 ans au moment de l’entrevue]. Avant
ma naissance, il y avait déjà une exploitation forestière. Avant ma naissance. Et le nom qui me revient
c'est Éboussi Étokè [probablement l’exploitant forestier indigène]; j'étais jeune, Éboussi Étokè, un Duala
[Comprendre : l’industriel indigène était originaire de la région côtière (Atlantique) du Cameroun], qui avait fait un
campement dans notre village; j'avais à peine 3 ans. Et déjà à cette époque, il n'était pas le premier!
Bon, après il y a eu d'autres exploitants. Bien sûr, il y a eu les feu Bikaï Marcel [un autre exploitant forestier
indigène dont la particularité est qu’il fût originaire de la communauté-même] et beaucoup d’autres dont je ne
saurais citer les noms puisque, bon, c'était pas à notre niveau de les connaitre nommément, à l’époque à
notre jeune âge, ça ne nous intéressait pas.
Cette exploitation se faisait déjà au détriment de nos populations parce que, jusqu'à aujourd'hui, on n’en
voit pas les retombées. Notre forêt, c'est une forêt tellement vaste [il martèle], qui a plus que 50 000 km2.
Plus de 50 000! D’ailleurs même, 50 000 c'est petit, parce que le village de Mapoubi seul a plus de 35


Pour figurer le propos de notre interlocuteur et illustrer un aspect du fait qu’il décrit –et dont il apparait également tout au long de la thèse qu’il
caractérise l’ensemble de la réalité africaine dans ce secteur –nous suggérons au lecteur de suivre ces quelques documents vidéo de courte durée et
donc de visionnage léger :
1- Les deux premiers portent respectivement sur l’Observation indépendante externe des sites d’exploitation forestière (OIE) au Cameroun
[https://www.youtube.com/watch?v=dNl2v2PgiGQ (10’14’’)] et sur la répartition des revenus forestiers dans les régions d’exploitation
[https://www.youtube.com/watch?v=uRzaE2taK48 (15’59’’)];
2- Le troisième est intitulé “Exploitation sauvage des forêts de la Lékoumou” et porte sur le tableau similaire qu’est le Congo-Brazzaville
[https://www.facebook.com/242Infos/videos/1946839425637914/?q=cherie%20mboula (11’15’’)];
3- Le quatrième, “La voie de la légalité”, est réalisé par la FAO, l’Union européenne et l’ACP sur le Cameroun
[http://www.fao.org/europeanunion/video/detail-videos-fr/fr/c/204065/?no_cache=1 (13’14’’)];
Etc.

549
000. Donc quand je dis 50 000 pour l’ensemble du territoire forestier de la communauté, j’ai largement
sous-estimé, c'est très petit!

NVGB : Pour rebondir sur un aspect essentiel que vous avez soulevé. Vous voulez me dire que depuis plus de soixante ans
de présence de l’exploitation forestière industrielle chez vous, votre communauté manque de toutes sortes
d’infrastructures?!
- LN : C'est même peu dire [en martelant]! Il faut dire que…, euh…, Song-Loulou [de la localité qui abrite le
plus grand barrage hydroélectrique du pays], qui produit de l'énergie électrique, est située dans cette forêt et
relève notre territoire. Et nous voyons les fils de courant passer [Comprendre : la ligne de transport du courant
électrique partant de la centrale de Song-Loulou passe par le village, au-dessus des habitations], alors que nos villages,
les huit villages n'ont pas profité de l'électricité. Ni de points d’eau [Comprendre : pas d’adductions d’eau
potable], ni des forestiers [Comprendre : par forestier, il désigne l’exploitant forestier, les sociétés d’exploitation
industrielle des forêts]. Parce que si vous allez voir un forage aujourd’hui dans le village, ça veut dire que
c'est pas l’œuvre du forestier, ils viennent des enfants du village qui se sont arrangés pour en aménager.
Bon, mais c'est pas du tout du forestier! Celui [l’exploitant forestier] qui est là actuellement, en a produit un,
je peux dire deux [forages], mais qui ne sont pas fonctionnels. Ça veut dire qu'il n'y a rien.

NVGB : S’agissant de la forêt elle-même, dans quel état se trouve-t-elle, comment elle se porte, après toutes ces années de
grande exploitation, les ressources, les arbres, les animaux?
- LN : Il y'en a plus! C'était plein d’éléphants, il y'en a plus! Il y avait beaucoup de gorilles, des espèces
protégées, il y en plus! Les espèces telles que… les éléphants-pangolins [pour désigner en traduisant du bassa,
sa langue maternelle, les pangolins géants], vous n’allez plus trouver! Il y avait même les buffles, il n’y en a
plus! Les singes mêmes sont devenus rares! Même les tortues! Vous pouviez aller en forêt, vous trouvez
quelqu'un qui a collecté, je sais pas, dans une barrière [Comprendre : sortes de cages aménagées près des
habitations pour conserver les tortues recueillies en forêt], 50 tortues! Maintenant là, c'est par hasard qu'on peut
rencontrer et ramasser une tortue. Ne parlons pas des sangliers, des phacochères, et tout ça là. Et malgré
que la Loi forestière dit qu'on doit les protéger, ces exploitants sont également les premiers chasseurs,
les braconniers, les premiers braconniers [Comprendre : les exploitants forestiers profitent des concessions qui leurs
sont attribuées et de l’activité d’exploitation forestière pour s’adonner à l’activité de chasse].

NVGB : Vous avez parlé de la Loi des forêts mis en place en 1994. Monsieur le président, pour autant votre souvenir peut
nous y amener, sauriez-vous si la communauté villageoise dont vous dirigez aujourd’hui la préoccupation de participation à
la gouvernance forestière a participé à l’élaboration de ce Code forestier?
- LN : Je vous dis que c'est rien du tout! Les populations n'ont jamais consultées! Les populations n'ont
jamais consultées! [Il le répète] On vous impose ce qu’il y a à faire et vous écoutez religieusement; vous
n’avez même pas les moyens de contrôler ça, puisqu’on ne vous donnera même pas les documents…
Quand on vient, on vous parle, on vous dit que voilà ce qui va se passer, on ne vous n’aide même pas, on
ne vous dit même pas ce qui va changer bien, on ne vous dit même pas la superficie, on ne vous donnera
jamais les limites, les délimitations de la surface, rien! La superficie, on vous dit comme ça là [Comprendre :
négligemment, sans aucune rigueur ni sérieux], sachant que vous n'avez pas le matériel pour pouvoir contrôler
toutes ces données et établir toute ces limites-là. Les essences même, ils savent, ils pensent que quand ils
viennent, c'est à peine qu’ils prennent les enfants des villages dans le cadre de l'exploitation proprement
dite [Comprendre : ils ne recrutent pas dans la communauté et n’offre pas d’emploi aux populations locales], c’est à
peine! Quand ils vont prendre [Comprendre : recruter], ils vont prendre les sous-employés qui ne connaissent
pas, parce qu’ils s’accommodent bien avec les étrangers, qui entrent dans vos forêts d'une manière
indifférente.

NVGB : Dites-moi, je vous prie, y a-t-il une scierie ou une quelconque unité de transformation industrielle du bois dans votre
communauté?
- LN : Zéro! Il n’y a rien!

550
NVGB : Autrement dit, vous ne servez qu’à la productions des grumes? Et pour revenir aux essences exploitées, dans quelle
mesure la communauté participe-t-elle à l’identification et au choix des arbres à couper?
- LN : Écouter, pour vous donner un exemple… Si je vous dit que…, à ma connaissance, puisque je
connais cette forêt de fond en comble…, à ma connaissance, maintenant je ne peux pas vous présenter
trois cas de Moabi [Comprendre : trois arbres matures de cette espèce (son nom latin est Baillonella Toxisperma) dont
les fruits produisent une huile alimentaire consommées par les indigènes]! Trois! À ma connaissance. Je ne peux pas
vous présenter trois. C'est exploité d'une manière anarchique, par les exploitants et par les fils du
village. Puisque ils [Comprendre : les populations villageoises de la communauté] voient que s’ils ne le font pas, ça
va disparaitre sous leurs yeux, sans qu’ils n’en bénéficient.

NVGB : Justement, Monsieur le président, abordons les problèmes posés par l’économie forestière au Cameroun. Plusieurs
travaux de recherche ont été effectués depuis lors sur la gouvernance forestière au Cameroun. Ces travaux établissent
l’existence de problèmes divers inhérents à la mise en œuvre du nouveau régime forestier, problèmes dont je m’en vais
citer quelques-uns : l’activité toujours non complètement contrôlée des exploitants forestiers; l’exploitation toujours
anarchique des ressources; le non-respect des inventaires préalables; le non-respect des études d’impact; le non-respect de
l’obligation d’investissements socio-économiques dans les régions d’exploitation du bois; le non-respect de l’exigence de
régénération des forêts; le rôle prépondérant des élites, maires, sous-préfets et de l’Administration des forêts; la
marginalisation des communautés locales des mécanismes de décision et de gestion; etc., etc.
Monsieur le président, comment expliquez-vous l’émergence de ces différents problèmes? Comment expliquez-vous que la
mise en œuvre d’une Loi qui était censée être une Loi de développement durable, qui encourage la participation des
communautés, en arrive à produire tous ces problèmes?
- LN : Oui ça s'explique de la manière suivante. On dit toujours, et je crois que tu le sais très bien : “Le
Cameroun a de très belles lois, mais leur application est le contraire de la loi”. Je vous disais tantôt que
c’est nous les hommes, c'est nous même qui sommes notre propre problème. [Et martelant :] Toutes ces lois,
à partir du sommet [Comprendre : l’État, le gouvernement, l’Administration, le pouvoir politique], c'est sur les
papiers [Comprendre : ne sont que pure forme, que de la poudre aux yeux]! Quand il faut venir, pour qu'on mette
ça en application, il y a d'abord le problème de l'éducation. On ne peut pas faire une loi à laquelle on ne
sensibilise pas! Les populations qui sont appelées à en bénéficier, comment voulez-vous, que, une loi qui
est faite, et la personne qui doit appliquer la loi n’est pas au courant [!!!] Quand on vient appliquer la loi,
on sait qu’il ne connait pas [!!!]. On fait le contraire de ce qui est dit. Il n’a pas les moyens de contrôler
l'action qui est faite que vous êtes en train de faire là, il n’a pas les instruments lui permettant de savoir
que ce qui est fait, si ça n'est pas bien ou si c'est bien. Et je dis si on allait aux détails, c'est que les
problèmes que vous avez énumérés là, j'allais vous dire sur telle chose, voilà le contraire comment ça se
passe, sur telle autre chose voilà le contraire...

NVGB : Justement, Monsieur le président, je voudrais qu’on y aille comme vous l’indiquez, par une explication détaillée.
Prenons par exemple le problème suivant : “l’activité toujours non complètement contrôlée des exploitants forestiers”…
- LN : Donc, voilà! Comment vous pouvez contrôler quelque chose que vous ne connaissez pas?! Vous ne
pouvez pas contrôler un forestier! Parce que…, bon..., la loi, quand on vous attribue, par exemple, une
Vente de coupe [Comprendre : une concession d’exploitation], si on vous par exemple l’Azobé [de son nom latin,
Lophira Alata, il s’agit de l’une des essences les plus exploitées par l’industrie forestière dans les forêts tropicales
équatoriales], on dit que vous avez droit de couper l’Azobé, on est obligé de dire le m3, d’indiquer le
nombre de billes que vous allez couper! N’est-ce pas?! Bon, mais à partir du moment où le village, ne
connait pas le nombre de billes qu’on vous a dit de couper, vous allez/devez seulement couper
interminablement, jusqu’à épuisement, jusqu’à vos propres limites, jusqu’à peut-être la date même de la
limite du chantier que vous ne maitrisez même pas. On peut continuer comme ça avec les autres
problèmes...

NVGB : Oui, dans le même ordre de problèmes : “l’exploitation anarchique des ressources”…

551
- LN : [Comme dépité il reprend la même chose :] Vous ne pouvez pas contrôler le forestier! Commençons même
d'abord pour la route : les accès aux ressources à exploiter. Ça c'est tout un chantier, on peut vous donner
votre surface à exploiter qui est à 50 km par exemple, de la route. Pour y accéder, vous avez déjà, la
récupération [Comprendre : eu égard à la coupe anarchique, beaucoup de grumes ont été coupés et abandonnés dans la
forêt, et l’exploitant les récupérera sans en référer à personne; pire encore, il ira jusqu’à couper tous les arbres –situés
entre les habitations/la route et l’espace qui lui a effectivement été concédé –dont il estime qu’ils présente une valeur
commerciale, ici aussi, sans référer à personne] que vous faites, dépasse même le cubage qu'on vous a proposée
sur l’espace concédé… Par exemple, celui qui est là actuellement, il a eu à prendre plus de 4000 m3!
4000!, avant d'atteindre la zone d'exploitation proprement dite qui lui avait été affectée. Et arrivé sur la
zone d'exploitation, la surface à lui attribuée, il fait ce qu'il veut [il martèle]. Les normes de débardage, les
normes de coupe, tout ça, les rivières, les vallées, il n'y a pas d'information [Comprendre : l’exploitant fait à sa
guise et les communautés n’en savent rien, ne disposant pas de moyens de contrôle].

NVGB : Et l’État, et l’Administration des forêts dans tout cela, quand on sait qu’il est de leur devoir de protéger les
communautés et de protéger la ressource naturelle? Si on vous demandait de caractériser l’action de l’État et de
l’Administration en charge des forêts, que diriez-vous?
- LN : Elle est négative! Négative! Je vais vous donner un exemple, peut-être même deux si vous voulez.
Voilà, pendant que je suis le président du Comité riverain, je ne parle pas d'abord pendant que j'étais
président du Comité de développement, la Vente de coupe vient s'installer dans notre Arrondissement,
Ngwei, et la zone d'exploitation c'est la zone Mangaa-Ndokok. Au fait même, c'est Mapoubi seule, qui a
cette surface-là. Le monsieur [Comprendre : l’exploitant forestier] entre en forêt, il part faire sa délimitation
[Comprendre : mesurer et indiquer les contours spatiaux de la surface forestière qu’il se donne d’exploiter], aucun type
du village n’est présent. Quand il finit de faire sa délimitation, il va, il commence à abattre les arbres,
nous nous sommes les enfants du village et nous, c’est notre forêt, c’est notre milieu de vie, parce que les
enfants y vivent, nous, nous y vivons de la chasse, de la cueillette, du ramassage, de l'agriculture. On va,
la zone délimitée est en rouge. On constate que, après la zone de délimitation, il y a des layons qui vont à
plus de trois kilomètres, quelques fois plus loin! À chaque cent mètre ou deux cent mètres, un layon
rentre et va à plus de trois kilomètres et tous les arbres sont marqués. [Constatant ma stupéfaction, il dit :]
Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise? C’est du vécu!
Mais je vous dis que, l’actuel Délégué régional du Littoral [Comprendre : le haut fonctionnaire nommé par l’État
pour diriger les services du Ministère des forêts], à l’époque c’est lui qui était le départemental de la Sanaga-
Maritime… Donc, Ngwei qui appartient au Département de la Sanaga-Maritime, relève de sa
compétence.
Donc, on va, le chef du village, mon chef du village, on constitue une délégation avec les notables, une
délégation forte de six personnes. On va bureau, bien sûr après avoir demandé à monsieur le Maire la
documentation, parce que lors de la présentation du forestier, on ne nous a rien et rien et rien [Observons
qu’il reprend “rien” trois fois] donné comme documents. On demande au maire, le maire dit qu’à lui non plus
on n’a remis un quelconque document, il n'a pas de documents. On demande au Sous-préfet, le Sous-
préfet n'a aucun document. Quand on demande Chef de poste [le Chef de poste est le fonctionnaire nommé par
l’État pour diriger l’unité de base (au niveau de l’Arrondissement) des services du Ministère des forêts], il dit : “non, lui,
à son niveau, il n’y a rien”. On va donc voir le Délégué départemental, il nous joue, il monte, il descend, il
nous balade, pour finalement nous dire que, il n'a que les points GPS de la délimitation, mais qu'il n'a pas
de carte. [Il émet un une respiration sonore pour signifier et rendre compte de l’exaspération qu’ils ressentirent puis il
dit] On lui a demandé de nous donner, il nous a donné. Je peux vous donner ça...

NVGB : S’il vous plaît


- LN : À la fin de l’entretien.

NVGB : Je vous en prie. Cette documentation est très importante

552
- LN : Et maintenant, comme il nous donne ça, je dis au Chef du village et aux autres membres de notre
délégation, laissons tomber, il dit qu'il n'a pas. Mais [s’adressant à son tour à leur interlocuteur] Monsieur le
Délégué, sachez que nous on était en forêt, on a vu que Sofocam, l’exploitant, est hors limites. [Il reprend
en martelant] Il exploite hors limites. Voilà ce qu'on a constaté, ce qu’on a constaté, ce qu’on a constaté [Il
reprend trois ce qu’on a constaté, visiblement pour suggérer l’identification et le constat de plusieurs irrégularités]. Après,
il dit [rapportant la réaction du haut fonctionnaire du Ministère des forêts] il faut qu'il convoque l'exploitant. On est
donc d'accord. Il convoque donc l'exploitant lui-même. Et avec lui le Délégué, on se fixe rendez-vous, on va
en forêt. Il y a d'abord eu les intimidations de celui qui a l’argent avec les pauvres gens du village que
nous sommes. Il a d’abord refusé d’aller. Finalement on est allé dans la forêt. Quand on entre en forêt,
on lui dit voici votre limite. Mais qu’est-ce que ces layons faire à deux trois kilomètres au-delà?
Immédiatement, il s'en prend, à son Chef-chantier qui a fait cette délimitation, comme pour nous dire
que : “Voici le monsieur [le Chef-chantier] qui a fait le travail de la délimitation. Or, il a faussé la
délimitation. C'est pour cela que vous voyez, la délimitation n'est pas ici, c’est ailleurs”. Et le Chef du
village de lui dire : “Mais Monsieur, quand on fait une faute, on corrige! Où est la correction que vous
avez faite?! Et la correction doit être documentée, indiquant le nouveau tracé et reporté sur le terrain!”
Dans la confusion et la panique, l’exploitant forestier s’est mis à bafouiller, tentant d’arguer que le
temps était passé : “Je ne pouvais pas passer encore trop de temps… Je lui ai donné 5 millions Francs
pour faire cette délimitation. Le voici devant vous”… Et qu’est-ce qui se passe? On rentre. Le Délégué
étant présent avec son ordinateur, il sait que les populations ne connaissent pas utiliser l'ordinateur. Il
tape là en disant [comme pour impressionner et embrouiller les villageois] : “Voilà, mais…”, il tombe sur l’aire,
il tape là [baragouinant à nouveau et comme pour justifier ou plutôt forcer la légitimité de la démarche irrégulière de
dépassement de surface] : “Voilà, mais…, ils sont sur leur zone..., parce que ils sont sur leur zone..., ils
sont... ”, comme pour faire diversion, sans pouvoir articuler rien de cohérent.
Entre temps, on rentre. Nous avons la chance..., bon peut-être on va revenir là-dessus…, d’être déjà en
contact avec le FODER [“Forêts et Développement rural”, FODER est une ONG qui s’investit dans la défense des droits
des communautés villageoises ainsi que le renforcement de leurs capacités d’action et de participation dans l’économie
forestière] qui nous donne les éléments pour contrôler, pour voir. Avant, avec les données que le Délégué
nous a remises, je viens à Yaoundé dans un Bureau d’expertise en foresterie, je viens, je leur dis que,
selon moi, je crois que avec ces données, une carte peut m’être produite. Immédiatement, là, là, là, là, là
[Comprendre : sur le champ et aussitôt demandé], le monsieur [Comprendre : l’expert du Bureau privé consulté] produit
la carte. Sur le document, il y a beaucoup d'incongruités sur la carte. C'est que c'était un faux document.

NVGB : Pour m’assurer que je comprends parfaitement : les données qui vous été remises par le Délégué départemental du
Ministère des forêts, qui permettent de générer une carte au niveau du Bureau d’expertise privé en foresterie, révèlent des
incongruités qui établissent la nature ou le caractère irrégulier des choses. C’est bien cela?
- LN : Oui, à partir même du nom de la société d’exploitation forestière. Je vais vous donnez ça! La société
c’est SOFOCAM, mais sur le papier c'est SOFOCOM. C’est déjà deux choses différentes. Première
incongruité. Deuxième incongruité : le numéro de la Vente de coupe, le numéro qui est sur ce papier est
un faux [il martèle presque en criant] numéro! SOFOCAM qui est officiel, n'est pas SOFOCOM qui est
exploitant sur le terrain. Et le numéro de la Vente de coupe c’est 070371. Voilà, le numéro de la Vente
de coupe, le bon, le vrai numéro qui est attribué à SOFOCAM, avec une superficie de 1805.5 hectares à
exploiter, accordés à SOFOCAM. 1805.5 hectares. SOFOCOM, qui exploite effectivement, le numéro de la
Vente de coupe, c'est 0703071. Vous voyez déjà?!
Quand on va donc maintenant déjà avec les points GPS; avec les points GPS, on trouve que, au lieu de
1805.5 hectares, c'est 3633.648 hectares qu’il exploite effectivement! [Il a une longue respiration, comme pour
chercher le courage et la force de poursuivre] Or, au Cameroun, même le ministre n'a pas le droit de plier une
Vente de coupe qui dépasse 2500 hectares! Amuse-toi maintenant à faire la différence entre 1805.5
hectares et 3633.648 hectares...

553
NVGB : Non, pas besoin d’être particulièrement futé en arithmétique pour établir une différence de près de 2000 ha…, en
effet.
- LN : À partir…, quand on m’a fait cette carte, j’estomaqué, outré, scandalisé. Je suis parti pleurer à
FODER qui, dans un premier temps…, ce n'était pas facile qu’ils croient à de pareilles histoires
[Comprendre : des fraudes de cette nature et des irrégularités d’une telle ampleur]. On a fait plusieurs descentes sur
le terrain avec les équipes de FODER et même de l’Union européenne, oui, de l’Union européenne! On est
venu, on y est allé à plusieurs reprises. Des rapports en ont été produits. Quand il faut, maintenant pour
aller contrôler, pour voir, ni le village qui se plaint, ni FODER qui appui le Bureau national de contrôle, n'a
pas daigné nous nous associer.

NVGB : Quand vous parlez du Bureau national de contrôle…?


- LN : Ça, c’est une structure du Ministère [des forêts], qui est chargée de contrôler… Ils n’ont pas daigné
nous joindre à la Commission.
On entend seulement qu’ils sont passés. Et avant, quelques jours après, quelques jours avant, comme je
disais tantôt, quand, avec les autres contrôles, les autres dénonciations qui ont été faites, les villages ne
voyant pas les retombées, les chefs ont été approchés par l’exploitant forestier, les huit chefs [de la
communauté]!, pour qu’ils leur produisent un document qui anéantit le Rapport que le FODER a envoyé au
Ministère.

NVGB : Le Rapport, il faut le dire, du FODER, dont vous parlez est le Rapport déclencheur du contrôle fait avec les
communautés locales sur l’exploitation effective en cours des forêts?
- LN : Oui, je vais vous présenter ça. Donc, ils [le Bureau national de contrôle du Ministère des forêts] ont
fait produire une lettre, pour dire que les explications de FODER, tout ça c’est nul, c'est faux; que c’est
eux les qui sont les véritables garants de la surveillance, et que si jamais une telle chose venait à se
passer, ils allaient alerter le Ministre. Tout cela, dans une cacophonie qui ne dit pas son nom.
Quand vous allez regarder même…, et…, dans ce Rapport, ils disent que moi [le président du Comité du
village], j'étais avec eux, le chef du village, mon chef, étions là et avons pris part. Quand ils se sont
amusés à nous donner ce Rapport, alors qu’on a passé plus d’un mois à réclamer ce Rapport que nous
n’avions même jamais vu, où on n’a jamais fini. Quand ils se sont amusé à nous donner ce Rapport, on
était obligé, mon chef du village et moi le président du Comité, de dénoncer de pareilles attitudes. Et,
comme on sait que l’exploitant forestier a des connections partout au Ministère, tel que avant qu’une
correspondance venant de nous n’atteigne le Ministre, ils [Comprendre : par connections il faut comprendre toute
la chaine des élites et autres multiples fonctionnaires corrompus par l’exploitant forestier]…, ont déjà prévenu
l’exploitant forestier qui prend immédiatement des mesures pour se protéger.
Je suis même en train de vous amener loin…

NVGB : Non, non, poursuivez, allez-y. Bon, je comprends que vous faites probablement l’économie de certains détails, mais
ça va, tous ces éléments sont intéressants…
- LN : C’est pourquoi nous avons fait des lettres pour envoyer au Ministre par EMS [Comprendre : par une de
courrier express censée non seulement être diligente mais surtout éviter de transiter par les relais classiques d’une
correspondance administrative normale] en espérant que ça tombe directement [Comprendre : sans intermédiation]
auprès du destinataire. On a fait des ampliations au Premier Ministre. Jusqu'aujourd'hui [au jour d’août
2015 quand l’interview est réalisée], il n'y a pas de retour, aucun feedback, il n’y a rien, rien, rien!

NVGB : Combien de temps cela fait-il exactement aujourd’hui, Monsieur le président?


- LN : Nous sommes bien en fin-juillet [2015]? C’était en début-juin1085. La lettre en question, vous allez la
voir, on va vous la donner; vous allez la filmer ou en faire une photocopie.

Au moment de présenter cette transcription dans les Annexes de notre thèse, nous nous sommes assurés de l’actualité de cette information.
1085

Jusqu’à ce jour, la plainte formulée par cette communauté locale semble n’avoir connu aucun traitement : le Comité villageois n’a reçu aucun retour des
Services gouvernementaux.

554
NVGB : Pour le moins intéressant et édifiant! Merci beaucoup. Je vais poursuivre.
Parlons maintenant des études d’impact et des inventaires préalables et de ce dont j’ai entendu parler auprès de ces
organismes de la société civile et est appelé la cartographie participative. Je voudrais articuler ces trois éléments :
cartographie participative, études d’impacts, inventaires préalables, pour vous demander, Monsieur le président, si à partir
de votre expérience, est-ce que ces éléments qui devraient conditionner, dans un contexte de développement durable, toute
attribution de concession d’exploitation forestière dans une région ou un espace donné, est-ce que vous avez l’impression
que ces études sont faites et que leur mise en œuvre est respectée?
- LN : Je doute fort, si ces études ont été faites. Pourquoi? Parce que je me suis amusé un jour, en causant
avec mon Sous-préfet [de l’appellation de l’autorité déléguée par le gouvernement pour administrer un
arrondissement], si ces exploitations ont remis…, pour lui dire que mais Monsieur le Sous-préfet, comment
cela se fait-il que l’on donne une surface à quelqu'un, il ne parvient même pas à exploiter cette surface,
pour venir nous dire que c'est... il est dans sa surface et tout ça? Le Sous-préfet me dit que parfois, et au
2 ou 3/4 des cas, lui-même le Sous-préfet n'est pas informé. Il y a une exploitation qui est…, qui va venir
dans sa zone de commandement… Et ce tout se fait à Yaoundé [Yaoundé est la capitale du Cameroun.
Comprendre : tout est centralisé, décidé au sommet, par la haute hiérarchie], et on lui notifie simplement
l’information. Et parfois, on envoie plein d'exploitants forestiers sur une même surface, c'est-à-dire que
vous devez, vous allez voir des ventes de coupe qui se chevauchent! C’est-à-dire plusieurs concessions
attribuées sur le même espace! Dans ce cas, quel sorte d’étude d’impact a-t-on fait au préalable?

NVGB : Aucun en effet. Vous ne répondez parfaitement à ma préoccupation. Je pense qu’on n’a pas besoin de tirer
nécessairement en longueur.
Et la régénération des forêts?
- LN : Zéro! Si vous voyez même la taille des arbres, parfois c’est sous-diamètre, sous diamètre!

NVGB : Vous voulez dire qu’on ne respecte même pas le diamètre légal?!
- LN : Je dis, si tu vois le nombre de bois coupé et la quantité abandonnée en forêt, tu te rends de
l’énorme gaspillage qui est fait de la ressource, un immense gâchis!

NVGB : Monsieur le président, abordons maintenant un autre aspect des choses où vous avez eu à assurer un certain
nombre de responsabilités. Il s’agit de la nature et/ou la qualité des rapports qui existent entre les communautés locales et
les Communes. Parce qu’il me souvient que ces deux entités entretiennent des relations relativement aux ressources
financières issues de l’exploitation des forêts. Je parle précisément par exemple de la Redevance forestière
d’aménagement, la RFA. Quels sont vos rapports, comment les choses se passent-elles?
- LN : Oui, euh, ... c'est les rapports d’équipe. Parce que je vous ai dit tantôt que le Cameroun a de très
bonnes lois, mais la façon de les appliquer montre que les lois sont mauvaises. Or, ce sont les hommes qui
ne sont pas bons. En effet, si tout le monde devait marcher du côté de la loi, vraiment on ne devait pas
rencontrer tous ces problèmes.

NVGB : Quelqu’un d’autre m’a dit l’autre jour que si cette Loi de 1994 était véritablement appliquée ne serait-ce qu’à 75%,
la gouvernance forestière se porterait parfaitement, et l’on n’aurait jamais eu besoin de la modifier…?
- LN : je pense que 75% c’est beaucoup! Moi je dis à 50% seulement. C’est-à-dire que l’analyse est telle
que…, c’est-à-dire que les maires prennent les communautés villageoises comme des personnes, des gens
qui n’ont pas de cerveau, de tête, comme des crétins. Vous ne pouvez pas me dire…, par exemple, nous,
nous sommes en train de vivre cette situation. Il est vrai notre Commune est une jeune Commune, qui est
à sa deuxième mandature… Maintenant, celle qui en a été le tout premier maire, Mme Manyinga, a
passé son exercice avec un Comité riverain qui n’a jamais fonctionné [il le dit en articulant et martelant sur les
mots]! C’est-à-dire que, on a mis des gens, l’argent est entré, personne n’a vu comment cet argent a
travaillé.

555
Maintenant, quand les élections de 2013 [législatives et municipales] arrivent, ça arrive au mois de
septembre, ce qui lui donnait encore à elle et à l’ancienne équipe trois mois d’exercice. Mais avant, la RFA
dont les disponibilités avoisinaient alors 5 millions 800 mille et poussières [les valeurs sont évaluées ici en
Franc CFA1086], il se trouve que le maire ayant été bousculé par le temps, par le calendrier, n’a pas pu
mettre la main sur cet argent, je ne sais pas comment ça se passe à la mairie, elle a laissé trainer les
choses au point que il a fallu que cet argent rentre au Trésor1087.
Le nouveau maire arrive, il trouve cette situation, heureusement pour lui, avec la relation qu’il entretient
avec le TPG [Deux choses à bien comprendre : (1) relation : comprendre relation personnelle privilégiée, arbitraire,
amicale; (2) TPG : il s’agit du Trésorier payeur général, le patron de la structure en charge des encaissement et des
décaissement du Trésor public dans une localité], il parvient à remobiliser ces fonds.1088 Nous sommes déjà en
2014, la RFA de 2014 est versée, avec les versements de l’exploitation, du cubage [La règlementation définit
le paiement d’une taxe de 1000 F CFA par m3 de bois exploité dans une dans le cadre d’une concession dite de vente de
coupe]… Le Comité riverain s’assied, fait ses calculs selon la Loi 076…

NVGB : En fait, ne s’agit-il pas plus exactement d’un arrêté…?


- LN : Oui, plutôt l’Arrêté conjoint 0761089.
Voilà, à la première réunion, il fallait que le Comité riverain fasse le bilan des activités : combien
d’argent est rentré, et le détail de comment cet argent a été utilisé, ce qui reste disponible, à quoi les
dépenses éventuelles auraient été faites, et à quoi elles auraient servi.
C’est alors qu’on s’entend le maire nous dire que la RFA de 2013 n’est pas disponible. Stupeur! Je pose la
question…, jusqu’à présent, moi j’ai rencontré l’exploitant forestier qui dit l’argent est versé. Je lui ai
demandé de m’en donner une preuve pour que je rencontre le maire, et éventuellement si celui-ci n’a pas
de bonnes explications, je rencontre le Sous-préfet. Et si là aussi, il n’y a toujours pas de bonnes
explications, je vais même au niveau de la préfecture [Comprendre : la préfecture est coiffée par un Préfet. Celui-ci
est l’autorité déléguée par le gouvernement pour administrer un département –constitué de plusieurs arrondissements.
Hiérarchiquement, le préfet est donc le supérieur direct du sous-préfet]. Voilà, cet argent est donc en train d’être
jonglé et nous sera aliéné si on minimise.
Et la Redevance elle-même : les populations [Comprendre : les communautés locales ou villageoises ou riveraines]
selon la Loi, c’est elles, à travers le Comité riverain, qui font les projets et les soumettent au Comité
communal. Mais dans les faits, ça ne se passe pas comme ça : la Mairie se permet de mettre la main, de
faire main basse sur les fonds du Comité riverain sans l’aval de ce Comité riverain [43’35’’-43’37’’(?)] Au
point que, au niveau de l’électrification même, parce que, on a constaté que l’électrification, c’est le mal
général, le problème primordial : donc on peut…, on devrait en fait s’en occuper prioritairement. Contre
deux voix, étant donné que les villages Song-Ndong et Ngwei 1. Song-Ndong a mis le courant [Comprendre :
a été électrifié] en partie, et Song-Mbock [un démembrement territorial de ce village] également par d’autres…,
dans d’autres circonstances. Ni Song-Ndong ni Ngwei 1 n’ont été électrifiés avec le financement des
ressources issues de l’exploitation de nos forêts. Bon, néanmoins, on a dit que le peu qu’on a, on pouvait

1086 Le Franc CFA est une monnaie régionale de deux groupes de pays francophones d’Afrique. Sa valeur est déterminée ne varietur, sur la base d’une
parité fixe avec le Franc français devenu l’Euro et sur la base d’une garantie qu’assure la France… Selon le cours des devises qui, lui, est fluctuant, on
dirait à titre indicatif, relativement au Dollar canadien, que le rapport est en moyenne de : 1 CAD pour 450 F CFA.
Depuis quelques années, avec le développement d’une intellectualité endogène et de la critique africaine de l’histoire, le Franc CFA fait l’objet d’une
vive controverse.
1087 Une question que nous n’avons pu creuser : la disponibilité des ressources issues des taxes de l’exploitation forestière et destinées aux

communautés villageoises obéit-elle aux passages formels d’un exercice budgétaire à un autre, au point que la non-utilisation des ressources
disponibles au cours d’un exercice entraine mécaniquement sa disparition ou sa forclusion dans l’exercice suivant?
1088 La double idée qui s’en dégage est la suivante : (1) Si le nouveau maire n’avait pas une bonne relation avec le Trésorier payeur général, l’argent

aurait peut-être été “perdu”. (2) En dépit de la bonne relation qui permet à la Commune de bénéficier de ressources qui seraient forcloses, il n’est pas
exclu que l’arbitraire de la faveur accordée par le TPG soit compensé par la mobilisation d’une gratitude en argent. Tel qu’en fin de compte, la
Commune ne bénéficierait pas de l’intégralité des ressources, étant donné qu’une partie serait nécessairement allée dans le service et la transaction de
leur remobilisation.
1089 Il s’agit de l’Arrêté conjoint N°076 Ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation (MINATD)/Ministère des finances

(MINFI)/Ministère des forêts de la faune (MINFOF) du 26 juin 2012 fixant les modalités de planification, d’emploi et de suivi de la gestion des revenus
provenant de l’exploitation des ressources forestières et fauniques destinés aux communes et aux communautés villageoises riveraines
(http://www.minfof.cm/legales/Guide_explicatif_Arrete_conjointv076.pdf).

556
commencer l’électrification des deux bouts de la communauté pour/sans attendre que… Le maire a pris
sur lui de refuser le côté de Mapoubi dont il faut qu’il est le village propriétaire de la vente de coupe et le
principal producteur de bois. Il a arbitrairement décidé de commencer par le village Log-Bamal, eux qui
n’ont même pas de ressources, mais simplement parce qu’ils sont à proximité…, parce que l’accès à la
concession est par là. Et ça fait depuis, nous sommes déjà à trois mois que le travail est bloqué, que le
courant n’arrive pas encore [45’30’’(?)]
La relation que vous demandez, vous voulez qu’il y ait quoi d’autre comment éléments?

NVGB : Non, écoutez, la lecture que vous en donnez est celle de l’homme de terrain que vous êtes, et donc les informations
que vous m’avez données valent leur pesant d’or.
Monsieur le président, passons au regard que vous portez sur les organisations de la société civile couramment et
également appelées ONG. Quel est selon vous l’apport des OSC/ONG –à l’exemple du FODER que vous avez évoqué –aussi
bien dans la capacitation des communautés locales que vous êtes, pour que vous vous impliquiez mieux dans la mise en
œuvre du Régime forestier, et c’est d’un; et dans la viabilisation générale de cette Loi dont vous disiez plus tôt qu’appliquée
seulement à 50%, elle produirait des performances satisfaisantes?
- LN : Voilà, les organisations de la société civile, ça c’est une manne qui nous venue du Ciel. N’eût été les
OSC, nous ne devrions même pas connaitre qu’est-ce qui se passe. Je vous ai tantôt dit que c’est au vu de
ces manquements…, parce que tantôt on nous dit [Comprendre : dans le discours public de l’État, qui n’est pas
nécessairement le discours officiel qui se traduit dans la Loi] que « La forêt c’est votre propriété » [Comprendre :
qu’elle appartient aux communautés indigènes ou villageoises], vous pouvez en bénéficier. Si vous dites non, rien
ne va s’y faire. Mais, parfois, on a vu que quand les gens se mettent même au travers de la route et
érigent des barrières pour bloquer le passage aux véhicules et autres engins des exploitants forestiers,
on amène la gendarmerie, on vous arrête, on vous met même en prison! Parce que vous avez osé barrer la
voie, sur ce que vous revendiquez!

NVGB : Autrement dit, et ce pour m’assurer de bien comprendre : quand vous avez voulu suivre la mise en œuvre des
engagements conjointement adoptés par les différentes parties prenantes à travers le document dit Cahier des charges,
engagements qui n’auraient pas été respectés, par une des parties prenantes, en l’occurrence et généralement l’exploitant
forestier, et que vous décidez de passer à une modalité d’expression que l’on dirait violente, ce sont les autorités qui
viennent réprimer vos manifestations de colère et brimer vos revendications. Est-ce bien cela?
- LN : Exactement! Justement! Et c’est les communautés qui perdent leur argent et leur énergie, car pour
organiser ce type de manifestations, il faut un minimum d’organisation, il faut d’abord mobiliser les
populations, et il y a même un certain nombre de [48’38’’(?)] Je vais vous prendre un exemple : il y a eu
une fois où un exploitant est venu nous couper, scier du bois jusqu’à on a dénombré plus de 2500
planches. Et nous avons dit, ce bois-ci, il faut qu’on le prenne et qu’on l’amène vers l’Administration. Pour
cela, nous avons eu à dépenser 698000 F CFA [Ce qui, dans ce contexte, représente une somme énorme d’argent
pour quelque communauté villageoise que ce soit] pour cette action de force. Cependant, voilà qu’après avoir
loué un camion et au moment de rentrer dans la forêt récupérer le bois, l’exploitant forestier est allé
rencontrer les responsables du Ministère des forêts. C’est ainsi que les autorités sont venues nous
prendre comme si c’est nous qui avions tort, Et jusqu’à aujourd’hui, les populations ont perdu l’argent
dépensé, elles n’ont jamais rien gagné du bois indument prélevé par l’exploitant forestier. Des gens du
village, enfants, femmes, hommes ont été arrêtés et amenés en cellule à Édéa [du nom de la grand’ville, chef-
lieu du département dont relève la communauté]. Et rien, rien, rien, jusqu’à aujourd’hui!
Donc, voilà donc l’arrivée des OSC…, qui viennent nous permettre de comprendre par des séminaires
d’information, de formation, de recyclage, qu’est-ce qu’il faut faire, comment ça se passe, voilà la Loi,
voici telle Loi qui s’applique ici, etc. Donc, ça nous éduque. Maintenant avec eux, quand une autorité sait
que vous connaissez, que vous êtes informés des lois et règlements, des procédures, le langage qu’elles
vous tiennent et les choses changent.

557
NVGB : En d’autres termes, c’est la formation que vous avez reçue des organisations de la société civile et que vous recevez
des OSC qui vous permettent de balancer le rapport de force entre d’un côté les autorités et les exploitants forestiers, et
vous, les communautés villageoises, de l’autre?
- LN : Exactement!
Donc, ils nous apprennent beaucoup. Récemment d’ailleurs, ayant constaté que le Comité riverain n’est
pas outillé intellectuellement, j’ai fait venir une formation à Édéa pour les Comité communaux et les
Comités riverains. Nous avons fait une semaine de formation. Et tellement ça été participatif [Comprendre :
la formation a conflué l’enthousiasme des divers participants], tellement ça a été…, il y a eu un immense
engouement, les gens ont appris beaucoup… Malheureusement, comme ça n’était qu’une formation
théorique, il faut appliquer, et ça, c’est une autre paire de manches.

NVGB : Parce que le problème de l’application, si je comprends bien votre préoccupation, c’est qu’elle doit nécessairement
tenir compte des dispositions des autres parties prenantes qui sont les exploitants forestiers et les autorités du
gouvernement?
- LN : J’ai oublié l’autre élément de votre question sur les OSC. Pourriez-vous me rappeler le second
aspect de votre question sur l’action des organisations de la société civile, de quoi il s’agissait encore?

NVGB : Oui, mais je pense que vous répondez parfaitement à ma préoccupation qui comme vous le dites avait deux
inflexions. Une première qui portait sur l’incidence des OSC dans le renforcement des capacités des communautés locales; et
la seconde sur l’implication ultime qui est l’application véritable de la Loi des forêts dont vous disiez qu’appliquée à 50%
seulement, elle serait parfaite.
- LN : OK. Donc, l’application de la Loi, si c’était effectivement pour les communautés villageoises, ça
devait être bien. Mais malheureusement, on laisse les communautés locales ignorantes sciemment, pour
se donner la latitude de profiter et d’abuser.

NVGB : Très bien, merci, Monsieur le président. À présent, nous allons aborder la toute dernière partie de cette entrevue qui
se résume en une question à deux volets. Premier volet. Voilà deux, trois ou quatre ans que l’on est rentré dans une
dynamique de révision de la Loi des forêts de 1994 : dans quelle mesure pourrait-on dire des communautés villageoises,
notamment celles que dont vous dirigez la participation à la gouvernance forestière, qu’elles ont effectivement participé au
processus de révision du Régime forestier en cours? Autrement dit, comment avez-vous impliqués, dans quelle mesure
avez-vous été consultés?
- LN : La communauté elle-même en tant que communauté, n’a pas été impliquée dans le sens direct,
c’est-à-dire que l’Administration vient au niveau des communautés villageoises et poser des questions,
demander que qu’est-ce que vous aimeriez voir, comment vous pensez que les choses peuvent être faites,
se passer.
Mais c’est à travers les OSC qui ont pris avec elles les communautés pour travailler dans le cadre des
formations trimestrielles, des réunions semestrielles, pour faire du lobbying, des plaidoyers. C’est dans
ce cadre que les OSC amènent [Comprendre : relaient/portent/rapportent] les besoins des communautés locales.

NVGB : Autrement dit, ce sont les OSC/ONG qui sont comme les porte-voix des communautés indigènes?!
- LN : Oui, exactement.

NVGB : Et donc c’est à cet égard que vous estimez que les communautés ont tout de même été impliquées?!
- LN : Oui…, c’est dans ce cas-là, sur ce schéma-là.

NVGB : Dites-moi, Monsieur le président, qui gère et coordonne le processus national de révision du Régime forestier?
- LN : C’est l’Assemblée nationale, non!?

NVGB : Oui, il est vrai que c’est de la compétence du Parlement de légiférer, mais ma préoccupation ici porte en amont sur
la préparation du projet de texte à proposer à l’examen et au vote des parlementaires.

558
- LN : La coordination relève de l’Administration en charge des forêts et de l’État. Vous savez qu’au
Cameroun, il n’y a personne d’autre qui fait des propositions de loi. Si par exemple, il y a à modifier une
loi, quand les OSC ont apporté leur plaidoyer et que ça a plu [Comprendre : … que l’État se rend sensible aux
propositions formulées par les acteurs de la société civile], que ça a été arrangé à leur manière, qu’ils portent le
projet de modification [Comprendre : … qui va dans le même sens que celui] qui est présenté par le
gouvernement. Et ce n’est que le gouvernement!

NVGB : Dans ce contexte, quelles sont les garanties que vous, en tant que communautés villageoises avez, que vos besoins
réels, vos doléances et préoccupations réelles, seront effectivement pris en compte et portés dans la nouvelle Loi?
- LN : Aucune garantie! Rien du tout! Par exemple : il y a la Loi des finances 2015, de cette année [au
moment où l’entrevue est réalisée] qui dit que les 10% réservés aux communautés locales, au titre de la RFA,
sont annulés et n’existent plus. Allant ainsi en totale contradiction avec les dispositions de la Loi
principale de 1994 encore en vigueur qui garantit [il le dit en martelant] aux populations leurs 10%! Et ne
serait-ce que sur la base de…, comment le dire? C’est-à-dire que le simplement fait qu’on te promette,
sur la base des promesses, c’est-à-dire par exemple que je te promets que tu auras quelque chose,
gardes-le; tu ne m’as pas donné une garantie, c’est la promesse! Si j’ai confiance en toi… Ils [Comprendre
l’objectivation distanciée avec laquelle il désigne l’État] nous ont promis les 10%, que les populations, d’une
manière ou d’une autre ne voient même presque pas, et maintenant, ils en viennent à l’annuler, à
annuler cette promesse complètement!
Et la grande question que nous on se pose, cet Arrêté est conjoint et réunit trois ministères : MINATD,
MINFI et MINFOF [Comprendre l’Arrêté 076 susévoqué de 2012], quand ils font maintenant la Loi de finances
2015, ils oublient qu’ils se sont réuni pour faire un premier Arrêté…, comment est-ce que le MINFI seul
peut modifier un accord de trois ministères?! Et le prie : qu’est-ce que vous voulez que les populations
fassent? Si donc rien n’est fait, c’est les populations qui vont maintenant exploiter les forêts de façon
anarchique, n’importe comment? Parce que : les promesses : gardez [Comprendre : gardez la forêts], on
va vous vous faire ceci, on va vous donner cela, ces promesses-là n’existent plus… Les populations
auront marre de voir leurs richesses s’en aller, sans qu’elles n’y gagne rien; elles vont arrêter de
témoigner, elles vont arrêter de dénoncer… C’est le côté obscur de la chose.

NVGB : Dernier volet de la question. Partons du fait que nous sommes dans le processus de révision de la Loi des forêts de
1994. Si on vous demandait de dire ce que vous souhaitez que le nouveau Régime forestier apporte de véritablement
nouveau, que ce régime tienne réellement compte aussi bien des besoins et préoccupations des communautés villageoises
que des nécessités écologiques de protection des ressources et des écosystèmes, que diriez-vous?
- LN : Il faudrait pour moi, que la nouvelle Loi anéantisse les barrières qu’il y a entre les communautés
locales et l’État. Car aujourd’hui il y a beaucoup d’intermédiaires qui ne sont là que pour spolier les
populations. C’est le principal.

NVGB : Que dois-je y comprendre, que c’est la corruption que vous stigmatisez?
- LN : Oui! Parce que, avant que l’information elle-même n’arrive aux populations, on a déjà transformé
ça à divers niveaux, chacun comme il veut et selon ses propres intérêts, au point que, on sait que la
population n’a pas de documents…

NVGB : À cet égard justement, parlant de documents, qu’en est-il du “Cahier de charges” comme ce document censé avoir
été conjointement élaboré à l’attribution d’une concession d’exploitation forestière par les communautés villageoises,
l’exploitant forestier et l’État, et qui permet de suivre rigoureusement le respect et la transparence des activités
forestières, mais dont parmi toutes les communautés villageoises que j’ai rencontrées ne dit avoir un jour disposé entre
ses mains. Vous, qu’en est-il du Cahier des charges…?
- LN : Nous n’avons jamais disposé de ce fameux Cahier de charges. Allez vérifier, même au niveau des
forêts communautaires, je doute que même là les populations aient le Cahier de charges. Quand
l’exploitation se passe dans une forêt communautaire, on va vous dire [Comprendre : cette façon de parler de

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ce représentant local, cette expression qu’il a souvent utilisée dans le cadre de cette entrevue signifie une perte totale de
confiance quant au discours publique ou officielle du gouvernement, un manque total de crédibilité de l’État auprès des
communautés villageoises] : “le forestier a promis deux puits d’eau” [Comprendre : d’aménager deux forages
d’approvisionnement en eau potable], “le forestier a promis de faire la route, deux kilomètres de route, cinq
kilomètres de route” [Comprendre : d’aménager une route digne de ce nom, c’est-à-dire de bonne facture et durable],
“le forestier a promis de donner les tables-bancs” [Comprendre : d’investir dans l’amélioration de l’infrastructure
et des équipements scolaires], etc., tout ça, deux ans et demi d’exercice après, il n’a encore rien fait! Et il va
le faire comment?! Quel est le moyen de pression que les populations ont?! Et quand vous dites que vous
barrez la voie [Comprendre : … pour empêcher les engins de l’entreprise de circuler et bloquer ainsi l’activité] ça
retombe sur vous, parce que vous êtes des hors-la-loi. Qu’est-ce que vous allez faire?!

NVGB : Monsieur le président, je crois que l’entrevue que je viens de réaliser avec vous est l’un des plus édifiants que j’ai
eus à réaliser jusqu’ici, et je vous en remercie infiniment. Avec votre permission, une ou deux petites choses avant de
clore l’entretien. La première est de vous demander si vous avez une dernière réflexion à formuler sur les diverses
préoccupations que nous avons évoquées. La seconde concerne la documentation dont vous avez parlé (correspondance,
lettres, autres) liée à l’activité du Comité riverain, je serais très heureux d’en faire une copie.
- LN : Je vous remercie également d’être venu auprès de nous et de vous préoccuper des problèmes que
vit notre communauté. J’aurais pu en dire plus, n’eussent été les contraintes de temps. Cela dit, je serai
toujours prêt à collaborer si vous en éprouvez le besoin.

NVGB : Ça me fait un immense plaisir, merci beaucoup!


- LN : Oui, car il s’agit d’un problème majeur d’intérêt commun qui concerne mon village, ma vie, j’ai une
famille, des enfants, je vais partir, ils vont rester, ils compte sur quoi? [Comprendre : mon interlocuteur
formule clairement ici les enjeux intergénérationnels, de durabilité, de conservation et de protection des ressources],
nous n’avons pas dans notre zone, ni un Directeur Général d’une grande société, aucun ministre, aucun
homme d’affaires [Comprendre : une élite et un haut fonctionnaire qui se trouve au cœur du pouvoir d’État et dont la
position privilégiée dans ce contexte de gestion d’État arbitraire et de gestion néo-patrimoniale des ressources publiques
favorisent l’affectation arbitraire de ressources et la mobilisation de quelques projets dit de développement dans la
communauté], donc normalement devrait nous donner les ressources nécessaires pour le développement de
notre communauté qui n’a rien. Si vous arrivez chez nous, je vous assure, dès 18h tout le monde est au
lit!

NVGB : Et pourquoi?
- LN : Parce qu’il n’y a pas de lumière [Comprendre : il déplore la désolation dans laquelle se trouve sa communauté,
un dénuement –en termes d’infrastructures et d’activités –qui se trouve aggravé par la non-électrification. L’absence
d’électricité limite la vie nocturne dans les régions tropicales équatoriales où le jour tombe invariablement autour de 18h
toute l’année]. Tu ne peux pas…, la viande qui était…, les animaux qu’on pouvait aller chasser aisément,
tu viens, tu manges, sont devenus très rares. Désormais, pour en voir, pour trouver des protéines
animales…, peut-être qu’avec le manioc [Comprendre : le manioc est une plante dont on consomme les feuilles et
les tubercules] que tu as vendu au marché de la grand’ville, t’acheter 1 kilogramme de poisson, la ville
étant à une quarantaine de kilomètres d’ici, est-ce que chaque jour, tu dois aller en ville? Quand vous
êtes donc dans ce genre de situation, pas d’infrastructures de conservation, pas de divertissements, les
jeunes fuient [Comprendre : il en déduit et explique le phénomène dit de l’exode rural] à cause du sous-
développement. Qu’est-ce qui vous voulez que je vous dise encore [l’air abattu, dépité et comme soudain
submergé par une sorte de désespoir]? Ici encore avec vous, comme chaque fois j’en ai eu l’occasion, je
déplore cette situation car nos enfants risquent d’être handicapés dans beaucoup de domaines : les
espèces d’animaux que nous avons connues, eux ils ne les connaitront pas… Et maintenant, qu’est-ce
qu’il faut? Je vous ai dit ici que…, il faudrait que l’Administration change sa manière de faire, et cette
manière de faire c’est d’abord éliminer les intermédiaires, laisser un couloir qui permette en sorte que

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les populations vivent de leurs richesses [Il le dit en martelant]. Ça, ça va leur donner confiance, et la forêt
sera mieux protégée.

NVGB : Voilà, Monsieur Luc Ndèbè, merci infiniment!


- LN : C’est moi qui vous remercie de m’avoir donné cette opportunité.

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ANNEXE III

ENTRETIEN AVEC [(?), PLUTÔT : RÉPONSES DISCRÉTIONNAIRES ET UNIVOQUES DE] MONSIEUR VNDG,
INGÉNIEUR GÉNÉRAL DES EAUX ET FORÊTS, INSPECTEUR AU MINISTÈRE DE LA FORÊT ET DE LA FAUNE

Bonjour Madame/Monsieur

- QUESTION ÉCRITE (VOLET HISTORIQUE) : À votre avis, autour de quelle période/année exactement peut-on situer le
déclenchement de la dynamique de réforme forestière? [Pour être plus précis : quels sont les éléments, les conditions, les
facteurs décisifs et les acteurs ayant présidé à l’élaboration d’un nouveau Régime forestier en 1994?]
- RÉPONSE ÉCRITE (VNDG, I/MINFOF) :
a- La loi de 1981 était pratiquement dépassée au vu des nouveaux enjeux
b- Laquelle était essentiellement répressive
c- La création des aires protégées était unilatérale
d- On était conscient du potentiel des PFNL [Comprendre : produits forestiers non ligneux] mais le cadre
réglementaire ne permettait pas la valorisation desdits produits
e- L’État ne pouvait plus suffire à lui seul de gérer les ressources et garantir leur durabilité et par
conséquent la déplétion des ressources forestières et fauniques

- QUESTION ÉCRITE : Selon vous, qu’est-ce qui a [fondamentalement] motivé le changement de régime forestier au début
des années 1990 au Cameroun?
- RÉPONSE ÉCRITE (VNDG, I/MINFOF) :
a- Le désir pour le Cameroun d’atteindre l’objectif de 30% de sa superficie sous protection
b- D’ouvrir la gestion des ressources forestières et fauniques à la gestion participative
c- Le désir de moderniser sa gestion basée sur un programme qui résulterait à la longue à une
stabilisation des terres affectées à la foresterie et à la protection de la faune
d- Le niveau de vie des populations vivant dans et autour des forêts et des entités d’exploitation
forestière était toujours très bas malgré les recettes importantes issues de ladite exploitation

- QUESTION ÉCRITE : Du point de vue institutionnel ou organisationnel, dans quel cadre et selon quels mécanismes le
processus d’élaboration de la Loi des forêts de 1994 a-t-il été conduit? [Pourriez-vous développer davantage?]
- RÉPONSE ÉCRITE (VNDG, I/MINFOF) : Le processus était participatif, consultatif et itératif, sans perdre
les acquis. Par exemple, les aires protégées qui avaient étaient créés dans le temps de manière
unilatérale. De même, la nouvelle loi a conservé les aspects positifs et points fort de l’ancienne loi, ce
qui fait qu’on pouvait encore se référer à la Loi de 1981 si celle-ci était plus avantageuse. Comme il est
difficile pour un groupe d’élaborer un document, un petit noyau d’experts a mis sur place un projet qui a
été enrichi par toutes les parties prenantes. La mouture finale a été validée dans des ateliers nationaux
et provinciaux, puis à l’Assemblée nationale.

- QUESTION ÉCRITE : Quelle était la position, le statut, le rôle de l’État? Et aux côtés de l’État, qui sont les [autres
principaux] acteurs ayant activement pris part au processus d’élaboration du nouveau Régime forestier?
- RÉPONSE ÉCRITE (VNDG, I/MINFOF) : Le rôle de l’État était primordial, puisque c’est lui qui avait décidé
de tendre la main aux autres parties prenantes. L’État devait examiner les propositions et valider sur la
base de faisabilité des propositions des uns et des autres. C’est l’État qui devait arrimer la loi à

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l’ensemble de la politique de nationale devant permettre l’utilisation rationnelle des ressources
forestières et fauniques tout en garantissant sa durabilité pour les générations futures.
L’État a reçu le soutien technique des experts et des partenaires (allemande, britannique, UE …)

- QUESTION ÉCRITE (VOLET ACTUEL) : Plusieurs recherches effectuées depuis lors sur la gouvernance forestière au Cameroun
établissent l’existence de problèmes divers inhérents à la mise en œuvre du nouveau régime forestier [CITEZ ENTRE
AUTRES POUR ILLUSTRER] notamment autour de l’activité des industriels, les modalités de prélèvements des ressources, les
inventaires préalables, les études d’impact, les investissements socio-économiques dans les régions d’exploitation du bois,
la régénération des forêts, les statuts et rôles des élites, maires, des administrations publiques; la position des
communautés locales dans les divers mécanismes de décision et de gestion, etc., etc. Comment expliquez-vous
l’émergence de ces différents problèmes? À votre avis, quelles sont les causes de ces problèmes? [ÉVENTUELLEMENT,
COMPLÉTEZ ACCESSOIREMENT PAR : … Alors que la mise en place d’un nouveau régime forestier était censée les réduire,
les résoudre ou les prévenir].
- RÉPONSE ÉCRITE (VNDG, I/MINFOF) : Bien sûr que la mise en place du nouveau Régime forestier a
contribué à l’amélioration de la situation d’avant. La participation des populations à travers les forêts
communautaires et les forêts communales leur permet de générer des revenus propres à elles pour leur
développement. Les redevances forestières et fauniques sont maintenant à la disposition des
communautés qui les gèrent à travers les Comités riverains chargés aussi de promouvoir le
développement communautaire. La gestion forestière est décentralisée : certaines responsabilités sont
transférées au Communes. La contribution des produits forestiers non ligneux est plus substantielle et
documentée. Le niveau de vie des populations locales évolue lentement mais surement.
Il faut plutôt dire, beaucoup de choses ont évolué positivement, la gouvernance forestière est beaucoup
améliorée, mais les enjeux sont de plus en plus grands, la nature des problèmes change et certains défis
sont également décentralisés. Malheureusement, le désir du pays à se développer se basant sur ses
ressources apporte plus de pressions sur les forêts. Le déclenchement de l’exploitation du sous-sol du
Cameroun est un enjeu important dans le secteur forêts et faune (concessions forestières et aires
protégées). Le braconnage devient transfrontalier et l’intégrité territoriale est menacée. La corruption
reste un fléau mais la lutte contre ce fléau est plus acharnée qu’avant. La photo à mon avis n’est pas
aussi mauvaise qu’on veut faire croire. C’est dire que les méthodes doivent aussi évoluer pour faire face
à ces nouveaux défis. Aussi la loi forestière et textes réglementaires sont en cours de révision,
l’industrialisation du secteur est en cours, et le renforcement de l’application du cadre réglementaire est
en vigueur. La capacité opérationnelle du personnel est constamment une préoccupation.

- QUESTION ÉCRITE (VOLET ACTUEL OU SYNCHRONIQUE) : Au jour d’aujourd’hui, comment peut-on caractériser les rapports
entre les différents acteurs suivants [NOMMEZ LES DIFFÉRENTS ACTEURS SELON LE CAS QUI CONVIENT] : le Ministère des
forêts, les communautés locales, le Préfet/le Sous-Préfet, la Commune/Mairie, les exploitants forestiers, les élites; les
OSC/ONG? [EN CENTRANT SUR LES communautés locales] [Pourriez-vous expliquer davantage?]
- RÉPONSE ÉCRITE (VNDG, I/MINFOF) : Les relations du MINFOF avec tous les acteurs est bonne,
productive et rassurante, grâce à un Ministre dynamique. Bien sûr qu’il y a toujours des brebis galeuses
mais celles-ci ne sont plus une menace de manière en remettre en cause les relations avec le MINFOF.
Quelques réserves : les ONG doivent être de même à assister/appuyer le MINFOF dans sa
mission/politique et non grâce aux critiques [qui devraient être] constructives et expertise complémentaire.
Les communautés doivent dénoncer des mauvaises pratiques et ne pas se liguer contre le MINFOF qui en
fait la lutte pour la cause de celles-ci. Les exploitants forestiers doivent se faire des bénéfices mais
doivent davantage se rendre compte de la lourde responsabilité qui est la leur : gestion durable des
forêts pendant au moins 30 ans. Les administrations locales doivent renforcer les efforts de MINFOF en
mettant à la disposition de celui-ci les forces de maintien de l’ordre armées pour les missions de contrôle
et de patrouille. Les Communes font de leur mieux mais manquent d’expertise, elles doivent se faire
assister par le MINFOF, ses partenaires et les ONG.

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- QUESTION ÉCRITE (VOLET ACTUEL OU SYNCHRONIQUE) : [EN CAS D’ÉVOCATION DE DIFFICULTÉS/PROBLÈMES] Comment
expliquez-vous ces difficultés [dans les rapports entre tel et tel autre acteur/groupe d’acteurs]?
- RÉPONSE ÉCRITE (VNDG, I/MINFOF) : Il y a l’intérêt général et l’intérêt individuel. Personne ne voudrait
s’engager dans un partenariat sans que son intérêt soit pris en compte. La partie perdante dans une
telle relation cherchera à se satisfaire autrement. Les populations et certaines parties prenantes
pensent que le bois et la faune sont les seules ressources gratuites auxquelles l’accès doit être libre.
C’est faux! Il faut reconnaitre que le Cameroun, en tant qu’un pays émergent compte sur ses ressources
naturelles pour son développement économique. Or la loi ne l’est pas si elle n’est appliquée. Parfois c’est
cette application qui fait mal aux contrevenants. Il n’y a pas de prisonniers heureux.

- QUESTION ÉCRITE (VOLET ACTUEL OU SYNCHRONIQUE) : Comment pourriez-vous expliquer les difficultés/problèmes qu’elles
[les Communautés locales] ont finalement rencontrés jusqu’ici dans la gouvernance forestière/mise en œuvre du Régime
forestier?
- RÉPONSE ÉCRITE (VNDG, I/MINFOF) : Le manque de respect de la loi soit par ignorance ou par
défaillance. Certains résultats non voulus ont survenus contre prévision, par exemple, les forêts
communautaires et les permis d’exploitation de bois d’œuvre avaient été mis en place pour
approvisionner le marché intérieur du bois. Nul n’avait pas pensé que celles-ci iront aussi exporter leur
bois. Autrement dit, il faut une intelligence économique qui peut prévoir les risques à venir et proposer
les solutions des risques courants.
Comme j’ai dit plus haut, les populations et certaines parties prenantes pensent que le bois et la faune
sont les seules ressources gratuites auxquelles l’accès doit être libre. Non seulement c’est faux, mais
c’est une source de vol, d’exploitation illégale et quand ceux-ci sont interpelés, ils sont en contentieux. Il
n’y a pas de pays ou système sans règlementation qui marche. Même chez les communistes il faut la loi.
Les lois et textes sont bons, même parmi les meilleurs en Afrique, mais elles ne sont pas appliquées ni
respectées.

- QUESTION ÉCRITE (VOLET ACTUEL OU SYNCHRONIQUE) : Au regard des difficultés –évoquées plus haut –qui se manifestent
dans la mise en œuvre du Régime forestier de 1994, comment/par quels moyens, actions ou démarches, ces problèmes
sont-ils abordés ou traités par les différents acteurs? [Au besoin, indiquez les acteurs, les mécanismes, les actions, les
cadres]
[AU MINISTÈRE DES FORÊTS] Quelles activités déployez-vous auprès/en faveur des communautés locales?
- RÉPONSE ÉCRITE (VNDG, I/MINFOF) : Investigation, sensibilisation, information sur les textes; appui à
la planification locale; contrôle de leur action; pourvoit aux zones d’agriculture; assistance dans la mise
en œuvre des projets de développement; création d’emplois.

- QUESTION ÉCRITE (VOLET ACTUEL OU SYNCHRONIQUE) : Quels en sont les objectifs?


- RÉPONSE ÉCRITE (VNDG, I/MINFOF) : Améliorer la performance; gouvernance; appui au développement
local; amélioration du niveau de vie

- QUESTION ÉCRITE (VOLET ACTUEL OU SYNCHRONIQUE) : Comment les évaluez-vous/Quels en sont les résultats au jour
d’aujourd’hui?
- RÉPONSE ÉCRITE (VNDG, I/MINFOF) : Très encourageants malgré les problèmes de corruption,
malversations ou détournements des deniers publics, corruption mentale et morale.

- QUESTION ÉCRITE (VOLET ACTUEL OU SYNCHRONIQUE) : Quelles perspectives entrevoyez-vous? [Expliquez]


- RÉPONSE ÉCRITE (VNDG, I/MINFOF) : Mettre en place les projets PPP; améliorer l’approvisionnement du
marché local en bois légal; renforcer les plantations forestières qui peuvent produire plus de bois que les
forêts naturelles; promouvoir la domestication des espèces fauniques pour la viande de brousse tout en
promouvant la chasse professionnelle et la vente de viande qui en résultent.

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- QUESTION ÉCRITE (VOLET ACTUEL OU SYNCHRONIQUE) : Au bout du compte, et pour finir, une nouvelle Loi des forêts est
annoncée dans les prochains mois... Qu’est-ce que la Révision amorcée depuis quelque temps apporte-t-elle de
particulièrement nouveau par rapport au Régime actuel? À votre avis, quels sont les éléments qui “garantiraient” que le
prochain Régime produise plus de “performance”?
- RÉPONSE ÉCRITE (VNDG, I/MINFOF) : Accès amélioré à la ressource; transformation locale des produits
ligneux; une plus grande responsabilité des acteurs vis-à-vis de leur rôle dans la gestion durable; la
traçabilité des bois exploités; la modernisation de la chaine d’approvisionnement; la transformation plus
poussée du bois; approvisionnement en bois légal local et export; meilleure participation.

Madame/Monsieur, nous sommes arrivés au terme de notre entretien.


Pour consolider les informations que vous venez de me donner, il me serait très utile de disposer de la documentation des
activités que nous avons évoquées…
Je vous remercie de votre disponibilité.
Georges Boniface Nlénd V

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