Vous êtes sur la page 1sur 67

Université Saint Thomas d’Aquin (USTA)……..

Année académique 2020-2021


FACULTE DES SCIENCES ET TECHNIQUES (FAST)

Productions Animales et Agronomie

Niveau : L2/S4

UE : SOCIOLOGIE RURRALE

L’OBJECTIF

Ce cours devra amener l’étudiant à comprendre comment la sociologie rurale s’est constituée en
tant que sous-discipline de la sociologie. Il devra également lui permettre de comprendre les
différentes mutations qui sont à l’œuvre dans les sociétés rurales des pays du Sud, et plus
particulièrement dans celles du Burkina Faso.

1
PLAN DU COURS

I. SOCIOLOGIE RURALE : ORIGINES, ANALYSES


CONTEMPORAINES ET ETAT ACTUEL DE LA RECHERCHE

II. L’INNOVATION DANS LES EXPLOITATIONS FAMILIALES

III. LES GRANDES MUTATIONS DES TERRITOIRES RURAUX DANS


LES PAYS DU SUD

III. EMERGENCE ET DYNAMIQUE DES MARCHES FONCIERS


RURAUX EN AFRIQUE DE L’OUEST : DES PROCESSUS VARIES

IV. ENJEUX FONCIERS PASTORAUX EN AFRIQUE DE L’OUEST

VI. CONFLITS LIES A LA MOBILITE PASTORALE

VII. L’ORPAILLAGE AU BURKINA : UNE AUBAINE ECONOMIQUE


POUR LES POPULATIONS, AUX CONSEQUENCES SOCIALES ET
ENVIRONNEMENTALES MAL MAITRISEES

VIII. ÉVOLUTION DES RAPPORTS ENTRE PAYSANS ET


INSTITUTIONS

2
INTRODUCTION GENERALE

La sociologie rurale apparaît, en France comme dans d’autres pays, au moment où s’engage le
processus de modernisation de l’agriculture. Ce que va étudier le sociologue de l’agriculture et
du monde rural, c’est cette modernité en marche. Certains y voient un bien évident, d’autres un
mal nécessaire, d’autres encore une défaite des sociétés paysannes et de leurs cultures, qu’il faut,
pour les uns, combattre, pour les autres, accompagner dans leurs transformations. La sociologie
rurale se constitue ainsi comme une sociologie de la rupture : elle est confrontée aux
bouleversements d’un monde et se fonde sur l’analyse même de ses soubresauts (Candau et
Rémy, 2009).

On peut faire l’hypothèse que l’apparition et la légitimation de la sociologie rurale sont liées aux
transformations que connaissent alors les campagnes et aux nombreux débats qui en découlent.
Cette sociologie se veut proche du terrain, assume une visée normative en se voulant au service
du progrès et délibérément tournée vers l’action.

Cet intérêt pour le local, coexistant avec une conception évolutionniste, est la marque de
fabrique de la sociologie rurale. On peut y voir une posture contradictoire permettant de penser
ruptures et continuités, diversité et homogénéité, local et global. Ce faisant, la sociologie rurale
s’inscrit dans l’histoire plus générale de la discipline. En effet, dans un ouvrage devenu
classique, La tradition sociologique, Robert Nisbet montre que les principaux concepts de la
sociologie ont été construits en réaction à l’effondrement des structures sociales traditionnelles
(1984). La sociologie rurale semble suivre le même chemin, en faisant des « communautés » et
des « sociétés » paysannes un point essentiel de sa réflexion durant les deux décennies d’après-
guerre, au moment même où ces structures sont vouées à disparaître.

Depuis la fin des années soixante-dix, c’est-à-dire depuis que l’environnement est devenu objet
d’inquiétude, la sociologie rurale s’est ainsi progressivement désintéressée des paysans et
largement du rural en tant que catégorie sociopolitiques. Il ne s’agit plus désormais de situer
l’activité agricole dans le système capitaliste et la place qui en découle pour les agriculteurs dans
la structure sociale mais de comprendre les conséquences de cette activité sur les ressources
naturelles qu’elle exploite et sur les milieux naturels dans lesquels elle s’exerce. Il s’agit plus
généralement de s’interroger sur les rapports entre les milieux et les sociétés ainsi que sur le
monde rural pris dans son ensemble, et saisi à partir de la question environnementale (M.
Jollivet, 2001).

Malgré une société à dominance urbaine, la question agricole et paysanne ressurgit puisque,
comme le constatent les démographes, les producteurs agricoles n’ont jamais été aussi nombreux
aujourd’hui. Selon Belières et al., (2014 : 67), la population agricole compte 2,6 milliards de
personnes, soit près de 40 % de la population mondiale. Elle comprend 1,3 milliard d’actifs, ce
qui fait de l’agriculture le premier secteur d’activité au monde, loin devant tous les autres
secteurs de l’industrie et des services, beaucoup plus segmentés et spécifiques. C’est le cas du
Burkina Faso où la population est largement rurale (77, 3%) et agricole (plus de 86 %).

De nos jours, sous l’effet des dynamiques économiques mondiales et de la mobilité, villes et
campagnes éclatent et se recomposent simultanément.

Les formes familiales de l’agriculture évoluent dans le temps en relation avec les contextes dans
lesquels elles s’insèrent. Des formes ont disparu, d’autres ont émergé. Aujourd’hui, dans les
campagnes du monde, les activités sont diversifiées, la pluriactivité est une réalité, de nouvelles
3
formes de mobilité sont apparues : ce sont des facteurs essentiels de la persistance de
l’exploitation familiale dans le milieu rural (Sourisseau et al., 2012 : 159).

Dans cette mouvance, on a pu se pencher très tôt sur les questions d’environnement,
particulièrement représentatives des changements qui affectent aujourd’hui les espaces ruraux.
Ainsi, si les questions agricoles sont toujours d’actualité, elles sont de plus en plus associées à
l’environnement.

Dans ce cours, nous nous proposons de montrer comment la sociologie rurale rend compte des
différentes mutations qui sont à l’œuvre dans les sociétés rurales et plus particulièrement celles
du Burkina Faso.

Ce cours est structuré autour des points suivants :

1) Les origines de la sociologie rurale, et ses évolutions ;


2) L’innovation dans les exploitations familiales ;
3) Les grandes mutations des territoires ruraux dans les pays du sud ;
4) L’émergence et la dynamique des marches fonciers ruraux en Afrique de l’ouest : des
processus variés ;
5) Les enjeux fonciers pastoraux en Afrique de l’Ouest ;
6) Les conflits liés à la mobilité pastorale ;
7) Les conséquences de l’orpaillage dans les sociétés rurales burkinabè ;
8) L’évolution des rapports entre paysans et institutions.

4
I. SOCIOLOGIE RURALE : ORIGINES, ANALYSES
CONTEMPORAINES ET ETAT ACTUEL DE LA RECHERCHE
I.1 Aux origines de la sociologie rurale
Cette discipline, subdivision de la sociologie générale, prend forme dans la période qui va de la
fin du XIXe siècle à la grande dépression de 1930, et contribue à analyser et comprendre les
sociétés rurales et le monde agraire.

Si avant le début du XXe siècle, plusieurs études relatives au monde rural se sont construites en
se dissociant de celles relevant de la sociologie générale, ce mouvement est resté marginal, la
préoccupation centrale de la sociologie étant celle du développement industriel. Ainsi, par
exemple, des auteurs comme Philip Ehrensaft et Guy Debailleul mentionnent qu’en Amérique
du Nord, la sociologie rurale et l’économie agricole n’ont pu naître qu’à partir des mouvements
de contestation et de la mise en œuvre de réformes agraires qui ont bousculé les campagnes
durant cette période (1987 : 10) :

« Après la Première Guerre mondiale, les nouvelles techniques de production ont entraîné
l’apparition de surplus agricoles chroniques. Confrontées au déclin des communautés rurales et à
l’insuffisance des revenus agricoles, les jeunes sciences sociales de la sociologie rurale et de
l’économie agricole ont eu pour tâche la recherche de solution au "problème agricole" ».
La sociologie rurale a donc connu un développement tardif. Il a fallu que le milieu rural soit
secoué par des mutations profondes, dont l’industrialisation-mécanisation et l’urbanisation sont
les éléments les plus significatifs, pour qu’elle devienne « objet d’intérêt » pour le sociologue.
Tant que la société rurale dominait la vie nationale et en constituait le principal horizon, elle
restait ignorée, attendant pour exister comme « objet d’étude » de devenir objet d’inquiétude.

A partir de ce qu’il est désormais convenu d’appeler le « malaise paysan » que ce siècle a connu,
il est devenu urgent dans la tête des analystes de trouver des réponses aux questions brûlantes
qui se posent à l’ensemble de la société en pleine transformation.

La sociologie rurale nouvellement née a alors tenté de rendre compte du présent et de l’avenir du
monde agricole, de ses transformations radicales, de ses fondements sociaux et surtout de sa
capacité à s’intégrer au monde moderne. Le monde rural est, en ce sens, souvent resté perçu
comme le lieu où se perpétuent des valeurs archaïques et rétrogrades. Cette vision du monde
rural reste encore aujourd’hui au centre des débats qui secouent la sociologie rurale.

A l’origine, on peut donc constater que le monde rural constituait une préoccupation secondaire
pour la sociologie qui s’est plutôt instituée avec le développement des milieux urbains et
industriels, phénomènes historiques majeurs que cette discipline a cherché à analyser.

Il est opportun de rappeler que la sociologie est fille de la Révolution française, et plus
précisément de la première révolution industrielle. En ébranlant l’ordre social ancien, ces
révolutions ont engendré des interrogations sur la nouvelle société en construction et des
inquiétudes dues à l’apparition de maux sociaux préoccupants (le chômage, l’entassement, la
promiscuité, la prostitution, l’alcoolisme, la misère urbaine…).

5
Ce contexte qui bouleverse l’ordre social ancien favorise l’émergence d’une problématique
sociologique notamment à propos de la nature du lien social (solidarité sociale) et des facteurs
du changement social.

Ce sont ces problèmes qui ont inspiré les pères fondateurs. Ce faisant, l’étude du monde rural a
été longtemps abandonnée à la géographie qui s’y intéresse à partir de son analyse des
phénomènes spatiaux, à l’anthropologie, centrée sur l’analyse des sociétés considérées comme
« exotiques » et surtout à l’économie qui, se préoccupant de développement, de croissance et de
rendement économiques, a étudié l’agriculture avant tout comme activité productive.

I.2 De l’urbain au rural


Maryvonne Bodiguel (1985) montre comment la notion d’espace rural elle-même a été colonisée
par le discours moderniste avec « l’entrée en scène » des technocrates de l’aménagement du
territoire. Ces derniers, devant l’obligation de définir de manière opérationnelle l’espace rural,
l’identifièrent à un espace résiduel de l’espace urbain. En ce sens, ils s’inscrivent dans une ligne
de pensée qui a dominé l’ensemble des débats jusqu’à aujourd’hui, ainsi que l’écrit Ph.
Ehrensaft (1987 : 11) :

« En sociologie rurale, on s’est surtout intéressé à la diffusion des innovations et à l’analyse de


la spécificité du monde rural par rapport à son environnement urbain contemporain. Les
questions des structures et des systèmes de production, de la différenciation des classes à
l’intérieur de l’agriculture, du contrôle économique des régions rurales par les oligopoles
industriels et financiers, et plus généralement la question du pouvoir et du contrôle social, ont
été largement négligées. »

La sociologie rurale a ainsi toujours été à la remorque des conceptions sociologiques du


développement urbain. Il s’agissait de laisser croire que le milieu rural devait obligatoirement
suivre le même développement moderniste et industrialiste que le milieu urbain. Tout ne serait
donc qu’une question de temps. Ce réductionnisme de la pensée a limité le développement d’une
sociologie rurale critique qui n’a véritablement commencé à se construire qu’à partir de la fin
des années soixante-dix. Ce mouvement critique a d’abord été porté par des chercheurs
sensibilisés aux problèmes que connaissent les sociétés des pays en voie de développement, ainsi
qu’aux débuts de la crise de l’agriculture industrielle et à l’apparition des problèmes
environnementaux. Ces derniers ont tenté de dépasser les analyses binaires opposant de manière
réductrice le rural à l’urbain, la routine à l’innovation, et plus généralement la Tradition à la
Modernité (P. Alphandéry, P. Bintoun et Y. Dupont, 1989 ; E. Deléage, 2004) en proposant une
approche d’analyse pluridisciplinaire du monde rural.

I.3 Les analyses contemporaines


Dans les cinquante premières années du XXe siècle, ce sont les thèses fondées sur la spécificité
de la production agricole appréhendée comme autonome par rapport à la production capitaliste,
qui dominent. Ces thèses mettent l’accent sur l’industrialisation de l’agriculture, mais le plus
souvent, pour s’y opposer ou pour en montrer les limites. A partir des années cinquante, dans la
plupart des pays occidentaux, dans un contexte sociopolitique favorable à l’intensification de
l’agriculture, les thèses modernistes apparaissent. Contrairement aux précédentes, ces thèses
6
constituent un plaidoyer pour l’industrialisation de l’agriculture. Ainsi, ces deux visions
quoiqu’opposées dans leur finalité, ont une représentation commune du développement agricole
quant à sa spécificité par rapport au développement industriel.

I.3.1 L’agriculture, sphère de production spécifique


Cette approche met l’accent sur la spécificité de la production agricole comparée à celle de
l’industrie. Des facteurs d’ordre écologique, agronomique et social, singularisent les structures
agricoles qui sont présentées comme autonomes par rapport au reste de l’économie. La
spécificité de l’activité agricole est ainsi revendiquée par des ruralistes traditionalistes comme
Roland Maspétiol qui défend la thèse de la permanence de la spécificité de l’agriculture en lui
attribuant un caractère pérenne (R. Maspétiol, 1946). Ces auteurs manifestent parfois de
l’optimisme face aux possibilités de survie des paysans. Ils se réfèrent au maintien de l’ordre
éternel des champs au nom de la liberté, d’un ordre social stable et d’une société basée sur les
besoins plutôt que sur les profits. Ils s’opposent à l’accélération de l’exode rural. Ces thèses se
traduisent, sur le plan pratique, par la mise en œuvre de mesures de protection de l’agriculture.

« Une société paysanne, écrit H. Mendras, est un ensemble relativement autonome au sein d’une
société globale plus large » (1984 : 17).
Selon Mendras, la caractéristique de ces sociétés paysannes est de bénéficier d’une autonomie
relative au sein de la société qui les englobe. Elles fonctionnent donc pour l’essentiel au sein de
collectivités locales qui sont structurées par des relations d’inter- connaissance (de parenté ou de
voisinage).

En outre, ces sociétés paysannes ont pour objectif essentiel de reproduire une activité de
production/consommation qui est assurée au sein des groupes domestiques, c’est-à-dire de la
famille élargie aux individus non apparentés partageant le même foyer. L’économie paysanne
s’inscrit donc dans un projet dont l’objectif primordial est de produire ce qui est nécessaire aux
besoins de la famille. Dans le schéma mendrassien, lorsque le paysan se transforme en
agriculteur, il perd l’autonomie relative qui caractérisait le paysan au sein des sociétés paysannes
et devient un « élément » parmi d’autres dans la division du travail propre aux sociétés
industrielles qui fonctionnent pour l’essentiel sur le mode de l’hétéronomie. Cette présentation
idéal-typique des sociétés paysannes et des sociétés industrielles au sein desquelles le paysan
s’est transformé en agriculteur a une vertu essentielle, celle de montrer la rationalité propre des
sociétés paysannes et par conséquent de ne pas reléguer ces sociétés du côté de l’irrationalité.

Ce modèle général des sociétés paysannes tend à faire prévaloir l'idée d'une résistance"
naturelle" de la part de ces dernières à l'égard de l'innovation qui, par hypothèse, est toujours
risquée et porteuse de différenciation. Cette résistance serait d'ailleurs d'autant plus forte que
l'innovation serait proposée de l'extérieur par des non-paysans, et considérée par les paysans
comme une menace au maintien d'une marge minimale d'autonomie.

Cependant, malgré l’audace théorique du modèle de société paysanne construit par Mendras, ce
dernier a soutenu que dès que les caractéristiques et l’autonomie relative dont jouissaient les
sociétés paysannes deviendraient incompatibles avec les exigences de la société englobante, ces
dernières seraient conduites à disparaître (1984). Ainsi, les travaux de Mendras ont d’une
7
certaine manière rejoint les thèses de ceux qui soutenaient que le maintien de structures
considérées comme « archaïques », entrait de plus en plus en contradiction avec le
développement de l’industrie, et tout particulièrement des entreprises industrielles situées en
amont et en aval de la production agricole. C’est dans cette perspective que pour certains, à
partir de la fin des années cinquante, des exigences de modernisation semblent devoir s’imposer.

I.3.2 Les thèses de l’industrialisation de l’agriculture


A partir de 1960, la thèse de la spécificité de l’agriculture est pour l’essentiel abandonnée. Il
importe désormais de définir les mécanismes permettant de combler l’écart existant entre la
structure artisanale de la production agricole et les possibilités offertes par la technique pour
développer un procès de travail de type industriel.

Les économistes et sociologues ruraux se préoccupent d’étudier les modifications que subissent
les structures agricoles, en tant que secteur à industrialiser. Il s’agit de développer des techniques
de production de masse, de développer l’esprit d’entreprise, de généraliser l’emploi des
machines et d’intensifier la division du travail. Ce mouvement d’industrialisation de
l’agriculture est encouragé par les industriels de l’agroalimentaire. Les entreprises d’amont
(machinerie agricole, engrais et pesticides) y trouvent une occasion d’accroitre l’étendue de leur
marché, mais ce sont surtout les entreprises d’aval (transformation, conditionnement,
distribution) qui sont à la source de ce mouvement. En effet, ces dernières exigent des produits
en qualité et en quantité stables, obligeant l’agriculteur soit à rationaliser sa production, soit à
abandonner l’activité agricole.
Les économistes agricoles, en soulignant la faible productivité du travail paysan et la faible
valeur ajoutée dégagée par l’activité de production agricole, justifient la nécessité de dégager
certains facteurs de production qu’ils jugent, dans cette perspective, excédentaires. La
concentration foncière et l’exode rural sont ainsi fortement encouragés. L’exode rural est en
particulier considéré comme un moyen de fournir la main d’œuvre nécessaire aux autres secteurs
de l’économie. Ainsi, si la période précédente se caractérisait par des mesures de protection de
l’agriculture, les années soixante sont marquées par celles de l’intégration progressive du secteur
de la production agricole dans le reste de l’économie.

L’évolution de l’agriculture est donc directement liée à celle du développement du reste de


l’économie, ce qui explique que l’on s’éloigne progressivement, sur le plan de la réflexion
théorique, de la thèse de la spécificité de l’activité de production agricole. Certains auteurs qui,
dans les années cinquante, s’opposaient à l’exode rural, soulignent désormais la nécessité
d’industrialiser l’agriculture.

Finalement, ces thèses modernistes affirment qu’il existerait un cours de l’Histoire qui nous
conduirait inéluctablement vers une société sans paysans. Elles rejoignent donc la thèse de la fin
des paysans, énoncée dès 1967 par H. Mendras. En effet, ce dernier soutient que la spécificité
des sociétés paysannes va s’effacer au profit de leur incorporation dans la société globale et que,
l’agriculteur, intégré à la société industrielle, est destiné à remplacer progressivement le paysan
(1984 : 17-18) :

8
« Si les collectivités rurales ne jouissent pas d’une relative autonomie par rapport à la société
englobante, nous parlerons d’agriculteurs, de groupes locaux éventuellement de ‘’classes’’
rurales mais non de paysannerie ».

I.4 L’état actuel de la recherche : la ruralité en question


Comme nous l’avons déjà montré, les campagnes ont été le plus souvent considérées comme le
lieu de pratiques archaïques. Dans cette perspective, ainsi que l’’écrivent Pierre Alphandéry,
Pierre Bitoun et Yves Dupont (2000 : 3) :

« l’espace rural semblait alors ne pouvoir tirer sa valeur que de sa capacité à se moderniser par le
développement d’une agriculture intensive, à constituer un réservoir de main d’œuvre pour une
industrie en pleine expansion et à accueillir, au moment des vacances, des urbains fraîchement
déracinés ou en mal d’espaces récréatifs ».

Si cette modernisation a permis l’accès des ruraux au confort jadis réservé aux urbains, on ne
doit pas oublier les effets sociaux et environnementaux de ce qu’il est convenu d’appeler
aujourd’hui le productivisme agricole : exode agricole et rural, vieillissement de la population,
disparition du commerce et de l’artisanat de proximité, pollutions diverse, etc.

En outre, cette modernisation a été concomitante de la diffusion dans l’espace rural, de


populations non agricoles, installées à la suite de l’implantation d’activités industrielles et
tertiaires ou de l’extension de l’habitat périurbain. Ainsi, dans les sociétés capitalistes dites
« avancées », depuis que l’espace rural ne constitue plus le « territoire des paysans », mais un
« territoire à usages et pratiques multiples » avec les nouveaux usages résidentiels, de plaisance
et de nature (Ph. Pierre-Cornet, 2002), il n’est plus seulement identifiable à celui de
l’agriculture. Par suite, la distinction classique entre le rural et l’urbain, entre l’agricole et le non
agricole, devient problématique. Ainsi que l’écrit Marcel Jollivet :
« Dans ces conditions, le rural apparaît comme une catégorie politiquement dénuée de sens,
voire sans existence ; il tend à n’être plus que le résidu de l’urbain ( …) Qu’il s’agisse de
protection des espèces et des écosystèmes, de bonne gestion de ressources naturelles
renouvelables et de milieux fragiles ou de souci de qualité du cadre de vie, c’est bien en fin de
compte à travers les préoccupations environnementales que le rural, par ailleurs politiquement
largement banalisé, prend désormais un sens qui lui est propre » (1997 : 119-120).

I.4.1 Du rural à l’environnement


Depuis la fin des années soixante-dix, c’est-à-dire depuis que l’environnement est devenu objet
d’inquiétude, la sociologie rurale s’est ainsi progressivement désintéressée des paysans et
largement du rural en tant que catégories sociopolitiques. Il ne s’agit plus désormais de situer
l’activité agricole dans le système capitaliste et la place qui en découle pour les agriculteurs dans
la structure sociale mais de comprendre les conséquences de cette activité sur les ressources
naturelles qu’elle exploite et sur les milieux naturels dans lesquels elle s’exerce. Il s’agit plus
généralement de s’interroger sur les rapports entre les milieux et les sociétés ainsi que sur le
monde rural pris dans son ensemble, et saisi à partir de la question environnementale (M.
Jollivet, 2001).

9
I.4.2 Pour une perspective critique en sociologie rurale
Comme nous l’avons montré, l’histoire de la sociologie rurale est directement liée à la
perception de l’évolution de l’agriculture sous l’effet de son industrialisation et de l’accélération
de l’urbanisation.

Dans ce nouveau contexte, différents travaux ont justifié cette « inévitable » industrialisation de
l’agriculture et se sont progressivement désintéressés de la question paysanne. En particulier, la
plupart des économistes, qu’ils soient libéraux ou marxistes, ont justifié, au nom du
développement de la rationalité économique comme facteur de progrès, l’intégration inéluctable
de l’agriculture dans le système capitaliste et sa subordination au cycle de l’industrie. Il en a été
de même pour la plupart des décideurs publics qui ont accompagné ce mouvement.

Néanmoins, malgré la modernisation de la production agricole, les structures de production sont


restées de type familial. Ainsi, en persistant à appréhender les paysans comme des membres
extérieurs au monde moderne, les économistes et les sociologues, fascinés par l’innovation et le
développement, ont volontairement occulté et abandonné ceux dont l’existence était considérée
comme illégitime parce qu’elle s’opposait au plein épanouissement de la modernité.

Or, en réalité, tous les agriculteurs et parmi eux les plus apparemment compétitifs, donc les plus
liés à l’économie de marché, sont fragilisés par le processus de modernisation illimité de
l’agriculture et de fait, souvent contraints à disparaître. Paradoxalement, ce sont ceux qui furent
beaucoup plus prudents et mesurés qu’archaïques, qui s’avèrent après analyse compter parmi les
moins vulnérables aujourd’hui encore et qui semble être porteurs d’alternatives concrètes et
réalistes aux conséquences destructrices du productivisme (E. Deléage, 2004).

Toute l’histoire de la sociologie rurale contemporaine a donc été marquée par ce tiraillement
permanent entre tradition et modernité, conservatisme et progressisme. Cette dichotomie entre la
nostalgie pour les paysans et la passion pour l’artificialisation de l’agriculture (développement
de l’utilisation des organismes génétiquement modifiés par exemple) a ainsi introduit un biais,
en particulier dans l’analyse des formes de résistance paysanne à la modernisation de
l’agriculture. Pour les comprendre, il a semblé nécessaire à certains acteurs (P. Alphandéry, P.
Bitoun et Y. Dupont, 1989 ; E. Deléage, 2004) d’effectuer un travail de dépassement des
distinctions établies par l’économie et la sociologie « classiques » entre tradition et modernité,
local et global, etc.

I.4.3 La fin des paysans du monde ?


Depuis 1992, sous l’impulsion de la Conférence de Rio, la mise en œuvre d’un développement
durable, c’est-à-dire d’un développement qui réponde aux besoins des générations présentes sans
compromettre ceux des générations futures, est devenue une norme. Or aujourd’hui, le
développement de la rationalité instrumentale dans l’agriculture, qui a rendu cette dernière
unidimensionnelle, destructrice des équilibres écologiques et sociaux, se poursuit. Et ce, en
particulier avec l’artificialisation accélérée des écosystèmes, artificialisation qui accentue la
division du travail entre ceux qui disposent de la technique et ceux qui n’en disposent pas.

10
Si toute l’histoire de la sociologie rurale s’est paradoxalement construite contre les paysans,
c’est peut-être parce que la mise en œuvre de la modernité dans l’agriculture a toujours été
associée à celle de la performance technico-économique.

11
II. L’INNOVATION DANS LES EXPLOITATIONS FAMILIALES
Les agronomes se sont longtemps considérés comme des acteurs essentiels dans les processus
d’innovation en milieu rural. Ils estimaient que les progrès des exploitations agricoles
dépendaient de la capacité des chercheurs à proposer des solutions pertinentes, de la présence de
services de vulgarisation chargés de diffuser les messages techniques et enfin, de la réceptivité
des paysans au « progrès technique ». Cette démarche descendante misant avant tout sur les
savoirs des agronomes a montré ses limites, et de nombreux programmes de transfert de
technologies ont échoué. Ainsi, les fortes capacités d’innovation des agriculteurs sont
démontrées.

2.1 Processus sociologique et technique porté par les agriculteurs


Le terme d’innovation est polysémique. Il est souvent assimilé à une invention, une solution, ou
proposition technique ou un ensemble de techniques (appelé paquet technique, set of
innovations). Pour Sibelet et Dugué (2007), l’innovation peut être considérée comme un
processus socio-économique de changement, accompli par un groupe social et fondé sur des
inventions endogènes ou exogènes. Ce processus est endogène, ce qui n’exclut pas qu’il soit
favorisé – ou dans certains cas perturbé – par des agents extérieurs (chercheurs, vulgarisateurs,
commerçants…) au groupe social, ou qu’il soit influencé par des facteurs exogènes (marché,
politique agricole, évolution du climat, etc.).

Innover n’est ni inventer ni imiter. L’invention ou la trouvaille (technique de sarclage,


herbicide, forme d’organisation, etc.), qui peut être le fait d’un paysan, du chercheur, etc., doit
être distinguée de l’innovation qui peut être définie comme une nouvelle façon de faire ou de
s’organiser.

Les acteurs agriculteurs innovent, c’est-à-dire modifient leurs pratiques et les agents extérieurs
peuvent catalyser ou inhiber les processus d’innovation.

Les sociétés paysannes ont la capacité d’innover, et assez fréquemment, d’inventer, thèse qui va
à l’encontre des discours évoquant la résistance des paysans face au progrès.

L’innovation paysanne évolue dans le temps, dans l’espace physique et la société alors que les
agents de développement voudraient que leurs propositions s’appliquent massivement.

2.2 Le courant diffusionniste dominant


Dans le passé, les économistes et les psychosociologues ont été les premiers à proposer des
théories de l’innovation. En économie, Schumpeter (1935) en est le pionnier ; il considère que
l’entrepreneur qui introduit des innovations est la clé de la dynamique économique. La période
de forte croissance économique en Europe après la Seconde guerre mondiale (les Trente
glorieuses) a favorisé la vision mono- économique de l’histoire (Rostow, 1960), le sens du terme
innovation est alors réduit à technologie. En agriculture, les transferts de technologies
constituent le fondement de la Révolution verte.

2.2.1 Évolution des théories sur l’innovation


De nouveaux points de vue émergent à la fin des Trente glorieuses.
12
Les psychosociologues mettent en avant la théorie du courant diffusionniste établie par Rogers
(1962). Il affirme que la distribution dans le temps des individus adoptant une innovation à un
instant « t » suit une loi Normale (avec en abscisse le temps et en ordonnée le nombre de
personnes ayant adopté une innovation). En conséquence, la courbe illustrant le cumul du
nombre de personnes ayant déjà adopté l’innovation est une courbe en « S » dite courbe
épidémiologique, elle est aussi celle de la diffusion d’un microbe lors d’une épidémie non
jugulée.

Le processus d’adoption de l’innovation est décrit par la séquence suivante : prise de conscience,
intérêt, évaluation, essai, adoption.
Ces travaux sur l’introduction des changements techniques en agriculture ont ainsi nourri
durablement la réflexion des sociologues sur la question plus générale de la diffusion des
innovations, justifiant même la construction d’un paradigme épidémiologique, établissant les
règles de diffusion d’une idée, d’une technique, d’une mode. Cinq catégories d’innovateurs sont
ainsi distinguées (Mendras, Forsé, 1983 : 77-79).

1. « les premiers adoptants à se décider entre t0 et t1, nous les appellerons les pionniers
puisqu’ils prennent les risques, s’aventurent seuls, sans le soutien de leurs congénères, et
qui ne sont pas toujours suivis ;

2. Ceux qui se décident en second, entre t1 et t2, sont des innovateurs, puisqu’ils adoptent
un comportement nouveau, qui normalement va faire école. Ils sont respectables et c’est
pourquoi leur exemple est suivi ;

3. Dans la majorité qui se décide collectivement, on peut distinguer la majorité précoce,


faite de gens réfléchis qui prennent leurs décisions entre t2 et t3 ;

4. Entre t3 et t4, la majorité tardive est faite de gens sceptiques qui se décident par imitation
sans y croire ;
5. Les retardataires sont des traditionnalistes qui ont peine à changer ;

6. Les réfractaires, eux, se refusant à accepter l’innovation pour rester fidèles à leur routine,
mais au bout du compte ils sont obligés de suivre, à quelques exceptions » (Mendras et
Forsé, 1983 : 77).

De nombreuses réserves ont été exprimées sur ces travaux. Cette conception empirique était
fondée sur certaines idées reçues concernant la psychologie de l’agriculteur considéré comme
individualiste, désireux de copier, éventuellement envieux (Spinat, 1981). En outre, la
classification de Rogers n’est que temporelle et statistique et ne fait pas appel aux aspects
sociaux. De par sa spécialité – la psychosociologie –, et de par la société qui l’environnait – les
États-Unis des années 50 et 60 –, Rogers a conçu une théorie selon laquelle l’agriculteur est un
client potentiel chez qui il convient de lever certains freins psychologiques à la prise de décision.
Les vocables employés sont symboliques (innovateur, retardataire,) et sont connotés
positivement ou péjorativement. Le parallélisme est dès lors vite établi entre la vulgarisation
agricole et le marketing, apparu dans les années 50 aux États-Unis : le vulgarisateur est un
vendeur ; l’agriculteur est un client et l’innovation ou le conseil technique est un produit
13
commercialisable ; la relation entre l’agriculteur et le technicien agricole est à sens unique. La
diffusion des innovations se fait à grand renfort de publicité et l’information se substitue à la
formation. Cette méthode a été efficace en Amérique du Nord pour la deuxième révolution
agricole (motorisation et application de produits chimiques) et a rapidement influencé les
systèmes de vulgarisation et les projets de développement dans les pays du Sud dans des
contextes économiques et sociaux pourtant fort différents.

Cette théorie critiquable a toutefois été sous-jacente au modèle dominant de la vulgarisation


agricole de ces vingt dernières années, appelé Training and Visit et promu par Benor et al.
(1984). Dès que l’on cherche à instituer une vulgarisation via des paysans pilotes ou des paysans
relais et à faire diffuser des solutions techniques en tache d’huile, la référence est, même
inconsciemment, celle du modèle diffusionniste. Ainsi, cette méthode ignore toute la complexité
d’un processus d’innovation, ses facettes multiples (genèse, forme) et son évolution dans le
temps, selon les positions sociale et économique et les stratégies des acteurs.
Des sociologues et des économistes français ont élargi ce débat dans les années 70-80. Mendras
(1996) a repris les travaux de Rogers en leur associant une dimension sociale, mais l’innovation
est toujours conçue comme un objet introduit par un médiateur dans une société paysanne, à
partir de la société englobante. Bodiguel (1975) insiste lui sur le contexte : ainsi l’innovation a
une signification économique et sociale, elle est porteuse d’une idéologie, qui tend à
l’intégration de la société paysanne dans la société englobante.

Aujourd’hui, il existe un foisonnement de travaux sur l’innovation en milieu rural ; ils sont
constitués d’études de cas visant à évaluer la réussite ou l’échec des projets de développement et
à analyser les causes de l’adoption ou du rejet par les paysans des solutions proposées par ces
projets. Ils sont focalisés sur le suivi de l’invention de départ et sur la démarche descendante des
projets, et ils ont ainsi surtout mis en avant les stratégies des acteurs et leurs capacités
d’adaptation. Mais, dans le domaine agricole, peu de travaux traitent réellement du processus
d’innovation tel qu’il a été défini. Au Cirad, les socio-économistes (Yung et Bosc, 1992)
inspirés par Schumpeter ont abordé l’innovation sous trois angles : quelles sont les raisons de
l’innovation ? Comment s’articulent processus d’innovation et stratégies des producteurs ?
Comment les processus d’innovation sont-ils influencés par les conditions institutionnelles et
économiques sur les processus d’innovation ?

Milleville (1987), en tant qu’agronome, a mis en avant l’analyse des pratiques paysannes. Pour
cet auteur, la pratique est une technique mise en situation. Par analogie, on peut dire qu’il n’y a
innovation que lorsqu’une nouveauté est passée à l’état de pratique, l’innovation serait donc une
invention mise en pratique. Pour comprendre le processus d’innovation, le Groupe
d’expérimentation et de recherche, de développement et d’action localisée (Gerdal) a accordé
une grande importance aux échanges et aux débats au sein d’un groupe d’agriculteurs en
interaction ayant des systèmes de production proches ; Gerdal a proposé la notion de groupe
professionnel local (Darré, 1984).
Finalement, ces auteurs sont passés globalement d’une vision linéaire faisant de l’innovation
l’équivalent d’un transfert de technologies à une vision plus systémique ancrée dans le milieu
rural. Ils ont alors cherché à prendre connaissance du fonctionnement du milieu rural, des
14
mutations et des innovations endogènes et de ses réactions aux interventions extérieures. Les
interventions du développement et de la recherche agricole ont évolué conjointement à ces
avancées théoriques selon trois phases.

Trois grandes phases historiques dans les interventions du développement et de la recherche


agricole

Les projets de modernisation de l’agriculture familiale se sont multipliés au cours de la période


1950 à 1980. C’est l’époque de la Révolution verte, avec un rôle central dévolu à la technique et
au transfert de technologies des pays du Nord vers les pays du Sud qui devaient résoudre les
problèmes. Ces projets sont influencés par le courant diffusionniste et s’appuient sur une
vulgarisation de masse.

Ensuite, à partir des années 1980, les actions de développement deviennent plus endogènes
(développement autocentré) et s’appuient sur les ressources locales, l’identification des besoins
des producteurs et la recherche de solutions accompagnée du test par les producteurs. C’est une
démarche de recherche-développement, avec une phase de développement pilote suivie de
l’extension ou de la diffusion des résultats à l’ensemble du territoire. Cette démarche est
toujours descendante et fortement liée aux techniques dites modernes et aux recommandations
de la recherche, mais une réflexion sur l’innovation organisationnelle et sur les mesures
d’accompagnement (crédit, formation, conseil) est intégrée aux projets de développement et, en
corollaire, des interventions sont programmées.

Depuis 1990, sont mis en avant le renforcement des capacités des acteurs et l’accompagnement
des processus d’innovation. C’est la reconnaissance des capacités d’innovation des paysans
(paysans expérimentateurs, réseaux locaux de diffusion de l’information) et on s’intéresse aux
solutions créées localement (en particulier à partir de coopérations entre pays du Sud ou entre
paysans), et au matériel végétal local ou sélectionné par les paysans. Dans cette démarche
dénommée recherche- action en partenariat, le paysan est associé au processus de recherche qui
vient accompagner le processus d’innovation.

2.3 Évolution de l’innovation paysanne dans le temps, dans l’espace physique et social
Pour de nombreux auteurs, les paysans d’Afrique ont peu innové et encore moins inventé par
eux-mêmes et sont peu enclins à adopter des inventions proposées. Des freins à l’innovation
sont incriminés (pesanteurs sociales, analphabétisme, etc.) alors que des paysans font preuve de
leur capacité à innover.

2.3.1 Analyse et apports théoriques


a) Problème de la nature des propositions
Les propositions des chercheurs et techniciens continuent à être les mêmes depuis plusieurs
décennies (bandes enherbées et cordons pierreux antiérosifs, étables fumières, création
d’organisations selon un modèle occidental…).

Les stratégies des paysans sont peu prises en compte tout comme leurs activités non- agricoles
souvent cruciales pour leur famille. Le paysan rêve-t-il de lutte contre l’érosion ? Les paysans
rêvent plutôt d’une meilleure alimentation, d’un meilleur habitat, d’un travail moins pénible,
15
d’une moindre dépendance des aléas climatiques, de la transmission d’un patrimoine physique et
culturel à leurs enfants. Ils sont aussi conscients de la valeur de leur environnement, ils savent
pertinemment qu’il faut préserver les ressources naturelles qui les font vivre. Mais pour atteindre
demain, il faut déjà vivre ce jour. Une plante antiérosive a plus de chance d’être acceptée si elle
a d’autres utilités que la seule lutte contre l’érosion, il faut qu’elle contribue aussi à la
satisfaction des besoins du présent (fruits, fourrage, bois de service…).

Si les solutions proposées ne sont pas adoptées par les paysans, ce n’est pas parce que ces
derniers sont résistants au progrès.

D’un point de vue méthodologique, la résistance des paysans à des propositions extérieures ne
doit pas aboutir à une condamnation idéologique, « ils sont résistants ou hostiles au progrès »,
mais elle doit être comprise comme une expression de la structuration du champ que l’on veut
changer, et, en tant que telle, elle est peut-être porteuse d’indications précieuses sur la réalité du
champ dont on cherche à transformer la structuration (Friedberg, 1993). Il convient alors
d’analyser les résistances non plus pour les combattre mais pour comprendre la structuration qui
les porte. Pour être prospectif, il faut contrebalancer l’analyse des résistances paysannes par
celle des dynamiques en cours, des ambitions et des souhaits des paysans pour le futur, et des
potentiels des sociétés rurales concernées.

d) Importance de la dimension historique


L’approche globale de l’innovation doit aussi prendre en compte la dimension historique. La
nouveauté n’est pas la même selon les époques.

La construction de trajectoires d’innovation au Nord Cameroun amène à considérer différentes


phases (Vall et al., 2006). Dans les cas de l’acquisition de la traction animale, de l’introduction
de l’oignon ou de la constitution de stocks fourragers, on peut distinguer trois phases :
– expérimentation, les paysans tâtonnent avec ou sans l’appui des techniciens ;
– diversification des options techniques ;
– recentrage sur un modèle technique unique pour des raisons économiques et organisationnelles

16
III. LES GRANDES MUTATIONS DES TERRITOIRES RURAUX DANS
LES PAYS DU SUD

Dans cette partie, trois entrées seront privilégiées. On insistera d’abord sur les mutations
provoquées par la mondialisation actuelle sur ou dans les territoires ruraux des pays du Sud.
Ensuite, on évoquera les dynamiques actuelles des territoires ruraux qui relèvent à la fois des
conséquences de la mondialisation mais aussi d’autres éléments, comme la croissance
démographique. Enfin, il conviendra de s’interroger sur la notion de territoires ruraux qui
renvoie aux jeux des recompositions actuelles et où les questions d’environnement prennent une
place considérable.

3.1 Les territoires ruraux du Sud dans la mondialisation


La mondialisation est un phénomène qui touche à tous les aspects de la vie rurale et qui est
tellement englobant. Il nous semble toutefois que, dans sa phase actuelle, elle a des
conséquences particulières sur le monde rural qu’il convient de préciser d’emblée. Un des points
essentiels est peut-être son double caractère, en apparence contradictoire, d’uniformisation des
territoires et de différenciation locale.
Uniformisation et différenciation des territoires ruraux

La mondialisation induit un double mouvement. A certains égards, c’est un processus


d’uniformisation par le raccourcissement des distances, les facilités de communication de tous
ordres qu’elle autorise, la diffusion de modes de vie semblables. La circulation des hommes qui
s’amplifie, accroît les solidarités ou les relations. Ainsi, les revenus tirés des migrations
internationales alimentent la vie quotidienne des zones d’origine.
Il reste cependant des distinctions fortes à différentes échelles.

D’abord, l’entrée dans le marché mondial qui se traduit par une baisse des protections nationales
et une déréglementation ne s’opère pas de façon identique au Nord et au Sud. Globalement, les
pays du Sud protègent moins leurs agricultures que ceux du Nord.

Ensuite, la mondialisation va de pair avec un nouveau rôle accordé au local. Elle s’accompagne
d’un mouvement de décentralisation, dans le cadre d’une volonté de démocratisation qui peut
donner aux autorités locales plus de pouvoirs, voire créer des institutions locales.

En outre, la mondialisation n’est pas exclusive d’adaptations ou d’interprétations au niveau


local. C’est le cas pour la question foncière, particulièrement problématique dans le monde rural
contemporain. Les institutions internationales préconisent des politiques de « sécurisation », peu
ou prou identiques dans leurs principes dans tous les pays du Sud. Mais les politiques doivent
s’infléchir en fonction des particularités locales : on n’est pas dans la même situation en Inde par
exemple, où la propriété individuelle de la terre est dominante, en Afrique de l’ouest où les
situations sont plus floues et où prévalent localement des droits collectifs, en Amérique latine où
la réforme agraire est toujours à l’ordre du jour dans de nombreux pays.
Surtout, on observe de grandes inégalités dans la compétition économique internationale.
17
Territoires « gagnants », territoires « perdants »

La phase de mondialisation actuelle se caractérise par la mise en place de politiques libérales et


d’accroissement des productions agricoles d’exportation dans les pays du Sud pour financer leur
développement. Dans ce contexte, comme le soulignent Lombard, Mesclier et velut, reprenant
l’expression de Benko et Liepietz sur « les régions qui gagnent », des territoires réussissent
mieux que d’autres (Lombard, Mesclier, Velut, 2006).

Les territoires les plus dynamiques bénéficient des conditions les plus favorables à l’exportation
de denrées agricoles. On peut penser aux régions productrices de cultures d’exportation qui
bénéficient d’espace et de la présence d’un bon réseau de transport. La production est menée
dans le cadre de vastes exploitations, fortement mécanisées ou utilisant une main d’œuvre
faiblement rémunérée, et là où le foncier est peu cher.

Par ailleurs, les exportations des pays du Sud se caractérisent également par la fourniture
croissante de produits frais, tropicaux ou autres, que le Nord ne peut cultiver ou qu’il ne récolte
pas à la même époque : mangues, avocats, fleurs, etc. Cette production est possible grâce à
l’amélioration des conditions de transport et à la baisse des coûts d’acheminement des denrées.

Mais les territoires ruraux gagnants sont peu nombreux ou affectent relativement peu de
personnes, car les réussites actuelles touchent d’abord les grandes métropoles et le monde urbain
plus que l’agriculture. Par ailleurs, tout le monde ne gagne pas, même dans les régions
favorisées. On assiste en réalité à une marginalisation croissante de territoires et d’acteurs.
La marginalisation croissante de territoires et d’acteurs

La mondialisation s’accompagne d’un retrait de l’Etat qui se manifeste surtout par la


disparition ou la privatisation des organismes d’encadrement de l’agriculture. Ainsi, en Afrique
occidentale, beaucoup de sociétés de développement, créées durant la décennie 1960 pour aider
les agriculteurs, ont disparu dans les années 1980 et 1990. De même, les systèmes de crédits
pour les petits paysans. Au Burkina, par exemple, la libéralisation des années 1990 s’est traduite
par la disparition des organismes régionaux de développement (ORD) qui avait auparavant un
grand rôle dans le soutien à la petite agriculture.

Quelles que soient les raisons de cette réorganisation (ces sociétés étaient parfois des
gouffres financiers), ce sont presque toujours les petits agriculteurs qui font les frais, car les
grands exploitants peuvent plus facilement se passer de conseils techniques diffusés par des
organismes locaux ou ont moins de difficultés pour obtenir des prêts.

Beaucoup de producteurs petits et moyens, faute de crédit et de possibilités de


commercialisation autonome, se lancent dans l’agriculture sous contrat avec des entreprises
agro-industrielles dont ils dépendent ensuite et qui organisent production et commercialisation à
leur profit.

La libéralisation se manifeste aussi par une marchandisation des ressources, eau et terre,
certes inégalement avancée selon les pays, mais qui favorise là encore les exploitants les plus
prospères au détriment des petits producteurs.

18
Par ailleurs, beaucoup de territoires ruraux sont marginalisés dans le mouvement actuel
de mondialisation.

Le retrait de l’Etat qui se manifeste aussi par la réduction des aides aux régions en difficulté
aggrave leur situation.

3.2 Dynamiques sociales et recompositions des territoires ruraux


Les stratégies d’adaptation des exploitations familiales, de nouvelles opportunités et
l’évolution des organisations territoriales sont à l’origine de recompositions multiples des
territoires ruraux. Un des éléments essentiels est d’abord l’accroissement de la mobilité.
Les conséquences d’une mobilité accrue
Les sociétés rurales du Sud n’ont jamais été statiques. Mais les mobilités se sont accrues. Ce
phénomène est la conséquence de l’amélioration des moyens de communication, de la
croissance démographique des campagnes qui conduit à l’aggravation de la pression sur les
ressources et à des phénomènes de surpeuplement relatif, et des difficultés croissantes des petites
exploitations paysannes.

Une autre conséquence est la migration vers les fronts pionniers et la création de
nouvelles régions agricoles, que les paysans aient été déguerpis de leurs anciennes régions par
des grands exploitants, comme au Brésil, ou que la migration soit liée à la pauvreté et au
surpeuplement relatif comme dans le Sahel africain.

Une autre réponse aux difficultés multiples qu’affrontent les paysanneries est la
diversification des activités.
La diversification des activités et des fonctions

Que le rural ne se confonde pas avec l’agricole, on le sait depuis longtemps. Et la


pluriactivité n’est pas un phénomène nouveau. Mais elle s’accentue.

Il convient d’abord de remarquer que des spécialisations anciennes s’estompent si elles


ne disparaissent pas. En Afrique occidentale sahélo-soudanienne, la séparation entre agriculteurs
et éleveurs, comme la spécialisation de territoires spécifiques voués aux cultures ou à l’élevage
se réduit. Les éleveurs sont descendus vers le Sud, dans des zones où ils se mêlent aux
agriculteurs. Parfois, ils développent un élevage commercial près des villes ou se mettent aux
cultures. Les paysans ont de plus en plus d’animaux, notamment dans les régions où la culture
attelée a été développée.
Mais la diversification concerne surtout les activités non-agricoles. L’intensification des
relations ville-campagne favorise la pluriactivité. Par exemple, la demande en produits
alimentaires pour ravitailler les centres urbains a souvent amené les femmes africaines à
développer des activités de commerce alimentaire ou de transformation des produits de base,
source de revenus nouveaux.

Des évolutions récentes autorisent aussi de nouvelles formes de diversification.


L’écotourisme qui se développe dans les villages africains, près des réserves naturelles et des

19
aires protégées, devient source de revenus pour les populations locales même si cette fonction ne
connaît pas encore l’essor de ce qu’on peut voir en Europe occidentale.

Enfin, l’espace rural peut être, dans certains cas, espace de résidence pour les chefs de
famille qui travaillent en ville.
Nouveaux acteurs, nouvelles configurations

Les mutations actuelles conduisent à l’apparition de nouveaux acteurs sans que les
anciens disparaissent. Les territoires se trouvent ainsi encastrés dans une série de pouvoirs ou
d’acteurs à différents niveaux qui contribuent à les modeler et qui entrent parfois en conflits.

L’Etat a vu son rôle réduit mais n’est pas éliminé. A l’échelle locale, les représentants du
pouvoir central ont souvent gardé un rôle important. Les gouvernements interviennent aussi pour
favoriser les projets d’entrepreneurs là où ils le jugent utile ; ils soutiennent par exemple des
grandes entreprises agricoles ou minières au détriment des populations paysannes.

Parmi les acteurs institutionnels, le fait marquant est sans doute la multiplication des
ONG. Celles-ci ont en partie pris le relais des Etats et de l’aide internationale défaillants. Elles
contribuent fortement à façonner les territoires ruraux.

D’abord, elles proposent une nouvelle vision du développement : elles initient des filières
nouvelles, notamment dans le commerce équitable, lance des opérations visant à améliorer le
sort des plus démunis à travers des programmes sociaux, etc. En même temps, elles favorisent
l’émiettement et la parcellisation des territoires par la multiplication des actions ponctuelles, les
rivalités qui font parfois que chaque ONG tient son village ou sa micro-région et propose des
activités concurrentes de la voisine.

Par ailleurs, de nouveaux modes de développement rural sont pris en charge par les
acteurs locaux : organisations paysannes, groupements de producteurs, municipalité, etc. Ils sont
source d’initiatives et de changements dans la gestion des territoires.

Ainsi, les mutations sont multiples. Elles conduisent à repenser la ruralité et partant les
territoires ruraux.

3.3 Les nouvelles formes de ruralité des territoires


Les transformations des espaces et l’évolution des catégories d’acteurs autant que la
modification du regard porté sur la ruralité conduisent à s’interroger sur la nature même des
territoires ruraux, tant dans leurs contenus que dans leurs limites, contribuant à les redéfinir.
Un des changements importants depuis deux ou trois décennies dans les pays du Sud
tient au regard que les chercheurs portent sur les relations villes-campagnes. Pendant longtemps,
les études rurales s’en sont tenues à une analyse de l’agriculture en elle-même et pour elle-
même. Les études urbaines se focalisaient sur les systèmes de domination urbaine et
s’intéressaient surtout aux aires d’influence des villes (CHALEARD, DUBRESSON, 1999). La
croissance urbaine a rendu la présence du fait urbain omniprésent et a conduit à un net
infléchissement des analyses. En même temps, la prise en compte de la ville par les spécialistes
du monde rural a changé le regard porté sur les relations villes-campagnes.
20
Quelles sont ces mutations ?

La place du monde rural démographiquement se réduit, avec l’exode rural et la


croissance des villes. Il faut toutefois souligner que les situations sont très variées et variables
entre les pays d’Amérique latine largement urbanisés et certains grands pays asiatiques comme
l’Inde encore à plus des trois quart rurale. On doit également remarquer que dans la majorité des
pays du Sud, l’émigration rurale ne s’accompagne pas d’une diminution des effectifs humains,
en raison entre autres des taux de croissance naturelle élevés. Il convient enfin de souligner que
les cheminements migratoires sont complexes et n’excluent pas des mouvements de retour à la
campagne comme on a pu l’observer en Côte d’Ivoire dans les années 1980 et le début des
années 1990 (BEAUCHEMIN, 2001).

Le deuxième élément de constat est la multiplication des synergies entre villes et


campagnes. On s’aperçoit que bien souvent les campagnes les plus prospères sont celles qui sont
les mieux reliées aux centres urbains et qui sont situées dans les régions les plus urbanisées. La
croissance urbaine élargit un marché alimentaire qui a permis de transformer les cultures
vivrières en cultures commerciales.

La multiplication des échanges entraine une « urbanisation » des campagnes qui


se voit dans l’évolution des mentalités, et dans les paysages, par exemple dans l’habitat en
Afrique avec l’évolution des matériaux et des formes des bâtiments.

La multiplication des échanges, « l’urbanisation » du monde rural, la dilatation et parfois


même une certaine ruralisation des villes, amènent à analyser les relations villes-campagnes
moins en termes de coupures spatiales ou fonctionnelles qu’en termes de continuum des sociétés,
des espaces et des territoires. L’agriculture périurbaine est exemplaire de ces formes de
transition.
Territoires ruraux et environnement

Les territoire ruraux se définissent ou se redéfinissent aussi par rapport à la « nature », au


« milieu naturel », à tout ce qui n’est pas agricole.
Jusqu’aux années 1970, les relations entre les sociétés rurales et leur environnement
n’étaient pas une préoccupation des scientifiques. L’objectif était d’augmenter les productions
agricoles, dans le cadre d’une agriculture le plus souvent productiviste comme l’ont montré C.
Blanc-Pamard et J. Boutrais (BLANC-PAMARD, BOUTRAIS, 2002). Désormais, il s’agit de ne
pas produire davantage que ne le permettent les ressources renouvelables dans une optique de
développement durable.

La prise de conscience est venue des pays de Nord, mais aussi de l’analyse sur place des
dommages collatéraux ou directs provoqués par des politiques agricoles ou des grands
aménagements. On observe dans beaucoup de pays du Sud, comme l’Inde par exemple, des
pollutions des eaux et des sols considérables, liées à l’usage abusif des engrais et des produits de
traitement depuis le lancement de la révolution verte dans des années 1960 (LANDY, 2006). La
destruction des forêts équatoriales, notamment pour céder la place comme au Brésil à de grandes
fermes d’élevage, menace à la fois les équilibres climatiques, la biodiversité mais aussi les
populations locales qui vivaient entre autres de la cueillette.
21
La conception classique du développement comportait la mise en valeur de nouvelles
ressources et de nouveaux espaces. Aujourd’hui il est question de gestion des espaces et de
ressources. On s’intéresse à la production agricole mais aussi à d’autres formes d’usage des
ressources. D’où un regard nouveau sur des pratiques anciennes des sociétés rurales comme
l’agroforesterie.

Cela se traduit aussi par de nombreux programmes de préservation des forêts, de mise en
place d’aires protégées. Ici on essaie de permettre un développement agricole compatible avec le
maintien des genres de vies des populations locales, la préservation de la faune et de la flore et si
possible, l’émergence de nouvelles activités sources de revenu comme le tourisme vert. Ces
programmes ne réussissent pas toujours. Les acteurs concernés n’ont pas forcément les mêmes
objectifs ni les mêmes intérêts : à Madagascar, la production de charbon de bois et la pratique
de l’abattis-brûlis par les ruraux entrent en contradiction avec le souci des autorités et des
instances internationales de préserver l’environnement (BLANC-PAMARD, RAKOTO, 2003).
En Afrique, dans certain parcs, les animaux sont chassés par les villageois (ou par les
représentants du pouvoir en place parfois…).

22
IV. EMERGENCE ET DYNAMIQUE DES MARCHES FONCIERS
RURAUX EN AFRIQUE DE L’OUEST : DES PROCESSUS VARIES
Les transactions foncières marchandes relèvent de plusieurs grandes catégories : l’achat-vente,
qui porte (dans la forme « complète ») sur l’ensemble du faisceau de droits ; les cessions
temporaires du droit d’exploiter la terre moyennant une contrepartie non symbolique, qui
aboutissent à des situations de faire-valoir indirects (de type location, avec paiement d’une rente
fixe, ou métayage, avec partage du produit) ; les contrats de plantation de cultures pérennes,
avec partage de la plantation, de la récolte ou de la plantation et de la terre une fois la plantation
en production.

Le concept de faisceau de droits traduit le fait qu'il n'y a pas un droit sur la terre. Ainsi, on peut
distinguer en particulier le droit d’usage, de tirer un revenu de cet usage, de ne pas user de la
terre (de la laisser en friche sans crainte de contestation), d’investir (plantation pérenne,
aménagements fonciers, réalisation de forages), de déléguer l’usage de la terre à titre marchand
(location, métayage, etc.) ou non marchand (prêt), d'aliéner à travers un transfert définitif
marchand (vente) ou non marchand (donation, legs), d’exclure les autres de l’usage de la
parcelle, enfin le droit d’administration, au sens de « droit de définir les droits des autres » (qui,
et sous quelles conditions, peut avoir accès à la terre et en transférer l’usage). Les divers
éléments du faisceau de droits sont susceptibles d’être contrôlés par différents individus et
transférés séparément lors de transactions (voir références in Colin, 2004). Le droit de propriété
privée au sens usuel du terme correspond dès lors à une configuration spécifique où l’acteur
détient l’ensemble du faisceau de droits.

Les transactions marchandes prennent place au sein d’une gamme plus large de transferts
fonciers, au sein des groupes familiaux ou en dehors. L’héritage, le don, le prêt ou l’installation
sans limitation de durée, le prêt à durée limitée, sont d’autres formes de transferts, non
marchands, de droits fonciers. Il faut analyser les transferts marchands dans leurs rapports aux
autres modes de transferts.

La terre est un bien particulier qui n’est pas produit pour être une marchandise. Elle n’est pas un
bien marchand dans de nombreuses régions du monde. En Afrique rurale, une conception du
foncier comme patrimoine intergénérationnel a longtemps été, et est encore dans de nombreuses
régions, une raison pour refuser les ventes de terre. Parfois anciennes, souvent récentes, les
transactions foncières marchandes se développent cependant, marquant des ruptures, plus ou
moins fortes, avec ce principe coutumier de non-aliénabilité. Ce principe vise à préserver la terre
comme bien commun pour les groupes familiaux élargis. Il permet des ajustements entre la taille
des groupes domestiques et les surfaces exploitées, et de garantir un accès à la terre aux
membres présents et futurs de ces groupes. Ce qui assure une certaine « protection sociale » dans
des contextes où l’Etat n’est pas en mesure d’apporter des solutions face aux risques de
l’existence.

4.1- Les facteurs de la marchandisation des droits sur la terre

23
Les analyses convergent quant aux facteurs (non indépendants) impulsant l’individualisation et
la marchandisation, qui renvoient directement ou indirectement à l’accroissement de la pression
foncière et de la valeur économique de la terre.

a) La pression démographique endogène ou induite par l’arrivée de migrants – voir les cas bien
connus de la zone forestière de Côte d’Ivoire ou du Sud-Ouest burkinabé, avec les migrations
massives des Mossi depuis le plateau central et le nord du pays vers le sud-ouest depuis les
années 60, puis plus récemment l’arrivée de producteurs de retour de Côte d'Ivoire, du fait de la
crise socio-politique que traversait le pays (voir références in Chauveau et al. 2006).

b) Les changements techniques : disparition des jachères longues, introduction des cultures « de
rente » (avec, dans le cas des cultures pérennes, l’incidence d’un usage plus permanent de la
terre), ou de cultures annuelles marchandes (coton, maraîchage) ; introduction de la culture
attelée ou motorisée qui augmente les superficies cultivables et donc la demande de terre,
comme au Burkina (Paré 2003, Chauveau et al. 2006).

c) La monétarisation de l’économie des sociétés rurales : la généralisation de l’argent comme


moyen d’échange universel et l’augmentation des besoins monétaires tendent à dissoudre les
liens existant traditionnellement entre les différentes catégories de biens et se substituer aux
modes antérieurs d’échange.

d) L’accroissement de la valeur économique de la terre : passage d’une agriculture de


subsistance à une agriculture de marché ; périurbanisation ; arrivée de nouveaux acteurs urbains
(fonctionnaires, commerçants, etc.) ou ruraux (migrants agricoles) qui parfois ne font que
dynamiser les ventes, mais qui parfois impulsent le processus même de marchandisation.

e) L’expansion urbaine constitue un puissant facteur de marchandisation de la terre, en


périphérie urbaine. Le différentiel de valeur de la terre, avec l’urbanisation, suscite un marché
foncier anticipant sur la croissance urbaine (sur le Mali, voir Benjaminsen et Sjaastad 2003 ; sur
le Bénin, Edja 1998 ; Pescay 1998 ; Lavigne Delville 2017 ; sur le Burkina Faso, Koudougou
2017). Elites urbaines, classes moyennes, cherchent à acquérir des parcelles pour pouvoir se
loger, pour investir leur épargne, pour préparer une retraite, générant un front d’urbanisation qui
s’étend d’autant plus profondément dans l’arrière-pays que la ville est importante. L’Etat et les
collectivités locales sont également des moteurs de l’urbanisation, à travers les schémas
d’aménagement, les lotissements et les programmes de construction.

f) Une demande croissante sur les marchés fonciers ruraux émanant d’acteurs urbains
(fonctionnaires, commerçants, etc.) ne fait parfois que dynamiser les ventes, comme en Côte
d’Ivoire (Colin, Tarrouth 2016), au Burkina dans le Houet (Graf 2011), mais parfois impulsent
le processus de marchandisation, comme dans certaines régions du Burkina Faso (sur le Ziro,
voir GRAF 2011 ; Kaboré 2012), ou en Côte d'Ivoire dans la zone de transition entre la forêt et
la savane (Colin, Tarrouth 2016, Kouamé 2017).

g) Les changements dans les systèmes de valeur des acteurs, avec en particulier le rôle des
changements de générations, du « retour au village » de natifs ayant séjourné en ville (ou ailleurs
en migration, dans des contextes où l’accès à la terre est d’ores et déjà largement
« marchandisé »), dans les mutations des régulations foncières locales. Joue également
24
l’éclatement des groupes domestiques et l’affaiblissement des autorités villageoises, ou des
considérations comme la personnalité des responsables coutumiers ou d’événements contingents
(comme la succession d’un de ces responsables par un héritier moins respectueux des coutumes),
ou encore le développement de l’islam comme facteur de fragilisation des normes et pratiques
coutumières (perte d’efficience des sanctions « mystiques », érosion des autorités coutumières),
d’autant que l’islam ne s’oppose pas au principe de la marchandisation de la terre.

Ces facteurs de marchandisation n’agissent cependant pas de façon mécanique sous le jeu de la
pression démographique et du développement des cultures commerciales. On a pu observer une
monétarisation de l'accès à la terre dans des régions de faible ou de très faible densité
démographique.

4. 2. Les espaces concernés


La marchandisation de l’accès à la terre est parfois observée dans des régions marquées par une
agriculture d’autoconsommation (comme à Madagascar), mais de façon très générale elle
concerne des régions dynamiques :

a) Contextes périurbains stimulant la spéculation foncière, avec la perspective de reconversion


de l’usage des terres.
b) Terres à fort potentiel pour la production agricole, stimulant la marchandisation du fait de la
valeur des productions réalisables (riz, maraîchage) et de leur « rationnement ». Cela peut
concerner des zones aménagées pour l'irrigation, y compris lorsque toute transaction marchande
y est prohibée, comme au Burkina Faso (Mathieu et al . 2000 ; Koudougou 2017), en Côte
d’Ivoire (Soro 2010), dans la Vallée du Fleuve Sénégal (Ka 2017).

Cela peut aussi concerner des bas-fonds destinés à la riziculture irriguée et, en zones
périurbaines, au maraîchage, y compris lorsque ces bas-fonds n’étaient autrefois pas cultivés,
comme en Côte d’Ivoire (Oswald 1997 ; M. Koné 2001).
c) Régions propices à l’agriculture pluviale : terres de barre au Sud Bénin (Edja 2003), hautes
terres d’Ethiopie du Sud (Tikabo 2003 ; Teklu, Lemi 2004) ; régions d’agriculture de plantation
(caféier, cacaoyer, palmier, hévéa) – avec les cas bien connus du Ghana et de la Côte d’Ivoire
(très nombreuses références).

d) Fronts pionniers agricoles, sur lesquels la marchandisation est favorisée par l’arrivée de
migrants qui submergent parfois les autochtones (qui vendent alors pour ne pas tout perdre), et
par les transferts ultérieurs de terre entre migrants. On retrouve ici les régions d’agriculture de
plantation qui viennent d’être évoquées, mais aussi les anciennes et nouvelles zones de
colonisation du Burkina Faso (Mathieu et al. 2000 ; Graf 2011 ; Kaboré 2012). La
marchandisation de la terre est grandement facilitée sur les fronts pionniers dans des régions
sans contrôle foncier coutumier – ce type de situation est rare, mais existe (et on peut penser
qu’une attention plus marquée des chercheurs pourrait en faire apparaître davantage).

e) Régions accessibles, bien desservies par les infrastructures de transport. Cette caractérisation
recoupe souvent l’une ou plusieurs des entrées qui précèdent, mais mérite d’être spécifiée car il
s’agit là d’un critère majeur (outre évidemment la disponibilité de terre) d’implantation d’acteurs
25
urbains en recherche de terres pour développer une production agricole (« nouveaux acteurs », «
cadres », « investisseurs »…) (Ouédraogo 2003 ; Ouédraogo 2006 ; Angsthelm et al. 2010 ;
Hilhorst et al. 2011 ; Rey 2011 ; Kaboré 2012 ; Colin, Tarrouth 2016).

4. 3. Les acteurs des transactions foncières


La littérature reste souvent imprécise quant au profil des acteurs des transactions foncières. On
peut cependant mettre en avant quelques catégories structurantes :
Origine de l’acteur : autochtone / allogène : national ou étranger, récent ou ancien ; rural
(autochtone ou allogène) / urbain.

Statut social : autorités coutumières ; chefs de lignage ; chef de famille (homme, parfois
femme) ; chef d’exploitation (pouvant ne pas être un chef de famille) ; dépendant familial
hommes (jeunes), femmes.
Genre : homme / femme.

Catégorie socio - économique (non exclusive) : agriculteur familial aisé ou sous contraintes
(homme ou femme, d’âge mûr ou jeune) ; entrepreneur agricole (d’origine rurale ou urbaine) ;
investisseur-spéculateur ; entreprise (nationale ou étrangère) ; acteur impliqué dans des activités
hors exploitation agricole, urbaines (fonctionnaire, cadre du privé, etc.) ou rurales (manœuvre,
prestataire de services, activités de transformations, commerce).

Statut foncier du cédant lors de la transaction : gestionnaire d’un bien commun (certaines
autorités coutumières), héritier gestionnaire d’un patrimoine foncier familial, propriétaire
coutumier (biens propres ou biens hérités gérés de façon privative), chef d’unité de production
exploitant des terres sur le patrimoine foncier familial, dépendant familial ayant accès au
patrimoine foncier familial ; producteur sans terre localement (PST) ; dépendant familial de
PST.

Prendre en compte les profils des acteurs est une nécessité absolue pour comprendre les
pratiques foncières et envisager leur éventuelle régulation.

4.4. Conflits et sécurisation des transactions foncières


La question des tensions et conflits autour des transactions marchandes est également essentielle
à prendre en compte dans une perspective de paix sociale – une dimension malheureusement
insuffisamment intégrée par les politiques publiques qui voient dans le développement des
marchés fonciers la solution aux problème de développement en milieu rural.
La sécurité foncière n’est pas mécaniquement liée au statut juridique de la parcelle : on peut être
en sécurité foncière avec des droits « informels » et inversement, ne pas pouvoir exercer ses
droits même avec un titre de propriété, si l’accès à la parcelle est bloqué (le cas échéant par des
pratiques « mystiques » : pose de fétiches en particulier), si les plantations, jugées illégitimes,
sont détruites la nuit.

De même, il ne faut pas confondre insécurité et précarité : une location de court terme peut être
précaire si l’exploitant n’est pas sûr de la voir reconduite, mais elle n’est porteuse d’insécurité
que s’il risque de ne pas pouvoir récolter ce qu’il a semé ou planté.
26
La sécurité foncière vient avant tout de la confiance dans le fait que ses droits, quels qu’ils
soient, ne seront pas contestés sans raison et que, s’ils le sont, des instances d’arbitrage les
confirmeront (Lavigne Delville, 2006). La sécurité foncière suppose des droits légitimes et des
autorités capables de les garantir effectivement, qu’elles soient coutumières, étatiques ou
hybrides. Un des problèmes de l’insécurité foncière en Afrique tient à la pluralité des normes et
des instances d’arbitrage, qui fait qu’il peut y avoir contradiction entre les registres de légitimité,
et entre les autorités mobilisées par les deux parties : ainsi, un arbitrage rendu dans un sens par
une autorité, en fonction d’un type de normes, sera récusé par l’autre partie, qui cherchera un
arbitrage auprès d’une autre autorité.

4.5. Les stratégies de sécurisation


Face aux risques de litiges ou conflits auxquels ils sont confrontés, les acteurs impliqués dans les
transactions foncières mettent en œuvre des stratégies de sécurisation visant à prévenir ces
derniers.

a) Le paiement de la rente locative en début de contrat prévient les défauts de paiement en fin de
cycle.

b) Les restrictions sur les droits d’usage du preneur (interdiction de planter des arbres en
particulier) cherchent à prévenir une revendication ultérieure de la propriété de la parcelle par le
tenancier. Lavigne Delville et al . (2003) soulignent la mauvaise interprétation fréquente de
telles clauses restrictives, vues comme la preuve d’une insécurité foncière contraignant
l’investissement, alors qu’en Afrique Sub-saharienne ces clauses révèlent d’abord une stratégie
de sécurisation du bailleur.

c) Dans les contextes où la législation considère que l’exploitation continue est une condition de
maintien du droit sur la terre (« la terre à qui la travaille »), les cessions sont pratiquées à court
terme pour réduire le risque de perte de la terre.

d) « Rendre visible » la possession contribue à exprimer les droits et défendre la possession :


panneaux, bornes, clôtures, investissements concrets sur les terres, voire gardiens – ce que la
Common Law appelle le clear act, en d’autres termes l’expression claire de la possession par
l’occupation effective du terrain concerné (voir Rose 1994).
f) Sécurisation par les relations sociales entre les parties.
Un autre registre de sécurisation passe par la mobilisation ou la construction du capital social.

- La sélection du partenaire : contracter avec des personnes « de confiance » (liens familiaux,


relation contractuelle établie dans la durée, relation de clientèle, etc.) et faire jouer les réseaux
pour s’informer de la « moralité » d’un partenaire potentiel permet de réduire le risque
d’opportunisme (M. Koné 2001 ; Lavigne Delville 2003).

- L’implication de témoins lors de l’établissement du contrat est une pratique quasi systématique.
La mobilisation à ce titre de membres de la famille du cédant (première source de possibles
contestations ultérieures) ou du chef de village est importante pour la sécurisation de la
transaction (outre parfois la demande d’un procès-verbal du conseil de famille validant le

27
transfert de droits, tout particulièrement pour les ventes et les contrats noués dans la durée,
comme les contrats de plantation) (M. Koné 2001 ; Colin 2008b ; Hilhorst et al. 2011).

- Pour un preneur allogène, la sécurisation de l’accès à la terre demande de se comporter « en un


bon étranger », y compris en répondant aux sollicitations ou en augmentant de soi-même les
contreparties non contractuelles à travers diverses services et témoignages (symboliques ou non)
de reconnaissance (Lavigne Delville et al. 2003).
g) Formalisation « locale »

Les transactions en Afrique sub-saharienne portent, dans leur grande majorité, sur des droits de
propriété non reconnus légalement, et ne font pas l’objet d’un enregistrement ayant une valeur
légale. Pour autant, nombreuses sont celles qui font l’objet d’une production de documents
écrits, dont le niveau de formalisation suit un gradient depuis la simple feuille volante signée par
les parties et des témoins, jusqu’à des formes plus élaborées impliquant divers représentants de
l’administration foncière ou territoriales (Lavigne Delville 2003). Ces pratiques sont qualifiées
de « formalisation informelle » (André 2003 ; Benjaminsen et al 2008), de « semi-formelles », «
au sens de procédures qui n’ont pas de validité légale mais qui sont mises en œuvre par ou qui
mobilisent des acteurs publics, et présentent certaines caractéristiques de procédures légales
(document écrit, terminologie retenue, éventuelle légalisation des signatures des parties) »
(Colin, 2013).

4.6. Mode de résolution des conflits


Les modes de résolution des litiges ou conflits restent traités en termes très généraux dans les
références mobilisées. On y retrouve les acteurs usuels.

Les autorités familiales interviennent non seulement en cas de litiges au sein de la famille,
induits par la participation aux marchés fonciers, mais également parfois pour gérer des
agissements opportunistes de membres de la famille vis-à-vis de tiers (ventes ou cessions en FVI
jugées illégitime, jeune du groupe familial escroquant un tiers crédule, cessions multiples de la
même parcelle). Il arrive alors que la famille rembourse le tiers en question, ou lui assure un
accès à la terre sur une autre parcelle du patrimoine familial (Colin, Bignebat 2009 ; Sougnabé et
al. 2011).

Les témoins sont généralement mobilisés pour un règlement à l’amiable du litige – le principe du
règlement à l’amiable étant central dans les tentatives de résolution des conflits.
Chefs de village et chefs de terre, cour royale locale lorsqu’elle existe, sont les « autorités de
proximité » qui représentent le recours le plus immédiat (M. Koné 2001 ; Aboudou et al. 2003 ;
Sougnabé et al. 2011).

De nouveaux acteurs apparaissent dans le règlement des litiges à une échelle locale, comme des
ONG ou des délégués des migrants – une dynamique qui parfois alimente la compétition entre
différentes autorités.

Au Burkina Faso, « (en) matière de gestion des conflits, les instances de régulation comptent
désormais, en plus des chefs de terre et ou de village, des délégués administratifs, des
responsables religieux (imam surtout) et les représentants des migrants; une recomposition qui
28
symbolise en même temps qu’elle déprécie et banalise les fonctions de chef de terre. Dans les
rares villages où le chef de terre a conservé son autorité, l’arrivée des migrants et surtout des
rapatriés a provoqué des compétions entre lui et le chef du village. Unique interlocuteur des
migrants pour l’accès à la terre, le chef de terre tend à convertir cette position en capital
politique, ce qui comporte une confusion de champs d’exercice de pouvoirs fonciers - religieux
et politico - administratifs qui déclasse le chef de village dans les villages où les deux champs de
pouvoirs sont distincts (Dabiré et Zongo, 2005) » (Chauveau et al. 2006).

On retrouve ensuite les instances de représentation ou de pouvoir comme le maire , le sous -


préfet , la gendarmerie . Ce type d’instance, comme les chefs de village, tendent à rechercher le
compromis en convoquant à nouveau, par exemple, les autorités familiales, et jouent ainsi
parfois en premier lieu un rôle de médiateur (Floquet, Mongbo 1998 ; Aboudou et al. 2003). Le
renvoi, par ces acteurs relevant d’une façon ou d’une autre de la sphère étatique, sur les autorités
coutumières (et en premier lieu le tribunal coutumier lorsque ce dernier existe), est très fréquent
(Colin 2008b).

Les acteurs mobilisent évidemment l’autorité tout à la fois la plus accessible (physiquement et
sociopolitiquement) et dont ils pensent qu’elle se positionnera dans le sens de leur intérêt lors de
l’arbitrage (Von Benda-Beckmann 1981 ; Berry 1993 ; Lund 2002). La pratique usuelle de
résolution des litiges en milieu villageois décrite dans la littérature est le recours initial aux
autorités coutumières, en cas de conflit entre migrants et autochtones, avant de se tourner vers
d’autres instances telles que la sous-préfecture ou le tribunal. On note un renversement de ce
schéma avec les élites urbaines : en cas de litige, ces derniers se réfèrent moins aux autorités
coutumières qu'aux autorités de l'Etat : sous-préfecture, ministère de la Justice, gendarmerie
(Colin, Tarrouth 2016).

29
V. LES ENJEUX FONCIERS PASTORAUX EN AFRIQUE DE L’OUEST
Longtemps cantonné aux espaces de parcours sahéliens, l’élevage ouest-africain s’est, depuis les
années 1970, diffusé jusque dans les savanes soudaniennes (Bassett et Turner, 2007). Ces
régions sont dominées par l’agriculture, d’un point de vue social, économique et culturel.
Pourtant l’élevage y représente une part importante, et souvent sous-estimée. Associé à
l’agriculture de manière quasiment systématique, il est une source de revenus pour 70 % de la
population active, qu’il soit une activité principale ou secondaire (Nugteren et Le Côme, 2016).
Les deux métiers sont donc le plus souvent exercés par les mêmes personnes. Ainsi, lorsque l’on
parlera d’éleveurs et d’agriculteurs, on n’opposera pas deux communautés, mais on distinguera
deux rôles différents, qui sont le plus souvent endossés par les mêmes personnes. Leur
association est un enjeu majeur de lutte contre la pauvreté pour des millions de producteurs
(Duteurtre et Faye, 2009). La vitalité de l’élevage repose sur la mobilité des troupeaux.
Longtemps dépeinte comme survivance d’un modèle archaïque, la revalorisation de la mobilité
pastorale fait, depuis les années 1990, l’objet d’un consensus scientifique (Niamir-Fuller, 1999;
Scoones, 1994). Elle présente trois avantages majeurs : valoriser au mieux les ressources,
surmonter les contraintes, gérer les incertitudes. Elle est le pilier de la résilience des éleveurs aux
crises pluviométriques, comme les grandes sécheresses sahéliennes de 1974 et 1983.
Au Sahel, l’accès aux pâturages était régulé par les propriétaires des points d’eau, selon une
gouvernance que l’on peut assimiler à un commun (Gonin, 2018). Il offrait aux transhumants et
aux nomades sahéliens une certaine garantie de trouver de l’eau et des pâturages, même très loin
de leur point d’ancrage. Les pasteurs n’ont pas mis en œuvre de gouvernance en commun des
ressources lors de leur migration vers les pâturages de la zone soudanienne. Jusque dans les
années 1990, ces régions, situées plus au sud, offraient des espaces de parcours abondants.
L’accès libre aux ressources pastorales y était généralisé. Le libre accès est le plus souvent
sommairement défini comme un régime foncier non régulé, dans lequel personne n’exerce de
contrôle sur les ressources. Il est souvent décrié. Pour Hardin (1968) (qui confond communs et
libre accès) comme pour Ostrom (1990), c’est une situation d’anarchie qui conduit
inexorablement à la dégradation des écosystèmes : l’absence de régulation conduit à la
surexploitation de la ressource. À leur suite, pour la plupart des chercheurs, le libre accès agit
comme un repoussoir, une situation de laisser-faire où la loi du plus fort est la seule règle
d’usage des ressources, au détriment de l’équité sociale, de l’efficience économique et de la
protection des écosystèmes. Pourtant, les travaux de Moritz sur le libre accès des éleveurs dans
différents contextes montrent que ce régime foncier peut fonctionner convenablement, sans créer
d’injustice spatiale ni de dégradation des environnements (Moritz et al ., 2013; Moritz, 2016).
Alors que les espaces de parcours étaient abondants, le libre accès a permis une grande
flexibilité et une certaine équité (au sens où personne n’est exclu a priori ) dans l’exploitation
des ressources, résolvant par là le paradoxe du foncier pastoral.

Mais depuis vingt à trente ans, la pression foncière augmente sur un grand nombre de parcours
ouest-africains, sous l’effet conjugué de la croissance du cheptel et de l’extension des superficies
cultivées, qui réduit d’autant les surfaces pâturables. Quand la pression devient trop forte à un
endroit, les pasteurs migrent, généralement vers le sud, pour s’installer dans une région où la
pression est moindre et où ils peuvent retrouver un accès libre aux ressources. Mais aujourd’hui,
30
les régions de faible pression foncière sont de plus en plus rares et les migrations ne seront
bientôt plus une solution. Quand la pression sur les parcours devient trop forte, le libre accès
n’est pas un régime sécurisant pour l’élevage. L’accès se joue selon des règles néo-coutumières,
dans des arènes locales où l’État est largement absent ou illégitime. Dans ce contexte social,
politique et culturel qui leur est défavorable, les éleveurs ne parviennent pas à sécuriser leur
accès aux parcours. Le paradoxe du foncier pastoral se pose alors de nouveau. Du coup, le libre
accès, qui était un régime foncier avantageux pour les éleveurs alors que les parcours étaient
abondants, devient un facteur d’insécurité foncière quand la pression sur les ressources
pastorales augmente.

5.1 Un accès de plus en plus concurrentiel aux ressources pastorales en Afrique de l’Ouest
Lorsqu’il était cantonné aux parcours sahéliens, le pastoralisme ne souffrait pas de la
concurrence de l’agriculture. Ces espaces semi-arides (entre 300 et 650 mm de pluie) étaient en
grande partie consacrés à l’élevage. Les sociétés pastorales (Peuls, Touaregs, Maures,
Toubou…) étaient historiquement dominantes et géraient les parcours comme des communs. Les
puits étaient la clé d’entrée des pâturages environnants (Thébaud, 2002). Le gestionnaire du
puits exerçait des droits de gestion et d’exclusion (Schlager et Ostrom, 1992) qui lui
permettaient de réguler l’affluence des troupeaux venant s’abreuver à son puits, et donc de
réguler la pression sur les pâturages alentours. En ouvrant largement son puits aux troupeaux
étrangers, il pouvait espérer, lors de ses propres transhumances, avoir accès à des puits et des
pâturages loin de chez lui. Le principe de réciprocité constituait la pierre angulaire de ce système
de commun.

À partir des années 1950, mais surtout depuis les grandes sécheresses sahéliennes de 1973-1974
et 1983-1984, les pasteurs ont entamé un long processus de migration vers le sud. Les Peuls sont
ceux qui se sont aventurés le plus loin dans cette direction, jusque dans les savanes soudaniennes
(600-1 000 mm) et soudano-guinéennes (1 000-1 400 mm) (Bassett et Turner, 2007; Boutrais,
1994). Ils s’installent dans des régions où l’agriculture est certes dominante d’un point de vue
politique, social et culturel, mais où les brousses qui font office de pâturages sont tellement
abondantes qu’elles semblent ne jamais devoir s’épuiser.

Toutefois, d’importantes mutations spatiales se font sentir dès les années 1990. La pression
foncière sur les brousses augmente dans nombre de régions, sahéliennes (Bonnet et Guibert,
2014) ou soudaniennes (Gonin, 2014), sous l’effet d’un double processus. D’une part, le cheptel
bovin augmente, notamment avec l’essor de l’agro-élevage, qui résulte de l’investissement des
agriculteurs dans l’élevage. D’autre part, les surfaces fourragères se réduisent. La croissance
démographique nécessite de produire plus. En l’absence de véritable intensification,
l’augmentation de la production passe par l’extension des surfaces. Celle-ci est permise par
l’augmentation de la main-d’œuvre agricole dans les exploitations familiales, et la diffusion de
la culture attelée. L’essor des cultures commerciales (arachide au Sénégal, coton dans de larges
parties de la bande soudanienne, et, à une date plus récente, l’extension des vergers
d’anacardiers dans la bande soudano-guinéenne) se fait également au détriment des espaces de
parcours. Les brousses, vues par les agriculteurs comme des réserves foncières, sont
massivement défrichées le long de fronts pionniers agricoles qui avancent toujours plus vers le
sud (Tallet, 2007). Mais l’accroissement de la pression foncière concerne également les parcours
31
sahéliens « historiques », qui voient également l’avancée des champs et l’augmentation du
cheptel.

La concurrence foncière accrue fragilise les pratiques pastorales. D’abord, la quantité de


fourrage disponible diminue. Cela est notable sur les pâturages de saison des pluies, encerclés
par les cultures. Les pâturages de transhumance en saison sèche, déjà naturellement peu
abondants, sont aussi touchés à cause de la diffusion des vergers d’anacardiers. En revanche,
l’extension des champs se solde par un stock plus important de résidus de culture, fourrage
essentiel du début de la saison sèche. Ensuite, les parcours locaux sont fragmentés par les
champs, ce qui rend les mobilités plus difficiles. Les éleveurs sont cantonnés à des petits
pâturages interstitiels. Pour aller d’un pâturage à un autre, ils doivent traverser des espaces
cultivés, et les pistes sont souvent trop étroites pour le faire sans dommage dans les champs. De
plus, la fragmentation locale des pistes à bétail menace l’articulation régionale entre pâturages
sahéliens et soudaniens que les transhumants exploitent successivement. La remontée des
troupeaux vers les pâturages septentrionaux en début de saison des pluies coïncide avec les
premières mises en culture. Si les transhumants remontent trop tard, ils peuvent voir la piste
obstruée par un champ. La piste se transforme alors en impasse, et les transhumants se
retrouvent incapables de rejoindre les pâturages sahéliens de saison des pluies. Face à ces
difficultés, les éleveurs, de génération en génération, sont tentés de poursuivre leur migration
vers des régions où les brousses demeurent abondantes. Mais celles-ci se réduisent
inexorablement à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest.

5.2 Les mécanismes de rétractation des pâturages à l’échelle locale


Jusqu’aux années 1970, l’Ouest burkinabè connaissait de très faibles densités de moins de 10
hab./km², et même de moins de 1 hab./km². Puis, un front pionnier agricole s’est ouvert au nord
de Bobo-Dioulasso, la principale ville de la région et deuxième ville du pays. Les brousses ont
été peu à peu défrichées sous le quadruple effet de l’arrivée massive de migrants agricoles,
principalement des Moose du plateau central du Burkina, des facilités foncières offertes par les
autorités coutumières locales, de la diffusion de la culture attelée, et de l’extension des champs
de coton et d’anacardiers.

Dans les années 1990, « la brousse était finie » au nord de Bobo-Dioulasso (Paré et Tallet,
1999), et le front pionnier s’est déplacé plus au sud. Dès les années 2000, la plupart des localités
du sud de Bobo Dioulasso ont connu un phénomène de saturation foncière. Actuellement, le
front pionnier se situe de part et d’autre de la frontière burkinabo-ivoirienne. L’anacarde a relayé
le coton dans cette partie de la région comme principal moteur de l’avancée des surfaces
agricoles.

5.3 Pression foncière, fragilisation des libertés des éleveurs et consolidation des droits des
agriculteurs
Le libre accès, qui était un régime foncier avantageux pour les éleveurs alors que les parcours
étaient abondants, devient source d’insécurité foncière quand la pression sur les ressources
pastorales augmente. Il s’agit de répondre à deux questions : comment les éleveurs perdent-ils
des libertés d’accès tandis que les autres usagers obtiennent des droits d’accès ? Pourquoi, dans

32
un contexte de forte pression foncière, le régime de libre accès s’efface-t-il devant un régime
fondé sur des droits d’usage exclusifs ?

5.4 Les éleveurs bénéficient d’une liberté d’accès aux ressources pastorales
À leur arrivée au début des années 1990 dans l’ouest du Burkina, les éleveurs ont trouvé de
vastes brousses. Depuis les années 2000, les vergers d’anacardiers se sont considérablement
étendus, et il ne reste des abondants pâturages des débuts qu’une grande forêt claire.
Les éleveurs ont une liberté absolue d’accès aux brousses tout au long de l’année et aux vergers
d’anacardiers en saison des pluies. Cette liberté est absolue, car elle s’exerce vis-à-vis de tous les
autres acteurs pris dans leur ensemble : autres éleveurs, agriculteurs, autorités coutumières, etc.
Autrement dit, les éleveurs n’ont pas le devoir de rester en dehors de ces espaces aux saisons
concernées. Cela implique aussi que les autres éleveurs, les autorités coutumières et les
agriculteurs ont un non-droit d’exclusion d’un éleveur d’une brousse ou d’un verger
d’anacardier en saison des pluies.

La liberté absolue est au cœur du rapport des sociétés pastorales à l’espace. Il n’y a jamais eu de
négociation ni d’accord entre les éleveurs et une partie tierce qui entérinerait un quelconque
droit de pâture sur les brousses (ou les vergers en saison des pluies). Contrairement aux migrants
agriculteurs qui obtiennent un droit d’accès à la terre à leur arrivée dans un village, les agro-
pasteurs peuls ne négocient aucun droit explicite auprès des autorités locales sur les espaces de
parcours lors de leur installation. À leur arrivée dans un village, les migrants agriculteurs
entament immédiatement les démarches pour avoir accès à la ressource la plus essentielle pour
eux, c’est-à-dire la terre à cultiver. Les migrants sont conduits par leur logeur, chez la chefferie
du village et/ou de terre. Après concertations et sacrifices, une parcelle de brousse à défricher
peut être attribuée. La garantie apportée par le logeur et le sacrifice coutumier entérinent le droit
du migrant agricole à cultiver les terres de son village d’accueil. Le fait que le droit soit entériné
ne signifie pas qu’il n’est pas contesté et renégocié, même plusieurs décennies après
l’installation du migrant. Mais c’est le contenu des droits fonciers de l’agriculteur qui peut être
contesté quand le village est gagné par la saturation foncière, et non pas leur existence. Les
agriculteurs ne sont pas dans une situation de libre accès, tout le monde reconnaît qu’ils ont ou
ont eu des droits sur la terre, et leur retirer ces droits ne va pas sans discussions.

Dans le cas des pasteurs peuls, c’est la reconnaissance multipartite de l’existence même d’un
droit sur les ressources pastorales qui fait défaut. L’installation des pasteurs dans un village suit
la même procédure coutumière que les agriculteurs pour ce qui concerne l’installation d’une
cour et le droit de cultiver un champ. Mais il n’est jamais question du droit de pâturer : celui-ci
est implicite, mais jamais fondé par une procédure coutumière. Quand l’espace est suffisant, les
Peuls sont donc généralement bien accueillis, car ils apportent des avantages aux villageois (lait,
fumure…). Lorsqu’ils racontent leur arrivée dans le village, les agro-pasteurs peuls disent avoir
pris contact avec un logeur ; être allé voir le chef de terre et éventuellement les chefs de
lignages, et avoir effectué des sacrifices. Aucun ne dit être allé en brousse pour effectuer des
sacrifices sur des pâturages ni même avoir discuté de cela avec le chef de terre. Les sacrifices
effectués pour les Peuls entérinent d’une part le droit de « s’asseoir quelque part » c’est-à-dire de

33
construire une cour et d’autre part le droit de cultiver, comme pour les migrants agriculteurs. En
aucun cas, il n’y a de sacrifice en brousse pour entériner un quelconque droit sur les parcours.

Les autorités coutumières n’ont simplement pas comme attribution de délivrer de tels droits. La
même logique peut s’appliquer aux points d’abreuvement en saison sèche. Près du village, il
existe un puits où les éleveurs peuvent abreuver leurs animaux. D’autres creusent des puisards
dans le lit des marigots pour atteindre une eau boueuse mais qui sert de palliatif et permet
d’abreuver les animaux pendant quelques semaines jusqu’à ce que les pluies fassent remonter le
niveau d’eau dans les puits et marigots. En saison des pluies, l’abreuvement n’est plus un
problème : chacun peut abreuver dans les mares qui se forment tout de suite après les pluies,
ainsi que dans les marigots.

Chaque éleveur a une liberté d’accès aux points d’abreuvement. Le corollaire est qu’aucun
éleveur n’a le droit d’exclure un autre du point d’abreuvement considéré. Celui qui creuse un
puits ou un puisard n’a pas pour cela d’exclusivité ou de préséance. « Il n’y a pas de protocole »
comme le reconnaissent eux-mêmes les éleveurs. Un fait confirmé par les observations sur les
points d’abreuvement : c’est la règle du « premier arrivé, premier servi » qui s’applique. Par
ailleurs les éleveurs ont la liberté, dans le lit des marigots, de creuser un puisard. Autrement dit,
personne n’a le droit d’empêcher quelqu’un de creuser un puisard, tout le monde peut aménager
un tel point d’abreuvement.

Les libertés d’accès des éleveurs ne sont pas, en elles-mêmes, source d’insécurité. Dans un
contexte de faible pression foncière et d’abondance des ressources pastorales, elles offrent même
de nombreux avantages du point de vue des éleveurs. Ils n’ont pas besoin de longues
négociations, ni de remplir telle ou telle condition pour faire pâturer ou abreuver leurs animaux.
Ils bénéficient en outre d’un accès potentiel à de vastes ressources. Cette « ouverture » de
l’espace leur permet d’être flexibles en fonction des conditions pluviométriques, et répond bien
aux exigences de souplesse que demande la mobilité pastorale. Pour cette raison également, les
éleveurs ne négocient pas de droits plus formels sur les pâturages à leur arrivée dans un village,
et n’hésitent pas à se déplacer quand cette liberté d’accès disparaît pour aller la chercher ailleurs,
dans des zones qui ne sont pas encore soumises à une forte pression foncière.

5.5 Les agriculteurs bénéficient de droits d’accès sur les ressources agricoles
Les planteurs ont, vis-à-vis des éleveurs, le droit d’exclusion de leurs vergers d’anacardiers
pendant la récolte, en saison sèche et chaude. De même, les agriculteurs ont le droit d’exclusion
de leurs champs cultivés en saison des pluies. Cela implique que les éleveurs ont, vis-à-vis des
planteurs et des agriculteurs, le devoir de rester en dehors du verger ou du champ cultivé, c’est-
à-dire le devoir de ne pas y accéder et le devoir de ne pas y prélever les herbes, ni bien sûr les
fruits.

On se situe bien dans le cadre d’un rapport droit/devoir, comme cela est confirmé par la
jurisprudence. Si un troupeau pénètre dans un verger ou dans un champ, qu’il y commet des
dégâts et que l’affaire est portée devant une autorité (coutumière ou légale), les éleveurs sont
systématiquement condamnés pour avoir enfreint un devoir (celui de ne pas accéder ni prélever
dans les vergers ou les cultures). Ils ont d’ailleurs toujours une indemnité (plus ou moins
importante en fonction de l’estimation des dommages causés) à payer.
34
5.6 Accroissement de la pression foncière, perte de libertés pour les éleveurs et gains de
droits pour les agriculteurs
Au regard de l’évolution de l’occupation des sols depuis 2000, on constate que les ressources sur
lesquelles les agriculteurs bénéficient de droits s’étendent tandis que celles sur lesquelles les
éleveurs bénéficient de libertés reculent.

Alors que la pression foncière s’accroît sous l’effet des dynamiques pionnières (accroissement
démographique, installation de migrants, extension des vergers d’anacardiers), les brousses
utilisées comme pâturage par les éleveurs sont défrichées et utilisées comme champ ou comme
verger. Ce changement d’affectation du sol s’accompagne d’un changement dans le rapport des
différents usagers à la ressource. Les éleveurs, qui bénéficiaient d’une liberté d’accès aux
brousses, ont maintenant le devoir de rester en dehors de ces espaces quand ils sont cultivés (en
saison des pluies pour les cultures annuelles, en saison sèche, lors du mûrissement des fruits et
de la récolte pour les anacardiers). Sur ces mêmes espaces, les agriculteurs, qui avaient un non-
droit d’exclusion, ont gagné des droits qui vont jusqu’à l’exclusion des autres usagers. Ce double
changement a été possible grâce au pouvoir (légal) des autorités locales, c’est-à-dire leur
capacité à modifier le rapport qui lie un acteur à une ressource. Les procédures coutumières qui
autorisent un agriculteur à défricher une brousse ont une portée juridique qui va au-delà d’un
simple changement d’affectation du sol. En défrichant, l’agriculteur fonde ses droits sur l’espace
(ce que l’on appelle communément le droit de hache). S’il passe de non-droit d’exclusion à un
droit d’exclusion, c’est grâce au pouvoir des autorités coutumières. Les éleveurs, qui étaient
également assujettis au pouvoir des autorités coutumières, voient, lorsque celui-ci est exercé,
leur liberté se transformer en devoir de rester en dehors des espaces nouvellement défrichés.
Pour le dire autrement, face au pouvoir des autorités coutumières, les éleveurs sont dans
l’incapacité de sauvegarder leur liberté d’accès.

Les planteurs d’anacardiers ont donc le droit d’exclure les éleveurs de leurs vergers en saison
sèche, comme le confirme la jurisprudence en cas de dégât dans les récoltes, cas où les éleveurs
sont systématiquement jugés coupables de n’avoir pas respecté leur devoir de rester en dehors de
ces périmètres. De plus, certains planteurs décident de clôturer leur verger pour éviter la
pénétration d’animaux durant la phase de mûrissement des fruits. Les clôtures, qui remplissent
leur fonction en saison sèche, demeurent autour du verger en saison des pluies et empêchent les
animaux de venir pâturer la strate herbeuse alors abondante. En érigeant une clôture (ou en
semant des cultures annuelles sous ses arbres), le planteur exerce son pouvoir, et transforme la
liberté d’accès des éleveurs en devoir de rester en dehors de la parcelle. Les logiques sont
similaires pour les points d’abreuvement dont les éleveurs se sont vus interdits d’accès.

5.7 Un contexte défavorable aux éleveurs qui fragilise le libre accès


Dans un contexte de faible pression foncière, les espaces agricoles sont restreints et la mise en
valeur dominante (en termes de superficies concernées) de l’espace est pastorale. Ils bénéficient
d’un libre accès aux brousses. En plus d’assurer une bonne gestion du renouvellement de la
ressource (Moritz et al ., 2013), ce régime foncier est équitable. Il est basé sur une logique
inclusive, tous les éleveurs peuvent facilement faire pâturer et abreuver les animaux. En effet, le
corollaire de leur liberté est que nul ne peut les empêcher d’utiliser ces ressources. De plus, le
35
libre accès favorise la fluidité des mobilités, et donc l’efficacité du pastoralisme. Quand la
pression foncière augmente, les libertés des éleveurs sur les brousses coexistent avec les droits
des agriculteurs sur les champs. À mesure que les défriches avancent, les droits effacent les
libertés. Le corollaire des droits des agriculteurs sur leurs terres est en effet le devoir des autres
usagers de rester en dehors de celles-ci et de ne pas interférer avec les pratiques agricoles.

L’agriculture est une activité permanente, ce qui permet de consolider les droits du cultivateur,
renforcés par le fait que son travail soit visible aux yeux de tous. L’appropriation, au sens de
rendre approprié à un usage, de l’espace par les pratiques agricoles facilite l’appropriation au
sens juridique. À l’inverse, les pratiques pastorales ne laissent que peu de traces dans l’espace et
n’ont pas le même pouvoir performateur que les pratiques agricoles. Comme le relève Kintz « le
lien entre le foncier et le pastoral est moins fort qu’entre le foncier et l’agricole car il ne participe
jamais d’une appropriation aussi directe ni aussi marquée que celle que constitue la possession
d’un champ. » (Kintz, 1982 : 217). Ce que souligne aussi Thébaud (2002 : 222) pour qui « La
présence des pasteurs en général, et des Peuls en particulier, est trop fugace pour aboutir à une
empreinte foncière assez forte pour leur permettre de résister à la pression de l’agriculture ».

Par ailleurs, le fait que les libertés des éleveurs s’érodent rapidement quand elles coexistent avec
les droits des agriculteurs tient aux rapports de force dans les arènes locales. Dans beaucoup de
villages d’Afrique subsaharienne, ce sont les règles néo-coutumières qui dominent localement.
La puissance étatique et les règles qu’elle édicte en matière foncière ne sont pas une source de
légitimité reconnue. Même les zones pastorales, où l’État est censé garantir l’intégrité des
pâturages, ne sont pas respectées (Gonin, 2014 ; Nelen, Traoré et Ouattara, 2004). Les éleveurs
ne peuvent donc se prévaloir de droits de pâture en faisant appel à la législation. Même quand
celle-ci reconnaît de tels droits (comme le droit à la vaine pâture dans la Loi d’orientation
pastorale du Burkina Faso de 2002), ils ne sont pas reconnus localement. Les rapports fonciers
sont issus des rapports de force au sein des arènes locales. Or, celles-ci, dans les zones
soudaniennes, sont dominées par des sédentaires, dont l’activité première est l’agriculture. Les
autorités coutumières, détentrices légitimes (mais parfois contestées ou contournées) de la
gouvernance foncière locale, usent donc de leur pouvoir pour accorder des droits aux
agriculteurs plutôt qu’aux éleveurs. Culturellement et historiquement, la mise en valeur agricole
de l’espace leur apparaît comme la seule mise en valeur créatrice de richesse du terroir, celle qui
permet de faire reculer la brousse, monde du sauvage et des génies. Elle permet aussi
d’accueillir les populations agricoles au sein du village et de lui faire gagner de l’importance en
jouant la stratégie de la « grandeur de la cité » (Arnaldi di Balme, 2006). Par ailleurs, la
monétarisation des terres rend lucratif le fait d’accorder des droits aux agriculteurs sur les
brousses plutôt que d’y pérenniser l’activité pastorale en accordant ces droits aux éleveurs. Mais
les autorités coutumières ne sont pas les seules à détenir un pouvoir sur les éleveurs. Une fois
installés, les agriculteurs, autochtones ou allochtones, ont des droits tellement solides qu’ils
bénéficient en outre du pouvoir d’exclure les éleveurs, comme le montre l’exemple de
l’enclosure des vergers d’anacardiers qui empêche le pâturage de saison des pluies sous ces
arbres. Toutefois, les rapports de force ne sont pas toujours ni partout défavorables aux éleveurs
au sein des arènes locales ; des pistes de sécurisation de l’accès aux ressources au moyen de
droits peuvent être dessinées. L’accroissement de la pression foncière ne conduit donc pas

36
inexorablement à l’éviction des éleveurs, qui trouvent toujours, au moins provisoirement, à
exercer leur liberté de pâture dans les interstices des champs cultivés.

37
VI. CONFLITS LIES A LA MOBILITE PASTORALE

L’Afrique de l’Ouest et le Sahel connaissent récemment une poussée de violents conflits entre
éleveurs et agriculteurs. Ces conflits sont essentiellement causés par la compétition pour les
terres, pour l’accès à l’eau et aux forages, mais sont associés également à des facteurs politiques
et socioéconomiques. Le principal problème demeure la manière dont sont gérées les ressources
naturelles essentielles. A l’origine des conflits entre éleveurs et agriculteurs, on retrouve souvent
des tensions communautaires, ils sont souvent instrumentalisés sur des lignes ethniques et
religieuses. Les éleveurs sont à la fois victimes et acteurs de ces conflits qui peuvent éclater
entre leurs propres groupes ou entre éleveurs et agriculteurs. Des conflits surviennent aussi
parfois avec des pêcheurs ou des mineurs illégaux. Les éleveurs étant mobiles, les tensions
peuvent être difficiles à contenir et déborder au-delà des frontières. Dans les zones
agropastorales, cette insécurité affecte aussi les agriculteurs et la production agricole. Le
banditisme et le vol de bétail font également partie du problème, en particulier des groupes
armés contrôlent le territoire. Dans les foyers de conflits, on enregistre souvent des
déplacements importants des deux populations, agriculteurs et éleveurs.

Le présent chapitre comprend trois (03) parties : la typologie des conflits, les causes des conflits
et les modes de prévention et règlement des conflits.

6.1 – Typologie des conflits


Tout conflit, quelle qu’en soit la nature (latent ou ouvert), met en jeu principalement quelques
éléments qui réagissent d’une manière interactive : le contexte, l’enjeu, le rapport de force et les
acteurs.

Le contexte du conflit inclut aussi bien son environnement global (économique, politique,
religieux et culturel) que les circonstances infiniment variables telles que le lieu, le climat, etc.
L’enjeu peut être défini comme l’ensemble des intérêts, préoccupations, besoins, attentes,
contraintes, ou risques qui animent plus ou moins explicitement les protagonistes.
Le conflit met face à face des acteurs, disposant chacun de ressources et d’atouts mobilisables.
La confrontation de ces pouvoirs forme le rapport de forces qui peut être favorable pour l’une ou
l’autre partie, ou relativement équilibré. Il est donc possible de classer les conflits en fonction de
ces éléments, mais c’est surtout le repérage des acteurs qui est essentiel pour l’élaboration d’une
typologie. Tout conflit suppose des protagonistes ou des acteurs poursuivant des intérêts
différents, qui déterminent l’intensité du conflit et ses possibilités de résolution. Dans la zone de
savane tout comme dans la zone sahélienne, plusieurs types d’acteurs ont été identifiés : l’Etat,
avec ses services d’administration générale et technique (1), les projets et les programmes non
étatiques (Organisations Non Gouvernementales par exemple) (2), et enfin, les populations
locales, qui sont elles-mêmes hétérogènes et se distinguent selon qu’elles sont composées
d’agriculteurs ou d’éleveurs ou qu’elles sont autochtones ou allochtones (3). En plus, les conflits

38
peuvent surgir non seulement entre les différents groupes d’acteurs, mais aussi à l’intérieur d’un
même groupe socioprofessionnel.

Ainsi, on peut distinguer plusieurs catégories de conflits : les conflits liés aux dégâts des
cultures, les conflits liés à l’utilisation de l’espace et des ressources naturelles et les conflits liés
à des actes criminels et des actes de cruauté sur les animaux.

a) Conflits liés aux dégâts des champs


Les différends autour des dégâts dans les champs sont nettement les plus nombreux en zone
soudanienne. Les destructions de cultures sont généralement signalées comme étant à l’origine
de la plupart des contentieux entre agriculteurs et éleveurs. Il s’agit des dégâts occasionnés dans
les champs des agriculteurs par le bétail des éleveurs autochtones ou transhumants. Parmi ces
conflits, on peut distinguer les destructions soit accidentelles ou délibérées des champs et les
dégâts provoqués à travers les "champs pièges".

Les dégâts engendrés par les troupeaux des pasteurs ont, en effet, rapidement pris une ampleur
considérable

Les dégâts des animaux dans les champs peuvent être considérés également comme conséquence
de l’extension de la surface agricole durant ces trente dernières années et surtout le non-respect
et la fermeture des axes de transhumance ou de passage. La plupart des destructions de cultures
surviennent accidentellement. Elles sont les conséquences du manque de vigilance des bergers,
ou d’éleveurs débordés par le grand nombre d'animaux. L’âge du berger (s’il est mineur) et la
pléthore du troupeau pour un berger sont aussi cités comme causes des incursions des animaux
dans les cultures. Les dégâts les plus importants surviennent au moment des départs et des
retours des éleveurs en transhumance, soit entre mi-septembre et mi-novembre, et de la fin du
mois de mai à la mi-juin. Souvent aussi, c’est la méconnaissance de la région qui est à l’origine
de dégâts. Comme dans la partie sahélienne, on note la présence des champs installés par les
agriculteurs dans les zones pastorales ou aux abords des couloirs de passage ou de
transhumance : champs dits « champs-pièges » ou « champs minés ».

b) Conflits liés à l’utilisation de l’espace et des ressources naturelles


En zone soudanienne, ce n’est pas la saturation de l’espace qui est indexée par les éleveurs
comme problème majeur, c’est plutôt l’organisation spatiale : c’est la dispersion des cultures
dans le terroir villageois qui pose un réel problème. Les pasteurs ont des difficultés de
mouvement qui entraînent fréquemment des cas de destruction de cultures. D’autres litiges plus
généraux portent sur les couloirs de passage. En toute réalité, les couloirs de passage et les lieux
de pâturage ne sont plus respectés par les agriculteurs. D’autres conflits se déclenchent suite à la
concurrence sur l’utilisation des espaces tels que les bas-fonds, les accès aux points d’eau et les
ressources clefs notamment les ressources en eau, les résidus de récoltes, etc.

La pression anthropique et le développement du marché foncier en milieu rural exercent quand


même une surenchère sur les ressources foncières (Sougnabé, 2010). Cela exacerbe les enjeux
sociaux, économiques, environnementaux et politiques qui se nouent autour du foncier, avec des
conséquences durement ressenties au niveau de certaines couches de la société, notamment les
éleveurs. En plus, les conflits liés à l’utilisation de l’espace naissent souvent du fait que les
39
agriculteurs et les éleveurs utilisent les ressources à des fins différentes ou entendent les gérer de
diverses manières. Car souvent, une même portion de l’espace peut faire l’objet d’usages
différents, simultanément ou successivement (Réounodji, 2005).

Ces conflits tirent donc leur origine de l’incompatibilité des intérêts et des besoins des uns et des
autres ou de la négligence des priorités de certains groupes d’utilisateurs dans l’élaboration et la
politique de programmes ou de projets de développement. Le pastoralisme, par exemple, dans
les textes législatifs, ne confère pas le droit d’usage, et la mise en valeur d’une terre dont l’usage
était pastoral par la mise en culture donne à l’agriculteur le droit d’utilisation exclusif de la terre
qu’il travaille et celle-ci perd donc sa vocation pastorale.
Dans bien des cas, cette situation fait que les dynamiques internes des systèmes pastoraux, et
plus particulièrement celles liées à la mobilité pastorale, ne permettent plus d’éviter des conflits.
L’exiguïté des espaces pastoraux et des couloirs de passage favorise souvent l’incursion des
animaux dans les champs non récoltés, source de conflits parfois aux issues sanglantes ou
meurtrières.

c) Conflits liés au vol d’animaux


Le vol du bétail est un élément faisant partie des relations pastorales depuis la nuit des temps. Il
est perçu comme un appendice de la vie pastorale mais aussi comme caractéristique intrinsèque
de la concurrence entre des groupes vivant dans un environnement très difficile (Hendriclson et
al. 1998). Le problème fondamental n’est pas le vol du bétail mais plutôt la façon dont ces vols
ont évolué ces dernières années, passant d’une activité quasiment culturelle avec d’importantes
fonctions (subsistance, répartition des biens, bravoure, etc.) à une activité beaucoup plus
prédatrice.

Les éleveurs, au cours de leurs mouvements, intègrent souvent dans leurs troupeaux, des
animaux des autres (éleveurs ou agriculteurs). Au cas où le propriétaire du bétail les rattrape,
celui-ci clame son innocence comme quoi les animaux seraient entrés dans son troupeau par
inadvertance. Les propriétaires de bétail, des fois, majorent l’effectif perdu : au lieu de deux
têtes retrouvées, ils disent en avoir perdu une dizaine et réclament les autres animaux.
Les cas de vols se font des fois en complicité avec les chefs traditionnels sédentaires qui
hébergeraient ou achèteraient ces animaux volés

d) Conflits liés à des actes criminels et de cruautés sur les animaux


Ces conflits se manifestent à travers des attaques collectives de la part des villages (ou
campements) avec ou sans vol d’animaux et à travers des blessures ou tueries d’animaux. Selon
le contexte de ces attaques, on note deux cas : des attaques qui font suite aux cas de meurtres
occasionnés par l’une des communautés et des attaques sous forme de razzia.

Dans le premier cas, quand ce sont les éleveurs qui sont victimes de cas de meurtres, les
hommes à cheval souvent armés (armes blanches ou armes de guerre) attaquent le village des
populations étant à l’origine du meurtre. Ils tuent les personnes rencontrées au passage et
emportent systématiquement les animaux. Il s’agit d’une forme de vengeance par la famille du
défunt. Chez ces derniers, l'absence de réparation des torts finit par susciter la violence à l'égard
40
des agriculteurs autochtones. De même, quand un cas de mort survient parmi les agriculteurs,
ces derniers s’organisent également pour attaquer les campements des éleveurs. Dans ce cas, ce
sont les personnes qui sont plus visées que le bétail mais il arrive aussi que soient commis des
actes de cruauté sur les animaux rencontrés dans leur passage.

e) Conflits entre éleveurs et institutions étatiques ou non-étatiques


- Avec les institutions étatiques
En zone sahélienne comme en zone soudanienne, l’espace où s’extériorisent des conflits entre
les populations locales et l’Etat (services déconcentrés de l’Etat) concerne souvent les espaces
protégés. L’Etat instaure sur ces espaces une législation répressive, au mépris des chefferies et
des communautés locales et sans le moindre respect des valeurs traditionnelles et culturelles.
Cette façon de concevoir la conservation de la nature a des effets désastreux et est source de
nombreux conflits, comme chaque fois que des intérêts de protection de l’environnement
viennent se superposer aux intérêts divergents des groupes utilisateurs initiaux.

- Avec les institutions non-étatiques


Les projets ou programmes non étatiques n’ont pas de griefs particuliers avec les populations,
mais le fait qu’ils soient souvent aux avant-postes pour négocier soit avec l’Etat, soit avec les
populations pour la gestion durable des ressources naturelles, les met en prise directe avec les
populations. Certains projets ou programmes de développement interviennent dans les espaces
déjà conflictuels notamment les aires protégées pour mener des activités de développement ou
de recherche et sont souvent pris pour cible à la place de l’Etat. Ces conflits sont alors du même
ordre que ceux qui opposent les populations rurales à l’Etat. A cela s’ajoute la création des
nouvelles ressources (puits, mares, barrages, etc.) qui suscitent de nouveaux enjeux ou encore la
création de nouveaux centres de décision (comités de gestion, groupements, etc.) ce qui modifie
profondément les rapports de pouvoir local.

De même, une mauvaise identification des parties prenantes lors de la mise en place d’un projet
de développement conduit inévitablement à un conflit car les acteurs ont des intérêts
économiques, culturels ou politiques différents par rapport à telle ou telle ressource créée. En
plus, certains opérateurs ne prennent pas en compte les conflits dès le début de leur intervention
et considèrent ces conflits comme effets secondaires inattendus. Certains vont même poser
comme pré-condition à leur intervention « l’absence de conflits ». Ce qui fait que les
bénéficiaires vont faire tout pour cacher leurs conflits dans la phase de diagnostic (Schönegg,
2004). Quand un conflit éclate, souvent les gestionnaires du projet vont chercher d’une manière
hâtive à enrayer le conflit sans analyse préalable. On cherche à enrayer seulement les effets
négatifs des conflits qui entraveraient le bon déroulement des activités.

6.2 Analyse des facteurs déclenchant et aggravant les conflits


Ces trente dernières années, les conflits entre agriculteurs et éleveurs sont signalés un peu
partout en Afrique sahélo-soudanienne, tels que les conflits qui avaient opposé les Sénoufos aux
Peuls au nord de la Côte-d’ivoire (Bernadet, 1994) et ceux qui avaient opposé les Bambaras aux
Maures dans la région de Kayes au Mali (Lethève et al, 1994). Ces conflits font suite à une
dynamique que connaissent ces régions, dynamique engendrée en général par les sécheresses et
41
l’extension des surfaces agricoles provoquée, d’une part, par la poussée démographique et par
l’introduction de la culture attelée, d’autre part. Ce phénomène est accompagné par un transfert
de bétail aux cultivateurs, des pratiques agricoles aux éleveurs et un déplacement concomitant
du centre de l’élevage de la zone septentrionale vers les zones méridionales à dominance
agricole.

6.2.1 Facteurs déclenchant les conflits


Les rapports conflictuels entre les éleveurs et les cultivateurs sont à replacer dans le contexte
général de la dynamique agraire des régions sahélo-soudaniennes. Certes, les conflits font partie
de la vie quotidienne des sociétés mais dans le cas des sociétés d’agriculteurs et d’éleveurs, ce
sont les différents facteurs structurels (augmentation de la population, mécanisation de
l’agriculture, diversification des systèmes de production, etc.) qui ont contribué à ce que les
conflits qui les opposent gagnent en force explosive.

a) Pression humaine et animale sur les ressources


La migration et le taux élevé d’accroissement interne ont favorisé une croissance démographique
dans certaines régions. Cette saturation de l’espace, à elle seule, renforce la pression sur l’espace
et les oppositions entre les différents usagers. La croissance démographique est un facteur
majeur qui conduit à une saturation de l’espace en zone agricole et qui pousse les agriculteurs à
s’étendre dans les espaces dédiés à l’élevage : aires de pâturages, abords des bas-fonds et des
mares, couloirs de transhumance, bordures des routes et pistes. De même, la saturation de
l’espace conduit à une fixation de plus en plus marquée des cultures. Dans le même temps, la
durée des jachères tend à se raccourcir ou à disparaître. Mais les itinéraires techniques pratiqués
évoluent peu : pas (ou peu) de fertilisation minérale ou organique. La pression sur les terres et
les ressources naturelles augmente, ce qui tend à appauvrir davantage ; agriculteurs et éleveurs
entrent en compétition pour le même espace, ce qui contribue à déclencher le conflit.

b) Extension des surfaces agricoles


Dans un contexte de pression anthropique et de perturbations climatiques, les agriculteurs ont
tendance à diversifier leurs systèmes de production pour réduire les risques tout en augmentant
leurs superficies culturales pour pallier le problème de la fertilité des sols. La zone cultivée a
tendance à s’étendre de plus en plus, et son extension aboutit à une réelle concurrence sur la
ressource entre agriculteurs et éleveurs, et cela de façon d’autant plus marquée dans certaines
zones cruciales à la fois pour les systèmes de production agricole et pastoraux, comme les bas-
fonds. Cette extension des cultures résulte donc, d’une part, de la démographie galopante dans
les zones rurales, de la sécheresse et de la dégradation des terres qui engendrent la colonisation
de nouveaux espaces et, d’autre part et surtout, des stratégies de développement mises en œuvre
par l'Etat favorisant une très nette prédominance des activités agricoles sur l'élevage. On assiste
à l'émergence d'une logique de développement séparé et inégal qui fait peser de graves menaces
sur la survie du pastoralisme. De plus, la diffusion des nouvelles techniques agricoles (culture
attelée, tracteurs, engrais chimiques…) augmente considérablement le pouvoir de
« consommation d’espace » des agriculteurs, les rendant à la fois plus concurrents vis-à-vis des
pasteurs et plus indépendants (Boutrais, 1983). Les éleveurs, quant à eux, ont une politique de
réduction des risques qui s’exprime par les pratiques de mobilité que ne permet plus la
42
conversion des espaces de pâturage en terres de culture. Ils se tournent donc vers un système de
production sédentaire avec recours à l’agriculture. N’ayant pas la maîtrise foncière, les champs
des éleveurs sont souvent installés dans les espaces pastoraux, fermant ainsi les passages à leurs
propres animaux. De ce fait, ils se mettent à la conquête de nouveaux espaces pastoraux. Ils se
trouvent ainsi victimes de leurs propres pratiques car cette intégration entre agriculture et
élevage constitue dans certaines zones une contrainte majeure à la mobilité animale et met les
agro-pasteurs dans un rapport de compétition avec les agriculteurs autochtones.

c) Perturbations climatiques.
A partir des années 70, de graves perturbations se sont introduites dans le cycle pluviométrique
se traduisant par des retards fréquents d’installation de l’hivernage et d’une réduction
substantielle de la hauteur des pluies. Cette péjoration climatique a nettement contribué à la
dégradation des ressources pastorales en zone sahélienne. Elle a réduit les zones propices à
l’agriculture et à l’élevage. Cette diminution des ressources naturelles et la relative aridité du
climat ont eu trois conséquences majeures au Sahel: les agriculteurs ont déplacé les zones des
cultures de mi-versant vers les bas-fonds, moins inondés qu’auparavant et plus humides que les
dunes ; les éleveurs se déplacent plus longtemps et plus au sud qu’autrefois pour trouver les
ressources nécessaires à l’alimentation de leurs troupeaux ; les relations entre agriculteurs et
éleveurs se sont modifiées, les premiers capitalisant de plus en plus dans un troupeau et les
seconds créant de plus en plus de hameaux de culture. Tous ces changements ont contribué par
des mécanismes différents, mais à effets synergiques, à la rupture de l’équilibre préexistant entre
les éleveurs et agriculteurs vivant en zone sahélienne. De la même façon, ces modifications ont
entraîné en zone soudanienne une baisse de la productivité primaire des pâturages et ont réduit
les zones propices à l’agriculture. Les agriculteurs sont devenus des nomades à la recherche
constante des terres et cela sans grand changement du mode cultural. Ce mode de production
extensif participe à la destruction de l’environnement et provoque des heurts dans la recherche
des espaces qui se restreignent entre agriculteurs et éleveurs qui utilisent les mêmes ressources
sur les mêmes espaces.
Les espaces sont à présent fortement exploités, la rareté des ressources naturelles contraint les
activités des agriculteurs et éleveurs et favorise l’émergence d’un esprit d’antagonisme entre ces
deux groupes de producteurs. De plus, la situation foncière confuse entraîne une exploitation
anarchique sur les ressources et l’espace. Cette compétition sur les ressources est directe et est
souvent à l’origine des affrontements entre les deux groupes sociaux.

d) Perceptions de l’espace
Malgré tout, ce serait une erreur de baser l’évaluation du potentiel conflictuel entre agriculteurs
et éleveurs uniquement sur les facteurs anthropiques ou climatiques. Les conflits qui les
opposent tirent aussi une bonne partie de leur origine dans le comportement des uns et des
autres. La haine des agriculteurs envers les éleveurs et le mépris des éleveurs pour les
agriculteurs sont souvent à la source de la violence qui oppose les deux communautés. En effet,
les acteurs agissent en fonction de la perception qu’ils se font des choses et des autres. Les
conflits de représentation sont relatifs à la manière dont chaque acteur se représente son espace
ce qui, par la suite, conditionne sa pratique spatiale. Les logiques dans lesquelles s’inscrivent les
43
activités agricoles et les activités pastorales diffèrent considérablement, ce qui suscite un
important problème de compréhension entre les deux parties. Chez les agriculteurs, notamment
en zone soudanienne, le rapport à la terre est fortement marqué par des forces mystiques qui lui
sont attribuées : chaque groupe social est lié par ces liens mystiques et généalogiques à un
territoire clos, « personnalisé » et bien délimité, dont il a le contrôle absolu. Ce contrôle établi
sur le territoire entraîne une idéologie de la fixation ou de l’enracinement (Bonnemaison, 1979).
L’occupation d’une terre suppose toujours l’agrément préalable du chef de terre, et le souci de se
conformer à ces exigences prime sur une quelconque volonté d’en tirer profit (Kohlhagen,
2002). Par contre, la construction et la perception de l’espace par les éleveurs s’éloignent de
celles des agriculteurs. Ils s’approprient des espaces faits d’étapes et de couloirs, traversant des
étendues étrangères et jalonnées de repères, d’outils fonctionnels et d’objets d’identification
dans une mémoire collective. Dans leur discours, les éleveurs ne donnent aucun rapport affectif
ou une quelconque référence particulière à la terre, manifestement vécue comme un simple
support des ressources pastorales. Chacune de ces deux parties ne réalise pas souvent qu’un
même objet puisse être perçu différemment par l’autre partie. Les points de vue divergents font
naître l’incertitude et le doute entre les groupes et les causes du conflit sont systématiquement
repoussées sur l’autre partie. Chacune se retranche dans sa propre position et cela d’autant plus
fortement que le conflit a pris de l’ampleur. Accepter les arguments de l’autre est perçu comme
une trahison, et c’est aussi parfois la crainte de paraître faible ou ridicule qui empêche les deux
communautés de négocier. Voici par exemple les discours que tiennent les deux parties :
Souvent, les pasteurs reprochent aux agriculteurs de provoquer eux-mêmes des dégâts pour
obtenir des indemnisations de manière illicite en faisant « des champs-pièges ». « Les paysans
préfèrent cultiver des champs en bordure de route et sur les couloirs de passage des animaux ou
ils retardent une partie des récoltes afin de pouvoir provoquer une destruction partielle et obtenir
une indemnisation complète de la récolte rien que sur la partie dévastée ». Quant aux
agriculteurs, ils accusent les éleveurs (ou bouviers) d’un manque d’honnêteté. « Ils mettent
volontairement les animaux dans des champs non récoltés et préfèrent souvent dépenser
d’importantes sommes chez les autorités administratives et policières (Brigade de gendarmerie)
plutôt que de payer directement une indemnité bien moindre aux agriculteurs quand l’affaire est
portée au niveau des instances traditionnelles de conciliation ». Les problèmes de
compréhension mutuelle dans la quasi-totalité des conflits entre agriculteurs et éleveurs
s’expliquent par ces conceptions différentes. Si l’antagonisme se résume, à première vue, à
l’évaluation des dégâts, bien souvent il apparaît que c’est en réalité une question de
compréhension ou, à l’inverse, un sentiment de non-respect d’un espace considéré comme sacré,
qui constituent les véritables sujets de discorde. Les agriculteurs reprochent aux éleveurs de ne
pas respecter leurs us et coutumes par le fait qu’ils font paître leurs troupeaux dans les forêts
sacrées.

e) Diversification des systèmes de production dans les exploitations


Dans la zone soudanienne, la plupart des agriculteurs n’élevaient pas de grands animaux
(bovins) ; les quelques unités domestiques qui ont commencé à s’engager dans cette activité en
constituant leur propre petit troupeau bovin pour la culture cotonnière, les confiaient à la garde
des éleveurs. Une relation de complémentarité s’est formée entre ces deux entités. Des relations
qui se sont concrétisées au fil du temps par le troc et des échanges marchands (bœuf de trait, mil,
44
lait, objets artisanaux...). Certains agriculteurs pouvaient confier leurs animaux aux éleveurs.
Petit à petit, les agriculteurs sédentaires ont pu constituer un noyau de troupeau pouvant
permettre le renouvellement de leurs bœufs de trait et, par conséquent, d’être indépendants des
éleveurs. De très nombreux villages disposent aujourd'hui de leur propre cheptel, gardé par un
bouvier salarié ou issu du milieu paysan. De la même façon, en zone sahélienne, les transports
de céréales par les éleveurs notamment les chameliers étaient inscrits dans les stratégies de la
mobilité pastorale. La descente des éleveurs vers le sud coïncidait avec la période des récoltes.
Les éleveurs ne cultivaient pas mais obtenaient du mil par vente de leurs services aux
agriculteurs qui les payaient en nature. De nos jours, ces relations se sont peu à peu dégradées au
fil du temps, car les agriculteurs diversifient en élevant le bétail pour réduire les risques en cas
de perte de récolte. Tandis que la diversification a lieu, la mobilité, l’équivalent de la réduction
des risques dans les systèmes pastoraux a diminué parce que les terres de pâturage sont
converties en terres de culture. Les éleveurs se tournent donc vers le système de production
sédentaire et pratiquent l’agriculture. Certains éleveurs sont devenus autosuffisants en céréales et
arrivent des fois à vendre le surplus. Il semble que cette séparation entre agriculteurs et éleveurs
est à l’origine de la rupture de cette complémentarité existant entre les deux systèmes de
production. La pratique de l'élevage par certains agriculteurs et de l’agriculture par certains
éleveurs a contribué à augmenter la concurrence entre leurs systèmes de production. Non
seulement ces deux pratiques se concurrencent sur l’espace, mais on assiste aujourd’hui à un
conflit ouvert entre agriculteurs et éleveurs sur l’utilisation de l’espace entraînant parfois de
violents affrontements interindividuels ou interethniques.

6.2.2 Facteurs aggravant les conflits


La cohabitation entre agriculteurs et éleveurs est un sujet délicat et on est loin de cerner
l’ensemble des causes de ce conflit. Une grande confusion apparaît chaque fois qu’on tente de
cerner l’ensemble pour en faire une synthèse globale des éléments du conflit. Outre les réalités
d’une perturbation climatique et la saturation de l’espace engendrée par la pression
démographique des hommes et du bétail, s’ajoutent d’autres confrontations d’ordre idéologique
et/ou politique qui aggravent le conflit et le complexifient. En réalité, il ne s’agit pas d’un conflit
mais bien de conflits qui se superposent avec plusieurs dimensions.

a) Politisation des conflits


On note l’apparition d’un phénomène nouveau qui modifie le rapport entre éleveurs et
agriculteurs. Certains éleveurs ne sont pas propriétaires des animaux qui sont à leur charge mais
des salariés à qui sont confiés du bétail. Les employeurs, souvent fonctionnaires civils, militaires
ou hommes d’affaires bien situés embauchent ces éleveurs qui sont à l’abri de toute poursuite
judiciaire.

Assurés de la protection totale de leurs employeurs, ces éleveurs se distinguent par leur
arrogance et leur agressivité. Ce phénomène d’impunité aggrave la situation déjà tendue entre
les éleveurs de tradition et les agriculteurs qui n’arrivent pas à faire la part de choses. Cette
situation fait que les agriculteurs accusent les éleveurs de posséder des armes de guerre et de
corrompre les administrateurs civils et policières pour lesquels ils travaillent par ailleurs. Un
autre facteur et non des moindres qui influence le comportement des protagonistes, c’est le
45
soutien de certains élus locaux. Le conflit entre agriculteurs et éleveurs est devenu le cheval de
bataille des revendications des leaders politiques. Chaque élu local, s’il veut favoriser le
renouvellement de son mandat, doit composer avec l’opinion du groupe majoritaire. On peut
s’interroger, dans ce cas, sur l’attitude des élus qui, d’une part, mènent des actions pour le
développement de leur région et qui, d’autre part, dans l’attente des résultats électoraux, font
preuve de partialité dans la gestion de conflits éleveurs-cultivateurs. Les élections sont donc,
dans ce cas, un facteur de blocage et constituent un fort facteur d’influence sur les conflits.

b) Mauvaise gestion des conflits


Les litiges relatifs à la dévastation des champs par les animaux ont toujours existé et ces
différends étaient réglés soit à l’amiable entre éleveurs et cultivateurs, soit devant les chefs
traditionnels. Mais de plus en plus, on note l’implication d’autres instances comme les autorités
administratives. Plus souvent, ces règlements aboutissent à des jugements dont les protagonistes
(éleveurs et cultivateurs) sont frustrés et repartent avec un esprit de vengeance. De fortes
amendes en nature ou en espèces sont réclamées à l'éleveur juste pour grossir leurs comptes et
leurs propres troupeaux et ne servent pas ou peu aux victimes pour réparation des dommages
causés (Massalbaye, 1999). Cette situation provoque une haine entre les deux communautés qui
se traduit par le non-respect d’autrui et le non-respect des biens d’autrui. Ceci s’observe chez les
cultivateurs par les actes de cruauté envers les animaux des éleveurs et chez les éleveurs par les
dégâts dans les champs des cultivateurs. Finalement, quand il y a un litige qui les oppose,
chacune des parties cherche à se rendre justice et c’est un cycle infernal de conflits qui
s’instaure.
c) Pluralité juridique de la gestion foncière.

Les conflits entre agriculteurs et éleveurs sont aussi aggravés par le pluralisme de droits et
surtout par la pluralité des instances d’arbitrage : les autorités coutumières, d’un côté,
l’administration, de l’autre, ayant des prérogatives, officielles ou non, jouent un rôle effectif.
Souvent, d’autres acteurs (élus locaux, leaders politiques, responsables associatifs, services
techniques de l’administration, etc.) interviennent aussi, officiellement ou non dans la gestion du
conflit. Lorsque ces différentes instances agissent de façon non coordonnée, chacun, en fonction
de ses intérêts, sollicite de façon opportuniste l’instance qu’il juge la plus favorable, contribue
ainsi à aggraver les conflits et même à les entretenir. Le conflit entre éleveurs et cultivateurs est
aussi aggravé par l’insuffisance des textes adoptés et la non application des lois qui existent.

Aujourd’hui, aucun des droits en présence n’ayant, semble-t-il, force de s’imposer, il règne en
fait une grande confusion. La situation actuelle du système foncier comme dans la plupart des
pays africains est le fruit d’une longue dégradation. Elle est le produit instable d’un rapport de
forces, d’une tension permanente due à la superposition des droits, à la marginalisation de
l’autorité coutumière et à l’impuissance du législateur à se placer au-dessus des contradictions
sociales (Charlery, 1999).

46
6.3. Modes de règlement des conflits
Les situations conflictuelles imputables aux dégâts des champs suivent essentiellement plusieurs
modes de résolution : le règlement à l’amiable, le recours aux institutions traditionnelles locales
et le recours aux autorités administratives.

a) Règlement à l’amiable
Avant que les protagonistes ne saisissent une instance de juridiction, traditionnelle ou étatique, il
y a souvent des tentatives de résolution par consensus, soit directement par les intéressés eux-
mêmes, soit avec une tierce personne.

C’est le cas de la plupart des conflits liés aux dégâts des animaux des agro-pasteurs dans les
champs non récoltés des agriculteurs qui se résolvent parfois sans que les autorités
traditionnelles ne soient impliquées ou même avisées : le propriétaire de l’animal est invité à
aller constater les dégâts.

Trois cas peuvent alors se présenter : soit le propriétaire du champ excuse le propriétaire de
l’animal et aucun dédommagement n’est effectué comme c’est le cas décrit ci-dessus, soit le
propriétaire du champ demande au propriétaire de l’animal d’évaluer lui-même les dégâts et,
dans ce cas, il accepte sans discussion le montant que le propriétaire de l’animal lui propose, soit
enfin c’est le propriétaire du champ qui fixe le montant et une négociation s’engage. En général,
le propriétaire de l’animal rejette le montant fixé par l'agriculteur, lequel, à son tour, propose une
somme beaucoup plus basse jusqu'à ce que les parties soient d'accord et le conflit résolu. Cette
procédure de gestion à l’amiable permet aux protagonistes de consolider leurs liens sociaux.

b) Règlements au niveau des chefferies traditionnelles


Au cas où les protagonistes n’arrivent pas à trouver de compromis, ou s’ils ne l’ont pas tenté, ils
s’en remettent à leurs chefs traditionnels. Que ce soit devant le chef du village ou devant le chef
de canton ou le roi, la méthode privilégiée est le règlement par voie de conciliation. Ce sont des
voies de résolutions des conflits qui permettent aux parties en conflits de contribuer elles-mêmes
à la recherche de solutions aux litiges. D’une manière générale, le processus de règlement de
conflit suit un nombre d’étapes donné. Chaque étape fait appel au sentiment, à la raison, comme
elle rappelle les règles régissant la communauté. Les parties en conflit sont écoutées, tour à tour,
sans interruption, avec attention et une extrême courtoisie.

Si le propriétaire des animaux est identifié et s’il reconnaît les faits, il y a déjà un pas vers la
réconciliation. Il ne reste qu’à plaider pour une responsabilité involontaire et chercher à obtenir
des circonstances atténuantes. Généralement, il s’appuie soit sur l’inadvertance du berger, soit il
évoque, par exemple, des cas de destruction d’enclos.

Pour l’agriculteur, l’argument le plus souvent avancé est connu de tous : « le champ ne se
déplace pas et par conséquent c’est le berger qui a mis les animaux dans le champ ». Il arrive
que, dans un premier temps, le chef laisse la possibilité aux protagonistes de négocier entre eux
la somme à payer. Dans ce cas, il sera demandé à l'agriculteur de fixer le montant en argent du
dommage ; c’est ensuite au tour du pasteur d’apprécier le montant sollicité, et de proposer son
prix s’il juge la compensation trop élevée par rapport aux dégâts. S’il n’y a pas d’accord, les
47
notables finissent par arrêter un montant selon le coût des dégâts. Se pose dès lors le problème
du paiement : le propriétaire des animaux est sommé de s'exécuter dans un certain délai.

D’une manière générale, la viabilité des modes traditionnels de règlement des conflits dépend
plus de la volonté des acteurs de trouver des compromis car il n’existe pas d’instruments qui
contraignent formellement les parties en conflit à accepter les verdicts qui sont prononcés contre
elles. Il arrive même, en cas de non satisfaction, que l’affaire puisse s’arrêter à ce niveau. Les
mesures prises généralement visent surtout à moraliser les protagonistes pour bâtir une vie
harmonieuse au sein de la société à laquelle ils appartiennent (Banhoudel, 2007).

c) Règlement au niveau des autorités administratives


En cas d’échec chez les chefs traditionnels, le problème est renvoyé auprès des instances
administratives. Dans ce cas, un agent de l'agriculture est réquisitionné pour évaluer les
dommages. Après constat, le technicien fournit aux autorités administratives un procès-verbal
sur lequel figurent la surface endommagée, la culture concernée, la taille des plantes, la
production qu’aurait donnée la surface endommagée, le prix de vente au kilogramme de la
culture sur le marché. C'est sur la base de ce procès-verbal que la justice se fonde pour fixer les
dommages. On y ajoute fréquemment les frais de plainte et éventuellement les frais de
déplacement du technicien. La situation la plus complexe est celle entraînée par la non
reconnaissance des faits par le ou les accusé(s) ou par des actes de cruauté sur un animal
(blessure, tuerie, etc.). L’agriculteur s’aperçoit avec retard, souvent deux à trois jours plus tard,
que son champ a été dévasté et le processus d’identification du propriétaire des animaux est
difficile : il consiste à repérer et à suivre les traces laissées par le bétail, qui conduisent à un
troupeau dans un pâturage dont le propriétaire est aussitôt incriminé. Si les traces débouchent sur
un campement, ce sont les résidents du campement qui sont accusés, à charge pour eux de
désigner le véritable fautif, sinon la responsabilité devient collective. Par solidarité, il est
impossible pour un éleveur de dénoncer son voisin, même si les animaux en question
appartiennent au campement, à moins que l’intéressé ne se dénonce lui-même. Le plus souvent,
les membres du campement nient les faits et la probabilité d’accuser à tort un pasteur ou un
campement est grande compte tenu du grand nombre de campements et de troupeaux qui se
trouvent dans la région, sans compter les troupeaux des transhumants. C’est souvent dans cette
situation d’incompréhension ou d’accusation que les autorités administratives sont sollicitées. Il
arrive, dans de rares cas, que les litiges relatifs aux dégâts dans les champs parviennent à la
justice. Mais la lenteur de la procédure judiciaire fait que le jugement est souvent rendu par
défaut parce que l’éleveur n’est plus dans la localité ou l’affaire est simplement classée pour
faute de preuve.

Dans la plupart des cas, l’éleveur (bouvier) n’est pas propriétaire des animaux qui sont à sa
charge. Ce sont souvent des personnes socialement ou politiquement bien assises et résidant
dans les centres urbains qui confient leurs animaux à des bergers salariés. Ces personnes usent
souvent de leur pouvoir pour refuser ou retarder expressément le dédommagement de la victime
après que le verdict ait été rendu. L’inefficacité de la justice se matérialise par cette incapacité
d’infliger des amendes et d’extraire des dédommagements aux plaignants. Une telle situation
met en cause la justice et la rend peu légitime aux yeux des victimes.

48
VII. L’ORPAILLAGE AU BURKINA : UNE AUBAINE ECONOMIQUE
POUR LES POPULATIONS, AUX CONSEQUENCES SOCIALES ET
ENVIRONNEMENTALES MAL MAITRISEES
Au Burkina Faso, le secteur minier a connu un essor extraordinaire au cours de la seconde
moitié des années 2000, si bien qu’en 2009 l’or a supplanté le coton comme premier bien
d’exportation. En 2012, avec six mines industrielles en production, le pays est devenu le
quatrième producteur d’or du continent.

Mais la richesse du sous-sol burkinabè n’attire pas seulement les grands groupes internationaux,
la population locale compte aussi en tirer profit. Ainsi, de nombreux travailleurs nationaux et
non nationaux venus des États voisins se sont lancés depuis une quinzaine d’années dans une
véritable ruée vers l’or. Cette ruée se matérialiste dans des mines artisanales spontanées réparties
sur tout le territoire burkinabè. Cependant, l’orpaillage n’est pas un phénomène nouveau au
Burkina Faso. En effet, selon l’archéologue Jean Baptiste Kiethiega, l’orpaillage est une activité
effective depuis au moins le XVe siècle dans ce pays. Si l’orpaillage est un phénomène ancien, il
prend aujourd’hui des dimensions inédites.

Au Burkina Faso, le développement de l’orpaillage est remarquable sur l’ensemble du territoire


(OCDE 2018). Des 10 sites d’orpaillage qu’il comptait en 2003, le pays est passé à 129 sites en
2008, 270 en 2010 (dont 159 reconnus par le ministère des Mines, des Carrières et de l’Énergie),
et presque 700 sites en 2018, répartis sur tout le territoire (OCDE 2018). Cette augmentation
importante du nombre de sites d’exploitation aurifère entraîne une augmentation proportionnelle
du nombre de travailleurs, évalués entre 20 000 et 30 000 en 2003, 600 000 et 700 000 en 2010,
et de 1 à 1,2 million en 2018. Il ressort de l’Enquête nationale sur le secteur de l’orpaillage
(ENSO) réalisée par l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD), qu’en 2016,
la production artisanale d’or a été estimée à 9,5 t d’or à hauteur de plus de 230 milliards de
FCFA.

Aujourd’hui, l’orpaillage artisanal, par son ampleur, modifie durablement le paysage social,
économique et environnemental burkinabè.

7.1. L’organisation de l’orpaillage au Burkina Faso


L’exploitation minière au Burkina Faso est placée sous une double tutelle. Celle du ministère
des Mines d’abord, qui est chargé de l’organisation, de la prospection, de la délivrance des
permis de recherche et d’exploitation, ainsi que de la supervision et de la régulation des
pratiques d’exploitation ; celle du ministère de l’Économie et des Finances ensuite, qui assure la
tutelle financière (MME, 2013). Le boom minier qui a fait du Burkina Faso le quatrième
producteur d’or en Afrique de l’Ouest, depuis 2009, et la prolifération des sites d’orpaillage qui
s’en est suivie ont engendré des difficultés (Antil, 2014). Parmi ces difficultés, on peut retenir la
faible présence de l’État sur les sites aurifères : insuffisance de contrôles et de suivis des sites
d’orpaillage, insuffisance de ressources humaines qualifiées, insuffisance de moyens matériels et
logistiques et enfin, insuffisance d’encadrement et d’appui aux orpailleurs (Gueye, 2001 ;
Sangaré, 2016). Cette situation a entraîné une prolifération des sites aurifères artisanaux

49
illégaux, la non-maîtrise de la situation exacte des activités d’orpaillage et une faible implication
des pouvoirs locaux (communes, populations locales) dans la gouvernance minière, en plus de
conduire au développement de la fraude et de l’incivisme fiscal (Andriamasinoro et Angel,
2012 ; CES, 2012). Face à cette nouvelle donne, le Burkina Faso a procédé en 2015 à la refonte
de son code minier de 2003 (Hubert et Kupper, 2015), devenu inadapté. Rédigé dans un contexte
où les communes et les régions n’existaient pas (Nyame et Blocher, 2010), ce code ne prenait
pas en compte ces nouveaux acteurs de la gouvernance locale devenus incontournables. Par
conséquent, certains exploitants miniers négociaient directement avec l’État central sans aucune
considération pour les populations locales, quand bien même les ressources sont extraites de leur
territoire (Thune, 2011). Celles-ci avaient donc l’impression d’être les grandes oubliées dans le
partage de leurs ressources naturelles. Pour remédier à la situation et permettre aux populations
locales de reprendre le contrôle de leurs ressources naturelles, des initiatives se sont développées
localement, en marge des circuits administratifs habituels, pour l’exploitation artisanale des sites
d’or (Sangaré, 2016). Cette exploitation, qui se fait généralement à la suite d’une entente verbale
entre les populations locales et des artisans miniers, est régie par une gouvernance informelle
analysée plus loin. Les autorisations d’exploitation sont délivrées exclusivement par le ministère
des Mines, plus précisément par la Direction générale des mines, de la géologie et des carrières
(Luning, 2008 ; Arnaldi di Balme et Lanzano, 2014). La perception des taxes s’opère au niveau
local (sur les différents sites d’orpaillage implantés sur le territoire communal) par des
collecteurs communaux. Ceux-ci travaillent pour le compte de la Direction régionale des impôts,
qui est une entité du ministère de l’Économie et des Finances. La collecte des taxes se fait auprès
de tous ceux qui exercent une quelconque activité sur le site, que l’activité soit directement liée à
l’extraction ou non et que le site soit légal ou illégal. Cela dit, s’il est vrai que la commune
participe à la collecte des taxes, elle n’est toutefois pas impliquée dans les décisions d’octroi des
autorisations d’exploitation. Cela concerne également les populations locales, dont l’avis n’est
pas pris en compte. Face à cette situation, et pour tirer leur épingle du jeu, les orpailleurs ont
jugé nécessaire de s’organiser aussi bien sur le plan stratégique, à travers la création d’une
organisation faîtière, que sur le plan opérationnel, à travers le découpage spatial de leur espace
de travail. La loi définit l’exploitation artisanale traditionnelle comme toute « opération qui
consiste à extraire et concentrer des substances minérales et à en récupérer les produits
marchands pour en disposer en utilisant des méthodes et procédés traditionnels et manuels […] 1
». Au niveau structurel, il existe une organisation faîtière des orpailleurs artisanaux : le Syndicat
national des orpailleurs artisanaux et traditionnels du Burkina (SYNORARTRAB). Créé en
2008, il compte plusieurs centaines d’orpailleurs répartis sur l’ensemble du territoire national.
Cette organisation a pour mission de défendre les intérêts moraux, matériels, économiques et
professionnels des orpailleurs du Burkina Faso. Le syndicat agit de nos jours comme interface
entre les orpailleurs, les communautés, les compagnies minières et l’État en cas de conflit. Le
syndicat mène périodiquement des séances de sensibilisation et de formation de ses membres sur
les méfaits de la drogue ainsi que sur l’effet du cyanure et du mercure sur l’environnement et la
santé humaine et animale.

7.2. La population des orpailleurs


Elle se compose de jeunes migrants ouest-africains qui pratiquent une forme moderne non-
industrielle d’exploitation de l’or.
50
Quelques orpailleurs pionniers parcourent le pays en quête de points minéralisés, les tests
effectués en surface suffisent à donner des indices sur la probabilité de découvrir un filon plus en
profondeur. Si ce dernier est découvert, l’information se répand rapidement, c’est la
« déclaration de la nouvelle ligne » suivie de la « distribution des puits ». Les travaux
commencent immédiatement, le chantier s’étend alors sous la forme d’une longue tranchée
pouvant atteindre une profondeur avoisinant vraisemblablement les 20 à 30 mètres.

L’essentiel du travail se fait manuellement à l’aide d’outils tels que pioches, burins, barres à
mine, etc. Pour éviter les effondrements, les mineurs procèdent désormais au soutènement des
parois à l’aide de rondins provenant de la coupe des arbres situés aux alentours du placer. Les
mineurs sont confrontés à la venue d’eau dès 9 à 10 mètres qu’ils évacuent en surface à l’aide de
motopompes d’exhaure, la dureté de la roche les contraint fréquemment à utiliser des explosifs.
Ce « travail d’hommes » est extrêmement dangereux, Yacouba Yaro (1996 : 135-149) qualifie
les tréfonds que constituent ces tranchées de « gouffres de la mort ».
Les personnes exerçant des activités sur le site relèvent de diverses catégories :

- Les propriétaires de trou. Ceux-ci ont acquis le droit de creuser un trou auprès du
responsable du site. Ils ne creusent pas directement, mais font travailler des creuseurs sur
la base d’une clé de répartition des minerais extraits (50-50 selon nos observations). Plus
le nombre de trous qu’ils possèdent est élevé, plus leurs gains sont importants.

- Les creuseurs. Ceux-ci travaillent dans les trous. Ils se partagent les minerais avec le
propriétaire du trou. Ils fonctionnent selon un mode rotatif qui fait que dans chaque trou,
il existe au moins deux groupes de creuseurs : un groupe travaille toute la journée et le
second prend le relais pour travailler de la tombée de la nuit au lever du jour.

- Les acteurs chargés du traitement du minerai. Il s’agit des broyeurs, des concasseurs, des
laveurs, des dynamiteurs et des personnes chargées de l’amalgamation. Ce sont des
prestataires autonomes qui travaillent sur le site et qui sont payés à l’acte par les
détenteurs de minerais qui sollicitent leurs services. Certains possèdent des machines
(concasseurs).

- Les acteurs chargés de l’achat et la vente de l’or. Installés sur le site, ils achètent l’or
produit sur le site pour le compte du responsable du site. Ils n’ont pas affaire au
propriétaire terrien et n’ont de comptes à rendre qu’au responsable du site pour qui ils
travaillent.

- Les acteurs engagés dans des activités annexes. Ceux-ci ne sont concernés ni par
l’extraction ni par le traitement ou la commercialisation de l’or. Ils profitent de la
présence du site et des orpailleurs pour faire des affaires et conduire diverses activités
génératrices de revenus sur le site d’orpaillage (restauration, coiffure, commerce,
mécanique, boucherie, porteurs d’eau, prostitution…). Eux aussi paient annuellement au
responsable du site un droit d’usage pour l’espace qu’ils occupent sur le site.

51
7.3. L’or : une ressource cruciale pour une économie fragile
Dans un contexte de ressources et d’opportunités très limitées, l’or apparait comme un excellent
recours. Évoqué en introduction, l’orpaillage emploie environ 1,3 million de personnes au
Burkina Faso. C’est une activité ne nécessitant que de faibles investissements de départ et
permettant surtout d’absorber une partie de la main d’œuvre issue de l’accroissement
démographique du pays. Cependant, analyser le phénomène sous le seul prisme des orpailleurs
reviendrait à ignorer l’ampleur réelle de la problématique. En effet, les familles suivent les
creuseurs sur les sites d’orpaillage. Ces sites étant souvent éloignés des villes, de nombreux
commerces viennent s’implanter à proximité des terrains aurifères exploités, donnant naissance à
des « villes champignons ».

L’habitat ou les commerces, construits de bois et de pailles sont disposés plus ou moins
anarchiquement à proximité du gisement. Il est cependant possible de trouver un certain nombre
de services : restauration, débit de boissons, vente de petits objets électroniques (typiquement,
des téléphones portables), de recharges téléphoniques, garagistes pour réparation en tous genres
etc.

Les campements issus de l’orpaillage sont aussi pour les creuseurs les lieux de vente de leur
production. Dans une logique identique à celle décrite au Niger par Emmanuel Grégoire et
Laurent Gagnol, les comptoirs d’achat permettent aux orpailleurs d’écouler leur production sans
prendre le risque d’être détroussés sur les routes des grandes villes alentours comme Gaoua ou
Pô dans notre cas. Néanmoins, « il arrive fréquemment que les orpailleurs soient lésés par les
commerçants. En effet, leurs outils de pesage ne sont pas toujours exacts et ils savent profiter
d’un besoin impératif d’argent ou de crédit pour diminuer les sommes versées aux orpailleurs »
(Gagnol & Grégoire, 2017).

Les revenus issus de la vente de l’or permettent de subvenir aux besoins des familles dans les
cas où celles-ci ont accompagné les creuseurs ou d’acheter du matériel minier. Il arrive aussi que
les gains soient très rapidement dépensés dans « des dépenses de prestige » ; achats d'alcool, de
véhicules, de stupéfiants ou encore la fréquentation de prostituées (Somé, 2004). Cela empêche
les mineurs de s’extraire de la misère. Quoi qu’il en soit, les revenus ainsi gagnés sont
directement réinjectés dans l’économie de la cité minière ou des environs proches. Les villes de
Gaoua et Pô, qui sont à proximité des gisements profitent aussi des gains issus des mines
artisanales. Néanmoins, l’orpaillage n’est pas sans conséquences sur l’environnement et la
société burkinabè, c’est l’objet des deux prochaines parties

7.4. Des implications sociales très fortes


L’orpaillage informel, de par son ampleur affecte en profondeur la société burkinabè et la met un
peu plus en difficulté.

Tout d’abord la précarité des conditions de travail des orpailleurs génère une crise sanitaire
majeure. S’il est très difficile d’avoir des chiffres, les décès liés aux éboulements, aux chutes ou
aux noyades par inondation des galeries sont fréquents sur les sites d’orpaillages. À cela
s’ajoutent les nombreuses pathologies issues de la pollution environnementale déclenchée par
les techniques utilisées et l’absence de précautions. On constate une explosion des maladies
52
cardio-vasculaires, maladies respiratoires, allergies, infertilité etc. et « près de 2/3 des
travailleurs des mines artisanales présenteraient au moins 3 symptômes d'exposition chronique
au mercure au Burkina Faso » (Lankoande et Maradan, 2013). Ces différentes contaminations
diminuent d’une dizaine d’années l’espérance de vie d’un orpailleur, par rapport à la moyenne
nationale burkinabè, qui descend donc à 45 ans.

D’autres pathologies sont présentes dans les campements miniers, notamment de nombreuses
maladies sexuelles transmissibles comme le VIH propagé par les rapports non protégés et la
prostitution. Dans une situation très similaire à celle évoquée au Guyana par Mark Byone et
Rose Shanomae, « La prostitution fréquente sur les sites d’orpaillage facilite la transmission du
virus dans le milieu des mineurs qui, lors des migrations, le propagent au sein de leurs familles
et dans leurs régions d’origine » (Byone, Shanomae, 2010). S’il est difficile de connaitre le taux
de prévalence du VIH chez les orpailleurs, ces derniers représentent une population plus exposée
au virus du fait de leurs pratiques à risques.
La consommation de drogue est un autre fléau des cités minières. De nombreux orpailleurs
« creuseurs » prennent des comprimés et substances (qu’ils nomment « bleu-bleu » ou « E 14
»...), du tabac, des « liqueurs » (alcools frelatés), du nescafé, parfois de la marijuana pour
combattre la peur et se donner la force, le courage d’affronter le gouffre, le vide, les vertiges,
l’obscurité, les sensations d’étouffement et autres maux qui traduisent les conséquences
immédiates d’un travail physique et endurant. La « dose » prise représente à la fois la puissance
physique et la force mentale mises à l’épreuve durant l’effort, « chacun cherche ce qui va
l’arranger » en expérimentant différents cocktails et assortiments censés rendre invulnérables.

D’autres techniques aberrantes sont pratiquées du fait de la détresse sanitaire et des


superstitions : boisson à base de ciment pour soigner les intoxications aux acides, relations
sexuelles non protégées dans les galeries pour « amener la chance… ».

Ensuite, la violence est récurrente. La découverte d’un gisement fait affluer des populations de
tout le Burkina Faso mais aussi des États voisins : Mali, Niger, Togo et Bénin. Ce phénomène
est décrit avec justesse par Tilo Grätz dans Les frontières de l’orpaillage en Afrique
occidentale » (Grätz, 2004) lors de son étude de la mine de Bountwanou à l’Est du Burkina
Faso : « Ces lieux de « ruée vers l’or » sont caractérisés par un afflux important d’orpailleurs
étrangers dont les règles et principes s’avèrent souvent incompatibles avec ceux des populations
locales, engendrant […] une période d’appropriation, parfois violente, des ressources et de fortes
tensions au sein des groupes migrants ». Ces afflux de populations ont provoqué des tensions
avec les villageois riverains d’un site aurifère qui n’étaient pas intéressés par son exploitation ;
ces tensions peuvent pousser les villageois à expulser les orpailleurs des terrains impliqués
(Grätz, 2004).

Enfin, l’arrivée soudaine de migrants extra nationaux peut aussi conduire à des conflits à
l’intérieur même des cités minières entre les différentes communautés présentes.

La condition des femmes et des enfants dans les sites miniers artisanaux est aussi à évoquer. Si
l’activité de creuseur est réservée aux hommes, les femmes participent aussi à l’activité minière,
en plus de la gestion de la vie de famille. Elles sont généralement cantonnées à un travail de
surface, notamment le tri ou le concassage des roches remontées des galeries.
53
7.5 Relation entre agriculture et extraction artisanale
Le rôle grandissant de l’extraction artisanale suscite des inquiétudes au niveau des
gouvernements africains et des institutions de développement du fait de sa substitution
graduelle, pour les ménages, comme source de revenu au détriment de l’agriculture.
Concrètement quels types de relations entretiennent l’agriculture et l’extraction artisanale? Les
travaux qui se sont penchés sur la question ont révélé deux types d’interaction entre ces deux
activités.

Le premier type est une relation de substitution (Kumah, 2006; Maconachie and Binns, 2007;
Aragon and Rud, 2012; Pijpers, 2014). Dans ce cas les deux activités sont concurrentes au
niveau des intrants utilisés notamment la main d’œuvre et la terre. En ce qui concerne la main
d’œuvre, certains agriculteurs font une transition permanente de l’agriculture vers l’orpaillage.
Une des raisons est que les revenus miniers sont largement supérieurs à ceux permis par
l’agriculture. Une deuxième raison est que l’agriculture n’est plus capable d’offrir un moyen
d’existence durable à ceux qui la pratiquent à cause d’une part de la dégradation des conditions
climatiques qui donnent lieu à de mauvaises récoltes et d’autre part la suppression des
subventions accordées aux agriculteurs occasionnées par les programmes d’ajustements
structurels dans la plupart des pays africains (Reardon et al., 1992; Bryceson, 1999; Akabzaa
and Darimani, 2001; Kitula, 2006; Hilson, 2010; Cartier and Bürge, 2011; Hilson and Van
Bockstael, 2012; Garforth and Hilson, 2013). En ce qui concerne la terre, une partie des terres
cultivables sont détournées de l’agriculture vers l’orpaillage ou l’exploitation industrielle à des
fins d’exploration ou d’exploitation (Banchirigah, 2006; Jaques et al., 2006; Nyame and
Blocher, 2010).

Le deuxième type est une relation de complémentarité qui s’effectue au niveau de la main
d’œuvre et des terres. Dans le premier cas, les agriculteurs ne s’engagent que de manière
saisonnière dans l’extraction artisanale, généralement pendant la saison sèche (Maconachie and
Binns, 2007; Hilson and Okoh, 2011; Hilson and Garforth, 2012). La motivation principale
derrière cet engagement est le fait que les populations locales cherchent continuellement à
diversifier leurs sources de revenu dans le but de s’adapter aux chocs ou tout simplement à
profiter de nouvelles opportunités (Banchirigah and Hilson, 2010; Pijpers, 2014). Dans ce cas, le
revenu obtenu à travers l’orpaillage est réinvesti dans l’agriculture sous forme d’achat d’intrants.
Il est aussi utilisé pour améliorer les conditions de vie des ménages ruraux : offrir une éducation
aux enfants, avoir accès aux services de soins, acquérir des moyens de transports motorisés etc.
La complémentarité au niveau des terres, quant à elle, se constate au travers de l’utilisation de
certains puits de mine abandonnés pour la culture de semences tandis qu’en même temps, on
peut trouver des plantations de riz aux abords de certains puits de mines actifs en Sierra Leone
(Pijpers, 2014). Indépendamment du secteur de l’extraction artisanale, les déterminants de cette
diversification du portefeuille des activités rurales a été discuté depuis les années 1980 (Ellis,
1998). Le premier déterminant de diversification se retrouve sous la catégorie de l’attraction de
la demande : dans cette catégorie on retrouve les personnes qui subsistent sans problème grâce à
l’agriculture mais choisissent de pratiquer une autre activité en l’occurrence l’orpaillage afin
d’améliorer leur niveau de vie (Hilson, 2009; Banchirigah and Hilson, 2010; Pijpers, 2014). Le
deuxième déterminant est la catégorie due à la détresse (Hilson, 2009; Banchirigah and Hilson,
54
2010). On y retrouve toutes les personnes qui s’engagent dans la diversification de leurs activités
pour des raisons de précarité financière. C’est par exemple le cas des personnes qui s’engagent
parce que l’agriculture familiale peine à assurer la survie des fermiers comme discuté dans le
paragraphe précédent. Globalement, il existe un continuum de situations sociales entre ces deux
catégories. De manière générale, classés dans l’une catégorie ou l’autre, certains groupes
d’agriculteurs réfutent l’idée d’une transition permanente ou même alternative entre agriculture
et orpaillage pour des raisons socioculturelles parce que leurs ancêtres ont toujours été
agriculteurs, ou encore à cause de la conscience qu’ils ont du caractère non-renouvelable de la
ressource car nombre d’entre eux pensent que l’or n’est pas une ressource illimitée (Hilson and
Okoh, 2011).

7. 6. Un environnement durablement dégradé


Sur le plan environnemental, les impacts négatifs de l’orpaillage se manifestent à plusieurs
niveaux.

▹ L’emploi de substances chimiques interdites pour purifier l’or, dont les résidus ont un effet
hautement polluant sur l’environnement et notamment sur les eaux (nappes et eaux de surface).

Le mercure et le cyanure, quoique formellement interdits, sont communément utilisés par les
orpailleurs. L’amalgamation de l’or au mercure et au cyanure est une technique rudimentaire très
diffusée à cause de la non-disponibilité de technologies tout autant efficaces et économiques de
traitement du minerai. Le mercure et le cyanure sont achetés clandestinement dans les pays
voisins, raison pour laquelle il est difficile de connaître exactement les volumes utilisés.

▹ L’exploitation artisanale serait aussi à l’origine de l’intensification et l’accélération du


processus de déforestation. L’ouverture d’un site, entraînant des fortes concentrations
d’orpailleurs, s'accompagne d'une coupe de bois pour faire face aux besoins de mine,
d'habitation et de chauffe. Il en résulte une dégradation des terres qui sont alors rendues
impropres à l'agriculture.

55
VIII. ÉVOLUTION DES RAPPORTS ENTRE PAYSANS ET
INSTITUTIONS
Les institutions qui interfèrent avec le monde paysan relèvent aujourd’hui autant du secteur
public (État, autorités traditionnelles reconnues) que du secteur privé (commerçants, agro-
industriels) et associatif (organisations paysannes, associations de développement, etc.).

8.1 Désengagement des États du secteur agricole


La libéralisation des économies, la démocratisation du jeu politique et la décentralisation ont
façonné le paysage institutionnel actuel. Jusqu’au début des années 90, les services d’appui à
l’agriculture étaient peu diversifiés et relevaient du secteur public. Intervenaient des sociétés
de développement à caractère régional (Carder au Bénin, ORD puis CRPA au Burkina Faso,
AVB en Côte d’Ivoire, Sodeva et SAED au Sénégal) ou rattachées à une filière
spécialisée (sociétés cotonnières, sociétés agro-industrielles pour l’hévéa et le palmier à huile).

Les difficultés budgétaires des États et les programmes d’ajustement structurel ont contraint
ces sociétés, au début des années 90, au recentrage de leurs activités sur leur mandat initial
(appuyer une production, organiser une filière), puis à leur dissolution ou leur privatisation.
Dans bien des cas, ces sociétés de développement assuraient conjointement le conseil aux
agriculteurs, la commercialisation des produits, le crédit pour l’acquisition des intrants, etc.
Le désengagement de l’État du secteur agricole devait s’accompagner d’un investissement fort
du secteur privé dans les services d’appui : la banque pour le crédit, les fournisseurs pour
l’approvisionnement en intrants et en matériel couplé à des services de conseil, les
commerçants pour l’écoulement des produits. Or, les entreprises privées ont peu investi dans
ces services et en particulier ont hésité à fournir du crédit au secteur de l’agriculture familiale,
considéré à fort risque. L’atomisation de la production, la petite taille des exploitations et le
coût élevé des services dans ces conditions expliquent les réticences du secteur privé, les
agriculteurs ont donc plutôt misé sur leurs propres forces en créant des organisations
professionnelles. Et au début des années 90, ils ont reçu l’appui de quelques bailleurs de
fonds de la coopération bilatérale, puis récemment d’agences de coopération multilatérale
comme la Banque mondiale.

8.2 Des dynamiques d’organisation inédites


Les années 1990 ont marqué un tournant important pour les organisations paysannes africaines
et les dynamiques d’organisation revêtent, dans la plupart des pays, des caractéristiques
largement inédites.

8.2.1 La multiplication des groupements villageois


On observe tout d’abord une effervescence associative au niveau local avec la multiplication
rapide des groupements et associations qui se structurent de plus en plus souvent à l’échelon
infra-villageois. L’ampleur des dynamiques associatives micro-locales a été confirmée par des
enquêtes quantitatives menées sur des larges échantillons au Sénégal (250 villages) (De Janvry
et Sadoulet, 2004) et au Burkina Faso (281 villages) (Arcand, 2004) : 65 % des villages
enquêtés au Sénégal et 91 % des villages enquêtés au Burkina Faso comptent au moins un
56
groupement ; le taux moyen d’appartenance formelle des ménages enquêtés à au moins un
groupement est de près de 67 % au Sénégal et de 62 % au Burkina Faso.

Extrêmement diverses, les dynamiques d’organisations à l’échelon micro-local suggèrent trois


types d’observations :
1. Le premier constat, c’est que trois catégories d’organisations peuvent être identifiées :

Les groupements spécialisés liés à une filière et qui assurent des fonctions économiques
en matière d’approvisionnement, de commercialisation, de conseil, d’information, de formation,
parfois de crédit. Il peut s’agir d’organisations mises en place par les projets de développement
antérieurs aux réformes et dont le statut et les activités ont évolué, ou d’organisations qui ont été
créées pour remplir les « vides » engendrés par le retrait de l’État.

Les groupements à vocation multisectorielle qui s’efforcent de prendre en compte la


diversité des activités de leurs membres qui sont eux-mêmes très rarement spécialisés dans une
production.
Les organisations qui regroupent des catégories sociales particulières (femmes, jeunes) et
dont les activités sont souvent définies a posteriori comme moyens d’atteindre les objectifs
économiques et sociaux des catégories concernées.

2. Le deuxième constat, c’est que les groupements et associations ont des niveaux
d’activités très variables : ainsi, si certains groupements ont des résultats techniques et
économiques significatifs et parfois très intéressants, il existe aussi des organisations qui ont une
réelle base sociale mais qui « tournent à vide » faute d’idées, d’appuis techniques, de ressources
adéquates.

Le niveau d’activité des groupements et leurs performances techniques et économiques


dépendent en grande partie de leur capacité à nouer des relations avec l’extérieur, et cette
capacité varie considérablement selon les cas : elle est plus importante pour les groupements liés
à une filière jugée stratégique (cacao, riz, coton, etc.) pour l’économie nationale, qui bénéficient
plus souvent de programmes d’appuis extérieurs ; elle s’accroît quand les groupements sont
membres d’une organisation paysanne locale ou régionale, dès lors que cette dernière a tissé des
relations avec des acteurs extérieurs. Les groupements « isolés », à vocation multisectorielle,
sont à cet égard les plus défavorisés.

3. La troisième observation, c’est que les appuis techniques et financiers extérieurs,


nécessaires au développement des activités des groupements, influent aussi sur leur
structuration : par exemple, les programmes d’appui de l’Agence Française de Développement
(AFD) aux filières cotonnières d’Afrique francophone ont poussé à la spécialisation des
organisations de producteurs, des groupements de producteurs de coton (GPC), remplaçant
progressivement les associations villageoises (Mali) ou les groupements villageois (Burkina
Faso) qui assuraient des fonctions d’intérêt général avec les ressources collectives générées par
le coton.

De façon générale, la plupart des bailleurs de fonds mettent l’accent sur le renforcement des
activités économiques des organisations micro-locales, ce qui va souvent de pair avec une
57
spécialisation accrue des groupements et une segmentation des groupements et associations
préexistants.

8.2.2 Le renforcement des dynamiques fédératives


Une des caractéristiques principales des dynamiques associatives actuelles dans le secteur
agricole est sans doute l’émergence et le renforcement des organisations fédératives qui se
construisent sur une base sectorielle ou plus globale.
Les conditions et les modalités selon lesquelles s’effectuent les regroupements des organisations
paysannes dans des coordinations nationales, toujours particulières, suggèrent les remarques
suivantes :

1. La tendance des organisations paysannes à se regrouper exprime tout d’abord des


stratégies d’adaptation à un environnement de l’agriculture fortement perturbé par les réformes
économiques et institutionnelles. Le désengagement de l’État des fonctions d’appui à
l’agriculture s’est traduit, dans la plupart des cas, par une dégradation des conditions de
production (désorganisation de l’approvisionnement en intrants, raréfaction et renchérissement
du crédit agricole, affaiblissement des appuis techniques, etc.) et par la transformation radicale
des conditions de mise en marché des produits agricoles (libéralisation/privatisation des filières
administrées comme le café, le cacao, etc.).

2. Progressivement, les organisations paysannes découvrent l’importance de la fonction


syndicale, même si celle-ci ne dit son nom qu’exceptionnellement (au Mali notamment) ; elles
s’efforcent alors de peser sur les centres de décision économiques et politiques et d’obtenir des
mesures plus favorables à leurs initiatives.

3. Les processus de regroupement autonome des organisations paysannes connaissent de


nombreux obstacles et trois points peuvent, à cet égard, être soulignés :

Il s’agit tout d’abord de l’importance du contexte sociopolitique qui est très différent
selon les pays. La démocratisation de la vie publique offre des conditions globalement plus
favorables que dans le passé pour la création d’organisations paysannes plus autonomes vis-à-vis
des pouvoirs publics ; dans les faits cependant, l’espace d’initiative ainsi créé est très variable
selon les pays et le pouvoir politique influe sur les dynamiques d’organisation de multiples
manières : en maintenant une grande proximité avec les organisations qu’il a parfois contribué à
mettre en place (Ghana, Zimbabwe par exemple), en alimentant parfois des tensions entre
responsables paysans.

L’unification des organisations est aussi confrontée aux modèles promus par l’aide
internationale ; cela se traduit, par exemple, par la préférence de certains bailleurs de fonds pour
les organisations sectorielles, réputées plus efficaces et opposées aux organisations à vocation
plus généraliste, etc.

Notons enfin que le processus de regroupement se heurte aussi à de nombreuses


résistances internes de la part des organisations paysannes qui résultent de la diversité de leurs
histoires respectives, de leurs objectifs et de leurs formes d’action, d’indéniables concurrences

58
en matière de leadership mais aussi parfois d’analyses et de visions différentes de l’agriculture et
de son avenir.

8. 3 Une influence encore limitée, mais croissante sur les politiques agricoles nationales
Inexistante jusqu’aux années 1990, l’influence exercée par les organisations paysannes sur la
définition des politiques agricoles s’accroît, même si les propositions qu’elles formulent sont
diversement prises en compte selon les pays et les secteurs concernés.
Les conditions dans lesquelles opèrent les concertations entre les organisations paysannes et les
autres acteurs, ainsi que les résultats contrastés sur lesquels ces concertations débouchent,
suggèrent les commentaires suivants.

1. Si le rôle technique et économique des organisations paysannes est apprécié,


encouragé et soutenu par les pouvoirs publics, leur rôle dans la représentation et la défense des
intérêts des agriculteurs est moins souvent reconnu ; nombre d’administrations et de politiques
semblent ainsi peu pressés de voir émerger des contre-pouvoirs. Poussés par les bailleurs de
fonds à ouvrir le dialogue avec les agriculteurs, certains gouvernements ne s’y résolvent que
formellement ou peinent à trouver les démarches novatrices qui permettraient l’implication
réelle des agriculteurs dans le processus de prise de décision.

2. Les modalités concrètes selon lesquelles les acteurs institutionnels organisent la


« consultation » des organisations limitent, dans nombre de cas, le rôle joué par ces dernières.
Les organisations paysannes ont, en effet, souvent à se prononcer sur des dossiers dont
l’élaboration est parfois déjà fort avancée ; elles sont plus rarement impliquées dans la réflexion
en amont, lorsque sont mises en œuvre les étapes préparatoires de diagnostic, d’identification
des questions à résoudre en priorité, d’inventaire des solutions possibles, de sélection et de
hiérarchisation des mesures à mettre en œuvre.
La consultation des organisations se fait souvent selon un calendrier qu’elles ne maîtrisent pas et
dans des délais parfois très courts, ce qui provoque des chevauchements dans leurs programmes
d’action et nuit à la préparation minutieuse qui serait nécessaire au traitement de dossiers
souvent complexes et parfois « compliqués ». Rares sont les organisations paysannes qui ont la
capacité d’influer sur les agendas des négociations nationales, que celles-ci soient sectorielles ou
plus globales.

3. Pour leur part, les organisations paysannes sont, elles aussi, confrontées à des
difficultés de divers types qui freinent leur implication dans des processus de négociation
souvent longs. On peut citer notamment :

L’accès limité à l’information de certaines organisations, qui obère leur capacité


d’analyse, de proposition, la construction d’argumentaires. Des progrès très rapides ont été
réalisés par certains responsables paysans dans la compréhension du contexte, l’analyse des
rapports de force, l’identification des marges de manœuvre, etc. Des écarts importants existent
cependant entre les organisations et au sein d’une même organisation.

Les ressources souvent très réduites dont disposent les organisations limitent leur
possibilité de recours à une expertise spécialisée, travaillant à leur demande. Il s’ensuit une
59
charge de travail très lourde pour un nombre réduit de responsables paysans et de techniciens
salariés qui ne peuvent être simultanément performants sur tous les sujets.

Malgré des efforts évidents consentis par nombre d’organisations paysannes, leurs
systèmes de communication internes restent souvent déficients, eu égard aux besoins. Des
progrès importants ont été accomplis (presse rurale, recours à la radio, utilisation plus rare
d’internet, etc.), mais beaucoup reste sans doute à faire pour améliorer la circulation de
l’information entre les responsables et leur base, pour que les adhérents des organisations fassent
entendre leur voix et soient conscients des efforts qui sont déployés par les responsables, même
si ces efforts n’aboutissent pas toujours à des succès.
4. L’élargissement du nombre de responsables paysans s’accélère dans la période actuelle
et permet l’émergence de leaders de « deuxième génération », avec des niveaux de formation
générale parfois très élevés.

8.4 Évolutions des relations entre le monde rural et les structures d’appui et
l’administration
L’émergence des organisations paysannes, la démocratisation et l’apparition d’une classe de
jeunes paysans alphabétisés ont modifié les rapports entre les ruraux et les agents des structures
de développement et de recherche. Durant la période coloniale et jusque dans les années 80, les
paysans étaient considérés par ces agents comme des exécutants qui devaient appliquer les
modèles techniques proposés. Les ruraux étaient donc chargés de produire et les sociétés de
développement s’occupaient des autres activités (approvisionnement en intrants,
commercialisation des surplus non consommés, etc.). Ce modèle d’encadrement descendant a
échoué et les organisations paysannes ont revendiqué leur participation à la programmation et à
la mise en œuvre des actions de développement. Ainsi, les agents des services techniques ont
été amenés à considérer les paysans comme des partenaires de discussion et de négociation.
Ces avancées diffèrent selon les pays, les régions et les secteurs de production. Les agriculteurs
des zones peu peuplées où il y a peu de produits pour la vente, ainsi que les éleveurs et les
pêcheurs, ont plus de difficulté à s’organiser et sont moins bien représentés dans les
organisations faîtières nationales.

Les démarches participatives et la responsabilisation des acteurs ruraux ont aussi touché des
programmes de gestion des ressources naturelles (ressources arborées, aires protégées, etc.)
qui ont été caractérisés pendant longtemps par des conflits entre ruraux et agents des services
de l’environnement.

Les collectivités locales ont pris place plus récemment dans le paysage institutionnel. Les
communes rurales et, dans une moindre mesure, les conseils régionaux vont être amenés à
gérer une partie des services (école) et des ressources à la place de l’État ou des autorités
traditionnelles.

Dans ce contexte institutionnel, on peut s’interroger sur la place et les rôles dévolus à l’État.
Pour que les exploitations agricoles se développent, il faut que l’État poursuive ses efforts dans
le domaine de l’éducation de base et de la santé, dans des infrastructures de communication
(route, téléphonie), etc. La recherche agricole, qui a fait aussi des efforts pour améliorer la
60
concertation avec les producteurs et leurs organisations, doit aussi être soutenue par la
puissance publique. En plus de ces fonctions traditionnelles de soutien au monde rural,
l’État doit avant tout assurer ses fonctions régaliennes : la justice et la sécurité des biens et des
personnes. L’insécurité, sous diverses formes, s’accroît dans plusieurs pays d’Afrique
subsaharienne, la corruption permet aux nantis de dévoyer la justice et par exemple de
s’accaparer des terres, de régler des conflits à leur avantage... Dans ce contexte, aucun
développement économique n’est envisageable et les paysans hésitent à investir sur le long
terme.

La faiblesse des États, la corruption et le manque d’anticipation des crises sont aussi à l’origine
des conflits armés et des guerres civiles qui ont malheureusement touché certains pays
d’Afrique de l’Ouest et du Centre (Libéria, Sierra Leone, Guinée Bissau, Tchad, Côte
d’Ivoire). Ces conflits sont souvent liés à l’exploitation de ressources minières et entretenus par
des concurrences politique et économique entre pays non-africains. Ces situations de guerre
ont des conséquences dramatiques pour les exploitations agricoles : baisse drastique des
revenus à cause du démantèlement et du dysfonctionnement des circuits de commercialisation
(cas du coton en Côte d’Ivoire depuis 2002), décapitalisation lorsque les paysans doivent se
déplacer et abandonner cheptel et matériels, etc.
La reconstruction des économies agricoles après des conflits armés nécessite des dispositifs
et des méthodes d’intervention spécifiques très coûteux comme le déminage qui touche en
premier lieu le monde paysan.

Bibliographie
ALPHANDERY Pierre, BITOUN Pierre, DUPONT Yves, 1989: Les champs du départ. Une
France rurale sans paysans ? , Paris, La Découverte, 267p.

ALPHANDERY Pierre, BITOUN Pierre, DUPONT Yves, 2000: « Ruralités. Les campagnes
entre terroirs et mondialisations », Problèmes politiques et sociaux, n°842, 80P.
BARTHEZ Alice, 1982, Famille, travail et agriculture, Paris Economica.

BERGMANN Denis R. 1979, L’agriculture française. Perspectives, stratégies et politiques à


long terme, Paris, INRA-Station d’économie et de sociologie rurales, 92p.

BODIGUEL Maryvonne, 1986: Le rural en question. Politiques et sociologues en quête d’objet,


Paris, Le Harmattan, 183p.

BODIGUEL Maryvonne Jean Bruno, PILON-LÊ Lise : La ruralité en question, Rimouski, GRI-
DEQ/UQAR, 1985, 82p.
BRIEL Brigitte, VILAIN Lionel, 1980, Vers l’agriculture durable, Dijon, Educagri, 1999, 143p.

BRUNET R. (2001) ‒Le déchiffrement du monde : théorie et pratique de la géographie, Paris,


Belin, Mappemonde (Paris), ISSN 1275-2975, 2001, 401 p.

61
BRUNET R., FERRAS R., THÉRY H. (1993) ‒Les mots de la géographie : dictionnaire
critique, Collection Dynamiques du territoire, ISSN 0999-0089, 1993

BUTTEL Frederick, NEWBY Howard, The rural sociology of the advanced societies: critical
perspectives, Montclair, Osmun & Co, London, Croon Helm, 529p.

CAMBRÉZY L. et SANGLI G., 2011, « Les effets géographiques de l’accroissement de la


population en milieu rural africain : l’exemple du Sud-Ouest du Burkina Faso », Revue du
Comité français de cartographie (207), p. 75-93.

CHAUVEAU J.-P., COLIN J.-P., JACOB J.-P., LAVIGNE DELVILLE P. et LE MEUR P.-
Y., 2006, Modes d’accès à la terre, marchés fonciers, gouvernance et politiques foncières en
Afrique de l’Ouest, Londres : IIED.
COLECTIF, 1998, Les campagnes et leurs villes, Paris, INRA/INSEE, 203p.

COPP James H, 1972, « Rural sociology and rural development », Sociology, vol. 37, n°4, p.
515-534.
CRISENOY (de) Chantal, Lénine face aux moujiks, Paris, Le Seuil, 373p.

DELEAGE Estelle, 2004, Paysans. De la parcelle à la planète. Socio-anthropologie du Réseau


agriculture durable, Paris, Syllepse, 246p.

DUBY Georges, WALLON Armand (dir), 1976, Histoire de la France rurale, tome IV, Paris, le
Seuil,667p.

DUFUMIER Marc (dir.), 2002, Un agronome dans son siècle. Actualité de René Dumont, Paris
Karthala-INAPG, 319p.
DURAND Jean-Pierre, 1986,« Pourquoi pas dans l’agriculture ? » in CREIS, L’informatisation
quotidienne, Paris, Delagrave, 160 p.

EHRENSAFT Philip, DEBAILLEUL Guy (coord.), 1987, “ Le complexe agro-alimentaire et


l’Etat », Cahiers de Recherche Sociologique, vol. 5 n°1, 158p.
FAURE Claude, 1978, Agriculture et capitalisme. Essai sur les rapports de production en
agriculture, Paris, Anthropos , 250p.

FOLTZ J.D., ALDANA U.T., LARIS P. 2012 ‒The Sahel’s Silent Maize Revolution: Analyzing
Maize Productivity in Mali at the Farm-level, National Bureau of Economic Research,
2012 Consultable à http://www.nber.org/papers/w17801
GAUCHET Marcel : « Pleurer les paysans ? », Le Débat, n°60, 1990, p. 314-315

GRÄTZ T., 2004. Les frontières de l'orpaillage en Afrique occidentale. Autrepart, n° 30, p. 135-
150. http://www.cairn.info/revue-autrepart-2004-2-page-135.htm

GREGOIRE E., GAGNOL L., 2017. Ruées vers l’or au Sahara : l’orpaillage dans le désert du
Ténéré et le massif de l’Aïr (Niger). EchoGéo, Sur le Vif, http://echogeo.revues.org/14933

62
GONIN A., 2014, « Jeux de pouvoir pour l’accès aux ressources et devenir de l’élevage en
Afrique soudanienne. Le foncier pastoral dans l’Ouest du Burkina Faso », Thèse de doctorat,
Paris, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

GONIN A., 2016, « Les éleveurs face à la territorialisation des brousses : repenser le foncier
pastoral en Afrique de l’Ouest », Annales de géographie, 707 : 28-50.

GONIN A., 2018, « Des pâturages en partage. Territoires du pastoralisme en Afrique de


l’Ouest », Revue Internationale des Études du Développement, 233.

GRAF, 2011, Agrobusiness au Burkina Faso. Quels effets sur le foncier et la modernisation
agricole ? Ouagadougou / Amsterdam : Graf / Kit.

HARDIN G., 1968, « The Tragedy of the Commons », Science, 162(3859) : 1243-48.
https://doi.org/10.1126/science.162.3859.1243
HERVIEU Bertrand, 1994, Les champs du futur, Paris Julliard, 172p.

HERVIEU Bertrand, VIARD Jean, 1996, Au bonheur des campagnes (et les provinces), La
Tour d’Aigues l’AUBE 157p.

HOCHET P. et GUISSOU C., 2010, « Une politique d’adaptation climatique inachevée mais
persistante. Le cas de la zone pastorale du CEZIET de Samorogouan (Burkina Faso) »,
Sustentabilidad Em Debate 1 (2), p. 61-78.

HOCHET P., 2011, « Une ‘citoyenneté paysanne’ ? Ethnographie comparée parmi les
Minyanka et les Bwaba (Mali, Burkina Faso) », Citizenship Studies 15 (8), p. 1 031-1 045.

JACOB J.-P., 2007, Terres privées, terres communes. Gouvernement de la nature et des
hommes en pays winye, Burkina Faso, Paris : IRD Éditions.

JACOB J.-P., 2013, « Suis-je le gardien de mon frère ? » L’émergence de la relation sujet-
objet dans la législation foncière burkinabè de

2009, Les cahiers du pôle foncier no 4/2013, Montpellier : Pôle FoncierJOLLIVET Marcel
(dir.), 1974, Les collectivités rurales françaises, tome II : Sociétés paysannes ou lutte des classes
au village, Paris Armand Colin, 266p.

JOLLIVET Marcel (dir.), 1992, Sciences de la nature, sciences de la société. Les passeurs de
frontières. Paris, CNRS, 589 p.

JOLLIVET Marcel (dir.), 1997, Vers un rural postindustriel. Rural et environnement dans huit
pays européens, Paris, l’Harmattan, 371.
JOLLIVET Marcel (dir.), 2001 , Pour une science sociale à travers champs. Paysannerie,
ruralité, capitalisme (France, XXe siècle), Paris Arguments, 400 p.
KAUTSKY Karl, 1979, La question agraire, Paris Maspéro, 463 p.

KAYSER Bernard, 1990, La renaissance rurale. Sociologie des campagnes du monde


occidental, Paris Armand Colin, 318 p.

63
KLATZMANN Joseph, 1978, L’agriculture française, Paris, Le Seuil, 250 p.

KREMNIOV Ivan (TCHAYANOV Alexandre), 1976,: Voyage de mon frère Alexis au pays de
l’utopie paysanne, Lausanne, Editions l’Âge d’Homme, 140 p. (1920).

KUBA R., LENTZ C. et SOMDA C. N., 2003, Histoire du peuplement et relations inter-
ethniques au Burkina Faso, Paris : Karthala.

à la mondialisation en Chine rurale, in DELCOURT Laurent, DUTERME Bernard, POLET


François (coord.) : Mondialisation des résistances. L’état des luttes 2004, Paris, Syllepse, p.29-
40.

LENINE Vladimir Ilitch, 1974, Le développement du capitalisme en Russie, Paris, Editions


sociales, 631 p.

LEVESQUE Benoît, 1976, « Le milieu rural et la sociologie rurale », in Problématique du


développement rural, Rimouski, GRIDE/UQAR, p.40-50.

LUND C., 1997, Les conflits fonciers et le droit étatique, communautaire et local au Burkina
Faso, Dossiers zones arides 70, Édim- bourg : IIED.

MAGET Marcel, 1955, « Remarques sur le village comme cadre de recherches anthropologiques
», Bulletin de psychologie, p 373-382.
MALASSIS Louis, 1969, L’épopée inachevée des paysans du monde, Paris Fayard, 524 p.
MARCHAL, J.-Y. et QUESNEL A., 1996,

LAU Kin-Chi, 2004, « Les résistances « Dans les vallées du Burkina Faso, l’installa- tion de la
mobilité », in La ruralité dans les pays du Sud à la fin du XXe siècle, Éd. Jean- Michel Gastellu
et Jean-Yves Marchal, Paris : IRD Éditions, p. 595-614.
MARX Karl, Le capital, Paris, Garnier Flammarion, 707 p.
MASPETIOL Roland, 1946, L’ordre éternel des champs, Paris, Librairie de Médicis, 589 p.
MENDRAS Henri, 1967 : La fin des paysans, paris SEDEIS, 361 p.
MENDRAS Henri, 1976, société paysannes, PARIS Armand Colin, 238 p.
MENDRAS Henri, 1984, La fin des paysans, vingt ans après, Arles, Actes Sud, 370 p.
MORITZ M., 2016, « Open property regimes », International Journal of the Commons, 10(2) :
689-708

NELEN J., TRAORE N., OUATTARA M., 2004, De la colonisation du vide à la concertation
sur le plein : Réglementation de l’exploitation d’une zone pastorale à Samorogouan, Burkina
Faso, London, IIED.

PARE L., TALLET B., 1999, « D’un espace ouvert à un espace saturé. Dynamique foncière et
démographique dans le département de Kouka (Burkina Faso) », Espace, populations, sociétés,
17(1) : 83-92.

64
PERNET François, 1987, Résistances paysannes, Grenobles au Canada », Cahiers de recherche
sociologique, vol. 5, n°1, p. 103-125.

PERRIER-CORNET Philippe (dir.), 2002,Repenser les campagnes, la Tour d’Aigues. L’aube,


280 p.

PICHOT P., FAURE G. 2009, Systèmes d‘innovations et dispositifs d‘appui pour les
agricultures africaines subsahariennes, in Actes du colloque « Savanes africaines en
développement : innover pour durer », Garoua, Cameroun, Prasac, N‘Djamena, Tchad ; Cirad,
Montpellier, France, 10p.

PISANI Edgard, 2004, Un vieil homme et la terre. Neuf milliards d’être à nourriture. La nature
et les sociétés rurales à sauvegarder, Paris, Le Seuil, 232 p.

OUATTARA F., 2010, L’inachèvement juridique et institutionnel et ses conséquences sur le


développement, Étude Récit no 33, Ouagadougou : Laboratoire Citoyennetés.

PARÉ L., 2000, Les droits délégués dans l’aire cotonnière du Burkina Faso, Paris / Édimbourg
: Gret / IIED REDFIELD Robert, 1956, Peasant society and culture, Chicago, The University of
Chicago Press, 162 p.

SAVONNET-GUYOT C., 1986, État et société au Burkina. Essai sur le politique africain, Paris
: Karthala.

SAVONNET G., 1986, « Évolution des pratiques foncières dans le Bwamu méridional », in
CROUSSE B., LEBRIS E. et LEROY E. (eds), Espaces disputés en Afrique noire. Pratiques
foncières locales, Paris : Karthala, p. 265-280.

SERVOLIN Claude, 1972, “ L’absorption de l’agriculture dans le mode de production


capitaliste” in GERVAIS Michel, SERVOLIN Claude, TAVERNIER Yves: L’univers politique
des paysans dans la France contemporaine, paris Armand Colin, p .41 -77.

SOME D.B., 2004. Les orpailleurs du Burkina Faso : exclusion sociale et rapport à
l'environnement. Thèse de doctorat de sociologie, Université Cheick Anta Diop, Dakar.
https://lc.cx/qgSi

TALLET B., 2007, « À l’arrière des fronts pionniers : recompositions territoriales dans l’Ouest
du Burkina Faso et le Sud du Veracruz (Mexique) », Habilitation à diriger des recherches
(HDR).

TCHAYANOV Alexandre, 1990, L’organisation de l’économie paysanne, Paris Librairie du


Regard, 344 p. (1924).

THEBAUD B., 2002, Foncier pastoral et gestion de l’espace au Sahel : Peuls du Niger oriental
et du Yagha burkinabé, Paris, Karthala

THIÉBA D., 2010, L’élaboration de la politique nationale de sécurisation foncière en mi- lieu
rural au Burkina, Paris : Comité technique « Foncier & développement », AFD-MAEE.

65
THUNE M., 2011. L'industrialisation de l'exploitation de l'or à Kalsaka, Burkina Faso : une
chance pour une population rurale pauvre ? EchoGéo, http://echogeo.revues.org/12535,

66
67

Vous aimerez peut-être aussi