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Comment « faire son

cinéma » dans un camp


minier du Sud-Ouest
burkinabè
Quentin MÉGRET1

« Car, au-delà de l’action mouvementée, l’enseignement


est recherché comme il reste habituel de le faire lorsqu’il
s’agit du conte et de la légende traditionnels ; le film asso-
ciant ces trois éléments : héros puissant, multiples
péripéties manifestant cette puissance et morale élémen-
taire, connaît toujours un grand succès » (Balandier [1955]
1985 : 257).

Depuis quelques années, le secteur aurifère burkinabè


connaît un véritable « boom ». Les indices les plus visibles et
médiatisés de cette recrudescence correspondent à l’arrivée
importante de sociétés minières spécialisées dans
l’exploration de l’or (Luning 2008a, 2012, Mégret 2011a) et
l’implantation de mines d’envergure industrielle, autant
d’échos significatifs de la libéralisation du secteur minier
dans ce pays (Luning 2008b, Mégret 2010). Imbriquée au
cœur de ce processus de développement sans précédent,
l’extraction moderne mais non industrielle de l’or, présente
dans toute l’Afrique de l’Ouest, est actuellement pratiquée
par plusieurs dizaines de milliers de chercheurs d’or Ouest
Africains.
Pour les riverains, l’installation d’un site aurifère constitue
une opportunité de taille. En quelques semaines, une activi-
té économique soutenue se développe à proximité de

1 Centre de Recherches et d’Études en Anthropologie, Université Lyon 2.


164|Comment « faire son cinéma » dans un camp minier du Sud-Ouest burkinabè

villages relativement peu intégrés dans l’économie de mar-


ché. L’implantation d’un camp minier stimule l’apparition et
l’intensification d’une multitude d’activités rémunératrices :
vente de denrées alimentaires locales - agriculture et éle-
vage - ou importées, commerce de biens manufacturés,
restauration, « cabarets » où l’on vend de la bière de mil,
buvettes mais aussi magasins de coiffure, de vêtements,
stands de mécanique, boutiques de téléphones portables ou
encore « vidéo-cinémas ». Au Burkina Faso, ces camps
miniers, généralement isolés des centres urbains, sont
appelés sanmatenga2. Katja Werthmann les qualifie
d’hétérotopies3 : « spaces that are both somewhere and
nowhere » (Werthmann 2010 : 113). Les orpailleurs pion-
niers sont sans cesse à la recherche de nouveaux points
minéralisés et chaque nouveau site constitue une sorte de
« micro-frontière » qui participe à la formation d’un réseau
plus vaste de camps miniers itinérants qui sont autant
d’espaces interstitiels de changement économique et social
(Grätz 2004). Si l’ouverture d’un placer déclenche une
densification soudaine des activités économiques, elle
s’accompagne également de la diffusion de styles de vie et
de modes de consommation spécifiques. Une part impor-
tante de la jeunesse trouve au « site d’or » un moyen de
gagner du numéraire, d’accéder à de nouveaux produits de
consommation, tout en découvrant et en partageant de
nouvelles références culturelles. Les camps miniers burki-
nabè se présentent ainsi comme des espaces alternatifs où
s’expriment des conceptions de la réussite, du partage et de
l’amitié qui concourent à la structuration d’une économie
morale particulière. Les orpailleurs entretiennent vis-à-vis
des entités sociopolitiques locales, nationales, voire interna-
tionales, des rapports oscillant entre refus, résistance,
ajustement et négociation (Grätz 2002).

2 En moore, la langue des Mosse, sanma : or ; tenga : terre, village, localité


(Luning 2007 : 93). Les Mosse constituent l’effectif le plus représenté parmi les
chercheurs d’or.
3 Concept que l’auteure emprunte à Michel Foucault.
Quentin Mégret | 165

« Faire son cinéma »


En exergue de ce chapitre figure une citation de Georges
Balandier. Celle-ci permet d’entrevoir quel sera le fil conduc-
teur du présent travail, derrière la formule interrogative qui
en titre le contenu : Comment « faire son cinéma » dans un
camp minier au Burkina Faso ? À partir de données ethno-
graphiques, recueillies au cours de plusieurs missions de
terrain effectuées dans la région Sud-ouest du Burkina
Faso4, je tenterai de décrire divers processus de subjectiva-
tion traduisant les dynamiques identitaires ayant cours au
sein de ces espaces.
En effet, les chercheurs d’or empruntent librement à diffé-
rentes figures, fictives ou bien réelles, contemporaines ou
historiques, un nom, un trait de caractère, des aptitudes et
attitudes, fortement valorisés dans le cadre de leur vie
quotidienne, rythmée par le travail de la mine. Les films, en
particulier ceux dits « d’action », deviennent une source
d’inspiration où les prouesses physiques, les éléments
langagiers et de vertu incarnés par les héros hollywoodiens,
occupent une place de choix. L’environnement urbain de
quelques-uns de ces films, leur cadre matériel et architectu-
ral, constitue une sorte de matrice permettant de qualifier,
de métaphoriser et d’esthétiser l’espace de la mine. En
outre, les objets, qu’il s’agisse de motos, de vêtements ou
de téléphones mobiles, participent également à la construc-
tion des identités sociales des mineurs. Enfin, l’obtention de
ces objets est médiatisée par l’argent, qui occupe ici une
place particulière.

Des pelles, des pioches et de la dynamite


Dans le Sud-Ouest du Burkina Faso, les orpailleurs prati-
quent essentiellement une extraction filonienne. Une fois
découvertes des anomalies aurifères au moyen de tests
réalisés en surface, les orpailleurs déclarent une nouvelle
« ligne », partagée en différents puits d’extraction détenus

4 Dans le cadre de la réalisation d’un travail de thèse en anthropologie à


l’Université Lumière Lyon 2 (laboratoire du CREÀ) sous la direction de Michèle
Cros.
166|Comment « faire son cinéma » dans un camp minier du Sud-Ouest burkinabè

par des propriétaires de trous. Ces propriétaires vont em-


ployer plusieurs creuseurs afin de débuter le fonçage des
puits. Le nombre de manœuvres peut largement varier d’un
« patron » à l’autre, en fonction notamment des moyens dont
celui-ci dispose5. Ici, les statuts sont souples et instables.
Ainsi, un manœuvre travaillant dans une ligne x peut être le
patron d’un puits d’extraction situé dans une autre ligne y.
Durant toute la période de recherche du filon, le patron est
chargé de nourrir ses ouvriers et de couvrir les dépenses
matérielles nécessaires à l’avancée des travaux (acheter de
la dynamite, affûter les outils6, etc.). Une fois le minerai
atteint, l’ensemble des acteurs ayant participé au processus
d’extraction et d’avancée des travaux se voit récompensé
via un partage du minerai7. Différentes tâches sont donc
nécessaires à l’extraction puis à la transformation des
ressources. Creuser, tamper (dynamiter), caler (soutenir les
tranchées), détenir un puits et assurer son exploration,
concasser, écraser (moudre) les pierres au moulin, détenir
le hangar où les minerais seront lavés, vendre ou acheter
l’or, constituent les étapes majeures de cette « chaîne
opératoire » (Leroi-Gourhan 1965).
L’économie globale d’un camp minier repose de façon
cruciale sur la présence de l’or et son prix sur le marché
mondial, des politiques minières menées à l’échelle natio-
nale, le plus souvent en accord et sous tutelle des
institutions internationales telles que la Banque Mondiale
ou le FMI (Mégret 2011b). Par ailleurs, la pérennité des
activités spécifiquement minières n’est rendue viable que
par la présence des multiples prestataires de services qui,
venus sur place pour faire du commerce, tentent de tirer

5 En fonction des revenus qu’il peut éventuellement tirer de l’exploitation


d’autres puits et des liens entretenus avec le ou les acheteurs d’or qui sont ses
créditeurs.
6 Il peut dans ce cas, en fonction des commerçants et des activités, contracter

de multiples crédits. Certains forgerons acceptent par exemple d’être payés en


nature, c’est-à-dire en minerai. Ils partagent alors les risques inhérents à cette
recherche mais se verront récompensés si les mineurs trouvent un bon filon. En
effet, ils toucheront alors leur part du riche minerai qu’ils se chargeront ensuite
de traiter eux-mêmes.
7 Il n’est pas permis de détailler ce processus ici. Pour un examen plus précis,

autour du partage du minerai comme des risques et incertitudes liés à cette


activité, cf. Grätz (2003b).
Quentin Mégret | 167

parti des retombées économiques générées par


l’exploitation du métal. Différentes tâches, que l’on retrouve
systématiquement sur les camps miniers, participent donc
pleinement à leur définition. Nombre d’échanges vont
s’ajuster à l’intérieur d’un système de dettes (Panella 2010).
Les crédits et obligations morales qui lient les mineurs entre
eux outrepassent ce cadre relationnel étroit pour s’étendre,
dans une certaine mesure, à l’ensemble des habitants des
camps miniers, traçant ainsi progressivement les contours
d’un univers socioculturel propre. Il n’est pas rare, par
exemple, de voir un détenteur de buvette faire crédit à un
mineur en manque de liquidités. Ce dernier saura lui en être
reconnaissant le moment venu, quand la pénurie aura, au
moins momentanément, cessé.

Des répertoires d’action et des personnages


subjectivés
Décrivant les caractéristiques sociopolitiques de la frontière
diamantifère angolaise, Filip De Boeck suggérait d’enrichir la
notion de frontière, telle qu’élaborée par Igor Kopytoff, afin
d’y « inclure le rapport dynamique entre les répertoires
d’action puisés localement, à l’intérieur de l’espace fronta-
lier, et ceux qui sont puisés au dehors, dans le stock des flux
globalisés » (De Boeck 2004 : 95). La rencontre entre ces
divers répertoires d’action se traduit par l’apparition de
multiples personnages subjectivés : le cow-boy, le chasseur,
le guerrier, le soldat, le marchand, le gouvernant, le saint qui
constituent différentes figures historiques de la frontière
diamantifère angolaise. Bien que le contexte des camps
miniers burkinabè soit foncièrement différent de celui de la
frontière diamantifère angolaise, la marque de tels proces-
sus de subjectivation, faisant référence à divers pôles
d’identification, à la fois locaux et globaux, s’y retrouve
néanmoins. C’est dans une optique de recherche contiguë
que Tilo Grätz a consacré un article à la description des
« différents processus identitaires qui conduisent à la forma-
tion d’un groupe de mineurs migrants à travers la
mobilisation de répertoires d’action et de styles séman-
tiques spécifiques » (2003a : 155). C’est cette voie que je
168|Comment « faire son cinéma » dans un camp minier du Sud-Ouest burkinabè

voudrais emprunter et poursuivre ici à mon tour, en prenant


appui sur divers matériaux ethnographiques.
Au sein des camps miniers, différentes figures peuvent être
reconnues et inspirantes pour leurs compétences dans leurs
champs d’activités respectifs et au regard de leurs trajec-
toires biographiques personnelles, lorsque celles-ci sont
connues. Les hommes que j’ai rencontrés sur les sites
aurifères m’ont fait part, de façon générale, de leur enthou-
siasme, voire parfois d’une certaine admiration, à l’égard
des « hommes forts » qui ont accédé à la notoriété, dans des
domaines aussi divers que l’art, le sport ou la politique. En
résonance avec ces modèles de réussite8, les orpailleurs se
prêtent des surnoms qui empruntent notamment au registre
fictionnel du cinéma, à la politique internationale ou locale,
passée ou présente. Ainsi voit-on éclore et apparaître, au
sein des camps miniers, des personnages surnommés
Colonel Delta Force, Mitterrand, Chirac, Bongo ou encore « le
Maire ». Tilo Grätz a déjà mentionné ailleurs la mise en vente
et le port de T-shirts à l’effigie de Ben Laden9 en livrant le
commentaire suivant :
« Souvent, un T-shirt est porté pour faire drôle, pas pour faire une dé-
claration ; il peut avoir été acheté parce que le commerçant n’en
avait pas d’autres à vendre – on assiste ainsi à une véritable explo-
sion de T-shirts Ben Laden en Afrique de l’Ouest » (Grätz 2003a :
160-161).

Le poids politique de certaines images se verrait donc ici


détourné à des fins humoristiques et le vêtement relégué à
sa dimension esthétique, sinon pratique. En 2012, certaines
boutiques proposaient à la vente des posters sur lesquels
apparaissaient différentes personnalités connues sur la
scène internationale. Ainsi, quelques posters détaillaient et
illustraient, clichés à l’appui, la fin tragique de Mouammar

8 Sur ce sujet, cf. le n° 82 de la revue politique africaine, coordonné en 2001


par Richard Banégas et Jean-Pierre Warnier, consacré aux « Figures de la
réussite et imaginaires politiques ».
9 J’ai moi-même fait une expérience de ce genre, sans d’abord le savoir, suite à

l’achat d’un objet usuel de consommation. Quelle ne fût pas ma surprise lors
de ma première utilisation de la torche dont était équipé le briquet que je
m’étais procuré dans la boutique d’un camp minier. En effet, sur le rond
lumineux, une sorte de diapositive représentait le visage de Ben Laden. J’ai
donc regagné mon domicile stupéfait, à la tombée de la nuit, en suivant pas à
pas, bien malgré moi, cette étrange figure illuminée…
Quentin Mégret | 169

Kadhafi à travers l’annonce suivante : « GADDAFI IS DEAD ».


Ces posters, sur lesquels figuraient différents clichés mon-
trant le visage ensanglanté de l’homme, juste après sa
capture, témoignent une nouvelle fois de l’intérêt que por-
tent les orpailleurs pour des personnages « hors du
commun », dont les itinéraires biographiques, mouvementés
et dramatiques, leur parviennent soudain sous forme
d’ « images choc » mises en scène par les médias en vue de
leur diffusion au cœur de l’actualité.
Outre les personnages militaires et hommes politiques, les
orpailleurs s’inspirent de musiciens rap tels que 2pac,
Eminem ou, dans un genre musical davantage reggae,
d’Alpha Blondy et de Tiken Jah Fakoly, dont ils connaissent
par cœur les paroles de certains morceaux à forte connota-
tion politique10. Quelques footballeurs sont également
fortement appréciés. C’est le cas par exemple de Didier
Drogba (footballeur ivoirien évoluant dans le championnat
anglais, avant de rejoindre un club turc) ou de Samuel Eto’o
(footballeur camerounais qui évoluait au sein du champion-
nat anglais, avant de partir jouer dans un petit club russe,
racheté récemment par un milliardaire). Ces musiciens et
sportifs partagent des destinées hors du commun. Alpha
Blondy comme Tiken Jah Fakoly partent régulièrement en
tournée et voyagent au-delà des frontières du continent
africain. Didier Drogba comme Samuel Eto’o ont particuliè-
rement réussi à s’imposer en jouant dans les clubs de
football les plus prestigieux d’Europe. Ce sont des hommes
habiles et talentueux dans la discipline qui leur a permis
d’accéder à la renommée. Ils sont connus et reconnus
internationalement11. Grâce aux « vidéo-clubs » installés sur

10 Par exemple, l’extrait ci-dessous du titre « Plus rien ne m’étonne », tiré de


l’album « Coup de gueule » (Barclay, 2004) de Tiken Jah Fakoly : « Si tu me
laisses l'uranium/ Moi je te laisse l'aluminium/ Si tu me laisses tes gisements/
Moi je t'aide à chasser les Talibans/ Si tu me donnes beaucoup de blé/ Moi je
fais la guerre à tes côtés/ Si tu me laisses extraire ton or/ Moi je t'aide à mettre
le général dehors/ Ils ont partagé le monde/ Plus rien ne m’étonne… ».
11 Eliane de Latour précise, à propos des surnoms que se donnent les ghetto-

men ivoiriens : « Le nom hérité des parents peut se transmettre par filiation
avec des enfants conçus dans le ghetto, mais le nom de ghetto, inventé, qui, s'il
est associé à la force, au courage, à la générosité, se propage par les fistons.
Porter son nom, le faire "croître", c'est porter son destin, sortir de l'anonymat
des "inessentiels" » (2001 : 166). Lorsqu’un mineur fait fortune, la nouvelle se
170|Comment « faire son cinéma » dans un camp minier du Sud-Ouest burkinabè

les sites aurifères, nombreux sont ceux12 qui suivent avec


attention les différentes coupes et championnats européens
- en particulier la « Champion’s league » qui oppose les
meilleurs clubs européens - dont les matchs sont retransmis
en direct. J’ai eu l’occasion, à de multiples reprises,
d’écouter les hommes échanger autour des compétences de
tel ou tel footballeur, de sa capacité à dribbler et à effacer
ses adversaires, à se démarquer ou à exécuter certains
gestes techniques réputés difficiles.

Jeune orpailleur installé sur sa moto, décorée à la gloire du footballeur


Samuel Eto’o. Site aurifère de Bantara, décembre 2011.

répand comme une traînée de poudre. Les orpailleurs disent : « il a fait sortir
son nom du site ».
12 Les habitants des camps miniers comme les jeunes gens des villages

attenants, qui aiment aller flâner, plus ou moins fréquemment, au site d’or.
L’admiration que ces joueurs de football suscitent pourrait sans doute être
élargie à un grand nombre de jeunes hommes burkinabè, par exemple les
étudiants ouagalais avec lesquels j’ai eu l’occasion d’échanger sur le sujet.
Quentin Mégret | 171

Les orpailleurs s’inspirent également de sportifs mondiale-


ment connus tels que Mike Tyson13, star américaine de boxe
au caractère « bien trempé », à l’intérieur comme en dehors
du ring, modèle de puissance physique par excellence. Ils
suivent également, parfois avec assiduité, les combats de
catch, notamment le célèbre Batista, un catcheur américain.
Qu’il s’agisse de boxe ou de catch, on retrouve ici un goût
prononcé pour les sports de combat, où les valeurs de
combativité et de courage sont mises en exergue. À propos
du catch, je me souviens fort bien d’un court entretien
réalisé à ce sujet avec un jeune orpailleur, fan du catcheur
Batista, une anecdote significative que je retranscris subs-
tantiellement et de mémoire ci-dessous :
− Fan de Batista : « Mais Batista et les autres, comment on appelle
ça déjà ce qu’ils font ? »
− Moi : « Tu veux dire le… catch ? »
− Fan de Batista : « Oui, c’est ça, le catch ! Dis-moi, c’est pour de vrai
ou alors ils font semblant ? »
− Moi : « Et bien, d’après ce que je sais, ils ne combattent pas pour de
vrai, ils font semblant, c’est juste pour le spectacle. »
− Fan de Batista : « Ah, d’accord, c’est ce que je pensais. Mais ils sont
forts quand même ! On dirait tellement que c’est vrai ! »

Cet échange inopiné me semble extrêmement intéressant.


En effet, le catch est à la fois une pratique sportive et une
performance théâtrale scrupuleusement mise en scène. La
réussite de ce show télévisé tient évidemment à l’effet
produit sur le spectateur. L’une des clés de la performance
du catcheur est de jouer précisément un rôle qui donne
l’illusion que tout se passe « pour de vrai ». De prime abord,
les indices qui permettent de penser le contraire ne sont pas
aisément décryptables, ils interrogent la force de persuasion
des acteurs et des images ainsi que le rapport entre réel et
fiction.

13 Un surnom qui rappelle le champion de lutte de Pikine, justement surnommé


« Tyson ». Ce lutteur est rapidement devenu un modèle d’identification des
jeunes générations sénégalaises et leader charismatique du mouvement « bul
faale » (« T’occupe pas ! »), cf. Jean-François Havard (2001).
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Jeune orpailleur portant un T-shirt à l’effigie du catcheur américain Batista.


Site aurifère de Fofora, Juillet 2009.

Hong Kong et sa déclinaison vernaculaire


Les propriétaires de « vidéo-cinémas », au sein desquels les
orpailleurs se rendent fréquemment durant leur temps libre,
diffusent des films tout au long de la journée et jusque tard
dans la nuit, suivant des programmations plus ou moins
fixées à l’avance. Le lieu consiste en un hangar pouvant
accueillir une cinquantaine de personnes. Un poste de
télévision, ainsi qu’un lecteur de DVD & Div-X, alimentés au
moyen d’un groupe électrogène, permettent l’émission des
sons et des images. Si ces dernières sont réservées aux
clients, qui se sont acquittés d’un droit d’entrée - générale-
ment de 100 FCFA -, le son est, en revanche, dispensé à
Quentin Mégret | 173

l’ensemble de la population de la zone d’habitation et de


commerce du campement. Haut-parleurs et enceintes
diffusent alors avec grand fracas le son de musiques issues
de clips mais aussi les bandes son de films provenant des
quatre coins du monde. Ce tapage participe à l’ « ambiance »
du site, importante pour les mineurs, car s’il y a l’ambiance,
c’est que « la colline joue14 » et vice-versa.
L’environnement urbain de certains films, leur cadre maté-
riel et architectural, est également susceptible de constituer
une matrice permettant de requalifier, de métaphoriser et
d’esthétiser l’espace de la mine. Prenons une image forte,
issue du film d’action « Piège à Hong Kong » (traduction
française du titre original « Knock off ») du réalisateur chinois
Tsui Hark et avec comme acteur phare Jean-Claude Van
Damme. Comme son titre l’indique, le film se déroule à Hong
Kong, dans une ville où l’architecture est parmi les plus
modernes au monde. De nombreuses scènes du métrage
présentent des combats qui mettent en péril les protago-
nistes en les faisant évoluer, par exemple, au sommet
d’échafaudages installés contre les gratte-ciels de la ville.
Hors, parmi les techniques de soutènement mises au point
pour atteindre les filons, il y a ce que les orpailleurs appel-
lent le système « Hong Kong ». Ce système « Hong Kong » est
une forme d’échafaudage vertical dont la caractéristique est
d’être une sorte de « gratte-terre », c’est-à-dire la forme
exactement inversée du célèbre « gratte-ciel ».

14 Comme dans les « maquis » où l’on écoute de la musique et où l’on danse. La


« colline joue » suivant un tempo dicté par les explosions de « far away » (bâtons
de dynamite), lesquels ont un coût monétaire extrêmement élevé. La fréquence
des détonations donne un indice quant à la présence de l’or, la qualité et la
richesse des filons exploités. Dire que la « colline joue », c’est signifier le fait
que l’ambiance à l’intérieur du camp va être « chaude » car, quand les mineurs
ont les moyens, ils savent « faire le show jusqu’au bout de la nuit ».
174|Comment « faire son cinéma » dans un camp minier du Sud-Ouest burkinabè

« Hong Kong ». Vue de l’extérieur. Site aurifère de Fofora, décembre 2011.

« Hong Kong ». Vue de l’intérieur. Site aurifère de Fofora, Juillet 2009.


Quentin Mégret | 175

Cette dénomination correspond bien à la « capture » d’un


symbole urbain : les immeubles Hong Kongais. Les orpail-
leurs requalifient ainsi leurs tranchées et constructions en
leur conférant une valeur esthétique inspirée de modèles
architecturaux extrêmement modernes, visualisés à travers
les films. Comme me le disait avec humour un orpailleur :
« Nous aussi, on a notre Hong Kong ! » À travers le cinéma,
les orpailleurs trouvent des images qui leur permettent de
symboliser leur propre monde. Ils deviennent alors, de façon
métaphorique, les nouveaux héros du film « Piège à Hong
Kong », par correspondance avec un univers et par analogie
avec les compétences des acteurs auxquels les orpailleurs
sont susceptibles de s’identifier. Un « caleur » s’est par
exemple vu attribuer le surnom Jah Bruce,en référence
d’une part, au dieu du reggae, un style musical qu’il affec-
tionne tout particulièrement, et d’autre part, au célèbre
acteur Bruce Lee, avec qui il partage une grande souplesse
et une agilité lorsqu’il s’agit de descendre et de remonter en
un temps record les différents « étages », appelés « cales »,
qui composent le « Hong Kong ». Cette compétence lui vaut
d’avoir été surnommé ainsi. En effet, pour tout mineur, il
s’agit d’une disposition physique indispensable, en particu-
lier lorsque ceux-ci posent les bâtons de dynamite appelés
« far away », une expression15 qui ne laisse aucun doute sur
la nécessité de quitter les lieux en un temps record une fois
la mèche allumée. Car, au-delà de la métaphore et contrai-
rement aux acteurs hollywoodiens, c’est bien leur vie que les
mineurs mettent en jeu lorsqu’ils atteignent une certaine
profondeur. Dans Afrique ambiguë, G. Balandier (1957 :
101) soulignait déjà le rapport métaphorique qui unit la
mine et le combat : « Un mineur tué sous les éboulements
du puits qu’il creusait, c’est un guerrier abattu pendant la
bataille ».
Au delà des scénarii proposés par les films d’action, ce sont
les gestes, notamment ceux des scènes de combat, les
formules et certains traits de caractère des personnages
(témérité, courage, combativité, invincibilité, ingéniosité) qui

15 Vraisemblablement empruntée aux orpailleurs ghanéens.


176|Comment « faire son cinéma » dans un camp minier du Sud-Ouest burkinabè

attirent l’attention des spectateurs16. Prenons par exemple


la production « Hard Target », traduit en français par
« Chasse à l’homme ». Dans ce film, réalisé en 1993 par
John Woo, le héros, à nouveau Jean-Claude Van Damme, se
retrouve traqué par des millionnaires qui organisent des
chasses à l’homme pour leur divertissement. Un orpailleur
qui travaille au sein d’une équipe a repris une réplique de ce
film qu’il prononce parfois juste avant de s’enfoncer dans
les galeries : « Allez, jusqu’à la mort ! » une sentence qui,
tout en soulignant que le labeur au fond des puits n’est pas
sans danger, tend à dédramatiser la situation. Car faudrait-il
alors rappeler que cette référence est sortie tout droit d’un
univers fictionnel au sein duquel le héros finit toujours par
s’en sortir indemne, où les méchants meurent « pour de
faux » et où finalement, la morale est sauve.
Autre exemple, avec cette fois-ci une vedette américaine :
Chuck Norris. Au cours des différents volets des films intitu-
lés « Delta force », le lieutenant colonel Mc Coy, interprété
par Chuck Norris, un membre du commando d’élite « Delta
Force », est envoyé en mission à travers le monde pour
neutraliser de dangereux terroristes et autres barons de la
drogue. Suite au visionnage de ce film par ses amis proches,
« Delchant », un orpailleur aguerri d’une trentaine d’années,
s’est vu surnommé « Colonel Delta Force » de par la proximi-
té phonétique du prénom « Delchant » avec celui de « Delta ».
Delchant est considéré avec respect par ses pairs en raison
de sa longue expérience des camps miniers, des rouages,
des ruses et astuces du travail de la mine. Lorsque ses
connaissances le croisent, ils s’exclament : « Colonel Delta
Force, l’homme qui a fini avec son boulot ! » une expression
amicale qui traduit sur un ton humoristique une certaine
déférence à l’égard du personnage. Si les films visionnés
voient certaines de leurs séquences devenir « cultes » en
accédant à une adoption collective, d’autres passages
peuvent êtres extraits individuellement et participer à

16 Rémy Bazenguissa-Ganga note à ce propos : « Ces images cinématogra-


phiques et télévisuelles influencent les membres des catégories sociales
précises dans la mesure où elles renforcent leur rapport au corps propre en
tant qu’il est dépositaire de la vision du monde social » (1999 : 337).
Quentin Mégret | 177

l’élaboration des idiosyncrasies17. À chaque fois que


j’accompagnais, durant une pause, le Colonel Delta Force
dans une buvette, je l’entendais régulièrement prononcer
avec humour une phrase après avoir bu d’un trait son « déo-
dorant »18. Scrutant son verre vide avec un air de
circonspection, il s’exclamait en esquissant un sourire :
« Souvent, je m’étonne moi-même ! », une citation dont il a
fini par m’expliquer qu’elle était tirée d’un film - dont il n’a su
retrouver le titre - dans lequel l’acteur Jean-Claude Van
Damme prononçait ces quelques mots après avoir englouti
d’un trait un verre de whisky.

De gauche à droite : Chirac, Jah Bruce et le Colonel Delta Force.


Site aurifère de Fofora, avril 2008.

17 Eliane de Latour remarque à propos des jeunes Ivoiriens : « Les jeunes se


projettent individuellement à travers des mythologies qui mêlent les valeurs
anciennes, celles du kung fu, de l’idéal petit-bourgeois, du rastafari, du hip hop,
des actions héroïques qui conduisent au surpassement, "comme au cinéma" »
(De Latour 2005 : 473-474).
18 Un autre code langagier propre aux orpailleurs. Chaque mineur choisit le

cocktail (nescafé, cigarettes, liqueurs, bière de mil ou manufacturée, cannabis,


etc.) qui lui permettra d’être « à l’aise » au travail. Certains cocktails, appelés
généralement « déodorants », ont aussi des noms spécifiques.
178|Comment « faire son cinéma » dans un camp minier du Sud-Ouest burkinabè

« Monter à la colline »
Dans l’extrait tiré du texte intitulé « les techniques du
corps », Marcel Mauss définit à l’aide de cette expression
« les façons dont les hommes, société par société, d’une
façon traditionnelle, savent se servir de leur corps » (Mauss
1950 [1936] 365). Pour rendre plus précis le sens de cette
notion, l’auteur propose une série d’exemples ethnogra-
phiques qui dévoile l’importance d’une catégorie de
phénomènes encore classée à cette époque dans la ru-
brique « faits divers ». L’un de ces exemples - le texte en
regorge - retiendra plus particulièrement notre attention :
« Une sorte de révélation me vint à l’hôpital. J’étais malade à New
York. Je me demandais où j’avais déjà vu des demoiselles marchant
comme mes infirmières. J’avais le temps d’y réfléchir. Revenu en
France, je remarquai, surtout à Paris, la fréquence de cette dé-
marche ; les jeunes filles étaient Françaises et elles marchaient
aussi de cette façon. En fait, les modes de marche américaines,
grâce au cinéma, commençaient à arriver chez nous. » (Mauss 2008
[1936] : 368).

Les jeunes, filles et garçons, ne rejoignent pas les camps


miniers uniquement pour y trouver de nouvelles ressources.
Ils s’y rendent également par goût du voyage, de l’aventure
et de la découverte. Contrairement aux villages riverains où
le contrôle social est omniprésent, les camps miniers sont
des lieux où s’expriment plus librement d’autres conceptions
de la réussite, de la consommation ou encore du partage, de
la confiance et de l’amitié. La mine constitue en ce sens un
espace ouvert aux recompositions identitaires. Comme le dit
ce patron de puits aurifères : « Le site transforme
l’homme ! » À Sanmatenga, tout un chacun est en mesure
d’apprendre, d’adopter et de modifier ses façons de parler,
de s’habiller, de boire, de manger ou de se déplacer (qu’il
s’agisse de marcher ou encore de rouler19) :
« Ici, en tous cas, je suis à l’aise, tu sais c’est comme à Abidjan, tu te
promènes, tu n’as pas affaire à quelqu’un, ici c’est le : « qui me con-

19 À combien de reprises ai-je entendu mes camarades me souffler des


réflexions du type : « Regarde celui-ci, il a une moto bien neuve ! Tu vois, il ne
sait même pas bien passer les vitesses. S’il s’amuse, il va tomber ! C’est allé
trop vite pour lui ! Tu es villageois et le lendemain tu as des millions ! Ah les
orpailleurs, c’est pas la peine ! » (Discussion avec Oussou, site de Bantara,
décembre 2011).
Quentin Mégret | 179

naît ? ». Je me lève quand je veux, je prends mon argent, je vais


prendre mon café, je tourne sur le site. Quand tu as goûté, tu ne
peux plus retourner au village. Ça te fait mal de retourner au vil-
lage ». Discussion avec un jeune orpailleur au site de Fofora. Février
2008.

On voit bien, à travers cet extrait, à quel point la vie au camp


minier permet de s’adonner à de nouveaux « arts de faire »
(De Certeau 1980) à travers l’action et le mouvement20. De
fait, ces lieux ont un pouvoir d’attraction très fort21. Ils cons-
tituent des espaces permissifs, où la possibilité de
s’affranchir des normes et structures traditionnelles devient
soudain tangible. Ces expériences, auxquelles « goûtent » les
jeunes gens qui rejoignent les camps miniers, s’incorporent
et deviennent des habitudes dont il est difficile, par défini-
tion, voire désagréable parfois, de se séparer (« ça te fait
mal de retourner au village »).
Le pouvoir d’attraction des camps miniers semble lié égale-
ment à la présence de produits et d’objets de
consommation que l’on ne trouve nulle part dans les villages
environnants. Les camps miniers offrent de ce point de vue
matière à de multiples processus de subjectivation. Jean-
François Bayart et Jean-Pierre Warnier22 ont mis en avant le
fait que tout groupe ou réseau présente ses modes de
subjectivation à travers une culture matérielle propre (Bayart
& Warnier 2004). On pourrait dire, en suivant la piste initiée
par ces auteurs, que les orpailleurs, sans toutefois pré-
tendre à une quelconque exclusivité, sont des humains-
GSM, des humains-moto ou des humains-bouteilles de
bière. Ces modes de subjectivation, qui n’ont, à y regarder
de loin, qu’un caractère somme toute commun, se déploient
avec dynamisme dans le contexte rural burkinabè, au sein

20 J’ai pris la liberté de surligner les différents verbes d’action et verbes


sensitifs mentionnés dans l’extrait d’entretien.
21 Katja Werthmann cite l’un de ses interlocuteurs, qui lui précise : « Gold

mining is like an addiction. Even if you want to quit, you cannot » (Werthmann
2008 : 60). Ce type de propos est en effet très récurrent. L’auteure montre
ensuite que la consommation, en particulier lorsqu’elle est prodigue, n’a rien
d’irrationnelle. Elle permet plutôt d’introduire et de maintenir l’économie
morale des camps miniers.
22 Le lecteur attentif au vocabulaire et notions employés notera que ce passage

s’inspire très nettement des travaux du groupe « Matière à penser », et des


thèses développées sous l’impulsion en particulier de Jean-Pierre Warnier.
180|Comment « faire son cinéma » dans un camp minier du Sud-Ouest burkinabè

duquel l’accès aux biens de consommation demeure encore


assez restreint23.
Il est possible, sans chercher à être exhaustif, de dresser
une sorte d’inventaire des accessoires avec lesquels les
orpailleurs composent assidûment : les référents vestimen-
taires, influencés par l’esthétique du rap américain
(pantalon large, « treillis », T-shirts à l’effigie des stars du rap
américain, chaussures de sport, casquettes, paires de
lunettes de soleil appelées « verres »), colliers et bracelets
(imitant le caractère éclatant du métal précieux), téléphones
mobiles (désormais un pour chaque réseau de communica-
tion), motos et, complément éphémère mais non moins
prestigieux de cette panoplie, bouteilles de bière de luxe.
Cette association d’objets, leur maniement24 comme
l’utilisation qui en est faite25, identifie localement
« l’orpailleur ». Au-delà de l’interconnaissance qui caractérise
le quotidien d’un bourg comme Kampti, les villageois se
trompent rarement, et le plus souvent, contrairement à
l’adage, il faudrait, tout en restant prudent, « se fier aux
apparences » car, en l’occurrence, « l’habit fait l’orpailleur ».

23 Les commerces qui s’établissent sur les sites aurifères entraînent une forte
diversification des objets, au regard en particulier de l’absence de vente de ce
type de marchandises dans les villages environnants. Cependant, un nombre
croissant d’orpailleurs, ayant gagné suffisamment d’argent au site d’or,
implante des boutiques (vêtements, téléphones mobiles, motos) dans les
bourgsà proximité desquels ils ont « fait fortune ». C’est désormais le cas pour
Kampti, chef-lieu de département du même nom, dans la région Sud-Ouest du
Burkina Faso. Précisons que la majeure partie des matériaux sur lesquels
repose le présent article provient d’investigations menées au sein des camps
miniers situés dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres autour de Kampti.
24 Prenons une anecdote personnelle. Avant de me rendre à Kampti en 2008,

j’avais acheté à Ouagadougou une mobylette afin de faciliter mes déplace-


ments. Les orpailleurs avec lesquels je me suis lié d’amitié m’ont tôt fait
comprendre que ce moyen de locomotion, son modèle et sa marque, corres-
pondait à un « choix de fonctionnaire ». Dès que cela leur a été possible, ils ont
pris soin d’équiper cette mobylette de poignées aux couleurs vives et de faire
pivoter en avant mon guidon d’une bonne dizaine de centimètres. Le même
jour, lorsque je suis rentré à Kampti, en fin d’après-midi, plusieurs personnes
m’ont fait constater, avec un brin d’ironie, que j’étais « vraiment devenu un
orpailleur ». Lorsque j’ai finalement replacé mon guidon dans sa position
initiale, les orpailleurs m’ont fait remarquer, à leur tour : « Mais regarde-toi, tu
ressembles à un vieux comme ça ! »
25Un exemple extrême : garder sa casquette vissée sur la tête ou ne pas retirer

ses lunettes de soleil lors d’un échange de salutations, quel que soit le statut
de la personne à laquelle on fait face.
Quentin Mégret | 181

« Descendre en ville »
L’accès aux processus de subjectivation par l’acquisition
d’objets est largement médiatisé par l’argent, lequel permet
donc une forme d’extension des conduites motrices incorpo-
rées, offrant par là même la possibilité de se distinguer
socialement. Qu’en est-il de l’argent lui-même ? En effet, la
symbolique et la valeur d’équivalence abstraite de l’argent,
ce qu’il permet de convertir en biens, ne doit pas faire
oublier sa matérialité, incarnée ici par le billet de banque. Au
Burkina Faso, la monnaie officielle est le franc CFA. Le billet
de banque dont la valeur est la plus forte est de 10 000
FCFA (environ 15 euros). Ce billet est parfois surnommé « le
craquant », en référence à la sonorité émise par le papier
lorsque ses deux extrémités glissent l’une sur l’autre sous la
pression des doigts à l’intérieur de la main. Non froissé et
usé par le passage répété de main en main et de poche en
poche - peut-être imputé à une circulation plus faible du
billet - « le craquant » renvoie au tri sélectif des usages que
ce billet opère de par sa valeur intrinsèque. À priori, ce billet,
lorsqu’il « craque », n’a pas fait l’objet d’un nombre de tran-
sactions important, il est fraîchement sorti d’un
établissement bancaire et n’a pas eu le temps de voyager
entre d’innombrables mains. Détenir « le craquant », sans
avoir les mains tremblantes, et pouvoir en dépenser la
valeur, c’est en quelque sorte « avoir évolué » en se rappro-
chant de la source de richesse que symbolisent les
banques.
« Descendre en ville » et aller dans un maquis requiert
« d’avoir une poche assez forte ». Pour « faire la vie », les
chercheurs d’or doivent donc, dans un premier temps,
« monter à la colline » pour y chercher l’or/l’argent. Puis, ils
redescendent en ville pour y faire la fête, boire des bières
fraîches, manger de la viande grillée et partager leurs
« feuilles » (autre synonyme des billets de banque) avec les
« go » (les filles) de Kampti.
182|Comment « faire son cinéma » dans un camp minier du Sud-Ouest burkinabè

Scène de partage des profits, en numéraire, entre différents patrons (appelée


« sélection »), responsables d’un même puits d’extraction. Site aurifère de
Fofora, mai 2008.

Aux mises en objet et aux conduites qui s’y attachent, valori-


sées dans l’enceinte des camps miniers, répondent les
perceptions que les habitants des villages environnants ont
des comportements des orpailleurs et vice-versa. De même,
les medias burkinabè, comme du reste les responsables
administratifs et politiques ou les travailleurs du dévelop-
pement, dépeignent régulièrement les sites aurifères
comme des lieux de déchéance et de dépravation, une
vision unidirectionnelle qui contribue à la marginalisation
des habitants des sites miniers. À écouter les discours
proposés par une frange de la population riveraine des sites
aurifères, la communauté minière, perçue comme un tout
homogène, est stigmatisée, méprisée parfois. Au Burkina
Faso, les orpailleurs sont surnommés « tang ramba26 »et

26 En moore, la langue des Mosse : tang : colline ; ramba : gens. Cette expres-
sion traduite a donné le titre de l’excellent documentaire de Berni Goldblatt,
tourné dans un camp minier implanté sur la colline de Diosso au Burkina Faso
et intitulé « Ceux de la colline ». Les « exploitants artisanaux » ghanéens qui
exploitent illégalement l’or sont, quant à eux, surnommés galamsey. Gavin
Hilson et Natalia Yakovleva précisent que la traduction littérale du terme
correspond à : « gather them and sell »(Hilson & Yakovleva 2007 : 100).
Quentin Mégret | 183

sont souvent considérés comme des drogués, des fous, des


bandits : des « gens sans foi ni loi ». En guise de réponse, les
orpailleurs ont une forte conscience d’eux-mêmes et de
l’image qu’ils renvoient. Ils n’ignorent pas les accusations
dont ils sont les cibles, s’en plaignent ou s’en amusent, et
jouent parfois sur le registre du « bad boy ». En ce sens, ce
sentiment d’exclusion renforce la valorisation de conduites
et contribue à l’élaboration d’un « ethos » du chercheur d’or
(Cros & Mégret 2009).Au campement, puis à l’extérieur,
lorsque les orpailleurs se déplacent en « ville » pour y para-
der et consommer, les attributs matériels constituent autant
de potentielles mises en objet symbolisant la réussite.
Mais, vu sous un autre angle, ce type d’observation fait écho
aux études portant sur les processus de stigmatisation.
Dans l’introduction à son célèbre ouvrage consacré aux
stigmates, Goffman s’attache à définir celui-ci comme suit :
« Les Grecs, apparemment portés sur les auxiliaires visuels, inventè-
rent le terme de stigmate pour désigner des marques corporelles
destinées à exposer ce qu’avait d’inhabituel et de détestable le sta-
tut moral de la personne ainsi signalée. Ces marques étaient gravées
au couteau ou au fer rouge, et proclamaient que celui qui les portait
était un esclave, un criminel ou un traître, bref, un individu frappé
d’infamie, rituellement impur, et qu’il fallait éviter, surtout dans les
lieux publics » (Goffman 1975 [1963] : 11).

On s’aperçoit, à travers cet extrait, à quel point le stigmate,


marqueur de différence et d’assignation, passe par la vue et
l’inscription sur le corps. Il est envisageable d’ajouter, à
cette gamme des stigmates, les postures et les conduites
motrices qui, quoique bien difficiles à décrire, sont por-
teuses de jugements moraux. Il s’agirait donc de rendre
compte des multiples conduites motrices et mises en objet,
indissociablement liées à l’ethos qui leur correspond, qui
participent à la consolidation de lignes de jugement, tout en
encourageant et en alimentant, dans certains cas, le ressen-
timent et l’aversion. Cette situation est résumée de façon
laconique et tranchante par un jeune orpailleur avec qui je
m’entretenais lorsque celui-ci me confia, à propos des
villageois : « Eux et nous, c’est pas la même chose ». Ce type
d’assertion sèche et brève conforte l’ethnographe soucieux
d’opérer conceptuellement une catégorisation du monde
184|Comment « faire son cinéma » dans un camp minier du Sud-Ouest burkinabè

social à partir des discours recueillis27. Pour autant, cela ne


procure aucune « matière » apte à saisir ces démarcations
en actes, ce qui permettrait d’étoffer la compréhension des
processus par lesquels des individus se constituent en
groupe ayant une forte conscience d’eux-mêmes. C’est
précisément ce type de remarque qu’émet Jean-Pierre
Warnier, longtemps (1984) après avoir assisté à une fête
rituelle organisée annuellement par la chefferie des hauts
plateaux, à Mankon au Cameroun :
« Tout cela, je l’ai vu sans pouvoir le verbaliser, sans qu’aucun « in-
formateur » ne puisse m’en faire la théorie […] Ces pratiques sont
peu verbalisées, et l’entretien cesse de produire de l’information là
ou commencent les techniques du corps en action » (Warnier 1999 :
64).

S’atteler à une observation toujours plus fine, détaillée et


rigoureuse, des « techniques du corps en action ». Voilà une
piste ethnographique prometteuse et qui mériterait d’être
approfondie afin de poursuivre ce travail de recherche.
Cet article visait à donner à voir, à partir d’une série
d’exemples ethnographiques, de quelles façons différentes
figures et lieux, véhiculés entre autres par les films d’action
diffusés localement, peuvent faire l’objet d’une adaptation
vernaculaire et participer aux constructions identitaires des
mineurs. L’expression « faire son cinéma » se justifie de
manière métaphorique par le recours à certaines images
vues et sons entendus, fragments choisis d’un corpus
cinématographique. Les orpailleurs ne réalisent pas à pro-
prement parler de films mais ils en visionnent et deviennent
en ce sens eux-mêmes des créateurs.
Ils puisent et sélectionnent des images, des discours, des
citations ou des conduites morales, autant d’extraits sujets
à réinterprétation, autant de repères anodins sur lesquels ils
s’appuient chaque jour. À leur manière, dans un contexte
aussi singulier que les sites aurifères burkinabè, les mi-
neurs, avec humour, parodient les images et les sons,

27 Dans le cadre de son étude sur les sociétés d’origine servile en Mauritanie,
Olivier Leservoisier insiste bien sur l’importance de la « réflexion sur les
catégories conceptuelles, qui est au cœur de la démarche anthropologique, (et)
doit être un travail permanent afin de conserver un regard critique sur un objet
d’étude particulièrement soumis aux préjugés » (Leservoisier 2005 : 105).
Quentin Mégret | 185

détournent peut-être parfois la gravité de l’exercice périlleux


qui est le leur et impulsent un sens, qui leur appartient
pleinement, à leur expérience quotidienne. Les différentes
figures énumérées ne sont pas vénérées et ne constituent
pas des modèles « purs » d’identification. Elles forment
plutôt une sorte de corpus hétéroclite, qui, du local au
global, du fictif au réel, témoigne d’un rapport et d’une
présence au monde (Ferguson 2006), tout en favorisant la
consolidation des relations de camaraderie et le sentiment
de partage à travers l’élaboration de styles sémantiques, de
codes de conduite, qui transcendent les appartenances
locales et ethniques au profit d’une certaine idée du « vivre
ensemble ». Ce phénomène témoigne d’une dynamique
identitaire forte qui concourt à la structuration et à la cohé-
sion du groupe. Cette habileté à mobiliser des images, des
sons, des ambiances et à produire en écho des styles spéci-
fiques constitue aussi une manière de s’affirmer dans un
contexte politique et économique fragile, lorsque la précarité
et l’incertitude font partie du quotidien, une quête créative
et émancipée qui permet de conférer un sens original à
l’univers de la mine.

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