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I

t' 1

Ecole Pratique des Hautes Etudes ' --


Travaux Pratiques interdisciplinaires
-
CEN!?'1'{E D GTUDES AFXICAINES
u__-
I974/1975
-A--

------ de
&Lroches la société sénoufo (Nord de la Côte d'Ivoire)
PI-
-_.

Exposé de M. J. J A N I N
-L_--------

/-----

I. Programme, perspectives de recherche


I) Position : La recherche a été
----I_
effectuee dans le cadre de l'ORSTON, au
cours d'un séjour de deux ans en Côte d'Ivoire, dont I4 mois sur le ter-
rain, dans la région de Korhogo, préfecture du département du Nord, située
2 700 km d'Abidjan - ville de 35 O00 h . , peuplée aux 2 / 3 de Sénoufo.
il

----
2 ) Choix : Le choix du terrain et de l'ethnie fut suggéré par quelques memd
bres du Comité technique d'ethnologie de l'ORSTOI\IIpour plusieurs raisons.

a) Avec une population estimée près de 600 O00 h. (y compris l e s Djimini


et l e s Tagwana), une densité de 80 2 I O 0 h/km2 dans la zone dense de Kor-
hogo, et un territoire ethnique qui couvre le 1/6 de la superficie de la
Côte d'Ivoire, les Sénoufo représentent en quelque sorte la deuxième ethnie
de Côte d'Ivoire (après les Baoulé). Malgré ce potentiel humain, ils r e s -
teilt mal connus. L'indigence des études entreprises jusqu'alors est moins
le fait de leurs auteurs que de contraintes d'approche, voire de structure
de la société sénoufo, I1 s'agissait donc de "parfaire le savoir" s u r
celle-ci.

b) Depuis qu-elques années, des conseillers et experts auprès du Ministère du


Plan préconisent le développement agricole du nord, jusqu'alors négligé
p o u r des raisons politiques, en se fondant notamment sur :
- le réservoir de main d'oeuvre que constitue la zone dense de Korhogo;
- la réputation du Sénoufo : paysan"travailleur, habile, docile, économe et
s6 dentaire I' ;
- la relative richesse du réseau hydrographique;
- la possibilité de défrichement et d'extension des terres cultivables.

Ceci s'est notamment traduit par des actions récentes :


- Construction de barrages visant .G accroître le potentiel rizicole
(SODERIZ, financement R.D.A.).
- Création d'un complexe agro-industriel (sucre) &. Ferkéssédougou (SODE-
SUCRE, financement anglo-américain, L O N R H Q ) .
- Extension de la zone cotonnière et développement de la culture attelée
(C.I.D.T., projet Banque Mondiale).
- Eradication de l'Onchocercose, endémie dominante, (O.C.G.E. -
ORSTGM,
financement O.M.S.).
- Enfin, symboliquement, voire politiquement, cette priorité s'est tra-
duite par le voyage du Président Houphouet-Boigny au mois de mars 1974,
par lequel il inaugurait ses tournées à l'intérieur.
O. R. S.T. O. {il. F d s Cücumentaire
Ho : A3 I S 5
1 Cote 5 B
q;t t i
- 2 -

Cette brusque ilIlportance donnée au développement de la région


nord permettait 5 un ethnologue ou 6 un sociologue de saisir chaud les
transformations sociales, de repérer les résistances, les destructurations 3.
ou les restructurations. Elle devait en outre faciliter l'accès aux s o u r -
ces de documentation et les rapports avec l'administration locale.
c) Enfin et d'un point de vue ethnologique, les Sénoufo étaient réputés
pour leur organisation initiatique, l e p o r o , dont la structure restait
ignorée. L'étude de l'initiation s'inscrivait dans celle des classes d'âge
et rejoignait les recherches compkratives de D. Paulme.
Divisés en une dizaine de sous-ethnies, les Sbnohfd sont surtout red
marquables par duux d ' entre elles, démographiquement, Qconomiquement et
politiquement prépondérantes, qui se partagent en g r o s la zone dense de
-
Korhogo : l e s Kienibara (60 O00 - N/Vd de Korhogo), et les Nafara (70 O00
E/S/E de Korhogo). Bien que géoiraphiquement proches, quelquefois imbri-
quées, ces deux ethnies accusent des traits d'organisation sociale diffé-
rents, voire oppos6s, et le choix des Kiembara se fit en quelque sorte en
"négatif" puisque des recherches CNRS étaient en cours en pays Nafara.
Cette situation avait l'avantage d'oPfrir des éléments de coraparaison immé-
diats qui pouvaient associer et/ou reproblématiser les deux recherches.

3 ) Problématique et repérage de l'objet : A la suite d'enquêtes déjà faites


-----__.

sur les Kikilyu, et en France s u r une catégorie de chasseurs-piégeurs - étu-


des de sociétés en crise qui avaient permis, par des raccourcis, d'appréhenr
der des canaux de distribution et des faits de confiscation de valeurs cul-'
turelles, en somme de repérer le jeu des savoirs-dire et des pouvoirs-dire -
la recherche fut envisagée selon une double perspective :

a) -----
Interne : étude du système et de la théorie de l'éducation - mise en évi-
dence des rapports sociaux de communication (qui dit quoi B qui ?), de subor.
dination (qui peut dire quoi h qn& 3 ) qta54devait abou.$&@ &-A&cmnstitution
d'une géographie et d'une histoire des discours sociaux : temps et lieux
sociaux de la parole. I1 s'agissait donc d'étudier la distribution sociale
du capital culturel et de repérer le principe d'articulation entre les
structures de codification, de coiilmunication et de subordination.

--
b) Externe : l'introduction, la superposition d'un système d'éduc3tion
d'origine htrangère provoque selon 1a"logique de la violence symbolique"
la mise entre parenthèses de certains acteurs qu'il :&-agfit; de situer, le
désajustement de certaines instances, des cassures sémantiques. Ces transfor-
mations peuvent servir de révélateurs B des tensions et 5 des disharmonies
intgrnes, l'adoption par certains groupes bu catégories d'un système - ou
d'une partie de système - symbolique autre pouvant constituer un moment
d'une stratégie sociale visant 5 instituer, confirmer ou renverser des rap-
ports de force.
Malgré l'académisme reproché au départ, ce programme fut bien accueilli
par les sociét6s de développement, B qui il fut communiqué par l'intermé-
diaire de L'ORLTOM et du Plinistère de la Recherche scientifique, dans la
mesure où :
- il devait mettre en évidence les processus de décision, utile pour l'ap-
plication d'opérations intégrées telles que : culture attelée-culture du
coton.
- il devait situer les autorités pedagogiques et par conséquent définir une
politique de l'encadrement.
- il devait faciliter la tâche de la télévision extra-scolaire, en repérant
ceux qui avaient droit 5 la parole et qui pouvaient, dès lors, &tre investis
d'une fonction exemplaire.
i r

Ces demandes ne firent qu'accroître les contraintes de I'enqubte et


les sollicitations d'encadreurs ou d'assistants des sociétés de développe-
ment.

Pour la première perspective, l'organisation initiatique sénoufo, le


pqro, était l'objet-cible de la recherche. D'après la littérature, il pa-
raissait être une l'véritable école de brousse", une entreprise de marquage
sociale, économique, politique du Sénoufo. Bien que bousculé par les cultes
messianniques de Massa (1952) et Moussa (19621, il conservait une pertinence
idéologique, surtout remarquable dans la région de Korhogo, précisément
chez les Nafara'et les Kiembara. Les mécanismes de défense et le jeu du ser.
cret différèrent toutefois son étude et obligèrent 6 utiliser des détours.

--- - : parenté et alliance


II. L'échange problématique ---.u-----

I> Le "matricentrismerl: Tout rapport de parenté et d'alliance s'inscrit,


--
--u_---

se définit et s'organise dans le cadre idéologique du sando& lldlesprittf :


appareil protecteur imaginaire du stock rituel de chaque narigba (matrili-
gnage) appelé Xésur, codé et contrôlé par les ancêtres -
kulubèlè du li- -
gnage. I1 s'incorpore socialement dans le sandogo "devinv1dont la fonction
est de lire et de repérer les facteurs de déséquil$bre, provoqué par tout
rapport sexuel, potentiel ou réel, vu comme souillure - --
fÔrÔ; qui se traduit
et se manifeste au sein du narigba par la maladie - tiéfuru qui atteint
------ -
llenfant en bas Sge. En accord avec le chef de lignage -
narigbafolo- qui -
détient, par sa proximité généalogique avec le monde des ancêtres, le savoir
--
des composantes et exigences du sandogo "d'espritI1, il recherche la coupable
r&elle ou imaginaire et fixe le moment et les modalités de l'actiÕz purifi-
catrice - yapitre - -
dont le "tauxf1 cikpagi -
est défini une fois pour touteE
dans chaque lignage. I1 est évalué en cauris, e t / o u en poules, moutons, chè-
vres, égorgés par la plus vieille femme du lignage, ménopausée (donc sexuel-
--
lement neutre et neutralisée) s u r le sandoï, pierre ou ensemble de pierres
situées 6 l'extérieur du village : actions qxi réequilibrent et font recou-
vrer au sandogo
-u__ - son efficacité symbolique.
Ce système de représentation paraît traduire un "complexe sexuel"
perçu comme désorganisation d'un ordre dont le --- sandogo est l'opérateur,
qui pourrait &tre la conséquence d'une société matrilinéaire oc la tenta-
tion sociale de l'inceste est forte -
pui6,que Ifépouse sociale idéale est
la soeur : le rapport au mari ne peut alors être en théorie qu'un rapport
sexuel, d'oh son importance sociale et la nécessité de le contrÔlcS s u r un
plan rituel et symbolique. En fait, le mari ou l'homme extérieur peut, par
ce rapport, perturber et compromettre l'équilibre ,et l'intégrité du
par la constitution d'une descendance qui, biologiquement, lui (le yésur
échappe en partie, d'od l'attention quasi maniaque que les Kiembara fixent
7
s u r les maladies des enfants. I1 s'agit moins de guérir et de sauver l'en-
--
fant que de sauver et de guérir lléquilibre du gé&r dont le sandogo cons-
titue en quelque sorte la "sonnette d'alarme".

Sandog!
-uI

KulubBlé
YI_- -.. -> 6 Pesur <--.
--
cikpagi
- narigbafolo . "

-fôrô- f*
E
Yapèré
---
M/
-, I "*

tiéfuru
j ?
Devin
I -

l l
2) Qstèmes ----
d'alliance : Le système d'alliance sénoufo est marqué B ses ex-
I trémités par deux modèles symétriques et inverses :

----
a) le ty6porq-p : seule forme de mariage sénoufo avec cessior définitive d'une
femme, soeur ou nièce, un autre narigba ou A un autre katiolo (quartier)'
-I-

contre une forte compensation matrimoniale. La d-escendance est acquise au


matriltgnage preneur. Du fait de la dot et de son importance, ce type de mz-
riage est réservé aux notables.

-----
b) 1: kékourougou : d'origine nafara, se caractérise par une résidence nato-
locale et par la circulation géographique des hommes - les enfants restent
avec la mère. Sa récente diffusion en pays Kiembara oÙ il était auparavant
inconnu s'explique par 13 des cadets.

-
c ) le segbotio : de segbo : champ collectif, lignage fonsateur; typiquement
Kiembara, il est lié-à l'organisation du travail et au p o r o , ainsi qu'à la
structure de l'habitat (katiolo composé de plusieurs matrilignages ou segments
---u_

de matrilignages). I1 accuse trois modèles élémentaires :

I) Le diafotio ou tofotio : mariage avec la cousine croisée patrilatérale.


Le pèredonne sa n?èce -5 son fils (les Kiembara sont virilocaux). Deux con-
séquences importantes :
- ce type de mariage préférentiel provoque une brèche dans le système matrili-
néaire puisque le fils du fils appartient au lignage du père du père et en
hérite par l'intermédiaire du frère de la mère,
le même homme est A l a fois fournisseur et bénéficiaire des prestations
requises pour le mariage. I1 est coutume en effet que ce soit l'oncle ou le
père de l'époux qui prenne en charge l e s prestations que reçoit l'oncle de L
l'épause. Dans le diafotio, il se trouve que le père de l'époux est en m&me
temps l'oncle de l'hpouse.

2) Le ?--narbatio modèle 1 : la femme est donnée par l'oncle, g6néralement


la niGce du mari de la soeur, L'oncle ne peut en effet donner sa fille B son
neveu du fait du mariage possible avec son épouse A sa mort : le neveu devien-
drait alors m 6 x i et --
père des filles de l'oncle ( 5 noter l'appellation : l e s
enfants de mon oncle sont mes enfants qui m'appellent père - j'appelle sa
femme mon épouse, et elle m'appelle mon mari).

3 ) Le narbatio, modèle 2 : mariage avec la femme de l'oncle maternel au dé-


cès de-celui-ci.
1

La dot, de même que le libre choix du conjoint, sont absents de ces


modèles matrimoniaux. Les femmes sont données par les chefs de lignage ou de
quartiers contre des prestations en travail sur le champ collectif, dans le
cadre du ----
tiologo (phase centrale de l'initiation au poro),

III. Conclusions
Malgré une pratique et une idéologie matrilinéaires (affirmées notamment
et symboliquement dans le ---
p o r o o h certaines épreuves simulent l'accouchement
par la vieille mère du village - -
kahatiéléo des jeunes initiés; ainsi que
dans le sandogo qui paraît centré s u r la problématique de:la reproduction,
des relations sexuelles, et de la position de la femme prise dans le jeu con-
-- et de soeur), la société sénoufo accuse des distorsions
tradictoire d'bouse _I_-

structuralement (cas du diafotio) ou historiquement (exemple dioula) mar-


quées qui l'ont mené, en certains endroits (région de Boundiali), s u r le ver-
sant patrilinéaire. Pourtant, l'étonnante diffusion du kékourougou en pays
Kiembara confirme l a m a t r i l i n é a r i t é e t s i e x p l i q u e p a r l e f a i t que l e f r è r e c L c
c a d e t p e u t maintenant " f a i r e l e porof1 en mgme temps que s o n a h é i mais dans
un a u t r e v i l l a g e ( a u p a r a v a n t il d e v a i t l ' a t t e n d r e s o n tour: s o i t 7 ans), La
l'double r é s i d e n c e I f impliquke p a r c e t t e t r a n s f o r m a t i o n du mijde de r,ecrutemerít
d e s c a d e t s s o v i a u x a u p o r o f a v o r i s e e n quelque s o r t e l e u r déracinement e t
l e u r m o b i l i t é en dédoublant l e u r s c a d r e s de r é f é r e n c e e t en c r é a n t un espa-
c e q u i l e u r permet de mieux s e mouvoir e t de mieux s ' a f f r a n c h i r des f%ieuxff
de l e u r v i l l a g e d ' o r i g i n e . La c i r c u l a t i o n e t l a s u p e r p o s i t i o n d e s v a l e u r s
e t des codes i m p l i q u é s p a r l a double r é s i d e n c e , t a n t s o c i a l e (kékodrougopt
l e c a d e t p e u t en e f f e t o b t e n i r une femme, dans l e c a d r e de s o n i n i t i a t i o h s
du v i l l a g e d ' a c c u e i l ) que r i t u e l l e ( b o i s s a c r é , s e r v i c e s f u n é r a i r e s , s a c r i -
f i c e s ) désamorcent l a p u i s s a n c e e t l a s i g n i f i c a t i o n de l ' a p p a r e i l idéologie
que t r a d i t i o n n e l que s o u l i g n a i t l e c a d r e r e s t r e i n t mais t o t a l i s a n t de l a
corrimunautb v i l l a g e o i s e , e t a u t o r i s e n t une l f d i s t a n c i a t i o n " c u l f u r e l l e e t symbo
l i q u e q u i p e u t a l l e r p a r f o i s j u s q u ' à l a r e m i s e en q u e s t i o n .

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