Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
com
Retrouver ce titre sur Numilog.com
A mafemme.
A la mémoire de monfrère.
LA COLONISATION
ET L'AGRICULTURE EUROPÉENNES
EN TUNISIE
depuis 1881
Retrouver ce titre sur Numilog.com
Retrouver ce titre sur Numilog.com
LA COLONISATION
ET L'AGRICULTURE EUROPÉENNES
EN TUNISIE
depuis 1881
ÉTUDE DE GÉOGRAPHIE
HISTORIQUE ET ÉCONOMIQUE
IMPRIMERIE NATIONALE
1961
Retrouver ce titre sur Numilog.com
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
LES CONDITIONS GÉNÉRALES
DE L'AGRICULTURE EN TUNISIE
Par ailleurs, une autre étude faite par le Service Météorologique des Tra-
.vaux Publics sur le rythme des précipitations en 24 heures (période 1901-1945)
montre que le nombre des jours très pluvieux, — ceux où il tombe plus de
20 mm en 24 heures —intervient dans le total de la pluviosité annuelle pour
1/4 à 1/3, davantage même lorsque ce total est très faible.
Retrouver ce titre sur Numilog.com
En ce qui concerne les chaleurs estivales, leur intensité aussi bien que leur
durée sont remarquables. Les variations du maximum absolu sont fonction
du sirocco, qui étend parfois sur la Tunisie entière les masses d'air brûlant
provenant du Sahara. Ces influences désertiques agissent évidemment davan-
tage au sud de la Dorsale. Mais la température moyenne des étés reste élevée,
même pendant les années les plus « fraîches », qui sont plutôt caractérisées, au
nord de la Dorsale, par un raccourcissement de la saison chaude.
La comparaison d'un été excessif, comme celui de 1945, avec un été frais,
comme celui de l'année 1951, montre que le facteur le plus variable du climat,
malgré l'intensité des chaleurs engendrées par le sirocco, demeure la durée
decette saison pendant laquelle les températures se maintiennent à une moyenne
de 20 à 28°. Les chaleurs, en 1945, n'ont pas été, dans l'ensemble, beaucoup
plus fortes, mais elles ont duré, dans le Tell, un à deux mois de plus qu'en
1951 (cf. température moyenne du mois de mai).
Retrouver ce titre sur Numilog.com
C'est ainsi que la mesure des quantités d'eau perdues par évaporation
annuelle sur une jachère nue ordinaire ou sur unejachère travaillée, en assole-
ment biennal, a donné à TUNIS 315 mm d'eau pour la jachère continue,
175 mm pour la jachère ordinaire bien entretenue... Ces résultats montrent
la différence qui sépare l'évaporation réelle d'un sol argilo-calcaire, dans les
conditions de milieu et de climat des cases lysimétriques du Service Botanique
et l'évaporation théorique mesurée à l'évaporomètre Piche à Tunis (qui est
quatre ou cinq fois plus forte). Ils montrent aussi l'influence exercée par cer-
taines façons culturales (labours d'entretien, « mulch » et destruction des mau-
vaises herbes...) (1)
Une remarque du même ordre, mais concernant l'influence du tapis végétal,
peut être faite à propos des chiffres reproduits par MONTLAUR (2).
Evaporation d'une jachère (après blé) = 356 mm
— d'une culture de blé après jachère = 649,8 mm
Là encore, nous demeurons loin des résultats obtenus à l'évaporomètre
Piche.
Les « indices d'aridité », tels que l'indice classique établi par DE MARTONNE
P
—I = T __| IQ où P représente la moyenne de la pluviosité annuelle et T,
la moyenne des températures (1) ou le «quotient pluviométrique » d'Emberger
P
— Q = M2 —M2 X 100, où M et m sont les maxima et minima moyens
des mois extrêmes (2) — reposent sur des données qui ont le tort,
dans un pays où la pluviosité est aussi irrégulière et irrégulièrement répartie
dans l'année, de ne refléter qu'un aspect des choses souvent fort éloigné de la
P
réalité concrète. Le coefficient d'aridité de J. DUBIEF — D = où Ej
représente l'évaporation journalière mesurée à l'évaporomètre Piche —(3)
P
100 E- + 12 pe
ou l'indice établi par CAPOT-REY : - oùp et e sont la pluviosité
et l'évaporation du mois le plus humide (4), font intervenir l'évaporation
mesurée et le nombre de jours théoriquement nécessaire à la disparition des
réserves d'humidité apportées par la pluie. Ils sont plus proches, peut-être, de
la réalité, en pays sec, à condition toutefois que l'évaporation et les quantités
d'eau retenues effectivement par les sols à l'issue des précipitations — ruis-
sellement et infiltrations déduits —puissent être connues et mesurées, ce qui
est rarement le cas.
Ne citons que pour mémoire l'indice de « pluvio-efficacité » ou les bilans
hydrologiques de THORNTHWAITE,que PREZIOSIa essayé d'adapter à la Tunisie,
mais dont la complexité mathématique et l'apparente précision ne reposent
en définitive que sur des expériences faites dans un milieu déterminé et valables
pour celui-ci (5).
Quant au graphique « ombro-thermique » de GAUSSENet BAGNOULS(6), s'il a
le mérite de donner une vision plus directe des périodes de sécheresse et de leur
répartition ou de leur importance, il ne fait que nous ramener à notre point
de départ, en indiquant l'irrégularité de cette répartition et l'impossibilité
(1) DE MARTONNE « Nouvelle carte mondiale de l'indice d'aridité » in « Annales de
Géographie », 1942, pp. 241-250.
(2) DE' MBERGER « Sur une formule climatique applicable en géographie botanique »,
C. R. à l'Académie des Sciences, 1930, pp. 389-391.
(3) J. DUBIEF « Évaporation et coefficients climatiques au Sahara ». Travaux de l'Ins-
titut de Recherches Sahariennes, 1950, pp. 13-44.
(4) CAPOT-REY « Une carte de l'indice d'aridité au Sahara français » in « Bulletin
de l'Association des Géographes Français », 1951, pp. 73-76.
« Les limites du Sahara Français » I. R. S., t. VIII, 1952, pp. 23-47.
(5) C. V. THORNTWAITE « The climate of North America according to a new classi-
fication » Geogr. Review, 1931 p. 631-655. « An approach forward a rational classification of
climate » ibid., 1948, p. 55-94. J. GENTILLI « Une critique de la méthode de Th. pour la
classification des climats » in « Annales de Géographie » 1953, p. 180-185. PREZIOSI « Le
climat de la Tunisie » C. R. 3e journée Hydraulique Alger, pp. 81-87, 1954.
(6) H. GAUSSEN et F. BAGNOULS « L'indice xéro-thermique » in « Bulletin de l'Asso-
ciation des Géographes Français », 1952, p. 10-16. H. GAUSSEN « Théories et classification
des climats et microclimats », VIne Congrès International de botanique, 1954, C. R.
pp. 125-130.
Retrouver ce titre sur Numilog.com
Retrouver ce titre sur Numilog.com
Retrouver ce titre sur Numilog.com
(1) Cf. GINESTOUS,« Les condensations occultes», Rev. « La Tunisie agricole ».Janv. 29.
(2) J. DESPOIS« L'Afrique du Nord ». Paris, 1949, p. 21.
(3) Ouv. cité, « Les limites du Sahara français ».
Retrouver ce titre sur Numilog.com
2) Lesressourceshydrauliques.
Onpeut résumer aisément les ressources offertes à la vie agricole par
le réseau hydrographique naturel existant en Tunisie, et qui, par sa
pauvreté et son caractère souvent inorganique ou temporaire, crée
lui aussi de délicats problèmes à ses utilisateurs éventuels.
Au nord même de la Dorsale, où les cours d'eau atteignent le plus
souvent la mer, possèdent vallées et lits presque réguliers, les immenses
variations du débit, la violence de l'érosion et l'importance du trans-
port solide et du colmatage, qui en sont les corollaires, rendent néces-
saires d'envisager à la fois les problèmes dela retenue des eaux et ceux
deleur évacuation.
Il en est ainsi dans le vaste bassin de la Medjerda, cours d'eau qui, avec
sesaffluents-oueds Mellègue, Tessa, Siliana —draine, sur plus de 20oookm2,
unesérie demassifset delarges vallées intérieures, et s'achève dansuneplaine
deltaïque basse et plate.
Sujette àdescruesformidables, qui fontvariersondébit dequelquesmètres
cubesen étiage jusqu'à plus de 1800 m3/seconde, la Medjerda recouvre de
ses eaux débordées la plaine de Souk-el-Arba-Souk-el-Khémis ou de vastes
secteurs de sa plaine terminale. Mais en temps normal, elle coule dans ces
mêmes zones entre des berges à pic hautes de plusieurs mètres, tandis que
d'épaisses couches d'alluvions peu perméables ferment et isolent les dépres-
sions voisines, caractérisées ainsi par leur mauvais drainage et souvent par la
présencedesols lourds ousalés.
Au nord de la Medjerda, les cours d'eau de Kroumirie ne sont que des
torrents montagnards la plupart du temps; maislorsque le reliefs'y prête, les
plus longs d'entre eux constituent également, dans les échancrures littorales
qu'ils ont comblées, des plaines basses mal draînées —Tabarka, Nefza —.
Les oueds Sedjenane, Tine et Djoumine, qui se déversent dans la plaine de
Mateur, anciengolfecolmaté, neréussissentpastoujoursàatteindre, àl'époque
des crues, les terres marécageuses bordant la Garaet Ichkeul.
Si l'on se rapproche au contraire de la Dorsale, la sécheresse climatique
accrue, jointe à l'irrégularité caractéristique des précipitations, commence
à provoquer une désorganisation au moins saisonnière du réseau hydrogra-
phique. L'oued Kébir change denomdans la traversée dela plaine du Fahs,
dont certaines annexes sont occupées par des sebkras permanentes; et l'oued
Miliane qui prend la suite, ne parvient même pas régulièrement à la mer
en été; il lui arrive de s'infiltrer complètement dans les couches littorales
sablonneuses par oùs'achève le bas-Mornag. Ce qui n'empêche pas le même
cours d'eau d'inonder parfois avec une violence catastrophique les parties
inférieures de cette plaine de remblaiement alluvial —environs de Saint-
Germain—.
Ausud de la Dorsale, l'irrégularité des oueds s'accroît au point que
l'état normal de leur lit est une sécheresse à peu près complète,
Retrouver ce titre sur Numilog.com
(1) BERKALOFF,MANDUECHet TIXERONT. Observations sur les apports solides des cours
d'eau. Etudes d'hydraulique et d'hydrologie. Direction des Travaux Publics. Tunis, 1954,
P. 9-
Retrouver ce titre sur Numilog.com
Plusieurs hypothèses ont été émises concernant l'origine des nappes arté-
siennes où s'alimentent les oasis du Djerid en particulier — nappes « fos-
siles » ou bien nappes vivantes, recueillant les pluies d'immenses bassins
désertiques, qui chemineraient sur des centaines de kilomètres entre les couches
imperméables du sous-sol. — De grandes nappes viennent affleurer aussi en
contre-bas du seuil de Gabès, nappe thermale à El Hamma, et celle qui donne
naissance à la belle rivière de Gabès, entre ses falaises argileuses. La nappe
artésienne de Zarzis a dû être libérée par l'homme. A Mareth comme à Gafsa,
il semble que les eaux souterraines proviennent des régions dominantes. Dans
la péninsule que forme, au nord du Nefzaoua, le rivage du djebel Tebaga
de Kébili, les populations locales vont chercher, depuis des millénaires, l'eau
précieuse des couches souterraines en forant les extraordinaires aqueducs
enterrés que sont les « foggara », pratiquées aussi à l'est de Gafsa (1). C'est
à travers toute la Tunisie que les nappes, libres ou captives, jouent un rôle
considérable. Plus, en particulier, le régime hydraulique superficiel tend à
comporter de larges aires inondées périodiquement, mal drainées, plus l'endo-
réisme est fréquent, et plus les nappes souterraines sont alimentées et abon-
dantes, surtout si elles sont soutenues par la mer ou par des sebkras (Basse-
Medjerda, Soliman, La Manouba, plaine de Kairouan). Du fait même que
l'alluvionnement est intense, que les oueds transportent vers les parties basses
des plaines les argiles les plus fines, ces dernières formeront des écrans imper-
méables, au-dessus ou à l'arrière desquels, au fur et à mesure de la progression
des cônes de déjection vers l'aval, les couches de matériaux plus grossiers (sables,
graviers...) emmagasineront des réserves d'eau importantes.
Les analyses hydro-pédologiques confirment clairement cette disposition
(Basse-Medjerda, plaine de Kairouan) : dans les zones où s'accumulent
actuellement les apports fluviatiles, les couches de texture plus fine (limons
et argiles) supportent généralement celles de texture plus grossière, de même
qu'en surface elles se trouvent à l'aval de celles-ci. La progression des apports
d'amont en aval entraîne le recouvrement graduel des couches imperméables,
en même temps que l'exhaussement du sol alluvial et l'allongement du profil...
Mais quand on a affaire à ces nappes recélées dans des couches alluviales
et proches d'un niveau de base, les eaux y sont souvent salées, du fait que s'y
concentrent les apports minéraux et que l'écoulement souterrain lui-même
se fait mal. La basse-vallée de la Medjerda, celle de l'oued Miliane, les
bassins de Mateur, El Aroussa, Pont-du-Fahs, Smindja-Moghrane, Sainte-
Marie du Zit, la plaine de l'Enfida, les cuvettes de Sidi-Bou-Zid, Maknassy,
du Gamouda, et surtout la basse-plaine kairouanaise renferment toutes des
nappes souterraines à faible profondeur, qui contribuent à imperméabiliser
et à saler superficiellement les parties les plus basses des terrains. C'est ainsi
d'ailleurs que la Tunisie, pauvre en eau, se trouve, surtout dans le Nord,
aux prises avec des problèmes de drainage et d'assèchement...
(1) On notera l'extrême ancienneté de ces pratiques. Oasis et même foggara sont con-
nues dans une haute antiquité, ainsi qu'en font foi les auteurs latins (Pline l'Ancien,
Lucain, Corippe...). Le texte de Corippe (la Johannide) attestant l'existence des fog-
gara dès ces siècles lointains ne paraît avoir été relevé par aucun spécialiste. Cet auteur
a pourtant parlé (chant IV) de l'Africain qui, haletant de soif « erre à travers les sables
brûlants et dans sa détresse atteint, en fouillant le sol, les ondes mêmes du Styx ».
Retrouver ce titre sur Numilog.com
3) Sols et végétation.
a) Tell septentrional.
Les pédologues ont reconnu, au nord-ouest du pays (Krou-
mirie-Mogod) une première catégorie de terres nettement indivi-
dualisées, du fait de la pluviosité surabondante. C'est la zone
des sols « lessivés », dont la végétation naturelle est demeurée
l'une des plus intactes, parce que les sols gréseux ou argileux,
pauvres en sels nutritifs, accidentés de surcroît, sont difficilement
cultivables. Les phytosociologues qualifient d'étage humide ce type
exceptionnel devégétation, le seul qui, enTunisie, comporteuneforêt
fermée et dense de grands arbres —chênes-lièges, vert, zéen, afarès,
kermès; échantillonsd'arbres derégiontempéréeplusfroide, commele
tremble, le peuplier, l'aulne —avecunsous-boisabondantlui-même :
bruyèreetfougèresurtout,cistes, arbousier,etc... et unestrate herbacée
encore riche.
b) Les différents sols enclimat subhumide.
Sousunepluviosité moyenne de 550à800mm,les «terres noires»,
ainsi appelées parce qu'elles sont riches en humus, sans calcaire, de
coloration foncée due enpartie aux oxydes, de texture fine, avec ten-
dance à former des mottes (Bizerte, Aïn Chellal, Le Munchar, Béja,
Le Krib, Téboursouk, Nebeur) forment transition entre le Tell
humide et le Tell semi-aride. La végétation naturelle n'y existe plus
guère, parce que la mise en culture de ces bonnes terres fertiles est
complète. Elle devait comporter une strate arborescente importante
—chênes en particulier —, réduite aujourd'hui à des boisements
d'oliviers et de lentisques, le plus souvent buissonnants, et l'on n'a
plus qu'une prairie où les précipitations hivernales font se multiplier
vigoureusement les plantes à tubercules.
Ces terres noires voisinent, sur les pentes favorables au ruisselle-
ment, avecles «rendzines »decouleur plus claire, caractérisées par la
proximité d'une roche-mère calcaire constamment attaquée, mais
aussi par le départ constant des sols calcaires ainsi formés, au long
de pentes assez fortes pour rendre impossible l'accumulation en
épaisseur de l'humus (1). Les rendzines sont des sols constamment
rajeunis, mais fixés normalement par une végétation de brousse à
olivier sauvage, cistes et lentisques, avec une strate herbacée abon-
dante. On les trouve aux environs de Souk-el-Khemis-Beja-Tébour-
souk, jusque dans la région de Tébourba. Elles sont propices à la
culture; leur dénudation les exposeà être détruites outransformées enterres à
croûte.
(1) V. planches pp. 66, 67.
Retrouver ce titre sur Numilog.com
d) Le Sahel.
Il faut considérer à part les sols de la région sahélienne, plus
humide et moins chaude, au relief sensible, au moins dans la partie
centrale : Sahel de Sousse. Au sommet de certaines buttes-
témoins, comme les Kalaa, puissamment entaillées par l'érosion,
subsistent encore des tufs extrêmement épais, horizontaux et régu-
liers, qui donnent au paysage un aspect tabulaire caractéristique,
parce qu'ils protègent les roches sous-jacentes; ces croûtes dénudées
d'âge ancien, ne portent plus de sols, non plus que les hautes pentes
attaquées par l'érosion, qui ont été dégagées après leur disparition.
Par contre, dans les vallonnements et les dépressions déblayées se
sont accumulés les matériaux enlevés aux parties supérieures, et sur-
tout des quantités de limons rougeâtres, d'origine éolienne en partie,
qu'une pluviométrie très capricieuse découpe enravins àbords abrupts
à fond tapissé de sables (i). Le Sahel soussien est encore assez humide
pour que sa végétation originellesoitcelledel'étage subhumideplutôt quedela
basse-steppesèche-pins, lentisques, oléastres, graminées saisonnières, etc...
—mais, à partir de Mahdia, la sécheresse de plus en plus grande
donne un paysage de transition. Cette frange côtière méridionale —
jusqu'aux environs de Maharès d'une part, de Bou Thadi de l'autre,
légèrement adoucie et humidifiée par les influences maritimes, et qui
reprend aux environs de Zarzis (péninsule des Accaras), possède des
sols légers et minces, plus riches en humus dans certaines dépressions
(sols à jujubiers), mais fortement éolisés et de couleur claire. Les
sables ne s'accumulent en dunes que sur certains points du littoral
(Nord de Sousse, La Chebba, Sfax), mais ils apparaissent constam-
ment, à partir du golfe de Hammamet, lorsqu'en bordure de cette
mer littorale sans profondeur, les apports fluvio-éoliens de l'arrière-
pays et l'aridité lagunaire conjuguent leurs effets (littoral de l'Enfida,
littoral de Maharès-La Skhira...).
PREMIÈRE PARTIE
LA TUNISIE
AVANT L'INTERVENTION FRANÇAISE
Retrouver ce titre sur Numilog.com
Retrouver ce titre sur Numilog.com
qu'avant 1865 (1). Les Oulad bou Ghanem, tribu maraboutique de plus de
3000 tentes avant 1864 furent totalement ruinés et dispersés par la famine
et le choléra (2).
2. Nomadisme : Campemt
Retrouver ce titre sur Numilog.com
»
m
1i 3. Labour et attelage
ché Combès
1 4. Ancien olivier (Djerba)
Retrouver ce titre sur Numilog.com
B. — LA PROPRIÉTÉ DU SOL
Il est du plus haut intérêt de connaître les formes de la propriété
rurale avant le Protectorat. De nombreux ouvrages ont abordé ce
point (i), mais aucun ne l'a vraiment traité à fond, parce que, sur bien
des questions, juristes, historiens et économistes ne sont pas d'accord.
L'origine et même la nature des droits revendiqués par telle ou telle
catégorie de propriétaires ne sont pas toujours élucidées.
La Tunisie de 1881 était un pays musulman, doté d'institutions
issues du droit coranique, mais ce droit lui-même ne faisait que refléter
un état de choses économique et social imposé à la fois par la géogra-
phie et par l'histoire tunisiennes. Il faut aussi noter la décrépitude dans
laquelle était tombé tout l'ensemble des institutions, parallèlement au
déclin des forces productrices et des anciens genres de vie, dans un
pays dépeuplé et ruiné.
Du point de vue juridique, il y aurait eu deux sortes de terres en
Tunisie : les « terres mortes », terres vaines ou vagues, qui sont « celles
qui ne produisent rien et ne sont la propriété de personne » (2)
— déserts, sols incultivables, massifs forestiers —, et les terres vivifiées
par l'homme. Distinction claire en apparence, mais distinction
insuffisante.
Que l'on se réfère aux discussions soulevées par le problème des « terres
collectives », terres de tribu, où n'existent ni limites, ni titres de propriété
individuels, parce qu'il n'y a ni cultures, ni exploitations sédentaires ou per-
manentes. Appartenaient-elles aux tribus ou bien au souverain? Le pro-
blème, longtemps posé en ces termes, était différemment tranché suivant
que l'on voulait ou non y voir des « terres mortes », donc propriété du souve-
rain. Or, sur ces terres « collectives », pâturage et mêmes cultures sporadiques
demeuraient pratiqués, et d'autre part il existait une appropriation de type
collectif. Le concept juridique doit être éclairé par des considérations géo-
graphiques : nombreuses, avons-nous vu, sont les régions de la Tunisie centrale
et méridionale où le climat et le sol ne se prêtent pas à la culture permanente.
Dans ces régions, à la frontière de la steppe sèche et du désert, la limite des
« terres mortes » est imprécise et d'ailleurs variable suivant les époques. Une
tradition musulmane voulait que toute terre laissée en friche pendant trois
années consécutives retournât aux « terres mortes ». Dès lors, bien des contes-
tations devenaient possibles au sujet de ces terres non ou mal appropriées,
et de leurs contours exacts. Sur les « terres mortes », le souverain disposait de
droits spéciaux, en particulier le droit de les donner en concession — ou
« iktaa » —C'est dans ce droit exercé par le souverain en tant que chef de la
communauté musulmane que se trouve l'origine des droits « domaniaux »
sur les forêts, les mines ou les salines, mais il est à noter que, même en « terres
mortes », les populations locales conservaient des droits incontestés : le
parcours, la pâture, la cueillette des fruits sauvages, l'abreuvoir. Selon Buthaud,
il s'ajoutait à ces droits ceux, particuliers aux sols forestiers, de charbonnage
ou de récolte des bois de charpente et de travail (i).
Au regard de la plupart des juristes musulmans, le souverain ne pouvait
concéder que l'usufruit des terres appartenant à la collectivité, dans la mesure
où l'intérêt général justifiait de telles concessions; le sol même ne pouvait être
approprié que là où il y avait eu vivification réelle et au profit des vivificateurs, moyen-
nant une redevance à verser au « Bit-el-Mal » — (Trésor Public Musulman)
—ce que POUYANNEappelle un « droit d'entrée ».
Aux « terres mortes » s'opposaient les « terres vivantes », c'est-à-dire
pourvues d'une personnalité et appropriées. Mais s'il est vrai que
la vivification d'une terre « morte » crée le « melk », parce qu'alors il
s'agit de plantation, de construction, de travaux hydrauliques —
puits, canalisation, etc... — et que le paysan-planteur a payé la rede-
vance qui lui donne accès à la propriété personnelle pleine et entière,
il existait des catégories intermédiaires entre la terre « morte », au
sens vrai du terme, c'est-à-dire la terre qui n'appartient effective-
ment à personne, et le « melk » véritable.
a) Le « melk » véritable :
En ce qui concerne le « melk », son étendue et sa consistance
peuvent être assez aisément reconnues. Il s'agissait de terres réguliè-
rement et traditionnellement mises en valeur, situées dans les régions
les plus peuplées et les plus favorisées sous le rapport du sol, des eaux,
comme des relations humaines. Le « melk » existait dans le Sahel,
dans le Cap-Bon, à proximité des villes, dans les oasis et dans toutes les
zones de vie sédentaire. Il était, comme la culture et l'organisation
sociale, fonction du sol et du climat, mais aussi de la capacité des
groupes humains et surtout de l'État tunisien à faire respecter leur
loi. Là où dominaient la plantation, la culture irriguée, le jardinage, en
rapport avec des agglomérations importantes et des secteurs d'écono-
mie différenciée, la propriété se morcelait et s'individualisait à
l'extrême, tout en demeurant souvent une propriété familiale et
indivise, comme il résulte de toutes les observations faites.
BONNIARD, étudiant le Tell septentrional, écrit : « Dans les pays andalous
et près des villes, on ne compte plus par « méchia » (10 ha), mais par « merja »
(4 à 6 ares) » (2).
(1) E. BUTHAUD,« Les droits d'usage en pays forestier tunisien ». Bulletin économique
et social de la Tunisie, mars 1953, pp. 98-108.
(2) « La Tunisie du Nord : le Tell septentrional ». Chapitre II, p. 356. Paris, 1934.
Retrouver ce titre sur Numilog.com
(1) Mot signifiant domaine et aussi très fréquemment ruines. Le henchir recouvre
sans doute de très anciennes structures agraires (comme les « Saltus » romains).
(2) Cette « Surface cultivée » paraît correspondre à celle qui était visiblement labourée
et ensemencée dans l'année, mais la pratique de la jachère pâturée implique l'exis-
tence de surfaces cultivées plus ou moins régulièrement beaucoup plus considérables.
Retrouver ce titre sur Numilog.com
au 1/5. Ces « occupants » ne sontpas des serfs, puisqu'ils ne sont pas liés à la terre
mais ils ne sontpas nonplus des locataires, puisque nul ne peut les chasser du sol
où ils sont installés « de père en fils ». Les liens qui les unissent au maître du
domaine sont plutôt ceux d'une clientèle envers un « patron », clientèle tenue à
des redevances en nature, qui varient avec l'état de la récolte, avec les bonnes
et les mauvaises années, et non au paiement d'une location fixe.
Les rapports des Officiers des Affaires Indigènes, auxquels nous avons
emprunté la nomenclature des henchirs des environs de Tunis, donnent aussi
le nombre des « douars » peuplant ces henchirs :
17 propriétés, 43 douars à la Mornaghia,
48 propriétés, 60 douars au Mornag,
22 propriétés, 19 douars à Radès,
37 propriétés, 79 douars à la Cébala,
105 « henchirs », 185 douars dans le caïdat de Tébourba (1)...
Ces chiffres attestent la présence d'une population paysanne permanente,
installée sur des terres que l'on considère à l'époque comme « melk », c'est-
à-dire appropriées privativement. Or, quelle que soit l'origine respective du droit
des « occupants » et du « propriétaire », ce qui importe est en somme le dédoublement
du droit depropriété, la possibilité effective où nous sommes d'opposer au droit
du maître du «henchir » le droit réel de possession exercé par les « occupants ».
Nous avons donc affaire à une propriété d'un type bien différent
de celle qui avait pour origine la vivification, le travail du paysan.
Il s'agit bien plutôt d'une propriété bourgeoise absentéiste, qui a tendance
à se substituer à la fois aux droits réels du cultivateur sur la terre dont il
vit héréditairement, et au droit éminent du maître féodal, percepteur
des redevances dues par la paysannerie travailleuse. D'où l'extraor-
dinaire confusion dont témoignent certaines nomenclatures établies
par les premiers rapports des Officiers des A.I. (2).
c) Terres collectives :
Il est donc particulièrement intéressant d'en venir à présent aux
autres formes de propriété qui existaient dans la Tunisie d'avant
1881 : le fief féodal et la propriété collective.
Ona souvent confondu à tort avec desformesparticulières depropriétéle «domaine»—
domaine privé du souverain et domaine public musulman géré par le souve-
rain - et les habous. Domaine beylical ou habous sont autant de personnes proprié-
taires suivant tel ou tel mode; ils ne modifientpas laforme ni la nature de l'appro-
priation. Ici seigneursféodaux, ils sont ailleurs propriétaires « melk », ou patrons de
khammès..
(1) Rapports des A. I. nos 2 à 4.
(2) Signalons par contre le scrupuleux rapport n" 5 établi sur le caïdat de Zaghouan
vers 1884-85. On y trouve la liste des henchirs « beylicaux », des henchirs « habous de
Zaouia », des « henchirs melk » de particuliers et « melk de fractions ».
Retrouver ce titre sur Numilog.com
L'appropriation collective est donc la réponse imposée aux populations paysannes par
l'irrégularité des conditions climatiques, la pauvreté des sols, lafaiblesse des techniques,
mais aussipar l'insécuritépolitique et sociale. Même au nord de la Dorsale, bien des
henchirs demeuraient la propriété de groupes nombreux, fractions ou familles
possédant dans l'indivision, sans qu'aucun maître ait prétendu à la propriété
exclusive à leur encontre.
Lorsque le caïd des Dride et sa suite se sont implantés au Sers, c'est encore
sous la forme collective —sur un henchir de 200 « mechias » (plus de 2 000 ha)
—qu'ils l'ont fait; la « propriété » du caïd n'a pas d'autre source que cette
implantation ancestrale d'allure communautaire (1).
On ne peut confondre avec l'absence de droits, ni avec l'absence de
personnalité capable de revendiquer ces droits, une forme de propriété
aussi fréquente dans la Tunisie d'avant 1881. Si les premiers écrits
européens ou les dossiers des Affaires Indigènes, dans bien des cas, ont
ignoré ou confondu les notions, mêlé communaux de parcours et de
labour avec le domaine privé, voire avec la « grande propriété »,
c'est qu'ils parlaient le langage du Code Napoléon, et non celui de la
sociologie. La tribu nomade, aussi bien que le groupe sédentaire ou le
village, qui possédaient, sur un territoire déterminé, leurs centres de
ralliement saisonniers, et qui ne s'écartaient de leurs marabouts, de
leurs silos, de leurs marchés, de leurs points d'eau que dans la mesure
où c'était nécessaire, comme le fait remarquer J. DESPOIS (2), ne renon-
çaient à leurs droits et, au besoin à leurs privilèges territoriaux, que
contraints par la force. Sans doute les limites de ces droits et de ces
privilèges n'étaient-elles pas immuables, et dépendaient-elles avant
tout de la capacité du groupe à les faire respecter, mais la souplesse
même des usages, la faible densité démographique, l'abondance des
territoires librement ouverts en fait au parcours des troupeaux, la
modicité des redevances d' « achaba » — ou dépaissance —, la facilité
laissée à chacun de cultiver toute terre non mise en valeur par son
habituel occupant, tout cela explique en définitive le maintien d'un
régime foncier aussi flou. Dans la Tunisie de 1881, ce qui manquait
n'était pas la terre, mais les hommes... Les véritables conflits fonciers
étaient devenus rares, en dehors des régions de propriété « melk ».
d) Droitsféodaux et domanialité :
Aux droits réels que détenaient sur les terres où ils vivaient les
groupes paysans, droits qui persistent parfois, nous l'avons vu, jusque
dans les henchirs céréaliers transformés en « melk » par l'action d'une
bourgeoisie citadine ou de notabilités, seules capables de prêter de
(j) Rapport des A. I., n° 24, « Cercle des Hamada ».
(2) Ouv. cité, p. 324.
Retrouver ce titre sur Numilog.com
à leur tour, affermer celles-ci. Les mêmes documents qui précisent clairement
le rôle d'affermataires —et non de propriétaires privatifs —joué par les Siala,
montrent en outre que le Bît-el-Mâl avait pu, au voisinage de terres indivises
« possédées » par les Sfaxiens etpar des fractions Métellit, détenir à titre « melk »
despropriétés qui sont soigneusement distinguées dureste du territoire parce que celui-ci
n'est justement pas une propriété beylicale, ni domaniale.
3) Lesfondations habous (1). De même, les fondations « habous » constituées
par les Beys sur de vastes territoires, comprenant terres de parcours, terres
plantées, bourgades..., que ce soit au profit d'une œuvre d'utilité publique ou
au profit d'une « zaouïa » (confrérie ou famille maraboutique ), ne donnent
au bénéficiaire de la fondation que tout ou partie des revenus dont disposait
le souverain. Lorsqu'au xvie siècle Sidi-Meheddeb, illustre marabout maro-
cain, reçoit en apanage 3 à 400 000 hectares de terres de tribus au sud de
Sfax, il est précisé qu'il aura le bénéfice net des impôts et desproductions, c'est-à-dire
qu'il devient le seul seigneur pouvant prétendre à recevoir des habitants de
cette terre les diverses redevances que ceux-ci doivent à leur seigneur et maître.
Son autorité doit en échange assurer aux familles et aux fractions paysannes
qui s'installent ou qui sont installées de tout temps au voisinage la paix et la
sécurité indispensables à toute bonne mise en valeur (2).
J. DESPOIS cite aussi le cas du habous Aziza Othmana, où la redevance
versée au habous par les occupants « n'était perçue que sur les oliviers ».
Dans de nombreux cas, les fondations habous beylicales au profit d'un marabout,
d'une zaouïa, portent si peu sur lefonds qu'elles apparaissent au contraire commele meil-
leur moyen de défendre les collectivités rurales ou villageoises contre les confiscations, les
razzias et l'arbitraire desféodaux : ce sont des groupes ethniques ou familiaux qui
sollicitent du sultan ou du Bey la reconnaissance de la constitution habous
faite au profit d'un saint patron —d'un « santon », écrit J. DESPOIS, qui ne
paraît cependant pas avoir exactement perçu quelle était la consistance de la
fondation —. En pareil cas, le habous se traduit —et se définit —par le ver-
sement de redevances déterminées — 1/4 ou 1/5 des fruits, dans le Sahel
méridional —à la zaouïa protectrice, mais n'affecte en rien le droit des paysans
fondateurs à conserver leur patrimoine, ou à l'aliéner, s'ils le désirent, ce droit
n'étant limité que par les pratiques habituelles de l'indivision. Sur Aziza
Othmana, la princesse fondatrice du habous ne constitue que ses droits; la
constitutrice déclare expressément que les « occupants » resteront possses-
seurs du sol à titre collectif, à l'exclusion de tout étranger, la fondation ayant
droit aux 4/5 sur les anciens oliviers (djeddari) et à la moitié sur les arbres
qui seront plantés (3).
Le passage à un nouvel état de choses, dans lequel, à une doma-
nialité éminente, caractéristique du système féodal, et compatible avec
(1) Donation à Dieu immédiate, en ce sens que le revenu des biens constitués sert à
entretenir une œuvre pieuse, qui peut être une œuvre d'utilité publique, ou à terme (habous
privé), le revenu constitué allant à tout ou partie de la descendance du fondateur, jusqu'à
extinction de celle-ci, avant de trouver sa destination finale.
(2) Rapport des A. I., n° 87, sur la tribu des Meheddeba.
(3) Dossier « Aziza Othmana » aux Archives du Ministère de l'Intérieur.
Retrouver ce titre sur Numilog.com
QUELQUES SOLS
TUNISIENS
1. Région de Béja
(terre "noire")
2. Région de Tunis
(sol alluvial : le Mornag)
Il n'y avait guère de salariés permanents que sur les propriétés melk, où le
travailleur employé ne pouvait évidemment prétendre à aucun droit d'occu-
pation ni d'usage. Cela aussi permet au demeurant de distinguer entre un melk véri-
table et les autres types depropriété dusol. Dans les oasis comme sur les plantations,
des ouvriers saisonniers participaient aux grands travaux périodiques — cueil-
lette des olives surtout —. Les uns comme les autres étaient payés le plus sou-
vent en nature —part de fruits, de grains... Le salariat en argent existait aussi,
à Sfax par exemple (1).
Mais la forme primitive des techniques et de l'exploitation réduisait
à très peu de choses les besoins en main-d'œuvre salariée. Le travailleur
paysan était presque toujours l'associé — ou le client — mais non le
salarié. On a souvent souligné le caractère à demi familial, paterna-
liste, de ces rapports, qui liaient sans doute le travailleur à un
employeur mais obligeaient en retour ce dernier à pourvoir aux
besoins élémentaires du premier — subsistance et secours durant les
mauvaises années.
Les contrats les plus originaux étaient, sur les terres plantées en oliviers,
les contrats de mgharsat et de mouçakat. Les « mouçaki, à l'instar des kham-
mès, avaient droit en principe au 1/5 de la récolte sur les arbres qu'ils devaient
entretenir —c'était le contrat généralement appliqué sur les olivettes « djed-
dari » (anciennes) de zaouïa, la terre nue demeurant sans réserve à la dispo-
sition des occupants — comme sur Aziza Othmana. Quant au contrat de
mgharsat, il est connu depuis la plus haute antiquité —il figure déjà sur la
stèle de Hammourabi — : c'est un contrat de colonat partiaire, passé entre
le «propriétaire » —ou le seigneur — d'une terre et l'occupant de celle-ci,
et qui aboutit à la fois à un changement de consistance et à unpartage définitif de la
propriété. L'occupant qui, entre temps, peut continuer à faire paître ou à ense-
mencer la parcelle, s'engage à la complanter, à la vivifier. Lorsque les arbres
parviennent à fruit —au bout de 12 ans pour l'olivier, à Sfax, le sol planté
est partagé à égalité entre le cultivateur et son patron, qui deviennent dès lors,
l'un et l'autre, ce qu'ils n'étaient pas jusque-là, c'est-à-dire propriétaires « melk » de
leur part. Le mgharsi — nombreux surtout aux environs de Sfax, en terre
« sialine » —était souvent, comme le khammès, lié à son maître par une série
d'obligations personnelles, car sa pauvreté l'amenait à solliciter, en même
temps qu'un contrat partiaire, des avances en argent ou en nature dont il
ne pouvait pas toujours se libérer entièrement avant l'époque du partage :
il pouvait alors renoncer au moins provisoirement à demander sa part, et se
transformer en mouçaki —ou abandonner complètement sa part, et solliciter le
renouvellement du contrat.
Aussi les plus grands jardins, les olivettes, les palmeraies sont-ils
généralement habités en permanence par des travailleurs misérables,
métayers ou « cherik », mgharsi, mouçaki, qui ont pour eux en totalité
(1) Rapport des A. I., no 78.
Retrouver ce titre sur Numilog.com
Les arbres étaient abandonnés. Les jardins et les puits non entre-
tenus.
Aussi l'usure exerçait-elle ses ravages à une échelle considérable.
BEN DIAF déclare, non sans exagération, qu'après 1864, pour se libérer des
contributions imposées par le général Zarrouk, les gens du Sahel méridional
avaient dû emprunter aux Européens et donner en hypothèque leurs biens
fonciers.
Les rapports des Officiers des A. I. font aussi allusion à cette p)ace
que tenait l'usure. A Mateur, les prêts d'argent constituent les revenus de
Juifs de la localité (1). A Monastir, « les fortunes les plus grandes sont celles
des usuriers » (2). A Bembla, depuis l'année Zarrouk, un grand nombre
de petits fellahs ont dû abandonner leurs biens à leurs créanciers... (3)
Par ailleurs, la domination d'une caste féodale se traduisait, au
sommet de l'échelle sociale, par l'apparition de cette grande propriété
individuelle et exclusive, apanage de quelques seigneuries comme le
Bey lui-même, qui était encore exceptionnelle en 1881, et toujours
limitée aux anciennes régions de propriété melk et de vie sédentaire.
Dans le bled Dzira (Soliman-Grombalia), sur 120000 oliviers, 30000
appartiennent au Beylik, 120000 à de grands propriétaires de Tunis; sur
500 charrues, 200 sont à des habitants de Soliman, 50 au Beylik ou à des
zaouïa, 250 à des « étrangers » (patrons de Khammès : 4 d'entre eux, dont 3
habitant Tunis, détiennent à eux seuls 93 charrues).
La grande propriété melk existe aussi dans la Dakhla du Cap-Bon, où le
Bey possède 1ooo oliviers à Tazerka, 1500 à Kourba, 12 000 (sur 44000) à
Menzel-Temime.
(1) On remarquera d'ailleurs que le henchir céréalier cesse d'attirer le riche exploi-
tant, l'employeur de khammès, dès que sols et climat n'assurent plus des rendements
suffisamment élevés et réguliers. C'est ce que J. Berçhje a bien montré dans son étude
sur « Terroirs et seigneurs du Haut Atlas Occidental ». Revue de géographie marocaine.
Rabat, 1950, p. 43 à 54 : « l'irrégularité économique conduit au seigneur ». Il n'y a plus
de Khammessat possible au-dessous de 300 mm; le féodal prend alors la place du patron
à khammès.
(2) « Djeddari » signifie ancien. Il s'agit ici d'une population installée depuis des dates
« immémoriales ».
(3) Godefroy Demonbynïïs, « Les institutions musulmanes », p. 284.
Retrouver ce titre sur Numilog.com
ACHEVÉ D'IMPRIMER
LE 27 NOVEMBRE 1961
SUR LES PRESSES DE
L'IMPRIMERIE HÉRISSEY
A ÉVREUX (EURE)
N° d'imprimeur : 2396
Dépôt légal : 40 trim. 1961.
Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès
par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement
sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012
relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.
Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au
sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.
Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire
qui a servi à la numérisation.
Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.
*
La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia
‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒
dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.