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Tarifs élevés, service dégradé :

l'inéluctable décadence de l'Eurostar


L'Eurostar offre la démonstration des vices du monopole en matière ferroviaire. Il
propose les billets les plus chers du monde au kilomètre. Or à côté des rames de
l'Eurostar, le moindre TER ressemble à l'Orient-Express, estime Gaspard Koenig, un
de ses usagers réguliers. Pour en sortir, mettons-le en concurrence.

Foule attendant l'embarquement dans un Eurostar à St Pancras, à Londres, le SIPA)


Par Gaspard Koenig (Philosophe et président du Think Tank Génération Libre)
Publié le 11 févr. 2020 à 16h51
Les lecteurs de ma précédente chronique sur le « slow travel » seront peut-être
enchantés d'apprendre qu'Eurostar vient d'annoncer l'ouverture d'une ligne directe
entre Londres et Amsterdam. Quatre heures de train de centre à centre devraient
offrir une alternative à l'avion à la fois vertueuse pour l'environnement et irrésistible
pour le passager : les spécialistes du ferroviaire établissent à « trois heures
magiques » la durée supplémentaire de transport que les voyageurs sont prêts à
tolérer pour éviter la bousculade des aéroports. Rêvons qu'un jour les capitales
européennes soient toutes aisément accessibles par le jeu des interconnexions
ferroviaires. De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l'Adriatique, un chemin de fer
s'étendra sur le continent, achevant son unité à grande vitesse.

Seulement voilà, cette louable initiative ne fait qu'anticiper la fusion annoncée de


l'Eurostar et du Thalys dans le cadre du projet Green Speed. Tout se passe comme
si la SNCF, bientôt concurrencée à l'intérieur des frontières nationales, cherchait à
consolider ses filiales internationales pour établir sa domination d'Amsterdam à
Barcelone, de Londres à Zurich et de Francfort à Bruxelles, au risque d'étouffer la
concurrence dans une zone stratégique pour l'Europe.
Billets les plus chers du monde

Or l'Eurostar offre précisément la démonstration des vices du monopole en matière


ferroviaire. Passager régulier depuis plus d'une dizaine d'années, j'ai pu constater la
dégradation continue du service, pour des tarifs toujours plus élevés, et sans aucune
formule d'abonnement. « Le monopole est ainsi fait, écrivait Frédéric Bastiat (un
intellectuel libéral adoré de Flaubert), qu'il frappe d'immobilisme tout ce qu'il
touche. » C'est ainsi qu'Eurostar, qui propose les billets les plus chers du monde au
kilomètre (en moyenne trois fois le prix des TGV : un aller simple Paris-Londres pris
une semaine à l'avance dépasse facilement les 200 euros), a pu annoncer des
profits record l'année dernière sans se soucier de sa clientèle captive, pour ne pas
dire conscrite. Un immobilisme d'autant plus accablant qu'il se cache derrière un
marketing faussement ludique.

Le sadisme du monopoliste

Mais ce que Bastiat ne pouvait prévoir, c'est le sadisme propre au monopoliste


moderne. Comment expliquer autrement les sièges durs, la lumière crue, les
annonces stridentes, les tablettes trop courtes, la voiture-bar sans bar et les toilettes
sans eau ? Par quel raffinement de cruauté un génie de l'optimisation a-t-il installé
des écrans au milieu des voitures, où sont diffusés en permanence des clips
publicitaires (même Ryanair n'a pas osé) ? A côté des rames de l'Eurostar, le
moindre TER ressemble à l'Orient-Express. Rarement le sentiment d'être prisonnier
d'une compagnie, « racketté » selon la très juste expression populaire, ne m'a été
aussi pénible.
La SNCF souhaite fusionner Eurostar et Thalys

La fable du Brexit, du douanier et de l'Eurostar

Plutôt que de démultiplier l'Eurostar, il vaudrait mieux encourager la venue de


nouveaux entrants. Le ferroviaire pose certes un défi à la concurrence, avec son
financement public omniprésent et ses colossales barrières à l'entrée. Mais
l'émulation fructueuse sur la grande vitesse italienne entre Italo et FS (l'équivalent de
la SNCF) montre qu'un autre modèle est possible. On pourrait par exemple imaginer
que ce Green Speed soit vendu à d'autres investisseurs que la SNCF, créant
instantanément le concurrent que la Commission européenne dit appeler de ses
voeux.

Client mécontent

Cette question qui pourrait sembler anecdotique et où transparaît, je l'admets, ma


bile de client mécontent, touche au coeur des débats actuels sur les valeurs
européennes. Pour justifier la fusion, la direction de la SNCF vante les mérites
d'une « entreprise européenne » charriant 30 millions de passagers. Elle se fait ainsi
l'écho des discours en vogue, y compris au sein du couple franco-allemand, sur la
nécessité de réformer le droit de la concurrence pour créer des « champions
européens ». Dans une note récente, la Fondation Robert Schuman plaide elle aussi
pour « un rééquilibrage entre politique de concurrence et politique industrielle ».
C'est oublier que la concurrence est avant tout une question de liberté. A quoi nous
servirait d'imiter les entreprises d'Etat chinoises ou les géants numériques
américains ? Le problème d'un monopole n'est pas sa nationalité, mais son effet sur
nos vies, et ce sentiment d'impuissance qui naît d'être un numéro de dossier parmi
30 millions. La spécificité de l'Europe ne réside-t-elle pas dans
l'innovation ? « Détruire la concurrence, avertissait Bastiat, c'est tuer l'intelligence. »

Gaspard Koenig

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