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14/02/2024 12:39 Le Monde

JEUX OLYMPIQUES DE PARIS

A l’orée des JO, l’inquiétant audit des transports

Émeline Cazi et Sophie Fay

L’offre initiale, censée être large et gratuite, s’est peu à peu réduite et muée en une
préoccupation majeure pour le bon déroulement de cet événement planétaire
ENQUÊTE

L
es promesses étaient belles. En 2024, quand la flamme olympique s’allumerait à Paris, cent ans après les
Jeux de 1924, le visiteur débarquant à l’aéroport de Roissy rejoindrait la capitale en vingt minutes chrono
à bord d’un train direct, le Charles-de-Gaulle Express. Depuis Orly, au sud, fini l’Orlyval : la ligne 14 filerait
sans détour jusqu’à Châtelet. Le touriste qui voudrait découvrir l’urbanisme de la Défense et assister aux
compétitions de natation qui s’y tiendront choisirait entre le RER A ou la ligne E flambant neuve,
dernière-née du réseau régional, terminus Mantes-la-Jolie (Yvelines).

En banlieue, les lignes 15, 16 et 17 du Grand Paris Express – à terme quatre nouvelles lignes de métro (200
kilomètres) et 68 gares greffées au réseau historique – donneraient une bonne idée de la révolution en marche
dans la métropole française, parmi les mieux desservies au monde. Le temps des Jeux, la gratuité serait de mise.

Tout cela figure, avec d’autres projets encore (des trams, une ligne de TGV), dans le dossier de candidature qu’avait
présenté Paris en 2015 au Comité international olympique (CIO) dans le but d’accueillir les Jeux. Aujourd’hui, à
moins de six mois de la période olympique (26 juillet-11 août), la réalité ne correspond plus tout à fait à celle
imaginée cet été-là. Les rêves d’hier sont même devenus cauchemars, le sujet des transports, avec celui de la
sécurité, étant l’un des plus tendus des préparatifs.

Entre 800 000 et 1 million de personnes supplémentaires sont attendues en France, chaque jour, pendant les
compétitions. Et la barre est haute : « On vise 100 % des spectateurs dans les transports en commun ou en mode
actif [à vélo ou à pied] », une première, rappelait Pierre Cunéo, directeur senior des transports de Paris 2024, lors
d’une grand-messe destinée à rassurer tout le monde, mi-décembre 2023. Le choix d’utiliser un maximum
d’équipements existants a aussi sa contrepartie : il faudra desservir 25 sites, quand, dans d’autres pays, tout était
concentré en un même lieu.

Des projets qui déraillent en cascade La France a-t-elle été bravache, trop présomptueuse, au moment de
présenter sa candidature ? Les promesses ont été faites de bonne foi. Seuls les projets déjà bien engagés, c’est-à-
dire inscrits au contrat de plan Etat-région, ou, dans le cas du Grand Paris Express, portés par une loi, ont été
sélectionnés et reportés dans le tableau de candidature, il y a neuf ans. Il est irréaliste de penser pouvoir
construire même une seule ligne de transport lourd en sept ans, le temps qui s’écoule entre l’annonce de la ville
hôte des Jeux et l’arrivée de la flamme.

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14/02/2024 12:39 Le Monde

« Il faut compter au moins quatorze ans », confirme Jacques Baudrier, administrateur (Parti communiste français)
d’Ile-de-France Mobilités (IDFM), l’autorité organisatrice des transports en Ile-de-France. Néanmoins, c’est peut-
être là que se trouve la faille : il arrive que ces fameux contrats de plan Etat-région soient gonflés et pas toujours
sincères.

La belle histoire a déraillé petit à petit, au gré d’atermoiements politiques, d’aléas inhérents aux grands chantiers,
sans oublier la pandémie de Covid-19. Surtout, le chantier qui se déroule sous les pieds des Franciliens est
titanesque. Aucune métropole occidentale n’a mené des travaux souterrains d’une telle ampleur, simultanément.
Le Grand Paris Express représente l’équivalent de l’actuel réseau du métro parisien.

Il a mobilisé vingt tunneliers en même temps, au plus fort des travaux. Le prolongement d’Eole (RER E) à l’ouest,
lui, oblige à creuser sous la porte Maillot et le Centre des nouvelles industries et technologies (CNIT) de la Défense.
Chaque fois, il faut viser juste, dans un sous-sol bien encombré, entre d’anciennes carrières et une nappe
phréatique qui affleure. Les équipes de la ligne 14 en savent quelque chose. Au nord, le tunnelier s’est arrêté un an,
le temps de colmater deux fuites survenues en 2016, porte de Clichy.

Les alternances politiques font aussi souvent perdre de précieux mois. François Hollande a réfléchi avant de
valider cette idée de supermétro héritée de Nicolas Sarkozy. En 2017, Emmanuel Macron et Bercy exigent une
pause, afin de comprendre pourquoi les coûts explosent. Le projet repart, mais, en février 2018, le calendrier est
revu. En tenant compte des Jeux olympiques, priorité est donnée aux lignes 14, 15 sud et, au nord de la capitale, au
tronçon commun des lignes 16 et 17 entre Saint-Denis-Pleyel et Le Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis).

A l’automne 2018, même ce nouvel échéancier se révèle irréaliste. Thierry Dallard, le nouveau patron de la Société
du Grand Paris, tente de le faire comprendre à Jean Castex, alors délégué interministériel aux Jeux. Cela lui coûtera
son poste. Dans la série de renoncements, le Charles-de-Gaulle Express connaît également son lot de
reports. En 2019, le préfet de région Michel Cadot, le délégué interministériel aux Jeux d’aujourd’hui, décale son
arrivée à l’après-Jeux, privilégiant d’abord la modernisation du faisceau nord – l’un des plus fréquentés d’Europe
–, les voyageurs du quotidien pâtissant de sa vétusté. Les organisateurs se consolent dorénavant en disant que
seule la ligne 14 était essentielle pour l’événement. A aucun moment les écarts avec le dossier de candidature ne
constituent un sujet avec Paris 2024 ou le CIO, assure Laurent Probst, le directeur d’IDFM.

Un service aux usagers dégradé Ce décalage entre les promesses et la ligne d’arrivée serait peut-être passé
inaperçu si la situation des transports franciliens ne s’était pas fortement dégradée ces trois dernières années.
Régulièrement, des photos de quais bondés postées sur les réseaux sociaux, des récits de galère se terminent par
une même question : « Qu’est-ce que ça va être, cet été, pendant les JO ? »

C’est du côté des bus que tout a commencé à se dérégler, avant que l’onde ne se propage à l’ensemble du réseau.
Pendant la crise sanitaire, la RATP et la SNCF ont suspendu recrutements et formation. Au même moment, IDFM
anticipait une baisse de la demande de transport liée au télétravail, et donc de ses recettes. Diminuer l’offre est
finalement un bon moyen de ne pas trop dépenser ni de trop recruter. Toutefois, en septembre 2022, au moment
où la patronne de la RATP, Catherine Guillouard, quitte le navire « pour raisons personnelles », en même temps
que part à la retraite son numéro deux, Philippe Martin, rien ne va plus. Les temps d’attente explosent dans Paris
et l’ouverture à la concurrence des bus en grande couronne crée des conflits sociaux.

Sur les comptes rendus d’IDFM, des chiffres inédits apparaissent : un bus sur quatre manque à l’appel au
deuxième semestre de l’année. Du côté des métros, 10 % à 20 % de l’offre, pourtant déjà revue à la baisse, ne sont
pas assurés. A la SNCF, où l’on a toujours regardé la RATP avec envie pour la régularité de son service (l’offre
tombait rarement sous 95 %) et son faible taux d’absentéisme, la surprise est grande. Mais l’entreprise ferroviaire
est rattrapée par le même phénomène.

L’alerte commence loin de Paris, dans les Hauts-de-France, où les passagers des TER paient cher, là aussi, la pause
des embauches pendant la pandémie. Les Franciliens, eux, sont habitués à serrer les dents sur les Transiliens ou
RER en retard ou annulés, même si les travaux effectués sur certaines lignes et le renouvellement du matériel
roulant commencent à changer la donne. L’âge moyen du réseau de rails en Ile-de-France (24 ans) a rajeuni de
trois ans en huit ans. Il n’empêche : « En cette année consacrée aux JO 2024 à Paris, alors que le RER C dessert six
sites olympiques, la SNCF semble en route vers le record olympique de retards et de suppressions de trains »,
dénonce La Vignette du respect, une association de défense des usagers.

En décembre 2023, la ponctualité du RER C est tombée à 84 %. Sur l’ensemble de l’année, plus de 9 % des trains ont
été annulés par manque d’effectifs. Les tout aussi essentielles lignes de métro 9 et 10, qui achemineront les
spectateurs vers Roland-Garros et le Parc des Princes, n’étaient pas non plus à 100 %.

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Cinq lignes de métro (13, 6, 3, 12 et 8) étaient par ailleurs sous le seuil de 90 % de régularité fin 2023. Dans le lot
figure la 13, stratégique pour desservir les épreuves au nord de Paris. Pour ce qui est des bus, il manquait toujours
10 % de l’offre en décembre 2023, de l’aveu même de Jean Castex, le PDG de la RATP. Au bout du compte, la
situation pourrait être non seulement dommageable pour les visiteurs des Jeux, mais aussi pour tous les usagers
au-delà des semaines olympiques. L’état de l’offre à partir de mi-septembre, quand les équipes mobilisées
prendront leurs congés, inquiète, même si SNCF et RATP garantissent que le service promis sera assuré.

Le défi du recrutement Dès 2022, la RATP et la SNCF ont lancé des plans de recrutement XXL pour combler leur
retard. Le 6 février, Transilien, la branche francilienne de SNCF Voyageurs, accueillait 1 300 candidats au Stade de
France. La mobilisation générale porte ses fruits. En 2023, 4 900 nouveaux cheminots ont été embauchés, dont
1 300 en Ile-de-France. C’est moitié plus qu’en 2022 et trois fois plus qu’en 2021. L’objectif est le même pour 2024,
année au cours de laquelle 1 300 conducteurs doivent être formés.

En 2023, 6 600 personnes ont été engagées, contre 3 500 à 4 000 par an, avant le Covid-19. Pour 2024, la RATP vise
5 300 embauches, dont 1 350 conducteurs et 3 700 CDI. L’accent est mis sur les conducteurs de bus – qui, après
cinq ans d’expérience environ, passent au métro, puis, huit à dix ans plus tard, au RER –, mais d’autres postes sont
à pourvoir : accueil dans les stations, sûreté et maintenance, le nerf de la guerre.

« A force de rationaliser, il manquait une présence humaine dans les stations. On est sans doute allés un peu trop
loin », a reconnu M. Castex. L’entreprise reste « attractive », se félicite-t-il. SNCF Voyageurs aussi, assure son
patron, Christophe Fanichet, qui a promis de recruter 200 contrôleurs pour désamorcer un mouvement de grève
annoncé du vendredi 16 au dimanche 18 février.

Derrière ce satisfecit, le climat social reste tendu. Des grèves se sont multipliées début 2024 à la SNCF, notamment
dans les centres de maintenance, où le fait d’être en sous-effectif décourage. A la RATP, l’absentéisme a crû de 80 %
par rapport à l’avant-Covid.

Les négociations sur les compensations financières pour les salariés, qui devront renoncer ou décaler leurs
vacances d’été pour cause de JO, se poursuivent. Les entreprises ont déjà revu leur copie sur les enveloppes de
2024. Jean Castex a annoncé 100 euros par mois d’augmentation générale et Jean-Pierre Farandou, président de la
SNCF, une prime exceptionnelle de 400 euros, hors JO.

Crash du tout-gratuit et problèmes de production L’autre grande promesse faite par Paris 2024, à savoir la
gratuité des transports, a, elle, été balayée par l’inflation. Le comité d’organisation et Valérie Pécresse, présidente
de la région Ile-de-France et d’IDFM, doivent se rendre à l’évidence en 2022 : le tout-gratuit n’est pas tenable. Les
organisateurs y renonceront en décembre de la même année. Les touristes olympiques paieront le prix fort. Il
n’est « pas question que les Franciliens financent les Jeux » et les 200 millions d’euros que coûte le dispositif JO, a
fait savoir Mme Pécresse.

Le prix du passe Navigo ne bougera pas, celui des tickets de métro ou de bus achetés à l’avance, non plus. En
revanche, le billet vendu pendant l’événement passe de 2,10 euros à 4 euros, le carnet de dix double aussi, et le
prix pour aller à Orly grimpe de 11 à 16 euros. Un passe dégressif selon le nombre de jours (de 16 euros le premier
jour à 70 euros la semaine) sera proposé aux visiteurs. « C’est moins cher que le passe quotidien du métro de
Londres [23 euros] », plaide IDFM. Seule Anne Hidalgo, la maire socialiste de Paris, conteste cette envolée. Du côté
de l’Etat et des opérateurs, on se concentre sur la hausse de l’offre.

Là encore, le défi est de taille. La SNCF doit déployer 4 500 trains supplémentaires, avec, par exemple, des navettes
spéciales depuis la gare Saint-Lazare vers le stade Yves-du-Manoir (hockey et rugby à VII), à Colombes (Hauts-de-
Seine), qui avait déjà accueilli les JO de 1924. La SNCF et la RATP promettent une offre de 15 % de métros
supplémentaire par rapport à un été classique, et de 30 % sur les lignes les plus sollicitées.

Des discours rassurants Malgré ce caractère hors norme, la RATP, la SNCF et IDFM sont particulièrement sereines.
Le manque de trains Alstom-Bombardier, qui empêchera de mettre en route à bonne fréquence le RER E prolongé
jusqu’à Nanterre-La Folie, par exemple, ne les affole pas. Seuls quatre trains par heure circuleront, mais « l’effet
“waouh !” sera au rendez-vous », assurent Alain Ribat, le directeur général de Transilien, et Delphine Comolet,
chargée de mission sur l’organisation des Jeux. « La gare de la porte Maillot, sous une verrière, au pied de l’hôtel
des membres du CIO, est magnifique. » Cette extension, c’est une « cerise sur le gâteau » : l’Arena de la Défense, où
se tiendront les épreuves de natation, est déjà desservie par le RER A, la ligne 1 et les trains L et U.

Même cette journée du 30 juillet, où des épreuves auront lieu simultanément au Parc des Princes, à Roland-Garros
et à Versailles, desservis par les lignes de l’ouest, leur paraît gérable. Ils misent sur les recrutements. « Nous avons
fait de la dentelle et tout ajusté heure par heure », remarque Mme Comolet. « Au plus fort des JO, nous serons

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14/02/2024 12:39 Le Monde

toujours en dessous d’une période de pointe ordinaire en semaine, hors vacances scolaires », rappelle l’ancien
ministre délégué aux transports Clément Beaune. Les travaux seront suspendus dans toute la région.

Même le défi de vider et de remplir certains jours trois fois le Stade de France (ce qui revient à déplacer
180 000 personnes) semble sous contrôle. « Nous avons étudié tous les flux, fait des exercices. La circulation,
l’information voyageurs et la signalétique seront considérablement améliorées », insiste Delphine Comolet. Cela
fera partie de l’héritage des Jeux. Tout comme le prolongement de la 14, le démarrage d’Eole, le renforcement de la
cybersécurité souligné par Jean Castex, et les kilomètres de pistes cyclables supplémentaires.

Pour permettre aux Franciliens de bien préparer cette période, le gouvernement a mis en ligne un site Internet :
Anticiperlesjeux.gouv.fr. En fonction des jours et des heures, il montre les stations à éviter et celles à privilégier,
et, pour les automobilistes, les rues condamnées. Les athlètes et les VIP, eux, ne sont pas concernés : ils auront
leur propre réseau de transport, en voitures particulières ou en bus, avec des voies réservées, notamment sur le
périphérique.

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