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Pygmalion
Dominique Lormier, historien et écrivain, est l’auteur de nombreux ouvrages. Chevalier de la Légion d’honneur, membre de l’Institut Jean
Moulin, il est un spécialiste reconnu de l’Histoire contemporaine.
DU MÊME AUTEUR
En 1679, le Français Denis Papin, fils d’un médecin protestant de Chitenay près de Blois, lui-même médecin et infatigable chercheur,
découvre la force motrice de la vapeur d’eau. Plus tard, réfugié en Allemagne, il invente une machine fonctionnant par le jeu alternatif d’un
piston. En 1770, le Français Joseph Cugnot, ingénieur de son métier, fait rouler sur terre le premier véhicule à vapeur. La même année,
l’Anglais James Watt, constructeur d’appareils mécaniques, dessine la première machine à vapeur réellement pratique, prévue pour
s’adapter aux scieries, aux laminoirs, aux machines à tisser et aux pompes.
Les Britanniques sont les premiers à avoir l’idée de combiner le tracteur à vapeur et le roulement sur rails en fonte. La toute première
locomotive est réalisée en 1803 par l’ingénieur britannique Richard Trevithick. Le 21 février 1804, cette machine est capable de tracter des
charges importantes, comme cinq tombereaux destinés au minerai de fer, ainsi que soixante-dix voyageurs, à la vitesse moyenne de 8 km/h.
En 1829, la locomotive Rocket de George Stephenson établit un premier record de vitesse à 56 km/h, sur la future ligne ferroviaire reliant
Londres à Liverpool.
Inventé pour développer le transport des marchandises, le train se révèle vite un outil indispensable à l’expansion économique,
touristique et sociale. Les passagers, de plus en plus nombreux, peuvent voyager rapidement dans toute l’Europe. Pièce maîtresse de la
Révolution industrielle, il symbolise le progrès technique, le rapprochement entre les peuples, les loisirs et l’aventure. Il marque à jamais
l’évolution de l’Histoire de l’humanité.
Les 12 trains sélectionnés dans cet ouvrage bouleversent l’histoire ferroviaire. En 1837, la ligne de Paris-Saint-Germain inaugure en
France le transport en commun de masse. En 1848, la Malle des Indes permet d’acheminer plus rapidement le courrier. En 1868, le train par
le col du Mont-Cenis franchit les Alpes en un temps record pour l’époque. En 1883, l’Orient-Express relie la France aux Balkans dans des
voitures luxueuses et confortables. Dès 1900, le métropolitain révolutionne la vie des Parisiens. En 1905, le Transsibérien circule
régulièrement sur toute la longueur de la ligne de Moscou à Vladivostok : un voyage à travers la Sibérie de neuf mille trois cents
kilomètres ! En 1922, le Train Bleu détrône en sécurité tous ses rivaux avec ses superbes voitures métalliques. En 1929, la Micheline est le
premier autorail dont les roues sont équipées de pneus qui améliorent considérablement le confort des voyageurs. En 1950, le Mistral utilise
des voitures climatisées et introduit la traction électrique qui réduit le temps de parcours. En 1967, le turbotrain circule à une vitesse très
supérieure à celle des autres locomotives. En 1981, le TGV obtient un premier record mondial à 380 km/h et bat sa propre performance à
575 km/h en 2007. En 1994, l’Eurostar et le tunnel sous la Manche ouvrent la voie de la circulation ferroviaire entre Paris et Londres.
La ligne de
Paris-Saint-Germain-en-Laye
Le 24 août 1837, par une belle journée d’été, sous un magnifique ciel bleu, la reine des Français Marie-Amélie assiste à l’inauguration
de la première ligne ferroviaire construite au départ de Paris, uniquement destinée au transport des voyageurs. Son mari, le roi Louis-
Philippe, est absent, le gouvernement l’ayant dissuadé de s’exposer aux dangers d’un tel voyage. Le parcours de dix-neuf kilomètres
s’effectue en vingt-cinq minutes, de Paris au Pecq, à bord d’une locomotive à chaudières tubulaires. Cet événement rencontre un écho
considérable dans la presse.
Environ six cents personnes participent à cette inauguration, dont l’ambassadeur de Russie, le préfet de police, Gabriel Delessert, le
directeur général des Ponts et Chaussées, les deux jeunes ducs d’Aumale et de Montpensier, fils du roi qui, sans avoir été invités, s’y rendent
incognito, afin de témoigner de l’intérêt qu’ils portent à ce grand événement moderne.
Un formidable succès
L’accroissement démographique des communes, traversées par la ligne, entraîne la construction de nouvelles gares, comme celle du
Vésinet ouverte en 1859. Cette année-là, la ligne assure le transport de deux millions trois cent mille usagers par jour, en seize allers et
retours. Vingt ans plus tard, on compte quatre millions deux cent mille voyageurs et vingt-deux allers et retours quotidiens. La création de
trains semi-directs, de Paris à Rueil-Malmaison, fait passer le temps de parcours de quarante-sept minutes à trente-trois minutes.
Durant les années 1960, le tronçon terminal de Saint-Germain intègre la ligne Est-Ouest du métro régional, ce qui libère la gare
Saint-Lazare d’un trafic excessif. Le tronçon Nanterre-Saint-Germain est électrifié par caténaire en courant de 1 500 volts. Tandis que les
gares sont reconstruites.
Le 1er octobre 1972, la RATP fait l’acquisition du tronçon Nanterre-Université-Saint-Germain et l’incorpore en deux parties : de la
gare Saint-Lazare à la gare de Nanterre-Université sur le réseau transilien Paris-Saint-Lazare, de la gare Nanterre-Université à la gare de
Saint-Germain-en-Laye sur la ligne A du RER.
Ouverte en 1837, la ligne Paris-Saint-Germain est donc la première voie ferroviaire moderne française, destinée au grand public,
assurant un transport de masse entre des gares desservant des lieux très habités. Procurant un véritable service de banlieue, elle est gérée
d’une façon commerciale et publique, ce qui la rend célèbre. Les deux premières années d’exploitation, en 1838 et 1839, voient passer le
chiffre incroyable de un million de voyageurs.
« C’est bien là, écrit Clive Lamming, que se fait le coup d’envoi du réseau ferré français, apte à assurer rapidement une fonction de
transport de masse sans commune mesure avec ce que les routes et les canaux avaient permis jusque-là. Dès le 26 août 1837, le trafic est
assuré avec quinze trains par jour dans les deux sens, le trajet étant effectué en vingt-six minutes pour les directs. Le 27 août, un dimanche,
près de vingt mille voyageurs empruntent la ligne, démontrant les possibilités immenses offertes par ce nouveau moyen de transport 5. »
La Malle des Indes
Durant près d’un siècle, la Malle des Indes traverse la France et l’Italie, presque toujours la nuit. Longtemps interdit au public, ce
train suscite de nombreuses questions. Toute une légende l’entoure, car pour l’inconscient collectif les Indes évoquent un eldorado de soie,
de porcelaine et d’or, un pays de mystiques yogis et de fakirs enturbannés, de femmes ravissantes et lascives, de maharadjahs puissants, sans
oublier les montagnes enneigées et les forêts obscures, les tigres et les éléphants...
La suprématie de Marseille
En 1902, les trains arrivant à Marseille gagnent le môle C dans le bassin de la Grande Joliette à la suite de la mise en place d’un
En 1902, les trains arrivant à Marseille gagnent le môle C dans le bassin de la Grande Joliette à la suite de la mise en place d’un
nouveau raccordement. Ce transbordement simplifié est très apprécié des voyageurs, donnant ainsi la suprématie à Marseille au détriment
de Brindisi. Le train parcourt mille cent cinquante-neuf kilomètres, de Calais à Marseille en 22 heures 23 minutes. La charge des trains peut
atteindre cinq cent soixante tonnes.
En 1860, le trajet de quatre-vingts kilomètres en diligence de Saint-Michel-de-Maurienne, en France, à Suse, en Italie, passe par le col
du Mont-Cenis, dans les Alpes occidentales, à 2 083 mètres d’altitude. Le voyage dure douze heures. Plusieurs compagnies de voyages aux
noms divers (Bonnafous, Bourg, Dareste, Sepolina et Teuliet, Allard, Descours et Fils, Dupert et Dupré, Chaude) suivent la route impériale,
tracée au début du XIXe siècle à la demande de Napoléon Bonaparte. La concurrence est sans pitié. Les postillons lancent leurs berlines à
toute vitesse pour essayer de se dépasser au sommet des descentes sur Suse ou sur Lanslebourg : cela entraîne parfois des accidents, avec des
morts et des blessés. Dans le but de mettre fin à des situations aussi tragiques que périlleuses, les heures de départ des différentes
compagnies sont décalées.
Au début des années 1860, environ quarante mille voyageurs par an passent le col du Mont-Cenis, dont trente-deux mille par les
compagnies et huit mille par leurs propres moyens. Le prix des places pour ce parcours de quatre-vingts kilomètres est de vingt-quatre
francs dans la cabine et de vingt francs dans le coupé. En plus des voyageurs, vingt-deux mille tonnes de marchandises transitent
annuellement à cette époque.
Le train Mont-Cenis
Lancé le 2 juin 1957, un nouveau train de la SNCF rejoint Lyon et Milan par le tunnel du Mont-Cenis, malgré une liaison handicapée
par un tracé difficile, marqué par de fortes déclivités. Ce train, formé uniquement de wagons de places en première classe, n’offre qu’un
trafic limité. En conséquence, à la suite de la forte demande des usagers aux revenus modestes, la SNCF ouvre en 1972 le voyage aux deux
classes en faisant rouler un train international dénommé Mont-Cenis. Composé de voitures Corail, il connaît un réel succès auprès du public,
qui dispose d’un ensemble confortable et climatisé.
La réorganisation des liaisons entre Lyon, Turin et Milan au milieu des années 1990, permet l’introduction de rames pendulaires
italiennes. Ce système améliore la suspension en zone montagneuse et permet à la voiture de s’incliner sans danger : le rappel en position
centrée de la caisse est automatiquement assuré sous l’effet de la gravité. Circulant dans la catégorie Eurocity, le train Mont-Cenis, exploité
par l’organisme franco-italien Artesia, dessert plusieurs villes européennes, de jour comme de nuit.
L’Orient-Express
Surnommé le « roi des trains et le train des rois » par de nombreux voyageurs enthousiastes, l’Orient-Express, nom mythique du
monde ferroviaire, incarne pour toujours le véhicule de la réussite sociale et de la puissance économique. Train de rêve pour les aventuriers
à la recherche de sensations rares et exotiques, il inspira également les écrivains et les artistes. Ses voitures luxueuses accueillirent un
microcosme diplomatique et mondain, avec des empereurs et des princes, des banquiers et des espions, des mondaines des grandes capitales
européennes et des militaires de haut rang... Seul un petit cénacle put s’offrir au début un voyage en Orient-Express : le prix du voyage
représentait deux mois de salaire d’un ouvrier qualifié de la Belle Époque !
L’étrangleuse de l’Orient-Express
En mars 1910, raconte Walter Schams 28, une riche héritière, la veuve Jeanne Moulin, native d’Avignon, s’installe à Paris dans un
immense appartement du 16e arrondissement. Se sentant seule, elle embauche une jeune domestique, Juanita Sanchez, originaire d’Espagne.
Le 12 septembre de la même année, les deux femmes se trouvent dans un des wagons-lits de l’Orient-Express à destination de l’Autriche.
Une dispute éclate : Jeanne soupçonne sa domestique de lui avoir volé l’un de ses colliers.
— Je pourrais te congédier au plus vite, dit la veuve d’une voix méprisante. Entre toi et moi, il ne peut y avoir rien de commun.
— Rien de commun entre vous et moi, répond Juanita. En êtes-vous bien sûre ?
Elle plonge alors sa main dans la poche centrale de son tablier où se trouve caché le collier.
— Je ne veux rien, dit-elle calmement. Mais, comme vous allez au wagon-restaurant pour dîner, je vais vous rendre ceci.
Mais alors qu’elle sort de sa poche le collier, elle ne le tend pas ; avec prudence elle le garde délicatement dans sa paume. Ses gestes
sont sobres, mais son regard étincelant ne cesse de provoquer la veuve. Celle-ci, perplexe et déconcertée, baisse enfin les yeux, aperçoit le
collier et pousse un cri :
— Mon collier !
— Comme vous voyez, continue Juanita, nous avons quelque chose en commun.
— Mon collier ! répète avec colère la veuve, en portant, surprise, la main à son cou.
Puis, son étonnement faisant place à la réflexion, elle se redresse et demande d’un ton inquisiteur :
— Comment es-tu en possession de ce collier ?
— Vous avez deviné, répond Juanita sans élever la voix, ni baisser les yeux.
— C’est-à-dire ?
— Vous pensez que je l’ai volé. Eh bien, c’est vrai, je l’ai volé ; mais comme je ne sais qu’en faire, je vous le rends.
— Donne-le-moi !
D’un geste brusque et maladroit, où se mêlent la révolte et le mépris, la veuve lui arrache le collier des mains.
Devant cette incompréhensible restitution, la veuve Moulin reste stupéfaite, presque désarmée et, non sans un obscur regret, se sent
obligée de penser que, comme Juanita lui avoue le vol, elle va devoir tout lui pardonner.
Sur cette voie où sa conscience l’engage avec répugnance, elle s’arrête net et cède de nouveau à l’appel d’une justice impitoyable.
Elle a fort envie de dénoncer Juanita à la justice, de la voir s’en aller menottes aux poignets pour être jetée en prison.
— La restitution de mon collier n’enlève rien à la faute que tu as commise. Je me vois donc contrainte de faire ce que toute personne
— La restitution de mon collier n’enlève rien à la faute que tu as commise. Je me vois donc contrainte de faire ce que toute personne
raisonnable ferait à ma place, en parler à la police !
Elle se tait et regarde Juanita froidement. Celle-ci pense : « Tu t’es condamnée toi-même », mais n’en laisse rien paraître sur son
visage faussement consterné.
— Ne me dénoncez pas, dit-elle en donnant à sa voix un accent suppliant. Quel profit pourrez-vous en retirer ? Aucun. Et pour moi,
ce serait une catastrophe.
— Il fallait y penser plus tôt, rétorque la veuve. Si l’on pouvait tout se permettre et éviter ensuite les conséquences de ses actes, ce
serait trop facile !
— Pour l’amour de Dieu, dit Juanita, d’une voix implorante, ne me dénoncez pas !
— Je te prie de ne pas insister ! Je n’ai pas l’habitude de revenir sur mes décisions.
Ces derniers mots sont prononcés d’une voix énergique par la veuve qui, tout en parlant, éprouve des difficultés, la tête baissée et les
deux mains à la nuque, pour fixer le collier à son cou. Elle n’y arrive pas.
Alors Juanita s’approche :
— Permettez-moi de vous aider...
— Ne cherche pas à m’attendrir, c’est inutile, répond la veuve.
Mais Juanita a déjà pris les deux bouts du collier ; la veuve, redressant la tête et posant les mains sur ses hanches, se résigne, avec
mauvaise humeur, à la laisser faire.
— Comme c’est dur ! se plaint Juanita.
En réalité, elle a déjà fermé l’agrafe et contemple la nuque lisse et fine de sa rivale.
— Attendez, nous y sommes, dit-elle encore.
Au même instant, ayant vaincu sa dernière hésitation, elle porte les deux mains en avant et, avec force, serre le cou de la veuve.
Celle-ci, d’abord, plie les genoux et tombe en arrière en agitant ses bras en l’air ; puis ses deux mains cherchent sa gorge, en saisissant les
doigts de l’étrangleuse. Elle parvient à se retourner et, face à Juanita, peut la contraindre à desserrer un peu son étreinte.
— Lâche-moi, crie-t-elle alors. Lâche-moi, assassine ! Au secours ! Au secours !
Juanita renverse la veuve sur le sol et l’écrase sous son poids en la chevauchant.
— Au secours ! hurle la victime encore, tandis que des soubresauts agitent ses épaules et ses jambes.
C’est là son dernier cri. Cette gorge que Juanita serre de toutes ses forces, elle la sent encore secouée de sursauts convulsifs, et elle
désespère, pleine de rage, de parvenir à ses fins quand, soudain, et plus vite qu’elle ne l’aurait cru, sa victime cesse de se débattre et laisse
retomber ses bras en croix. Mais Juanita, dans son acharnement, n’arrête pas son élan, et reste encore un long moment à cheval sur la
veuve, les mains pressant toujours le cou sans vie. Enfin, elle se redresse. Un sourire vengeur anime son visage. Elle ne quitte pas des yeux
le corps inerte, pose même un pied sur la poitrine de sa victime en guise de triomphe. Habituée aux tâches les plus rudes, cette belle femme,
au corps d’amazone, semble être faite pour la lutte. Elle s’empare de l’argent, cache le cadavre sous une couverture du wagon-lit et descend,
sans se faire remarquer, en gare de Vienne.
Quelques semaines plus tard, Juanita Sanchez est finalement arrêtée à Toulouse et jugée pour l’assassinat de la veuve Moulin.
Personne ne vient témoigner en faveur de la victime. Le jury, sensible au charme de l’étrangleuse, lui accorde des circonstances atténuantes
qui la sauvent de l’échafaud. Emprisonnée à Toulouse, elle parvient à s’échapper lors d’un transfert, après avoir charmé un des policiers,
chargé de la conduire dans un hôpital pour une visite médicale. Elle disparaît à jamais. Elle aurait rejoint son village en Espagne, d’après
divers témoins.
La police autrichienne enquête, d’autant que parmi les témoins figurent des personnalités insignes, tenant à garder l’anonymat, et
La police autrichienne enquête, d’autant que parmi les témoins figurent des personnalités insignes, tenant à garder l’anonymat, et
une partie du personnel de l’Orient-Express. Un inspecteur, Hans Korner, décide de mener une enquête approfondie, avec l’aide de plusieurs
membres du personnel du train. Ces derniers fournissent une masse de témoignages sans appel : les journaux de bord mentionnent les
apparitions du fantôme à plusieurs reprises !
On demande alors au curé du village de Baden de pratiquer un rituel pour le repos de l’âme du malheureux vagabond, sur sa tombe
même. Peu de temps après, les apparitions fantomatiques cessent, aussi bien dans le train que dans la localité et ses environs.
Le wagon de la Victoire
Le 7 octobre 1918, le wagon no 2419 de l’Orient-Express, « échoué » alors en France à Saint-Denis, est réquisitionné par le lieutenant-
colonel Loiseleur, chef du 4e Bureau du ministère de la Guerre. À ce sujet, il écrit au directeur des Wagons-Lits, M. André Noblemaire,
propriétaire de la voiture en question :
« J’ai l’honneur de vous confirmer les divers entretiens que nous avons eus à ce jour au sujet du train spécial mis à la disposition de
M. le maréchal Foch. Je vous saurai gré des ordres que vous voudrez bien donner pour faire activer tout spécialement l’aménagement de la
voiture-salon no 2419.
« La bibliothèque prévue dans le bureau sera celle qui se trouve dans la voiture de M. le président du Conseil, ministre de la Guerre.
Cette voiture à aménager devra comporter les installations suivantes : dans la grande salle, on laissera les tables à quatre places qui se
trouvent près de la cloison centrale avec leurs sièges. Toutes les autres tables et tous les autres sièges devront être enlevés et remplacés par
une grande table sur laquelle pourront être étalées des cartes.
« Dans la cuisine, le fourneau sera enlevé de manière à permettre l’installation de petites tables pour dactylographes. Les installations
téléphoniques seront faites par les soins du haut-commandement. Cette voiture devra être éclairée d’électricité.
« Il ne vous échappera pas que nous devons tous nous efforcer à donner, le plus rapidement possible, au maréchal, le confortable qui
lui est nécessaire pour assumer la tâche écrasante qui lui incombe et je vous saurai gré de la diligence que vous mettrez à donner
satisfaction à ses demandes 30. »
Le 28 octobre 1918, la voiture, complètement transformée, prend la direction de Senlis. Le 7 novembre, elle se trouve dans la forêt
de Compiègne, entre Choisy-au-Bac et Rethondes, au milieu des arbres dénudés, où deux voies ferrées se rejoignent. Ces deux dernières sont
normalement utilisées par l’artillerie lourde pour tirer ses gros canons sur rails. Le soir même, le train spécial des plénipotentiaires
allemands s’immobilise à l’endroit choisi par le commandement français. Le wagon no 2419 du maréchal Foch se situe en face. Le
lendemain, à 9 heures précises, Foch, le général Weygand, l’amiral Wemyss et le contre-amiral Hope y accueillent les Allemands. Il a plu
toute la nuit. Le sol est détrempé.
Autour de la table centrale se trouvent dix chaises. Y prennent place le capitaine von Heldorf, le capitaine de vaisseau Vanselow, le
major général von Winterfeld, le secrétaire d’État Erzberger, qui préside la délégation allemande, l’ambassadeur von Marriott, l’officier
interprète Laperche et les officiers supérieurs alliés, déjà cités.
Sur une petite table, un téléphone relie la voiture no 2419 au reste du monde. Pendant quatre jours, on négocie. Enfin, le 11
novembre 1918, à 5 heures du matin, l’armistice est signé. À 7 heures 30, Foch, sa canne à la main droite et la serviette contenant le texte
original de la convention d’armistice sous le bras gauche, pose pour la photographie devant le désormais célèbre wagon de la Victoire, en
compagnie des signataires, dont certains s’installent sur le marchepied. La voiture est désormais connue comme un haut lieu de la paix.
La voiture no 2419 n’a pas fini son rôle : elle sert encore aux réunions d’armistice à Trèves les 16 décembre 1918, 13 janvier et 16
février 1919. Foch remonte ensuite dans ce wagon pour se rendre à Spa les 3 et 4 avril. C’est seulement en septembre 1919 que l’armée lève
la réquisition.
Que va-t-on faire de la voiture ?
Le président des Wagons-Lits propose de l’exposer dans différents pays, y compris aux États-Unis. Ce tour d’honneur permettrait de
Le président des Wagons-Lits propose de l’exposer dans différents pays, y compris aux États-Unis. Ce tour d’honneur permettrait de
rappeler une journée historique. On ouvrirait la voiture au public et les droits d’entrée seraient versés à une œuvre de bienfaisance, comme
la Croix-Rouge.
Le gouvernement français souscrit à cette idée : il demande à M. André Noblemaire, directeur de la Compagnie, de bien vouloir céder
à l’État le wagon historique. Flatté de cette proposition, ce dernier répond par une lettre, datée du 22 septembre 1919 : « Notre compagnie
est fière d’avoir pu, pendant la guerre 1914-1918, apporter au haut commandement sa modeste collaboration et elle serait particulièrement
heureuse d’en avoir ainsi perpétué le souvenir 31. »
Le 7 octobre 1919, Clemenceau, président du Conseil et ministre de la Guerre, « accepte au nom du gouvernement, le don fait dans
un sentiment patriotique auquel je suis heureux de rendre hommage 32 ».
En attendant le choix définitif de son exposition, la voiture est rayée des contrôles du matériel roulant, le 3 janvier 1920. On la
décore pour perpétuer le souvenir de la victoire de 1918 : à chaque extrémité du compartiment, sur la frise du plafond, on fixe deux
médaillons, entourés de figures allégoriques. Outre les noms des signataires, on peut lire : « La Marne 1914 – L’Yser 1915 – Verdun 1916 –
La Somme 1916 – Bataille de France 1918 ».
Cette mise à la retraite historique est brève. Le 16 avril 1920, on suggère d’utiliser la voiture pour les déplacements du président de
la République et des souverains étrangers en visite en France, quitte à la placer plus tard au Musée de la Guerre de Paris.
La voiture no 2419 est alors transformée en restaurant. Le 8 décembre 1920, le président Alexandre Millerand y déjeune lors d’un
voyage tout indiqué, à Verdun, où l’on inaugure le monument de la Tranchée des Baïonnettes. Autour du président français, se tiennent
Raymond Poincaré, les maréchaux Foch et Joffre, André Maginot (ministre des Pensions), Wallace (ambassadeur des États-Unis), Paul Léon
(directeur des Beaux-Arts) et d’autres personnalités.
Le 27 avril 1921, le Wagon est finalement installé dans la cour des Invalides. Les années passent. Et voici que se produit ce que
personne n’avait envisagé : la voiture s’abîme sous les ravages des intempéries climatiques. En mai 1924, le général Mariaux, directeur du
Musée de la Guerre, fait le constat suivant : « La voiture et les parois extérieures de cette voiture souffrent de plus en plus du vent, du froid,
de la neige et de la chaleur de l’été 33. »
Cette affaire lamentable fait la une des journaux, même à l’étranger. Le grand quotidien hollandais De Telegraaf publie un article
intitulé « Le wagon malade ». À Paris, L’Œuvre surenchérit par un article ferme qui s’achève ainsi : « Il faut nettoyer ce symbole
historique 34. » Le Figaro titre : « Le Wagon de Rethondes voudrait bien changer d’air 35. »
On décide alors de le placer en forêt de Rethondes, sous un hangar protecteur. Le maire de Compiègne, M. Fournier-Sarlouze, donne
son accord, à condition que le Musée de la Guerre prenne en charge les frais de transport et d’entretien. Le directeur, manquant de crédits,
s’y oppose. Pendant ces discussions, à chaque ondée, le Wagon est un peu plus délabré. À chaque gel, les lattes de teck se lézardent un peu
plus. Soudain, le miracle arrive ! Un matin du printemps 1927, l’Américain Arthur Henry Fleming se présente au maire de Compiègne. Il est
richissime.
— Combien faut-il pour sauver le Wagon et l’installer dans la forêt ? demande-t-il.
— 150 000 francs, monsieur.
— Parfait, je paye !
M. Fleming est un ami de la France : il admire particulièrement l’héroïsme déployé par les Poilus, les célèbres soldats français de 14-
18. Pour lui, l’armée française est la plus prestigieuse du monde. Il veut sauver le Wagon de la victoire de 1918. Il est finalement installé
dans un grand abri construit par l’architecte Marcel Mages. Un panneau extérieur explique le don de l’Américain.
Et de la défaite...
Le 20 juin 1940, les Allemands tirent le wagon no 2419 à l’endroit exact où il se trouvait le 11 novembre 1918. Deux jours plus tard,
à 15 heures, Hitler, Goering, Raeder, Keitel et Hess s’y installent. Les vaincus arrivent à 15 h 35, à savoir le général français Huntziger,
l’amiral Le Luc, le général Bergeret, l’ambassadeur Léon Noël. La France demande à son tour l’armistice : les rôles sont inversés dans un
spectaculaire retournement de l’Histoire. À 18 h 52, le texte est signé. Le Wagon de la gloire devient celui de la honte.
Et pourtant, la triste odyssée de la voiture no 2419 est loin de se terminer. Hitler ordonne de la transférer à Berlin, devant le Vieux
Musée, place Lusgarten, au cœur de la ville. Une foule considérable vient la visiter. En 1944, elle est dirigée à Ohrdurf, une petite ville de
Thuringe. Lorsque les blindés américains s’approchent de la cité, un détachement de SS, exécutant l’ordre d’Hitler, fait sauter le wagon.
Mais alors, quelle est donc la voiture exposée de nos jours dans la clairière de l’Armistice de 1918 ? Elle appartient à une autre série,
aux caractéristiques très proches : c’est la no 2439, que l’on a rebaptisée no 2419.
Au retour, le « corps expéditionnaire » trouve les autres passagers au comble de l’angoisse. Une ravissante Autrichienne, Mlle Werner,
Au retour, le « corps expéditionnaire » trouve les autres passagers au comble de l’angoisse. Une ravissante Autrichienne, Mlle Werner,
a tenté de s’ouvrir les veines avec son miroir. Le conducteur la sauve de justesse. Deux pères jésuites, montés sur une chaise pour ramener le
calme, incitent à la prière. Tout le monde prie, même les athées. Les enfants sont enchantés : on ne les a pas envoyés se coucher. Un imam
turc, tourné en direction de La Mecque, psalmodie.
Le onzième jour, le mur de neige se crève : le chasse-neige, une grosse machine américaine luttant depuis quatre jours contre la
tempête, arrive enfin. À 5 km/h l’Orient-Express suit le chasse-neige jusqu’en gare de Constantinople. Curieusement, les cinquante
voyageurs, hagards et déguenillés, ne font pas la moindre réclamation sur le registre des doléances. Ils sont tous convaincus que le
personnel a fait tout son possible pour éviter le pire. Pourtant, l’Orient-Express a quinze jours de retard ! La cause de cette absence de
protestations est sans doute le soulagement d’être encore en vie après avoir expérimenté une situation aussi dramatique 36.
Cette aventure incroyable inspira en partie à Agatha Christie son roman Le Crime de l’Orient-Express.
L’aventure se poursuit
En 1930, une correspondance est ouverte sur la rive orientale d’Istanbul, de Haydarpasa vers Bagdad et Bassora, avec une autre vers
les Indes par le nouveau Taurus-Express. Plus rapide que le bateau, le service associé Simplon-Orient-Express et Taurus-Express permet de se
rendre en Égypte, en Palestine, et même encore plus loin, dans un confort inégalé.
Le 13 septembre 1931, le train est secoué d’une violente explosion ! Des terroristes font sauter le viaduc de Biatorbary en Hongrie,
précipitant la locomotive et un wagon-lit dans l’abîme. Vingt personnes meurent. Joséphine Baker, présente à bord d’un wagon non sinistré,
vole au secours des blessés.
Durant les années 1920 et 1930, l’Orient-Express accueille une clientèle célèbre, avec notamment Agatha Christie, Serge Diaghilev et
Serge Lifar, Marlene Dietrich et Jean Gabin, Lawrence d’Arabie et Pierre Loti.
Les menus servis à bord sont d’une grande richesse. On y remarque les plats suivants : perles du Japon, poissons, pommes à
l’anglaise, filet de bœuf jardinière, rôti, poulet du Mans au cresson, légumes, chou-fleur en gratin, crème chocolat, dessert ; omelette
paysanne, fricandeau florentine, chou-fleur à la polonaise, viande froide à la gelée, salade, dessert ; consommé aux diablotins, langouste en
Bellevue, contre-filet à la Jussieu, endives demi-glace, dessert.
En 1938, l’Allemagne hitlérienne annexe l’Autriche, et la compagnie Mitropa, les voitures de l’Orient-Express stationnées à Vienne et
dans le Tyrol. En raison du début des hostilités, la plupart des liaisons cessent dès septembre 1939, notamment en Europe centrale, puis
dans les Balkans à partir de 1941, mais elles continuent à partir de Munich et de Zurich jusqu’en Roumanie.
La paix revenue, les trois trains de la famille Orient-Express sont progressivement remis en circulation. Il ne s’agit plus de trains de
luxe et ils ne comptent que des voitures-couchettes et des voitures en places assises. Les temps sont difficiles et la clientèle, moins riche
qu’auparavant, a changé.
L’Orient-Express renaît en 1946 sur la ligne Paris-Vienne-Prague, laquelle est prolongée vers Bucarest deux années plus tard.
L’Arlberg-Orient-Express est rétabli entre Paris et Innsbruck dès septembre 1945 et dessert Vienne et Bucarest à partir de 1947. Le Simplon-
Orient-Express circule également dès 1945, entre Paris et Athènes, puis à partir de 1951 sur Paris-Istanbul.
Déclin et renouveau
À partir de 1950, l’introduction de voitures de troisième classe fait perdre à l’Orient-Express son appellation de train de luxe. Devenu
désormais un train de nuit ordinaire, il se compose d’une rame cosmopolite, comprenant des voitures hongroises, tchèques et roumaines.
Au service d’été 1959, la voiture-lit Paris-Budapest s’arrête à Vienne et deux ans plus tard la liaison directe Paris-Bucarest cesse. Elle
est réintroduite durant l’été 1965 avec quatre circulations par semaine, afin de répondre à la demande croissante d’une ligne directe avec la
Hongrie et la Roumanie. Entre-temps, le Simplon-Orient-Express a disparu et l’Arlberg-Express se charge de la rotation Paris-Innsbruck pour
quelque temps encore.
En 1982, un autre Orient-Express est constitué par un entrepreneur britannique, Sir James Sherwood, président de la société de
transports Sea Containers, avec du matériel d’origine restauré. Ce train assure un service régulier entre Boulogne-sur-Mer, puis Calais, en
correspondance avec la Grande-Bretagne, et Venise via Paris, Milan et Innsbruck sous le nom de Venise-Simplon-Orient-Express, avec,
parfois, des étapes, à certaines dates, à Vienne, Prague ou Budapest, et un prolongement jusqu’à Istanbul. Ce train maintient de nos jours la
tradition.
En 2003, la Compagnie des Wagons-Lits du groupe français Accor restaure sept voitures du train mythique et le remet en service
dans un train dénommé Pulman Orient-Express, exploité principalement sous la forme de dîners-voyages au départ, mais pouvant être
affrété à la demande par des sociétés ou des particuliers.
En 2011, le Pullman Orient-Express est vendu à la SNCF qui en assure désormais l’exploitation. Ce train circule à date fixe entre
Paris-Est et Épernay, mais il peut être affrété en totalité ou pour quelques voitures seulement. Il est également disponible pour effectuer des
circuits différents, y compris de nuit, la SNCF disposant de voitures-lits et d’une voiture-douche. Il est utilisé pour des séminaires, des
inaugurations, des commémorations diverses, ainsi que des opérations de communication. Ce train peut également rester à quai dans le
cadre d’un cocktail, d’opérations de presse ou de promotion. Chaque voiture porte un nom particulier, rappelant la période mythique des
grands trains luxueux, comme notamment le « Train Bleu ». Son aménagement est amovible, afin de permettre diverses animations. La
voiture « Côte d’Azur » dispose de parois lambrissées en acajou de Cuba et en loupe de bouleau de Finlande. L’ensemble comprend deux
voitures Pullman, une voiture-salon-bar, équipée d’une sonorisation pour des animations, une voiture-bar avec aménagement transformable
pour des soirées dansantes, et trois voitures-restaurants de soixante-trois places au total.
Au fil des ans, le Pullman Orient-Express est devenu l’un des trains les plus appréciés du genre. Il contribue à maintenir la tradition
d’une table de haut standing, d’un service stylé et d’un art de vivre remontant à la Belle Époque.
Le métropolitain
En 1890, la circulation à Paris se trouve au bord de l’asphyxie. La capitale a beau avoir trente et une lignes de tramway, vingt-cinq
lignes d’omnibus utilisant neuf cent vingt voitures de toutes natures et un parc de seize mille chevaux, cent deux bateaux-mouches, un
chemin de fer de ceinture, des milliers de voitures de place et environ quatre-vingt mille animaux de bât ou de trait, une telle masse de
moyens ne fait que rendre le trafic plus difficile. Les problèmes se multiplient. Haquets chargés de fûts, fardiers attelés de neuf chevaux
transportant des blocs de pierre, prolonges surchargées de sacs de farine ou d’avoine, charrettes de foin ou de paille dont le contenu
s’effondre trop souvent sur les passants, chariots de maraîchers, fiacres, calèches, lourds omnibus, cyclistes qui se doublent, se redoublent,
se croisent, se décroisent dans le plus incroyable désordre. Un des patrons des omnibus, M. de Saint-Martin, décrit fort bien la situation :
« Ce n’est même pas une toile d’araignée, c’est une perruque, une tignasse dans laquelle il est impossible de démêler un plan d’ensemble
quelconque 1. » Sans oublier l’installation du tout-à-l’égout qui va ouvrir des chantiers gigantesques de toutes parts.
Un travail surhumain
Afin de réduire la durée du chantier, la construction est réalisée en tranchées couvertes. Le travail à accomplir est énorme : on doit
dévier les égouts et les conduites d’eau. Dans ce but, des rues entières et des avenues sont bouleversées. De nombreux litiges interviennent
avec des commerçants riverains. On interdit l’usage des explosifs pour ne pas importuner et mettre en danger le voisinage. On doit vider
certains canaux trop gênants. Un jour, une canalisation éclate et fait jaillir un puissant jet d’eau. Les pompes se révèlent impuissantes pour
assécher l’inondation, si bien qu’il faut envoyer sur place un scaphandrier pour trouver la faille, qu’on colmate finalement avec du béton. Le
9 décembre 1899, une voûte s’effondre sur une longueur de cinquante mètres entre les Champs-Élysées et l’avenue de Friedland, entraînant
des arbres et des becs de gaz mais, ô miracle, on ne compte aucune victime.
Sur la transversale est-ouest, la première entamée, l’avance se réduit de quatre mètres par jour et par front de taille. On y fait
travailler jour et nuit deux mille terrassiers. La consigne est d’achever les quatorze kilomètres de souterrain entre Vincennes et la Porte
Maillot avant l’ouverture de l’Exposition universelle de 1900. Mille mètres cubes de déblais doivent être évacués en vingt-quatre heures. On
cave des galeries spéciales qui joignent le souterrain à la Seine et permettent le transport de la terre par des péniches. On utilise également
des wagons spéciaux sur des lignes de tramway reliées aux voies de chemin de fer, dont l’usage est généralisé à Paris.
Malgré les nombreuses difficultés, les travaux sont accomplis en un temps record : ils durent vingt mois et sont conduits
intégralement sous la direction de Fulgence Bienvenüe. La ligne est divisée en onze lots répartis entre plusieurs entreprises.
L’incendie de 1903
Le métropolitain fait, hélas, la première page des faits divers le 10 août 1903. Un incendie se déclare sur une rame de la ligne 2 Nord
à la station Barbès. Elle est convoyée à vide, mais la suivante, pleine de voyageurs, s’arrête à la station Couronnes à la suite d’un signal
rouge. Soudain, l’incendie prend de l’ampleur : une fumée épaisse envahit le tunnel. Les passagers, inconscients du danger, refusent de
quitter les quais sans avoir été remboursés. Subitement la lumière est coupée, les fils électriques ayant fondu sous la chaleur des flammes.
Finalement, les voyageurs toujours sur le quai tentent de s’enfuir, mais dans la direction opposée à la sortie. Quatre-vingt-quatre personnes
périssent écrasées ou asphyxiées.
Cette catastrophe entraîne l’application d’importantes mesures de sécurité : le sectionnement de l’alimentation électrique, la mise en
place d’un éclairage de secours et la fabrication en métal, au détriment du bois, de la voiture de conduite, puis des wagons transportant les
voyageurs. On abandonne les véhicules à essieux au profit de modèles à boggies plus longs, puis, à partir de 1908, de rames à caisses
métalliques avec un système de commande à distance des voitures motrices, principe des unités multiples dit Sprague-Thomson.
Le développement continuel
La ligne 4 du métro de Paris, première traversée sous-fluviale, voit ses travaux débuter à partir de 1905. Ils sont les plus
spectaculaires accomplis sur le réseau et attirent de nombreux curieux. L’ensemble est réalisé à l’aide de caissons, assemblés sur la rive et
enfoncés progressivement dans le lit du fleuve. Les structures métalliques des deux stations Cité et Saint-Michel sont réunies en surface et
enfoncées également dans le sol à leur emplacement définitif. La ligne est ouverte le 21 avril 1908 de Porte de Clignancourt à Châtelet, puis
le 30 octobre 1909 entre Porte d’Orléans et Raspail.
Durant la Première Guerre mondiale, la réquisition par l’armée des transports de surface cause, en partie, l’augmentation du trafic
métropolitain. Les travaux se poursuivent également. La ligne 7 (Porte d’Italie) atteint le Palais-Royal en 1916, et la ligne A du Nord-Sud
son nouveau terminus nord, Porte de la Chapelle en 1917. Le personnel masculin, souvent mobilisé, est remplacé par des femmes. Cette
situation accélère la modernisation du matériel roulant, tandis que la généralisation des poussoirs de fermeture des portes a l’avantage de
réclamer moins d’agents par rame. Le 11 mars 1918, à la suite d’un bombardement aérien, la station Bolivar est le lieu d’un drame : la foule
cherche à s’y réfugier et s’écrase sur les portes d’accès bloquées vers l’intérieur de la station, aménagée en abri antiaérien. On déplore alors
soixante-six victimes. À la suite de cette sombre affaire, la direction décide que les portes du métropolitain seront aménagées pour s’ouvrir à
la fois vers l’intérieur et l’extérieur.
En 1922, un projet approuvé par le Conseil municipal de Paris prévoit la poursuite de la réalisation du réseau complémentaire, avec
En 1922, un projet approuvé par le Conseil municipal de Paris prévoit la poursuite de la réalisation du réseau complémentaire, avec
trois transversales, constituées par les lignes 7, 8 et 9. Trois autres lignes sont décidées, baptisées les lignes 10 (Invalides-Bastille), 11
(Châtelet-Porte des Lilas) et 12 (Porte d’Orléans-Porte d’Italie). En 1931, la ligne 8 est prolongée jusqu’à la Porte de Charenton, afin de
desservir l’Exposition coloniale. En 1933, la ligne 9 atteint la Porte de Montreuil. En 1935, la ligne 11 permet de relier le centre de Paris au
quartier Belleville. Parmi les innovations de cette période, des plans indicateurs lumineux d’itinéraires font leur apparition dans les stations.
Après l’exode des Parisiens en juin 1940, le métropolitain connaît sa plus faible fréquentation historique, avec seulement trois cent
mille voyageurs par jour. Le retour progressif de la population lui fait retrouver son nombre d’usagers habituel, malgré l’occupation
allemande, soit un milliard de voyageurs en 1941. En effet, il devient l’unique moyen de transport avec la bicyclette, du fait de la pénurie
d’essence et de la suppression du tramway depuis 1937. En 1943, il transporte jusqu’à 1,32 milliard de voyageurs. La poursuite de la guerre
n’empêche pas l’ouverture de deux extensions en banlieue : la ligne 5 atteint Église de Pantin et la ligne 8, Charenton-Écoles. Certaines
stations subissent de sérieux dommages sous les bombardements alliés (Simplon, Pont de Sèvres, Billancourt) ; d’autres, plus profondes,
servent d’abris aux Parisiens. En 1946, le métropolitain enregistre son plus haut niveau historique de fréquentation avec 1,6 milliard de
voyageurs. L’année suivante, un nouveau prolongement est ouvert jusqu’à Mairie d’Ivry.
En 1951, le matériel roulant Sprague-Thomson est en partie abandonné au profit d’une nouvelle technologie mise au point par les
ingénieurs : le métro sur pneumatiques, plus silencieux et possédant une plus grande vitesse. Ce matériel permet d’augmenter le débit d’une
ligne et de réduire la surcharge chronique des lignes les plus fréquentées.
Métro et Résistance
Le métro n’est pas uniquement un abri antiaérien durant la guerre. Des scènes insolites, qui sont liées à la Résistance, s’y déroulent
également. Jacques Chaban-Delmas, engagé dans la lutte clandestine dès septembre 1940, m’a raconté à ce sujet : « Dans l’ombre, je
conduisais mes activités d’espion, puis de responsable militaire, en brouillant les pistes. J’ai eu dans Paris une bonne trentaine de caches,
des appartements et des chambres dont j’avais seul la clé, choisis parce que disposant d’issues commodes : entrées et escaliers de service,
cours, courettes, lucarne en prise directe sur les toits. Afin de parfaire mon déguisement, je n’avais rien retranché de mes activités sportives.
Je continuais de jouer au rugby, au tennis. On me voyait sur les stades et sur les courts... J’étais servi par ma vitesse de déplacement, sur les
terrains de sport aussi bien que pour ceux du combat clandestin. En face de joueurs très forts, de stature internationale, j’étais capable de
faire la différence en deux foulées, et personne ne me voyait ! Même chose pour échapper à mes suiveurs ou à mes poursuivants. J’ai connu
dans le métro des séances extraordinaires : des cavalcades sur les quais et jusqu’au fin fond des stations, y compris le long des voies. Une
fois, en particulier, alors que les agents de la Gestapo me serraient de près ; ils avaient retrouvé ma trace après avoir mis la main,
précisément, sur un document où figurait un rendez-vous dont ils avaient pressenti qu’il n’était pas très “catholique”. S’agissant du métro,
j’avais pris pour règle de monter dans les rames par surprise et d’en descendre de même, pour couper une filature éventuelle. Cela se jouait
au dixième de seconde. Il fallait arriver à jaillir entre les portes coulissantes, au moment où elles se refermaient, au point d’être touché par
les panneaux. Touché, mais pas plaqué ! Comme au rugby. Le sport aussi est un combat, et d’abord contre soi-même. Il était légitime que
mon combat de l’ombre profitât de ce que le sport m’avait enseigné 12. »
Le résistant Yves La Prairie, membre d’un réseau en Aquitaine, n’a pas oublié cette époque dangereuse et exaltante à la fois. En
pleine période d’occupation, il se voit remettre à Bordeaux un important dossier comprenant les plans de la base sous-marine allemande de
La Pallice, la carte détaillée des emplacements de défense de l’ennemi sur la côte sud-ouest, ainsi que le relevé de l’implantation des unités
allemandes dans la région. Il doit les remettre au plus vite à un certain Alain Boyau, place Pereire à Paris, qui les fera parvenir à Londres.
Conscient du danger que cette « bombe » toute en listes, croquis et cartes, fait courir à sa famille, il dort peu. Le voyage, une petite valise à
la main, dans un compartiment où montent, à Poitiers, deux soldats allemands, lui semble long. Tout se passe bien. D’Austerlitz, il prend le
métro pour Pereire. Sur la place circulaire, il découvre l’immeuble cherché. Par précaution, avant d’entrer, il déambule pour vérifier qu’il
n’y a rien d’insolite. Sur la place, des femmes avec des voitures d’enfant, très peu de circulation. Un bonhomme en imperméable beige,
faisant les cent pas, regarde sa montre et semble attendre quelqu’un. La Prairie se décide, sonne à l’étage indiqué. Un homme jeune, visage
assez rond, vient lui ouvrir. Après le mot de passe échangé de part et d’autre, il lui remet les documents. Après de brèves paroles, La Prairie
quitte l’immeuble, heureux et soulagé. Il remarque les mêmes voitures d’enfant sur la place, et le même individu en imperméable beige un
peu plus loin. C’est tout joyeux, avec sa valise désormais vide, qu’il attend son métro, sur le quai de la station Pereire, direction République,
pour regagner sa chambre rue de Vaugirard. Brusquement, à ses côtés, l’inconnu à l’imperméable qu’il regarde le regarde, s’éloigne, fait les
cent pas. Le visage en lame de couteau, brun, teint mat, il garde les mains dans les poches. Immédiatement en alerte, La Prairie se
demande : Gestapo, Police ?
« Mon esprit galopait, me raconte-t-il : certes ma valise ne contient plus rien de compromettant, et sur moi je n’avais rien que des
papiers d’identité en règle. Mais avait-il repéré mon manège, mon entrée chez Boyau ? Comptait-il me suivre jusqu’à mon domicile pour
savoir où j’habitais et, dorénavant, me surveiller ? Boyau était-il en danger, avec tous les documents “explosifs” ? Voici le métro.
L’imperméable beige monte dans le même wagon que moi, et se tient debout à quelques mètres. J’ai dix-neuf stations à parcourir, avec un
changement à Réaumur-Sébastopol. Je verrai bien s’il descend avec moi. Non, me dis-je, il faut que je le sème avant l’arrivée dans mon
quartier. Une fois dehors, il me suivra et me fera arrêter. Les stations défilent. Entre les stations, dans de longs tunnels, au lieu de lire les
réclames “Dubo... Dubon... Dubonnet...” mon esprit scande “Il faut... il faut... le semer”. Mais comment ? À la station Bourse, je descends sur
le quai, l’homme me suit. Je remonte aussitôt dans un autre wagon avant que les portes se referment, il se faufile juste derrière moi.
Désormais les choses sont claires. Garder la tête froide : il n’y a pas d’Allemands (du moins en uniforme) dans ce wagon ; ce gringalet ne
peut pas m’arrêter maintenant, sinon je suis de taille à le démolir. Tirerait-il ? C’est peu probable. Un risque à courir. Voici le changement à
Réaumur-Sébastopol. Je descends et cours à pleine vitesse dans les couloirs et escaliers, avec l’espoir que le portillon automatique sera
ouvert pour moi puis fermé pour lui. Mon coup a raté... Mon poursuivant arrive essoufflé, et se poste, attendant la prochaine rame, à
quelques mètres de moi. L’apostropher ? À quoi bon ? Une rame arrive. Je monte. Et les stations défilent... À Odéon, il est toujours là. Il ne
me reste que les stations Saint-Germain-des-Prés et Saint-Sulpice ; ensuite, c’est Saint-Placide, là où je dois normalement descendre pour
rentrer chez moi. Si je prolonge jusqu’au terminus, Porte d’Orléans, il me suivra et me “cramponnera”, jusqu’à ce que la rencontre d’une
patrouille, ou le passage devant un poste de police allemande, mette fin à cette poursuite.
« Plusieurs passagers sont montés à l’Odéon. Près de moi, une femme entre deux âges, corpulente, vêtue de vert. Je me place entre
elle et la porte du wagon. Mon freluquet à l’imperméable beige est légèrement en retrait, derrière cette dame. Notre wagon se remplit
encore un peu. Et voici que, dans un éclair, m’apparaît une solution à la risque-tout ; j’y réfléchis un instant, tandis que, passé à la station
Saint-Sulpice, notre rame ralentit et s’arrête à Saint-Placide. Les portes s’ouvrent, je ne bronche pas. Mais juste au moment où elles vont se
refermer, je donne un formidable coup de reins dans la grosse dame en vert et jaillis, de justesse, hors du wagon. Je cours sur le quai comme
un fou et j’entrevois, l’espace d’un éclair, dans le wagon qui déjà me dépasse à grande vitesse, ma “victime” les quatre fers en l’air, écroulée
sans doute sur l’ignoble petit imperméable vert, puisque lui je ne l’aperçois même pas. Sorti à l’air libre, tandis que le métro emporte vers
Montparnasse-Bienvenüe le “tas emmêlé” vert et beige, j’entre immédiatement dans un café qui touche la station de métro, au coin de la rue
de Rennes et de la rue Notre-Dame-des-Champs et j’appelle Alain Boyau. L’entretien est bref. Le temps de lui dire que “j’ai été repéré devant
chez vous. J’ai semé le type. Filez vite vous cacher quelque part avec tout le matériel. De mon côté, je me planque. Salut”.
« Bien entendu, je ne suis pas retourné chez moi avant plusieurs jours, par crainte de croiser le bonhomme à l’imperméable beige
dans ce quartier... Dans cette affaire, l’exploit, ce sont évidemment les résistants de La Pallice, de Bordeaux, du Pays basque, qui l’avaient
réalisé patiemment en réussissant à collecter les renseignements, à établir les plans et relevés de toutes les défenses allemandes du Sud-
Ouest. Mon rôle à moi ne fut que celui d’un petit commissionnaire 13. »
D’autres résistants ont moins de chance que Jacques Chaban-Delmas et Yves La Prairie. Le 9 juin 1943, au métro La Muette, alors
qu’il a rendez-vous avec René Hardy, Charles Delestraint, chef de l’Armée secrète, est arrêté par la Gestapo, douze jours avant l’arrestation
de Jean Moulin à Caluire. Il est interrogé à Neuilly puis avenue Foch par la Gestapo. En juillet, il est incarcéré à Fresnes. Après une
instruction de neuf mois, il est envoyé au camp de Natzwiller-Struthof, en Alsace. Les Alliés approchant, il est transféré en septembre 1944 à
Dachau, près de Munich. Le 19 avril 1945, dix jours seulement avant l’arrivée des Américains, il est abattu d’une balle dans la nuque avant
d’être incinéré au crématoire du camp.
L’évolution du personnel
Lors de son ouverture en juillet 1900, le métro, bien que limité à la ligne 1, est exploité par un nombre important d’agents, dont
notamment un chef surveillant, responsable du personnel, des installations techniques et de la vente des billets. On trouve également des
surveillants de quais, chargés d’aider et d’informer les usagers, une receveuse pour la vente des billets, un surveillant de contrôle qui
poinçonne les billets. Des gardes assurent la sécurité des quais et le bon fonctionnement des portes qui ne sont alors pas automatiques. Un
conducteur conduit non seulement le train mais il s’occupe de l’entretien des motrices.
L’incendie du 10 août 1903 sur la ligne 2 entraîne une nouvelle organisation, avec notamment la mise en place d’un personnel de
sécurité d’encadrement en ligne, chargé d’assister les agents des stations. Les lignes se divisent en secteurs, avec pour chacun d’eux la
présence d’un gradé responsable. Un nouveau service comprend des agents régulateurs, spécialistes de la gestion des intervalles entre les
trains et du respect des horaires.
Durant les années 1960, avec l’arrivée de l’électronique et des techniques d’automatisation, les postes de commande et de contrôle
sont centralisés, afin de donner au personnel qualifié une vision globale et rapide des décisions à prendre. Les postes de commande
centralisés (PCC) sont de véritables centres névralgiques, assurant la marche des trains, la régulation du trafic, l’assistance aux conducteurs
et le contrôle de l’énergie de traction sur les lignes. Le PCC permet d’avoir une vision globale de la situation, ce qui aide à réduire les délais
d’intervention en cas de dysfonctionnement. Les postes de manœuvres locaux (PML) sont des postes d’aiguillage gérant les départs et les
arrivées des rames au niveau des stations et des terminus.
Le Transsibérien
En 1880, la Russie est en retard sur les autres grandes puissances européennes en équipement de chemin de fer. Cet empire de
22 434 392 km², dont 5 515 054 km² se trouvent en Europe, ne compte que 0,14 kilomètre de voies ferrées par kilomètre carré. La Russie
d’Europe, qui possède la quasi-totalité du réseau ferroviaire russe, atteint à peine 0,52 kilomètre de voies par kilomètre carré, alors qu’à la
même époque, la Belgique en compte 17 par kilomètre carré, la Grande-Bretagne 10,3, l’Allemagne 7,9, la France 7 et l’Italie autant.
Un travail de titan
La construction de la ligne est entreprise simultanément à ses deux extrémités, à Moscou et à Vladivostok. Les conditions climatiques
extrêmes rendent très pénibles les conditions de travail. Près de mille sept cents détenus et deux mille cinq cents relégués sont à l’ouvrage et
doivent affronter diverses calamités. En 1897, une inondation emporte les récoltes, privant les ouvriers d’une partie de leur subsistance. En
1898, une épidémie frappe le personnel et le bétail.
En 1900, cinq mille quatre cents kilomètres de voies ferrées sont posés, ce qui représente une installation moyenne de six cents
kilomètres par an. Le gouvernement impérial juge cette progression trop lente. Le tsar vide les prisons et les bagnes pour embaucher de
nombreux travailleurs à bon compte, corvéables à merci, mais ceux-ci, finalement peu motivés, font lentement un mauvais travail. On
décide alors de faire appel à des ouvriers spécialisés et à des ingénieurs européens, ainsi qu’au savoir-faire des grands pays industrialisés
d’Occident pour fournir les locomotives à la Russie.
De luxueuses voitures françaises pour le Transsibérien
Le 14 avril 1900, le président français de la République, Émile Loubet, inaugure avec enthousiasme l’Exposition universelle de Paris.
Au pied du Trocadéro, on peut découvrir les voitures d’un train destiné au futur Transsibérien de luxe.
Ces voitures françaises, construites aux ateliers de la Compagnie de Saint-Denis, sont les plus vastes de l’époque. Elles traversent
Paris durant la nuit car leur transport nécessite le concours de plusieurs tracteurs lourds. La rame se compose de deux restaurants-salons,
d’un sleeping, d’une voiture-salon avec emplacement réservé au coiffeur, aux salles de bains et de gymnastique, d’un fourgon destiné au
personnel, aux bagages et aux provisions. Une installation électrique fournit l’éclairage, le chauffage des bouillottes des lits et de la
ventilation. L’un des wagons restaurants-salons comprend une salle à manger de vingt-quatre couverts, dont l’ensemble est décoré de
boiseries et de meubles d’acajou de style moderne, sans oublier une autre salle à manger de douze couverts, de style Louis XVI, en chêne
clair, avec cuisine, office et buffet.
Les quatre compartiments de la voiture-lit offrent deux places, entrecroisées avec cabinets de toilette intermédiaires. Ils se situent à
l’une des extrémités de la voiture, ainsi que le grand salon de quinze places. De l’autre côté, on peut admirer un fumoir oriental, aussi
confortable que dans un palais. La dernière voiture-salon, équipée d’une terrasse pour sept personnes et d’un salon de musique avec piano,
complète l’ensemble. À table, on conseille le bœuf Stroganov au paprika ou le chachlik d’agneau caucasien.
Un trafic régulier
En 1905, le Transsibérien circule régulièrement sur toute la longueur de la ligne de Moscou à Vladivostok. Mais, du fait de la guerre
russo-japonaise (1904-1905), l’inauguration officielle est abandonnée au profit des transports militaires. En 1910, trois trains par semaine
assurent la liaison, avec deux Transsibériens russes et un Transsibérien de luxe franco-belge de la Compagnie internationale des wagons-lits.
Entre 1905 et 1912, deux millions de personnes utilisent ce moyen de locomotion pour s’installer dans le sud de la Sibérie ou dans la région
de Vladivostok. La vitesse moyenne de 25 à 36 km/h, selon les trains, permet d’accomplir le voyage intégral en deux ou trois semaines.
Les voyageurs du Transsibérien de luxe prennent le matin un petit déjeuner, servi en cabine ou dans la voiture-restaurant, un
déjeuner ou un dîner à la carte, avec la possibilité d’y séjourner pour boire un alcool en fumant un cigare, tout en lisant les nouvelles du
jour, télégraphiées par le New York Herald Tribune au chef de train.
Incidents et sabotages
Dans un train parcourant neuf mille trois cents kilomètres de distance, les incidents sont inévitables. Ainsi, lors des funérailles de
l’empereur du Japon Mutsuhito, une délégation officielle, comprenant notamment le prince Henri de Prusse et le général français Lebon,
reste bloquée plus de 4 heures, à la suite de problèmes d’avaries.
Aux tracasseries techniques viennent s’ajouter les sabotages, liés vraisemblablement à la concurrence que les deux Transsibériens
russes livrent au rival franco-belge. En effet, le gouvernement du tsar accorde à Nagelmackers l’exploitation de la ligne avec un train portant
le même nom que les deux rivaux russes. Ainsi, le 23 avril 1913, le Transsibérien-Express occidental, quittant Moscou pour Vladivostok,
déraille en pleine nuit, près de la gare de Tarousskija, entre Serpoukhov et Toula. La locomotive se couche, tandis que le fourgon de tête, la
voiture-restaurant et deux voitures-lits sont endommagés. « L’accident » se produit durant le sommeil des voyageurs. Par miracle, on ne
compte aucune victime, mais l’enquête de la police révèle que les rails ont été déboulonnés volontairement ! À l’aube, les cheminots
retrouvent des boulons, des éclisses et des écrous au bord de la voie !
Pas de doute ! Il s’agit bien d’un sabotage, qui inquiète grandement la Compagnie occidentale dont le contrat avec les chemins de fer
russes doit théoriquement se poursuivre jusqu’en 1920. Au lieu d’envisager le développement d’un trafic commun, l’administration russe
choisit de discréditer son partenaire étranger préféré par la clientèle de luxe. Le gouvernement russe souhaite mettre fin à cette domination
étrangère. Il recherche le moyen juridique de supprimer, purement et simplement, la rame du train de luxe en y incorporant des voitures du
chemin de fer de l’État. La Compagnie occidentale dénonce avec fermeté la violation du contrat ratifié le 4 juin 1908. Les Russes répliquent
par une manœuvre de diversion en annonçant qu’ils préparent la mise en service de wagons dotés d’un équipement sanitaire moderne.
La guerre de 14-18 permet à la Russie d’arriver à ses fins. Le Transsibérien-Express franco-belge est supprimé. La protestation des
puissances occidentales comme la France et la Grande-Bretagne n’aboutit à rien, car le commandement russe estime que le transport des
troupes par les deux Transsibériens nationaux prime sur les festivités mondaines. L’encombrement de la voie par les transports militaires sur
la ligne Moscou-Vladivostok ne peut permettre la circulation d’un troisième train étranger non réquisitionné.
En 1891, Édouard Michelin, né à Clermont-Ferrand le 23 juin 1859, ancien élève de l’école des Beaux-Arts, invente le pneumatique
démontable pour les bicyclettes, système qu’il adapte à l’automobile en 1894. Avec son frère André, ingénieur centralien né à Paris le 15
janvier 1853, il a déjà fondé la société Michelin en 1889, d’abord spécialisée dans la construction de charpentes en fer, puis dans la
fabrication de pneus en caoutchouc. Durant la Belle Époque, les deux frères participent à de nombreuses courses automobiles, afin de
démontrer la fiabilité du nouveau matériel roulant, qui est ensuite adapté aux motos et aux avions.
Un autorail léger
La Micheline est un autorail léger, équipé de pneus Michelin dès 1929. Elle est d’abord testée sur le réseau privé de la société à
Clermont-Ferrand, puis les essais se poursuivent sur les lignes Saint-Florent-Issoudun et Massy-Palaiseau-Chartres. Cette invention, qui
améliore le confort des voyageurs et augmente la vitesse, repose sur des pneus creux, roulant sur la surface réduite du rail. Le guidage de la
roue est assuré par un boudin métallique solidaire de la jante. Mais pour que cela fonctionne, il devient nécessaire de construire des
véhicules légers, que rend possible la fabrication d’une caisse en Duralium riveté. Le premier prototype de la Micheline est présenté en
1931.
Première démonstration officielle
Marcel Michelin, le fils d’André Michelin, organise une démonstration le 10 septembre 1931. Il invite André Citroën et sa femme,
Raoul Dautry le directeur du réseau de l’État, quelques officiels et des journalistes. C’est le premier essai officiel sur une ligne de chemin de
fer. Michelin teste son prototype no 5 sur la ligne Paris-Deauville. L’autorail est monté sur un châssis Hispano-Suiza et une carlingue d’avion
Wibault. Il quitte la gare de Paris Saint-Lazare à 10 h 30 et atteint Deauville à 12 h 44, après un parcours de près de deux cent vingt
kilomètres, avec une vitesse moyenne de 107 km/h et des pointes à 130 km/h, battant ainsi de 32 minutes le Rapide de luxe, qui ne dessert
que quelques gares importantes et n’attend pas, en principe, les trains en correspondance qui sont en retard sur leur horaire.
La Micheline type 11
Mais revenons à la Micheline. Durant l’été 1931, Marcel Michelin poursuit ses essais sur un nouveau modèle à vingt-quatre places, la
Micheline type 11. Très proche d’un autocar, il se compose d’un tracteur à trois essieux et d’une semi-remorque équipée d’un boggie à deux
essieux à l’arrière. La caisse de la remorque, à ossature en aluminium revêtu de contre-plaqué, offre un poids raisonnable pour les
pneumatiques. Le Duralium riveté est abandonné, car jugé moins solide. L’unique poste de conduite à l’avant nécessite le retournement en
fin de parcours. La Micheline type 11 est, par la suite, transformée pour la conduite en réversibilité. La cabine type camion est remplacée
par un habitacle surélevé. Un inverseur est ajouté, afin de permettre le passage des vitesses dans les deux sens de la marche. Ces premiers
modèles sont mis en service par la Compagnie des chemins de fer de l’Est le 21 mars 1932, sur la ligne Charleville-Givet. Ils sont finalement
retirés de la circulation en 1939, à la suite de problèmes techniques au niveau du moteur. Plusieurs de ces Micheline sont cependant
construites aux États-Unis pour la compagnie Budd, connue pour son utilisation de l’acier inoxydable.
Le Train Bleu a fait rêver des générations entières, symbolisant le luxe, l’évasion et le mystère des voyages d’autrefois. La création de
son ancêtre remonte au 8 décembre 1883, soit quelques semaines après le lancement du célèbre Orient-Express, qui a lieu le 4 octobre. Il
commence sa carrière sous le nom de Calais-Nice-Rome-Express et accomplit ce trajet en 18 heures, avec un aller-retour hebdomadaire. Son
succès porte vite la fréquence à trois liaisons par semaine entre Paris et Menton. L’ouverture du tunnel du Mont-Cenis permet de le scinder
en deux, avec une rame Rome-Express via Modane et l’autre Calais-Méditerranée-Express, mise en route lors de l’hiver 1886-1887, à
destination de Vintimille, en Italie.
En l’espace de quelques années la Grande-Bretagne est reliée à l’Italie par le train. On a ainsi la possibilité d’accomplir en quelques
heures, dans des conditions confortables, le voyage de Calais à Nice. Ce train attire toute une clientèle cosmopolite désirant bénéficier des
bienfaits du soleil en hiver. Bien entendu, la traversée de la Manche se fait en bateau.
« Hiverner sur la Riviera, écrit Jean-Paul Caracalla, devient à la mode en cette fin de siècle. On se rue, dès les premiers frimas, à
Nice, à Menton, à Monte-Carlo où François Blanc, créateur de la Société des bains de mer, organise dans son palace des fêtes somptueuses
instaurant la renommée de l’Hôtel de Paris, et un nouveau gîte pour les joueurs dans son casino 1. »
La première voiture-restaurant
Testée en 1882, entre Marseille et Nice, la première voiture-restaurant reçoit vingt-quatre personnes. Sa cuisine sépare deux salles à
manger qui alignent chacune deux tables de quatre à deux couverts. L’essai est si probant que l’année suivante les ateliers de la Compagnie
des Wagons-Lits mettent en service plusieurs voitures-restaurants-salons avec fumoir-bibliothèque et boudoir pour dames.
Un cadavre décapité
Dans la nuit du 19 au 20 février 1934, on retrouve sur la voie, près de Dijon, le corps sans vie d’un homme décapité. Il s’agit d’Albert
Prince, magistrat et conseiller à la cour d’appel de Paris, chargé d’étudier le dossier visant l’escroc Alexandre Stavisky. Ce décès mystérieux
relance l’affaire politico-financière, qui va largement contribuer à discréditer le régime de la Troisième République.
Juif russe, né le 20 novembre 1886 en Ukraine, Alexandre Stavisky arrive en France à l’âge de deux ans. D’un physique agréable, il
déduit vite qu’il pourra utiliser cet atout auprès des femmes riches. Il se marie en 1910, dépense la dot de son épouse, puis se remarie en
1928 avec Arlette Simon, célèbre mannequin parisien. De 1909 à 1933, il monte un nombre considérable d’escroqueries et passe à travers
les mailles du filet de la justice. Il tisse un important réseau de relations mondaines, fréquente assidûment les casinos, courtise les plus
belles femmes, voyage régulièrement dans l’Orient-Express et le Train Bleu. Il dispose de complicités dans la police et le milieu judiciaire.
En décembre 1933, après avoir essayé en vain de corrompre le ministre des Finances Georges Bonnet, Stavisky se réfugie dans les Alpes,
dans un chalet à Chamonix. Le 8 janvier 1934, la police découvre son corps, un pistolet à la main, gisant au sol dans une mare de sang.
La commission d’enquête parlementaire ne manque pas de relever de nombreuses zones d’ombre sur les conditions de cette
découverte étrange, pensant même que tout avait été fait pour que Stavisky ne soit pas arrêté vivant ! L’idée d’une élimination organisée
pour éviter qu’il ne livre ses complices dans le monde politique et celui des affaires se répand dans la presse comme une traînée de poudre.
Le public apprend qu’entre 1929 et 1933 Stavisky a bénéficié de dix-neuf remises de peine par la justice, accordées par Pressard, procureur
de la République à Paris, beau-frère du président du Conseil, Camille Chautemps. Le 27 janvier, ce gouvernement tombe. L’extrême droite
orchestre une violente agitation médiatique qui aboutit aux émeutes du 6 février 1934, lors desquelles quinze personnes trouvent la mort.
Le décès étrange du conseiller de la cour Albert Prince, sur la voie ferrée du Train Bleu, relance l’idée d’une conspiration politico-
financière. En tant que chef de la section financière du parquet de Paris, il avait enquêté sur Stavisky et son entourage. Le procès de l’affaire
Stavisky se déroule du 4 novembre 1935 au 18 janvier 1936. Sur les dix-huit inculpés, huit condamnations sont prononcées, touchant les
proches immédiats de l’escroc disparu.
Certains soirs, la clientèle du Train Bleu y est aussi huppée que celle du bar Hemingway de l’hôtel Ritz. On s’y donne rendez-vous
Certains soirs, la clientèle du Train Bleu y est aussi huppée que celle du bar Hemingway de l’hôtel Ritz. On s’y donne rendez-vous
pour boire un verre de champagne et grignoter un toast de caviar avant de dîner. Un bar communique avec la salle à manger où l’on dîne à
la carte. Avant de regagner la cabine, quelques couche-tard terminent un dernier verre, tandis que les membres du personnel se préparent à
passer la nuit dans des hamacs, accrochés aux cloisons de la voiture-restaurant. L’exigence du service ne leur laisse que peu de temps de
sommeil : dès 6 heures du matin, ils doivent être prêts pour dresser les tables du petit déjeuner des lève-tôt de la clientèle.
Ce train de prestige du rail français reste, durant longtemps, le porte-drapeau de la SNCF. Avant lui, les trains aérodynamiques des
années 1930 s’illustrent sur l’artère impériale entre Paris, Lyon et Marseille. Le futur Mistral est leur héritier direct, proche parent également
du célèbre Train Bleu.
Après l’occupation allemande, la SNCF reprend la circulation des liaisons rapides durant l’hiver 1945-1946. Ouvertes aux première et
seconde classes, alors qu’existent trois classes sur les trains ordinaires, ces liaisons fonctionnent entre Paris et Lyon sans arrêt à Dijon. Dans
un premier temps, on utilise les vieilles voitures aérodynamiques souvent poussives. De même, le parcours de Marseille à Nice (et
inversement) est assuré par un autorail Bugatti.
Devant la concurrence grandissante des lignes aériennes intérieures et la multiplication de l’usage de l’automobile, la SNCF décide de
frapper fort.
Au début des années 1960, le trafic ferroviaire français souffre de la concurrence grandissante de l’automobile, des camions, des
autobus et des avions. La vitesse des trains de l’époque est la principale raison de ce déclin. Afin d’y remédier, l’ingénieur français Guy
Sénac et la SNCF ont l’idée de lancer la construction d’un turbotrain, à savoir un train propulsé par des turbines à gaz, permettant un
allégement considérable des motrices et une augmentation importante de la vélocité, passant de 80 km/h en moyenne pour les trains
classiques à 120 voire 200 km/h, pour les nouveaux modèles.
Le choc pétrolier de 1973 porte atteinte au développement du turbotrain. En effet, les turbines à gaz consomment beaucoup de
Le choc pétrolier de 1973 porte atteinte au développement du turbotrain. En effet, les turbines à gaz consomment beaucoup de
kérosène, souvent mélangé à du gasoil. Les coûts d’exploitation deviennent trop importants. Des programmes d’électrification des grandes
lignes, non encore équipées, se multiplient rapidement, si bien que le futur TGV est lui-même adapté à la traction électrique.
Il n’est donc pas prévu de nouvelles générations de turbotrains. À partir des années 1980, ceux-ci, bien que très récents, commencent
à quitter le réseau français. Après 1996, des rames utilisées entre Lyon et Bordeaux continuent à représenter ce modèle à grande vitesse. Fin
2004, les derniers turbotrains disparaissent discrètement en France, laissant la place aux TGV.
Le TGV (Train à Grande Vitesse) représente l’excellence française en matière technologique, au même titre que les avions militaires
et civils, comme le Mirage, le Rafale, le Concorde et l’Airbus, sans oublier les autres merveilles tricolores comme la fusée Ariane et le
nucléaire.
Symbole de la réussite française dans le monde, le TGV doit son existence à la remarquable qualité professionnelle du corps des
ingénieurs nationaux, toujours à la pointe de la modernité.
Vitrine de démonstration du savoir-faire français, « le TGV, affirme Jacques Chirac, c’est une réussite industrielle majeure. C’est une
admirable démonstration des capacités de la France en matière de recherche, de développement et d’innovation 1. »
Grâce à lui, la SNCF relève avec succès les défis de la concurrence aérienne et de l’automobile, dont la vitesse est la clé de la réussite
commerciale et technologique. Avec cet admirable train, la France est entrée dans le XXIe siècle.
TGV et culture
En février 2014, la SNCF et la Fnac lancent des billets combinés de TGV et de spectacle. Cette nouvelle offre doit apporter un million
de nouveaux passagers à la SNCF. Selon le site SNCF de voyage en ligne, 65 % des Français renonceraient à se rendre à un événement
culturel ou artistique du fait de la complexité liée au transport et à l’éloignement. Désormais, il va être possible de combiner le plaisir du
train avec celui de la culture, lors de spectacles, de festivals, de grandes expositions et même d’événements sportifs partout en France.
Dans un premier temps, l’offre accessible sur le site de la SNCF se limite aux billets de train et d’événements sur le territoire national,
puis elle sera étendue aux autres destinations internationales accessibles en TGV, notamment eu Eurostar. « Nous allons aussi proposer des
nuits d’hôtel, annonce Yves Tyrode, P-DG du site voyages-sncf.com. Mais associer l’offre de voyage et celle de loisir représente un défi
technologique tel qu’il faudra attendre quelques mois avant de pouvoir y ajouter l’hébergement. Notre site de vente de voyages en ligne
mise également sur les touristes étrangers, friands d’offres groupées pour découvrir des régions de France, à l’occasion d’une manifestation
culturelle : festival, concert, exposition... Nous vendons 8 millions de voyages à des non-Français. En 2012, nous avons écoulé 68 millions
de billets de train et réalisé 3,8 milliards d’euros de transactions 13. »
Les enfants font le succès d’Ouigo, le TGV à bas coût
Un mois après son lancement en février 2013, Ouigo, le TGV à bas coût rose et bleu, desservant la ligne Sud-Est, devient le train des
enfants. Alors que sur un TGV classique on compte 7 % d’enfants de moins de douze ans, sur Ouigo, ils représentent 20 % des voyageurs.
Avec un tarif à cinq euros pour les petits et dix euros pour les adultes accompagnateurs, le succès est garanti si l’on se fie au nombre de
billets vendus : 300 000 !
Valérie Delhinger, directrice d’Ouigo à la SNCF, cite l’enquête de satisfaction effectuée auprès des clients à l’issue du premier
voyage : « Alors que 90 % des personnes interrogées assurent qu’elles le recommanderaient, une sur deux affirme que sans Ouigo elle
n’aurait pas pris le train. Et parmi ce dernier groupe, une personne sur deux n’aurait pas voyagé du tout 14. »
Le 4 février 2014, le groupe Ouigo, filiale à bas coût de la SNCF, annonce avoir atteint les 2 millions de billets vendus depuis son
lancement il y a un an.
L’idée de relier la France à la Grande-Bretagne par un tunnel est ancienne. En 1802, l’ingénieur des Mines Albert Mathieu-Favier
propose à Napoléon Bonaparte, alors Premier consul, la construction d’un tel ouvrage sous la Manche, accessible aux hommes, aux chevaux
et aux diligences, sorte de boyau pavé, éclairé par des quinquets, aéré par des cheminées s’élevant droit à l’air libre au-dessus du niveau de
la mer. La durée prévue de la traversée en diligence serait de 5 heures 30 minutes. Au milieu du détroit, entre Douvres et Calais, sur le banc
de Varne, Mathieu-Favier prévoit même un petit port international, doublé d’une auberge. Mais à nouveau, le canon tonne entre les deux
pays sur mer et en Europe. Le projet est abandonné.
En 1834, Thomé de Gamond, ingénieur hydrographe, suggère de bâtir un tunnel métallique. L’année suivante, il soumet le projet
d’une voûte sous-marine en béton, coulée au fond de la mer. En 1837, il propose un bac flottant, d’une jetée française à une jetée anglaise,
toutes deux fort longues. En 1840, il en est à suggérer un isthme artificiel, en immergeant, au fond du chenal, des blocs de béton. En 1846,
il préconise un pont mobile et, en 1852, un pont-viaduc, à partir de 400 tubes de fer, jetés sur des arches de granit. En 1855, il trace le
premier parcours d’un tunnel ferroviaire, entre le cap Gris-Nez et Abbots Cliff.
En 1875, la Société du Chemin de Fer sous-marin entre la France et l’Angleterre multiplie les explorations hydrographiques et
géologiques du Pas-de-Calais, afin de construire un tunnel sous la Manche. Ce projet est de nouveau proposé en 1931, tandis que d’autres
promoteurs préconisent la construction d’un pont. La Seconde Guerre mondiale met un terme à cette idée.
Cependant, l’Allemagne hitlérienne définitivement écrasée en 1945, de nombreuses personnalités politiques britanniques et
françaises, soudées par la lutte contre l’Axe, développent à nouveau le projet d’un tunnel, comme Winston Churchill, Vincent Auriol, Harold
Macmillan, Anthony Eden, René Pleven, Jean Monnet, Guy Mollet...
Le scandale de l’Eurotunnel
Le groupe Eurotunnel est une société privée franco-britannique, concessionnaire jusqu’en 2086 de l’infrastructure du tunnel sous la
Manche. Acteur incontournable du transport transmanche depuis 1994, il fait partie des leaders européens du ferroutage. Son histoire est
marquée par une succession de restructurations financières. Aujourd’hui, ce sont plus de 284 millions de passagers et plus de 57 millions de
véhicules qui ont emprunté le tunnel depuis son ouverture.
Cette belle façade ne peut faire oublier que l’Eurotunnel, reliant la France à la Grande-Bretagne, aussi bien au niveau ferroviaire que
routier, frôle depuis l’été 2006 le dépôt de bilan, avec neuf milliards de dettes. La conséquence est la ruine de ses quelque 800 000 petits
actionnaires. De quoi donner des sueurs froides aux hommes politiques actuels, qui n’ont de cesse d’éviter que cette bombe à retardement
leur explose à la figure.
Promoteurs du projet en 1986, les États français et britanniques portent une lourde responsabilité dans ce fiasco. Pas seulement parce
que François Mitterrand et Margaret Thatcher ont refusé de mettre la moindre somme d’argent public dans cette aventure, dont les
banquiers savaient qu’elle ne serait jamais rentable. Mais parce que tous, de droite comme de gauche, ont incité les petits porteurs à vider
leurs bas de laine dans le tunnel, quatre milliards d’euros, en assurant que leur « acte de foi » leur apporterait la richesse. Un mensonge
nécessaire pour mener à bien ce « projet du siècle » attendu depuis cent ans.
Dans un livre récent, Marc Fressoz raconte la chronique d’un scandale financier, ainsi que les affres endurées par les petits
épargnants bernés. Il dévoile les batailles internes rocambolesques entre dirigeants français et britanniques 2...
La plus grande victoire de Thatcher est d’avoir imposé à un Président français socialiste un financement à 100 % privé. Un choix
irrévocable qui, pour la « Dame de fer », doit démontrer la supériorité du libéralisme. Ce diktat, relayé par le ministre des Transports
ultralibéral, Tony Ridley, ne semble pas avoir posé de problèmes de conscience à Mitterrand et aux différents gouvernements socialistes.
« Thatcher n’a rien voulu savoir, alors que nous demandions une contribution publique », indique Pierre Mauroy 3.
L’activisme du réseau bancaire, pour placer des titres à tour de bras auprès de sa clientèle, est inversement proportionnel à la
confiance qu’il met dans l’entreprise. Sur la place de Paris, peu d’acteurs misent sur Eurotunnel. « Nous n’y avons pas cru. Je me souviens
d’un conseil d’administration où nous avons débattu d’Eurotunnel. Nos prévisions, sans appel, démontraient que le coût de construction
n’était pas réaliste », glisse un responsable de la Banque européenne d’investissement (BEI), aujourd’hui en poste à Paris 4.
Plusieurs raisons expliquent cette situation chaotique. Tout d’abord, la forte augmentation des coûts du matériel roulant :
initialement estimés à environ 7,5 milliards d’euros, ils se sont montés finalement à 12,5 milliards d’euros. Le montant des intérêts
d’emprunts correspondant pesait fortement sur la rentabilité du tunnel et ne permettait plus alors de rembourser la dette. D’autre part, les
estimations trop optimistes du trafic ont entraîné des recettes moins importantes. Ainsi, une publicité d’Eurotunnel, datée du 6 novembre
1987, annonçait 30 millions de voyageurs et 15 millions de tonnes de fret annuels. Or, en 2003, le trafic fut seulement de 6,8 millions de
voyageurs et 1,5 tonne de fret.
Malgré les travaux engagés par son nouveau président Jacques Gounon, Eurotunnel ne peut éviter, le 2 août 2006, le placement sous
procédure de sauvegarde par le tribunal de commerce de Paris. Cette décision prise pour six mois (reconductible deux fois) permet à
Eurotunnel de geler ses créances et de suspendre le remboursement de sa dette de 9 milliards d’euros. L’activité de l’entreprise peut donc se
poursuivre.
Depuis juillet 2007, grâce à la création d’un plan de sauvegarde, l’entreprise a échappé à la faillite définitive. Elle a divisé sa dette
par deux. Désormais, la situation économique et financière du tunnel semble plus saine, le trafic sous la Manche est en progression et les
excédents d’exploitation couvrent les charges financières.
1804
Le 21 février 1804, la locomotive de l’ingénieur britannique Richard Trevithick est capable de tracter des charges importantes, comme cinq
tombereaux destinés au minerai de fer, ainsi que soixante-dix voyageurs, à la vitesse moyenne de 8 km/h.
1827-1829
Le Français Marc Seguin est l’inventeur de la première locomotive à vapeur, utilisant une chaudière tubulaire, permettant de multiplier par
six la puissance développée des machines. Cette invention, déposée le 12 décembre 1827, est d’abord appliquée à des bateaux naviguant sur
le Rhône, tandis que la locomotive accomplit ses premiers tours de roue le 1er octobre 1829, quelques jours avant la Rocket du Britannique
George Stephenson. La locomotive Rocket de George Stephenson établit un premier record de vitesse à 56 km/h, sur la future ligne
ferroviaire reliant Londres à Liverpool.
1837
Le 24 août 1837, la reine de France Marie-Amélie assiste à l’inauguration de la première ligne ferroviaire construite au départ de Paris,
uniquement destinée au transport des voyageurs, afin de rejoindre Le Pecq, puis Saint-Germain-en-Laye.
1848
Le 5 janvier 1848, le directeur général des Postes annonce que des mesures ont été prises pour que la Malle des Indes, venant de Londres les
7 et 24 de chaque mois, soit dirigée sur Boulogne et placée dans des convois ferroviaires, équipés de wagons-poste jusqu’à Paris. Cette
mission repose sur des locomotives à vapeur Crampton, capables d’atteindre la vitesse incroyable pour l’époque de 144 km/h.
1857
Le roi de Piémont-Sardaigne Victor-Emmanuel II ordonne, le 31 août 1857, le début des travaux d’un tunnel ferroviaire traversant les Alpes,
par le col du Mont-Cenis.
1865
Napoléon III décide en 1865, en collaboration avec les ingénieurs britanniques Thomas Brassey et John Barraclough Fell, la construction
d’une ligne de chemin de fer entre Saint-Michel-de-Maurienne et Suse, qui passera par le col du Mont-Cenis, avec une locomotive Fell.
1883
Le jeudi 4 octobre 1883, en début de soirée, règne une animation particulière dans la gare de Strasbourg de Paris, nommée gare de l’Est par
la suite : le célèbre train Orient-Express débute son premier voyage officiel.
1900
Le 19 juillet 1900, par un soleil éclatant et sous une chaleur accablante, 38° à l’ombre, débute la première inauguration du métropolitain
parisien, station Maillot.
1905
En 1905, le Transsibérien circule régulièrement sur toute la longueur de la ligne de Moscou à Vladivostok.
1922
Le samedi 9 décembre 1922, le premier Train Bleu arrive en gare de Calais pour Paris, puis Nice, voyage inaugural retentissant.
1931
Le premier prototype de la Micheline, autorail français, est présenté aux compagnies ferroviaires en 1931.
1950
Le 14 mai 1950, le Mistral s’élance pour la première fois. Inaugurant des voitures climatisées à couloir central, et non plus à compartiments,
il connaît aussitôt un immense succès commercial. L’introduction de la traction électrique entraîne une réduction considérable du temps de
parcours. Partant de Paris, passant par Lyon et Marseille, pour arriver à Nice, il accomplit ce voyage de mille quatre cent vingt-huit
kilomètres en seulement 9 heures, avec une vitesse maximale de 160 km/h.
1967
Le 13 juin 1967, le turbotrain roule jusqu’à 228 km/h sur la section Les Aubrais-Vierzon. Le 20 juin, il bat le record mondial de vitesse pour
un engin thermique, avec une pointe de 236 km/h.
1981
Le service TGV ouvre au public, entre Paris et Lyon, le 27 septembre 1981. La France entre désormais dans l’histoire ferroviaire électrique à
grande vitesse. Le temps de parcours se trouve considérablement réduit, ce qui permet d’acquérir de nouvelles parts de marché au détriment
de l’automobile et surtout de l’aviation. En effet, le TGV atteint une vitesse moyenne de 200 km/h, avec une pointe maximale de 320 km/h.
1986
Le 12 février 1986, la signature du traité de Canterbury, entre la France et la Grande-Bretagne, officialise enfin la construction du tunnel
ferroviaire sous la Manche.
1994
L’inauguration officielle du tunnel sous la Manche se déroule le 6 mai 1994, en présence des plus hautes autorités politiques françaises et
britanniques, dont la reine d’Angleterre et le président de la République française. Les Eurostar circulent en France à la vitesse maximale de
300 km/h et traversent la Manche, en empruntant le tunnel, à la vitesse de 160 km/h. La traversée s’effectue en 20 minutes, contre 33
minutes par les navettes Eurotunnel. Les trains utilisés par le service Eurostar sont des TGV TMST 3C.
2007
Le 3 avril 2007, le TGV bat son propre record mondial sur la rame d’essais 4402 à la vitesse de 575 km/h.
Sources principales
CARACALLA Jean-Paul, Les Fabuleuses Histoires des trains mythiques, Vladimir Fédorovski présente, Éditions du Rocher 2007.
CARS Jean des, Sleeping Story. La fabuleuse épopée des Wagons-Lits. Cent ans de voyages et d’aventures. Avec la collaboration de Roger
Commault, Éditions Julliard 1976.
CARS Jean des, Dictionnaire amoureux des trains, Éditions Plon 2006.
CONTE Arthur, L’Épopée des chemins de fer français, Éditions Plon 1996.
FRESSOZ Marc, Le Scandale Eurotunnel, Éditions Flammarion 2006.
LAMMING Clive, COMBE Jean-Marc, PAPAZIAN André et PORÉ Jacques, Au Cœur des trains du monde, Éditions Hachette 2006.
LAMMING Clive, Larousse des trains et des chemins de fer, Éditions Larousse 2008.
LAMMING Clive, Le livre d’or des trains, Éditions EDL 2004.
PAPAZIAN André, Les trains célèbres, Éditions ETAI 2002.
PAPAZIAN André, 100 Trains de légende, Éditions Solar 2003.
Du même auteur
Introduction
La ligne de Paris-Saint-Germain-en-Laye
L’Orient-Express
Le métropolitain
Le Transsibérien
La Micheline
Le Train Bleu
Le Mistral
Le turbotrain
Le TGV
L’Eurostar
Sources principales
Cahier photos
Notes
4. Id.
5. Clive Lamming, Larousse des trains et des chemins de fer, Éditions Larousse, 2008.
Notes
4. Id.
5. Jean-Paul Caracalla, Les Fabuleuses Histoires des trains mythiques, Vladimir Fédorovski présente, Éditions du Rocher, 2007.
8. Jean des Cars, Sleeping Story, la fabuleuse épopée des Wagons-Lits, cent ans de voyages et d’aventures, avec la collaboration de Roger
Commault, Éditions Julliard, 1976.
13. Id.
14. Id.
16. Id.
18. Id.
20. Id.
21. Id.
26. Id.
27. Id.
28. Récit du professeur Walter Schams, spécialiste des faits divers et de l’Orient-Express. Il raconte d’authentiques histoires criminelles, dont
celle-ci, à l’auteur. Consultation des Archives nationales, Paris, également.
29. Récit du professeur Walter Schams à l’auteur, ainsi que la consultation des Archives nationales, Paris.
30. Archives militaires françaises, Vincennes.
34. Id.
4. Id.
6. Id.
7. Arthur Conte, L’Épopée des chemins de fer français, Éditions Plon, 1996.
3. Id.
4. Id.
1. Jean-Paul Caracalla, Les Fabuleuses Histoires des trains mythiques, Vladimir Fédorovski présente, Éditions du Rocher 2007.
3. Id.
5. Id.
12. Cité par Jean des Cars, Dictionnaire amoureux des trains, Éditions Plon 2006.
Notes
4. Jean des Cars, Dictionnaire amoureux des trains, Éditions Plon, 2006.
8. Id.
11. Id.
1. Arthur Conte, L’Épopée des chemins de fer français, Éditions Plon, 1996.
6. Id.