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Dominique Lormier

12 trains qui ont changé l’Histoire

Pygmalion

Maison d’édition : éditions FLAMMARION

© 2014 Pygmalion, département de Flammarion


Dépôt légal : mai 2014

ISBN numérique : 978-2-7564-1577-2


ISBN du pdf web : 978-2-7564-1578-9

Le livre a été imprimé sous les références :


ISBN : 978-2-7564-1084-5

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


Présentation de l’éditeur :
De l’ouverture de la ligne ferroviaire Paris-Saint-Germain-en-Laye en 1837 à l’entrée en service du TGV en 1981, le train marque à jamais
le développement de l’humanité. Son histoire, aux allures d’épopée, nous conduit des fantastiques locomotives à vapeur au pharaonique
tunnel sous la Manche, en passant par le premier train alpin du Mont-Cenis, le Métropolitain, la Micheline, le Mistral, le Train Bleu, le
Turbotrain, le TGV, et les réseaux étrangers avec les mythiques Orient-Express, le Transsibérien et la Malle des Indes.
Les trains multiplient le transport des marchandises, deviennent des outils indispensables au développement économique et social, invitent
les voyageurs à la découverte de villes, de régions et de pays. Conçus par des personnages hors du commun, dont la passion et
l’imagination défient les réalités, et parfois jusqu’à la démesure, ces 12 trains nous content une saga fantastique et fascinante, une aventure
humaine déterminante dans l’évolution du monde.

Dominique Lormier, historien et écrivain, est l’auteur de nombreux ouvrages. Chevalier de la Légion d’honneur, membre de l’Institut Jean
Moulin, il est un spécialiste reconnu de l’Histoire contemporaine.
DU MÊME AUTEUR

Le Bouddhisme vu par la science, Éditions Oxus, 2010.


La Bataille de France jour après jour mai-juin 1940, Éditions Le Cherche Midi, 2010.
Croyances et légendes populaires, Éditions de Vecchi, 2010.
La Bataille de Stonne, Ardennes 1940, Éditions Perrin, 2010.
L’Apport capital de la France dans la victoire des Alliés, 1914-1918 et 1939-1945, Éditions Le Cherche Midi, 2011.
La Bataille de Dunkerque 26 mai – 4 juin 1940, Éditions Tallandier, 2011.
39-45 Les soldats oubliés, ceux dont l’Histoire ne parle plus, Éditions Jourdan, 2012.
Koenig, l’homme de Bir Hakeim, Éditions du Toucan, 2012.
La Libération de la France jour après jour 1944-1945, Éditions Le Cherche Midi, 2012.
L’Armée françaises pour les nuls, Éditions First, 2012.
Histoire générale de la Résistance française, Éditions Lucien Souny, 2012.
La Résistance, Éditions Gründ, 2012.
La Gestapo et les Français, Éditions Pygmalion, 2013.
Légendes et fadaises de la Seconde Guerre mondiale, Éditions Jourdan, 2013.
Histoires extraordinaires de la Résistance française, Éditions Le Cherche Midi, 2013.
La Résistance pour les nuls, Éditions First, 2013.
Fiers de notre histoire, Éditions First, 2013.
12 trains
qui ont changé
l’Histoire
Introduction

En 1679, le Français Denis Papin, fils d’un médecin protestant de Chitenay près de Blois, lui-même médecin et infatigable chercheur,
découvre la force motrice de la vapeur d’eau. Plus tard, réfugié en Allemagne, il invente une machine fonctionnant par le jeu alternatif d’un
piston. En 1770, le Français Joseph Cugnot, ingénieur de son métier, fait rouler sur terre le premier véhicule à vapeur. La même année,
l’Anglais James Watt, constructeur d’appareils mécaniques, dessine la première machine à vapeur réellement pratique, prévue pour
s’adapter aux scieries, aux laminoirs, aux machines à tisser et aux pompes.
Les Britanniques sont les premiers à avoir l’idée de combiner le tracteur à vapeur et le roulement sur rails en fonte. La toute première
locomotive est réalisée en 1803 par l’ingénieur britannique Richard Trevithick. Le 21 février 1804, cette machine est capable de tracter des
charges importantes, comme cinq tombereaux destinés au minerai de fer, ainsi que soixante-dix voyageurs, à la vitesse moyenne de 8 km/h.
En 1829, la locomotive Rocket de George Stephenson établit un premier record de vitesse à 56 km/h, sur la future ligne ferroviaire reliant
Londres à Liverpool.
Inventé pour développer le transport des marchandises, le train se révèle vite un outil indispensable à l’expansion économique,
touristique et sociale. Les passagers, de plus en plus nombreux, peuvent voyager rapidement dans toute l’Europe. Pièce maîtresse de la
Révolution industrielle, il symbolise le progrès technique, le rapprochement entre les peuples, les loisirs et l’aventure. Il marque à jamais
l’évolution de l’Histoire de l’humanité.
Les 12 trains sélectionnés dans cet ouvrage bouleversent l’histoire ferroviaire. En 1837, la ligne de Paris-Saint-Germain inaugure en
France le transport en commun de masse. En 1848, la Malle des Indes permet d’acheminer plus rapidement le courrier. En 1868, le train par
le col du Mont-Cenis franchit les Alpes en un temps record pour l’époque. En 1883, l’Orient-Express relie la France aux Balkans dans des
voitures luxueuses et confortables. Dès 1900, le métropolitain révolutionne la vie des Parisiens. En 1905, le Transsibérien circule
régulièrement sur toute la longueur de la ligne de Moscou à Vladivostok : un voyage à travers la Sibérie de neuf mille trois cents
kilomètres ! En 1922, le Train Bleu détrône en sécurité tous ses rivaux avec ses superbes voitures métalliques. En 1929, la Micheline est le
premier autorail dont les roues sont équipées de pneus qui améliorent considérablement le confort des voyageurs. En 1950, le Mistral utilise
des voitures climatisées et introduit la traction électrique qui réduit le temps de parcours. En 1967, le turbotrain circule à une vitesse très
supérieure à celle des autres locomotives. En 1981, le TGV obtient un premier record mondial à 380 km/h et bat sa propre performance à
575 km/h en 2007. En 1994, l’Eurostar et le tunnel sous la Manche ouvrent la voie de la circulation ferroviaire entre Paris et Londres.
La ligne de
Paris-Saint-Germain-en-Laye

Le 24 août 1837, par une belle journée d’été, sous un magnifique ciel bleu, la reine des Français Marie-Amélie assiste à l’inauguration
de la première ligne ferroviaire construite au départ de Paris, uniquement destinée au transport des voyageurs. Son mari, le roi Louis-
Philippe, est absent, le gouvernement l’ayant dissuadé de s’exposer aux dangers d’un tel voyage. Le parcours de dix-neuf kilomètres
s’effectue en vingt-cinq minutes, de Paris au Pecq, à bord d’une locomotive à chaudières tubulaires. Cet événement rencontre un écho
considérable dans la presse.
Environ six cents personnes participent à cette inauguration, dont l’ambassadeur de Russie, le préfet de police, Gabriel Delessert, le
directeur général des Ponts et Chaussées, les deux jeunes ducs d’Aumale et de Montpensier, fils du roi qui, sans avoir été invités, s’y rendent
incognito, afin de témoigner de l’intérêt qu’ils portent à ce grand événement moderne.

Trois catégories de voitures


Les voitures sont réparties en trois catégories : des diligences fermées à trois compartiments séparés de huit places chacun ; des sortes
de tapissières pouvant accueillir trente voyageurs à l’intérieur et six sur le toit ; et des wagons ouverts qui n’ont pas de bancs. Rails et
locomotives viennent d’Angleterre et de France.
Deux convois se suivent à dix minutes d’intervalle. Après avoir franchi la place de l’Europe, en partie à ciel ouvert, en partie sous un
tunnel de quatorze mètres de largeur et de sept mètres de hauteur, l’itinéraire passe par un tunnel de deux voies sous le mur d’enceinte de
Paris et le village des Batignolles, et continue à se diriger sans courbe jusqu’à Asnières où il passe la Seine. Il s’infléchit ensuite à gauche,
traverse la plaine de Nanterre, touche les dernières maisons de ce village, puis, décrivant une courbe vers la droite, passe de nouveau la
Seine sur deux ponts à droite de Chatou et en descend la tranchée à travers la forêt du Vésinet jusqu’au rond-point en avant du pont du
Pecq.

Le chroniqueur du Temps témoigne


« Quel beau paysage à traverser, écrit le chroniqueur du Temps. On ne sait quoi admirer le plus : l’arc de triomphe de l’Étoile, où l’on
vient de terminer les travaux ; les jolies fabriques qui se pressent aux environs de Paris comme pour attendre que le mur d’enceinte s’ouvre
et leur donne le droit de bourgeoisie ; le château de Neuilly avec son parc que les illustres voyageurs se montrent joyeusement ; les îles de
Saint-Denis, étendues sur la Seine, large et presque majestueuse ; Saint-Ouen avec son clocher qui sort des masses de feuillage ; toute cette
côte merveilleuse qui s’étend boisée et riche de somptueuses habitations jusqu’aux sites que couronne Montmorency, avec sa forêt et ses
souvenirs ; les îles bordant le fleuve jusqu’au pont de Courbevoie, qui tantôt rappellent ces vues de Hollande dont les paysagistes nous ont
laissé de si beaux portraits (…) ; la villa Orsini, avec son bâtiment carré et ses rampes fleuries, sa haute colline qui mêle ses bois et ses
jardins au parc de Saint-Cloud. On touche Colombes, on arrive à Nanterre, on parvient au pont de Chatou.
« La marche du convoi enlève les objets avec une telle vitesse, on éprouve une telle sensation de bien-être dans cette course sans
secousse, prompte et animée, qu’il y a peu de loisir pour la conversation pittoresque. On ne songe qu’à contempler. Voici le château
d’Épinay ; Nanterre avec Sainte-Geneviève ; Rueil avec son palais de Richelieu et son tombeau de Joséphine ; Chatou. Voici le riant bois du
Vésinet, forêt miniature, et ce pont du Pecq qui marque la fin de la voie : il faut ensuite prendre l’omnibus à chevaux pour accéder sur la
hauteur au château de Saint-Germain, où naquit Louis XIV. Le voyage prend vingt-cinq minutes. Oui, oui sur dix-neuf mille mètres, un peu
plus de quatre lieues en ces vingt-cinq minutes, soit trente-sept kilomètres à l’heure 1 ! »

Dix-huit mille voyageurs dès le premier jour de l’exploitation


Un peuple immense accourt voir rouler la merveilleuse machine, applaudit les princes, les financiers et les premiers cheminots
parisiens de l’Histoire. Le 26 août, la ligne, ouverte au public, accueille dix-huit mille voyageurs. La rapidité de cette locomotive, qui
accomplit le voyage en moins d’une demi-heure, est particulièrement appréciée des Parisiens. À titre de comparaison, les voitures à cheval,
quittant les Tuileries, se traînent cinq à six heures pour rejoindre Saint-Germain.

Émile et Isaac Pereire


Les frères Émile et Isaac Pereire, ayant eu l’idée de la construction de la ligne en 1832, en obtiennent la concession en 1835. À cette
époque, on édifie une gare provisoire en bois, appelée l’embarcadère de l’Ouest, sur la place de l’Europe, au débouché du tunnel des
Batignolles, à l’emplacement de l’ancien parc des jardins de Tivoli. Les frères Pereire participent également aux opérations immobilières
liées à la modernisation de Paris, dirigée par le préfet Haussmann. Ils possèdent de nombreuses entreprises dans les assurances, sont à
l’origine de la création de la Ville d’Hiver d’Arcachon durant les années 1850, financent des routes agricoles et le boisement d’une partie de
la forêt landaise, deviennent propriétaires du château Palmer à Margaux et replantent le vignoble de ce grand cru bordelais.

Marc Seguin, le génial inventeur


Petit-neveu des frères Montgolfier par sa mère, Marc Seguin (1786-1875) est l’inventeur de la première locomotive à vapeur, utilisant
une chaudière tubulaire, et permettant de multiplier par six la puissance développée des machines. L’ébullition est obtenue par la
circulation des gaz de combustion dans de multiples tubes à feu, traversant le corps de chauffe. Cette invention, déposée le 12 décembre
1827, est d’abord appliquée à des bateaux naviguant sur le Rhône, tandis que la locomotive accomplit ses premiers tours de roue le 1er
octobre 1829, quelques jours avant la Rocket du Britannique George Stephenson. La locomotive Seguin se caractérise par un châssis en bois,
une chaudière tubulaire en cuivre, un moteur à deux cylindres verticaux, quatre roues motrices, une cheminée basse du côté du foyer pour
protéger le mécanicien de la fumée.

Le voyage du 26 août 1837


Un document de l’époque décrit en ces termes le voyage du 26 août 1837, ouvert au public : « Au départ de Paris, un élégant
pavillon sert à l’admission des voyageurs, qui y trouvent les bureaux de distribution des places. Le premier bureau vend des billets à un
franc cinquante centimes, l’autre des billets à un franc. On est ensuite introduit dans la salle d’attente richement décorée et divisée par une
barrière. L’ouverture des bureaux n’a lieu qu’une heure avant celle du départ. Un son de cloche indique le moment proche de partir. Une
porte est alors ouverte sur la rampe de gauche, conduisant sur le lieu d’embarquement. Une trompette annonce ensuite le départ définitif du
train qui s’ébranle d’abord lentement et s’enfonce sous la grande voûte de la place de l’Europe, haute de deux cent soixante-quatre mètres.
Un souterrain de quatre cent trois mètres passe sous le boulevard extérieur. On passe bientôt sous un pont de pierre, puis sous un pont de
bois. On arrive près de Clichy, on traverse trois viaducs. On arrive au bord de la Seine, à cent vingt mètres en amont du pont d’Asnières
(…). Au-delà on se trouve dans une tranchée qui traverse le joli bois du Vésinet et on arrive près d’un vaste bâtiment au bord de la Seine, en
vis-à-vis du Pecq. Là, comme à Paris, des salles et des bureaux sont disposés pour recevoir les voyageurs qui, en sortant des wagons,
trouvent des voitures omnibus qui, pour vingt-cinq centimes, les conduisent à Saint-Germain par la belle route qui fait face aux
bâtiments 2. »
Les voyageurs sont enthousiastes, comme l’atteste ce témoignage de l’époque : « Quel tableau admirable que ce triomphe de
l’intelligence humaine ! Quel imposant spectacle que celui d’une locomotive se mouvant sans effort apparent et tirant derrière elle de si
nombreuses voitures ! Le sol disparaît en quelque sorte sous nos yeux. Les arbres, les maisons, les collines sont entraînés derrière nous avec
une rapidité d’un trait 3. »
Mme de Girardin, toute forte d’une première expérience d’un voyage en train entre Paris et Le Pecq, conseille cependant la
prudence : « Dans les voitures évitez la banquette qui est près des roues : c’est la moins bonne place. On a plus grand peur en voiture de
poste, vraiment, ou en diligence, quand on descend une montagne, mais j’estime que le train n’est guère plus rassurant tant sa vitesse est
proprement effrayante 4. »

Les constructions des premières gares


En 1841, l’architecte Alfred Armand fait bâtir une seconde gare provisoire, en maçonnerie couverte d’un enduit jaune, rue de
Stockholm, devant la place de l’Europe. Le bâtiment se trouve à cheval sur les voies, à l’embouchure du tunnel de l’Europe. Deux rampes
découvertes permettent l’accès aux quais. L’intention est de prolonger la ligne vers le centre de Paris jusqu’à la rue Tronchet qui mène à
l’église de la Madeleine, mais l’opposition municipale fait abandonner ce projet.
De 1842 à 1853, l’architecte Alfred Armand et l’ingénieur Eugène Flachat construisent une troisième gare sur le site actuel, rue Saint-
Lazare, dont elle prend le nom. La gare Saint-Lazare devient, en 1867, la plus importante de Paris avec vingt-cinq millions de voyageurs par
an. L’extension de ses bâtiments est inaugurée le 2 juin 1867, à l’occasion de l’exposition universelle de Paris, par l’empereur des Français
Napoléon III, accompagné de l’empereur d’Autriche François-Joseph Ier et de l’empereur de Russie Alexandre II. La même année, le tunnel
de l’Europe est remplacé par un pont métallique en forme de X, reconstruit ensuite en béton en 1931.

Un tracé ferroviaire facile à construire


Le tracé en plaine de cette ligne ferroviaire est facile à bâtir. Les ouvrages d’art se limitent à un pont en bois sur la Seine à Asnières
et un second à Chatou. Eugène Flachat prend en charge la direction des travaux. Cet ingénieur voit le jour en 1802 et décède en 1873, à
l’âge de soixante et onze ans. Ami des banquiers Pereire, il fait également construire des docks, des entrepôts, des installations portuaires,
accomplit le percement d’un tunnel sous les Alpes, dépose en 1849 un projet pour les halles de Paris, propose en 1855 la construction d’un
métropolitain. Il figure parmi les cent trente-sept premiers actionnaires de l’École centrale d’architecture de Paris, aux côtés de Ferdinand de
Lesseps, Émile Pereire, Dupont de l’Eure, Anatole de Baudot, Eugène Viollet-le-Duc, Jean-Baptiste André Godin ou Émile Muller. Il collabore
également à l’étude de la ligne de chemin de fer de Paris à Rouen en 1840-1842.

Le service quotidien de la ligne ferroviaire


Afin d’assurer le service quotidien de la ligne Paris-Le Pecq, Émile Pereire parvient à réunir cent deux voitures qui comprennent des
berlines fermées, des berlines ouvertes, des diligences, des wagons garnis et soixante-dix wagons non garnis, véritables tombereaux en plein
air. Dès le début, deux mille voyageurs sont enregistrés en une seule journée, avec dix allers et retours sur une seule rame. Les départs de
Paris s’effectuent toutes les quatre-vingt-dix minutes, de 6 heures à 12 heures et de 14 heures à 20 h 30. Celui du Pecq se déroule quarante-
cinq minutes après.
Les problèmes d’expropriation sont exclus. En effet, le train traverse surtout des forêts et des champs. Le terminus de la ligne se
trouve au port du Pecq. La position de l’embarcadère (nom donné à une gare à l’époque) dans Paris fait l’objet d’une vive polémique. Il est
finalement situé en contrebas de la place de l’Europe. On accède aux installations par des rampes et des escaliers. Une seconde voie est
construite en 1838. La même année, les premières gares à Nanterre et Chatou sont ouvertes, puis deux autres à Rueil et Colombes en 1844.

Travaux de prolongement et locomotive en renfort


Des travaux de prolongement de un kilomètre cinq de la ligne ferroviaire du Pecq à Saint-Germain débutent en 1845, avec les
constructions d’un pont en bois sur la Seine et d’un viaduc en maçonnerie de vingt arches. La gare terminale est implantée en tranchée dans
le parc même du château de Saint-Germain-en-Laye. Les travaux se terminent en avril 1847.
À compter du 3 juillet 1860, une locomotive de type 030, situé au Pecq en queue de train, accomplit la pousse en renfort de la
machine de tête. Ce système fonctionne plus de soixante ans, jusqu’à l’électrification de la ligne en 1924-1927.

Un formidable succès
L’accroissement démographique des communes, traversées par la ligne, entraîne la construction de nouvelles gares, comme celle du
Vésinet ouverte en 1859. Cette année-là, la ligne assure le transport de deux millions trois cent mille usagers par jour, en seize allers et
retours. Vingt ans plus tard, on compte quatre millions deux cent mille voyageurs et vingt-deux allers et retours quotidiens. La création de
trains semi-directs, de Paris à Rueil-Malmaison, fait passer le temps de parcours de quarante-sept minutes à trente-trois minutes.
Durant les années 1960, le tronçon terminal de Saint-Germain intègre la ligne Est-Ouest du métro régional, ce qui libère la gare
Saint-Lazare d’un trafic excessif. Le tronçon Nanterre-Saint-Germain est électrifié par caténaire en courant de 1 500 volts. Tandis que les
gares sont reconstruites.
Le 1er octobre 1972, la RATP fait l’acquisition du tronçon Nanterre-Université-Saint-Germain et l’incorpore en deux parties : de la
gare Saint-Lazare à la gare de Nanterre-Université sur le réseau transilien Paris-Saint-Lazare, de la gare Nanterre-Université à la gare de
Saint-Germain-en-Laye sur la ligne A du RER.
Ouverte en 1837, la ligne Paris-Saint-Germain est donc la première voie ferroviaire moderne française, destinée au grand public,
assurant un transport de masse entre des gares desservant des lieux très habités. Procurant un véritable service de banlieue, elle est gérée
d’une façon commerciale et publique, ce qui la rend célèbre. Les deux premières années d’exploitation, en 1838 et 1839, voient passer le
chiffre incroyable de un million de voyageurs.
« C’est bien là, écrit Clive Lamming, que se fait le coup d’envoi du réseau ferré français, apte à assurer rapidement une fonction de
transport de masse sans commune mesure avec ce que les routes et les canaux avaient permis jusque-là. Dès le 26 août 1837, le trafic est
assuré avec quinze trains par jour dans les deux sens, le trajet étant effectué en vingt-six minutes pour les directs. Le 27 août, un dimanche,
près de vingt mille voyageurs empruntent la ligne, démontrant les possibilités immenses offertes par ce nouveau moyen de transport 5. »
La Malle des Indes

Durant près d’un siècle, la Malle des Indes traverse la France et l’Italie, presque toujours la nuit. Longtemps interdit au public, ce
train suscite de nombreuses questions. Toute une légende l’entoure, car pour l’inconscient collectif les Indes évoquent un eldorado de soie,
de porcelaine et d’or, un pays de mystiques yogis et de fakirs enturbannés, de femmes ravissantes et lascives, de maharadjahs puissants, sans
oublier les montagnes enneigées et les forêts obscures, les tigres et les éléphants...

L’empire britannique et son courrier


L’acheminement du courrier de Grande-Bretagne à destination des Indes couvre des dizaines de milliers de kilomètres durant cinq
mois et parfois plus. Les lettres, réunies dans un conteneur de zinc de 180 kg, empruntent d’abord la route maritime au départ de Londres, à
l’époque où le percement du canal de Suez n’est pas encore à l’ordre du jour, si bien que les navires sont contraints de contourner l’Afrique.
Par exemple, l’Entreprise, parti de Londres le 16 août 1825, n’arrive à Calcutta que le 7 décembre, après cent treize jours de navigation. Une
opération lente et coûteuse qui nécessite la recherche d’une solution plus rapide et plus économique.
Thomas Waghorn (1800-1850), marin anglais ingénieux, propose d’écourter le voyage en évitant de contourner l’Afrique. Il s’agit de
rejoindre la Méditerranée par le détroit de Gibraltar, de traverser l’isthme de Suez à dos de chameaux. Précurseur du percement du canal de
Suez, il inspire celui qui en sera le réalisateur en la personne du Français Ferdinand de Lesseps (1805-1894). Ce diplomate et administrateur
obtient en 1854 du souverain d’Égypte l’acte de concession pour la construction du canal égyptien en 1859.
La construction des chemins de fer en France se développe peu à peu. La ligne ferroviaire reliant Paris à la Belgique est ouverte en
1846, puis celle d’Amiens-Boulogne l’année suivante. Le réseau ferroviaire français compte en 1847 mille neuf cents kilomètres de voies en
exploitation.
Le 5 janvier 1848, le directeur général des Postes annonce que des mesures ont été prises pour que la Malle des Indes, venant de
Londres les 7 et 24 de chaque mois, soit dirigée sur Boulogne et placée dans des convois ferroviaires, équipés de wagons-poste jusqu’à Paris.
Cette mission délicate repose sur des locomotives à vapeur Crampton, capables d’atteindre la vitesse, incroyable pour l’époque, de
144 km/h. Mais il faut attendre 1856 pour que la ligne ferroviaire Paris-Marseille soit terminée. Ce train prioritaire, qui franchit à toute
vitesse les gares de nuit, entre dans la légende. On imagine qu’il renferme des trésors, des armes, des espions, des princes enturbannés et de
magnifiques danseuses orientales retournant au pays des Mille et une nuits.
L’écrivain Albert Londres se souvient : « Ce train “fantomatique” a nourri les rêves les plus incroyables de mon enfance. J’imaginais
que je me trouvais à bord, entouré de guerriers enturbannés, en route pour un pays mystérieux, peuplé de tigres et d’éléphants, à la
recherche de trésors enfouis dans la jungle. J’allais affronter des adversaires redoutables, gardiens des temples sacrés et retourner ensuite en
terre de France pour mettre sur le papier le récit de cette expédition incroyable. L’enfance est un jardin secret, compagne de notre
espérance, joie altière immuable, ivresse de l’insouciance 1. »
Durant les années 1860-1880, le train connaît une période particulièrement active, si bien que le courrier échangé entre Londres et
les Indes devient de plus en plus conséquent.
En 1869, il emprunte la voie du Midi à Mâcon, se dirige sur Bourg, Ambérieu, Chambéry et Modane, puis gagne Turin à travers la
Lombardie, afin de rejoindre finalement le port de Brindisi. Cette traversée Brindisi-Alexandrie, plus courte que le passage au départ de
Marseille, fait gagner un temps considérable au courrier britannique. Après la guerre franco-prussienne de 1870-1871, la Malle des Indes
s’engage sous le tunnel du Mont-Cenis, dans les Alpes occidentales.
En 1872, le Post Office britannique demande au directeur général des Postes de France qu’elle devienne non seulement un train
postal, mais également un moyen de locomotion pour les voyageurs pressés de se rendre dans les contrées lointaines et exotiques.

La Malle des Indes inspire le music-hall


Le mystère de ce train incite l’illusionniste Robert Houdin à mettre au point un numéro dans l’air du temps. Présenté une première
fois à Paris, en 1873, dans une salle de cent soixante places, boulevard des Italiens, ce spectacle devient très vite un classique des
programmes de music-hall. L’attraction « orientale », avec fakir en turban, fait disparaître une personne d’une malle. Et elle réapparaît dans
une autre ! On applaudit alors cette « Malle des Indes » sans être contraint de voyager.

L’âge d’or de la Malle des Indes


En 1880, on décide de mettre en service des voitures-lits et des voitures-couchettes. Les voyageurs en partance pour les Indes
peuvent désormais choisir entre deux express de luxe : le Bombay-Express (Londres-Calais-Paris-Marseille) et le Peninsular-Express (Londres-
Calais-Paris-Modane-Brindisi). La légende de la Malle des Indes est telle que le nom prestigieux est attribué aux deux express. Les
fonctionnaires royaux et les hommes d’affaires britanniques, se rendant aux Indes, deviennent leurs clients privilégiés. Les deux locomotives
roulent en moyenne à 90 km/h.
Les Britanniques quittent Londres tous les vendredis à 15 h 15, montent dans un train à Calais qui les fait arriver en gare de Paris-
Nord à 23 heures. Le Peninsular-Express quitte cette gare à 0 h 15 et arrive à Brindisi le dimanche à 16 heures, après avoir roulé tout le
samedi et une bonne partie du dimanche. Dans le port italien, un paquebot attend à quai et appareille à 22 heures. L’aventure maritime
passe par le canal de Suez, la mer Rouge, puis l’océan Indien jusqu’à Bombay. Le train accomplit une partie importante de la distance totale,
si bien que le gain de temps est considérable dans la mesure où la vitesse sur rail est de quatre à six fois supérieure à celle sur mer. Des
liaisons par trains ou voitures directes sont assurées depuis Ostende, Berlin ou Athènes.

La fatigue des convoyeurs


Les convoyeurs de la Malle des Indes sont soumis à un rythme épuisant, comme le rapporte L’Illustration du 8 janvier 1881 :
« L’infortuné convoyeur qui, depuis bientôt onze ans, fait ce service, part de Londres le vendredi soir, arrive le lundi à Brindisi, dort
vingt-quatre heures, se repose trois jours et... repart. Il fait ce voyage dix-huit à dix-neuf fois par an ! Il a traversé près de deux cents fois la
moitié de l’Europe. Il a touché près de quatre cents fois le sol de Paris, le sol de Turin. Et de tout ce qu’il a touché, le malheureux ne connaît
rien ! Il y a des parties de la route où, soit à l’aller, soit au retour, il n’est jamais passé que de nuit ! Il a séjourné près de huit cents heures –
trente-quatre à trente-cinq jours – dans les murs de Paris, et il n’en connaît que la gare du Nord, le chemin de ceinture, la gare de Lyon. Il
voudrait voir Paris, le pauvre (…) mais non ! Infortuné Juif errant de la Poste, il marche toujours : Calais, vingt minutes d’arrêt !... Le
contrôle, la douane, en voiture ! Paris, dix minutes d’arrêt, vérification ! Contrôle ! Gare du Nord ! Lyon-Ceinture, Lyon-Gare, dix minutes
d’arrêt... En route ! Le malheureux ne connaît que Londres et Brindisi, trop ! Personne plus que lui ne regrette le temps où la Malle anglaise
prenait la mer à Marseille. Jugez donc ! Vingt-quatre heures de moins en wagon ! Et toute une semaine à passer dans une des villes les plus
gaies du monde, tandis que, me disait-il avec amertume : “Ce n’est pas gai, Brindisi !” 2 »

La suprématie de Marseille

En 1902, les trains arrivant à Marseille gagnent le môle C dans le bassin de la Grande Joliette à la suite de la mise en place d’un
En 1902, les trains arrivant à Marseille gagnent le môle C dans le bassin de la Grande Joliette à la suite de la mise en place d’un
nouveau raccordement. Ce transbordement simplifié est très apprécié des voyageurs, donnant ainsi la suprématie à Marseille au détriment
de Brindisi. Le train parcourt mille cent cinquante-neuf kilomètres, de Calais à Marseille en 22 heures 23 minutes. La charge des trains peut
atteindre cinq cent soixante tonnes.

Grande Guerre et Années folles


La Malle des Indes doit interrompre son trafic au début de la Première Guerre mondiale, sauf pour le transport des troupes coloniales
britanniques, venues du Cachemire, du Népal et du Penjab. Arrivés ensuite à un camp d’exercices, à Orléans, ces soldats à turbans, visages
bronzés et uniformes colorés, font sensation au milieu de la population civile.
Le succès du premier vol commercial Paris-Londres en 1919 inspire l’idée de créer une malle-poste aérienne. Cependant, malgré cette
concurrence redoutable, l’acheminement terrestre reprend son service civil à partir du 16 mai 1919.
En 1920, le train aligne dix wagons-poste, un wagon-restaurant, deux wagons de première classe et deux fourgons de service. La
voiture-restaurant, construite en acier, dispose de cinquante-six couverts. Deux services de déjeuner et dîner sont proposés aux voyageurs.
La cuisine, dotée de nouveaux équipements, conserve cependant le bon vieux fourneau à charbon des anciennes voitures-restaurants. La
gastronomie atteint le niveau des plus grands transatlantiques. Le chef et son aide, le commis d’office, et le plongeur préparent les menus.
Le service de table est assuré par un personnel d’élite sous les ordres du chef de brigade.
Les voyageurs, assis confortablement dans des fauteuils de cuir avec accoudoirs, peuvent déguster le menu présenté par le chef. À
chaque voyage, le responsable de la brigade tient le journal du train, divisé en rubriques, avec la liste des personnalités, les agents de la
compagnie en voyage, les retards et leurs causes, les incidents en cours de route (douane, police, difficultés de transport des bagages,
avaries du matériel), la tenue et la discipline du personnel.
Les cabines, plus vastes, éclairées par des appliques à col-de-cygne, possèdent chacune un cabinet de toilette dissimulé dans une
armoire, ouvrant à deux battants sur les éléments de porcelaine blanche et des miroirs, dont l’un, réglable, permet aux voyageurs masculins
de se faire la barbe.

La fin de la Malle des Indes


Les liaisons aériennes commerciales et touristiques, qui se développent particulièrement durant les années 1930, surclassent le train
en vitesse.
À ce sujet, le chroniqueur Henri Christophe prédit dans la revue Air France de janvier 1936 que « la ligne postale, baptisée Malle des
Indes, sur laquelle, depuis tant de générations, on lançait les unités les plus rapides et les plus modernes de la flotte commerciale, et qui
était devenue comme l’expression vivante de la présence britannique dans l’Océan indien, était désormais condamnée à disparaître 3 ».
En septembre 1939, au début de la Seconde Guerre mondiale, la Malle des Indes est définitivement supprimée. Cependant, la
fascination de ce train onirique et mystérieux demeure. De vieux enfants se souviennent de l’avoir vu filer à toute vapeur dans la nuit, avec
son cortège d’intrigues et d’espérance. Il a hanté longtemps la mémoire des nostalgiques comme un rêve ineffable d’adolescence.
Le train par le col du Mont-Cenis

En 1860, le trajet de quatre-vingts kilomètres en diligence de Saint-Michel-de-Maurienne, en France, à Suse, en Italie, passe par le col
du Mont-Cenis, dans les Alpes occidentales, à 2 083 mètres d’altitude. Le voyage dure douze heures. Plusieurs compagnies de voyages aux
noms divers (Bonnafous, Bourg, Dareste, Sepolina et Teuliet, Allard, Descours et Fils, Dupert et Dupré, Chaude) suivent la route impériale,
tracée au début du XIXe siècle à la demande de Napoléon Bonaparte. La concurrence est sans pitié. Les postillons lancent leurs berlines à
toute vitesse pour essayer de se dépasser au sommet des descentes sur Suse ou sur Lanslebourg : cela entraîne parfois des accidents, avec des
morts et des blessés. Dans le but de mettre fin à des situations aussi tragiques que périlleuses, les heures de départ des différentes
compagnies sont décalées.
Au début des années 1860, environ quarante mille voyageurs par an passent le col du Mont-Cenis, dont trente-deux mille par les
compagnies et huit mille par leurs propres moyens. Le prix des places pour ce parcours de quatre-vingts kilomètres est de vingt-quatre
francs dans la cabine et de vingt francs dans le coupé. En plus des voyageurs, vingt-deux mille tonnes de marchandises transitent
annuellement à cette époque.

La décision de Napoléon III en 1865


Devant un tel trafic en haute montagne et l’important succès commercial de la ligne ferroviaire Paris-Saint-Germain, ainsi que
d’autres construites aussi bien en France qu’en Europe, Napoléon III décide, en 1865, en collaboration avec les ingénieurs britanniques
Thomas Brassey et John Barraclough Fell, la construction d’un chemin de fer entre Saint-Michel-de-Maurienne et Suse, passant par le col du
Mont-Cenis, près du tracé de la route des diligences. Pour gravir des pentes escarpées, les locomotives Fell de quinze tonnes sont équipées
de roues motrices supplémentaires, positionnées à l’horizontale afin de suivre un rail central situé entre ces dernières.

Début des travaux et mise en service de la ligne


La pose des rails débute en février 1867, depuis les gares de Saint-Michel-de-Maurienne et de Suse. La locomotive Fell sert à
l’approvisionnement du chantier en matériaux et au transport des ouvriers. Le percement de nombreux tunnels se révèle nécessaire du fait
de la topographie montagneuse du terrain. Ouvriers français et italiens accomplissent un travail de titan, en construisant notamment des
ouvrages de protection contre les congères et les avalanches. La voie de roulement est écartée de 1,10 mètre.
Cette ligne ferroviaire est mise en service le 15 juin 1868. Longue de soixante-dix-sept kilomètres, elle dessert dix gares, à savoir
Saint-Michel-de-Maurienne, Francoz, Modane, Bramans, Termignon, Lanslebourg, l’hospice Mont-Cenis, Grand-Croix, Molaretto et Suse.
Le train Fell a la capacité de transporter quarante-huit voyageurs à la vitesse de 25 km/h à la montée et 17 km/h à la descente. La
durée du parcours est de cinq heures, soit un gain de temps incomparable par rapport aux douze heures des diligences. Quatre trains
accomplissent un aller-retour par jour. Ils se composent de trois wagons courts de seize voyageurs et de deux wagons de marchandises. Les
locomotives et le matériel roulant sont construits en France.
Durant les vingt-six premiers mois d’exploitation, les trains parcourent plus de trois cent vingt et un mille kilomètres et transportent
plus de cent mille passagers, des marchandises et du courrier. Parmi les voyageurs se trouvent l’impératrice des Français Eugénie, le prince
de Galles futur Édouard VII, roi d’Angleterre.

L’impératrice Eugénie et le père Andrea


En effet, le 16 juillet 1868, l’impératrice Eugénie décide de se rendre incognito à Suse, par la voie ferroviaire du Mont-Cenis,
accompagnée d’un garde du corps de la cour impériale. Le visage caché en partie par un foulard en soie opaque, elle passe ainsi inaperçue.
Elle veut rencontrer le père Andrea, un prêtre catholique connu pour ses dons de clairvoyance et ses prouesses d’alpiniste. Vivant presque en
ermite dans un chalet de la montagne proche, il descend régulièrement à Suse pour prêcher la bonne parole dans les églises et accompagner
les personnes avides de balades en montagne. Le train développe le tourisme dans les Alpes, les Pyrénées et en bord de mer.
Sous la chaleur de ce bel été, les toits des wagons semblent rougis par le soleil. Une odeur âcre de houille, mêlée à la puanteur de la
graisse des essieux, du fumier d’un wagon à bestiaux, et à celle de la sueur humaine, infeste toutes les voitures.
Eugénie est enchantée d’échapper à sa vie mondaine habituelle. Lorsque le train atteint la vallée, s’élève un peu de fraîcheur. Elle se
sent revivre, une joie immense rayonne dans son cœur. Elle embrasse le paysage d’un regard enflammé. Elle s’imagine parcourir les sentiers
caillouteux, respirer la fragrance des sapins et des fleurs, boire l’eau claire et glacée des torrents, retrouver la sensation grandiose de
l’altitude et le sentiment d’une indicible libération en contemplant les sommets. Le lieu est pour elle un royaume où existent encore le
panache, la droiture et l’honneur. La vélocité de la locomotive Fell ne cesse de l’étonner, malgré les accidents du terrain. En gare de Suse,
elle est attendue par deux religieuses.
Eugénie ne laisse que très peu de traces écrites de ce voyage en train, mais, en revanche, rédige un long récit de sa rencontre avec le
brave religieux 1. Elle est arrivée depuis peu dans le jardin du couvent Sante Maria, sous une tonnelle, et prend le frais. Les sapins mêlent
leur parfum à celui des roses. Celles-ci envahissent le jardin de leur végétation indomptable. Le long des allées, les massifs blancs ondulent
au moindre souffle de la bise et jonchent le sol d’un tapis de neige embaumée. Au-dessus des sombres forêts, la chaîne alpine se dresse au
loin dans sa beauté immuable. Des oiseaux, qu’on ne voit pas, chantent. Des grillages servent à faire sécher le foin. Les prairies
environnantes sont couvertes de fleurs. Assise sur un fauteuil d’osier, Eugénie médite. Elle est encore une très belle femme, le profil fin et
aristocratique, le front large et la bouche parfaite. Ses cheveux roulés sur les tempes lui tressent autour de la tête une sorte de couronne.
Très pieuse, elle est heureuse de rencontrer le saint homme, et elle pressent l’importance de cette journée. Elle se lève de son
fauteuil, a une hésitation, puis s’engage dans l’allée d’un pas rapide. À la grille, un cocher l’attend comme convenu. Son garde du corps
l’accompagne. Elle prend place dans une voiture à cheval qui la dépose devant l’église San Bruno.
Depuis que la liaison ferroviaire a été établie entre la France et le royaume transalpin, par le col du Mont-Cenis, les amateurs de
randonnées accourent de plus en plus nombreux, séduits par le cadre montagneux. Ils viennent admirer le massif rocheux qui s’anime de
teintes changeantes, rosées, violentes ou douces, suivant l’éclairage de la journée. À la nuit tombée, cette forteresse se transforme en
silhouette énigmatique, menaçante et torturée.
Au bord de la route qui traverse le bourg du nord au sud, les voitures, les landaus et les calèches stationnent devant les hôtels, les
chalets et les auberges. Le train déverse son flot de touristes, sac au dos, chaussures cloutées, le piolet à la main. Eugénie se met à marcher
sur un sentier qui s’engage entre les sapins. Son garde du corps se trouve à quelques mètres en arrière. Deux femmes en sabots viennent à sa
rencontre. Eugénie leur demande en italien :
— Savez-vous où est le chalet du père Andrea ?
Les deux paysannes la regardent avec surprise :
— Nous ne sommes pas d’ici.
Déçue, elle poursuit son chemin, toujours suivie par son protecteur attitré. Un paysan se tient assis au seuil d’une ferme. Les yeux
doux et le sourire affable, il demande :
— Où allez-vous donc, madame ?
Eugénie s’approche. Elle a le visage en feu et la respiration courte. Hospitalier, le paysan l’engage à entrer en disant :
— Reposez-vous donc, madame ! Il fait chaud aujourd’hui !
La ferme est basse, obscure, emplie de l’odeur forte des lieux où vivent beaucoup de personnes entassées. Eugénie s’assied, et, tandis
qu’elle reprend des forces, l’homme lui tend un grand verre d’eau. Elle boit lentement pour ne pas s’étouffer, puis demande :
— Savez-vous où se trouve le chalet du père Andrea ?
Le paysan désigne d’un geste un vaste chalet blanc, au bord d’une rivière torrentueuse. L’impératrice se penche par la fenêtre et fixe
longuement l’habitation du prêtre. Puis, elle se laisse retomber sur sa chaise et écoute avec attention le paysan qui lui parle en français.
L’homme est né en France, à Saint-Michel-de-Maurienne, puis s’est installé à Suse, après son mariage avec une habitante du coin. Il explique
que le fameux banc des guides de montagne, près de la nouvelle gare, reste en partie vide la journée. Les noms des guides et des porteurs,
inscrits sur le tableau noir accroché au mur, à côté des randonnées prévues chaque jour, révèlent combien les étrangers, grâce au train, se
passionnent pour la montagne et combien les alpinistes de Suse sont recherchés. Le père Andrea est le meilleur d’entre eux. Lorsque, le soir
venu, la foule envahit la rue principale, les guides reprennent possession du banc. Andrea et ses compagnons se serrent les uns contre les
autres. Dans les auberges, les serveuses doivent s’affairer pour satisfaire cette foule soudain affamée.
Ayant retrouvé ses forces, pendant que son garde du corps fait les cent pas devant la ferme, Eugénie se lève et sort au grand soleil.
Les montagnes se détachent nettement du ciel clair.
— Par le sentier ! crie le paysan, en lui faisant un signe de la main.
Bientôt, elle peut découvrir la face rubiconde et joyeuse du père Andrea, avec sa barbe de patriarche, ses yeux vifs et brillants qui
attirent la sympathie au premier regard. Son visage reflète sa joie de vivre. Ses rides s’animent dès qu’il parle. Sa voix est belle, mesurée et
purifiée par les prières et les chants religieux. Vêtu pour l’occasion d’une solide soutane, il porte sur lui une couleur et une odeur de terre,
tandis que les pointes de ses doigts de pied, nus dans ses sandales, font penser à des champignons charnus.
Une noble réserve régit chacun de ses actes et chacune de ses paroles. Il ne prodigue pas de longs conseils, va à l’essentiel, mais sa
simple présence est un réconfort. Comme certains bienheureux de l’Église, il concilie vie contemplative et vie active.
Ce jour-là, le père Andrea attend l’impératrice devant la porte de sa demeure, la tête coiffée d’un grand chapeau de paille. Il se lance
dans un long monologue afin d’éclairer la visiteuse sur les aspects sombres de l’époque contemporaine :
— Le train nous a amené le tourisme. C’est un grand bien. Mais c’est également une époque sombre, avec son idéologie matérialiste,
ses guerres toujours plus meurtrières, sa dévotion pour l’économie, son nationalisme fanatique.
— Tout cela est bien pessimiste, constate l’impératrice.
— Il est de notre devoir de combattre le mal partout où il se trouve. Face à l’adversité, la maîtrise de soi-même est par excellence la
marque de la chevalerie. C’est ainsi que l’on donne un sens absolu à sa vie dans un monde en perdition. C’est le propre de la vocation
chrétienne que de savoir rester debout au milieu des ruines, afin d’aider son prochain.
— L’empereur craint que la Prusse ne soit un danger pour la paix en Europe. La volonté de puissance de cet État militariste
l’inquiète. Il est mal entouré.
— Vos craintes sont justifiées, répond le père Andrea, le visage sombre. Hier, le soleil s’est couché dans un incendie de nuages
écarlates. Je n’avais pas vu un tel phénomène depuis quelques années. Le ciel semblait annoncer une guerre prochaine. J’ai alors eu une
vision qui sembla m’avertir d’une guerre entre la France et la Prusse, d’ici un ou deux ans.
Ce récit illustre parfaitement le changement de comportement des gens dans leur conception du voyage et anticipe les déplacements
rapides, effectués de nos jours. Le train développe le tourisme un peu partout en Occident. On voyage non seulement pour le travail, mais
également pour le plaisir, afin de satisfaire les personnes avides de randonnées en montagne, de bains en bord de mer, de rencontres
insolites. On peut désormais découvrir des contrées lointaines en peu de temps.

La construction d’un tunnel ferroviaire


Parallèlement à cette ligne ferroviaire, le roi de Piémont-Sardaigne Victor-Emmanuel II ordonne, le 31 août 1857, le début des
travaux d’un tunnel ferroviaire traversant les Alpes, par le col du Mont-Cenis. Les travaux commencent par des moyens non mécanisés, dont
vingt-sept mètres sont effectués du côté de Bardonnèche et environ onze mètres du côté de Modane. En 1861, grâce à l’invention de
l’ingénieur Germain Sommeiller qui met en service une perforatrice à air comprimé pour remplacer le marteau et la barre à mine, les
travaux s’accélèrent. Le 1er novembre 1869, 6 062 mètres sont percés du côté de Bardonnèche et 4 328 mètres du côté de Modane. La
jonction des deux galeries se fait le 25 décembre 1870. Le tunnel est inauguré le 17 septembre 1871 par le ministre des Travaux publics,
Victor Lefranc. Le premier train à le parcourir est le Paris-Rome en octobre 1871, entraînant la fermeture du chemin de fer Fell. À son
ouverture, le tunnel ferroviaire du Mont-Cenis est le plus long du monde, avec 13 688 mètres. Il le reste jusqu’au 1er février 1882, date de
l’ouverture de celui du Gothard, long de quinze kilomètres. Le tunnel du Mont-Cenis est électrifié en 1915.
L’ouverture du tunnel routier du Fréjus, le 12 juillet 1980, permettant une liaison rapide entre la France et l’Italie, passe juste au-
dessus du portail ferroviaire primitif. Par ailleurs, à côté de la route surplombant le Mont-Cenis, il est encore possible de voir de nos jours
les abris antiavalanches construits à l’époque pour protéger la ligne.

Le train Mont-Cenis
Lancé le 2 juin 1957, un nouveau train de la SNCF rejoint Lyon et Milan par le tunnel du Mont-Cenis, malgré une liaison handicapée
par un tracé difficile, marqué par de fortes déclivités. Ce train, formé uniquement de wagons de places en première classe, n’offre qu’un
trafic limité. En conséquence, à la suite de la forte demande des usagers aux revenus modestes, la SNCF ouvre en 1972 le voyage aux deux
classes en faisant rouler un train international dénommé Mont-Cenis. Composé de voitures Corail, il connaît un réel succès auprès du public,
qui dispose d’un ensemble confortable et climatisé.
La réorganisation des liaisons entre Lyon, Turin et Milan au milieu des années 1990, permet l’introduction de rames pendulaires
italiennes. Ce système améliore la suspension en zone montagneuse et permet à la voiture de s’incliner sans danger : le rappel en position
centrée de la caisse est automatiquement assuré sous l’effet de la gravité. Circulant dans la catégorie Eurocity, le train Mont-Cenis, exploité
par l’organisme franco-italien Artesia, dessert plusieurs villes européennes, de jour comme de nuit.
L’Orient-Express

Surnommé le « roi des trains et le train des rois » par de nombreux voyageurs enthousiastes, l’Orient-Express, nom mythique du
monde ferroviaire, incarne pour toujours le véhicule de la réussite sociale et de la puissance économique. Train de rêve pour les aventuriers
à la recherche de sensations rares et exotiques, il inspira également les écrivains et les artistes. Ses voitures luxueuses accueillirent un
microcosme diplomatique et mondain, avec des empereurs et des princes, des banquiers et des espions, des mondaines des grandes capitales
européennes et des militaires de haut rang... Seul un petit cénacle put s’offrir au début un voyage en Orient-Express : le prix du voyage
représentait deux mois de salaire d’un ouvrier qualifié de la Belle Époque !

Georges Nagelmackers, créateur de l’Orient-Express


Né le 24 juin 1845 à Liège dans une riche famille belge, Georges Nagelmackers a pour père un banquier célèbre. Il accomplit ses
études pour devenir ingénieur civil. Il provoque un scandale familial, à la suite de son désir d’épouser une cousine. Son père décide alors de
l’envoyer six mois aux États-Unis, en lui prenant une place sur un paquebot pour New York.
Ce voyage, qui débute en 1867, va être à l’origine de sa brillante carrière d’industriel. Durant la traversée, il fait la connaissance de
Samuel Cunard, spécialiste du service aux clients sur les paquebots transatlantiques. Pour se rendre d’une ville américaine à l’autre, il
emprunte des trains, dont les voitures, construites par George Mortimer Pullman (1831-1897), sont aménagées pour y voyager de jour
comme de nuit. Le soir, les banquettes basculent et se transforment en lits. Les voyageurs se trouvent alors à l’abri des regards indiscrets
grâce à des rideaux protecteurs que l’on tire entre les couchettes. Mais Nagelmackers remarque que cette intimité est bien précaire, car les
rideaux se soulèvent au moindre frôlement, et cela au grand dam des femmes pudibondes. Les voyageurs masculins peuvent alors admirer
des jambes voilées de soie noire. La pudeur féminine est offensée !
Nagelmackers observe et écoute, prend des notes, réfléchit. En 1869, de retour en Belgique, il décide de publier ses réflexions dans
une brochure, dont le titre à lui seul semble tout expliquer : « Projet d’installation de wagons-lits sur les chemins de fer du continent. » Il
écrit qu’il est possible d’améliorer le confort du transport ferroviaire des riches clients européens, grâce à la création de wagons clos équipés
de lits, permettant ainsi de parcourir de longues distances, de relier l’Occident à l’Orient par voie de chemin de fer.
À cette époque, encore marquée par les guerres napoléoniennes et celles de l’unité allemande et italienne, l’imbroglio des Balkans, les
rivalités nationales et impériales, il peut paraître téméraire d’envisager de lancer des trains express internationaux dans une Europe aussi
morcelée, où chaque pays semble retranché derrière ses frontières. En l’absence d’une administration centrale, de nombreuses compagnies
ferroviaires privées se partagent l’exploitation des réseaux. Pour se protéger des risques d’invasion, les industriels et les politiques refusent
tout projet utopique cherchant à mettre en place des trains transnationaux.
La publication de Georges Nagelmackers rencontre l’hostilité complète de sa famille qui décide même de lui retirer tout subside. Mais
l’homme n’est pas du genre à se décourager. Il cherche les moyens de résoudre les problèmes causés par la diversité des normes en vigueur
dans les compagnies ferroviaires et les pays. Il décide donc de créer des voitures adaptables à tous les trains. Il affronte les préjugés de
certains bureaucrates, pour qui la notion de confort en train semble secondaire. Diplomate et patient, il parvient à convaincre le roi des
Belges Léopold II du bien-fondé de son projet. Ce dernier, très attaché à l’essor industriel de son royaume, accorde son soutien financier au
jeune ingénieur, qui peut ainsi faire circuler un premier wagon-lit en novembre 1872, entre Paris et Vienne. Le succès grandissant de ce
voyage, entre deux grandes capitales, lui permet de créer une première compagnie de cinq voitures attachées aux trains Ostende-Cologne et
Ostende-Berlin. Le 19 février 1873, il signe une convention pour la liaison Paris-Berlin, nouveau succès qui apporte l’engagement d’autres
compagnies. Afin de satisfaire la demande, il fait construire ses voitures en Autriche-Hongrie, pays dont les ateliers sont particulièrement
performants en technique ferroviaire. Mais les banquiers qui le soutiennent au début, frileux et craignant toujours une nouvelle
conflagration européenne, le lâchent subitement.
Afin de poursuivre son développement, Nagelmackers a donc un besoin urgent d’argent. Pour en trouver, il décide de se rendre sur la
place financière de Londres, où il rencontre le colonel américain William Alton Mann, personnage haut en couleur, ayant fait fortune avec
un brevet de sac à dos pour fantassin. Il a également déposé un brevet pour une voiture-lit, différente du principe Pullman, proche de
l’invention de Nagelmackers. Ce projet ne suscite pas d’adhésion aux États-Unis mais apparaît au jeune Belge comme capable, avec quelques
aménagements, de satisfaire la clientèle européenne. Les deux hommes s’associent donc pour fonder, le 4 janvier 1873, la Mann’s Sleeping
Carriage Compagny, et mettent au point une voiture avec des compartiments, des portes ouvrant sur un couloir latéral, lequel permet au
voyageur de se rendre aux toilettes situées en bout de voiture. Ce génial projet, qui va révolutionner le confort des voyageurs, enthousiasme
le prince de Galles, qui décide d’utiliser une de ces nouvelles voitures pour rejoindre Saint-Pétersbourg et assister ainsi à un mariage. La
compagnie américano-belge multiplie alors les contrats, si bien qu’en 1876 le parc ferroviaire aligne cinquante-trois voitures, marquées de
l’inscription Mann Boudoir Sleeping Car, qui circulent sur les réseaux de vingt-trois compagnies.
Après ces premiers succès commerciaux, les deux associés décident de prendre encore plus d’ampleur. Le 4 décembre 1876, ils
fondent en Belgique, devant maître Van Halteren, notaire à Liège, la Compagnie internationale des wagons-lits (CIWL), avec un capital de
quatre millions de francs. Le roi des Belges Léopold II est l’un des premiers souscripteurs. Le parc de la CIWL s’élève à cinquante-trois
voitures-lits, à deux ou trois essieux, assurant seize services en France, Belgique, Allemagne, Autriche et Roumanie. Les véhicules sont
accrochés à des trains réguliers, mais Nagelmackers songe à la mise en marche de trains complets avec un service de restauration, pour
réduire les arrêts buffets en cours de route et donc la durée du parcours. La Compagnie expérimente, entre Berlin et Bebra en Allemagne, sa
première voiture-restaurant, avec deux véhicules ordinaires, l’un aménagé en cuisine et l’autre en salle à manger. La nouveauté fait
sensation mais inquiète les buffetiers des gares qui y voient une concurrence déloyale.
En 1877, Nagelmackers déménage pour s’installer en France, à Villepreux, près de Versailles, dans une propriété où il a fait
construire un château. Son associé américain le quitte peu après pour retourner aux États-Unis et revend ses actions au roi Léopold II, qui
décide de les mettre à la disposition du génial ingénieur belge.
Après avoir obtenu plusieurs concessions pour l’exploitation des liaisons européennes au départ de Paris, de Vienne et de Berlin,
Nagelmackers alerte l’opinion en frappant un grand coup. Avec un sens inné de la communication, il invite de nombreux journalistes de la
grande presse et les responsables des divers réseaux ferroviaires pour un Paris-Vienne aller-retour exceptionnel, dans un train qu’il baptise
Train Éclair de luxe. Peu après, en octobre 1882, il adresse son invitation sous forme d’une lettre personnalisée :
« Vous avez pu voir dans les journaux que notre compagnie organise entre Paris et Vienne un train d’essai dit “Train Éclair de luxe”.
Si le cœur vous en dit, et si vous ne redoutez pas un voyage à toute vapeur de deux mille kilomètres, nous serions heureux de vous voir vous
joindre à nous. Je pense qu’il serait intéressant, pour vous qui voyagez beaucoup, de juger par vous-même la manière dont nous voulons
transporter les voyageurs plus rapidement et plus confortablement sur les grandes lignes du continent. Nous partons de Paris le 10 octobre
1882 à 6 h 40 du soir, nous serons à Vienne mercredi soir et nous en partirons vendredi 1. »
L’ensemble du convoi se compose de quatre voitures-lits, d’une voiture-restaurant et de deux fourgons. Il parvient à relier Paris à
Vienne en 27 heures 53 minutes et Vienne à Paris en 28 heures 17 minutes. L’événement fait alors la une des journaux et gagne la faveur
des responsables des administrations ferroviaires.
« Le monde élégant doit à l’ingénieur Nagelmackers la manière américaine de voyager, améliorée en fonction des usages européens »,
titre la presse de l’époque 2.
Le succès du Train Éclair permet à Georges Nagelmackers de réaliser son projet le plus incroyable : créer des express internationaux,
composés de ses propres véhicules, capables de parcourir les grandes voies ferrées européennes.
Grâce à ses nombreuses relations politiques occidentales et orientales, les dernières résistances diplomatiques cèdent. Le scepticisme
des compagnies ferroviaires s’estompe devant la demande pressante de la clientèle huppée, désireuse d’effectuer de longs voyages à travers
toute l’Europe, dans des conditions confortables. Nagelmackers fait d’abord ajouter une voiture-lit par convoi, puis, devant le succès
grandissent, les administrations ferroviaires en demandent deux, trois, puis quatre. On décide finalement de composer des trains avec
uniquement des voitures-lits, voitures-restaurants et fourgons à bagages pour un long parcours, tractés par des machines des réseaux
européens. Le voyageur doit retrouver le confort d’un appartement luxueux, avec chambre à coucher, salle à manger, salon-fumoir : un
véritable palace sur rail.
En mettant au point un train de luxe international, reliant, sans rupture de charge, l’Orient à l’Occident, Nagelmackers crée son train
Orient-Express, capable de relier la Seine au Bosphore en chemin de fer.

La date mythique des trains de luxe


Sans nul doute, le 4 octobre 1883 reste l’une des dates clés de l’histoire des trains de luxe, mais aussi du rail en général.
Ce jeudi 4 octobre 1883, à 19 h 15, règne une animation particulière dans la gare de Strasbourg de Paris, nommée gare de l’Est par
la suite. Les longues voitures sont en bois de teck, chauffées à la vapeur, éclairées au gaz, largement aérées et, note un témoin « aussi
confortables qu’un riche appartement de Paris 3 ».
Dans des jets de vapeur, le train historique va bientôt s’ébranler. Sur le quai, parmi ceux qui restent, on trouve des sceptiques. « C’est
une folie ! Les Balkans ne sont pas sûrs ! Aller ainsi de Paris à Constantinople est totalement insensé 4. »
C’est au wagon-restaurant que les voyageurs vont faire connaissance. Parmi ces privilégiés se trouvent des messieurs coiffés de hauts-
de-forme et vêtus de redingotes noires, d’autres portant le fez légendaire des Orientaux. Des personnalités françaises, belges, autrichiennes,
roumaines, turques et autres, des diplomates, des journalistes forment le gros des invités. Voici M. Olim, ministre belge des Travaux publics,
suivi de M. Missah Effendi, premier secrétaire de l’ambassade ottomane à Paris, M. Grimpel, représentant le ministre français des Finances,
Edmond About, académicien et romancier, Georges Boyer, envoyé spécial du Figaro, Opper de Blowitz, correspondant du Times.
Derrière la machine et son tender, pleins à ras bord, sont attelés un fourgon avec vigie, une voiture-lit, une voiture-restaurant, une
seconde voiture-lit, un deuxième fourgon contenant provisions de bouche, glacières, casiers de vin, et, plus innovant encore, une cabine de
douche !
« Ce matériel conçu en bois de teck, écrit Jean-Paul Caracalla, se présente comme un hôtel roulant, au raffinement digne d’une
garçonnière de Maupassant. Doté d’un confort moderne jusqu’ici inconnu, le nouveau train rend obsolètes les conditions des voyages de
nuit, où, allongé dans un confort pénible, on tentait de dormir au rythme infernal d’une suspension défaillante.
« Ce n’est pas le cas de ce bel express destiné à franchir sept frontières et à parcourir plus de six mille kilomètres 5. »
Des mois de tractations diverses ont été nécessaires pour mettre tout le monde d’accord. Cela veut dire : les chemins de fer de l’Est
français, les chemins de fer impériaux d’Alsace-Lorraine, ceux du grand-duché de Bade, ceux du Wurtemberg, de l’empire d’Autriche-
Hongrie et du royaume de Roumanie.
Nagelmackers est présent pour accueillir ses nombreux invités qui montent à bord des voitures et n’en descendront que pour
traverser le Danube en Roumanie, sans oublier des haltes protocolaires ou de loisirs. Ils vont s’émerveiller de rester plusieurs jours dans le
même train, franchissant fleuves et montagnes, traversant des villes légendaires, afin de joindre l’Occident à l’Orient.
La traversée des Balkans n’étant pas sans danger, Nagelmackers n’invite que des hommes dans son Orient-Express. Il leur conseille
même de se munir d’un revolver ou d’un pistolet. Il n’est pas question d’entraîner dans cette aventure des dames corsetées, chapeautées et
gantées. Les risques d’une attaque du train par des bandits armés ne sont pas écartés.
Les voyageurs doivent franchir le Danube en bateau, puis rejoindre Varna sur la mer Noire où un navire austro-hongrois, en
remontant le Bosphore, les transporte jusqu’à Istanbul, appelée à l’époque Constantinople.
Georges Boyer écrit dans un article, daté du 20 octobre 1883 : « Jusqu’à présent, quand on avait une douzaine de jours de liberté et
le goût des excursions, on partait pour la forêt de Fontainebleau ou pour quelque port pas trop éloigné de la Manche. Aujourd’hui, on va à
Constantinople, comme je viens de le faire avec une quarantaine de très aimables compagnons de voyage 6. »
De son côté, l’écrivain Edmond About ne peut cacher son émerveillement : « L’aventure que je vais vous raconter par le menu
ressemble au rêve d’un homme éveillé. J’en suis encore ébloui et étourdi tout ensemble, et la légère trépidation des wagons-lits vibrera très
probablement jusqu’à demain dans ma colonne vertébrale 7. »
Accompagnons un voyageur de ce premier jour. Le moment est venu de passer à table :
— Messieurs les voyageurs, le dîner est servi.
Le premier maître d’hôtel introduit les vingt-quatre privilégiés. C’est ici que commencent les surprises.
— C’est incroyable ! s’écrie un des passagers.
Le wagon-restaurant ressemble en effet à un rêve : plafond avec cuir repoussé de Cordoue, murs avec tapisserie des Gobelins, rideaux
de velours de Gênes...
« Il y a mieux, écrit Jean des Cars. Baissons les yeux. Voici des nappes immaculées, une argenterie gravée, des seaux à champagne
garnis, des carafes de cristal où un vieux bordeaux se décante. Ma foi, on se croirait au Café Anglais 8. »
Le correspondant du Times devient lyrique : « Blancheur des nappes et des serviettes pliées avec un goût coquet, scintillement
transparent des cristaux, rubis du vin rouge, topaze du vin blanc, pur cristal de l’eau à travers les carafes, casque argenté des bouteilles de
champagne 9. »
Asseyons-nous. Le chef cuisinier, un Bourguignon barbu, semble être dans ses petits souliers. En effet, tous les plats qu’il va servir
sont cuisinés à bord. Le raffinement est à son comble : la chère s’accorde au bouquet des grands crus. Voici un menu type pour ce long
voyage : potage tapioca, olives et beurre, bar sauce hollandaise, pommes au naturel, gigot de mouton à la bretonne, poulet du Mans au
cresson, épinards au sucre, fromages, tartes aux fruits.
Tout commence par la gastronomie française, mais la cuisine doit épouser la géographie, les mets et les vins des pays traversés. Les
estomacs voyagent autant que les imaginations.
Boyer écrit à propos du chef : « Il n’était pas seulement de premier ordre, mais aussi homme de génie. Et de telles louanges sont
encore trop modestes 10. »
Après le dessert, les hommes se lèvent, certains pour se rasseoir à l’autre bout de la voiture aménagé en fumoir. D’autres vont
respirer l’air de la nuit sur les plates-formes qui séparent les wagons.
À 65 km/h, les bielles arrachent le convoi dans la nuit. Des étincelles jaillissent. À toute vapeur, on atteint 98 km/h ! Au matin, on se
déclare enchanté des boggies qui permettent de rouler avec une douceur telle qu’on peut se raser malgré la vitesse. Le bruit devient une
mélopée vague et monotone à l’oreille et sert même de berceuse.
« À force d’être bien, nous sommes déjà devenus exigeants, écrit l’un des hôtes. Les deux cabinets de toilette qui s’ouvrent aux deux
extrémités de chaque voiture-lit ne nous suffisent plus. Il nous en faudrait au moins quatre. Mais soit pour la toilette, soit pour les besoins
de la vie, ils ne peuvent héberger qu’un voyageur à la fois. Et puis, avez-vous remarqué que dans une bonne odeur de lessive, les draps sont
changés tous les jours, ce qui est un raffinement inconnu dans les maisons les plus riches 11. »
À Vienne commence l’évasion. Des voyageurs descendent, d’autres montent. C’est le début du ballet. Il y a ceux qui prennent ce train
uniquement pour deux ou trois heures, afin de se remémorer les finesses de la cuisine française et de déguster d’excellents vins. Herr von
Scala, un Viennois, est regardé avec curiosité : il ose voyager avec sa femme et sa belle-sœur. Mme von Scala est une amazone, qui glisse
dans un de ses bas un petit pistolet pour dames. Les deux femmes inaugurent officiellement le boudoir réservé au sexe féminin. M. von
Obermayer, conseiller de régence, représente l’empire austro-hongrois.
Le train arrive près d’un village hongrois, nommé Tsigany. Un orchestre de Tsiganes monte à bord pour saluer dignement les
voyageurs, entonne des czardas et des rhapsodies et conclut par une Marseillaise inattendue !
« Ils ont le diable au corps, constate Edmond About, et ils jouent avec un brio merveilleux non seulement leurs mélodies nationales,
mais la musique de Rouget de Lisle... L’orchestre a bondi dans notre fourgon à bagages ; il est bientôt passé dans la salle à manger ; on fait
un branle-bas général de tables et de chaises et voici nos jeunes qui dansent avec les aimables Viennoises une valse de tous les diables 12. »
Le dimanche 7 octobre, le train entre en gare de Bucarest à 5 heures du matin. Nagelmackers a prévu une halte, mais pas n’importe
laquelle : une réception chez Leurs Majestés le roi et la reine de Roumanie, dans leur résidence d’été, à Sinaïa, un magnifique château dans
les Carpates. Blowitz remarque « des cochers moitié barbares, moitié turcs 13 ».
Le journaliste du Times, habitué aux interviews des grands de ce monde, ne veut pas manquer celle de la reine de Roumanie. Courbé
en deux devant la souveraine, il se déclare heureux de parler poésie avec elle. En effet, la reine Élisabeth s’est acquis une grande notoriété à
avec les poèmes qu’elle signe du nom de Carmen Sylva. Pendant ce temps, le roi Carol Ier évoque la situation dans les Balkans.
Le soir, dans le train, on sert du caviar au menu. Du caviar roumain : « Comparé au russe, affirme Blowitz, c’est du cuir de botte 14... »
Et voici enfin le Danube. Nous sommes à Guirgevo, aujourd’hui Gurigo, petit port roumain. C’est là que se termine le voyage du
premier Orient-Express. C’est ici que finissent le luxe et le confort. Le voyage ferroviaire fait place aux aléas de l’expédition. L’aventure
commence.
Sur la berge, le personnel stylé est remplacé par une vingtaine de portefaix qui s’emparent des bagages.
— Ne confiez vos valises qu’aux porteurs en livrée, crie quelqu’un. Sinon, vous ne les reverrez jamais !
Le petit vapeur traverse le Danube en une demi-heure. On arrive en Bulgarie, en accostant à Rouschouk : « Une agglomération de
plâtras alignés tant bien que mal le long des rues invraisemblables où la pelle et le balai feront sensation s’ils ont jamais la fantaisie de venir
s’y promener comme nous », écrit Edmond About 15.
On en profite pour faire un tour. Des soldats manœuvrent : « L’officier qui était censé les instruire leur ordonna le repos. On entendit
un bruit bizarre. Avec une précision et une coordination admirables, tous les soldats se mouchèrent dans leurs doigts ! » remarque l’envoyé
spécial du Figaro 16 .
Les voyageurs prennent place dans un antique train : « La route ne longe que des forêts dévastées, réduites à l’état de maigres taillis
et de steppes où la culture apparaît de distance en distance comme un accident heureux 17. »
Deux sortes de dangers guettent les voyageurs. D’abord les bœufs qui, errant librement, ont la fâcheuse habitude de brouter l’herbe
pauvre entre les rails, car la voie n’est protégée par aucune barrière. Le conducteur disperse les troupeaux à coups de sifflet. L’autre danger
est plus sérieux : les bandits bulgares. Ce ne sont pas les wagons qu’ils attaquent mais les gares. Celle de Votava vient d’être pillée. Le chef
de la station et ses employés se retrouvent bâillonnés. Ils ont failli être scalpés ! Heureusement, l’arrivée de quelques ouvriers a fait fuir les
brigands. Avant de disparaître, ces derniers ont cependant pris la recette et mis le feu aux baraquements.
Les passagers ont la gorge serrée en apprenant la nouvelle. Ils saisissent les revolvers et autres pistolets. Mais les malandrins ne se
montrent pas. Lorsque le convoi repart, les messieurs regagnent leur place non sans passer un doigt entre leur col et leur cou. Ils ont eu
chaud...
« La technique des malfaiteurs, écrit Edmond About, consiste à envahir la gare après le passage du dernier train et il en passe deux en
vingt-quatre heures 18. »
Le voyage se poursuit. Opper de Blowitz remarque les boucs misérables qui broutent dans les cimetières « comme si les restes
humains régénéraient le sol 19 ». Le train met 7 heures pour atteindre Varna, port sur la mer Noire, d’où les voyageurs embarquent pour
Constantinople à bord d’un vapeur autrichien. Cette nouvelle traversée dure 15 heures.
Soudain, surgit le miracle. Le rideau de la nuit se déchire : « C’est Constantinople, souligne le journaliste du Figaro, enveloppée dans
un voile de brume transparente, percée de mosquées et de minarets comme des chandeliers. Tous nos rêves étaient surpassés par cette
splendeur et cette beauté 20 ! »
Le sultan reçoit dignement les voyageurs qui débarquent à Top-Hani, quartier général de l’artillerie et fabrique impériale des canons.
Dix vastes landaus attendent avec cochers galonnés et interprètes sur le siège : « Et nous voilà galopant en file indienne, raconte Edmond
About, sur le pavé capricieux et dans la boue gluante, le long des boucheries, des cafés, des gargotes dont la seule odeur fournirait douze
chapitres à Monsieur Zola 21. »
Logés dans le quartier diplomatique de Péra, à l’hôtel du Luxembourg, les hôtes du sultan ne sont pas au bout de leurs surprises.
Comment oublier le hall soudain rempli de brebis ? Oui, de brebis, car c’est la fête religieuse qui commémore le sacrifice d’Abraham.
Mais il faut bientôt quitter le Bosphore. Le 13 octobre, à 14 heures, nos témoins s’embarquent pour le trajet de retour, par le même
vapeur, le même train antique, et avec les mêmes ennuis. Mais, ô miracle, à Guirgevo, le magnifique Orient-Express est là, flambant neuf.
Les voyageurs s’y réinstallent avec une immense joie : « Banquettes en velours bleu frappé d’or, écrit Jean des Cars, tables d’acajou, robinets
de bronze, lits douillets, tout est là. Ils n’avaient pas rêvé ! Et la cuisine. Et la cave. Et un personnel en tous points digne d’éloges. Il ne
manque pas un pompon, pas une frange aux rideaux douillets qui transforment le train en écrin prestigieux. Le luxe, déjà extraordinaire, du
convoi éclate davantage. Quelle différence ! Nos voyageurs n’en doutent pas un instant : ils viennent de retrouver la civilisation 22. »
L’Orient-Express rattrape ses deux heures de retard. À 18 heures, montre en main, le 16 octobre, il s’immobilise à la gare de l’Est de
Paris. Le temps du voyageur transporté comme du bétail est révolu. Voici venu celui de l’art du voyage.
À 80 km/h, le train relie Paris à Constantinople en 81 heures 30 minutes, soit 30 heures de moins que les autres trains.
Les journalistes présents sont élogieux. Le Times parle d’une « révolution ». Le Figaro s’attarde sur la performance technique de la
vitesse.
La liaison ferroviaire devient intégrale
À partir du 1er juin 1889, la liaison est intégralement effectuée en train, ce qui permet aux voyageurs de quitter Paris un mardi pour
se retrouver à Constantinople le jeudi ou le vendredi suivant, tout en ayant desservi Vienne, Budapest, Belgrade et Sofia. La durée du
voyage est désormais de 67 heures 46 minutes pour parcourir les trois mille cent quatre-vingt-six kilomètres qui séparent Paris de
Constantinople.
L’Orient-Express traverse ainsi un plus grand nombre de pays, la France de Sadi Carnot, la Bavière d’Othon Ier, l’Autriche-Hongrie de
François-Joseph, la Serbie d’Alexandre Ier, la Bulgarie de Ferdinand, la Roumanie de Carol Ier jusqu’à la Turquie ottomane d’Abdülhamid II.

La fascination des romanciers, des poètes et des cinéastes


Ayant inspiré des romanciers, comme Agatha Christie (Le Crime de l’Orient-Express) ou Maurice Dekobra (La Madone des sleepings), et
des poètes, ce train est une aventure exotique à lui tout seul.
Citons Valery Larbaud :

« Prête-moi ton grand bruit,


Ta grande allure si douce,
Ton glissement nocturne à travers
L’Europe illuminée
Ô train de luxe ! Et l’angoissante
Musique
Qui bruit le long de tes couloirs
De cuir doré,
Tandis que derrière les portes laquées
Aux loquets de cuivre lourds
23
Dorment les millionnaires .»

L’écrivain Paul Morand se souvient :


« La Turquie venait de perdre l’Europe. Les Balkans s’en arrachaient les restes. On rencontrait dans les couloirs de l’express une race
qui disparaissait avec Abdul Hamid, vieux seigneurs osmanlis ou ottomans (mortellement blessés si vous les appeliez des Turcs), pachas à
fez, vêtus de la longue redingote, nommée stambouline ; ils enfermaient leurs épouses voilées dans le compartiment où même le contrôleur
n’avait pas accès ; des nuées d’agents secrets les entouraient (...)
« Au wagon-restaurant, on retrouvait des figures sans âge, ni sexe, entrevues dans le hall aux enchères du Grand Bazar de Stamboul,
interprètes arméniens ou persans ; notre boulevard parlait d’eux comme de rastaquouères, du mot espagnol rastacueros, qui signifierait
marchands enrichis dans les cuirs ; si riches que, prétendait Claudel, ils mettaient leurs diamants aux bagages 24. »
Il se rappelle avoir rencontré un Allemand spécialiste des fausses statistiques que venait d’engager un gouvernement oriental aux
abois qui désirait truquer les chiffres officiels de son budget ; un Roumain dont l’arrière-grand-père avait, en 1801, répandu du sucre en
poudre sur les Champs-Élysées, afin de montrer aux Parisiens comment les traîneaux glissaient sur la neige.
Avant 1914, il croisait de vieux diplomates, des financiers chenus, des conférenciers académiciens « bavassant » dans la Revue des
Deux Mondes. Des seigneurs autrichiens à vingt châteaux et mille villages, vêtus de tweed, qui se rendaient à Epsom pour remonter leur
écurie de courses. Des milords, riches d’un empire, représentant « l’olympe de l’aristocratie britannique », qui allaient chasser le coq de
bruyère dans le Maramureş. De gros barons israélites viennois qui vous poussaient du coude : « Présentez-moi donc à la comtesse... » Peu de
marchands de tableaux mais des « amateurs éclairés ». Des courriers diplomatiques, « toujours deux par deux, comme des pigeons, l’un
montant la garde des dépêches officielles pendant que l’autre allait dîner ». Des placeurs d’emprunts russes, des imprésarios, des ténors
célèbres. Des négociants en zibeline de Leipzig. Des tenidores vishnouites dont le front s’ornait d’un trident cendreux, ou des çivaïtes, avec
un point rouge entre les sourcils. Des magnats hongrois, des boyards roumains courant dépenser à Vienne les fruits d’une heureuse récolte.
Cette boyarie s’habillait dans Savile Row (à Londres, la rue des grands tailleurs) et avait rasé ses longues barbes.
Il dit avoir couché « dans des wagons durs, ou mous, sur des couchettes russes ou américaines », mais rien ne lui procure un plus
grand plaisir que lorsqu’il monte dans ce train des jours heureux. Avant de mourir en 1976, il confie à un ami : « J’aimerais que le personnel
de l’Orient-Express n’oubliât pas l’oiseau de passage de la cage roulante, le pèlerin militant et passionné, le nomade horizontal qui lui est
toujours resté fidèle 25. »
L’écrivain mondain Paul Bourget décrit la société cosmopolite qui voyage dans « le luxueux train mythique 26 ». Abel Hermant
déclare, dans l’ambiance insouciante de la Belle Époque, que « nous sommes réellement chez nous dans le Calais-Nice ou le Paris-Vienne 27 ».
Il écrit une pièce, affichée en 1908, qui évoque d’heureux moments passés dans l’Orient-Express.
Dans son roman Le Crime de l’Orient-Express, Agatha Christie fait diligenter une enquête par le célèbre Hercule Poirot, afin d’élucider
le meurtre de Samuel Edward Ratchett, à travers les longs interrogatoires des voyageurs. Dans l’Express Athènes-Paris, au cœur de la
voiture-restaurant, immobilisée dans la neige, entre Vincovi et Brod, Hercule Poirot questionne les passagers les uns après les autres. Grâce
à sa légendaire perspicacité, il démasque le criminel avant l’arrivée du train en gare de Zagreb. En apparence étrangers les uns aux autres,
les personnages de l’intrigue policière évoluent dans l’univers clos d’une rame de voitures-lits. Ce roman a fait l’objet d’une adaptation
cinématographique, réalisée en France et en Turquie par Sidney Lumet et sortie sur les écrans en 1974, servie par une prestigieuse
distribution : Albert Finney, Jacqueline Bisset, Ingrid Bergman, Lauren Bacall, Anthony Perkins, Richard Widmark, Jean-Pierre Cassel,
Vanessa Redgrave, Sean Connery, Michael York.
Les romans de Graham Greene Orient-Express et Voyages avec ma tante évoquent aussi le célèbre train. Le premier texte décrit
l’atmosphère cosmopolite de l’Europe centrale des années 1930, tandis que le second invente un voyage étrange contre le temps durant les
années 1970.
Un des passages des Onze mille verges de l’écrivain-poète Guillaume Apollinaire se déroule dans un wagon-lit de l’Orient-Express,
conduisant le prince Vibescu de Paris à Bucarest. Le créateur de James Bond, le romancier Ian Fleming, utilise l’Orient-Express comme
élément central de l’intrigue de son roman Bons baisers de Russie. Ce livre inspire en 1963 le cinéma, avec Sean Connery dans le rôle de
James Bond. Une longue scène se déroule dans le wagon-lit Istanbul-Paris de l’Orient-Express.

Un gentleman sauve une belle aristocrate


Basil Zaharoff, financier et homme politique d’origine grecque, conseiller de l’Amirauté britannique et de nombreux milieux
d’affaires, se comporte, en avril 1922 en gentleman avéré, en sauvant des mains de son mari, l’inquiétant marquis de Marchesa, la belle
Maria Pilar del Marquiso y Berrete que ce dernier tente d’étrangler dans sa cabine de l’Orient-Express. Après quoi, Zaharoff baise la main de
la marquise et lui murmure : « Je vous aime. » Il doit cependant attendre la mort du marquis violent en 1924 pour épouser sa veuve.

L’étrangleuse de l’Orient-Express
En mars 1910, raconte Walter Schams 28, une riche héritière, la veuve Jeanne Moulin, native d’Avignon, s’installe à Paris dans un
immense appartement du 16e arrondissement. Se sentant seule, elle embauche une jeune domestique, Juanita Sanchez, originaire d’Espagne.
Le 12 septembre de la même année, les deux femmes se trouvent dans un des wagons-lits de l’Orient-Express à destination de l’Autriche.
Une dispute éclate : Jeanne soupçonne sa domestique de lui avoir volé l’un de ses colliers.
— Je pourrais te congédier au plus vite, dit la veuve d’une voix méprisante. Entre toi et moi, il ne peut y avoir rien de commun.
— Rien de commun entre vous et moi, répond Juanita. En êtes-vous bien sûre ?
Elle plonge alors sa main dans la poche centrale de son tablier où se trouve caché le collier.
— Je ne veux rien, dit-elle calmement. Mais, comme vous allez au wagon-restaurant pour dîner, je vais vous rendre ceci.
Mais alors qu’elle sort de sa poche le collier, elle ne le tend pas ; avec prudence elle le garde délicatement dans sa paume. Ses gestes
sont sobres, mais son regard étincelant ne cesse de provoquer la veuve. Celle-ci, perplexe et déconcertée, baisse enfin les yeux, aperçoit le
collier et pousse un cri :
— Mon collier !
— Comme vous voyez, continue Juanita, nous avons quelque chose en commun.
— Mon collier ! répète avec colère la veuve, en portant, surprise, la main à son cou.
Puis, son étonnement faisant place à la réflexion, elle se redresse et demande d’un ton inquisiteur :
— Comment es-tu en possession de ce collier ?
— Vous avez deviné, répond Juanita sans élever la voix, ni baisser les yeux.
— C’est-à-dire ?
— Vous pensez que je l’ai volé. Eh bien, c’est vrai, je l’ai volé ; mais comme je ne sais qu’en faire, je vous le rends.
— Donne-le-moi !
D’un geste brusque et maladroit, où se mêlent la révolte et le mépris, la veuve lui arrache le collier des mains.
Devant cette incompréhensible restitution, la veuve Moulin reste stupéfaite, presque désarmée et, non sans un obscur regret, se sent
obligée de penser que, comme Juanita lui avoue le vol, elle va devoir tout lui pardonner.
Sur cette voie où sa conscience l’engage avec répugnance, elle s’arrête net et cède de nouveau à l’appel d’une justice impitoyable.
Elle a fort envie de dénoncer Juanita à la justice, de la voir s’en aller menottes aux poignets pour être jetée en prison.

— La restitution de mon collier n’enlève rien à la faute que tu as commise. Je me vois donc contrainte de faire ce que toute personne
— La restitution de mon collier n’enlève rien à la faute que tu as commise. Je me vois donc contrainte de faire ce que toute personne
raisonnable ferait à ma place, en parler à la police !
Elle se tait et regarde Juanita froidement. Celle-ci pense : « Tu t’es condamnée toi-même », mais n’en laisse rien paraître sur son
visage faussement consterné.
— Ne me dénoncez pas, dit-elle en donnant à sa voix un accent suppliant. Quel profit pourrez-vous en retirer ? Aucun. Et pour moi,
ce serait une catastrophe.
— Il fallait y penser plus tôt, rétorque la veuve. Si l’on pouvait tout se permettre et éviter ensuite les conséquences de ses actes, ce
serait trop facile !
— Pour l’amour de Dieu, dit Juanita, d’une voix implorante, ne me dénoncez pas !
— Je te prie de ne pas insister ! Je n’ai pas l’habitude de revenir sur mes décisions.
Ces derniers mots sont prononcés d’une voix énergique par la veuve qui, tout en parlant, éprouve des difficultés, la tête baissée et les
deux mains à la nuque, pour fixer le collier à son cou. Elle n’y arrive pas.
Alors Juanita s’approche :
— Permettez-moi de vous aider...
— Ne cherche pas à m’attendrir, c’est inutile, répond la veuve.
Mais Juanita a déjà pris les deux bouts du collier ; la veuve, redressant la tête et posant les mains sur ses hanches, se résigne, avec
mauvaise humeur, à la laisser faire.
— Comme c’est dur ! se plaint Juanita.
En réalité, elle a déjà fermé l’agrafe et contemple la nuque lisse et fine de sa rivale.
— Attendez, nous y sommes, dit-elle encore.
Au même instant, ayant vaincu sa dernière hésitation, elle porte les deux mains en avant et, avec force, serre le cou de la veuve.
Celle-ci, d’abord, plie les genoux et tombe en arrière en agitant ses bras en l’air ; puis ses deux mains cherchent sa gorge, en saisissant les
doigts de l’étrangleuse. Elle parvient à se retourner et, face à Juanita, peut la contraindre à desserrer un peu son étreinte.
— Lâche-moi, crie-t-elle alors. Lâche-moi, assassine ! Au secours ! Au secours !
Juanita renverse la veuve sur le sol et l’écrase sous son poids en la chevauchant.
— Au secours ! hurle la victime encore, tandis que des soubresauts agitent ses épaules et ses jambes.
C’est là son dernier cri. Cette gorge que Juanita serre de toutes ses forces, elle la sent encore secouée de sursauts convulsifs, et elle
désespère, pleine de rage, de parvenir à ses fins quand, soudain, et plus vite qu’elle ne l’aurait cru, sa victime cesse de se débattre et laisse
retomber ses bras en croix. Mais Juanita, dans son acharnement, n’arrête pas son élan, et reste encore un long moment à cheval sur la
veuve, les mains pressant toujours le cou sans vie. Enfin, elle se redresse. Un sourire vengeur anime son visage. Elle ne quitte pas des yeux
le corps inerte, pose même un pied sur la poitrine de sa victime en guise de triomphe. Habituée aux tâches les plus rudes, cette belle femme,
au corps d’amazone, semble être faite pour la lutte. Elle s’empare de l’argent, cache le cadavre sous une couverture du wagon-lit et descend,
sans se faire remarquer, en gare de Vienne.
Quelques semaines plus tard, Juanita Sanchez est finalement arrêtée à Toulouse et jugée pour l’assassinat de la veuve Moulin.
Personne ne vient témoigner en faveur de la victime. Le jury, sensible au charme de l’étrangleuse, lui accorde des circonstances atténuantes
qui la sauvent de l’échafaud. Emprisonnée à Toulouse, elle parvient à s’échapper lors d’un transfert, après avoir charmé un des policiers,
chargé de la conduire dans un hôpital pour une visite médicale. Elle disparaît à jamais. Elle aurait rejoint son village en Espagne, d’après
divers témoins.

Le roi de Bulgarie conduit l’Orient-Express !


Heureusement, l’humour et le burlesque arrivent également à l’Orient-Express. Ainsi le roi Ferdinand de Bulgarie (1861-1948),
passionné de trains, se fait confectionner une tenue de conducteur en bleu de chauffe, coupée par l’un des meilleurs couturiers de Paris. Un
jour d’avril 1908, il parvient à faire arrêter le train mythique, alors que celui-ci traverse son pays. Il monte à bord de la locomotive, pousse
le chauffeur et le mécanicien, dirige lui-même la conduite en lançant l’ensemble à vive allure, sans se soucier de la limitation de vitesse,
pourtant imposée par les courbes. Il vérifie la qualité du freinage, en opérant des arrêts brusques au péril de la vaisselle du wagon-
restaurant et des plats préparés par le chef de cuisine, sans se soucier des voyageurs, secoués et bousculés, voire terrorisés. De toute
évidence, le roi de Bulgarie prend l’express international pour un jouet. L’affaire arrive en haut lieu, devient un incident diplomatique.
Bien décidé à préserver sa clientèle, Nagelmackers alerte le cabinet du souverain. Les remontrances diplomatiques de la Belgique, de
la France, de la Grande-Bretagne et d’autres pays portent leurs fruits. Le souverain bulgare fait amende honorable et promet de ne plus
recommencer.
Le fantôme de l’Orient-Express !
En 1981, le professeur d’université Walter Schams 29 me raconte cette autre histoire étonnante : au début du XXe siècle, un vagabond,
surnommé « Orient-Express », vit en Autriche, près de Vienne. Ce surnom lui vient de sa passion pour le célèbre train, qu’il aime voir passer
dans la campagne et dont il imite le bruit de la locomotive en marche. De petite taille, maigre et souple comme un jonc, il a une tête
léonine, couverte d’une forêt sauvage de cheveux blancs flottant au vent comme une crinière. Sa barbe, pleine de brins de paille, lui donne
un air idiot. Ses yeux sont souvent baissés, regardant la pointe de ses pieds nus.
Il porte une veste rapiécée sur l’épaule, comme une cape de seigneur hongrois. Tout le monde, au village de Baden, se moque de son
air fanfaron. On dit qu’il a l’esprit un peu dérangé, et puis on parle, pour expliquer cet état de fait, d’un amour trompé, d’un coup de
couteau, d’une fuite...
Aux chaudes heures de l’été, quand la place déserte est inondée de lumière, il se promène accompagné d’un chien blanc. Alors, les
enfants sortent des maisons et claironnent :
— Orient-Express ! Orient-Express ! le soleil va te tomber sur la tête !
Le malheureux ramasse une pierre et la lance en direction des garnements.
Walter, un petit garçon mince et nerveux, lui, ne rit pas. Sa sensibilité est telle que les larmes coulent facilement sur ses joues roses.
Poète et rêveur, il aime tous les êtres fragiles, tous les miséreux.
Un jour, il prend son courage à deux mains. Voyant le pauvre bougre déambuler vers la place du village, il lui crie :
— Orient-Express ! moi, je t’aime bien !
Celui-ci se retourne aussitôt, l’aperçoit et lui sourit. Alors Walter cueille une fleur dans un pot et la lui donne. Dès ce jour-là, ils
deviennent amis.
Un samedi soir, Walter est assis sur un banc, fixant les montagnes. C’est un merveilleux coucher de soleil de juin, plein de nuages
écarlates et dorés ; le sommet des montagnes, encore couvert de neige, jette des flamboiements et des miroitements ardents.
En se retournant, il voit arriver Orient-Express tout en sueur, cachant sa main gauche derrière son dos.
— Eh bien, Orient-Express ? dit Walter tout heureux, en lui tendant sa menotte blanche.
Le vagabond fait un pas en avant et offre à l’enfant un petit bouquet de fleurs.
— Merci ! Merci ! Comme elles sont belles ! s’écrie Walter en les prenant.
Orient-Express essuie, avec la manche de sa veste, la sueur qui lui coule sur le front ; il fixe ses pieds nus, puis il regarde l’enfant, et
se met à rire.
— Les fleurs sont jaunes et blanches. Elles se trouvent dans les champs ; je les ai vues, je les ai prises, je te les ai données, et tu as
dit : « Elles sont belles, belles !... » Je les ai cueillies dans les champs, sous le soleil qui est comme le feu du train...
Le vagabond parle par bribes, faisant un effort pour suivre le fil de son idée ; cent images confuses traversent probablement son
cerveau et il en saisit seulement quelques-unes, les plus précises, les plus colorées ; puis les autres s’envolent.
Walter le regarde comme une bête curieuse. Orient-Express s’en aperçoit et tourne vivement la tête de l’autre côté, vers les
montagnes.
— Les montagnes... dit-il, pensif. Il y en a deux, trois, quatre...
Il ne semble pas pouvoir en compter plus. Son jeune compagnon tente de lui apprendre à compter sur ses doigts, tandis que le
vagabond l’écoute comme ensorcelé, mais probablement sans rien y comprendre.
— Dix montagnes ! murmure-t-il étrangement, et il sourit.
Une feuille tombe dans la rivière, près du banc. Il la suit aussitôt des yeux.
— Elle va loin, loin, loin... comme le train, dit-il tristement.
Les montagnes se dessinent sur l’horizon. Près de la rivière, se trouve le chemin de fer, sur lequel passe l’Orient-Express qui se rend à
Vienne. Un bruit confus de carillons de cloches s’élève du village.
— J’avais une maison blanche ; et dans le jardin poussaient des fleurs ; et Elena venait les cueillir, elle venait... Belle !... les yeux...
belle Elena... mais lui...
Le vagabond s’arrête brusquement ; une sombre pensée lui traverse l’esprit, car ses yeux deviennent méchants. L’enfant prend peur,
mais le mendiant s’éloigne en fredonnant une vieille chanson.
Un beau matin de novembre, plein d’azur et de soleil, un paysan découvre le corps du va-nu-pieds atrocement mutilé, sur les rails du
chemin de fer, non loin d’un pont. Une jambe, coupée net, a été traînée par les roues de la locomotive de l’Orient-Express trente mètres plus
loin ; la tête, sans menton, a des yeux grands ouverts qui font peur.
Le pauvre bougre a voulu voir de près le « dragon de fer et de feu », « ce monstre qui va vite, disait-il, qui va très loin, et dont le
ventre renferme des flammes... Oui, des flammes comme l’enfer... ».
Il est enterré au cimetière du village, proche de l’église. Peu de temps après, des événements curieux surgissent. En fin de journée,
une fermière, passant à proximité, remarque une forme humaine qui semble s’élever du sol. Elle prend ses jambes à son cou. Arrivée chez
elle, elle raconte ce qu’elle a vu à son mari. Armé d’une fourche, ce dernier se rend à l’endroit indiqué, fait le tour de l’église, pénètre dans
le cimetière, scrute les environs. Las, il s’apprête à emprunter le chemin du retour quand, à la sortie du cimetière, il distingue une forme
humaine à l’ombre d’un arbre. Il s’approche et lâche aussitôt son « arme », épouvanté. Le spectre hideux du vagabond, le visage défiguré, se
dresse devant lui et le menace. Le fermier recule et prend la fuite, sans que puisse sortir un seul son de sa bouche. Arrivé chez lui, il se
barricade, sans dire un mot à sa femme. Puis, il passe la nuit devant la cheminée, une hache à la main.
L’affaire n’en reste pas là. Plusieurs voyageurs de l’Orient-Express témoignent bientôt qu’à l’approche de Vienne « un fantôme hante
les wagons, le visage défiguré » !

La police autrichienne enquête, d’autant que parmi les témoins figurent des personnalités insignes, tenant à garder l’anonymat, et
La police autrichienne enquête, d’autant que parmi les témoins figurent des personnalités insignes, tenant à garder l’anonymat, et
une partie du personnel de l’Orient-Express. Un inspecteur, Hans Korner, décide de mener une enquête approfondie, avec l’aide de plusieurs
membres du personnel du train. Ces derniers fournissent une masse de témoignages sans appel : les journaux de bord mentionnent les
apparitions du fantôme à plusieurs reprises !
On demande alors au curé du village de Baden de pratiquer un rituel pour le repos de l’âme du malheureux vagabond, sur sa tombe
même. Peu de temps après, les apparitions fantomatiques cessent, aussi bien dans le train que dans la localité et ses environs.

L’Orient-Express dans tous ses états


En 1893, le célèbre train est attaqué par des pillards des Balkans qui dérobent cent vingt mille livres sterling et prennent cinq
voyageurs en otages. L’année suivante, il doit être mis en quarantaine en raison d’une épidémie de choléra survenue à bord. En février
1895, une crue violente emporte un pont : le convoi est bloqué. Il y a au moins une semaine de réparations. En 1901, à la suite d’un
problème de freinage, la locomotive termine son trajet dans un bâtiment de la gare de Francfort-sur-le-Main, heureusement sans faire de
victimes. En 1913, en raison de la guerre balkanique, le train ne circule plus jusqu’à Belgrade. La Grande Guerre de 1914-1918 interrompt
en partie les voyages. Des voitures bloquées en territoire allemand sont réquisitionnées pour servir aux transports des troupes.

Le wagon de la Victoire
Le 7 octobre 1918, le wagon no 2419 de l’Orient-Express, « échoué » alors en France à Saint-Denis, est réquisitionné par le lieutenant-
colonel Loiseleur, chef du 4e Bureau du ministère de la Guerre. À ce sujet, il écrit au directeur des Wagons-Lits, M. André Noblemaire,
propriétaire de la voiture en question :
« J’ai l’honneur de vous confirmer les divers entretiens que nous avons eus à ce jour au sujet du train spécial mis à la disposition de
M. le maréchal Foch. Je vous saurai gré des ordres que vous voudrez bien donner pour faire activer tout spécialement l’aménagement de la
voiture-salon no 2419.
« La bibliothèque prévue dans le bureau sera celle qui se trouve dans la voiture de M. le président du Conseil, ministre de la Guerre.
Cette voiture à aménager devra comporter les installations suivantes : dans la grande salle, on laissera les tables à quatre places qui se
trouvent près de la cloison centrale avec leurs sièges. Toutes les autres tables et tous les autres sièges devront être enlevés et remplacés par
une grande table sur laquelle pourront être étalées des cartes.
« Dans la cuisine, le fourneau sera enlevé de manière à permettre l’installation de petites tables pour dactylographes. Les installations
téléphoniques seront faites par les soins du haut-commandement. Cette voiture devra être éclairée d’électricité.
« Il ne vous échappera pas que nous devons tous nous efforcer à donner, le plus rapidement possible, au maréchal, le confortable qui
lui est nécessaire pour assumer la tâche écrasante qui lui incombe et je vous saurai gré de la diligence que vous mettrez à donner
satisfaction à ses demandes 30. »
Le 28 octobre 1918, la voiture, complètement transformée, prend la direction de Senlis. Le 7 novembre, elle se trouve dans la forêt
de Compiègne, entre Choisy-au-Bac et Rethondes, au milieu des arbres dénudés, où deux voies ferrées se rejoignent. Ces deux dernières sont
normalement utilisées par l’artillerie lourde pour tirer ses gros canons sur rails. Le soir même, le train spécial des plénipotentiaires
allemands s’immobilise à l’endroit choisi par le commandement français. Le wagon no 2419 du maréchal Foch se situe en face. Le
lendemain, à 9 heures précises, Foch, le général Weygand, l’amiral Wemyss et le contre-amiral Hope y accueillent les Allemands. Il a plu
toute la nuit. Le sol est détrempé.
Autour de la table centrale se trouvent dix chaises. Y prennent place le capitaine von Heldorf, le capitaine de vaisseau Vanselow, le
major général von Winterfeld, le secrétaire d’État Erzberger, qui préside la délégation allemande, l’ambassadeur von Marriott, l’officier
interprète Laperche et les officiers supérieurs alliés, déjà cités.
Sur une petite table, un téléphone relie la voiture no 2419 au reste du monde. Pendant quatre jours, on négocie. Enfin, le 11
novembre 1918, à 5 heures du matin, l’armistice est signé. À 7 heures 30, Foch, sa canne à la main droite et la serviette contenant le texte
original de la convention d’armistice sous le bras gauche, pose pour la photographie devant le désormais célèbre wagon de la Victoire, en
compagnie des signataires, dont certains s’installent sur le marchepied. La voiture est désormais connue comme un haut lieu de la paix.
La voiture no 2419 n’a pas fini son rôle : elle sert encore aux réunions d’armistice à Trèves les 16 décembre 1918, 13 janvier et 16
février 1919. Foch remonte ensuite dans ce wagon pour se rendre à Spa les 3 et 4 avril. C’est seulement en septembre 1919 que l’armée lève
la réquisition.
Que va-t-on faire de la voiture ?

Le président des Wagons-Lits propose de l’exposer dans différents pays, y compris aux États-Unis. Ce tour d’honneur permettrait de
Le président des Wagons-Lits propose de l’exposer dans différents pays, y compris aux États-Unis. Ce tour d’honneur permettrait de
rappeler une journée historique. On ouvrirait la voiture au public et les droits d’entrée seraient versés à une œuvre de bienfaisance, comme
la Croix-Rouge.
Le gouvernement français souscrit à cette idée : il demande à M. André Noblemaire, directeur de la Compagnie, de bien vouloir céder
à l’État le wagon historique. Flatté de cette proposition, ce dernier répond par une lettre, datée du 22 septembre 1919 : « Notre compagnie
est fière d’avoir pu, pendant la guerre 1914-1918, apporter au haut commandement sa modeste collaboration et elle serait particulièrement
heureuse d’en avoir ainsi perpétué le souvenir 31. »
Le 7 octobre 1919, Clemenceau, président du Conseil et ministre de la Guerre, « accepte au nom du gouvernement, le don fait dans
un sentiment patriotique auquel je suis heureux de rendre hommage 32 ».
En attendant le choix définitif de son exposition, la voiture est rayée des contrôles du matériel roulant, le 3 janvier 1920. On la
décore pour perpétuer le souvenir de la victoire de 1918 : à chaque extrémité du compartiment, sur la frise du plafond, on fixe deux
médaillons, entourés de figures allégoriques. Outre les noms des signataires, on peut lire : « La Marne 1914 – L’Yser 1915 – Verdun 1916 –
La Somme 1916 – Bataille de France 1918 ».
Cette mise à la retraite historique est brève. Le 16 avril 1920, on suggère d’utiliser la voiture pour les déplacements du président de
la République et des souverains étrangers en visite en France, quitte à la placer plus tard au Musée de la Guerre de Paris.
La voiture no 2419 est alors transformée en restaurant. Le 8 décembre 1920, le président Alexandre Millerand y déjeune lors d’un
voyage tout indiqué, à Verdun, où l’on inaugure le monument de la Tranchée des Baïonnettes. Autour du président français, se tiennent
Raymond Poincaré, les maréchaux Foch et Joffre, André Maginot (ministre des Pensions), Wallace (ambassadeur des États-Unis), Paul Léon
(directeur des Beaux-Arts) et d’autres personnalités.
Le 27 avril 1921, le Wagon est finalement installé dans la cour des Invalides. Les années passent. Et voici que se produit ce que
personne n’avait envisagé : la voiture s’abîme sous les ravages des intempéries climatiques. En mai 1924, le général Mariaux, directeur du
Musée de la Guerre, fait le constat suivant : « La voiture et les parois extérieures de cette voiture souffrent de plus en plus du vent, du froid,
de la neige et de la chaleur de l’été 33. »
Cette affaire lamentable fait la une des journaux, même à l’étranger. Le grand quotidien hollandais De Telegraaf publie un article
intitulé « Le wagon malade ». À Paris, L’Œuvre surenchérit par un article ferme qui s’achève ainsi : « Il faut nettoyer ce symbole
historique 34. » Le Figaro titre : « Le Wagon de Rethondes voudrait bien changer d’air 35. »
On décide alors de le placer en forêt de Rethondes, sous un hangar protecteur. Le maire de Compiègne, M. Fournier-Sarlouze, donne
son accord, à condition que le Musée de la Guerre prenne en charge les frais de transport et d’entretien. Le directeur, manquant de crédits,
s’y oppose. Pendant ces discussions, à chaque ondée, le Wagon est un peu plus délabré. À chaque gel, les lattes de teck se lézardent un peu
plus. Soudain, le miracle arrive ! Un matin du printemps 1927, l’Américain Arthur Henry Fleming se présente au maire de Compiègne. Il est
richissime.
— Combien faut-il pour sauver le Wagon et l’installer dans la forêt ? demande-t-il.
— 150 000 francs, monsieur.
— Parfait, je paye !
M. Fleming est un ami de la France : il admire particulièrement l’héroïsme déployé par les Poilus, les célèbres soldats français de 14-
18. Pour lui, l’armée française est la plus prestigieuse du monde. Il veut sauver le Wagon de la victoire de 1918. Il est finalement installé
dans un grand abri construit par l’architecte Marcel Mages. Un panneau extérieur explique le don de l’Américain.

Et de la défaite...
Le 20 juin 1940, les Allemands tirent le wagon no 2419 à l’endroit exact où il se trouvait le 11 novembre 1918. Deux jours plus tard,
à 15 heures, Hitler, Goering, Raeder, Keitel et Hess s’y installent. Les vaincus arrivent à 15 h 35, à savoir le général français Huntziger,
l’amiral Le Luc, le général Bergeret, l’ambassadeur Léon Noël. La France demande à son tour l’armistice : les rôles sont inversés dans un
spectaculaire retournement de l’Histoire. À 18 h 52, le texte est signé. Le Wagon de la gloire devient celui de la honte.
Et pourtant, la triste odyssée de la voiture no 2419 est loin de se terminer. Hitler ordonne de la transférer à Berlin, devant le Vieux
Musée, place Lusgarten, au cœur de la ville. Une foule considérable vient la visiter. En 1944, elle est dirigée à Ohrdurf, une petite ville de
Thuringe. Lorsque les blindés américains s’approchent de la cité, un détachement de SS, exécutant l’ordre d’Hitler, fait sauter le wagon.
Mais alors, quelle est donc la voiture exposée de nos jours dans la clairière de l’Armistice de 1918 ? Elle appartient à une autre série,
aux caractéristiques très proches : c’est la no 2439, que l’on a rebaptisée no 2419.

L’Orient-Express des Années folles


Que devient donc l’Orient-Express durant la période de l’entre-deux-guerres ? En 1919, la carte de l’Europe est profondément
modifiée par le démantèlement de l’empire d’Autriche-Hongrie et la création de nouveaux États comme la Tchécoslovaquie, la Pologne, la
Hongrie indépendante et la Yougoslavie. Pour éviter un transit par l’Allemagne et l’Autriche, les Alliés, qui cherchent à établir des liaisons
sûres et éloignées des troubles révolutionnaires du moment, modifient le tracé de l’Orient-Express lors de son rétablissement. Il circule donc,
à partir du 11 avril 1919, sur un nouvel itinéraire : Paris, Lausanne, Milan, Venise et Trieste, puis Belgrade, Athènes et Istanbul ou Bucarest.
Un autre train de luxe, ouvert exclusivement aux militaires, est mis en fonction la même année, effectuant le circuit Paris-Linz-Prague et
Vienne-Varsovie, en passant par Bâle et le tunnel de l’Arlberg. Au bout d’une année, il devient accessible aux voyageurs civils.
Un nouveau train voit le jour le 20 juin 1920 après bien des difficultés. Il relie Paris-Prague-Vienne-Varsovie, avec deux tranches
distinctes au départ de Strasbourg, la première Nuremberg-Prague-Varsovie et la seconde Munich-Vienne. L’occupation de la Rhénanie en
1923 oblige l’Orient-Express à changer une nouvelle fois d’itinéraire, et à passer par la Suisse, retrouvant son trajet originel à Salzbourg en
Autriche.
Cette nouvelle configuration perdure jusqu’en novembre 1924, puis, lors du rétablissement du trajet initial, la Suisse et l’Autriche
exigent d’être desservies également par un train de remplacement. C’est chose faite avec le lancement du Suisse-Arlberg-Vienne-Express qui
circule trois jours en alternance avec l’Orient-Express. En mai 1932, celui-ci est prolongé vers Bucarest et prend le nom d’Arlberg-Orient-
Express. Une voiture-lit directe assurant la liaison Paris-Athènes y est incorporée. Jusqu’en 1939, trois trains (Orient-Express, Simplon-
Orient-Express et Arlberg-Orient-Express) combinent leurs horaires et leurs compositions de façon à effectuer des haltes dans un maximum
de villes par des voitures directes. Ils sont complétés par des convois venant d’Ostende ou de Berlin.
En 1926, sont lancées des voitures métalliques sur le trajet Paris-Vintimille. L’aménagement luxueux est confié à l’architecte René
Prou et au décorateur René Lalique, qui habillent les wagons de panneaux de verre soufflé enchâssés dans des boiseries en acajou de Cuba.

Bloqué par la neige en Turquie


Nous sommes en décembre 1929. Cet hiver-là, la neige tombe abondamment sur la Turquie. Les habitants ont rarement vu un tel
spectacle. Venant de Paris, l’Orient-Express avance entre deux remparts blancs, mais à trente kilomètres de Tcherksky, la locomotive freine :
une immense congère bloque la voie unique. Le convoi est arrêté. La température descend à – 25° dehors et à – 10° dans les voitures ! Les
voyageurs dorment tout habillés. L’un d’entre eux, M. Slim Souf, hurle de rage : la neige s’est infiltrée dans son wagon. Il remue toutes ses
affaires avec brutalité. On tente de le raisonner :
— Monsieur, je vous en prie. Les secours ne vont pas tarder.
Mais M. Slim n’a que faire de cette réponse. Il s’agite de plus belle. La peur ? Non : il transporte en secret quatre cents grammes de
cocaïne cachés dans ses babouches. La drogue est tombée malencontreusement dans la neige ! Blanc sur blanc... Le personnel est contraint
de maîtriser l’homme. On l’attache à la cuisinière sous la surveillance d’un marmiton.
À l’autre bout du train éclate une nouvelle agitation. Elle provient du wagon spécial du maharadjah de Rana Bahadour qui voyage
avec ses sept femmes uniquement vêtues de voiles en soie. Les malheureuses tremblent de froid. Le maharadjah achète à prix d’or
manteaux, capelines et couvertures que de rares voyageurs veulent bien lui céder.
Un jour passe en pleine campagne, sous le froid et la neige. Le chef de train réunit les voyageurs importants, les conducteurs, la
brigade du wagon-restaurant, le mécanicien et le chauffeur. Ce « conseil de guerre » constate avec inquiétude qu’il n’y a plus que deux jours
de vivres. L’eau potable va également manquer, mais on peut faire fondre de la neige. À l’unanimité, on décide de creuser un tunnel.
D’après les estimations, il y a non loin un village, Tokhlu, où l’on pourrait se ravitailler. En pelisses et en dolmans, les hommes, équipés de
pelles à charbon, creusent dans la neige. Les femmes et les enfants sont rassemblés près de la cuisine.
On s’enfonce dans la neige jusqu’au ventre. Les voyageurs masculins atteignent ainsi le village de Tokhlu... mais c’est pour constater
que la population, terriblement méfiante, refuse de vendre ses produits. On en vient presque aux mains. Le chef cuisinier parvient cependant
à acheter quelques œufs, un poulet et un mouton.
Le « commando cuisine » décide de repartir vers l’Orient-Express : mauvaise surprise ! Il tombe sur des loups ! Heureusement,
certains des hommes sont armés et tirent sur les animaux menaçants, inventant ainsi le safari-loup à la turque. Il paraît que la viande n’est
pas si mauvaise.
Mais après ce « festin » et une nouvelle nuit, la situation devient de plus en plus critique.
— Que font donc les secours ? se demandent les passagers.
On se lamente et on s’affole dans toutes les langues. Au matin du sixième jour, le tunnel, bouché par sécurité contre d’éventuels
bandits, est ouvert à grands coups de pelle, après trois heures d’efforts. Les cuisiniers-chasseurs repartent vers le village. Mais cette fois les
habitants se sont armés également. Les uns et les autres sont affamés.
— On ne va tout de même pas s’entre-tuer pour une omelette, estime une voix pleine de sagesse.
Elle est entendue par tous. Le maharadjah vole au secours de tous, en confiant au cuisinier une cassette pleine d’or. Et cette petite
fortune atténue considérablement l’hostilité des villageois. Les prix des aliments grimpent subitement : l’équivalent de cinq cents francs pour
un œuf ! Dix mille francs pour un poulet ! Deux cent mille francs pour un mouton ! Personne ne résiste à des prix pareils, pas même un
paysan turc.

Au retour, le « corps expéditionnaire » trouve les autres passagers au comble de l’angoisse. Une ravissante Autrichienne, Mlle Werner,
Au retour, le « corps expéditionnaire » trouve les autres passagers au comble de l’angoisse. Une ravissante Autrichienne, Mlle Werner,
a tenté de s’ouvrir les veines avec son miroir. Le conducteur la sauve de justesse. Deux pères jésuites, montés sur une chaise pour ramener le
calme, incitent à la prière. Tout le monde prie, même les athées. Les enfants sont enchantés : on ne les a pas envoyés se coucher. Un imam
turc, tourné en direction de La Mecque, psalmodie.
Le onzième jour, le mur de neige se crève : le chasse-neige, une grosse machine américaine luttant depuis quatre jours contre la
tempête, arrive enfin. À 5 km/h l’Orient-Express suit le chasse-neige jusqu’en gare de Constantinople. Curieusement, les cinquante
voyageurs, hagards et déguenillés, ne font pas la moindre réclamation sur le registre des doléances. Ils sont tous convaincus que le
personnel a fait tout son possible pour éviter le pire. Pourtant, l’Orient-Express a quinze jours de retard ! La cause de cette absence de
protestations est sans doute le soulagement d’être encore en vie après avoir expérimenté une situation aussi dramatique 36.
Cette aventure incroyable inspira en partie à Agatha Christie son roman Le Crime de l’Orient-Express.

L’aventure se poursuit
En 1930, une correspondance est ouverte sur la rive orientale d’Istanbul, de Haydarpasa vers Bagdad et Bassora, avec une autre vers
les Indes par le nouveau Taurus-Express. Plus rapide que le bateau, le service associé Simplon-Orient-Express et Taurus-Express permet de se
rendre en Égypte, en Palestine, et même encore plus loin, dans un confort inégalé.
Le 13 septembre 1931, le train est secoué d’une violente explosion ! Des terroristes font sauter le viaduc de Biatorbary en Hongrie,
précipitant la locomotive et un wagon-lit dans l’abîme. Vingt personnes meurent. Joséphine Baker, présente à bord d’un wagon non sinistré,
vole au secours des blessés.
Durant les années 1920 et 1930, l’Orient-Express accueille une clientèle célèbre, avec notamment Agatha Christie, Serge Diaghilev et
Serge Lifar, Marlene Dietrich et Jean Gabin, Lawrence d’Arabie et Pierre Loti.
Les menus servis à bord sont d’une grande richesse. On y remarque les plats suivants : perles du Japon, poissons, pommes à
l’anglaise, filet de bœuf jardinière, rôti, poulet du Mans au cresson, légumes, chou-fleur en gratin, crème chocolat, dessert ; omelette
paysanne, fricandeau florentine, chou-fleur à la polonaise, viande froide à la gelée, salade, dessert ; consommé aux diablotins, langouste en
Bellevue, contre-filet à la Jussieu, endives demi-glace, dessert.
En 1938, l’Allemagne hitlérienne annexe l’Autriche, et la compagnie Mitropa, les voitures de l’Orient-Express stationnées à Vienne et
dans le Tyrol. En raison du début des hostilités, la plupart des liaisons cessent dès septembre 1939, notamment en Europe centrale, puis
dans les Balkans à partir de 1941, mais elles continuent à partir de Munich et de Zurich jusqu’en Roumanie.
La paix revenue, les trois trains de la famille Orient-Express sont progressivement remis en circulation. Il ne s’agit plus de trains de
luxe et ils ne comptent que des voitures-couchettes et des voitures en places assises. Les temps sont difficiles et la clientèle, moins riche
qu’auparavant, a changé.
L’Orient-Express renaît en 1946 sur la ligne Paris-Vienne-Prague, laquelle est prolongée vers Bucarest deux années plus tard.
L’Arlberg-Orient-Express est rétabli entre Paris et Innsbruck dès septembre 1945 et dessert Vienne et Bucarest à partir de 1947. Le Simplon-
Orient-Express circule également dès 1945, entre Paris et Athènes, puis à partir de 1951 sur Paris-Istanbul.

Orient-Express, espionnage et guerre froide


Les années 1950 sont marquées par la guerre froide, qui coupe l’Europe en deux : un bloc occidental allié aux Américains et un bloc
de l’Est communiste soumis à l’Union soviétique. L’Orient-Express, par ses nombreux voyages dans les contrées balkaniques, se trouve au
cœur de la scission. On est à l’époque du contrôle des changes, des passeports lus à la loupe et des visas accordés chichement, des espions et
des espionnes, des frontières garnies de barbelés et de miradors, avec des sentinelles armées qui tirent parfois sans sommation.
L’Orient-Express devient l’un des très rares trains à pouvoir franchir régulièrement le Rideau de fer. Son arrivée en Hongrie est
marquée par un arrêt de quatre heures à la frontière de Hegyeshalom. Une armée de douaniers soupçonneux surgit. Les ampoules
électriques sont dévissées, les lavabos démontés, les lits soulevés, les tapis roulés et les voyageurs fouillés. Pour atteindre Bucarest, on doit
montrer son passeport à neuf reprises.
Un soir de mars 1948, deux Américaines, Lucile Vogeler et Wilhelmine Eykens, prennent l’Arlberg-Orient-Express à destination du
Tyrol où elles vont faire du ski. Elles quittent Vienne. Trois heures plus tard, en pleine nuit, leur train s’arrête sur le pont de l’Enns, un
affluent du Danube, qui marque la frontière entre les zones américaine et soviétique. Des policiers à casquette étoilée de rouge les réveillent
sans ménagement. Leurs passeports sont regardés en transparence mais sans sérieux, leurs permis de circulation sont ignorés et, dans un
mauvais anglais, un caporal leur déclare d’un ton peu aimable :
— Vos papiers ne sont pas en règle !
Et de moins en moins aimable :
— Habillez-vous et descendez du train !
Les deux femmes obéissent le plus lentement possible. Elles espèrent échapper à l’horreur habituelle des contrôles soviétiques,
rarement punie par la hiérarchie : le viol ! Lorsqu’elles sont enfin prêtes, le caporal les somme de prendre leurs valises. Le train repart sans
elles.
Conduites jusqu’à un baraquement rempli de soldats, les deux Américaines refusent de boire de la vodka et reçoivent des
propositions diverses, appuyées de menaces. Après quatre heures d’angoisse, elles obtiennent le droit de partir à pied, en escarpins, et de
rejoindre un village voisin, sans la moindre explication, dans la nuit enneigée. À la poste locale, elles réveillent la responsable pour trouver
un hébergement. Elles sauront, plus tard, que les protestations du représentant du commandement américain, en apprenant leur aventure,
ont été immédiates et que son homologue à étoile rouge a répondu : « Les personnes coupables ont été sanctionnées. »
Méprise ? Excès de zèle ? Il s’agit d’une affaire typique de l’époque, rappelant que tout passager de ce train est un suspect en
puissance, surtout si la nationalité est américaine, britannique ou française.
Le 18 septembre 1949, un diplomate britannique, John Evans, est retrouvé étranglé dans un wagon-lit, un bas Nylon serré autour du
cou. Que s’est-il passé ? On l’a vu monter en gare de Bucarest pour se rendre à Vienne, en compagnie d’une ravissante Autrichienne, Ingrid
Essinger, native d’Innsbruck, interprète et vraisemblablement espionne et criminelle...
L’enquête, menée par la police autrichienne, constate qu’Evans a tenté de résister à l’agression. Mais pris par surprise alors qu’il se
trouvait de dos, il a rapidement succombé, d’autant que l’étrangleuse est décrite comme une athlète, experte en lutte et autres sports virils.
Les précieux documents d’Evans, cachés dans la doublure de sa veste, ont disparu. Les recherches pour retrouver la suspecte ne donnent
rien. En revanche, les services secrets britanniques découvrent plus tard qu’elle travaille depuis plusieurs années pour les Soviétiques. Plus
de doute : elle est bien la meurtrière ! On apprend que les deux amants se sont rencontrés lors d’un séjour de ski dans le Tyrol. Fasciné par
la beauté germanique de la belle amazone, le frêle et fringant Britannique a succombé à toutes les tentations, sans se méfier 37.
Autre affaire criminelle : le 23 février 1950, dans un tunnel près de Salzbourg, des ouvriers entretenant la voie tombent sur un corps,
ou plus exactement ce qu’il en reste. Il s’agit d’un homme, autant qu’on puisse en juger. La police autrichienne enquête, trouve des papiers
d’identité en lambeaux, établit que la victime est le capitaine Eugène Karp, âgé de cinquante ans, attaché naval de l’ambassade américaine à
Bucarest. L’hôpital militaire américain de Salzbourg confirme l’identité. Le diplomate a pris l’Arlberg-Orient-Express-Paris, afin de s’envoler
ensuite pour les États-Unis.
Première énigme : son passeport diplomatique a disparu. Une fouille en règle du train, du personnel et des voyageurs à l’arrivée à
Paris reste vaine. Seconde énigme : l’Américain, en poste en Roumanie depuis plusieurs mois, venait de rendre visite à une certaine Mme
Vogeler, épouse d’un autre Américain, condamné à quinze ans de prison par un tribunal hongrois pour espionnage. Or, les deux hommes
étaient intimes.
Comment le capitaine Karp est-il tombé du train ? Crime ? Accident ? Suicide ? Le mystère demeure, mais il suggère bien une
nouvelle affaire d’espionnage.

Déclin et renouveau
À partir de 1950, l’introduction de voitures de troisième classe fait perdre à l’Orient-Express son appellation de train de luxe. Devenu
désormais un train de nuit ordinaire, il se compose d’une rame cosmopolite, comprenant des voitures hongroises, tchèques et roumaines.
Au service d’été 1959, la voiture-lit Paris-Budapest s’arrête à Vienne et deux ans plus tard la liaison directe Paris-Bucarest cesse. Elle
est réintroduite durant l’été 1965 avec quatre circulations par semaine, afin de répondre à la demande croissante d’une ligne directe avec la
Hongrie et la Roumanie. Entre-temps, le Simplon-Orient-Express a disparu et l’Arlberg-Express se charge de la rotation Paris-Innsbruck pour
quelque temps encore.
En 1982, un autre Orient-Express est constitué par un entrepreneur britannique, Sir James Sherwood, président de la société de
transports Sea Containers, avec du matériel d’origine restauré. Ce train assure un service régulier entre Boulogne-sur-Mer, puis Calais, en
correspondance avec la Grande-Bretagne, et Venise via Paris, Milan et Innsbruck sous le nom de Venise-Simplon-Orient-Express, avec,
parfois, des étapes, à certaines dates, à Vienne, Prague ou Budapest, et un prolongement jusqu’à Istanbul. Ce train maintient de nos jours la
tradition.
En 2003, la Compagnie des Wagons-Lits du groupe français Accor restaure sept voitures du train mythique et le remet en service
dans un train dénommé Pulman Orient-Express, exploité principalement sous la forme de dîners-voyages au départ, mais pouvant être
affrété à la demande par des sociétés ou des particuliers.
En 2011, le Pullman Orient-Express est vendu à la SNCF qui en assure désormais l’exploitation. Ce train circule à date fixe entre
Paris-Est et Épernay, mais il peut être affrété en totalité ou pour quelques voitures seulement. Il est également disponible pour effectuer des
circuits différents, y compris de nuit, la SNCF disposant de voitures-lits et d’une voiture-douche. Il est utilisé pour des séminaires, des
inaugurations, des commémorations diverses, ainsi que des opérations de communication. Ce train peut également rester à quai dans le
cadre d’un cocktail, d’opérations de presse ou de promotion. Chaque voiture porte un nom particulier, rappelant la période mythique des
grands trains luxueux, comme notamment le « Train Bleu ». Son aménagement est amovible, afin de permettre diverses animations. La
voiture « Côte d’Azur » dispose de parois lambrissées en acajou de Cuba et en loupe de bouleau de Finlande. L’ensemble comprend deux
voitures Pullman, une voiture-salon-bar, équipée d’une sonorisation pour des animations, une voiture-bar avec aménagement transformable
pour des soirées dansantes, et trois voitures-restaurants de soixante-trois places au total.
Au fil des ans, le Pullman Orient-Express est devenu l’un des trains les plus appréciés du genre. Il contribue à maintenir la tradition
d’une table de haut standing, d’un service stylé et d’un art de vivre remontant à la Belle Époque.
Le métropolitain

En 1890, la circulation à Paris se trouve au bord de l’asphyxie. La capitale a beau avoir trente et une lignes de tramway, vingt-cinq
lignes d’omnibus utilisant neuf cent vingt voitures de toutes natures et un parc de seize mille chevaux, cent deux bateaux-mouches, un
chemin de fer de ceinture, des milliers de voitures de place et environ quatre-vingt mille animaux de bât ou de trait, une telle masse de
moyens ne fait que rendre le trafic plus difficile. Les problèmes se multiplient. Haquets chargés de fûts, fardiers attelés de neuf chevaux
transportant des blocs de pierre, prolonges surchargées de sacs de farine ou d’avoine, charrettes de foin ou de paille dont le contenu
s’effondre trop souvent sur les passants, chariots de maraîchers, fiacres, calèches, lourds omnibus, cyclistes qui se doublent, se redoublent,
se croisent, se décroisent dans le plus incroyable désordre. Un des patrons des omnibus, M. de Saint-Martin, décrit fort bien la situation :
« Ce n’est même pas une toile d’araignée, c’est une perruque, une tignasse dans laquelle il est impossible de démêler un plan d’ensemble
quelconque 1. » Sans oublier l’installation du tout-à-l’égout qui va ouvrir des chantiers gigantesques de toutes parts.

L’urgente nécessité du métropolitain


On pense alors à créer un chemin de fer souterrain, à savoir un métropolitain, comme il en existe déjà ailleurs, notamment à Londres
en 1863, à New York en 1867, mais aussi à Berlin, Chicago, Glasgow et Vienne. La circulation publique du métro de Londres commence le
10 janvier 1863, avec trente mille voyageurs rien que la première journée, grâce à des trains partant toutes les dix minutes. En 1880, on
dénombre quarante millions de passagers par an. C’est un immense succès qui permet de résoudre les problèmes de circulation de la ville.
La longueur actuelle du réseau londonien représente quatre cent deux kilomètres, avec onze lignes, une vitesse moyenne de 33 km/h et de
100 km/h en vitesse maximale, une fréquentation de près de cinq millions d’individus par jour.
La détérioration des conditions de circulation dans Paris et l’approche de l’Exposition universelle de 1900 dans la capitale française
décident finalement les autorités à lancer la construction du métropolitain. Cela ne va pourtant pas de soi. Les palabres se multiplient. Les
compagnies ferroviaires affirment avoir plein droit pour construire « ce chemin de fer sous terre ». La Ville désire absolument avoir sous sa
direction et son contrôle exclusifs « un réseau qu’elle puisse tutoyer », comme l’affirme le préfet Poubelle 2.
Entre 1856 et 1890, plusieurs projets sont élaborés en vain. À côté des plans utopistes s’opposent les propositions de métros
américains aériens, avec des ponts ferroviaires, et de réseau souterrain, comme à Londres. Les projets aériens sont repoussés, car on redoute
la dégradation des plus belles perspectives de la capitale, tandis que les projets souterrains suscitent des craintes assez vives pour la sécurité
des voyageurs.

La mobilisation des adversaires du métropolitain


Les adversaires du métropolitain se mobilisent. Des commerçants, attachés à leur clientèle, affirment que si l’on facilite le transport
des Parisiens hors des murs, la capitale va se vider : « La physionomie admirable de Paris détruite, les magasins artistiques minés, les petits
débitants fermant boutique, la vie intellectuelle de la capitale n’existant plus, l’octroi diminué de ses ressources, les contributions directes et
indirectes frappées au cœur 3. » On compte déjà cinquante mille logements vacants en 1890.
Se fondant sur l’avis d’ingénieurs, des hommes politiques affirment que le percement d’un tunnel va faire s’écrouler toutes les
maisons à cinquante mètres à la ronde, va remuer dans le sous-sol « le fétide héritage des générations passées », et dégager les pires
puanteurs.
D’autres évoquent le triste sort des voyageurs souterrains : « Figurez-vous donc, après être descendu à 15 mètres par un escalier
glissant, entre les murs toujours humides et sales, arrivant sur un trottoir mouillé entre un mur et des piliers dont il ne faudrait pas
s’approcher, recevant les suintements d’eau de voûte, entrant dans des wagons ruisselants 4. »
Le député Madier de Montjau s’écrie que « le métropolitain est antinational, antimunicipal, antipatriotique et attentatoire à la gloire
de Paris 5. »
Pour finir, plusieurs intellectuels et écrivains critiquent le projet, estimant que le métropolitain va défigurer la ville, aboutissant ainsi
à la destruction de la France par la France ! Les plus acharnés, heureux de leur bon mot, affirment « qu’il sera le nécropolitain 6 ».

Les défenseurs du métropolitain


Cependant, ce projet, moderne pour l’époque, trouve également d’ardents défenseurs, comme Eugène Flachat, l’ingénieur
constructeur des premières voies ferroviaires en France, le préfet de la Seine Léon Say, le remarquable ingénieur Jean-Baptiste Berlier,
l’avocat Le Hir qui tient à rappeler que l’inventeur du métro de Londres, George Pearson, est également un homme de loi, des hommes
politiques proches des milieux d’affaires comme Charles Baïhaut (un temps ministre des Travaux publics), des banquiers comme Albert
Christophle, gouverneur du Crédit foncier.
Tous plaident avec succès, puisqu’en 1895, Louis Barthou, ministre des Travaux publics dans le gouvernement de Charles Dupuy,
estime que l’établissement du chemin de fer métropolitain est devenu urgent pour résorber les problèmes de circulation. L’infrastructure
doit être construite par la Ville. Cinq lignes d’une longueur de soixante-cinq kilomètres sont prévues : Porte de Vincennes-Porte Dauphine,
circulaire par les anciens boulevards extérieurs (Étoile-Nation-Étoile), Porte de Clignancourt-Porte d’Orléans, boulevard de Strasbourg (gare
de l’Est)-pont d’Austerlitz, cours de Vincennes.
La toute-puissante Compagnie générale des omnibus (CGO) est déboutée du recours qu’elle a introduit devant le tribunal civil de la
Seine pour atteinte à son monopole. « Elle aura en vain considéré, écrit Arthur Conte, que les métros devaient, comme les tramways, relever
de sa seule autorité. Elle se voit rétorquer que le métro n’est pas un tramway, mais un chemin de fer 7. »
Le métropolitain est finalement déclaré d’utilité publique en 1898. Le cahier des charges précise qu’il sera souterrain, à traction
électrique, avec une voie à écartement normal. Il ne devra pas franchir les portes de Paris. La longueur des stations est fixée à soixante-
quinze mètres.

Fulgence Bienvenüe, le constructeur


La réalisation et la construction du métropolitain parisien sont confiées à Fulgence Bienvenüe. Né le 27 janvier 1852 à Uzel, dans les
Côtes-du-Nord, il est le treizième enfant d’un notaire très cultivé, passionné en particulier par les monuments antiques de la région. Ce
dernier transmet à son fils son amour des auteurs grecs et latins, si bien que le dernier rejeton de cette famille bretonne émaille souvent de
phrases latines sa conversation. Il composera un jour cette sentence éloquente à la gloire du métropolitain parisien : « Jovis erepto fulmine,
per inferna vehitur Promethei genus (Par la foudre ravie à Jupiter, la race de Prométhée est transportée dans les profondeurs 8. »
Sa famille est bien illustrée. Son grand-père, magistrat, juriste, écrivain, polémiste, a laissé une œuvre considérable. Son cousin
Édouard Bienvenüe (1901-1980) est notaire à Mayenne de 1934 à 1965, et conseiller municipal de cette ville de 1940 à 1958. Le maréchal
Ferdinand Foch a épousé, le 5 novembre 1883, en l’église Saint-Michel de Saint-Brieuc, Julie Bienvenüe, petite-cousine de Fulgence.
À l’âge de dix ans, Fulgence Bienvenüe entre au collège catholique des Eudistes de Valognes et obtient à seulement quinze ans un
baccalauréat de philosophie. Les influences de Pascal et de Descartes le marquent profondément. Sa passion pour le progrès technique le
pousse à devenir ingénieur. Élève des Jésuites au lycée Sainte-Geneviève, rue Lhomond à Paris, il y prépare le baccalauréat scientifique,
puis le concours d’entrée de l’École polytechnique. Il est reçu 55e sur 150 élèves en 1870. En raison de la guerre contre la Prusse, les cours
se déroulent à Bordeaux. Il entre ensuite à l’École des Ponts et Chaussées en 1872. Durant cette période estudiantine, il donne des cours de
mathématiques à un certain Charles de Foucauld. Nommé ingénieur des Ponts et Chaussées le 26 octobre 1875, il commence sa carrière à
Alençon dans l’Orne, en Normandie. Il améliore l’exploitation de cent quatre-vingt-dix-sept kilomètres de route, s’attelle à la construction du
chemin de fer de Fougères à Vire, dont le passage à Mortain se révèle difficile à terminer. Il réalise également la ligne ferroviaire entre
Alençon et Domfront. Dès 1879, il est proposé pour recevoir la Légion d’honneur. Il travaille ensuite sur le tracé de la ligne de Pré-en-Pail à
Mayenne, rendu compliqué par les contreforts qui bordent la région. La dynamite, le détonateur et le perforateur à percussion permettent
d’atteindre l’objectif qui était de desservir tous les villages.
Le 25 février 1881, Fulgence Bienvenüe est gravement blessé alors qu’il dirige des travaux sur une voie ferroviaire. On doit l’amputer
de son bras gauche. Le 2 mars 1881, il est enfin fait chevalier de la Légion d’honneur. Appelé à Paris en février 1884, il anime plusieurs
chantiers importants, dont le percement de l’avenue de la République, la construction du tramway funiculaire à câble de Belleville,
l’aménagement du parc des Buttes-Chaumont, l’adduction des eaux de l’Avre. Il fait construire la ligne ferroviaire Paris-Strasbourg jusqu’à
Épernay, contrôle les deux cent quarante-sept kilomètres des chemins de fer du Nord. Il devient, en 1886, responsable du service municipal
de la voie publique des 19e et 20e arrondissements de Paris. Il poursuit l’équipement en égouts de plusieurs quartiers.
Promu ingénieur en chef, il est chargé de résoudre divers problèmes d’alimentation en eau potable, dirige la construction de
l’aqueduc de l’Avre de 1891 à 1893, réalise la dérivation des sources du Loing et du Lunain, ainsi que celle de la Dhuis et de la Vanne. En
1894, il participe au raccordement de nombreux bâtiments parisiens aux égouts.
Dès 1895, il se penche, avec Edmond Huet, sur l’avant-projet d’un réseau de chemin de fer métropolitain pour la Ville de Paris, à
voie étroite et à traction électrique, s’inspirant des études de Jean-Baptiste Berlier. En 1896, il présente un projet définitif que le conseil
municipal de Paris adopte le 9 juillet 1897. Le 30 mars 1898, une loi déclare d’utilité publique l’établissement du Chemin de fer
métropolitain à Paris.

Un travail surhumain
Afin de réduire la durée du chantier, la construction est réalisée en tranchées couvertes. Le travail à accomplir est énorme : on doit
dévier les égouts et les conduites d’eau. Dans ce but, des rues entières et des avenues sont bouleversées. De nombreux litiges interviennent
avec des commerçants riverains. On interdit l’usage des explosifs pour ne pas importuner et mettre en danger le voisinage. On doit vider
certains canaux trop gênants. Un jour, une canalisation éclate et fait jaillir un puissant jet d’eau. Les pompes se révèlent impuissantes pour
assécher l’inondation, si bien qu’il faut envoyer sur place un scaphandrier pour trouver la faille, qu’on colmate finalement avec du béton. Le
9 décembre 1899, une voûte s’effondre sur une longueur de cinquante mètres entre les Champs-Élysées et l’avenue de Friedland, entraînant
des arbres et des becs de gaz mais, ô miracle, on ne compte aucune victime.
Sur la transversale est-ouest, la première entamée, l’avance se réduit de quatre mètres par jour et par front de taille. On y fait
travailler jour et nuit deux mille terrassiers. La consigne est d’achever les quatorze kilomètres de souterrain entre Vincennes et la Porte
Maillot avant l’ouverture de l’Exposition universelle de 1900. Mille mètres cubes de déblais doivent être évacués en vingt-quatre heures. On
cave des galeries spéciales qui joignent le souterrain à la Seine et permettent le transport de la terre par des péniches. On utilise également
des wagons spéciaux sur des lignes de tramway reliées aux voies de chemin de fer, dont l’usage est généralisé à Paris.
Malgré les nombreuses difficultés, les travaux sont accomplis en un temps record : ils durent vingt mois et sont conduits
intégralement sous la direction de Fulgence Bienvenüe. La ligne est divisée en onze lots répartis entre plusieurs entreprises.

L’inauguration sous une chaleur accablante


Le 19 juillet 1900, par un soleil éclatant et sous une chaleur accablante, 38° à l’ombre, débute la première inauguration du
métropolitain parisien, station Maillot. On inaugure sans esbroufe : le président de la République, le paisible Émile Loubet, préfère se rendre
à Cherbourg pour présider une revue navale. Le président du Conseil Waldeck-Rousseau ne délègue que son ministre des Travaux publics. Il
y a, depuis plusieurs années, de tels litiges financiers entre la Ville et l’État que le gouvernement boude. L’affluence est cependant
importante à la station Maillot. Une controverse naît au préalable sur l’édicule, conçu par Hector Guimard en style nouille, recouvrant
l’accès au métropolitain. Pourtant rien de nouveau. La Belle Époque se veut « modern style », tout en ondulations.
« Tout ondule, écrit un chroniqueur de l’époque. Le goût n’est qu’au précieux et au farfouillement. La spirale est reine. Tout est
ondoyant, diffus, vaporeux, nuageux. La machine à coudre se grime en nénuphar, le phonographe en volubilis, le bénitier en huître, la
femme en plante grasse. Même le bec de gaz épouse la courbe. Le style pieuvre. Sarah Bernhardt s’assied en spirale, sa robe tourne autour
d’elle, l’embrasse d’un tendre mouvement en spirale, et la traîne achève sur le sol le dessin de la spirale. Réjane a des bijoux ondulatoires.
La bottine ondule. Marcel Proust n’écrit que par ondulations, comme Gabriele D’Annunzio. Le dictionnaire Larousse s’orne en couverture
d’une main délicate qui ondule : “Je sème à tous vents.” Émile Gallé fait onduler jusqu’au verre, avec des verts d’océan et de gris de duvet.
Le serpentement explique tout, affirme Bergson lui-même. Toute jolie femme doit être volubilis, ou iris ou glaïeul. Le jupon ondule. Le
cache-nez n’est pas assez ondulant : on acclimate le boa. Tous les nus de Bouguereau ondulent. Cappiello peut camper son fameux Pierrot
crachant le feu pour Thermogène : la flamme ondule. Sur la scène de l’Olympia, la divinement souple Loïe Fuller triomphe dans la danse
serpentine. La carte postale 1900, avec femme alanguie, dodue et rêveuse, aux grâces de cygne, ne se conçoit pas sans un fond de fleurs
ondulantes. L’habitation suit le mouvement. Tout se contorsionne, façades, halls, escaliers, la gare d’Orsay, le pont Alexandre III. Les
mosaïques ne veulent que des nénuphars. Le bureau devient lotus. Robert de Montesquiou se fait bâtir un hôtel tout entier en style floral.
Les pieds des tables deviennent des lianes. Les fauteuils s’incrustent de feuilles d’églantier et d’ailes de libellule. Comment les portes du
métropolitain n’onduleraient-elles pas elles aussi 9 ? »

Hector Guimard, l’architecte à la mode


Hector Guimard, un Lyonnais de trente-trois ans, est alors l’architecte le plus en vogue de Paris, le plus adulé des Parisiennes ; il
présente bien : tout en charme, élégance raffinée, souples cheveux noirs ondulés, barbe en pointe. Il n’a que dédain pour la symétrie, si bien
que sa bouche de métropolitain ondule également.
« La commission du métropolitain, lit-on dans Le Figaro du 1er février 1900, a choisi hier parmi les nombreux projets d’édicules pour
les gares soumis à son appréciation celui qu’avait présenté M. Guimard, l’architecte du castel Béranger primé au dernier concours de
maisons. Très simples et très élégants, les petits pavillons imaginés par M. Guimard sont tout en fer, en céramique et en verre.
« C’est d’un léger à faire concurrence à la mousse de champagne !...
« Quant à la forme, indescriptible, le style architectural moderne manquant de termes de comparaison, mais gracieuse : un toit
étrangement dentelé et orné d’auvents en coquilles d’un effet inattendu, qui plaît.
« Cela abrite l’escalier qui descend vers la gare souterraine et les voies du métropolitain.
« L’essentiel, c’est que Paris n’en sera point enlaidi ; au contraire 10. »

Les bonnes surprises de la visite officielle


La visite officielle du métropolitain commence. Première surprise : les murs ne suintent pas, l’intérieur est recouvert d’une agréable
peinture orange animée d’arabesques en style japonais. C’est propre, même si l’on trouve un peu blafarde la lueur des ampoules électriques.
Seconde surprise : la fraîcheur intérieure ; il est vrai que dehors règne la canicule ! Troisième surprise : une odeur agréable, indéfinissable et
tenace, due au parfum pour désinfecter. On découvre les voitures, en beau bois verni. Chacune d’elles se trouve placée sous la responsabilité
d’un préposé qui ferme lui-même la porte après avoir crié : « En voiture, mesdames et messieurs ! » Les commentaires sont unanimes :
« Quel dommage pour un voyage si court ! » Le métropolitain est définitivement lancé.

Le Figaro raconte l’événement


Le Figaro du 20 juillet 1900 relate l’ouverture au public :
« Beaucoup de monde à l’ouverture de la voie, hier, à 13 heures dans la petite gare de départ de la Porte Maillot, simple et coquette.
Une bibliothèque où l’on fait rapidement gratuitement le change, entre journaux ; un bureau à grillage derrière lequel s’entrevoit, souriant,
le minois accorte d’une jolie préposée aux billets, et c’est tout.
« Pas cher, le prix du voyage ! Pour tout le trajet, 25 centimes, en première ; 15 centimes en seconde.
« En vareuse noire à liséré rouge, avec un M brodé au collet, entre des palmes, les employés s’empressent. Avec une obligeance
parfaite – faites qu’elle continue, mon Dieu ! – ils renseignent les voyageurs. Devant eux ils ont prolongé loin loin, jusque dans le noir, un
trottoir, celui où ils marchent. À droite et à gauche, une large fosse, cimentée. Là, sont posés les rails de chaque voie plus un troisième rail,
surélevé, et énorme. C’est celui qui charrie sur tout le parcours les 600 volts du courant continu, et qui assurera, quand tout sera un train, le
courant triphasé à 5 000 volts et à 25 périodes, venu de l’usine du quai de la Rapée.
« Aussi bien, voilà le train sous la haute voûte – elle s’élève sur six ou sept mètres ! – en grès cérame embriqué, où la lueur des
lampes électriques se brise en reflets irisés :
« — En voiture, mesdames et messieurs !
« Elles sont très bien, les voitures du métropolitain. Elles ont toutes de neuf à dix mètres de long sur trois mètres trente de hauteur.
Chaque train en charrie trois, pour l’instant. La première porte en tête une sorte de cage en verre. Là deux hommes : le chef de train et son
second. L’un d’eux a la main sur le régulateur, et l’autre veille au frein.
« La foule s’engouffre dans les wagons.
« Élégantes et vernies, les voitures portent, à l’extérieur, sur fond d’or, l’écusson bleu et rouge de Paris. À l’intérieur, des banquettes
de bois cannelé en seconde ; des sièges suffisamment rembourrés, sous leur cuir rouge, en première... Les unes et les autres séparées en deux
groupes par un couloir de milieu.
« À mes côtés, une brune piquante – très piquante, avec son teint doré, ses yeux longs, l’énorme masse de cheveux bruns qui casque
son visage, et la robe échancrée très bas sur un cou blanc – sourit tout le temps. La vitesse du train l’amuse, et elle a une exclamation
joyeuse quand on crie :
« — Les Champs-Élysées !
« Éclatante de lumière, la gare resplendit. Sur le quai, de nombreux voyageurs courent. Ils ne veulent pas manquer le train, bien qu’il
y en ait un toutes les cinq minutes... Ils se pressent aux deux portes ménagées aux deux bouts du wagon. Les voilà, curieux, ravis, un peu
gênants. Dame, dans ces voitures, debout ou assis, on ne devrait être que 35 à 40, et nous sommes déjà près de 50 !
« — Le Palais-Royal !...
« Déjà ? Nous pensions ne point être repartis. De la Porte Maillot aux Champs-Élysées nous avons mis 8 minutes à peine. Et en 3
minutes, nous atteignons le Palais-Royal.
« Je m’aperçois, en attendant, que nombre de voyageurs guignent ma jolie voisine, avec plus d’attention que la ligne. Et pourtant, de
quel intérêt n’est point celle-ci avec ses courbes audacieuses, ses voûtes en demi-ellipses ou revêtues d’un tablier métallique... Au passage du
train – et tels des éclairs aux approches d’un orage – de grandes étincelles bleuâtres flamboient sur la ligne...
« — L’Hôtel-de-Ville !...
« Cette gare, illuminée de lampes à arc, avec la gare de Lyon et la gare des Champs-Élysées, est la plus spacieuse du parcours. Mais
que de stations intermédiaires n’avons-nous pas brûlées !...
« De l’Hôtel-de-Ville à la Bastille, 4 minutes à peine. Et de la station ensoleillée – la seule sortie de dessous terre – à Vincennes, en
passant par la gare de Lyon, d’une si belle ordonnance, et la place de la Nation, 6 minutes suffisent. Soit au total, pour les treize kilomètres
du trajet complet, 27 minutes. Je le crois qu’on va vite !
« — Vincennes ! Tout le monde descend !
« Nous voici arrivés. Le train s’arrête, en face d’un escalier où les voyageurs satisfaits grimpent, après avoir jeté les tickets dans une
sorte de tronc en bois ; puis, vide, il disparaît derrière une rotonde, par laquelle il vient se replacer de l’autre côté du cours de Vincennes,
sur la gare du départ...
« Un même cri échappe à tous, sur l’escalier par où l’on remonte au jour :
« — Quelle chaleur !... C’est atroce !
« Et nous sommes bien une cinquantaine qui redégringolons dans le métropolitain !... Voilà une victoire de plus, que n’avaient pas
prévue les ingénieurs 11 ! »

Un immense succès dès le début


Dès les premiers jours, le métropolitain remporte un immense succès, afin de desservir l’emplacement des épreuves des Jeux
olympiques de l’été 1900 au bois de Vincennes. Les Parisiens sont séduits par ce nouveau moyen qui réduit considérablement les temps de
transport et offre un meilleur confort que les véhicules en surface. Il devient bientôt nécessaire d’augmenter les fréquences et d’allonger les
rames, qui passent en deux ans de trois à huit voitures sur les sections les plus utilisées. Cependant, les wagons à essieux sous-motorisés
montrent vite leurs limites face au trafic.
Dès le mois de décembre 1900, le métropolitain peut se targuer d’avoir déjà transporté quatre millions de voyageurs, ce qui entraîne
rapidement la mise en œuvre des autres lignes prévues. Les lignes 2 Nord et 3 sont mises en chantier, ainsi que les lignes 2 Sud, 5 et 4. Par
une première grève, du 29 au 31 janvier 1901, le personnel revendique une amélioration des termes de la convention régissant la
profession.

L’incendie de 1903
Le métropolitain fait, hélas, la première page des faits divers le 10 août 1903. Un incendie se déclare sur une rame de la ligne 2 Nord
à la station Barbès. Elle est convoyée à vide, mais la suivante, pleine de voyageurs, s’arrête à la station Couronnes à la suite d’un signal
rouge. Soudain, l’incendie prend de l’ampleur : une fumée épaisse envahit le tunnel. Les passagers, inconscients du danger, refusent de
quitter les quais sans avoir été remboursés. Subitement la lumière est coupée, les fils électriques ayant fondu sous la chaleur des flammes.
Finalement, les voyageurs toujours sur le quai tentent de s’enfuir, mais dans la direction opposée à la sortie. Quatre-vingt-quatre personnes
périssent écrasées ou asphyxiées.
Cette catastrophe entraîne l’application d’importantes mesures de sécurité : le sectionnement de l’alimentation électrique, la mise en
place d’un éclairage de secours et la fabrication en métal, au détriment du bois, de la voiture de conduite, puis des wagons transportant les
voyageurs. On abandonne les véhicules à essieux au profit de modèles à boggies plus longs, puis, à partir de 1908, de rames à caisses
métalliques avec un système de commande à distance des voitures motrices, principe des unités multiples dit Sprague-Thomson.

Exploitation, fonctionnement, gouvernance, direction et rentabilité


Les travaux d’ouvrages d’art (tunnels, viaducs et stations) sont confiés à la Ville de Paris ; ceux des accès, des voies et l’exploitation le
sont à un concessionnaire. Le conseil municipal choisit en 1897 la Compagnie générale de traction (CGT), propriété du baron belge Édouard
Empain. La CGT s’associe avec les établissements Schneider du Creusot et fonde la Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris
(CMP) le 18 avril 1899, système qui va perdurer jusqu’en janvier 1945. Après la Libération, le nouveau ministre des Transports René Mayer
écarte la CMP et la remplace par une Administration provisoire des transports parisiens (APTP), chargée du bon fonctionnement des
réseaux. Le 1er janvier 1949, la Régie autonome des transports parisiens (RATP), établissement public à caractère industriel et commercial,
voit le jour, afin d’assurer l’exploitation des transports en commun souterrains et de surface de Paris et de sa banlieue.
La RATP exploite de nos jours les seize lignes du métro de Paris, six des lignes du tramway d’Île-de-France, une partie des lignes de
bus, ainsi que celles du réseau express régional. Elle totalise près de soixante mille agents actifs dont dix mille pour le métropolitain. Depuis
2000, elle se développe en France et à l’étranger dans les marchés d’exploitation de réseaux et de l’ingénierie en transport, devenant
actuellement le cinquième acteur mondial du transport public.
La RATP possède plusieurs filiales chargées de gérer son patrimoine mobilier. La Société d’études et de développement patrimonial
(SEDP) est une société de services immobiliers créée en 1990. Elle intervient comme maître d’ouvrage dans des opérations de construction,
visant soit des parcelles à valoriser, soit des aménagements dans des locaux existants. Elle assure aujourd’hui la gestion de 400 000 mètres
carrés d’immeubles d’activités tertiaires : centres informatiques, restaurants d’entreprise, centres culturels, centres sportifs et sociaux.
Logis-Transport est une filiale de location de logements de type HLM, fondée en 1959, en faveur des agents de la RATP justifiant de
revenus modestes. Elle dispose de plus de 5 300 logements en Île-de-France, dont 50 % loués à des agents de la RATP, 30 % à des locataires
désignés par la préfecture et 20 % à des locataires choisis par les mairies.
Promométro, fondée en 1971, est une filiale chargée de la gestion des espaces et équipements commerciaux. Elle gère les commerces
sur le réseau RATP en Île-de-France, se développe également au-delà, notamment à Lyon et à Marseille.
La RATP est un établissement public possédant une gouvernance originale, dont le conseil d’administration se compose d’un tiers de
représentants de l’État, d’un tiers de représentants des salariés, d’un tiers de personnalités qualifiées, dont deux parlementaires et deux
représentants des associations d’usagers. Le président de la RATP est nommé par le chef du gouvernement.
Le chiffre d’affaires consolidé de 2007 est de 3,907 milliards d’euros, en hausse de 5,3 % sur un an. En 2011, il est en progression de
9 % par rapport à 2010, avec 4,983 milliards d’euros.

Le développement continuel
La ligne 4 du métro de Paris, première traversée sous-fluviale, voit ses travaux débuter à partir de 1905. Ils sont les plus
spectaculaires accomplis sur le réseau et attirent de nombreux curieux. L’ensemble est réalisé à l’aide de caissons, assemblés sur la rive et
enfoncés progressivement dans le lit du fleuve. Les structures métalliques des deux stations Cité et Saint-Michel sont réunies en surface et
enfoncées également dans le sol à leur emplacement définitif. La ligne est ouverte le 21 avril 1908 de Porte de Clignancourt à Châtelet, puis
le 30 octobre 1909 entre Porte d’Orléans et Raspail.
Durant la Première Guerre mondiale, la réquisition par l’armée des transports de surface cause, en partie, l’augmentation du trafic
métropolitain. Les travaux se poursuivent également. La ligne 7 (Porte d’Italie) atteint le Palais-Royal en 1916, et la ligne A du Nord-Sud
son nouveau terminus nord, Porte de la Chapelle en 1917. Le personnel masculin, souvent mobilisé, est remplacé par des femmes. Cette
situation accélère la modernisation du matériel roulant, tandis que la généralisation des poussoirs de fermeture des portes a l’avantage de
réclamer moins d’agents par rame. Le 11 mars 1918, à la suite d’un bombardement aérien, la station Bolivar est le lieu d’un drame : la foule
cherche à s’y réfugier et s’écrase sur les portes d’accès bloquées vers l’intérieur de la station, aménagée en abri antiaérien. On déplore alors
soixante-six victimes. À la suite de cette sombre affaire, la direction décide que les portes du métropolitain seront aménagées pour s’ouvrir à
la fois vers l’intérieur et l’extérieur.

En 1922, un projet approuvé par le Conseil municipal de Paris prévoit la poursuite de la réalisation du réseau complémentaire, avec
En 1922, un projet approuvé par le Conseil municipal de Paris prévoit la poursuite de la réalisation du réseau complémentaire, avec
trois transversales, constituées par les lignes 7, 8 et 9. Trois autres lignes sont décidées, baptisées les lignes 10 (Invalides-Bastille), 11
(Châtelet-Porte des Lilas) et 12 (Porte d’Orléans-Porte d’Italie). En 1931, la ligne 8 est prolongée jusqu’à la Porte de Charenton, afin de
desservir l’Exposition coloniale. En 1933, la ligne 9 atteint la Porte de Montreuil. En 1935, la ligne 11 permet de relier le centre de Paris au
quartier Belleville. Parmi les innovations de cette période, des plans indicateurs lumineux d’itinéraires font leur apparition dans les stations.
Après l’exode des Parisiens en juin 1940, le métropolitain connaît sa plus faible fréquentation historique, avec seulement trois cent
mille voyageurs par jour. Le retour progressif de la population lui fait retrouver son nombre d’usagers habituel, malgré l’occupation
allemande, soit un milliard de voyageurs en 1941. En effet, il devient l’unique moyen de transport avec la bicyclette, du fait de la pénurie
d’essence et de la suppression du tramway depuis 1937. En 1943, il transporte jusqu’à 1,32 milliard de voyageurs. La poursuite de la guerre
n’empêche pas l’ouverture de deux extensions en banlieue : la ligne 5 atteint Église de Pantin et la ligne 8, Charenton-Écoles. Certaines
stations subissent de sérieux dommages sous les bombardements alliés (Simplon, Pont de Sèvres, Billancourt) ; d’autres, plus profondes,
servent d’abris aux Parisiens. En 1946, le métropolitain enregistre son plus haut niveau historique de fréquentation avec 1,6 milliard de
voyageurs. L’année suivante, un nouveau prolongement est ouvert jusqu’à Mairie d’Ivry.
En 1951, le matériel roulant Sprague-Thomson est en partie abandonné au profit d’une nouvelle technologie mise au point par les
ingénieurs : le métro sur pneumatiques, plus silencieux et possédant une plus grande vitesse. Ce matériel permet d’augmenter le débit d’une
ligne et de réduire la surcharge chronique des lignes les plus fréquentées.

Métro et Résistance
Le métro n’est pas uniquement un abri antiaérien durant la guerre. Des scènes insolites, qui sont liées à la Résistance, s’y déroulent
également. Jacques Chaban-Delmas, engagé dans la lutte clandestine dès septembre 1940, m’a raconté à ce sujet : « Dans l’ombre, je
conduisais mes activités d’espion, puis de responsable militaire, en brouillant les pistes. J’ai eu dans Paris une bonne trentaine de caches,
des appartements et des chambres dont j’avais seul la clé, choisis parce que disposant d’issues commodes : entrées et escaliers de service,
cours, courettes, lucarne en prise directe sur les toits. Afin de parfaire mon déguisement, je n’avais rien retranché de mes activités sportives.
Je continuais de jouer au rugby, au tennis. On me voyait sur les stades et sur les courts... J’étais servi par ma vitesse de déplacement, sur les
terrains de sport aussi bien que pour ceux du combat clandestin. En face de joueurs très forts, de stature internationale, j’étais capable de
faire la différence en deux foulées, et personne ne me voyait ! Même chose pour échapper à mes suiveurs ou à mes poursuivants. J’ai connu
dans le métro des séances extraordinaires : des cavalcades sur les quais et jusqu’au fin fond des stations, y compris le long des voies. Une
fois, en particulier, alors que les agents de la Gestapo me serraient de près ; ils avaient retrouvé ma trace après avoir mis la main,
précisément, sur un document où figurait un rendez-vous dont ils avaient pressenti qu’il n’était pas très “catholique”. S’agissant du métro,
j’avais pris pour règle de monter dans les rames par surprise et d’en descendre de même, pour couper une filature éventuelle. Cela se jouait
au dixième de seconde. Il fallait arriver à jaillir entre les portes coulissantes, au moment où elles se refermaient, au point d’être touché par
les panneaux. Touché, mais pas plaqué ! Comme au rugby. Le sport aussi est un combat, et d’abord contre soi-même. Il était légitime que
mon combat de l’ombre profitât de ce que le sport m’avait enseigné 12. »
Le résistant Yves La Prairie, membre d’un réseau en Aquitaine, n’a pas oublié cette époque dangereuse et exaltante à la fois. En
pleine période d’occupation, il se voit remettre à Bordeaux un important dossier comprenant les plans de la base sous-marine allemande de
La Pallice, la carte détaillée des emplacements de défense de l’ennemi sur la côte sud-ouest, ainsi que le relevé de l’implantation des unités
allemandes dans la région. Il doit les remettre au plus vite à un certain Alain Boyau, place Pereire à Paris, qui les fera parvenir à Londres.
Conscient du danger que cette « bombe » toute en listes, croquis et cartes, fait courir à sa famille, il dort peu. Le voyage, une petite valise à
la main, dans un compartiment où montent, à Poitiers, deux soldats allemands, lui semble long. Tout se passe bien. D’Austerlitz, il prend le
métro pour Pereire. Sur la place circulaire, il découvre l’immeuble cherché. Par précaution, avant d’entrer, il déambule pour vérifier qu’il
n’y a rien d’insolite. Sur la place, des femmes avec des voitures d’enfant, très peu de circulation. Un bonhomme en imperméable beige,
faisant les cent pas, regarde sa montre et semble attendre quelqu’un. La Prairie se décide, sonne à l’étage indiqué. Un homme jeune, visage
assez rond, vient lui ouvrir. Après le mot de passe échangé de part et d’autre, il lui remet les documents. Après de brèves paroles, La Prairie
quitte l’immeuble, heureux et soulagé. Il remarque les mêmes voitures d’enfant sur la place, et le même individu en imperméable beige un
peu plus loin. C’est tout joyeux, avec sa valise désormais vide, qu’il attend son métro, sur le quai de la station Pereire, direction République,
pour regagner sa chambre rue de Vaugirard. Brusquement, à ses côtés, l’inconnu à l’imperméable qu’il regarde le regarde, s’éloigne, fait les
cent pas. Le visage en lame de couteau, brun, teint mat, il garde les mains dans les poches. Immédiatement en alerte, La Prairie se
demande : Gestapo, Police ?
« Mon esprit galopait, me raconte-t-il : certes ma valise ne contient plus rien de compromettant, et sur moi je n’avais rien que des
papiers d’identité en règle. Mais avait-il repéré mon manège, mon entrée chez Boyau ? Comptait-il me suivre jusqu’à mon domicile pour
savoir où j’habitais et, dorénavant, me surveiller ? Boyau était-il en danger, avec tous les documents “explosifs” ? Voici le métro.
L’imperméable beige monte dans le même wagon que moi, et se tient debout à quelques mètres. J’ai dix-neuf stations à parcourir, avec un
changement à Réaumur-Sébastopol. Je verrai bien s’il descend avec moi. Non, me dis-je, il faut que je le sème avant l’arrivée dans mon
quartier. Une fois dehors, il me suivra et me fera arrêter. Les stations défilent. Entre les stations, dans de longs tunnels, au lieu de lire les
réclames “Dubo... Dubon... Dubonnet...” mon esprit scande “Il faut... il faut... le semer”. Mais comment ? À la station Bourse, je descends sur
le quai, l’homme me suit. Je remonte aussitôt dans un autre wagon avant que les portes se referment, il se faufile juste derrière moi.
Désormais les choses sont claires. Garder la tête froide : il n’y a pas d’Allemands (du moins en uniforme) dans ce wagon ; ce gringalet ne
peut pas m’arrêter maintenant, sinon je suis de taille à le démolir. Tirerait-il ? C’est peu probable. Un risque à courir. Voici le changement à
Réaumur-Sébastopol. Je descends et cours à pleine vitesse dans les couloirs et escaliers, avec l’espoir que le portillon automatique sera
ouvert pour moi puis fermé pour lui. Mon coup a raté... Mon poursuivant arrive essoufflé, et se poste, attendant la prochaine rame, à
quelques mètres de moi. L’apostropher ? À quoi bon ? Une rame arrive. Je monte. Et les stations défilent... À Odéon, il est toujours là. Il ne
me reste que les stations Saint-Germain-des-Prés et Saint-Sulpice ; ensuite, c’est Saint-Placide, là où je dois normalement descendre pour
rentrer chez moi. Si je prolonge jusqu’au terminus, Porte d’Orléans, il me suivra et me “cramponnera”, jusqu’à ce que la rencontre d’une
patrouille, ou le passage devant un poste de police allemande, mette fin à cette poursuite.
« Plusieurs passagers sont montés à l’Odéon. Près de moi, une femme entre deux âges, corpulente, vêtue de vert. Je me place entre
elle et la porte du wagon. Mon freluquet à l’imperméable beige est légèrement en retrait, derrière cette dame. Notre wagon se remplit
encore un peu. Et voici que, dans un éclair, m’apparaît une solution à la risque-tout ; j’y réfléchis un instant, tandis que, passé à la station
Saint-Sulpice, notre rame ralentit et s’arrête à Saint-Placide. Les portes s’ouvrent, je ne bronche pas. Mais juste au moment où elles vont se
refermer, je donne un formidable coup de reins dans la grosse dame en vert et jaillis, de justesse, hors du wagon. Je cours sur le quai comme
un fou et j’entrevois, l’espace d’un éclair, dans le wagon qui déjà me dépasse à grande vitesse, ma “victime” les quatre fers en l’air, écroulée
sans doute sur l’ignoble petit imperméable vert, puisque lui je ne l’aperçois même pas. Sorti à l’air libre, tandis que le métro emporte vers
Montparnasse-Bienvenüe le “tas emmêlé” vert et beige, j’entre immédiatement dans un café qui touche la station de métro, au coin de la rue
de Rennes et de la rue Notre-Dame-des-Champs et j’appelle Alain Boyau. L’entretien est bref. Le temps de lui dire que “j’ai été repéré devant
chez vous. J’ai semé le type. Filez vite vous cacher quelque part avec tout le matériel. De mon côté, je me planque. Salut”.
« Bien entendu, je ne suis pas retourné chez moi avant plusieurs jours, par crainte de croiser le bonhomme à l’imperméable beige
dans ce quartier... Dans cette affaire, l’exploit, ce sont évidemment les résistants de La Pallice, de Bordeaux, du Pays basque, qui l’avaient
réalisé patiemment en réussissant à collecter les renseignements, à établir les plans et relevés de toutes les défenses allemandes du Sud-
Ouest. Mon rôle à moi ne fut que celui d’un petit commissionnaire 13. »
D’autres résistants ont moins de chance que Jacques Chaban-Delmas et Yves La Prairie. Le 9 juin 1943, au métro La Muette, alors
qu’il a rendez-vous avec René Hardy, Charles Delestraint, chef de l’Armée secrète, est arrêté par la Gestapo, douze jours avant l’arrestation
de Jean Moulin à Caluire. Il est interrogé à Neuilly puis avenue Foch par la Gestapo. En juillet, il est incarcéré à Fresnes. Après une
instruction de neuf mois, il est envoyé au camp de Natzwiller-Struthof, en Alsace. Les Alliés approchant, il est transféré en septembre 1944 à
Dachau, près de Munich. Le 19 avril 1945, dix jours seulement avant l’arrivée des Américains, il est abattu d’une balle dans la nuque avant
d’être incinéré au crématoire du camp.

Les innovations techniques


Durant les années 1970, plusieurs innovations techniques modifient le métro parisien : le pilotage automatique et les départs
programmés améliorent l’exploitation ferroviaire, tandis que les barrières de péages magnétiques causent la disparition des poinçonneurs.
De nombreuses stations sont rénovées. Le matériel est entièrement renouvelé. Plus silencieuse et confortable, la voiture MF77 a pour
vocation de desservir les longs prolongements en banlieue des lignes 7, 8 et 13. Le 9 avril 1983, la dernière rame Sprague-Thomson,
devenue emblématique du réseau parisien, est réformée, mettant fin à soixante-quinze ans de service.
De nouvelles extensions du métropolitain sont lancées pour accroître l’intégration des communes périphériques les plus peuplées.
Sont ainsi mises en chantier : la ligne 13, poursuivie à Châtillon-Montrouge ainsi qu’à Saint-Denis-Basilique en 1976, puis à Asnières-
Gennevilliers-Gabriel Péri en 1980, la ligne 7 qui atteint Fort d’Aubervilliers en 1979, plus tard, Villejuif-Louis Aragon au sud en 1985, et la
Courneuve-8 mai 1945 au nord en 1987. La ligne 10 est prolongée à Boulogne-Pont de Saint-Cloud en 1981. La réalisation la plus
marquante est la mise en service en 1976 d’une liaison entre les lignes 13 et 14, avec une traversée sous-fluviale au cœur de Paris,
entraînant ainsi la disparition de l’ancienne ligne 14 du métro Invalides-Porte de Vanves, intégrée dans la nouvelle ligne 13.
Le 15 octobre 1998, on assiste à l’inauguration de la nouvelle ligne 14, avec ses stations modernes et plus spacieuses de cent vingt
mètres de longueur, ses interstations d’une longueur proche de celles du RER. Cette ligne, intégralement automatique et sans conducteur,
est alors unique au monde par sa modernité. En l’an 2000, le métro fête son premier centenaire avec de nombreuses festivités.
En 2013, le métropolitain de Paris compte trois cent trois stations avec un réseau de 219,9 kilomètres, seize lignes, une moyenne de
4,13 millions de voyageurs par jour, soit 1,506 milliard de voyageurs par an.

Accidents, incendies et suicides


Outre l’incendie du 10 août 1903, le métropolitain est frappé par divers incidents. Le 23 avril 1930, une collision à la Porte de
Versailles cause la mort de deux personnes. Pour les mêmes raisons, on déplore quarante blessés, Porte de Versailles, le 10 janvier 1963 ;
trente-trois blessés à Opéra, le 25 novembre 1976. Les déraillements sont rares : dix-neuf blessés à Louis Blanc, le 30 octobre 1973 ; deux
blessés à Charles-de-Gaulle, le 18 novembre 1996 ; vingt-quatre blessés à Notre-Dame-de-Lorette, le 30 août 2000. Le 6 août 2005, un
incendie à Simplon intoxique légèrement dix-neuf personnes ; un autre se déclenche le 29 juillet 2007, entre les stations Invalides et
Varenne, intoxiquant trente-cinq personnes.
Les suicides sont au nombre de deux par semaine en moyenne dans le métropolitain. Rien qu’en 2008, on comptabilise 195 suicides
ou tentatives. Sur la ligne 4, on a même creusé une fosse antisuicide, afin de réduire ce type de décès lorsqu’une personne désespérée se
jette sous la rame.

L’évolution du personnel
Lors de son ouverture en juillet 1900, le métro, bien que limité à la ligne 1, est exploité par un nombre important d’agents, dont
notamment un chef surveillant, responsable du personnel, des installations techniques et de la vente des billets. On trouve également des
surveillants de quais, chargés d’aider et d’informer les usagers, une receveuse pour la vente des billets, un surveillant de contrôle qui
poinçonne les billets. Des gardes assurent la sécurité des quais et le bon fonctionnement des portes qui ne sont alors pas automatiques. Un
conducteur conduit non seulement le train mais il s’occupe de l’entretien des motrices.
L’incendie du 10 août 1903 sur la ligne 2 entraîne une nouvelle organisation, avec notamment la mise en place d’un personnel de
sécurité d’encadrement en ligne, chargé d’assister les agents des stations. Les lignes se divisent en secteurs, avec pour chacun d’eux la
présence d’un gradé responsable. Un nouveau service comprend des agents régulateurs, spécialistes de la gestion des intervalles entre les
trains et du respect des horaires.
Durant les années 1960, avec l’arrivée de l’électronique et des techniques d’automatisation, les postes de commande et de contrôle
sont centralisés, afin de donner au personnel qualifié une vision globale et rapide des décisions à prendre. Les postes de commande
centralisés (PCC) sont de véritables centres névralgiques, assurant la marche des trains, la régulation du trafic, l’assistance aux conducteurs
et le contrôle de l’énergie de traction sur les lignes. Le PCC permet d’avoir une vision globale de la situation, ce qui aide à réduire les délais
d’intervention en cas de dysfonctionnement. Les postes de manœuvres locaux (PML) sont des postes d’aiguillage gérant les départs et les
arrivées des rames au niveau des stations et des terminus.
Le Transsibérien

En 1880, la Russie est en retard sur les autres grandes puissances européennes en équipement de chemin de fer. Cet empire de
22 434 392 km², dont 5 515 054 km² se trouvent en Europe, ne compte que 0,14 kilomètre de voies ferrées par kilomètre carré. La Russie
d’Europe, qui possède la quasi-totalité du réseau ferroviaire russe, atteint à peine 0,52 kilomètre de voies par kilomètre carré, alors qu’à la
même époque, la Belgique en compte 17 par kilomètre carré, la Grande-Bretagne 10,3, l’Allemagne 7,9, la France 7 et l’Italie autant.

Alexandre III, le décideur


En 1890, le tsar Alexandre III prend la décision de construire le Transsibérien, la plus longue voie ferrée du monde, d’une longueur
de près de neuf mille trois cents kilomètres, reliant Moscou à Vladivostok, en mer du Japon. Ce train de l’empire du froid doit relier
l’Europe à l’Asie, à travers des régions dont les températures peuvent descendre en hiver à – 60° et monter à + 35° en été.
On estime qu’il faudra pas moins de trente années pour construire la plus longue voie ferrée du monde. Les travaux, évalués à
131 millions de roubles au début, vont dépasser les 600 millions !
Le tracé adopté, devant desservir 990 gares, est celui qui suit le 55e parallèle, en traversant la zone à la fois la plus peuplée et la plus
riche de Sibérie. Le gouvernement impérial russe envisage de développer l’économie locale, d’appuyer la flotte russe du Pacifique face au
Japon et d’augmenter l’influence économique de la Russie en Chine et dans le reste de l’Asie.
Le 26 janvier 1891, Alexandre III nomme son fils, le futur Nicolas II, président du Comité du Transsibérien, en lui confiant la tâche
de mener à bonne fin cette œuvre de paix et de civilisation entre l’Occident et l’Orient. L’aide financière des emprunts français et de la
Compagnie internationale des wagons-lits joue un rôle important.

Un travail de titan
La construction de la ligne est entreprise simultanément à ses deux extrémités, à Moscou et à Vladivostok. Les conditions climatiques
extrêmes rendent très pénibles les conditions de travail. Près de mille sept cents détenus et deux mille cinq cents relégués sont à l’ouvrage et
doivent affronter diverses calamités. En 1897, une inondation emporte les récoltes, privant les ouvriers d’une partie de leur subsistance. En
1898, une épidémie frappe le personnel et le bétail.
En 1900, cinq mille quatre cents kilomètres de voies ferrées sont posés, ce qui représente une installation moyenne de six cents
kilomètres par an. Le gouvernement impérial juge cette progression trop lente. Le tsar vide les prisons et les bagnes pour embaucher de
nombreux travailleurs à bon compte, corvéables à merci, mais ceux-ci, finalement peu motivés, font lentement un mauvais travail. On
décide alors de faire appel à des ouvriers spécialisés et à des ingénieurs européens, ainsi qu’au savoir-faire des grands pays industrialisés
d’Occident pour fournir les locomotives à la Russie.
De luxueuses voitures françaises pour le Transsibérien
Le 14 avril 1900, le président français de la République, Émile Loubet, inaugure avec enthousiasme l’Exposition universelle de Paris.
Au pied du Trocadéro, on peut découvrir les voitures d’un train destiné au futur Transsibérien de luxe.
Ces voitures françaises, construites aux ateliers de la Compagnie de Saint-Denis, sont les plus vastes de l’époque. Elles traversent
Paris durant la nuit car leur transport nécessite le concours de plusieurs tracteurs lourds. La rame se compose de deux restaurants-salons,
d’un sleeping, d’une voiture-salon avec emplacement réservé au coiffeur, aux salles de bains et de gymnastique, d’un fourgon destiné au
personnel, aux bagages et aux provisions. Une installation électrique fournit l’éclairage, le chauffage des bouillottes des lits et de la
ventilation. L’un des wagons restaurants-salons comprend une salle à manger de vingt-quatre couverts, dont l’ensemble est décoré de
boiseries et de meubles d’acajou de style moderne, sans oublier une autre salle à manger de douze couverts, de style Louis XVI, en chêne
clair, avec cuisine, office et buffet.
Les quatre compartiments de la voiture-lit offrent deux places, entrecroisées avec cabinets de toilette intermédiaires. Ils se situent à
l’une des extrémités de la voiture, ainsi que le grand salon de quinze places. De l’autre côté, on peut admirer un fumoir oriental, aussi
confortable que dans un palais. La dernière voiture-salon, équipée d’une terrasse pour sept personnes et d’un salon de musique avec piano,
complète l’ensemble. À table, on conseille le bœuf Stroganov au paprika ou le chachlik d’agneau caucasien.

Un trafic régulier
En 1905, le Transsibérien circule régulièrement sur toute la longueur de la ligne de Moscou à Vladivostok. Mais, du fait de la guerre
russo-japonaise (1904-1905), l’inauguration officielle est abandonnée au profit des transports militaires. En 1910, trois trains par semaine
assurent la liaison, avec deux Transsibériens russes et un Transsibérien de luxe franco-belge de la Compagnie internationale des wagons-lits.
Entre 1905 et 1912, deux millions de personnes utilisent ce moyen de locomotion pour s’installer dans le sud de la Sibérie ou dans la région
de Vladivostok. La vitesse moyenne de 25 à 36 km/h, selon les trains, permet d’accomplir le voyage intégral en deux ou trois semaines.
Les voyageurs du Transsibérien de luxe prennent le matin un petit déjeuner, servi en cabine ou dans la voiture-restaurant, un
déjeuner ou un dîner à la carte, avec la possibilité d’y séjourner pour boire un alcool en fumant un cigare, tout en lisant les nouvelles du
jour, télégraphiées par le New York Herald Tribune au chef de train.

Le voyage d’un Britannique


En 1902, Owen Travers se trouve en Russie et compte se rendre à Shanghai. Le 21 octobre, à 19 heures, il quitte Moscou à bord du
Transsibérien. Il a raconté son voyage « où peu d’Anglais, écrit-il dans son journal intime, ont jamais été, une région à peine connue du
monde civilisé, une terre d’exil et d’horreur, la sauvagerie du froid, du vent et de la neige 1 ».
Le 23 octobre, il se plaint de l’exiguïté de la voiture-restaurant « où il faut parfois attendre des heures pour un repas. Heureusement,
un officier supérieur russe, le général Vogack, qui a retenu une table pour lui et son aide de camp, m’invite à m’asseoir. Tous deux parlent
parfaitement anglais. Avec un Chinois, secrétaire de la légation à Rome, la conversation est agréable quoique limitée : sourires, hochements
de tête, sourires 2 ».
Le 26 octobre, après l’Oural, il fait froid mais beau : « Aux gares où les faciès asiatiques dominent, le lait et la crème la plus
délicieuse sont proposés par des femmes et des petites filles à des prix très bas 3. »
Le 29 octobre, à 11 heures, « on atteint Irkoutsk. La traversée du lac Baïkal, le plus profond du monde et l’un des plus vastes avec
soixante kilomètres de large, prend 4 heures à bord d’un brise-glace. Durant les grands froids, lorsque le lac est gelé, la traversée en traîneau
dure alors 7 heures 4. »
Le 31 octobre, Owen Travers voit des chameaux, un Mongol avec une natte et un cavalier qui tire à l’arc. Pour atteindre Vladivostok,
il faut encore 30 heures de train : « Je remarque qu’après le lac Baïkal la nourriture devient meilleure : il y a une voiture-restaurant pour les
fumeurs et une pour les non-fumeurs. On entend parler russe, anglais, français, japonais, allemand, chinois. Je constate que les Allemands
méprisent les Russes et que les Russes haïssent les Allemands mais que, Dieu merci, les deux respectent les Anglais. Sur les cinq cent
soixante-neuf gares traversées, le train ne s’arrête à l’époque que deux cent quarante-huit fois, ce qui est tout de même un record mondial.
Les arrêts durent de 3 minutes à 1 heure, mais la moyenne est de quinze minutes. Il y a des voitures de première classe avec dix-huit lits et
de seconde classe avec vingt-six lits. Le personnel, très nombreux, compte même un électricien et un serrurier-ajusteur. Au total : dix-sept
personnes pour chaque train. Où dorment-ils ? Dans le fourgon, seul le chef de train a droit à un compartiment et, dans un autre, on ne
trouve que quatre places pour le reste du personnel. On y dort donc à tour de rôle. Alors, ceux qui n’ont pas de lit s’allongent par terre. Le
client est roi. C’est d’abord à lui que l’on songe. À chaque grande halte, on peut consulter un tableau résumant les nouvelles importantes du
monde grâce à l’organisation télégraphique du New York Herald. À bord, on trouve un infirmier diplômé équipé d’une pharmacie très
complète. Dans les gares, un médecin peut être appelé. On peut sans risque jouer Tchaïkovski au piano, lire Tolstoï dans la bibliothèque où
les ouvrages sont disponibles en quatre langues (anglais, français, allemand et russe). On peut jouer aux cartes, aux dominos et aux échecs.
Les Britanniques apprécient la distribution très répandue du thé. Après Vladivostok, j’arrive finalement à Shanghai le 6 novembre à midi 5. »

Incidents et sabotages
Dans un train parcourant neuf mille trois cents kilomètres de distance, les incidents sont inévitables. Ainsi, lors des funérailles de
l’empereur du Japon Mutsuhito, une délégation officielle, comprenant notamment le prince Henri de Prusse et le général français Lebon,
reste bloquée plus de 4 heures, à la suite de problèmes d’avaries.
Aux tracasseries techniques viennent s’ajouter les sabotages, liés vraisemblablement à la concurrence que les deux Transsibériens
russes livrent au rival franco-belge. En effet, le gouvernement du tsar accorde à Nagelmackers l’exploitation de la ligne avec un train portant
le même nom que les deux rivaux russes. Ainsi, le 23 avril 1913, le Transsibérien-Express occidental, quittant Moscou pour Vladivostok,
déraille en pleine nuit, près de la gare de Tarousskija, entre Serpoukhov et Toula. La locomotive se couche, tandis que le fourgon de tête, la
voiture-restaurant et deux voitures-lits sont endommagés. « L’accident » se produit durant le sommeil des voyageurs. Par miracle, on ne
compte aucune victime, mais l’enquête de la police révèle que les rails ont été déboulonnés volontairement ! À l’aube, les cheminots
retrouvent des boulons, des éclisses et des écrous au bord de la voie !
Pas de doute ! Il s’agit bien d’un sabotage, qui inquiète grandement la Compagnie occidentale dont le contrat avec les chemins de fer
russes doit théoriquement se poursuivre jusqu’en 1920. Au lieu d’envisager le développement d’un trafic commun, l’administration russe
choisit de discréditer son partenaire étranger préféré par la clientèle de luxe. Le gouvernement russe souhaite mettre fin à cette domination
étrangère. Il recherche le moyen juridique de supprimer, purement et simplement, la rame du train de luxe en y incorporant des voitures du
chemin de fer de l’État. La Compagnie occidentale dénonce avec fermeté la violation du contrat ratifié le 4 juin 1908. Les Russes répliquent
par une manœuvre de diversion en annonçant qu’ils préparent la mise en service de wagons dotés d’un équipement sanitaire moderne.
La guerre de 14-18 permet à la Russie d’arriver à ses fins. Le Transsibérien-Express franco-belge est supprimé. La protestation des
puissances occidentales comme la France et la Grande-Bretagne n’aboutit à rien, car le commandement russe estime que le transport des
troupes par les deux Transsibériens nationaux prime sur les festivités mondaines. L’encombrement de la voie par les transports militaires sur
la ligne Moscou-Vladivostok ne peut permettre la circulation d’un troisième train étranger non réquisitionné.

De la Révolution à nos jours


Après la révolution russe de 1917, l’Union soviétique développe un important réseau ferroviaire, étendu et efficace dès les années
1930. Elle instaure son propre système de train et la ligne du Transsibérien n’est pas négligée, du fait non seulement de son rôle prioritaire
de transporteur industriel et militaire, mais également dans le trajet des voyageurs et surtout des nombreux fonctionnaires, chargés
d’administrer l’immense Sibérie, sans oublier les ingénieurs et les techniciens qui se déplacent pour mettre en valeur les richesses naturelles
du pays.
L’agence soviétique Intourist, fondée en 1935, propose de nouveau des voyages touristiques. À partir de 1939, la ligne est enfin à
double voie sur l’ensemble du trajet. Le trafic de marchandises atteint des sommets, avec des trains de dix mille tonnes, tirés par d’énormes
locomotives à six ou sept essieux moteurs. Le voyage est réduit à onze jours grâce à des machines plus performantes.
L’électrification de la ligne débute au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et se termine durant les années 1970. Les voitures
russes du Transsibérien, bien qu’anciennes, demeurent confortables, avec des caisses en acier riveté et des fenêtres basses. On y trouve des
tapis et des velours rouges, des boiseries et des bronzes. Les compartiments aux lourds rideaux contiennent deux ou quatre lits. Les
samovars, dans le couloir, permettent de se servir en thé chaud, et la voiture-restaurant propose des repas nourrissants, à base de poissons et
de choux.
De nos jours, le Transsibérien conserve une clientèle à la fois locale et internationale. Parmi des voitures plus récentes construites en
Allemagne de l’Est du temps du communisme, les anciennes voitures des années 1930 font encore bonne figure. Le train traversant plusieurs
fuseaux horaires, on peut ressentir le syndrome du décalage horaire.
En fonction des horaires et des trajets, certains trains sont exploités par les Russes, d’autres par les Chinois ou encore les Mongols. La
locomotive et la voiture-restaurant changent également à chaque frontière. Actuellement, il y a deux trains quotidiens de voyageurs. Les
locomotives et leur conducteur sont remplacés à chaque grande gare, ce qui nécessite des arrêts de vingt à trente minutes environ.
Le Transsibérien a inspiré nombre d’écrivains talentueux, comme Albert Thomas, Blaise Cendrars, Claude Mossé, Géraldine Dubar,
Henri Bonnichon, Thierry Mauget, Roberto de La Llave, Hervé Bellec, Jean des Cars, Jean-Paul Caracalla, Pierre et Agnès Rosenthiel,
Dominique Fernandez...
La Micheline

En 1891, Édouard Michelin, né à Clermont-Ferrand le 23 juin 1859, ancien élève de l’école des Beaux-Arts, invente le pneumatique
démontable pour les bicyclettes, système qu’il adapte à l’automobile en 1894. Avec son frère André, ingénieur centralien né à Paris le 15
janvier 1853, il a déjà fondé la société Michelin en 1889, d’abord spécialisée dans la construction de charpentes en fer, puis dans la
fabrication de pneus en caoutchouc. Durant la Belle Époque, les deux frères participent à de nombreuses courses automobiles, afin de
démontrer la fiabilité du nouveau matériel roulant, qui est ensuite adapté aux motos et aux avions.

L’incroyable succès de l’entreprise Michelin


L’entreprise Michelin construit durant la Première Guerre mondiale des centaines d’avions Breguet-Michelin, qui contribuent à la
victoire de 1918. Il s’agit notamment du bombardier Breguet-Michelin BRM5, affecté aux opérations de nuit sur les lignes allemandes de
ravitaillement ; sans oublier le remarquable BR14B2 qui équipe cinquante-cinq escadrilles françaises. Les deux frères inventent également le
célèbre guide touristique Michelin, qui remporte un immense succès commercial.
En 1933, la famille Michelin, avec Pierre et ses successeurs, prend le contrôle du groupe automobile Citroën et le sauve de la faillite.
Toutes les voitures mythiques (tractions avant, 2CV, DS...) sont réalisées sous la direction de Michelin. Parti de la trentième place mondiale
en 1960, Michelin s’impose en 1979 comme le numéro un mondial du pneumatique, dépassant tous ses concurrents dont Goodyear, relégué
de nos jours au troisième rang mondial. Actuellement, l’entreprise emploie plus de cent dix mille salariés dans le monde, possède plus de
soixante usines dans vingt-huit pays et vend ses pneus dans cent quatre-vingt-sept pays. Michelin est leader mondial des pneumatiques pour
l’aviation, les engins de chantier, les camions, les tramways, les métros et les trains avec la célèbre Micheline.

Un autorail léger
La Micheline est un autorail léger, équipé de pneus Michelin dès 1929. Elle est d’abord testée sur le réseau privé de la société à
Clermont-Ferrand, puis les essais se poursuivent sur les lignes Saint-Florent-Issoudun et Massy-Palaiseau-Chartres. Cette invention, qui
améliore le confort des voyageurs et augmente la vitesse, repose sur des pneus creux, roulant sur la surface réduite du rail. Le guidage de la
roue est assuré par un boudin métallique solidaire de la jante. Mais pour que cela fonctionne, il devient nécessaire de construire des
véhicules légers, que rend possible la fabrication d’une caisse en Duralium riveté. Le premier prototype de la Micheline est présenté en
1931.
Première démonstration officielle
Marcel Michelin, le fils d’André Michelin, organise une démonstration le 10 septembre 1931. Il invite André Citroën et sa femme,
Raoul Dautry le directeur du réseau de l’État, quelques officiels et des journalistes. C’est le premier essai officiel sur une ligne de chemin de
fer. Michelin teste son prototype no 5 sur la ligne Paris-Deauville. L’autorail est monté sur un châssis Hispano-Suiza et une carlingue d’avion
Wibault. Il quitte la gare de Paris Saint-Lazare à 10 h 30 et atteint Deauville à 12 h 44, après un parcours de près de deux cent vingt
kilomètres, avec une vitesse moyenne de 107 km/h et des pointes à 130 km/h, battant ainsi de 32 minutes le Rapide de luxe, qui ne dessert
que quelques gares importantes et n’attend pas, en principe, les trains en correspondance qui sont en retard sur leur horaire.

Les souvenirs de Marcel Cerdan


Marcel Cerdan, célèbre champion de boxe et ancien aviateur de la guerre de 14-18, passionné de mécanique, se souvient d’être
monté dans une Micheline en octobre 1933 :
« Il est assez extraordinaire de découvrir un véhicule style autobus monté sur des rails avec des pneus ! Le confort s’en ressent. Les
secousses habituelles des trains normaux disparaissent. J’ai l’impression de voler dans les airs. La vitesse est incroyable, on atteint des
pointes de plus de 110 km/h. Le paysage défile très rapidement. Par moments je ferme les yeux pour mieux apprécier cette sensation de
bien-être. Michelin est le génial inventeur de cet engin ultrarapide 1. »

Une famille de patriotes résistants


Marcel Michelin, né en 1886, promoteur de la Micheline, devient un grand résistant durant la Seconde Guerre mondiale, et meurt en
déportation en 1945. Ses deux fils Philippe et Hubert rejoignent la RAF britannique et les Forces aériennes françaises libres. Son autre fils,
Jean-Pierre, également Français libre, est tué lors de la libération de la Corse le 22 septembre 1943, à la tête des célèbres commandos de
choc du commandant Gambiez.

La Micheline type 11

Mais revenons à la Micheline. Durant l’été 1931, Marcel Michelin poursuit ses essais sur un nouveau modèle à vingt-quatre places, la
Micheline type 11. Très proche d’un autocar, il se compose d’un tracteur à trois essieux et d’une semi-remorque équipée d’un boggie à deux
essieux à l’arrière. La caisse de la remorque, à ossature en aluminium revêtu de contre-plaqué, offre un poids raisonnable pour les
pneumatiques. Le Duralium riveté est abandonné, car jugé moins solide. L’unique poste de conduite à l’avant nécessite le retournement en
fin de parcours. La Micheline type 11 est, par la suite, transformée pour la conduite en réversibilité. La cabine type camion est remplacée
par un habitacle surélevé. Un inverseur est ajouté, afin de permettre le passage des vitesses dans les deux sens de la marche. Ces premiers
modèles sont mis en service par la Compagnie des chemins de fer de l’Est le 21 mars 1932, sur la ligne Charleville-Givet. Ils sont finalement
retirés de la circulation en 1939, à la suite de problèmes techniques au niveau du moteur. Plusieurs de ces Micheline sont cependant
construites aux États-Unis pour la compagnie Budd, connue pour son utilisation de l’acier inoxydable.

Les autres modèles de Micheline


À partir de 1932, l’inesthétique Micheline type 14 est utilisée sur la ligne Caen-Deauville. C’est le premier véhicule réversible, avec
cabine de conduite surélevée. Il est rapidement modifié, car, à l’origine, l’ouverture des portes est gênée par l’emplacement des roues !
La Micheline type 16, équipée de trente-six places assises, est mise en service en 1933. D’un type classique, avec deux boggies de
trois essieux et un poste de conduite surélevé au-dessus du toit, elle atteint la vitesse maximale de 90 km/h, grâce à un moteur à essence
Hispano de douze cylindres en V de 220 chevaux à 3 000 tours minute. Le poids à vide est de huit tonnes. L’excellente adhérence du pneu
sur le rail autorise des accélérations et des freinages assez spectaculaires. Lancée à 90 km/h, elle s’arrête sur une distance de quarante
mètres seulement, alors qu’il faut compter le triple pour une locomotive classique. Cette merveille technique permet de multiplier les arrêts
fréquents. Vingt-six Micheline de trente-six places type 16 sont livrées entre 1934 et 1935. Elles sont particulièrement utiles en zone
montagneuse, notamment sur les lignes des Alpes, dont celle de Lyon-Grenoble. Des Micheline type 16 sont également utilisées dans l’Est de
la France.
En 1933, arrivent également les Micheline type 17, reconnaissables à leurs boggies à trois essieux et à l’arrière effilé. L’État français
en achète deux modèles, immatriculés 2461 et 2462. À partir de 1934, la société développe des véhicules plus longs, équipés de deux
boggies à quatre essieux, les Micheline type 20-22 à cinquante-six places, avec deux conducteurs. Entre 1934 et 1936, vingt-deux
exemplaires de ces modèles sont mis en service, dont deux de type 20 en 1934, treize de type 21 en 1935 et sept de type 22 en 1936.
En avril 1936, Michelin lance la Micheline type 23, un nouvel autorail de quatre-vingt-seize places dont seize strapontins, d’une
longueur de 30,36 mètres, sous la forme d’une caisse unique, montée sur trois boggies et quatre essieux. L’ensemble s’articule autour de
deux compartiments de quarante-huit places chacun et d’un compartiment à bagages au centre du véhicule. Le moteur Panhard de douze
cylindres de quatre cents chevaux se trouve sur le boggie central à quatre essieux, pouvant se déplacer transversalement, la caisse reposant
sur deux boggies porteurs d’extrémités à quatre essieux. La vitesse maximale atteint 135 km/h. Entre 1936 et 1938, l’État en achète dix
exemplaires, qui circulent en France jusqu’en 1952.
En 1936, Michelin innove avec un autorail (Micheline type 33) composé de trois éléments sur quatre boggies, dont les deux boggies
centraux sont motorisés chacun par un moteur Hispano-Suiza de 250 chevaux, installés dans le poste central, ce qui permet d’aménager
quarante-huit places de première classe dans un élément et soixante places de seconde classe dans l’autre. Un poste de conduite occupe
chaque extrémité. La rame mesure 45,2 mètres. L’État en commande deux exemplaires.
En 1939, Michelin réalise l’étude d’une automotrice électrique, articulée en trois parties. Cet appareil circule sur la ligne de Paris à
Saint-Germain et sur la ligne d’Auteuil.
Les Micheline roulent sur les lignes des anciennes compagnies, puis de la SNCF jusqu’en 1950, ainsi qu’en Afrique, en Indochine et à
Madagascar. Deux exemplaires restent en service à Antananarivo. Le Musée du train de Mulhouse expose une Micheline 22 à cinquante-six
places.

Les raisons du déclin


Pour quelle raison la Micheline n’a-t-elle connu qu’un succès limité, malgré d’indéniables performances techniques, notamment au
niveau de la vitesse, du freinage et du confort ? En fait, ce matériel est finalement retiré du service à cause des frais d’entretien des trains
roulants et des difficultés électriques des circuits de voie par frotteurs, entraînant des incidents mécaniques du moteur. Cependant, la
Micheline marque indéniablement l’histoire ferroviaire par son extraordinaire confort pour l’époque, proche des trains à grande vitesse
actuels.
Le Train Bleu

Le Train Bleu a fait rêver des générations entières, symbolisant le luxe, l’évasion et le mystère des voyages d’autrefois. La création de
son ancêtre remonte au 8 décembre 1883, soit quelques semaines après le lancement du célèbre Orient-Express, qui a lieu le 4 octobre. Il
commence sa carrière sous le nom de Calais-Nice-Rome-Express et accomplit ce trajet en 18 heures, avec un aller-retour hebdomadaire. Son
succès porte vite la fréquence à trois liaisons par semaine entre Paris et Menton. L’ouverture du tunnel du Mont-Cenis permet de le scinder
en deux, avec une rame Rome-Express via Modane et l’autre Calais-Méditerranée-Express, mise en route lors de l’hiver 1886-1887, à
destination de Vintimille, en Italie.
En l’espace de quelques années la Grande-Bretagne est reliée à l’Italie par le train. On a ainsi la possibilité d’accomplir en quelques
heures, dans des conditions confortables, le voyage de Calais à Nice. Ce train attire toute une clientèle cosmopolite désirant bénéficier des
bienfaits du soleil en hiver. Bien entendu, la traversée de la Manche se fait en bateau.
« Hiverner sur la Riviera, écrit Jean-Paul Caracalla, devient à la mode en cette fin de siècle. On se rue, dès les premiers frimas, à
Nice, à Menton, à Monte-Carlo où François Blanc, créateur de la Société des bains de mer, organise dans son palace des fêtes somptueuses
instaurant la renommée de l’Hôtel de Paris, et un nouveau gîte pour les joueurs dans son casino 1. »

Un train pour les têtes couronnées et les célébrités


Le Calais-Méditerranée-Express attire une clientèle royale, aristocratique et bourgeoise, comme le prince de Galles, futur Édouard VII
d’Angleterre, le roi du Danemark, le prince Frédéric-Charles de Prusse, le duc d’Aoste, le prince Léopold de Belgique, futur roi des Belges.
On remarque également les passages du général Grant, ex-président des États-Unis, du grand vizir Midhat Pacha, de Jacques Offenbach,
Jules Verne, Giuseppe Verdi, Alexandre Dumas fils, de nombreux écrivains et artistes célèbres comme Edmond Rostand, Marcel Proust,
Maurice Barrès, Anna de Noailles, André Gide, Anatole France, Pierre Loti, Robert de Montesquiou, Marie de Régnier, Romaine Brooks, Jean
Cocteau, Ida Rubinstein, Claude Debussy, Gabriele D’Annunzio...

Les souvenirs d’un poète


Le poète italien Gabriele D’Annunzio n’a pas oublié une nuit passée dans cet Express, en compagnie de la comtesse russe de
Goloubev : « J’ai toujours dormi, couché en rond, à tes pieds, comme le lévrier. De temps en temps, tu mettais dans ma bouche ton orteil
écarté... Ah ! Cet étrange hennissement rauque, ce doux son sauvage qui montait de ta gorge, tandis que le plaisir – visible comme une
liqueur juteuse, comme un suc singulier – coulait, entre tes épaules, de vertèbre en vertèbre... Te souvient-il, dans la nuit magique du Sang,
te souvient-il de ces étreintes multipliées quand nous tombâmes, ne pouvant nous séparer ? Moi et toi nous étions une seule grappe rouge
que tu pressais de tes mains ardentes... Je me meurs du désir de mordre ta nuque et de lécher tes aisselles, et de m’enivrer de ton odeur...
Baume de ma blessure, gaine de mon épée, je suis ivre ce soir. Toute la nuit, dans ce train voluptueux, j’ai senti sur ma poitrine les dures
pointes de tes petits seins. Puis, dans mon sommeil, j’ai senti ta chaude bouche me parcourir... Ta bouche divine faisait mon corps divin. La
fusion était si parfaite que je ne sentais plus la forme vivante de tes lèvres, mais seulement l’essence de ta musique 2. »
Durant un autre voyage, il fait la connaissance du comte Robert de Montesquiou-Fezensac, illustre descendant du mousquetaire
d’Artagnan. Romancier homosexuel, prototype de l’esthète raffiné et snob qui domine la vie mondaine et, en partie, la vie littéraire
parisienne, il voue au poète italien une amitié idolâtre, qui n’est pas exempte, dans ses développements, de tempêtes presque amoureuses. À
la suite de cette rencontre, Montesquiou introduit son ami italien dans divers cercles littéraires parisiens. Lors d’un trajet en direction de
Nice, Paul Valéry, également présent, est ébloui par Gabriele D’Annunzio : « C’est un alchimiste ; l’or est son combustible. J’ai l’impression
d’être toujours maladroit et emprunté vis-à-vis de lui 3. »
Une première rencontre dans l’Express avec la comédienne Sarah Bernhardt est décevante. Sarah, qu’on n’étonne pas si facilement, le
trouve amusant mais pas du tout séduisant. Elle a même une curieuse comparaison en parlant de lui à André Germain : « Et ces yeux,
Monsieur, ce sont de petits cacas 4 ! »
Lors d’un retour vers la capitale française, à bord du même train, Gabriele D’Annunzio entame un dialogue savoureux avec la
poétesse Anna de Noailles, qui écrit : « On l’écoute avec ce mélange de foi et d’incrédulité qu’on a devant un miracle 5. » Cette rencontre a
lieu en présence du très spirituel Mgr Duchesne, directeur de l’Institut français à Rome. D’Annunzio nous raconte la suite :
« J’entrai dans son wagon, la comtesse Anna de Noailles, alors assise, se souleva, me tendit les bras et dit :
« — Vous êtes un dieu !
« — Un de trop madame, répondis-je.
« — Ah, Monseigneur, poursuivit la poétesse, absolvez-le du péché capital : l’orgueil. Comme il paraît sur lui ! Comme il a l’air de
porter ses destinées entre ses mains. Sait-il, ce don Juan, ce que c’est que l’amour ? L’orgueil seul fait trembler son cœur. »
« Après ce beau début, il y eut des silences. Anna me remercia de vouloir écrire en français. Je m’inquiétai devant cet organisme
chétif, mais tout à coup enfiévré par le génie. La belle Anna conclut :
« — Contente, cher illustre et magnifique ami ? Non... mais vraiment heureuse, comme on doit l’être en compagnie d’un égal 6. »

D’autres express de luxe, ancêtres du Train Bleu


Georges Nagelmackers, fondateur de la Compagnie des Wagons-Lits, met également en service en 1895 un Vienne-Nice-Express, suivi
en 1898 d’un Saint-Pétersbourg-Vienne-Nice-Cannes-Express surnommé le train des grands-ducs. Pour cette riche clientèle, on construit sur
la Côte d’Azur de vastes hôtels, d’immenses palaces, de magnifiques et superbes villas... Les grands express internationaux, dont
principalement l’ancêtre du Train Bleu, le Calais-Nice-Rome-Express, permettent de quitter un soir le brouillard de Londres pour se réveiller
le lendemain devant le ciel bleu de la Méditerranée.

La première voiture-restaurant
Testée en 1882, entre Marseille et Nice, la première voiture-restaurant reçoit vingt-quatre personnes. Sa cuisine sépare deux salles à
manger qui alignent chacune deux tables de quatre à deux couverts. L’essai est si probant que l’année suivante les ateliers de la Compagnie
des Wagons-Lits mettent en service plusieurs voitures-restaurants-salons avec fumoir-bibliothèque et boudoir pour dames.

De luxueuses voitures bleues en acier


La Première Guerre mondiale met fin aux circulations des ancêtres du Train Bleu : les têtes couronnées et les principaux pays
européens sont en lutte sur les champs de bataille.
Le Calais-Méditerranée ne reprend son service qu’en novembre 1920, à raison de trois circulations entre Paris et Menton, puis l’année
suivante sur l’ensemble du parcours, entre Calais et Vintimille.
« Le matériel en teck comprend six voitures-lits, écrit André Papazian, une voiture-restaurant et un fourgon. Dépassé et ne présentant
pas toutes les garanties sur le plan de la sécurité, ce matériel doit être remplacé par un autre en caisse métallique. La Compagnie, qui
souhaite entamer une modernisation importante de son parc, passe commande à la société britannique Metropolitan Carriage de quarante
voitures-lits à caisse métallique du type S (de steel = acier) qui sont mises en service en 1922 et 1923 (…). Ce matériel est désormais bleu
et non plus marron. Cette couleur a été retenue par les ingénieurs de la Compagnie afin de se démarquer des teintes employées par les
autres compagnies de l’époque. Elles sont donc les premières voitures bleues 7. »
Ces wagons exceptionnels, avec leurs châssis, leurs charpentes, parois, planchers et toits en acier, offrent désormais une protection
considérable en cas de collision, de déraillement ou d’incendie. Grâce aux améliorations apportées au roulement, à la suspension, au
chauffage, à l’éclairage et aux installations sanitaires, le confort se trouve considérablement renforcé : terminés les craquements troublant le
sommeil des voyageurs dans les voitures en bois, si faiblement protectrices en cas d’accidents de toute sorte.
La première commande de trente-deux voitures, pesant chacune cinquante-trois tonnes, est acheminée en 1922 au port
d’Immingham, près de Grimsby, sur la côte nord-est de l’Angleterre, puis embarquée sur un ferry à destination de Calais. L’origine de leur
couleur demeure un sujet de controverses pour les historiens du chemin de fer. Jean-Paul Caracalla suppose qu’André Noblemaire, alors
directeur du service de l’exploitation, a volontairement choisi le bleu afin de rendre hommage à l’uniforme des chasseurs alpins français
qu’il portait durant la Grande Guerre de 14-18 : un bleu profond agrémenté d’un passepoil jonquille. L’académicien et écrivain Pierre
Gaxotte voit plutôt dans ce choix l’azur du ciel en Méditerranée, hommage poétique des voyages dont on rêve, s’appliquant à merveille à la
destination finale de ce nouveau matériel.
« Chaque voiture, écrit Jean-Paul Caracalla, comporte huit cabines au décor raffiné fait de marqueteries tricolores d’un style
nouveau, œuvres d’artisans de Bristol. Leurs motifs ne sont pas sans évoquer les peintures post-cubistes des années vingt. Les
compartiments, équipés de deux lits, sont réunis par un cabinet de toilette donnant sur un couloir d’acajou verni (…).
« La mise en service de la rame de ce nouveau Calais-Méditerranée-Express annonce une ère ferroviaire nouvelle. Adieu aux lattes de
bois vernissées à la livrée marron des voitures en teck, bienvenue aux voitures peintes d’une laque bleu de France soulignée d’un filet or. Les
voitures-lits ainsi que les voitures-restaurants en acier sont pondéreuses, imposantes, rassurantes. Leur stabilité renforce les conditions de
confort du voyage de nuit 8. »
Outre sa couleur qui symbolise la paix bienheureuse des voyages, le sud de la France avec son soleil et sa Méditerranée d’azur, l’acier
rassure les passagers. Les souvenirs des nombreux soldats sauvés durant la Grande Guerre de 14-18 par l’introduction du casque d’acier
marquent la mémoire collective. En effet, le casque français d’acier Adrian, peint également en bleu, a fait chuter le nombre des tués et
blessés à la tête de 80 %, avant son introduction, à 20 % après son entrée en service en septembre 1915.

Une inauguration fastueuse


Le matin du samedi 9 décembre 1922, le matériel roulant métallique fait l’objet d’un voyage inaugural retentissant. Les premières
voitures neuves arrivent lentement le long du quai de la gare de Calais et stoppent dans le crissement de leurs freins sous les regards
admiratifs des spécialistes et du public. Deux trains sont constitués pour participer à ce voyage historique : l’un au départ de Calais pour les
invités britanniques, l’autre au départ de Paris pour les hôtes français. Chaque train transporte quatre-vingts voyageurs à destination de
Nice.
Les invités d’Outre-Manche quittent Calais à 14 h 45 et passent immédiatement à table. Le second convoi, se trouvant toujours à
Paris, attend celui de Calais, puis les deux trains se suivent durant la nuit. Ils arrivent le dimanche matin, 10 décembre 1922,
respectivement à 11 h 30 et 11 h 45, sous le regard admiratif de M. Champy, chef de gare à Nice.
Les quais sont alors noirs de monde et les salles d’attente couvertes de fleurs. Le public, les autorités et les journalistes s’émerveillent
à l’arrivée des convois et s’exclament : « Ah ! Les beaux trains bleus. » Immédiatement le personnel ferroviaire, les journaux et les voyageurs
adoptent cette dénomination. On ne parlera plus que du Train Bleu. Mais la direction des chemins de fer conserve jusqu’en 1949 la
dénomination historique des origines : Calais-Méditerranée-Express.
En ce beau dimanche d’hiver, sous un ciel bleu quasi légendaire, les festivités prévues se déroulent donc à Nice. On peut y remarquer
la présence de nombreuses personnalités : le préfet des Alpes-Maritimes, le maire de la ville, le prince héritier de Suède, époux d’une petite-
fille de la reine Victoria, le duc de Connaught, septième enfant de la souveraine, habitué de la Côte d’Azur et propriétaire d’une superbe
villa, le major Levett et le comte Hamilton, André Noblemaire, un des directeurs de la Compagnie.
Après un somptueux déjeuner servi dans le restaurant du magnifique hôtel Ruhl, on poursuit par une visite organisée en voiture de la
moyenne corniche et de Menton, suivie d’une réception offerte par la Société des bains de mer à l’hôtel de Paris de Monte-Carlo.
La fête se prolonge le soir par un banquet de deux cents couverts au casino municipal de Nice, en présence de professionnels du
tourisme, de notables locaux, d’envoyés spéciaux de vingt-deux journaux britanniques et américains. On porte des toasts au roi d’Angleterre
George V et au président de la République française Millerand. M. Margot, directeur général du réseau ferroviaire de la Compagnie,
mentionne avec fierté dans son discours « les cinq atouts majeurs de la Côte d’Azur : Nice, capitale des hivernants, Cannes, Saint-Raphaël et
Menton, véritables serres au milieu des citronniers et des orangers, et le Train Bleu, véhicule prometteur ouvrant la porte à ces cités
paradisiaques 9 ».
Après bons repas et discours, les invités retrouvent, le lundi 11 décembre 1922, le calme de leur cabine de wagon-lit et le doux
bercement du train, immergeant dans la douce béatitude du voyage, avant la nuit dans un lit douillet, préparé par le personnel de chaque
voiture.
Le train des célébrités
La presse internationale rend compte de l’événement avec un tel enthousiasme que personne ne peut désormais ignorer l’existence du
Train Bleu. La Côte d’Azur devient de plus en plus à la mode : trait d’union d’une vie mondaine qui se développe entre Paris et la
Méditerranée. Il transporte les personnalités les plus insignes des Années folles, période euphorique des années 1919-1931, faisant suite à la
Belle Époque et à la Grande Guerre. Les habitués sont notamment Ernest Hemingway, Pablo Picasso, Rudolf Valentino, Scott et Zelda
Fitzgerald, Jean Cocteau, Coco Chanel, Cécile Sorel, Joséphine Baker, Maurice Chevalier, Darius Milhaud, Sacha Guitry, Marlene Dietrich,
Agatha Christie...

Un ballet en l’honneur du Train Bleu


Le Train Bleu fait l’objet d’un ballet, imaginé par Jean Cocteau, avec une musique de Darius Milhaud, un décor d’Henri Laurens et de
Pablo Picasso, et des costumes de Coco Chanel. L’œuvre met en scène la faune cosmopolite des stations balnéaires. Le spectacle est ouvert
au public le 24 juin 1924 au Théâtre des Champs-Élysées dans une chorégraphie de Bronislava Nijinska. Il est représenté l’année suivante à
l’opéra de Monte-Carlo et au Covent Garden de Londres, où il obtient, tout comme à Paris, un succès d’estime.

Hercule Poirot et le Train Bleu


La célèbre romancière britannique Agatha Christie fait de nombreux voyages dans le Train Bleu entre Calais et la Côte d’Azur. Ils lui
inspirent un roman policier, Le Train Bleu, mettant en scène Hercule Poirot, qui s’apprête à passer ses vacances sur la Côte d’Azur. Il monte
dans le train mythique. Mais ses vacances se transforment vite en enquête, car durant le voyage Ruth Kettering, fille du richissime M. Van
Aldin, est sauvagement assassinée, tandis qu’on lui vole ses rubis. Le livre paraît une première fois en Grande-Bretagne en 1928 aux éditions
Collins, puis en langue française aux éditions des Champs-Élysées, dans la collection Le Masque, en 1932, avec une traduction de Louis
Positif ; enfin en 1992 avec une nouvelle traduction d’Étienne Lethel.
Ce roman à succès fait l’objet, en 2005, d’une adaptation télévisée sous le même titre, dans le cadre de la série Hercule Poirot, avec
l’excellent David Suchet dans le rôle du détective belge. Le scénario reste en partie fidèle à l’intrigue du roman, avec cependant quelques
différences, notamment une tentative d’assassinat contre Katherine Grey, que la criminelle Mireille tente d’étrangler. Contrairement au
roman, Lady Tamplin, sa fille et son mari se trouvent dans le train. À la fin du téléfilm, le complice de la meurtrière se suicide alors qu’il est
arrêté par la police dans le roman.

L’immense succès du Train Bleu


Complet chaque soir, le Train Bleu connaît un immense succès auprès d’une clientèle aisée. Il est doublé d’une seconde rame
dénommée Paris-Méditerranée-Express à partir de février 1926, si bien que l’autre en provenance de Calais peut éviter le passage par la
capitale et descendre directement dans le sud du pays. Les cinquante-six clients de la voiture-restaurant répondent à la clochette du chef de
brigade parcourant les couloirs des voitures pour se rendre au premier service du dîner. On s’empresse alors de s’attabler pour déguster une
bisque d’écrevisses, un homard Thermidor ou un filet de bœuf à la Talleyrand, sans oublier le soufflé Palmyre.
L’amélioration des horaires facilite le goût du voyage grandissant de la clientèle britannique. L’introduction, cette même année, de
nouvelles voitures-restaurants bleues, puis en 1927 de fourgons de même coloris, fait désormais du Calais-Méditerranée-Express un train
uniquement composé de cette couleur.
De véritables chefs-d’œuvre roulants
Le 18 janvier 1929, une seconde inauguration du Train Bleu rénové a lieu avec faste. Les rames sont composées de voitures de très
grand luxe, type LX. Cette série a fait l’objet d’études particulières sur le plan de la décoration intérieure et du confort, avec, notamment,
une largeur de lit portée à 80 cm, une dimension qui sera longtemps inégalée dans le domaine ferroviaire.
Ce matériel ferroviaire atteint un niveau de luxe et de raffinement inconnu jusqu’ici. Les ateliers franco-britanniques rivalisent de
goût, d’ingéniosité et de préciosité afin de satisfaire une clientèle exigeante. Les trente voitures construites en Grande-Bretagne par la
Metropolitain Carriage Ltd de Birmingham sont ornées de marqueteries aux couleurs vives, qui se détachent sur des panneaux d’acajou
verni. Les autres wagons, sortant des ateliers français des Entreprises industrielles charentaises d’Aytré sont aussi à l’avant-garde. René Prou
(1899-1947), architecte-décorateur, a opté pour un style dépouillé très Arts déco. Jouant avec les diverses essences de bois ou de laque, il
garnit les cloisons de panneaux divisés en damiers dans lesquels il ajoute un petit motif de métal, sous forme de fleur stylisée.
Les dix-sept voitures-salons sont décorées par l’artiste René Lalique (1860-1945), avec des panneaux de verre moulé : triptyques
ornés de bacchantes, de grappes de raisin, de vols d’oiseaux, de bouquets marquetés avec incrustation de fleurs de verre, incorporés dans les
cloisons de laque ou d’acajou. De grands fauteuils confortables à têtière, munis d’un système d’inclinaison, permettent aux passagers de se
détendre. Six voitures sont couplées deux à deux : l’une, équipée d’une cuisine, assure la préparation des menus. La porcelaine, la cristallerie
et l’argenterie participent au décorum. La somptueuse gastronomie et les vins de grands crus classés ajoutent à la magie du voyage. Une
musique enregistrée par électrophone, à bord des voitures-restaurants, donne satisfaction aux mélomanes, comme Adolphe Borchard,
habitué du Train Bleu. Ce pianiste français (1882-1967) compose de nombreuses musiques de films entre 1931 et 1943, notamment pour le
réalisateur Sacha Guitry.
De nouvelles célébrités se croisent dans les couloirs du Train Bleu, comme la tonitruante comédienne Mary Marquet, le ministre
André Tardieu, ancien éditorialiste du quotidien Le Temps, l’artiste Jean-Gabriel Domergue, Maurice Rostand, fils de l’écrivain.

Un cadavre décapité
Dans la nuit du 19 au 20 février 1934, on retrouve sur la voie, près de Dijon, le corps sans vie d’un homme décapité. Il s’agit d’Albert
Prince, magistrat et conseiller à la cour d’appel de Paris, chargé d’étudier le dossier visant l’escroc Alexandre Stavisky. Ce décès mystérieux
relance l’affaire politico-financière, qui va largement contribuer à discréditer le régime de la Troisième République.
Juif russe, né le 20 novembre 1886 en Ukraine, Alexandre Stavisky arrive en France à l’âge de deux ans. D’un physique agréable, il
déduit vite qu’il pourra utiliser cet atout auprès des femmes riches. Il se marie en 1910, dépense la dot de son épouse, puis se remarie en
1928 avec Arlette Simon, célèbre mannequin parisien. De 1909 à 1933, il monte un nombre considérable d’escroqueries et passe à travers
les mailles du filet de la justice. Il tisse un important réseau de relations mondaines, fréquente assidûment les casinos, courtise les plus
belles femmes, voyage régulièrement dans l’Orient-Express et le Train Bleu. Il dispose de complicités dans la police et le milieu judiciaire.
En décembre 1933, après avoir essayé en vain de corrompre le ministre des Finances Georges Bonnet, Stavisky se réfugie dans les Alpes,
dans un chalet à Chamonix. Le 8 janvier 1934, la police découvre son corps, un pistolet à la main, gisant au sol dans une mare de sang.
La commission d’enquête parlementaire ne manque pas de relever de nombreuses zones d’ombre sur les conditions de cette
découverte étrange, pensant même que tout avait été fait pour que Stavisky ne soit pas arrêté vivant ! L’idée d’une élimination organisée
pour éviter qu’il ne livre ses complices dans le monde politique et celui des affaires se répand dans la presse comme une traînée de poudre.
Le public apprend qu’entre 1929 et 1933 Stavisky a bénéficié de dix-neuf remises de peine par la justice, accordées par Pressard, procureur
de la République à Paris, beau-frère du président du Conseil, Camille Chautemps. Le 27 janvier, ce gouvernement tombe. L’extrême droite
orchestre une violente agitation médiatique qui aboutit aux émeutes du 6 février 1934, lors desquelles quinze personnes trouvent la mort.
Le décès étrange du conseiller de la cour Albert Prince, sur la voie ferrée du Train Bleu, relance l’idée d’une conspiration politico-
financière. En tant que chef de la section financière du parquet de Paris, il avait enquêté sur Stavisky et son entourage. Le procès de l’affaire
Stavisky se déroule du 4 novembre 1935 au 18 janvier 1936. Sur les dix-huit inculpés, huit condamnations sont prononcées, touchant les
proches immédiats de l’escroc disparu.

Les années sombres de l’occupation


Durant l’occupation allemande, le Train Bleu est remplacé par un modèle hybride, comprenant des wagons-lits, des voitures de classe
ordinaire et, malgré les difficultés de ravitaillement, un wagon-restaurant. Les belles cabines de luxe sont parquées et dispersées en Périgord
et en Limousin, dans l’attente de jours meilleurs.
Pendant ces années sombres, la voiture-lit no 3544, à l’arrêt en gare de Limoges, est transformée en lupanar, afin de satisfaire les
fantasmes érotico-ferroviaires des clients. Après la Libération, elle est affectée au train royal de la reine Wilhelmine des Pays-Bas.
Le 15 décembre 1943, Paul Carbone, roi de la pègre marseillaise, attend l’hybride du Train Bleu en gare de Marseille, afin de se
rendre à Lyon. Les deux voitures de première classe sont occupées par des officiers allemands. Carbone s’installe dans la troisième. Il fait
particulièrement froid. Le convoi quitte Marseille en direction de Lyon. Il roule lentement lorsque, à quelques kilomètres de Neuville-sur-
Saône, une forte explosion éclate. Des résistants locaux viennent de faire sauter la voie. Les deux premières voitures ne quittent pas les rails
mais la troisième bascule dans un ravin. Carbone a la jambe droite tranchée net et la gauche sectionnée à la hauteur du tibia. On le
transporte sur le ballast, sous une température de – 17°. Des voyageurs tués gisent un peu partout. On ranime Carbone et, alors que
l’ambulance tarde à arriver, il allume une cigarette avec un calme incroyable, malgré l’extrême douleur causée par ses blessures. Finalement
transporté à l’hôpital des Brotteaux de Lyon, il y décède à l’âge de cinquante ans.

Le train des stars de l’après-guerre


À l’ouverture du festival cinématographique de Cannes, en septembre 1946, le Train Bleu, partiellement reconstitué, transporte ses
premiers invités, ainsi que des bobines précieuses du septième art. Composée de huit ou neuf voitures-lits, il redevient, durant les années
1950, le train des stars et des têtes couronnées, avec, comme voyageurs habituels, le baron James de Rothschild, Orson Welles, Leurs
Altesses royales Alexandra de Yougoslavie et Élisabeth de Roumanie, le duc et la duchesse de Windsor, le jeune prince Rainier de Monaco,
Walt Disney, Charles Trenet, Sacha Guitry, le marquis de Cuevas... Le théâtre, le cinéma, la finance, l’industrie, la haute couture s’y donnent
rendez-vous.

Charles Trenet, La Mer et le Train Bleu


En 1946, Charles Trenet voyage dans le Train Bleu. Il décide de reprendre son texte La Mer, en partie rédigé quelques années
auparavant. Il ajoute une touche finale à cette chanson qui va le rendre célèbre dans le monde entier. Durant ce trajet vers la Méditerranée
de son enfance, il écrit également :
« La poésie ? Je ne l’ai jamais cherchée. Si, elle est venue à moi de temps en temps, comme elle va à tous ceux qui savent regarder les
choses, c’est simplement parce que j’ai ouvert les yeux et les oreilles, parce que j’ai laissé entrer la vie par tous les pores. On n’invente pas
ses sentiments, ses souvenirs. Ils vivent au fond de soi, puis un jour mûrissent, éclatent. Alors, selon son tempérament, et suivant ses moyens
d’expression, on peint, on écrit, on chante, on compose une symphonie. La part d’invention poétique reste minime, mais toujours sincère,
car sans franchise ne peuvent exister de création valable ni de contact avec les autres. Si je chante la mer, les Pyrénées, c’est parce qu’elles
furent le cadre de mes jeunes années. Si je parle de rêves, de solitude, c’est parce que je les ai connus à l’âge où les impressions marquent le
cœur d’un fer rouge.
« Mes voyages en train, notamment dans le Train Bleu, m’ont souvent inspiré des chansons, en voyant défiler le paysage, comme
dans un rêve enchanteur, où la fixité spirituelle de notre être observe la beauté du temps qui passe, tout en préservant son jardin secret, car
mon véritable royaume n’est pas de ce monde 10. »

La nouvelle ère du Train Bleu


La plupart des voyageurs désirant dîner dès le premier service, la Compagnie transforme trois voitures Pullman en salon-bar avec une
salle de restaurant pouvant accueillir jusqu’à soixante-dix consommateurs. Repeintes en bleu, ces voitures rejoignent la composition du train
en 1951. Une nouvelle ère débute en 1958 lorsque le Train Bleu est équipé de voitures-lits neuves du type P, dont la caisse est en acier
inoxydable.

Certains soirs, la clientèle du Train Bleu y est aussi huppée que celle du bar Hemingway de l’hôtel Ritz. On s’y donne rendez-vous
Certains soirs, la clientèle du Train Bleu y est aussi huppée que celle du bar Hemingway de l’hôtel Ritz. On s’y donne rendez-vous
pour boire un verre de champagne et grignoter un toast de caviar avant de dîner. Un bar communique avec la salle à manger où l’on dîne à
la carte. Avant de regagner la cabine, quelques couche-tard terminent un dernier verre, tandis que les membres du personnel se préparent à
passer la nuit dans des hamacs, accrochés aux cloisons de la voiture-restaurant. L’exigence du service ne leur laisse que peu de temps de
sommeil : dès 6 heures du matin, ils doivent être prêts pour dresser les tables du petit déjeuner des lève-tôt de la clientèle.

Un recueil de treize intrigues pour le Train Bleu


Dans le roman Le Train Bleu s’arrête treize fois, publié aux éditions Denoël en 1966, le duo Pierre Boileau et Thomas Narcejac présente
treize intrigues se déroulant dans les villes jalonnées par le célèbre express (Paris, Dijon, Lyon, Marseille, Toulon, Saint-Raphaël, Cannes,
Antibes, Nice, Beaulieu-sur-Mer, Monaco, Monte-Carlo et Menton). Treize villes où se nouent des affaires dans lesquelles le drame le dispute
à l’angoisse.

Paul Morand se souvient


Le grand écrivain Paul Morand conserve des souvenirs heureux de ses voyages à bord du train mythique, en compagnie de
personnalités illustres comme Édouard Bourdet, Dunoyer de Segonzac, Cocteau, Milhaud, Valéry, Giraudoux, Colette, Radiguet. Le Train
Bleu demeure un lien affectif qui l’unit à ses amis et à la Côte d’Azur, avec, notamment, des parties de boules et des bains de mer à
Porquerolles, des promenades au Lavandou. Ce regard mélancolique sur une époque révolue lui inspire un petit livre, Bains de mers, bains de
rêve, publié en 1960 aux éditions La Guilde du Livre.

La fin du Train Bleu


À partir de 1969, le Train Bleu perd son aspect unicolore avec l’introduction de nouvelles voitures aux teintes différentes, si bien
qu’il finit par s’apparenter à n’importe quel autre convoi. En 1976, les voitures-salons et restaurants disparaissent pour laisser la place à des
unités de première classe avec cuisine de la SNCF. Perdant son caractère exclusif de train de voitures-lits, il reçoit dans sa composition
d’ordinaires voitures-couchettes et se voit en outre amputé de son service de restauration. Durant les années suivantes, malgré une clientèle
fidèle, la qualité ne cesse de se dégrader : suppression des dernières voitures-lits les plus luxueuses, introduction de voitures à sièges
inclinables, allongement du parcours. Finalement, le Train Bleu accomplit son dernier voyage le 9 décembre 2007, entre Paris et Vintimille.
Il devient un banal train Intercités de nuit qui effectue le même sillon horaire, mais sans voitures-lits, ni bar, ni restaurant, limité au
trajet Paris-Nice et jumelé au Paris-Briançon jusqu’à Valence. Il n’est plus qu’un lointain reflet de son prestigieux prédécesseur. La
concurrence du TGV, de l’avion et de l’autoroute entraîne peu à peu la suppression des grands express de nuit roulant vers la Côte d’Azur.

Les vers du poète et la chanson de Luis Mariano


Le poète Émile Ripert (1882-1948), spécialiste de la langue provençale et professeur à l’université d’Aix-en-Provence, a immortalisé
en vers le Train Bleu :

« Venez ; c’est le Train Bleu, dont le magique essor


Court aux rives d’azur, là-bas vers l’Italie
Venez ; c’est le Train Bleu, dont la belle folie
11
Fuit vers le Languedoc et la Provence d’or .»
En 1959, le célèbre chanteur d’opérette Luis Mariano enregistre une chanson rendant hommage au célèbre express, intitulée Un Train
Bleu dans la nuit, version française avec des paroles de Pierre Delanoë de la chanson Blue Train in the night de Ray Brown, contrebassiste de
jazz américain.

Le Train Bleu fait son cinéma


Dans le film Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville, présenté dans les salles cinématographiques en 1970, le commissaire Matteï,
interprété par Bourvil, escorte le criminel Vogel (Alain Delon) jusqu’à Paris. À cette occasion, les deux hommes montent à bord du Train
Bleu en gare de Marseille.
En 1974, celui-ci bénéficie des honneurs de la pègre marseillaise dans le film Borsalino and Co de Jacques Deray, avec Alain Delon
comme acteur principal.
L’Intrépide de Jean Girault est un film de 1975, où un médecin (Louis Velle) organise par contrat la mort de sa femme devant partir
de Nice. Or, au dernier moment, celle-ci fait défection et se fait remplacer. Le mari doit alors prendre le Train Bleu pour protéger cette
inconnue.

La réplique d’Erich von Stroheim


Le célèbre acteur et cinéaste Erich von Stroheim est, un jour, contraint de prendre le Train Bleu en seconde classe. Même pour lui, il
n’y a plus de place en première ! Deux femmes, pas très jolies hélas, s’installent en face de lui. Sortant son étui, le comédien autrichien leur
demande si la fumée ne les dérange pas et leur propose même des cigarettes. La plus âgée des deux, la mère bien entendu, qui n’a même pas
reconnu « l’officier aristocrate prussien » de La Grande Illusion, apostrophe ce voyageur sûr de lui :
— Monsieur, je vous prie de laisser ma fille tranquille ! On voit bien que vous n’avez pas l’habitude de voyager en seconde classe !
Réplique d’Erich von Stroheim :
— Madame, j’ai voyagé en troisième classe et en première. J’ai constaté qu’en troisième le contrôleur insulte les voyageurs, qu’en
première les voyageurs insultent le contrôleur. Je constate qu’en deuxième, les voyageurs s’insultent entre eux 12 !
Le Mistral

Ce train de prestige du rail français reste, durant longtemps, le porte-drapeau de la SNCF. Avant lui, les trains aérodynamiques des
années 1930 s’illustrent sur l’artère impériale entre Paris, Lyon et Marseille. Le futur Mistral est leur héritier direct, proche parent également
du célèbre Train Bleu.
Après l’occupation allemande, la SNCF reprend la circulation des liaisons rapides durant l’hiver 1945-1946. Ouvertes aux première et
seconde classes, alors qu’existent trois classes sur les trains ordinaires, ces liaisons fonctionnent entre Paris et Lyon sans arrêt à Dijon. Dans
un premier temps, on utilise les vieilles voitures aérodynamiques souvent poussives. De même, le parcours de Marseille à Nice (et
inversement) est assuré par un autorail Bugatti.
Devant la concurrence grandissante des lignes aériennes intérieures et la multiplication de l’usage de l’automobile, la SNCF décide de
frapper fort.

Naissance d’un train de prestige


Le 14 mai 1950, le Mistral s’élance pour la première fois. Inaugurant des voitures climatisées à couloir central, et non plus à
compartiments, il connaît aussitôt un immense succès commercial. L’introduction de la traction électrique réduit considérablement le temps
de parcours. Partant de Paris, passant par Lyon et Marseille pour arriver à Nice, il accomplit le voyage de mille quatre-vingt-huit kilomètres
en seulement 9 heures, à vitesse maximale de 160 km/h.
En septembre 1954, l’empereur d’Éthiopie l’emprunte pour se rendre dans la vallée du Rhône. La presse titre alors : « Le roi des trains
a accueilli le roi des rois 1. »

Des voitures en acier inoxydable et un salon de coiffure !


En 1956, des voitures en acier inoxydable équipent spécialement le Mistral. La SNCF reçoit un lot de vingt-six véhicules dont trois
voitures-bars. Dès 1969, le train assure la liaison Paris-Bruxelles-Amsterdam, avec une disposition remaniée, comprenant notamment un
secrétariat pour les hommes d’affaires et, suprême luxe, un salon de coiffure ! La restauration est assurée dans des voitures modernes. La
SNCF dispose alors d’un matériel de pointe, quasiment unique en Europe, hormis certaines voitures allemandes.
Le problème de la traction, lié au poids du train, est solutionné en janvier 1970 avec la mise en service de puissantes locomotives CC
6500, permettant même de réduire de quelques minutes le temps de trajet, ramené notamment entre Paris et Marseille à 6 heures et 40
minutes.
La concurrence aérienne n’entame pas encore son succès ; il demeure une sorte de salon luxueux, en dépit d’une durée jugée
désormais un peu longue pour la clientèle.
Un lent déclin
Finalement, malgré sa vitesse maximale de 160 km/h, le Mistral est largement surclassé par l’avion à réaction.
Au début des années 1980, la mise en circulation des premiers TGV, sur la ligne nouvelle Paris-Lyon, lui porte un coup. Transformé
en train rapide à supplément, il reste accessible dans deux classes. Le 27 septembre 1981, il perd son appellation prestigieuse pour devenir
un modeste train Corail. Sa mort annoncée a lieu le 23 mai 1982. Il disparaît ainsi en France après trente-deux années de loyaux services.
Cependant, plus de trente ans après son retrait définitif en France, le nom Mistral évoque toujours la qualité, le confort et le plaisir
de voyager.
Des voitures similaires, mais sans ses services exclusifs, seront utilisées sur les liaisons Paris-Bruxelles-Amsterdam et sur le Cisalpin
entre Paris, Milan et Venise, durant encore quelques années.
À l’étranger, il rayonne encore dans certains pays. Le Mistral 56 fait toujours le trajet Dakar-Bamako en Afrique. Tandis qu’à Cuba, le
Mistral 69 assure de nos jours l’express de prestige La Havane-Santiago, avec le nom évocateur de Train français.

Mistral, cinéma et médias


Un film documentaire est tourné en 1956 sur le train, par André Périé et Romain Caramelli, tous deux travaillant pour la section
centrale cinématographique de la SNCF.
En 1968, dans le film de François Truffaut La mariée était en noir, l’actrice Jeanne Moreau monte à bord d’un Mistral. Elle assassine
de diverses manières plusieurs hommes, coupables de la mort de son mari.
La voiture-bar a illustré la pochette d’un disque de 33 tours : Le Mistral, par l’orchestre de Teddy Moore.

Un voyageur célèbre se souvient


L’écrivain Jean Cau, amoureux de la Côte d’Azur, n’a pas oublié les heureux moments qu’il a passés dans ce train :
« Le Mistral est le symbole vivant des Trente Glorieuses, période de bonheur, dont je conserve la nostalgie : la vie s’écoulait
paisiblement en pleine expansion économique, la France populaire renouait avec les plaisirs de la plage, mais sur une plus longue durée que
celle du Front Populaire. Le général de Gaulle nous faisait redécouvrir une certaine idée de la France : celle de la grandeur. Ce train qui
filait à travers la campagne française avait l’assurance des jours heureux. J’allais bientôt admirer à nouveau le soleil d’Apollon et la
Méditerranée antique, après avoir quitté la capitale voilée et agitée. J’allais de nouveau communier avec la nature païenne, entre mer et
montagne, non pour y gagner les lauriers militaires ou par soif de butin, mais pour me rapprocher du Sud, où la lumière est privée de nuit.
Ce Sud, que Montherlant a si bien célébré dans sa mystique tauromachique et son culte du sport, dont le ballon est un soleil de joie : ivresse
de la jeunesse, volupté du corps, romanité des légions invaincues 2. »
Le turbotrain

Au début des années 1960, le trafic ferroviaire français souffre de la concurrence grandissante de l’automobile, des camions, des
autobus et des avions. La vitesse des trains de l’époque est la principale raison de ce déclin. Afin d’y remédier, l’ingénieur français Guy
Sénac et la SNCF ont l’idée de lancer la construction d’un turbotrain, à savoir un train propulsé par des turbines à gaz, permettant un
allégement considérable des motrices et une augmentation importante de la vélocité, passant de 80 km/h en moyenne pour les trains
classiques à 120 voire 200 km/h, pour les nouveaux modèles.

Le premier turbotrain et ses records de vitesse


Le turbotrain accomplit son premier trajet d’essai le 25 avril 1967 entre le Mans et Château-du-Loir, puis effectue des allers-retours
Le Mans-Laval entre le 28 avril et le 22 mai de la même année. Sur cette ligne, il circule à 160 km/h, soit à une vitesse très supérieure à
celle des autres trains, limités en moyenne à 80 km/h.
Entre les 11 et 13 juin 1967, le turbotrain roule jusqu’à 228 km/h sur la section Les Aubrais-Vierzon. Le 20 juin, il bat le record
mondial de vitesse pour un engin thermique, avec une pointe de 236 km/h. Durant l’été, il subit des essais d’endurance entre Paris et
Angoulême, avec une vitesse moyenne de 137 km/h. Après être passé en atelier d’entretien, il reprend du service le 30 janvier et parvient à
battre son propre record de vitesse en atteignant 238 km/h. Cette première série d’essais se termine en janvier 1968, après qu’il a parcouru
soixante-dix mille kilomètres.
Le turbotrain est ensuite essayé entre le 30 janvier et le 16 février 1968, entre Paris et Mulhouse. Il accomplit ce parcours de trois
cent soixante-cinq kilomètres en 3 heures et 3 minutes, avec une vitesse moyenne de 147 km/h. Le 18 avril, il atteint la vitesse de
239 km/h.
À compter du 23 avril 1968, le turbotrain est envoyé sur les lignes ferroviaires de l’Ouest de la France. Il parcourt notamment les
deux cent trente-neuf kilomètres Paris-Caen à 139 km/h de moyenne, avec des pointes à 226 km/h.

De nouveaux records étonnants


De nouveaux essais avec passagers sont effectués sur la ligne Saincaize-Clermont-Ferrand, avec des pointes de vitesse à 212 km/h ;
puis sur Paris-Lyon, avec un nouveau record à 239 km/h. Le turbotrain se distingue sur la section Les Aubrais-Vierzon, avec une pointe de
240 km/h, le 21 janvier 1969.
À cette date, le turbotrain totalise déjà cent cinquante-six mille kilomètres parcourus, représentant un total de deux cent soixante-
neuf trajets, à plus de 200 km/h, dont cent vingt kilomètres au-dessus de 220 km/h.
Il entre ensuite aux ateliers du Mans, afin de recevoir une transmission plus évoluée à deux étages, avec un nouveau convertisseur
pour les faibles vitesses. Ce système permet un meilleur changement de rapport en marche et une rapidité maximale théorique de
250 km/h !
Après cette importante modification, il est réessayé sur Les Aubrais-Vierzon où, le 2 septembre 1970, il circule à 248 km/h. Il
dépasse ensuite le deux cent millième kilomètre à plus de 200 km/h.
En 1971, il circule également sur le trajet Lyon-Nantes, en atteignant une moyenne de 200 km/h. Le 19 octobre de la même année, il
bat de nouveau son record à 252 km/h. En cinq années, il a parcouru deux cent vingt-sept mille six cent soixante-dix kilomètres à plus de
200 km/h, dont cent quatre-vingt-quatre kilomètres à plus de 230 km/h.

La mise en service sur diverses lignes avec des passagers


À partir de 1970, plusieurs turbotrains ETG (éléments à turbine à gaz) sont mis en service sur la ligne Paris-Caen-Cherbourg,
améliorant de façon notable les horaires des dessertes. Ces éléments sont constitués d’une motrice à turbine et d’une autre Diesel encadrant
deux remorques. Une seconde génération, intégralement à turbine, dite RTG est construite à partir de 1972 pour améliorer les dessertes
transversales au départ de Lyon, et pour remplacer les ETG, devenus insuffisants en capacité sur la ligne Paris-Cherbourg. Les rames type
RTG circulent sur les lignes Strasbourg-Lyon, Lyon-Nantes, Lyon-Bordeaux et Lyon-Grenoble. Les dernières rames qui assuraient le trajet
Lyon-Bordeaux ont été retirées du service fin 2004.

L’équipement des premiers turbotrains


Le turbotrain 101 est équipé de seize places de première classe en vis-à-vis, d’un salon climatisé de douze places, dont
l’aménagement est modulable en fonction des besoins.
Le turbotrain 102 voit une partie du fourgon transformée en local de service pour la restauration, tandis que les banquettes de
seconde classe sont remplacées par trente-cinq places de première classe, avec des tablettes pour les repas et un système de sonorisation.
Les turbotrains RTG sont exploités durant toute leur carrière sous la forme de rames à cinq caisses. On trouve successivement la vaste
cabine de conduite, le compartiment des turbomoteurs, un compartiment fourgon, une salle de quarante-huit places de seconde et la plate-
forme d’accès. Ces modèles sont construits à trente-neuf exemplaires. Autant de turbotrains à soixante places de première voient le jour,
ainsi que vingt exemplaires à quatre-vingts places de seconde et dix-neuf exemplaires, destinés aux trajets Paris-Normandie, avec quarante
places de seconde et vingt-neuf de première.

Les exploits du turbotrain expérimental 001


Ce modèle, construit par Alstom, Brissonneau et Lotz, est équipé de turbines Turboméca Tumo IV à transmission électrique. Les
essais débutent le 4 avril 1972 et se poursuivent les mois suivants en divers endroits. Il atteint une vitesse record de 318 km/h sur la ligne
des Landes, entre Lamothe et Morcenx, le 8 décembre 1972. Les diverses solutions techniques utilisées sur ce turbotrain révolutionnaire
(freinage, boggies, aérodynamisme notamment) seront adoptées sur le futur TGV, à l’exception de la motorisation à turbine.
Entre le 4 avril 1972 et le 19 juin 1978, le turbotrain à grande vitesse 001 parcourt quatre cent cinquante-six mille six cent quatre-
vingt-dix kilomètres, circule quatre cent trente-trois fois entre 200 et 250 km/h, deux mille deux cent quarante kilomètres entre 250 et
300 km/h et trois cent sept kilomètres à plus de 300 km/h.

Le choc pétrolier et ses conséquences fatales

Le choc pétrolier de 1973 porte atteinte au développement du turbotrain. En effet, les turbines à gaz consomment beaucoup de
Le choc pétrolier de 1973 porte atteinte au développement du turbotrain. En effet, les turbines à gaz consomment beaucoup de
kérosène, souvent mélangé à du gasoil. Les coûts d’exploitation deviennent trop importants. Des programmes d’électrification des grandes
lignes, non encore équipées, se multiplient rapidement, si bien que le futur TGV est lui-même adapté à la traction électrique.
Il n’est donc pas prévu de nouvelles générations de turbotrains. À partir des années 1980, ceux-ci, bien que très récents, commencent
à quitter le réseau français. Après 1996, des rames utilisées entre Lyon et Bordeaux continuent à représenter ce modèle à grande vitesse. Fin
2004, les derniers turbotrains disparaissent discrètement en France, laissant la place aux TGV.

Les turbotrains dans le monde


La France n’est pas l’unique pays à avoir développé des locomotives à turbine à gaz. Les premières sont utilisées en Suisse dès les
années 1940. En Amérique du Nord, le Train Turbo, produit par la compagnie United Aircraft Corporation, entre en service en 1968 et roule
au Canada jusqu’en 1982, alors qu’aux États-Unis, on le retire de la circulation en 1976.
Au début des années 2000, un train expérimental, nommé Jet-Train, est proposé par la compagnie Bombardier Transport pour
équiper les réseaux ferroviaires à grande vitesse en Amérique du Nord. Il utilise une locomotive à turbine PW150 de Pratt-Whitney Canada,
jugée plus efficace qu’un diesel équivalent.
Des rames françaises, issues du turbotrain RTG national, sont vendues à l’Égypte, à l’Iran et aux États-Unis en 2004.
Le TGV

Le TGV (Train à Grande Vitesse) représente l’excellence française en matière technologique, au même titre que les avions militaires
et civils, comme le Mirage, le Rafale, le Concorde et l’Airbus, sans oublier les autres merveilles tricolores comme la fusée Ariane et le
nucléaire.
Symbole de la réussite française dans le monde, le TGV doit son existence à la remarquable qualité professionnelle du corps des
ingénieurs nationaux, toujours à la pointe de la modernité.
Vitrine de démonstration du savoir-faire français, « le TGV, affirme Jacques Chirac, c’est une réussite industrielle majeure. C’est une
admirable démonstration des capacités de la France en matière de recherche, de développement et d’innovation 1. »
Grâce à lui, la SNCF relève avec succès les défis de la concurrence aérienne et de l’automobile, dont la vitesse est la clé de la réussite
commerciale et technologique. Avec cet admirable train, la France est entrée dans le XXIe siècle.

Les origines du TGV


L’idée de construire un train à grande vitesse, afin de relier les principales villes françaises, débute avec le modèle du turbotrain
durant les années 1960, devant la concurrence redoutable de l’avion à réaction et le développement croissant de l’automobile. La crise
pétrolière de 1973 met un frein à la multiplication du turbotrain, du fait de sa consommation excessive en carburant. Le choix se porte alors
sur la traction électrique, avec acheminement du courant par caténaire et captage par un pantographe disposé sur le toit d’une locomotive
ou d’une automotrice. Les raisons de ce choix sont autant politiques que techniques et économiques. En effet, le coût de l’énergie ne
représente que 5 % environ du coût de traction. L’indépendance énergétique est assurée, même en cas de crise internationale grave.
Le Japon a été le premier pays industrialisé à mettre en service un train à grande vitesse, avec le lancement du Shinkansen en 1964,
lors de l’inauguration de la ligne de ce type, reliant Tokyo à Osaka.
En 1974, le président Georges Pompidou décide de lancer le projet du TGV et demande à son Premier ministre, Pierre Messmer,
d’engager la construction d’une ligne à grande vitesse entre Paris et Lyon. Le projet est alors totalement financé par la SNCF.

La France entre dans l’histoire ferroviaire à grande vitesse


Une campagne d’essais menée avec deux rames de présérie, appelées Patrick et Sophie, débute en 1978. La première commande est
livrée le 25 avril 1980. Le service TGV ouvre au public, entre Paris et Lyon, le 27 septembre 1981.
Cependant, entre septembre 1981 et septembre 1983, seule la partie Sud de la ligne à grande vitesse Sud-Est, entre Pasilly et
Sathonay, est utilisée pour la vélocité de pointe. La partie Nord du trajet s’accomplit encore sur les anciennes voies. C’est seulement à
compter de l’hiver 1983 que la ligne ferroviaire s’ouvre à la grande vitesse entre Lieusaint et Sathonay. Le temps de parcours se trouve
considérablement réduit, ce qui permet d’acquérir de nouvelles parts de marché en matière de clientèle, au détriment de l’automobile et de
l’aviation. En effet, le TGV atteint une vitesse moyenne de 200 km/h, avec une pointe maximale de 320 km/h.
L’innovation est non seulement technique, mais également commerciale. Le TGV entre et arrive en gare au cœur même de la ville,
alors que l’avion décolle et atterrit en dehors de la cité. Les tarifs sont généralement moins élevés que ceux des voyages aériens.
Jacques Cooper est le génial dessinateur du prototype. Il est également à l’origine de la silhouette du TGV Atlantique, tandis que
Roger Tallon finalise le design intérieur. Les uniformes du personnel bénéficient du talent de Christian Lacroix.

À la pointe des records de vitesse


Le 26 février 1981, la rame TGV no 16 accomplit un premier record de vitesse à 380 km/h : voyage durant lequel des dizaines de
journalistes sont conviés. Outre l’excellente publicité que constitue l’ajout d’un nouveau record au palmarès de la SNCF, cette démonstration
cherche également à rassurer les futurs voyageurs, en montrant que les 260 km/h auxquels ils seront transportés peuvent être atteints en
toute sécurité. Cette expérience triomphale apporte également la preuve de la réussite du transport ferroviaire à grande vitesse par rapport à
son rival aérien, tout en assurant le confort, la sécurité, la rapidité et une faible consommation d’énergie.
L’Allemagne fédérale décide de lever le défi lancé par la France, avec son Intercity-Express de la Deutsche Bahn, qui atteint la vitesse
de 406 km/h, sur la ligne Hanovre-Wurtzbourg, le 1er mai 1988. Face à cet affront germanique, la SNCF réplique, le 12 décembre 1988, en
faisant rouler son TGV à 408 km/h sur la ligne Sud-Est. Puis, le 18 mai 1990, il remporte de nouveau le record du monde de vitesse sur rail
à 515 km/h sur la ligne Atlantique. Le 3 avril 2007, la SNCF bat sa propre performance mondiale sur la rame d’essais 4402 à la vitesse de
575 km/h.
Le TGV établit également un record mondial de rapidité sur une longue distance, le 26 mai 2001, avec le trajet Calais-Marseille, soit
mille soixante-sept kilomètres en 3 heures 29 minutes, avec une vitesse moyenne de 306 km/h. Le 17 mai 2006, le TGV remporte le record
du monde de vitesse de la plus longue distance parcourue sans arrêt par un train de voyageurs, en transportant l’équipe du film Da Vinci
Code de Londres à Cannes, soit mille quatre cent vingt et un kilomètres en 7 heures 25 minutes, avec une vitesse moyenne de 192 km/h.

Les services ferroviaires assurés par le TGV


Le premier service TGV Paris-Lyon, lancé en 1981, marque une étape. Depuis, le réseau TGV, centré sur Paris, s’étend
considérablement, jusqu’à relier de nombreuses villes françaises, grâce notamment à la construction de lignes nouvelles dans toutes les
directions depuis le 10 juin 2007.
En 2014, les TGV desservent plus de cent quatre-vingt-dix gares en France, dont huit en Île-de-France et plus d’une trentaine dans les
pays européens limitrophes.
La SNCF compte actuellement mille conducteurs de TGV sur ses dix-sept mille présents au niveau national.

Une activité florissante et l’envers du décor


À la fin de l’année 2004, la part de marché du TGV, par rapport à l’avion, s’établit à 68 % sur la ligne Paris-Marseille et à 66 % sur
Paris-Bordeaux.
Quatre-vingts millions de voyageurs sont transportés en TGV en 2005 contre soixante-cinq millions en 2000. Le 28 novembre 2003,
le TGV a fêté son premier milliard de voyageurs, depuis l’inauguration en septembre 1981. Son second milliard est atteint le 25 janvier
2013. En juillet 2007, après seulement un mois d’exploitation, la SNCF annonce avoir transporté un million de personnes sur le TGV Est,
soit en moyenne trente-trois mille voyageurs par jour avec cent circulations quotidiennes.
Le trafic actuel est en croissance de 4 %, soit trois millions de voyageurs supplémentaires par rapport à l’année 2012. Le chiffre
d’affaires correspondant s’élève à trois milliards d’euros, en progression de 7,3 %.
Mais il y a l’envers du décor, dont personne ne parle, comme s’il ne fallait pas écorner le mythe. Première ombre au tableau : le TGV
a coûté très cher, 30 milliards d’euros. Deuxième ombre : ses coûts de fonctionnement sont prohibitifs, en raison de l’entretien de ses lignes
spécifiques. Troisième ombre : son succès s’est fait au détriment de toutes les autres lignes SNCF, secondaires et régionales, car le TGV est
un dévoreur de budget. Plus le réseau TGV progresse, plus le réseau secondaire se dégrade.
Le journaliste Marc Fressoz, spécialiste de l’histoire ferroviaire, explique : « Nos gouvernements et nos grands élus ont comme
religion exclusive le TGV. Chaque grand maire veut son TGV, quel qu’en soit le prix ! Mais nous sommes arrivés à une situation
insupportable, à la limite de l’asphyxie pour les lignes traditionnelles. Compte tenu de la dégradation du réseau ferroviaire, il faut d’urgence
rompre avec cette « religion de la grande vitesse ». Il faut à nouveau investir sur l’ensemble de notre réseau, car celui-ci est devenu
vieillissant et sclérosé. Il faut même envisager la fermeture d’un certain nombre de lignes TGV, comme le Paris-Les Sables-d’Olonne. En
effet, sur certaines distances, l’investissement pour construire une ligne TGV est totalement disproportionné par rapport au bénéfice qu’il
apporte. Face à ce constat de simple bon sens, certains responsables politiques reviennent à l’idée de trains circulant à 200 km/h, comme en
Allemagne, vitesse bien suffisante sur de petites ou moyennes distances. C’est le cas, par exemple, sur Paris-Caen et Paris-Le Havre. Au lieu
du TGV roulant à 320 km/h qu’a promis le président de la République en juin 2009, on a construit des sections de lignes nouvelles
dimensionnées pour 200 à 230 km/h 2. »
Remettre en question ce magnifique train, alors que le nombre de passagers qu’il transporte ne cesse d’augmenter depuis son
lancement en 1981, semble paradoxal, voire incongru. Pourtant, le président de la SNCF lui-même, Guillaume Pépy, ancien apôtre du tout-
TGV, a lancé un cri d’alarme, dès septembre 2010 : « Trop de TGV risque de tuer la SNCF et le système ferroviaire français. Chaque jour
neuf clients sur dix de la SNCF voyagent sur un autre train que le TGV. La SNCF, c’est cinq millions de voyageurs par jour, là-dessus le TGV
n’en transporte que 300 000 3. »
Certains chiffres remettent les idées en place. En trente ans, le TGV a transporté 1,8 milliard de voyageurs. Mais sur la même période
les autres trains de la SNCF ont transporté... 21 milliards de personnes dans la seule région parisienne !
Le TGV, enfant gâté du réseau ferroviaire français, ne dégage pas suffisamment d’argent pour permettre l’entretien de l’ensemble du
réseau, soit trente mille kilomètres de voies ferrées. Selon les chiffres officiels, il manque chaque année 1,5 milliard d’euros pour assurer une
maintenance correcte du réseau français.
Les banlieusards parisiens et les provinciaux sont les premières victimes du succès du TGV. En effet, nombre de crédits d’entretien
des voies ferrées des TER (trains express régionaux) ont été détournés discrètement pour entretenir les lignes TGV. Résultat : le réseau
ferroviaire TER est sclérosé et mal entretenu depuis le début des années 1980. Aussi, la tentation est grande d’employer des méthodes
« chirurgicales ». Ainsi, la Cour des comptes préconise la fermeture de sept mille huit cents kilomètres de lignes ferroviaires, soit 27 % du
réseau. En dix ans, les conseils régionaux ont acheté 6,5 milliards d’euros de rames de TER. Ces trains flambant neufs sont souvent obligés
de rouler à 30 ou 40 km/h étant donné l’état souvent catastrophique des voies...

Confort pour tous


Au-delà de ces prouesses technologiques, le TGV n’a de cesse d’améliorer le confort à bord pour ses clients. Les amortisseurs
pneumatiques ont remplacé les amortisseurs à ressorts en 1986. L’espace à la place est augmenté, ainsi que celui entre les sièges. Des
espaces détente sont aménagés (famille, nurserie, bar, restauration, distributeurs automatiques), ainsi que des bagageries au sein des
voitures. Fin 2005, le TGV fait sa révolution intérieure. Le nouveau design conçu par le couturier Christian Lacroix se concrétise par une
offre enrichie : des sièges ergonomiques et inclinables pour une meilleure assise, des appuie-tête réglables, des liseuses individuelles, des
prises électriques en première classe, des espaces plates-formes, un comptoir en face des distributeurs automatiques, un espace bureau en
seconde classe pour téléphoner, recharger une batterie, des places réservées aux personnes à mobilité réduite. L’aménagement intérieur offre
de larges fauteuils en velours à plusieurs positions, des tapis épais, muraux et au sol, des mini-salons d’affaires. Un service de restauration se
trouve généralement au sein de la voiture centrale, les wagons-toilettes sont correctement répartis. Il y en a à deux étages.

Naissance à bord d’un TGV


Le dimanche 18 septembre 1999, le TGV 628 quitte Lyon à 18 heures, à destination de Paris. Peu avant le Creusot, une passagère
enceinte, voyageant seule, demande à l’agent SNCF Daniel Descombes s’il y a un médecin dans le train. Il fait une annonce qui reste sans
réponse. Une nouvelle annonce dans la rame suivante se révèle positive. En effet, son collègue Bernard Bondet, secouriste et pompier
bénévole, signale qu’un médecin se trouve dans sa rame. « Mais voilà le problème, écrit Jean des Cars : on ne peut communiquer d’une rame
à l’autre dans les TGV. Il faut donc organiser un arrêt non prévu au Creusot et prévenir le SAMU local. On isole la passagère en voiture 6
afin de préserver son intimité. À 18 h 30, le médecin urgentiste constate que la jeune femme n’est plus transportable.
Conclusion heureuse : Céliance, beau bébé de 3 kg, naît dans le TGV immobilisé et tout le monde applaudit, sauf quelques
hépatiques 4. »
Le commentaire de la voyageuse qui vient d’accoucher mérite d’être cité : « C’est dommage que ma fille ne soit pas née à trois cent à
l’heure ! J’ai cru que j’avais le temps d’arriver à Paris. Le TGV ne va pas encore assez vite 5 ! »

Les incidents du TGV


Le TGV est parfois d’une surprenante et regrettable fragilité, trop sensible aux fortes chaleurs et aux froids vifs. C’est notamment le
cas le dimanche 11 juin 2006, lorsque la rame La Rochelle-Paris s’arrête à 16 h 40, à quinze kilomètres de Tours. Durant plusieurs dizaines
de minutes, les portes restent fermées et l’air conditionné ne fonctionne plus. Plus de sept cent cinquante voyageurs sont bloqués. Un TGV
de secours arrive et ne repart qu’après 20 heures, soit plus de trois heures plus tard et atteint Paris avec trois heures et quarante-cinq
minutes de retard sur l’horaire prévu. Entre-temps, trois voyageurs, pris de malaise à cause de la chaleur et du manque d’air, doivent être
soignés par les pompiers. Pour des raisons de sécurité, tant que les précautions ne sont pas prises, on ne peut laisser les voyageurs descendre
sur le ballast.
Autre constatation, la signalisation très élaborée et fragile, qui s’affiche dans la cabine du conducteur, tombe souvent en panne à
cause également de la chaleur ou du froid. C’est le cas du TGV Paris-Aix-en-Provence, du 11 juillet 2006, retardé de cinquante minutes en
début d’après-midi.

Cinq heures de retard pour un TGV Paris-Marseille


Le 4 mai 2013, quelque sept cents passagers d’un TGV Paris-Marseille, bloqués en raison d’une panne électrique en pleine voie au
sud de Mâcon, doivent être transférés à bord d’un autre TGV (venu également de Paris) pour être acheminés à bon port. Des échelles sont
accrochées aux portes des deux trains, positionnés sur deux voies parallèles, afin que le transbordement puisse se faire en pleine nature. Les
voyageurs finissent par arriver à Marseille avec cinq heures de retard sur l’horaire prévu 6.

Le palmarès des lignes TGV


En octobre 2013, l’association 60 Millions de consommateurs a publié un palmarès des TGV du réseau français les plus souvent en
retard. Il ressort de cette étude que les voyageurs de l’axe Sud-Est sont les plus mal lotis : dix-sept des vingt-cinq lignes les moins ponctuelles
de France sont situées dans cette partie du réseau et trois autres l’empruntent en partie. Avec un train sur quatre qui arrive au moins cinq
minutes après l’horaire prévu, la ligne Marseille-Lille remporte le triste titre de la moins ponctuelle, suivie par celles de Lyon-Marseille
(23,8 % de TGV en retard) et Paris-Le Creusot (22,5 %). Avec celle de Lyon-Lille, elles figurent parmi les cinq « lignes noires » de la SNCF,
qui comptent plus d’un train sur cinq en retard.
Aux antipodes, la bonne élève du classement est la ligne Paris-Poitiers, qui ne compte que 4 % de trains en retard. Globalement, les
voyageurs qui empruntent régulièrement l’axe TGV Atlantique sont favorisés puisque vingt des vingt-cinq lignes les plus ponctuelles se
trouvent sur cet axe. Seulement 4,4 % des Paris-Brest, 4,8 % des Paris-Saint-Malo et 5,6 % des Paris-Nantes arrivent avec plus de cinq
minutes de retard. Pour la SNCF, un tel écart est imputable à la fréquentation beaucoup plus importante de l’axe Sud-Est.
Les chiffres publiés seraient encore plus alarmants s’ils tenaient compte des retards de moins de cinq minutes, avertit 60 Millions de
consommateurs. La SNCF ne considère en effet comme retardataires que les trains qui arrivent avec plus de cinq minutes de retard sur un
trajet de moins d’1 heure 30 minutes, plus de dix minutes sur un parcours d’1 heure 30 minutes à 3 heures, et plus de quinze minutes sur un
voyage de plus de 3 heures. Sur l’ensemble du réseau, le retard moyen des 38 419 TGV arrivés en retard sur 368 000 programmés est
pourtant nettement plus important, autour de trente et une minutes. Mais des progrès ont été réalisés. Selon la SNCF, la ponctualité globale
des trains est passée de 88 % en 2010 à 90 % en 2013.
Le scandale du TGV Nord
Le 2 septembre 2013, le magazine régional Nordway publie une enquête sur les tarifs, souvent jugés opaques et excessifs du TGV
Nord. Avec deux autres lignes courtes (Le Mans-Paris et Tours-Paris), Lille-Paris est la plus chère de France et le kilomètre parcouru y est
deux fois plus coûteux qu’entre Marseille et Paris ! Au grand dam des usagers bien sûr, mais aussi des élus régionaux. À commencer par
Daniel Percheron, le président du conseil régional, qui vient d’attaquer les tarifs de la SNCF devant le Conseil d’État et de poser de vraies
questions : la vocation commerciale de la SNCF l’emporte-t-elle sur sa mission de service public ? Lui donne-t-elle le droit de facturer ses
lignes à grande vitesse comme bon lui semble, en faisant fi de toute transparence et de l’égalité de traitement entre les citoyens ?

Le scandale du TGV Lyon-Turin


Dans une lettre du 1er août 2012, le Premier président de la Cour des comptes, le socialiste Didier Migaud, a écrit à son camarade
Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, à propos de la ligne ferroviaire Lyon-Turin :
« Ce projet ambitieux ne répond pas aux exigences de rigueur nécessaires à une opération de cette ampleur et de cette complexité
(…). Tous les rapports officiels recommandaient de différer le projet (…). L’estimation du coût global a doublé ! Les difficultés géologiques
ont été beaucoup plus importantes que prévu. Le coût du programme d’études a triplé ! Par ailleurs, les prévisions de trafic établies dans les
années 1990, qui envisageaient la poursuite d’une forte croissance, ont été fortement remises en cause. Le tunnel existant du Mont-Cenis a
une capacité de vingt millions de tonnes, alors qu’au maximum, il y est passé 2,6 millions de tonnes 7. »
Le Premier ministre a répondu le 8 octobre : « L’Europe paiera jusqu’à 40 % des tronçons transfontaliers. La France a signé des
engagements internationaux avec l’Italie sur la construction de ce tunnel. Elle ne peut donc pas reculer 8. »
À ce scandale financier, on peut ajouter que la nouvelle ligne Lyon-Turin de cent quarante kilomètres comporterait quatre-vingt-six
kilomètres de tunnel, soit environ le double de celui sous la Manche, dans des conditions de creusement beaucoup plus difficiles. Le tunnel
sous la Manche relie Londres à Paris, Lille et Bruxelles, soit plus de 25 millions d’habitants. Lyon-Turin relie des agglomérations dont la
population est dix fois moins importante. Il existe déjà deux tunnels ferroviaires (Fréjus et Mont-Cenis), très loin de la saturation.

Le scandale du TGV Est


Depuis six ans, le TGV Est est en circulation. En novembre 2010, divers élus écologistes locaux ont dénoncé des prix exorbitants :
« On oublie que la moitié des Français disposent d’un revenu inférieur à 1 350 euros par mois et qu’avec les nouveaux tarifs, un aller-
retour Nancy-Paris en seconde classe, on monte à 100 euros, soit un quart du RSA ! Pratique des prix élevés, c’est finalement valider l’idée
que le progrès est réservé aux riches. Ceux qui ont le moins d’argent se rendront à Paris en voiture, ou ils resteront chez eux.
« Bien entendu, on rétorque qu’il existe des tarifs réduits. Toutefois, on peut s’interroger sur l’opportunité et l’accessibilité de ces
réductions consenties par la SNCF. Dans la “vraie vie”, les “vrais gens” ont des contraintes : un travail qui leur permet de voyager
uniquement certains jours, pas la possibilité de prévoir plusieurs semaines à l’avance un déplacement, pas l’opportunité de se déplacer
suffisamment souvent pour acheter une carte de réduction, etc.
« Dans les faits, c’est l’usager qui doit s’adapter à la SNCF, pas la SNCF qui s’adapte à eux. Et ceux qui ne le peuvent pas, tant pis
pour eux. Il leur restera toujours la voiture !
« Nous pensons que l’on peut encore changer les choses. À l’État et aux collectivités de reprendre la main sur cette question de
tarification ! Nous devons garantir un prix sur les TGV Est inférieur à celui des trains actuels. Cette mesure ambitieuse aurait un “effet
levier” qui rendra accessible le TGV à tous. Aux seuls objectifs économiques espérés s’ajouterait alors un formidable bénéfice social et
écologique 9. »

Sanglier contre TGV !


Le lundi 5 novembre 2012, un sanglier de 400 kg défonce un grillage de protection et heurte de plein fouet le TGV Nantes-Lyon à
22 h 15, à hauteur de Cuy, dans l’Yonne. Le choc est si violent que le capot du train est arraché lors de la collision. Quelque mille voyageurs
sont transbordés sur une autre rame et arrivent finalement à Lyon avec cinq heures et trente minutes de retard. Les passagers ont-ils reçu un
morceau de sanglier en guise de dédommagement ?

Un TGV entre en gare avec un cadavre encastré !


Le 16 mars 2014, le cadavre d’un cycliste de quarante-huit ans, tué lors d’une collision avec un TGV près de Belfort, est resté encastré
plus de quarante kilomètres à l’avant du train, avant d’être découvert par des agents SNCF et des usagers, lors de l’arrivée de la rame en
gare de Mulhouse. Les enquêteurs ne sont pas en mesure de préciser s’il s’agit d’un accident ou d’un suicide. Le malheureux a été percuté à
un passage à niveau sur la commune de Petit-Croix. L’avant de la motrice a été sérieusement endommagé par le choc. Il est relativement
rare que le corps d’une personne fauchée par un train ne soit repéré que lors de l’arrivée en gare. Cependant, le syndicat CGT des
conducteurs de train n’est pas étonné que le chauffeur ne se soit pas rendu compte de l’impact : « L’énergie cinétique d’un train est telle
qu’un choc peut passer inaperçu 10. » Un conducteur du syndicat raconte être entré en collision avec une camionnette et n’avoir que très peu
senti le choc. Il ajoute : « S’il n’y a pas de débris qui partent sur les côtés au moment du choc, on ne peut pas s’en apercevoir 11. »
À Petit-Croix, les gendarmes ont retrouvé les restes du vélo de la victime ainsi qu’une chaussure. La vitesse du train aurait été
d’environ 160 km/h. Selon les premiers éléments de l’enquête, le passage à niveau à demi-barrière fonctionnait correctement.

TGV, SNCF, Shoah, Collaboration et Résistance


En 2013, la filiale américaine de la SNCF Keolis America est candidate à un appel d’offre pour la création d’une ligne TGV de vingt-
cinq kilomètres dans le Maryland, soit un contrat de 6 milliards de dollars. Mais deux élus de cet État déposent un projet de loi pour
restreindre l’accès de la SNCF aux marchés publics, tant qu’elle n’aura pas versé d’indemnités pour son rôle dans la déportation des juifs.
La SNCF en finira-t-elle un jour avec son passé sous l’Occupation et son rôle dans la Shoah ? Ses wagons ont transporté 76 000 juifs
vers les camps nazis, entre 1942 et 1944. « La SNCF a été un rouage de la machine nazie d’extermination », a reconnu Guillaume Pépy, son
président, en 2011 12. Mais le mea culpa s’est arrêté là. Elle a toujours refusé, jusque-là, d’indemniser survivants et familles de déportés. Le
Conseil d’État, saisi en France par l’eurodéputé Alain Lipietz en 2007, a refusé de trancher. Ce qui aujourd’hui lui vaut des problèmes aux
États-Unis. Déjà en 2010, Guillaume Pépy avait dû s’excuser en Floride, où la SNCF espérait remporter un contrat, abandonné depuis, pour
relier Orlando à Tampa en TGV.
Mais qu’en est-il du rôle de la SNCF durant cette sombre période ? Sur ordre des Allemands et avec la collaboration du régime de
Vichy, des trains de la SNCF ont déporté 76 000 juifs et 88 000 résistants et politiques durant l’Occupation. Il convient également de
signaler que 3 161 employés de la SNCF ont été tués et 1 200 déportés en 1940-1944. Léon Brochart, résistant cheminot français, refuse de
conduire un train de prisonniers juifs. Déporté au camp de Dora, il reçoit plus tard le titre de Juste parmi les nations de la part du Mémorial
de Yad Vashem.

TGV et culture
En février 2014, la SNCF et la Fnac lancent des billets combinés de TGV et de spectacle. Cette nouvelle offre doit apporter un million
de nouveaux passagers à la SNCF. Selon le site SNCF de voyage en ligne, 65 % des Français renonceraient à se rendre à un événement
culturel ou artistique du fait de la complexité liée au transport et à l’éloignement. Désormais, il va être possible de combiner le plaisir du
train avec celui de la culture, lors de spectacles, de festivals, de grandes expositions et même d’événements sportifs partout en France.
Dans un premier temps, l’offre accessible sur le site de la SNCF se limite aux billets de train et d’événements sur le territoire national,
puis elle sera étendue aux autres destinations internationales accessibles en TGV, notamment eu Eurostar. « Nous allons aussi proposer des
nuits d’hôtel, annonce Yves Tyrode, P-DG du site voyages-sncf.com. Mais associer l’offre de voyage et celle de loisir représente un défi
technologique tel qu’il faudra attendre quelques mois avant de pouvoir y ajouter l’hébergement. Notre site de vente de voyages en ligne
mise également sur les touristes étrangers, friands d’offres groupées pour découvrir des régions de France, à l’occasion d’une manifestation
culturelle : festival, concert, exposition... Nous vendons 8 millions de voyages à des non-Français. En 2012, nous avons écoulé 68 millions
de billets de train et réalisé 3,8 milliards d’euros de transactions 13. »
Les enfants font le succès d’Ouigo, le TGV à bas coût
Un mois après son lancement en février 2013, Ouigo, le TGV à bas coût rose et bleu, desservant la ligne Sud-Est, devient le train des
enfants. Alors que sur un TGV classique on compte 7 % d’enfants de moins de douze ans, sur Ouigo, ils représentent 20 % des voyageurs.
Avec un tarif à cinq euros pour les petits et dix euros pour les adultes accompagnateurs, le succès est garanti si l’on se fie au nombre de
billets vendus : 300 000 !
Valérie Delhinger, directrice d’Ouigo à la SNCF, cite l’enquête de satisfaction effectuée auprès des clients à l’issue du premier
voyage : « Alors que 90 % des personnes interrogées assurent qu’elles le recommanderaient, une sur deux affirme que sans Ouigo elle
n’aurait pas pris le train. Et parmi ce dernier groupe, une personne sur deux n’aurait pas voyagé du tout 14. »
Le 4 février 2014, le groupe Ouigo, filiale à bas coût de la SNCF, annonce avoir atteint les 2 millions de billets vendus depuis son
lancement il y a un an.

Un conducteur de TGV témoigne


Marc Savin, conducteur de TGV sur la ligne Atlantique, m’apporte le témoigne suivant : « Conduire un TGV ne s’improvise pas. Il ne
s’agit pas de mettre les poignées de contrôles combinés à fond, ralentir de temps en temps pour ne pas finir dans le décor, et puis s’arrêter
en gare en freinant comme une brute. C’est tout un art. Au démarrage, il ne faut jamais accélérer à fond du premier coup. Il faut garder une
courbe d’augmentation de la vitesse la plus constante possible. Plus la vitesse est élevée, plus on peut accélérer.
« Pendant le trajet, il faut rester concentré au maximum : 10 secondes suffisent pour que tableau de bord affiche “déraillement”, car
vous avez oublié de contrôler votre vitesse à l’approche d’une courbe un peu trop raide. Pour cela, les TGV sont bien fournis : le système
d’affichage de survitesse est efficace et on peut réagir très vite. Bien entendu, l’expérience est un allié de poids. L’instinct est également de
mise, si on fait corps avec la machine, on y arrive mieux.
« Ce métier a un impact sur la vie des agents. Les rythmes de travail mettent à l’épreuve la santé. La vie des familles est perturbée.
Les vacances sont rarement obtenues en même temps que les enfants. De nombreux agents n’ont leur service définitif que quelques jours à
l’avance. Ils se plaignent de “ne pas voir leurs enfants grandir”, et le nombre de divorces dans la profession est important.
« L’aptitude à la fonction de conducteur est accompagnée d’une visite médicale régulière, avec vérification de la vue (acuité et
daltonisme), de l’ouïe, du cœur (électrocardiogramme) et du sang (détection de stupéfiants), parfois des poumons. En bref, le conducteur
doit être en bonne santé, pour pouvoir discerner correctement les indications qui lui sont destinées (signalisation, radio) et ne pas risquer de
malaise en ligne.
« Le salaire d’un conducteur SNCF se compose d’une partie fixe et d’une partie variable, pouvant atteindre parfois la moitié du total.
En fin de carrière, le salaire peut atteindre 3 400 euros par mois au maximum pour un conducteur de TGV, primes comprises. On débute
généralement avec un salaire de 1 500 euros net 15. »
L’Eurostar

L’idée de relier la France à la Grande-Bretagne par un tunnel est ancienne. En 1802, l’ingénieur des Mines Albert Mathieu-Favier
propose à Napoléon Bonaparte, alors Premier consul, la construction d’un tel ouvrage sous la Manche, accessible aux hommes, aux chevaux
et aux diligences, sorte de boyau pavé, éclairé par des quinquets, aéré par des cheminées s’élevant droit à l’air libre au-dessus du niveau de
la mer. La durée prévue de la traversée en diligence serait de 5 heures 30 minutes. Au milieu du détroit, entre Douvres et Calais, sur le banc
de Varne, Mathieu-Favier prévoit même un petit port international, doublé d’une auberge. Mais à nouveau, le canon tonne entre les deux
pays sur mer et en Europe. Le projet est abandonné.
En 1834, Thomé de Gamond, ingénieur hydrographe, suggère de bâtir un tunnel métallique. L’année suivante, il soumet le projet
d’une voûte sous-marine en béton, coulée au fond de la mer. En 1837, il propose un bac flottant, d’une jetée française à une jetée anglaise,
toutes deux fort longues. En 1840, il en est à suggérer un isthme artificiel, en immergeant, au fond du chenal, des blocs de béton. En 1846,
il préconise un pont mobile et, en 1852, un pont-viaduc, à partir de 400 tubes de fer, jetés sur des arches de granit. En 1855, il trace le
premier parcours d’un tunnel ferroviaire, entre le cap Gris-Nez et Abbots Cliff.
En 1875, la Société du Chemin de Fer sous-marin entre la France et l’Angleterre multiplie les explorations hydrographiques et
géologiques du Pas-de-Calais, afin de construire un tunnel sous la Manche. Ce projet est de nouveau proposé en 1931, tandis que d’autres
promoteurs préconisent la construction d’un pont. La Seconde Guerre mondiale met un terme à cette idée.
Cependant, l’Allemagne hitlérienne définitivement écrasée en 1945, de nombreuses personnalités politiques britanniques et
françaises, soudées par la lutte contre l’Axe, développent à nouveau le projet d’un tunnel, comme Winston Churchill, Vincent Auriol, Harold
Macmillan, Anthony Eden, René Pleven, Jean Monnet, Guy Mollet...

L’utopie devient réalité


Certes, on perd encore des années à se demander s’il faut bâtir un pont ou creuser un tunnel. Jules Moch (député socialiste, résistant
de la première heure et plusieurs fois ministre sous les Troisième et Quatrième Républiques) monte une société qui polémique contre le
tunnel et soutient vivement le pont. Par ailleurs, de nombreux Britanniques restent hostiles à toute idée de liaison entre les deux pays. Mais
finalement, en 1964, deux hommes jouent un rôle décisif dans la construction d’un tunnel. L’un est le Premier ministre britannique Edward
Heath, francophile et partisan de l’Europe. L’autre est le Premier ministre français du général de Gaulle, Georges Pompidou. Les deux
hommes se mettent d’accord sur les conditions de ce projet qui semble totalement utopiste à certains. On prévoit des galeries, dont une
faisant office de ventilation.
Le 8 juillet 1966, Georges Pompidou et le nouveau Premier ministre britannique, le travailliste Harold Wilson, venant de succéder à
Heath, décident officiellement la construction de l’ouvrage.
Finalement, après bien des projets enterrés, Margaret Thatcher et François Mitterrand font inscrire, en septembre 1981, le tunnel à
l’ordre du jour. De part et d’autre du Channel, on travaille à nouveau sur le dossier. Lors d’un sommet franco-britannique en 1984, la
décision définitive est prise entre les deux pays. Le 12 février 1986, la signature du traité de Canterbury officialise enfin sa construction.
« Pleine confiance est faite, écrit Arthur Conte, pour la réalisation, à la société France-Manche-Channel Tunnel Group que
soutiennent les plus grosses banques et les plus solides entreprises de génie civil, le Crédit Lyonnais, la BNP, Indosuez, Bouygues, Dumez,
Spie-Batignolles, Midland and National Westminster. C’est du solide : trente-deux banques misent sur la réussite, et les entreprises associées
ont déjà percé près de dix-huit cents kilomètres de tunnel, deux fois la distance Paris-Nice ! On se montre les grands vainqueurs. Côté
britannique, il s’agit surtout de sir Nicholas Henderson, une gueule à la Charles Laughton ; le diplomate le plus prestigieux du Royaume-
Uni ; grand francophile, ancien ambassadeur à Paris, coopté président du Channel Tunnel Group (…). Côté français, on parle de l’impétueux
constructeur français Francis Bouygues, que les Anglais surnomment le Bulldozer, et de Jean-Paul Parayre, président de France-Manche,
ancien conseiller du Premier ministre Jacques Chirac, “X-Ponts”, longtemps patron du groupe Peugeot, devenu directeur général de Dumez,
l’un des pères de la 205, tranquille technicien de première valeur 1. »
C’est une réussite technique : un tunnel long de cinquante kilomètres cinq cents, percé dans la craie bleue qui forme le lit de la
Manche, ouvre la voie des circulations ferroviaires entre Paris et Londres. L’inauguration officielle a lieu le 6 mai 1994, en présence de la
reine d’Angleterre et du président de la République française. Le moment fort de cette manifestation est la rencontre à Coquelles des deux
rames, l’une partie de Londres et l’autre de Lille. L’ouvrier français Philippe Cozette serre cordialement la main de son collègue britannique,
Graham Fagg. Personne ne sait quoi dire. « Vive la France ! » hurle Fagg, tandis que Cozette lui offre un drapeau tricolore. On échange des
cadeaux. On apporte le champagne. Le Français Robert Lion, qui représente l’Eurotunnel, offre à Alistair Morton, son homologue anglais,
une grenouille accompagnée d’un petit mot humoristique : « C’est ta faute, Alistair : les grenouilles arrivent ! »
Un documentaire filmé nous fait revivre l’épopée des ouvriers français et britanniques : on découvre l’exiguïté du chantier,
l’enchevêtrement des câbles, des tuyaux et des rails, l’équipe choc française, les quatre cents ouvriers qui se sont relayés 24 heures sur 24
pour creuser la galerie du côté français. On ne peut oublier que l’Eurotunnel a ses ouvriers martyrs : deux Français et six Britanniques. Les
ouvriers ferroviaires ont travaillé dans le sillage des ouvriers chargés de creuser, sous la pleine autorité de la SNCF, en posant les rails et en
préparant les installations nécessaires au train.

Un matériel hautement performant


Pour assurer l’exploitation des trains Transmanche à destination de la Grande-Bretagne, on décide de mettre en place un matériel à
grande vitesse, adaptable aux chemins de fer britanniques, souvent plus étroits. Baptisées Eurostar, les rames sont exploitées par la SNCF, la
SNCB (Belgique) et la société London and Continental Railways. Le total de la participation de la SNCF est de 69 %.
L’Eurostar, reliant Paris et Bruxelles au sud de l’Angleterre (Kent) et à Londres, via Lille et Calais, emprunte le tunnel sous la Manche
depuis 1994. Des trains directs relient également Londres à Marne-la-Vallée (Disneyland-Paris), à Avignon en été, Bourg-Saint-Maurice, La
Plagne et Moûtiers en hiver. Les lignes à grande vitesse permettent de relier la gare de Saint-Pancras de Londres à la gare de Lille en 1 heure
20 minutes, à la gare de Bruxelles en 1 heure 51 minutes et à la gare de Paris-Nord en 2 heures 15 minutes.
Les Eurostar circulent en France à la vitesse maximale de 300 km/h et traversent la Manche, en empruntant le tunnel, à 160 km/h.
La traversée s’effectue en 20 minutes, contre 33 minutes par les navettes Eurotunnel. Par contre, sur la partie anglaise, la vitesse tombe à
200 km/h.
Les trains utilisés par le service Eurostar sont des TGV TMST 3C. Sur les trente-huit rames initialement construites, vingt-sept sont
utilisées par les liaisons Paris-Bruxelles-Londres, les autres sont exploitées par la SNCF pour des relations entre Paris et le reste de la France.

Un service à bord de qualité et la hausse du trafic


Trois classes sont proposées à bord. Les rames sont équipées de deux voitures-pubs-buffets-bars, encadrant les voitures de première
classe situées au milieu du train. En première classe (standard premier) et en première de luxe (business premier) un service complet de
restauration est inclus dans le billet. Petit déjeuner, déjeuner et dîner sont fixés dans le prix. En seconde classe (standard), aucun repas n’est
inclus dans le billet, cependant la voiture-pub propose une restauration rapide.
Entre novembre 1994 et août 2009, l’Eurostar a transporté cent millions de voyageurs, 9,5 millions en 2010 et 9,7 millions en 2011.

Symbole de la paix en Europe


Avec la construction de l’Eurostar et du tunnel sous la Manche, la Grande-Bretagne n’est plus une île. Des siècles de guerre entre la
France et l’Angleterre sont définitivement enterrés grâce au progrès technique et à la constitution d’une Europe pacifique, enfin libérée des
démons du nationalisme, sans, pour cela, renier le patriotisme des pays dans un humanisme universel. Ainsi, avec l’Eurostar, Français et
Britanniques ont parié sur un long avenir de fraternité européenne.

Le scandale de l’Eurotunnel
Le groupe Eurotunnel est une société privée franco-britannique, concessionnaire jusqu’en 2086 de l’infrastructure du tunnel sous la
Manche. Acteur incontournable du transport transmanche depuis 1994, il fait partie des leaders européens du ferroutage. Son histoire est
marquée par une succession de restructurations financières. Aujourd’hui, ce sont plus de 284 millions de passagers et plus de 57 millions de
véhicules qui ont emprunté le tunnel depuis son ouverture.
Cette belle façade ne peut faire oublier que l’Eurotunnel, reliant la France à la Grande-Bretagne, aussi bien au niveau ferroviaire que
routier, frôle depuis l’été 2006 le dépôt de bilan, avec neuf milliards de dettes. La conséquence est la ruine de ses quelque 800 000 petits
actionnaires. De quoi donner des sueurs froides aux hommes politiques actuels, qui n’ont de cesse d’éviter que cette bombe à retardement
leur explose à la figure.
Promoteurs du projet en 1986, les États français et britanniques portent une lourde responsabilité dans ce fiasco. Pas seulement parce
que François Mitterrand et Margaret Thatcher ont refusé de mettre la moindre somme d’argent public dans cette aventure, dont les
banquiers savaient qu’elle ne serait jamais rentable. Mais parce que tous, de droite comme de gauche, ont incité les petits porteurs à vider
leurs bas de laine dans le tunnel, quatre milliards d’euros, en assurant que leur « acte de foi » leur apporterait la richesse. Un mensonge
nécessaire pour mener à bien ce « projet du siècle » attendu depuis cent ans.
Dans un livre récent, Marc Fressoz raconte la chronique d’un scandale financier, ainsi que les affres endurées par les petits
épargnants bernés. Il dévoile les batailles internes rocambolesques entre dirigeants français et britanniques 2...
La plus grande victoire de Thatcher est d’avoir imposé à un Président français socialiste un financement à 100 % privé. Un choix
irrévocable qui, pour la « Dame de fer », doit démontrer la supériorité du libéralisme. Ce diktat, relayé par le ministre des Transports
ultralibéral, Tony Ridley, ne semble pas avoir posé de problèmes de conscience à Mitterrand et aux différents gouvernements socialistes.
« Thatcher n’a rien voulu savoir, alors que nous demandions une contribution publique », indique Pierre Mauroy 3.
L’activisme du réseau bancaire, pour placer des titres à tour de bras auprès de sa clientèle, est inversement proportionnel à la
confiance qu’il met dans l’entreprise. Sur la place de Paris, peu d’acteurs misent sur Eurotunnel. « Nous n’y avons pas cru. Je me souviens
d’un conseil d’administration où nous avons débattu d’Eurotunnel. Nos prévisions, sans appel, démontraient que le coût de construction
n’était pas réaliste », glisse un responsable de la Banque européenne d’investissement (BEI), aujourd’hui en poste à Paris 4.
Plusieurs raisons expliquent cette situation chaotique. Tout d’abord, la forte augmentation des coûts du matériel roulant :
initialement estimés à environ 7,5 milliards d’euros, ils se sont montés finalement à 12,5 milliards d’euros. Le montant des intérêts
d’emprunts correspondant pesait fortement sur la rentabilité du tunnel et ne permettait plus alors de rembourser la dette. D’autre part, les
estimations trop optimistes du trafic ont entraîné des recettes moins importantes. Ainsi, une publicité d’Eurotunnel, datée du 6 novembre
1987, annonçait 30 millions de voyageurs et 15 millions de tonnes de fret annuels. Or, en 2003, le trafic fut seulement de 6,8 millions de
voyageurs et 1,5 tonne de fret.
Malgré les travaux engagés par son nouveau président Jacques Gounon, Eurotunnel ne peut éviter, le 2 août 2006, le placement sous
procédure de sauvegarde par le tribunal de commerce de Paris. Cette décision prise pour six mois (reconductible deux fois) permet à
Eurotunnel de geler ses créances et de suspendre le remboursement de sa dette de 9 milliards d’euros. L’activité de l’entreprise peut donc se
poursuivre.
Depuis juillet 2007, grâce à la création d’un plan de sauvegarde, l’entreprise a échappé à la faillite définitive. Elle a divisé sa dette
par deux. Désormais, la situation économique et financière du tunnel semble plus saine, le trafic sous la Manche est en progression et les
excédents d’exploitation couvrent les charges financières.

La galère de six cent cinquante passagers de l’Eurostar


Près de 9 heures de trajet, au lieu des 2 heures 15 minutes prévues... Quelque six cent cinquante passagers d’un Eurostar, parti de
Londres vers 20 heures (21 heures à Paris), sont bloqués plusieurs heures dans la nuit du vendredi 18 au samedi 19 avril 2008, près
d’Hattencourt, dans la Somme, avant d’être finalement évacués. En raison de problèmes techniques indéterminés, le convoi tombe en panne
en pleine campagne. Un second train part à vide de Paris à la rescousse des voyageurs à 3 h 03 et arrive sur place à 4 h 30. Le transfert des
passagers s’effectue aux alentours de 6 heures et la rame repart avant 7 heures pour la gare du Nord à Paris.
Neel Mersh, un photographe londonien, qui se trouve à bord du train bloqué, déclare que les passagers ont reçu très peu
d’informations du personnel de la SNCF : « Il y a eu vraiment un minimum d’annonces, et principalement en français. Certains passagers ont
été pris de panique 5. »
« C’est une catastrophe technique pour nous. Les voyageurs ont vécu une véritable galère », déplore de son côté Mireille Faugère,
directrice de Voyage France-Europe de la SNCF 6.

L’Eurostar coûte-t-il trop cher ?


Voyager en Eurostar est-il un luxe ? C’est en tout cas ce que pense la Commission européenne qui a réclamé à la France et à la
Grande-Bretagne, en juin 2013, de baisser les tarifs imposés aux trains pour rentrer dans le tunnel sous la Manche. Pour les transporteurs de
fret et les particuliers, les prix de traversée restent encore trop élevés. Un billet Paris-Londres coûte entre 183 et 245 euros, alors qu’Air
France propose un premier prix moins cher à 157 euros.
« Chaque année, écrit Hélène Hauss, dix millions de passagers empruntent le tunnel sous la Manche. Vingt ans après la fin de sa
construction, en 1993, 43 % des capacités du tunnel restent inexploitées. Les tarifs imposés aux opérateurs de fret et à leurs clients sont
excessifs, et les passagers doivent payer le prix fort pour leurs billets. Alors que le tunnel a été ouvert à la concurrence, il y a plus de trois
ans, le 1er janvier 2010, les droits d’entrée freinent encore les sociétés de fret à utiliser ce moyen de transport 7. »
Chronologie des grandes dates du train

1804
Le 21 février 1804, la locomotive de l’ingénieur britannique Richard Trevithick est capable de tracter des charges importantes, comme cinq
tombereaux destinés au minerai de fer, ainsi que soixante-dix voyageurs, à la vitesse moyenne de 8 km/h.

1827-1829
Le Français Marc Seguin est l’inventeur de la première locomotive à vapeur, utilisant une chaudière tubulaire, permettant de multiplier par
six la puissance développée des machines. Cette invention, déposée le 12 décembre 1827, est d’abord appliquée à des bateaux naviguant sur
le Rhône, tandis que la locomotive accomplit ses premiers tours de roue le 1er octobre 1829, quelques jours avant la Rocket du Britannique
George Stephenson. La locomotive Rocket de George Stephenson établit un premier record de vitesse à 56 km/h, sur la future ligne
ferroviaire reliant Londres à Liverpool.

1837
Le 24 août 1837, la reine de France Marie-Amélie assiste à l’inauguration de la première ligne ferroviaire construite au départ de Paris,
uniquement destinée au transport des voyageurs, afin de rejoindre Le Pecq, puis Saint-Germain-en-Laye.

1848
Le 5 janvier 1848, le directeur général des Postes annonce que des mesures ont été prises pour que la Malle des Indes, venant de Londres les
7 et 24 de chaque mois, soit dirigée sur Boulogne et placée dans des convois ferroviaires, équipés de wagons-poste jusqu’à Paris. Cette
mission repose sur des locomotives à vapeur Crampton, capables d’atteindre la vitesse incroyable pour l’époque de 144 km/h.

1857
Le roi de Piémont-Sardaigne Victor-Emmanuel II ordonne, le 31 août 1857, le début des travaux d’un tunnel ferroviaire traversant les Alpes,
par le col du Mont-Cenis.

1865
Napoléon III décide en 1865, en collaboration avec les ingénieurs britanniques Thomas Brassey et John Barraclough Fell, la construction
d’une ligne de chemin de fer entre Saint-Michel-de-Maurienne et Suse, qui passera par le col du Mont-Cenis, avec une locomotive Fell.

1883
Le jeudi 4 octobre 1883, en début de soirée, règne une animation particulière dans la gare de Strasbourg de Paris, nommée gare de l’Est par
la suite : le célèbre train Orient-Express débute son premier voyage officiel.

1900
Le 19 juillet 1900, par un soleil éclatant et sous une chaleur accablante, 38° à l’ombre, débute la première inauguration du métropolitain
parisien, station Maillot.

1905
En 1905, le Transsibérien circule régulièrement sur toute la longueur de la ligne de Moscou à Vladivostok.

1922
Le samedi 9 décembre 1922, le premier Train Bleu arrive en gare de Calais pour Paris, puis Nice, voyage inaugural retentissant.

1931
Le premier prototype de la Micheline, autorail français, est présenté aux compagnies ferroviaires en 1931.

1950
Le 14 mai 1950, le Mistral s’élance pour la première fois. Inaugurant des voitures climatisées à couloir central, et non plus à compartiments,
il connaît aussitôt un immense succès commercial. L’introduction de la traction électrique entraîne une réduction considérable du temps de
parcours. Partant de Paris, passant par Lyon et Marseille, pour arriver à Nice, il accomplit ce voyage de mille quatre cent vingt-huit
kilomètres en seulement 9 heures, avec une vitesse maximale de 160 km/h.

1967
Le 13 juin 1967, le turbotrain roule jusqu’à 228 km/h sur la section Les Aubrais-Vierzon. Le 20 juin, il bat le record mondial de vitesse pour
un engin thermique, avec une pointe de 236 km/h.

1981
Le service TGV ouvre au public, entre Paris et Lyon, le 27 septembre 1981. La France entre désormais dans l’histoire ferroviaire électrique à
grande vitesse. Le temps de parcours se trouve considérablement réduit, ce qui permet d’acquérir de nouvelles parts de marché au détriment
de l’automobile et surtout de l’aviation. En effet, le TGV atteint une vitesse moyenne de 200 km/h, avec une pointe maximale de 320 km/h.

1986
Le 12 février 1986, la signature du traité de Canterbury, entre la France et la Grande-Bretagne, officialise enfin la construction du tunnel
ferroviaire sous la Manche.

1994
L’inauguration officielle du tunnel sous la Manche se déroule le 6 mai 1994, en présence des plus hautes autorités politiques françaises et
britanniques, dont la reine d’Angleterre et le président de la République française. Les Eurostar circulent en France à la vitesse maximale de
300 km/h et traversent la Manche, en empruntant le tunnel, à la vitesse de 160 km/h. La traversée s’effectue en 20 minutes, contre 33
minutes par les navettes Eurotunnel. Les trains utilisés par le service Eurostar sont des TGV TMST 3C.

2007
Le 3 avril 2007, le TGV bat son propre record mondial sur la rame d’essais 4402 à la vitesse de 575 km/h.
Sources principales

Archives nationales, Paris.


Archives du Figaro, Paris.
Archives de la SNCF, Paris.
Archives du Journal du Net, Paris.
Archives de La Tribune, Paris.
Archives du Musée du Train, Mulhouse.
Archives de la RATP, Paris.

CARACALLA Jean-Paul, Les Fabuleuses Histoires des trains mythiques, Vladimir Fédorovski présente, Éditions du Rocher 2007.
CARS Jean des, Sleeping Story. La fabuleuse épopée des Wagons-Lits. Cent ans de voyages et d’aventures. Avec la collaboration de Roger
Commault, Éditions Julliard 1976.
CARS Jean des, Dictionnaire amoureux des trains, Éditions Plon 2006.
CONTE Arthur, L’Épopée des chemins de fer français, Éditions Plon 1996.
FRESSOZ Marc, Le Scandale Eurotunnel, Éditions Flammarion 2006.
LAMMING Clive, COMBE Jean-Marc, PAPAZIAN André et PORÉ Jacques, Au Cœur des trains du monde, Éditions Hachette 2006.
LAMMING Clive, Larousse des trains et des chemins de fer, Éditions Larousse 2008.
LAMMING Clive, Le livre d’or des trains, Éditions EDL 2004.
PAPAZIAN André, Les trains célèbres, Éditions ETAI 2002.
PAPAZIAN André, 100 Trains de légende, Éditions Solar 2003.

Pour ceux qui voudraient en savoir plus, l’éditeur rappelle l’existence de :


Cité du Train
Musée français du Chemin de Fer
2, rue Alfred de Glehn
68200 Mulhouse
Tél. : 03 89 42 83 33
www.citedutrain.com
Elle met en scène les plus éblouissants chefs-d’œuvre de l’histoire du rail.
CAHIER PHOTOS
TABLE

Du même auteur

Introduction

La ligne de Paris-Saint-Germain-en-Laye

La Malle des Indes

Le train par le col du Mont-Cenis

L’Orient-Express

Le métropolitain

Le Transsibérien

La Micheline

Le Train Bleu

Le Mistral

Le turbotrain

Le TGV

L’Eurostar

Chronologie des grandes dates du train

Sources principales

Cahier photos
Notes

1. Archives de la SNCF, Paris.

2. Archives de la SNCF, Paris.

3. Archives de la SNCF, Paris.

4. Id.

5. Clive Lamming, Larousse des trains et des chemins de fer, Éditions Larousse, 2008.
Notes

1. Archives nationales, Paris.

2. Archives nationales, Paris.

3. Archives nationales, Paris.


Notes

1. Archives nationales, Paris.


Notes

1. Archives nationales, Paris.

2. Archives nationales, Paris.

3. Archives nationales, Paris.

4. Id.

5. Jean-Paul Caracalla, Les Fabuleuses Histoires des trains mythiques, Vladimir Fédorovski présente, Éditions du Rocher, 2007.

6. Archives du Figaro, Paris.

7. Archives nationales, Paris.

8. Jean des Cars, Sleeping Story, la fabuleuse épopée des Wagons-Lits, cent ans de voyages et d’aventures, avec la collaboration de Roger
Commault, Éditions Julliard, 1976.

9. Archives nationales, Paris.

10. Archives nationales, Paris.

11. Archives nationales, Paris.

12. Archives nationales, Paris.

13. Id.

14. Id.

15. Archives nationales, Paris.

16. Id.

17. Archives nationales, Paris.

18. Id.

19. Archives nationales, Paris.

20. Id.

21. Id.

22. Jean des Cars, op.cit.

23. Archives nationales, Paris.

24. Archives nationales, Paris.

25. Archives nationales, Paris.

26. Id.

27. Id.

28. Récit du professeur Walter Schams, spécialiste des faits divers et de l’Orient-Express. Il raconte d’authentiques histoires criminelles, dont
celle-ci, à l’auteur. Consultation des Archives nationales, Paris, également.

29. Récit du professeur Walter Schams à l’auteur, ainsi que la consultation des Archives nationales, Paris.
30. Archives militaires françaises, Vincennes.

31. Archives militaires françaises, Vincennes.

32. Archives militaires françaises, Vincennes.

33. Archives militaires françaises, Vincennes.

34. Id.

35. Archives du Figaro, Paris.

36. Jean des Cars, op.cit.

37. Archives nationales, Paris.


Notes

1. Archives nationales, Paris.

2. Archives nationales, Paris.

3. Archives nationales, Paris.

4. Id.

5. Archives nationales, Paris.

6. Id.

7. Arthur Conte, L’Épopée des chemins de fer français, Éditions Plon, 1996.

8. Archives nationales, Paris.

9. Archives nationales, Paris.

10. Archives du Figaro, Paris.

11. Archives du Figaro, Paris.

12. Entretiens de l’auteur avec Jacques Chaban-Delmas en juillet 1998, à Ascain.

13. Entretiens de l’auteur avec Yves La Prairie, en juillet 1994, à Cestas.


Notes

1. Archives nationales, Paris.

2. Archives nationales, Paris.

3. Id.

4. Id.

5. Archives nationales, Paris.


Notes

1. Archives nationales, Paris.


Notes

1. Jean-Paul Caracalla, Les Fabuleuses Histoires des trains mythiques, Vladimir Fédorovski présente, Éditions du Rocher 2007.

2. Archives de la Fondation du Vittoriale, Gardonne-Riviera.

3. Id.

4. Archives de la Fondation du Vittoriale, Gardonne-Riviera.

5. Id.

6. Archives de la Fondation du Vittoriale, Gardonne-Riviera.

7. André Papazian, Les Trains célèbres, Éditions ETAI 2002.

8. Jean-Paul Caracalla, op.cit.

9. Archives de la SNCF, Paris.

10. Archives du Musée Charles Trenet, Narbonne.

11. Archives de la SNCF, Paris.

12. Cité par Jean des Cars, Dictionnaire amoureux des trains, Éditions Plon 2006.
Notes

1. Archives de la SNCF, Paris.

2. Archives du Figaro, Paris.


Notes

1. Archives de la SNCF, Paris.

2. Archives de France-Soir, Paris.

3. Archives de la SNCF, Paris.

4. Jean des Cars, Dictionnaire amoureux des trains, Éditions Plon, 2006.

5. Archives de la SNCF, Paris.

6. Archives de la SNCF, Paris.

7. Archives de la SNCF, Paris.

8. Id.

9. Archives de la SNCF, Paris.

10. Archives de la SNCF, Paris.

11. Id.

12. Archives de la SNCF, Paris.

13. Entretiens avec Yves Tyrode, le 8 février 2014.

14. Archives du Figaro, Paris.

15. Entretiens de l’auteur avec Marc Savin, le 31 mars 2014.


Notes

1. Arthur Conte, L’Épopée des chemins de fer français, Éditions Plon, 1996.

2. Marc Fressoz, Le Scandale Eurotunnel, Éditions Flammarion, 2006.

3. Archives du Journal du Net, Paris.

4. Archives du Journal du Net, Paris.

5. Archives du Figaro, Paris.

6. Id.

7. Archives de La Tribune, Paris.

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