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LE SENS CHRÉTIEN DE LA MORT

(Abbé Gaston Courtois).

AVANT - PROPOS

IL n'est pas de jour où nous n'entendions parler de la mort. Il suffit d'ouvrir les journaux pour y
voir toujours quelque notice nécrologique, pour y lire des récits d'accidents, d'assassinats, de guerres
ou d'épidémies. Et cependant - c'est un fait paradoxal - autant nous croyons facilement à la mort des
autres, autant il nous faut faire un sérieux effort pour croire à notre mort à nous. Ceci est très humain,
les moralistes de tous les temps l'ont noté.
On connaît la célèbre pensée de Bossuet :
« Les mortels n'ont pas moins de soins d'ensevelir les pensées de la mort que d'enterrer les morts
eux-mêmes »,
et celles de Pascal :
« Nous courons tous sans souci dans le précipice, après que nous avons mis quelque chose devant
nous pour nous empêcher de le voir...

Les hommes n'ayant pu guérir la mort se sont avisés, pour se rendre heureux, de ne point y
penser. »1
Xavier de Maistre, dans son « Expédition nocturne autour de sa chambre » 2, nous livre, prises sur
le vif, ses réactions instinctives qui sont bien celles de chacun d'entre nous, si nous voulons être
sincères avec nous-mêmes :
« Comment ! je vais mourir ? moi qui parle, moi qui me sens, moi qui me touche ? je pourrais
mourir ? J'ai quelque peine à le croire, car enfin, que les autres meurent, rien n'est plus naturel, on voit
cela tous les jours, on s'y habitue. Mais mourir soi-même ! mourir en personne ! c'est un peu fort ! »
A ces réactions instinctives s'ajoute l'influence de l'esprit public et de la légèreté universelle en face
du problème crucial de l'au-delà.
Dans ses Méditations, le Père Gratry insiste sur cette idée :
« Nos mœurs païennes nous rendent timides en présence de la mort. Dès notre enfance, on nous
apprend à la craindre, à la fuir à tout prix ; on nous en fait un épouvantable mystère dont il ne faut
jamais parler. Et, certes, il est amer et difficile de mourir lorsque personne ne nous l'enseigne, lorsqu'on
nous laisse mourir seuls, lorsqu'on nous trompe jusqu'au dernier instant pour empêcher celui qui meurt
de savoir ce qu'il fait. » 3
En tout cas le fait est là et nous ne pouvons que constater l'exactitude de l'affirmation du Père
Chevrier :
« Nous pensons si peu à la mort que nous ne pouvons sans peine nous persuader que nous mourrons
un jour, ou, si nous le croyons, nous le voyons dans un avenir si vague que nous n'en faisons nul cas ! »
Et pourtant, le Maître nous a avertis sans ambages :
1
Pascal. Édition Brunschvicg II-168
2
Chapitre 37.
3
Méditations inédites, puliées par Adolphe Perraud en 1874.
1
« je viendrai à vous comme un voleur, soyez prêts ! » 4

Pendant quelques instants, faire un acte de foi en ma mort.


Je ne sais ni quand,
ni où,
ni comment je mourrai.
Mais je mourrai sûrement.
Et cela peut-être bientôt...
Ce n'est pas de l'imagination, c'est du réalisme le plus authentique.
Me rappeler un certain nombre de morts auxquelles j'ai assisté, et me redire au sujet de chacune :
cela m'arrivera aussi... mon tour viendra...
« Si vous avez vu quelquefois un homme mourant, songez que vous passerez par le même
chemin. » 5
N'est-il point nécessaire qu'un chrétien digne de ce nom ait de la mort une idée assez exacte, non
seulement pour ne pas en avoir peur, mais pour l'intégrer dans une conception synthétique de la vie.

4
Veniam ad te tanquam fur (Apocalypse, III-3).
5
Si vidisti aliquando hominem mori, cogita quia et tu per eamdem viam transibis (Imitation, Livre I, XXIII-2)
2
A toute minute vivre aujourd’hui comme devant mourir ce soir martyr.
CHARLES DE FOUCAULD.

Méditation
3
I. En quoi consiste le sens chrétien de la mort ?

a) LA MORT EST UNE NOUVELLE NAISSANCE, LA NAISSANCE A LA VIE QUI NE FINIRA JAMAIS
b) LA MORT FIXE L’ÊTRE HUMAIN DANS SON ORIENTATION DÉFINITIVE.
c) LA MORT, UNIE A CELLE DE JÉSUS, NOUS ASSOCIE AUX SPLENDEURS DE LA RÉDEMPTION

a) La mort est une nouvelle naissance.

C'était l'expression des premiers chrétiens, dies natalis 6, qui correspondait à leur foi
profonde.
« Nous naissons pour mourir, mais nous mourons pour vivre », a écrit un jeune poète mort au
début du siècle 7.
Gounod disait lui aussi : « Mourir c'est sortir de l'existence, pour entrer dans la vie. » C'est
bien le même sentiment qu'exprimait Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus quand elle s'écriait :
« Je ne meurs pas, J'entre dans la vie ! »
Et dans La connaissance de l'âme, le Père Gratry a écrit :
« La mort, c'est le grand jour qui fait passer de la terre au ciel, c'est-à-dire de l'état de vie mobile,
opaque, informe, à l'état nouveau qu'on attend. Oui, la mort est le procédé principal de la vie, son
procédé de transcendance. Elle est l'opération qui, si elle n'est pas misérablement faite à
contresens, transporte en Dieu et réalise cette étonnante parole : sortir de soi pour entrer dans
l'infini de Dieu. »

« Vita mutatur, non tollitur », 8 chante le prêtre à la Préface de la messe pour les défunts. En
sommes-nous assez persuadés ? Et que représente pour nous cette mutation : un gain ou une
perte ? un épanouissement ou une diminution ?
Évidemment, nous avons du mal à nous imaginer ce que sera notre mode de vie et c'est sans
doute pour cela que notre désir de l'au-delà est assez mitigé, mais raison de plus pour activer
notre regard de foi et pour exploiter ce que nous savons de science certaine par la sainte
Écriture. Arrêtons-nous quelques instants à méditer sur ces textes :
Du psaume 117 :
« Je ne mourrai point, mais je vivrai et je raconterai les œuvres du Seigneur (17). » 9
De la première épître aux Corinthiens :
« Nous voyons maintenant à travers un miroir, en énigme ; mais alors nous verrons face à
face (XIII-12). » 10
« L'œil de l'homme n'a point vu, l'oreille de l'homme n'a point entendu, le cœur de
l'homme n'a point éprouvé ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment (II-9), » 11
De la première épître de saint Jean :
« Ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que, lorsque ce sera
manifesté, nous serons semblables à Lui, parce que nous Le verrons tel qu'Il est (III-2). » 12
6
Jour de naissance
7
Benoît Quinet, mort à Mons en Belgique.
8
La vie ne leur a pas été enlevée, mais changée.
9
Non moriar, sed vivam, et narrabo opera Domini.
10
Videmus nunc per speculum in œnigmate ; tunc autem facie ad faciem.
11
Oculus non vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis ascendit, quæ prœparavit Deus iis qui diligunt illum.
12
Nondum apparuit quid erimus. Scimus quoniam cum apparuerit, similes te erimus, quoniam videbimus eum sicudi est.
4
Enfin, du psaume 35 :
« Ils seront enivrés de l'abondance de votre maison, et Vous les ferez boire au torrent de
vos délices (9). Car en Vous est la source de la vie, et dans votre lumière nous verrons la
lumière (10). » 13
Ce qui est certain, en effet, c'est que la mort nous fait naître à la vraie vie, celle qui ne finira
jamais, qui ne connaîtra ni larmes ni gémissements, ni craintes, ni ombres, ni malentendus, la
vraie vie pour laquelle nous sommes faits, pour laquelle Dieu nous a conçus de toute éternité,
pour laquelle nous avons été spirituellement « organisés » par Lui 14.
Beaucoup de ces organes, comme ceux de l'enfant dans le sein de sa mère, ne seront mis en
œuvre qu'après notre naissance à la vie définitive ; mais, même si nous n'en avons pas
conscience (pas plus que l'embryon pour les organes naturels avant de naître), nous les
possédons au moins en germe et, avec l'aide de Dieu, nous avons « pouvoir », pendant cette
période pré-natale qu'est notre phase terrestre, d'en accroître la finesse et la puissance, pour
l'heure où ils pourront servir en plein épanouissement.
Ce qui est certain aussi, c'est que nous pourrons connaître Dieu comme Il se connaît, L'aimer
comme Il s'aime, jouir de Lui comme Il jouit de Lui-même. Ou mieux encore, c'est Lui qui nous
entraînera dans sa connaissance, dans son amour, dans sa joie. Les mots humains ne sont que des
balbutiements à côté des grandes réalités que nous aurons à vivre. Quand les mystiques en ont
connu un pâle reflet ils en sont tombés hors d'eux-mêmes. « Joie... joie... pleurs de joie ! » 15
Cet intra in gaudium Domini sui 16 sera une vie exaltante, éblouissante, dans un jaillissement de
bonheur dont rien sur terre ne peut donner idée. Il vaut mieux adorer et se taire... mais l'on
comprend qu'un saint Paul, celui qui portait pourtant au maximum en son cœur la hantise des
âmes à sauver, ait pu, après avoir eu communication des secrets divins, jeter ce cri : « Mihi...
mori lucrum ». 17
Ce qui est certain enfin - et cela est peut-être plus sensible parce que plus parlant à notre
imagination - c'est que nous pourrons contempler la sainte Vierge, la Toute Belle, le chef-
d'œuvre de Dieu, celle dont Bernadette disait : «Quand on l'a vue une fois, on voudrait mourir
pour la revoir encore, pour la revoir toujours. » Et nous reconnaîtrons aussi tous ceux que nous
aurons connus sur la terre, pour lesquels nous aurons travaillé et souffert, et nous verrons la
splendeur du plan d'amour de Dieu sur chacun, ainsi que l'admirable réseau des connexions
cachées de la Communion des Saints. Nous comprendrons... nous admirerons... nous
jubilerons... dans une action de grâces sans fin 18.
Écoutons Lucie-Christine :
« Dès la mort, il se fait dans l'âme juste une irradiation de la vérité telle que, même dans le purgatoire, elle
comprendra Dieu et elle même à un degré où elle n'avait pas encore compris, le dégagement du corps
donnant un libre et soudain essor à toutes ses facultés... Cet état n'est pas incompatible avec la souffrance,
puisque la vue de la vérité, de la sainteté de Dieu et de la misère de l'homme la porte elle-même à
l'expiation. Mais c'est déjà un état admirable, c'est un réveil; non vraiment la mort n'est pas la mort :
mourir c'est naître. » 19

b) La mort fixe l'être humain dans son orientation définitive.


13
Inebriabuntur ab ubertate domus tuæ, et torrente voluptatis tuæ potabis eos. Quoniam apud te est fons vitæ, et in lumine tuo
videbimus lumen.
14
Absterget Deus omnem lacrymam ab oculis eorum et mors ultra non erit, neque luctus, neque clamor, neque dolor erit ultra, quia
prima abierunt. (Apocalypse, XXI-4).
15
Pascal.
16
Entre dans la joie de ton Maître (St Matthieu, XXV-21).
17
Pour moi... la mort m’est un gain (Épître aux Philippiens, I-21).
18
Cf. le cri du dessinateur Daumel mourant : Je vais voir de belles choses ! (Allocution de René Bazin aux catholiques des Beaux-
Arts. Pages religieuses, p. 212).
19
Journal, p. 253.
5
Tant que nous sommes sur terre, nous sommes instables, soumis aux variations avec des hauts
et des bas ; nous savons bien que nous ne sommes pas confirmés en grâce et notre
présomption serait rapidement contredite par les faits. « Qui se existimat stare, videat ne
cadat » 20.
Il reste toujours à l'âme chrétienne, dans le tréfonds d'elle-même, la crainte d'être un jour
infidèle. Qui de nous n'a été amené à reprendre à son compte les plaintes de Saint Paul, dans
son épître aux Romains :
« Car je ne sais pas ce que je fais ; le bien que je veux, je ne le fais pas ; mais le
mal que je hais, je le fais (VII-i5)... Mais je vois dans mes membres une autre loi, qui
lutte contre la loi de pion esprit, et qui me rend captif sous la loi du péché qui est dans
mes membres (VII-23). » 21

Et qui de nous, un jour de tentation lancinante, n'a partagé l'émotion presque dramatique de
l'apôtre : « Malheureux homme que je suis ! Oui me délivrera de ce corps de mort ? 22»
La mort nous fixe sans reprise et sans retour dans l'éternelle fidélité.
La mort également nous fixe pour toujours dans le degré de gloire correspondant à notre degré
de grâce. C'est pourquoi, d'une part, comme l'affirmait Lacordaire, « la mort est le plus beau
moment de l'homme » , mais aussi, d'autre part, c'est toute la vie qui doit la préparer.
Vivre c'est choisir, mais les choix successifs préparent singulièrement l'option définitive en
vue de la pleine liberté dans le total amour.

c) La mort, unie à celle de Jésus, nous associe aux splendeurs de la Rédemption.

Le grand mystère de tout le christianisme, nous le savons, c'est notre incorporation à Jésus qui
veut nous assumer pour achever en notre chair ce qui manque à sa Passion en faveur de son
Corps qui est l'Eglise.
Si toute notre vie peut être un acte d'adhésion volontaire au Christ, Médiateur et Rédempteur
du monde, si toutes nos actions, même les plus humbles, si tous nos efforts, même les plus
cachés, nos souffrances, même les plus intimes, peuvent durant notre existence terrestre
permettre l'application des fruits de la Rédemption à tout le Corps Mystique, c'est surtout
notre mort qui porte au maximum notre puissance apostolique de réparation et de salut pour
nous-mêmes et pour nos frères.
Par l'acte d'obéissance qu'elle suppose à la volonté toute-puissante du Père, en union avec
Celui qui a voulu se faire obéissant jusqu'à la mort, jusqu'à la mort de la croix 23, nous
réparons pour toutes nos infidélités et pour toutes les révoltes humaines.
Par les humiliations qu'elle comporte pour notre esprit et notre chair, en union avec Celui qui
a accepté au delà de toute expression humaine l'exinanivit semetipsum 24, le vermis sum et non
homo 25, nous expions pour notre orgueil et toutes les vanités de la terre.
Par les souffrances physiques dont elle s'accompagne souvent, si elles sont subies en union
avec les tortures dont fut victime l'Homme des douleurs, nous compensons pour toutes nos
20
Que celui qui croit être debout prenne garde de tomber (première épître aux Corinthiens, X-12).
21
Quod enim operor non intelligo : non enim quod volo bonum, hoc ago ; sed quod odi malum, illud facio... Video autem aliam logent
in membris mentis, repugnanten legi mentis meæ, et captivantem me in lege peccati quæ est in membris meis.
Infelix ego homo ! Quis me liberabit de corpore mortis hujus ? (Épître aux Romains, VII-24).
22
Infelix ego homo ! Quis me liberabit de corpore mortis hujus ? (Épître aux Romains, VII-24).
23
Obediens usque ad mortem, mortem autem crucis, (Épître aux Philippiens, II-8).
24
Il s’est anéanti lui-même. (Épître aux Philippiens, II-7).
25
Je suis un ver et non un homme. (Psaume XXI-7).
6
fautes de sensualité, et pour l'impureté du monde.
Par le détachement qu'elle nous impose, en union avec la nudité de la Croix, nous méritons le
pardon pour toutes les ridicules attaches aux fallacieuses richesses d'ici-bas.
Par l'acte d'abandon qu'elle nous donne l'occasion de faire, en union avec l'in manus tuas de
Jésus en Croix, nous rachetons nos attitudes frondeuses et indépendantes.
Par l'acte d'amour surtout que suppose le don total et définitif de nous-mêmes, en union avec
Celui qui a réalisé en sa plénitude le majorerm caritatem nemo habet, ut animam suam ponat
quis pro amicis suis 26, nous réparons pour toutes les haines et pour tous les égoïsmes
individuels et collectifs de l'humanité.
C'est au moment de sa mort qu'un chrétien devient en toute vérité « Hostie », en union avec la
Victime du Calvaire, pour le salut du monde entier.

II. Comment développer en nous le sens chrétien de la mort ?

a) PENSER SOUVENT A LA MORT.


b) ÊTRE EN CONSÉQUENCE.
c) ÊTRE TOUJOURS PRÊT ET DISPONIBLE.

a) Penser souvent à la mort.

Nous l'avons vu : en règle générale, la pensée de la mort, ou tout au moins de notre mort, ne
nous est pas familière, et le divertissement pascalien peut ne consister que dans le train-train de
la vie quotidienne qui comporte assez de soucis et de préoccupations immédiates pour nous
détourner de fixer notre attention sur la réalité inéluctable : chaque pas dans la vie est un pas
vers la mort.
Raison de plus pour nous contraindre à regarder franchement la mort en face. Nous connaissons
la part de vérité qui est contenue dans la phrase de La Rochefoucauld : « Le soleil ni la mort ne
se peuvent regarder fixement. » Mais un chrétien doit puiser dans ses vertus théologales de foi
et d'espérance la force de dominer - s'il en a - ses frayeurs instinctives. En tout cas, il n'a pas le
droit de détourner la tête et de jouer à l'autruche. Il est un homme de l'éternité, qui doit jeter sur
toutes les réalités terrestres la lueur de l'au-delà. S'il ne le faisait pas, il priverait le monde du
secours peut-être le plus efficace pour l'aider à se désembourber du matérialisme où il s'enlise si
facilement.
Il faut aller plus loin et obtenir la grâce de penser à la mort avec confiance et avec joie.
Pour y penser avec confiance, il suffit de se rappeler que la mort, c'est notre rencontre face à
face avec Celui qui nous a tant aimés et qui, malgré nos faiblesses, nous aime encore si tendre
ment. Nos responsabilités sont lourdes, il est vrai, car nous avons reçu plus de grâces que bien
d'autres. Nous en avons peut-être abusé, mais si nous nous efforçons d'être loyaux avec Lui et
avec nous-mêmes, si vraiment nous sommes de bonne volonté, si nous sommes simplement
convaincus de notre misère, nous n'avons pas à douter de sa miséricorde. Le Seigneur n'est pas un
tyran aux aguets de la faiblesse humaine : n'est-Il pas essentiellement l'Amour, et n'est-ce

26
D’amour plus grand, nul ne peut en avoir que de donner sa vie pour ses amis. (Saint Jean XV-13).
7
point le propre de l'amour de pousser le don jusqu'au pardon ?
27
« Mon fils, je t'aime plus ardemment que tu n'as aimé tes souillures. »
« J'ai dans mon cœur plus de puissance de pardon que la terre entière n'a de puissance de péché ! » 28

N'affirmait-Il pas à Sœur Bénigna Consolata Ferrero : « Ne vont en enfer que ceux qui veulent
absolument y aller » ?
Au dire du Père Faber 29:
« Dieu a révélé à Sainte Gertrude qu'Il se découvrait avec tant de beauté et d'attraits aux mourants
qui avaient cherché à Lui plaire et à mener une vie chrétienne, que son amour pénétrait jusqu’au fond
de leur âme pour en exprimer comme de soi-même les actes de la plus parfaite contrition. Et, daignait
ajouter le Seigneur, je désire que mes élus connaissent combien je suis incliné à les visiter au
moment de leur mort. Je veux qu’on le prêche et qu’on le publie afin qu’au milieu de toutes les
autres miséricordes celle-ci puisse avoir une place de choix dans leur souvenir. »

Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus disait :


« Il est bien consolant que Celui qui doit nous juger habite en nous pour nous sauver tout le temps de
nos misères et pour nous les pardonner. »

Pour penser à la mort avec joie, il suffit de faire un acte de foi dans tout ce que la mort nous
apportera : pas seulement la fin de nos maux et des misères d'ici-bas, pas seulement la fin de
notre insécurité, mais l'occasion de la plus grande preuve d'amour, de la plus grande puissance
de rédemption en notre pouvoir, et ensuite la possession totale de Dieu : « Habitabimus et
habitabimur » 30, disait saint Augustin.
De la pensée des joies qui nous attendent au désir de les posséder, il n'y a pas loin. Personne ne
peut nous reprocher de reprendre à notre compte le desiderium habens dissolvi, et esse cum
Christo de Saint Paul 31, mais il nous faut ajouter aussitôt le sed non recuso laborem 32 de saint
Martin. « Nous n'avons que cette terre pour vivre de foi », disait Sainte Thérèse de l'Enfant-
Jésus. Nous n'avons que ce monde pour mériter et travailler efficacement au salut de l'humanité.
Profitons-en.
Le désir de la mort, loin de provenir chez nous d'une peur des responsabilités, d'une lassitude de
la lutte, d'un dégoût facile des turpitudes d'ici-bas, pour prendre plus ou moins la forme d'un
complexe d'évasion, doit procéder d'un immense amour et nous stimuler à utiliser au maximum
les années qui nous restent à passer sur la terre au service de nos frères pour les gagner à Jésus-
Christ. L'amour de Dieu doit animer notre amour des hommes, et l'amour des hommes doit
incarner notre amour de Dieu.
Dans son livre O terre enfin libre, le Père Desroches a cette belle page :
« Quand approche la mort, la joie sans doute peut s'accroître, parce qu'on va passer à la maison du Père,
mais le regret se lève aussi parfois, - et les paroles de Paul en sont la preuve - de voir se terminer la
période militante de son, existence. Tant que je suis dans la chair, je mérite, je progresse, je travaille. Par
tous mes sens, je suis uni au monde, je communique avec les hommes. J'ai une voix pour leur parler de
Dieu, des yeux pour pleurer avec ceux qui sont affligés, des mains pour aider ceux qui sont dans la peine,
des forces pour soutenir ceux qui sont faibles... Tant que nous sommes dans la chair, il y a des lumières à
porter, il y a des sauvetages à entreprendre, il y a des joies à donner qui sont en notre pouvoir... Un
chrétien garde toujours l'optimisme de l'existence d'ici-bas, de l'existence dans la chair. C'est là qu'il
témoigne. C'est là qu'il ébauche ces compagnonnages qui fleuriront dans la gloire du ciel. C'est là son
temps de service qui le prépare à son éternité d'amitié avec le Christ. C'est là, en un mot, qu'il se fait non

27
Pascal (Pensées. Le Mystère de Jésus).
28
Notre-Seigneur à Angèle de Foligno.
29
Le mystère de l’amour créateur, p. 165, Casterman, 1925.
30
Nous habiterons et nous serons habités.
31
Je désire me dissoudre et être avec le Christ. (Épître aux Philippiens I-23).
32
Je ne refuse pas le labeur.
8
seulement sa béatitude, mais aussi - pour cette béatitude - des compagnons. » 33

Et après avoir exprimé son desiderium dissolvi, saint Paul n'ajoutait-il pas :
« Il est nécessaire, à cause de vous, que je demeure dans ia chair. Et je sais que je resterai et que je
demeurerai avec vous tous, pour votre avance ment et pour la joie de votre foi. » 34

b) Agir en conséquence.

Nous penserons d'autant plus aisément avec confiance et avec joie à la mort, que toute notre vie
en deviendra une préparation logique.
« Vive moriturus », telle était la devise de Murillo 35.
Il est certain que le fait de projeter sur nos activités la lumière crue de l'éternité facilite
singulièrement le classement des valeurs et nous aide à distinguer l'essentiel de l'accessoire 36.
« C'est tellement rien tout ce qui n'est pas Lui », disait Marie-Antoinette de Geuser. Encore faut-
il agir en conséquence, sinon le brouillard embrumera tout, et nous continuerons à nous laisser
prendre au jeu de la bagatelle. « Fascinatio enim nugacitatis obscurat bona » 37. Au contraire,
« qui facit veritatem venit ad lucem ». 38
En particulier, c'est dès maintenant qu'il faut faire par le menu l'apprentissage du détachement de
tout ce qui n'est pas Dieu, selon Dieu ou pour Dieu. L'Abbé Perreyve a sur ce sujet une page
émouvante :
« Il y a à la mort une préparation, un prélude, des dispositions particulières destinées à rendre les
mouvements du sacrifice plus libres et, si j'ose le dire, la mort plus commode. Ces dispositions sont celles
du détachement intérieur par lequel une âme s'exerce de loin à mourir en quittant par avance, en esprit,
tout ce qu'elle aime sur texte. Si le détachement allait jusqu'à paralyser dans le creux la faculté d'aimer,
comme il arrive en certaines natures mal réglées ou prédisposées à l'indifférence, il n'aboutirait qu'à une
merveille d'égoïsme, sans mérite devant Dieu comme sans peine et sans sacrifice; mais pour les âmes
douées de vie, le détachement est une vertu d'autant plus difficile qu'elle n'épuise ni n'affaiblit l'amour, et
qu'ainsi une âme se trouve conduite à quitter des objets qu'elle n'a pas cessé, qu'elle ne cessera pas
d'aimer. Là est le sacrifice, là l'effort, là le combat renouvelé de chaque jour. Et cependant il faudra
mourir, et quelle plus grande force contre les surprises et les étonnantes propositions de la mort que cette
mort elle-même prévue de loin et préparée par le dégagement intérieur de ces liens terrestres qu'il est si
dur de rompre tous à la fois, en un seul moment. » 39

Et il termine par cette belle prière :


« Jésus, donnez-moi la force de m'exercer à mourir en quittant souvent en esprit les personnes et les
choses qui me sont chères ici-bas. Je ne Vous demande pas de tuer en moi l'amour et d'y substituer un
esprit indifférence, cet esprit dont Bossuet a dit « qu'il est proprement l'esprit de Caïn ». Je ne Vous
demande de m'apprendre à ne rien aimer, ô Jsus qui avez pleuré sur Lazare qui aimiez Marthe et sa sœur
Marie. Mais je Vous demande cet esprit de sacrifice qui fait laisser tout ce qu'on aime pour votre service,
dès ce monde, et qui rend l'âme légère et comme prête à partir quand l'heure vient de monter plus haut.
Donnez-moi cette sagesse, armez mon cœur contre lui-même et faites-lui trouver, dans votre
dépouillement devant la Croix, la grâce de ce détachement intérieur qui seul prépare les saintes morts. »

c) Être toujours prêt et disponible.

33
Page 45.
34
Permanere in carne necessarium propter vos. Et scio quia manebo, et permanebo omnibus vobis, ad profectum vestrum et gaudium
fidei. (Épître aux Philippiens, I-24, 25).
35
« Vit comme devant mourir ! » (R. P. Joseph Tustes Murillo, dans Les Études du 20 mai 1909, P 505).
36
Dans les Annales de 1923, p. 399, on trouve cette affirmation inattendue de Dumas fils : Je crois qu'il faut penser très souvent à la
mort si on veut toujours avoir la mesure à peu près exacte des choses de la vie.
37
Car la fascination des frivolités obscurcit le bien. (Sagesse, IV-I2).
38
Celui qui agit selon la vérité fait la lumière. (Saint Jean, III-21).
39
Méditations sur les saints Ordres, p. 70.

9
« Un chrétien doit être toujours prêt à communier et à mourir », disait le général de Sonis. Rien
ne facilite cette disponibilité comme les actes positifs d'ascèse que l'on s'impose par amour.
Nous ne savons ni le jour ni l'heure où le Maître viendra nous prendre. L'estote parati 40 sera
d'autant plus observé que nous serons fidèles au quotidie morior 41 de saint Paul, en faisant aussi
chaque jour une courte préparation à la mort.
Bien des chrétiens ont trouvé dans cette pratique une grâce insoupçonnée, témoin cette lettre de
Mozart que cite le Père de Parvillez dans son livre La joie devant la mort :
« Comme la mort, à la bien considérer, est le vrai but de la vie, je me suis, depuis plusieurs années
tellement familiarisé avec cette véritable amie de l'homme que son image, loin d'être effrayante pour moi,
n'a rien que de doux et de consolant. Je remercie Dieu de m'avoir accordé la grâce de reconnaître la mort
comme la clef de notre véritable béatitude. Je ne me mets jamais au lit sans penser que, tout jeune que je
suis, je puis ne pas me relever le lendemain ; et cependant aucun de ceux qui me connaissent ne pourrait
dire que cette pensée m'ait jamais attristé un seul instant. Chaque jour je rends grâce à Dieu de ce bonheur
et je le souhaite sincèrement à tous les hommes mes frères. » 42
43
On raconte qu'au moment de mourir Georges Bernanos s'écriait, irradié de bonheur : « Et
maintenant, pour toujours, à nous deux Jésus ! »
Dans son Cantique du Soleil, Saint François a chanté notre sœur la mort 44. C'est dans la mesure
où, ici-bas, nous nous serons préparés, par une vie d'union avec Jésus et avec tous nos frères, à
mener la vie de communauté définitive du ciel, que nous pourrons avec Lui accueillir la mort
comme une sœur qui nous ouvre la porte sur la Maison du Père.

40
Soyez prêts. (Saint Luc, XII-40.)
41
Je meurs chaque jour, (Première épître aux Corinthiens, XV-31.)
42
Page 184.
43
Mort le 5 Juillet 1948.
44
Laudate si, mi Signore, per sora nostra morte corporale.
10
2. Examen
1. La pensée de la mort est-elle pour moi source de joie, ou cause de tristesse ?
2. Quelles sont les raisons pour lesquelles je n'aime pas penser à la mort ?
3. N'ai-je pas, jusqu'à présent, trop envisagé la mort sous son aspect négatif ?
4. Ai-je compris que la mort était le passage, mieux que cela, l'Arc de Triomphe s'ouvrant sur la
vraie vie pour laquelle je suis fait ?
5. Ne suis-je pas tenté de m'installer ici-bas comme si je devais y rester toujours, oubliant
l'avertissement de saint Paul : « Nous n'avons point ici-bas de cité permanente, mais nous cherchons
celle qui est à venir. » 45
6. Quand la pensée de la mort se présente à moi, est-ce que je l'écarte – ou est-ce que je l'accueille
comme une vérité bienfaisante ?
7. Suis-je persuadé que la pensée de la mort pourrait transfigurer ma vie et lui donner son véritable
sens ? Que cette pensée pourrait faciliter en moi la pratique de la charité, de la loyauté, de l'humilité, de
la patience, de la pureté, du renoncement généreux ? Comme je serais heureux, à l'heure de la mort, de
n'avoir rien refusé d'important au Bon Dieu, d'avoir dit « non » à telle tentation, d'avoir fait tel sacrifice,
d'avoir été loyal dans cette confession...
8. Ne m'arrive-t-il pas de considérer la mort plus comme une délivrance que comme l'occasion d'un
acte suprême de charité ?
9. Ne suis-je pas tenté de désirer la mort pour m'évader des humbles devoirs et des difficultés de la
vie présente, alors que la meilleure préparation à la mort consiste à faire grandir en moi la communion
à Dieu, la fidélité à mon devoir d'état, l'amour de mes frères et l'esprit de service ?

45
Non habemus hic manentem civitatem, sed futuram iniquirimus. (Épître aux Hébreux, XIII-14.)
11
3. Résolutions
1. Penser de temps en temps à tous ceux que j'ai connus et qui sont maintenant dans l'au-delà, les
dénombrer, revoir leur visage ; parmi eux il y en a qui sont morts sans avoir atteint le nombre d'années
que j'ai actuellement...
2. Me tenir toujours prêt à « rentrer à la Maison du Père » où tant déjà m'attendent, pour voir Dieu
face à face, contempler l'Immaculée, retrouver toutes les âmes que j'aurai aidées ici-bas !
3. M'efforcer de juger des choses d'ici-bas à la lumière d'en-haut : « suh specie æternitatis. »
4. Sans perdre contact avec mes compagnons de route « in via », maintenir et développer les
« échanges » avec ceux qui sont « arrivés ».
5. La pensée de la mort stimulant à une délicate loyauté d'âme, demander au Seigneur la grâce d'un
jugement sain et d'une conscience droite, aussi éloignée du laxisme que du scrupule.
6. Penser souvent à tous mes frères humains sur le point d'entrer dans leur éternité. On en compte au
moins 140.000 par jour, donc plusieurs par seconde. Combien sont prêts ? Combien sont conscients de
l'importance des dernières minutes qu'ils ont encore à vivre ici-bas ? Et je puis si puissamment les
aider...
7. Au moment de la mort on s'aperçoit bien qu'il n'y a qu'une seule chose qui compte : l'intensité et
la pureté de l'amour qu'on a fait passer dans sa vie. Donc, faire passer dans toutes mes actions le
maximum d'intensité d'amour et de bonté. « Au soir de la vie, vous serez jugés sur l'amour », disait
Jean de la Croix.
8. Faire chaque jour une courte préparation à la mort, au moins sous forme de l'offrande de la vie,
en union avec Jésus sur la croix : « Heureux qui a toujours devant les yeux l'heure de sa mort, et qui se
prépare chaque jour à mourir. » 46

46
Beatus, qui horam mortis suæ semper ante oculos habet, et ad moriendum quotidie se disponit. (Imitation. Livre I, XXIII-2).
12
4. Prière
SAINTE VIERGE MARIE,
qui vous teniez debout au pied de la croix pour offrir votre Fils au Père des cieux en notre nom à tous,
c'est par vos mains que je veux unir l'heure de ma mort à celle de Jésus au Calvaire. ♦♦ Je l'offre à
l'avance pour qu'elle soit la plus belle de ma vie, parce que la plus chargée d'amour - et aussi pour
qu'aucun de ceux que j'aurai connus et aimés ici-bas ne manque au rendez-vous de l'éternité. ♦♦

Ainsi soit-il.

13
TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS

1. Méditation

I. - En quoi consiste le sens chrétien de la mort ?


a) La mort est une nouvelle naissance
b) La mort fixe l'être humain dans son orientation définitive
c) La mort, unie à celle de Jésus, nous associe aux splendeurs de la Rédemption

II. - Comment développer en nous le sens chrétien de la mort ?


a) Penser souvent à la mort
b) Agir en conséquence
c) Etre toujours prêt et disponible

2. Examen
3. Résolutions
4. Prière

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