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Journal de la Société des Océanistes

153 | 2021
Apprentissage, (re)construction et (re)valorisation des
savoirs en Océanie

« Être dans la modernité, mais pas tellement » :


patrimoine et développement durable aux îles
Marquises
'Being in Modernity, but Not Really': Heritage and Sustainable Development in
the Marquesas Islands

Emily C. Donaldson

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/jso/13238
DOI : 10.4000/jso.13238
ISBN : 0300-953X
ISSN : 1760-7256

Éditeur
Société des océanistes

Édition imprimée
Date de publication : 15 décembre 2021
Pagination : 275-292
ISBN : 978-2-85430-141-0
ISSN : 0300-953x

Distribution électronique Cairn

Référence électronique
Emily C. Donaldson, « « Être dans la modernité, mais pas tellement » : patrimoine et développement
durable aux îles Marquises », Journal de la Société des Océanistes [En ligne], 153 | 2021, mis en ligne le
03 janvier 2023, consulté le 09 décembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/jso/13238 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/jso.13238

Journal de la société des océanistes est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative
Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
« Être dans la modernité, mais pas tellement » :
patrimoine et développement durable aux îles Marquises
par

Emily C. Donaldson*

RÉSUMÉ ABSTRACT
Comment mettre en œuvre une politique de développement Can sustainable development projects succeed in places
durable là où l’idée même de développement capitaliste n’a jamais where the underlying concept of capitalist development has
été vraiment adoptée ? Éloignés des centres urbains, les habitants itself never been fully embraced? Some 1,000 miles from
des îles Marquises mélangent de manière sélective leur économie the nearest city, inhabitants of the Marquesas Islands pursue
traditionnelle avec des activités basées sur l’idée d’enrichissement mixed economic activities that blend traditional modes of reci-
individuel empruntée à l’idéologie capitaliste. Pourtant, les six procal exchange with capitalist accumulation. In recent years,
maires des îles Marquises ont récemment lancé plusieurs « projets however, Marquesan leaders have launched several develop-
de développement » fondés sur le capitalisme, y compris un plan ment projects based solely on capitalist ideals. These include
de développement durable basé sur la préservation du patrimoine a sustainable development plan based on local heritage and a
local, ainsi qu’une initiative visant à exploiter, tout en les proté- development project that would simultaneously commercialize
geant, les eaux et les espèces endémiques marines marquisiennes. and protect Marquesan waters and endemic marine species.
Ces projets font toutefois face à des réserves, voire à des résistances The Marquesan population has met these initiatives with
de la part d’une population mal à l’aise avec l’idée de commercia- reticence and even public resistance, unsettled by the idea of
liser ses terres ancestrales et ses savoirs traditionnels. commercializing its ancestral lands and traditional knowledge.
Mots-clés : développement durable, patrimoine, savoirs tra- Keywords: sustainable development, heritage, indigenous
ditionnels, revitalisation culturelle, mana, îles Marquises knowledge, cultural revitalization, mana, Marquesas Islands

Nous sommes en 2013. Les rideaux dansent dans le « Je vais [donc] commencer à apprendre la sculpture. Et
vent qui souffle des montagnes, déplaçant les ombres je veux sculpter en bois, parce que personne ne sculpte le
bois ici. Je veux tresser des cordes en fibres de coco aussi, et
sur le sol. Je suis assise sur le linoléum déformé d’une d’autres choses. Un peu de tout. » (Xavier Teatiu, comm.
maison marquisienne. En face de moi, Xavier Teatiu1 pers., 2013)
me fait part de ses rêves, la vision d’un jeune marqui-
sien de 25 ans. Il n’y a pas longtemps qu’il est revenu Je fais oui de la tête, essayant de masquer mon
étonnement. Xavier a déjà toutes les capacités d’un
de Tahiti, où il a obtenu son diplôme d’électricien. pêcheur aguerri, savoir qu’il a appris de sa famille. Il
Xavier voudrait utiliser ses compétences pour tra- sait où, quand et comment débusquer les poissons,
vailler dans son village et pour la commune comme crabes et autres fruits de mer. Il sait chasser les lan-
électricien, mais il n’a pas assez d’argent pour acheter goustes, en plongeant de nuit sans l’aide de bouteilles
l’équipement nécessaire : de plongée. Comment se fait-il qu’il ne souhaite alors
1. Le nom de cette personne a été modifié et certains détails concernant le lieu où il vit ont été passés sous silence pour préserver
son anonymat.
* Université McGill, emily.donaldson@mail.mcgill.ca
Journal de la Société des Océanistes 153, année 2021-2, pp. 275-291
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diverses activités économiques selon


leur situation et les occasions qui se
présentent, et disent de leur façon
de vivre qu’elle est « polyvalente ».
Comme Xavier me l’explique, ils font
« un peu de tout ». Ces activités leur
permettent de s’engager à la fois dans
des réseaux d’échanges intra et inter-
familiaux et des emplois qui leur per-
mettent de gagner l’argent (Donald-
son, 2019 : 88). Ainsi, les sculpteurs
de bijoux, de bols et d’autres objets en
bois, en coquillage ou en os peuvent
vendre leurs productions aux touristes
ou les offrir en cadeau aux amis ou à
la famille.
Malgré ses compétences en tant
que pêcheur, Xavier est poussé par sa
vision d’une autre vie. Tout comme
lui, de nombreux jeunes Marquisiens
rêvent de nos jours d’être plus indé-
pendants, d’avoir un emploi salarié,
une voiture et une belle maison dont
ils seraient les seuls propriétaires.
Pour les sculpteurs les plus doués, cet
Carte 1. – La Polynésie française (carte reproduite avec la permission de
Cartogis Services, College of Asia and the Pacific, anu) objectif semble réalisable. Contraire-
ment à la pêche, la sculpture apporte
pas exploiter des savoir-faire qu’il possède déjà ? À 25 de bons revenus : la plupart des sculpteurs vendent
ans, après avoir acquis des compétences en électricité leurs produits directement aux touristes qui arrivent
à l’école, pourquoi veut-il encore apprendre à faire sur les îles sur les voiliers ou les paquebots. Ils peuvent
quelque chose de complètement différent ? D’un gagner au moins 150 000 xpf (environ 1 260 €) pour
côté, il y a certes l’inexpérience de la jeunesse et la un casse-tête en bois local sculpté avec des motifs tra-
difficulté de se projeter dans l’avenir. Mais avec le ditionnels, 50 000 xpf (420 €) pour un pendentif en
recul, une autre réponse est envisageable. Les espoirs os de baleine, ou 15 000 xpf (125 €) pour un petit
exprimés par Xavier sont assez représentatifs des sen- tiki en pierre. D’autres apportent leurs objets aux
timents ambivalents entretenus par les Marquisiens expositions d’art marquisien qui ont lieu tous les six
vis-à-vis du rapport entre leurs pratiques tradition- mois à Tahiti (un voyage de 1 400 km). Initiées dans
nelles et le développement économique. les années 1990, ces expositions s’inscrivent dans le
Les îles Marquises forment un des cinq archipels de la mouvement pour la revitalisation de la culture mar-
quisienne et l’affirmation de la propriété intellectuelle
Polynésie française, une collectivité d’outre-mer de la marquisienne (Ivory, 1999). Pourtant, la commercia-
France. Elles sont peuplées d’environ 9 000 habitants lisation de la sculpture, du tapa (l’étoffe d’écorce), du
répartis sur six des douze îles que comprend l’archipel. pani (l’huile de coco parfumée) et d’autres éléments
L’État est représenté par la subdivision administrative de la culture marquisienne qui ont lieu lors des exposi-
des îles Marquises (saim), située à Taiohae, sur l’île tions incarnent les tensions entre la valeur marchande
de Nuku Hiva. Depuis 2010, les six communes des et le respect des ancêtres (Donaldson, 2016).
Marquises sont regroupées dans une communauté de Depuis les années 2010, la communauté de com-
communes, la codim, qui élabore des projets pour le munes des îles Marquises (codim) a mené plusieurs
développement économique et culturel de l’archipel. projets de développement fondés sur la logique mar-
À travers les siècles et contre toute attente, les habi- chande et l’idée d’accumulation individuelle. Lancé
tants ont entretenu leur langue et, depuis les années en 2012, son plan de développement économique
1980, leur culture unique a fait l’objet d’un mou- durable (pdem) vise à « protéger des savoirs tradi-
vement de revitalisation important, nourrissant une tionnels des Marquises, au profit des Marquises »
ontologie marquisienne basée sur le respect pour les (codim, 2012 : 82). L’objectif de cette protection est
ancêtres et les principes de partage et de réciprocité autant culturel qu’économique et concerne surtout
(Donaldson, 2019). Ces traditions et leur ancrage les savoirs artistiques. La codim parle ainsi « de pro-
rural compliquent l’avancée des valeurs individua- téger ce patrimoine unique, d’ores et déjà copié, ex-
listes du capitalisme. En dehors des grands villages ploité et commercialisé sans aucune demande d’au-
(environ 2 000 personnes chacun) de Taiohae (Nuku torisation préalable ni retombée économique locale »
Hiva), Atuona (Hiva Oa) et Hakahau (Ua Pou), la (codim, 2012 : 85). Il s’agit donc de permettre aux
plupart des gens sont donc polyvalents : ils exercent Marquisiens de pouvoir profiter économiquement
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de l’exploitation de leurs savoirs


traditionnels. Pour le pdem, ces sa-
voirs traditionnels constituent une
des clés de « l’authenticité » des îles
et de l’avenir marquisien (codim,
2012 : 22). C’est ainsi que les arti-
sans ont commencé à apposer leur
signature sur leurs productions.
Mais ce modèle de « patrimoine-
comme-développement » menace
aussi certains éléments uniques du
patrimoine marquisien. Similaire
à l’approche de « conservation et
développement intégrés », cette
stratégie risque d’utiliser le patri-
moine comme un simple moyen
d’engager des interventions de
développement capitaliste (Leblic,
1993 ; Li, 2007). Comme Paige
West l’a montré pour les Gimi Photo 1. – Le stand d’un sculpteur marquisien au Salon des îles Marquises, qui
de Papouasie Nouvelle-Guinée a lieu tous les six mois à Tahiti (cliché Donaldson, nov. 2019)
(2006), la « conservation » des res-
sources naturelles à travers la marchandisation peut locale. Ainsi, même si la culture a évolué de conserve
modifier la valeur de ces biens au point de les mena- avec le colonialisme et le développement depuis des
cer. Aux Marquises, on trouve une tension pareille siècles, pour mettre en valeur et préserver la culture
entre la patrimonialisation et la marchandisation marquisienne, il convient de distinguer celle-ci des
(Donaldson, 2019 : 56). influences coloniales et capitalistes (Ivory, 1999).
Les Marquisiens ont adapté leur vie traditionnelle Cet enchevêtrement historique et culturel met la
à la globalisation et au capitalisme avec des nuances codim dans une position difficile. Pensant à l’ave-
diverses. Pourtant, le pdem ne discute ni l’onto- nir de leurs îles, les maires cherchent à suivre un
logie marquisienne ni la signification des ancêtres modèle international de développement durable qui
dans l’environnement marquisien et les savoirs tra- soit bien établi et reconnu, mais cette approche n’est
ditionnels qu’il cherche à préserver (codim, 2012 : pas sans générer ou renforcer des tensions relatives
23)2. Pour la plupart des Marquisiens, la valeur de au statut des savoirs traditionnels. Aux Marquises,
ces savoirs vient de leur relation avec la « nature » le processus de reconnaissance et de préservation du
(dans le sens occidental du terme ; les Marquisiens patrimoine repose spécifiquement sur l’idée qu’un
ne font pas une vraie séparation entre la nature et la développement économique durable peut contribuer
culture), incarnée dans le principe de réciprocité et le à revitaliser et valoriser ces savoirs (Chlous et Duron,
pouvoir spirituel du mana. Dans l’idéal, pour réaliser 2017). Mais les réticences, voire la résistance ouverte
une sculpture traditionnelle, il faut travailler paisible- de la population de l’archipel face au plan des maires,
ment, sans penser à l’argent, avoir du respect pour la suggère que ces savoirs n’ont pas été suffisamment
matière, sa source (l’arbre, l’animal, la mer, etc.), et les intégrés dans leurs projets actuels. Des études anté-
esprits des ancêtres qui vivent toujours dans l’environ- rieures suggèrent en effet que l’intégration des savoirs
nement ainsi que pour ces motifs transmis à travers traditionnels ou autochtones (Indigenous knowledge
des générations (Donaldson, 2016). De cette manière [ik] en anglais) ou savoirs écologiques traditionnels
les Marquisiens maintiennent certaines pratiques et (Traditional Ecological Knowledge [tek]) est essen-
connaissances venues de leurs ancêtres. En même tielle au succès des projets de durabilité et d’adapta-
temps, le mouvement de revitalisation culturelle tion au changement climatique (Dove, 2006 ; Fache
lutte contre le développement et la « modernité » que et Pauwels, 2016 ; Granderson, 2017 ; Leonard et al.,
représentent tous les changements intervenus durant 2013 ; Nazarea, 2006 ; Nolet, 2018). Se pose alors la
les deux derniers siècles : l’introduction de l’argent, question suivante : est-il vraiment possible de valo-
du christianisme, du système éducatif français et, plus riser économiquement les savoirs traditionnels dans
récemment, des routes bitumées, des voitures, des une perspective associant le développement durable
télévisions, des ordinateurs et des smartphones. Bien et la préservation des traditions marquisiennes ?
que l’opposition entre développement et tradition ne Je propose d’examiner cette question à partir des
soit pas binaire, en raison de l’histoire marquisienne, données recueillies lors de recherches ethnogra-
ces changements sont associés à la perte des savoirs et phiques menées dans les îles Marquises entre 2013
à un affaiblissement des valeurs propres à l’ontologie et 2019. Ces recherches furent conduites dans le
2. J’utilise le terme « savoirs traditionnels » ici et dans tout le texte pour mettre en valeur les connaissances environnementales mar-
quisiennes qui ont survécu au colonialisme. Pour les Marquisiens, ces savoirs concernent des lieux aux attributs naturels et culturels.
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naires ont débarqué dans les


îles Marquises (Thomas, 1990 :
2-3). Pendant cette période, les
Marquisiens ont été confrontés
à des changements rapides et
souvent brutaux. Les voyageurs
ont apporté avec eux non seu-
lement des armes et de l’alcool,
mais aussi des maladies mor-
telles comme la variole, la lèpre,
la tuberculose, la syphilis et la
grippe. La situation a été encore
aggravée par les sécheresses,
la famine, la déstabilisation
politique et les guerres tribales
(Dening, 1980 ; Rollin, 1929 ;
Thomas 1990). En 1800, la
population comprenait entre
43 000 et 90 000 individus
Photo 2. – Le village et la vallée de Vaitahu, Tahuata, où domine de nos jours la (Bailleul, 2001 : 21). Or, en
culture de la noix de coco dans l’une des nombreuses vallées autrefois habitées 1926, le nombre de Marqui-
(cliché Donaldson, 2013) siens avait chuté d’environ
95 % (estimation la plus basse)
cadre d’un travail de doctorat sur le patrimoine et pour arriver à 2 080 habitants (Bailleul, 2001 : 166).
le paysage marquisiens. Les données que je présente
dans cet article s’appuient sur des observations faites Les missionnaires protestants et catholiques qui
dans des domiciles et dans les forêts marquisiens.
3 arrivèrent dans les années 1830 et les administrateurs
La plupart des citations transcrites dans cet article français qui débarquèrent en 1842 étaient unis dans
proviennent de discussions qui eurent lieu en 2013. la poursuite d’un but commun : la « domestication »
J’ai vécu au sein de familles dans presque tous les vil- des Marquisiens qu’ils considéraient comme des
lages des six îles habitées des Marquises, ce qui m’a « sauvages » (Bailleul, 2001 : 74, 85). Au cours de la
permis de pouvoir discuter avec des gens d’âges, de deuxième moitié du xix siècle, l’Église catholique et
e

sexes et de professions différentes (des cultivateurs de le gouvernement colonial ont interdit aux Marqui-
coprah, des artisans, des administrateurs, des insti- siens de pratiquer leur religion, de se faire tatouer, de
tuteurs, des pêcheurs, etc.). J’ai eu des conversations s’habiller, de danser ou de chanter de manière tradi-
informelles (ouvertes sur des sujets divers, sans user tionnelle (Dening, 1980 : 231). Dans les écoles, les
d’un questionnaire écrit au préalable) avec près de élèves étaient punis lorsqu’ils parlaient leur langue
400 Marquisiens, qui furent toutes enregistrées avec natale et, en dépit de l’importance des chants, de la
leur permission. danse et des festins dans la culture marquisienne, les
Je présenterai d’abord un résumé de l’histoire des fêtes communales (ko’ina) furent interdites (Bailleul,
Marquises, ainsi que la transmission des savoirs tradi- 2001 : 129). En 1920, l’inspecteur des colonies Henri
tionnels et les moyens de subsistance variés auxquels s’inquiétait :
recourent les Marquisiens. Ensuite, je détaillerai et
« À cette allure, la race maori aura complètement disparu
analyserai les projets actuels de patrimonialisation et
des Marquises dans une trentaine d’années. » (Bailleul,
de développement durable, et la tension quotidienne 2001 : 137
qu’ils représentent pour les insulaires.
Mais les Marquisiens n’ont pas disparu. Au contraire,
ils se sont battus pour leurs îles et la survie de leurs
La survie d’un peuple et de ses savoirs coutumes. Ils ont évolué. Entre les années 1970 et
1980, avec l’aide de l’évêque français et défenseur de la
Une transmission par l’action culture Mgr Hervé Le Cléac’h, des maires et des chefs
culturels marquisiens, ils ont lancé une nouvelle asso-
L’histoire des Marquises est d’abord celle de la per- ciation culturelle, Motu Haka, établissant un mouve-
sévérance, de l’adaptation et de la revitalisation des ment pour la revitalisation de la danse, de la langue,
savoirs traditionnels. Suite à l’arrivée du capitaine des chants, de la sculpture, du tatouage et d’autres
Cook en 1774, entre la fin du xviiie et le début du xixe arts marquisiens (Ivory, 1999 ; Moulin, 1994). Ce
siècle, des marchands, des baleiniers puis des mission- mouvement perdure, avec les travaux de Motu Haka,
3. La forêt correspond aux espaces cultivés et non cultivés situés hors des villages et, en particulier, ce que les Marquisiens appellent
« la brousse ».
PATRIMOINE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE AUX ÎLES MARQUISES 279

l’Académie marquisienne et le Festival des arts des îles savait vivre dans la forêt et préparer la cuisine tradi-
Marquises. tionnelle (Donaldson, 2019 : 87 ; Lavondès et Tei-
Pourtant, durant la plus grande partie du xxe siècle, kiehuupoko, 1964). Ces habitudes ont commencé
cette lutte pour la langue et la culture n’a été ni orga- à changer dans les années 1960, avec l’arrivée de la
nisée ni évidente, car elle ne se déroulait pas dans les télévision et un accroissement de la marchandisation
lieux publics (l’église, la mairie, l’école, les préaux et (ce qui représente la troisième rupture coloniale,
d’autres endroits de rassemblement), où les pratiques après le commencement des échanges avec les Euro-
traditionnelles étaient diabolisées, mais dans les mai- péens au xviiie et la colonisation au xixe siècle). À
sons, les jardins, la forêt et en mer, dans le cadre du cette époque, de nombreux Marquisiens sont partis
travail quotidien (Riley, 2007 : 75). C’est notamment pour exercer des activités rémunérées à Tahiti ou aux
en préparant la nourriture, en cassant le coprah, en Tuamotu, notamment dans le centre d’expérimen-
plantant et en récoltant les fruits, et en pratiquant la tation du Pacifique (cep), le site d’essais nucléaires.
pêche, la chasse et la sculpture que les Marquisiens Au fil du temps, les Marquisiens se sont habitués aux
continuèrent d’apprendre à utiliser les ressources de denrées venues de l’extérieur comme le riz, le sucre,
leurs îles et firent l’apprentissage des savoirs écolo- les biscuits salés, le café, etc. En même temps, ils ont
giques traditionnels. Par exemple, quand il était jeune de plus en plus envoyé leurs enfants en internat, ce
Manuhi Timau4, mon « père » marquisien, a appris qui les obligeait à payer des frais importants de scola-
des anciens les points de repère secrets (gardés et trans- rité. Les compétences liées à la vie quotidienne mar-
mis dans les familles) qui indiquent où pêcher divers quisienne et leur valeur ont alors changé.
poissons, comment soigner les maux mineurs avec les De nombreux Marquisiens considèrent aujourd’hui
remèdes traditionnels, ainsi que la meilleure façon de cette période comme un des points critiques de leur
planter un nouveau bananier. Il sait aussi reconnaître histoire. Ainsi, Heato Teikiehuupoko, le fils d’un des
quelque chose de moins visible : le mana. fondateurs de Motu Haka, remarque que :
Le mana est une force qui vient de la puissance sa-
crée et surnaturelle (tapu) des ancêtres marquisiens. « le centre d’expérimentation du Pacifique a encore
Comme ailleurs dans le Pacifique, le mana marqui- plus renfermé l’esprit d’initiative des Polynésiens et des
Marquisiens aussi. Il n’y a que les artisans qui ont conservé
sien est dynamique : il dépend des actions et de la cet esprit-là. […] Les essais nucléaires nous ont balancé
généalogie d’une personne et peut représenter une de l’argent comme ça, qui tombe du ciel […] et pendant
bonne ou une mauvaise énergie (Benedict, 1934 : ces 30 ans là, on te disait que tu n’as rien à faire, tu as
28 ; Ottino-Garanger et al., 2016 ; Tomlinson et juste à accepter l’argent qui tombe de la banque. » (Heato
Tengan, 2016). Pour les Marquisiens, le mana peut Teikiehuupoko, comm. pers., 19/10/2013)
surtout se trouver dans les anciennes fondations en
pierre, sur les sites funéraires ou dans les banians, Le résultat, dit-il, était une soif d’argent sans au-
des arbres autrefois sacrés. Les artisans le sentent cune motivation pour travailler. Ce point de vue plu-
lorsqu’ils fabriquent des objets et les danseurs le res- tôt pessimiste, confié un soir au détour d’une longue
sentent sur les anciens lieux de danse (tohua ko’ina) conversation par un homme de 32 ans, est relative-
ou lorsqu’ils font des représentations (Donaldson, ment répandu chez les Marquisiens, surtout ceux qui
2016 ; 2019 : 63-64). ont fait leurs études à Tahiti.
Comme la langue, la connaissance du mana et sa Le père de Heato et ses contemporains ont reconnu
transmission ont été dissimulées et souvent cachées dans ces changements une menace pour les savoirs
de la vue publique5 tout au long du xxe siècle. traditionnels et ont donc déployé des efforts considé-
Condamnées car considérées comme païennes par rables pour la combattre. Dans les années 1970, avec
l’administration coloniale, les catholiques et les pro- l’appui de Mgr Le Cléac’h, ils ont encouragé le déve-
testants, toutes les croyances dans les esprits ances- loppement d’une transmission et d’un apprentissage
traux ont été réduites au « silence » (Dening, 1980). par la valorisation et la reconstruction du savoir des
Mais, depuis les années 1970, il existe une autre anciens à partir de l’étude des légendes, de la langue
forme d’apprentissage des savoirs traditionnels qui et de récits historiques enregistrés directement
est plutôt publique et officielle : celle qui passe par auprès des Marquisiens les plus âgés. En résultat la
la recherche et la reconstruction de savoirs anciens création de Motu Haka et du Festival des arts des
tombés dans l’oubli. îles Marquises (Moulin, 1994), qui restent au centre
du mouvement pour la revitalisation culturelle et la
conservation de l’environnement des îles. Les objec-
La transmission par la reconstruction tifs des festivals biennaux sont :
« de renforcer l’âme marquisienne, “la fierté d’être
De nos jours, les anciens se souviennent avec nos- Marquisien”, de développer l’échange culturel inter-îles,
talgie d’une époque où leurs grands-parents racon- d’encourager la volonté de maintenir et d’impulser les
taient tous les soirs des histoires, et où tout le monde arts marquisiens, d’enseigner et de transmettre à la jeune
4. Quand j’ai obtenu le consentement de mes interlocuteurs marquisiens, j’ai utilisé leur vrai nom tout au long de l’article.
5. La séparation des espaces privés/publics aux Marquises n’est pas formalisée au sein des communautés soudées par des liens fami-
liaux et ces termes reflètent la tendance des savoirs traditionnels à être conservés dans les familles (voir Demmer, 2009).
280 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES OCÉANISTES

Diplôme avancé (bepc/ ville Temahaga, comm. pers., 12/08/2013). Beaucoup


Aucun des jeunes considèrent la pêche et le coprah comme
cap/bep/bac ou bac
Date de di- des activités de dernier recours, à laquelle leurs anciens
technologique/1re, 2nde ou 3e
naissance plôme
ou cep université/licence ou licence ont été contraints (Donaldson, 2019 : 89).
professionnelle) Pourtant, ceux qui reviennent aux Marquises mé-
avant langent souvent ces activités, comme Xavier (avec
16 % 9,5 % qui nous avons commencé cet article). La culture du
1973
après coprah, c’est-à-dire la chair de noix de coco séchée ex-
12 % 29 % portée à Tahiti pour la fabrication de l’huile de coco,
1973
reste en effet l’un des moyens de subsistance les plus
Tableau 1. – Taux d’éducation aux Marquises (pourcen- courants aux Marquises, tout comme l’artisanat et la
tage basé sur la population totale, 9 346 pers.) culture fruitière (des citrons, pamplemousses, man-
gues, bananes, etc.). Tandis que le coprah, la culture de
génération son histoire et sa culture. » (Kimitete et Ivory, Morinda citrifolia (ou noni, un fruit médicinal exporté
2016 : 275) aux pays étrangers) ou l’artisanat permettent de gagner
de l’argent, des activités comme la pêche, la chasse et
Ainsi, la création de Motu Haka, du festival et de la culture fruitière rapportent moins mais fournissent
l’Académie marquisienne ont rendu plus publique de la nourriture et contribuent à l’échange local. En
et institutionnalisée la production et la transmission apprenant à pratiquer ces activités ou d’autres, comme
des savoirs traditionnels. chercher des graines pour la fabrication des bijoux, la
Comme dans d’autres contextes océaniens, l’ap- jeune génération d’aujourd’hui (trente ans ou moins)
prentissage marquisien s’effectue davantage à partir continue ainsi de travailler la terre et d’aller en mer et
de l’observation, l’imitation et de la participation di- de reproduire certains savoirs. En même temps, elle
recte que par la discussion (par exemple Baba, 1985 ; assimile d’autres connaissances, en participant à des
Chazine, 1999 ; Thaman, 2019). En marquisien, festivals et à d’autres activités culturelles comme les
« apprendre » se dit ua kite te hana (Louis Hikutini,
compétitions de récits marquisiens qui ont lieu dans
comm. pers., 10/10/2013) ; littéralement « montrer
le travail ». Aujourd’hui, cela devient de plus en plus les l’écoles.
difficile, puisqu’une grande partie des enfants sont De cette manière, des savoirs traditionnels ont sur-
éloignés de leurs familles lorsqu’ils vont poursuivre vécu grâce à la revitalisation culturelle et à l’observa-
leurs études et qu’ils vivent à l’internat dans les trois tion ou le travail dans l’environnement local. Or, les
plus grands villages (à partir de 9 ans, voire parfois maires marquisiens espèrent utiliser le tourisme et le
plus tôt) ou à Tahiti (à partir de 15 ans). développement durable pour exploiter ces savoirs tout
D’autres changements ont énormément modi- en les préservant. Mais le capitalisme qui se trouve à
fié l’environnement quotidienne des enfants Mar- la base de ce plan ne fait aucune référence aux réseaux
quisiens. Mes frères et sœurs adoptifs (nés dans les d’échanges locaux, au mana ou à la vie polyvalente des
années 1970-1990) et les générations suivantes ont Marquisiens. L’ontologie locale et la partie des savoirs
grandi dans un monde où voitures, télévision, ordi- traditionnels identifiées comme « païenne » depuis
nateurs, portables et internet jouent un rôle prépon- des siècles (voir Alévêque, ce volume) ne sont pas
dérant. Pourtant, leur père Manuhi se souvient d’une non plus intégrées dans la vision moderne de l’avenir
enfance sans téléphone et même sans allumettes. marquisien promue par ces maires. De plus, ils n’envi-
Tandis que Manuhi et la plupart des autres Marqui- sagent pas l’impact potentiel de la commercialisation
siens de son âge ont quitté l’école tôt pour se marier du patrimoine sur sa préservation.
ou pour gagner leur vie en cultivant ou en pêchant,
ils ont poussé leurs enfants à poursuivre leurs études
(Riley, 1996). Selon le recensement de 2017, en Po- Mana et polyvalence marquisienne
lynésie française, les personnes âgées de 45 à 59 ans
sont le plus souvent titulaires d’un simple certificat Les savoirs écologiques traditionnels
d’études primaires (cep). Leurs enfants, ou les Mar-
quisiens nés après 1973, sont trois fois plus suscep- Les savoirs traditionnels témoignent du rapport
tibles d’avoir obtenu un diplôme avancé (bepc, cap, intime et interactif que les Marquisiens entretiennent
bep, bac, licence ou autre diplôme universitaire). Au avec leur environnement, une relation basée sur la
total, seulement 10 % des individus nés avant 1973 croyance dans le mana et le principe de réciprocité.
sont titulaires d’un diplôme avancé, contre 29 % des Comme l’a expliqué l’anthropologue Tim Ingold, les
personnes nées après 1973 (ispf, 2020). savoirs traditionnels émergent d’un enchevêtrement
De plus en plus de Marquisiens obtiennent leur bac- constitué des différentes relations et interrelations qui
calauréat ou suivent une formation débouchant sur effacent les limites entre l’organisme et l’environne-
une carrière salariée, rêvent d’une vie hors de la brousse ment ainsi qu’entre la culture et la nature. Produits
et des cocoteraies. Comme un homme de 22 ans qui par un processus collaboratif et dynamique, ces savoirs
rêve d’avoir son bac et d’aller en France me l’a dit, représentent une sorte de croissance et mouvement
« revenir ici [aux Marquises], pour quoi faire ? » (Join- continuel autour et à travers du monde matériel :
PATRIMOINE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE AUX ÎLES MARQUISES 281

tapu, qu’il y a du danger devant lui, ou


bien que quelqu’un dans sa famille va
mourir.
Par exemple, une jeune femme de 21
ans, Taueinui Piokoe, m’a expliqué les
signes qu’elle avait appris de sa grand-
mère :
« Elle m’a appris qu’ici, sur Tahuata,
chaque vallée où le brouillard tombe à un
certain endroit [dans la vallée de Motopu],
c’est une personne de cette vallée-là qui
va mourir… Au début, je n’y croyais pas,
mais à force de voir ça… Un jour elle m’a
dit : “Regarde ça ! Là il y a un tupapa’u
[mort]. Il est de Vaitahu.” » (comm. pers.,
5/12/2013)
Sa grand-mère disait que quelqu’un
Photo 3. – Les ruines d’un paepae dans le village de Hoho’i, Ua Pou (cli- de Vaitahu mourrait dans les semaines
ché Donaldson, 2013) à venir. Deux semaines plus tard, Tauei-
nui a appris qu’il y avait eu un décès à
« domain of entanglement [with] no inside or outside, and Vaitahu.
no boundary separating the two domains [of nature and En restant vigilants face à de tels signes, les Mar-
culture]. Rather there is a trail of movement and growth. quisiens démontrent leur respect pour les esprits des
Every such trail traces a relation » (Ingold, 2006 : 13-17) ancêtres. Mathieu, de son côté, affirme que chaque
Pour les Marquisiens, le mana génère cette énergie fois qu’il va sur un ancien paepae, il parle aux ancêtres
dans les gens, les lieux et les objets. et prend soin de ne pas les déranger :
La connaissance du mana provoque souvent des « Je demande, voulez-vous nous accepter ? On est vos
sentiments et des sensations chez les Marquisiens descendants donc on fait comme chez nous. » (Mathieu
(Donaldson, 2019 : 75). Par exemple, dans le village Tenahe Pautu, comm. pers., 25/10/2013)
de Taipivai, Mathieu Tenahe Pautu m’a raconté son
expérience du mana en tant que danseur dans des En forêt, les Marquisiens se comportent souvent
festivals. D’habitude, le festival a lieu sur un ancien en fonction de la présence des esprits ancestraux et
tohua ko’ina, un terrain de danse qui intègre des pae- de leur mana. La logique est que s’ils respectent les
pae (anciennes fondations de maisons en pierre), des esprits, ils seront respectés en retour ; ils inscrivent
sites cérémoniels ou d’autres structures : donc leur rapport aux ressources culturelles et natu-
relles dans une relation de réciprocité. Pour la plu-
« Quand tu vas sur un paepae, tu ressens autre chose. part des Marquisiens, cette relation reste en dialogue
C’est un autre milieu parce que tu as cette impression qu’il avec les pratiques chrétiennes et s’oppose fortement
y a le mana de nos ancêtres qui était sur toi, donc ça te
motive, en même temps, ça te pousse à être plus actif, à au capitalisme. En même temps, elle fait aussi par-
travailler dessus. » (Mathieu Tenahe Pautu, comm. pers., tie des savoirs traditionnels dont la transmission et
25/10/2013) continuation est prioritaire pour les maires, les scien-
tifiques et une grande partie des Marquisiens (voir
Dans la forêt, territoire proche des lieux où leurs an- aussi Bambridge et Le Meur, 2018).
cêtres ont vécu et sont morts, les Marquisiens disent Le traitement du mana associés aux savoirs des
souvent ressentir la volonté des esprits. D’autres ex- remèdes traditionnels reflète cette tension entre capi-
périences avec le mana sont effrayantes, menant par- talisme et savoirs écologiques traditionnels. L’effica-
fois à l’abandon ou même à la destruction des sites cité de ces remèdes repose sur les effets combinés de
historiques (Donaldson, 2019). leurs composants naturels et du mana ancestral, mais
En discutant des paepae tapu (ou sacrés), Manuhi aussi sur le respect dont la personne qui les utilise
m’a expliqué comment les Marquisiens suivent les fait preuve à leur égard. Paloma Gilmore Ihopu, une
signes de mana qu’ils ont appris avec leurs grands- danseuse et grand-mère de Omoa (Fatu Hiva), m’a
parents : expliqué qu’il y a, au sein de chaque famille élar-
« C’est comme ça quand tu passes à côté du paepae. gie, quelqu’un qui fabrique ces remèdes (apau). Le
S’il y a un coq qui chante, ou bien un vent glacial qui savoir de cette personne ne peut s’acheter, m’a-t-elle
passe à côté de toi, et ça te fait frissonner, là c’est quelque dit. En outre, ce savoir, qui vient des ancêtres, « n’est
chose. Ils sont en train de te demander de ne pas y aller. » pas quelque chose que tu peux demander, non. Les
(Manuhi Timau, comm. pers., 13/5/ 2013)
femmes qui font les apau sont choisies. Et elles choi-
Dans sa famille, c’est la cigale qui produit ce genre sissent avec qui elles veulent le partager » : une seule
de communication. Si Manuhi entend un chant de personne qui est prête à respecter et préserver ces
cigale particulier, il sait qu’il s’approche d’un paepae savoirs.
282 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES OCÉANISTES

« Ça garde intact le pouvoir [ou mana] des apau. Ce Et pour récolter l’écorce pour faire du tapa, elle pré-
n’est pas n’importe qui qui peut le faire. » (pers. comm., fère attendre la pleine lune :
17/08/2013)
« Quand c’est la nouvelle lune, c’est facile [d’enlever
Roberto Maraetaata, agent technique et secrétaire l’écorce], mais ce n’est pas tellement bien. Parce que
général et de Fatu Hiva, se souvient avoir regardé quand tu tapes [le tapa] il y a plein d’eau. Tandis qu’à la
son père, un guérisseur, fabriquer un apau avec des fin de la lune, ça colle un peu, c’est ça qui est bien. Parce
fleurs. Son père a ensuite « jeté » le médicament dans que le tissu rétrécit, et c’est bien. Ça ne casse pas. Il faut
la nature connaître ça. » (comm. pers., 21/08/2013)
« et il disait : “Tiens, ça c’est pour toi la nature. Mais Ce réseau des relations entre les humains et la
je demande ta bénédiction, je te demande de venir nature se retrouve fréquemment parmi les peuples
participer, de venir guérir cette maladie de cette personne autochtones (entre autres : Viveiros de Castro,
qui l’a voulu.” Parce qu’à chaque fois qu’il allait préparer 2004 ; Wright et al., 2009 ; Leonard et al., 2012 ;
ses médicaments, ses apau, à celui qui le lui avait demandé, Travési, 2020). Certains auteurs parlent d’« ontolo-
la première chose qu’il disait [c’était] : “Fais confiance, aie gie de connexion » (Wright et al., 2009), d’autres de
la foi. La confiance dans ce médicament, ces fleurs, ces relation « socio-écologique » (Leonard et al., 2012).
feuilles, ce sont des produits que je trouve dans la nature.
Ce n’est pas moi qui les ai inventés. Sans nos ancêtres, Pour les Maori, les Fidjiens, les Hawaïens et les
comment le faire ? Ces sont les dieux qui les ont offerts.” » autochtones de l’Amérique du nord et l’Amérique
(comm. pers., 19/08/2013) centrale, les activités agricoles sont fortement liées au
calendrier lunaire (par ex. : Beckwith, 2007 ; Ceci,
Il faut alors toujours préparer les apau : 1978 ; Ropiha, 2010 ; Veitayaki, 2005 ; Vogt et al.,
« avec un bon cœur. Parce que c’est gratuit. Tu paies 2002). En Nouvelle-Calédonie, le calendrier kanak
jamais pour ça. Et quand c’est fait et donné de bon de l’igname sacrée est associé à la migration des ba-
cœur, ce qu’on appelle en marquisien le ui’a, le pouvoir, leines à bosse (Sabinot et Lacombe, 2015). Pour les
l’électricité de ce médicament va monter à chaque fois. » Miriwoong de l’Australie, le moment de ramasser,
Cette « électricité », c’est le mana, un pouvoir an- chasser et pêcher dépend de la saison, des conditions
cestral qui fait fonctionner les médicaments, anime météorologiques et des événements phénoménolo-
les objets et lie les humains les uns aux autres et avec giques. Comme dans les îles Marquises,
tous les autres êtres de la nature (Donaldson, 2005). « Incorrect behavior is associated with spiritual retribution
Comme d’autres peuples autochtones, les Marqui- evident in negative outcomes such as dangerous weather
siens regardent souvent la lune, la mer et le temps conditions, a poor hunt, or physical ill health. » (Leonard et
lorsqu’ils plantent des arbres, vont à la pêche ou al., 2012 : 8)6
récoltent de l’écorce pour faire du tapa (Beckwith, Au cours des deux dernières décennies, de nom-
2007 ; Ropiha, 2010 ; Veitayaki, 2005 ; Vogt et al., breux scientifiques ont proposé de porter une plus
2002). Louis Cedric Kohueinui m’a ainsi raconté
grande attention à ces savoirs écologiques tradition-
comment, en regardant la saison et les arbres qui
nels. Les défenseurs de l’environnement considèrent
fleurissaient, son grand-père savait quels poissons il
aussi que ces savoirs ont une utilité écologique : leur
allait attraper :
point de vue sur les ressources se distingue de la
« Des fois, par rapport avec ce qu’il m’a dit, je regarde les logique du tourisme, du « profit » et d’autres inté-
signes. Il ne faut pas aller à la pêche [simplement] comme rêts capitalistes qui caractérise typiquement le déve-
ça. Il faut regarder la marée, si la mer elle est propre. Et loppement durable. Pour l’anthropologue Virginia
tu dois considérer la marée, la lune, le vent, et l’état de la Nazarea :
mer. Comme ça il m’a appris. » (comm. pers., 2/12/2013)
« Local knowledge and cultural memory are crucial for the
Hortense Titivehi Matuunui, une « vieille » de Fatu conservation of biodiversity because both serve as repositories of
Hiva, raconte également ce qu’elle a appris de ses alternative choices that keep cultural and biological diversity
parents et des autres anciens : flourishing. » (ma traduction, Nazarea, 2006 : 318)7
« Tous les vieux de Hanavave, c’était ça leur première Cette idée place donc les savoirs traditionnels au
occupation : le coprah, l’agriculture. Automatiquement, fondement du développement de projets de gestion
tu as ça dans la famille et tu t’impliques. C’est comme ça
que j’ai appris beaucoup de choses, comme le coprah, les plus durables et responsables de l’environnement
bananes séchées et la plantation des bananes. Pour planter, (Agrawal, 1995 : 413-414 ; Granderson, 2017 ;
tu prépares ton trou et quand tu vois que c’est marée Nolet, 2018). Dans le cadre de son étude sur les
haute, tu le mets en terre. C’est comme ça qu’il faut faire. » initiatives de conservation développées dans les îles
Yasawa, à Fidji, Émilie Nolet souligne la nécessité de
Hortense regarde aussi la lune, disant : considérer le rôle des « représentations inscrites dans
« Quand il y a une nouvelle lune, tu plantes. » la tradition, qui impliquent une solidarité étroite
6. « Un comportement incorrect est associé à une sanction spirituelle qui se manifeste dans des résultats négatifs tels que des
conditions météorologiques dangereuses, une chasse qui n’a pas réussi ou une mauvaise santé » (ma traduction).
7. « les connaissances locales et la mémoire culturelle sont essentielles pour la conservation de la biodiversité car elles servent comme
des dépositaires de choix alternatifs qui permettent à la diversité culturelle et biologique de s’épanouir. » (ma traduction).
PATRIMOINE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE AUX ÎLES MARQUISES 283

entre le visible et l’invisible, les forces surnaturelles D’un point de vue capitaliste, l’économie mar-
et les formes de la vie humaine, végétale et animale quisienne se caractérise par un taux de chômage de
rassemblées dans l’entité indivisible du vanua » dans 28,3 %, le niveau le plus élevé de toute la Polynésie
les pratiques conservatoires. Elle conclut que la française (ispf, 2020). Mais ces chiffres ne rendent
préservation du milieu naturel doit s’engager dans pas compte de la réalité d’une économie locale
la préservation des « équilibres ou des dynamiques basée sur la solidarité familiale et un solide réseau
relationnelles essentiels » qui forment à la fois la base d’échanges monétaires et non-monétaires (une situa-
de la nature et de la culture (Nolet, 2018 : 25-26). tion également remarquée en Nouvelle-Calédonie,
Élodie Fache et Simonne Pauwels sont arrivées à la voir Bouard et Sourisseau, 2010). En fait, la codim
même conclusion dans leurs recherches sur la sur- estime « le taux d’autoconsommation et de vente par
pêche à Fidji (2020). les circuits informels à 77 % » (codim, 2012 : 27).
Pour les Marquisiens, ces relations intimes avec l’en- Comme d’autres insulaires du Pacifique, les Marqui-
vironnement peuvent aussi véhiculer des émotions siens ont développé leur propre économie, qui com-
ambivalentes et même de la peur. Un manque de bine les systèmes traditionnel et capitaliste occidental
respect ou d’attention aux signes du mana peut avoir (Browne, 2006 : 22-23 ; Donaldson, 2019 : 90).
des conséquences néfastes et entraîner la malchance, Cette situation se traduit par la polyactivité des
la folie ou même la mort (Donaldson, 2019 : 31). À habitants (la polyvalence). En raison de l’éloigne-
partir des années 1830, l’Église catholique a qualifié ment de leurs îles les unes des autres et du coût élevé
ces croyances de « superstitions » qu’il fallait ignorer des transports, les Marquisiens combinent souvent
(Donaldson, 2018a)8. Pourtant, les Marquisiens ont plusieurs activités comme la récolte du coprah, la
continué à manifester du respect pour certains lieux culture fruitière, l’apiculture, l’artisanat (y compris
ancestraux et d’entretenir des relations réciproques la sculpture et la fabrication de bijoux artisanaux), la
avec les esprits. Ces éléments restent des points cen- pêche, la chasse, ou l’élevage, en plus de leur métier
traux de leur ontologie, au cœur de leur rapport à la de boulanger-pâtissier, de chauffeur, de responsable
nature et de leurs moyens de subsistance. Enracinés de pension, de gérant de magasin, de fonctionnaire
dans cette perspective, les savoirs traditionnels mar- ou d’autres emplois (codim, 2012 : 16). Générale-
quisiens cultivent donc une approche particulière de ment, toutes les activités utilisant la mer ou la terre
l’argent et du développement économique. impliquent les réseaux d’échanges familiaux parce
que la plupart des terres et des bateaux appartiennent
(ou sony utilisés) moins par des individus que par des
L’économie marquisienne familles (Donaldson, 2018b).
L’engagement dans cette économie d’échange « tra-
Au cœur de la conception du mana se trouve l’idée ditionnelle » est aussi important pour les Marqui-
de réciprocité. Comme l’explique l’anthropologue siens que celle de l’économie capitaliste en ce qu’elle
marquisien Edgar Tetahiotupa, le sens même du permet d’entretenir et de préserver les liens familiaux
mot « merci » (ko’utau) fait référence à la réciprocité. qui sont beaucoup plus constants et stables que les
Cette expression est en effet tirée de l’expression : occasions de gagner de l’argent, qui vont et viennent.
« kou ta’u e ha’ahua i ta’oe » ou « je te le ramènerai si La plupart des villages des Marquises sont petits
je peux » (Tetahiotupa, 2012). Ce principe de réci- (moins de 200 habitants), isolés les uns des autres
procité soutient toutes les relations quotidiennes. d’une demi-heure à quatre ou cinq heures de route
Représentant le respect pour les ancêtres et la famille, en raison d’un relief accidenté. Dans ces villages, il
le mana contribue à la vision marquisienne de la réci- n’y a que des petits magasins qui se spécialisent dans
procité sociale et leur moyen de subsistance, tout en les biens nécessaires à la vie quotidienne. Pour la plu-
clarifiant la séparation entre l’économie marchande part des autres choses (les matériaux de construction,
et non marchande. les appareils électroniques, les voitures, etc.), il faut
Comme une fermière de Fatu Hiva me l’a expli- payer non seulement le prix de l’objet mais aussi les
qué, elle peut travailler pour manger mais si elle a frais de transport depuis Tahiti, ce qui peut augmen-
besoin d’acheter quelque chose, elle cherche un em- ter et même en doubler le prix. Le recours à l’argent
ploi auprès de la commune ou pratique une activité est donc limité par l’accès aux produits de l’extérieur.
artisanale. Les Marquisiens sont bien conscients de la différence
entre l’économie locale, basée sur le respect fami-
« C’est pour ça que nous faisons de l’artisanat. Même si
on ne gagne pas beaucoup, mais quand on descend pour lial et le mana, et l’économie capitaliste, basée sur
l’exposition, là on a de la chance de gagner un plus et on l’échange d’argent contre des biens, et ils savent éga-
peut acheter, je ne sais pas moi, un moteur hors-bord ou lement qu’une vie stable dépend du mélange des acti-
des trucs pour la maison. Si tu travailles ici à l’artisanat, vités qui impliquent ces deux économies différentes.
tu crois que tu peux payer [pour] un truc que tu veux ? Par exemple, Heato Teikiehuupoko a choisi de par-
Non. » (Catherine Kohueinui, 23/08/2013) tir faire des études supérieures à Tahiti pour acquérir
8. La majorité des Marquisiens sont catholiques mais il y a aussi des protestants, des témoins de Jéhovah et des pentecôtistes. Tout
comme l’Église catholique mais à leur façon, ces religions rejettent les croyances traditionnelles qu’elles considèrent comme « sata-
nistes » ou « païennes ».
284 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES OCÉANISTES

« une connaissance générale » avant de revenir aux nous, les jeunes, on ne sait pas – il y a plein de trucs qu’on
Marquises, car : a oublié de nos ancêtres et tout. Et ça ne va pas s’arrêter
là […] Parce que tout ce que tu vois, ce qu’on apprend à
« je me disais qu’ici, pour vivre à Ua Pou, il fallait quand l’école, ce qu’on apprend à faire, c’est moderne. Tout est
même connaître un peu de beaucoup de choses, toucher à modernisé maintenant. » (comm. pers., 2013)
tout et être pluriactif. Se spécialiser dans un domaine, c’est
la mort assurée, comme on dit en termes économiques Quand j’ai demandé à Xavier ce qu’il entendait par
[…] Ceux qui arrivent à s’en sortir dans l’exercice d’un « modernisé », il m’a répondu :
métier spécialisé, ce sont les métropolitains qui sont
retraités. Donc, ils ont toute l’assurance de leur retraite « Il faut gagner les sous, il faut aller acheter ça et ça pour
au cas où leur business ne tourne pas. Mais si toi, tu te vivre. Ce n’est pas comme dans le temps de nos ancêtres.
lances dans un business et que tu n’as pas déjà de retraite, Ce n’était pas un échange des sous, on échangeait tout ce
et que ça se casse, [il sera] difficile de se relever après. Et qu’on avait. »
c’est pourquoi, après, la plupart préfère être salarié. Parce Xavier déplore donc les changements apportés par
qu’on ne donne pas la motivation au départ. Il n’y a pas de l’argent. Éprouvant le même sentiment de nostal-
suivi. » (comm. pers., 19/10/2013)
gie que ses aînés, il regrette ce qu’on appelle « la vie
Xavier, qui est actuellement âgé de 33 ans, fait face communautaire d’avant » (les années 1950 et avant),
aux mêmes défis. Il n’a pas pu lancer son entreprise lorsque les gens se portaient collectivement assis-
d’électricité ou apprendre à sculpter, mais avec l’aide tance, confiants dans le fait que cette aide leur serait
de sa famille, il s’est procuré son propre speed boat. rendue plus tard (Donaldson, 2019 : 87). Il explique
Il continue à pêcher et il travaille occasionnellement qu’aujourd’hui :
pour la commune. Le poisson sert plutôt d’objet « tout le monde cherche à se remplir les poches. Si tu
d’échange dans son village, mais il arrive à vendre ne peux pas payer pour le travail, tu ne trouveras pas des
son poisson à l’occasion. De temps en temps, Xavier travailleurs. C’est chaque homme pour sa petite famille,
envoie du poisson congelé à sa famille à Tahiti et, et pour l’argent. Personne [ne] pense à la population. »
en retour, il reçoit de la nourriture et d’autres choses (comm. pers., 2013)
qui ne sont pas disponibles aux Marquises. Pour-
tant, les rêves de Xavier représentent quelque chose Les expositions d’art marquisien à Tahiti reflètent
de plus grand : une lutte contre le stéréotype, hérité cette tension entre l’individu et la communauté.
de la colonisation, des « sauvages » Marquisiens sans Actuellement, nombre d’artisans confirmés signent
éducation ni ressources qui ne sont pas capables de leurs produits de leur nom, mais la plupart des objets
réussir dans le monde moderne. Xavier m’a raconté sont vendus sur un seul stand géré par des fédérations
sa rencontre avec cette logique à Tahiti, notamment d’artisans qui déterminent les prix.
lors de ses premiers échanges avec des Tahitiens Les artisans qui vendent dans cette exposition et ail-
lorsqu’il était un étudiant. Il fréquentait déjà une fille leurs distinguent alors le travail pour la famille (fait
tahitienne depuis un an quand sa famille a constaté d’échanges) du travail pour « soi-même » (produits
qu’un ordinateur avait disparu de chez eux. Bien vendus à des touristes ou lors d’expositions) (Flavian
qu’innocent, Xavier a été immédiatement consi- Pavaouau, 22/08/2013).
déré comme suspect. Après ce malentendu, Xavier Le commentaire de Philippe Teikitohe, un sculpteur
a remarqué que les parents de cette fille avaient mis de Hoho’i, Ua Pou, souligne cette séparation et ses
du temps à l’accepter et l’avaient longtemps traité enjeux. Aujourd’hui, il ne sculpte que rarement parce
comme « un moins que rien », jusqu’au jour où il est que, comme il le dit, ce savoir a été transmis de son
allé à la pêche avec le père de son amie. C’est seule- grand-père à son père, puis à lui : « c’est notre culture
ment à partir de ce moment-là, quand ils ont remar- à nous. » Et de poursuivre : « j’aime bien faire de la
qué que Xavier était compétent dans les domaines sculpture pour moi, mais pas pour vendre », parce
traditionnels, que les parents de cette fille ont com- que les ancêtres lui ont laissé ce savoir gratuitement.
mencé à lui montrer de la considération. Suite à une visite de l’exposition, il a remarqué :
Quand Xavier parle de la pêche, on sent qu’il est fier « C’était malheureux [parce que] ce n’est plus de l’art.
d’être Marquisien. Mais pour lui, ces compétences C’est une production. Et on travaille vite, ce n’est plus
coutumières, qui l’ont rendu plus visible et crédible de l’art. [Parce que avec l’art,] il y a une histoire. [Mais,
face aux parents de son amie tahitienne, font partie à l’exposition,] on met n’importe quoi [comme motif ]. »
du problème. Tout au long de sa vie, ses savoirs tra- (comm. pers., 10/10/2013)
ditionnels marquisiens ont été sous-estimés, d’abord Ce commentaire reflète l’opposition claire entre
à l’école puis, par la suite, à travers ses expériences à argent et mana marquisien. Ainsi, pour Roberto Ma-
Tahiti. Inspiré par tout ce qu’il a vu et vécu là-bas, raetaata (cf. supra), les apau de son père ont toujours
lorsqu’il est revenu aux Marquises après ses études, été gratuits. Ces médicaments ayant été donnés par
Xavier espérait devenir plus indépendant et parti- les ancêtres en cadeau, faire payer quelqu’un pour les
ciper davantage à ce qu’il appelle « la modernité. » recevoir abîmerait leur pouvoir. Le plus important
Comme il me l’a expliqué : est donc de les préparer et de les donner « de bon
« Quand tu vas à l’école et qu’ils te racontent des cœur » (comm. pers., 19/08/2013). Philippe Tei-
histoires, ce n’est jamais des histoires sur les Marquises, kitohe envisage de la même manière la sculpture, à
c’est toujours en dehors. Tu vois ? Et après je trouve que laquelle son grand-père l’a formé.
PATRIMOINE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE AUX ÎLES MARQUISES 285

Malgré leur vie polyvalente et la vivacité de leurs sa- Marquises et promouvoir le développement de leurs
voirs traditionnels, nombre de Marquisiens opèrent îles. Inspiré par les communautés de communes en
une distinction entre la « tradition » et la « moder- France, ce regroupement de toutes les communes de
nité » (ou parfois la « globalisation ») (par ex., Joseph l’archipel a été le premier du genre en Polynésie fran-
Kaiha, comm. pers., 17/10/2013 ; Rose-Nathalie çaise. Comme la codim l’a souligné :
Motahu, comm. pers., 25/10/2013 ; Sabrina Barsi-
« L’ambition de la codim est ainsi de mettre en place et
nas Teatiu, comm. pers., 5/10/2013). Comme Xa- de maintenir des activités “durables” aux Marquises, au
vier me le confiait : profit de la population locale, et dans le respect du ‘capital
« Je suis en train de vivre la vie d’avant et la vie d’après… des ressources’ qui l’alimente, afin que jamais, il ne soit
Je suis dans la modernité, mais pas tellement dans la ni épuisé, ni dégradé de manière irréversible. » (codim,
modernité. » (comm. pers., 8/12/2013) 2012 : 10)
Les Marquisiens mènent donc une vie à la fois mé- Les objectifs de leur plan de développement éco-
langée et adaptée, toujours conscients de cette tension nomique durable sont donc à la fois de « préser-
entre deux économies et deux perspectives différentes. ver le patrimoine naturel, culturel et artistique, de
Cette négociation constante du passé, du présent et de le protéger, le faire connaître et le transmettre aux
l’avenir se produit dans l’affrontement entre la « tra- générations à venir » et de « créer des emplois et des
dition » et la « modernité » et son conflit interne se richesses économiques » (codim, 2012 : 10)
retrouve également dans l’idée de revitaliser la culture C’est une vision qui offre aux insulaires un avenir
à travers des projets de « développement durable. » à la fois attirant et durable, créé par les élus marqui-
siens pour faire évoluer leurs propres communautés
et leurs îles. Mais ces projets ont fait l’objet de réac-
Espoirs de développement et de préservation tions mitigées qui suggèrent que la codim s’est laissée
influencer par une conception du « développement
Plan de développement économique durable économique durable » comme expression du capita-
lisme occidental.
Le développement et les savoirs traditionnels entre- Par exemple, le plan de développement écono-
tiennent des rapports compliqués. Le développe- mique durable (pdem) cherche à valoriser « un patri-
ment occidental, en particulier, est souvent traité moine matériel et immatériel », y compris les savoirs
comme une force irrésistible qui domine et réprime écologiques traditionnels, de manière à pouvoir no-
les savoirs traditionnels dans l’histoire ; mais ce pas- tamment l’utiliser comme une ressource touristique9.
sé est aussi un récit de persévérance et de ténacité Selon ce rapport, les principaux atouts des Marquises
humaines (voir, entre autres, Galaty, 2013 ; Leblic, seraient « une nature spectaculaire et bienveillante »,
1993 ; West, 2006 ; Wright et al., 2009). L’Occident « un “savoir être” marquisien », et l’« authenticité de
est habitué à un modèle de développement dont la la culture, du patrimoine et du peuple marquisien »
base est le capitalisme occidental et le progrès scien- (codim, 2012 : 17, 22). Les valeurs principales de la
tifique, la technologie et la poursuite de la richesse codim sont « l’identification, la préservation, la pro-
individuelle. Les Marquisiens critiquent ce modèle tection et le développement du patrimoine marqui-
de développement. L’une des plus grandes villes de sien », qui comprennent « les bases d’un développe-
la Polynésie française, Papeete, en est l’exemple prin- ment durable » (codim, 2012 : 83). Pourtant, cette
cipal, avec ses embouteillages, sa pollution, sa cri- « histoire forte et encore vivante dans le cœur des
minalité et sa corruption politique. Ainsi, la codim marquisiens » et l’image « d’un peuple uni et fier de
propose-t-elle une autre voie, celle d’un avenir forte- sa culture » sont en réalité beaucoup plus complexes
ment ancré dans les racines du passé et la valorisation que ne le suggère le rapport (codim, 2012 : 22, 83).
des traditions marquisiennes. Cette idée représente
une route originale pour affirmer l’identité marqui- L’objectif qui consisterait à
sienne et échapper à la domination de Tahiti où se « développer le tourisme “authentique” mais… pas trop,
concentrent, depuis des décennies, la plupart des et pas trop vite » est significatif de cette complexité. Les
ressources, de l’argent et du pouvoir de la Polynésie détails de cette conception seront expliqués plus loin dans
(Moulin, 1994). À l’instar des fondateurs du mou- l’article, mais le but est de développer, sans les abîmer,
vement de revitalisation culturelle (par ex., Ivory, l’authenticité et les atouts principaux de ces îles : « [un]
1999 ; Kimitete et Ivory, 2016), la codim envisage territoire vierge, [le] contact avec l’habitant, peu de
constructions imposantes et qui pourraient dénaturer le
d’utiliser la culture des Marquises pour véhiculer les cadre » (codim, 2012 : 25).
changements qu’elle a envisagés pour l’avenir et faire
entendre sa voix, en Polynésie et dans le monde. Malgré ces objectifs, le plan se concentre sur des
La codim a été créée par les six maires marquisiens questions économiques plus que culturelles et
pour favoriser la solidarité entre les communes des n’évoque ni le mana, ni la signifiance spirituelle de la
9. Selon le pdem, « le patrimoine culturel contemporain des Marquises s’exprime dans la danse, dans l’artisanat, dans les légendes,
dans la langue marquisienne, le tatouage et l’art culinaire » (codim, 2012 : 53). En outre, le plan note qu’« un des piliers du patrimoine
marquisien est les sites naturels et culturels, témoignages exceptionnels d’une nature préservée et sauvage et d’une histoire forte et
encore vivante dans le cœur des marquisiens » (codim, 2012 : 83).
286 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES OCÉANISTES

entre divers enjeux politiques, écono-


miques et sociaux.
• Les projets d’aires marines protégées
Au niveau national, en 2016, le
président de la Polynésie française,
Édouard Fritch, a annoncé la création
d’une grande aire marine protégée, Te
Tai Nui Atea. Regroupant l’ensemble
de la zone économique exclusive (zee),
cette aire a été lancée en 2018. Elle uti-
lise la logique polynésienne du rahui
(en marquisien, kahui), un système tra-
ditionnel de conservation de certaines
ressources, en vue de poursuivre l’objec-
tif de protection de toutes les eaux poly-
nésiennes (Petit et Tanret, 2019). Pour-
tant, d’autres projets ont déjà montré
Photo 4. – Manuhi Timau, un des pêcheurs artisanaux visé par les « protec- comment cette stratégie risque d’utiliser
tions » de Hiva Toa, à la pêche près de Tahuata en 2013 (cliché Donaldson) le rahui hors de son contexte local pour
accomplir des projets de l’État (Bam-
nature, ni l’importance de la réciprocité dans l’onto- bridge, 2016 ; Dégremont, 2017)10. Pour la codim, ce
logie marquisienne (codim, 2012 : 23). défi est toujours d’actualité.
En juillet 2017, la codim a publié un rapport sur
Projets de patrimoine-comme-développement un nouveau projet nommé Hiva Toa ou Marque-
sas Fisheries Project. Ses objectifs étaient doubles :
• L’inscription au patrimoine mondial de l’unesco créer des emplois pour les Marquisiens et protéger
La demande d’inscription des îles Marquises au pa- en même temps les espèces menacées et la pêche
trimoine mondial de l’unesco, lancée il y a des décen- artisanale. Leur plan prévoyait pour la première fois
nies et toujours en cours, présente un autre exemple. d’autoriser la pêche industrielle du thon rouge dans
Elle s’appuie dans sa formulation sur un modèle simi- les eaux marquisiennes, à travers un partenariat avec
laire et encore plus limité par les restrictions imposées la société de pêche privée originaire de Tahiti, Big
par la vision trans-nationale du « patrimoine mon- Eyes (codim, 2016). Pour les Marquisiens, cette
dial ». Les critères de classement utilisés pour identi- idée représente le pire du capitalisme et du risque
fier les éléments les plus remarquables du patrimoine de corruption en provenance de Tahiti. Elle active
marquisien ne laissent aucune place aux croyances également les tensions politiques établies entre la
non chrétiennes. Or s’il n’intègre pas l’existence du « périphérie » des Marquises et le « centre » (poli-
mana, le dossier d’inscription à l’unesco ne pourra tique, économique, technologique, sociale) de Tahiti
jamais rendre compte du sens et de la valeur des sites (Moulin, 1994).
ancestraux pour les Marquisiens (Donaldson, 2019 : Joseph Kaiha, maire de Ua Pou, a répondu à ces
132, 174). Même si les Marquisiens qui travaillant inquiétudes en septembre 2017 :
sur ce projet sont bien conscients de l’importance « C’est vrai qu’actuellement, il y a des avis partagés. Il
du mana dans leurs vies quotidiennes, l’absence de faut accepter. Je pense qu’il y a des informations à faire
celle-ci dans le dossier suggère que l’ontologie mar- passer. Mais déjà, dès le départ, nous avons bien souligné
quisienne n’est pas encore assez importante pour avec l’investisseur que c’est une activité qui doit être au
avoir une valeur au niveau mondial. Ce sacrifice de profit de la population des Marquises, avec les emplois.
l’ontologie locale au nom d’un idéal mondial reflète Mais aussi le développement économique de la Polynésie
le débat au cœur de tous les projets de développe- à partir des Marquises. » (Tahiti Infos, 2017)
ment marquisiens actuels. Dans le pdem comme dans Malgré ces bonnes intentions, la population mar-
le projet unesco, les élus des Marquises ont négocié quisienne n’a pas été convaincue et elle a rapidement
différents objectifs : protéger la culture marquisienne considéré le projet Hiva Toa comme un « projet de
et améliorer le niveau de vie de la population, tout pêche industrielle » (tntv News, 2017). Un col-
en mettant en valeur la culture et l’environnement lectif, Te Papua no te Tai Moana o Hiva, a ainsi été
uniques marquisiens aux niveaux national et inter- créé pour soutenir les intérêts des Marquisiens dans
national. Un équilibre entre ces processus est absolu- la préservation et l’utilisation des ressources de leurs
ment nécessaire, mais pour le trouver, il faut naviguer eaux, si bien que l’arrivée des premiers thoniers ta-
10. Les projets des aires marines protégées, Te Tai Nui Atea (en Polynésie française) et Te Tai Nui a Hau (aux îles Marquises) évoluent
parallèlement à, et parfois avec, le projet de l’inscription à l’unesco. Ces projets se sont basés sur des recherches scientifiques, comme
le projet sur les ressources littorales palimma – Patrimoine lié à la mer aux Marquises (Duron, 2013). Deux sites présents dans la
demande d’inscription à l’unesco comprennent des zones marines : la baie de Hoho’i et la zone marine de Hatutu (Polynésie 1ère,
10/04/2018).
PATRIMOINE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE AUX ÎLES MARQUISES 287

hitiens de Hiva Toa aux Marquises a rencontré une contribuer au développement économique des Marquises
résistance immédiate de la part des habitants. Des et du Pays. » (codim, 2018)
manifestations ont eu lieu aux Marquises ainsi qu’à Cette amp serait l’une des plus grandes du monde,
Tahiti et des pêcheurs locaux se sont directement un label « reconnu au niveau international » qui
opposés aux thoniers tahitiens, les empêchant même « permettra[it] également aux Marquises d’attirer un
de s’amarrer à Hiva Oa (tntv News, 2017). écotourisme de qualité en positionnant l’archipel sur
Un des pêcheurs de Nuku Hiva, Thierry Tekuataoa, l’échiquier international » (codim, 2018).
a précisé leur opposition de la manière suivante : La codim se rend compte de l’importance de la dé-
« Nous avons voulu, par ce geste, montrer que nous ne fense de la culture marquisienne : elle estime en effet
sommes pas contents et que nous ne voulons pas voir ces que la création de l’amp « répond à une attente forte
thoniers dans notre archipel. Nous ne voulons pas de cette de la société civile marquisienne qui souhaite ardem-
pêche industrielle qui viendrait détruire notre écosystème, ment protéger son patrimoine et qui l’a fait savoir »
notre tourisme et notre pêche artisanale. » (J. Hunter, La (codim, 2018). Ses représentants cherchent donc un
Dépêche de Tahiti, 13/10/2017) modèle de développement qui arriverait à préserver
Les manifestations ont rassemblé plus de 3 000 l’environnement et le mode de vie traditionnel tout
personnes, tandis que plus de 15 000 ont signé une en fournissant des opportunités d’emploi aux habi-
pétition contre le projet (codim, 2018 : 12). tants. Mais les enjeux politiques et les pressions inter-
Comme la codim l’a expliqué par la suite, lors des nationales demeurent cependant sensibles : la vision
manifestations et « des diverses consultations, il est du développement économique (capitaliste), basé sur
apparu que la plupart des acteurs marquisiens souhai- l’écotourisme, témoigne de la tension entre les ambi-
taient interdire complètement la pêche industrielle tions diverses de la codim et le risque qu’elles repré-
et semi-industrielle dans les eaux des Marquises et sentent pour les Marquisiens (voir Dégremont 2017).
autoriser uniquement une pêche artisanale dans la • L’Académie marquisienne
zone des 50 milles marins » de la côte. En réponse, Si les nouveaux projets de développement comme
les élus des Marquises ont suspendu le projet Hiva Te Tai Nui a Hau ignorent l’ontologie marquisienne,
Toa. Grâce au travail mené par l’ong Pew et la Fédé- ils risquent de menacer ce qu’ils visent à protéger. La
ration des associations de protection de l’environne- revitalisation de la langue marquisienne en fournit
ment (fape), qui ont effectué plusieurs missions aux un exemple. L’Académie marquisienne a été créée
Marquises en 2017 et 2018 pour mieux comprendre en 2000 pour préserver le marquisien, mais comme
les différents usages et la biodiversité des eaux mar- Kathleen Riley l’a remarqué, cette nouvelle institution
quisiennes, la codim a alors recentré ses efforts sur la n’a pas réussi à prendre en compte les évolutions de la
création d’une nouvelle aire marine protégée (amp) langue actuelle parce qu’elle était fondée sur l’idée de
(codim, 2018). préserver une langue marquisienne « pure », au lieu
Ce nouveau projet, intitulé Te Tai Nui a Hau, pro- de soutenir un marquisien parlé qui a évolué pendant
pose une « vision harmonieuse du développement », des siècles sous l’influence coloniale du français, du
basée sur la création d’un « zonage de compromis tahitien et de l’anglais. Le modèle scolaire français,
entre les différents usagers » des eaux marquisiennes et suivi par l’académie, promeut l’enseignement de la
la préservation des espèces menacées (codim, 2018). langue dans les écoles et par les livres plutôt que dans
Entre 2012 et 2016, cette initiative a engagé les habi- les foyers ou d’autres environnements. Pourtant, au
tants de chacune des îles dans des recherches sur « la cours de son évolution, la langue parlée s’est détachée
tradition orale, la toponymie littorale, les légendes [et] de l’idéal adopté par l’Académie, créant une fissure
les savoirs liés à la pêche ou à la navigation » (Hatuu- dans le processus de conservation et dans la langue
ku, 2016). Inspirés par ce projet, les élèves de l’école elle-même. Tant que le modèle de légitimation restera
primaire de Vaitahu, à Tahuata, ont lancé leur propre français (une académie), les Marquisiens ne pourront
initiative de préservation avec l’invention du réseau pas parler leur propre langue telle qu’elle est utiliseé
d’aires marines éducatives Pukatai en 2013. Depuis dans la vie quotidienne sans se demander si c’est la
2019, le réseau compte six villages, un sur chacune des « vraie » langue ou non (Riley, 2007). De même que
îles habitées des Marquises (ifrecor, 2019). pour les projets de développement durable, cette ten-
Te Tai Nui a Hau exprime une forte conscience de sion menace l’objectif global de protection et d’en-
la culture et des habitants des Marquises. Pourtant, couragement de la langue marquisienne.
une tension demeure au cœur des objectifs de l’amp. Malgré tout l’enchevêtrement de la vie polyvalente,
D’après la codim : ce genre d’opposition entre tradition et développe-
« l’amp proposée permet une préservation des ressources
ment est souvent envisagé comme une menace pour
halieutiques, pour que le développement de la pêche aux les peuples autochtones, au point même de déstabi-
Marquises devienne un axe économique durable. Elle offre liser l’interprétation des idées de « développement »
aussi la possibilité aux pêcheurs artisanaux des Marquises et de « conservation » lors de leur réalisation (West,
de continuer à vivre de leur travail et à nourrir leur famille. 2006). Ainsi, la perception locale du changement cli-
Elle laisse enfin la place à un développement de la pêche matique à Tongoa, au Vanuatu, montre comment la
hauturière dans une partie des eaux de l’archipel, pour transition vers une économie monétaire a promu les
288 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES OCÉANISTES

savoirs et les valeurs occidentales. Comme l’explique Un développement durable similaire à ce que la
Ainka Granderson : « De plus en plus, les jeunes gé- codim a proposé, basé sur le patrimoine et les savoirs
nérations réclament et estiment les savoirs et les tech- écologiques traditionnels, représente une réelle op-
nologies occidentales comme plus important que la portunité pour reconnaître ce contexte ontologique
kastom save [ou les savoirs traditionnels] », tandis complexe et construire un modèle de progrès qui
qu’il y avait « un changement vers la mentalité indi- intègre les valeurs et perspectives autochtones (par
vidualiste et une dégradation des liens de la parenté ex., Wright et al., 2009). La codim est bien placée
et le milieu social en général ». L’auteur remarque pour guider ce processus et valoriser les savoirs, les
que la globalisation et l’introduction de l’économie croyances et l’ontologie des Marquisiens. Comme
monétaire ont sapé « l’indigénisation de la modernité » décrite par John
« trust and reciprocity within communities are undermined,
Galaty, où les gardiens de troupeaux Africains se sai-
as villagers do not contribute to communal activities sissent des institutions modernes et « les plient à leurs
and overexploit communal resources for personal gain. » besoins et intérêts » (Galaty, 2013), les élus des Mar-
(Granderson, 2017 : 554)11 quises font face aujourd’hui à l’opportunité de s’enga-
ger sur la voie d’une indigénisation du développement
Le cas des Marquises montre à quel point il peut durable. La direction de l’avenir et la préservation des
être difficile de revitaliser les savoirs traditionnels au- ressources naturelles et culturelles marquisiennes dé-
tochtones au nom d’une patrimonialisation et d’un pendront de la création d’un paradigme « mélangé »
développement durable basé sur le capitalisme et le (pour reprendre les termes de Teikiheitaa).
colonialisme. Pourtant, il me semble que cet objectif Un livre récent dirigé par l’intellectuelle hawaïenne
pourrait être réalisé à travers un engagement plus fort Nālani Wilson-Hokowhitu (2019) propose plusieurs
vers des solutions créatives, ancrées dans les perspec- visions stimulantes de l’idée de mo’okū’auhau : une
tives diverses et surtout dans une compréhension et sorte de connexion spirituelle et réciproque qui tra-
le respect des ontologies locales. verse le temps, toutes les espèces et choses sur terre
(mo’o, la lignée ; kū, l’ancre ; et ’auhau, les os du
fémur et l’humérus) (Wilson-Hokowhitu (2019 :
Conclusion : reformuler la modernité 127). Cette conscience collective présente la pos-
sibilité d’évoluer à travers la découverte (ou, en
Lors des manifestations menées contre le projet réalité, redécouverte) et la valorisation des relations
Hiva Toa, les Marquisiens ont exprimé leur résis- holistiques qui impliquent tous les êtres vivants et
tance face à la pêche industrielle mais aussi révélé notre environnement, une idée qui vient des an-
l’existence d’un conflit plus profond, entre deux cêtres hawaïens (Ho’omanawanui, 2019 : 51 ; voir
visions différentes de l’avenir. Le modèle de dévelop- aussi Clifford, 2013). Les auteurs affirment que la
pement durable proposé par ce projet s’appuie sur connaissance née de cette conscience guérit la société
des aspirations essentiellement économiques comme et produit de la continuité (Wilson-Hokowhitu et
le tourisme et le taux de chômage, faisant l’impasse Aluli Meyer, 2019 : 4). Lié à la durabilité et à l’avenir
sur les valeurs essentielles des Marquisiens. de toutes les populations autochtones, mo’okū’auhau
La menace liée à ce conflit d’intérêts n’est pas nou- suggère une façon de
velle (voir Dening, 1980 ; Handy, 1923 ; Ivory, 1999 ;
« sailing into the future while remaining deeply connected
Radiguet, 2001 ; Thomas, 1990). Pourtant, avec l’es- to ancestral vision and guidance. » (Wilson-Hokowhitu,
sor récent des projets « patrimoine-comme-dévelop- 2019 : 126)12
pement » aux Marquises, elle se fait à nouveau sentir,
comme le suggèrent les manifestations et les réflexions Le lien fort entre cette conception et celle du
de Heato, Xavier et d’autres sur la « modernité ». développement durable est tout aussi évident aux
La reconnaissance de la complexité des relations Marquises, où le mana et le respect spirituel qu’il
entre la tradition et le changement aux Marquises représente sont vivement impliqués dans les espoirs
est donc urgente. Comme le dit Teikiheitaa Sylvain marquisiens pour l’avenir de leurs îles. La revita-
Fournier, un membre de l’Académie marquisienne : lisation du patrimoine et des savoirs traditionnels
promise par le pdem, Te Tai Nui a Hau et d’autres
« Maintenant, la danse marquisienne s’améliore, avec le projets, permettrait de résoudre la tension actuelle
temps, et un peu de changement est bon. Le but, c’est
marquisien, mais la façon de taper le pahu [le tambour]
entre le mana et le développement à travers la créa-
n’est plus le même. Ça modernise un peu la sonnerie des tion d’un nouveau genre de développement durable
pahu. C’est normal. La lignée des anciens a disparu et c’est qui reconnaitrait les liens ancestraux, les perspectives
la lignée de la jeunesse qui arrive. Et la modernité arrive et l’économie marquisiennes. L’idée de mo’okū’auhau
avec eux… et ce modernisme correspond à l’évolution des peut inspirer cette modification, malgré les obstacles,
jeunes » représentant un « mélange » de changement avec avec la participation de la population marquisienne.
l’identité marquisienne (comm. pers., 9/10/2013) Déjà, la codim, qui est composée de Marquisiens,
11. « la confiance et la réciprocité dans les communautés… lorsque les villageois ne contribuent pas aux activités communales et
surexploitent les ressources communales pour le gain personnel » (ma traduction).
12. « voguer dans le futur tout en restant profondément connecté à la vision et aux conseils ancestraux » (ma traduction).
PATRIMOINE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE AUX ÎLES MARQUISES 289

cherche à exprimer les vœux du peuple tout en proté- Don, pouvoir et perte, Revue d’Anthropologie des
geant les îles. Pourtant dans le grand projet mondial connaissances 12 (1), pp. 29-55.
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sort lui-même du capitalisme occidental, les priorités Beckwith Martha Warren (ed.), 2007. Kepelino’s:
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et d’autres initiatives internationales pour la protec- Benedict Ruth, 1934. Patterns of Culture, Boston,
tion de l’environnement et des cultures autochtones, Houghton Mifflin Company.
le modèle de préservation répandu nécessite toujours
des modifications pour réussir et durer. L’analyse Bouard Séverine et Jean-Michel Sourisseau, 2010.
des obstacles rencontrés par les projets marquisiens Stratégies des ménages kanak : hybridations entre
et de la conception sous-jacente du patrimoine- logiques marchandes et non marchandes, Natures
comme-développement est essentielle pour pouvoir Sciences Sociétés 18 (3), pp. 266-275.
envisager d’autres alternatives économiques. Un fort Browne Christopher, 2006. Pacific Island Economies,
engagement des projets de durabilité de rester tou- Washington, DC, International Monetary Fund.
jours souple, impliquer les communautés locales et
surtout respecter les ontologies autochtones pourrait Ceci Lynn, 1978. Watchers of the Pleiades, Eth-
faciliter la création d’un modèle de développement noastronomy among Native Cultivators in Nor-
mieux adapté, durable et aligné sur les espoirs des theastern North America, Ethnohistory 25 (4),
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Remerciements aux îles Cook, in G. Blanchet (éd.), Les petites
activités de pêche dans le Pacifique Sud, Paris, Édi-
Je voudrais remercier les six maires et tous les habi-
tants des îles Marquises, y compris les participants tions de l’ird, pp. 175-184.
à ma recherche doctorale en 2013. J’exprime égale- Chlous Frédérique et Sophie-Dorothée Duron,
ment ma profonde gratitude à Edgar Tetahiotupa, 2018. L’identification des patrimoines et des
« Xavier » et à toute ma famille marquisienne, les menaces, vecteur de développement durable d’un
Timaus de Vaitahu, Tahuata. Je remercie aussi Dé- territoire. Exemple de l’archipel des Marquises
bora Kimitete et Clément Palisson pour leurs com- (Polynésie française), Territoire en mouvement 38
mentaires, et Isabelle Leblic et Céline Travési qui (https://doi.org/10.4000/tem.4515).
m’ont proposé de contribuer à ce dossier, Raphaëlle
Chossenot, le comité de rédaction du Journal de la Clifford James, 2013. Returns: Becoming Indigenous
Société des Océanistes et les lecteurs qui ont évalué in the Twenty-First Century, Cambridge, Harvard
mon texte pour leurs commentaires. University Press.
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Disponible en ligne (http://www.oceanistes.org/oceanie/boutique/hiva-oa-1901-1903/)


ou à la librairie du musée du quai Branly au prix de 11,50 €
ePub et pdf disponibles au prix de 9,99 €
(https://www.7switch.com/fr/ebook/9782854301335/from/openedition)

Hiva Oa (1901-1903)
Bayle-Ottenheim
Jacques
DOSSIER DE LA SOCIÉTÉ DES OCÉANITES 3

Gauguin aux
SOCIÉTÉ îles Marquises
DES OCÉANISTES
PARIS

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