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Alejandro García-Sanjuán
Universidad de Huelva, Huelva, Espagne
sanjuan@uhu.es
Il n’est pas facile d’approcher en peu de mots l’œuvre de Pierre Guichard, non
seulement parce que sa production scientifique s’étend sur plus d’un demi-siècle
(1968-2020), mais surtout à cause de l’influence extraordinaire et durable de sa
contribution. Jusqu’à la publication de Al-Andalus: Estructura antropológica de
una sociedad islámica en Occidente (1976)1, le nom d’al-Andalus était peu com-
mun dans les études sur l’Islam ibérique, en dépit du fait que la revue publiée
par la Escuela de Estudios Árabes (basée au début à Madrid et à Grenade), à
l’époque la principale publication académique consacrée à ce sujet, ait porté
ce nom pendant plus de 45 années (1933-1978).
Dans cet ouvrage pionnier, basé sur sa thèse de troisième cycle présentée
quatre ans plus tôt à l’Université de Lyon sous la direction de Nikita Elisséeff
et Roger Arnaldez, sous le titre Tribus arabes et berbères d’al-Andalus, Pierre
Guichard analysait le rôle joué par les éléments tribaux dans la formation
d’al-Andalus, entre la conquête de 711 et le califat omeyyade de Cordoue, se
concentrant sur deux questions spécifiques, les structures familiales et le rôle
des femmes. En mettant l’accent sur l’influence que les composantes étran-
gères, moyen-orientales et nord-africaines, avaient eu dans la formation de la
société andalouse, Pierre Guichard allait à l’encontre de l’une des deux notions
issues du processus systématique de colonisation de l’histoire d’al-Andalus,
entrepris par le nationalisme espagnol depuis le XIXe siècle, celle de l’« Espagne
musulmane ». En outre, son approche critique s’opposait directement au
dogme, profondément enraciné dans le monde académique espagnol, pour
lequel l’« Espagne musulmane » ainsi dite était essentiellement une société
« occidentale », caractérisée surtout par les éléments locaux hispaniques. En
démantelant les bases théoriques et documentaires qui soutenaient ce schéma
2 Et ce en dépit des critiques émises, à la fin des années 1960, par Abilio Barbero (1931-1990) et
Marcelo Vigil (1930-1987), avec La formación del feudalismo en la Península Ibérica, Barcelone,
Crítica, 1978. Voir aussi Alejandro García-Sanjuán, « Weaponizing Historical Knowledge: The
Notion of Reconquista in Spanish Nationalism », Imago Temporis: Medium Aevum, 14 (2020),
p. 133-162.
3 André Bazzana, Patrice Cressier et Pierre Guichard, Les châteaux ruraux d’Al-Andalus : his-
toire et archéologie des “ḥuṣūn” du Sud-Est de l’Espagne, Madrid-Paris, Casa de Velázquez-De
Boccard (« Publications de la Casa de Velázquez. Série Archéologie », 11), 1988.
4 Pierre Guichard, Les musulmans de Valence et la Reconquête (XIe-XIIIe siècles), Damas,
Institut français de Damas, 1990-1991, 2 vols ; id., Al-Andalus frente a la conquista cristiana:
los musulmanes de València, siglos XI-XIII, trad. Josep Torró, Madrid-Valence, Biblioteca
Nueva-Universitat de València (« Historia », 16), 2001.
5 Samir Amin, Sobre el desarrollo desigual de las formaciones sociales, Barcelona, Anagrama,
1974. Avant-propos de Miquel Barceló.
6 Guichard, Les musulmans de Valence, II, p. 474 ; id., Al-Andalus frente a la conquista cristiana,
p. 648.
7 Pierre Guichard, « Les Arabes ont bien envahi l’Espagne : les structures sociales de l’Es-
pagne musulmane », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 29/6 (novembre-décembre 1974),
p. 1483-1513.