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LES MANUSCRITS
de la
MER MORTE
Une perspective canadienne
Sous la direction de
Jean Duhaime et Peter W. Flint
Comprenant vingt-cinq contributions par des spécialistes
des manuscrits de la mer Morte et de la littérature connexe
Sous la direction de
Cet ouvrage a été publié grâce à la participation inancière du Fonds des donateurs de la
Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal, du Conseil
de recherches en sciences humaines du Canada, de l’Association catholique des études
bibliques du Canada (ACÉBAC) et de la Chaire de recherche du Canada pour l’étude
des manuscrits de la mer Morte (Trinity Western University).
Craig A. Evans
Abstract
1. Introduction
L’évangile de Marc, le plus ancien des synoptiques, fournit aux lecteurs un très
bref récit de la tentation de Jésus au désert. L’évangéliste nous dit seulement que
Jésus « était dans le désert durant quarante jours, tenté par Satan. Et il était avec
les bêtes sauvages, et les anges le servaient » (Mc 1, 13). En Marc, on n’entend
aucune conversation entre Jésus et Satan, et personne ne fait appel à l’Écriture.
Les évangiles de Matthieu et de Luc, cependant, ofrent beaucoup plus aux lec-
teurs. Ces évangélistes ampliient le récit marcien de la tentation avec un bloc de
matériel venant de la source Q, dans lequel Satan tente Jésus à trois reprises et
Jésus lui répond trois fois en citant des passages du Deutéronome (voir Mt 4, 1-11 ;
Lc 4, 1-13). Dans ce qui est la seconde tentation en Matthieu (ou la troisième dans
l’ordre de Luc), Satan presse Jésus de se jeter en bas du pinacle du Temple. Jésus
n’a rien à craindre, car, après tout, l’Écriture l’assure :
τοῖς ἀγγέλοις αὐτοῦ ἐντελεῖται περὶ σοῦ
καὶ ἐπὶ χειρῶν ἀροῦσίν σε, μήποτε προσκόψῃς πρὸς λίθον τὸν πόδα σου.
« Il donnera pour toi des ordres à ses anges, »
et « sur leurs mains ils te porteront, de peur que tu ne heurtes du pied
quelque pierre » (Mt 4, 6).
Satan avait cité la plus grande partie du Psaume 91, 11-12, qui se lit comme
suit dans le texte massorétique :
ל־דּ ָר ֶכיָ׃
ְ ה־ְּ ִל ְׁ ָמ ְרָ ְּ ָכ
ָ ֶּ ִּי ַמ ְל ָא ָכיו יְ ַצ.11
ן־ֹּּף ָּ ֶא ֶבן ַרגְ ֶלָ׃
ִ ֶּ ָ ְל־ּ ַּיִ ם יִ ָּאּנ
ַ ַע.12
11. Car il donnera ordre à ses anges de te garder en toutes tes voies.
12. Sur leurs mains ils te porteront, de peur que tu ne heurtes ton pied contre
une pierre.
Et dans la version grecque ancienne [LXX, Ps 90], qui traduit l’hébreu tout à
fait littéralement :
11. ὅτι τοῖς ἀγέλοις αὐτοῦ ἐντελεῖται περὶ σοῦ τοῦ διαφυλάξαι σε ἐν πάσαις
ταῖς ὁδοῖς σου.
12. ἐπὶ χειρῶν ἀροῦσίν σε, μήποτε προσκόψῃς πρὸς λίθον τὸν πόδα σου.
11. Car il donnera ordre à ses anges de te garder en toutes tes voies.
12. Sur leurs mains ils te porteront de peur que tu ne heurtes ton pied contre
une pierre.
Dans ce qui suit, nous allons d’abord considérer 11Q11 (11QapocrPs), dans
lequel nous trouvons trois (?) psaumes d’exorcisme ainsi que le Psaume 91, puis
nous évaluerons l’interprétation de ce Psaume 91 dans les littératures juive et
chrétienne anciennes. À la in de cet essai, nous retournerons à la question de
Jésus et du Psaume 91.
1, 2. […] et celui qui pleure pour lui […] 3. […] la malédiction […] 4. […] par
le Seigneur […] 5. […] dragon […] 6. […] la ter[re…] 7. […] adjur[ant…] 8.
[…] pour […] 9. […] cela […] 10. […] les démon[s…] 11. […] il va habi[ter…]
(1,2-11 [anc. frg. A, lignes 2-11]).
4. Pour le texte hébreu et sa traduction, voir James A. Sanders, « A Liturgy for Healing
the Stricken », dans J. H. Charlesworth (dir.), he Dead Sea Scrolls : Hebrew, Aramaic, and
Greek Texts with English Translations, vol. 4A : Pseudepigraphic and Non-Masoretic Psalms
and Prayers, Tübingen, Mohr Siebeck / Louisville, KY, Westminster John Knox, 1997, p. 216-
233 ; Florentino García Martinez, Eibert J. C. Tigchelaar et A. S. van der Woude (dir.), Qumran
Cave 11. II. 11Q2-18, 11Q20-31(DJD 23), Oxford, Clarendon, 1998, p. 181-205 et pl. xxii-xxv ;
García Martinez et Tigchelaar, DSSE 2, p. 1200-1205 ; Martin G. Abegg, Peter W. Flint et
Eugene Ulrich (dir.), he Dead Sea Scrolls Bible : he Oldest Known Bible Translated for the
First Time into English, San Francisco, Harper San Francisco, 1999, p. 539-542. Voir aussi
Flint, Dead Sea Psalms Scrolls and the Book of Psalms, p. 246-248. Sur les psaumes d’exor-
cisme, voir M. Delcor, « L’utilisation des psaumes contre les mauvais esprits à Qoumran »,
dans La Vie de la parole, de l’Ancien au Nouveau Testament : études d’exégèse et d’herméneu-
tique bibliques ofertes à Pierre Grelot, Paris, Desclée, 1987, p. 61-70 ; Puech, « 11QPsApa : un
rituel d’exorcismes », dans RevQ 14 (1990), p. 377-408 ; idem, « Les deux derniers psaumes
davidiques…, 11QPsApa, iv, 4-5,14 », p. 64-89 ; idem, « Les psaumes davidiques du rituel
d’exorcisme (11Q11) », dans D. K. Falls, F. García Martinez et E. M. Schuller (dir.), Sapiential,
Liturgical and Poetical Texts from Qumran (STDJ 35), Leiden, Brill, 2000, p. 160-181.
5. Traduction d’après Sanders, « A Liturgy for Healing the Stricken », p. 221-227 (et
Puech, « 11QPsApa : un rituel d’exorcismes… », p. 387-389 [n.d.t.]).
6,3. Ps 91, 1 [Celui qui demeure] à l’abri du [Très Haut, à l’om]bre du Puissant
4. [il habite]. 2 Celui qui dit [au Seigneur : « Mon refuge] et [ma] forteresse,
[mon Dieu (est) ma] sécurité, en lui [je me conie ».] 5. [3 Car l]ui te déli-
vrera du [ilet de l’oise]leur, de la mort[telle] peste. 4 [De] son pennage, il [te]
couvrira et 6. sous ses [aile]s tu habiteras. [Son] amour (sera) [po]ur toi une
protection et sa vérité un bouclier. Sèlah. 5 Tu ne craindras 7. ni la terreur
de la nuit, (ni) la lèche qui vole (de) jour, 6 ni le léau qui fait rage à midi,
ni la peste qui marche [dans les ténè]bres. 8. 7 Mille peuvent tomber à ton
côté, di[x mille à] ta [dr]oite, (mais) cela n[e t’]atteindra [pas]. 8 Il suit que tu
6. La traduction suit en partie E. M. Cook, « Chants pour disperser les démons », dans
Michael Wise, Martin Abegg Jr. et Edward Cook, Les manuscrits de la mer Morte, Paris, Plon,
2001, p. 597.
7. Traduction basée sur Sanders, « A Liturgy for Healing the Stricken », p. 231-233 (et
Puech, « 11QPsApa : un rituel d’exorcismes… », p. 378-379 [n.d.t.]). Les chifres en exposant
renvoient aux numéros des versets du Psaume 91.
8. Voir M. Hutter, « Abbadon », dans K. van der Toorn, B. Becking et P. W. van der
Horst (dir.), Dictionary of Deities and Demons in the Bible, éd. rév., Leiden, Brill, 1999, 1.
[= DDD]. Le sens de la racine est « destruction » ou « place de destruction ». En Ap 9, 11, le mot
apparaît comme un nom propre.
9. Raphaël est un ange de guérison (voir le livre de Tobie). Voir M. Mach, « Raphael »,
dans DDD, p. 688.
3. Le Psaume 91 en araméen
Le Targoum (Tg) des psaumes a reçu relativement peu d’attention de la part des
chercheurs, bien que cela ait commencé à changer récemment13. Dans mon étude,
לא תדחל מן דלוחא דמזיקי דאזלין בליליא מן גיררא דמלאך מותא דׁרי .5
ביממא׃
מן מותא די בקיבלא מהלך מסיעת ׁידין דמחבלין בטיהרא׃ .6
תדכר ׁמא דקודׁא קדיׁא יפלון מן סטר ׁמאלך אלפא וריבבותא מן ימינך .7
לותך לא יקרבון למנזק׃
לחוד בעיינך תהי מסתכל תסתכלל והיך מיתגמרין רׁיעי תחמי׃ .8
עני ׁלמה וכן אמר ארום אנת הוא יהוה רוחצני במדור עילאה ׁויתא בית .9
ׁכינתך׃
אתיב מרי עלמא וכן אמר לא תארע לך ביׁתא ומכתׁא ומזיקיא לא יקרבון .10
במׁכנייך׃
5. « Tu ne craindras pas la terreur des démons qui rôdent dans la nuit, ni la
lèche de l’ange de la mort qu’il tire durant le jour,
6. ni la mort qui rôde dans les ténèbres, ni la compagnie des démons qui
dévastent à midi.
7. Tu te rappelleras le Saint Nom et mille vont tomber à ta gauche et dix mille
à ta droite ; (mais) ils n’approcheront pas de toi pour te faire du mal.
19. Traduction basée sur Stec, Targum of Psalms, p. 175. Les mots en italique indiquent
les passages où l’araméen difère de l’hébreu.
20. מזיק, « frappeur » vient de נזק, « endommager ».
21. Voir Stec, he Targum of Psalms, p. 6.
22. Pour plus d’information sur les démons, voir G. J. Riley, « Demons », dans DDB,
p. 235-240 ; M. Mach, « Demons », dans L. H. Schifman et J. C. VanderKam (dir.), Ency-
clopedia of the Dead Sea Scrolls [= EDSS), 2 vol., Oxford, Oxford University Press, 2000, I,
p. 189-192 ; W. Foerster, « δαίμων », κ.τ.λ., TDNT 2, p. 1-20, spéc. p. 10-16 ; Midr. Pss. 91, 3 (sur
Ps 91, 6). ׁד, dont la racine signiie « destruction », est le mot le plus commun pour « démon »
dans la littérature biblique. Il apparaît quelque cinquante fois dans la Bible hébraïque (voir
Dt 32, 17 ; Ps 106, 37), une vingtaine de fois dans les manuscrits de la mer Morte et aussi
souvent dans les Targoums. שדet מזיקse retrouvent fréquemment tous les deux dans la
littérature rabbinique.
Quel homme peut vivre et ne jamais voir la mort ? Qui peut délivrer son âme
de la puissance du shéol ? (Hébr. Ps 89, 49).
Quel est l’homme qui va vivre et ne pas voir l’ange de la mort, qui va délivrer
son âme de sa main, et ne va pas descendre dans sa tombe pour toujours ?
(Tg).
Ne laissez pas le calomniateur s’établir sur la terre ; que le mal pourchasse
rapidement le violent ! (Hébr. Ps 140, 11).
L’homme qui parle avec une langue fourbe – ils ne peuvent pas habiter
dans la terre des vivants ; l’ange de la mort va chasser les hommes avides de
méchanceté – il va le châtier dans la Géhenne (Tg).
23. Traduction basée sur William G. Braude, he Midrash on Psalms (YJS 13), 2 vol.,
London / New Haven, Yale University Press, 1959, II, p. 103. Interpréter les milliers comme se
référant aux démons est probablement une vieille tradition ; prétendre qu’ils tombent devant
le « Commandement des Teillin » en est une beaucoup plus tardive.
possédés par des démons. Et voici comme il procédait : il mettait sous le nez du
démoniaque un anneau dont le chaton enfermait une des racines prescrites par
Salomon, et lorsque l’homme l’avait sentie, il extrayait le démon par ses narines
et, l’homme aussitôt tombé, Éléazar adjurait le démon de ne plus jamais revenir
en lui en prononçant le nom de Salomon et en récitant les incantations qu’il
avait composées24 (Antiquités 8,42.45-47).
24. Traduction basée sur H. St. John hackeray et Ralph Marcus, Josephus (LCL 281),
London, Heinemann / Cambridge, MA, Harvard University Press, 1934, p. 595-597. Pour
commentaires, voir Christopher T. Begg et Paul Spilsbury, Flavius Josephus : Translation
and Commentary, vol. 5 : Judean Antiquities Books 8-10, Leiden, Brill, 2005, p. 14-15 ; Roland
Deines, « Josephus, Salomo und die von Gott verliehene τέχνη gegen die Dämonen », dans
Lange, Lichtenberger et Römheld (dir.), Die Dämonen, p. 365-394, spéc. p. 372-392.
25. Par exemple : b. Qidd. 49b : « Dix mesures de sorcellerie sont descendues dans le
monde, l’Égypte en a reçu neuf, le reste du monde une » ; b. Chab. 104b : « Est-ce que Ben
Stada n’a pas rapporté des sortilèges d’Égypte ? » et spécialement le Séfer ha-Razim. Voir Mor-
decai Margalioth, Book of the Mysteries, Jerusalem, American Academy for Jewish Research,
1966 [en hébreu]. Margalioth date le Séfer ha-Razim du 3e siècle, mais c’est probablement trop
tôt. Voir aussi Dennis C. Duling, « Solomon, Exorcism, and the Son of David », dans HTR 68
(1975), p. 235-252.
26. Et aussi, plus tardivement, le Séfer ha-Razim ; voir Margalioth, Book of Mysteries,
p. 26.
« Envoûtée et scellée est toute maladie (…) par le sceau du roi Salomon, ils de
David 29. »
« Ceci est le sceau en forme d’anneau du roi Salomon, le ils de David… Tous les
démons (…) et les hurleurs sur les toits, les lilis [liliths] et les monstres et tous
les Satans et les idoles et les imprécations (…) sont garottés et scellés (…) pour
toute sa maison et toute sa demeure, depuis ce jour et pour toujours. Amen,
Amen, Sèlah30. »
« Scellé avec le sceau de l’anneau d’El Shaddai – qu’il soit béni – et avec l’anneau
du sceau du roi Salomon, le ils de David, qui a jeté des sorts aux démons mâles
et aux liliths femelles31. »
de l’intérêt porté à Salomon, ils de David, au 1er siècle, en tant qu’exorciste par
excellence.
4. Jésus et le Psaume 91
les ils des hommes, et tout esprit d’erreur sera foulé aux pieds [πᾶν πνεῦμα
πλάνης πατηθήσεται] » (T. Zab. 9, 8). Le parallèle le plus proche du Ps 91, 13 est
T. Lévi 18, 12, où nous avons « donner autorité » et « fouler aux pieds les esprits
mauvais ». C’est à ce langage que Jésus fait allusion.
Joseph Fitzmyer, cependant, pense qu’une allusion au Ps 91, 13 est « far-
felue32 ». Il souligne que ὄφις (« serpent »), le mot qu’on a en Lc 10, 19, ne rend
jamais, dans la LXX, le «( ַתִּ יןdragon » ou « monstre de la mer »). Il faut admettre
que l’évangéliste Luc n’y a probablement pas fait allusion, du moins consciem-
ment. S’il l’avait fait, la parole de Jésus aurait suivi de plus près la version grecque
du psaume. La tradition sous-jacente à Lc 10, 19 est vraisemblablement une
forme de parole de Jésus qui relète un axe d’interprétation du Psaume 91 plutôt
que le mot à mot du verset 13.
De toute façon, plusieurs mots sont utilisés pour désigner Satan. En hébreu,
le verset 13b se lit : תרמֹס ְּ ִפיר וְ ַתִּ ין
ְ (« vous marcherez sur le jeune lion et le ser-
pent »), ce qui est rendu littéralement dans la LXX par : καταπατήσεις λέοντα καὶ
δράκοντα. Le serpent (ὄφις) de Gn 3, 1-14 est compris comme faisant référence à
Satan, comme on le voit chez Paul (2 Co 11, 3) : « (…) le serpent [ὁ ὄφις] a dupé
Ève par son astuce ». Ailleurs, Satan (ou le démon) est étroitement associé à ὄφις
(texte grec de la Vie d’Adam et Ève, 16, 1-4 ; 17, 4 ; 18, 1 ; 23, 4 ; 25, 1 ; Rékabites
20, 3 ; 4 Macc 18, 8 « serpent de tromperie [ἀπάτης ὄφις] »). Mais Satan est aussi
appelé un δράκων : (« dragon » ou « monstre de la mer »), le mot même utilisé dans
le Ps 91, 13 (LXX : Ps 90, 13). Et l’auteur de l’Apocalypse appelle bel et bien Satan
« serpent » (ὄφις) et « dragon » (δράκων) : « On le jeta donc, l’énorme Dragon, l’an-
tique Serpent, le Diable ou le Satan, comme on l’appelle [ὁ δράκων ὁ μέγας, ὁ ὄφις
ὁ ἀρχαῖος, ὁ καλούμενος Διάβολος καὶ ὁ Σατανᾶς], le séducteur du monde entier,
on le jeta sur la terre et ses Anges furent jetés avec lui » (Ap 12, 9 ; voir 13, 4 ; 20, 2).
Satan est aussi appelé un « lion » : « Soyez sobres, veillez. Votre adversaire,
le Diable, rôde comme un lion rugissant [διάβολος ὡς λέων ὠρυόμενος], cher-
chant qui dévorer [καταπιεῖν] (1 P 5, 8). Ce pourrait être une allusion au Ps 22, 14
(« comme des lions déchirant et rugissant »), mais 1 Pierre peut se référer égale-
ment à une autre tradition vraisemblablement attestée dans l’ouvrage pseudépi-
graphe Joseph et Aséneth : « Car regardez, l’ancien Lion féroce [ὁ λέων ὁ ἄγριος ὁ
παλαιὸς) me poursuit ; et ses enfants sont les dieux des Égyptiens que j’ai jetés à
terre et détruits. Et leur père, le démon, essaie de me dévorer [ὁ πατ̀ρ αὐτῶν ὁ
διάβολος καταπιεῖν με πειρᾶται] » (12, 9). « L’ancien lion » n’est nul autre que le
démon, le père des dieux égyptiens, qui essaie de dévorer Aséneth la repentante.
Dans le Testament de Salomon, il y a des démons qui apparaissent comme des
lions (T. Sal. 2, 3 ; 11, 1).
Jésus dit aussi à ses disciples qu’il leur a donné autorité « sur toute la puis-
sance de l’Ennemi » (ἐπὶ πᾶσαν τ̀ν δύναμιν τοῦ ἐχθρου). Ailleurs, dans la tra-
dition qui remonte à Jésus, le démon est appelé « l’ennemi » (voir Mt 13, 38-39 :
32. Joseph A. Fitzmyer, he Gospel according to Luke X-XXIV (AB 24A), Garden City,
NY, Doubleday, 1985, p. 863.
« l’ennemi qui la sème [l’ivraie], c’est le Diable [ὁ δὲ ἐχθρὸς ὁ σπείρας αὐτά ἐστιν ὁ
διάβολος] »). On se rappellera aussi ce qu’un Paul en colère dit à Élymas le magi-
cien : « … toi, ils du diable, ennemi de toute justice [υἱὲ διαβόλου, ἐχθρὲ πάσης
δικαιοσύνης], ne cesseras-tu donc pas de rendre tortueuses les voies du Seigneur
qui sont droites ? » (Ac 13, 10). Le diable est appelé « l’ennemi » dans d’autres textes
judéo-chrétiens de l’antiquité tardive (voir Vie d’Adam et Ève 2, 4 ; 7, 2 ; 15, 1 ;
25, 4 ; 28, 3 ; 3 Bar. 13, 2 ; T. Dan 6, 2-4). Ce dernier passage est d’un grand intérêt,
car on y fait référence au « royaume de l’ennemi » : « Dieu (…) va se lever contre
le royaume de l’ennemi [τῆς βασιλείας τοῦ ἐχθρου]. (…) le royaume de l’ennemi
[ἡ βασιλεία τοῦ ἐχθρου] va être mené à sa in » (T. Dan 6, 2, 4). Cette espérance
rejoint la prédiction du Testament de Moïse : « Alors, son royaume (celui de Dieu)
va apparaître par toute sa création. Alors, le démon disparaîtra (…). Car l’Être
Céleste va se lever de son trône royal » (10, 1, 3 ; voir Mc 3, 26 : « Et si Satan s’est
dressé contre lui-même et s’est divisé, il ne peut pas tenir, il est ini »).
Les paroles de Jésus en Lc 10, 19 et les paroles attribuées au patriarche dans
le T. Lév. 18, 12 font allusion au Ps 91, 13, un verset qui promet que le idèle va
fouler aux pieds le lion et le serpent, un élément d’un passage qui a été perçu
comme étant pertinent pour un exorcisme, comme nous le voyons en 11Q11 et
dans le Targoum des psaumes.
L’apparition du Psaume 91 dans les versions matthéenne et lucanienne de
la tentation de Jésus n’est qu’une des nombreuses indications que l’orientation
démonologique de ce psaume particulier dans le Targoum des psaumes dérive
d’une ancienne tradition, probablement intertestamentaire. Les psaumes d’exor-
cisme de 11Q11 fournissent une attestation ancienne importante d’une tradition
qui en vient à s’exprimer de diverses manières intéressantes dans la vie et l’ensei-
gnement de Jésus.
Bibliographie choisie
I S B N 978-2-89420-943-1