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Fabliaux.

Deuxième édition

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


. Fabliaux. Deuxième édition. 1858.

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FABLIAUX
FABLIAUX
DEl'JIÊME EDITION

LILLE
L. LEFORT, IMPRIMEUR-LIBRAIRE
M DCCC L vm
Droits de reproduction et de traduction réserves.
18 3 ù
FABLIAUX

L'Enfant et le petit Écu.

Possesseur d'un petit écu,


Un enfant se croyait le plus riche du monde.
Le voilà qui fait voir ce trésor à la ronde,
En criant gaîment : J'ai bien lu!
A merveille! lui dit un sage;
C'est le prix du savoir que vous avez reçu
(Du savoir tel qu'on peut le montrer à votre âge).
Mais voulëz-voùs encore être heureux davantage ?
Aspirez, nion enfant, au prix de Ici vertu ;
Vous l'aurez, quand desbiens vous saurez faire usage.
L'enfant entendit ce langage.
L'écu, d'après son coeur et sensible et bien né,
A rapporter le double est soudain destiné ;
Avec le pauvre il le partage.
— 6

L'Enfant et le Sabot.

Un écolier était si paresseux,


Que pour vaincre son indolence,
11 fallait l'enfermer, le mettre en pénitence.

Mais à ces moyens rigoureux,


Par égard pour sa faible enfance,
On faisait quelquefois succéder l'indulgence;
On lui permettait quelques jeux,
Et Dieu sait quelle était alors son allégresse.
Aussitôt le petit marmot
Reprenait ses jouets, et surtout son sabot.
11 le faisait tourner avec beaucoup d'adresse,
Mais, comme il lui fallait pour cela s'agiter,
Et qu'il n'aimait pas trop la peine,
Le drôle se lassait bientôt de le fouetter.
Un jour qu'il était hors d'haleine,
Voyant le sabot s'arrêter,
Pourquoi me forces-tu de te fouetler sans cesse,
Lui dit-il, et pourquoi ne cèdes-tu qu'aux coups?
Le sabot, lui voulant reprocher sa paresse,
Lui dit: ie vous imite, et je fais comme vous.
— 7 —

Le Fat puni.

« Avant la fin du jour je veux être à Paris, »


Disait un jeune fat : ses chevaux, hors d'haleine,
Etaient tout en sueur. Que vous avez de peine,
Pauvres chevaux, quand vous êtes conduits
Par de tels étourdis !
fasse un manant : « Bon homme, écoute :
» Arriverai-jeavant la nuit? — Sans doute,
» Si vous faites aller lentement votre char :
» Sinon vous coucherez en route.
» — Ah! tu fais donc le goguenard?
» Cela te convient bien ! » Notre fier personnage
Lui donne de son fouet à travers le visage.
o Apprends à vivre, impertinent » Tl part.
Mais tandis que le jeune guide
Va comme un trait, l'essieu perfide
Crie et se rompt. Monsieur tombe dans le fossé :
Monsieur n'arriva pas pour s'être trop pressé.

L'Écolier et le Ver-à-soie.

Dans un collège, un écolier


Peu studieux, et n'aimant guère
A feuilleter Clénard et Despautère',
1 Anciens auteurs de grammaires.
— 8 —
S'ennuyait d'être prisonnier.
L'enfant avait un ver-à-soie;
Un jour, le regardant qui filait son cocon
Dont il s'enveloppart et faisait sa prison,
Il lui dit : Mon ami, ta sottise est extrême :
A quoi bon t'enfermer toi-même?
Le ver lui répondit : Ce n'est pas'sans raison
Qu'à filer je mets mon étude ;
Pour fruit de mon travail et de ma solitude,
Je serai bientôt papillon.
Leçon où la sagesse brille,
Et dont le sens est assez clair.
S'il n'avait pas filé, ce ver
Serait toujours resté chenille.

Le Chien barbet et son Petit.

A son fils encor dans l'enfance


Un fidèle barbet disait : « Je ne veux pas
Te voir sauter, jouer sans cesse avec les chats ;
La jeunesse souvent se perd par imprudence.
— Mais ces petits minets sont gais, doux et jolis,
Et je suis bien certain qu'ils sont de mes amis.
— Non, mon cher, cela ne peut être :
Le chat est un ingrat, un traître;
Et tu sauras, en grandissant,
Qu'on doit craindre toujours et sa griffe et sa dent.
— 9 —
Pour sauver l'es dangers de ton erreur extrême,
Avec cet animal il faut rompre à l'instant. »
Qui se lie avec un méchant,
Tôt ou tard le sera lui-même.
Tout bon père à ses fils devrait en dire autant.

Le Sucre et le Café.

« Papa, quel est le nom de cette liqueur noire?


— Café, mon fils. — C'est excellent, dit-on.
— Goûté-la. — Volontiers Eh bien! ce n'est pas
bon.
— Il faut un peu la sucrer pour la boire.
Goûte à présent. — Ah ! papa, c'est meilleur ;
Le sucre adoucit bien cette amère liqueur.
— Tout comme la vertu fidèlement suivie
Adoucit, mon enfant, les peines de la vie. »

Les Souriceaux et leur Mère.

Un chat jouait avec une souris,


De ses pareils passe-temps ordinaire.
D'un spectacle nouveau lès souriceaux surpris
Le regardaient de loin, et disaient à leur mère :
« De notre jeune soeur que le sort est heureux !
— 10 —
L'agréable animal qui badine avec elle !
Que sa douceur est naturelle !
Courons prendre part à leurs jeux.
— Mes enfants, dit la mère, arrêtez, je vous prie,
Et ne vous mettez pas surtout de la partie.
Craignez un feint amusement :
Vous êtes sans expérience ;
Ces jeux ne sont jolis qu'en apparence :
Mais voyez-en la fin. » Dans le même moment,
Le perfide matou, tout-à-coup en furie,
En croquant la souris, finit la comédie.
Souriceaux de rentrer dans le fond de leurs trous.
Vous qu'enveloppe encor l'ignorance profonde,
Que tout plaisir séduit en entrant dans le monde,
Cette fable s'adresse à vous.

L'Attelage.

Entre camarades d'école


Il faut choisir un jeu ; Victor a la parole :
Nous sommes sept, le compte est excellent :
Un char à six chevaux ; les deux petits devant,
Les grands derrière, ils iront à merveille.
Vous voilà deux de taille bien pareille.
Moi je serai cocher; gare au cheval mutin,
Je lui donnerai sur l'oreille.
Victor a le fouet à la main.
— il —
Le harnais est chose légère,
Une ficelle en fait l'affaire.
Les six chevaux partent grand train,
Et le plaisir suit à la file.
Mais que vois-je? un double chemin,
Lequel prendre ? c'est difficile :
L'un veut aller tout droit, et l'autre veut tourner :
Grande rumeur dans l'équipage;
Le cocher de s'époumoner,
Le fouet siffle, nouveau tapage,
L'humeur se met dans l'attelage;
Force cris, chacun veut mener,
Il faut cesser ce badinage,
Les ris cèdent la place aux pleurs.
Frères, amis, parents, maîtres et serviteurs,
N'allez pas guerroyer pour quelque mot futile,
La discorde souvent provient d'une vétille..
Veut-on que le char roule bien
Sur un chemin doux et tranquille,
Il faut rester unis.
La paix de la famille
Est à ce prix,
Et sans la paix on ne peut rien.

Le Moineau et le Pinson.

Qu'avez-vous fait à la mésange ?


Demandait un pinson au moineau l'autre jour;
— 12 —
Elle a longtemps, et sans aucun détour,
Parlé de vous d'une manière étrange.
En vérité, j'ai les larnies aux yeux
De son affreuse calomnie ;
J'en suis désolé, furieux.
Oh ! la dangereuse ennemie !
Je vais vous répéter, et par pure amitié,
Ce qu'elle a dit : il faut bonne mémoire,
J'en oublierai peut-être la moitié;
Mais vous saurez toujours assez de cette histoire.
Pour bien juger que c'est l'oiseau
Le plus méchant, le plus noir du bocage.
— Vous vous trompez, repartit le moineau :
Mon bon ami, vous l'êtes davantage.

La jeune Abeille.

Une abeille, jeune étourdie,


Pour composer un miel parfait,
Se réglait sur sa fantaisie
Et croyait chaque fleur utile à cet effet.
Modérez-vous, disait sa mère ;
Pourquoi tant de vivacité ?
Triez vos fleurs. Non, non, laissez-moi faire,
Vous verrez ma capacité,
Lui répliquait la jeune abeille.
Notre indocile, au milieu de l'été,
— 15 —
Fut à sa mère, et dit : Enfin, j'ai fait merveille;
Venez, voyez, goûtez mon miel,
Il est comme on n'en trouve guère.
Elle le goûte. — Hélas! ma chère,
Vous n'avez produit que du fiel.
Il est beau d'aimer la lecture,
C'est prendre un honnête plaisir;
De l'âme elle est la nourriture;
Mais on ne peut trop la choisir.

La Rose et le Chou.

Une rose à côté des choux !


Parbleu, vous vous moquez de nous
Jamais ensemble, en même terre,
On ne vit ces deux choses-là.
L'une est du potager, et l'autre du parterre....,
Un moment : une fable arrange tout cela.
Daignez lire toujours la mienne, la voilà :
On m'a donc conté qu'une rose
Fière de ses appas encore tout récents
( Du malin elle était close )
Tenait contre le chou maints propos indécents.
Vil légume, dit-elle, est-ce donc ton partage
De végéter si près de moi !
Cours embellir quelque potage :
Voilà ton véritable emploi.
— 14 —
Tant d'orgueil, dille chou, vaut-il qu'on te réponde !
J'épargnerai du moins les discours superflus ;
Un mot suffit : hier lu n'étais pas au monde,
Et demain tu n'y seras plus.
Ton éclat brillant mais futile
S'accommode assez mal avec tant de fierté.
Pour moi, je brille moins, mais je suis plus utile :
Un mérite réel vaut mieux que la beauté.

La Perdrix et «e» Petit».

Taisez-vous, disait la perdrix


Un jour d'orage à ses petits,
Qui jabotaienf, .murmurant de. la pluie.
Voulez-vous, clans votre folie,
Régler le temps qu'il doit faire ici-bas?
El l'Ordonnateur des climats
Sait-il donc moins que vous, présomptueuse race,
Ce qu'il faut, ce qu'il ne faut pas?
Evitez le fusil, le panneau, la tirasse;
Voilà votre important devoir ;
Remplissez-le, et laissez pleuvoir,
Songez même que c'esi pour votre bien peut-être
Qu'il pleut ainsi du matin jusqu'au soir.
Disant ces mots, la perdrix voit paraître
Un chien couchant qui marche à pas de loup :
Parlons, dit-elle, et prévenons le coup.
— lo —
Elle part, on la suit. La coritpagnie entière
S'élève en l'air, et dans le mêirie instant
Certain cliquetis qu'on entend
Fait frissonner la pauvre mère :
C'est un fusil qui se détend.
Mais, par bonheur, la poudre meurtrière
Etait humide, et le feu n'y prit point.
Cet incident arriva bien à point
Pour le salul de la famille ailée,
Qui, rendant grâce à Dieu d'être mouillée,
Reconnut qu'il ne faut se dépiter de rien,
Que rien n'est stable dans la vie,
Et que ce qui nous contrarie
Prépare souvent notre bien.

Le jeune Chien.

Un chien jeune, étourdi comme on l'est à son âge,


Et qui, ne sachant rien dé rien,
Croyait avoir la science en partage,
Dans un ruisseau -vit un jour son image
Et crut d'abord y voir un autre chien.
Le voilà qui, marquant la plaCe,
A sa mère s'en va conter ce qui se passe :
Ma mère, criait-il avançant à grands pas,
Si vous saviez ce que j'aiiviï là-bàs !
J'ai vu dansTéau quelqu'un de notre race ;
— 16 —
Comment peut-il donc loger là?
Il doit avoir bien froid ! Venez voir. Il l'entraîne :
La mère accourt au bord de la fontaine,
S'approche : Ah! dit-il, le voilà !
Ho, ho ! sa mère aussi ! la plaisante aventure !
Il y vit en famille. — Eh! non, va, je t'assure ;
Tu t'es mépris ! Ce que tu vois n'est rien,
N'existe point. — Oh ! je vous jure
Qu'il existe ; je le vois bien.
— C'est notre image. — Allons, chimère ;
Je vous dis, moi, que c'est un chien ;
Je me connais en chiens, ma mère.
— Crois donc, mauvaise tête, à ce que je soutiens:
J'ai plus d'expérience. — Il est vrai, j'en conviens,
Plus que moi ; mais le lemps, je gage,
A gâté vos yeux. — Dis que l'âge
N'a pas encore ouvert les tiens.
— Eh ! non, non ; l'erreur vient des vôtres.
— Mon fils, tu n'es qu'un sot. L'eau réfléchit nos
traits,
Parce qu'elle est tranquille; et si je la troublais,
Tu n'y verrais plus rien. — A d'autres ;
Me prenez-vous pour un enfant? — Fort bien.
Dans l'eau, dont rien encore ne troublait la surface,
Elle jette une pierre : aussitôt tout s'efface,
Et l'étourdi ne voit plus rien.

Nous voilà, jeunes gens ! L'homme, dès son aurore '


Croit savoir tout, précisément
Parce qu'il ne sait rien encore,
— 17 —
La vieillesse, à l'entendre, ou se trompe, ou nous
ment.
Amis, nous pouvons bien l'accuser d'impuissance ;
Mais elle a vu, c'est un fort argument ;
Et le plus beau raisonnement
Ne vaut jamais l'expérience.

Le Porc-Épic et le Loup.

Un porc-épic, rencontré par un loup,


Sans ses dards eût risqué beaucoup.
Celui-ci, que l'on voit tout couvert, de la ruse
Imagine l'emploi, plus certain qu'un éclat.
« Ami, de vous troubler je vous demande excuse ;
» Mais pourquoi marchez-vous armé comme un
soldat?
» Vous poursuit-on? allez-vous au combat?
» Je suis votre second; ainsi, point d'épouvante ;
» Et de cette armure indécente
» Déchargez pour l'instant votre corps délicat.
— Non, s'il te plaît ; non, devant tes semblables,
— 18 —

L'Echo.

Un jeune enfant, dans un temps de vacance,


Fut mené par son père à sa maison des champs.
Il quittait l'école et les bancs
Pour la première fois, et sans regret, je pense :
On peut juger qu'au champêtre séjour
L'enfant ne regrettait Homère ni Virgile.
Il ne restait jamais tranquille :
Dansant, sautant, ou chantant tour à tour,
Et courant tout le long du jour.
Un soir que de chansons frivoles
Il faisait retentir les bois,
11 entendit une voix
Qui répétait son air et ses paroles,
Mais si bien, si dictinctement ;
On imitait si pleinement
De son fausset l'étonnante rudesse,
Qu'il en fut piqué vivement.
Ne doutant point que, pour lui faire pièce,
Quelque malin, dans quelque coin niché,
Tout exprès ne se fût caché.
Cet âgé-là garde peu de mesures.
Dans son erreur, il accable d'injures
L'invisible chanteur, qui les lui rend soudain
— 19 —
Coup sur coup, mot à mot, et refrain pour refrain.
Lo pauvre enfant à la fin se dépite,
Elle coeur gros s'en retourne chez lui.
Là, de son père, il implore l'appui,
Lui racontant qu'une langue maudite,
Que, malgré ses efforts, il ne put mettre en fuite,
S'est embusqué dans le bois aujourd'hui
Pour l'outrager d'une étrange manière,
S'attachant à le contrefaire,
Imitant chaque ton, répétant chaque mot,
Et le traitant comme un marmot.
Le père, à ce récit, comprit fort bien la chose.
Allons, dit-il, il faut qu'on en impose
A ce malin qui s'est moqué de toi ; '
Marche devant, mon fils, et conduis-moi.
Père et fils se mettent en route.
En cheminant le père ajoute :
Mon fils, en toute affaire il faut du jugement,
Surtout en fait de querelle et d'offense ;
La plus éclatante vengeance
Ne vaut jamais un accommodement.
Essayons d'en user avec ménagement.
A dire vrai, c'est toi qui commenças la noise,
Et l'inconnu n'a fait que riposter,
Adresse-lui d'abord quelque phrase courtoise,
Nous verrons de quel air il saura l'écouter.
L'enfant le croit, et du haut de sa tête
Prononce un compliment honnête,
Qui lui revient d'abord en tout autant de mots,
Ainsi qu'en usent les Echos.
— 20—
Lors le père enchanté du succès de sa ruse :
Tu vois, dit-il, mon fils, comme il faut qu'on en
use;
Et je te vais débrouille]* tout ceci.
La voix que l'on entend ici
Est la nôtre, qui nous renvoie
En même son, même monnoie,
Quelqu'un dés rochers que voici.
C'est un jeu de nature, et un emblème aussi ;
Car voilà notre allure à tous tant que nous sommes.
Fais ton profit de cet avis :
Tout querelleur, trouve des ennemis ;
Et dans le commerce des hommes -
On retire ce qu'on a mis.

Le Serrurier et le Pàssé-partoùt.

Jusqu'à présent, sans me plaindre,


J'ai Supporté tous vos coups ;
C'est trop longtemps me contraindre,
Dit une clef en courroux.

Entre un étau resserrée,


J'étouffe présentement,
Et votre lime acérée
Me déchire de sa dent.
— 21 —

Le serrurier débonnaire
Lui répondit : Choisissez ;
Si vous voulez, c'est assez;
Vous êtes clef ordinaire.

Mais aussi, si jusqu'au bout


Vous montrez de la constance,
Je prétends, en récompense,
Vous faire passe-partout.

En sentez-vous l'avantage ?
Votre possesseur charmé
Partout s'ouvrira passage,
Et pour vous rien de fermé.

Aussitôt la clef docile


Lui répondit : Je me rends ;
Oui, gênez-moi plus longtemps,
Si j'en deviens plus utile.

Pour l'étude est-on sans goût ?


On reste un homme ordinaire ;
Quelque gêne est nécessaire;
Le travail surmonte tout.
01»

Le Caméléon ' et lés Oiseaux.

Uh corbeau s'écriait : Vive la couleur noir !


Un caméléon l'entendit,
Et vite noir il se rendit :
C'est pour lui chose aisée, à ce. que dit l'histoire,
De changer de couleur comme oh changé d'habit.
Une colombe sur sa branche,
Un vieux cygne sur son étang,
De s'écrier aussi : Vive la couleur blanche !
Et le caméléon de blanchir à l'instant.
— Fi du blanc et du noir! rien n'est beau que le
jaune,
Dit à son tour un loriot :
— Non, c'est le gris,- dit un pierrot :
— Pour moi, c'est.le vert que je prône,
Dit une perruche aussitôt;
Et mon caméléoni toujours leste et docile,
Qui se rend tour atout et jaune, et vert, e gris,
1

1 Le caméléon est un gros lézard très-élève sur ses


pattes. Quoique en général il soit vrai de dire qu'il est gris,
comme sa peau est transparente, souvent il parait d'une
autre couleur, selon que la colère, la crainte ou l'ennui
l'affectent. Ces passages du noir au jaune ou au vert sont
occasionnés- par sa bile, et non pas, comme on le dit
vulgairement, par la couleur des vêtements de ceux qui
l'approchent.
— 23 —
Croyant par là se faire des amis
Parmi l'espèce volatile ;
Mais passant, toujours indécis,
Du blanc au noir, du vert au jaune,
Il ne sut contenter personne,
Et se fit beaucoup d'ennemis.

L'Homme et la Marmotte.

La marmotte venait de finir son long somme ;


Sommeil de six mois seulement.
N'as-tu pas honte, lui dit l'homme,
De dormir si profondément?
— Tu n'en parles que par envie,
Répondit la marmotte, et tu me fais pitié.
J'aime encor mieux dormir la moitié de ma vie,
Que d'en perdre en plaisirs, comme toi, la moitié.

L'Hirondelle et son Petit.

« Mon fils, disait un jour l'hirondelle tremblante


A l'un de ses petits volant aux environs,
Je vois là-haut certains bâtons
- 24 —
Qui m'alarment pour vous ; quelque main malfai-
sante
Les mit là pour bonnes raisons.
Ne vous y frottez pas, croyez-en votre mère :
J'ai vécu ; je connais ces perfides humains;
Leur race est occupée à dépeupler la terre.
Fuyez; à leur fureur dérobez vos destins ;
Je vous donne mon fils, un conseil salutaire.
,
— Bon, dit l'autre tout bas, voilà de ces chansons,
Propos de vieille radoteuse !
Je ne puis plus yoler que son humeur grondeuse
Ne me fasse aussitôt essuyer vingt sermons.
Je ne comprends pas quel mystère
Peut rendre dangereux les bâtons que voilà.
J'en aurai le coeur net. » D'une aile téméraire
Le drôle à l'instant y vola ;
Il y fut pris : ces bâtons, dit l'histoire,
Etaient enveloppés de glu ;
Il y demeura suspendu ,
Bien honteux, comme on le peut croire.
Un enfant arriva qui saisit le vaurien :
Sa liberté fut pour jamais perdue.
Cet appât, dans le fond, ne lui plaisait en rien ;
Mais c'était chose défendue.

-<5-S>-
Le Villageois et son Fils.

Un villageois sensé, la moisson approchant,


Avec son jeune fils vint visiter son champ :
Qu'y voit-il ? la terre couverte
De bluets, de pavots et de mainte autre fleur;
Mais peu d'épis, et leur maigreur
Le faisait gémir de la perte
Que lui causait son laboureur.
L'enfant né pensait pas de même :
II était d'une joie extrême
De voir ce spectacle nouveau.
« Voyez, disait-il à son père.
Ce bleu, ce jaune, ce ponceau ;
Quelle variété ! que ce champ doit vous plaire !
Notre jardin a-t-il rien de si beau !
— Vous pensez aujourd'hui comme on pense à votre
âgé,
Lui dit le père en soupirant;
Mais un jour devenu plus sage,
Vous penserez tout autrement;
Vous sentirez combien nous cause de dommage
Ce qui vous paraît si charmant ;
Et ce qui vous plaît davantage
Sera par votre main arraché promptèment.
Ne jugez point sur l'apparence ;
Rien, mon fils, rien n'est si trompeur :
— 2G —
C'est se former une vaine espérance
Que de compter sur un dehors flatteur. »

Il en est de même des hommes :


Qu'on est trompé par leur extérieur I
On ne connaît ce que nous sommes
Qu'aux qualités de l'esprit et du coeur.

Le Violon cassé.

Un jour tombe et se brise un mauvais violon :


On le ramasse, on le recolle,
Et de mauvais 11 devient bon.

L'adversité souvent est une heureuse école.

Le Chien et le Chat.

Pataud jouait avec Raton,


Mais sans gronder, sans mordre, en camarade, en
frère :
Les chiens sont bonnes gens; mais les chats,'nous
dit-on, '
Sont justement tout le contraire.
Raton, bien qu'il jurât toujours
Avoir fait palte de.velours,
— 27 —
Raton, et ce n'est point une histoire apocryphe, '
Dans la-peau d'un ami, comme fait maint plaisant,
Enfonçait, tout en s'amusant,
Tantôt la dent, tantôt la griffe.
Pareil jeu dut cesser bientôt.
« Hé quoi ! Pataud, tu fais la mine ?
Ne sais-tu pas qu'il est d'un sot
De se fâcher quand on badine?
Ne suis-je pas ton bon ami?
— Prendsle nom qui convient à ton humeur maligne,
Raton ; ne sois rien à demi :
J'aime mieux un franc ennemi
Qu'un bon ami qui m'égraline. »

Le Ruisseau.

Où va le volume d'eau
Que roule ainsi ce ruisseau ?
Dit un enfant à sa mère ;
Sur cette rive si chère
D'où nous le voyons partir,
Le verrons-nous revenir?
— Non, mon fils ; loin de sa source
Ce ruisseau fait pour toujours :
Et cette onde, dans sa course
Est l'image de nos jours.
L'Homme et la Mouche.

Un homme guettait une mouche,


Qui sur son nez, son front, sa bouche,
Depuis une heure au moins venait
Faire mainte et mainte escarmouche,
Et dont l'audace l'indignait.
Elle n'avait garde d'attendre
Les tapes qu'il lui destinait,
Quand sur le fait pensant la prendre,
A lui-même il s'en appliquait
Qui se faisait très-bien entendre,
Et dont la mouche se moquait.
Bon, lui disait-elle, courage !
C'est bien employer son esprit,
Que de se faire un grand dommage,
Au lieu d'en souffrir Un petit.
L'homme à son tour lui repartit :
Tu penses donc être bien sage,
Toi qui te mêlés de jaser !
Mais au lieu de t'embarrasser
De ces Soufflets que je me donne,
Ef dont nul né peut me blesser,
Tu devrais songer, ma mignonne,
Qu'il n'en faut qu'un pour t'écràser.
Le Pinson et la Pie.

« Apprenez-moi donc une chanson!


Demandait la bavarde pie
A l'agréable et gai pinson
t
Qui chantait le printemps sur l'épine fleurie.
— Allez, allez, vous vous moquez, ma mie,
A gens de votre espèce, oh ! je gagerais bien
Que jamais on n'apprendra rien.
— Eh quoi! la raison! je te prie!
Mais" c'est que pour s'instruire et savoir bien

chanter,
Il faut savoir écouter :
Et babillard n'écouta dé sa vie. »

Le Coche.

Âu bruit d'une quadruple roue,


Qui s'avance, quelle rumeur !
Quels flots de poussière et de boue !
Gare! gare! c'est monseigneur.

Toujours roulant, lé char approché :


Les fouets l'annoncent en claquant;
— 50 —
Il paraît enfin : c'est un coche
A douze places, mais vacant.

Vides d'esprit et de courage,


Sur la terre combien de gens
Ressemblent à cet équipage !
Bruit au dehors, et rien dedans.

Le Dissipateur et le Pauvre.

Tandis qu'il relayait, pour achever sa course,


Un célèbre dissipateur,
Travaillant à loger le diable dans sa bourse,
Lorgnait un homme à pied marchant avec lenteur,
Gémissant, ayant bien la mine
D'être mal à son aise et de se porter mal.
« Ce croquant, plus je l'examine,
A l'air d'aller coucher, dit-il, à l'hôpital. »
Le pauvre, qui l'entend, lui répond: « Mon cher
maître,
Nous pourrons tous les deux nous y revoir peut-êlrc.
Si vous voulez m'y retenir
Un lit auprès de vous, vous me feriez plaisir.
A l'hôpital, sans nulle gêne,
Avant moi vous arriverez :
A six chevaux vous y courez ;
Et c'est à pied que je m'y traîne. »
31 —

Le Succès et l'Estime.

Le Succès en public se faisait voir un jour


(On sait que ce seigneur aime fort à paraître).
11 marchait escorté de sa brillante cour,
Entouré, précédé du fifre et du tambour :
C'était un bruit terrible à ne pas s'y connaître.
Il rencontre l'Estime, et dit d'un ton de maître :
« Que fais-tu là? — J'attends que vous ayez passé :
Ma voix s'accorde mal au bruit de la trompette ;
Mais tout ce qu'une fois ma voix a prononcé,
L'avenir s'en souvient et longtemps le répète. »

La Cigale.

Sur le midi, dans le temps


Qu'aux moucherons chassent les hirondelles,
Un villageois chassait aux sauterelles,
Qui, sautant et voletant dans ses champs,
Les tondait à belles dents.
Il les prend, ii les empale,
Résolu de tout tuer.
^o _
Lors sous le main lui tombe une cigale ;
Il est tout prêt à l'écraser.
D'un ton dolent la cigale s'écrie :
« Considérez, bon homme, je vous prie,
Que je n'ai de ma vie
,
Gâté vos fleurs, vos fruits, votre herbe, ni vos
bois.
Pourquoi te trouvais-tu, reprit le villageois,
En si mauvaise compagnie? »

Lé Ver luisant et le Crapaud.

Un ver luisant faisait sur le gazon


Briller un soir son éclat phosphorique ;
Un crapaud l'aperçoit, et lance son poison
Sur cet insecte pacifique.
« Je n'ai jamais commis le mal, n
Lui dit le ver à son heure dernière :
« Eh quoi ! reprit le hideux animal,
» Ne répands-tu pas ta lumière? »
Le Bluet.

De nos guérets modeste fleur,


De ta corolle demi-close
S'exhale une suave odeur :
Joli bluet, d'où vient cette métamorphose?
— Dès le matin cueilli pour un bouquet,
Je m'y plaçai près de l'oeillet,
Entre le jasmin et la rose ;
Du doux parfum qui d'abord t'a surpris
Déj à tu devines la cause :
Rappelle-toi qu'à choisir ses amis
On gagne toujours quelque chose.

La Chenille.

Un jour, causant entre eux, différents animaux


Louaient beaucoup le ver-à-soie :
Quel talent, disaient-ils, cet insecte déploie
En composaot ces fils si doux, si fins, si beaux,
Qui de l'homme font la richesse !
Tous vantaient son travail, exaltaient son adresse;
— 54 —
Une chenille seule y trouvait des défauts,
Aux animaux surpris en faisait la critique ,
Disait des mais et puis des si.
Un renard s'écria : Messieurs, cela s'explique;
C'est que madame file aussi.

FIN
TABLE

L'Enfant et le petit Ecu 5


L'Enfant et le Sabot 6
Le Fat puni 7
L'Ecolier et le Ver-à-soie. ibid.
. . . •
Le Chien barbet et son Petit 8
. • . . .

.......
Le Sucre et le Café 9
Les Souriceaux et leur Mère ibid-

L'Attelage. 1».

Le Moineau et le Pinson H
La jeune Abeille 12
La Rose et le Chou 13
La Perdrix et ses Petits H
Le jeune Chien 15
Le Porc-Êpic et le Loup 17
36

L'Écho
........
...
TABLE

Le Serrurier et le Passe-partout.
Le Caméléon et les Oiseaux.
,
18
20
22 ^
L'Homme et la Marmotte 23
L'Hirondelle et son Petit ibid.
Le Villageois et son Fils. 25
. . . .
Le Violon cassé. 26
. . . . . .
Le Chien et le Chat ibid.
Le Ruisseau 27

........
L'Homme et la Mouche 28
Le Pinson et la Pie 29
Le Coche ibid.
Le Dissipateur et le Pauvre 30
. . • .

....
Le Succès et l'Estime 31
La Cigale ibid.
. .
Le Ver luisant et le Crapaud 32
Le Bluet 33
La Chenille ibid.

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