Vous êtes sur la page 1sur 8

REVENGE PORN

Chapitre 5 UN CHÂTEAU EN ESPAGNE


Nombre de mots : 3856 | Mis à jour : 10/04/2021

Cette première nuit de novembre 2008 me donne un sentiment de paix intérieur. Mon histoire d'amour avec
Samuel vient de débuter, mais notre complicité n’est pas neuve. M’abandonner dans ses bras n’est pas une
opportunité que j’ai saisie au vol mais l’aboutissement logique d’un lien tissé jour après jour. Je ne suis pas la
fan qui atterrit dans le lit de son idole sur un coup de chance ou de tête. Notre relation s’est construite dans la
durée, la confiance et le respect mutuel. Samuel se réveille avant moi. Je l’entends fouiller dans ses valises
lorsque j’ouvre les yeux.

Il vient me rejoindre et m’embrasse. « Tiens, ma petite femme se réveille », lance-t-il tout sourire. Ses mots
qui me cueillent au pied du lit agissent comme une vague de chaleur douce. Je commande le petit-déjeuner –
les beignets haricots de notre enfance –pendant qu’il prend sa douche. En sortant, il me rejoint à table, et me
demande ce que je compte faire après mes plans avortés au Nigeria.

« Je ne sais pas trop. J’ai envie de reprendre mes études, mais où ? Il faut que je réfléchisse.

– Réfléchis. Et tu me diras ce que tu veux faire. »

Il m’explique qu’il a un déjeuner professionnel et propose qu’un de ses chauffeurs me ramène chez moi. Un
dernier baiser et je quitte la suite le cœur ragaillardi. La Mercedes me dépose devant la porte d’entrée de la
maison. Ma mère, qui m’observe depuis la véranda, n’en perd pas une miette. Suite à ma rupture avec
Frédéric, je lui ai avoué mon intention de fréquenter davantage Samuel. Elle n’a pas cherché à m’en dissuader,
et a même accepté de lui parler au téléphone deux ou trois fois. Je lui confirme avoir passé la soirée avec lui,
sans entrer dans les détails. Son silence complice vaut approbation. Mes deux petits frères, Teddy et Fabrice,
alors adolescents, entendent notre conversation et se ruent sur moi pour recueillir mes impressions sur leur
héros. Le plus jeune, Teddy, douze ans, le plus mordu de foot, est le premier à me sauter dessus.

« Il est comment ? Il est grand ?

– Pas tellement. En tout cas, il est plus petit qu’à la télé.

– Et il est gentil ? Il porte quoi comme chaussures ? Il mange quoi ? Tu lui as parlé de moi ? Tu lui as dit que
je jouais au foot ? »

Son déluge de questions me fatigue autant qu’il m’amuse. Je lui dis que nous en parlerons plus tard, et lui fais
promettre solennellement, comme à Fabrice, de ne pas s’épancher sur notre relation auprès de ses amis. Je ne
:
veux pas être l’attraction du quartier. Surtout, je ne veux pas que

Samuel pense que j’utilise son nom pour me faire mousser auprès de mon entourage. Je considère notre amour
comme un bien précieux, mais encore fragile. Et je tiens à tout prix à le préserver. La peur de l’abandon, que je
traîne depuis l’enfance, ne m’a jamais quittée. Samuel est rentré à Barcelone. Les appels et échanges de textos
reprennent de plus belle, à raison d’au moins deux

coups de fil par jour, et un SMS toutes les demi-heures. L’attaquant du Barça dispute alors deux matchs par
semaine : le mardi ou le mercredi en Champions League, et le week-end en championnat national. La veille
des matchs à l’extérieur, il dort à l’hôtel, et nos conversations peuvent déborder jusqu’au milieu de la nuit.
Lorsqu’il joue, nous privilégions les SMS. Cette boulimie de communication à tout crin n’est pas toujours très
utile ni constructive, mais elle me rassure. Samuel a déjà fait preuve de la sincérité de ses sentiments en
patientant de longues semaines avant de faire de moi sa « petite femme » comme il dit. Mais je reste attentive
aux suites de cette idylle naissante et au sérieux de son engagement. Je ne veux pas être une fille parmi
d’autres ou son « plan » local lorsqu’il passe au Cameroun. Cette insécurité est aussi liée à son mode de
fonctionnement à distance. Je peux lui envoyer des textos quand je veux, mais il ne décroche pas quand je
téléphone.

C’est toujours lui qui me rappelle. Je l’interroge plusieurs fois sur cette curieuse habitude, lui demande quelle
en est la raison. Il ne répond jamais précisément, assurant qu’il est le plus souvent occupé lors de mes appels,
et qu’il est plus simple pour lui de procéder ainsi. Son explication tient la route. Un homme au sommet du foot
mondial n’a pas le temps libre d’une jeune fille oisive de dix-neuf ans. La question de mon avenir
professionnel, justement, reste en suspens. En ce début décembre, l’année scolaire est déjà trop avancée pour
que je puisse rattraper un cursus en cours. Samuel me conseille de prendre une année sabbatique pour réfléchir
à ce que je veux faire, et être prête pour les inscriptions du mois de juin. Je reste à la maison, profitant de mes
deux frères, de ma petite sœur encore en primaire, et de ma mère. À chaque match de Samuel, la famille se
réunit devant l’écran pour acclamer notre champion. À la fin de la rencontre, Teddy lui téléphone pour
recueillir ses impressions. Je les entends disserter des heures sur la majesté de telle passe décisive, ou la
pertinence de tel carton jaune. Teddy n’hésite pas à solliciter son idole sur la meilleure façon d’intégrer un
grand centre d’entraînement le plus tôt possible. Samuel l’en dissuade, et tente de le

convaincre de se concentrer d’abord sur ses études. Le message a du mal à passer auprès de mon cadet qui voit
en Samuel un modèle à imiter, quand bien même il ne partage pas son immense talent. Nous avons prévu de
nous revoir à Yaoundé pour les fêtes de fin d’année. J’attends ces retrouvailles avec impatience. Le jour de son
arrivée, il vient me chercher chez moi et me propose d’emblée de l’accompagner dans un institut de beauté où
il a des habitudes. On ne peut pas dire que c’est le programme dont j’avais rêvé. Sur place, il me présente son
esthéticienne attitrée, une certaine Carine qu’il dit connaître depuis longtemps. Je remarque tout de suite sa
:
peau parfaite alors que la mienne porte encore les stigmates de la puberté. Elle est grande, plutôt bien en chair.
Tout le

contraire de moi. Pendant la manucure, ils bavardent et rigolent comme deux vieux potes de chambrée. Leur
complicité m’agace un peu mais Samuel a pris soin de me présenter comme sa « petite femme », coupant court
à tout élan de jalousie de ma part. Une fois les soins terminés, je

m’attends à aller dîner en tête-à-tête avec mon amoureux mais ce dernier propose à ma stupéfaction que
Carine se joigne à nous, ce qu’elle accepte. Mais de quel genre de retrouvailles s’agit-il ? Je préfère ne pas
relever. Notre relation est trop fraîche et mon bonheur trop parfait pour que j’émette des critiques. Après tout,
ma réaction est peut-être un peu égoïste : n’a-t-il pas le droit lui aussi de profiter de ses amis ?

Au restaurant, les deux compères en goguette monopolisent la discussion. Je les observe en train d’enchaînés
sourires complices et private jokes sans que je puisse véritablement m’intégrer à la conversation. J’ai
l’impression d’être sur la touche, mais surtout victime de mon jeune âge et de mon inexpérience de la vie en
société.

Je reste prostrée, sans oser ouvrir la bouche ou donner mon point de vue. Après le dîner, Samuel suggère que
nous allions en boîte. À nouveau, je m’attends à ce que l’esthéticienne nous abandonne mais il n’en est rien.
Cette fois, les échanges entre eux se font plus intimes. Carine raconte sa rupture avec une autre femme, et la
difficulté qu’elle a eue à s’en remettre. J’avoue être surprise de cette confession. Lorsqu’elle part aux toilettes,
je profite de son absence pour interroger Samuel.

« Ta copine est lesbienne ?

– Non, elle est bi. Et d’ailleurs elle m’a dit que tu lui plaisais.

Sa réponse me foudroie. Je commence à comprendre le manège autour de moi mais je ne veux pas y croire.
Essaierait-il de me jeter dans ses bras ? Je tente de faire comme si cette révélation m’indifférait. Je dois être
trop fleur bleue. Ce genre de pratiques est peut-être courant à l’âge adulte. Ne fais pas ta vierge effarouchée.
Pourtant, la perspective de me retrouver dans un lit avec cette fille

me dégoûte. Je n’ai évidemment aucun grief contre l’homosexualité. C’est juste que les femmes ne m’attirent
pas. Au-delà, je m’attendais à une soirée romantique, et me voilà embarquée dans un plan où il est question
que je couche avec une autre personne que l’homme que j’aime. J’enchaîne les coupes de champagne pour me
désinhiber et cacher l’émoi que je ressens. La suite de la soirée renforce mes doutes sur le scénario qui se
prépare. Samuel propose cette fois que Carine nous

accompagne à l’hôtel, prétextant qu’il est trop tard pour qu’elle rentre chez elle. Il est 4 heures du matin passé.
:
Dans le salon de la suite, d’autres bouteilles de champagne nous attendent. Je me dirige vers la chambre pour
forcer Samuel à venir se coucher, en vain. Il me rejoint, et me demande

ce qui ne va pas.

« Je ne sais pas. Je pensais que Carine allait partir se

coucher mais elle est encore là.

– On s’amuse un peu, c’est tout. Elle ne va pas tarder à partir. »

Je suis rassurée, et en même temps j’ai peur de l’avoir offensé. Je ne vois rien de tel dans son regard, plutôt
une sorte de tendresse. Je ne suis pas prête à ce genre d’excentricités, et il le sent. Je regagne le salon,
constatant que les deux amis continuent de boire et de rire. Je m’en

veux d’avoir voulu casser cette complicité à cause de mon immaturité. Tout à coup, Carine se lance dans une
danse lascive sur un morceau à la mode de Lady Ponce. Je la regarde avec admiration. J’aimerais être comme
elle, décomplexée, désinhibée, libre. Je voudrais qu’elle me guide, qu’elle me fasse gagner en maturité, qu’elle
m’apprenne les codes de la vie d’adulte. Je lui demande son

numéro avec l’intention de la revoir. Elle accepte avec plaisir et promet d’être là pour moi quand je le
souhaite.Samuel observe la scène avec une bienveillance teintée de malice. Après le départ de Carine, nous
nous endormons enlacés sans plus de débats. La suite du séjour n’est pas beaucoup plus chaleureuse. Dès le
lendemain, je ressens le besoin de l’interroger sur ses véritables liens avec Carine. Je soupçonne une ex, peut-
être même une amante régulière. Le fait qu’elle soit si différente

de moi me terrifie. N’a-t-il pas, au fond, plus d’affinités avec une fille comme elle ? Sa présence était-elle
vraiment indispensable pour notre soirée de retrouvailles ? Mon inquiétude commence un peu à l’énerver.

« Écoute, c’est juste une très bonne amie que je ne vois pas souvent. J’avais simplement envie de passer du
temps avec elle. »

Je ne suis pas très convaincue par sa réponse mais je ravale ma jalousie naissante. Je ne veux pas aller au
clash. Je tente de faire bonne figure au risque de ne pas paraître très naturelle dans mon attitude. Nous nous
voyons le soir, sans grande passion, tandis que sa journée est consacrée à de

multiples rendez-vous auxquels je ne suis pas conviée. Le quatrième jour, il m’annonce qu’il va finalement
passer Noël à Dubaï avec ses enfants et me laisse un peu d’argent pour

acheter des cadeaux pour toute la famille. Je suis inquiète. L’idylle qui se profilait est en train de tourner court.
Je m’en veux d’avoir joué les saintes-nitouches le premier soir. Je le bombarde de SMS enamourés pendant
:
son séjour à Dubaï. Il me répond qu’il m’aime aussi et que je lui manque. Je me raccroche à ces paroles pour
tenter de positiver. Dans le même temps, je me rapproche de Carine comme prévu. Je passe la voir au salon,
dans son appartement, et nous allons

faire du sport en salle ensemble. J’admire son caractère enjoué et son indépendance. J’informe Samuel de
chacune de nos rencontres. Il se montre ravi de cette bonne entente entre nous.

À son retour à Barcelone, la litanie des appels et des SMS reprend de plus belle. Je suis heureuse de voir que
les liens ne sont pas rompus, et la flamme en apparence intacte. Mais j’en attends plus. J’ai envie d’effacer le
souvenir mitigé de sa venue à Yaoundé. J’aimerais qu’il m’invite à passer du temps avec lui en Espagne. Il me
dit que son agenda ne lui permet pas de me faire venir dans de bonnes conditions avant l’hiver. Je compte les
jours jusqu’à la délivrance: mi-février, il m’annonce enfin que mon visa m’attend. Mon absence totale de
situation professionnelle n’a pas été un

obstacle. Samuel se vantait régulièrement de pouvoir obtenir un visa sur commande via son réseau et ses
amitiés dans les ambassades et consulats du Cameroun. Force est de constater qu’il n’a pas exagéré. La
nouvelle me rend folle de joie. Je vais revoir Samuel, et visiter l’Europe pour la première fois ! Mon vol, via
Paris, est prévu pour le soir même. Pompidou, un proche de Samuel qui fait office d’homme à tout faire pour
ses affaires camerounaises, s’occupe de la logistique. Je bourre une valise en trois minutes, entassant petits
hauts et robes courtes, sans me rendre compte que l’hiver européen n’a rien à voir avec celui du Cameroun. Je
grimpe dans un bus direction l’aéroport mais nous sommes rapidement englués dans les bouchons. Je
commence à

paniquer. Je demande au chauffeur de s’arrêter et de me laisser prendre ma valise qui est en soute. Il refuse. Je
ne veux rater mon vol sous aucun prétexte. Je décide d’abandonner mes affaires et de partir avec un sac rempli
d’un jogging et d’une paire de tongs. Sur la route, j’attrape une moto-taxi qui me permet d’arriver à temps
pour l’enregistrement. Mais dans quel état ! La route poussiéreuse m’a totalement défigurée. Avant
d’embarquer, je troque mon jean et mes bottes sales pour mon survêt et mes tongs. Quand j’arrive à Barcelone,
le lendemain matin, Samuel m’attend sur le parking de l’aéroport dans sa Mercedes, accompagné d’André,
l’un de ses amis d’enfance devenu son bras droit en Espagne. Il entrouvre la fenêtre et m’observe de la tête
aux pieds avant de partir dans un grand éclat de rire.

« Koah ! Tu es en tongs ! »

Je me sens nulle. Il m’avait prévenue qu’il allait faire froid mais je ne pensais pas à ce point. Je suis
frigorifiée, et j’ai l’air d’un indien dans la ville. Je lui raconte ma mésaventure du bus. Il n’arrive plus à
s’arrêter de rire.

« Si tu avais raté ton vol, on te mettait dans le suivant ! »


:
Ce moment de complicité réchauffe instantanément l’atmosphère, et efface d’un coup de baguette magique les
doutes et les craintes emmagasinés depuis le séjour raté de Yaoundé. La présence d’André nous empêche de
roucouler, mais nos regards illuminés trahissent la joie de ces retrouvailles. La voiture s’arrête en bas de
l’hôtel Arts, un établissement Spa somptueux du bord de mer. J’en déduis qu’il n’est pas question que j’aille
chez lui. Je ravale ma déception. Je sais qu’il vit avec ses enfants, et, au fond, je me doute bien qu’il a une
compagne officielle. Mais nous n’avons jamais abordé le sujet. J’ai eu mille fois envie de le questionner, sans
en avoir le courage. Et ce n’est certainement pas maintenant, alors que ce séjour tant attendu s’ouvre sur un
fou rire, que je vais prendre le risque de tout gâcher. Priorité urgente : j’ai besoin d’une garde-robe adaptée au
climat européen. Samuel part s’entraîner et me laisse l’équivalent de 1 500 euros pour acheter de quoi
m’habiller. André m’accompagne faire les boutiques. J’avance dans la ville, surexcitée par le spectacle qui
s’offre à moi. Tout m’émerveille. Les routes immaculées, ces drôles de taxis jaune et noir qui se ressemblent
tous. J’écoute fascinée les conversations en espagnol des passants dont je ne comprends pas un traître mot. Je
marche avec le portable en mode vidéo pour garder une trace éternelle de ce moment magique. Après une
heure de shopping, je pénètre dans ma chambre d’hôtel à 600 euros la nuit les bras chargés de sacs. C’est le
deuxième choc. Tout est si grand, si beau, si neuf. J’ai l’air d’une gamine devant un pot de glace. Je m’extasie
de la moindre poignée de porte, du moindre bout de placard. Face à la baie vitrée, je répète « Nathalie à
Barcelone, Nathalie à Barcelone », comme pour me convaincre que je ne suis pas dans un rêve. J’appelle ma
mère pour lui raconter en direct tout ce que je vois, en vrac, sans filtre, en formant le vœu qu’elle puisse elle
aussi un jour vivre un tel enchantement. Je bombarde Samuel de SMS reconnaissants. Je ne réalise pas encore
que les dépenses qu’il a engagées pour moi représentent une broutille par rapport à l’étendue de sa fortune.

À l’époque, son salaire au Barça est de 10 millions d’euros par an. Mais l’argent ne fait pas tout. J’ai envie de
passer du temps avec lui. Je lui demande s’il a prévu de me rejoindre après son entraînement. Il me répond que
oui, et qu’il va venir dîner à l’hôtel. Après le repas, on se pose,

enlacés, devant la télé. Je suis si bien dans ses bras. Il est affectueux et attentionné comme au premier jour. En
fin de soirée, il regarde sa montre et siffle la fin de la récré de la manière la plus inattendue qui soit.

« La mère des enfants va partir dîner avec des amies, il faut que je rentre à la maison m’occuper des petits. »

Ça y est. Le mystère est enfin levé. Je m’y attendais, et pourtant, la petite phrase me fait l’effet d’un uppercut
en pleine face. J’ai envie de lui demander son nom, savoir à quoi elle ressemble, s’il l’aime, depuis quand,
comment. Mais une fois de plus, j’encaisse sans broncher. Je dois réagir comme une adulte, faire semblant de
m’en foutre. Je sais que toute question nous mènera au clash. S’il avait voulu m’en parler, s’il était à l’aise
avec le sujet, nous l’aurions évoqué depuis longtemps. Je suis la maîtresse et le resterai. Je dois apprendre à
vivre avec cette idée. Il ne m’appartient qu’à moitié. J’ai mal, mais je me tais. La perspective de le perdre est
une souffrance bien plus intense encore. J’apprendrai plus tard dans la semaine, grâce à une indiscrétion
:
d’André, que son nom est Georgette. Je ne cherche pas à en savoir plus. J’ai déjà l’impression d’en

savoir trop. Le séjour se poursuit sur le même mode intermittent. Nous passons ici et là une soirée ou un bout
d’après-midi ensemble. J’essaie parfois de le retenir mais sans insister. Il me répond simplement qu’on se
reverra vite. Alors je profite de chaque instant en sachant que le temps nous est

compté. Je fais la grande fille, insensible à cette situation qui pourtant me dévaste. Je me raccroche à ces
moments certes furtifs mais qui n’appartiennent qu’à nous. Un soir, après que j’ai dîné seule, il vient me
chercher à l’hôtel sans me dire où nous allons. Nous arrivons bientôt en bas d’un immeuble superbe en plein
milieu d’un quartier chic. Il m’emmène dans les étages et ouvre la porte d’un somptueux appartement. Au
milieu du salon trône un immense canapé beige. J’aperçois dans une vitrine des trophées entassés et la photo
d’un enfant. Je réalise d’un coup que

je suis chez lui. Ou plutôt chez eux. L’excitation laisse place à un sentiment de malaise. J’ai envie de chercher
des yeux des photos de sa compagne mais je me retiens. Je ne me sens pas à ma place. Samuel, lui, paraît très
détendu. Son téléphone sonne. Il s’éloigne. Je suis sûre que c’est elle. J’ai envie de m’enfuir, alors qu’il
considère sans doute son initiative comme une preuve d’amour. Le moindre commentaire de ma part gâcherait
tout et serait vécu comme un affront. Quelques instants plus tard, il réapparaît comme si de rien n’était, et
m’invite à entrer dans la chambre à coucher. Je me laisse faire, pétrifiée. J’ai peur qu’elle débarque d’une
seconde à l’autre mais l’attitude

détachée de Samuel calme mes angoisses. En entrant dans la chambre, j’aperçois un berceau à côté du lit,
ajoutant la honte à mon embarras. Il m’embrasse. J’essaie d’oublier où je suis. Nous passons la nuit là, sans
aucune allusion au côté malsain de la situation. Le lendemain matin, dans la salle de bain, je tombe sur une
pile de sous-vêtements féminins qui sèchent dans la douche. Le meuble du lavabo est rempli de lotions de
beauté pour femme. Elle est là, partout autour de moi. Je me trouve sale mais je lutte de toutes mes forces
contre les remords. En quittant l’appartement, j’essaie de laver mon esprit de tout sentiment de culpabilité. Je
n’ai pas décidé d’être là. Je voulais juste être avec Samuel. Malgré mes efforts, cet épisode me plombe,
d’autant que les journées suivantes ne m’incitent pas à retrouver de la gaieté. Je passe l’essentiel de mon temps
à faire du shopping

escorté par André, ou enfermée dans ma chambre d’hôtel devant des programmes télévisés en espagnol qui me
restent logiquement hermétiques. Pire, lorsque je sors, j’ai l’impression que tout le monde me dévisage en se
disant « cette fille-là en fait trop, on voit qu’elle n’est pas d’ici ». Je me sens étrangère à tout ça, à cette vie de
faste et de luxe. J’ai besoin de retrouver un environnement familier. Une après-midi, alors que Samuel vient
me rejoindre pour une pause tendresse, je m’en ouvre à lui.

« Tu sais, quand tu n’es pas là, ce n’est pas évident pour moi. Je suis seule la plupart du temps, et je ne parle
:
pas espagnol. Si j’allais par exemple à Paris, je pourrais passer du temps avec mes cousins, et toi tu pourrais
faire un saut de temps en temps pour me voir. » Je crains qu’il ne me prenne pour une ingrate. Il n’aurait sans
doute pas tort. Je scrute sa réaction avec inquiétude.

« C’est une bonne idée. Mes enfants sont bientôt en vacances et j’avais de toute façon prévu d’aller à Paris. Je
te prends des billets et tu pars demain. » Il ne s’en rend pas compte, mais ma proposition est aussi une forme
d’acceptation de ma condition d’amoureuse clandestine. Je ne l’aurai jamais pour moi toute seule, je ne vivrai
jamais à ses côtés. Alors autant installer de la distance. Rien n’est pire que de le savoir là, à quelques
kilomètres de moi, sans pouvoir profiter de lui. À Paris, je ne serai pas esclave de cette attente permanente. Je
pourrai avoir une vie en dehors de Samuel Eto’o, tout en restant liée à lui. Ce n’est pas l’histoire d’amour dont
je rêvais, mais je ne perds pas de vue l’essentiel : c’est la seule qu’il est prêt à m’offrir.

Fin du chapitre

Bonus à réclamer dans


l'application
Ouvrir
:

Vous aimerez peut-être aussi