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2023 15:16

Jeu
Revue de théâtre

Sur le théâtre pour l’enfance et la jeunesse


Roger Deldime et Jeanne Pigeon

Numéro 26 (1), 1983

URI : https://id.erudit.org/iderudit/28296ac

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Éditeur(s)
Cahiers de théâtre Jeu inc.

ISSN
0382-0335 (imprimé)
1923-2578 (numérique)

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Citer cet article


Deldime, R. & Pigeon, J. (1983). Sur le théâtre pour l’enfance et la jeunesse. Jeu,
(26), 53–57.

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sur le théâtre pour l'enfance et la jeunesse*

1. Le théâtre professionnel pour l'enfance et la jeunesse est d'abord un fait théâtral,


c'est-à-dire une organisation complexe d'éléments sonores (le texte écrit pour être
joué avec sa syntaxe, sa stylistique et sa prosodie; la musique et les bruitages) et
d'éléments visuels (le décor, les costumes, les déplacements, la gestualité, les
éclairages...). Cette organisation varie en fonction du type d'écriture scénique, des
intentions dramaturgiques, des options scénographiques, du jeu des comédiens...
Ne pas appréhender le théâtre dans sa pluralité débouche sur la création de spec-
tacles simplistes et réducteurs.

2. La spécificité du public ne doit pas infantiliser les productions théâtrales quant au


texte, au jeu de l'acteur, au type de décor, etc. Admettre cette proposition conduit à
éviter les redondances verbales (répétitions des mêmes informations... «pour être
bien compris! ») et les redondances parallèles (explicitation verbale de la significa-
tion d'un décor, par exemple) si fréquentes mais combien inutiles (sauf dans quel-
ques rares cas d'effets théâtraux recherchés) puisque tout signifie au théâtre, lan-
gage pluriel par excellence. Nos études en la matière démontrent que les enfants
comprennent bien plus que ce que les adultes s'imaginent; ils sont, en outre, très
souvent capables de dégager les significations symboliques de la narration anecdo-
tique.

3. Le théâtre pour l'enfance et la jeunesse constitue un art à part entière. Ce


phénomène artistique spécifique peut toutefois s'enrichir au contact des autres
manifestations de l'art (peinture, sculpture, musique, danse...). La méconnaissance
de cette interdisciplinarité (peut-être sécurisante pour certains) consiste à créer un
ghetto préjudiciable au théâtre et au public. En outre, le théâtre pour enfants s'inscrit
dans différentes pratiques esthétiques et idéologiques qui se concrétisent dans des
réalisations dramatiques et scénographiques diversifiées.

4. Parler de théâtralité en la dissociant du contenu constitue une approche réduc-


trice et simplificatrice. En effet, la théâtralité ne se résume pas à une sorte de
«saupoudrage» du texte par quelques «ingrédients» spectaculaires. Les formes
théâtrales se distinguent de l'esthétisme pur: elles sont porteuses de sens au même
titre que le contenu du texte dramatique. La comédie musicale à message idéologi-
que, par exemple, enlève tout esprit critique aux spectateurs par sa forme scénique
'Ces quelques réflexions-propositions de Roger Deldime et Jeanne Pigeon leur ont été inspirées par le
neuvième Festival québécois de théâtre pour enfants (août 1982) auquel ils ont participé. Les auteurs sont
rattachés au Centre de sociologie du théâtre de l'Université de Bruxelles.
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^f h rche de N o é par le Théâtre de G a l a f r o n i e (Belgique).


envoûtante qui fait appel à l'identification émotionnelle. Un travail critique sur la
société est inopérant s'il ne se traduit pas dans des formes elles-mêmes critiques
vis-à-vis des normes formelles habituelles. Susciter chez les spectateurs une atti-
tude interrogative implique à la fois une lecture critique des contenus et des formes.
Les spectacles construits sur des structures du type stimulus-réponse provoquent
l'adhésion (voire l'endoctrinement) des spectateurs au même titre que les spec-
tacles dits commerciaux.

5. Sans nier la part de subjectivité qui s'investit dans tout phénomène artistique, il
est naïf, voire dangereux, de ne se référer qu'à ses propres intuitions ressenties au
cours de la représentation ou aux réactions de quelques enfants pour induire des
constatations ayant force de lois. L'étude du comportement du spectateur exige une
honnêteté intellectuelle caractérisée notamment par une méthodologie rigoureuse
basée sur des moyens objectifs d'analyse (expérimentale, si possible). Pour s'en
faire une idée, nous renvoyons le lecteur à l'une de nos études, l'Enfant au théâtre,
publiée dans la Collection J.E.B./Théâtre à Bruxelles en 1978 (107 p.).

6. S'il veut éviter le verbiage (ou le verbalisme), tout essai de théorisation doit
définir les concepts qu'il utilise (exemples: théâtre didactique, théâtre populaire). La
réflexion approfondie prend, en outre, appui sur des pratiques et des théories
historiquement significatives (exemples: Brecht, Vilar) dans le but d'enrichir, de
nuancer et de situer la problématique et ses propos éventuellement novateurs.
Cette démarche référentielle fait apparaître les caractéristiques à la fois communes
et divergentes dans les questionnements corrélatifs aux spécificités de chaque
pays.

7. Le raisonnement tautologique (si fréquemment utilisé) n'apporte rien au débat:


ses renvois uniquement émotionnels («J'ai aimé le spectacle car il m'a fasciné»)
conjugués à une apparente tolérance faite d'autosuffisance («tout le monde il est
beau, tout le monde il est gentil ») sont incompatibles avec une attitude authentique
d'ouverture et de critique, facteur de progrès intellectuel et artistique.

8. En ce qui concerne la diffusion des spectacles, il est erroné d'opposer la diffusion


scolaire dite populaire (parce que l'école est le passage obligé de tous les enfants) à
la diffusion extra-scolaire dite élitiste. Il y a d'ailleurs, dans les deux cas, participa-
tion financière souvent équivalente des spectateurs. Croire en la possibilité d'une
culture populaire et de sa diffusion dans toutes les classes sociales par le biais de
l'école, c'est cautionner le présupposé que l'institution scolaire constitue un fait
démocratique et qu'elle est le véhicule des intérêts de tous. En effet, le système
éducatif est calqué sur la société hiérarchisée où la classe privilégiée détient la
culture, c'est-à-dire les outils fondamentaux (savoir, savoir-faire et savoir-dire) et
vise à la conservation du pouvoir culturel de celle-ci. Dans nos sociétés occidentales,
il existe une contradiction entre l'objectif de démocratisation de l'enseignement et le
processus de sélection qui élimine une classe socio-culturelle et qui favorise les
«héritiers». L'étude scientifique de la diffusion théâtrale pendant une décennie a
démontré que ce sont essentiellement les milieux socio-économiques favorisés qui
bénéficient de l'action culturelle (à bas prix, de surcroît, quand la diffusion est
subventionnée par les pouvoirs publics). Notre Centre a publié une étude pluridisci-
plinaire (à vocation exhaustive) intitulée Théâtre et jeunes publics: 1970-1980 et
également parue dans la Collection J.E.B./Théâtre (335 pages). On y trouve notam-
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ment une analyse fouillée (quantitative et qualitative) de la diffusion des spectacles
en direction de la jeunesse.

9. Le concept d'imaginaire est de plus en plus galvaudé dans la mesure où il signifie


très souvent l'ancestral merveilleux ou, plus récemment, une psychanalyse de bas
étage. Le travail théâtral contemporain s'articule dans un rapport d'exclusivité:
l'exploration de l'imaginaire individuel et l'analyse de la réalité sociale. La plupart
des spectacles actuels négligent l'inscription sociale du pulsionnel ou réduisent la
sociologie de l'imaginaire à l'unique quotidien. Or, l'évolution des sciences hu-
maines montre qu'il est impossible d'ignorer le rapport dialectique de ces deux
termes de la contradiction.

10. La tendance actuelle à reconsidérer le théâtre pour ce qu'il est (une manifesta-
tion artistique où se trouvent réhabilités la création, l'imaginaire, la subjectivité...) et
non plus à le concevoir seulement comme un moyen de communication (au même
titre que le journal, par exemple) peut réjouir. Toutefois ce regain d'estime, en soi,
n'est pas antagoniste d'un théâtre dont le principal objet réside dans le travail sur la
thématique sociale, sur la délivrance d'un message. La réhabilitation de la création
peut aussi conduire au développement de l'art progressiste même si, dans certains
cas, le terme ambigu de création est utilisé par des courants réactionnaires pour
justifier le retour à l'irrationnel, à une mythification de l'individu, etc.

Diane Garneau et Dominic La Vallée dans Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon, une production du
Théâtre du Gros Mécano, 1982.
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11. Le théâtre, phénomène culturel et social, art du spectacle vivant, média chaud,
ne peut affirmer son existence et garantir sa pérennité que par une recherche
multidisciplinaire et par une autocritique permanente. Le théâtre pour enfants nous
passionne, c'est la raison pour laquelle nous sommes soucieux de l'analyser sans
complaisance. Nous espérons ainsi contribuer à le faire respecter par ceux qui le
découvrent.1

roger deldime et Jeanne pigeon

1. Les deux ouvrages mentionnés dans cet article peuvent être obtenus gratuitement en adressant une
demande écrite et motivée à Yves Ramaeckers, directeur de la collection J.E.B., Ministère de la Communauté
française, 78, Galerie Ravenstein, 1000 Bruxelles, Belgique.
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