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Juliette Ménard

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Note de lecture critique sur ​L’Amour de l’art, les musées d’art européens et leur public​, dirigé par
Pierre Bourdieu et Alain Darbel, avec Dominique Schnapper

L’Amour de l’art, les musées d’art européens et leur public ​est publié en 1966 puis réédité en
1969, augmenté de nouvelles enquêtes dans des musées européens. Il est le résultat d’une enquête
collaborative menée entre 1964 et 1965. Ce travail est dirigé par Pierre Bourdieu et Alain Darbel, avec
Dominique Schnapper. Bourdieu s’inscrit avec ces recherches dans la continuité de ses travaux
exposés dans Les héritiers​, avec Jean-Claude Passeron, en 1964, et ​Un art moyen : Essai sur les
usages sociaux de la photographie​, publié en 1965. Il débute ainsi une sociologie autour de l’objet
artistique, qui s’achève dans La Distinction en 1979, poursuivant les interrogations formulées pour
aboutir à une sociologie des goûts et styles de vie. Pour L’Amour de l’art​, Bourdieu s’entoure d’Alain
Darbel, sociologue et statisticien, qui est à l’origine du modèle mathématique qui sous-tend l’ouvrage.
L’enquête est également menée avec Dominique Schnapper, sociologue et politologue spécialisée
dans l’étude des minorités et de l’intégration.
Ce projet a pour ambition de mettre à jour les causes du goût pour l'art par l’étude du public
des musées européens. Les auteur·es mettent en lumière les conditions sociales qui précèdent les
pratiques culturelles. L’étude, par une méthode rigoureuse, considère plusieurs variables qui jouent
sur la répartition des publics : tourisme, publicité, période de l’année, gratuité de l’entrée… L’enquête
mêle questionnaires et observations. Les résultats sont ensuite codés et formalisés afin d’être légitimés
et de jouer le rôle de preuve dans le champ scientifique. Une comparaison est effectuée entre
l’enquête française et les quelques résultats amassés en Europe.
Les conclusions résultant de cette méthode sont présentées en trois parties. Tout d’abord, les
conditions sociales de la pratique culturelle. Le niveau d'instruction semble être le critère qui sépare la
population fréquentant les musées et celle ne la fréquentant pas. Les impératifs culturels et toutes les
normes sociales relatives à une pratique culturelle ne touchent que les classes supérieures et, dans une
moindre mesure, les classes moyennes. Parmi les caractéristiques influençant le ​besoin culturel​, le
niveau d'instruction est le plus déterminant puisqu’il influe également sur le revenu et la catégorie
socio-professionnelle, également facteurs de la fréquentation des musées. Le “culte de la culture”
étant organisé par les institutions nationales, la comparaison entre pays sur ce point est délicate. Les
auteur·es évoquent un capital culturel national, qui dépend du niveau d’instruction acquis à l'école à
chaque diplôme. Toutefois, les méthodes destinées à la France sont appliquées aux autres pays. La
comparaison entre pays permet de constater que les avantages et désavantages dans l’attribution du
capital culturel sont cumulatifs.
Dans la suite de l’ouvrage, les auteur·es s’intéressent à l’écart entre possibilité pure et réelle
de profiter des musées. Alors que la possibilité pure offre à tout·es l’entrée au musée, la réalité est
autre: l’aspiration à la pratique culturelle n’existe que si elle s’accomplit. Le ​besoin culturel​, produit
de l’éducation, redouble à mesure qu’il s’assouvit, creusant l’écart de pratiques culturelles et donc de
connaissances. Toutefois, une norme pèse sur tout·es : les classes populaires ont tendance à surestimer
la fréquence et le temps moyen à laquelle iels vont au musée. Bourdieu explique les écarts de temps
moyen passé au musée par les écarts de temps nécessaire à l’épuisement des significations de l'œuvre
qui résonnent avec les connaissances du récepteur. L’appréhension de l’objet artistique se fait par un
système de classement à degré de raffinement variable, donc par la maîtrise du code social. Un apport
majeur de l’enquête est de démonter le mythe que l'œil neuf et naïf est capable de mieux capter
l’esthétique d’un objet. En réalité, il est nécessaire de maîtriser les codes exigés par l'œuvre. Nous
approfondirons ce point en analysant ces codes décrits comme une matrice. Nous la lierons au
système du langage, dont les concepts de signifiant et signifié sont repris dans l’ouvrage. Enfin, la
disposition cultivée s’entretient par la création d’une fracture sacré- profane entre l’univers du musée
et l’univers quotidien. Par la mise en place d’un décorum, de règles, du silence, les inégalités d’accès
sont creusées puisque celui·elle qui est touché·e par les objets d’art est comme touché·e de la lumière
divine, tandis que celui·elle qui n’a pas l’habitude du musée, peut ressentir un sentiment d’exclusion
face à ces musées-Églises. Les connaissances et goûts forment des constellations : les individus allant
au musée vont également au théâtre, à des concerts… Seul le cinéma semble être une pratique
échappant à la nécessité de dispositions sociales particulières.
Finalement, les résultats composent des lois de la diffusion culturelle. Les instances de
légitimité culturelle, les rappels de la norme et les ​tastemakers ​de l’entourage incitent l’individu à une
pratique culturelle. Toutefois, le niveau de l’information offerte peut différer du niveau de
compétence du récepteur et c’est cela qui explique les écarts de pratique. Suite à la constitution de ces
lois, on pourrait espérer que des solutions soient apportées face à ce qui est présenté comme une
impasse. Après plusieurs observations innovantes de politiques culturelles et d'efforts pédagogiques,
la conclusion est sans appel : cette aisance face aux objets artistiques ne peut pas s’acquérir “par
raccourcis". Lorsqu’on sait que les individus les plus dépossédés de dispositions culturelles n’en ont
pas conscience, l’ouvrage induit une forme de fatalité. L’oxymore ​nature cultivée est créée par les
auteur·es pour désigner le fait que la maîtrise des instruments d’appropriations culturelles soit ancrée
et inconsciente, à tel point que l’aisance face à l’art paraît ​naturelle​. L’objectif ici est de se concentrer
sur des points abordés par la recherche en vue de les analyser. Mes travaux de recherche portent sur
l’autoportrait comme moyen de représentation d’un corps genré, avec un point de vue
psychanalytique, ce qui explique que les points choisis correspondent globalement à ces sujets.
Tout d’abord, l’enquête traite d’un public face à des images. Nous étudierons la spécificité
d’un tel objet d’étude et comment il est ici traité. Ensuite, la culture et plus précisément le capital
culturel est imaginé comme une matrice dont les codes doivent être transmis afin de pouvoir s’y
insérer, similaire au langage, dont l’ouvrage emprunte d’ailleurs les termes de signifié et signifiant.
Enfin, l’analyse est vue au prisme des rapports de classe, mais d'autres rapports tels que ceux d’âges et
de genre y sont abordés mais pas approfondis. Peut-on avoir une lecture intersectionnelle de l’ouvrage
de Bourdieu ?

1- Un ouvrage qui traite du public d’objets artistiques sans évoquer lesdits objets

René Huyghe est cité dès l’introduction afin de montrer le rôle primordial des images et de
l’art dans notre civilisation : “​L’art n’a jamais été aussi important, aussi obsédant qu’en notre temps ;
jamais si répandu, si goûté, mais jamais si analysé, si expliqué. Il profite (et surtout la peinture) du
rôle primordial que les images conquièrent dans notre civilisation​”1​​ . Si ​Dialogue avec le visible est
un ouvrage qui vise à introduire comment lire un objet artistique et profiter de toute sa richesse,
l’enquête de Bourdieu et Darbel se concentre sur le public, tendant parfois à oublier l’objet artistique.
En effet, derrière le titre ​L’Amour de l’art se cachent des conclusions axées sur le profil-type du
public fréquentant les musées, et donc des agents en position de domination en termes de pratiques
culturelles. L’image, n’est que peu traitée, voir dévalorisée par des classements, des évaluations
matérialisées par étoiles ou numéros. L’approche sociologique statistique prive l’objet artistique de
son âme et peut même paraître arbitraire : quelle légitimité a-t-on de juger de la qualité d’une œuvre
d’art, par nature subjective ?

1
René Huyghe, ​Dialogue avec le visible​, Paris, Flammarion 1955, p. 8
L’objet artistique en tant qu’objet esthétique pose également la question du jugement sur des
critères esthétiques. Il est dit “​On comprend donc que l’esthétique ne peut être, sauf exception, qu’une
dimension de l’éthique (ou, mieux, de l’éthos) de classe.”​ 2​ - On peut noter l’utilisation du terme grec
ethos,​ c’est-à-dire ici l’ensemble des caractères communs à un groupe d’individus appartenant à une
même société. Ainsi, capacité à voir le beau est selon les auteur·es une affaire de classe sociale. Ainsi,
la pensée de Kant, qui affirme “​le beau est ce qui plaît sans concept”​ semble être infirmée.
Néanmoins, les auteur·es précisent en conclusion que leur objectif n’est pas de contredire Kant mais
de montrer quelles conditions sociales permettent l’expérience de l’esthétisme. Pourtant, tout au long
de l'ouvrage, le propos de Kant est mis à rude épreuve. En effet, le mythe de l'œil naïf face à l’objet
artistique, qui serait capable d’y déceler la beauté et d’entrer dans un état de contemplation qui
tiendrait presque de la grâce divine, est remis en question. La preuve est apportée qu’il faut avoir
acquis les concepts exposés dans l'œuvre d’art pour pouvoir en recevoir le plaisir esthétique. Pour
dépasser cette contradiction, l’enquête manque de méthodes qualitatives afin de comprendre quelles
visions de l'esthétisme sont exprimées par les différents spectateurs au musée.
En cassant le mythe de l'œil neuf, les auteur·es proposent une nouvelle lecture de la rencontre
à l’objet artistique : les objets culturels sont parties d’une ​matrice,​ la culture. Le sens donné ici au mot
matrice ne se limite pas à la définition commune d’un moule qui impose une forme à un matériau
mais décrit, notamment en référence à la saga ​Matrix,​ à un système structurant et productif de ses
propres codes.

2- La culture comme matrice

Alors que dans la trilogie ​Matrix​, l’apprentissage des différents codes (de langues, de sports
de combat…mais on pourrait imaginer un code artistique) se fait par des programmes informatiques
téléchargés dans le cerveau des individus, dans la société observée par Bourdieu et Darbel,
l’apprentissage des codes nécessaires à la compréhension de la matrice culturelle est lent puisqu’il est
le résultat d’un processus d’intériorisation inconscient. De plus, en cas de transformation des
instruments de production artistique, l’intériorisation doit être précédée d’un processus de
déracinement des instruments de perception artistiques obsolètes, ce qui étend le temps
d’apprentissage. Pourrait-on imaginer un changement, grâce aux progrès de l’informatique, un
apprentissage plus rapide se rapprochant de celui utilisé dans ​Matrix ?​
Seule la maîtrise accomplie du “code des codes” permet de dépasser cette matrice pour voir
au-delà et comprendre les formes les plus novatrices de l’art : dans cette réalité, pas de Morpheus
offrant la pilule rouge mais un apprentissage long qui débute dès la socialisation primaire, ensuite
accentué par l’école.
L’analogie entre la matrice qu’est la culture et le langage semble de mise, d’autant plus que
dans ces travaux les concepts de signifié et signifiants sont repris. Pourtant, les auteur·es ne
développent pas le propos, pourtant majeur. La modélisation des probabilités statistiques déployées
dans l’ouvrage qui, selon moi, n’améliorent pas la compréhension des propos tenus par les auteur·es,
auraient pu être remplacées par des efforts pour modéliser cette matrice culturelle, éventuellement par
des exemples de chaînes signifiantes. En effet, l’interaction public-objet artistique se fait par un
langage, que nous étudierons par le biais de la psychanalyse et de la RSI​3 de Lacan. Comme le
langage est la Symbolique chez Lacan, l’objet d’art est la Symbolique de l’individu (au musée) en ce
qu’il essaye de mettre en image le Réel. Tous deux sont les signifiants du Réel. Dans l’art, le Réel est
ce que cherche à projeter l’artiste, dans toute sa complexité. L’artiste tente alors de décrire le Réel par

2
Bourdieu, Darbel, ​L’Amour de l’art​, Paris, Les Editions de minuit 1966, p.83
3
Jacques Lacan, RSI, Séminaire 22, 1974-1975
une symbolique et une chaîne signifiante qui ne sont pas sous forme de mots mais d’images. Les
symboles utilisés par l’artiste sont toutefois formés à travers sa chaîne signifiante particulière,
produite justement au cours de la socialisation, et sont ainsi différenciés. Par ce détour analogique
avec le langage il est plus aisé de comprendre les conclusions de l’ouvrage : les individus, face à une
œuvre, ne percevront pas les mêmes choses puisque leurs chaînes signifiantes sont particulières. Cela
explique que les schémas d’interprétations soient différenciés, puisque les univers de représentations
sont différents. Ceci explique que devant un tableau, un individu commente "C'est un peuplier” tandis
qu’un autre interprète “C’est un Cézanne” : l’un n’aura accès qu’à des signifiants venant de son
quotidien, alors que l’autre a acquis des signifiants culturels grâce à un ​habitus culturel. C’est cela que
Bourdieu et Darbel appellent ​l’écart entre niveau d’émission​ et ​niveau de réception​ de l'œuvre.
Il est dit dans l’ouvrage “​Cet ensemble d’instruments de perception qui constitue le mode
d’appropriation des biens artistiques dans une société donnée, à un moment donné du temps, ne
dépend pas des volontés et des consciences individuelles et s’impose aux individus singuliers, le plus
souvent à leur insu, définissant les distinctions qu’ils peuvent opérer et celles qui leur échappent​.”​4 :
c’est bien un système comparable au langage. Ainsi, les images-symboles utilisées dans l’œuvre
participent à une esthétique ancrée dans une culture visuelle. Cette culture est située dans le temps et
l’espace. Il est affirmé “​Toute œuvre est en quelque sorte faite deux fois, par le créateur et par le
spectateur, ou mieux, par la société à laquelle appartient le spectateur”​ 5​​ , à quoi on peut ajouter la
société à laquelle appartient le créateur, qui est souvent différente de celle du spectateur.

3- Les limites d’une étude des rapports sociaux

L’analyse des rapports sociaux issue de cette enquête constitue un apport majeur en
sociologie. En effet, on apprend que les agents en position de dominants sont en mesure d’imposer
leurs productions culturelles et symboliques à tout·es. En substituant à la différence entre deux
cultures, construites par l’éducation différenciée, la différence essentialiste entre deux natures : les
barbares et les civilisés, les classes privilégiées produisent une représentation de la bipartition de la
société entre barbares et civilisés. Ainsi le monopole des instruments de l’appropriation des biens
culturels par une classe dominante est justifié. Malgré une analyse achevée des rapports sociaux de
domination, le travail pourrait être enrichi en analysant certaines des caractéristiques prises en compte
dans l’étude du public fréquentant les musées, notamment l’âge et le sexe. La recherche sur les
rapports de classe peut être aujourd’hui prolongée par une approche intersectionnelle.
Une approche au prisme de la race est impossible puisque la loi française interdit les
statistiques prenant en compte ce critère, et les observations rapportées dans le livre n’en font pas
mention. Cependant, l’approche aurait été intéressante dans le domaine de la culture. En effet, le
caractère ethnocentré de l’étude se comprend d’autant plus que les musées européens possèdent les
plus riches collections d’objets d’art, notamment suite aux pillages lors des colonisations. Le sujet est
actuel puisque la question de la restitution des biens culturels africains a été remise à l’agenda
politique français il y a peu. Sachant cela, on peut se poser la question d’étendre les conclusions de
l’enquête à l’international. Il existe bien une domination d’une classe possédant le monopole des
instruments de l’appropriation des biens culturels, mais on peut ajouter que des pays possèdent le
monopole face à des pays pillés de leurs objets artistiques. Les enjeux d’appropriations culturelles ne
sont pas abordés dans cet ouvrage mais ont un lien avec la distinction entre les public ayant accès à
l’art et les autres.

4
​ Bourdieu, Darbel,​ L’Amour de l’art​, Paris, Les Editions de minuit 1966, p.75
5
​ Bourdieu, Darbel, ​L’Amour de l’art​, Paris, Les Editions de minuit 1966, p.76
Les rapports de genre sont évoqués très rapidement. Selon les enquêteur·ses, les réponses des
femmes au questionnaire sont moins nombreuses que celles des hommes. Les observations nous en
révèlent les raisons : lorsqu' un ménage vient au musée, la femme laisse volontiers à l’homme la tâche
de répondre au questionnaire car “il sait mieux”. Aucune analyse n’est faite de ce phénomène pourtant
décrit comme récurrent. À la lumière des travaux sur l'intersectionnalité, concept forgé par la juriste
américaine Kimberlé W. Crenshaw à la fin des années 1980 pour donner un nom aux formes
combinées de domination, nous pouvons élargir l’explication des caractéristiques spécifiques au
public enquêté. Le genre n’est pas un critère nous permettant d’expliquer les inégalités de disposition
culturelle, toutefois les observations nous permettent de dire que, si les femmes ne sont pas moins
dotées en connaissances et pratiques culturelles, elles tendent à les sous-estimer. Si Pierre Bourdieu
n’évoque pas cela de manière plus approfondie dans cet ouvrage, il écrit ​La Domination masculine en
1998 et expose les structures mentales et sociales de la domination masculine, ce qui explique
l’attitude des femmes dans l’enquête. La violence symbolique imposée aux femmes leur inculte un
certain retrait, une dévalorisation des connaissances puisqu'elles ne sont pas vues comme légitimes,
notamment dans les domaines de la culture. Cette question mériterait plus d’approfondissement,
notamment s’agissant des femmes de classes populaires, qui subiraient donc plusieurs formes de
dominations, l’impact sur les dispositions culturelles est à analyser.
Enfin, les chiffres nous apprennent que les musées sont plus fréquentés par des “jeunes”, à
savoir entre 15 et 24 ans. L’observation d’une répartition du public par l’âge est analysée comme
l’effet de l’action scolaire, qui dure proportionnellement à la durée des études. Ainsi, beaucoup de
jeunes vont au musée puisque l’influence de l’école perdure. Toutefois, l’étude ne prend pas en
compte d’éventuels écarts dans les dispositions culturelles dus à l’âge. En effet, alors que les plus
jeunes sont encouragées à aller au musée, notamment par l’organisation de sorties visites, d’ateliers
spécifiques destinés aux enfants, de panneaux pédagogiques… Cette discrimination positive à
destination des plus jeunes crée une inégalité dans l’accès à la culture liée à l’âge, qui n’est pas
mentionnée.
Une “mise à jour” de l’enquête, 55 ans après, me semble nécessaire.

Conclusion

Le goût pour l’art est surtout justifié dans l’ouvrage par l’école. Par conséquent, les autres
conditions de l’inégalité d’accès à la culture sont omises, notamment les discriminations liées au
genre et/ou à l’âge. Au vu du contexte de publication, cela n’est pas surprenant, mais il est intéressant
de prolonger l’étude aujourd’hui à la lumière des travaux scientifiques récents. L’approche utilisée
dans l’enquête n’a qu’une vision limitée de l’image et de l’objet artistique en lui-même. Cependant, la
méthode scientifique est extrêmement rigoureuse et semble répondre à une volonté de légitimation des
sciences sociales. Toutefois, cette rigueur n’est pas de mise pour ce qui est de son accessibilité.
L’utilisation de mots en latin, en grec est révélatrice d’un des paradoxes de cet ouvrage, qui traite des
inégalités d’accès à la culture et de la maîtrise de ses codes, mais qui emploie des termes savants ainsi
qu’une syntaxe complexe...réservant ainsi la lecture de l’ouvrage à une population ayant un fort
capital culturel.
Derrière le titre mentionnant une étude des musées européens se cache en réalité une enquête
française, étendue à quelques musées d’Europe, toutefois l’analyse s’appuie surtout sur les enquêtes
effectuées en France, et dans une (très) moindre mesure en Hollande, en Grèce et en Pologne.
Les conclusions amenées par l’enquête semblent mener à une impasse : aucune politique,
aucun raccourci n’est possible pour inciter une pratique culturelle chez les individus n’ayant pas
acquis cet habitus jeunes. Cette vision est vecteur d’un certain déterminisme social. Toutefois, c’est
un apport majeur dans la sociologie puisqu’elle met en évidence qu’une disposition durable à la
pratique culturelle ne peut se constituer que par une pratique régulière et pérenne. Ainsi les enfants de
classes cultivées possèdent un besoin culturel​, qui n’existe pas chez les individus n’ayant pas
l’habitude de pratiques culturelles. Par conséquent, les agents en position de dominants sont en
mesure d’imposer leurs productions culturelles et symboliques, ce qui favorise la reproduction des
rapports sociaux de domination. La volonté exprimée au début de l’ouvrage de démonter le mythe
eschatologique de l’art est accomplie au vu des conditions sociales nécessaires à l’amour de l’art.

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