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BANGUI, MADE IN KIGALI

En Centrafrique, le Rwanda ou l’assurance-vie de


Touadéra
Depuis plusieurs années, Kigali s’est imposé comme l’un des principaux
soutiens du président centrafricain. Son premier argument : assurer, aux
côtés des Russes de Wagner, la sécurité de Faustin-Archange Touadéra.
Premier volet de notre reportage « Bangui, made in Kigali ».
:
Flore Monteau

Publié le 18 décembre 2023 Lecture : 7 minutes.

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Bangui, made in Kigali (1/2) – « One, two ! One, two ! One, two ! » soufflent
en rythme les dernières recrues des Forces armées centrafricaines (Faca) en
courant rejoindre leurs rangs sous les immenses arbres du camp Kassaï, à
Bangui. Après six mois d’entraînement, ces 512 hommes et femmes fêtent la
fin de leur formation, que leur a dispensé le contingent rwandais présent dans
le pays.

« Ça va vraiment nous aider »

Démonstrations d’arts martiaux dans des cercles de feu, maniement d’armes,


parades… Tout a été planifié au carré pour la cérémonie de clôture, à l’image
de l’État mené d’une main de fer par le président Paul Kagame. « Les
Rwandais nous ont transformés pour que nous soyons bien disciplinés. Ça va
vraiment nous aider », témoigne Christopher, un conscrit centrafricain de 23
ans.
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Déjà réputés comme les bons élèves, efficaces et exemplaires, de la Minusca (la
mission onusienne en Centrafrique), dont ils constituent, depuis 2014, le
contingent le plus important (2 100 soldats aujourd’hui), les Rwandais ont,
grâce à une série d’accords, su se rendre indispensables au président
centrafricain, Faustin-Archange Touadéra.

A lire : Bangui, made in Kigali


:
Mais alors que sont fièrement alignées les jeunes recrues, surveillées de près
par leurs instructeurs rwandais, le ciel se déchire. Un déluge s’abat, laissant les
invités les pieds dans l’eau, frissonnant sous les gouttes qui traversent les
bâches. En pleine saison des pluies, la nature centrafricaine prend le dessus, et
la cérémonie est retardée.

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Fauteuil doré et tapis rouge

Au sec dans un fauteuil doré à l’allure toute monarchique, Faustin-Archange


Touadéra, arrivé en grande pompe après la pluie, observe la scène. Devant lui,
un tapis rouge détrempé, et une tribune, où les discours se succèdent. « Un
soldat formé est un soldat au service de la population et de l’intégrité du
territoire national », déclare le général Zéphirin Mamadou, le chef d’état-
major des armées, qui rappelle le but de sa mission : « ramener la paix » dans
tout le pays.
:
Cérémonie de clôture de la formation de recrues de l'armée centrafricaine par le contingent

bilatéral rwandais, en présence de Faustin-Archange Touadéra, au Camp Kassaï (Bangui), le 24


novembre 2023. © Flore Monteau

Pour les Centrafricains, le souvenir de la guerre civile est encore vif. Il y a trois
ans à peine, la capitale était sur le point de tomber aux mains des groupes
rebelles. Acculé, Touadéra avait appelé à la rescousse les soldats rwandais, sur
la base de l’accord de coopération militaire qu’il avait signé un an plus tôt avec
Kigali. Ces hommes, qui ont débarqué en 2020, ont contribué, aux côtés des
Faca et des mercenaires russes du groupe Wagner, à desserrer l’étau.

A lire :  Rwanda : du Mozambique à la Centrafrique, les raisons du déploiement


tous azimuts de Kigali
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« La Coalition des patriotes pour le changement [CPC], de l’ancien président,


François Bozizé, se tenait aux portes de la ville. Notre tâche principale était de
protéger le gouvernement », se souvient le brigadier général Ronald
Rwivanga, porte-parole du contingent bilatéral rwandais. Menés par le colonel
Alphonse Gahima, les 1 200 soldats qui composent ce contingent sont, depuis,
restés dans le pays.

Les deux maisons du président


:
« Nous avons repoussé les rebelles avec succès », se félicite Ronald Rwivanga,
qui assure qu’aujourd’hui, dans le pays, la situation est « relativement calme »,
en dehors de zones situées à la frontière avec le Cameroun et le Soudan, que
sécurisent l’ONU ou les Russes. « Nous protégeons le président, la ville de
Bangui et quelques sites autour de la capitale, tels que les maisons [du chef de
l’État], à Damara », ajoute le porte-parole.

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Propriétaire de deux villas en bordure de route, dans cette localité distante de


70 km de Bangui, Faustin-Archange Touadéra a effectivement confié sa
sécurité aux Rwandais. Les guérites qui surplombent l’imposant portail de
l’une de ses résidences secondaires sont occupées par ces derniers, qui gardent
aussi l’entrée. À l’intérieur, les soldats ont établi leur camp.

A lire : Centrafrique : pourquoi une partie de l’opinion veut voir l’armée rwandaise
quitter le pays

Au milieu des tentes, des filets de camouflage et des vêtements qui sèchent,
deux véhicules blindés occupent l’espace sous la pergola qui jouxte la maison.
« Le président Touadéra n’est pas là tout le temps, mais on le voit
:
régulièrement », témoigne une soldate, arrivée à Damara il y a sept mois.

Et la présence de ces troupes s’inscrit dans la durée. La réforme du secteur de


la sécurité a été lancée en août 2021. Pierre angulaire de la présence
rwandaise dans le pays, elle consiste à équiper et à former l’armée locale, puis
à la déployer. L’objectif est qu’elle soit en mesure de prendre le relais « quand
on décidera de partir », explique le brigadier-général Rwivanga.

« Coopération Sud-Sud »

« La formation de six mois que nous proposons est bonne pour un


entraînement de base. Mais nous pouvons aller au-delà, et rendre les Faca plus
efficaces dans des domaines spécifiques. » Une « solution africaine aux
problèmes africains », ajoute-t-il dans un sourire, reprenant le mantra de la
diplomatie militaire chère à Paul Kagame.

A lire :  Paul Kagame : « Tshisekedi, Kabila, Macron, Touadéra, ma famille et


moi »

Depuis ce qu’il considère comme l’échec de la mission de l’ONU pendant le


génocide de 1994, le chef de l’État rwandais souhaite en effet proposer une
alternative africaine crédible aux opérations multilatérales. Cette politique,
qui s’est révélée efficace en Centrafrique, puis au Mozambique, permet à
Kigali de développer des partenariats économiques là où il maintient des
troupes.
:
Au Camp Kassaï (Bangui), le 24 novembre 2023. © Flore Monteau

Faustin-Archange Touadéra parle, lui, d’une « coopération Sud-Sud », qu’il


entend « poursuivre et renforcer ». « Nous remercions le président Paul
Kagame et l’armée rwandaise venue nous soutenir », déclare-t-il ainsi lors de
la cérémonie qui clôt la formation des jeunes Faca. « Nous poursuivrons [sur
cette voie] pour multiplier les différents types de coopération et pour
renforcer nos forces de défense et de sécurité », poursuit-il, sans oublier de
mentionner « l’autre formation, menée par la Fédération de Russie ».

Touadéra l’équilibriste

Quand le président centrafricain apparaît en public, visage souvent renfrogné


et regard dur, la palette de couleurs des couvre-chefs qui l’entourent ne lui
permet pas de passer inaperçu. Casques bleus onusiens, bérets verts rwandais,
bérets rouges centrafricains, casquettes beiges pour les – discrets mais
:
omniprésents – mercenaires russes… Par un savant jeu d’équilibre, Faustin-
Archange Touadéra semble arriver à garder tout ce petit monde sous son
contrôle.

Si les Rwandais décrivent leur coopération avec la Minusca ou celle avec les
Centrafricains comme « faciles » et s’exerçant en toute confiance, ils n’en
disent pas autant des Russes du groupe Wagner. « Ils ne sont pas sur notre
chemin, nous ne sommes pas sur le leur », résume le brigadier général
rwandais. En dehors de la protection du président, il n’y a, selon lui, aucune
opération conjointe avec les Russes.

A lire :  Russie-Afrique : Centrafrique, le pays des Soviets ?

« On a notre propre structure de commandement, notre propre domaine


d’intervention, et ils ont les leurs. C’est comme s’il y avait une personne dans
la communication, et une autre chargée des opérations de combat. Je n’ai
aucune idée de la manière dont ils travaillent. »
:
Faustin-Archange Touadéra, au Camp Kassaï (Bangui), le 24 novembre 2023. © Flore Monteau

Même son de cloche du côté de la Minusca. « Il n’y a jamais eu d’opérations


conjointes avec les Russes », assure Vladimir Monteiro, porte-parole de la
mission onusienne à Bangui. De même, si les Rwandais sont le principal
fournisseur de troupes et d’éléments de police au sein de l’ONU, ces soldats
n’ont rien à voir avec le contingent bilatéral. « On ne travaille pas ensemble »,
confirme Monteiro, qui répète que l’unique partenaire de la Minusca est
l’armée centrafricaine. Même si la mission de stabilisation est dirigée par une
Rwandaise ? Valentine Rugwabiza, que le secrétaire général de l’ONU a
nommée en février 2022, œuvre avec succès au réchauffement des relations
avec les autorités centrafricaines. Si le mandat de la Minusca prévoit, lui aussi,
son retrait au profit des forces nationales, la mission semble encore bien
implantée dans le pays.

« En mai 2023, la représentante spéciale a demandé à la Minusca d’adopter


une posture proactive et préemptive, dans l’objectif de dissuader les groupes
:
armés d’attaquer », explique son porte-parole. Au début de juillet, un casque
bleu rwandais avait perdu la vie lors d’une patrouille dans la province de la
Haute-Kotto, dans le nord-est du pays, vers la frontière avec le Soudan.

A lire :  Au Rwanda, les discrets atouts de la diplomatie économique de Paul


Kagame

Le 15 novembre, le Conseil de sécurité de l’ONU a renouvelé pour un an le


mandat de la Minusca, à la quasi unanimité (seule la Russie s’est abstenue). Ce
mandat a désormais pour priorité « de soutenir l’extension de l’autorité de
l’État et de maintenir l’intégrité territoriale », en collaboration avec les Faca.
L’embargo sur les armes a également été assoupli.

Hôpitaux, écoles…

La mission sécuritaire prise en main par l’ONU, le contingent bilatéral


rwandais a désormais les coudées franches pour étendre sa présence à d’autres
secteurs de la société centrafricaine. « Les armes réduites au silence, on
s’oriente vers des activités économiques, on construit des hôpitaux, des
écoles… », explique Ronald Rwivanga.

À Bangui, à la fin de septembre dernier, le président Touadéra, casquette sur la


tête et pelle à la main, est venu en personne participer à l’umuganda, ces
travaux communautaires typiquement rwandais que Paul Kagame a instaurés
dans son pays. L’expression d’un soft power déjà bien enraciné, et la preuve
que, pour Kigali, la Centrafrique est devenue une terre d’opportunités.
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