Vous êtes sur la page 1sur 5

 Afrique

Bilal Ag Acherif : «Notre combat contre


l’armée malienne et le groupe Wagner est
existentiel»
« Tous les Azawadiens espèrent la défaite de Wagner et des FAMA, qui commettent des atrocités
et posent des mines antipersonnelles sur notre territoire », confie le chef de l’armée de l’Azawad
Publié le 22 octobre 2023 à 12:25




Pascal Airault

Soldats du Mouvement national de l'Azawad à Kidal en 2013. - Sipa press


Les faits -

Chef de guerre. Né en 1977 à Kidal dans le septentrion malien, Bilal Ag Acherif a étudié en
Libye où il a obtenu une maîtrise en économie. Parlant l’arabe et l’anglais, il est revenu au
Mali en 2010. Un an plus tard, il est devenu secrétaire général du Mouvement national pour la
libération de l’Azawad (MNLA). Depuis, il a été de toutes les négociations avec l’Etat malien
avant de reprendre les armes il y a deux mois et demi. Il coordonne actuellement l’armée de
l’Azawad.
Bilal Ag Acherif - Vincent
Fournier/JeuneAfrique
Secrétaire général du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), Bilal Ag
Achérif est aussi le coordinateur général de l’effort de guerre pour les groupes armés issus de
la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) et du Cadre Stratégique Permanent
pour la Paix, la Sécurité et le Développement (CSP). En exclusivité pour L’Opinion, il fait le
point sur les combats en cours contre l’armée malienne.

Quelle est la situation militaire au nord du Mali ?


L’armée malienne et les mercenaires du groupe Wagner ont commencé à attaquer nos
positions il y a deux mois et demi à Tombouctou. Le gouvernement a tourné le dos à l’accord
de paix en attaquant nos bases. Nous avons alerté la communauté internationale, notamment
les pays médiateurs entre le Mali et les mouvements de l’Azawad signataires de l’Accord de
paix d’Alger. Cependant, celle-ci n’a pas condamné les atrocités commises par les forces
armées maliennes (FAMA) et Wagner contre les populations civiles, particulièrement dans les
régions de Gao et de Tombouctou, en plus de ce qu’elles ont fait et font dans le centre du
Mali. La Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) et la Plateforme du 14 juin, qui
ont mis en place un Cadre Stratégique Permanent pour la Paix, la Sécurité et le
Développement (CSP-PSD, alliance de mouvements armés qui a signé l’accord de paix avec
l’Etat malien en 2015), ont décidé de se défendre et de protéger les populations et leurs
territoires. Nous avons riposté et vaincu les FAMA qui occupaient les camps de Bourem,
Léré, Dioura, Bamba, et d’autres régions.

L’armée de l’Azawad combat au côté du Groupe de soutien à l’islam


et aux musulmans (GSIM, rassemblement de plusieurs forces
djihadistes dont Al Qaïda) comme semble en attester le déclenchement
d’attaques suicides, récemment à Léré...
C’est faux. Il n’y a pas eu d’attaques suicides à Léré. L’opération a été menée par l’armée
azawadienne. Le GSIM a bien sûr une présence sur le terrain et beaucoup de ses combattants
viennent de l’Azawad, comme les nôtres. Depuis 2015, nous travaillons à la paix avec
Bamako, contrairement au GSIM qui combat les FAMA depuis 2012. Aujourd’hui, tous les
Azawadiens espèrent la défaite de Wagner et des FAMA, qui commettent des atrocités et
posent des mines antipersonnelles sur notre territoire.

Quel est le bilan des combats selon vous ?


Les forces armées maliennes (FAMA) et Wagner ont perdu 300 soldats à Ber, Léré, Bourem,
Bamba, Dioura... De notre côté, nous déplorons la perte de 45 martyrs. Il y a aussi de
nombreux blessés de part et d’autre.

Combien détenez-vous de prisonniers ?


Nous avons fait beaucoup de prisonniers. Nous en avons libéré une dizaine que nous avons
remis au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ou directement à leurs familles.
Nous en détenons toujours 18 que nous traitons bien, conformément à notre culture et au droit
international.

Où en sont vos combats contre la colonne de l’armée malienne qui


remonte vers l’extrême nord ?
Cette colonne est composée de 200 blindés, camions et véhicules tout-terrain. Elle est
appuyée par un soutien aérien (drones TB2, Soukhoï, Albatros, hélicoptères). Elle est
actuellement bloquée à Anefis dont nous nous sommes retirés pour éviter que les populations
subissent des dommages collatéraux. Les FAMA et Wagner veulent prendre les camps de
Tessalit, où nous avons beaucoup de difficultés à cause de la présence de la Minusma. Celle-
ci permet aux avions de Wagner d’y atterrir. Nous évitons de nous battre dans les zones où se
trouvent les Casques bleus. Les FAMA et Wagner ont aussi l’intention d’occuper Aguelhok et
Kidal.

Notre peuple, qui avait auparavant une perception positive du rôle des Nations Unies, se
sent aujourd’hui trahi

Vous semblez reprocher à la Mission des Nations Unies au Mali


(Minusma) sa partialité…
La Minusma était censée être une force neutre, veillant à la bonne application de l’accord de
paix d’Alger. Or, elle semble favoriser l’armée malienne, avec laquelle elle coordonne le
retrait de ses troupes. Elle accélère ou retarde la remise aux autorités des camps qu’elle
occupe dans le nord du Mali en fonction de l’avancée des forces maliennes. Elle a donc pris
parti pour l’un des belligérants. Notre peuple, qui avait auparavant une perception positive du
rôle des Nations Unies, se sent aujourd’hui trahi. Il craint de devoir vivre sous le joug des
milices de Wagner et des FAMA. Nous avons écrit au secrétaire général des Nations Unies,
Antonio Gutierrez, pour demander à son institution de respecter un minimum d’impartialité
lors du retrait des forces de maintien de la paix. L’accord de paix stipule que les forces
opérant dans le nord du Mali doivent être issues de l’armée reconstituée. Les FAMA ne
peuvent à elles seules assurer la sécurité dans l’Azawad.

Pourriez-vous rendre plus difficile le départ des Casques bleus ?


Nous n’avons pas l’intention de les faire. Nous avons d’ailleurs permis aux soldats maliens,
présents à Kidal dans le cadre de la force conjointe, de rejoindre l’aéroport de la ville tenue
par les Casques bleus afin d'être évacués vers Bamako.

Comment avez-vous vécu la dissidence de certains groupes armés


comme le Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA) qui restent du
côté des autorités de Bamako ?
Ils sont libres de leur choix. Nous ne les avons pas exclus pour autant de nos instances de
gouvernance. Nous sommes actuellement focalisés sur les opérations militaires.

Qu’en est-il de la présence de vos représentants auprès des autorités ?


Nous avons demandé à trois ministres de quitter le gouvernement. Ils sont restés à Bamako de
leur propre chef. Ils travaillent aujourd’hui pour eux-mêmes. Nous avons aussi demandé à nos
quinze officiers de quitter les organes de coordination militaire avec l’armée malienne qu’ils
avaient intégré en 2015.

Recevez-vous des renforts des Touaregs de la sous-région ?


Il y a beaucoup de solidarité de nos frères touaregs et arabes des différents pays de la région.
Nous n’avons pas de problème d’effectifs et nous savons où trouver des combattants. Chaque
jour, nous recevons déjà des renforts de nos communautés de l’Azawad. Il s’agit d’une
question existentielle pour nos populations. Notre principale difficulté réside dans
l’approvisionnement en munitions, le soutien financier et la logistique pour soigner nos
blessés.

Croyez-vous encore dans la médiation malienne qui a abouti aux


accords d’Alger en 2015 ?
Il faut se rendre à l'évidence. Cette médiation n’a pas atteint les résultats escomptés. Les
médiateurs n’ont pas pu empêcher la guerre et ne sont pas parvenus à faire entendre raison
aux autorités à Bamako. Le groupe de médiation internationale n’est plus actif. Il n’a rien dit
concernant les violations de l’Accord de paix par les autorités maliennes. Nous ne voyons pas
non plus d’autres acteurs intervenir. Pour sortir de l’impasse, nous devons repenser toute
l’architecture de la paix et trouver un nouveau mécanisme. La Minusma se retire du Mali et ne
pourra plus jouer son rôle de garant de la bonne application de l’accord d’Alger.

La présence des mercenaires russes est un désastre pour notre région


L’Organisation de Coopération Islamique (OCI) ou un pays nordique
pourraient-ils reprendre le leadership de la médiation ?
L’OCI est déjà membre de la médiation internationale au Mali. Elle a joué son rôle pendant
les négociations, mais n’a pas été appelée à en faire plus pour la mise en œuvre de l’accord de
paix. Nous avons surtout besoin d’un système impartial qui ne favorise pas le gouvernement
malien.

Comment l’extrême nord est-il ravitaillé alors que plusieurs pays ont
fermé leurs frontières ?
L’Algérie a officiellement fermé sa frontière en 2013. Elle l’ouvre de temps en temps, pour
des raisons humanitaires, afin de laisser passer les produits de première nécessité. Nous
contrôlons les zones frontalières où il n’y a pas eu d’incidents avec l’armée algérienne depuis
2012. Cela aurait dû conduire Alger à mieux évaluer notre rôle dans la coordination avec nos
forces pour la réouverture de cette frontière. Il y a aussi des arrangements avec la Mauritanie
en ce qui concerne les questions humanitaires et les échanges commerciaux. C'était également
le cas avec le Niger, avant le coup d’Etat qui y a eu lieu. L’agression des FAMA et de Wagner
a accru dernièrement les souffrances de notre peuple. Nous appelons la communauté
internationale, l’ONU et les organisations humanitaires à prendre leur responsabilité au sujet
du conflit. La présence des mercenaires de Wagner est un désastre pour notre région.

Vous aimerez peut-être aussi