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Les Touaregs, maîtres du désert

Représentants du gouvernement malien et des rebelles touaregs, à Tripoli (Libye), début avril (AFP).

Le soleil se couche derrière les montagnes qui entourent ce bout de désert dans le nord-est du Mali. L’heure de
la dernière prière de la journée, l’un des seuls moments où les combattants touaregs s’éloignent de leur kalachnikov.
Une quinzaine de feux discrets ont été allumés, la viande sèche sur les branches des acacias, le thé bout en silence. De
temps en temps, un 4x4 chargé d’hommes enturbannés surgit de la pénombre. Aucune piste ne mène au campement,
dont l’emplacement, tenu secret, change tous les jours. Il faut s’y rendre clandestinement, l’armée empêchant les
étrangers de circuler dans le secteur - officiellement pour des raisons de sécurité.

Les rebelles - qui luttent depuis plusieurs générations contre le pouvoir de Bamako, l’accusant de délaisser leur
région - campent aujourd’hui entre Gao et Kidal, à 300 km de leur base habituelle de Tinzaouatène, à la frontière avec
l’Algérie. Et menacent les renforts de l’armée dépêchés dans la région. Entre le gouvernement de Bamako et les
Touaregs, qui contrôlent les routes du désert, le conflit n’a jamais réellement cessé. Après une période d’accalmie, suite
à un accord dans les années 90, il a repris de plus belle en 2006. Les services occidentaux s’inquiètent de cette
recrudescence des combats dans une zone instable, où les activistes d’Al-Qaeda au Maghreb islamique ont pris pied
(lire encadré), de la Mauritanie au Mali, en passant par le Niger.
Captures. «Le gouvernement ne cesse d’envoyer des troupes. Même après que nous avons fait un geste en
libérant nos derniers prisonniers», déplore le lieutenant-colonel Hassan Fagaga. Ancien de la rébellion des années 90, il
avait été intégré à l’armée malienne, avant de déserter à l’automne 2007 pour rejoindre l’Alliance touarègue Nord-Mali
pour le changement, dirigée par Ibrahim Ag Bahanga. Le 20 mars, les combattants touaregs ont à nouveau capturé une
trentaine de soldats maliens près de Tinzaouatène. Le 2 avril, à 15 km de Kidal, l’affrontement a pris une nouvelle
dimension : l’armée a répliqué en attaquant, pour la première fois, avec deux hélicoptères, tuant plusieurs cadres de la
rébellion.
Les autorités maliennes sont extrêmement nerveuses. Interrompu pendant plusieurs jours, le trafic routier entre
Gao et Kidal vient de reprendre. Mais les ONG ont interdiction de quitter la ville, et les rares journalistes étrangers qui
se rendent sur place (les envoyés spéciaux de France 24 et de Libération) sont expulsés manu militari vers Bamako à
leur retour. Reste que la rébellion a d’autres raisons d’être, moins avouables que la cause du développement de la
région. L’Alliance réclame notamment l’intégration de ses combattants dans l’armée régulière à des grades élevés, et la
constitution d’une unité spéciale composée d’éléments touaregs.
Trafics. Dans la nuit fraîche du désert, les discussions à la lumière des torches vont bon train. «Le vrai
problème est économique, lâche Arikak Ag Ibrahim, un jeune combattant qui fume des mégots de cigarettes, étendu
dans le sable à côté d’un lance- roquette. Si j’avais un travail, est-ce que je serais là ? Non seulement il n’y a pas de
boulot, mais les postes administratifs sont occupés par les Sudistes.» A Kidal, le racisme entre les Maliens noirs venus
du Sud et les Touaregs est palpable. La génération du jeune Arikak, qui ne veut plus vivre de nomadisme traditionnel,
est par ailleurs confrontée à une crise identitaire qui alimente les rangs de la rébellion.
Pour le gouvernement de Bamako, les trafics en tous genres vers l’Algérie ou la Libye sont un sujet de préoccupation
majeure : la drogue, les armes, le carburant et les clandestins circulent en toute impunité. Ces trafics constituent la
principale activité économique de la région. «Les Touaregs ont toujours fait du commerce entre le Maghreb et l’Afrique
noire. Ce n’est pas un grand trait tracé sur une carte par les Français qui peut changer ça, murmure un vieux combattant.
Quand on revient d’Algérie, on n’a pas l’impression d’être en fraude. On se dit juste : "On est chez nous, c’est le
Sahara."»
Paralysie. Les rebelles sont ici chez eux. «L’armée aura du mal à aller les chercher dans le désert, tellement ils
connaissent le terrain et tellement ils se déplacent vite dans le sable», avoue un officier malien. La reprise des
négociations amorcée en Libye était censée apaiser la situation. Mais la nouvelle de l’assassinat de deux cadres
militaires touaregs, ex-membres de la rébellion, vendredi, a de nouveau paralysé les discussions. Hier, des témoins
joints par téléphone affirmaient que les habitants de Kidal fuyaient de peur de nouveaux combats.

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