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Chronique du monde, 1365.

Miniature représentant
unepierremontéeà l'aided'une louve
sur un chantierde construction
.
Chapitre16
LaLouve

La louve de carrier est un outil de levagetrès ingénieux qui a été utilisé


depuis des sièclesdans les carrièreset les chantiers de bâtisseurs. Son prin-
cipe vise à fixer fermement à cet engin de levage la pierre que l'on veut
élever jusqu'au niveau voulu. Il en existe trois modèles principaux décrits
ci-après avec la structure ou « chèvre » qui leur sert de support :
l)La louve simple ou louve des anciens.
Elle est constituée de deux pièces métalliques courbes, reliées entre
elles en X aux trois quarts de leur hauteur par une clavette ou cheville qui
les rend solidaires et mobiles comme les deux lames d'une paire de
ciseaux. Lune de leur extrémité se termine en forme de « pince » ou « cro-
chet » qui les fait ressembler aux crocs
d'une louve ; l'autre extrémité de ces deux
« pinces » se termine par un anneau dans î î
lequel passera une corde qui subira une
traction vers le haut. Cette traction aura
pour effet de resserrerles « mâchoires » de
la « louve » dans de petits évidements qui
auront été pratiqués dans la surface, supé-
rieure de la pierre, de préférence au voisi-
nage de son centre de gravité.

Simple Louveou Louve


desAnciens, selon Vitruve, 1684.

2) La louve en queue d'aronde (formée de six pièces).


Cet outil est plus performant et plus sûr que le précédent, mais d'un
maniement plus complexe pour la même finalité. La première
opération consiste à creuser dans la pierre un trou plus large au fond qu'en
surface où pourront venir se placer les trois pièces a, b, c.

207
SYMBOLIQUE DES OUTILS ET GLORIFICATION DU MÉTIER

La deuxième opération consiste à introduire les pièces a et b, taillées en


queue d'aronde, écartées l'une de l'autre, puis de placer entre elles la pièce
plate c afin que le trou soit bouché et la louve bloquée. La troisième opéra-
tion se fait en ajustant la pièce den forme de demi-anneau contre a et b,
et de verrouiller le tout avec la
tige e et la clavette f Une corde
passée dans le demi-anneau d per-
mettra de tirer sur cette louve
dont la forme en queue d'aronde
la maintient prisonnière et soli-
daire de la pierre avec laquelle elle
est hissée à l'emplacement qui lui
est destiné.

Louveen queued'aronde (sixpièces).

3) La louve en queue d'aronde composée d'une pièce et de deux coins,


ou « louveteaux».

comporte qu'une pièce a, assistée de


deux coins appelés louveteaux b et c.
La pièce centrale, en forme de
queue d'aronde , est surmontée d'un
f&
Plus simple et plus facile à utiliser que celle à six pièces, cette louve ne

/â b a
~
c
anneau pour recevoir une corde. Les _
pièces b et c, coins ou louveteaux, " /
sont deux petites pièces métalliques deux louveteaux

de même épaisseur et largeur en leur


partie haute et basse. Ils viennent se
coller contre a, au moment de la
traction, après quoi, la corde en
tirant sur la louve, prisonnière de la
pierre, soulèvera et placera celle-ci à
Louve en queued'arondecomposée
l'endroit voulu.
d'unepièceet de deux louveteaux

208
LA LOUVE

Si la pierre peut maintenant s'éleveren hauteur, encore faut-il un point


fixe où accrocher le jeu des poulies qui démultiplie judicieusement le
poids des pierres à élever.C'est pourquoi la louve fut toujours associéeà
cet autre outil complémentaire appelé « la chèvre ».

Cette dernière peut être un simple mât auquel est attachée une poulie
qui permettra d'accomplir le travail de levage,mais dans quasiment toutes
les situations, la louve fut utilisée avec la chèvre. C'est une structure de
pièces de bois et de chevrons assemblésde forme pyramidale comme un
trépied, ainsi que le montre clairement l'illustration qui suit. La louve est
reliéeà la chèvre par une corde et un jeu de poulies.
Linteraction de ces matériels, mis en œuvre par les bâtisseurs, va leur
permettre d'élever toutes sortes de pierres de volume imposant au niveau
voulu et de les placer à l'endroit exact choisi.

Vitruve,Architectureou Art de bien bâtir,Livre X, chapitreII.


Les deuxpetitescavitéssur le dessusde lapierrepermettent
de recevoirlesextrémitésdes mâchoiresà crochetd'unepince de levage.
En arrièreplan, on remarquelaprésenced'un autre typede louve
enforme de queued'aronde.

Dans le descriptif du Rite Anglais de Style Émulation au grade


d'apprenti, il est précisé que le mot« lewis » ou« louve » signifie« force».

209
SYMBOLIQUEDES OUTILS ET GLORIFICATION DU MÉTIER

La louve peut être considérée comme une survivance opérative de la


maçonnerie de métier, dont les RitesAnglaisconservent le plus d' élé-
ments. Ainsi au RiteAnglaisde StyleÉmulationune louve, supportée par
une chèvre, hissant une pierre cubique, est placée devant le plateau du
1erSurveillant, dès le grade d'apprenti. C'est une image de constante élé-
vation et d'endurance ; en effet, cet outil ne peut prendre ses appuis
que dans une pierre résistante. Un manque d'endurance compromettrait
son élévation.
Toujours à ce rite, on peut voir aussi « la louve » sur le tableau de loge
de l'apprenti entré, où elle est considérée comme un symbole de force
parce que, grâce, aux propriétés de cet outil, le maçon opératif était en
mesure de transporter de lourdes pierres avec un effort physique à mesure
humaine. Les francs-maçons américains ne l'ont pas adoptée comme sym-
bole, sauf en Pennsylvanie.

Georgius
Agricola,
De Re Metallica,
1556.
Pincede Levage.

La phase de la taille de la pierre étant achevée, le croc de levage de la


louve peut alors permettre de hisser les pierres les unes après les autres.
Cet outil fait passer à un stade supérieur et permet au maçon un meilleur
travail d'intégration dans la collectivité. Ces assemblements construisent
les murs du Temple. Cet outil est indispensable au levage des pierres, les
unes après les autres, et à l'intégration de la clef de voûte dans l'édifice.

210
LA LOUVE

Au grade de Maître Maçon de la Marque, la poignée de main de pas-


sage donnant accès à ce grade se nomme la Louve. Elle se donne en joi-
gnant les mains, les doigts repliés en forme de crochet.

La principale interprétation symbolique de la louve, qui s'apparente à


celle du levier, est la force en action, par analogie avec la puissance des
mâchoires de l'animal de ce nom. Celui-ci conserve une proie avec téna-
cité, sans la lâcher. C'est la force de l'emprise dans la pierre des mâchoires
métalliquesde la louve qui participe avec succèsà son élévation. La corde
qui permet cette élévation est un lien qui contraint et libère à la fois. Elle
est une image de l'ascensionspirituelle.Tout maçon se doit de tirer ensei-
gnement des propriétés de cet instrument de levage,pour trouver sa place
en loge comme dans la société, et par là se réaliseren fonction de ses véri-
tables possibilités.Cette élévation n'est réalisableque si le maçon se libère
de ses préjugéset parvient à maîtriser ses vices et ses passions,pour s'insé-
rer à une place adéquate, de manière durable et continue, dans l'édificedu
temple de l'humanité.
Avecl'utilisation de la louve, nous retrouvons le principe de l'action et
de la réaction, puisqu'elle met en mouvement un principe actif, alors
qu'initialement c'est un outil passif,car il faut comme pour le levier une
volonté supérieurepour l'animer.
Lapprenti et le compagnon doivent œuvrer à leur propre cohésion
interne afin d'acquérir la force et l'endurance nécessairespour pouvoir
trouver par la suite leur place appropriée dans l'ensemble de la construc-
tion. Cette louve, composée de trois éléments solidaires,peut être compa-
rée au triangle directeur de toute loge qui remplit cette fonction
d'instruction, d'élévation et de transmission auprès des plus jeunes.
Lapport des uns et des autres au travailcommun favorisecette si précieuse
élévation de l'esprit. Les trois pièces maîtressesde ce type de louve peu-
vent symboliquement représenter le Vénérable Maître assisté de ses deux
Surveillantsqui élèvent un récipiendaireau niveau supérieur.

On donne le nom de lowtonou lewis,que l'on traduit par louveteau,


aux enfants de maçons. Cette qualité leur donne la possibilitéd'être reçu
apprenti plus jeune, à dix-huit ans au lieu de vingt-et-un ans. Clavel1
considèreque le nom de « louveteau» qu'ondénaturegénéralement,dont on
fait tour à tour lofton, loweton, loveton, loveson, parce qu'on en a perdu
l'étymologie,est d'originefort ancienne.Les initiés aux mystèresd1sispor-
taient, même en public, un masqueen forme de tête de chacalou de loup

1. Clavel,Histoirepittoresquede lafranc-maçonnerie,Éd. Artefact, 1987, p. 40.

211
SYMBOLIQUE DES OUT ILS ET GLORIFI CATION DU M ÉTI ER

doré; aussidisait-ond'un isiade: « c'estun chacal» ou « c'estun loup ». Lefils


d'un initié était qualifiédejeune loup, de louveteau.Macrobenousapprendà
cesujetque lesanciensavaientaperçuun rapportentrele loup et le soleil,que
l'initié représentaitdans le cérémonialde sa réception.« En effet,disaient-ils,
à l'approchedu loup, les troupeauxfuient et disparaissent:de même les
constellations, qui sont destroupeauxd 'étoiles,disparaissent
devant la lumière
du soleil» C'estpour une semblableraisonque lescompagnonsdu devoirdits
lesenfantsde Salomonet lescompagnonsétrangersse donnentaussila qualifi-
cationde loups.
D- Comments'appelleun fils de maçon?
R- Lowton, mot anglais, qui signifieélève en architecture.
D- Quel estleprivilèged 'un Lowton?
R- C'est d'être reçu maçon avant tout autre 2 .

L:Encyclopédiede Mackey3 donne une définition plus précised'un Lewis


et de ses attributions, celle-ciest extraitede « the PrestonianLecture » :
D - Comments'appelle lefils d'un Maçon?
R- Un lewis.
D - Que signifiece mot ?
R-Force.
D - Commentest représentéun Lewisdans une logemaçonnique?
R - Comme un instrument de métal.
D - Quel estle devoird'un Lewis?
R - De suppléerpar laforce de sajeunesseaux défaillancespossiblesde
sesparents etfrères âgés,de supporterlefardeau et la chaleurde la jour-
née pour que sesparents puissent se reposerpendant leurs vieuxjours.
D - Quel estsonprivilègepour cela?
R - D'êtrefait franc-maçon avant toute autre personne quels qu'en
soit le rang, la naissance, la richesse, sauf si, par bonté d'âme, il
renonceà ceprivilège.

Cette appellation de lowtonest liée au fait qu'un enfant de maçon est


sensibiliséplus qu'un autre par son éducation à l'art de bâtir, à la réalisa-
tion d'une oeuvre,ainsi qu'à l'esprit de solidarité. Cette maturité précoce
devrait être susceptible de favoriserune capacité naturelle à s'éleverdans la
voie de la Connaissance et de la Lumière. Par ailleurs, grâce à la force de sa.

2. Guillemain Saint-Victor, MaçonnerieAdonhiramite, 1787. Éd. Rouyat Reprint,


1975, p. 95.
3. Mackey Albert, Encyclopedia of freemasonry, vol. 1, p. 588.

212
LA LOUVE

jeunesse, il a la possibilité de participer à des travaux qui demandent force


et énergie, ce qui le rend très tôt apte à être un soutien efficace pour ses
proches.

Le dessin page 206 représente une scène où l'on distingue une pierre
suspendue à un croc de levage, qui est une variante de la louve. La louve
est suspendue par une corde reliée à une chèvre. Les crocs saisissent les
faces latérales de la pierre.

En résumé, la louve est l'outil qui, avec une « chèvre », permet de sou-
lever et de placer les pierres apprêtées et travaillées, souvent très lourdes, à
leur place définitive dans la construction. Symboliquement, la louve
donne le moyen de surmonter l'obstacle et confère la résistance matérielle,
physique ou morale. Mais cela n'est possible que si l'on sait utiliser ses
points d'appui avec la ferme volonté de surmonter ce qui paraît au-dessus
de ses forces. La bonne utilisation de la louve repose sur une sérieuse
connaissance de ses mécanismes et de la maîtrise des forces mises en jeu.
Elle correspond à de la ténacité, à une force maîtrisée, à une capacité d'en-
durance et à une volonté affirmée de tenir ses engagements, autant que de
tendre à la perfection dans un esprit d'union et de solidarité. C'est avec la
force intérieure et la détermination de s'élever dans la voie de la spiritua-
lité que l'on peut espérer achever l' œuvre entreprise, en poursuivant la
voie choisie jusqu'à son terme.

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