Vous êtes sur la page 1sur 5

Henri Raymond, Marion Segaud,

Un espace architectural : Le Corbusier

Cahiers du Centre d’Études Architecturale, Paris

Analyser un espace architectural, c’est :

- Tenter de dégager quelques directions essentielles selon lesquelles cet espace est
présenté ;
- De saisir l’efficacité de cet espace.

Il est impossible de traiter de l’architecture comme phénomène social sans prendre en


compte la totalité de l’espace architectural quelque critique qu’on puisse faire à telle ou
telle architecture. Au lieu de découvrir le système politique que Le Corbusier appliquait à
l’espace, nous avons trouvé l’espace qui servait de support à la politique de Le Corbusier.

En passant de l’idéologie de l’espace à l’espace de l’idéologie, des critiques émergent : quel


est le rapport qui peut exister chez le Corbusier entre ce qui est verbal et ce qui est
monumental ? Un problème apparaît car le rapport entre espace et signification est
ambigu : dans quelle mesure peut-on affirmer que la conformité d’un espace est homologue
à sa représentation verbale ? Proposition paradoxale.

La description verbale d’un espace ne peut en rendre compte d’une manière assez
complète : rien n’est moins sûr (Cf. les efforts de l’axiomatique). Aide dans cette difficulté de
Francastel : la description d’un espace pouvait éventuellement s’appuyer sur des énoncés
verbaux.

Une analyse du même type peut être empruntée aux travaux sur « l’habitat pavillonnaire ».

Assertion au départ : l’Espace pour Le Corbusier signifie quelque chose. Cette signification
peut être organisée.

Pour cela, l’analyse doit faire apparaître d’une manière suffisamment constante, les mêmes
parties de l’espace ou du domaine bâti signifiant à peu près la même chose à travers l’œuvre
de le Corbusier. De là, on peut déduire qu’il y avait un véritable discours architectural dont
l’étendue reste à définir. Nous supposions l’existence d’un code de l’espace dont les
caractéristiques pourraient être connues.

On retrouve la même démarche dans les travaux de l’habitat pavillonnaire qui partent de
l’hypothèse de base : il existait en France chez les habitants de pavillons un système de
relations entre éléments de l’habitat et représentations.

Dans ce système, le pavillon et ses parties, apparaissaient comme les signifiants d’un mode
de vie, d’un ensemble de représentations de la vie sociale et morale.
La manière dont l’espace signifie pour l’habitant et l’architecte est différente :
- Pour l’habitant, prendre les énoncés verbaux exprimait le rapport entre l’espace et
une pratique sociale ;
- Pour l’architecte, nous devons prendre garde au fait que l’expression architecturale
semble se développer par le moyen de l’image (dessin, photographies, maquette).

La relation entre ces niveaux d’expression détermine le fait que nous soyons capables de
dégager des textes des significations relatives à l’espace, son organisation, ses éléments. La
structure de l’espace c’est donc la correspondance entre des signifiants spatiaux et des
signifiés à découvrir.

Cette correspondance se manifeste aussi bien au niveau du texte que de l’image, que de la
relation image/texte. La structure de l’espace est donc aussi, en un certain sens, un discours
sur l’espace.

1. Éléments de la structure de l’espace

A. Un espace euclidien
Les quelques propriétés formelles dégagées de l’espace tel que le Corbusier le décrit
montrent qu’il est très proche de l’espace géométrique euclidien.

Espace : lieu de droites


Pour Le Corbusier, l’opposition droite/ courbe est une opposition fondamentale qui
gouverne tout le travail effectué sur l’espace.

Les énoncés :
-La rue droite est éminemment architecturale ; la rue courbe est parfois architecturale
(Urba) ;
-La rue droite oriente bien par ses recoupements ordonnés ; la rue courbe désoriente tout à
fait ;
-la rue courbe convient aux terrains accidentés ; sur terrain plat, la rue droite reprend tous
ses droits ;
- La V2 peut être tracée magistralement rectiligne ou spécialement sinueuse suivant les
circonstances.

Droit rectiligne
_____ ________
courbe sinueux

éminemment architectural magistralement


______________________ _______________
parfois parfois

La qualification de ces oppositions rappelle que l’espace architectural est un lieu de droites ;

On passe des propriétés physiques de l’espace à des qualités d’ordre moral ;


Le portrait de cet espace est d’abord constitué par l’ensemble des droites disponibles, sa
Structure. Cette dernière est lisible dans des énoncés graphiques.

On peut imaginer que le travail de l’architecte consiste à choisir des droites sur un papier,
puis à composer à partir de celles-ci ;

L’une des tâches de l’architecture sera donc corrective au sens où l’espace devra être
rectifié, c’est-à-dire rendu rectiligne.

L’Architecture orthogonale

L’organisation architecturale, c’est la disposition des masses verticales et horizontales dans


un espace préparé à les recevoir. L’opposition vertical/horizontal gouverne la disposition des
masses de l’espace.

« ALIGNEMENTS ORTHOGONAUX : ordonnons les autour de ces voies . Dressés dans


l’espace, ils constituent le spectacle …et c’est alors un spectacle d’ordre. » (Urba)

« Ici, les immeubles, arrêtés au sommet par une horizontale obligatoire et unique, auraient
été rassemblés en unités très espacées les unes des autres » (O. C.) ;

« La verticalité c’est ce qui donne le spectacle de l’architecture ».

Cet espace orthogonal est bien affirmé par Corbu comme d’essence architecturale. Il
procède de :

Opposition droit/courbe ____________________________ humain différent animalité ;

La droite affirme dans l’espace l’action de l’homme ; la culture opposée à la nature.

« L’angle droit est, on peut le dire, l’outil nécessaire et suffisant pour agir puisqu’il sert à
fixer l’espace avec une rigueur parfaite. L’angle droit et la droite attestent l’esprit atteignant
aux confins de sa puissance, de sa grandeur » (urba).

______________ce qui nous frappe : la parfaite cohérence de la description de l’espace


architectural ainsi défini : créé pour rendre sensible une action humaine quasi gestuelle.

Correction du site

L’architecte remettra donc l’espace dans le droit chemin. Le problème


architectural en terrain accidenté consiste à discipliner le désordre immanent
en faveur d’une unité indispensable à tout sentiment de bien-être et à toute
intention esthétique.
L’axe sémantique de cet ensemble d’oppositions va du moins droit au plus
droit. Il manifeste que l’Architecture est une correction du désordre.

1� Plat Architecture
honnête
------- ------------------- ---------------
accidenté 0 chaos

2. Continu Pur Maîtrise


------------ ------- -----------
heurté incohérent barbare

3. Plein caresse
-------- ------------
hérissé douleur

4. Forme pleine règle claire sens caressés


------------------ -------------- ------------------
forme hérissée aigue sens affectés

DONC :

a. L’architecture intervient sur l’espace pour créer un ordre. La ligne 1 traduit ce


rapport. Les lignes 2, 3, 4, regroupent les termes plus (+) opposés au moins(-).
Ordre et harmonie sensorielle sont corrélatifs l’un de l’autre.

b. Cet ordre est de nature sensorielle. Forme : aigüe, hérissée ; nos sens seront
affectés. Forme à pleine enveloppe, sans brisure, conditionnée par une règle
claire. Nos sens seront caressés.

Ligne brisée, heurtée : l’esprit songera barbare ;


Ligne continue régulière : l’esprit pensera : maîtrise

c. Cet ordre est réalisé : un arrangement réel de la totalité de l’espace ; il se


matérialise dans les plans masses de Le Corbusier et signifie : l’espace signifie un
certain ordre par l’architecture.

Pour signifier, nous voulons dire que la droite est un « ornement » de l’espace au
même titre que l’arc roman ou l’ogive. L’importance de cette signification de type
ornemental est l’un des impératifs sous-jacents de l’École fonstionnaliste.

Vous aimerez peut-être aussi