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uxrvpnsrtÉ DE ilqngtz

U. E. R. des lettres et sciences humaines


Centre de recherche <<Littérature et spiritualité >

Miche| TOURNADE

La nltute
dans l'æuvre de Françoisde Sales
k, J uolumes
)

Thèse pour le DOCTORAT D'ÉTAT BlSUoWeouE


uffiYEn8|TArf,E
LETTBEI .BSTZ.

1,loInv.
3 TTÛîïL
Cote
Llflz f ilLl
'i
Loc. Uagastil

Directeur de la recherche ,
Monsieur le Professeur Jacques HENNEQUIN

Année universitaire 1986-1987

1 " ' V o l u m e : p a g e7 à 2 9 4
A m es p a r e n t s ,
A ma soeur chantal qui sut m'encoura9er à I'occasion de sa
propre soutenance,
Au révérend Père André Brix, osfs, er à 1a Congrêgation des
Oblats de Saint François de Sales.
HISTORIqUE DE LA RECHERCHE

Le présent travail est une extension de la recherche effectuée


en vue de I'obtention d'un némoire de maîËrise de LeÈtres
Modernes' soutenu auprès de I'université de Limoges, en
Décenbre I 980.
ce ménoire portait sur une étude de la nature dans le seul
Traité de I'Aurour de Dieu de François de sales et il parut
intéressant, sur les conseils de Madame Hé1ène Bordes, maître
de Conférences à I'Université de Limoges et responsable de cette
recherche, d'en étendre 1e sujet à 1'ensemble des oeuvres
salés iennes.
Pour ce faire, contact fut pris avec Monsieur 1e professeur
Hennequin, gui accepta de bien vouloir diriger une recherche
en ce sens.
Le présent travail est donc basé sur un repérage systémat ique
des inages de nature qui se trouvent dans les oeuvres salésiennes,
nis sous forme de fichier. seuls les ouvrages concernant la
prédicat ion furent traités séparément, en note, pour réserver
des conclusions qui auraient pu anticiper sur celles d'une
recherche doctorale nenée par Madane 1e naître de conférences
Hélène Bordes.
La présentation commentée de ce fichier constitue 1'essentiel
d'une étude 9ui, espérons-le, permeÈtra de contribuer modesteEent
à u n e m ei 1 l e u r e connaissance de François de sales, auteur
attachanÈ et si proche de nous par la thématique vivante qu'il
développe.
REMERCÏEMENTS

* Mes remerciements s'adressenË en premier lieu à Monsieur

1e Professeur Jacques Hennequin, pour sa disponibilité constante


et ses encouragements, ainsi qu t au Centre de recherche de

littérature et spiritualité de 1rU.E.R. des lettres et sciences


hunaines de I'Université de l{etz.

* Je voudrais ensuite exprimer toute ma reconnaissance à


Madame le Maître de Conférences Hé1ène Bordes, de I'Université de
LinoBes, qui me guida dans la préparat ion d'un némoire de
naîrrise, m'incita à poursuivre une recherche et surtout me fit
découvrir tout Ie profit que I'on peut tirer d'une étude

littéraire salésienne. Je remercie égalenent I'Université de


Linoges pour les facilités qu'el1e m'a toujours offertes.

* I1 convient ensuite d'expriner toute ma gratitude au Révérend


Père André Brix, qui me fit découvrir François de Sales,
encouragea constamnenE ma recherche et enfin me donna les tnoyens
de mener à son rerme ce projet de thèse.

* Je dois également reconnaître tout ce que je dois à 1a


Congrêgation des Oblats de Saint François de Sales qui favorisa
fraternellement, souvent au prix d'un surcroît de travail,
I'achèvement de cette recherche.

* Enfin, je retnercie vivement les religieuses du monastère de

1a Visitation Sainte Marie de Voiron, dans I'Isère, fil les


spirituelles de Saint François de Sales, qui mirent toute leur
attention et leur soin à 1a dactylographie de ce manuscrit.
I N T R O D UC T I O N
-6

I P R E S E N T A T I O NR A P I D E D E S E D I T I O N S U T I L I S E E S P O U R C E T T E E T U D E

II ne nous paraît pas utile de nous livrer à une longue


étude biographique de François de SaIes. Ce travail est régulière-
ment accompli et remis à jour avec les accents bien divers qui té-
moignent de 1'évol-ution des goûts des époques qui s'intéressent à
Lroeuvre salésienne.
En effet, depuis Ia toute première des biographies sa-
Iésiennes, composée par Charles Auguste de Safes (1), les ouvra-
ges se succèdent régulièrement et les derniers en date donnent
toutes les garanties que requiert un tel projet tout particuliè-
rement Ia très récente étude de'André Ravier (2) ou encore l-'ou-
vrage de référence par excel-lence de E. J. Lajeunie (3).
Par ailleurs, les éditions des oeuvres complètes de
1'évêque de Genève, ou tout du moins ce qui a pu être présenté
comme te1, sont nombreuses.
La première date de 1637 (4). Les éditions se succèdent
ensuite I647, l-663, L669, L672, 1685, 1-758. Au XfXème siècIe, de
nombreuses éditions voient 1e jour, parmi lesquelles trois domi-
nent 1e Iot:1'édition de BIaise, Paris, L82:-.;1'édition de
Vivés, Paris 1856-58 ; 1'édition de Migne, Paris, L861-62.
Enfin parut à Annecy entre L892 et l-964, f'édition que
nous considèrerons comme définitive à quelques exceptions près et
que nous utiliserons dans notre présente recherche :
l-es Oeuvres_9g_!91.n!_Frangoig_99,_9gfes,_Evêgge_et_!rince_de_gggèye

9,!_q99.!eg!_99_l_Eg1i s e . _E9t!tge_S.9gpfè!9_9_eefÈE_l e s_ag!egr aghse

(1) Sa1es Ctrarles Ar.gr:ste de, Histoire de fa vie et des faicb dr: bientrer-rer-o<
Frznçois de Sates,
evesque et prince de Geneve, L3rcn, 1634
(2) Rarrier Arff, Lhrsage et un saint : Frarçois de Sales, Pæis, l&eryelle Cité, 1S5
(3) LajeLrde E. J., Saint François de Sales, lrhcmne, Ia persée, I'actiqr, Paris, G.ryVictor,
1966, 2 rrol.
(4) Les oeurrres de lilessire Flançois de Sales, Evesqr:eet hirne de Gsre\re, drtra-Feuse et saincte
l,lârpire, Fcndats.n de lrhe de l{osbe Dare de la Visitatiqr : cy devant séparenrentpr.rlcliées, et
ilrpnlÉes en divens tenps et en divers enùoits, tant ù virrant, ccnrneæres le décès de I'A.r
tha-r ; et a pnesent recueillies dans ur corps de Volune po-r ta plrs gnande ccnnndité des pensan-
ræs qui aspirant a la pen'fectiqr drestisrre. Editicn rurtrelle, rreve{.leet p}.rs e<actemerrtcq"ri-
gée que les précfurte, et diçæée selcn I'ordne dfi.rit dans lrAô/ertissement ; avec Ia Tab1e
partictnière des Chæibes et qgurnens, â 1â fin de ctraqueTïaité. A Tolose, par Pieme Bæc et
Arnard Colcmiez, ItDO00flÆ,I vol. in folio.
7-

g!_lgg_Éefllgry_gl i g : g g f e s , _ e n r i s h r g _ g s _ n o m br e u s e s _ p r È s g s _ i n é d i t e s ,
Annecy, J. Niérat. Cette édition est lroeuvre des religieuses du
premier monastère de 1a Visltation d'Annecy qui travaillèrent sous
fa direction de dom Mackey, osb, et du R. P. NavateI, sj. ElIe
srachève par Ia publication d'un volume de tables dressé par le
P. A. Denis, moine de 1'abbaye de Tamié, et se présente en vingt-
sept volumes grand in 8o auxquels s'ajoute parfois, en un vingt-
huitième volume, la thèse de Henri Lemaire (1).
Seul 1e choix du texte des Entretiens ne satisfait pas,

dans cette édition, aux exigences critiques (2). Une nouvelle édi-
tion, parue en L933 améIiora 1a qualité de la première présenta-
tion sans donner toutefois pleinement satisfaction. Nous avons
donc recouru, pour notre étude à I'Edition de 1a Bibliothèque de
f a P1 é î a d e : Saint_Frangoi s_9g_!glgs, _Oeuvres, _Intrggge!rgn_è_lg
I l g _ 9 É y g t e , _ T r a i ! É , _ 9 S _ I _ A m o u r _ d e _ Di e u , _ r g g g g i f _ g e s_En tr e t i e n s_s p i -
rituels,_pfÉIgg,g,_et_chronologrs_pgr_AndrÉ_Egyigf ,_!extes_plÉgg!!ÉE
e t_ a n n o tÉg_ggf_Al9f É_Egyi e r_ a - s s_f g r I g! elg ! :. e n_gg_!gg e r_D e v o s,
"_ "
Paris, Gallimard, l-969, (3)

( 1 ) Lsraire llenri, les inqges ctrez Saint Frarçois de Sales, Paris, Nizet, L9fP-.,492 p.
( 2 ) Cf. Anæ Ra:rien, r€fénence ci-4nès
( 3 ) Nobe éhde désigrua dcnc les référrences de tcutes les citatisrs de la narièrre suirrante :
l-) Pq.n tdltes les Oanvres occepté Les Entretiers :
Chiffr€s rcnains : ruÉro d.l Tcne dans lrEditicn d'Ameqrr ) -
sarorr :
chifTr€s arabes : rurÉro de la page dans I'Editicn d'Annecy ) "
I Ccntrorerses
II ffif'étsroara oe u sainte ctoix
ilI Introdrctim à la Vie dévote
rV ffi
v Tbaité de I'anrcur de Dizu
)fi L€tbes
)flr I€ttres
)fiII I€ttres
)flv I€tbes
)v l€tkes
)MI l€tbes
)$-lr l€ttr,es
XV-Iil letkes
)(D( letbes
)0( l€tù,es
)0t I€tbes
)ottr Qpr-rscdes
)OflII Opuscules
)otrv Opnscules
)off Opr.rsctrles
)0ft,|t euscufes à tibe d'o<erp1e : )OffÏ 3l-2
-8

Un problème de faux autographes ayant été soulevé de-


puis 1951 en ce qui concerne certaines lettres et opusculesr l'é-
tude des documents d'origine présente une conclusion favorable à
I'Edition pré-citée (1).
C'est dans cet ensemble des oeuvres de François de SaIes
à I'exception de la Prédication que prendra corps notre étude sur
Ia nature.
Nous nous proposons maintenant d'en définir quelque peu

Ie sens.

S.rite note (3) page pnécédente


2) Por-urles Entretiens, rsJS spprinrcnms la nurÉrctatim dr rr.nÉro dl volurne VI dans
IrEditicn d'Anrecy ; no.rs irdiquerws sirplenent le tibe Enbetiens suivi de Ia page de
I'Editim de Ia Pléïade pctn laq.rcILe no.rs avcrs dû cpten : Enbetien 134O
3) Pour les Sernsrs, que rurs avcns ârités d'intigrer a::ectetent dans cette rectrerctrc,
Ia Éfér€nce r€rverra en rpte à I'Editiqr d'Arrrecy :
VII Senrms
VlïI Sernpns
D( Senrms
X Senrss
(1) Voir Saint Frarçois de Sales et ses fa.rssaires par Anff Rauien avec le conco.rrs d'Antr
Nlirot, cmsenrateun en cÏtef ar-o<Archives Naticrrales, lrlârnires et docunents de I'Acaclémie
Salésienne, Paris, Picard, 1921, Tane IJOOCIII. L€s oç€rtises dsrt fait état cet anvrage dârtrF
bent avec centihrde lrino<actib:de des scxpçans et accusaticrs epportés par le Cfiaæine Bernard
Secret r^elatifs arD<rrfalx Â'q à des officires ù )O(àrE siècle", cf. L. @net, Histoire de Ia
Wir:.U.,afiæ cfreU ma,cois ae SafG.@-
Savoisienne, 1953, p. &75
Ia g.restim des fa-u< ar@næhes de Saint Ftançois de Sates, Paris, Société des PSFS,1959, 12 p.
et d'aubes ptrblicaticns diverses : (Ecclesia déc. 54, p. 1Osg, ItÉrpire de I'Acadânie de Savoie,
Tone \llll, 1963, p. ïU.-120)
(2) la Prédicatim rp rsrbe pas directanert ders cette éhîle puisqu'elle fait l'ôjet de redr*
dps dætonales achrelles par ItladareliéIène Botrdes, Maltre de csrfrérences à I'r-rriversité de
Lirnqges, Doctorat drEtat sur Ie sljet : Ia pnédicaticn drez Saint Ibançois de Sales. lb:s rnrs
csrtentærcns de nrenticrner æcasiqrreLlerrcrlt enrpte certairs pæallèIes obserrrê qui ne r€n-ttent
pas en cause næ cmc}.rsicrs et vierment al csrù:ai:re cc[aùr€r ce que nouEiarcns pu rElErqlen
ailleurs.
-9

II L E C O N C E P TD E N A T U R E

Délimitation du suj et

Le mot nature est d'un usage fréquent et recouvre un


champ sémantique si vaste que certains dictionnaires (1) n'hési-
tent pas à lui donner une trentaine de sens différents...
Notre recherche nrayant aucune prétention philosophique,
nous conviendrons que nous utiliserons ce terme selon 1e sens sui-
vant proposé par P. Robert dans son dictionnaire : I'Principe ac-
tif souvent personnifié, qui anime et organise f r e n s e m b l e des
,
choses existantes selon un certain ordre: Ies lois de la natu-
reff (2).

Par ailleurs, nous observerons que 1e terme de nature,


tel queI, n'âpFaraît pas dans 1a Bibte qui préfère des expressions
comme 'rle ciel et Ia terret' ou encore rrles oeuvres de Dieu".pour
souligner fa dépendance de toute chose à 1régard du Créateur. Dans
une oeuvre tout entière orientée par la spiritualité chrétienne
comme celle de François de Sales, cette conception est importante
et décidera grandement du sens avec leque1 lrauteur comprendra Ie
mot nature.
En outre, nous exclurons d'emblée 1e sens particulier de
trnature humaineil que ce terme désigne souvent et que I'on trouve
du reste sous 1a plurne de François de SaIes lui-même qui affirme:
La vie intérieure crest de faire mourir 1a nature et
vivre selon Ia grace et Ia rayson (3).
Cette corporalité de lrhomme qui détermine Ia dualité ambiguë de
sa propre conception de Iui-même, à Ia fois attiré par un idéaI
de grandeur et de divinisation et par de mystérieuses pulsions de
violence, de maI et de bestialité, restera donc en dehors de notre
propos.
Ceci étant, nous admettrons dès lrabord la riche tradi-

(1) Litæ
(2) P. Robentp. 1139
(3) Saht Flançois de Sales, Oeurn€s, )OilÆ299. Ce sens d: rnot rrnattrrerra été éùîLié par
Dr.rrreJdrr, la ccrpepticn de la naù.ureluraire selcn tt{cntaigne et Saint Fnançois de Sales. I?rèse
in&ite de lr(lnirresité, Ianral, qÉbec, 19@, 267 p.
- 10

tion chrétienne qui dit de Ia nature qu'e11e est un Livre,'rLivre


de Dieu", tel que 1a dénomme Evragre pour 1a première fois dans
ses Commentaires_gur_les_psaumes ( 1 -) o u e n c o r e 1e Li!.gf_1atgrae
de saint Augustin à lire conjointement avec I'Ecriture (2). Cette
conception est un préaIabIe et nous observerons que certaines for-
mul-es augustiniennes sont reprises te1les quelles par François de
Sales : "Ta création a été pour moi un spectacle, j'ai cherché
Irouvrier dans I'oeuvre et Ie créateur dans toutes Ies créatu-
res" (3) . Cette intuition patristique sera reprise par l-a spiritu-
alité médiévale avec Hugues de Saint Victor, au XIIème siècIe, qui
commentera ainsi les formules de saint Augustin:
Ce Livre tout entier est comme un Livre écrit par Ie
doigt de Dieu, c'est-à-dire créé p a r Ia p u i s s a n ce di-
vine, et toutes 1es créatures sont comme des figures
non inventées par convention humaine, mais instituées
par 1a volonté divine pour manifester et signifier en
quelque manière la sagesse invisible de Dieu (4).
Saint Bonaventure affine encore cette réflexion en développant
une anthropologie qui conçoit lrhomme comme interprète et chantre
de La Création. Lrhomme est en effet pour lui la fin de la Créa-
tion, idée que ralliera parfaitement 1a conception salésienne qui
dans 1e Traité de lramour 4e_DfgU, présente Ie Christ comme
I "rexemplaire" parfait de lrhumanité. La création dans cette c on-
ception, présentera à lrhomme un double 1ivre, I'un écrit "à I'in-
térieuril qui est lrart et la sagesse de Dieu,1'autre écrit rrà

f'extérieur'r, qui est ce monde sensible. L'homme sera donc 1e seu1,


à la suite du Christ, à pouvoir déchiffrer 1e premier livre à 1a
Iumière du second.
Ainsi, par 1a contemplation, i1 parviendra à cette union et unifi-
cation intérieure à IaqueIle i1 est appelé.
En marge de cette réflexion sur 1e liber créaturae, 1a
patristique offre encore une double perception de 1a nature que

(1) Evragre, Ccnnrentaires+q les Psames, fr D l-66 1C


(2) Saint Auguetin, Ccrrba Fausbrn )00flI 20
(3) Cf. Ps L42, 1-0. la pùrase salésiemre est bès proctre sr effet : rrcar le nmde fait pæ Ia
Parole de Dietr resserrt de toitÆ parts cette parole : tq:tes ses parties ùmtent Ia Ioralge de
l'Ouwieril Oetrvres)CII 3l-5
(4) Saint Victæ,Ftrrgues&, De bih'rs diehs, Florerrce, Liccano, L974, p.6
- 11

nous retrouverons également chez François de SaIes. La première


voit dans l-a nature un intérêt a1Iégorique : lapidaire, bestiaire,
flore constitueront des symboles propres à illustrer un enseigne-
ment spirituel. Cette perception remonte au phgsiologus (1),
traité anonyme en langue grecque qui semble dater du Ifème siècIe
et met en scène nombre dtanimaux que nous aurons 1e Ioisir d'ob-
server dans 1e bestiaire salésien : lion, pélican, phénix, cerf.
A Ia suite de cet ouvrage de référence seront composés un grand
nombre de bestiaires et de lapidaires.
r1 faudrait encore mentionner 1e De_natura_rerum d'rsidore de
sévirle (2), qui traite de cosmographie et d'astronomie et qui
a sans doute été quelque peu utilisé par François de sales dans
certaines de ses images mineures. La seconde perception patristi-
que de 1a nature est prus philosophique et théologique et ne sem-
ble pas avoir influencé directement François de sales (3).
A cette tradition, il faut encore superposer ce que lron
nomme fe'rsentiment de l-a nature" : on attribue générarement à
Jean-Jacques Rousseau, au dire d'Henry Bordeaux (4) cet éIargisse-
ment du sentiment de Ia nature qui nous fait 1a poursuivre jusque
dans ses mystérieuses retraites, ses abîmes, ses sofitudes, alors
que la société d'autrefois, dit-on, ne ra vourait que policée et
aimable, à la manière des jardins à 1a française. ce serait ou-
bl-ier que 1a Renaissance, avec Ronsard,aimait les jardins sen-
"qui
tent re sauvage'r. Dans cette l-igne, se révèle chez François de
sales un profond sentiment de la nature. r1 n'y saurait être ques-
tion encore de sommets vaincus, mais déjà se raisse entendre, ês-
sentiellement dans Ia correspondance, re langage de Ia montagne.
Au lieu drun hymne de violence et de conquête iI en fait un chant
religieux (5)' offrant à ses lecteurs toute Ia finesse de son ob-
servation et la profondeur de son talent de poète.

( 1 ) Phæiolqguts, b€ité emcr5rne, Milan, F. Scædane, l_936


( 2 ) Isidone de S6ril1e, De naù.urar.errm, Bo.dealu<,J. Fcntaire, l_960
( 3 ) ccrrne rrcr:s I'aviqs déjà dit. E1le cppose ra naû-meet la grâce et la raissr. Oewres )OffI æ9
(4) Bordeau<lÈnri, Au pqrs de saint François de sares, rtrcnffi, société dréditicn savqrarde, 1942
(s)OeuvresÆ1I74
-L2

François de Sales et 1e concept de nature

Dans un premier temps, iI serait de se deman-


1égitime
der si François de SaIeS Se contente dans SeS oeuvres d t rrOrnerrl
simpLement ses textes de très nombreuses comparaisons, métaphores,
allégories, personnifications, symboles et paraboles -pour repren-
dre l-es termes de Henri Lemaire (1)- ou bien s'i1 nous présente
une théorie de 1a nature qui s'inspire de Ia conception patristi-
que que nous avons évoquée.
Il serait sans doute difficile de trouver, au sens
exact du terme, un discours de l-a nature dans les oeuvres de 1'é-
vêque de Genève. Son souci n'est pas 1à. Pourtant, nous pouvons
noter dans ses propos un grand nombre de traits relatifs à la na-
ture en général, ou encore à La création et à I'univers. Nous re-
marquerons sans grande surprise que crest le lfgf!É-9e-framoul-99
Dieu, son oeuvre majeure Ia plus travaillée' qui nous livre 1e
plus grand nombre de citations sur ce sujet.
Pour son auteur, €D effet, 1a nature, I'univers sont
I'oeuvre de Dieu: certitude de foi pour 1e croyant qu'i1 est,
fondée sur 1a révélation du Livre de fa Genèse.
Mais si 1'évêque reprend à son compte Ies affirmations
et la chronologie bibliques qu'iI était tout à fait hors de ques-
tion de soupçonner à son époque, il ne se contente pas de répéter
une 1eçon bien apprise. En effet, il tient à proposer à son Iec-
teur une intuition propre que nous retrouverons diversement iI-
lustrée et présentée dans toutes ses oeuvres:
La création est froeuvre du Dieu créateur, bien sûr, mais aussi
1e fruit de sa "méditation". Et cette méditation dépIoyée sous
nos yeux est appelée à se transfigurer dans 1a contemplation, but
ultime de toute relation.
(Puis Dieu créa) les herbes et Ies plantes, 1e so-
leil, la Iune, et les estoilesr les animaux et en somme
toutes Ies créatures, ainsy qu'i1 Ies créoit I'une apres
I'autre j u s q u e s a ce qu'enfin tout lrunivers estant ac-
compli 1a divine méditation, par maniere de dire, se
changea en contempfation; car regardant toute 1a bonté
qui estoit en son ouvrage, drun seul trait de son oeil'

(1) Herni fsairre, cp. cit. p. 32 et sq


- 13

i1 vid, dit Moyse, tout ce qu'i1 avoit fait et tout


estoit tres bon (1).

La beauté du monde nous est donc bien révé1ée comme


étant issue de 1a divine méditation. Crest encore e11e qui invite
à Ia contemplation et par Ià même nous initie à cette autre no-
tion corollaire de l-a beauté : La bonté. C'est donc toute Ia vie
intérieure d'union à Dieu, toute Ia vie spirituelle qui va être
perçue comme éminemment concrète, tout aussi concrète et percep-
tible que Ia création dans son aspect 1e plus visible: les plan-
tes et les animaux.
Et c'est cette Création qui nous sera décrite comme ê-
tant l-e lieu de l-rhomme par excellence, son merveilleux domaine,
première fncarnation qui prépare les trois autres: ceIle de
lrEcriture révélée aux hommes depuis Abraham, celle ensuite du
Fils confessé comme Dieu, mais aussi comme pleinement homme, et
enfin celle de I'Eglise qui se poursuit encore. C'est fa bonté de
Dieu qui voul-ut cefa en sa contemplative méditation. Pour François
de Sales, en effet, I'Incarnation aurait eu lieu de toute manière,
même si I'homme n'avait pas été ce pécheur à racheter que nous
montre 1a tradition biblique (2).
Il créa premièrement I'univers pour lrhomme et Irhomme
pour lrunivers, donnat a chasque chose le degré de bon-
té qui luy estoit convenable, par sa pure bienveuil.Ian-
ce, puis iI appreuva tout ce qu'iI avoit fait treuvant
que tout estoit tres bon, et se reposa par complaysance
en son ouvrage (3).

Les deux facettes de lramour, qu'il soit drorigine di-


vine ou bien humaine sont indiquées ici : deux temps indissocia-
bles qui rythment comme une respiration 1a vie de toute créature,
à savoir I'amour de bienveillance et I'amour de complaisance. Le

(l-) OeurrresfV 320. Cf. Èr l-


(2) Cette csnricticn théologique bar,rense to:te I'oeurrre sa-lésierne. ùr la bouræ elçnùÉe par me
siniliùrle dans I'ur des tÂJt derniens Semsrs de lra.rtetr, daté de Décgrbe L@.et reo:eilli par
Ies rrefigie:ses de Ia visitaticr oe l,ya:Ef quelqr'urr rrrart fabnig:er t'urerraisdl cu u: palais,
i] cansidèr,e pn:onièrotent si ctest pcnr y lqgen urr vigrenqr o.r qr,relquepaîsan, o.r bien si c'est
pcun tlr seigrretn (... ) Le Père étenæl a fait de rpsre sr Ia fabriqr:e de ce rude, car il projeta
de le cnéen po-n I'lææntiqr de ssr Fils, qui est le Verbe éternel (...)" ggIEË X 4L3. Cette
rptiqr a été dfuefcfpée dans le lbaité de lranre-r de Dian, pæticulièrurent dæs : Oetrvres fV 9Sl-æ
(3) Oeurres tl 275
-14

premier est 1e temps de 1a méditation et 1e second celui de la


contemplation. Les deux sont également présents au coeur de f'u-
nivers.
Et de la nous passons a 1a tres sainte complaysance'
nous res-jouissant de quoy Dieu est infini en sagesse
puissance et bonté, eui s o n t l e s t r o i s p r o p r iétés divi-
nes desquelles lrunivers nrest qu'un petit essay et
comme un monstre (1)

Nous découvrons ici une sorte de boucle: Dieu est créa-


teur de I'univers et nous parle par cette création; mais à son
tour lrunivers nous parle de Dieu. I1 dit au croyant un Dieu sage.,
puissant et bon. Mais iI est à remarquer tout de même que cette
vision nous est présentée comme tout à fait imparfaite dans 1a
mesure où Ia beauté du monde nrest que partielle, et peut même
être qualif iée de rtmonstrueuserr en regard de 1a perf ection divine.
Lrunivers nrest donc pas à sacraliser en tant que teI' et nous
voyons bien ici lrauteur prendre par avance une certaine distance
par rapport à quelque tentation néo-panthéiste. Le monde est cer-
tes digne d'admiration, r r dI e s t o n n e m e r r t t ' , a u s e n s t r è s f o r t q u e

pouvait avoir ce mot dans fa langue de Irépoque. Mais i1 convient


de ne jamais perdre de vue qu'il nous parle de Irhorloger et non
de lui-même.
Théotime, nous voyons ainsy cet univers, et surtout Ia
nature humaine, comme un horologe, composé dtune si
grande variété d'actions et de mouvemens que nous ne
sçaurions nous empescher de 1'estonnement (2).
Le rapprochenent entre le microcosme et 1e macrocosme apparaît ici
tout à fait directement. Mais Ia pointe du discours n'est pas 1à'
mais bien plutôt dans 1e fait que le croyant ne saurait en rester
au stade de 1rétonnement: tout comme son Créateur, i1 est invité
à passer de la méditation à 1a contempfation et à Ia louange.
Je vous Ioueray parce que vous estes excessivement ma-
gnifié, vos oeuvres sont merveilleuses, et mon âme le
reconnoist trop plus (3).

(1) Oeurres V 110


(2) id. Tv 2Æ.
(3) id. v Ll-o
- 15

Cette Iouange ne s'adresse du reste pas seulement à


lrOuvrier (l-), mais égatement au Dieu en action dans L'histoire
des hommes, qurerre soit collective ou individuelle. L'auteur
nrest pas de ceux qui voient des miracLes partout, même si cer-
tains passages de ses oeuvres de jeunesse comme les Contloverses
nous laissent parfois quelque peu pensifs. r1 prend bien soin de
nous rappefer que:
certes, on peut dire que la Providence de Dieu ne viole
pas ordinairement les lois de 1a nature (Z),
ces lois qui ont été fixées et qui sont perceptibLes:
Dieu donne par lrentremise de 1a nature a chasque aninal
les instincts qui luy sont requis pour 1a conservation
et pour 1'exercice de ses propriétés naturel_Ies... (3)
Et crest bien dans ce cadre d'une création universelle que Dieu
donne, de quelque manière, à Irhomme I'instinct draimer.
comme Dieu créa l-'homme a son image et sembrance, aussi
a-i1 ordonné un amour iour rrhomme a I'image et semblan-
ce de Iramour qui est deu a sa Divinité (4).

Le don de Dieu est, du reste, complet et si fort qu'iI


est doublé du don de ra tiberté,1eque1 peut ainsi aller jusqu'à
s'opposer à celui qui est son origine pour dévier et se perdre
dans une fascination narcissique et suicidaire pour 1a créature
s eul ement ,
quand quelque grand amour des créatures s'oppose aux
desseins de Iramour de Dieu (5).

Pour finir avec cette vision assez gênêrale de 1a créa-


tion' i1 serait bon de regarder cinq points qui sont autant d'in-
terrogations que pose François de SaIes à lrunivers considéré dans
une perspective d'ensemble.

a . Le premier point serait une interrogation :

Si la création nous indique si clairement et drune maniè-

( 1 ) Oeurres )CtI 3l-5


( 2 ) id. rv 239

( 3 ) id. v 9r.
(4) ibid. v 204
(s)ibid. v 188
-16

re si éIoquente que nous avons un Dieu dramour, DO suffit-el-Ie pas


en e11e-même pour 1e découvrir ? Pourquoi alors aller plus 1oin,
et comment se fait-i1 encore que les Anciens qui ont su si excel-
lemment parler de la nature et de I'univers ne soient pas parvenus
par cette voie à la Révélation chrétienne ?
Force est bien de constater cefa:
Quel playsir penses-vous, Théotime, gu'eussent ces an-
ciens p h i l o s o p h e s q u i conneurent si excellement tant
de belles vérités en Ia nature ? (1)

La constatation est double ici : elle cautionne la con-


naissance renarquable qu'avaient les Anciens des choses de fa
nature, connaissance qui laissera sans doute quelque peu sceptique
notre époque moderne mais qui était perçue comme tout à fait in-
discutable par un esprit de Ia Renaissance.
D'autre part, e11e relève que manquera toujours pour acquérir 1e

"playsir" véritable fa dimension de la connaissance de 1a Révéla-


tion.
Sans doute Ies Muses des Anciens sont-e11es touchantes
voire dignes d'intérêt s'il s'avère possible de les baptiser, opé-
ration pour 1aquel1e François de Sales félicite l-e poète La Ceppéde
dans une lettre datée de l-6L4:
A quoy je suis encor attiré par cette sçavante piété qui
vous fait si heureusement transformer les muses payennes
en chrestiennes, pour les oster de ce vil prophane
Parnasse et 1es loger sur 1e nouveau sacré Calvaire (2) .

C'est bien encore contre une possible objection d'idô1a-


trie que François de Sal-es aura à répondre par avance en ferrail-
lant cette fois non pas avec l-es anciens paiens mais avec les mi-
nistres protestants fors de sa rude mission en Chablais.
L'accusation était alors traditionnelle : si les "papistes" se
montraient capables d'une telle vénération pour les croix, images,
reliques et autres objets de piété, D'était-ce pas le signe mani-
feste qurils adoraient tout simplement les créatures en lieu et
place du Créateur ? Dans son ouvrage de Ia Défengg_99_f_Eg!g4gf!
de 1a Sainte Croix, en un style qui est loin drêtre aussi éIaboré

( 1 ) Oeui,rres fV 196
( 2 ) id. xw æ/
-L7

que celui du Traité, François de Sales tient à donner quelques


précisions de vocabuLaire. La formation juridique de l-rauteur ap-
paraît ici de rnanière quelque peu universitaire :
Que si j'ai tous jours dit quril ne falloit pas mesme
dire simpl-ement qu' on adoroi t l-es créatures , sinon
qu'on y employast des circonstances qui restreignis-
sent la signification du not adorer, d'autant qu'i1 pan-
che plus a I'honneur de Dieu qu'a celuy des creatures,
combien plus ay-je rayson de dire qu'i1 ne faut jamais
mettre en usage le mot seul de latrie pour aucun autre
honneur que pour celuy de Dieu seuL, puysque ce mot de
latrie a esté particulierement choysi et destiné a cette
seufe signification, et ne peut meshuy avoir autre usage
sinon par proportion et extension (1) .

b. Ces précisions apportées, 1e lecteur des oeuvres de


François de Sales peut 1égitimement se demander dans un deuxième
temps ce que peut être, draprès I'auteur, f'attitude du croyant
face à la Création.
La réponse est assez simple : I'attitude privilégiée face à 1a
création sera la louange et fa liturgie :
Comme 1a bienveillance nous fait appeler toutes les cré-
atures a 1a louange de Dieu (2).

Dans le commentaire qu'iI nous propose du Notre Père, et que nous


ne possédons plus que dans sa traduction italienne, i 1 écrit :
(...) Tutti glrelementi, iI fuoco, I'aria, L'acguâ, Ia
terra, gl'uccelLi che volana nellraria, 1i pesci che
notano nel mare, li fiumi, 1e fontane, Ii monti et vatli
le piante deIla terra e final-mente tutti g1'animali che
per que1la scorrono, mi predicano ch'io v'adori e bene-
dica. Eia ergo, Pater, sanctificetur Nomen tuum ( 3 ) .

Nous remarquerons au passage ftordre avec Iequel nous


est présentée cette évocation de 1a Création, appuyé sur 1es qua-
tre élénents fondamentaux empruntés aux philosophes pré-socratiques.
Cet emprunt est très habitueL à 1a deuxième génération des auteurs
de l-a Renaissance. Nous aurons à y revenir pour 1a présentation du

(1) OeuvresII 336


(2) id. rv 286
(3) id. )OfiÆ4O1, trad.rit airsi : "tors les éIânents, le feu, I'air, Ireau, la teme, les qpear-u<
qtri rrolent dans I'ajr, les poissans $ri nqgent dans la mæ, les flzuves, Ies fcntaines, les rrcr:ts
et les vallées, les plantes de Ia t€rre et enfin to.s les arû n< qd Ia par"co,rent, re pnêctrant
I'adoratiqr en rnedisant de vcus bénir : Ddrc, ô Père, q:e vobe rsn soit sanctifié".
- t8

corpus des images qui suivra. La pointe de cette méditation est


cfaire : toute la création invite à une louange qui prend le ca-
ractère uLtime de lradoration. Cette attitude nrest du reste pas
étrangère à certains textes de l-'Ecriture : en voici deux exemples
relevés par saint François de sales 1ui-même. Le premier est em-
prunté à 1a tradition Psalmique :
Ainsy fe glorieux psalmiste, tout esmeu de la passion
saintement desreglee qui 1e portoit a louer Dieu, Vâ,
sans ordre, sautant du ciel a la terre et de Ia terre
au cieLr appelant pesle mesle les Anges, l_es poissons,
les montz, fes eaux, les dragons, Ies oyseaux, les ser-
pens, 1e feu, 1a gresle, Le brouillatz, assemblant par
ses souhaits toutes les creatures, affin que toutes en-
semble sraccordent a'magnifier pieusement leur Crea-
teur (1)

Cette idée de louange universelle de toutes les créatu-


res' rendue de manière vivante par 1'al-liance de mots "saintement
dérégrée'r-, ne sera pas non plus absente du Nouveau Testament,
1'auteur nous parlant
de ces louanges que cette mère d'honneur (ta Vierge
Marie) et de belle dilection, avec toutes l-es créatures
ensemble donne a Ie Divinité (Z)

c . Pour Irauteur, cette attitude de Iouange contribuera


à faire découvrir toujours davantage 1a notion de beauté: la na-
ture ici se fait maîtresse d'éco1e pour une théologie de 1'esthé-
tique. Ce sera notre troisième point. François de Sales définit
étymologiquement fe beau de 1a manière suivante:
et quant au beau, parce qu'il- attire et rappelle a soy
toutes choses, 1es Grecs I'appelLent d'un nom qu i est
tiré d'une parole qui veut dire appeller (3) ;
Etymologie fantaisiste diront les hellénistes mais qui par ticipe
de cette conviction très forte de I' auteur que re beau est par
essence attirant. rl- continue ail-reurs dans ce sens :

(1) OeuvresN æ. Cf. Ps 148. En ce qri cunerne les citaticns bibliqr"es, I'ctru:age de réfénence
de nobe éùrde est rrla Bible" T. O. B. ïbad.æticn oecunéniqre de la Bible, cûprenant I'Arcien
et le lrto.rrreau
testar6llt:"aa-.its sr-urles te<tes æiginar( hébreu et grec, Alliance biblirye Lud-
verselle, I€ Cerf, 1-S2
(2) Oeures fV 293
(3) ia. v 2' K&^Àoç, rà xrMv, dénivé de x.Àdo set-qr saint Dg.ris,,
-L9

Quand on voie une exquise beauté regardee avec grande


ardeur... on dit que cette beauté 1a tient coIIee sur
soy les yeux des spectateurs.
Qu'est ce a dire, tenir colles Ies yeux, sinon unir et
joindre fort serrés les sens et Ies puissances dont on
parIe, a leurs objects (1).

Cette beauté est toujours perçue comme étant indissociablement


unie au bien, à Ia vertu: I'auteur ne cesse de nous 1e redire :
Crest e11e, Ia vertu, Qui rend I'homme intérieurement
et extérieurement beau . (2)
Mai s tout comme Ia création qui demeure en voie de transfigura-
ti on , de contemplation, la vertu de lrhomme est encore au stade
del 'inachèvement: cela est encore une des 1eçons de 1a nature.
Dieu, au commencement du monde, commanda a 1a terre
de germer I'herbe verdoyante faisant sa semence' et
tout arbre f r u i t i e r f a i s a n t s o n f r u i t , un chacun selon
son espece, q u i e u s t a u s s y s a s e m e n c e e n soy-nesme :
et ne voyons n o u s p a s p a r e x p e r i e n c e q u e les plantes
et fruitz nront p a s l e u r j u s t e c r o i s s a n c e et maturité
que quand elles portent leurs graines et pépins qui
Ieur servent de géniture pour 1a production de plantes
et drarbres de p a r e i l l e sorte ?
Jamais nos vertus n' ont Ieur j uste stature. . . (3)
L'association d'idées entre la création et la vertu pernet de
faire saisir bien des choses: si Ia créature est fragile en sa
beauté, iI est par ailleurs des beautés qui ne passent pas.
La beauté se ternit en moins de rien: iI ne faut qu'un
dertre au v i s a g e p o u r e n o s t e r I ' e c l a t ; et pour ce qui
est des sciences, u n p e t i t t r o u b l e a u c e rveau nous fait
perdre et oublier tout ce que nous en avions (4)

Etrange destinée de fa beauté terrestrer VUlnérable et éphémère,


toujours appelée à être transfigurée. La nature va sravérer un
auxiliaire précieux pour comprendre cela, mais i1 demeure certain
que j amais eIIe ne sera 1a f in de l-a réf lexion.
Dieu, certes, monstre admirablement Ia richesse incom-
préhensible de son pouvoir en cette si grande variété
des choses que nous voyons en 1a nature (5).

( 1 ) Oeunes V 77
( 2 ) id. )ofir 34
( 3 ) id. v 82
(4) Enbetiens l-272
(s)Oeuvres fV 1O5
-20

d. un quatrième point, assez rapidement esquissé' pour-

rait nous montrer une réalité théologique solide : 1a ParoIe de

Dieu est efficace:


Tout le monde ne lui costa de premier marché qu'une sim-
ple parole : i1 Ie dict et tout fut faict, et i1 1e con-
serve avec une perpetuelle et infaillible providence (1).

Thème qui rejoint d'autres citations éparses dans les oeuvres com-

me celle-ci:
un seul mot de Dieu remplit I'air d'oyseaux et 1a mer
de poissons (2) .

e. II nous reste encore un cinquième point à considérer

dans ce que peut dire fa nature en général au lecteur de François

de Sales. La nature a une fonction prédicative. E11e est un auxi-

liaire précieux pour 1e commentaire de 1a Parole de Dieu dans la

liturgie et dans ce rô1e essentiel du prêtre et plus encore de

f'évêque : I'homélitique. François de Sales développe cette idée

assez longuement dans une lettre demeurée cé1èbre qu'il envoya à

un jeune confrère dans 1'épiscopat, Monseigneur Fremyot, évêque

de Bourges, datée de 1604. Faut-i1 dans 1a prédication utiLiser

ce que 1'on appelait fes histoires naturelles ?

Et les histoires naturelles ? Tres bien, car Ie monde


fait par 1a parole de Dieu' ressent de toutes pars
cette parole ; toutes ses parties chantent 1a louange
de Irouvrier. c'est un livre qui contient 1a parole de
Dieu, mais en un langage que chacun n'entend pas. Ceux
qui I'entendent par fa méditation font fort bien de
s'en servir, comme faisoit saint Anthoine, qui nravoit
nufle autre bibliotheque (3).

Nous reviendrons sur cette idée de l-a nature comme

Livre de Ia Parole de Dieu que François de SaIeS nra pas inventée'

Nous pouvons noter que pour I'auteur de cette lettre fa nature

est une aide indispensable pour certaines formes d'entendement

mais que son langage nrest pas posé comme étant universel-lement
perceptible.
Pour asseoir cette idée, I'auteur poursuit ensuite

( 1 ) Oeuures I @
( 2 ) id. v 204
( 3 ) id. )cr æ7
-21

sur un fondement scripturaire.


Et Saint PauI dit : t'Invisfllflg_!ei_ger_ea_guae_fgglg
gg!!_i!!Slfgg!g_consgiciuntur'r (1) ; et David : "CaeIi
eæira!!:eieIiaE-DEI-fZT:-Ë rivre est bon pour Ë;--
similitudes, pour Les comparaysons rra_minori_ad_majus"
et pour mille autres choses. Les anciens Pères en sont
pleins, et 1'Escriture Sainte en miIIe endroitz : I'Vade
as-Igflfgg!" ( 3) ; "Sicut-ggflflg-congregg!-ggllgs
suos" (4); "Quemadmgggg_gg9fggle!_gervus" (5) l "Quasi
glfgllfg-rl_seggllg" (6) ; "Videtg,-llff3-agri" (7) et
cent milIe semblables (8).

Mine drexemples, 1a nature va donc servir à présenter ce


que Itauteur nomme les "simil-itudest'.
La prédication en effet proposait un conmentaire de I'Ecriture se-
Ion les sens littéral, aIlégorique, analogique et tropologique. La
similitude va offrir lrintérêt de produire clairement une juxtapo-
sition de ces quatre sens, immédiatement lumineuse.
II reste un mot a dire des similitudes: elles ont une
efficace incroyabfe a bien esclairer lrentendement et
a esmouvoir 1a voLonté. On les tire des actions humai-
nes, passant de lrune a Lrautre ; comme de ce que font
l-es bergers a ce q u e doivent faire Ies Evesques et pas-
teurs, comme fit Nostre Seigneur en 1a parabole de l-a
brebis p e r d u e ( 9 ) ; des histoires naturelles, des her-
bes, plantes, animaux, êt de 1a philosophie, et en fin
de tout (1O).

On ne saurait être plus large dans Ie choix des ilLus-


trations... mais nous remarquons lrimportance des histoires d'ori-
gine naturelle. Du reste Irauteur poursuit en ce sens:

(l-) "L€s perfecticns invisibles de Dienr smt rendr:es ccrænérrensiblespar les clræes qri cnt été
faitÆ" Rn L, 19
(2) "Les cietx raccntsrt la gloire de Die.r" Ps L8, l-
(3) 'va à ]a fcntaine" h 6, 6
(4) "Ccrrre la po:Ie rasssrble ses po:ssins" Mt æ, 27
(5) "Ccrrnele csf sctpi-r€r' Ps 41 , 1
(6) "Ccrne l?a.rbrrje al dêetrtrr Ln 4, 3
(7) '',lWæ le lis des cherps" Mt 6, 28
(8) Tort ce t€xte in Oeuvres)OI 307
(9) Lc l-5, 4
(10) Oetlrres )trI 313
-22

Les similitudes des choses trivial-es, estans subtile-


ment appliquees, sont excellentes ; c o m me Nostre
Seigneur fait en la p a r a b o l e de 1 a s e m e n ce. (1) CeIIes
qui sont tirees des histoires n a t u r e l l e s si 1'histoire
est beIIe et 1'appfication b e 1 1 e , c r e s t u n double Lus-
tre; comme cel-1e de I ' E s c r i t u r e d e 1 a r é n o v ation ou du
rajeunissement de Iraigle ( 2 ) , p a r n o s t r e p é n i t e n c e (3).

f. Conclusi on

Ayant considéré ce que dit François de Sales de 1a na-


ture en généra1, nous nranticiperons pas sur notre conclusion a-
vant dravoir étudié successivement toutes les images de nature
qu'i1 nous propose. Cette entrée en matière nous permettait seu-
lement d'appréhender une partie des intentions de I'auteur sur
1r utilisation de tell-es images.
Les cinq propositions que nous avons pu ainsi dégager
sont les suivantes:
Utiliser 1'univers comme un livre parlant de Dieu nrest ni une
attitude panthéiste paganisante ni une tentation idolâtre dans
1a mesure où Irouvrage nous parle sans cesse de IrOuvrier.
La nature provoque 1e croyant à une attitude de foi procédant
d'un mouvement toujours continué : celui de 1a méditation et ce-
1ui de 1a contemplation. Ce double mouvement trouve son origine
dans I'attitude divine elle-même. Ces attitudes sont productrices
tant i1 est vrai que crest Ia divine méditation qui est à I'ori-
gine d'une création concrète.
La nature est enseignante. Ell-e théologise et sa doctrine nous
parle dresthétique. Elle indique aussi à lrhomme 1e lien qui e-
xiste entre le beau, 1e vrai, Ie bien, ces notions étant inscrites
dans 1a création e11e-même (q).
La nature indique à I'homme une autre réalité théologique et
scripturaire : 1a parole de Dieu est efficace. Le verbe est con-
cret, et par 1à même 1a nature procède drune première Incarnation.

( 1 ) Mt 13, 3
( 2 ) Ps 52, 5
( 3 ) Oeuvres)CII 314
(4) id.IV 91. Cette déco:rrentese fait irstirctivercnt par pncpniété rah-relle, tort an rcæec-
tant po.rtant Ia liberté tnuaine
-23

Enfin fa nature est un prédicateur hors pair, 1e livre toujours


ouvert qui illustre en permanence Ia RévéIation.
En observant le déploiement de toute l-a nature abondam-
ment mise en scène dans Ies oeuvres de François de Sales, nous re-
marquerons que ces propositions s'imposeront non pas d'autorité
mais graduellement, pâr méthode de séduction.
-24

III L A P R E S E N T A T I O ND E L A N A T U R E P A R L I A U l E U R :
L E S ] M A G E S D E N A T U R E D A N S L ' O E U V R ED E F R A N C O I S D E S A L E S

Nous venons de discerner que globalement 1a nature a


un message à porter au croyant de Ia part de Son Dieu. Comment
est exprimé ce message dans I'oeuvre de François de Sales ? A

notre sens de deux manières complémentaires drinéga1e importance.


La première consiste à décrire simplement sans fes commenter les
réalités de 1a nature telles que I'auteur peut les observer. Ré-
cits de voyages, considérations sur les saisons, traits anecdoti-
ques et souvent charmants constituent effectivement à cet égard
une petite partie des é1éments que nous allons étudier; mais
cette partie nrest qurau service d'une inspiration aux proportions
plus considérables, et qui est mise en Iumière par les I'images".
Henri Lemaire a fait, sur I'ensemble des oeuvres de
François de Sales, une étude "des imageS'r qui peuvent y être rele-
vées (1). Son ouvrage se présente uniquement comme un répertoire
très précieux des emplois de cefles-ci dans I'oeuvre et I'abon-
dance d'une te1le matière constituait un empêchement dirimant à
tout commentaire systématique. Pour dépasser ce problème insurmon-
tabIe, Henri Lemaire s'est donc attaché à développer séparément
plusieurs images qui tui apparaissaient tout à fait caractéristi-
ques de I'inspiration et du style saIésiens. Par ailleurs, I'am-
pleur de la recherche débordait absolument dans son étude 1e seul
thème de l-a nature que nous venons de définir et qui constitue 1e
sujet de notre recherche.
Le présent travail ne veut donc en rien reprendre cette
excellente recherche de Henri Lemaire. Notre titre définit clai-
renent lrobjet de notre propos. Nous avons en effet Ie projet de
ne produire ici que les images concernant 1a nature dans Ies
Oeuvres de François de SaIes. Il ne saurait donc y être question
de recenser dans ce cadre lrensemble des images qui constitue-
raient un corpus considérable.
Pour ce faire, nous avons, de manière pratique, procédé
à la fecture systématique de I'oeuvre en relevant thématiquement

(1) tlenri Lerai:re cp. cit.


-25

toutes les images qui pouvaient concerner 1a nature, sans nous


préoccuper des relevés ahtérieurement dressés.
La matière en est importante puisqu'e1le rassemble
quelque trois miLLe cent soixante douze fiches comportant chacune
une ou plusieurs citations variant de quelques mots à une page.

1. Les sept sources drinspiration des images

It fallait ensuite choisir un plan pernettant de clas-


ser cette abondante matière. Tout bien considéré, i1 semblait
que sept sources d'inspirati on d'inégale importance pouvaient
être discernées :

a. Tout drabord 1a nature observée directement par 1'au-


teur, essentiellement à Lroccasion de ses tournées pastorales re-
latées dans ses lettres, mais également dans des souvenirs et ob-
servations spontanées qui apparaissent dans tous ses écrits à
Irexception, i1 est vrai, des deux premiers ouvrages.

b. Ensuite 1a nature en contact avec 1'homme, 1a scien-


c€, mais aussi les divers arts qui permettent à I'homme de vivre
avec 1a nature, de sten nourrir, de la dominer, de ltaménager.

c. La troisième source d'inspiration est constituée par


Ies traits que lrauteur emprunte abondamment aux Humanistes
Anc i ens .

d. Une quatrième source d'inspiration est à rechercher


dans Ia Bible, Ancien et Nouveau Testaments confondus.
A ces quatre sources principales, i1 convenait d'en a-
jouter trois autres de moindre importance.

e. La nature baroque, telle qu'e11e pouvait être décri-


te dans Ies romans contemporains de lroeuvre de François de Sales
et tout particulièrement dans 1es pastorales de son ami Honoré
d'Urfé.

f. La nature telle qu'eIle apparaît dans 1a patristique


et dans Irhagiographie qui présentent un merveilleux chrétien à
des fins apologétiques. Cette source drinspiration est tout par-
-26

ticulièrement utilisée dans les premiers ouvrages polémiques de


L r auteur.

g, Enfin, un septième point, Qu€lque peu occasionnel,


nous offre une nature dans un genre littéraire particulier qui

semble avoir été inventé par François de Sales 1ui-même et que

nous appellerons Ies'rimaginations".


Il est certain qurun tel classement ne peut que com-
porter un aspect arbitraire. En effet, les jeux subtils de cor-
respondance de lrauteur créent souvent d'inextricables convergen-
ces entre ces diverses sources.

2 . Les images elles-mêmes

Ces sept sources drinspiration sont donc alimentées par


des séries d'images: it est sans doute malaisé de définir avec
précision cette notion drimages, fort vaste au demeurant etqui
peut en effet recouvrir un certain nombre de figures du discours
au fonctionnement assez différent. Nous allons en dresser par a-
vance un rapide inventaire, sans anticiper sur la valeur propre
que nous observerons dans notre étude.

a. La comparaison est f image 1a moins complexe qui


est utilisée par François de Sales, sous une forme simple. En
voici un exemple:
La charité est entre Les vertus comme fe soleil entre
1es estoi Ies ( 1 )
E11e peut encore prendre une apparence plus élaborée lorsque l.e
premier é1ément habituellement emprunté à Ia nature est annoncé
par I'adverbe "ainsi" et prépare un second é1ément appartenant
cette fois à la vie spirituelfe. En voici un exemple:
Mays tout ainsy que nous voyons des arbres arrachés de
terre faire quelques productions (. . . ) de mesme un
coeur séparé de la charité peut voirement produire quel-
ques actes de vertu (...) (2)

( 1 ) Oeuwes fV 357
( 2 ) id. v 267
27

b . La métaphore, figure par excellence du style rten

images'r, présente une importance qualitative et quantitative con-


sidérable dans I'oeuvre salésienne ( 1 ) . Faire métaphore, disait
Aristote, crest voir deux choses en une seule. Le concept rhéto-
rique de persuasion a, dans cette figure, 1a prétention de séduire
mais aussi de simplifier des notions de spiritualité que seul 1e
raisonnement analogique pourra mettre en évidence. La métaphore
fait donc "image". II ne s'agit pas seulement d'un simple dépIa-
cement de mots, mais bien dtun rrcommerce entre pensées" (2),

dtune rrtranSaction entre contextes". Le proCédé nren est paS lais-

sé au hasard. L'opération consiste au préalable en 1a sélection


d'une image qui puisse offrir facil.ement un champ de représenta-
tion symbolique étendu. Lraxe utilisé, celui de 1a substitution,
permet alors de laisser apparaître un ensemble de sens nouveaux,
un dynamisme intérieur dans 1e code ainsi obtenu.
Chaque auteur a donc 1e redoutable privilège de séIec-
tionner Ies images qui pourront être en rapport avec le discours
qu'if désire tenir. Ce faisant, Ies exigences d'une bonne méta-
phore demeurent constantes : justesse, clarté, cohérence, carac-
tère naturel, et aussi de manière plus subjective nobtesse.
Pour François de SaIes l-a métaphore est tout cela, mais
plus encore. En effet, 1a dimension spirituelle de cette image
privilégiée par la Bible propose également drintroduire le croyant
à Ia contemplation. La nature ne saurait en ce cas n'être qurune
réserve d'illustrations attrayantes. E11e est bien aussi et sur-
tout une "lecture spiritueller'. Dès lors, pour François de Sales,
la "logique esthétique" de 1a métaphore pourra introduire 1e
croyant à cet ultime sommet, escarpé mais pourtant accessible à
tous, drune union à Dieu, ne reniant aucun des aspects de cette
Création eui, de partout, est signe de son Amour. Quel autre
moyen aurait Ie croyant de percevoir cet ordre de beauté souve-
rain, de découvrir son Dieu en majesté couronnant de sa lumineuse
présence une création en voie de réconciliation ?

(1) Voir les statistiques en Arno€


(2) Richard Ivæ Arnstrcqg, Ihe philæcpW of Rhetnnic, Odtrd Univer"sif Pness, 1936, cité par
Ricoer-n Paul in La rÉ
-28

La fonction symbolique de f icône, dans Ia tradition


orientale, a, entre autres objets, celui d'offrir précisément en
une récapitulation cosmique 1a figure de lrhomme-Dieu au coeur
drune création créée pour lui et transformée par 1e rayonnement
de sa résurrection. Sous 1a plume salésienne, PâP métaphore, 1a
nature présente une tentative spirituelle identique.
Enfin, dans le langage mystique, 1a métaphore demeure
la seufe figure utilisable : comment, autrement, dire f ineffa-
ble ? Comment éviter Ie piège de la cellule étroite d'une signi-
fication unique et close du mot ? La métaphore seule peut donner
I'idée fa moins imparfaite qui soit de 1a réaIité indescriptible
et transcendante. Elte est un peu comme la fiancée du Cantique

9gg_9glliggee qui s'enfuit en riant chaque fois que lron veut lui
attribuer sagement un réseau de sens circonscrit.
Ainsi, Dj-eu, nommé par toute Ia tradition vétérotesta-
nentaire sous forme de métaphore, parle-t-iI lui-même par méta-
phore dans 1a Création qu'i1 dépIoie sous les yeux du croyant.
FidèIe au goût de son époque, François de Sales aime à
filer ses métaphores. La thématique cohérente d'une telle entre-
prise permet souvent d'exposer ainsi une réalité spirituelle com-
pIexe. Lrimage empruntée à l-a nature est alors au service de cette
réalité à décrire, et non le contraire. Cette manière de voir in-
duira non seulement Ie choix des images mais autorisera occasion-
nellement fa transformation motivée de fa réalité de départ qui
ne présentait pas 1a cohérence requise (1).
Les métaphores fiIées formeront ainsi souvent une allégorie, de
manière parfois très élaborée, surtout dans le Traité de I'amour
de Dieu.

c. Drautres images proposent encore une "personnifica-


tion", teIle cefle de cette petite goutte dreau qui chante Ia
louange de son Créateur et que nous pourrons suivre tout au long
de notre étude sur Ie thème de lreau.

(1) ce procédé a été farg€rlEnt éhîtié par Antanas Liuilra, Au< scr.rces ôr î:aité de I'anu.n de
Dieu de Saint Fbançois de Sales, Rcrre, wriversité grégæierrre, l-960, 2 volumes.
-29

d. Assez traditionnellement encore, I'image peut être


simpl-ement un symbole, original ou encore emprunté au bestiaire
ou rapidaire de 1a patristique que nous avions mentionné précé-
demment : 1e cerf, 1'abei11e, 1a perle en sont des exemples.

e. La parabole, genre évangé1ique, sera encore occa-


sionnellement présente, ainsi que I'imagination qui rui est assez
proche et qui consiste en l-'invention d'une histoire didactioue
ayant trait à Ia nature en contact avec lrhomme.
Ces images sont souvent fort travaillées, surtout dans les ouvra-
ges dont le style a été plus élaboré, 1e TraitÉ_gg_l_gmeur de Dieu
surtout et secondairement 1'rntroduction à 1a vie dévote à laquel-
1e i1 faudrait ajouter certaines pages de 1a correspondance

f. Enfin, à ces figures principales s'ajouteront des


figures de réversion, chiasmes , j eux de mots, allitérations, asso-
nances' antithèses, traits d'humour qui en enrichissent 1a rédac-
tion.
sans doute, François de sales aurait-il donné re terme générique
de "Similitudes" à toutes ces figures diverses qu'i1 mentionnait
dans ses conseils sur 1a prédication.
EcLairer et émouvoir, telles sont les actions visées par ces ima-
ges qui parviendront ainsi à ce qui est 1e rôfe primordial que
François de Sales attribue à I'ensemble de Ia nature.
ce faisant, comme nous ilavions indiqué, cet enseignement pourra
se muer en contemplation en goûtant preinement ce potentiel poé-
tique et mystique dont est investie toute fa création.
-30

IV PRESENTATION DU TRAVAIL

Notre travail se propose donc de mener une exploration


systématique du corpus des images de nature, de quelque importance
qu'e11es soient, dans Les Oeuvres de Saint François de Sa1es, à
I'exception des quatre ouvrages réservés à 1a prédication.
En effet, comme nous I'avions déjà signalé, nous nous
sommes refusés par avance à empiéter sur 1e domaine d'investiga-
tion de la thèse de Madame Hélène Bordes, Maître de conférences
à lrUniversité de Limoges, dont fes conclusions apporteront cer-
tainement un éclairage complémentaire et précieux à 1a présente
recherche. Nous nous contenterons donc de reporter en note, à
I'occasion des thèmes que nous exposerons, 1es passages très ri-
ches de certains Sermons qui évoquent fes mêmes images.
Cette présentation du corpus, tout en respectant I'or-
donnance des sept sources d'inspiration mentionnées que nous étu-
dierons séparément, gardera 1e souci de considérer 1a manière
avec laquelIe, au fil des pages, François de SaIes développe les
propositions que nous avons exprimées.
Le vaste sujet de 1a nature requiert par ailleurs cer-
tains regroupements de termes que nous proposerons de 1a manière
suivante:
Dans un premier temps, nous étudierons les quatre éfé-
ments primordiaux eui, selon la conception antieu€, régissent I'u-
nivers, à savoir 1e feu, lreau, I'air et Ia terre.
Nous ne nous étonnerons guère, oD nous rappelant 1a formation hu-
maniste que reçut François de Sales, de l-es voir souvent exprimés
dans toute I'oeuvre étudiée. Toutefois, nous pourrons observer
avec intérêt quels sont ceux qui sont privilégiés par I'auteur et
quelle connotation i1 leur donne.
Une seconde grande partie évoquera 1a fuite du temps et
Ie rythme des saisons qui en est un aspect sensible. Le choix de
certaines saisons, 1'ordonnance des images, viendront une fois
encore nous apporter des enseignements précieux sur 1e paysage
intérieur et spirituel de lrauteur.
Nous verrons ensuite cette nature sranimer, se peupler
d'un bestiaire riche et varié. Cette partie de notre étude, plus
- 31

encore que toutes Ies autres, permettra d'observer une très gran-
de diversité de sources d'inspiration et un éclectisme étonnant.
Le lapidaire, euê nous évoquerons dans une partie sui-
vante présentera un aspect sans doute plus modeste. Participant
à un aspect inanimé de 1a création, ir nraura certes pas I'im-
portance de Ia faune ou de la flore.
La partie suivante de notre étude évoquera la flore et
toute lresthétique qu'elre enseigne. Nous pourrons y découvrir
une reçon spirituelle plus affinée avec la grande variété des
images offertes.
Enfin' une dernière partie verra rrhomme habiter la
création, La façonner, poursuivre cet éLan créateur eu€, d'après
1a conception sémitique, re créateur en se "reposant" mit dans
f'esprit de sa créature afin qu'il parachève son oeuvre.
1ère PARTIE :

L E J E U D E S Q U A T R E E L E M E N T SF O N D A M E N T A U X
- 33

Le j"u des quatre é1éments fondamentaux de 1a création


est inégalement réparti dans Itoeuvre salésienne. Nous commence-
rons par 1e plus inporËanË, 1e plus éclatanE, celui qui détermine
lresËhétique de Èout Itensemble, à savoir 1e feu.
Nous regrouperons sous ce thème 1e feu proprement dit en tant
qu'élément naturel, mais aussi plus largemenÈ tout ce qui se rat-
tache à ce signe et à ses effeËs, à savoir 1e soleil, 1e j".t de
l t alternance du jour et de la nuit et les astres.
-34

1 L E J E U D E S Q U A T R EE L E M E N T SF O N D A M E N T A U X

I1 LE FEU

111 Le feu proprenent dit

Le feu paraît bien être un symbole par excellence. Sa


conquêEe dans les temps les plus anciens fut souvent une question
de survie pour 1e groupe primitif affronté au danger de 1a nuiÈ, de
l tobscurité et du froid. L'ethnologie nous redit son iurportance
dans 1e développement de 1a civilisation, à partir de son uÈilisa-
tion régu1ière pour 1a cuisson des alinents puis pour 1e travail du
nétal. Elément fascinant, if est à 1 rorigine d fune cransformation
béné fique et protectrice. Aussi est-ce sans doute depuis Ia nuit
des teEps que ceÈ a1lié précieux et protecËeur, mais aussi parfois
étrangement redouEable a dû sembler, du f.ai-t de sa cons istance mê-
E€r cornme procédant drune dimension sacrée. (1)

La mythologie grecque en avait fait en même Eemps que


lrattribut du dieu suprême 1'enjeu dtune lutÈe entre hommes er
dieux avec 1e nythe de Prométhée. De même 1a combustion était-e11e
1e corollaire obligé du rite sacrificiel. Les 1aËins recueillirent
pieusement.1e symbole, reprenant à leur cortpËe 1e feu de 1'auÈe1 de
vesÈa, proÈecËeur de 1a citér le foyer domestiquer la crémat.ion sa-
crificielle et 1e rite funéraire par incinération.
Dans 1a tradition biblique, le signe du feu resplendit
dès 1'origine de 1'hisËoire des relations entre 1e peuple choisi et
son Dieu. Le sacrifice interrompu drrsaac dans 1e Livre de la
Genèse (2) en est une toute première illustration. Cette révélation
biblique n'a rien à voir avec une quelconque divinisation du feu
telle qurelle pouvaiÈ exister chez les auÈres peuples du bassin mé-
diterranéen ou bien encore avec une simple philosophie de 1a nature
fondée sur la dynarnique des quatre éIéments prirnordiaux. I ' 1 ê m es i
Israë1 Partage cette théorie des quaÈre é1éments, sa concept ion ne

(l) La rectprctp psychologique, quant à elle, insiste égalerpnt sur le caractère prinordial de cet
élénpnt : 'Iihus ne scrIIEs pas très éloignés de croire que le feu est très précisfunt le proier
objet, le prenier ptréncnèrezur lequel ltesprit hrmain ait réfléchi; entre tcus les phéncmènes,le
feu seul rÉrite, po.r I'hcnæ préhistorique, le désir de ccnnaîrre par cela mâ'e qu'il acccnpagnele
désir d'ainer". Bachelard C,asÈon, La psychanalysedu feu, Gallirmrd, 1949, 22L p.
e) crL22
- 35

lui fait voir dans 1e feu qu'un sinple signe, Èoujours à dépasser,
pour renconËrer Dieu.
Ce Dieu se manifesÈe effectivement sous 1a forme du feu
dans plusieurs théophanies. I1 joue un rô1e essentiel dans lrexpé-
rience fondatrice du peuple hébreu. C'est. ce signe qui sera décrit
lors t
de l envoi en nission de l'1oÎse au mont Horeb ( 1), de même
sera-t-i1 redoutablement présent lorsque 1a montagne fuEera lors de
1a Eransmission solennelle du décalogue sur 1e SinaÎ. (2)

Plus tard, la tradition prophétique rêaffirmera 1a valeur


symbolique du feu. Même si Elie comPrend que son Dieu n'est pas

seulement feu mais aussi brise 1égère (3), ce synbole sera pourtant

bien donné lors de son ascension triomphale (4). La vision du pro-


phète Isaîe lors de 1a révélation du trisagion est toute environnée
de feu (5) touÈ comme cel1e d'Ezéchiel (6).

Ce signe du feu, en même temPs que 1e signe de 1a toute puissance

de 1a divinité transcendante, indique dans le même temPs que 1e


Dieu Saint. exige 1a pureté du croyanÈ,1e feu étant 1'é1émenÈ
purificateur.
Du reste, I t usage biblique de I tholocauste reprendra
dans une liEurgie.toujours continuée ce désir de purification à la

fois individuel et conmunauEaire. Le feu sera ainsi continuellement


entretenu dans 1e tempte. Certains textes redironE au croyant que

ce feu Èransforme, éprouve et triompher lui permetËant de voir 1à

autant dratËitudes prêtées à Dieu lui-mêne (7).

Dans 1a tradit ion du Nouveau Testament , 1e message du

"précurseur", Jean 1e Baptiste, très cher à François de Sales comme


nous aurons 1'occasion de 1e montrer, indique 1e Christ comme 1e
vanneur qui jetËe 1a paille dans 1e feu (8).

(l) Fr(. 3
(2) id. le
(3)1R19
(4) 2 R z,tL
(s) rs. 6
G) Ez.r
(7) Cr. 8,6
(8) Dt. 3,1O
-36

Le Christ lui-même reprendra cette parole à son compte


indiquant : "Je suis venu allumer un feu sur la terre". (1). La
tradition apocalyptique, d'une part, 1'Evangile (2), certaines
letÈres apostoliques (3) et surtout le Iivre de I'Apocalypse,
d'auÈre part, rêprendront ce symbole du feu dans les théophanies
de jugement. Du reste 1e feu sera 1ré1énent essentiel avec le
souffle de Ia révélation de 1a PenÈecôte, é1éurent fondateur de 1a
nission de 1a prenière communauté chrétienne.
Ceci étant, le feu demeure, comme tous les grands
é1éurents présentés par 1a Bible, un symbole ambivalent. Signe
posiÈif, rnais aussi signe de 1a destruction du "péché" qu'est 1e
veau d'or par exemple (4), utilisé par 1e prophète Elie pour
anéantir les orgueilleux (5); i1 sert fréqueurment d'é1émenÈ de
comparaison pour figurer 1a colère de Dieu (6). Ce feu redoutable
n'est point absent du Nouveau TestauenE (7) dans les textes de
jugenents mais, ce faisant, 1a réalité religieuse qu'il signifie
s'actualise dans le tenps de I tEglise. Jésus, en s'opposant aux
fils du tonnerre, gui voulaient faire descendre 1e feu du ciel
sur les Samaritains inhospital iers, met 1a vie chrét ienne sous
1e signe d'un feu qui est celui de 1'Esprit (8).
La I ittérature baroque ne négl ige nul lement ce thème du
feu. E11e en fait 1e synbole de I'anour divin qui parlera si
directement aux lecteurs de François de Sales. L'univers Ëout
entier en est aniné. Le Christ en croix stoffre comme un flanbeau
comme une gerbe de feu d'où jaillissent des étincelles qui volent,
produisant "mille flammes nouvelles" (9).

1) t-r. 12,49
e) w. 9,43
(3)2P3, 1co3,t5
(4) W 9,2t
(5)2R1, lG14
(6) &r 1,4
(7) Ib Io,27 er Ap æ,10
(8) I't 9,4
(9) Le }byne P., cité par Sellier Ph. danssa thèse sur "Pascalet saint Augustin".
-37

Après cette rapide introduct ion, nous al lons rechercher

quelle place tient ce thème dans ltoeuvre salésienne. Pour ce fai-

E€, nous conserverons notre plan par source d I inspirat ion en cons i-

dérant success ivement ce thèrne en fonct ion de 1a nature observée,

puis de 1a nature en conËacË avec 1'homme, crest à dire pour notre

thème, de lrutilisaEion du feu pour 1a science; ensuite nous exami-

nerons 1a source d'inspiration des humanistes anciens, 1a nature

biblique et pour finir 1a patristique et 1'hagiographie.

1111 Le feu: une réaliËé bien présente de 1a vie donestique

La lecture des Oeuvres de François de Sales nous rensei-


gne sur 1a vie domestique et quotidienne de 1répoque. Pour un con-

temporain de François de Sales, quelle que soit sa classe sociale,

1e feu demeure au centre de 1a demeure. I1 esE 1e lieu de 1a veil-

1ée, du regroupement de 1a vie familiale 1'hiver. On inagine faci-


tunigue pièce chauffée, hâvre de
lement dans les demeures modestes l

bien-être dans Itaustère froidure des chambres dépourvues de

chauffage (1).

Certaines personnes doivent demeurer en pertuanence au

coin du feu : les vieillards sans doute, mais aussi certains en-

fants plus ou moins handicapés.

Quand les parents onË des enfanÈs qui ont ces defauts
que nous venons de dire, (boiËeux, borgnes. . . ), ou
quelqu t autre, les laissent au coin du feu disant que
ils ne sont pas bons pour 1e monde, et qutil 1es faut
metEre en rel igion, guê ce sera autant de décharge pour
leur maison. (2)

Dans certaines maisons plus aisées, de.r'ts certains monas-

tères, les chaubres particulières sont parfois équipées d'une che-

minée qu'i1 convienÈ de regarnir au matin: excellente occasion de

se resouvenir de quelque autre devoir. . .

et 1a, pour rallurner 1e feu du matin, ou represnant 1a


mesme matiere que vous aurez meditee... (3)

Du reste, dans 1e monastère, 1a question du chauffage tient une

(1) De rultiples cqmaissancesÉdicales se rapporÈaient au ctroix ôJ ccùustible, cæ en tésDigne


'Ic non pas celuy du chesne(...)
ce peËiË trait drun Senpn : feu de çnarre esr sain au catharre,
Oeurres VIT 92
(2) Enrreriens 1243 GÀ.'La Pléiade")
(3) Oeuwes)trII 104. 0n tro.nre presquerct à rct une nÊre réponse à une question identiqtre dans le
dernier Entretien 1319.
- 38

place non négligeable comme en rendenÈ compte plusieurs questions

posées fanil ièremenË à leur fondateur par les premières Vis itandi-

nes et rapportées dans les Entret iens :

Nous 1ui dîrnes s'i1 se fallait chauffer ? I1 dit : "Eh,


quand vous voyez q u e 1e feu e s t f a i t , c t e s t f i n t e n tion
t q u t p o u r v u q u e c e n e soit
de I obé issance on se chauffe,
pas avec trop d'empressementrr. ( 1 )
t 1a description qui nous est faire d'une
De même, d après

religieuse obligée de tenir un ustensile au-dessus du feu, la cui-

sine e11e-même du moins partiellenenE devait se faLre dans une

sorÈe de cheminée.

Que si une soeur étant à 1a cuisine, renanÈ 1a casse au-


près du feu, a plus d'amour et de chariré que I'autre,
1e feu matérie1 ne lui ôÈanÈ point, au conËraire, i1 lui
aidera, elle sera plus agréable à Dieu. (2)

Cependant, et avec beaucouP de réalisrne, 1'évêque de

Genève saiÈ que le feu n'esE malheureusement pas une réalité pour

Èous ses diocésains. La vie est dure pour les pauvres dans ces ru-

des contrées de Haute Savoie. Cert.aines remarques, même si elles


t pas tun social" parfaitement anachroni-
n âttégtent d "engagemenË
guêr témoignent de 1a bonne connaissance d'une réalité que plus
t pré1ac se piquait d'ignorer superbemenË.
d un
François de Sales parle à cette occas ion de certains tenPs de

"jeûne eucharistique" au cours desquels il esÈ souhaité par morti-


fabstenir de 1a communion :
ficaÈion de s
Imitant en cecy ceux lesquelz en hyver nront Pas du feu
pour se garder du froid, qui s t advisent de fayte d'au-
plus t et mouvemens; ainsy, ne Pouvant
tant d exerc ices
m'approcher du Saint Sacrement ' qui est 1e feu que
Nostre Seigneur vint mettre au monde, je feray d'autant
plus d t exerc ice et mouvement en 1a vertu. ( 3)

Ce feu demeure néanmoins tellement familier à 1a vie


quot idienne qu'i1 finit par être à 1'origine d'images empruntées

(1) EnÈretiens13O2
(2) id. 1308. La ^ idée érait expriÉe dans lrlntroduct.ion à la vie dévote III,90 so.r forËe
opression directenent méta$roriçe : "rallunes rffi mtin en vostre
coeur, par une dcuzaine de vives aspirations, hrmiliaÈions et eslæcæns aEirreLDCque vors feres
sur ce divin sauvzur de vostre æett.
(3) OennresffiI, 12, inspiré de I,r. 12,49. A une zutre occasion, dans ce fu te:<te, dit du "rè-
glænt de Padore" ccnposélors de sa vie estudiantine, Frærçois de Sales revierdra sur cetËe
rÊme irnaæ des pauwes transis qui doivenc faire de l'e:<ercice polr se rédlauffer.
cf. Oeurres )OCI 44
39

à un bon sens certainement sans faille mais qui frisent le cliché


car i1 faut estre avec eux - c'es! à dire les grands
comme avec 1e feu; crest à dire qu'i1 est bien bon par-
foys de sten approcher mais ne faut pas aussy que ce
soit trop pres; (1)

Prudence de jeunesse qui ne se déurenÈira janais dans les


relaÈions du pré1at avec 1es cours de Savoie, dtltalie ou de
France.

D I une nanière asse z différente, 1e feu demeure toujours


une menace et un danger, une calamité qui peut stabaÈtre autant
sur le paysan, comme en ténoigne ce passage dtune lettre
et je ne veux pas qutil tienne a noy qutil ne soit
desch argê de 1a somme d t avoyne qu'i1 a perdue par 1e
f eu. (2)

que sur 1e monastère, comme 1e montre 1e directoire de 1a soeur


économe aux sages conseils:
E1 1e aura soin de faire neËtoyer les cheminees deux
fois Itannee, er recommandera souvent aux soeurs domes-
tiques d'esËre sur leurs gardes crainte du feu; e11e
visitera apres Matines les lieux ou on 1e fait et les
poës1es. (3)

Sans douÈe f incendie devait-i1 éclater fréquemment plus encore


que de nos jours, comme 1e ItronEre encore cette petite réflexion
croquée sur 1e vif:
La loy dit : Chomnés les jours de feste, ouyes la
Sainte Messe; 1e foeu cependant se prend a la tnayson,
ne I 'este indray- j e donq pas ?. (4)

Enfin, dans une réalité bien connue de cette période,


1e feu peut également rappeler 1'autodafé. Comme en bien d'autres
occasions, François de Sales va faire preuve en ce domaine d'une
extrême modération. Jamais, même dans ses ouvrages 1es plus polé-
miques, il ntappellera à brû1er publiquemenË. les ouvrages de ses
adversaires protestants. Par ailleurs à une époque où en France
1a chasse aux sorcières allumera des bûchers faisant plusieurs
centaines de vict imes , I | évêque de Genève prônera une grande pru-
dence vis à vis des soi-disant phénonènes d'envoûtement, de

(r) Oetrwes )O(I'I 42


Q) id. )ilil. 81
(3) id. )0v 459
( 4 ) id. )oilrl 74
-40

sorcellerie et de possession si fréquenËs dans 1es hautes va11ées


savoyardes. I1 interdira pratiquement, sauf permission expresse de
sa part, toute séance d'exorcisme (1). Point de bûcher donc, fort
heureusement, même si deux mentions nous parlenÈ de ce procédé
pour les ouvrages hérétiques. Une lettre daÈée de 1608 à un cardi-
na1 fait état r €f, latin, de destructions de livres par 1e feu,
mais i1 s t agiÈ 1à d tun phénomène spontané de nouveaux conver-
tis (2); une seconde datée de L620 destinée à soeur Marie-Aimée de
Blonay rappelle
lui avec malice un souvenir d'enfance aussi vif et
t
sponÈané qu irresponsable de 1a part de 1a fillette t
qu el 1e était
alors.
Souvenes vous quand vous m'apportasËes les livres here-
tiques que vous avies pris c}i.ez N, et que vous tue disies
avec tant d'ardeur qu'i1 les falloiÈ brusler et Eous
ceux qui les lisoyent. (3)

Si 1e feu apparaît clairement conme une réa1 ité toujours


présenËe dans 1a vie des contemporains de François de Sales il
n'est pas uniquement perçu dans son aspect utilitaire et domesti-
que ou encore très particulier de I'auEodafé.
Nous allons maintenanË considérer une deuxième source d'inspira-
Èion qui nous montrera un feu toujours très direcLemenË observé
mais décrit de manière plus poétique, imagée et moins prosaÎque.

1112 Le feu, observé directenent, pris comme symbole

Le thème du feu prend une irnportance considérab1e dans


1'esthétique salésienne. I1 y constitue 1e synbole par excellence
en Èant que jusËemenÈ i1 est le symbole de I t amour.
Lramour est comne 1e feu, duquel plus 1a rnatiere est
delicaÈe, aussi les flamures en sont plus claires et
be11es, et lesquelles on ne sçauroit mieux esteindre
qu'en les deprinant et couvrant de terre (4 ) .

La noblesse du feu est ainsi soulignée, qui esr toute semblable à


1a noblesse de 1'anour et nous parle déjà de lui. Et i1 esË.

(1) A la nÊme époqræ des dizaines de sorcières étaient envoyées au bûclpr ccrrrrE en tfuigne
Nicolas Rémy, procureur du ôrc de lorraine.
RémyNicolas, Ibænolatreiae libritres llgdtnni, in officina Vincentii, I{DAI/ (1595), Èrois
volrqps ln 4o
(2) Oeuwes XI.3

(3) id. xD( 363


(4) id. rv 61
4l

éËonnant de voir que ce feu ne se contente pas de brû1er, avec au-

tant de beauté que son combusEible est finenent choisi, if opère

en outre cetre purification sublime qui évoque déjà 1es hauteurs

de Itamour purifié.

Comme 1e feu ayant séparé petit a petiÈ lfessence de 1a


masse et Itayant du touË espuree, fait en fin sortir 1a
quintessence, aussi 1e saint amour ayant ret iré 1e coeur
humain de toutes humeurs, inclinations, et Passions,
autant qu t il se peut, i1 en f.ai-t par apres sort ir I'ame,
affin que par cette mort, pretieuse aux yeux divins,
e11e passe en 1a gloire irnmorÈe11e (1).

Dans ce courÈ passage, nous découvrons en François de Sales à 1a

fois 1'homme de science qui parle selon 1es connaissances en "com-


busÈion" de son époque (2),1e urystique qui aspire à 1a plus pure

union avec son Dieu et qui sait que ce1le-ci passera par une puri-

ficaÈion absolue er définitive nommée "mort", I thomme qui observe

enfin, eË sait ce que représenÈe un beau feu et combien i1 peut

être riche de sens.

Ce feu de 1'amour divin va donc être appelé à purifier

intérieurement 1'être du croyant jusque dans 1es recoins les plus

secreËs de son amour-propre.

brusler eÈ reduire en cendres vostre amour propre


t vosEre
et convert ir t.out en flamnes d amour celesEe
chère ane (3).

Cette idée sera très souvenf reprise dans les propos de 1'auteur

corme un leitnotiv revenant toujours sur ceÈte idée centrale du

feu d'un amour qui transforme entièrement.

I1 nous faut eschauffer nosÈre coeur eË allumer en


iceluy 1e feu du saint amour (4)
ou encore :
Dieu soit a j arnais au mil ieu de vostre ame, pour I'en-
flamoer de p l u s en p l u s de son p u r a m o u r, qui esÈ 1a
plus digne eË 1a plus desirable benediction de vosÈre
esprit ( 5 ) .

(1) oer:vres V 42
(2) L€ problà.rp de la ccnùustion était étudié au )MIIàrc siècle avec atÈention, reprenanË parfois
les théories de lrantiquiré et des thèses zur la quinÈessenc€, p. ê. "les Egptiens le disaient
être rm aninal rarrissant eÈ insatiable, qui dÉvorait tq.rt ce qui prerd naissance eË accroissænt'
eÈ enfin soi&..." VigerÈseBlaise, Traité du feu et du sel, Paris, L622, p. û
(3) Oeuwes_)(D( 314
(4) id. )off 426
(s) id. xx 211
-42

La même inage servira de support à une formule drune


rare concision exprinant. I'attitude nystique à 1aque1le sont ap-
pelées 1es religieuses de 1a première Visitation, mais aussi sans
nul doute, tous les lecteurs de 1'évêque qui sren expliquera en
dtaut.res temps.
Les soeurs de 1a Visitation onË fort peu de règIes
pour 1'extérieur, peu dtaustérités, peu de cérémonies
et peu d'0ffices. Que donc e1les y accommodent volon-
tiers et amoureusement leur coeur, faisant naître
I'extérieur de lrintérieur et nourrissant ltintérieur
par I rextérieur : car ainsi 1e feu produit 1a cendre
et 1a cendre nourrit 1e feu ( I ).
Sans doute cetÈe idée de voir 1e feu se nourrir de 1a cendre n'a-
t-e11e rien que de très empirique mais 1a richesse de ce passage
est bien ailleurs : dans cetËe incitation à "faire naître 1'ex-
térieur de f intérieurt', sommaire remarquable de 1 r a t t i E u d e

contemplat ive.
Cette dernière citation nous faisaic entrevoir quel
est, pour 1'auteur, 1e je,, subtil qui unit 1es différentes compo-
santes du feu : à savoir les cendres, les flamrnes et la fumée.

1113 Flammes cendre s eË fumé e s

François de Sales ne redira pas fréquemment que 1a cen-


dre sert de nourriture au feu. Revenant. à une observation sans
doute plus directe, i1 relève en revanche que souvenÈ 1a cendre
recouvre une réalité qui senble éteinte et refroidie alors que
1a braise esË encore bien vive. Nous trouvons cetEe image sous
forme de comparaison dans 1'Int.roduction à 1a vie dévote.
Aves vous j amais veu, Philothee, un grand bras ier de
feu couverÈ de cendres ? Quand on vienÈ dix ou douze
heures apres pour y chercher du feu, on nten Ëreuve
qu'un peu au rnilieu du foyer, et encore on a peyne de
1e treuver; if y estoit neanmoins puysqu'on I'y treuve,
et avec iceluy on peut rallumer tous les autres char-
bons des-ja esteintz. Cren est de mesme de 1a chariËé,
qui est notre vie spiriÈue11e, parmi les grandes et
violentes tentat ions (2) .
La remarque est à la fois d'un très grand optinisne et toute em-
preinÈe dtune luurineuse certitude. Nul doute que 1a charité exis-
te toujours, même dans le coeur 1e plus atoner €nfouie comme un

( 1 ) Entretiens 105

Q) Oeurres III 296


-43

tison que nul ne soupçonne mais qui Peut un jour tout embraser.

La même idée sera reprise trois pages plus Ioin avec un petit de-

grê supplénentaire puisque François de Sales y présuPPose un coeur

déj à recouvert ent ièrement par 1a tentat ion

Voyes vous, Philothee, comme 1e feu estans couvert de


1a cendre, et que 1a Èentation et delectation estoit
rnesme entree dedans 1e coeur et avoit environné 1a vo-
lonté, laquelle seu1e, assistee de son Sauveur resistoit
par de s arnertumes , des deplays irs. . . ( 1)

Dans 1e Traité, cette même iurage sera reprise une dernière fois

pour envisager un cas de figure encore plus crucial puisqu'i1 ne

stagiÈ pas seulement de tentations, mais déjà de péchés venus en-

vahir 1e coeur du croyanË. Même si 1'ennemi est dans 1a place eË

que 1a résistance semble avoir cessér 1e feu ntest Pas morËr 1a

fidé1it.é aimante et efficace de 1a divinité n'est pas remise en

doute
test sous 1a multitude des peches veniels
et c thors,
comme sous des cendres, 1e feu du Saint Amour demeure
couvert et sa lueur estouffee, quoy que non Pas amort ie
ni esteint (2).

Dans ce feu vainqueur du pur anour de Dieu que rien ne

saurait éreindre, 1'évocaEion de 1a flanme va encore servir de

support à 1a comparaison de deux attiËudes de foi dont 1a hiérar-

chie ne seraiL qu'une quest ion oiseuse.

En fin 1a charité et 1a devoËion ne sont. non plus


differentes 1'une de I'autre q u e 1a flamrne I'est du feu,
dtautant q u e La charité estant un f e u s p i r i t u e l , quand
e11e est fort enflamnee e11e s ' a p p e l l e d e v o t i o n ( 3 ).

CetÈe conviction, Itauteur n'eut sans douLe pas 1e temps de la

faire partager à ses lecteurs auss i complèternent qu'i1 aurait sou-

haité 1e faire. Considéré par ses contemporains comme un guide sûr

pour 1a vie intérieure drunion à Dieu, i1 n'auraiE certainement

pas aimé que sa doctrine ne soit saisie que comme étanÈ purement

spirituelle. Pour 1ui, et cette comparaison 1e présente absolu-

ment, 1a "dévotion" c'est à dire ltunion à Dieu est inséparable de

1a charité, ltamour de son senblable. Le sacreEent du frère est

inséparable du sacrement de 1'aute1, comme 1e raPPellent la

( 1 ) Oeurres T'II 299

Q) id. rv 219
( 3 ) id. rrr 16
44

paÈrist ique grecque et 1a tradit ion de 1'Eg1 ise orthodoxe après


e11e. I1 serait vain de les opposer.
Sans doute est-i1 difficile de ménager une transition
harmonieuse entre 1a beauté de 1a flamme et 1a réalité plus étouf-
fante... de 1a fumée. I1 serait êgalement agxêable de ne pas con-
clure par une banalité, ctest pourtant en souriant, du moins inté-
rieurement, que nous remarquerons qutil ttty a pas de fumée sans
feu, et pourtanÈ...
O Dieu, gu€ c'est chose rare de voir des feuz sans
fumee... (1)'
Cette funée ne pourrait-e11e pas être celle de 1'esprir huuain ?
I1 ressenble a 1a fumee, car en montant, i1 se subti-
lise, ec en se subtilisant, i1 se dissipe (2) .

N'al lons pas flairer ici quelque suspecte remarque obscurant iste.
Nous savons combien 1 t é v ê q ue de Genève ainait et prônait 1 tétude
de 1a Èhéologie et se montrait en tous domaines intellectuellement
curieux. Sa remarque porËe sinplement ici sur les limites souvent
dénoncées t
à son époque d une recherche où I t ourrance "ab abstrac-
to", comme se plaisait tant à 1e faire 1a scolastique décadente,
n'arrivait qu'à des subtilités aussi inutiles et affligeantes...
que 1a furnée. E1 1e vise aussi 1a vanité de I'orgueil intellectu-
el (3).
La fumée prendra toujours sous 1a plume salésienne une
acception péjorative. E11e servira à syurboliser successivement
dans certaines de ses lettres'1 tinquiétude, 1es dereglemens, les
mouvemens d'un coeur irrégu1 ier" t
(4 ) , 1e monde qui n apparaît au
mourant que sous cetEe forme illusoire de fumée au moment cru-
cial (5), 1a présence en Chablais des hérétiques - et non bien

évideEEent les hérétiques eux-mêmes - (6), les honneurs enfin à


quoi pourra, en revanche r €n une formulaÈion astucieuse eE

(I) Oeuyres)CII 175


(2) id. rv æ6
(3) I€ systèmÊd'enseignænt étaiÈ solrvent décrié et dénoncéà l'époque drez Rabelais, prédéces-
seur de François de Sales, ainsi que chez Erasrp dans ses dialogæs ldrtiorÈraæs. Voir le 'nÉ.rnire
de M. Ardré Nicolin, Ilniversité de Grenoble et DrrldreimE., L'&olution Édagogiqr.reen France,
Paris, PuF, 1969.
(+) OeuvresXIII 175
(5) id. )0(I 119
(6) id. )trrr 240
, 45

synÈhér ique, être substituée une toute auEre fumée :


si vous aymés 1a fumee des honneurs, vous y treuveres
celle de I'encens (1).

Ayant ainsi considéré les différentes composantes du feu, if nous


reste encore à apprendre ce qui peuË combattre et éteindre défini-
t ivemenÈ 1e feu.

1114 Le feu Deut s'éËeindre

Nous aurions pu croire que 1e feu possédait par essence


une te1le vitalité qu'il était le synbole uême de ce qui ne sau-
raiÈ stéteindre et disparaître. Nous avons vu gue lorsqu'i1 syrnbo-
lise 1e pur amour divin c'est bien ainsi qutil nous est présenté.
Pourtant I'observation directe qui peut être faite des feux que
nous pouvons rencontrer ou même allumer nous persuade du contrai-
re.
La grandeur du feu peut être un é1énent déterminant pour
sa brièveté, feu de pail1e des bonnes inËentions vite oubliées...
Ce sonË les grans feux qui stenflamment au vent ' mays
les peLitz s'esÈeignenË si on ne les y porEe a cou-
vert (2)
I1 est de mêne indispensable que certains feux meurent, du uoins
esE-ce souhaitable pour le maître spirituel qu'est 1'auteur : feux
de 1'amour sensuel, c'est à dire de tout ce qui est terrestre:
richesse, dominaÈion, écrasemenE, bien davantage que les conPlai-
sances charnelles. Et ce feu stéteindra avec de lteau mais mieux
encore grâce à un feu plus fort que lui r le "feu du cie1". Faut-
il voir à ltorigine de cette image quelque "conte de bonne-femme"
faisant "éteindre par qualité plus fort.err 1e feu de cheminée Par
1a foudre ? Peu importe, en définirive. Lrimage est en Èous cas
fort belle, et puis ne rejoint-e11e pas une réalité aujourd'hui
souvent expérimentée qui voit combattre f incendie gigantesque
dtun puits de pétro1e par 1e feu et 1e souffle d'une gigantesque
explosion provoquée à cet effet ? Du reste, ce feu du cielr les
savoyards ne 1e connaissent que trop bien sous la forme de 1a fou-
dre qui tonbe si fréquennent sur les reliefs monÈagneux.
Et par ce moyen, l t amour sensuel et terrestre sera ruiné
par 1'amour celeste, ou comme 1e feu est esteint Par

( 1 ) Oeuwes )MI 291


Q) id. rrr 253
- 46

Iteau a cause de ses qualités contraires, ou comme i1


est esteint par 1e feu du ciel a cause de ses qualités
plus fortes et prédominanEes ( f ).

Toutes ces images offrent une étonnante convergence. Le

croyant est invité à éteindre en lui 1e feu des illusions mais en

acceptant d'allumer en lui celui du pur amour qui 1e consumera

Èout entier.
I
Helas, c esË toy qui me jettes dans 1e feu, et Ëu ne
veux pas que je brusle; tu me jettes 1a fumee aux yeux'
t ? (2)
et fu ne veux pas qu'i1z s enflanment

Dès lors, 1a Eort même n'est plus perçue comme 1a drama-

tique mise en scène de 1tépoque baroque mais simplenent comme ltu-

nion définitive du croyan! avec 1e Ëout amour de son Dieu. L'image

esË ainsi cohérente avec 1es cendres que deviendront les corps (3).

CeLte omniprésence du feu dans les écrits salés iens va permeÈtre

à Itauteur d'utiliser à bon escienE un certain nombre de formules,

d'express ions métaphoriques et de comparaisons qui reprendront à

ltoccasion sous forme de slogan les convictions dont i1 vient de

nous faire part.

1115 Le feu pris au sens figuré dans certaines expressions

Nous pouvons commencer cette illustration par une formu-

1e remarquable d t une rare inÈens ité poét ique en même temps que

Èout à fait familière:

1a dévotion sert de feu en hiver et de rosee en esté (4).

Dans 1a ligne de ce que nous avions pu étudier, le feu

apparaît encore dans des sens positifs : pour évoguer 1e tragique

assassinat du roi de France Henri IV, événement qui "fait éclaEer


t.pplaudissements" (5), 1e courage du duc de Bellegarde
un feu d
que t se de ressembler
comparable au feu alors d autres contentent

à lreau (6), ou bien encore un momenÈ de joie intense synbolisé

de 1a manière suivante :

( 1 ) OeuwesV 312

Q ) Ld. TTI 22I


(3) id. xrv 141
(4) id. rrr 18
(s)id. xrv 309
(6) id. )Mr 213
47

Monsieur de Chalcedoine, mon frere, et moy avons fait


un petit feu de joie, comme participant a tout ce qui
vous regarde (1).

Dans 1e même esprit, 1e feu peut représenter un moment

d'intense dynamisme sous 1a plume de l t auteur.

Jtay fait un sermon ce natin tout de flammes (2);

à moins qu'i1 ne vienne soul igner quelque chose digne d'intérêE


nous cachanÈ souvent les plus belles flammes ou
nous 1e pensions moins (3).

Enfin, 1e feu est enployé de manière négative à deux


occasions, renvoyant aux mauvais feux dont nous parlions précé-

demment. I1 est indiqué qu'i1 convient de...


refuser toutes sortes de choses qui peuvent nourrir ce
feu puant et fumeux des mauvaises amours (4 ),

et dans une lett.re en ital ien, 1a foi cathol ique est conparée à

une braise qui couve sous 1a cendre du culte huguenot (5).

Ces citat ions nombreuses nous on! monEré f importance

de 1a thématique du feu dans Itimage sa1ésienne. Cette thématique


prépare et complète 1e Ëhème du soleil, source de 1a lumière que

nous évoquerons dans un deuxième temps. Sans anticiper sur cette

étude, nous pouvons remarquer que 1a plupart des images de feu

sont présentées comme positives et annoncent ainsi un héliocen-

trisme littéraire et théologique qui viendra tour naturellemenË

dans 1a su ite du propos .

Il convient maintenant de passer à 1a troisième source

d'inspirat ion des images de nature pour voir si 1a science de

1tépoque a inspiré, avec ltimage du feu, des comparaisons à I'au-

teur.

1116 Le thème du feu dans 1a science

Le nombre d'images et d'allusions au feu utilisé par la


science est beaucoup moins cons idérable que dans I a premiè re par-
tie de notre recherche qui considérait 1e feu comme part ie pre-
t par En fait, trois
nanÈe d une nature observée I'auteur.

( l ) 0euvres )Q( 187

Q) id. xrv 254


( 3 ) id. xD(211
(4) id. rrr 211
(s)id. )trr 90
.48 -

disciplines scientifiques seulement sont mentionnées. La médecine


qui vient en tout premier avec quatre imagesr la physique avec
une image et 1a ba1 ist ique avec une image également.
La nédecine du tenps de François de Sales avait souvent
recours à prat iques qui nous paraissen! thui
des aujourd d'une bar-
barie inouîe. Pourtant s'i1 fut une époque où cetÈe discipline
progressa de nanière spectaculaire, ce fut bien 1a Renaissance.
Les premières dissect ions anaËoniques commençaient à devenir mon-
naie courante, de grands médecins comme Vésale avaient osé tracer
des voies nouvelles. L'Université de Padoue où, faut-i1 1e rappe-

ler, François de Sales étudia, installé tun touE pre-


avait I des
miers amphithéâtres de médecine et François de Sales lui-mâme,

lors dtune maladie jugée irrémédiable par son en!ourage, avaiÈ dé-
cidé de remeÈtre son corps à 1a science. Mais si 1'auteur resta

toujours passionné par les découvertes nouvelles, i1 ne convient


pourtant pas d'en faire un médecin. Nous verrons au cours de notre
érude ce qu'i1 diÈ de 1a médecine. Pour 1'heure, contentons-nous
de considérer 1e rapport qu'i1 indique entre 1e feu et cette
discipline.

1'on met 1e feu et 1e fer a des playes (1).

Ce procédé brutal que 1'évêque subira à 1a fin de sa vie dans des


conditions pénibles est, semble-t-i1, fort redouÈé des paËients
qui sont amenés à 1e subir. En térnoigne cette petice remarque gla-
née dans les 0puscules:

r0etrre 1e feu a sa playe par ordonnance du medecin est


possible et facile, mais non pas avec promptiÈude ains
avec resistance eÈ frayeur (2).

Sans doute, dans 1a logique analogique t


de 1 époque, s'agissait-i1
de combattre 1e feu par 1e feu, puisque 1a fièvre n'était pas

décrite auÈrement que comme un feu intérieur:


Voyla bien des feux, ma tres chere Fille, la fievre com-
me un feu enflamme vostre cors; le feu, conme une fiè-
vre, brusle vosÈre tnayson; mays j'espere que 1e feu de
tamour (3).
l celeste occupera tellement vostre coeur
Mais un nalheur ntarrive janais seu1... comme ltindique cette ré-

version qui présente de plus une utilisation nétaphorique de

( 1 ) Oeuvres )0n]|[ 97

Q) id. )oilIl 13
(3) id. xx 23
49

ltinage du feu. Laissons 1à 1a rnédecine pour ltinstant afin de

regarder les deux autres sciences citées. La physique, mentionnée

une fois de nanière indirecte, invite 1e lecteur à observer 1e


phénomène de réfracEion d'un rayon de soleil sur un miroir qui

permet de produire du feu. Nous aurons du reste lroccasion de re-


garder avec plus de précision cette image à Itoccasion de notre

étude sur 1e soIeil (1).

Notre dernière évocat ion de nature scient ifique sera

donc balisËique avec une alliance de terme quelque peu surprenan-

te entre un canon eË... Itamour de Dieu :

Ne voyons-nous pas que 1e feu, synbole de 1'amour,


forcé de sortir par 1a seule bouche du canon faLt un
prodigieux qu t il t
esclat feroit beaucoup moindre s il
avoit ouverËure par deuz ou Ërois endroitz ? (2)

pas une tel1e rheure,


Ne suspectons image de militarisme avant 1

François de Sales n'avait guère de synpaÈhie pour 1e passage ré-


pété des troupes des différents souverains qui manoeuvraient sur

son diocèse. Nous trouverons sous sa plume plus d t une réflexion

amère à ce sujet. I1 ntesÈ point non plus de ceux qui convertis-

sent à coups d'arquebuse, sa cé1èbre harangue d'intronisat ion

comme Prévot du Chapitre de Genève (3) f indique assez claire-


ment. Lrimage ntest choisie ici que pour sa force dtévocaÈion eË

la vigueur de ce qu'e11e représente.

E11e nous prépare assez mal, sans doute, à examiner 1a troisiène

source d'inspiration littéraire de I'auEeur : 1es humanistes

anciens.

1117 Lr inspiration des hunanistes anciens

Nous n t avons relevé aucune image parlant directement du


feu qui soit explicitement inspirée de ces auteurs, signe mani-

feste que contrairement à une idée largement répandue - et dérnen-


t ie dans 1a recherche de Mons ieur Lemaire (4 ) - François de Sales

ne puise presque exclusivement ses exemples que chez les Anciens.

Dans Ie recueil des similitudes qui a été impriné dans

(1) Oer,nrres
W 157
(2) ibid. s6
(3) id. vrr 99 sq.
(4) tbnri Tarnai;g, crp. cit.
.50

1e Tome XXVI des Oeuvres complètes, on trouve 1a réfêrence à un


extrait de Pline relatif aux feux qui viennent sur les navires.
Nous verrons ce point
dans 1e passage concernanÈ 1a navigation (1).
En revanche, 1 r inportance du corpus de citat.ions men-
tionnant 1e feu dtaprès des traditions bibliques est beaucoup
plus considérab1e. Nous a1lons 1'examiner naintenanE.

1118 Les images de feu inspirées de 1a Bible

Comme nous I'indiquions dans 1a présenÈation générale


de ce thèmer le feu Èraverse toute la Bible et apparaît comne 1'un
des é1éments essentiels de 1a synbolique.
La partie de Itoe.uvre de François de Sales que nous étu-
dions, en exceptant les Sermons (2) , présente à e11e seule un
grand nombre drallusions, de comparaisons, de nétaphores qui pui-
sent leur inspiration dans 1'Ecriture.
Nous commencerons de manière quelque peu chronologique
par 1e Livre de I'Exode qui nous présente 1e thène du Buisson
ardent
Moyse vit 1e feu sacré qui brusloit un buisson et ne 1e
consumoit nullement, mais au contraire 1e feu prophane
de ltavarice consume et devore l tavaricieux et ne 1e
brusle aucuneloent ( 3) .
Ce passage de lrlntroduction à 1a Vie dévoÈe senble se contenËer
de rapporter sinplement 1e passage biblique; 1'utilisation qui en
est faite est plus surprenante. Nous voyons en effet apparaître
ici une application de sens tropologique du feu de Moîse à I'ava-
rice qui vient sropposer au sens analogique du feu du pur amour
de Dieu. L'ambivalence du syurbole permet cette superposition qui
donne 1a possibilité d'éviter 1e piège de 1a présentation naîve
d'un synbole qui serait. tout enËier pos it i f.
Dans une lettre de 1612, 1e ton est assez di.fférent er
beaucoup plus vif. La synbolique du feu du buisson nous surprend
moins:1e feu symbolise ici 1e pur amour que nous avions évoqué

(f ) Oeuvres)OMI 151
(2) Iæs Serrcns reprennent. la plupart du tenps 1ss ir'âges présenÈéesdans les autres oeLvres.
l,bntionnons cependant un intéressant et original ccmentaire du festin drAbratran çi reçoit à
midi, so.rs le soleil, trois voyageurs. Cen 18,I sq. Iæ soleil est ici perçu ccrrrF la divire
présence qui ilhmirre tcute cetËe révélation trinitaire. cf. Oeuwes D( 1O5
(3) OeuwesIII 186 cf. Ex 3,2
' 51

dans les citat ions précédentes.

Ce rapprochement avec 1'Ecriture tune mysËique t


d inage d origine
simplement naturelle permet d'asseoir 1es développements précé-

dents en leur donnant ltautorité de ltargunentation scripturaire.

Or, vous sçaves, ma tres chere Fi11e, que 1e feu que


Moyse vit sur 1a montaigne representoit ce saint amour,
eÈ gue, comme ses flamnes se nourrissoyent enÈre les
espines, aussi Itexercice de 1'amour sacré se maintienÈ
bien plus heureusemenÈ parmi les tribulations qu'emmi
1es contentements (1).

L'emploi de I'un des détails du récit, les épines du


buisson, permet ici un développement que nous reËrouverons de ma-
nière assez courante sous 1a plurne de 1'auteur qui se p1aît à sou-
ligner 1es difficultés et peines que provoque 1'amour. Le thème de
1a rose et des épines sera, ainsi, usité très abondammenÈ.
Dans un passage du Trqité de I'amour de Dieu, f inspi-
raÈion va se révé1er identique mais avec un Èon beaucoup plus mys-
tique. Le terme de feu va être rapproché de celui d'amant, terme
privilégié du Cantique des CanÈiques:1e ton en devient pathé-
tique et très prenant :
Hé, je 1e voY, ce cher Amant, qu'i1 esË un feu d'amour
bruslant dans un buisson espineux de douleur et j'"rt
suis toute de mesme, j e suis toute enflammee d I amour
dedans les halliers de mes douleurs, je suis un 1is
environné d'espines ( 2 ) .
Le buisson épineux est associé à 1a douleur, rejoignanÈ allusive-
Eent ltidée de Ia couronne d'épines du Christ mais aussi tout un
courant hagiographique populaire si lron pense à François
dtAssise se jetant dans un rosier torse nu pour mâter "frère
âne". L'a1liance des mots "halliers de douleurs" est originale,
inspirée assez librement d'une inage psalmique également faniliè-
!êr celle du cerf altéré. Lrallusion au Cantique vient couronner
1e tout en opérant un dernier rapprochement avec f image du "1is"
enÈouré d r é p i n e s que nous évoquerons dans 1a flore salésienne.
Après cesau 1 ivre de I'Exode,
trois renvois nous exami-
nerons une série dt images concernant l t a c t i v i t é cultuelle de
I'Ancien Testament et tout particulièrement l tusage de 1'holocaus-
Èe. L'immolation et la crémation de 1'agneau sans tache trouve son

(1) Oeuwes )CV 345


(2) id. frr 273
-52

origine dans 1a nuit pascale qui précède 1e déparr précipité du


peuple é1u de 1a terre de souffrance et d t esclavage qu t était
1'Egypte. I
L inage de I t h o l o c a u s t e devait faire partie du paysage
intérieur des religieux et religieuses de 1'époque conme en ténoi-
gne cette inage simplement allusive:
par un feu tout nouveau, vous renouvellasÈes 1 rholo-
causte de vot re coeur ( 1 ) .
E11e peut être aussi sous-entendue comne dans ce propos sur 1a
Vie rge Mar ie :
J tespere en NoÈre Dame que janais aucun feu n'embrasera
nos coeurs que celuy du Saint Amour de son f Llz, pour
lequel je suis en toute verité Ëout votre (2).
Cet holocauste en même temps que 1a notion de sacrifice
pur évoquait 1a nécessité de 1a purificat.ion, contraireEent à ce
que confessaient les Réformés pour qui :
nullum esse post hanc vitam ignem purgat.orium ( 3).
Cette purification du feu de Itamour se nomme du resÈe dilection;
t
l idée est ici cohérente : 1es différentes parties du feu sont
une fois de plus détai11ées, 1e feu étant celui de ltamour et 1es
flarnmes 1e signe de Ia dilecËion, c'est-à-dire de 1a charité.
Ce divin amoureux mourut entre 1es flammes et ardeurs
de 1a di1ection... Quel brasier pour nous enflanner
pour faire les exercices du saint amour pour 1e sauveur
tout bon, voyans qu'i1 les a si arnoureusemenË pratti-
ques pour nous qui sommes si mauvais (4 ).

En s I appuyant toujours sur 1e thème de 1'holocausÈe ancien, ce


passage nous introduiË directement dans I ' é c o n o m i e du salut du
Nouveau Testament : 1e sacrifice parfait, 1e feu de Itamour crest
1e Christ, vict ime pascale ironolée volontairement pour un holo-
causte définitif et fondamental.

(1) OennresÆTI 24I


(2) ibid. xJ,rr 242
(3) id. )OCII 17 traduiË ainsi : "I1 n'eniste aucun fzu prrificatoire après cette vie". Iæ rite de
l'holocatrste no,.rsesÈ soigreusoent décriË dæs le Livre du L&itiqtæ, 6,2 sg. : 'Voici le rituel
de lrholocauste : cet holocauste reste sur le brasier de lrautel tcute la rnrit jusqu'aumatin eÈ
le feu de lratrtel y brûle... Iln feu perpéttæl brûlera sur I'autel sans jæais s'éteirdre." Nols
tro.wons r-ne allusion directe à cette prescription dans le passagesuivant tiré drr.ne lettre à
Jeanre de Grantal : tDieu soit votre Dieu, na clrere Fille, Dieu soit votre Dieu; et vostre coeur,
que vous luy arresdonné, soit sa maysqr, son autel, sur lequel nuit et jarr il fasse ardre et
luire le feu de ssr saint æmr." OeuvresW 297
(4) Oer:rrresV 232
. 53

Cet holocauste tagneau


de l identifié au Christ sera ainsi exprimé:
Ce que je ne pourroy mascher de cesË Aigneau Paschal
je 1e jetteroy dans 1e feu du pouvoir infiny de ce Pere
tout puyssant auquel je croy ( I ).

Parallèllernent aux usages sacrificiels du peuple Hébreu,


nous trouvons sous 1a plume de François de Sales deux allusions à
un fait relaÈé dans 1e Livre des I'laccabées (2).

Lhors que Nabuzard,an detruisit Hierusalem et qu'Israë1


fut mené en capt iviré, 1e feu sacré |
de 1 autel fut caché
dans un puits, ou i1 se convertit en boue; nays cette
boue, tiree du puits et remise au solei1 thors du retour
de 1a capÈivité, 1e feu mort ressuscita ef cette boue
fut convertie en flarnmes (3).
Ce texte permet à François de Sales d'opérer un para1lè1e intéres-
sant enËre ce feu qui retrouve sa véritable nature après un long
tenps d'obscurité boueuse eÈ les oeuvres des hommes convert ies en
flammes par les rayons de 1a niséricorde divine. Le texte rapporté
esË touÈ à fait conforme au propos biblique urais nous pouvons no-
ter au passage que c'est 1e soleil qui esE à 1'origine de 1a révé-
lation que cette boue puisée se transforme en flammes. Lrinportan-
ce et 1e rô1e du soleil seront développés dans 1e chapitre sui-
vant. François de sales, pour une fois, ne semble guère désireux
de donner un trop large développement à ceLte comparaison qui
pourrait prendre I'apparence dtune allégorie. Dans 1e texte bibli-
guê, en effet, il esE précisé que des nuages obscurcissaient 1e
soleil jusqu'au monent où 1e rayon put percer eÈ déclencher 1e
feu. En d'autres occas ions, un rel détail eût étê ut i1 isé par
I'auËeur (4).

Nous ne trouvons qu'une seule inage du feu qui soiË d'origine


psalmique; elle est enpruntée au Psaume 68 :
Dieu se 1ève, ses ennemis se dispersenË et ses adver-
saires fuient devant 1ui, comme se diss ipe 1a fumée,
tu les dissipes.
François de Sales se contente de citer Ie texte en

(1) Oeuwes)O([II æ
(2) 2 È1€lc
r, ty22
(3) OeuwesV 284
(+) Cette bqre inflærable tirée du prits fait sans dcute penser à du péÈrole, ce qui rendrait
scientifique"pnt crédible ce "sigre" bibliqr:e. Cette interpréÈation nrest en tqls cas pas dans
les préoccupations de lrauËeur, bien qu'on lise dans le Traité cette particulariré qu'en Dau$riné
l'on connaît : "Ltrrfetr qui par ueweille se rnrrrit en uË fontaire proclre de Grenoble" cf. fV 63
-54-

latin
sicut definit fumus, deficiant (1)

Le feu étant retrouvé et brûlant de nouveau nuit eË jour, 1a pé-

riode post-exilique de la vie du peuple hébreu ne fut point pour-

tant exempte de surprises par rapPorE à leur Dieu et à ses mani-

festations. François de Sales fait allusion ici à 1'opposition

manifestée par Dieu à 1a reconstruction du Èemple de Jérusalem:

Et voicy que les merveilles redoublans r uD grand feu


sort it de terre, lequel s'attachant aux preparat ions
faites pour 1e Temple eË aux out ilz des ouvriers, ne
cesse point qutil ne les eust consumés a Ia veiie de
Èout 1e peuple (2).

Ce trait tiré de ltun des deux ouvrages po1éniques de 1'augeur

prend place dans une série de roiracles que le prédicateur aligne

pour impressionner ses contradicteurs protesËants. HabiËuelle-


thagiographie, ces exemples
nent puisés dans 1a Patrologie eË l

cessèrent progressivement de servir de natériau dans 1es autres


t avec 1a disparit ion d'un style
oeuvres, leur ut il ité s esÈompant

b ien part icul ier inposé par les c irconstances .

Les autres citations nous présentant 1e feu vont trouver Ieur

origine dans 1e Nouveau TestamenÈ. La très courËe parabole de 1a

larope qui n'est pas allumée pour être mise sous 1e boisseau re-

vient à deux reprises

Comment cacheroit-on 1e feu ? Je ne puis non plus


celer ltextreme affection que jt"y au milieu de mon
coeur a vous honnorer de toute ma force (3).

Cette lettre adressée au général des Chartreux est d t inspirat ion

très ecclésiastique sans doute, mais e11e indique en tous cas

une familiarité avec les EcriÈures qui devient naturelle dans 1a

composit ion de I'auteur. Une autre lettre au pape pour inËercéder

en faveur de 1a canonisation dtAmédée de Savoie reprend 1e même

Ëerne pour un uot i f d i fférent :

et
ne laisses pas plus longtems sous 1e boisseau
cette lampe a l l u m e e par 1e feu divin, nais places 1a
sur 1e chandelier, a f i n q u ' e 1 1 e e c l a i r e tous ceux qui
sont dans 1a m a i s o n ( 4 ).

( 1 ) Oeurres )OtrI 15 cf. Ps 68, 2-3

Q ) id. II r22
( 3 ) id. )0( æB
(4) id. )v t77
-55-

Une autre parole évangé1 ique concernant 1e feu revient à plu-


sieurs reprises dans les Entretiens :

J'ai apporté 1e feu sur 1a terre ( I ).

Dans 1e texte de Luc, ce feu doit être pour Jésus à 1a fois celui
qui acconpagnera 1e jugeurenË de Dieu dans les tableaux eschaËo1o-
giques qu'i1 décrit et 1e feu de 1a Pentecôte, présenté comme un
nouveau Baptême. François de Sales ne retient aucun de ces deux
sens. Pour 1ui, 1e feu esÈ Èoujours lramour et 1a charité, aussi
inséparables, comme nous 1'avons vur que 1a flamme I'est du feu:
Nostre Seigneur avoit. mis 1e feu de sa charité au monde,
les apostres avec 1e souffle de leurs predications
I'avoyent estendu et faict courir par I'univers : on diÈ
qu t il estoit esteinË par 1 t eau de 1 I ignorance et super-
stit.ion; qui 1e pourra rallumer 1. Le souf f 1e n'y sert de
r ien; i1 faudroit doncques peut esEre rebattre de nou-
veau avec les clous eË 1a lance sur Jesus Christ., pierre
vivante, pour en faLre sortir un nouveau feu ? (2)
Nous retrouvons ici 1e style un peu rugueux des Controverses qui
ne possèdent pas 1a limpidité et 1'unité d'inspiration qui suivra
dans les autres oeuvres. La complaisance est presque baroque, qui
invite avec quelques détails précis à recrucifier 1e Christ pour
en faire rejaillir 1e feu: argumenÈ polémique qui comporte quel-
ques incohérences, à force de vouloir touË dire entre 1es images,
celles du feu, ce1le du Christ en croix et celle de 1a pierre
vivanÈe.

Le développement que nous trouvons de 1a mêne image dans le Traité


est beaucoup plus élaboré, présenÈant une synthèse de plus ieurs
citations bibliques harmonisées entre el1es:
que 1e Sauveur a apporté 1e feu du SainË Amour et ne
desire rien plus sinon qu'i1 brusle nos coeurs, que 1e
salut esË preparé devant la face de ËouËes les nat ions,
lurniere pour eclairer les gent.ilz et pour 1a gloire
d'Israë1, gu€ 1a divine bonté ne veuÈ point qu'aucun pé-
risse, mays que tous viennenÈ à 1a connoissance de 1a
vérité (3).

Dans certains passages de 1a correspondance, François de Sales


propose des formules lapidaires sous forme de slogan qui indiquenË
des développernents nouveaux de cette même irnage évangél ique :

( 1 ) I-c 12,49 dans Entretiens 1225

Q ) OetrwesI 128
( 3 ) cf. dans l'ordre t It L2,49 -Lc.2,3I - II P 3,9 dans OeuyresW 288
-56-

Portes tous-jours a cet effect sur vos levres et par


vos langues 1e feu que vostre ardent Espoux a apporté
en terre dans les coeurs (1)
ou encore:

en attendanÈ, esperons perpetuellenent, eÈ faysons


place a ce sacré feu vuidant nosËre coeur de nous
mesrnes tant qu'i1 nous sera possible (2).

Ce feu sacré qui change tout en soy veuî11e bien


transmuer nostre coeur (3).

Ces fornules composent à I'aide d'inages di 1fêrentes, celle des


langues de feu de la Pentecôte et du feu des coeurs, une synrhèse
très riche qui ne renie aucune foncËion de ce feu amoureux et de
la transformation positive qu'i1 opère sur 1e croyant, discrèÈe-
ment évoguée par I'image de 1'alchimie.
A d'autres occ.asions, 1e style se faif plus lyrieu€r évocaËeu.r,
avec lrutilisation d'interjections et d'interrogations oraËoires
O feu adrnirable et sacré qui enflammés cett,e poitrine,
tnon Dieur guê vous estes ardent ! Le vent des tribula-
tions accroist vos flammes, 1a glace de vos persecu-
tions donne force a vos ardeurs. Quand sera-ce que tnon
coeur sera embrasé de ce celeste feu de charité et que
jtayureray mes ennemis ? Ah, je suis bien esloigné de
certe sainte flanme ! Une goutte de I'eau de nesdisan-
cê r un seul vent de quelque pet iÈe injure estainË sou-
dainement toute Eron amitié et 1a convertit en glace eË
neige (4).

Lridée de ce feu qui se convertit en glace et neige est


or iginale et présente un contre-poinE intéressant t
à l irnage bi-
blique de 1a boue qui srétait. retransformée en feu. Lranalyse gue
fait I'auteur de lui-même est sans complaisance. Pour 1e chré-
tien, I ramour vrai doit aller imnédiatement jusqu'à 1'amour des
ennemis.

Seul 1 rEsprit Saint (5) donnera cetËe force ÈellemenL


contre nature, feu qui vienÈ en une Pent.ecôte continuée faire
écho à tous les feux de 1a rencontre que nous avions évoqués.
Je ne cesse point d'iurplorer 1e Saint Espr it pour vous ,
af.f.i-n qu'i1 vous eschauffe de plus en plus eÈ qu'en fin

( 1 ) Oerffres )0ilII 346

Q) id. )vrrr 235


( 3 ) id. )$ 62
( 4 ) id. )0$rI 178
(s)La Prédicatiqr reprrendraà diverses reprises ce thfu du feu de lrEsprir.
OeuvresVII 7, VII 9, VII 15, VtI 17 etc...
-57-

i1 vous brusle tout du feu sacré de son saint. amour (f ).


Cette force seule Peut du resÈe opérer les transformations radica-
1es auxquelles 1'évêque de Genève ne cesse de rêver pour reconqué-
rir sa ville épiscopale. s'i1 faut faire feu conËre Ia cité de
calvin et de Théodore de Bèze, crest avec 1e feu évangélique,
conme if 1'explique dans un mémoire en italien au pape :
chè cosi si. accenderà vivamente i1 fuoco evangelico
tutÈo a f interno di Genevrini per cacciar i1 freddo
boreale che Cli agiaccia (Z)

Le feu évangélique n'est du resËe pas à confondre avec


un tout auEre feu, ecclésiastique, mais fondauentalement mauvais:
celui des querelles et controverses entre théologiens catholiques
à propos de La grâce eÈ de 1a prédestination.

". . . tuEtavia, già che s i vede che 1a cont inuat ione


di I it igar, disputare eÈ alLercare non spinge ( s ic ) ,
anzi accende i1 fuogho, sarà molto più giouàvo1e iI
silentio che 1a dispuÈa." (3)

I1 nous rest.e encore à considérer plusieurs citations qui se trou-


vent dans dtauÈres rextes du Nouveau Testament que les textes de
I'Evangile.
Dans les Contr_eJllle€q, nous Èrouvons une allusion à 1a Deuxième
Epître de Pierre (4): "De p1us, nous avons la parole des prophè-
tes qui est 1a solidité même, sur laque11e vous avez raison de fi-
xer voËre regard comme sur une lampe brillant dans un lieu obs-
curtt. . .

C t est donq un niveau Ères asseuré, c


t
est un flambeau
luysanr es obscurité (5).

Les traditions aPocalypt iques nous présentent un certain nombre


d'allusions au feu dans 1e jugeurent post mortem.
L t auteur nous propose par ailleurs une très ég'onnante

(l) Oeuvres)0( 382


(2) id. DCII 183 traduit ainsi : "Ainsi le feu êvangélique sralluuera plus inrense autq.r des
Cerevois porr dlasser Ie vent du tbrd qui les glace." Ce fzu nta rien à voir avec une quelconque
vengeancedivine, telle que celle que denardèrent - en vain ! - les apôtres à Jésus et que
François de Sa1esrapporte : 'l'laître, veLDrtu que nor:s fassions tcùer le feu ôr ciel por.r les
abî"pr et dÉtier de lro.rtrage qr:tils te fonÈ ?" cf. Entretiens lOgO
(3) Oeuwes Xf 187; se traduit ainsi : 'l'lais prisqu'on voit que par Ia continuation des plai-
doyers, des conEroverses,des altercaticns le feu s'alhue au lieu de stéteirdre, le silence
sera bien plus arrantaggr-ur
qæ la discussion elletfu."
(4) rr P 1,19
(5) oer-nrresI, L49
-58-

exégèse d'un passage de 1a prerrière Lettre de Saint Paul aux


Corinthiens évoquant 1e jugerrent : 1'é1ément qui sous-Èend la
t
comparaison enployée par I apôEre est celle de l t architecre qui
a construit une demeure en ayant 1e choix de ses matériaux. Le
jugement est appliqué à son oeuvre par 1e feu. Lfidée en est as-
sez traditionnelle, ce1le du feu qui purifie d"9 scories et dé-
voile Ia pureté de 1a vérité. "L'oeuvre de chacun sera mise en
évidence. Le jour du jugernent 1a fera connaître, car i1 se mani-
feste par 1e feu, et 1e feu prouvera ce que vauÈ 1'oeuvre de
chacun.t' (1). Face à ses contradicteurs proEestants qui niaient
1a réa1ité de cetÈe affirmation catholique, François tire de cette
citation 1a preuve de Itexistence du Purgatoire :
Le feu par lequel 1'architecte se sauve ne se peuË
I
enÈendre d auÈre gue 1e feu de Purgato ire , car quand
I rapostre dict qu'i1 se sauvera, i1 exclud 1e feu de
I'enfer auquel personne ne se peut sauver et quand il
dict qu'i1 se sauvera par 1e feu, et qut il parle de
celuy seulement qui a suredifié 1e bois, 1a canne, le
chaume, i1 monstre ne parler du feu qui precedera 1e
jour du jugement puisque par iceluy passeront, non
seulement. ceux qui auront suredifié de ces nat ieres
legeres, mays encores ceux qui 'or,
auront suredifié 1
lrargent, etc... ( 2 )

Nous surprendra beaucoup moins, sans doute, cette évocaË ion du feu
de I'enfer :

Hé, ne vois-tu pas r miserable coeur, que secondant cette


tentation les effroyables flanmes renfer ratten-
de I t
denÈ, et que tu perds 1'heritage eternel du paradis (3).

La bête de IrApocalypse, Satan, opérera êgaLemenÈ des miracles


selon le Livre de 1'Apocalypse (4 ).
L'une des ruses favorites du diable a encore, en ef fet, rapporf
avec 1e feu : crest de déuroraliser 1e malheureux pécheur en lui
faisant inaginer un Dieu terrible :
Et quand ( te diable ) les a renversés par terre, i1 fait
venir Dieu en leur imaginat ion environné d'esclairs et
de flammes, eE tout couvert de feu pour les reduire en
cendres (5)

( 1 ) I Co 5,6

Q ) Oerlwes I 371
( 3 ) id. v 298
(4) Ap 13,13,cité sirylerpnt dans Oeuwes I 103
(s)Oeurres)0IIII 3m
-59-

Une mention est encore faite d'une tradition post scripturaire :

ce1le de I'Assomption de 1a Vierge Marie :

enfin 1e feu sacré de ce divin amour 1a consuma toute


comme un holocauste de suavité ( I ).

I1 faut enfin, pour être complet, mentionner plusieurs

al 1us ions au feu présentées par 1a t.radit ion patrologique.

Un enprunt esÈ fait à Saint Augustin, de manière très

classique :

1e grand sainÈ Augustin aËteste, aussi 1a sainte chari-


t-ê est si forte qu'elle nourrit ses flammes et ses con-
solations emtni les plus tristes angoisses de 1a nort,
et 1es eaux des tribulations ne peuvent esteindre son
feu.(2)
La même idée se retrouve chez Saint Bernard :

Nostre Seigneur avoiÈ nis 1e saint feu de sa charité au


monde. . . non non dict saint Bernard ttles torrens sont
venus, les vens ont soufflé et 1'ont combatEue, e11e
n'est point tumbëe parce qu'e11e estoit fondëe sur 1a
pierre", ec 1a pierre esEoit Jesus-Christ (3).
Dans 1a Défense, deux traits hagiographiques de caractère niracu-
leux semblent pour noËre goût. moderne d'une inspirat ion plus dou-
teuse. Ils ont du moins f inEérêt de nous faire percevoir le genre

d'argument qui venaiË appuyer 1e discours de 1a controverse :

1e feu descend du ciel qui terrasse et met en pieces 1a


statue de Julienr laquelle demeura Èoute noircie et
comme bruslee. . . (4 )
eL 1'histoire de Saint Paulin qui tune
éteint un incendie d maison
par t :
l imposiÈion de 1a croix

Je prends de ce saint bois de 1a croix eE en jeÈte un


seul eschant il1on a travers de ce feu, 1'on conneut tout
soudain conb ien i1 avoit peu, la flanme respectant notre
salu! s'arreste. Ce ne fut poinË ma voix ni ma main plus
puissante mais 1'effort de 1a croix qui luy fist ceste
peur. (5)

Beaucoup de ces inages de feu seront encore enrichies par 1'évoca-

tion de lrastre qui est feu par excellence : 1e so1ei1. C'est elle
que nous allons étudier tnaintenant.

(1) OeuvresV 52
(2) id. N z7lévoquant : St Augrrstin, De civitate Dei 1, XKI, CVII
(3) id. I 65 évoquærtSt Bernard, Semnn79 in Cant
(4) id. rr 20s
(5) ibid. rr 85
-60-

tL2 Le solei1

1121 Présentarion de lrirnage

Ltirnage du soleil semble bien être une constituante

majeure des oeuvres de François de Sales que nous étudions. Dans

les mythes 1es plus anciens, déjà, cette irnage esÈ au centre des

oppositions inévitables qui semblenË composer 1e cosmos : lunière

par opposition aux ténèbres, chaleur bienfaisante par oPposition

aux frinas glacials. Sa représentation se divinise parfois chez

les grecs par exemple avec 1a figure de Phoebus-Apollon, très en

vogue à 1a Renaissance. Cette représentation n'est pas 1e faiC

d'hommes primitifs et peu spéculatifs ou encore La production

dtesthètes uniquement en recherche de quelque juvénile forme à

statufier, elle participe avec des Penseurs comme Pythagore ou

Platon à 1a crêation et à 1a rnise en oeuvre d'une métaphysique

qui se dit sous 1a forme de mythes dtune puissance d'inspiration

souvent inéga1ée. Le mythe de 1a Caverne, Par exemple, présente '

avec 1a reprise dtune intuition platonicienne mise en figure, un

monde en raccourci qui nécessite pourtant indéniablement 1a 1u-

mière du soleil.
- TTegùflrOc yo?Etuv liveu lotég vâ t'â)'ec ( 1)
Les ombres, réalités visibles dans ceLte figuration, ne son! Pas

autre chose que 1es reflets pâ1is d'une réalité transcendante et

lunineuse.
CeLte métaphys ique de 1a lumière qui naquit en une con-

Èrée Èoute baignée de soleil fut rePrise, entre autres, Par 1e

romain Virgile. Pour résumer f intuition qui traverse 1'enseroble

de cetEe oeuvre immense, Paul Claudel a eu ces mots :

Il ne s'agit pas de friser et de pommader 1a nature


il stagit dty mettre 1e feu.

On constate aisément à 1a lecture des Bucol iques et des

Géorgiques combien ce rêve général de luminosité transfigure 1a

réa1 ité 1a plus quot id ienne .

Le Christ ianisme naissant vouluË, dans un premier


tun paganisme avec 1e-
Èemps, se démarquer des vieilles coutumes d

quel i1 se trouvait en concurrence. I1 stJt planter des croix sur

(l) platon, traduit ainsi : "des choses pythagpricieilres, ne parle pas sans ltmière".
-6r-

les anciens 1ieux de culÈe et bapt iser les dates des sol st ices
celle de Noë1 par exemple - pour promouvoir son propre message.
Le thène de 1a lumière et du solei1 retrouva 1à une diurension
nouvelle en s thartnonisanÈ avec un conEenu biblique duquel i1
était bien loin d'être absent.
En effet, dès 1e Livre de 1a Genèse, 1e Dieu créateur

commence par séparer 1a lunière dtavec les ténèbres (l). Dès

lors, c'est 1a création toute entière qui sera 1e charnp immense

d'un combat enËre lumière et rénèbres, forces de vie et forces de

ma1. La Ëradition biblique évitera pourtant toujours de durcir

cette vue dramatique du monde conme 1e fera par exemple 1a pensée


' périodiquement, au cours des
iranienne dont I intuit ion fécondera

siècles, nombre de sectes manichéennes comme celle des cathares

du Moyen-Age. La Bible ne é ,a c h e r a pourtanr jarnais que 1'homme est

ltenjeu dtun conflit et que son sorË final se définit en termes de

lunière et de ténèbres, de vie et de mort. Ce thème sera repris

avec force par François de Sales dans 1a ligne de 1a tradirion

paul inienne en s'inspirant d'un ouvrage ital ien alors fort en

vogue : Le Combat spirituel. (2)

Dans 1a théophanie biblique, la représenËation de 1a divinité sera

tout naturellement éclatanÈe de luurière, plus resplendissant.e que

1e soleil créé, puisque confessée dans 1a foi comme étant "lumiè-


r€", "so1ei1" par excellence. Cet.te apparition d'une divinité

toute lumineuse n t inciËe dans 1a Bible à aucune lutte prométhéen-

ne puisque ce nême Dieu communique cette lumière aux hommes créés

à son image (Genèse ), et eux-mêmes "enfants de lunière" (3 ).

Dans 1e Nouveau Testament, les citations relatives au

so1ei1 sont toujours positives. E1les constatent 1a présence

bienfaisante de lrastre :

Votre Père fair lever son soleil sur les méchanrs


comme sur 1es bons (4 ).

(1) cn 1,3
(2) Scupoli lorenzo, I.e irituel, Paris, IæforË, 1893, 314 p. I1 est dr.rreste fort
inÈéressant de consÈater Scupoli, et plus encore que lui, I'anteur insiste sur
le fait qtre le drrétien esr déjà ' de ce ccôat, ce qui ne le dispense pourÈant en aucun
cas de le rener.
Iorenzo Scupoli : 1æccnbat spirituel, le livre de podre de saint François de Sales' par
E.J. Lajeunie, Forcalquier, Robert lbrel, 1966.
(3) Jn 12,36
(4) ttt 5,45
-62-

Cette lumière du soleil prendra pourtant à certaines occasions


une d imens ion nouve 11e :
Son visage (celui de Jésus) resplendissait comme 1e
soleil (1)

est-i1 rapporté dans 1'épisode de 1a "transfiguraÈion". L I apôtre


Paul n'ut i 1isera pas une autre inage pour faire part à ses audi-
Èeurs de 1 | étonnanÈe expérience qui 1e bouleversa sur 1e chemin
de Darnas :
Jrétais en chemin, lorsque je vis, vers nidi, venir du
ciel plus resplendissante que 1e soleil une lunière qui
mtenveloppa de son éc1at a insi que mes compagnons de
route (2).

S'i1 est un é1ément de comparaison pour faire ressorÈ ir l'éclat


sans précédent de 1a présence divine, 1e solei1 n'en est Pas
moins perçu comme devant s'épuiser et disparaître. Nous retrou-
vons ici les termes de très anciens nythes bibliques qui s texpli-
quent aisément. La religion monothéiste juive s'esÈ en effet tou-
jours trouvée en concurrence avec les conceptions polyÈhéistes
de ses voisins dont les cultes astraux exerçaient un pouvoir de
séduction considérable sur ses adeptes. Les anciens prophètes,
I tautorité politique même, eurenË à lutter conËre cette dévia-
t ion, ut il isant par fois des rnéthodes dont 1'énergie nous laisse
parfois perplexes. Il s'agissait bel et bien Pour ce petit peu-
ple hébreu d t une quest ion de survie de son ident ité rel igieuse
eÈ culturelle (3).
De 1à naquit 1a croyance que si les astres consÉi-
tuaient ainsi un piège pour les hommes religieux en les détour-
nant du Dieu unique, crest qut ils avaient partie 1iée avec des
puissances hostiles à Dieu. Le vieux thème de 1a guerre des
dieux fournit alors tout un matériel qui pernit de rePrésenÈer
poét iquement 1a chuËe de certaines puissances cé1esËes et d'ex-
pI iquer ains i leur irrémédiable hosË i1 ité à Dieu. La figure de
Lucifer, par exemple (4 ), suggérée sous les traits du "porteur

de lumière" sera reprise avec convict ion Par 1a tradit ion


chrétienne. Dès lors, comment stétonner que les astres soient

(1) lt 17,2
(ù Ac 26,L3
(3) Deut4,I9; I7,3, Jr 8,1
(+) rs L4, L2-t5
-63-

appelés à tomber ?
Le soleil se changera en ténèbres, et 1a lune en sang'
avant q u e vienne 1e j o u r d u S e i g n e u r ( 1) .

Ce jour du Seigneur nous est ainsi présencé comme celui du'Ïr.rg"-


ment" au cours duquel, de manière figurée, 1es astres paraît.ront
devant Dieu en lieu et place des "démons". Ce jour ne décrit Pas
1a destruct ion complète eE navrante des astres créés, mais 1a
transfiguration totale du cosmos en un nouvel "ordre" libéré de
1a contingence cosmique, tout baigné de lurnière autour de

"1'Homme-Dieu" ressusc ité eÈ triomphant, "vrai sole i1 qui il1umi-


ne 1e monde renouvelé" (2) . Les lurnières crées, sole i1, étoiles
et lune, y seront alors inutiles, 1a gloire de Dieu illuminanË
ple inement 1a Jérusalem NouveIle qui nous est révé1ée dans le
final du Livre de 1'Apocalypse (3).

Enfin, 1a 1ittérature baroque a retenu certains des


atËributs du soleil dans son esthétique. Les jeux de couleur
crépusculaire, ce mé1ange mouvanr de tons, de dégradés, de for-
mes fuyantes en train de se défaire ou de se recotnposer sont
venus illustrer un propos qui parle d'inconstance eÈ de mouvement.
"L"émerveillement n'est pas absenÈ de ce spectacle du
soleil donÈ on retient d'une part 1'éclat, 1e faste
scintillant, 1e déploiement et d'autre part 1 tévanes-
cence, les incessantes et fuyanËes mutat ions" (4 )

1122 Introduct.ion. Utilisation salésienne de 1 | image du soleil

François de Sales a sans nu1 doute profondément nédité


et intériorisé ceËËe valeur synbolique eË nystique du soleil.
L'importance tant numérique que qual itat ive des images de tout
ordre mettanÈ en oeuvre 1e soleil nous convainc qutil exisËe chez
I'auteur une concepÈion héfiocentrique. Cette expression n'esË
pas à entendre dans une acception scientifique qui verrait 1 tévê-
que de Genève se lancer dans quelque théorie cosmologique. TeI
n'a jaurais êtê le sujet de ses préoccupaEions même s'i1 dut, sans
doute, participer à de vives discussions sur cette quesÈion lors

(1) Ac 2,æ

Q) k L,7
(3) Ap 23
(4) Rqrsset Jean, La littérature de 1râæ baroque en France - Circé et le paon. Paris, Corti,
t9v.
-64-

de ses études padouanes.

Etait-i1 vraiment un partisan des idées nouvelles de


Copernic et plus tard de son continuateur Ga1ilée dont on connaît

1e destin malheureux ?

Rien ne permet de 1e dire avec une trop grande préci-

sion. Rien n'autorise en tous cas à 1e classer parmi 1es défen-


seurs farouchesdrun ordre ancien qui ferait de 1a terre 1e centre
du cosnos. Rappelons qutà ceÈ êgard 1a doctrine aristotélicienne

et ptoléméenne était enseignée dans 1e cadre de 1'orÈhodoxie

scientifico-religieuse de 1'époque. E11e voyaiË 1e monde comme une


sph,ère séparée en deux zones : 1a terre avec les autres é1éments
primordiaux, 1e nonde sub-lunaire soumis aux processus de généra-

tion et de corrupËion et au-dessus 1e monde cé1este fait d'une


rnatière incorruptible lumineuse téther quintes-
ec appelée 1 ou 1a
sence. Le cosmos était ainsi perçu comme hiérarchique et organique
avec son centre absolu occupé par Ithomme appelé de par sa situa-
tion cosmique à réaliser 1'union de son corps terrestre et de son
esprit dépendants des influences cé1estes.
Copernic, en af.f.irmant que Ia terre erre dans 1'espace
ouvr it dans cette concepÈ ion tradit ionnelle une brèche qui ne de-
vait jamais se refermer. Certains commentateurs d'Aristote comme
I'italien Cremonini qui enseignait à Padoue eurent beau refuser
de regarder même dans une lunette qui aurait pu mettre en cause
leur doctrine, 1'héliocentrisme ne cessa de gagner du terrain
malgré 1a condamnation de Galileo Galilei au cours dtun procès
qui s'étendit de 1615 à 1623. I1 faudra attendre pourtanE 1,643,
quelque vingt et une années après 1a mort de François de Sales
pour voir 1a conception héliocenÈrique gagner des manuels scolai-
res, ceux des Jésuites notamment (1).

Dans 1'oeuvre de François de Sales, nous trouvons une


allusion directe et fort intéressante à ce problème de conception
cosDologique qui eut des répercussions considérables sur les rnen-
talités des siècles concernés. I1 s'agit d'une lettre rédigée en
iralien datée d'Annecy 1e 23 septembre I6L7 et adressée à Don

Jerome Boerio, supérieur général des BarnabiÈes (2). Les

(1) cf. Toscanne Bernard, Lridée de nature en France dans Ia seconde nritié du )(VIIàE siècle
Paris, Klincksieck, 1978
(2) Oeuwes)$tII %
-65-

Barnabites étaient ces religieux originaires de ltltalie que


tévêque de Genève avait introduits en son diocèse pour I'ensei-
1
gnement dans les coI 1èges. La lettre intercède en faveur d'un
jeune religieux de cet Ordre, professeur au co11ège drAnnecy et

nommé Don Redento Baranzaîo. Celui-ci devait en effet répondre de-

vanÈ I'autorité ecclésiastique de 1a publication d'ouvrages sans

Itautorisation de ses supérieurs, nais if lui était êgaleuent


t une correspondance suivie avec Bacon,
reproché d entretenir

Galilée et Képler. Dans 1'un des ouvrages incrininés, résumé des

1eçons qu'i1 donnait avec un succès considérable au co11ège chap-


puysien d'Annecy, I'Uranoscopia (t), 1e sysÈème planétaire de

Copernic y était développé ainsi que les idées de Ga1ilée. La

Congrégat ion de f index toute récente suivait avec 1a vigilance


que 1'on sait les ouvrages présentant une telle doctrine.

Dans cette lettre, 1'évêque ne prend pas position sur

1e fond. Par conEre, i1 défend avec toute 1a chaleur dont esË

capable 1a langue iral ienne 1e jeune rel igieux auquel i1 décerne

des é1oges qutil serait difficile drimaginer sous 1a pluroe dtun

adversaire acharné de telles posiËions :

Egli è persona di bonissime qualità... (2)

Du reste i1 obtient gain de cause et 1e religieux peut

reprendre son enseignement sans être inquiété outre mesure après

avoir dû touÈefois publier un rectificatif de ses ouvrages.

Ce point excepté, if apparaît que I'héliocentrisme de


François de Sales soit de nature plus contemplative et intuitive
que scientifique. Sans doute avec une petite part d'innocence, i1
prépare 1e croyant qui se uret à son école à intégrer presque na-
tancienne
Eurellement un ordre cosmique différend de l conception

et qu'i1 pourra concevoir sans heurt ni bouleversement de son


paysage religieux. François de Sales r €n s'appuyant sur la natu-

E€, désire montrer au fil des pages de ses oeuvres que 1a lumière

est au centre de 1a vie de foi; cette lumière n'est autre que

I t image de 1a présence toute aimante et toute lurnineuse de 1a

divinité, comme nous avons pu 1e considérer en observanË les

inages re 1 aÈ ives au feu.

(1) r6t7
Q ) OetnrresXVIII, !14"I1 a de très grandes qualités"
-66-

La source de 1a lumière nrétant. autre que 1e soleil, la


symbolique biblique que nous évoquions précédemment viendra étayer
ceËte idée ou plus exacfemenÈ, cetÈe présentat ion t
d un soleil au
cenÈre de ÈouÈe vie, du monde même, image de La présence de Dieu
qui sera touË naturellement accepËée. Car 1e soleil est f image de
1a beauté par excellence:
et certes, i1 esË 1e vrai soleil, source de 1a lumiere
corporelle, est 1a vraye image du vrai et du beau, car
entre les creatures purement corporelles, i1 n ty a
poinÈ de bonÈé ni de beauté egale a celle du soleil (1).

L'idée est très he11énistique er même platonicienne : 1a beauré


du so1eil éÈant I'exemplaire parfait de toute luurière, 1e nodè1e
naÈurel dévoilé aux humains, signe ici de 1a perfection de beauté
et de bonté de 1a divinité. Nous retrouvons du reste sans surprise
ceÈte association du beau et du bien qui esE touË à fait classique
et nous introduit à 1'esthétique de 1a grâce.
Dans l tlntroduction à 1a Vie Dévote, 1e solei1 nous est
proposé également comme 1e signe de 1a beauté p.rfaite nais limi-
tée pourÈant, car i1 est possible de lui adjoindre une autre beau-
té en imaginat ion. Ce faisant noÈre représenEat ion sera pourËant
encore bien éloignée de 1a perfection de beauté et donc de bonré
qu'offre 1e paradis :

Consideres une bel1e nuiÈ bien sereine, et penses


combien i1 fait bon voir 1e ciel avec cerÈe mult itude
et variété d I estoiles. Or joignés maintenanË cette
beauté avec ce1le d'un beau jour, en sorte que 1a clarté
du so1ei1 n t empesche point la claire veûe des estoiles
ni de 1a 1une, et puis apres, dites hardiment que toute
cette beauté srise ensemble n'est rien au prix de 1'ex-
cellence du Grand Paradis (2).

Le ton direct invite à 1a conËemplat ion, 1e mot beau,


beauté employé deux fois se conjugue avec 1e terme bon pour une
nerveilleuse illuurination cosnique. Le chemin ne
s'arrête pas 1à,
pourËant, et 1'adverbe semble fouetter t
"hardiment" I imagination
pour quitter cette évocaËion sompteuse et poser cet acte de foi
qui ouvrira à 1a conception d'un paradis de lunière voulu par 1a
Source de touEe lumière.
Dès lors, 1e soleil va apparaître sous des formes très

( 1 ) Oeurres V 23

Q) id. rrr 50
-67-

variées que nous allons étudier mainËenant en resPectanÈ 1a grille

qui tienr compte de 1'origine des images.


Nous comtrencerons donc par considérer avec I I auteur 1e

soIeil comme une réalité observable de diverses manières et ensei-

gnanE bien des vérités différentes selon ses divers modes

d'appar it ion.

11221 Le soleil observé dans 1a nature

Le soleil est un é1ément tellement. familier de notre

environnement que Eoute observation faite à son sujet semble dans

un premier tenps ne pouvoir être qutune redite de clichés éternel-

lemenE repris...
Pourtanf François de Sales, par son insistance sur cer-

tains traits bien en harmonie avec 1a doctrine qu'i1 désire pré-

senter à ses lecteurs; va faire de cet astre un é1ément inportant

et parfois original d'i11usËration.


Le soleil est une réa1ité créée qui paraît pourtanÈ irn-

muable à nos yeux d'hommes tant i1 esC vrai q,rtà 1réche11e d'une

vie humaine la durée cosmique stapparente à 1'éternité. Dans son

introduction au Code Fabrien, François de Sales redit en latin

cette observation z
Sic sol unico et continuato acËu lumen suum inferiori
orbi seItrper offert eÈ Praestat, nec ulla noctium et
dierum vicissitudine in seipso a f . f . i c i t u r ' 1icet, res-
pectu nostri, repetitor Quamvis e o d e m c u r s u r n o c È i um et
dierum divers itaËe dist inguatur ( I ) .

Retenons de cetEe rapide évocation des nuits et des jours que

I'astre n'est jamais affecté et que son cycle est immuable. I11u-

sion pour nous que ce jour et que cette nuit qui permet' toujours

en latin, gu€lque guestion originale:


sol noctuae non luceÈ, nobis non lucebir ? (2)
Quia
'une ! ra-
La boutade est en tout cas claire, bien dans 1a 1 igne d

diÈ ion scripturaire que nous évoquerons bientôt et qui définit

lthonme comme un fils de 1a lurnière et non comme un enfant des

(f ) Oeg,rres)0ç1II lO5, traduit ainsi : "Ainsi le soleil, par un acÈe wriqtæ et ccÊirnr, offre et
crffi-ique sa h,unièreauncrde inférieur, et nrest aucwrsænt affecté en lui..fu par lralter
nancedes ngits et des jcurs, bien que, par raport à no:s, la diversité des rnrits et desjcurs
nous fasse distingr.rer en lui un co;rs sÉrnscesse recæncé dans scn unité."
(2) ibid. 11g;,]r2O2, Èraduit ainsi : "parce qræ le soleil ne luit pas au profic du hibor' ne
luirrt-il pas à notre profit ?"
-68-

ténèbres. L I image esc ici t rè s pos iË ivement connotée et stoppose

par avance à Eoute tentat ion pessiniste ou jansénisante avant la

letcre.
L t auteur, dans 1e Traité que nous allons citer assez
t ion de
largemenE, nous invite à a1 ler plus avant dans l observat

I'asÈre du jour.

car ainsy 1e sole i1, souverain object de nos yeux cor-


poreLz entre les choses naturelles, ne presente point a
noÈre veue que premier i1 ntenvoye ses rayonsr p a r 1e
moyen desquelz nous 1e puissions voir I de sorËe que nous
ne 1e voyons que par sa lumière. TouËes fois i1 y a dif-
férence enËre les rayons que 1e soleil j e t t e a nos yeux
corporeLz, et 1a lumiere que Dieu creera en nos entende-
tnens au ciel. Car 1e rayon du soleil corporel ne forti-
fie pas nos yeux quand iLz sont foibles eË iurpuissans a
voir, ains plus Ëost i1 les aveugle, esblouissanc et
dissipant leur veue infirne... (t)
tamour divin Èémoigne
La comparaison continuée entre 1e soleil eË I

bien de cet héliocentrisme spirituel que nous évoquions touË à

I'heure. L'idée de prinauté du soleil esÈ ici soulignée avec 1'em-

ploi du terme "souverain object" qui désigne 1e soleil comme

1'Exemplaire par excellence des choses de 1a nafure. I1 y a ici

personnification de lrasÈre à qui esc reconnu I'initiative de 1a

renconËre avec 1e morÈe1 : it décoche ses rayons et crest Par 1a

lumière qu'i1 esË visible. TouË naturellement apparaît ici un ré-


ttSeigneur,
pons I iturgique des Heures inspiré d'un Psaume (2) :

qu' i1 e st amour ' par ta lumière nous voyons


préc ieux ton la 1u-

mière". Mais alors que I t esprit du croyant PourraiË demeurer en


t incite toujours à un décrochage et
cette contexnplat ion, t auteur
à un recenËrage sur I'essenEiel, car Itimage du so1eil présente

une comparaison qui ntest pas parfaiËe, comme Èoutes les comparai-

sons, tant i1 est vrai qutil y a en ltamour de Dieu plus encore


que dans 1e rayon du soleil. Lramour de Dieu fortifie 1e regard

de 1a créature aimée même "foible et inpuissant" tandis que 1a

Iunière solaire I'affaiblif. Par une alliance de mots originale

I'auteur évoque un aveuglement qui ouvre les yeux' un éblouisse-

meint qui dissipe une vue infirne. CeEte initiative de Dieu qui se

propose de trans former 1e regard du croyant est-e11e bien PerceP-


de cette inage du soleil 7'
tible au travers

( 1 ) Oeuwes IV 209
Q) Ps 35,10
-69-

Oui, sans doute, car I'irnage du so1eil est touÈ à fait


naturelle à I'homme. E11e fait partie de ces évidences qui sont
relevées par les formules de courtoisie et de poliÈesse du savoir-
vivre épistolaire de l'époque, comme en ténoigne ce bil1et de

1618 i
On ne rernercie pas 1e soleil dequoy i1 fait 1e jour, ni
1a lune dequoy e11e esclaire 1a nuit ' Parce q ue c'est
leur nature. Ni ne vous remercieray pas du bon accueil
que vous aves fait a monsieur 1e president Crespin (1)

Cette communicaËion de 1a clarté solaire au monde sera


reprise dans 1e commentaire que fait 1'auteur du Notre Père et
dont il ne nous reste plus que 1a traduction iÈalienne:

""".:.:"î; ::l :î";";l;:::Îï i:"::;;':";""iT":ii:,'ln


i suoi xaggir la sua luce e il suo splendore
drizza
sopra 1a ninima pianta e sopra i1 minimo fiore, che v'è
in un gran monËe, e sopra f istesso monte (2)
et il ajoute plus 1oin, toujours dans le même Ëexte:
ogni giorno faÈe quesEo sole a1 mondo illuninar noi,
vostri figlioli, e la sera nascondete q u e s Ë a bella
1ampada... (3)

La communication de 1a lueur au monde est universelle (4), Passant


du plus petit au plus grand, de 1a pet.ite fleur de 1a mont.agne à
1a montagne e11e-même, pour en arriver à tous 1es enfanÈs des hom-
mes quelle que soit leur situation sociale. La 1eçon est ici tout

à fait évangélique et révè1e au passage 1e souci assez universel


- et pas toujours fréquent dans 1e hauË clergé de 1'époque -s
qu'avait 1'évêque de Genève du plus sinple des chrétiens de son
diocèse.
Cette c o m m u ni c a t i o n de 1a lunière a pour I 'homme quelque
chose de fascinanË. Son initiative appelle de sa Part une réponse
gui, pour l t auteur, prend 1a forne d'une contemPlat ion :
en sorte quer comme i1 ntentend plus qutaucune
chose soit bonne en comParayson de cetÈe Bonté,

(1) Oeuwes )MIII 29+


(2) id. )O(rI 381, tradr,rit ainsi : "C'esÈ purrquoi il ne dir pas qu'il est le Père des ridres et
des seigneurs, rnais nôtre, crest à dire à tors, fu des pauvres : cculæ le soleil, qui darde ses
rayons, sa lrmière et sa splendeur sur la plus petite planËe, sur la plus petite fleur qui se
trorve sur une grandercntagner et sur la mrÈagnenÊrp.rl
(3) ibid. )q{yl 391, rraduit ainsi :'Vcus faites que le soleil ncr:séclaire, nq.rs, vos enfants'
et le soir vcr.rs cachez cette belle lape."
(4) 'I,cût" les yer-ucctrassiew sont éclairés par le soleil", rappelle la prédication.. . Oewres D( 121
-70_

aussy 1a volonté ne peut plus vouloir aymer aucune


bonté en comparayson de cette Bonté, a insy qu 'un oe i1
qui seroiË planté bien avanË dans 1e soleil ne peut
envisager drautre clarté (1).
Le terme employé évoque bien 1a fascinaÈion qutexerce 1e soleil
sur celui qui 1e regarde. L'oeil est "p1ant.é bien avant dans 1e
soleil", comme un trait et ne peuË se déÈourner. Cette conteupla-
tion de 1a bonté divine encore une fois associée à 1a beauÈé
lumineuse invite à 1a louange:
Si quelqu'un louoit le soleil a cause de sa lumière
plus i1 s'eleveroit vers iceluy pour 1e 1ouer, plus i1
1e treuveroit louable, parce qu' i1 y verroit Èous-jours
plus de splendeur. (Z)
L'image rappelle un Peu 1a siËuation de 1'alouetËer gu€ nous trou-
verons dans 1e best iaire, qui monte droit vers 1e so1ei1, fascinée
par 1ui et de plus en plus aËtirée au fur eÈ à mesure de cette
ascension. on imagine facilement le profit qui peut être tiré d'une
telle image pour dépeindre 1a montée que propose 1a vie spirituelle
vers 1a Source de toute beauté et de toute bonté.
outre sa crarté, re soleir est encore lrastre qui esE à
1a source de 1a chaleur naturelle. Ce second attribut n'a rien à
envier au premier et François de Sales revienË à plusieurs reprises
sur son aspecË bienfaisant.
Le soleil visible touche touË de sa chaleur vivifiante
et comme lramoureux universel des choses inférieures
i1 leur donne ra vigueur requise pour faire reurs pro-
ductions, et de même la bonté divine. . . (3)
Lfanalogie entre 1'action du solei1 et 1a présence aimante eÈ
transformanÈe de 1a bonté de Dieu est ici tout à fait claire. L'i_
mage a 1e mérite de 1a cohérence en tant que cet amour divin, tout
comme 1a lumière solaire, est perçu comme étant universel Iement
répandu ' Ains i donne-Ë-i1 1a grâce nécessaire et suffisance pour
une ttproducËiontt
dtamour eÈ de bonté. Lrenploi du terme,,amoureux
universel des choses inférieures" en attend un autre qui sera
I'Anoureux universel par excellence, la divinité aimante. Toujours
dans 1e TraiÈé, une aut re image pernet un balancement intéressant
entre lumière et chaleur. Cette dualité réciproque per1nettra suc-
cessivement à 1 r a u t e u r
une analogie inréressante avec I'inspiration

( 1 ) Oewres XD( 25O

Q ) id. \r 297
( 3 ) ibid. rv 112
-7r-

divine, ltamour divin et 1a foi.


Les rayons du solei1 esclairent en eschauffant et
eschauffent en esclairant : 1 I inspirat ion est un rayon
cé1este qui porte dans nos coeurs une lumiere chaleu-
reuse ( l ).

Lralliance de mots t'lumière chaleureuse" est tout particulièrement


reInarquable Pour exprimer ceËte réalité complexe qurest l t inspira-
tion' cetÈe irruption du vouloir divin qui enÈre dans 1e je,, de la
liberté du croyant. pour lui indiquer un projet auquel i1 a toute
I iberté d'adhérer ou de ne pas adhérer. L'inspirat ion est lumineu-
s€, mais aussi chaleureuse en Èant qu'e11e procure un plaisir que
beaucoup se refuseront plus tard à envisager, af.fi-rmant avec le
jansénisme naissant que 1e plaisir est par définition un é1éurent
suspect lorsqu'il touche à 1a vie chrétienne.
On n'est guere souvent eschauffé des rayons du solei1
qu'on en soit esclairé, ni esclairé quton nten soit
eschauffé... Lramour fair facilement admirer et 1 rad-
miration facilement aymer (2).
Le balancement de 1a phrase esË ici une des caracÈéristiques du
style salésien qui aine unir deux mouvements pour obtenir en les
fondant ensemble un effet de dépassement qui éclaire un é1ément de
1a vie spirituelle.

La Èrois ième évocat ion de ce type s itue davantage 1 t ac-


t ion dans une temporal ité puisqu'elle indique I theure de nidi,
moment. de I'apothéose de 1a lumière solaire comme nous le verrons
dans not re dern iè re part ie .
comme estans exposés aux rayons du soreil de midy, nous
ne voyons presque plus tost 1a clarté que soudain nous
sentons 1a chaleur, ainsy la luniere de 1a foi n'a pas
plus tost jetté la splendeur de ses vérirés en nostre
entendement, que tout incontinent nost.re volonté senË
1a sainte chaleur de I'amour céleste (3)
La comparaison reste dans 1a logique des citations précédentes
présentant encore cette notion de plaisir à 1a fois intellectuel
puisque 1'enÈendement. y est en jer, nais aussi sensible puisque
e11e saisit dans un mouvement chaleureux le coeur même de la
liberté humaine, rest
c à dire sa volonté.
La pédagogie spirituelle de François de Sales est-elle

( l ) Oeuwes V 89

Q ) ibid. v 24
( 3 ) id. rv 136
-72-

optiEisEe sans aucune restrict.ion ? Non point de nanière béaËe et


naive en tous cas. Là aussi, I'image du soleil va permett.re de
réajuster une visée qui aurait pu être quelque peu caricaturale :
en térnoigne cette remarque sur 1e so1ei1 que nous Èrouvons dans
l t u n
des ÈouÈ premiers ouvrages de François de Sales.
Un rnesme soleil rend inegalement claires les choses
selon 1e plus ou 1e moins qu telles 1uy sont proches
ou qu'e 1 1es reçoivent ses rayons (1) .
Cette constataÈ ion sera reprise lorsque François de Sales beaucoup
plus tard aura à parler de 1'oraison.
car si vostre so1eil semble s'eclipser, i1 reviendra
bien tost eË vous esclairera de nouveau (2)
ou encore:
Ne vous eslôignes pas de vostre Soleil si vous voules
estre esclairee. ctest une fournaise dtamour ou nos
t iedeurs seront consumees ( 3) .

11222 Le soleil er les plantes

Si François de Sales inviÈe volontiers son lecteur à


lever 1a tête pour conËempler lrastre du jour, pour en admirer
1'éclat et en éprouver la chaleur, i1 conduir tout autant son lec-
teur à baisser son regard pour observer sur 1a terre 1es effets de
ce nême soleil sur 1es créatures et tout particulièrement sur les
planËes.

Ceci est bien révélateur de 1a théologie de François de


Sales qui part toujours de 1a transcendance pour arriver à I'imma-
nence' d'une réaliËé dten haut illustrée par la nature pour nous
amener à une réa1ité d'en bas mise en lurnière à son tour par cette
même nature en un mouvement. dtune grande clarté. A cet égard, le
thème du soleil qui répand sa lunière sur 1a rose a quelque chose
de sublime. La fleur, immorËalisée par Ronsard une génération plus
tôt' traverse toute la synbolique de 1a Renaissance comme signe de
1a beauté éphémère faisanÈ appel, en un méIange subtil, aux divers
sens de I'honme. E11e invite également par la présence de ses
épines à une réflexion sur les difficultés du plaisirr la douleur
de 1a condit ion mortelle inséparable de son esthétique. La rose

(1) OeuwesII 329


(2) id. )o(\rr361
(3) ibid. )oilr 363
-73-

est toujours un symbole positif dont la 1eçon quelque peu épicu-


rienne n'effrayait pas 1es poètes les plus religieux.
C'est avec une grande dé1 icaËesse, qui ne sera pas sans
rappeler sans doute quelque texte plus contemporainr gue François
de sales, procédant par pec ites touches, décrit par cette ina ge
1 t â m e croyante i1 luminée par Dieu :
Le soleil ne regarde pas moins une rose avec rritle
urillions d'autres fleurs que sril ne regardoit qu'e1le
seule; et. Dieu ne respand pas moins son amour sur une
ame ' encore qu t il en ayme une infinité d t autres, Que
s'i1 ntaimoit que celle-Ia seule, 1a force de sa dilec-
t ion ne dininuant point pour la mult itude des rayons
qu telle respand, ains demeurant tous-jours touÈe pleine
de son immensiré (l).
La personnification du soleil qui "t"garde" 1a rose et res mil-
I ions t
d autres fleurs permet de gl isser direcËement à la nétaphore
puisque ce sont 1es "rayons" de 1a dilection qui ne dininuent pas,
1e passage de I'une à ltautre des irrages se faisant tout naturel-
Iement par 1a cohérence symbolique de t
l image du soleil.
L'idée générale de cet extrait du Traité est siurple : f illumina-
tion solaire ntest pas réservée à q.relques-uns seulement comme
poulraient f insinuer quelques doctrines favorables à la prédesti-
nation : e11e est universelle, tout comme esË universel l tappel de
tous les croyants à 1a sainÈeté (2).
L I image de I'arbre 1e redit autrement . L'expos it ion au sole i1 ne
produit pas seulement I'effet esthétique qui nous était suggéré
par 1a rose: elle donne aussi des fruits, cfest à dire pour re-
prendre une expression évangé1ique, des actions concrètes: selon
Jean-BaptisÈe, les fruits de 1a conversion sont énineEment prati-
ques : 1e partage ' 1a non-violence, le service, 'honnêteÈé,
I
eÈc. (3)

Les arbres ne frucÈifient que par ra presence du


so1ei1, les uns prus tost, 1es auËres plus tard (4)
Nous trouvons ceci dans une lettre de l6o5 adressée à la prési-
dente Brulart : 'auteur r
1 y développe cette idée que 1 adhés ion

(1) OeuvresV 215


(2) Cætte idée est fréquemrpnt reprise dans la prédication
le Christ est le soleil qui luir
parËoit, cf. Oeuvres VII L92, et vivifie tcr.rÈechoseil cf. vrr 310
(3) Lc 3, 1G14
(4) OeuvresXIII æ
- 74 -

vraie du croyant 1a présence de Dieu entraîne tôt ou tard des


effets concrets.

IL223 Le soleil : un astre qui apprend la nuance

La vision éclatante du so1ei1, principe de tout rayonne-


ment et de toute beauËê ntesc pourtant pas présenÈée par François
de Sales comme étanË aux yeux de I'homme sans changement. On devi-
ne 1à I'expérience spirituel 1e que t
1 évêque dés ire communiquer à
son lecÈeur. La présence de Dieu, pour 1e croyant est certes une
réa1 ité constante, mais plus ou moins sensible eÈ parfois même
te1 lement lointaine à cert.aines périodes que des mysË iques comme
Jean de 1a croix n'hésiÈeront pas à qualifier certaines étapes
de ceÈte relation de "nuits" de 1a foi. Dfautre part, i1 est aisé
d'imaginer que texpérience
I personnelle de 1a nature qui illustre
partiellement l toeuvre de 1'évêque savoyard ntest pas dt inspira-
tion he11énistique. La luninosité sans pareil des rivages néditer-
ranéens n'a rien à voir avec une cont.rée où 1e soleil apparaît
souvent au travers de 1a brume hivernale. Du moins 1e soleil
enseigne-t-i1 ainsi rart
I de 1a nuance et avec lui cetre esthéti-
que de 1a couleur d'une richesse de nuances finement décrite par
1'auËeur : couchers ou levers de soleil font flamboyer ou encore
pâ1ir I'astre :

Nous disons, quand 1e soleil a son lever est rouge et


que tost apres i1 devienÈ noir ou creux et enfoncé, ou
bien, quand a son coucher i1 est blafast.re, pasle, have,
que c t est s igne de pluye. . .
Théotimer le soleil nresE ni rouge, ni noir, ni pasle,
ni gris, ni verd : ce grand luminaire rest point
n sujet
a ces vic iss itudes et changemens de couleur, n I ayant
pour toute couleur que sa tres claire eÈ perpetuelle
lumiere, laquelle, si ce ntest par miracle, est invaria-
ble; tnays nous parlons de 1a sorte parce qutil nous sem-
ble estre te1, selon 1a variété des vapeurs qui sont
entre luy et nos yeux, lesquelles 1e font paroistre de
diverses f açons.
Or, nous devisons ainsy de Dieu. . . ( I )
Ce Passage est riche d'enseignement sur 1a doctrine salésienne. Il
esË tout drabord fondé sur ItEcriture, en commençant par une para-
phrase assez Iibre de 1'Evangile de Matthieu :

"Les Phar is iens et les Sadducéens s t avancèrent €t , pour


1ui tendre un piège, ils 1ui demandèrent de leur Eontrer

( I ) Oarvres fV 87
- 75 -

un s igne qui vienne du ciel. I1 leur répondit : 'Le


soir venu, vous dites : ttrl va f aire beau reups, car le
ciel est rouge feu" I eÈ 1e matin : "Aujourd'hui, mauvais
temps, car 1e ciel est rouge sombrett. Ainsi, vous savez
interpréter raspect
1 du ciel, eÈ les signes des temps,
vous n'en êtes pas capab1es..." (i)
r1 ne s'agit pas pour 1'évêque, dans cett.e paraphrase,
de nous introduire au discernement des signes des temps, mais de
faire percevoir que 1e solei1 esË en lui-mêne signe de 1a présence
divine. Le terme de 1 r E v angile
ntest pas seulement repris, il esr
développé par 1'adjonction d'épithères apposés qui tiennenr compre
d'une réa1ité observée directement eÈ personnifient 1e soleiI pré-
senËé comme un nalade ou un mouranË. Ce premier terme constitué
d'éPithères ne sert qutà renforcer 1e suivant en un effet drinsis-
Ëance et de mise en valeur de 1a "tres claire et perpetuelle
lumière de I'astre". Pour se faire plus persuasif, 1e Èon prend
taspect
l d tun réquisitoire avec une apostrophe au lecteur Èoujours
interpelé dans 1e Traité sous 1e nom générique de Théotime et avec
une reprise en négat i f de t
1 énumérat ion précédenÈe à laquel le est
ajoutée une 1égère t.ouche d'humour avec I r épithèce "verd" qui
caractériserait un état particulièrenent rare voire imaginaire de
1'"Pparence du soleil. L'ensemble débouche sur cette théologie
optiuiste qui commence à nous être fanirière: celle du combat
Spirituel qui voit r âu-de1à des apparences trompeuses de ce monde,
1a luurière triompher toujours des ténèbres et 1a clarté du maEin
de Pâques transpercer 1es ténèbres du vendredi saint.
Mais une fois de plus , bien consc ient des 1imites de cette rmage,
I'auteur nous invitera à la dépasser quelques lignes plus loin
pour se persuader que Dieu est beaucoup plus encore que ce qu ' i 1
vient de nous suggérer.
Et comme 1e soleil n'a aucune de toutes les couleurs
que nous 1uy attribuons, ainsi une seule tres claire
lumiere qui est pardessus toute couleur et qui rend
vis iblement colorees toutes les couleurs, en Dieu,
i1 n'y a aucune des perfections q u e n o u s i u" ri n
a "gyi n o n s , a i n s
une seule et. tres pure excellence (2).

Dans le Traité, François de Sales nous présente une autre observa-


t ion d tun soleil qui perce à peine au travers des brouillards de

( 1 ) !t 16,3

Q ) Oetrwes IV 88
-76-

l thiver pour en tirer un auËre enseignement de 1a vie spirituelle.


comme i1 arrive quelquefois que 1a terre estans couverte
de brouillars nous ne pouvons voir 1e soleil, ains nous
voyons seulement un peu plus de clarté du cosré ou il
est, de façon eu€, par maniere de dire, nous 1e voyons
sans le voir, parce que dtun costé nous ne le voyons pas
Ëant que nous puissions bonnemenc dire que nous 1e vot-
ons, et drautre parÈ nous ne le voyons pas si peu que
nous puiss ions dire que nous ne 1e voyons poinL;
tesr "i
c ce que nous appellons entrevoir.
Et neanmoins, cetËe obscure cl artê de 1a foy estans
entree dans nostre esprit, non par force de discours
ni par apparence d'argumens, ains par 1a seure suavité
de sa présence. (1)
A partir d'une observaÈion sinple et courante dans les régions de
montagne, I'auteur nous fait entrer ici dans une dialectique du
regard tout en nuances. Le ttvoirtt ttnon-voirrt
eË le sont dépassés
pour introduire une notion essentielle de la vie spirituelle :
1"'entrevoir". Il ntétait guère facile, sans doute, d'exprimer et
de traduire ce qu I est 1a présence de Dieu dans un regard de foi
Les anciens Hébreux, dans la tradition biblique, parlaient rune
d
ttptésence
sous le mode dtabsencett, traduction du mot hébreu
"shekina". Sa représent.ation disait 1a présence de Dieu au coeur
même d'un espace vide limité par les ailes des séraphins qui sur-
monta ient I I Arche d'Al 1 iance dans le Saint des SainÈs du grand
temple de Jérusalem. François de Sales nous met bien au coeur de
1a même expérience fondamentale, qu'i1 cherche ici à traduire en
inpression. Lr invention du terme final "obscure clartér' pour
désigner la foi éIoigne définitivement toute vision siurpliste
dtune foi qui serait évidente parce que portée par une chrétienté
éËab1 ie. EI 1e invite touÈ au contraire à une recherche exigeanÈe,
inÈelligenEe, rude parfois, mais pour I'auteur, nécessaire. Elle
ouvre à 1a vie myst ique des chercheurs de Dieu qui connaissent
les longues nuits du doute er de I t absence et en cela rejoint les
intuitions de 1a spirirualité carmélitaine introduite avec ferveur
à Paris et dans t.oute 1a France par madame Acarie et ses auis.
Nous retrouverons quelques traces épisodiques de ceÈ
enseignement fondamenÈal donné par Ie Traité au hasard de 1a cor-
respondance de 1'évêque ou des Opuscules. Elles insisÈenÈ toujours
sur lridée de 1a persévérance au-de1à des difficultés avec le

(1) OeuvresW 133


-77-

thème du soleil qui vient à bout du brouillard :


Mais en fin, si vous ne treuves point de repos en ces
remedes, ayés paÈience; atÈendés que le soleil soit 1evé,
i1 dissipera ces brouillaLz (1).
ou encore, toujours dans la ligne du Combat Spirituel, elles meË-
tent 1'accenr sur 1a victoire de 1a rniséricorde divine contre
1rétat pécheur de 1'homme :
comn'une nûee dissipee n'empesche plus les rayons du
soleil de venir esclairer et eschauffer la terre, ainsy
j amais plus nes peches (2) .

LL224 Le soleil nresr as t,ou'tours a réable

Lorsqu'i1 nous décrit des réalités de la vie spirituelle


I
en les illustrant d images neËtant en je., 1e soleil, 1 révêque de
Genève nous présente toujours 1e soleil comme un synbole pos it if.
Pourtant, dans 1a vie de tous 1es jours, au hasard de
renarques anodines g1ânées dans sa correspondance, nous remarque-
rons que sa conception litËéraire et esthétique n'est pas Èoujours
à I 'unisson de certains désagréments du quor idien.
Ctest que 1e so1eil peut parfois être brû1ant, selon.-tes
termes mêmes de I'InÈroduct ion à 1a vie dévote :
que 1e soleil 1a brusle ou que 1a rosee la rafraichis-
se (3).
Le so1ei1, en ses ardeurs, ne favor ise guère non plus les voyages
en certaines saisons :
et croyés moy que 1e tems est plus propre au voyage
que si 1e soleil fondoit sur nos tesres ses ardent.es
chaleurs (4 ).
r1 ne facilite pas davant.age 1es guérisons comme en témoigne ce
passage touÈ renpli de sollicitude pour la
fondatrice de la
visiÈation qui eut sans doute querque peine à s taccoutumer aux
rudesses clinatiques de 1a contrée annécienne:
Vous estes donq bien enrumee, ma tres chere Fille,
Èenes vous bien a couvert du serein, je vous prie,
eË du soleil aussi... (5).

( 1 ) OeuwesXII 183
Q ) id. )fi\Ir 179
( 3 ) id. rrr 317
( 4 ) id. )CTII99
(s)id. )otr 105
-78-

une seule fois, pour en revenir à des passages de naËure plus doc-
r é v ê q u e
trinale, 1 nous expose une image négaÈive d tun soleil qui
peut aPParaître comme contradictoire face à tout ce qui nous avait
éEé montré. E11e sert à iflust.rer, en fin du chapitre II du IXème
livre du Traité I ' idée d rune invariable fidélité du croyanr au-
delà des épreuves extérieures mais surtout intérieures qu'il peut
rencontrer.
Le Propos en arrive à 1a descript.ion d'un paroxisme d'épreuves sous
les ËraiÈs d'un so1ei1, iurage de la figure du sauveur donÈ 1es
yeux alangouris et couv ertz des tenebres de la mort ne
jettoyent plus que des regards de douleur, comme aussi
1e soleil, des rayons d'horreur eË d'affreuses tene-
bres (1).

L I inspirar ion serait digne de quelque page d'Aubigné dans Les


Tragiques par exemple: e11e est suffisanment rare pour êÈre re-
marquable et ne constitue en quelque sorte que 1'exception obscure
qui confirme 1a règ1e lumineuse d tun solei1 toujours positif même
eÈ surtout s t il est nuancé dans son apparence.

11225 La priurauté du soleil

L'une des conséquences de 1'héliocentrisme spirituel de


François de Sales est 1 rutilisation d'un certain nombre d'images
simples, voire d'expressions courantes qui sous-entendent la pré-
éminence du soleil sur toutes les autres réa1 ités créées. Ceci ne
sera Pas pour nous étonner mais permeËtra une mise en valeur, une
insistance sous forme irnagée de certaines notions sur Iesquelles
1 'auteur dés ire aËt irer l t att.ent ion de son lecteur.
Le commandement d'amour, dans le Traité, est ainsi
qualifié :
ce commandement est comme un soleil qui donne le lustre
eE 1a dignité a Ëout.es res lois sacrees, a toutes Ies
ordonnances divines et a toutes les saintes EcriÈures.
Tout est fait pour ce celeste amour et tout se rapport.e
a iceluy (2).
Dans I'Introduction à l a vie dévote, 1e sacrement de 1'Eucharistie
- remis en honneur tout particulièrement. par la Contre-Réforme et
les Décrets du Concile de TrenÈe en réaction contre les
thèses
réformées, mais bénéfic iant auss i t
dans 1e mêue temps d un courant

(1) OetrwesV 145


(2) ibid. v 16s
-79-

de recherche spirituel 1e riche et profond , va être tout spécia-


lement mis en évidence :
Je ne vous ay encor point parlé du soleil des exercices
spiriruels, qui est 1e tressaint, sacré et tressouverain
Sacrifice et Sacrement de la Messe (1).
L'ins istance manifeste par 1a juxtapos it ion de superlat ifs d t appa-
rence Presque Préc ieuse est suggérée dès 1 t abord par 1e qual ifica-
tif de "soleil des exercices spirituels" inventé par 1'auteur.
D'autres exPress ions mineures esquissent cette mêue idée
de prééninence du soleil. Ainsi dans les conÈroverses :
Les esclairs illuminent uais 1e soleil esclaire (2).
Nous Èrouvons êgalement une expression générique dans le feu de 1a
polénique de L" Déf"tr"" d" ItEra"nd.rt d" 1" s"ina" croi*
mais s'i1 enÈend de f intent ion des cathol iques,
je 1uy ferai voir 1e contraire clair comme le so1ei1 (3).
ou encore' toujours dans 1e même ouvrage, un argument polémique
pour 1uÈter conËre f insinuation protestante que 1a dévotion à 1a
croix nuit à 1a relat ion avec Dieu 1ui-urêne :
Mays quelle jalousie pourroiÈ avoir re soleil ou 1e
feu de voir qu'on tient pour prus rumineux et chaud
ce qui les approcheroir de plus près (4)
€t, pour finir avec ces expressions plus ou moins courantes,
notons une phrase tirée d'une lettre à Jeanne de chantal :
Mais je vais vous presenter un soleiI au pris de
tour cela (5).
Dans cette dernière expression, le terme de soleil indique simple-
menÈ une réalité supérieure que 1'auteur va proposer à sa corres-
pondante.

11226 Le soleil et les autres astres

La prinauté du soleil est également affirmée par rapport


aux autres astres (6). Cette idée perDet 1a mise en oeuvre de deux
comparaisons assez simples tirées du Traité:

(1) OeuvresIII lm
(2) id. r to3
(3) id. rr 2n
(4) ibid. rr 16
(5) id. xrr 366
(6) cet ordre de la naËure
Peut être sa.rligné dans la prédication ccsne étant la nanifestation
éclatante drune Proviènce divine. Oeurres VII 89
_80_

Et jamais nostre entendement n t a rant de plays ir qu en


ceËte pensée de 1a Diviniré (... )
comme re moindre rayon du soleil est plus clair que 1e
plus grand de 1a lune ou des estoiles ains est pirr" lumi-
neux que 1a lune et les estoiles ensemble ( I )
ou encore,

La rharité est entre les vertus comme 1e soleil entre


les estoiles : elle leur distribue a Èoutes leur clarté
eË beaut ê (2) .
sans doute 1a conception exprinée n'est-e11e guère scien-
tifique en ce qui regarde res éroiles si elle sravère exacre pour
1a lune. E11e n'en renforce pas moins une fois de plus cette
intuition héliocentrique que nous présentons.

IT227 Le so1eil danslertaines expressions courantes

Le soleil en tant que réalité observée dans 1a nature est


encore ment ionné à plusieurs reprises de manière beaucoup moins
caractérisÈique voire quelque peu banale.
I1 contribue à indiquer et à désigner I'ensemble de 1a création
e11e-même dans 1 rexpression suivante de I'Introduction à 1a vie
dévote :

saint Louys, ltun des grans roys que le soleil ait vu (3)
Mais peut-être pouvons-nous voir ici une fine al lus ion polémique
au I ivre de LfEcclj:jelle qui affirme ttqutil
rty a rien de nouveau
sous le solei1..." (4)
rl, sert surrou! à nombre de formules de politesse plus ou
moins stéréotypées rorsque Itauteur stadresse à des grands de ce
monde ' La Prose latine ecclésiastique requiert des mét.aphores dont
re goûc nous paraîtra sans doute aujourd'hui quelque peu ampoulé.
L I évêque ne déroge pourt.ant nullement aux usages en vigueur pour
s t adresser au pape :
Sgl qggque_e_o abudantius.ac pressius radios suos
effundiÈ in hqec qosÈra inferioiffi, izont i
rnsideÈ ac doq!r,"4.. Tu auÈem, Beatissine pater cor es
et soI ÈoÈius ministerii ecclesiastici (5

(1) Oeuwes fV 74
(2) id. w 268
(3) id. rrr t9o
(a) qo r,re
(5) OenuresnI 72, traduit ainsi : 'De rÊ*
encore, c'est à rrEsurequ'il s'élève et plane à I ' h r
riznn, que le soleil darde ses rayoff; prus intenses et plus
ardents sur Ia terre. Or, très Saint
Père, vans êtes le coeur et le soleil àe ltétat ecclésiascique
tqrt entier.tt
-81 -

Quoiqu'avec moins d'amp1eur, 1a même inspirat ion se retrouve dans


cerraines formules de politesse épistolaires en français:
duquel 1e mérite se fera tousj ours plus paroistre
en Bontant, comme fait 1e solei1... (1)

Pourtant ces mêmes formules de pol itesse permettenÈ certains re-


tournements d t une grande finesse qui, sans conÈrevenir à 1a con-
venÈion qui fait du prince un soleil pour ses sujeÈs mêne avant
que Louis XIV en n'ait officialisé 1'appel1aËion, permet quelques
reproches bien sentis...
I1 seroit bien raysonnable gu€, comme 1es Princes
s'est iment les soleils de ce bas monde, iIz rendissent
les rayons de leurs regars effe ctifz, ainsy que ceux du
soleil 1e sont en 1a terre (2).
Terminons avec ce paragraphe sur 1e soleil en conÈact avec 1a
crêation par deux petiÈs traits qui monÈreronÈ que François de
Sales écrivain ne négligeait pourtant pas 1a réa1ité ménagère 1a
plus quotidienne, ainsi quten témoigne cette recommandation tirée
des Constitutions et. règles de 1 r O r a t o i r e de Tonon qui charge 1e
préposé à 1a sacristie de :
mettre les habitz, paremens eÈ pavillons aussi
quaÈre fois 1'annee au soleil (3).
De même, ce Èrait des anciens usages juridiques féodaux relatif à
un prédécesseur de François de Sales sur 1e siège épiscopal de
Genève:
L t evesque Ademarus leur donna pouvoir de connoistre et
jrrger les crimes et occurences qui surviendroyent des
1e solei1 couchant jusques au so1eil levant (4 ).

lI23 Le soleil chez les humanisÈes anciens

François de Sa1es, pour cette image essentielle du so-


1ei1, n'a guère éprouvé 1e besoin de s t inspirer des humanistes
anciens. On ne retrouve pas dans ses oeuvres dtemprunts aux mythes
solaires, à la mythologie ou aux métanorphoses chères aux auteurs
grecs et latins.
Dans Ies recueils de sirnilitudes écrits de sa main et
publiés dans 1es Oeuvres complètes, on ne Ërouve que deux mentions

(1) Oeuwes)trV 23
(2) lettre au Baron Addée de Villecte dans Oarwes )ff 265
(3) Oeuwes XXIV435
(4) ibid. )ocv 278
-82-

directes du so1ei1. Une première nta jamais servi (1) eE une secorr
de raPPorte les propos de Pline relatifs à 1a vi1le de Séleucie :
"mihi esse videor in i11o monte Cassio, Seleuciae
v ie ino, de guo Pl inius ait videri utrumgue hemispherium,
unde duabus horis posÈ mediam nocÈem videÈur ex una
parte nox obscuriss ima, ex al ia dies lucidiss imus" (Z) .
Cette dernière image sera reprise par l t auteur dans sa prédica-
Èion (3).

1124 Lrimage du soleil empruntée à 1a Bible

11241 Des expressions hébraîques

Nous avons tnentionné, dans notre introduction, I t impor-


tance de f image du so1eil dans 1'Ecriture.
L'emprunt que fait François de Sales à ceËËe source est
assez important. Dans un premier t.emps, il présente dans un cer-
tain nombre de passages de ses Oeuvres l tutilisation d tun hébraîs-
me courant dans 1a littérature prophétique et tout particulièrement
inspiré du prophèÈe Malachie. Cette construct ion part icul ière
consiste à adjoindre un déterminant de nature abstraite au terme
I'so1ei1"
Pour évoquer l texcellence de ce dont il est quest,ion dans
1e texte. Malachie ltemploie pour définir son Dieu comme Ie
"so1ei1 de Justice", terme qui esE cité directemenr à plusieurs
reprises Par François de Sales, et particulièrement par trois fois
dans 1e lraité (4) :

;ii":'":i:;i"::1::.T::: "?lr
i::::::""i:"i::";J;:;":::.
rci, lfauteur, parlant de Marie, en vient à définir cette excer.
lence d'inspiration qui est à ltorigine de 1'rncarnation. Nous
retrouvons 1e même terme pour traduire cette fois une inspiration
plus générale que Dieu adresse à tous:
et Dieu, soleil de justice, darde sur tous, tres suffi-
samment ains abondanment, les rayons de ses inspirations,
i1 eschauffe nos coeurs de ses benedictions, touchant

(1) Oeuwes )Ofln 153


(2) ibid. )Ovr 126 cite Pline 'Ilistoire 1, v, c. )0[I, traÀ:it ainsi : "la ville de
@!]9]'
Séleucie audessus de laquelle le I'trrrt Caslts est celle.rpnt élevé qutil y esÈ possible derx heures
après miruit de voir d'un côté le soleil levant et de l'zutre la pleire nuit."
(3) Oetmes VIII 262
(4) Iæs Senpns utilisent fréquænt cette to,rrnure par exerple Oeuvres VII 4æ, 440 et passlm.
(5) OeuvresV 52
-83-

un chacun des attr ait z de son amour ( 1) .

Lfutilisation de 1thébraîsme entraîne ici une métaphore plus


développée puisqu'elle permet 1'utilisation tun
de I des attributs
du soleil, les rayons, pour qualifier f inspiration. cet.te même
image étaiÈ présenÈe auparavant, à propos de 1a notion de vérité
qui ne peut, dans une vision de foi, que provenir de 1a divinité
e11e-uême.

et les docteurs, pâr leurs recherches et discours,


proposent 1a vérité, nays 1es seuls rayons de so1eil de
just ice en donnent 1a certitude et acquiescement (2) .

Nous not.erons au passage qu'une f ois de plus l'évêque


exprime ici f idée que I rattitude de foi, si elle requiert 1'humi-
1ité devant 1a révélation, ne dispense pourtant aucunement dtune
recherche exigeante de 1a vérité, recherche donË certaines tradi-
t ions obscurant istes ont peut-être voulu parfois faire f impasse.
L'enploi de ltexpression"so1ei1 de jusÈice"va permettre
êgaLemenË un développement. plus important d'une évocation hiver-
nale à propos de 1a ville de Genève. Faut-i1 rappeler que toujours
1e regard de 1'évêque se tourna vers son siège épiscopal, pour lui
inaccessible, et que longËenps i1 crut possible une restauration
caÈhol ique dans 1a ville de Calvin ?. Le Èexops n'était pas à
ltoecurnénisme au sens moderne de ce mot, mais à un affrontemen!
sans merci. Ce sera Irhonneur de François de Sales d'avoir porté
cet affr ontement sur 1e t.errain de 1a charité, du dialogue et du
refus de 1a violence. Ceci dit i1 serait parfaitement anachronique
d'imaginer sous sa plume des concessions à une religion réformée
qui avait bien failli ruiner I'Eglise catholique savoyarde.
l'lais 1e froid si rigoureux, les glaces si fascheuses de
I thiver de 1a religion qui domine maint.enant dans vos
murailles, m'a fait passer en une region plus douce et
salutaire, en attendant qu'apres les apretés de cette
sayson si tenebreuse, 1e Soleil de Justice, ranenant sa
lurniere sur vostre orison, y face renaistre 1a prime et
premiere amaeniré'de 1a'sainte piét ê et devot ion ( 3 ).

De manière cons idérablemenÈ moins développée cette expression


apparaît encore sous 1a forme d'une invitaÈion à l t a dresse
de
t
1 un de ses correspondant s :

( 1 ) Oeuvres IV 230

Q) ibid. w 135
( 3 ) Iættre an< habitarrts de Cenève Oeurres )CII 391
-84-

s'exposer au Soleil de Justice (i).

Dans une allusion plus familière à 1a réalité domestique, 1'hé-


braîsme permettra êgalement cette charmante comparaison de 1 rorant
avec un paisible dormeur prenanE soin d'aérer soigneusement sa
chambre :

Cet exercice ici ne doit jamais estre oublié, non plus


que celuy du natin; car par celuy du matin vous ouvres
les fenestres de vost.re ame au Soleil de Justice, et par
celuy du soir, vous les fermes aux Ëenebres de
lrenf er (2).
Nous retrouvons 1a même construcËion à une autre occasion, avec
cette fois 1e changenenÈ du deuxième terme, I'amour céleste ét.ant
défini comme soleil des vertus.
O Jésus, que ctest un playsir delicieux de voir lramour
celeste qui est 1e soleil des verÈus, quand pet.it. a pe-
t it, par des progres qui insens iblement se renden!
sens ib1es, i1 va desployanË sa clarté sur une ane, et ne
cesse point qu'i1 ne I tayt toute couverte de 1a splen-
deur de sa presence, 1uy donnant enfin 1a parfaitte
beauÈé de son jour (3).

La métaphore se déploie ici avec 1a délicatesse de nuance dtune


be11e aube finement observée. Le je., des qualificatifs, en respec-
tant parfaitement 1a cohérence de f image du solei1 levant, permet
1tévocation dtune gradat.ion qui joue sur les nots "sensible" et
"sensibtement" pour aboutir au plein déploiement tun jour qui
d
évoque l'âme dévote en relat ion avec son Dieu.
Dans un autre passage, cetÈe construction est encore enployée avec
cerËe fois un épithète qui en renforce le sens :
La chariré, qui esËans une vertu non point hunaine mais
celeste, non point morale mais divine, elle est 1e vray
soleil des verËus, sur lesquelles e11e doisÈ tous-jours
dominer (4 ).
I1 esË sans doute possible d'apparenÈer ce cype de phrase à I'ex-
ÈraiÈ suivant, toujours emprunté à I'IntroducÈion à 1a vie dévote
qui présenËe alors 1'ellipse du déterninant :
et n t esËans point accousËurnee d rattendre en
patience 1es retours du vray soleil , i1 leur senble

( 1 ) Oeurres XV 20

Q) id. w 130
(3) id. rrr 91
(4) ibid. rrr 150
- 8s

qu'e11es ne sont ni en 1a terre ni au ciel (1).

11242 Des citations tirées de divers Livres Bibliques

Après avoir cons idéré I I emploi par François de Sales


d'un nombre inport.anË d r e x p r e s s i o n s t o r i g i n e
sémantique d hébraî-
gu€, et plus précisérnent prophétiques, qui 1ui servent à nettre en
oeuvre des méraphores plus ou moins filées, nous allons considérer
rapidement 1es emprunts faits par t
I auteur à divers Livres bibli-
ques pour présenter des images relatives au so1ei1.

IL242l Le livre de la Genèse


Le Livre de 1a Genèse ne constitue pas une source rrès
irnportante d t inspiration dans ce domaine. r1 y est simplement
rappelé que 1e soleil est une réalit.é créée par 1e Verbe de Dieu.
Ce Verbe ntest pas parole seulement, mais acte, effet, directement
visible pour 1e croyant. En voyant 1e soleil, i1 verra donc le
verbe de son Dieu, ouvrage parfait déjà mais d'une perfecÈion 1i-
nitée en regard de celle de son créateur. En cela 1e croyant sera
invité à comprendre comment et pourquoi 1a nature tout ent. ière
esË 1e Livre de 1a Parole de Dieu.
Dieu ne dit qu'un seul mot, et en verÈu dticeluy en un
momenr furent faitz le soleil, 1a lune , êt cette innom-
brable multitude d'astres, avec leurs différences en
clarté, en mouvement, en influence.
"I1 dit, et soudain f urent f ai,rz
Tous ces ouvrages si parf airz,' (Z)

Deux vers octosyl labiques viennenË renforcer ic i, sous forme de


slogan, 1'évocation de 1a'Sarole en actes" de 1a divinité
créatrice.

Ce principe étanË rappelé, François de Sales passera


Èoujours sans effort du so1eil crêê au créareur du soleil dans
bon nombre de méËaphores et de comparaisons sans jaurais que son
propos ne soit teinté de 1a moindre tentation de néo-paganisme.
L12422 Le Livre de I'Exode
Le Livre de I'Exode avait privilégié 1e thème du feu
I
avec 1 inage du buisson ardent. De fait, 1e sole i1 n t y apparaît-il

(1) Oeuvres III 333, I1 serait possible de replacer égalaænt dtrrs ceÈre catéærie d'e:pressions
drorigire hébraÎque, des ænticns ccme t'le soleil des s<ercices spirituels" qui qualifie
lrBrcharistie - ce qui nans avait seùlé davantagerelever drtre notion de préâninencedu soleil
en tant que créature obsenrée -
(2) id. rv 91 ciranr à la fin Ps 148,5
- 86

pas directement. On ne trouve qutune seule allusion à cela dans

1e livre des Cont.roverses; e11e fait état de cetEe ancienne con-

ception vétérotesEamentaire qui affirmait que nu1 ne saurait voir


Dieu sans mourir; c'est 1a raison pour 1aque11e, selon 1a tradi-
tion, l'1oîse ne puË voir Dieu que de dos... Dans ce passâBe,
1'auteur reprend un paral1è1e allégorique déjà présenté par saint
Paul entre 1e grand prêtre de ltAncienne Alliance et 1e Christ
et par 1a lumiere du so1eil de justice, 1eque1, bien
qu t il soit levé, esÈ neammoins voilé a nos yeux par
nostre propre mortalité, car 1e voir face a face
ordinairement n'appartient qu'a ceux qui sont delivrés
du cors qui se corromp... (1).
La reprise du terme "so1ei1 de justice" perneE une fois de plus
r
l emploi du langage métaphorique 1e voile étant ici 1a
"voilé",
condition mortelle de 1'homme dont if sera un jour délivré pour
accéder à 1a p1énitude de 1a lumière divine
LL2423 Le Livre de Josué
Du Livre de Joqqé, François de Sales retiendra surtout

1'épisode de 1a bataille de Gabaon (2). La tradition rapporte que

Josué irnplora Dieu, ce jour-1à, de suspendre 1e cours des astres


pour permettre à sa nation de se venger de ses ennemis et de

manifester ainsi que "Le Seigneur combaÈtait pour Israë1".

François de Sales utilise ce passage dans La Défense

comme argument pour montrer à ses conrradicteurs réformés que


f invocat ion des saints et aurres prat iques caÈho1 iques ne sont
nullemenE des usages paîens qui détourneraient de Dieu:
Voicy un exemple signalé: Josué désire que 1e soleil
et 1a lune s'arrestent eE parent au milieu de leur
carriere; a quoy, je vous prie, stadresse-i1 pour en
avoir 1'effect ?
i1 fait sa requeste a Dieu... mais quanÈ a ses
paroles elles n'arrivent. que jusques au soleil et a 1a
lune (3).
Une autre évocation de cet épisode présenEe un tour beaucoup moins
polémique mais par contre beaucoup plus empreint d thumour. Il
t passage t parle
s agiÈ d'un de I'IntroducÈ ion dans lequel 1 évêque

de certains exercices spiriruels qu'i1 conseille à Philothée.

( 1 ) Oeuwes I 307

Q ) Jos 10,12 sq.


( 3 ) Oeuvres II 158
87

Faites donq hardiment ces exercices selon que je vous


les ay marqués, et Dieu vous donnera assez de loysirs
et de force de faire tout 1e reste de vos aff.aires I ouy,
quand i1 devroit arrester 1e soleil comme i1 fit du
tems de Josué. Nous faisons tous-jours asses quand Dieu
travaille avec nous (1).
Enfin, une troisièure nention de 1a même source' toujours dans le

uême ouvrage, apporte un paral1è1e intéressanË entre 1'Anc ien ef

1e Nouveau Testament. La pointe du propos reprend 1e thème du


so1eil non sujet aux vicissitudes et en cela image du Dieu
inaltérable.
Le so1eil s'arresta une fois en faveur de 1a victoire de
Josué et s'obscurcit une autre fois en faveur de celle
du Sauveur; nu1 ne dira pourtant qu'i1 soit iurstobile ou
obscur (2).
112424 La tradition psaluique
La fréquentation des Psaumes par François de Sales est
importante. La liturgie, ses études Ëhéologiques effectuées à ti-
tre personnel mais plus encore les Heures récitées fidèlement
depuis sa vie estudiantine 1'ont depuis longtemps farniliarisé
avec ceËte tradit ion psalmique qu'i1 c itera auss i volont iers en
1angue 1 at ine qu t en frança i s .
t'Sa
Nous trouvons une premi-er emprunt aux Psaumes :

dynastie durera toujours eE son trône sera devant moi comme 1e


so1ei1" (3). "Que 1'on te craigne, tant que le so1eil eÈ 1a lune
brilleront, jusqutau dernier des siècles" (4). Ces citations sont
attribuées par François de Sales non pas au règne royal de David
mais à ce qui constitue à ses yeux et selon 1a tradition de
I'Eglise sa succession, ctest à dire 1a pérennité de 1'Eglise.
Elles viendronÈ, dans le Livre des Controverses, donner une ass ise

scripturaire à 1a certitude que l tEglise catholique reçu voca-

Ëion d'éterniÈé par opposition à 1'Eglise réforurée de concept ion

toute nouvelle.
C'est lrEglise que 1e Psalmiste chante:
Dieu lta fondée en éternité.

( 1 ) Oeuwes III 364


Q ) ibid. rrr 240
( 3 ) Ps 88,37
( 4 ) Ps 71,5
- 88

Son trosne sera comme 1e soleil devant moy,


et comme 1a lune parfaitte en éternité (1).

Le soleil apparaît encore à 1'occasion du Psauure 18 qui


offre une description personnifiée du soleil sous les traits d'un
jeune époux qui sort de sa tenËe ou encore un champion, joy"ux de
prendre sa course. "Drun bout du ciel i1 surgit, i1 vire à 1'autre
bout, et rien n'échappe à sa cha1eur". Ce Psaume est davantage
descripÈif et présente 1a réa1 ité dans 1a foi de 1a créaÈion
divine bienfaisante. En 1e reprenant, François de Sales 1e trans-
forme pour en faire un Psaume de louange :
Dieu soit a janais loué de 1a chaleur amoureuse duquel
nul ntest esconduit ni cach ê (2) .
Nous retrouvons ici illustré 1e thème très cher au salésianisme
tun t
d appel universel à une vie "dévote", réponse à I inspiration
communiquée aussi certainemenÈ à tous que IresË la chaleur du
soleil sur toute 1a création. L'associat ion de mots "chaleur
amoureuse" situe 1e propos dans 1e domaine mystique et non point
seulenenr spéculatif comme pourrait ltêtre un discours sur 1a
grâce.

Ce même passage sera ut. i1 isé de manière beaucoup plus


conventionnelle sans douEe dans une lettre au roi de France
Louis XIII pour intercéder en faveur des églises de Gex. La cor-
respondance soignée ne dédaignait pas de faire appel à des cita-
tions bibliques pour appuyer un propos d'intêrêt politico-
rel igieux. L I auteur, visiblement, soigne 1a forme :
Sire,
Rien n'esE caché à la chaleur du soleil en ce monde;
rien n'est non plus esloigné du soin des bons Rois en
leurs nonarchies. C'est pourquoi Vostre Majesté a
regardé 1'église de Gex... (3).
Nous trouvons un dernier emprunt à cette tradiC ion, non pas touË
à fait du reste dans 1e registre des Psaumes, nais dans celui qui
s'y apparente beaucoup, celui des hymnes liturgiques. I1 s'agit
ici d'une allusion au "benedictus" qui est récité dans 1 ffice
' o

lat in du mat in et qui se traduit ainsi : "So1ei1 levant qui vient

(1) Oer:vresI 63. Cet argwent scripturaire sera repris à diverses reprises. Oer.nrres
I44,69, I27,
132, 139, soiÈ seul, soit en associaËion €tvecune série dti'n"æs évoquant la fu réalité : la
lr.ne, lrarrerrciel, la rcntagne.
(2) id. xrv 46
(3) id. )Mr 176
- 89

nous visiter, lunière sur ceux qui gisaient dans les ténèbres et

lrombre de 1a mort..." (1)


Nostre Seigneur tuesme est nomme Soleil Levant et
NosLre Dame Aube du jour, je pense que ctest un soin
vertueux de prendre son sommeil devers 1e soir a bonne
heure, pour pouvoir prendre son resve i1 eÈ faire son
lever de bon rnatin (2).
Le conseil, donné à Philothée est sans doute précieux eÈ rend

compÈe en tous cas d'un mode de vie forË éloigné du nôtre et plus

proche de la nature. Cependant, d'après les témoignages de ses

familiers lors des procès de canonisarion, nous nous rappellerons


que 1'évêque urettaiË bien mal en pratique cette sage résoluÈion

eÈ que souvent sa correspondance volumineuse 1e voyait veiller


ttpassé
minuittt.

112425 Le Cantique des Cantiques


Le livre du Cantique des Cantiques a été pour François

de Sales un éblouissement lors de sa vie étudiante à Paris. Dès

I594, âgê de I7 ans, i1 obtient de son précepteur de pouvoir sui-


vre 1es cours de Génébrard, bénédictin de Cluny, sur le Cantique

des Cantiques (3) traduit en langue latine en vers "iambiques".


Ce sera pour lui une mine d'images qui s'affinera jusqu'à en opé-
rer une grande synthèse au fur et à rnesure qu'il en utilisera 1a
mat ière dans toute sa portée eÈ sa richesse. "I1 découvrira ainsi
par 1e Cantiquer gu€ touÈe 1a CréaÈion chante 1e Créateur, et
quten partant dtune même inage: uû mêne mot peut renfermer en soi

une mine inépuisable de significations et de valeurs, dès f ins-


tant qutelles ne stopposent pas ni ne se conËredisent, tout comme

dans les graines se trouve déjà contenu irnplicitement 1a plante

ent ière dans toute sa variéÈé" (4 ).

Dans son Commentaire du Cant ique, François de Sales


souligne 1e rô1e tout à fait privilégié du so1eil dans ce texte

biblique. Il est probable que c'est ici que son héliocentrisme


trouve sa jusÈification scripÈuraire. Le Cantiquer on s'en sou-
vient, met en scène deux amoureux, la partenaire féninine étanÈ
gui, t
1a Sulamite conformément à l original bibl ique, nous est

( 1 ) l-c.I, 78-.79

Q ) Oeuwes III 20
( 3 ) ainsi qu'il lroqplique dans le Traité de lrAquJr de Dieu, Oeuyres V 277
( 4 ) Brix André : Franqois de Sales cænte le Cantique des Cantiqr.ps, Crapcrne, 1984.
- 90

ainsi décriËe :

Ne prenes donq pas garde a ce que je suis brune, car


mon Soleil m'a voulu ainsy laisser en ceste guerre : 1e
soleil m'a donné 1e teinE que j'ay, et ne E'esÈ pas
advenu par ma faute, mais par ce11e des premiers enfans
de 1a nature humaine, tna mere (1).
La Èraduction présentée par François de Sales est assez libre,
conformémenË à Iravertissement que 1tauteur a cru bon dtadresser
à son lecteur :

Je ciÈe aucunefois 1'Escriture Sainte en autres termes


que ceux qui sont portés par 1'edition ordinaire : o
vray Dieu, tnon cher lecteur, ne me fay pas pour cela ce
tort de croire que je veuille rne depart.ir de cetÈe edi-
tion-la; ah non, car je sçai que le SainÈ Esprit I'a
authorisee par 1e sacré Concile de Trent.e, et que par-
tant nous nous y devons Ëous arrester; ains au conËrai-
rê, je n'employe 1es autres versions que pour 1e
service de celle-ci quand elles expl iquent et confir-
ment son vray sens (2).
Nous voici prévenus... Le discours de 1a bien-ainée prend iéi un
ton encore plus personnel que dans 1e texËe originel avec 1'appro-
priation qu'e11e fait du soleil: t'mon So1ei1" eE sa personnifica-
tion: 1e soleil a voule ce hâ1e, alors que dans 1a Bible 1'expli-
cation que donne 1a jeune femme de son teint brun est I'obligation
imposée par ses frères d'a11er surveiller les vignes (3).

L'insistance ntest plus alors sur 1a vigne, syubole du peuple


d'Israë1, mais sur 1e soleil, image de 1a divinité aimante, conme
nous 1'avons déjà dit. Le dialogue amoureux des deux époux, dans
ce même commentaire remet en scène le soleil avec cette phrase:
Vois-tu bien ce soleil, o mon épouse, ces estoilles,
ces cieux, ceste terre, ces rochers ? Ce sont autant
de voyes et de chemins pour me trouver (4).

Le thème est ic i asse z di fférent, i1 res itue 1es réa1 ités les
plus éclatanËes de 1a création comme étant des chemins, un passa-
ge, une sorte d'escalier ou dtéche11e comme 1e suggère
Bellarmin (5), pour monter à Dieu, dans une relation amoureuse

(1) Oeuvres)OilII 17
(2) id. w e
(3) ct 1,6
(4) Oetrvres)O(VI18
(s) nettarminn. Eq
Lenm cre.t.n-)
- 91

soulignée ici p"r 1e terme "épouse", 1'époux étant cette fois 1e

Se igneur lui-même .

Mais revenons au Èeint de notre Sulanite. Ce trait est cité avec

sobri,éEê et exactitude dans une letÈre de l602 à une religieuse(l).

Le Traité nous invite à faire un pas de plus en nous proposanÈ


une identification directe du soleil et du bien-ainé représentant
Dieu, cetÈe ident. i ficat ion inversant même 1e Douvement du texte :
test 1e qui a hâ1é jeune qr'ralifié
c "Bienaymé" 1a femme; "bienaymé"
après coup de so1eil alors que dans 1e prernier texËe 1e soleil
avait hâ1é 1a dite jeune femme, soleil sous les traits duquel
Ëransparaissait le "bienaymé"
car j e suis voirement I que
brune , d autant mon b ienaymé
qui est mon soleil, a dardé les rayons de son amour
sur moy (2) .

La reprise t
et I insistance sur ce détai1 du teint de 1a Sulamite
nous introduit à un Èhème cher au sa1ésianisme: lramour de Dieu
transfigure radicalemenË Èout comme 1e soleil transforme 1e teint
de celui qui stexpose à son ardeur. Cette transformation rend
beau et attiranË.

Dans une autre letrre à des religieuses du monastère des


Filles-Dieu, François de Sales, en utilisant. ce même thème, trouve
1'art et 1e manière d'adresser quelques reproches à ceEÈe maison
non réformée de façon toute spirituelle et agrêab1e:
Ne prenes pas garde a ce que je sois brune, car
c'est 1e solei1 qui mta hâ1ée.
Or, je pense que vous pouvez bien en dire autant de
voËre maison. E11e est be11e, ctest vrai, mais 1e
soleil, c'esE à dire 1e temps, 1a longueur des jours
a altéré son tein ( 3 ) .

Le recours à 1a citation biblique esr ici intéressant car il est


tout à fait connoté en conËradict ion avec ce qui précédaiË : ce
n'est plus 1e hâ1e d'un so1eil symbole de I'amour divin qui rend
1a jeune femne jo1ie, mais c'est 1a jeune femme qui est belle
nalgré 1e hâ1e fait de longueur et d'usure du t.emps. CetËe inter-
prétat ion demeure cependant except ionnelle : François de Sales
propose à son lecteur une auËre ident ification | du
entre 1 amoureux

( l ) Oeurres XII 146

e) id. rv 357
( 3 ) id. )otr 68
92

Cantique et 1e soleil, identification que 1e texte biblique ne


permeË pas dtopérer directement. I1 est en effet dit : "Le voici
par 1a fenêtre, i1 épie par 1e treillis" ( 1). Ce qui ét ait 1e coup
d'oeil conplice d'un garçon qui n'a pas libre accès dans 1a maison
et demande à 1a fille de 1e rejoindre dehors prend une najesté
singulière si ce garçon attributs
a les solaires
' " t t t r e v o is,
Hé ! Seigneur Sauveur, j ce me semble, 1a
clairté de vostre oeil debonnaire qui nous permeÈ le
retour de vos rayons Pour faire renaistre un beau
printemps en nostre terr e (2)
Notons ici que c'est 1'amoureux qui fait naître 1e printemPs,
alors que dans 1e texte, 1e jeune homme se contentait d'indiquer
à son amie, par une suiEe de très belles images poétiques,
I'arrivée du prinremps et du temps des anours...
Cette inÈerprétat ion demeure durablemenÈ dans 1e paysage syrnbol i-
que de 1'auteur, puisqu'on 1a reErouve à diverses reprises dans sa
correspondance, sous une forme dynaurique eÈ même assez Iapidaire.
Mon Dieu, ma Fi11e, que ce Ciel est beau, maintenanÈ
que 1e Sauveur y sert de sole i1 et 1a poicrine d'iceluy
d'une source d'amour de laquelle les Bienheureux boivent
a souhait (3)

ou encore
Cheminés donq tous jours ainsy aupres de Dieu' car son
ombre est plus salutaire que 1e soleil (4)

et enfin
Or sus, ma chere Fi11e, tenés vous bien a Dieu;
consacrés luy tous vos travaux, attendés avec Par ience
1e retour de vostre beau soleil (5).

Le baume, é1ément synbolique du Cantique que nous décrirons en son


temps, apparaît égalemenÈ conjointement à f image du soleil.
I1 ne faut pas laisser 1a tressainËe communion pour
ceste sorte de ma1; car rien ne r a m a s s era mieux vosËre
esprit que son Roy, rien ne 1'eschauffera tant que son
so1ei1, rien ne 1e destrempera si souëfvemenË que son
bausme ( 6 ) .

( 1 ) Ct 2,9

Q ) Oeuwes )W 151
(3) ibid. )$ 22t
(4) ibid. xv 319
(s)ibid. xv 161
( 6 ) id. )Mrrr 136
-93

Enfin, nous retrouverons dans une suite de comparaisons s imples,


directement puisées dans 1a synbolique du même texte, 1 rassocia-
tion du soleil et du 1ys, fleur que nous examinerons êgalement
dans une autre partie.
La chasteté qui t ient nos ames blanches comme le lys,
pures comme 1e soleil ( 1) .
Avec 1e Cantique srachève notre évocaËion salésienne du
soleil dans l tAncien Testament. Les Evangiles à leur Ëour vont
donner à François de Sales quelques iurages que nous allons obser-
ver.
112426 LrEvangile de Matrhieu
L'épisode de 1a Transfiguration s t insère dans 1a tradi-
tion des théophanies, c fest à dire de ces manifestations specta-
culaires de 1a Divinité dans Ia Bible. r1 est vrai que 1a repré-
sentation glorieuse de 1a divinité varie selon les civilisations.
Toutefois le halo solaire a souvent exercé unes fascination relle
quril a êté une figure du pouvoir d'origine divine.
La transfiguration dans I r E v a n g i l e
de Matthieu est
reprise par François de Sales dans un essai de poésie datant de
1598 :
Nous avons veu, Seigneur, ceste face si claire,
Plus claire mille fois que n'est le beau soleil
Lhors quten son plein nidy 1e plus forË il esclaire
Et que cest univers i1 regarde a ple in oe il (2) .
Sans doute ces alexandrins ne figureronÈ-i1s jarnais dans l t antho-
logie des poètes de 1a Renaissance. I 1s sont les témoins en tous
cas de ces poésies religieuses Ërès courantes qui étaient souvent
mises en musique comne 1'atËeste plusieurs fois 1a correspondance
de 1 I évêque. La personnificat ion du sole i1 esr intéressante en
tant qurelle associe son rayonnement à un regard, Ehème que nous
exposerons dans 1es "imaginations" â la fin de ce chapitre.
"Ltheure de midy" est êgalement privilégiée dans cette évocation
du so1ei1, thème qui sera repris également à 1a même occasion.
112427 LrEvangile de Jean
Le prologue de lrEvangile de Jean propose aux textes
satésiens un rnatériau assez riche de I I image du soleil en

( 1 ) Oeuvres )trV 19
Q ) id. )OflI 106. I€ prédicatior reprend des te:ces secblables. cf. OeurrresUII 278
94

présentant un long développernent qui oppose la lumière du Christ


aux ténèbres du mal, du refus et du'hronde".
Cette opposition Èraverse tout 1 rEvangile de Jean, comme en témoi-
gne parmi de nombreux autres, ce passage :
"Marchez tandis que vous avez 1a lumière, pour que les
ténèbres ne s'emparent pas de vous : car celui qr'ri urarche
dans 1es ténèbres ne sait pas où i1 va. PendanÈ que vous
avez 1a lumière, croyez en 1a lumière pour devenir des
fils de lurnière" (1).
Pour François de Salesr l'une des causes de I'obscurité de son
temps, c'esË lrhérésie, comme 1'exprime certe phrase en italien :
et lasciate 1e Èenebre del1a heresia calviniana sonno
venuËe a1la vera luce di Christo Jesu, nostro vera
luce (2).
mais 1e plus souvent 1a dénonciation laisse place , plus générale-
nent à une invitacion comme celle-ci :
serves vous du peu de lumiere que vous avés, dit le
Seigneur, jusques a ce que 1e soleil se leve (3)

112428 Dans les Lettres apostol iques


Le sole i1 n'est pas un thène très fréquent dans 1es
l"ttr"" . L'auEeur ne 1e mentionne qutune seule fois,
"p""t"tiq
de manière indirecte, pour reprendre les ternes de 1'apôtre Paul
qui conseille de ne pas se coucher en état de colère eÈ de non-
réconc i1 iat ion.

Que si une fois 1a colere peut gaigner 1a nuit eÈ que


1e soleil se couche sur vosÈre ire, ce que l tApostre
defend, i1 nty a quasi plus moyen de s'en defaire (4)

112429 Dans 1'Apocalypse


Dans f iconographie rApocalypse
de 1 1e soleil est beau-
coup plus présent. Ainsi Marie apparaît-e11e avec les attributs de
1a puissance que ltauteur, Jean de PaÈmos, emprunte de manière
po1émique au culte d'Artéuris d'Ephèse avec lequel 1a jeune chré-
tienté se trouvait en concurrence. La figure de 1a femme enveloppée
de so1ei1, de lune et dtétoiles appartient. en effeË au patrimoine

courant des représentat ions Dythologiques cosmiques. Dans

(1) Jn 12,35
(2) Oeuwes )O{tI 168 "... et quittant les ténèbres de lrhérésie calviniste, sont venues à la waie
h-urière du Christ Jésus, noËre wai Soleil."
(3) id. )trrr 82
(4) id. III 164 se référanr à EÉr 4,26
95

lrApocalypse, le so1ei1 n'est plus divinisé en tant que te1, i1


constitue simpleurenÈ 1e vêtement de gloire, mais aussi 1a subordi-
naÈion absolue de l tancienne croyance au message du ttkérigmett
transrnis par les prédicateurs chrét iens. La lune conserve sa fonc-
tion de synbole de 1a beauté, subordonnée e11e aussi à 1a figure
de 1a Vierge chrétienne er les étoiles, les divinités inf.êri.eures
du monde paîen au service de 1a gloire nouvelle de 1a Vierge et
présentées en foncÈion d'un chiffre symbolique biblique : L2
habituellement eE parfois 7.
Dans 1e Traité, François de Sales nous propose une fois une image
de 1a sorte :

Mais si jamais Marie songea, comme 1'ancien Joseph, a


sa grandeur future, quand au ciel e11e seroit revestue
de sole il et couronnee d'estoiles, et 1a lune a ses
pieds (1).

Cette représentaÈion était sans doute faurilière aux


conÈemporains de François de Sales puisqu t une 1eËËre de remercie-
menEs de François de Sales à Jeanne de Chantal reprend en les

commentant les motifs choisis pour ltornementation d'une chape :

car 1a chappe esË touÈe au nom de Jesus et de Marie, et


represente parf ait.ement. 1e Ciel des bienheureux, ou
Jesus est 1e soleil et Marie 1a lune, luninaires presens
a Ëoutes les estoilles de cette sainte habitation; car
Jesus y est tout à tous, et nty a poinË dlestoilles en
ce globe celesËe en laquelle if ne soit representé
comme en un miroûer. (2)

Cette lettre de 1613 rejoint curieusement une intuit ion très forte
que François de Sales porta toujours en 1ui et qu'i1 sut develop-
per et communiquer dans tous ses écrits: cel1e de 1a présence

universelle de son Dieu auprès de chacune de ses créatures, pré-

sence aimante et transformante qui ne se dément jamais et constitue


de fait un appel universel à 1a sainteté. Tout cela se Ërouve déjà
en germe dans 1e "Règlement de Padoue" du jeune étudiant.
Le so1eil ny ses rayons ne sont pas ma lumiere princi-
pale, ny 1a compaignie ne me sauve pas, mays Dieu seul,
lequel mrest aussi propice 1a nuict comme 1e jour (3).

1125 Le solei1 dans 1a tradition patristique et hagiographique

En suivant toujours 1e classement proposé, nous

( 1 ) Oeuwes W 1%
Q ) id. )w 368
(3) id. )otrr 32
96

évoquerons dans une même partie les inages de soleil d t origine


patristique ou hagiographique.
La PatrisÈique est I tun des domaines inportants des
études théologiques. Rappelons que François de Sales n'eut janais
1 t occas ion de fréquenter un cursus théologique complet : en e ffet
sa formation fut essentiellement juridique et i1 dût, dans un
premier temps, suivre une formation théologique en cachette avant.
de pouvoir officiellement s'adonner à une recherche en ce domaine
qu'i1 dut mener de front avec une spécialisation juridique de haut
niveau. Sa format ion patrologigue esË pourtant asse z approfondie.
La variété des auteurs mentionnés nous en laisse percevoir un
choix imporÈant de lectures et peut-être également 1e recours à
des recueils de citations patrisÈiques uËilisés pour 1a prédica-
t ion de 1 ' é p o q ue .

La Patrologie pertret de fonder une interprétation de


1'Ecriture dans 1'honélithique catholique. Dans 1es ouvrages
polémiques avec 1'Eglise Réformée,1'appel aux texËes des Pères
fut égaletuent fréquent pour assurer à 1'une ou lrauÈre des thèses
en présence 1'argument de 1'autorité. De ce point de vue, les
Pasteurs rendirent cerÈaineEent 1e très appréciable service à
François de Sales de f inciter à une recherche solide eE fondée.
Dans 1a Défense, nous Èrouvons une allusion patrologique à un
passage de lrEcriture que nous avions déjà commenté à propos du
so1eil :
en 1a seconde honé1 ie Saint Jean ChrysostoEe appe 11e
1a croix "nostre soleil de justice" (1).
Lrargument est précieux sous 1a plume de son auteur puisque ce
titre est normalement uÈilisé, comne nous 1'avions remarqué, pour
qualifier 1e Seigneur 1ui-urêsre. Du coup 1a dévotion à 1a croix se
trouve fondée sur une solide et ancienne tradition que les
pasÈeurs ne pourront normalement ré futer.
Dans 1e mêne ouvrage, nous trouvons, comme en passant, des allu-
sions au soleil qui ne présentent pas drautre intérêt que de nous
indiquer quels Pères de I'Eglise étaient cicés par François de
Sales. Nous ne nous y arrêterons pas.
environ rnidy, 1e soleil commençant un peu a decliner Q).
Eusèbe.
( 1 ) Oeurres TI l&

Q ) ibid. rr 118
-97

avec des splendeurs brillantes surpassans les


rayons du soleil. Saint Cyrille de Jérusalem (1).
Dans 1'Introduct ion à 1a vie dévote, nous trouvons ment ionné un
texce de Saint Grégoire de Naziance :
Je me promenais, dit-i1, moy-mesme avec moy-mesme sur
1e soleil couchant, et passois 1e tems sur 1e rivage de
tty
1a mer; car j accoustumé d'user de cette recreation
pour me relascher et secouer un peu de mes ennuis
ordinaires (2).

Et une autre citation dtun texEe de Saint Jean d'Alexandrie


relatif à 1'apparition d'
une bel1e jeune fi1le plus reluisante que 1e
soleil (3).

Ailleurs, 1'auteur préférera utiliser avec davant.age de


précision 1es texËes patrologiques pour un commentaire de
1'Ecriture.

SaincË Chrysostome (4) dict que 1e soleil ne pouvoit ni


ne vouloit servir a f injure du Createur; sainct
Ephrem (5) dict qu'il "prit 1e deui1" de 1a mort de son
Maistre. Trois miracles : 1. 1e 14 de 1a 1une, lune
pleyne, 2. 1'eclipse se dura des que nostre Seigneur fut
cruc i fié jusqu'a none, gui n t a accoustumé de durer que
bien peu; 1e 3. , i1 fuÈ universel.
Phlegon, autheur grec: que 1e 18'de Tibère Caesar il
y eust un "eclipse de soleil, La plus grande que jamais
fut. veûe, et qu'en ce tems i1 y eust un si grand
tremblement en Asie et en BiËhinie" (6).

Ce texte non rédigé ne const itue que des notes rassem-


b1ées en vue de 1a prédication: i1 nous donne un exemple de 1a
recherche thémaÈique qui était effecÈuée par Ies prédicateurs de
t que
1 époque et nous retrouvons ut i1 isée par I'auteur dans ses
aut re s ouvrage s .
Une autre express ion ne ret iendra pas trop longÈenps notre atten-
Ëion, gui monËre 1e soleil comme I'image de 1a perfection dans 1e
domaine apostolique :

Mais si cest evesche avoit un Hilaire, un Augustin,

(1) Oeuwes II 120


(2) id. rrr 225
(3) ibid. rrr 126
(4) cirant llr 27,45sq.
(5) 1, de Passionein E$rreursyri op. Rcoa,1746,t. III l. 246- citation notéepar Saint
Françoisde Sales.
(6) Oeuwes)0ilII I
98

un Ambroyse, ah ! ces soleilz dissiperoyent les


tenebres de Iterreur ! (1)

La métaphore traduit ici 1e rayonnement inte1lectuel, é1ément

essentiel à 1a charge épiscopale et ecclésiasÈique en généra1,

mais aussi 1a fougue apostolique et même po1émique de ces grands

pourfendeurs d'hérésie des premiers siècles de 1'Eglise. . .

Dans des propos sur 1a vie spirituelle ' les exemples

empruntés à 1a biographie des Pères de 1'Eglise consËituent une

sorEe de 1égende dorée dans 1aquel1e I'auËeur va puiser des


goût, thui
illustrations qui flatËaient sans douËe un aujourd

disparu, pour un certain merveilleux dtorigine religieuse.

A ceË êgard, les tentaÈions de Saint Antoine ont fait 1'objet

d'une 1iËtéraËure abondante à travers 1es siècles : hautes en

couleurs, dtune richesse d'évocation synbolique touÈ à fait pas-

sionnante, parlant même aux gens peu instruits par f imaginat ion
t qu'e11es proposenË, elles sont présentées
et 1a débauche d images
par François de Sales comme illustration à un passage de son

Traité.

SainÈ Anthoine fut assailli d'une effroyable 1égion de


démons, desquelz ayant assez longuement sousËenu les
effortz, non sans une peyne et des tourmens incroyables,
en fin i1 vit 1e toit. de sa cel lule se fendre et un
rayon celesÈe fondre dans 1'ouverÈure ' qui dissipa en un
moment 1a noyre et tenebreuse trouPPe de ses ennemis et
lui osta toute 1a douleur des coups receus en cetre
bataille (2).

Le rayon opère ici une sorte de dissolut ion alchinique des démons,
peints sous 1es traits les plus sombres, associant avec la symbo-
lique de 1a lumière, vainqueur des ténèbres, f idée de plaisir
exprimée ici sous 1e mode de 1a disparition de 1a douleur.
Cette mention du plaisir procuré par 1e rayon divin est encore
plus précise dans une autre allusion à 1a biographie dtun Père de
1'Eglise, Saint Pacôme
Ce fut autre chose que son resveilr auquel Dieu 1e tou-
cha, comme 1e soleil touche 1a terre avec un rayon de sa
clarté, qui 1e renplit d'un grand playsir spirituel (3).

Enfin, plus près de 1'auteur dans 1e temps, 1a louange

( 1 ) Oeurres )VIII I
Q) id. rv 179
( 3 ) ibid. rv 132
-99

du soleil en tant que créature privilégiée parlant de son Créateur


ntest pas sans rapport avec f intuition franciscaine. Lrévêque de
Genève vouait en effet. une grande adrniration à cet autre François
dont i1 appréciait par ailleurs 1e zè1e de ses disciples.
Ainsy 1e grand Saint François chanta 1e Cantique du
so1eil et cent autres excellentes benedictions pour
invoquer les creatures a venir ayder son coeur (...)
a louer le Sauveur de son ame (1).
Le début du Cantique des CréaÈures commence ainsi :
Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures
spécialement rnessire 1e frère soleil, qui fait 1e jour
et par qui Èu nous éclaires; i1 es! beau et rayonnant
avec grande splendeur, de toi, Très Haut, i1 porËe
significaÈion.
Cet aspect de pure louange n'est point absenÈ de I I oeu-
vre salésienne, i1 ntest pas prioritaire pourtant. François de
Sales, en effet, se montre davantage préoccupé par 1a présentat ion
pédagogique, sous Èoutes les formes possibles, de 1'amour de Dieu
que soucieux de composer un recueil hymnique. Par contre son
oeuvre développe magistralement le dernier Ëerme de 1a prière
citée: de toi, Seigneur, le so1eil porte significaÈion.

1126 Le soleil est 1e personnage privilégié de f imaginat ion


de s voyageur s endormi s

L'influence de Platon dans 1a 1 ittérature du XVIèure et


du débuË du XVIIème sièc1es n'est plus à démontrer. CeËte influen-
ce s t e x e r c e ,
modestement i1 est vrair sur François de Sales,
essentiellement dans son Traité de lrarnour de Dieu eÈ de deux
manières différenres : d'une parÈ avec 1'enprunt du nythe de la
naissance de t pauvre, (2)
I amour déchiré, déchaux et chétif et
rautre parÈ
d avec 1'utilisation de myËhes composés par I'auteur.
François de sales les appelle ses "imaginaÈions. Le nythe se dif-
rérencie de 1a parabole essentiellement par des buts différent.s:
une parabole, en effet, et ceci est touÈ à fait caractérist ique
de 1a littérature évangé1ique, cherche à démontrer une réalité en
I
s appuyant sur un trait ordinairement fourni par 1a naËure mais
parfois aussi emprunté au comportement de 1'homme. La parabole est
essentiellernent pédagogique. Le mythe, 1ui, au contraire, esÈ

(1) Oeuwes W 287


(2) ibid. IV 356 - retrasposicion d'un passagBdu Banquetde Platon.
- 100

essentiellernent descriptif. Il présente une évidence qu'on ne sau-


rait pourtant percevoir sans passer par sa figuration. En cela, il
constitue une base de 1a 1ecËure analogique. Le nythe ne doit pas
êËre confondu avec les "exempla" des sertnonaires ut il isés à 1'épo-
que de François de Sales ou bien encore t'p"taboles par
avec ces 1e
geste" fréquentes dans 1a littérature prophéËique ( l ).

Parmi les principaux mythes que 1'on peut réperÈorier


dans 1es Oeuvres de François de Sales et Eout part icul ièrement. dans

1e Traité de 1'amour de Dieu, 1'un drenrre eux nous intéresse t.out

particulièrement en tant qu'i1 rnet en scène direcËemenË 1e soleil.


theure
Plus,ieurs voyagers, environ l de midyr uD jour
d r e s t é , se mirenÈ r o m b r e
a dormir a 1 d'un arbre; mays
tandis que leur lassitude et 1a fraîcheur I
de 1 ombrage
1es tienten sommeil, 1e soleil s'avançant sur eux leur
porta droit aux yeux sa plus forte lumiere, laquelle par
1'eclat de sa clarté faisoiÈ des transparences, comme
des petiEz esclairs, autour de 1a prunelle des yeux de
ces dormans et par 1a chaleur qui perçoif leurs paupie-
tune
res les força d douce violence a s I esveiller. Mays
les uns esveillés se levanE, eÈ gaignans paîs allerent
heureusement au giste; les autres non seulement ne rBe
levent pâs, mays tournant 1e dos au solei1 en enfonçant
leurs chapeaux sur les yeux, pâsserent 1a leur journee
a dormir j u s q u e s a ce gue, surpris de 1a nuiÈ eÈ voulant
neammoins aller au logis, ils stesgarent qui ça qui 1a,
dans une forest, a 1a merci des 1oups, sangl iers et au-
tres besËes sauvages. Or, dites, de graces, Théotime,
ceux qui sont arrivés, ne devoyent.-ils pas sçavoir tout
leur grê de leur conÈentemenË au so1ei1, ou pour parler
chrestiennenent, au Createur du soleil (2)

Cette page, composée à dessein, nous amène à 1a louange


du Dieu d'amour. Mais 1e chemin pour y parvenir fait appel à une
expérience existent. ie11e. Pour ce faire, 1e nyche va offrir un
caractère de vraisemblance qui appart ient. à I'expérience la plus

courante que tout voyageur de 1'époque de François de Sales était


amené à faire. Ce serait certes grande folie que de vouloir

voyager à pied aux heures chaudes de 1'été, et en ce cas force est


bien de rechercher quelque lieu propice à une bonne siesÈe qui

réparera 1es fatigues de 1a route. Le choix de ltombrage est en

cela plus que vraisemblable pourtant i1 n'est pas innocent: pour

qui stest familiarisé avec les inages du Trqité, lrarbre apparaît

( 1 ) Cæcia fait l'objet d'ure ccmrnication de l,ladæeH. Bordes à Irr-rriversité de Limges.


Q ) Oetrwes N 229
101

aussitôt comme 1e symbole par excellence de 1a destinée hunai-


ne (1). Son enracinement dans la Ëerre en fait une évocation de
toute vie hunaine, un passage obl igé qui donne à ce myt.he 1a
dimension universelle que 1a figure des voyageurs ne présentait
pas encore complètement.
Le cadre donné à 1'action est en tout cas évocateur ec
poé t ique : les petits Èraits successifs disposent 1es é1éments
essentiels d'un tableau où fraîcheur et ombrages se conjuguent
que lque temps ; Cec i n'est que 'expos
I it. ion d'une scène dans
laquelle 1'action principale va être tout entière menée par un
personnage cenËral qui va cristalliser touË f intérêt : 1e so1ei1.
Son apparir ion, presque théâtrale, est orchestrée par une prerniè-
re personnification qui sera ensuite confinuée. Le soleil s'avan-
ce sur les voyageurs endormis et leur porte droit aux yeux sa plus
forte lumière. L'iurpression dtagression est assez guerrière. Nous
assistons alors à un véritable feu dtartifice en rniniaÈure fait
de 1a nultirude des petits éclairs qui viennent nalicieusement
jouer avec 1es prunelles des dormeurs. Cette agression n test pas
destructrice mais bienfaisante, e11e se poursuit du reste d'une
manière adnirablement bien observée sous Ie node d'une "douce
violence", trait touË à fait marquant du caracÈère salésien. Nous
voyons à I'avance ici un thème qui sera cher aux sciences de
I'homme : 1e thème du "regard qui évei11e à 1a vie", cette "pr,,1-
sion scopiquett quittfait exister ltautrett, comme nous Itenseigne
1a psychanalyse de 1'école lacanienne (2) .

La conËeurplation, euoique brève de ce phénomène de I'ac-


Ëion du soleil, est présentée de manière lyrique, conjuguant avec
beaucoup de déficatesse les deux thèmes de 1a chaleur et de 1a 1u-
mière. r1 naît alors de ce mythe une impression de surnaturel
simple, irnmédiat et comme tangible, faisant apparaître 1a vision
d'une évidence qui est dite, sans avoir besoin dtêtre déurontrée =

Dieu, so1eil de 1a vie de I'hommer l'éveille à 1a vie par son


regard lorsque 1e temps en est venu eÈ lui donne de voyager sur
les chemins de sa vie dans les meilleures conditions qui soient

(t) neatite que nq,ts déveloperons dans notre partie sur l'arbre.
(2) Psyctranalyse,syùole et sigrifiant chez François de Sales.
ccmurication aur(Jcurnées salésierrres par Théophile Sctlreller {.S.F.S.- en 1978
LO2

et sous son regard. Chaque exisEence contient donc un tenps de


rendez-vous avec son Dieu: lrheure de nidi. Au voyageur, endorni
puis révei11é, de décider ensuite, dans 1e je,, de sa propre liber-
tê, s'i1 va "alIer paîs" ou tourner le dos à grand renfort de
chapeau sur les yeux, à tanE d'amoureuse sollicitude, s'exposanÈ
ulcérieurement à 1a nuit et aux périls de 1a nature.
Ce urythe est essentiel : iI donne la vision de I'auteur sur 1e
sens de 1'existence humaine er sur 1a 1iberté. C'est 1e sole il,
trait famil ier et pourtant toujours auréo1é de nystère, qui nettra
en iroage I'action du "Créateur du so1ei1", 1e glissement de sens
s'opérant dans 1a cohérence même de I'exposiÈion de ce mythe.

113 Le thème de lralternance du jour et de la nuit

Il est inutile, sans doute, d'insister sur f irnportance


de cette opposit ion du jour eÈ de 1a nuiÈ dans 1'expérience 1a
plus existentielle de toute créature. Le cycle qui constitue 1e
temps de 1'action et celui du repos, la longue montée des saisons
ryËhmées par une progression de la durée du jour ou au contraire
par sa diminution, tout cela est déterminant pour la créature.
Cette opposition concerne de manière privilégiée 1e soleil qui
seuble bien derreurer I'acteur principal de ce je., de vie et de
mort. Elle offre pourtant un intérêt autonome surtout sous 1a
forme de sa reprise par 1a tradition biblique et 1a mise en oeu-
vre de connotaÈions qui façonnenË tout 1e paysage intérieur des
hommes. De fait, c'est presque exclusivement dans I'Ecriture que
François de SaIes va trouver I'origine des inages qu'i1 nous pré-
sente sur ce thème de I'opposition du jour et de la nuit, du
combat enEre 1a lumière et Ies ténèbres. Nous regrouperons ici,
dans des paragraphes thématiques, diverses citations puisées dans
1'ensemble des ouvrages que nous étudions, en conmençant par 1a
lumière.

1131 La lumière, créée par Dieu, esÈ d'origine divine

C'est 1a proposition fondanentale que nous pouvons


dé gage r dans les écrits de I'évêque. E11e s'inspire de 1a lettre
même du Livre de 1a Genèse cité dans 1e Traité de nanière I itté-
rale :

Dieu créateur vid, dit I'Escriture, que 1a lunière


. 103

estoit bonne, et que 1e ciel et 1a terre estoit une


bonne chose (1).

Tout naturellement 1e Dieu créateur pourra donc être nommé "Père

des lumières" (2), terme qui reprend à 1a fois 1a tradition Psal-

mique "Le Seigneur est ma luurière" (3), I'Evangile de Luc "lumière


a 1a revelation des Gentilz et a La gloire d'Israë1" (4) ou encore

1a formulation liturgique du symbole de 1a foi des catholiques:

Deum de Deo. Lumen de Lumine (5). Dans son commentaire du Notre

Père, François de Sales mentionnera à de multiples reprises ceÈte

conception de Dieu sous 1a forme d'une prière de louange.


ttO Luce eterna, omne lumen illuminans et consumans
in aeterno sp1endore...!" (6)
ttAccendete, guesta t
Padre, lucerna dell anima mia con
1a luce de1 vostro amore." (7)

CetÈe lumière se communique


I1 ntest point de probléuratique prométhéenne dans 1a

tradition biblique, nous I'avons déjà mentionné. La lumière est

créêe pour se conmuniquer à ÈouÈe chose et à tous les êtres.

Car comme 1a lueur, Splendeur eÈ clairté s'espand eË


communique a Eout ce q u i 1'approche, et p l u s e 1 1 e est
grande p l u s e11e s'espand et p l u s loin, ainsy p l u s
thonneur chose est grande et plus i1 rend hon-
l dtune
norable ses appartenances, selon 1e p l u s eË 1e noins
qutelles lrattouchent (8).

C'esÈ ce que 1a première communauté chrétienne appelait 1a Bonne

Nouvelle qui a été à ltorigine du mo! Evangile, I'Incarnation du

Christ étant pour saint Jean tellement 1iée à 1a lurnière que ceÈ

(1) OeuuresIV 32O


(2) id. )o(trr 302, )ofiIl 386, )trr 183
(3) Ps 26 æntionné dansOeuwes)MIII 72
Y) T-c.2132 d;l.s Oeuwes I 10
(5) Oeuwes)0tIV 77
(6) id. )0$rI 409, traduit ainsi : 'Vcus esres ls lrnisls eternelle qui esclaire tcuË, vqls esËes
ce feu qui cons,.tp ro.rte iuperfectiontt.
(7) ibid. )0$rI 4o8. "Alhrez, Père, cette lanpe de rcn foe avec la trmière de votre æ.r".
cf. )0iltr 398,4I4,415,4L7,418. D'a.rtres te)ces bibliqr:es sont cités par François de Sales dans
le Ée sens dans le Traité de l'æur de Dieu : La foible clarré ôr point du jcur, allusion à
Èt 32r2h présentant rffiBei les fl:rrrps æEr,rreusesdes paroles de la foy,
innge inspirée de LE 24,32, épisode de la rencqtre du Christ ressuscité avec les t'lerins
d'Euuraiis;la clarté de uridy de 1a gloire de Dieu, inspiré de 1 R 10, 1-7, épisode tiré de
l'hisÈoire de la reire de Saba.
(8) OeuwesII 14
' 104

évangéliste n'éprouva pas 1e besoin de nous conter 1a nuit de


Noë1 mais commença son Livre par un prologue sur 1a lumière.
Tous ont été escl ai-rês d'une lumiere qui illurnine
tout homme venant en ce monde (1).
La lumière de Dieu est inépuisable, sa présence est immense et
sans aucune commune mesure avec 1'éche11e de perception de 1a
créaÈure. Sa totalité est impossible même à concevoir comme nous
1e suggère 1'analogie du soleil :

cette lumiere creée du so1eil visible qui est limitee


et finie, esf tellement veue toute de tous ceux qui 1a
regardent, qu'elle n'est pourtant jamais veue totalement
de pas uDr ni mesme de tous ensemble (2).

La lunière eut aussi être ténébreuse eË image du mal


Ce n'est pas le moindre des paradoxes salés iens. II
existe aussi des lumières qui ne sont pas d'origine divine et eui,
ce faisanË, présentent un caractère opposé à ce qui précède
Les argument.s duItTraiËteurtt, crest à dire de ltauteur
protestant, plus ou moins anonyme, t
d une atÈaque en règ1e contre
Ia dévotion caËholique à 1a croix sont de cette nature.
Ctest comme qui diroit une chaleur froide ou une
lumiere tenebreuse (3).

Dans ce même contexte, êDtraîné par une fougue polémique que nous
ne retrouverons pas dans ses ouvrages de maturité, 1e missionnai-
re du Chablais dénonce 1a perversion des valeurs qu'i1 impuÈe à
ses cont.radicteurs :

Bonum, inquiunt, est malum; lux sunt tenebrae (4 )

à moins qu'i1 ne s'agisse de 1a lumière de Satan lui-nême


Ce faux ange, qui se rransfigure en ange de lumiere (5)

pour reprendre 1e terme de 1'apôtre Paul.


La lumière éblouit
reanËequesoirla1urrière,siséduisantquesoiÈ
ltappel de Dieu, il n'en demeure pas moins vrai que 1a lurnière est
éblouissante. Cet éblouissemenÈ esE souvent ment ionné par les
convert is qui trouvent brusquement sur leur chemin 1a cert itude

(1) Oeuwes fV 109 eE 229, cicant Jn 1,9

(2) ibid. w 2tr


(3) id. rr 68
(4) id. )O(VI118, traduit ainsi : "Iæ bien, disent-ils, est le mal. La lrmière se confond avec les
térÈbres.r'
(5) id. )MIIr 404 cirant 2 c.a lI,I4.
105

lumineuse de I'existence divine. Le changement de vle qu I en résu1-


ttvie pour reprendre 1e terme de
t€, 1e choix de 1a dévotett,

1'évêque de Genève procèdent bien d'une expérience de ce r ype


La lumiere, quoy que belle eË desirable a nos yeux,
les eblouit neanmoins a p r e s qutilz ont esté en de
longues tenebres ( 1 ) .
t
La contenplation de 1a vérité présente 1e mêne tyPe d image

car lroeil qui se plaist Ëant en 1a lumiere' n'en peut


pourtant supporter 1 ' e x t r e m ite et ne sçauroit regarder
fixement 1e so1ei1 ( 2 ) .

Le mouvement inverse esË êgalement vrai. I1 est éblouissant de

passer des ténèbres à 1a plus vive lumière. I1 esË difficile de

voir dans ltobscurité lorsque les yeux sont accoutumés à une vive

lueur
et comme ceux qui ont esté longuement parmi 1a splen-
deur ne voyent goutfe en 1'ombre ou en quelque lumiere
un peu obscure' ainsy ceux qui se sont adonnés grande-
menË a ltestime de Dieu ne sIestimenË rien eux-mêmes (3)

Cette présentaÈion imagée de 1'humilité esÈ tout à fait positive

en tant qu'e11e définit cette "vertu" p"r rapport à 1a lumière de

Dieu eÈ non comme un exercice d'école, recherche parfois morbide

de 1a dêrê1 ict ion érigée en modè1e.

La lumière invite à répondre


Pour François de Sales, 1a lumineuse présence de Dieu

incite le croyanÈ au dynamisme d'une réponse faite de vivacité et

de joie. Nous avons vu à quel Point e11e était, pour Itauteur'

génératrice de plaisir. Un refus au contraire sera Perçu comme

ét rangement conE re-naËure .


(... ) et ceËte aggreable lumiere qui les invite a se
haster au chemin de Dieu, îLz perdent touE à coup haleyne
eÈ Èombent en pusillanimité et trisEesse de coeur (4).
La lumière esË aussi 1a figure du vrai et du bien
La connotation très riche du terme de lumière apParaît

dans un rexte du Traité. Le recours à l'éËynologie présente 1'argu-

ment avec autorité. t


L emploi qui en est fait n t est Pas exact ' i1

est sans doute caractérisr ique des inrerprétat ions qu t il était


t é P oque.
courant de praE iquer à 1

( 1 ) Oeurres I.II 292


Q) id. w 196
(3) id. )oilIl 87
(4) id. rrr 333
- 106

I sur
quant au bien, sâ vraye image, c esË 1a lumiere,
tout e n ce q u e 1 a l u m i e r e r e c u e i l l e , r e d u i t , e t c o nvertit
a soy tout ce q u i e s t ( d o n E 1 e s o l e i l e n t r e I e s g r e cs est
nommé dtune p a r o l e ( 1 ) l a q u e l l e m o n s t r e q u ' i 1 f a i t q u e t o u-
tes choses s o y e n t r a m a s s e e s e Ë s e r r e e s , r a s s e m b l a n t l e s
dispersees, comme 1a bonté convert it a soy toutes
choses). ( 2 )

La lumière du so1eil se voit ici attribuer trois fonctions qu'il

seraiÈ 1égitime de décerner à la divinité. Le recueillement tout

d'abord, terme inportant pour I'auteur: i1 Permetrra de jouer sur

1e sens de ce mot qui permet à 1a fois d'évoquer 1a synthèse de

toutes les activités de I'homme et aussi 1'attitude intérieure du

croyant qui se met en présence de son Dieu.ttLa réductionttr €Ilsuite

est à prendre ici au même sens positif de concentration. La

"conversiontt est 1e terx0e final de cette gradaÈion qui ne nous sur-

prendra guère dans 1a mesure où 1a lunière, signe de 1a divinité, a

précisémenÈ pour fonction d'opérer 1a conversion du croyanË qui

s t expose à son rayonnemenÈ.

La gradation de 1a lumière
La pénétration de 1a présence de Dieu dans 1a vie du

croyant ne s'effectue pas forcément dans 1'éblouissement qui pré1u-

de aux grandes et cé1èbres conversions. De même 1e vrai et 1e bien

ne se découvrenE-i1s sans doute pas en un mouvenent subit et défi-

nitif. La lumière, en tanË qurelle sait parler de nuance, permetËra

d'exprimer ce long cheminement de 1a vie spirituelle eE de 1a

recherche du sens du vrai, du beau et du bien.

et que lque fois , outre ce 1a, Dieu donne a 1 'ame une


lumiere non seulement claire, mais croissante conme
I'aube du jour (3).

La progression spirituelle doit mener 1e croyant jusqu'au stade de

I'extase. Mais 1e maîEre spirituel gurest François de Sales ne pro-

nef pas cette découverte en quelques étapes rapides e t p o , r r t , ar p p u y e r

ce propos, i1 dépeint parfois ce cheuinement spirituel, - qui est

1e sujeÈ principal de tout 1e TraiËé de 1'amour de Dieu, - sous les

traits d'une description soignée de 1a montée du jour.

I"y, parmi les crepuscules de I'aube du jour, nous


craignons quten lieu de I'espoux nous ne rencontrions

(t) c' HÀGog , raproctré-de l'adjecttt ioÀÀ,iS par Saint Denis. D'après les philologrres
mdernes, la racine serait ÉÀi1riÀ1 , ctlaleur du soleil. cf. note (1) Oew'res V 23
Q ) Oeuwes V 23
(3) ibid. v 22
107

quelque autre objet qui nous amuse et déçoive mais


quand nous nous treuvons 1a haut qu'i1 repaist er repose
au midy de sa gloire, i1 nty a plus tnoyen dresÈre Èrom-
pés, car sa lumiere sera trop claire et sa douceur nous
liera si serrés a sa bonEé que nous ne pourrons plus
vouloir nous en despendre ( 1) .
La gradaEion décrit avec minutie les doutes du croyant
au début de sa vie spirituelle et cette certitude progressive et
lumineuse qui lie sa liberté non pas au moyen de quelque piège
rnais par 1a seule force de séduct ion de 1a "lumière" associée ici
aux termes ttdouceur et bonËétt.
La lunière est 1e signe de I'Espr
entecôte est exprirrée
dans les Actes des apôtres sous 1e double signe du souffle et du
feu (2) .
En reprenanÈ 1a dynamique des rayons de soleil qui frap-
pent les créatures, les illuminent et les échauffent cotnme nous
I'avons vu à de multiples reprises, François de Sales parle ainsi
de I'Esprit Saint.
Que1le consolation de considerer la sacree methode avec
laquel 1e 1e Saint Esprit respand les premiers rayons et
sentimens de sa lumiere et chaleur vitale dedans nos
coeurs ( 3 ) .

Nous pouvons remarquer ici que 1'évêque ne décrit pas différemmenË


I'action de 1'Esprit Saint, lracEion de 1a grâce et I'action de ce
qu'il a appelé lrrrinspiraÈion" dans 1e coeur du croyanr. Sans dou-
te ces distinctions théologiques procèdent-e11es de 1a même expé-
rience spirituelle et produisent-e11es pour finir les mêmes effeËs.
Dans ses notes théologigues, François de Sales avait déjà relevé
cette appellar ion de 1'Esprit Saint également nonmé Paraclet :

"lumiere des coeurs" (4).


C'est cette même lunière que François de Sales propose pour 1a
cé1ébraÈion de vêture des Visitandines, 1'usage titurgique devant
reprendre les termes suivants:
Receves, ma tres chere fi11e, la lumiere corporelle en
signe de 1a lumiere spirituelle de laquelle nous sup-
plions Dieu vous illustrer, affin qutavec 1a ferveur du

( l ) Oeuwes I\l 2I7

Q) Ac2,1sq
(3) OetnrresM30
( 4 ) id. )OflI 48 et )OMI 23O
- 108

Saint Esprit vous puis sLez parvenir a I t eternite ( 1 ).


Cet Esprit SainË est répandu souS forme de lunière dans lresprit
des honroes et particulièrenent dans celui des saints.
C'est une conviction absolue pour François de Sales : cet Esprit
I
esÈ à 1 oeuvre universellement, que Dieu répand dans nos
"lumiere
espriLs" (2), "lumiere nécessaire pour servir Dieu" (3), "lumière
supérieure à toute autre" (4),1urnière qualifiée êgalement de
sainte (5), de vraie (6), ou encore associée à 1a force (Z) e11e
t'fera puyser les forces dont 1e croyant a besoin" (8), "servira
toute 1a vie" ( 9 ) er conduit pour finir à "1'union de nostre es-
prit avec ce divin bon playsir" (10) qui est 1e sommeÈ de 1a vie
nysEique dans 1a dynamique d'un mouvenent de glorification
parfair (11).
C'est ceÈËe lumière universellement. répandue qui brille d'un éclat
touÈ particulier eÈ encourageanË dans 1a personnalité des saints
que ltEglise canonise.
1e bienheureux Philippe Nérieux (12), illuniné
d'une lumiere toute divine... (13)
ou encore 1e bienheureux Amédée de Savoie :
i1 est donc fort a propos de metÈre devant les yeux
cetËe lampe qui brilla j adis parmi leurs ancêtres ( 14 ) .

(1) Oeuures)Qff 181 et mI 284, réponse de la jeune professe.


(2) Enrretiens 1087
(3) Oeuvres)ilI 368
(4) id. )ilrr ss
(5) ibid. xrrr 283,id. )ff 215
(6) id. )o(lrs
(7) id. )trrr 38
(8) id. )oil 452
(9) id. )$rr 184
(1o) td. )o(I 166
(11) id. )(Vr102
(12) Saint Phrilip'pelkri,151!1595, fc'ndateurde I'Oratoire de Ræ, parfois orthograt'rié
Ptriliprpe de lilerieus q.l sci,rs foræ francisée l{érietx.
(13) Entretiens L247. Raypllons qe po,rr les Entretiens exclusivsent, ncus déroçons à notre
tègte affir le texte d'Anrecy port eqn-GffiÏ&.e de l'édition de la Pléiade op. cit.
(14) OeuwesYV 226
- 109

La lumière: une expérience universelle


La lunière Participe donc bien à cette grande mission
que François de sales prête à 1a nature d'être un Livre de 1a
Parole de Dieu. Lrexpérience que chacun est appelé à faire de sa
présence est tellement forte qu'e11e dépasse toure connaissance
théorique et. livresque : e11e est. 1e patrimoine commun de Ihuna-
nité en marche vers 1a recherche du vrai (1), du beau et du bien
eÈ non pas seulement de f intellectuel enferrné en sa tour
studieuse.
qui aimeroit plus 1a lumiere, ou 1'aveugle-né qui
sçauroit tous 1es discours que les philosophes en font
et t.outes 1es louanges qu'i1z lui donnent, ou le
laboureur qui d'une veue bien claire sent eÈ ressent
1'"greable splendeur du beau so1ei1 levant ? (2)
L I interrogation dessine ici 1'esquisse d'un mythe rapide qui Eet-
trait en scène deux personnages syurboliques : l t a v e u g l e - n é et le
laboureur. Le handicap est parfois ut i1 isé par François de Sales
pour exprimer un plaisir désinÈéressé, si I'on pense au nyËhe du
musicien sourd (3). rci 1e sens est quelque peu différent puis-
qu'il suggère avec une pointe d'humour 1e chercheur absÈrait qui
puiserait dans une connaissance livresque ce que l thomme de bon
sens sol idement enraciné dans la terre - 1e laboureur - découvre
avec naturel eË émerveillenent. L'insistance dans 1e choix répé-
ritif du verbe sentir et ressenÈir permet de passer d'une expé-
rience purement physique à 1'expression d'un sentinent intérieur
profond et vrai sous-entendu par 1e choix de Itadjectif "c1air"
qui qualifie 1a vue. L'adjectif "agréabIe" renvoie à 1a notion de
plaisir tandis que 1'épithète "beau" lie ce plaisir à la découver-
Ee d'une esthétique lumineuse de nature héliocenÈrique. Ce passage
du Traité illustre un propos sur 1a prière des hunbles tout aussi
riche et é1evée, sinon plus, guê celle des grands esprits. La
1eçon est d'inspirat ion très évangé1 ique eË soul igne une fois de

(f) Sn r-nreparôole originale qui seuble bien être inspirée lointainspnt du ryEhe de la carrerne de
Platon, François de Sales irnagine, dans ur Sersrcn,la situation drtrre fenrrp en prison faisant dans
I'obscurité de sa cellule lréducation de ssr fils. Sa.rle r-urepetite drardelle le préparerait à la
décqrrrerte du soleil, le jctrr de sa libération. La leçon nrest pas platoriciernre po.rrtæt. Pcur
François de Sales, la réalité paradisiaqtæ dépassetoLrt ce que le croyanÈ peuË irngirer.
Oetnres X 2Y.
(2) Oetrwes W 136
(3) id. v 137
- 110

plus 1a conviction très forte du maître spirituel que 1a sainteté


est un appel universel, dép1oyé dans 1a nature tout. enÈ ière.
La figure de Tobie s'inscrira en contre-point de ce1le du laboureur
à 1a vue claire. Son histoire édifiante permeË une réflexion inté-
ressante sur 1a cécité et 1e recouvrement de 1a vue, symbole de
conversion qui sera abondamment repris dans 1e Nouveau Testament.

Que1le joy" puis-je avoir, disoit Tobie, ne pouvant


voir 1a lumiere du ciel (1).

La lumière comme signe de discernement


Le terme de lumière sera utilisé de manière corollaire

Pour symboliser un certain nombre de notions parËiculières. Nous


les évoquerons success ivement. La preurière esÈ 1a not ion de discer-
nement. François de Sales a sans doure emprunté à ses maîtres
jésuites 1a convict ion de f importance du discernement, trait es-
senËie1 des Exercices (2) mais qu'i1 aborde d'une manière beaucoup
plus souple et moins systérnaËique gue 1e maître espagnol. Ce dis-
cernement s'exerce dans divers domaines. Celui de 1a vie
religieuse :

vous avez 1a lumiere pour voir en quoi consiste le


bonheur de voÈre vocation (3).

Celui de 1a recherche théologique:

et Dieu me fir 1a grace de me donner de grandes


lumieres sur 1e mystere de 1'Incarnation (4).

Celui d'une recherche plus existentielle:


1a bonne tristesse ouvre 1'espriÈ, rend 1'honme clair
et lumineux (5).

Celui de 1a direction spirituelle et de la péniËence :


i1 est bon d'enËendre 1es coulpes des autres pour en
recevoir 1a lurniere (6).

Et enfin celui d'une recherche vraie de Ia vérité :


dés irant revenir à 1a lunière de 1a vraie foi ( 7) .

(l) OeuvresV 316 citant Tb 5,12


(2) de Ioyola, Ignace, E:<ercicesSpirituels, Paris, Desclée, L963, 2T p.
(3) Entretiens 1295
(+) Oeuvres)O(tI 110. C.ette rec]rerc]repeut être celle ç'exprfure lrauteur dans scrnTraité :
'IJtt Traitté de l'hrr de Dieu q.re j'aymis en lwieret"" j*r" passés." Oeuwes)ffn 276
(s) id. :ri,Jrr229
(6) ibid. )o$rr301
(7) id. )ocrr19s
1ll

Nous 1a reÈrouvons encore pour qualifier 1a restauration qu'il

espéra Èoujours du siège épiscopal en exil à Annecy:


que 1a sainÈe uisericorde ne nous ouvre point un jour
1a port.e de nostre Geneve' affin que nous y rapPortions
1a lumiere que tant de Èenebres en avoyent bannie ? (1)
La lurnière co
s f. discerneEent r encore
qutelle ne soiË pas en soi suffisanËe, dans une vision de foi,
pour accéder à la connaissance de 1a vérité Èout entière. La Iu-

urière représente aussi en diverses occasions cette intelligence de


1'homne qui s'exerce en des domaines différenËs.
Ct est Èout en somme, donner de 1a lumiere a ltenten-
dement et de 1a chaleur a 1a volonté (2).

Lt intelligence pourra être purement technigue, conme cel1e qui esÈ

louée par I I étudiant padouan lors de sa récept ion doctorale :

"Guidum Pancirolun, jurisprudentiæ principem,


lumen ac decus vestrum" (3).

La fréquentation de personnes à 1 | inteltigence spirituelle éveil-


1ée const ituera donc un commerce préc ieux et à encourager -
Et ce pendant, nostre Bonne Mere viendra, avec laquel1e
e11e conferera et tirera d'e11e beaucoup de lumiere (4).

La même idée se retrouve dans ce passage :


vous deves conEinuellement luy demander ses
Iumieres (5).

Dans 1a polémique religieuse, chacune des parÈies revendique bien

évidemment 1a possession de cette lumière surnaturelle de f intel-

ligence des choses spirituelles, seule application de 1a luurière


évangé1 ique.
Et Bèze dans ses Images, parlant de Luther, dit qutil a
êLê s u s c i t é p o u r f a i r e s o r t i r 1 a l u m i è r e d e I ' E v a n g i l e
du milieu de très épaisses ténèbres (6).
t
Cette lumière sera revendiquée dans 1a formule d abjurat ion que
composa François de Sales pour Madame de Saint-Cergues :
Mais ce bon Dieu qui ne nous manque jamais es choses

(t) OeurrresXI L72


(2) id. )cr 3cr+
(3) id. )çtrI 86 ..."Grido Panciroli, prince de la jurisprudence,votre hmière eËvorre gloire..."
(4) id. )Mrr 10
(s) id. )oflrr 299
(6) id. )oilv 212
LT2

necessaires a nosÈre salut, mta donné 1a lumiere


requise pour 1e voir t parce que sans cela
et I embrasser
je fusse perdue, et ne m'a pas donné 1e moyen de bien
déclairer ce que j'ay conneu et connois par cette luniè-
r€, par ce que ce ntest pas a moy dtinstruire ni
d'enseigner (1).

La lumière pourra encore représenter cetËe intelligence subtile


qui tapparenÈe au génie créateur François Sales
s de I'artiste. de
s'adresse ici au poète barogue La Céppède pour 1e remercier de
I envoi
I de ses Théorèmes.
Mais toutefois, comme ce sont 1es grandes lumieres
qui descouvrenÈ les atoEes, ainsy mtaves vous peu
vo ir (2) .

Le complinent esf peut-être un peu forrnel; i1 meË en valeur en

tous cas ce sens part icul ier du mot lumière.


L I inte1l igence pour François de Sales conduiÈ toujours à 1a foi,

réponse lumineuse à f invitation libre du Dieu de lunière qui de-


vient à son tour éclairante, pour être appelée :

Lumiere de 1a foy (3).


Noë I fêt.e de 1a lumière
Noë1, fête de 1'Incarnation pour 1aquel1e 1'évêque con-

fessait avoir reçu des lumières toutes particul ières, nous est

encore révé1é par 1a nature. La première incarnation rejoint ici

I'Incarnation par excellence dont e11e indique toujours 1e chemin.

Or, je vous demande en bonne foy, n'eussies vous pas


choysi drestre en 1'estable tenebreux et plein de cris
du petit Poupon, plutost que d'estre avec les bergers
a pasner de joye et d'allegresse a 1a douceur de cette
mus ique celeste eE a 1a beauËé de cette lumiere
admirable ? (4)

Lrimage est ici tout à fait éloquente. La lumière de 1a nature

créée est 1e chemin vers 1e mystère de Noë1. I1 ne sauraiÈ être


question de faire 1'économie de ce chemin qui constitue 1e rnoyen

unique de trouver 1e chemin de 1a crêche. I1 ne saurait non plus

être question de s'en contenter Èant i1 est vrai, dans 1a Iogique

de I'image présent'ée, que 1es bergers ne restèrent point à conËem-


pler cette lumière - quelque peu surnaturelle tout de même pour

( 1 ) Oeuvres X/ 380

Q) id. )firr 287


( 3 ) id. )ovr 212
(4) id. XIII 203 évoquantLc.2,L3
- ll3 -

I'occasion - mais sten vinrent à 1a crêche pour reconnaître en


1'enfant 1e Verbe Incarné.

La lumière incite à 1a louange


Devant cette richesse de sens divers rassenblés par ce
terme de lumièrer lrattitude proposée au croyant sera une fois de
plus une att itude de louange.

Chaque parÈie de 1'univers ne chanËe-t-e11e pas les louanges de


1'Ouvrier proposant à chacun de s'y associer ?
Le Psaume invite à cette attitude :
Voyant 1e jour, passés de 1a consideration de Ia
lumiere corporelle a 1a spirituelle...
O Seigneur, en vostre clarté nous verrons 1a lumiere (i).
Ces paroles, François de Sales suggère à son dévot de 1es repren-
dre à chaque révei1.
La c o m p o si t i o n poét ique de forme 1 a Ëi n e esÈ propre à exprimer
ceci :
O Jesu, tuo lumine,
Tuo redernpËos sanguine,
Sana, remove, perfice,
Tibi conformes effice. Amen (2)

1I 32 La beauté du j our

La longue évocation de 1a lumière que nous venons de


présenter nous a suffisammenË accoutumés à 1'esthéÈique du jour.
Le jour esË beau et sert de terme de cotnparaison à 1a parole de
Dieu e11e-même tant i1 est vrai qu'i1 esË lui-même, à sa manière,
parole du Dieu créaEeur.
Luce clariora sunt ( 3 ) affirme François de Sales en par-
lant des paroles du Sauveur. Ce jour sera donc 1e signe d'une joie
spirituelle part.agée dans 1a longue maturation d'une direction
spirituelle et d'une découverte progressive de touËe f insondable
richesse du contenu de 1a foi chrétienne. S'adressant à une visi-
Èandine qui ne lui demande rien moins que des éclaircissemenfs sur
les mysËères de 1a Trinité et de Itlncarnation, François de Sales
écrit :
si vous n'entendes pas cette lettre, ne vous faschez pas;

(1) 0euwes )O(\If 192 citant Ps 35,10


(2) id. K &, se référanË à : 1 P 1, 18-19 et Ap 5r9. "O Jésus, guéris, réctrauffe, perfectionne,
rerds conforæ à Toi ceu< que Tu as narqr.És de Ta lunière, rachetés par Ton Sæg. Aæn[
(3) id.)OCII 106 I'plus claires que le jorr"
LI4

je 1 t.y seulement escritte pour vous donner un peu de


jour, et non pas 1e jour de midy que nous aurons au
Paradis (1).

La p1énitude lumineuse de 1a connaissance fout entière est pour


plus tard, dans 1a perspect ive eschatologique du Royaume à venir,
même si certains aspects de 1a vérité peuvent être af.firmés avec
1a cert itude qu'apporte 1e prédicateur caÈho1 ique des Controverses

à I'encontre de ses contradicteurs :

or jt"trtreprends icy de monÈrer, clair comme 1e


beau jour... (2).

Le jour révè1e et synbolise à Ia fois 1a beauÈé émouvan-


te de certains êtres. On a diÈ François de Sales extrêmement sen-

s ibl e à 1a personnal it.é féminine eË ceÈ Èe réa1 ité demeure Èout à


juge par 'abondance
fair exacÈe si I'on en 1 de 1a correspondance
par lui adressée à des personnes du sexe féninin. Pourtant, à une
occasion au moins, sous 1e sceau de 1a confidence que permet une
longue familiarité spirituelle, François de Sales confie à Jeanne
de Chanral 1témotion très forte qutil éprouva dans 1a rencontre
qu'i1 fit avec un jeune officier d'une grande vertu. La comparai-
son eurployée est amplifiée par tout 1e vocabulaire érnotif qui
ratËitude
dépeint les sentiments eÈ 1 de 1'évêque.
I1 y a quartre jours que je receuz a ItEglise et en
confession un gentilhonme de vingt ans, brave comme 1e
jour, vaillant comme ltespee. O sauveur de mon ame,
quelle joye de 1'ouyr si saintemenË accuser ses pechés,
€t, parmi 1e discours d'iceux, faire voir une Provi-
dence de Dieu s i spec iale , s i part icul iere a 1e ret irer,
par des mouvemens et ressottz si roeil
secretz a 1
humain, si relevee, si adrnirable. Il me mit hors de
noy nesme : que de baysers de paix que je luy don-
nay ! (3)
La confidence nous fait percevoir ce qui a ému 1e confesseur. Au
courage purement professionnel de ce jeune officier, à ces verËus
guerrières et aristocratiques se superpose une beauÈé spirituelle
dans laquelle 1févêque lit une aËtention privilégiée de Dieu à son
égard; La succession d I adverbes expressifs annonce déjà certaines
tournures de phrase de Madane de Sévigné; pourtant 1e ton ne cher-
che pas à produire reffet mais bien
I litréraire à traduire

( 1 ) Oeuvres )Qtr 52

Q ) id. T r47
( 3 ) id. XTII 84
r15

1'émot ion s incère dont t


1 évêque semble ne pas être encore revenu
quaÈre jours après. La mention toute simple du jour comme é1ément
de comparaison prend ici une ampleur surprenante et remarquable.
Le jour pourtant se montre sans pitié. Image du vrai, iI
opère une révélation sans complaisance et met en lunière tout ce
qutune obscurité complice aurait pu celer.
A mesure que 1e jour se fait, nous voyons plus clairemenÈ
dans 1e miroûer les Ëasches et souîl1eures de nostre
visage I ainsy, a mesure que 1a luniere interieure du
Saint Esprit esclaire nos consciences, nous voyons plus
distinctement eE plus clairemenÈ les pechés, inclinations
et inperfect ions qui nous peuvent. empescher d'atte indre a
1a vraye devotion; et.1a mesme luniere qui nous fait voir
ces Ëares eË deschetz, nous eschauffe au désir de nous en
nettoyer et purger (f).

Mais ce faisanÈ, i1 provoque à 1a purification de I'âme du croyant


appelée à ressembler toujours davanÈage à 1a lumineuse pureÈé de
son D ieu.

A cert.aines occasions, lorsque les soucis de Ëoutes sortes viennenË


envahir les journées surchargées de 1'évêque, 1a pesanteur du jour
se fait sentir, ce qui donne à ce Ëemps une signification négative
eË fair aspirer au contraire au repos de 1a nuit.
Le trouble du jour est esclairci par 1e repos de 1a
nuit... (2).

Enfin, 1e jour est 1e signe inexorable du temps qui pas se , thème


biblique certes si I'on pense au livre de Quoelet mais surtout
thème baroque qui recouvre ici 1e goût de 1'époque littéraire de
François de Sales.
Dieu continue lrestre de ce grand monde en une perpe-
tuelle vicissitude, par laquel1e 1e jour se change Èous-
jours en nuit, 1e printems en esté, 1'esté en auËomne,
I tauËomne en hiver, er l thiver en printems, et l
tun
des
jours ne ressemble jauais parfait.tement 1'aut.re :on en
void de nubileux, de pluvieux, de secs, de venteux,
variété qui donne une grande beauté a ceÈ univers. I1 en
esE de mesme pour lthommer gui est, selon 1e dire des
Anciens, un "abrégé du monde"; car jamais i1 n'est en un
mesme esËat, et sa vie escoule sur cetÈe terre comme les
eaux, flotËanË et ondoyant en une perpetuelle diversité
de mouvemens, qui tantost reslevent
1 aux esperances,
tantost 1tabaissent par 1a crainte... (3).

( 1 ) Oeuvres III 62
Q ) id. )(Irr 318
( 3 ) id: III 316
- 1t6 -

Le microcosme que consritue 1'homme esÈ ici dépeint de manière


éminemment. positive. La vicissitude annoncée pouvait, dans un pre-
mier Èemps, nous laisser présager 1e ton cynique et désabusé du
vieux sage de 1a Bible gui, avec 1e jour se changeanË en nuit, se
préParait sans doute à affirmer que tout est toujours recommencé
et sans intérêt, que Eoute recherche dans 1e sens dtune nouveauté
ntest que vanité et poursuite de vent (1). rci, il nten est rien.
Le cycle des saisons repris de manière systémat.ique nous fait
déboucher sur 1e printeEps. Ce printemps introduit à une diversité
météorologique productrice de beauté. La Ëransposition analogique
à 1a situation de Ithomme, 1eçon donnée implicitement. par 1e Livre
de 1a nature implique, de fait, une conception posiËive du carac-
tère changeant de 1'être. I1 sera signe de beauté eË de richesse.
L'écoulement baroque décrit un mouvement en spirale (1'ondoiement

en une diversité de mouvements évoque sans peine 1e tourbillon)


qui recouvre une expérience spirituelle profonde et manifeste une
bonne connaissance de 1a psychologie humaine. Le printenps et 1a
beauté qui avaient pré1udé à ce passage d'une réalité naturelle à
une conception de 1'être humain, nous laissenE discerner ce qui
aura 1e dernier mot de I'espérance ou de la crainte.

1133 Le thème de 1a lampe

Le thène de 1a laurpe permet drexprimer 1e désir de


demeurer dans 1a lumière même lorsque les ténèbres ont envahi 1a
terre (2). Présent dans le Cantique des CanËiques, i1 sera surtout
inspiré de deux citations de 1'Evangile, à savoir I'invitation
rapportée par Luc : "gard.ez vos lampes allumées" (3) eË la cita-
tion que donne MaÈthieu (4) d'une prophétie d'Isaîe qu'il attribue
au Messie : "I1 n'éteindra pas la mèche qui fume encore." (5)

Nous retrouverons cette dernière ciÈation biblique dans


une lettre de François de Sales relative à un religieux expulsé de

(I) Qo 1,9 sq.


(2) tln Senrcn rapporÈera en sus la ruse de guerre pratiqGe par Gédécr pq.rr attaquer de nuit les
rnadianites arrec force lqes et vociférations et les rettre en dérq.rte. OanwesVIII 75 citant
Jg 7, LÇ22.
(3) Ic 12,35

Q) r,t-r2,n
(5) Is 42,3
_LL7-

son ordre et qui dés irait. s 'amender :


et je me resouvins de Celuy qui lignun non extinguit (1).
Mais plus caractérist iques sont ces deux citations du Traité et de
1a correspondance de l t E v ê q u e relatives au pur amour qui est le
sommet de toute 1a doctrine sa1ésienne.
de sorre que les laurpes de ce pur amour n'ont. point
d'huile de luurignon ni de fumee, el1es sonË touËes feu
et flammes que rien du monde ne peust esteindre; et ceux
qui ont ces lampes ardenËes en leurs mains, ont 1a Ères-
sainte crainÈe des chastes espouses, non pas celle des
femmes adulteres (2).
La mise en oeuvre dtune expression familière "Ëout feu et flammes"
donne au propos une familiarité et une proximité qui rend moins
austère ceËte noÈion de pur amour qui pourrait paraître effrayante
dans son exigence à un lecteur scrupuleux.
L'anour mondain est aveuBIe, et s'i1 ne l'était pâs, i1
ntaimerait pas 1e monde qui nta rien de beau ou de bon;
mais 1'amour celeste nrest pas aveugle, car i1 a des
lanpes et des flammes brillantes, comme dit 1e Cant ique,
parmi lesquelles i1 donne 1'esprit de discernement pour
separer 1e bien du mal (3).

II34 Nuit et ténèbres

L | évocaE ion du temps de 1a nuit, des ténèbres dont e11e


recouvre tobscurité qu telle
la terre, de I secrète, vient en conËre-
point de 1tévocaËion du jour et constit.ue de par 1'alternance
qu'elle présente 1e signe même de 1a vie de 1a création. François

de Sales n'a rien d'un manichéen, tout au contraire. I'lême s i sa


conception héliocentrique privilégie f image de 1a lumière, i1 ne

fait pas pour autant de 1a nuit Itobjet dtépouvante qurune vision

trop s iurpl iste pourrait inaginer. De fait, dans 1e choix des termes
mêmes, nous pourrons observer que 1a nuit est connotée de manière
alternativement positive eE négative, Èêndis que les ténèbres sont
habituellement présentéesde manière négative. Cette distinction est

à nten point douter dtorigine biblique. De faiÈ, dans 1'expérience


humaine fondarnentale qui est commune à toutes les rel igions, 1a nuiÈ
est-e11e une réa1 ité ambivalent.e, redoutable comne 1a mort et
indispensable comme 1e temps de 1a naissance des nondes. La mort du

( 1 ) Oer:ures)(VII æ cf. Is 42,3 "ntéÈeinÈ pas la Êdre qui fi-ue encore."

Q) id. v 2r2
( 3 ) id. )otr 67
118

jour annonce les dangers divers et nombreux qu t il faudra affronter/


pourtant 1a nuit mourra à son tour en cédant sa place au jour qui
vienÈ. Le fidè1e sera ainsi appelé à être un veilleur, comme nous
venons de 1e remarquer à propos du thèrne de 1a lanpe. cependant,
ténèbres mortelles et espérance du jour ne trouvent. leur pleine
signification qu'enracinées dans une expérience privilégiée de 1a
nuit : car 1a nuit esr 1e temps où se joua 1'histoire du salut,
nuit de 1a délivrance de 1a tradition exodale ec surtout nuit de
Pâques, dans ce triourphe de 1a nuit qui voit 1a résurrection du
Christ.

Pour Ia descripÈion de cetÈe réalité, nous reviendrons


au classement qui nous permertra de cons idérer d'abord 1a nuit
comme temps offert par 1a naÈure dans 1'expérience 1a plus quoËi-
dienne de 1'homme avant d'étudier f influence biblique de ce
thème sur François de Sales.

11341 La nuit : une réa1ité observée par François de Sales

Le premier inconvénient de 1a nuit est de ne permettre


aucune vision des choses qui nous entourent et de faire de nous
des aveugles, comparaison qui permettra de mieux senÈir 1a diffé-
rence qui existe ent.re 1a raison naÈure11e et 1a raison surnatu-
re11e, toutes deux filles dtun même Père, comme 1e sont 1e jour et
1a nuit.

ainsy n'estce que 1e rnesme oeil qui voit es obscurité


d'une nuict bien sombre a deux pas devant 1uy, et celuy
qui voit au beau jour de nidy tout 1e cercle de son
horizon, mays ce sont diverses lumieres qui luy
esclairenr (l).

cet inconvénienr najeur exceptér 1a nuit demande à être apprivoi-


sée pour livrer, à celui qui a pu en exorciser 1a peur, I'enchan-
tement d'une réa1ité toute naLurelle mais d'une grande richesse
d'enseignement. A une religieuse qui lui confie ses terreurs
nocËurnes, François de Sales confesse avec farniliarité ce trait de
ses souvenirs tenfance I
d qui nous rend I auteur très proche.
Jtay, estant jeune, esté touché de cette fantaisie et
pour m'en desfaire, je me forçais petit a petit d'a1ler
seulr le coeur armé de 1a confiance en Dieu, es lieux ou
mon imagination me menaçoit de la crainte; er en fin je
rne suis tellement affermi que les Èenebres et 1a soli-

(t) oeurresr gæ
- ll9 -

tude de 1a nuit me sont a delices, a cause de cett.e


ËouËe presence de Dieu de 1aquelle on jouit plus a
souhait en cetre solitude (1).
Ce dé1ice de Ia nuit, I'auËeur 1'a sans doute expérimenté souvent.
Avec quelle délicaresse de description if 1e dépeint pour ses 1ec-
Èeurs t
de l lntroduct ion à 1a vie dévote i
Considéres une be1le nuit bien sereine, et pensés
combien if fait bon voir le ciel avec ceÈte rnultitude
et variété d'estoiles (2)...
passage que nous avions déjà évoqué puisqu t il présenËe
en surirnpression 1a beaut.é drun beau jour pour conjuguer tant
d'émerveillement dans une allusion à ce gue sera le Paradis.
Pour François de Sales tous les aspects de 1a nature, 1a nuit y
compris, sont signes imparfaits de 1a gloire fuÈure du Royaume et
appelés à se trans figurer dans 1a résurrect ion finale qui verra
ltavènement de 1a Jérusalem Nouvelle.
En dtaut.res passages de ses oeuvres, ltauteur qui nous a fait par-
Cager s o n s e n t .i m e n t esthét ique laisse 1a place au pasteur d'un
diocèse, au moraliste bien obligé de considérer que la nuit n'amè-
ne pas seulement une surenchère de vertu. Soucieux de ne pas en
rester aux grandes idées seulement , i1 1 ivre, à f inrent ion de
Philothée, sa pensée sur les bals de 1'époque sans cacher sous un
vocabulaire pudique les inconvénients qu'i1 dénonce :
0n fait les bals de nuiË, et parmi les tenebres et
obscurités il est aysé de faire glisser plusieurs acci-
dens tenebreux et vicieux, en un sujet qui de soy mesme
est fort susceptible du nal; on y fait de grandes
vei1les, apres lesquelles on perd 1es matinees des
jours suivans, et par consequent le moyen de servir Dieu
en icelles : en un mot, c tesE tous-jours folie de chan-
ger 1e jour a 1a nuict, 1a lumiere aux tenebres, les
bonnes oeuvres a des folastreries (3).
Le propos est sans ambages, la conclusion claque cotrme un réquisi-
Ëoire, en appelant à un ordre naturel respectant I'harmonie de
1'alternance du jour eË de 1a nuit, pour en venir au domaine moral
des bonnes oeuvres opposées à des folâtreries qui ne doivent. pas
recouvrir gue de platoniques divertissetrenËs...
Dans 1a haute sociéré 1e je.r est encore 1'occasion de veillées

(1) Oeuwes)fD( 13
(2) id. rrr so
(3) ibid. rrr 249
r20

inEerninables.
Nous avons veu des gentilhommes e! des dames passer 1a
nuiE entiere, ains plusieurs nuit z de suiÈe a jouer aux
echecs et aux cartes... (l)

thène qu'i1 est inutile de développer, mais qui permer un trait

ironique part iculièremenË bien observé relatif à ces chrétiens

mondains qui constituaient, à n'en pas douÈerr le plus gros des


prat t :
iquants nobles de l époque

On passera trente nuiLz a danser, nul ne sten plaint;


et pour Ia veil1e seule de 1a nuit de N o ë 1 , c h a cun
tousse et crie au ventre 1e jour suivant.. . (2)

Quel1e tentat ion pour 1es adolescentesque ces folles nuits de


plaisirs et de fête. . . I1 faut pourtant composer avec les exigen-
ces parentales avec lesquelles i1 ne faisait pas bon badiner. Ce
qui nous donne 1'occasion de recueillir ce petit traiË de 1a vie

faniliale finement observé.


Une fille à qui 1'on aura défendu de sortir à 1a rue
dès qutil est nuit ne manquera pas de dire:
- "Mon Dieu, j'ri 1a plus Èeriible mère qui se peut
dire ! ElIe ne veut pas que je sorte de 1a maison !"
- On ne lui a dêfendu de sortir que 1a nuit, eÈ e11e
dit que c'est pour toujours... (3)

Ctest que même sans bals, la nuit ntest pas sans dangers en une

époque où 1'éclairage des rues est inexistant et où une escorËe

armée esr souvenE nécessaire pour raccompagner chez eux les invi-

tés d'un souper. La nuit est propice également aux conspirat ions
tévêque amis n'étaient
et accusations injustes, dont même 1 et ses
pas toujours exempËs, compte tenu du caractère sourcilleux de

leur Duc.

La nuit est un mauvais tesmoin, et 1es voyages et


oeuvres de 1 a n u i t sonÈ s u j e t z a d e m a u v a i s e s r e nconcres,
desquelles n u l n e p e u t r e s p o n d r e . M a i s c e s p a u v r e s gens
de bienr g u i esËoyent r e v e n u s p a r 1 a g t a c e d e V o s t r e
Grandeur, preuveront qu'en ces nuit z la ilz estoyent
ailleurs, et seroyent bien m a r r i s d ' a v o i r n i coopéré, ni
consent i a È e 1 les m a l i c e s . ( 4 )
Nous comprendrons facilement dès lors cette précaution exigée pour

les membres de 1'0ratoire de Thonon :

( 1 ) Oetrwes III 2n
Q ) ibid. rrr 290
(3) Entretiens 1189
( 4 ) Oeurres )(VI 317
I2l

i,Lz ne sorÈiront point 1a nuit sinon pour des causes


urgentes (1).

Aussi s'i1 demeure péri1leux de sortir 1a nuit, ce temps agréable


peut néanmoins être mis à ptofit pour de saines occupations. La
prière tour r
d abord surtout. si f insomnie vient visiter celui qui
s'était assoupi :

Si 1a nuict on s tesveille, i1 faut remplir sa bouche de


quelque bonn'aspiration, comme 1e nom de Jésus eE Marie,
qui sont propres à p.rfumer 1a bouche (Z).

L'oraison jaculatoire dans un demi-sommeil peut laisser 1a plaee


à un colloque plus 1ong, suivant La durée de f insomnie...
Sur tout, si emmi 1a nuit vous vous esveilles, eurployes
bien ce tems a parler seul à seul a nostre Seigneur (3)

conseille François de Sales à un gent.ilhomme.


La nuit est encore ce tenps où 1es visites et sollicitations
incessanËes ayant enfin cessé, 1'évêque pourra nettre à jour sa
volumineus.e correspondance. Certaines phrases trahissent ces
longues veilles solitaires :
A Dieu, encor, ma tres chère Fille; me voicy bien avant
dans 1a nuit, mais plus avant dans 1a consolat ion que
j '"y de mt imaginer 1e doux Jesus assis sur vostre
coeur (4 )
ou encore :

La lettre ci-joinÈe vous fut escritte a Ia minuit (5).

St ancrant dans cette réalité souvent empreinte d


tune
très grande
sinplicité, I'expérience de 1a nuit va permettre l texpression de
réal ités abstraites assez diverses mais 1e plus souvent négaÈ ives.
La nuit peut ainsi représenEer 1e temps du doute eË de Itinfidé-
lité que f image simplement suggérée du solei1 viendra percer:
Je ne suis plus dans lfobscurité de la nuit d'infidé1i-
té; des-ja les rayons de votre foy esclairent sur
lthorizon de mon ame (6).
La nuit peut encore symboliser les temps de doute, de désespoir
que François de Sales confia avoir connus très profondémenÈ au

( l ) Oeuvres )0CIV435

Q) id. )0[rr 218


( 3 ) id. )otr 7
(4) id. nrr 148
(s)ibid. xrrr 367
( 6 ) id. 159
r22

cours de deux crises de sa jeunesse, successivement à Paris et à


Padoue, puis lors de sa mission solitaire en Chablais ou encore
lors de certaines épreuves inhérentes à sa charge épiscopale,
épreuves qu'à son tour i1 comprend très bien chez ses correspon-
danÈs. Cet état est ainsi nommé : "1es Eenebres inËerieures" (t),

"1es sombres tenebres et 1es espais brouillars" (2), les "grandes


tenebres" (3), 1es "tenebres épaisses" (4), 1es "t.enebres et
secheresses" (5). Nous ne serons guère étonnés de voir 1a doctrine
réformée q'ual if.iêe également de 1a sorte "errorum tenebris" (6);
par conÈre plus mention de 1'amour propre si
originale est cetÈe
exacerbé chez nombre de gentilhommes - en un Ëemps où les duels
étaient nombreux et sanglants - évoqué par 1a même image "1es

tenebres de 1 t amour propre" (7 ) .


Pour finir, par son a1Ëernance même avec 1e jour qui en verra
I'achèvement, 1a nuiË peut encore traduire 1e Èemps de 1a vie
morte1le, appelé en une image positive à se métamorphoser en ce
jour éternel de 1a vie de ressusciÈé. Le Èexte suivant a pour ori-
gine 1e problème bien prosaîque posé par un jardin désiré par 1e
premier monastère de 1a VisiÈation et promis par 1e co11ège des
Barnabices. Il est 1'occasion dtune évocation émouvante du déta-
chement que peut concevoir celui qui a nis Ëoute son espérance
dans une vie fuËure.
(... ) sachanË bien que les pelerines (1es Visitandines)
qui devront avoir retraitte en ce logis, nty devant
habiËer que 1a nuit de cette peÈiÈe vie, seront, Dieu
aydant, s i aÈÈenr ives a t irer paîs dans 1e beau séj our
de leur ciré permanente, que 1e reste leur sera
indifferent (8).
L'image de 1a morË, pâr 1'emploi dtune expression familière du

(1) Oer:vresIJI 3Y
(2) id. w 134
(3) Enrretiens 1278
(4) Oeuvresn 9o
(5) id. )$III 151. l,Ioins grave mais dans la nÊre logique de représentaticr, no.rs trq.Jr/ons la
rention de "craintes eË sùres" qui altèrenÉ la qualité de Ia prière. OetrwesXIII 56; obscurité
ccnfuserparfois détaillée, id. II 1%.
(6) Oetrwes ÆII 2Y
(7) id. )(\rlr 41
(8) id. )vrrr 213
L23

terroir est. fort é1oignée des descriptions baroques de cadavres


pourrissanÈs. Elle n'inspira pourtant pas 1e même détachement

serein et pacifié à I'ecclésiastique qui 1a reçut mais refusa de


céder ce terrain. ..

La : privilégié rEcriËure
1135 nuit un temps synbolique dans I

Sages et Psalmistes ont transposé dans 1a vie indivi-

duel1e lrexpérience du jugement divin qui stopère dans et par 1a

nuit. La nuit apparÈ ient à Dieu et 1e psalmiste se retourne sur

sa couche en pleine nuit pour appeler 1e Seigneur qui peut 1e

1ibérer de toutes ses angoisses comme jadis au Ëemps de 1'Exode.


Mais cependant pratt iquons 1e dire de David : elevez
vos mains du costé des lieux saints emmi 1a nuict et
benissez 1e Seigneur (1 ),

car Dieu est bien ce flambeau qui bril1e dans 1a nuit, écarte 1e

danger, éclaire et rassure.

Hé, que ne suyvions nous 1a lumiere brillante de ce


divin flanbeau (2).
Pour 1e Nouveau Testament ef tout part icul ièrement dans

sa Ëradition johannique, tant q.u'i1 fait jour, Jésus fair rayon-

ner 1a lumière de ses oeuvres; Le temps de 1a passion venu, il se

livre aux embûches de 1a nuit, cett.e "heure des ténèbres" (3) qui

se prolonge j,-rsqu'en 1'.près-nidi de son agonie qui verra les

ténèbres recouvrir toute 1a terre.


'Or demeurons donq ainsy, ma tres chere Fi11e, parmi ces
Èenebres de 1a Passion. Je dis bien parmi ces tenebres,
car je vous laisse a penser: Nostre Dame eË saint Jean
estans au pied de 1a croix, emmi les admirables et
qui I plus
espouvantables tenebres se firent i1s n oyoyent
Nostre Se igneur, i-Iz ne 1e voyoyent plus eÈ n'avoyent nul
sentiment que d'amertume et de detresse, et bien qu'i1z
eussent 1a foy, e11e estoit aussi en Èenebres r câr iI
falloit qu'i1z participassenË a 1a dereliction du
Seigneur (4 ).

Le génitif d'identification "ténèbres de 1a Passion" renvoie

direcLemenË au texte évangélique qui esÈ commenté de rnanière spi-


pour t qui
rituel 1e évoquer ces moments de désespoir et d abandon

(1) Oeuvres)trII 9 cit. Ps 63,2 sq.


(2) id. )otrr 32
(3) Lc 22,53 reprLs dans Oeuwes)trII 81
(4) Oeuwes XV 198
L24

peuvent guetter mêne le croyant à 1a foi bien enracinée, les


parangons présentés, l'larie et Jean, éËanE à ceE effet exenplaires.
Une alliance de mots souligne I'aspecÈ exceptionnel et donc non
définitif d'une te1le expérience : 1es ténèbres sont à Ia fois
ttadmirablestt- et - ttespouvanta-
donc de caractère surnaturel eÈ
b1es". Le mode imparfait de f indicatif et du subjonctif crée dans
1a langue de 1a Renaissance une série d'a11itérations en (oî) qui
senble donner un écho au cri de douleur que 1'on peut imaginer
dans 1a bouche des deux personnages cit.és. Participant à 1a déré-
lict ion du Sauveur dans son expérience 1a plus spirituelle, 1e
croyanË n'est pas appelé à demeurer en ceE état dont i1 ne peuË
pourtant faire 1'économie. Reprenant cette phrase de 1'apôtre Paul,
François de Sales nta de cesse dten convaincre ses lecteurs
que rien ne vous esbranle. I1 est encore nuict
mais 1e jour s'approche; non, i1 ne tardera pas ( I ).
Ctest 1à 1e coeur de I'expérience pascale. t'Alors que brille 1e
premier jour (2) jaillit r é c l a i r
de 1a semaine" I des anges qui
annonce 1e rriomphe de 1a nuiÈ. Cett.e expérience sera répérée
pour 1es disciples incrédu1es, sur 1e chemin d'Enmaûs pour

Cléophas et son compagnon, épisode qutaffectionne tout parËiculiè-

renenÈ 'évêque
1 de Genève.

Hé, demeures avec nous, Seigneur, car i1 se fait


nuit (3).

Ce thème pernet à François de Sales de nous présenter une formule


synthéÈique sous forme de slogan uËilisant 1a réversion assez

chère au style de 1a Renaissance.


Les nuitz nous sonË des jours, quand Dieu est en nostre
coeur, et 1es jours sonÈ des nuitz, quand il nty est
poinr (4 ).

C'est cette expérience pascale, qui pour 1es chrétiens, achève 1a


Révélation. Tout est dic. Le Christ est alpha et onéga comme 1e
rappelle 1a liturgie et sa lunière est définitivemenÈ vainqueur
des ténèbres depuis 1e Livre de 1a Genèse jusqu'à celui de

ltApocalypse. Dans la Genèse, Abraham voit une torche dans 1a nuit

(t) OeuuresXIII 9 se référanÈ à Ro 13,12

Q) r,t 28,3
(3) Oeuwes)trII ll4 cf.. I.c.24,29
(4) ibid. xrrr 114
L25

en même tenps que retentit 1e rappel de la promesse de I'Ancienne


Al1iance.
je suis en vos affaires comme Abraham fut un jour.
I1 estoit couché parmi les obscures tenebres, €o un lieu
fort affreux : i1 sentit des grans espouvantemens, mays
ce fut pour p€u, car soudain if vit une clarté de feu et
ouyt 1a voiË de Dieu qui 1uy promit ses benedictions (1 ).

Dans 1'Apocalypse, 1a Crêation nouvelle ne connaîtra plus de nuit.


r e t ernité
0 que 1 est incornparablement plus aymable
puisque sa duree est sans fin, et que ses jours sont
sans nuiE (2)

et les Eénèbres de I'erreur seront définitivement dissipées, comne


l'écrit Saint Paul aux Ephésiens :

Eratis aliquando tenebræ, nunc autem lux in Domino (3).

1136 Le thème de 1a nuit dans 1a tradit ion Patrologique

Dans les premières pages de son Traité, à 1'adresse de


son lecteur, François de Sales définit un certain nombre de notions
sur lesquelles i1 s'appuiera pour 1e nener vers les sommets de 1a
vie spirituelle. Pour ce faire, il recourt à Itautorité de 1a tra-

dition des Pères de I'Eglise afin de justifier une théologie et

une spirituatité de 1a beauté et de 1a lumière. A des fins péda-

gogiques, 1a concept.ion qutil nous présente n'est pas dans un


premier temps très nuancée et nous venons d'observer à quel point

1a distinction qut il fait ent.re 1es ténèbres et 1a lumière, entre

1a nuit et 1e jour, nrest pas durcie et caricaturée. Le principe

de base demeure pourÈant inchangé qui fonde, sans nommer directe-


menE I'asEre du jour, ceÈ héliocenËrisme spirituel enseigné par 1a

naËure que nous découvrons dans tout ce chapitre de notre recher-

che.
L'obscurité, 1'ombre, 1es ténèbres sont laides et
enlaidissent toute chose parce quten icelles rien n'est
connoissable, ni ltordre, ni 1a distinction, ni 1'union,
ni 1a convenance; qui a fait dire a Saint Denis que Dieu
"comme souveraine beauté est autheur de 1a belle conve-
nance, du beau lustre et de 1a bonne grace qui est en
toutes choses, faisant esclatter, en forme de lumiere,
les d ist inct ions et departemens de son rayon" p"t

( 1 ) Oetrwes)trII 98 évoquant Gn 15,12

Q ) id. )$I 119 évoquantAp 21,25


( 3 ) Ep 5r8 cité dans Oeuwes )OflII 114, traduit ainsi : 'Vqrs étiez autrefois ténèbres, rnais
maintenant vq.rs êËes lr-urière dans le Seigneur".
L26

lesquelz toutes choses sonË rendues be11es, voulant que


pour establir 1a beauté i1 y eust 1a convenance, 1a
clarté et 1a bonne grace.
Certes, Theotime, la beauté est sans effect, inutile et
tavive,
morÈe, si 1a clarté et splendeur ne l et luy
donne e fficace, dont nous disons 1es couleurs estre
vives quand e1les ont de 1'esclat et du lustre (f).

LféclaE de 1a lumière esL aussi un thème baroque et 1a synbolique

bibl ique se reËrouve ici en conjonction avec 1e goûr littéraire et

esËhét ique de 1a seconde génération de 1a Renaissance.

rharmonie jour
1137 Le maËin, temps de I enËre 1a nuit et 1e

Le temps de 1'aurore offre ce difficile équil ibre cons-

tamment rompu entre 1a fin de 1a nuir et 1e début du jour.

Promesse du jour, i1 esË encore du donaine des ténèbres en un mou-

vement progress i f bien propre à symbol iser cerrains érat s inré-

rieurs de 1a vie spirituelle. Le livre de 1a nature tout enÈier

enseigne 1a nuance et parle de mouvement.

1137f Le matin, une réa1ité observée directement

Le mat in fait parÈie de 1a vie quotidienne, if détermine


souvenË le déroulement. à venir
long des heures de 1a journée.
François de Sales y voit I toccasion dtun plaisir simple, mêrne si
ses journées se prolongent inÈerminablement dans des veilles
1abor ieuse s ou pr iante s (Z> .
Mais je ne pense pas que demain je ne puisse ne me
lever maÈin, car i1 y a trop de playsir a jouir de
cette douce partie du jour (3).
Le maÈin sera donc ce premier temps de 1a rencontre avec Dieu:
Des I t aube du jour, vous seres le sujet de ma
meditat ion...
promeE dans son "règ1ement," 1e jeune étudiant padouan à son Dieu;
que ce soit dans une rencontre privée ou dans la liturgie publi-
que comme en témoignenË certaines ordonnances épiscopales:
Tous les matins se celebreront deux Messes basses en
1'église; 1a premiere a lraube, 1a seconde a huit,

(1) Oeuwes W 24
(Z) Oes traiÈs sitples de certains Serrcns se plaisenË à évoquer le réveil de rcute la créatiqr :
"L'a,'be faic chanter les polletrl fâEffe esÈoille resjorit les malades, faict chanter les
oyseauc."Oeurres VII 205
(3) Oeuwes X\,ttII 55
r27

attendant neuf (1).

Le matin, c'est aussi 1e moment du départ, à lroccasion des


voyages. (2) . Mais bien davantage qu'uné simple occasion de nous
laisser percevoir ce qui fait son enploi du teEps, François de
Sales nous parle des matins dans un sens plus symbolique que lir-
Èéraire. Le matin est promesse de ce jour qui va aller se déploy-
ant puis se rét racfant, déterminant 1a durée quot idienne.

Mays comne 1e vray coeur du jour se prend des Ia fin de


1'aube jusques au soleil couché, aussi 1a vraye essence
de l t amour cons iste au mouvement et écoulement du coeur,
qui suit immédiaËement 1a complaysance er se termine a
I'union (3).

Ltamour et 1e matin ont analogiquement un lien privilégié. Tous


deux parlent de lumière et de chaleur, tous deux croissent et
embell issent vers une apothéose de lumière et de bonheur. Cette
compara ison mot ivée nous vaut une magni fique évocaÈ ion de I taube
dans le Traité de 1'amour de Dieu :

0 que cette aube est gaye, be11e, amiable et aggr eable !


Mays pourtant i1 esE vray gu€, ou lraube n'est pas 1e
jour our si e11e est 1e jour, c'est un jour commençanÈ,
un jour t 'enfance
naissant, c est plus-tost 1 du jour que
1e jour mesme. Et de nesme, sans doute, ces mouvemens
d'amour... (4)

Le vocatif initial introduit une énumération dont les


quatre termes int,roduisent une gradation à 1a fois esËhétique et
affect ive. Le choix des adject ifs est très féminin et pourrait
caracÈériser cette belle jeune fille que les poètes dépeignent
sous les traits de I'aube. L I auteur introduiÈ ensuite un effet de
balancement par une répétition rythmée de qualificatifs qui s'or-
donnent. autour du terme jour qui rime avec Iui-même avant que
s'ajoute 1a rime intérieure commençant naissant.La naissance
ouvre à 1'élaboration d'une alliance de moÈs originale et forte-
ment suggestive : "1'enfance du jour" qui viendra à 1a fin de
cette évocation syurbol iser ce mouvement I le
d amour naissant dans
coeur de 1'homme. Cette comparaison sera reprise de manière moins
motivée quelques pages plus loin.

( 1 ) Oeurres WI 292
Q) id. )(I 177
( 3 ) id. r\t 42
(4) ibid. rv 130
r28

car, comme ltaube du jour peut être appelée jour, aussi


cette première complaysance du coeur en 1a chose aymee
peut estre nommée amour (1).
Dans un autre passage du même ouvrage, François de Sales insiste
davantage sur 1e mouvement progressif de 1a montée du jour:

comme nous voyons croistre 1a belle aube du jour, non a


diverses reprises et. par secousses, ains par une certai-
ne dilatat ion et croissance cont inue qui est presque
insensibleurent sensible, en sorte que vrayment on 1a
void croistre en clarté, mais s i egalement. que nul
ntapperçoit aucune interruption, separation, ou discon-
r inuité de ses accroissetnens, ainsy 1e divin amour
croissoiÈ a chaque momenË dans 1e coeur virginal de
nostre glorieuse dame (2).
Le mouvement décrit est expriné par une répéÈition "insensiblemenË
sensible" qtti insiste sur son unifornité harmonieuse et sur sa
dynamique esÈhét ique.
Dans La cohérence de ces comparaisons moËivées très développées,
nous trouvons des évocat ions plus succinctes t qui vien-
de I aube
nenË synbol iser des réa1 ifés diverses.
L'âme qui monte sur 1e chemin de Ia vie dévote, par exemple :
I'ame qui monte du péché a 1a devot ion est comparee
a ltaube, laquelle sreslevant ne chasse pas 1es
tenebre s en un instant , mais pet it a pet iÈ ( 3 ) .
Ainsi est introduite une spiritualité de 1a patience et de 1a
conf iance qui sera sous-jacente à 1'enseignement salésien. L'aube
sera encore ut il isée pour figurer 1e magistère qui présenÈe "pto-
gres et succession, comm'une be11'aube" (4); 1e mouvement de
conversion de 1a ville de Genève que ltévêque appelle de ses
voeux dans une lettre en it.al ien :

"mi pare che i primi crepusculi del giorno spirituale


cominciano a spandere i raggi fra i suoi habitanti di
Geneve"... (5)

ou encore 1a jeunesse en une esquisse bien dans 1'esprit de


Ronsard :

Faites que cetËe aube croisse jusqu'en ple in nidy du


saint amour celeste, et que vostre printems fleury se

(1) Oeuwes III

(2) id. rv s4
(3) id. rrr 26
(4) id. r lss
(5) id. W 22 traduit ainsi : "I1 æ sable que les præriers rayons du jorr spirituel cctruencent
à s'éterdre sur les habitants de Cenève."
r29

convertisse en une automne fructueuse (1).

11372 L'aurore dans 1a tradition biblique

Sous 1a plume salés ienne I'aurore sera exclus ivement


réservée à caractériser Marie, figure propre à rassembler les
divers traits de 1'aube que nous avions évoqués. InstrumenË de la
divine promesse, sa personnaliÈé féminine staccommodera fort bien
des épithètes qui dépeignent I'aurore Ëout en prenant à son compte
1a figure de 1a bien-ainée du Cant ique des Cant iques.
en sorte que Marie marchant comme une be1le aube qui,
commençant a poindre, va conËinuellemenÈ croissant en
clarté jusques en plein jour (2).
Hé, que bel1e est cette Aube du jour éterne1... (3)
L'analogie de Marie avec I'aube sera complète à 1'occasion de 1a
fête du l5 Août qui commémore 1'assompÈion de Marie, ctest-à-dire
selon 1a t.radition catholique sa montée au Ciel dans 1a gloire de
1a résurrection (4).

114 Astrologie

Le dernier volet de notre étude à partir du feu, pris


comme premier é1ément fondamental de 1a création, concernera
1'asËrologie. Efr effeÈ le cie1, du fait du lien étroit qu'i1 pré-
sente avec 1e soleil, nous a semblé devoir êÈre classé dans ce
chapitre.
Nous aborderons ce thèrne par 1a naÈure observée directement, puis
en suivanÈ Èoujours 1a méthode que nous nous sommes proposés,
nous évoquerons 1a nature en conËact avec l thomme, 1a science,
pour arriver à 1a nature biblique eË à 1a nat.ure dtorigine
paËristique.

1141 Le ciel, un domaine de 1a naÈure observé directement

Nous rappellerons que dans Ia conception aristoËélicien-


ne traditionnelle se dép1oie, au-dessus du monde sub-lunaire
soumis à 1a corrupË ion, 1e monde cé1este fait d'une naÈ ière lumi-

(t) Oeuvres)(VI 17
(2) id. Iv 106cianr cr 4,1o er Pr 4,18
(3) id. )v 2s8
(a) ia. )o(\rr33
130

neuse et incorrupt ible appelée éther ou quinEessence, monde

constitué de sphères solides emboîtées 1es unes dans 1es autres

et déterminant entre autre choses 1e séjour des bienheureux,


'empyrée; Mues par intel 1 igences célestes,
1 des ces sphères

comportaienE un mouvenent uniformément circulaire. Les dimensions

de ce cosmos semblaient alors beaucoup moins cons idérables qu'une

vision plus moderne peut permettre de 1e concevoir. Le rayon des


sphères célesces ntétait en effet estimé qu'à quelques nilliers

de kilomèt.res et I'homme ne se sentait pas encore perdu dans "1e


s ilence éEernel des espaces infinis".
Paraissaient pourtant effrayants cerËains phénomènes terrifiants
comme les comètes dont on ne savait trop si e1les étaient des
signes divins ou nat.urels.

C'est dans ce contexte de base, remis en question par les asÈro-

nomes, mais encore largemenÈ majoritaire dans 1a concept ion de

1'univers que pouvaient avoir 1es conËemporains de François de

Sa1es, qu'i1 convient de resiÈuer les images que I'auteur nous


présenËe du ciel et des asËres (1). De plus, râppelons que 1'uni-

vers, 1e macrocosme, parallè1e têÈre humain,


constitue un avec 1

1e microcosme et que toute observation de 1'un peuc éclairer une

connaissance de Itautre.
EE comme au grand monde, 1e ciel n'est pas tous-jours
tair par
serein et descouvert, mais souvent l se couvre
des nuages et brouillardz, ainsy au petit monde, qui
est lthomme, ltespriË nrest pas tous-jours gay et clair,
mais couver! quelque fois d'assoupissement qui trouble
sa clairté et empesche sa gayeté (2).

Ceci menËionné, obser.rorr" les luminaires eux-mêmes.

Les étoiles sonE indiquées à diverses reprises.

II42 Les étoiles

De ces astres, François de Sales ret ient trois traits


qu'i1 développe différemnent. Le premier et 1e plus abondant sera
que les étoiles s'effacent devant 1a lunière du soleil. Le second
nous proposera une observation directe des étoiles, et 1e troi-
s ième ins istera sur 1a différence qui existe entre chaque étoi1e.
Les étoiles ne disparaissent pas pendant 1a journée rnais

(1) cf. BernardToscanræ,op. cit.


(2) OeuwesXfV 113
13t

préérrinence t e ffacent à notre


devant 1a du so1ei1, el1es s regard.

François de Sales expose cette réa1 iré bien observée pour évoquer

ltidée difficile à exprimer que pour un croyant 1a fusion de sa


volonté en 1a volonté divine ntest pas une négation de sa propre

liberté nais tout au contraire 1e sommet qutelle est appelée à


at t e indre
L'ame escoulée en Dieu ne meurt pas; mais e11e vit sans
vivre en e11e-mesne, parce gu€, comme les estoiles sans
perdre leur lumiere ne luisent plus en 1a presence du
so1ei1, ains 1e soleil luit en elles eË sont cachees en
1a lumiere du soleil, aussi I'ame sans perdre sa vie, ne
vit plus esÈans meslee a Dieu ains Dieu vit en e11e (1).
L'alliance de moËs "sonÈ cachees en 1a lumiere" évoque de manière
posiÈive 1a paraphrase de 1a parole de Paul "Ce n'esÈ plus-mo--i qui

vis, t ChrisÈ qui vit (2)


c esÈ 1e en moi. "
La même irnage sera utilisée pour exprimer 1a même idée, mais sous

Ia forme d'une interrogation oratoire insisÈant davanÈage sur 1a

fusion de 1a lunière souveraine du so1ei1 et de 1a clarté des

astres.

Que devient 1a clarté des estoiles quand 1e soleil


paroist sur notre orizon ? E11e ne perit certe pas, mais
e11e est ravie et englout ie dans 1a souveraine lumiere
du soleil avec laquelle e11e est heureusement meslee et
conjointe.
Que devient 1a volont.é humaine quand e11e esÈ entière-
menË abandonnee au bon playsir de Dieu ? (3)

La double interrogation introduit un paralfè1e qui moEive f iden-

tification et laisse apparaître 1e livre de 1a nature comme 1'ex-


plication illustrée de touÈe 1a vie spirituelle de lthomme.
François de Sales n'hésite pas à enployer 1a même inage dans une
formule quelque peu mondaine er recouvrant en tous cas une réa1i-

té beaucoup plus prosaîque,1roubli tant soit peu 1égitime par un

être très cher de répondre à sa correspondance.


En somme i1 est donq vray, l'lons ieur mon Frere, que 1es
estoilles ne sont plus en veûe quand le so1eil 1'est sur
notre horizon, eÈ qu t ainsy ce grand contentement que
vous contenples au mariage de Monsieur vaut tel lement
que nous ne sommes plus en memoire (4 ).

( 1 ) Oeuvres IV 346

e) Ca zrn
(3) OeuwesV 149
(4) )MIII 234
-L32-

Le reproche est habile et s'inspire d'une évocat.ion d tune telle


noblesse qutil ne saurait être pris en mauvaise part. I1 témoigne
en tous cas de 1a faveur de te1les ônages dans 1a correspondance
courante, révélant 1a familiarité suggestive des images salé-
s iennes. Une dernière image vienÈ mêler 1 'observaÈ ion du macrocos-
Eê, par laque11e nous avions pré1udé, et lridée de 1a prééminence
du so1eil sur les étoiles que nous avons vu expriner.
Or, comme que cten soiË, nous sçavons que deux choses
font disparoistre 1a lumiere des estoiles : 1'obscurité
des brouillas de 1a nuit, et 1a plus grande lumiere du
sole i1 ; et de mesme nous combattons les pass ions en
leur opposant des passions conÈraires, ou leur opposant
des plus grandes affect ions de leur sorte ( 1) .
Mais lorsque 1e soleil ni 1es brouillards ne viennent effacer 1a
clarté des étoiles, leur observaÈion offre un intérêt qui parle
de divers ité et de beauté.
Les estoiles sont merveilleusement belles a voir et
jetËent des clartés aggreables, mays si vous y aves
pris garde, c'est par brillemens, estincellemens et
eslans qu'e11es produisent leurs rayons, comme si elles
enfantoyent Ia lumiere avec effort, a diverses repri-
ses... Ainsy 1es Saints sentirenr une grande variété de
dilect ions en leur vie (2) .
Toujours à propos de cette diversité de beauté que traduisent les
personnalités de ceux qui répondent à 1'appel universel à 1a
sainteté, les étoiles donnent une dernière 1eçon de leur beauté
simple er différente.
puisque comme une estoile est differente avec 1 rautre
estoile en clarté, ainsy en sera-t-i1 parmi les
bienheureux ressuscités... (3)

lI43 AuËres asLres

11431 La lune

La mention de 1a lune comme réalité de 1a naÈure direc-


tement observée est, somme toute, assez banale. Aucune image
part icul ière n'en est présentée mais seulement cette remarque
qu I e11e détermine 1a durée du nois.

(1) Oetrwes V 311


(2) ibid. v s3
(3) ibid. V 186. 'bans la prédication, les étoiles apparaissent égaleqpnt en lien arrec le
Liwe de 1'Apocal),pse" cf . Oeuvres VIII 26
133

Et. comnunieray encores chaque moys a fin de loiier Dieu


de chaque revolution de 1a lune (1).

1 14 32 Les planètes erranres

Dans 1'ordre du cosmos, planète reffet


1a erranËe fait 1
dtune aberration, de quelque chose qui nrest pas à sa place eË
tharmonie
vient compromettre l de 1 | ensemble. En même temps que le
poinÈ de vue sErictemenE religieux, c'est bien 1à un des reproches
adressés par 1e milieu cathol ique aux membres de La communauté
rêformée: tharmonie
e11e trouble l des royaumes eÈ des duchés,
contesÈanE cette belle unité pol it ico-rel igieuse qui apparaissait
aux juristes de 1tépoque comme 1e modè1e absolu de toute société.
C'esÈ dans ce sens qu'i1 faut sans doute entendre cetEe identifi-
cat ion t irée des Conrroverses, dans 1aque1 1e François de Sales
parle de ses contradicreurs.
Planètes errantes, qui ne peuvent servir de guide a
personne et n'ont point de fermeté de foy mays changent
a tout propos (2).
II433 Les Corrètes

François de Sales ne semble guère désireux de voir dans


1'apparition de comètes des signes de 1a colère divine ou autres
manifestations effrayantes. L'explication qu'i1 nous donne de ces
phénourènes célestes est Èout à fait rat.ionnel 1e et ne laisse
nu11e place à f imaginaire. I1 1es oppose au contraire à ce que
représentent. les astres dans leur harmonieuse régularité er la
discrétion de leur scintillement.
Comme 1e vulgaire admire les cometes et feuz erratiques
et croit que ce soyent de vrays astres et vives planet-
tes, tandis que les plus entendus connoissent bien que
ce ne sont que flammes qui escoulent en 1'air 1e long de
quelque vapeur qui leur servent de pasture, et nton
rien de commun avec les astres incorruptibles que ceste
grossiere clarté q u i 1es rend visibles; ainsy 1e mise-
rable peuple de nostre aage, voyant certaines chaudes
cervelles stenflammer a 1a suite de quelques subtilirés
humaines esclairees de 1'escorce de 1a Saint'Ecriture i1
a creu que c'esËoient des vérités celestes et s'y est a m usé

(1) Oeq4res)OtrI 12. En une occurrence, dans un Serrcn, la lune rep,résenteltlslær.


tï-e croissant de I'Iahæt grossissoit si fort e.t@ie qr,rtil seùloit vq.rloir rerdre pleirre ltnre"
Oraison funèbre du dr.rcde l.brcoeur dans Oeuwes VII 420.
(2) Oetrwes I 139. Cette inage sesble se rapprocher de celle présentée par lrEpitre de Jude, v. 13
"asÈils errants résewés pc*r; l'éternité à liépaisseur des ténèbres", l"s
"rçr"ss6îÇEâEs
formrles drabjuration solerrrelle des protestants re\renant à la foi catholiqtre, ccrrrE on le trouve
dans le texÈe écrit à cet effeÈ pqrr mdÆE de Saint{ergues. cf. Oeuwes XV 380.
r34

quoy que les gens de bien et judicieux tesmoignent que


ce n t esÈoyent que des inventions terrestres gui, se con-
sumant peu a peu, ne laysseroyenÈ autre memoire d telles
que 1e ressentiment de beaucoup de malheurs qui suit
ordinairement ces apparences (1).
Le ton très aristocratique et souverainement néprisant pour 1e
"vulgaire" est Èout à fait particul ier à ce passage des
Controverses; i1 permet de mesurer 1e chemin parcouru par 1e futur

évêque qui n'emploiera jarnais à l tavenir de te1les formules. Les

arguments "tape à 1'oeilt'dtune Èhéologie parfois plus décorative


que rigoureuse 1e mettent visiblement hors de 1ui. Au lieu d'é-

clairer, e11e égare, ce qui consÈitue bien 1a faute par excellence


pour ceux qui s'érigent en guidesspirituels. Dans I'Introduction
à 1a Vie Dévote, Ia même image est reprise de manière non poléuri-
que et sous une forme moins allégorique :

Les cometes et planetes sont presque egalement lumineuses


en apparence; uais les cometes disparoissenË en peu de
t que cerÈains passagers,
tems, n estans feux et les
planetes perpeÈue11e; thypocrisie
ont une clarté ainsy I
eÈ 1a vraye vertu ont beaucoup de ressenblance en
1'exterieur.. . (2).

La même idée se Èrouve ailleurs toujours dans 1 r!ntroducÈ!o4 .i 1a


Vie Dévote et donne une bonne idée de 1a modération salésienne
pour tout ce qui regarde une certaine ostentat ion rel igieuse con-

le plus les nouveaux ttconvert istt et que Mol ière


cernant souvent
épinglera de manière définitive dans son Tartuffe.

Les cometes paroissent pour I'ordinaire plus grandes


que les estoiles et tiennent beaucoup plus de place a nos
yeux; e1les ne sonr neammoins comparables ni en grandeur
ni en qual ité aux estoiles, et ne semblent grandes sinon
parce qu'e11es sont proches de nous et en un sujet plus
grossier au prix des esËoi1es. I1 y a de mesme certaines
. vertus lesquel1es, pour esrre proches de nous, sensibles
êt, s'i1 fauË ainsy dire, maEerielles, sonË grandemenË
estimees et tous-jours preferees par 1e vulgaire; ainsy
prefere-i1 taumosne tenporelle a 1a spiri-
communement l
tue11e, 1a haire, 1e jeusne, 1a nudiËé, 1a discipl ine et
les mortifications du cors a 1a douceur, à 1a débonnaire-
té, a Ia modestie et autres mortifications du coeur, qui
neanmoins sont bien plus excellentes (3).

p1us, fest qui de spiri-


Une fois de c la nature donne cette leçon
tual ité prat ique et privilégie 1'être par rapport au paraître.

( l ) Oewres I 142
Q) id. rrr 291
( 3 ) ibid. rrr 125
135

11434 Astres utilisés comme clichés

Terminons notre évocat ion des phénomènes astraux en


remarquant 1a rareté sous 1a pluure salésienne de urétaphores

hyperbol iques si courantes che z cer tains de ses contemporains et


que Iton ne croise que rarement :

Saint Thomas d'Aquin, ce grand àstre de 1a théologie (f ) .

De par son cours régu1 ier |


1 asËre
et observable, offre un
intérêt imnense pour la navigation, thèure important que nous évo-
querons à lroccasion de noÈre étude sur 1ré1éurent liquide. Crest

1e seul domaine dans lequel i1 soit possible de discerner des


irnages tnettant en contacÈ I'homme et 1a nature dans une visée
scientifique.

11435 La science de 1a navigation à 1 raide des astres

La science de 1a navigaÈion esÈ Itimage de La vie terres-


tre en généra1 et chrét ienne en part icul ier. El 1e permet un 1 ien

intéressant entre 1a terre, lieu de 1a préoccupation de Ithomme et


1e ciel qui symbolise à 1a fois son idéa1 et sa roure à suivre.
Les mariniers, qui voguent a 1'aspect et conduitte des
estoiles, ne vonE pas au ciel pour cela mais en 1a terre,
aussi ne visent-iIz pas au ciel sinon pour chercher 1a
terre: au contrairer les Chrest.iens, ne respirans qutau
ciel ou est leur thresor, et 1e port asseuré de leurs
t
esperances, regardent bien souvent aux choses d icy bas,
mais ce ntest pas pour a11er a 1a terre, ains pour aller
au ciel (2).

Le chiasme est ici significatif de certe recherche toujours à

équilibrer entre 1'horizoîLaliËé, 1a terre, er 1a verticalité, 1e

regard vers 1e cie1, dont 1a joncrion décrit 1a forme même de 1a

croix. L'étoile visée par 1e pilote du navire sera pour 1e chré-


tien 1a figure même de 1a divinité :

nostre esguille marine n'a-e11e pas tous-jours


esté tendante a sa belle estoile, a son saint astre,
a son Dieu (3).

Sa volonté demeurera fixée vers "1'esÈoi1e sur laquel1e nos yeux

starrescentrr (4), étoi1e qui prendra parfois 1e visage de Marie,

( 1 ) Oeuwes V 225

Q) id. rr 235
(3) id. )(Irr 331
( 4 ) ibid. xrrr 16
-L36-

"cetce be11e estoile en nostre navigaËion" (1).

lI44 Les astres dans 1a Bible

Si 1e ciel peut désigner à 1a fois le lieu où se meuvent

astres et constellat ions et 1a demeure dans laquelle Dieu rassem-

b1e ses é1us et où i1 réside, ce n'est pas par uae confusion

grossière dont i1 faudrait rendre responsable l t imprécision de 1a


I1 voir texpression
langue hébraîque. faut 1à bien davantage l

d'une expérience universelle et longuement uûrie qui montre au


que Dieu révè1e, 'incarne, ion
croyant se s à travers 1a créat Èout
entière:1a Bible distingue parfaitement 1e ciel physique et 1e

Ciel de Dieu "qt'ri ntest pas 1a terre"r le premier conduisanr nor-

malemenË T.'boume è penser au second. Dans 1e ciel visible, en

effet, se découvre 1e mystère de Dieu et de son oeuvre.


Lorsqu t A b r a h a m est invité à lever les yeux au cie1, ce

ntest pas seulement pour constater qutil y a de nombreuses étoiles

selon 1e terme rnême de La promesse, nais pour stinirier à 1a

transcendance d'un Dieu qui Itenveloppera de sa présence aimante

aussi sûrement que 1e ciel couvre toute La terre des hommes (2).

Dieu lui avait promis que sa générat ion serait mult ipl iée
conme 1es étoiles du ciel et les sablons de 1a ner (3)

ce qui donne 1'occasion à François de Sales de proposer' sous forme


: I'et
de prière d'acÈion de grâce de reprendre ce Èrait biblique

nultiplieray vos louanges conme 1es estoilles du ciel" (4).

L'allusion à 1'échelle de Jacob (5) permet une autre inage dans

1es Entretiens :

nos inperfections nous doivent servir d'éche11e


pour monter au ciel (6).

Cette expression d'a11er au ciel sera du reste reprise avec un


br in d t humour :
Nous n'irons pas au ciel parce que nous avons bien chanté
mais si ferons bien pour avoir obéi (7).

( 1 ) Oeurres )(V-I112. Cette cc4araison a été poprlarisée par l'hyrre liÈurgiqr:e Ave l4aris Stella.

Q) Gn 1515
( 3 ) Entretiens 1222, ntu citation dans Oeuwes )$III 282
(4) Oeuwes )0W 161
(s)cn 29, 10-15
( 6 ) Entretiens 1324
( 7 ) ibid. 13æ
r37

Ce domaine des é1us prend parfois 1a signification de Dieu lui-


même en une métonymie du lieu assez usée :
Je luy souhaite 1e Ciel propice ( 1 ).
I1 fauË tenir ses supérieures comme des oracles venus du
ciel (2).
Leves vos yeux au Ciel pour les diverÈir des curiosités
de 1a terre (f).

Le Nouveau Testament donne plusieurs passages relatifs aux asËres


eË au ciel en généra1 qui sont diversemenË interprétés par
François de Sales. L'épisode des rois mages (4 ) permet d'indiquer
que ces derniers ne se cotnplaisaienr pas "en 1a clarté de lrestoi-
1e" (S), pour inviter 1'âme du croyant à rejoindre I'essentiel. Le
commentaire du Notre Pèrer gu€ nous ne possédons plus qu'en ita-
lien, offre des développenents sur 1e thème du "ciel" terrestre
conjugué avec celui du "Ciel de Dieu"; i1 serait trop long de 1es
citer intégralement, en voici un exemple :
i cieli, con li suoi conEinui movimenti, e 1e ste11e
con 1a loro chiara luce, e supra tutto quelli doi
luninari j maggiori, i1 sole e 1a luna, con 1a ffi" dezza
del loro lume, m'eccitano ad adorar e benedir i1 vostro
santo Nome (6).
Cette prière évangé1ique se Ërouve également commentée à I'occa-
sion de propos qui nous sont rapportés dans 1es EnEretiens.
VoÈre volont.é soit faite en 1a terre comme au Ciel.
Au Ciel, i1 n'y a nu1le résistance à 1a divine
volonté... (7).

Les Lettres apostol iques nous parlent encore du ciel (8), notam-
ment 1e passage de 1a première Epitre aux Corinthiens qui insiste
une nouvelle fois sur La diversité de 1a création qui en produit
1a beauté :

Et comne une estoile est. dif f erente de I'autre en


clarÈé, ainsy seront differents 1es hommes les uns

(1) Oer-nnes
XIII 167
(2) Entretiens 1143
(3) Oenwes I{J,IT 222
(4) tîE 2, 1 sq.
(5) Oewres I\l 279
(6) id. )OfiII 401; de )OMI n2 à417 passim, traduit ainsi :'Iæs cieu<, a'rec leurs conÈinuelsnDuve-
rents, les étoiles avec leurs brillantes hmières et surÈout ces der-ucplus grards lturinaires, le
soleil eÈ la 1une, par la splerdeur de leur clarté, mro<cicent à adorer et bénir voEre Saint l,Icm."
(7) Entretiens 1123
(8) OetrwesI 109, citant EÉr 4, &11.
138

des autres (1).


Nous terminerons avec 1a figure de Marie que nous avions déjà
rencontrée à propos de notre étude du 'so1ei1, 1es autres astres
ParËicipant également à sa représent.aË ion cosmique. E11e est dite
"be11e comme 1a 1une" (2), discernée entre "tous les Saintz conge
1e soleil entre les astres" (3), e11e-même est appelée "be11e
esEoile" (t+), "Estoile de mer" (5), - terme qui reprend une priè-
re de 1a liturgie attribuée à Saint Bernard,"l'Ave maris ste11a"-
François de Sales semble en discerner 1a présence tangible dans
1e ciel comme un signe au-dessus de 1a vil1e de Genève, ainsi
qu'i1 f indique dans une lettre de L6L2 :
nous avons veu en cette ville plusieurs colonnes enflarn-
mees sur Geneve, et 1a veil1e de I tAssompËion entre uidy
et. une heure, en un jour forË c1air, un t estoile asses
proche du so1ei1, aussi brillante eÈ resplandissante
qu'est 1a bellrestoille en une nuit bien sereine (6).
Un esprit moderne verra 1à sans doute un phénourène atDosphérique
lurnineux et une conjonction permettanË à Vénus de se montrer
visible de manière exceptionnelle.

1145 Dans 1a Patrologie

Plus ieurs Pères de ItEgl ise sont cités à propos des


astres. Grégoire de Naziaîze qui nomme les religieuses "celesËes
et tres belles est.oiles du ChrisË" (7), saint Augustin qui refuse
1e signe de 1'étoile comme symbole mais privilégie 1e signe de 1a
croix (8).

115 Conclusion

L I inage serait-e11e simplement servante de 1a doctrine

(1) Oeuwes fV 110 évoqr:ant1 Co 15,41, qui est repris dans OetwresW 191 à propos de la
diversité des angeset des sainÈs.
(2) Oeqwes)O(tI 18. cf. Is !4,L2 et Ct 6,10
(3) id. M92 citant Ct 6,10
(4) id. )Otr 153. Ce titre génériqr:e est fréqusuenÈ repris dans les Serrqqq, dans les prédicaticnrs
mariales de lrauteur. cf. Oer.nrres D( 5; 16 et passin.
(5) OeuvresXII 388 et XV 258
(6) id. xv 260
(7) id. )MII 240et )0(V321 citant Grégoirede l{aziance.M tbllenir-ur. (Carnin. 1, vers. 26I-262.)
(8) id. rr 279
139

qu'e11e viendrait "il1ustreril de nanière charnante ? Nous considé-


rons bien que sous 1a plume salésienne les très nombreux emprunts
que I'auÈeur fait à 1a réa1ité de 1a nature sonË beaucoup plus
que de sirnples illustrations. I1 y a complicité, mieux encore,
harmonie, connecEion entre les deux réalités dtune vie spirituelle
à rendre compte et de 1a création à décrire.
La nétaphore permet de briser certaines front ières et de
traduire en langage ce qui dépasse 1e langage. E11e permet aussi
de révé1er une réa1 ité éclatante qui appart ienÈ au domaine spiri-
tue1. L'image du feu pris dans son acception 1a plus 1arge, crest
à dire englobant tout ce qui regarde 1a lunière,1e so1eil et 1e
ciel en généra1, offre chez saint François de Sales une grande
cohérence de présentation. E11e donne. de pénétrer dans une
logique esthét ique qui fera percevoir davantage au croyant. auquel
ces ouvrages sradressent de que1le naËure est son Dieu eÈ quel1e
peut être son attiÈude envers Lui. Le soleil que chaque matin i1
lui sera donné de contempler, qu'i1 soit ou non voilé de nuages,
1ui rappellera constamment, en un héliocentrisme spiriÈue1 tou-
jours réaffirmé, 1a présence de son Dieu. Ce soleil aveuglanE est
bien 1a lumière totale donÈ 1a présence ne saurait être mise en
doute. EclaËant, i1 ne saurait être regardé en face, tour comme
1e Dieu de Moîse que nul ne pouvait contempler sans mourir.
I1 s'oppose à 1a nuit 1a plus obscure mais i1 en est aussi 1a fin,
auss i inexorablement que 1a cert itude t
de 1 aurore dans 1a réal ité
du quotidien. Son combat contre 1a nuit est toujours vainqueur
comme est vainqueur par avance 1e combat du croyant symbolisé par
1e combat spirituel. Enfin, 1a cert itude bienfaisante de 1a pré-
sence universelle du so1eil invite 1e croyant à une attitude de
louange. Le Cantique des Créatures éclate à chaque page en se
superposant au Cantique des Cantiques. Celui-ci, Incarnation du
Verbe qui est achevé et i1 ne dépend gue de 1'homme de sty asso-
cier et de participer à son harmonie. Celui-1à est encore à venir
et stécrit jour après jour dans lthistoire dtun aoour continué
entre un Dieu amoureux des hommes et sa créature privilégiée.
Philothée est aussi 1a jeune Sulanite qui se laissera brû1er et
transformer par 1e Soleil de 1a divinité, en deviendra vraie et
be1le et atteindra cette union parfaite avec son Dieu qui est 1e
point I
d abouÈissemenE du Traité.
140

rntuit ivement, François de sales fait du feu le symbole


de 1 t a m o u r , rejoignant ainsi 1a syrnbolique que 1a psychanalyse
actuelle a redécouvert quant à 1a représentation fortement sexua-
lisée de cet é1énent (1). Mais sa vision mysrique épure ce que
cet é1ément peut avoir de proprement charnel pour faire du syrnbo-
1e 1e lien mystique qui unit Dieu et 1'homme, lien qui n'a pas
de s'affirner dans 1a représentaË ion t
de 1 amour conjugal
Peur du
Cantique des Cantiques tanÈ il est g1oba1 eÈ incarné et non
comme on 1'a parfois inaginé - purement spirituel.

(1) G. Bachelard. o'p. cit.


I4L

L2 L'EAU

Le Livre des Maccabées (1) nous permettra sans doute d'opérer une
transition entre Les deux premiers é1éments fondamentaux qui ré-
gissent f'univers d'après les philosophes pré-socratiques dans
une tradition également partagée par l-a Bible.
La naturer gu€ je sache, ne convertit jamais 1e feu en
eau, quoy que plusieurs eaux se convertissent en feu(...)
Théotime, parmi les tribulations et regrets d'une vive
repentance, Dieu met bien souvent dans nostre coeur 1e
feu sacré de son amour; puis cet amour se convertit en
eau de plusieurs larmes, lesquelles se convertissent en
un autre plus grand feu d'amour (2).
Ce paragraphe du Traité a pour 1e moins le mérite de nous rappeler
1a hiérarchie des éIéments qu'indique François de Sal-es. Cette
combinaison des puissances témoigne d'une chimie naturelfe et réu-
nit deux é1éments en un mariage que I'aIcooI présentera ultérieu-
rement. Le feu, é1ément premier pour François de Sales, ne saurait
pourtant être assimilé par lreau tandis que 1e contraire est pré-
senté comme possible (3). Mais f'excellence du thème du feu ne
saurait être exclusive et nous aLlons pouvoir observer que 1e thè-
me de lreau est bien loin d'être absent de la symbolique sa1ésien-
ne. Dans un premier temps, nous évoquerons cet é1ément sous tous
les aspects qui nous sont proposés, puis nous ferons un petit dé-
tour par l-a navigation pour terminer avec 1e thème de 1a perle qui
apporte une synthèse intéressante drunion des él-éments dans I'eau.

L2L Pré s entatigl_ag_l_lggg9

L'eau est bien ltun de ces symboles ambivaLents qui pré-

sentent une richesse d'interprétation te1le qu 'il nrest guère de


courant tittéraire, religieux ou d'une manière généra1e artisti-

eue, qui puisse se passer de sa figuration.


L'Ecriture, à cet égard, en fait un "signe" privilégié

en des contrées où son absence chronique Ia fa it plus ardemment

( 1 ) op. cit. Déccwenbedr feu dr terple qr.ri se réanine, 2l4 L,L%2.


( 2 ) Oe.rvres IV l-53
( 3 ) Bæhelard Gastcn, L'ea.r et les r€ves Paris, Corti, 1942, cf. rrcte (1)
L42

désirer. Source et puissance de vie, force drensevelissement et


de mort, tour à tour vivifiante et redoutable, toujours purifian-
te, eIle est aussi intimement mê1ée à 1a vie humaine qu'à 1'his-
toire du peuple de I I AlIiance.
Le récit de 1a Création met en scène lrharmonie que le
Créateur introduit dans 1e cosmos, 1'ordre s'opérant par distinc-
tion et séparation, les 'reaux dren bas" et les "eaux dren haut"
étant sagement canalisées par desrrvannes'r dont Dieu seul est 1e
naître. La bénédiction que constitue la pluie pour Ies récoltes
sera dès l-ors, dans I'Ancien_Igglggg1! subordonnée à 1a fidé1ité
du peuple à 1'AIliance tandis que Ie jugement pourra s'effectuer par
le déferfement des eaux terrifiantes lors du Déluge ou de 1'en-
gloutissement des Egyptiens dans 1a Mer Rouger ên opérant un tri
qui permettra d'accéder à une réalité nouvelLe. Ce thème des eaux
en colère rejoint un autre aspect de lreau, celui de la purifica-
tion, rite é1émentaire et symbole de pureté morale. Ces mêmes
eaux purifiantes couleront à flot dans 1es visions prophétiques
eschatologiques (1) pour fa restauration du bonheur paradisiaque.
Dans 1e Nouveau_Testament, 1a symbolique de freau baptismale vien-
dra magnifier ce thème en en faisant le signe indispensable de
f'entrée dans la Vie Nouvelle.
La littérature du XVIème siècle et du début du XVfIème
siècle srest beaucoup attachée à ce thème de I'eau, parce que
d'inspiration très profondément religieuse d'abord ; ensuite par-
ce que I'onde permettait une illustration tout à fait satisfai-
sante du monde en mouvement que présente cette littérature.
Sponde, pâr exemple, poète baroque que François de Sales cite à
trois occasions (2) puisera largement dans cette thématique sans
pourtant en faire 1e sommet de son oeuvre.rrRien de plus embléma-
tique que Ironde de I'admirable "sonnet rapporté" si dense et si
dramatique qui couronne les sonnets de 1a mort" affirme Jean
Rousset dans son étude sur 1e baroque (3). Lreau en mouvement

( 1 ) Ez 47, L-72
( 2 ) Oeurres II 156, )fi l-55 et )0flI 31-7
( 3 ) Cf. Ro.sset Jean, ta littérah-ure de l'âge baoqr:e en France - Ci:rcé et le_pg, Corti, 1954,
p . 150 sq
r43

fascinera de fait toute une génération de poètes, d'écrivains


et drarchitectes, parce qurelle est 1a métamorphose même. La si-
nuosité du cours dreau décrit, en effet, 1a forme de la courbe
et son écoulement permettra toutes les identifications. La façade
renaissance redira cefa, e11e qui apparaît comme son propre re-
flet dans une eau agitée, avec des surfaces gonflées, creusées,
des frontons qui ondulent ou srenroulent, des colonnes qui de-
viennent torses. Dans l'édifice religieux, anges et saints se
mettent à danser et tout Irensemble extérieurement comme inté-
rieurement sembLe onduler au rythme de vagues que 1'eau en mou-
vement anime de ce perpétuel écouLement, signe même de 1a vie de
Ithomme en route vers son Dieu dans un monde inconstant.
Sans doute cette conception esthétique a-t-eIle influ-
encé largement 1e choix des très nombreuses images de I'eau que
développe François de Sales dans les oeuvres que nous étudions.
S'y ajoute encore outre une grande proximité avec la thématique
biblique que nous avons mentionnée,1e fait que 1e cadre de vie
rnêmede I'évêque est environné par I'eau avec 1e lac qui borde
tout re fLanc-Est de cette cité drAnnecy, erre-même silronnée de
canauxr âu milieu d'une région tout entière traversée de torrents
innombrables qui sont autant d'obstacles à 1a sécurité des voya-
geurs de 1'époque.
Nous évoquerons tout d'abord cet éIément, auquel
Bachelard attribue une spécificité féminine sans doute détermi-
nante pour lresthétique de Itauteur (1), par une étude de I'ob-
servation directe qui en est faite pour cet éIément. Ensuite, sui-
vant notre plan habituel, nous montrerons Iteau en contact avec
I'homme, puis cet é1ément dans 1a Bib1e, dans la patristique et
dans lrHagiographie.

l-2L2 L'eau en général


'rL'eau est 1e regard de ra terre, son appareil à regarder le
tempsrr a dit Paul ClaudeI (2)

(1) l€ caracêre féninin de I'ea,r est po-n Gastcn Bactretard narqlé par Irideitificatisr ircsrscien-
'lait
te de l'élânent fiquide atrec Ie rnaternet, prsrièr€ oçénience d'uur bqhq-r positif ssa:a]isé,
par la fqrctiqr ru-uricière de I'eau vis-ilvis de t'éIânent terre, et enfin par le caractène serr
suel. dr bain. Cf Gastcn Bachelarrl, cp. cit., Liear.ret ]es nêves, p. L$l@
(2) Paul Cleu:de1,!'L'oiqq.: rpir dans le so1eil le\ræt,, p. %)
-I44-

Ce thème traditionnel de Ireau qui s'écouIe pour symbo-


liser 1récoulement du temps nrest pas très fréquent dans l-es
oeuvres de François de SaIes. On Ie rencontre à lroccasion d'une
lettre dans Iaquelle i1 confie à Jeanne de Chantal- :
Nous voicy en fin au bout de cett'annee 1606, et je
treuve qutelle srest escoulee comme lreau sur 1a greve,
sans avoir Iaissé en mon ame aucuntautre chose que de
1'ordure et quelques petites coquilles vuides, de cer-
taines vaines apparences d'avancement et de certains
desirs sans effect (1).
Le propos assez pessimiste quoique tempéré par 1a mention : "je
ne pers point couragerrqui lui succède, peut nous amener assez
facilement à 1a présentation d'une autre réal-ité de lreau : celLe
drêtre I'é1ément de Ia larme :
Hier apres avoir Ieu vostre lettre, je me promenay deux
jours avec les yeux pleins d'eau, de voir ce que je
suis et ce qu'on mrestime (2)
En drautres circonstances, et tout particulièrement lors du décès
d'êtres aimés, François de Sa1es, dans sa correspondance n'hésite-
ra pas à communiquer une sensibilité que sa dignité épiscopale ne
voul-ut j amais couvrir d'une froideur solennelLe (3)
Par aiIleurs, le thème de I'eau agitée par 1e vent ren-
voyant Ie reflet de I'homme apparaît dans une oraison :
Crest comme une eau qui est tant agitee de vents qu'elle
ne représente pas f image de I'homme, drautant qurelle
est troublee ; et bien qurelle soit claire, Ies parties
du cors y paroissent comme desunies les unes des autres.
Tout de mesme I'eau qui est agitee des vens contraires
des passions nrest pas propre pour recevoir en soy I'i-
mage de son Dieu (4).
Nous noterons pourtant que rreau agitée fait état ici d'une dis-
harmonie qui ne reprend pas exactement 1a signification de 1a sym-
bolique baroque même si eIIe lui en emprunte 1e terme. Le reflet
déformé ne saurait y être érigé en parangon mais bien au contrai-
re inviter à retrouver re repos pour que I'image de lrhomme redé-

(1) Oeuw.'es)Ofi 83
(2) id. )f,r/ 81
(S) h:ançois è Sales n'ryrécie guère, pqrtant, certains rfoarctrorerts de Ia selsibilité fânini-
ne cqlnle il le csrfie das ulre letbe : rtftaches qtre j'ry r-rrefille laqr:eIle mrescrit... qr.resi
elle re tenoit ses yeLD(ilz verserqrent aLrbrt de larnBs qr:e Ie ciel jette de gcuttes drea.r po.r.
pra.ren rur dqart, et senblables berles paroles".oeurrrr=s xv-rrr 1g7
( ) Oeuvres )OfiII 3]-7
- r45

couvre sa dimension totale d'image de Dieu (1). Le propos nrest


pas narcissique mais théologi9u€, I'image du miroir n'étant ici
que servante d'une conception théologique traditionnelle.
Toujours en évoquant cet é1ément familier, François de Sales nous
décrit également une observation intéressante du phénomène physi-
que qui se produit lorsqurun objet est jeté dans 1'eau. Dans une
Iettre adressée à Jeanne de Chantal, son propos est d'analyser
avec une grande finesse psychologique le mécanisme complexe de 1a
culpabilité dont iI se promet de libérer sa correspondante.
et semble tout cela aux cercles qui se font en I'eau
quand on y a jetté une pierre, car iI se fait un cercle
petit, et cestuy 1a en fait un plus grand, et cet autre
un autre (2).
Mais plutôt que de glaner çà et 1à des citations relatives à
I'eau dont 1'ordonnance ne saurait manquer d'apparaître comme dé-
cousue, nous proposons, avec Itauteur, dteffectuer 1e voyage ini-
tiatique d'une simple goutte dreau depuis la source où ell-e prend
naissance sur la terre jusqu'à sa fusion avec I'immensité de 1'é-
Iément liquide que constitue I'océan ou 1a mer.

I2L3 Lg_ggy.age_r nl! :-a r:Sgg_99 le_egg!!e_d'esg


François de Sales nous montre effectivement cette gout-
te d'eau dans son Traité de lramour de Dieu.
Car dites-moy, je vous prie, Theotime, si une goutte
d'eau elementaire jettee dans un ocean dreau naphe, es-
toit vivante et qurelle peust parler, et dire I'estat
auquel e11e seroit, ne crieroit e11e pas de grande
joie : O mortelz, je vis voirement mais je ne vis pas
moy-mesme, ains cet ocean vit en moy et ma vie est ca-
chee dans cet abisme (3).
La personnification initiale de 1a goutte dreau permet une allé-
gorie qui trouve sa cohérence dans la paraphrase de Ia parole de
Saint Paul (4). EIle est la figure du croyant appelé à fondre sa
volonté et son être-même dans celui de son Dieu, comme 1a'rgoutte

(1) GîL
( 2 ) Oruvres )GII s75
( 3 ) id. IV 346
(4) @ , 2 , æ r E t si je rris, ce n'est p},rs noi qui vis, rais Ie Ctrrist qui vit en rci'l
146

dresprit que vous mtavez donné... dedans fa mer de vostre bon_


té" (1).
Mais i1 est bien long 1e chemin qui conduira la goutte d'eau à
la mer. François de Sales nous permet d'en détailler L'itinérai-
re sinueux et riche en puissance drévocation.
I1 débutera par 1a source ou 1a fontaine.

1?191-!g-fgnrgflg est souvent assimilée sous 1a plume satésienne


au thème de 1a source. En une image très thomiste, elle peut dé_
finir la grâce.
Dieu fait sourdre sur 1a cine de 1a partie superieure
de leur esprit une fontaine surnaturelle que nous appe-
lons grac e ( 2) .
La fontaine va égaLement représenter I'Evangire (3), dont François
de Sales accuse l-es protestants de corrompre L'intégrité en lrem-
poisonnant de leurs interprétations erronées pour rgaster toute
Ia troupe aegalement" (4 ) .
Ou encore Dieu même :
rrcest infailribilité...
ne peut avoir sa source que de
Dieu mesme, vive et premiere fontaine de toute véri-
té" (5).
Plus tard, Ia fontaine représentera 1a fondation de l-a Visitation
"vostre petite congregation est comme une fontaine sacree en Ia-
quelre prusieurs ames puiseront res eaux de leur salut" (6)
Ces différents emplois sont cohérents entre eux et sous-entendent
un signifié très présent dans 1a réalité de la vie quotidienne
comme en témoigne l-e très prosaîque souci de l'évêque que fes
clarisses drEvian puissent s'instarler en un lieu où ,,iL y a de
lreau,' (7).

(1) Oeuwes V 19
(2) ibid. v 262
(3) id. r 240
(4) ibid. r l_æ
G' Bactrelard (cp. cit. ) nu:s r4pe11e à ce prçæ ra gra\rité des sanctims qui
touch€nt dans Ia
nytlolqgie et les regodes pcprnaires ce-u<qri cnt pollué les scr-rces
et les fo,rtairres. Dans I'irF
cstscient collectif la fcntaine est de I'orùe ôr religietx et sry attaqr.rer
est un sacrir@e.
(5) Oeurres I l-45
(6) id. )urr 1l_4
(7) ibid. )Mrr 338
I47

La fontaine est une source canalisée, domestiquée et utiIe. Mais


iI est des sources parfaitement sauvages et souvent ignorées dont
François de Safes voudrait également nous entretenir.

t_?!9?_LZ_soulc e
De fait, Ie thème de Ia source est plus fréquent que
celui de 1a fontaine mais iI renvoie à 1a même symbolique.
Dans une logique tout à fait biblique, exprimée par exemple dans
f'épisode de 1a rencontre de Jésus avec 1a Samaritaine (1), La
source d'eau vive indique en une comparaison simple les trois ver-
tus théologaIes:
Comme une heureuse source dreau vive, e11es stespan-
chent par divers surgeons ruysseaux sur 1es parties
et facultés inférieures (2 it
La première fonction de 1a source est bien de proposer
son eau vivifiante. Lrinitiative est laissée au croyant de venir
s'y abreuver et désaltérer pour une transformation radicale de
son être en se laissant séduire par 1a force printanière de sa
fraîcheur oui éveilLe.
Reprenant I'image thomiste, François de Sales rappelle que Ia
grâce se répand par diverses sources qui sont les sacrements de
I'EgIise. I1 présente de manière privilégiée celui qur il avait
déj à nommé Ie "soIeiI des exercices spirituels", c'est-à-dire
1'Eucharistie, dans un passage qui se montrera à Iropposé des fu-
tures conceptions jansénistes.
Dites leur que deux sortes de gens doivent souvent com-
munier les parfaitz parce qu'estans bien disposés ilz
auroyent grand tort de ne point s'approcher de la sour-
ce et fontaine de perfection et Les imparfaitz affin de
pouvoir justement prétendre a 1a perfection (3).

Cette fréquentation de l-a source du sacrement ne sera pas sans


effet d'après I'évêque. E11e produira cette rtconsolation" qu'i1
faut davantage entendre au sens d'encouragement fondamental :
quoy que 1a plus solide, la veritable et la plus chres-
tienne consolation est celle que vous avez puisee dans

(1) Jn4
Q ) Oeurres fV 69
( 3 ) id. IrI 1n
148

1a source, qui est 1a volonté de Dieu (1)'

Dans un autre passage, Ce terme de Source Sera enployé avec un

sens différent, celui simplement d'origine pour qualifier I'in-

tuition spirituelle de départ qui a motivé 1a fondation du monas-

tère auquef i1 s'adresse :


Mes soeurs, i1 faut remonter jusqu'a 1a source de vos-
tre Religion et boire e n i c e l l e l r e a u de votre reforma-
tion (2) .

Ce SenS de SOurce, comme origine de quelque chose, revient Sou-

vent sous Ia plume de François de SaIes, que cette image soit dé-

veloppée, ou bien qu'e1Ie soit tout simplement mentionnée en une

catachrèse.
Dans sa correspondance, avec un tour quelque peu mon-

dain, l'évêque développe ce thème pour manifester à son Duc tout

son contentenent de voir Antoine Favre ' son grand ami, promu dans

Ia magistrature de Savoie.
certes, Monseigneur, rien ne donne tant de douceur a
La vie humaine que 1a droitte administration de 1a ius-
tice, et 1a justice, quoy que tous-jours une en e11e
mesme, ayant sa source, commtune belle eaur €D 1a poi-
trine des Princes souverains en terre, coulant par les
espritz des magistratz rudes, malpolis et raboteux,
eIle se rend autant nuysible qu'eI1e devoit estre uti-
Ie (...) Mais passant entre les peuples par les mains
des gens doctes, bien affectionnés et equitables, elle
remplit les provinces de bonheur et de suavité (. " )
commrune douce riviere qui rend amenes Ies rivages
qutelle detrempe (3).

Les métaphores filées en grappe expriment Ies diverses

manières drexercer une justice drorigine princière alternative-


ment sous une forme de torrent tumultueux et de rivière paisible.

L'image première présente une source qui trouve son point de dé-

part dans 1a poitrine du Prince, souverain en 1a terre. Cette

mention de 1a terre permet peut-être d'imaginer que le prince

soit ici identifié à Ia terre, origine de 1a source. Sans doute

faut-il y voir davantage un rapprochement d'images d'origine plus

( 1 ) Oeures )gI l-12


(2) id. )0G 7r
( 3 ) id. )crv 3l-7
-L49-

religieuse avec la source dreau qui coule du côté ouvert du

Christ lors de Ia crucifixion, source que Ies prédicateurs baro-

ques se plaisaient à évoquer et que nous trouvons dans certains

Sermons salésiens.
Les autres al_l_usions à 1a source comme origine d'un

point positif ou négatif sont moins développées :


Positivement, la source représentera des notions aussi

différentes que ltEsprit Saint qui inspire les 9gp!:!gg:g5 de

1a Visitation (1), la vertu en généra1 (2),1a croix du Christ(3)'

lramoureuse bienveillance (4) , 1a mission des évêques ( 5) , 1e

bonheur (6), 1a première Visitation d'Annecy (7), Ie mariage (8) '

Iressence divine ( 9 ) ou simplement lrorigine d'un évènemenl ( f - 0) .

Négativement, 1a source peut représenter : les raisons

de violer les règIes théologiques catholiques pour les Protes-

tants (11) ou encore Ia vol_onté en tant que cause des vices et

des péchés ( rz ) .
Suivant 1a valeur de son signifié' la source pourra

parfois être présentée comme féconde:


Dieu, comme une celeste source vive, respand de toutes
partz ses eaux qui arrousent ces glorieuses ames et
les font fleurir, chacune selon ses conditions, d'une
beauté incompréhensible (f-3 )

(1) )ç(V23
Oer.rwes
(2) id. rr 3s
(3) ibid. rr ljri
(4) id. r/ 2s
(s) id. nr æt-
(6) ibid. )trr 2oe
(7) Entretiers 1340
(8) Oetrrn:es
III 263
(e) id. rv æ6
(10) id. )ff 32s
(11) id. r 176
(n) ibid. r 11
(13) id. )o( 362
- 150

ou encore en parlant du mariage :


et qu'i1 soit comme une source féconde qui vous produi-
se plusieurs coeurs qui soyent de vostre famil-le et ge-
neration sacree (1).
En ce cas, I'insistance pourra également porter sur 1e fait
qu'elle ne saurait tarir:
C'est une des qualités que le Ciel fait en nous de ne
perir jamais, non plus que Ia source dont elles sont
issues ne tarit jamais... (2)
Certaines sources suspectes peuvent toutefois produire de bons
effets :
La tristesse en tire beaucoup et n'y a point de prouf-
fit en icelle ; parce que, pour deux bons ruysseaux
qui proviennent de 1a source de tristesse, it y en a
six qui sont bien mauvais ( 3 ) .

Terminons cette évocation de la source par cette belle


citation exprimant Ie désir du croyant:
Hé, quelle union de nostre coeur a Dieu la haut au
Ciel, ou apres ces desirs du vray bien, non jama is as-
souvi en ce monde, nous en treuverons 1a vivante et
puissante source (a).

L21,33 Le torrent

Continuons 1e voyage initiatique de notre goutte d'eau

eui, après la source, va se voir entraînée par le torrent monta-


gnard. Son aspect capricieux, fougueux et indomptable fascine le
poète. Mais avant tout, bien concrètement, 1e torrent présente
aux yeux des contemporains de François de Sales un obstacle par-
fois bien embarrassant, comme le confie f'auteur à son ami Antoine
Favre:
'rAt vero nudiustertius, cum venirem huc uti sequenti
die cum D. Copperio ad vos pergerem, cum ad tria circi-
ter milliaria inter medios ac densissimos imbres pro-
cessissem, sese mihi de quo nihil cogitaveram, ita se
sane res habet, rapidissimus quidam torrens sese obji-

(1) Oeuw=sXV-læ4
(2) id. ffi. u2
(3) id. rrr 314
(4) id. rv 199
Cette scr-rcepe:t cepernat avoir r.urcaractère bisr rpdeste. Si rnrs arrisrs r.n seul filet d'af-
fectian en rmte coer.r (... ) Oeuvres)flII 2æ
- I51 -

cit qui nullo loco tum vado transiri Poterat, sicque


cogor retrocedere" (1).

Le torrent sera souvent utilisé pour montrer 1e débor-

dement de quelque passion ou défaut à amender :


Soyes donq tous-jours a Dieu' sans laisser emporter
vostre cher coeur a u t o r r e n t d e s d i s t r a c t i o n s que 1es
affaires, et surtout 1 e s p r o c e s p r o d u i s e n t ( 2 )

comme en témoigne ce passage d'une lettre à madame de Maillard


qui se complaisait tout particulièrement dans 1a chicane. Plus

largement, c'est toute cette propension de I'homme à se complai-


re dans 1e mal, ce "péché originel" qui pourra être évoqué par
f image du torrent, attirance dont seule fut exempte la Vierge

Marie :
qu'encor que par apres 1e torrent de I'iniquité ori-
ginelle vinst roul"er ses ondes infortunees sur 1a con-
ception de cette sacree Dame avec autant d'impetuosité
comme il eust fait aux autres filles d'Adam, si est-
ce qu'etant arrivé la, il ne passa point outre, ains
srarresta court, comme fit anciennement le Jourdain au
temps de Josué (3).
La conséquence de ce péché originel, crest-à-dire de cette fas-
cination pour 1e mal qui habite le coeur de L'homme sera les
épreuves qui déferlent comme une eau tumultueuse sur la vie du
croyant:
ne vous Iaisses pas emporter au torrent des adversi-
tés (4).
Epreuves d'origine spirituelle et intérieure ou encore d'origine
purement pratique comme les soucis et tracas d'une administration
diocésaine qui était loin d'être une sinécure ; cette expression
amère que François de Sales laisse échapper dans une de ses let-
tres nous I'indique clairement :

(1) Oernres )il 63. Tbad.rit ainsi : "Avant hien, re rsrdært ici dans I'intenticn d'aller à tnrs
te tsrOgrain (... ) ernrircn bois milles de nerctre sous ure pluie torentielle, je fr:s arrêté par
r.rr obstacle qr:e je nranrais pæ pnérru, je vo.rs assure : Ie tment était si erflé qu'il re gê
sentait arnrr enùoit guéable, et je fr.rs fæcé de r€bnqsser chgnjn".
(2) Oeuvres )0(I LO4
(3) id. rv 1æ
(4) id. )il-rIl æ]-
r52

Ce ne sont pas des eaux, c€ sont des torrents que les


affaires de ce diocèse (1)
Oui, 1e torrent est bien cette force impétueuse contre laquelLe
il est impossible de se prémunir, aussi forte que lramour qui dé-
ferl-e brusquement dans Ie coeur de celui qui en est saisi:
et comme i1 est impossible d'empescher un torrent qui
a pris sa descente par Ie pendant drune montaigne aus-
si est-i1 difficile d'empescher que I'amour qui est
tombé en I'oreilLe ne face soudain sa cheute dans Ie
coeur (2) .
Et cette force désordonnée pourra être opposée à I'util-e séréni-
té des grands fleuves
"portant les grans bateaux et riches mar-
chandises" au même titre que les "pluyes vehementes et tempestu-
euses" seront opposées à celles quitrtombent doucement en 1a cam-
pagne et 1a fecondent d'herbe et de graines". Le chiasme débou-
chera sur une morale que ne réprouverait pas La Fontaine :
'tJamais besoigne faite avec impetuosité et empressement
ne fut bien faitte: i1 faut depescher tout bellement
comme dit 1'ancien proverbe" (3) .
ceci étant, le torrent ne présente pas toujours que des inconvé-
nients. Ses eaux déferlantes peuvent être bénéfiques Iorsqu'elles
figurent ce fougueux écoulement de 1a miséricorde divine à l'é-
gard du croyant.
O Seigneur, eu€ vous estes bon, puisque au plus fort
de vostre ire, vous pouvez contenir 1e torrent de vos
misericordes qurelles ntescoulent leurs eaux dans Ies
impiteuses flammes de I'enfer (4).
Crest sur cette vision optimiste que nous abandonnerons Ie torrent
fougueux pour 1e paisibLe ruisseau qui offre, en plaine, un écou-
lement moins problématique.

LZL34 Le ruisseau

I1 est vrai que 1e ruisseau offre Ies avantages du tor-


rent dans le vif écoulement de son eau Iimpide et de son murmure,
mais qu'i1 n' en présente pas Ies inconvénients. II apparaît donc

( 1 ) Oeurres )flII l-39


( 2 ) id. IIT æ9
( 3 ) ibid. IrI Lrc
(4) id. v 1lt
- 153 -

comme une image positive, faite d'enfance et drinnocence. Les


Entretiens nous proposent cette bel1e évocation drun petit ruis-
seau issu de 1a fonte des neiges.
I1 faut que je vous apprenne à parler latin; une su-
surration, en latin, veut dire un gazouillement, un
petit bruit ou murmure que font ces petits ruisseaux
dans lesquels iI y a des pierres qui, faisant flotter
et ondoyer fes eaux, les empêchent de couler sans bruit,
ainsi que font Les grands fLeuves, eui coulent si dou-
cement que I'on ne voit presque pas le mouvement per-
pétue1 de ces eaux. Les personnes du monde font du bruit
non pas comme des petits ruisseaux, ains comme des tor-
rents fort rapides et qui entraînent après eux tout ce
qurils rencontrent (1).
A lrimpétuosité d'une action souvent bruyante et vaine lorsqu'elIe
s'exprime sous son jour re plus mondain, le ruisseau opposera ra
paix de ra contempration, I'attitude de louange émerveillée du
croyant à 1'égard de son Créateur.
Une ame devote regardant un ruysseau, of y voyans le
ciel représenté avec les estoiles en une nuit bien se-
reine : 0 mon Dieu, dit-e11e, ces mesmes estoiles seront
dessous mes pieds quand vous mraures logee dans vos
saintz tabernacles; et comme les estoiles du ciel sont
representees sur La terre, ainsy les hommes de la terre
sont representes au ciel en 1a vive fontaine de 1a cha-
rité divine (2).

La figure de réversion illustre ici, dans I rimage posi-


tive du ruisseau, combien 1a nature est Ie reftet de ce qurest Ie
Ciel, c'€st-à-dire 1e séjour à venir du croyant avec son Dieu.
Lrimage comporte ici une dimension cosmique. Le monde entier veut
se voir dans re refret limpide du ruisseau et ce faisant , iI invi-
te à une contemplation qui est prémice d'éternité. Mai s en plus
de son murmure et de sa cal_me limpidité qui permet le reflet fi-
dèle, 1e ruisseau va encore nous être décrit pour ra dynamique
m ê me de son cours. srunissant à d'autres, ir pourra en effet par-
Ier de progression et drunion.
comme plusieurs ruysseaux eui, srunissans, font une
riviere ' qui porte res plus grandes charges que fa mê-
me multitude des mesmes ruysseaux separés nreust sceu
faire (3).

( 1 ) Enbetiens 1075
( 2 ) Oeuvres III S
(3) id. v 3zr
- L54

Cependant, curieusement, 1e ruisseau peut également révé1er une


dynamique inverse et manifester 1a dissipation de lreau qu'il
devrait conduire.
Certes, a mesure que I'eau s'esloigne de son origine
eIle se divise et dissipe ses sillons, si avec un grand
soin on ne 1a contient ensemble: et l_es perfections
se separent et partagent a mesure qu'elIes sont esloi-
gnees de Dieu qui est leur source... (1)
Dans certaines occasions, par ailleurs, Ie génitif explicatif
viendra renforcer lrimage positive du ruisseau :
(...) me voyant tous les jours arriver de nouveaux
ruysseaux de faveur qui descoulent de cette vive fon-
taine (Z) .
Enfin, le ruisseau évoque déjà 1e terme de la course, cette fu-
sion qu'iL connaîtra avec I'immensité, avec I'océan dans requel
tôt ou tard i1 est appelé à se perdre tout entier.
Le supérieur ne devroit jamais negliger le moindre exem-
pIe pour edifier 1e prochain, parce que tout ainsy
qu'il n'y a si petit ruysseau qui ne meine a Ia mer, iI
n'y a trait qui ne conduise en ce grand Ocean des mer-
veilles de Ia bonté de Dieu (3).
Mais avant cela, 1e ruisseau deviendra fleuve ou rivière, permet-
tant à notre goutte d'eau originelle bien d'autres découvertes.

121-35 La rivière, le fleuve

Si la rivière et son débit irrégulier posent parfois


des problèmes dans 1es projets de ilorganisation pratique des
nouveaux bâtiments de 1a première visitation (4), il nren demeure
pas moins qu'elle constitue à lrépoque de François de sares un
lien naturel entre res régions que les routes étaient roin dru-
nir facilement. Nous trouvons cette idée dans certaines expres-
sions témoignant familièrement du mode de vie de l'époque.
Car ce ntest pas sortir de Savoye d'aILer a Marseille,
pourveu que ce soit sur 1e Rosne, auquel nous contri-
buons tant d'eau et tant de sabl_e ( 5 ) .

( 1 ) Oeumes V 3â
( 2 ) id. )ff 181
( 3 ) id. )oflÆ 96
(4) id. )ff-r 172
( 5 ) id. )gv 185
- 155 -

Cette réalité nous vaut quelques belles descriptions directement


observées par 1'évêque qui ne dédaignait pas à Lroccasion de
prendre 1'aviron lors de ces longs périples fluviaux.
Comme iI arrive en certains fleuves, qui coulent si
doucement et egalement, quril semble a ceux q u i f e s
regardent et naviguent sur iceux de ne v o i r n i s e n tir
aucun mouvement, parce q u t o n ne les voit n u l l e m e n t on-
doyer ou flotter ( 1 ) .

La dimension même du ffeuve est toujours, à I'échel-1e savoyarde,


un éLément remarquable :
Que si nous ne repoussons point la grace du Saint Amour,
efle va se dilatant par de continuelz accroissemens de-
dans nos ames jusques a ce qu'e11es soient entierement
converties comme les grans fleuves, qui treuvans Ies
plaines ouvertes se respandent et prennent tousjours
plus de place (2).
Cette évocation du cours des grands fleuves va permettre d'i11us-
trer diverses idées comme Iramour paternel (3) ' 1es gouttes du
sang du Sauveur qui se transforment en fleuve de sainteté et
rendent fertiles les coeurs ( ).
De fait, une fois leur cours assuré, rien ne saurait arrêter l'é-
lan des fleuves à l-a différence des ruisseaux dont 1e débit est
encore faible.
Il est aysé de destourner Les fleuves en leur origine,
ou iLz sont encore foibles ; n a i s p l u s avant iIz se
rendent indomptabl-es (5).
Le fleuve représente ici les mauvaises habitudes dont il convient
de se départir rapidement sous peine de voir enfler feurs cours.
Une dernière évocation directement observée nous montre les
grands fleuves passer difficilement en certaines régions encais-
sées et changer alors radicalement Ieur aspect.
Car, comme I'on void les grans fleuves faire des bouil-
lons et rejallissements avec grand bruit es endroits
raboteux esquels les rochers font des bancs et escueilz

(r) OetrwesfV 320


(2) ibid. rv r.61
(3) id. xrr ^2
(4) id. )il-rr L28
(5) id. )CII 140 (mâneùlege et rnâneidée en )W. 72 )
156

qui s'opposent et empeschent lrescoulement des eaux,


ou au contraire, se treuvans en 1a plaine il-z coulent
et flottent doucement, sans effort (1)
La comparaison illustre ici I'effet du divin amour se répandant
avec plus ou moins de peine dans 1'être même du croyant.
Le fleuve peut encore être en crue mais ici, cette image que 1'on
attendrait négativement connotée -comme cerre du torrent par e-
xemple, - illustre au contraire une réa1ité positive de 1'action
de Dieu.
II arrive quelquefois, que cette Bonté Souveraine sur-
passant ses rivages ordinaires, comme un fleuve enflé
et pressé de I'affluence de ses eaux qui se desborde
emmi 1a plaine, i1 fait une effusion de ses graces si
impetueuse, quoy qu'amoureuse quten un moment elle dé-
trempe et couvre toute une ame de benediction (Z).
La nature est encore ici, même sous sa forme ra plus redoutable,
à f image drune théologie optimiste qui parle d'un Dieu débordant
dr amour.
Pour finir, tout comme 1e ruisseau et avec, sans doute, davantage
de raisons, le freuve désigne aussi re terme en lequer il est
appelé à se fondre.
Lrautre voyant un fleuve flotter srescrioit ainsy:
t'Mon ame n'aura j amais repos qu'eIIe ne soit abismee
dedans Ia mer de fa Divinité qui est son origine" (3).
Le terme du voyage de notre goutte d'eau sera donc 1a mer que
nous décrirons immense et mystérieuse (4) plus largement à Iroc-
casion de notre étude sur 1a navigation.

1?!1_!19 ag_semm
s_d"rge._S!_g!e!eg]e
L'évocation des torrents et des fleuves nous avait pré-
parés à voir dans rreau un é1ément dangereux que l'évêque de
Genève, en bon terrien, regarde toujours avec une certaine méfian-
ce. Même 1e 1ac, si famirier, eui borde tout un côté de sa viLle
n'est pas sans danger, comme i1 le confie avec préoccupation à
Monsieur Des Hayes qui 1'avait chargé de veilrer sur son jeune

( 1 ) Oeurres V 5a
( 2 ) id. rv l_25
( 3 ) id. III 99
(4) id. )firr 350 ; 1 1 6 3
L57

fils interne au co11ège Chappuysien:


La grande peyne que j 'avois de 1uy, crest a cause de
Ireau sur 1aquelle il se plaist extremement ; et je
craignois qu'i1 ne se pleust encor de se mettre dedans
pour se baigner en quelque endroit dangereux, parce que
toutes les années iI s'y perd quelqu'un. Mais i1 m'o-
btige infiniment en cela, car il ne s'y met point (1).
Les dangers des eaux, François de Sales ne manque pas de les si-
gnaler également à un certain capitaine espagnol dont il désire-
rait ardemment voir les troupes passer très au large de son dio-
cèse.
rrDiremo bene ancora che non sappiamo chi I'habbia avvi-
sata di questa strada, fiâ che vfè un passo appresso il
lagho, fra Evian e San Mauritio, iI più horribile et
pericoloso, in questo tempo neI quale fe acque di detto
lagho crescono, che si possa irnaginare" (2) .
Et François de Sales de s'empresser d'indiquer à cet officier un
tout autre passage présentant officielLement toutes Les garanties
et surtout ayant lrimmense avantage de détourner I'armée de sa
région.
Plusieurs fois, 1a correspondance mentionne des voyages
reportés à cause de crues ou de pluies torrentielles (3) : à moins
que ce soit Ia fonte des neiges qui produise les mêmes effets( ).
La fureur des éléments peut pourtant se montrer un thè-
me évocateur dynamique pour illustrer certains propos.
Si euê, comme nous voyons entre les effortz des vents
les ondes stentrepresser et sreslever plus haut, comme
a I'envi, par 1a rencontre qu'eIles font I'une de I'au-
tre, ainsy le goust du bien en rehausse 1'amour et I'a-
mour en rehausse fe goust (5).

La figure de réversion est sous-tendue par La dynamique


des creux et des vagues agitées par les vents. Les coups de vents

(1) Oetnres )MII æ


(2) id. xr 349
b:adlit ainsi : rî'lcu.sdirqs de plus que no.s rE savcns qr.ri a pu lui irdiquen cette ro.rte ; car
il y a pres dl lac, enbe Errian et Saint {th-rice, Lul passage Ie p}:s trorrible et le p}.rs dægÈ
reuocq:'cn puisse fuqgiJær, en cette saissr de Ia cnre des ear{rr.
(3) Oeurrres)Ofl 39 ; )ff-II l-33
(4) id. )o( 3es
(s) id. rv 317
158

sur les Iacs alPins nront rien à envier aux fureurs océanes et

particulièrement redoutables en certaines saisons (1).


sont

1319-!-espes!-!elÉ rrggs-9e-f -eeg


symbole ambivalent, lreau ne présente pas seulement

cette force de mort tout juste domptée par L'homme pour en faire

une voie de communication. E11e sait se faire aussi bienfaisante

et est alors désirée :


Inde etiam i11i animum addidi ut te expectaret sicut
pluviam, et ad te aperiret oS suum q u a s i a d i m b r em
serotinum (2) .

indique François de Sales à un correspondant (3). L'eau du ciel

peut être source de bienfaits et rappeler une toute autre eau du

CieI :
resouvenes vous que les graces et biens de lrorayson
ne sont pas les eaux de la terre, mais du Ciel...
I1 faut tenir le coeur ouvert au ciel et attendre 1a
sainte rosee ( ).
Nous reviendrons sur cette attente avec 1e symbole de Ia perle
qui offre une image importante de cette synthèse des é1éments. II

arrive pourtant qutau plus sec de 1'été une pluie torrentielle ne

vienne pas amener d'effet bénéfique à 1a création comme Ie préci-

se ce passase de l-Ll!fe9g9!19n-è-le-y!e-9Éye!e :
oïi,"::Ï;"i:".o"';l:: -
ià'oï1"':;:::, ;:i:i:: :;:",:"
terre ne la penetrent point e t n e ":3"
servent qu'a l-a pro-
duction de champignons, ainsy ces larmes et tendretés
tombans sur un coeur vicieux et ne 1e penetrans pointt
luy sont tout a fait inutiles ( 5 ) .

est ercore irdiqlrée de rtrd&e objective dans r-n rææb cancrriqre à


(1) I^a violerce des ear-o<
lroccasicm de Ia visite de I'abbrye de Sixt dans leqr.rel I'âËqtre nrerrticrrre : "les bénéfices ri
taient dimirués (... ) pæ Ia violence des eau< qri cnt déhrit des rÉtaienies et villages ar
tie!:s". Oetnrres)OCV445
(2) Oeuvres )0( 5
ta6"it air:si : "je I'ai rÊne spct-Eîagéà vcnrs attenù"e ccrnnela pluie et à currir la bcuche
crnrrp verË la rosée ùr soirt'.
(3) Cette imge pert mêmeparfois pnenùe r.rr tcr.n polanique en cçpæant Ia do.pq.r de la pluie de
Ia docbine catholiq:e qui fait genrcr la terre irrffr-rcù:er.rseet la gr€Ie protestæte qui terras-
se les nrcisscrr.set met en fbiclre les phrs ffr.rctr.s-ees canpagnes. Cf Oeuvres I 139 ; o: urre si-
gnificaticn nnale en çpæant la gr€fe de la na.nraise tristesse à la pluie do:ce de la bffite
bistsse. Cf )OMI 228
(a) Oewres nII ffi
(5) id. rrr 3l-9
- 159 -

La comparaison est exprimée de manière tout à fait équiLibrée


dans 1e rythme de 1a phrase, I'inutitité des larmes évoquées ren-
voyant à I'inutilité observée d'un ruissellement qui ne féconde
pas la terre et surtout à 1a production de champignons eui, pour
François de Sales, sont parfaitement inutiles, comme nous l-e ver-
rons à propos de 1a flore.
Pour ajouter encore à ce que 1a pluie peut comporter de négatif,
nous pouvons noter que celle-ci, dans 1a vie courante de 1'époque,
apportait des désagréments dont nous nravons plus idée. En témoi-
gne 1e !!rectoire de 1a soeur tourière qui prévoit de fournir

"quelque chose pour torcher les souliers des prestres


qui viendront cé1ébrer 1 a sainte M e s s e a u tems des
fanges, affin q u ' i 1 z n e g a s t e n t l e s o r n e m e n s" (1).
ou encore ce trait de l-a vie familière croqué dans les Entretiens:
Vous vous pouves détourner du sentiment de 1a delecta-
tion q u i vous vient en p r e n a n t l e s choses qui vous sont
necessaires ; comme q u i p a s s e r a i t p a r une rue et ren-
contrerait beaucoup de boue, i I n e f e rait rien autre
que de prendre un autre chemin et ainsi devons-nous fai-
r€, sans y penser davantage (2).
0n ne s'étonne guère, dès Iors, de ne pas voir la pluie toujours
désignée positivement.
L'attente de 1a pluie peut parfois prendre un tour dramatique
lorsqu'e1Ie exprime 1'état spirituel que ressent parfois l-e mys-
tique:
HeLas, qurest ce que moy quand je suis a moy mesme ?
non autre chose, Seigneur, sinon une terre seche, 1a-
quelIe crevassee de toutes pars, tesmoigne Ia soif
qu'eIle a de 1a pluye du ciel-, €t ce pendant Ie vent
1a dissipe et reduit en poussiere (3) .
Le choix des éléments évocateurs -la crevasse comme signe drune
attente profonde creusée dans 1'être du croyant, Ie vent qui
poursuit ici f'oeuvre de destruction qui fera de Ia terre une
poussière rappelant la mort-, renforce bien f interrogation ora-

(f ) Oaivres )o0/ 488


(2) Entretiens l-297
(3) OeuvresIIr]
cf. ar'qsi : id. XV-I98
id. )0( 26
id. )oflÆ 241_
Enbetiens 1278
- 160

toire qui introduit cette image. La métaphore est présentée ici


dans un ordre inhabituel, I'idée précédant 1e plus souvent I'ima-
ge dans les écrits salésiens. La pluie, en venant du cieI, est
cette vie qui coule de 1a divinité. Encore faut-i1 que la prante
nrait pas en e11e-même étouffé toute force de vie et que I'homme
nrait pas éteint en 1ui toute dimension spirituelle.
I1 est vray, 1a pluye vivifie les plantes qui ont de
1a verdeur; mais a celles qui ne 1'ont point el_Ie leur
oste encor 1a vie qu'elles nlont point, car el_Ies pou-
rissent tout a fait (1)

Le propos paraît sans doute négatif et peut-être sur-


prenant, car I'auteur nous avait habitués à une spiritualité plus
optimiste relative à 1a nature humaine. La construction syntaxi-
que nous donne pourtant ra c1é de lrinspiration de ce passage qui
n'est autre que la conclusion de ra parabole des tarents : ilmais
à celui qui n'a pâs, on enlèvera même ce qu'iL a, (2).
La neige, enfin, outre I'obstacle qu'e1le peut présen-
ter au même titre que la pluie, est évoquée de manière tout à
fait traditionnelle comme pouvant fondre au soleil.
aussi de telles amitiés ne sont que passageres et fon-
dent comme 1a neige au soleil (3).
La comparaison frise 1e cliché, mais ne cherche pas ici à être
déve loppée.
Retenons, pour en finir avec lreau observée directe-
ment, cette belle expression sans doute empruntée au bon sens po-
pulaire.

Quand nous aurons ouï la parole de Dieu, i1 nous faut


prendre garde de ne pas être comme le panier qu'on ti-
re de lreau (4) .

L2L6 Lreau diversement utilisée

Dans ltutitisation de I'eau que fait 1'homme, r'irriga-


tion offre un certain nombre d'avantages qui ne seront pas sans

(1) Oeurres III T7


(2) Mt Æ, 8
(3) Oeuvres III l-96
(4) Exbetios 1325
- 161

rapport avec 1a vie spirituelle. Lrimage est d'inspiration carmé-


litaine puisque dans les oeuvres de Thérèse d'AviIa (1), nous
trouvons à plusieurs reprises cette idée de 1'âmer appelée à Ia
perfection, comparée à un jardin à irriguer. A son tour, François
de Sal-es écrit:
Ltorayson, crest lreau des benedictions gui, par arrou-
sement, fait reverdir et fl_eurir les plantes de nos
bons desirs, lave nos ames de leurs imperfections et
desaltere nos coeurs de leurs passions (Z).
Le rythme de la phrase est ternaire, 1a première action est en
lien direct avec 1a métaphore, tandis que Ies deux suivantes sont
davantage en rapport avec I'effet que produit lreau sur ra per-
sonne elle-même.
LrEsprit Saint est également désigné comme la fontaine
irriguant 1e jardin :
Pour abondante que soit 1a fontaine, ses eaux nrentre-
ront pas en un jardin selon leur affluence, mais selon
Ia petitesse ou la grandeur du canal par ou elles y
sont conduites (3).
Mais si I'eau est nécessaire à 1a vie des plantes, elle ltest
tout autant à 1a vie de cette autre prante qurest l'être humain.
L'oeuvre salésienne nrignore pas l-a soif 1égitime de cerui qui,
aItéré' aspire au contenu drun contenant qui lui est bien indif-
férent:
Si j e ne veux que I'eau pure, eu€ mrimporte-t-i1 qu'elle
me soit apportee dans un vase dror ou dans un verre,
puisqu'aussi bien ne prendrois-je que Ireau ? Ains je
lraymerois mieux dans Le verre parce qu'il n'y a point
d'autre couleur que cell_e de I'eau mesme, laquelle j 'y
vois aussi beaucoup mieux (4).
Qu'importe en effet que l-a volonté de Dieu soit présentée en la
tribulation ou en 1a consolation, poursuivra 1'évêque.
Cette comparaison semble prendre I'aspect drune courte fable pour
nous introduire dans une réflexion sur'cette soif qui ne peut
estre estanchée par 1es contentemens de ra vie morterre" (5).

( 1 ) Sainte Ïhérèse d'Avila in rrCastel arimanrn", Tbad.P. G.de St Jceph, Faris, Ed. Vie S.,p.113 sq.
( 2 ) Oeurnes III 69
( 3 ) id. IV 1a
(4) id. v l_19
(s)id. rv ls
-162-

Bien qu'intangible, eIIe requiert pourtant Ie discernement car


iI ne convient pas de boire nrimporte quel liquide pour l'étan-
cher.
Mays outre ceIa, je dis qu'iI nrest rien de si sembl-a-
ble que deux gouttes dteau : neammoins, Irune peut es-
tre de roses, et I'autre de ciguë I I'une guérit, et
I'autre tue. I1 y a des permissions qui peuvent estre
aucunement bonnes mays ceIle cy ne I'est pas, car crest
en fin une propriété, guoy que voilee et cachee (1).
Cette réflexion à des religieuses concernant une bonne compréhen-
sion de feur voeu de pauvreté nous fait entrer déjà dans Ia thé-
matique de La médecine qui voit l'é1ément eau utilisé de diver-
ses manières.
I1 pernet de diagnostiquer certaines affections fébri-
les (2).
CeIuy qui desire ardemment, longuement et avec inquie-
tude de boire, quoy qu'il ne veuilLe pas boire que de
I I eau, si tesmoigne-i I d'avoir 1a fievre (3) .
Force est alors au nédecin d'interdire ou tout du moins de dé-
conseiller un recours abusif à 1a boisson:
Comme un peu de freau dans f'ardeur de 1a fievre ; mais
apres, feur faire connoistre que cefa nuit a la san-
té (4).
Drautres eaux permettent heureusement une thérapie, eaux aux noms
aujourd'hui étranges mais qui constituaient alors Lrordinaire de
1a médecine de 1'époque :
ce sont des eaux cordiaLes quron Ieur présente pour les
conforter (5).

Quand un homme est pasmé et qu'iI ne rend plus aucun


tesmoignage de vie, on luy met la main sur Ie coeur, êt
pour peu que lron y sente de mouvemens on juge qu'il

(1) OeuvresÆI L4
(2) I'a' connaissarne rÉdiârale de I'epoqlre dcrrrait me gnandeirporEance à I'ean et à la ctrale-r
po-r le cqps ll-rain. Lessius, rncrt en l-623, affifirx3 : rrces deu< pnircipes de la vie se ccrsLrrpnt
par à peu. A næs.neque diJniJruecet humide radical, la cttala.n dùnirue anssi, et dès qre ltwr
est ccnsuÉ, I'zuùrc sréteint ccrmreune laçptt. Cité par G. Bactelard, rrlrea! et les r€ves, qp.
cit. p. 1-74
(3) OetrvresIII 186
(4) id. )oflIl eB
(5) id. III W. ; égalanent npnticmrée ær Tl L74, paraUofe dl roi et de ssr ço:se .
- 163 -

est en vie et euê, par Ie moyen de quelque eau pretieu-


se et de quelque epitheme on peut Iuy faire reprendre
force et sentiment (1).
L'eau peut encore évoquer dans I'esprit de François de Sales quel-
que parfum employé également à des fins médicales pour faire re-
venir à soi qui avait perdu connaissance. L'expression est alors
intéressante puisqu'el1e suggère bien que 1'âme du croyant est
tout entière appelée à une relation avec Dieu.
et par Ie moyen desquelz, comme par des eaux odo-
rantes et vitales i1 fait revenir f'âme a soy (2).

Changeant totalement de registre, lreau peut encore


servir à combattre les incendies que nous avions vu se développer
fréquemment lorsque nous avions parlé du feu.
...'rnè spruzaranno giamai i calamniatori tante aque de
maledicentie che possano estinguere il- zelo deI quale
arde i1 serenissimo cuore delle loro Altesse'r (3).
La métaphore, rédigée en italien, indique ici sans doute avec une
certaine vraisemblance lreau incapable de maîtriser la violence
drun incendie important décrit ici comme positif, Irimage du
coeur brûlant amenant la cohérence de 1a représentation.
Pour en rester à l-a relation de L'eau et du feu, ob-
servons cette synthèse des deux é1éments eu9, dans le langage
courant, produit la distillation.
Et comme nous voyons que le feu convertit le vin en
une eau que presque par tout on appelle eau de vie,Ia-
quelle conçoit et nourrit si aysement 1e feu que pour
cela on l-a nomme aussi en plusieurs endroitz, ardente,
de mesme la consideration amoureuse (... ) produit I'eau
de la sainte penitence ( ).

(l-) Oeurres III 3æ. Ceci est égalenent rnentiqnré dans Le récit qre fait Fbançois de Sales de
Ia malarrie et de la nprt de sa nÈre : ...rrla fait r"efevenet prun=ner et ryder pan des esserpes,
ea-o<itpériales et aubes ctæes qLl'qr juge pr€pr€s en ces accideræ".
(2) Oetrr.resfV 175
Centairs parfurs pnésentent uurzube inténêt d'il}.rsbaticll cctrrrec€tte rreamde senta-u.'r q'i
rlerfectiane lteau nab-u€lle" in Oer:vres V 263
(3) OetrrnesÆ. M
se tradlit ainsi : ... rrdl r"este les calcrn:riatars re lapensrt janais les ear-u<
de lq.rs débac-
tists avec talt & p:ofr:sicn qr'elles puissent éteirdne Ie zèIe furt brûle les coeur"s de ]e.rs
Altesses'r.
( ) OeurrresfV 154
la cmtradicticn phéncnrénologiquede cette eal de vie qui brûte est I'ccrrn-rriqr de la vie et dr.r
feur'. ELle pnesente rne rynboliqr:e bès ricùre étîiiê par G. Bacherard, cp. cit. p. 195
- 164

La comparaison introduit ici une dialectique qui peut


se mettre en équation de manière dynamique. Lreau sous I'effet
du feu produit Ireau de feu laquelle produit à son tour du feu.
Cette transformation rend moins problématique f idée que La pé-
nitence peut changer toute une vie en s'appuyant ici sur une ex-
périence connue dans 1a moindre ferme savoyarde.
Enfin, 1a cohabitation de I'homme et de 1'él-ément liqui-
de nécessite quelques aménagements dont certains sont mentionnés:
Le pont, pâr exemple, est indispensable à 1a vie drune
cité à cheval sur les deux rives d'un fleuve, mais donne bien
des soucis aux notabfes.
Les villes qui ont des pontz de bois sur les grans
fleuves craignent qu'ilz ne soyent emportés a toutes
sortes de debordemens; mais celles qui les ont de
pierre nren sont en p e y n e q u e p o u r Ies inondations ex-
traordinaires: ainsy ceux qui ont une ame solidement
chrestienne mesprisent ordinairement Ies debordemens
des langues injurieuses; mais ceux qui se sentent
faibles s'inquietent a tout propos (1).
La comparaison montre bien ici cet équilibre de 1a seconde ver-
sion de I'Introduction à 1a vie dévote dans laquelle Irharmonie
de 1a phrase srajuste avec 1a cohérence de f image présentée.
L'inquiétude des débordements oratoires perçus comme signe de
faiblesse indique bien La force de caractère de 1'auteur de ces
lignes en une époque où 1e point drhonneur prend des proportions
tellement exacerbées que 1e duel ou 1e procès devient un f1éau
national.
Enfin, nous est proposée égal-ement Irimage du puits, qui outre
sa valeur évangéIiquer apporte ici un intérêt inattendu :
J ' a y veu estant j eune escholier, qu'en un village pro-
che de Paris dans un certain puits, il y avoit un echo
Iaquelle repetoit l-es paroles que nous prononcions 1a
au pres, plusieurs fois. Que si quelqu'idiot sans ex-
perience eust oui ces repetitions de paroles, i1 eust
creu quril y eust quelqu'homme au fond du puits qui les
eust faites ; mais nous sçavions desja, par 1a philoso-
phie, qu'il n'y avoit personne dans 1e puits qui redist
l-es paroles ains que seulement i1 y avoit quelque con-

(1) Oetrrres IIf l-57. Ar-rùe ca:se de sorci pon les édiles, I'jrcendie de ces fanre-u<pcrts alors
dtargés de ccnnprees et d'habitatius. Fbançois de Sales partage ce so:ci dans rre letbe de
L@1-aùessee à Jearrre de Chantaf 4rès avoir 4pnis l-'ircendie de deLx pcnts parisiens. IL s'err
qriert de ce qu'a pu deverrir urre sfuple comerçarte qu'il curraissait. Oanrres )0( l-81
- 165 -

cavité en I'une desquelfes nos voix estant ramassees et


ne pouvant passer outre, pour ne point perir du tout et
employer les forces qui leur restoyent, elIes produi-
soyent des secondes voixr et ces secondes voixr ramas-
sees dans une autre concavité, en produisoyent des troi-
siemes, de même facon des quatriemes, €t ainsy consecu-
tivement jusqura onze... En somme, ce nrestoyent point
des paroles drun homme vivant, mais par maniere de di-
r€, des paroles d'un rocher creux et vain (1).
Ce passage nous donne un exemple intéressant de lresprit d'obser-
vation et de curiosité intel-lectuelle que François de SaIes a

toujours su cultiver.

L2L7 Le thème de I'eau chez les Humanistes Anciens

Si lron excepte Ie thème de Ia navigation que nous dé-

velopperons dans notre paragraphe sur Iteau en contact avec

Irhomme, nous ne trouvons que très peu d'images de 1'eau qui ti-

rent Ieur origine dans Ies oeuvres des humanistes anciens.


Empruntée à Pline, mentionnons cependant dans 1e Traité
une description très dynamique de la Mer Morte.
Le lac que 1es prophanes appelent communement lac
Asphaltique et Ies autheurs sacrés mer morte, a une
malediction si grande q u e rien ne p e u t v i v r e d e ce
quton I'y met. Quand les p o i s s o n s du fleuve J o u rdain
I'approchent, iJ.z meurent si p r o m p t e m e n t ils n e re-
broussent contremont. Les arbres de son rivage n e pro-
duisent rien de vivant, et bien q u e les fruitz a y e n t
f'apparence et forme exterieure p a r e i l l e s d e s f r u i t z
aux autres contrees, neammoins r quand on Ies veut ar-
racher, on treuve que ce sont des escorces et peleu-
res pleisnes de cendres qui sren vont au vent... (2)

La recherche de tréIément spectaculaire est assez caractéristi-


que de ce type dremprunt que nous verrons se multiplier au fur
et à mesure que notre nature se sera peuplée par les êtres vi-
vants. La divine maIédiction de Sodome et Ghomorre paraît ici
comme attestée par I'autorité de 1'écrivain Iatin qui ne saurait
être remise en doute. Mais 1à n'est pas 1e but du propos. La 1e-

çon est reçue sans contestation possible, les deux sources n'é-
tant pour des raisons différentes aucunement contestables dans

(1) OeuvresN 246


(2) id. v n4
- 166 -

I'esprit de François de SaIes. C'est Il évocation de cette terre

déso1ée qui seufe est recherchée, avec Ies éLéments caractéris-

tiques propres à frapper I'imagination du Iecteur.


Ailleurs, dans I'Introduction à 1a vie dévote, nous trouvons, pour

attester de 1a véracité d'une intuition spirituelle' cet autre

emprunt z
et que vers les isles Chelidoines i1 y a des fon-
taines dreau bien douce au mifieu de 1 a mer... ainsy
peut une ame vigoureuse et constante v i v r e a u m onde
sans recevoir aucune humeur mondaine ( 1) .
L'eau de la mer est ici négativement connotée, ce qui n'est guère

étonnant si Iron considère les très mauvais souvenirs de naviga-


tion marine dont nous fera part François de Sales. Du reste, I'a-
mertume de l-'eau marine permet 1a cohérence drune identification
avec la vie mondaine à laquelle s'opposera la source dreau douce,
encore renforcée par lradverbe "bienil qui en souligne à 1a fois
le mérite et la vigueur.
Lreau douce et fraîche donne êgalement à I'auteur 1'occasion
d'une autre constatation toujours d'origine latine, Qui paraÎt
également quelque peu surprenante :
Lteau mesme, pour fraische qutelle soit dedans un vase t
estans touchee de quelque animal terrestre ne peut
longuement conserver sa fraischeur (2).

François de Sales, dans son recueif de similitudes avait encore


relevé 1a comparaison de celui qui, voulant creuser un puits'
cherche Ies eaux cachées en terre au plus fort de I I été et dé-
couvre le site de la source potentielle à un léger nuage. Faute
de temps sans doute, cette image n'est pas exploitée comme i1
en avait fait 1e projet pour qualifier lramour inné et intime (3).

PLine est encore à lrorigine de ce curieux trait qui décrit 1a


technique des plongeurs de perles.
Les plongeurs, dit Pline, eui pour pescher l-es pierres
pretieuses srenfoncent dans 1a mer' prennent de I'hui-
fe en leur bouche, afin que Ie respendant, i1s ayent
plus de jour pour voir dedans les eaux entre Iesquelz
iIs nagent (4).

( 1 ) Oeurres III 6
( 2 ) ibid. rrr l-82
( 3 ) id. )ovr 161
(4) id. rv 2l_0
- L67 -

l-21-8 L'eau dans la BibIe

Après cette évocation diversifiée de I'eau observée par


François de Sales et Ie recours aux textes anciens, nous allons
repérer, toujours pour cet é1ément, 1es images inspirées de La
Bib1e. L'abondance du corpus étant cette fois considérab1e, nous
présenterons un cfassement reprenant dans leur chronologie Ies
divers livres de I'Ancien puis du Nouveau testament.

I2LA1 La Genèse

La création du monde, au premier chapitre du Livre de

Ia Genèse est exposée de manière optimiste puisqu'eIIe p erme I

tout naturellement de révé1er la bonté infinie de Dieu:

"Al- mare, Signore, metteste termine ; perô a1la vostra


misericordia havete lasciato senza terminer' (1)
affirme Le commentaire du Notre Père.
Cette Iimitation, portée sur 1e compte de I'influence toujours
inquiétante dans Ia Bible des étendues marines, est utilisée
dans un sens plus polémique par 1a Défense :
car I'exercice catholique a tous jours esté maintenu
a 1a barbe de I'heresie, avec un aussi grand miracle
comme est celuy par IequeI Dieu contient Ie vaste et
fluide element de I'eau dedans les bornes et Iimites
qu'iI 1uy a assignees, qui ne se peuvent outrepasser(2)
Retenons de ce passage I'intuition rarement exprimée mais sou-
vent sous-jacente à Ia pensée de François de Sales, que 1a nature
présente devant les yeux du croyant un miracle permanent, signe
de tous Ies autres miracles que Dieu peut ensuite produire à cer-
taines occasions. Cette inspiration nrest pas étrangère à 1a
Bible qui voit Ie Psalmiste stémerveiller dans 1e même texte de
Ia beauté de fa création et des merveilles que Dieu fit pour le
peuple choisi.
C'est encore I'eau qui permettra une évocation de 1a
parcelle de divinité qui est mise en toute créature humaine par
Dieu lui-même et que 1e mariage, en appliquant 1e conseil de Ia

(1) Oeures )0$Il 414. fbaôrit ainsi : "vcus a,res rnis, Seigre-ur, des bornes à la mer rnais rrq.s
'laigsé
svsz sars borræ vobe misénicotrde"
(2) Oer:vresII 27
168

Genèse 'rcroisse z et multipliez vous'r, viendra contribuer à perpé-

tuer (1).
Dieu vous rend les coopérateurs d'une si digne besoi-
gne par 1a production des cors dans lesquelz it res-
pand' comme gouttes celestes, les ames en l e s creant,
conme il les cree en les infusant dedans l e s c o rs (2).

Ici, fa figure de réversion souligne 1a dynamique dtun mystère

peint sous une conception théologique tout à fait traditionnelle.

de saIes, intuitivement, ne sera pas de ceux qui


Mais François
de manière catégorique voire platonicienne l'âme et
dissocient
1e corps : crest I'ensemble qui, en formant un être à lrimage de

Dieu, €st appelé à lire dans 1e livre de Ia nature 1a révéIation

de sa propre identité divine pour trouver avec son créateur cette

toute 1a création aspire jour après jour. Le


fusion à laquelIe
deuxième récit de 1a création est également suggéré avec l-e fleu-

ve qui baignait Ie paradis terrestre.


Un fleuve sortoit du lieu de delices pour arrouser fe
paradisterrestre'etdelaSeseparoitenquatre
chefs. or lthomme est un lieu de delices ou Dieu fait
sourdre Ie fleuve de la rayson e t d e l a l u miere natu-
reIle pour arrouser tout Ie p a r a d i s d e n o s t r e c o e ur;
e! ce fleuve se divise en q u a t r e c h e f s ' c ' e s t a d ire
prend quatre courans, selon I e s q u a t r e r e g i o n s d e lra-
me (3).
poursuivant cette évocation et cette comparaison qu'i1 serait

trop Iong de citer intégralement, lrauteur détaille chacun de

ces quatre fleuves qui arrosent Ie coeur de Irhomme : Ia lumiè-

re naturelle qui répand Ia prudence en agissant sur 1a volonté,

la justice, sur I'appétit de convoitise et qui fait couler 1a

et enfin Ia force sur I'appétit irascible (a).


tempérance
Pour François de Sales, 1e problème de la localisation géographi-

que de I'Eden en fonction du Tigre et de I'Euphrate (5) nra en

effet aucune importance. La liaison est faite directement du

fleuve à Irhomme grâce à Ia conjonction "or", 1e texte biblique

(1) È1I,2
( 2 ) Oeurres III 38
( 3 ) id. v 262
(4) cité égalarrent en )0(rI 44
(s)Qr 2, l-0
169

ne venant ici que pour offrir un dépIoiement en quatre points.


Mais Ia métaphore du fl-euve est cont inuée avec fa cohérence de
f image de I'homme décrit, ainsi que I'Eden, comme un Lieu de
délices; cette image est absolument positive et se justifie par
les quatre bras par lesquels Dieu va irriguer Ie coeur de I'hom-
ffiê, lieu de sa capacité draimer, et en même temps centre de sa
liberté et de son intelligence.
Le Livre de la Genèse nous parle encore de lrarbre de vie planté
dans 1e Paradis terrestre. François de SaIes fait allusion à ce
thème qui sera sous-jacent à bien des évocations de rrarbre que
nous découvrirons dans 1a flore salésienne
I1 faut arrouser souvent 1e coeur de I'eau de 1a sain-
te orayson, iI faut avoir grand soin pour le conserver
dans nostre verger, car crest I'arbre de vie ( 1 ) .
Dans ce cadre de 1a création, vont prendre place divers person-
nages qui auront affaire avec I'eau. Le premier de ceux-là est
Jacob qui selon lroracle qui lui avait été adressé, rencontrera
Rachel près du puits (2).
Vous scavez quels furent les amours de Jacob pour sa
Rachef dès lors qu'i1 I'eust saluée aupré du puitz d,e
1'abbreuvoir (3).
cette image renverra à 1a découverte pour re croyant de fa "fon-
tayne de 1a foy" (4). La descendance elle-même de Jacob sera con-
sidérée comme une source pour 1e peuple d'rsraë1, revenant de ma-
nière inattendue à L'événement fondateur originel.
Ne sçait on pas que Ies douze Patriarches enfans du bon
Jacob furent Ia source d'eau vive de f'église d'IsraëI (5).
Pourtant, r'eau bénéfique de ra rencontre, lreau qui il_lustre la
fécondité matérielIe et surtout spirituelle du peuple drlsraëI
Laissera place au flot destructeur du déluge que François de Sal-es
mentionne de manière tout à fait traditionnell_e :
et ctest Le vice qui attira Ie déluge (6).

( 1 ) ærrlres )CII æ6
( 2 ) Èi 24
( 3 ) Oeurres V l-97
(4) id. rv 137
(s)id. f 46, se réfénant à Gr 49, 1-3
( 6 ) Oeurres )0(\[ æ 6rogtrnt Gl 6,3
- I70

Nous remarquerons cependant que globalement I'eau est très posi-


tivement connotée dans fe premier Livre de 1a Bible. La vision
optimiste de 1a création s'inscrit dès Irorigine du monde pour
désigner Irhomme comme son centre et parler de cette vie spiritu-
elle que I'expression de Ia source dreau vive ou du torrent puis-

sant pourra éloquemment caractériser.


Le livre fondateur de 1a foi d'Israël vient immédiatement ensui-
te, à savoir Ie Livre de I'Exode eui, avec 1a figure de Moise
sauvé des eaux, donnera dans l-rEcriture une place prépondérante
à cet éIément.

L2L82 Le Livre de 1'Exode

Curieusement, nous ne trouvons pas sous 1a plume salé-


sienne et tout du moins dans les oeuvres que nous étudions, d'aI-
lusion à Ia naissance de Moîse pas plus que de Iongs développe-
ments sur 1e passage de l-a Mer Rouge. Un épisode par contre sem-
bIe avoir retenu toute I'attention de lrauteur, celui des eaux
amères de Mara (1). Cet épisode nrest pourtant rapporté que très
brièvement dans I'Ecriture.
Mays comment peut-iI estre qurune ame raysonnable, qui
a une fois savouré une si grande douceur comme est
celle de I'amour divin, puisse oncques volontairement
avaler les eaux ameres de I'offense (2) ?
Seul un éLément du texte biblique est ici utilisé : Iramertume
des eaux. Et i1 n'est pas fait mention du bois que Dieu montra
à Moîse pour rendre cette eau consommable. L'identification des
eaux amères et de I'offense n'est pas particulièrement motivée.
Lremploi dtun adverbe ancien rroncques'r renforce lrimpression de
lourdeur pénible de ces eaux amères.
Le bois qui adoucit les eaux sera utilisé en deux occurrences
dans 1a Correspondance salésienne. Dans une lettre de facture
très classique composée par François de Sales pour son évêque
lors de la mission en ChabIais, tout drabord :
Le pays de Gex (... ) comme entre deux marais pestilen-
tiels s'abreuve à l-eurs eaux empoisonnées. Aussi
semble-t-i1 presque impossible à assainir, si tout

(1) Ex L5, 2-%


(2) Oeurrresw A6
- I7L -

d'abord on ne jette dans les eaux e1les-mêmes fe bois


salutaire de 1a croix (1).
L'évocation de la croix comme bois qui sauve est tout à fait tra-
ditionnelle dans la liturgie et prend place ici dans une oeuvre
polémique qui n'a pas encore affiné une symbolique originale. Le
ton devient en revanche plus personnel dans cette lettre à 1'évê-
que de Do1.
nostre bon maistre m'a bien assisté de ses saintes
consolations, gui m'ont fortifié en sorte que je puis
dire dtavoir nagé parmi Ies eaux dranertume sans en
avoir avalé une seule goutte. Que Dieu est bon! Il con-
noist bien mon infirmité et ma délicatesse ; crest
pourquoy iI ne me permet point de seulement gouster fes
eaux de Mara que premierement i1 ne Ies ayt adoucies
par 1e bois sacré de son assistence et consolation (2).

Le passage interprète ici librement 1a situation biblique origi-


naIe. L'image esquissée est celle du nageur, tout entier plongé
dans les eaux d'amertume des difficultés de 1a charge épiscopale.
L'exclamation donne au tour un aspect très personnel et fe thème
du bois, qualifié de sacré, prend une autre signification que
précédemment. If s'agit de présenter davantage de cohérence avec
f image et drinsister sur le fait d'adoucir une eau amère.
En poursuivant notre lecture du Livre_9S_l_Elg!S nous
trouvons plus avant 1a mention de 1a traversée du Jourdain par 1e
peuple de Moise. Cette traversée dans 1a première tradition chré-
tienne a souvent été mise en parallè1e avec Iatrtraverséerrde la
mort.
Voyla donq, fiâ chere Fille, comme rang a rang nous pas-
sons I e fleuve Jourdain p o u r entrer en fa terre de pro-
mission ou Dieu appelle tes uns apres les autres (3).
L'évocation porte en elle-même 1a c1é de sa signification. La
traversée fait passer en terre promise tandis que la mort fait
comparaître Ie croyant au séjour de Dieu. L'aspect inéluctabIe de
1a mort, exprimé ici comme étant un élément de consolation, prend
une dimension collective avec I'image du peuple en marche et dé-
dramatise une situation que la foi optimiste de Itévêque perçoit

( 1 ) Oarrres ÆI 424
( 2 ) ibid. )trr æ5
( 3 ) id. )ofl 36
172

de manière positive : la mort n'est pas autre chose que Ie but

de 1a vie, 1a Rencontre qui pré1ude à cette transfiguration per-

sonnelle et collective qu'est Ia résurrection.

!?1.99_!ivr e s_H i s t o r i q u e s

Le Livre des Nombres nous présente un autre épisode cé1èbre de

la Iongue migration mosaîque lorsque 1e Seigneur demande à


Moïse de frapper le rocher afin dren faire jaillir I'eau qui dé-

saltérera tout Ie peuple.


Dieu ordonna a MoÏse qu'i1 parlast au rocher, êt iI
produiroit des eaux (1).

La présentation de ce passage à Mériba permet une in-

sistance sur 1a parole : crest elle qui est appelée à effectuer


le miracle en étant efficace dans 1a ligne d'inspiration du tex-
te de fa Genèse qui présente 1a ParoIe de Dieu comme créatrice.
Lreau nra ici qu'un rôIe secondaire de révélateur de cette paro-

le (2).
tS_L:yfg_des_Juges nous présente une expression glanée dans Ia
correspondance:
Voila des eaux, monsieur ; si elles sortent d'une mas-
choire d'asne, Sanson ne Iaissera pas d'en boire (3).

Lrallusion biblique présente du moins un ieu de mot plein d'hu-


milité à l'égard de Ia missive rédigée pour Fremyot.

l9_gfggiel_lfylg_99_lgggel présente simplement comme bon exemple


d'obéissance la promptitude des "chevaliers" qui foncent tête
baissée pour aller au travers des lignes ennemies chercher de
lreau à David (a).
Le deuxième Livre des Rois détail-le davantage l'épisode de 1a
guérison de Naaman qui fait largement appel au thème d'une eau
qui purifie et guérit.

(1) Oeuyres fV 345. Clî. Nb 20, 8

(2) Par aille.rs, ruls trcuvons trace de ce passage furs r-ureoçnessian tir€e d'une letke : "Je
rre sçai si crest L'am.n que vcx.rsrrteportes qrf tire cette eau de lapienre..." )([I æ9
(3) Oeurrres)trI 3æ
(4) Enbetiens L152. Cf. 2 S 23, l-Sl-6
- t73 -

comme Dieu rendit prouffitable a Naaman Ies eaux du


Jourdain desquelles dit Helisee' sans aucune apparence
de rayson humaine Iuy avoit ordonné Irusage (1) .

Ce trait est également mentionné simplement dans Ies Eg!fg!:g.ns(2).


La Iittérature prophétique à son tour présente un certain nombre
dl images qui vont être reprises par François de Sales.

r3!q1_!ivr e s _ Pr o p ! É t f q g g e

Un texte de Jérémie (3) aévefoppe une longue aIlégorie de l-a


source d I eau vive -Dieu étant lui-même source des bienfaits pour

son peuple- et des citernes crevassées préférées par fe peuple

infidè1e.
I1 srescoufa tout en nous, êt, par maniere de dire'
fondit sa grandeur pour la reduire a 1a forme et figu-
re de nostre petitesse, dont i1 est appelé source
d'eau vive (4) .
Ce que 1a théologie appelle 1a kénose, lrécoulement de Ia divini-
té dans I'humanité par Itintermédiaire de lrincarnation est tra-
duit ici avec 1a reprise de I'image biblique. La personnification
de cette image permettra une expression directe et vivante :
Ils m'ont layssé, moy qui suis source d'eau vive, et
se sont foul des cisternes, cisternes dissipees et cre-
vassees, qui ne peuvent retenir les eaux (5).
Un autre passage du Traité met en oeuvre de manière quelque peu

dramatique mais pourtant tout à fait traditionnelle I'expression


du regret éterneL des damnés.
IIz bruleront drune soif d'autant plus violente que le
souvenir de cette source des eaux de fa vie eternelle
aiguisera leurs ardeurs (6).
A son tour, 1e Livre d'Isaïe est I'occasion de deux emprunts à
ce même thème. Le premier mentionne simplement 1a proposition du
prophète au roi Achaz de "demander un signe au ciel d'en haut ou
au profond de la mer" (7). Le second est un oracle de bénédiction

( 1 ) Qeurres III 328

( 2 ) E:betiers l-l-49. Cf. 2 R 5, L4


( 3 ) Jr 2, 1-3
(4) oetffr€s V 23O. Cf. Jr 2, l-3
(s)ibid. v æ9
( 6 ) ibid. v 167
( 7 ) id. Iil l-48. Cf. Is.7, LL-L2
I7 4

prononcé par Ie même prophète que François de Sales reprend à


son compte pour les temps de sécheresse spirituelle:
ne vous troubles point des sterilités, car 1es stéri-
lités enfanteront en fin ; ni les secheresses, car 1a
terre seche se convertira en sources d'eaux vivantes(f).

121-85 Psaumes et Livres de Sagesse

Mais de toutes Ies traditions vétérotestamentaires, c t est sans

nul doute dans les Psaumes que François de Sales va puiser I ' i1-

Iustration Ia plus diversifiée du thème de I'eau.


Mentionnons tout d'abord 1e thème de Ireau qui retourne à 1a mer
après en être sorti et avoir ruisselé sur Ia terre (2), 1e thème
des eaux qui sont entrées dans 1'âme du croyant pour 1e submer-
ger (3), texte fameux pour les biographes salésiens puisque cité
par François de SaIes lui-même pour décrire sa crise spirituelle
de Paris. Nous trouvons encore une allusion rapide aux fleuves
de 1'exil à Babylone (4), aux fleuves impétueux qui s'épanchent
dans les plaines (5), illustration du ffeuve de déIices du Psaume
35 (6), auquel le croyant est invité à srabreuver (7). Nous som-
mes également conviés à découvrir 1e torrent sous 1e souffle de
midi (8) ou encore "1e ruysseau qui arrose fes arbres qui donnent
leurs fruits en leur temps" (9), ce qui figure le Concile de
Trente faisant fructifier le christianisme.
Les précipitations ne sont point absentes de cette évocation de
lreau ; 1a 'rgres1e, neige, glacer' étant invitées à louer Dieu(10).
EIles savent se faire bienfaisantes comme 1a pluie qui descend

(1) Oeurres )CtVl-3, Cf. Jr 35, 7


(2) id. rr 45
(3) id. )OfiI 16, Cf. Ps 68
(4) id. )0C\/ L7I, Cî. Ps 125
(5) id. V 201, Cf. Ps 35, 9
(6) Ps 35, 9
(7) Oeuvr€s)O(tI l-8, Cf. Ps 35, 9
(8) id. )0II æ3, cI'. 103, L0
(e) id. I l-æ, CT. Ps 1, 3
(10) id. fI 158, CT. Ps L48, I
- r75 -

sur Ia toison (1). II arrive pourtant que lrimage d'origine psal-

mique soit développée et non pas seufement mentionnée. Crest 1e

cas dans une Iettre au Président Fremyot à lroccasion de 1a mort

de Henri IV:
Qui eust dit, je vous supplie, monsieur mon cher âfry,
qurun fleuve d'une vie royale, grossi de Iraffluence
de tant de rivieres d'honneurs, de victoJ.res, de tri-
omphes, et sur les eaux duquel tant de gens estoyent
embarqués, eust deu perir et s'esvanouir de Ia sorte,
laissant sur 1a greve et a sec tant de navigans ?
N'eust-on pas plutost jugé qu'i1 devoit aller fondre
dans la mort, comme dans une mer et un ocean, pât plus
de triomphe que le Nil nra d'emboucheures ? Et nean-
moins, les enfans des hommes ont esté trompés et de-
ceuz en leurs balances et leurs presages ont esté
vains (2).
Le passage présente une suite de métaphores filées en grappe, ca-
ractéristique de 1a prédication de l'époque, Ia cohérence de 1a
thématique étant assurée par I'image psalmique du fleuve qui
trouve son origine dans la mer puis y retourne et par une cita-
tion du Psaume 61 qui insiste sur 1a vanité et 1a fragilité des
proj ets de frhomme L'océan comme lieu de fusion avec 1a divinité
rejoint un thème que nous avions évoqué dans 1a partie précédente
et qui sera encore repris dans 1'évocation de Ia navigation. La
période des phrases, soutenue par l-rinterrogation oratoire pro-
cède par restriction de sens pour insister, après Ies vagues de
Ia gloire royale, sur cette fin qui demeure un mystère et appelle
à 1a méditation.
Terminons par ce passage du Psaume 55 présenté sous forme droc-
tosyllabes à la fin drun chapitre du Traité :
En Dieu gist Ia fontoine mesme
de vie et de playsir supreme
Sa clarté nous apparoistra
aux rais de sa vive lumiere,
Et nostre liesse pleiniere
De son jour seulement naistra (3)
La traduction assez libre du texte conjugue deux métaphores de
la vie, la fontaine et 1a Iumière : Ia fontaine d'eau vive

( 1 ) Oeurres )0gII æ2
( 2 ) id. )ûV 320, Cf. Ps 61, l_0
(3) id. rv 21-0
- L76 -

vivifiera toute 1a terre de même que 1a rumière, porteuse de vie,


vient de Dieu. Le choix fréquent de telles images donne constam-
ment aux textes sal-ésiens cette coloration doctrinale optimiste
qui ne se démentira jamais.
Dans fa tradition sapientiale, nous ne trouvons oue
deux courtes allusions tirées du Livre des Proverbes. La première
concerne les précipitations et indique
Vous ne craindres point 1e froid des neiges (1).
La seconde, citée en 1atin, présente 1a source qui coule sur ra
place publique comme signe de prospérité et de bénédiction de
Dieu (2).

!g_ç,gl!:ggs_ges_Cantiques mentionne I'eau de deux manières oppo-


sées : l-reau des triburations et 1e freuve des persécutions (3),
qui ne peuvent éteindre lramour dans 1e texte biblique et 1e
contentement dans 1e texte salésien;1e commentaire saIésien du
9gl!f-g-S reprend re passage en I'amplifiant régèrement puisqu'i1
rajoute la mer aux freuves indiqués dans 1a Bible (4). D'autre
part, 1'eau jaillit égarement de 1a 'rfontayne des eaux vives"
pour une illustration positive ( 5) en laque11e, ailleurs, fa mer
apparaÎt comme 1e lieu de toute perfection et le but ultime de
1 t amour :
O Dieu, quelle joye aurons nous au ciel, Theotime,
thors que nous verrons 1e Bienaymé de nos coeurs,
comme une mer infinie de laquerle les eaux ne sont que
perfection et bonté (6).

!e_r :.-re_9e_Qe!Éfe!!
l,g-!f-fg-99_Qg!Él.g!! reprend d,une manière quelque peu
désabusée I'image des fl-euves qui se dirigent vers ra mer en af-
f irmant que décidément i1 n'y a rrrien de nouveau sous Ie soleil (7).

( 1 ) Oeuures)([II l-æ, cf. h 2r


( 2 ) id. )ofiv l_40, cf. h 5, 16
( 3 ) id. v æ7, cf. ct I
(4) id. )offr 37
(s)ibid. )oflÆ 28
(6) id. rv 257
(7) @ 1 , 7
- 177 -

François de SaIes ne retient, des propos d'amère sagesse du maî-


tre drfsraë1, que I'image dominante qu'iI recompose en une belle
évocation.
Les fleuves coulent incessament €t, comme dit 1e sa-
gê, ils retournent au lieu duquel ils sont issus :
fa mer, qui est 1e lieu de leur naissance, est aussi
Ie lieu de leur dernier repos ; tout Ieur mouvement ne
tend qu'à 1es voir avec leur origine (1) .
Nous observons une fois de plus que lrauteur n'hésite pas à
transformer quelque peu I'esprit dtun texte biblique pour nous
proposer une image de 1a nature qui viendra ill-ustrer son propos
et faire appel bien davantage à Irexpérience d'observation direc-
te de son Iecteur qu'à une connaissance livresque de I'Ecriture.
La référence biblique viendra donner, c'est indéniabre, lrargu-
ment drautorité au propos qui soutiendra pourtant une intuition
originare en parlant ici de 1a fusion du croyant avec son Dieu
comme d'une chose toute naturelle et aussi inél-uctable oue l-' é-
coulement du fleuve.
Le Livre de Judith
Dans cet ouvrage, f image seule du siège de ra ville de Béthurie
est retenue (2) et intéresse lrauteur en tant qu'elle détaille
la stratégie employée par fe sinistre Holopherne (3) :
ut aquaeductum illorum fontesque omnes circumquaque
incideret et occuparet, ne veI tantil_lum aquae siti
obsessorum extinguendae uspiam superesset, id sane om-
ninus, horum maxime temporum, haereticis Ecclesiam
vexantibus, solemne fuit consilium ac decretum ; sci-
licet Sacramenta per quae, veluti per canales ac mea-
tus quosdam opportunos, Salvator optimus maximus aquam
gratiae salutaris in corda nostra derivat ac diffundit,
ve1 omnino praecidere, veI pravis opinionibus inficere
et occupare, ne fluminis in vitam aeternam salientis
suavissimus impetus civitatem Dei deinceps laetificare
posset.

(L) oeurrres fV l-87


(2) Jdt 7, ÇL!
(3) Oanrres )0[II 350, Cf. Jn 4, !4 ; h 45, 5. lbaduit airsi : 'rce g.rrFblçherrre inegirp, Frèr€s
bès ctrcrs, lorsqr:'iI assiégeait Béthulie et qr:'il fit co.pen et occrper de ùcutes parbs s6çr
a$redæ et tortes ses fmtaines, afin qr' j-l re restât pæ la npirdne gqJbùe dreau ponrerrt étar>
cher la soif des assiégés : crest ce ql.rereproduisent to.rs les tÉrétiqres qui ccnbattent I'Eglise,
sunÙcn:tcer-u<de rnbe teps. Ils cnt r€solu, en effet, soit de spnfuen tolt à fait, soit de
c€trcnpre par letu:s fa:sses çinicns les Sacrrenerrts,au rrcJr€ndesquels c€lrrrepar artant de cana-u<
et de csd'rits bien arl'trtés, rpbe Sa.rrrq-r trs bcn et très gr€nd fait cruler das rrcs coeus les
cndes salutair"es de sa grâce. Ifs erpêchent airsi q.re Ia Ës s:arre irçÉù.ræité ùr fletrve qui
iaillit jr"rcqr:'à la vie éterrælle rxepuisse cqltùalen à réjcldr Ia cité de Dieur'.
- r78 -

Le Livre de Tobie, modestement, ne nous donne qurun aphorisme

gui, s'iI nroffre guère Ie mérite de 1'originalité, présente du


moins une vision optimiste d'une situation dont iI est donné à
chacun de faire 1'expérience :
apres les pluyes, le beau temps (1).
Dans le Livre de Jo4ç1s, François de Sales retiendra sous forme

simp lement allusive 1a tempête qui accable 1e prophète Jonas (2),

dans le contexte drune citation de Saint Jérôme.

L2L86 Lreau dans Ie Nouveau Testament

Si 1e soIeil nous était défini comme 1a réa1ité univer-


selle qui éclaire Ies bons comme les mauvais, i1 en est bien de
même pour L'eau dispensée par 1e Dieu créateur au même titre sur
chacune de ses créatures.
Cette souveraine Bonté respandit une abondance de gra-
ces et de benedictions sur toute Ia race des hommes
de laquel1e tous ont esté arrousés comme d'une pluye
qui tombe sur les bons et les mauvais (3).
Don universel de Dieu, 1a présence de I'eau est pourtant expri-
mée de manière inattendue dès Ie début de I'histoire de I'Incar-
nation.
HeIas, o Vierge Sainte, les larmes de vostre divin
Enfant dans la cresche n'estoyent que des douces roses,
mais celles de 1a sainte passion sont des torrents et
mers d'amertume (4) .
I1 serait pourtant fort injuste d'imaginer que I'eau du Nouveau
Testament n'évoque que les Iarmes: transmuée en vin, e11e ré-
jouit les noces de Cana lors du premier signe de Jésus (5). Elle
est ensuite ce signe du partage fraternel qui est bien une des
exigences de I'Evangile: "quiconque donnera à boire à 1'un de
ces petits rien qu'un verre dreau fraîche. . .rt rappelle t t 4 a t t h i e u( 6 ) ,
et ce sens sera repris très fréquemment par François de SaIes,

( 1 ) Oeuures)GfI €}2, Cf. Ib 3


(2) i d . v m
( 3 ) id. rv 1æ, cf. Mt 5, 45
(4) id. )0(\rr 91
( 5 ) id. )ff 296, Cf. Jn 2, L-LZ
( 6 ) Mt l_0, 42
- r79 -

signe éloquent que dans 1'esprit de I'évêque I'amour de Dieu

est indissociable de cet amour du prochain dont i1 avait eu le

projet de traiter également.


voyes ce saint, je vous prie, Qui donne un verre dreau
pour Dieu, âu pauvre passager aItéré. -La dilection
dont i1 anime son oeuvre est si excell-ente, QU'e11e
convertit cette simple eau en eau de vie, et de vie
éternelle (1).

Le glissement de sens se fait en trois temps:1'eau devenant

en un jeu de mots simple cette eau de vie bien connue des monta-
gnards qui réconforte 1e voyageur épuisé, puis I'eau de Ia vie

par allusion au texte de Saint Jean relatif à 1a rencontre de

Jésus avec 1a Samaritaine, eau qui prend 1a dimension de I'eau

de 1a vie éternelle. Ce rythme ternaire est parfois utilisé par

I'auteur pour des transformations drordre religieux. Ce même


passage évangé1ique est du reste mentionné de manière moins dé-

veloppée en trois autres occurrences (2). II s'identifie à un

autre passage du jugement final eschatologique (3) au cours du-


quel 1e Fils de I'homme indique qu'iI a eu soif et que certains

lui ont donné à boire (4) .

Certains propos poIémiques sur les miracles dans fa Défense men-

tionnent I'épisode de La guérison d'un paralytique près de 1a


piscine de Bethzatha en précisant que ce miracle-ci ne doit

rien à un quelconque pouvoir curatif de I'eau maj-s relève uni-


quement du fait religieux.
Les Escritures ne tesmoignent aucunement de Ia vertu
de I'eau de 1a piscine, et toutefois, tant sren faut
que ceux qui y avoient recours ayent esté repris et
censurés comme superstitieuxr pour reconnoistre u n e
vertu en ceste eau sans aucun tesmoignage de I'Escri-
ture, qu'au contraire Nostre Seigneur a honnoré leur
créance drun céIèbre miracle, et saint Jean d'une tres
asseuree attestation (5).

( 1 ) Oetnres V 329
( 2 ) id. rv t_70
id )0(\[ 182
Enbetiers l-l-57
( 3 ) Mt 25, 35
(4) Oeuvres II 76
( 5 ) ibid. II 38, Cf. Jn 5, 2
180

Une autre guérison fameuse, ceIle d'un aveugle, nous rapporte


1a pratique étonnante des guérisseurs de 1'époque de Jésus, gui
façonnaient un cataplasme de boue pour I'imposer sur fes yeux
de celui qurils voulaient soigner (1). La salive possédait en
effet dans f'antiquité un pouvoir curatif et Jésus utilise ce
geste familier en Iui donnant une efficacité nouveIle, montrant
ainsi une fois de plus ltefficacité de Ia parole divine.
Si Dieu vous jette fa boûe de I'ignominie sur les
yeux, c'est pour vous donner Ia belle vete et vous
rendre un spectacle drhonneur (2) .
La boue nrest pas ici prise dans 1e sens de I'Evangile, seule
1a seconde partie de 1'épisode est conservée, celle qui rétablit
pour Iraveugle une claire vision.
Dans un passage des Entretiens, cet épisode évangélique nous est
décrit de manière plus familière mais aussi plus proche du texte.
Notre Seigneur (...) prit de 1a boue et la lui mit
dessus fes yeux, 1ui commandant de s'alIer Laver avec
lreau. Ce pauvre aveugle-né ne pouvait-i1 pas bien
srétonner du moyen que Notre Seigneur tenait pour le
guérir et 1ui dire:
"Hél-as! que ne faites-vous ? Si je n'étais pas aveu-
gle, ce serait capable de me faire perdre la vue"! (3)
La boue fait bien partie de I'humanité de 1'homme, de 1a réaIité
1a plus prosaïque dont i1 ne saurait être question de se débar-
rasser comme en témoigne 1e paradoxe suivant qui évoque à la
fois 1a grandeur de I'Esprit et 1a réalité 1a plus pratique :
Nostre Seigneur dit a ses apostres : Receves 1e Saint
Esprit et Ie Sanctificateur, mais parce qu'ilz es-
toyent sur Ia terre iLz ne pouvoyent pas s'enpescher
de crotter Ieurs piedz marchant dans 1a boûe. Ainsi,
tandis q u e nous serons en cette vie, nous aurons tous-
j ours des mi seres ( 4 ) .
La double insistance sur le Saint Esprit et le Sanctificateur
fait ressortir Ia doubfe mention des pieds crottés et de la boue,
prévenant toute tentation d'angélisme chez les lecteurs de 1'é-
vêque. Cette boue qualifie encore, parfois, de manière désagréable,

(1) Jn9,6
( 2 ) OeuvresXVIII 21-0, Cf Jn 9, 6
(3) Enbetiss l-l-48
(4) Oeuvres )OffI æ3
181

1e coeur des protestants dans Ia Défense (1), en une sorte d'é-


cart de langage que Iron ne rencontre plus dans ses oeuvres de
maturité. Si eLle apparaÎt dans les propos uItérieurs à 1a mis-
sion en Chablais, crest pour désigner 1e monde et ses richesses
trompeuses en reprenant 1e terme de I'apôtre Saint Pauf.
J'ai réputé toutes choses estre fange et ordure, affin
de mieux gaigner Jesus Christ et ses bonnes graces (2).

L'épisode de 1a tempête apaisée retient également I'at-


tention de lrauteur. I1 se retrouve assez bien dans cette image
de navigation qu'i1 expose largement par ailleurs :
Laissés bruire et gronder 1es vagues tout autour de
vostre barque et ne craignes point, car Dieu y est, et
par consequent Ie salut (3).
Mais, plus encore, Ie trait de Pierre invité à marcher sur Ies
eaux, va être rapporté par l'évêque :
Saint Pierre marchoit fort asseuré sur les ondes : le
vent s'é1ève et les vagues sembfent I'eng1outir...
C'est emmi 1es troubles de nos passions, 1es vens et
les orages des tentations, eu€ nous recl-amons 1e Sau-
veur, car i1 ne permet que nous soyons agités que pour
nous provoquer à lrinvoquer plus ardamment (4).
L'idée du microcosme revient ici. L'homme est un Iieu des tempê-
tes intérieures mais Ia sérénité peut se retrouver en Dieu selon
I'idée chère à Saint Augustin que "notre coeur est sans repos
tant qutiI ne demeure en Dieu".
Dans une autre évocation du même texte, François de SaIes lie di-
rectement 1a peur de Pierre au fait qu'il commence à srenfoncer
et creuse cette idée qui témoigne d'une connaissance psychologi-
que tout à fait pertinente.
Voyes ce saint Apostre : il marche pied sec sur les
eaux, les vagues et les vens ne sçauroyent Ie faire
srenfoncer ; m a i s l a p e u r d u v e n t e t d e s v a g ues le fait
perdre, si son Maistre ne I'eschappe.
La peur est un plus grand mal que Ie mal (5).

( 1 ) Oeua"esII 369
( 2 ) id. )Ofl/ 4â, Cf. Ph 3, 8, rÊre citaticn en V 183
( 3 ) id. )CIII 120, Cf. ]ft L4, 24. Voir aucsi XIV 228 : "c'est Dier: qui rtrLie ùcute la barque"
(4) id. )ft/I 64
(s)id. )trII z_]_
L82

Dans ces passages, Ireau est bien présentée selon l-a thématique

biblique du lieu occupé par les esprits malfaisants, les puis-

sances obscures toujours prêtes à entrer en conflit avec les for-


ces divines. Mais crest essentiellement Ia peur que lron peut a-
voir d'efles qui les rend redoutabfes. L'attitude de confiance
dont parlait François de Sales précédemment se trouve à I'anti-
thèse de ce réfIexe tell-ement naturel qui affecte même 1e premier
des apôtres. La dénonciation de cette peur est exprimée par un
slogan d'une grande densité et fortement rythmé. Ce passage évan-
gélique sera encore cité dans une autre lettre, mais de manière
moins développée (1). L'agitation n'est pas étrangère à la vie

de I'auteur, I'évêque en fait 1'expérience presque quotidienne-


ment, affronté qu'iI est à toutes sortes de difficultés dues à
Iradministration d'un diocèse qui est partagé entre trois états,
aux régimes politiques différents et souvent antagonistes' et
qui connaît une multitude de problèmes de personnes. Mais I'agi-
tation majeure quril expérimente, est cefle qui est produite
constamment par 1e défi protestant, situation illustrée par 1e
terme de I'Epitre de Jude et qualifiée de flots agités et écu-
mants (2).
Dans un autre domaine, fa théophanie de 1a transfiguration donne
l-roccasion de relever rapidement un aspect particulier de 1'eau :
1a neige. I1 s'agit essentiellement d'une comparaison drorigine
évangélique puisqu'i1 est rapporté que les vêtements du Christ de-
vinrent 'rbl-ancz comme neige" (3) , expression qui permet parfois
quelques extrapolations :
et cette affection est blanche plus que Ia neige ' pure
plus que 1e soleil (4).
C'est en ces termes que François de Sales qualifie lui-même dans
une lettre à Jeanne de Chantal 1a nature du sentiment qui lrunit
à elIe.
A frantithèse de cette pureté, Ia situation originefle de Marie

( 1 ) Oeuvres XV-III 211


(2) id. I L39, Cf. Jude 11, 13
( 3 ) l{tt L7, 2
(4) Oetnrres)Cfi &1
183

Madeleine avant sa conversion est traduite par une expression


drun réalisme cru qui permet d'exprimer par un paradoxe sa vie
nouvelle.
Magdeleine, 1aque11e, en un instant, drun esgout
d'eau de corruption, fut changee en une source d'eaux
de perfections et ne fut jamais troublee depuis ce no-
ment la ( 1 ) .
La symbolique ambivalente de Ireau apparaÎt ici de manière parti-
cul ièrement éIoquente .
Mais un épisode retient avec plus d'acuité encore I'attention de
lrauteur: 1a rencontre de Jésus et de 1a Samaritaine près du
puits, rencontre qui permet un dialogue sur 1e thème de 1a source
dreau vive de vie éternelle que Jésus se propose de faire décou-
vrir à son interlocutrice (2). Ce passage nrest pas rapporté dans
son intégralité, preuve sans doute qu'i1 était parfaitement connu
à 1a fois de ses lecteurs et de ses correspondants.
Certaines phrases du texte sont pourtant citées directement, mais
détournées déjà du contexte narratif pour devenir ce que I'auteur
appelle des "inspirations, crest-à-dire de courtes prières de de-
mande aussi naturelles que Ia respiration pour celui ou cell-e qui
a intériorisé les exigences de 1a vie spirituelle.
Ah qui vous connoistroit pourroit bien dire avec fa
Samaritaine : Domine,_da_mihr_hg!s_gguam : Seigneur,
donnes moy cette-eârl=;p$âtil;-fort-rrequente a 1a
Mere Therese et a sainte Catherine de Gennes, quoy que
pour differens suj etz ( 3 ) .
La réponse du Christ est également clairement mentionnée :
et i1 treust donné de I'eau vive (4).
Celuy qui boira de I'eau que je luy donneroi, i1 n'au-
ra plus jamais soif (5).
Les commentaires qui s'inspirent de cet épisode sont fréquents
et variés, bien en rapport aussi avec Ie thème de Ia source que
nous avions exposé et procédant du même mouvement.

(1) Oeurrres)flII 1-9


(2) Jn 4, 1 scl
(3) Oeures III 355
(4) id. TI Lz7
(s) id. v 31.0
- 184

qui a rencontré cette source d'eau vive ne peut Iongue-


ment demeurer altéré des passions de cette vie mise-
rable (1).

Quand mrabreuverai-je à tes sources de vie ? (2)


Source de charité, donne moi 1a charité (3)
Je boiray cette eau de vie (4).

;;; ":::"::.::" f:'i:i":=:;"0::::":';:"::;;"0.:;';i_""


vante qui rejaillit a 1a vie eternelle, et de vouloir
en boire de la main de Nostre Seigneur (5)...
Parfois f image est développée sous une forme plus évocatrice
encore:
Soyes, soyes a jamais sans repos ni tranquilité quel-
conque en cette terre, mon ame, jusques a ce que vous
ayes rencontré l-es fraisches eaux de 1a vie immortelle
et 1a tressainte divinité qui seules peuvent esteindre
vostre al-tération et accoiser vostre désir (6).
La phrase offre ici cet aspect de maturité spirituell-e élaborée
servi par un style poli et épuré. La répétition caressante de
lrimpératif rrsoyes", fe vocatif qui vient briser 1égèrement pour
une courte pause le rythme apaisé de 1a phrase qui se déroule com-
me une onde, tout contribue à donner une impression pacifiante
qui débouche sur Ie mot désir. L'inspiration présente une synthè-
se harmonieuse entre 1a thématioue de I'eau qui allie trois idées
sous- j acentes : ceLle du f l-euve de 1a divinité tout d'abord qui
oule de manière bienfaisante, ceIIe des eaux dont parle I'Evan-
g ile de Jean dans 1'épisode de 1a Samaritaine jointe au thème
psalmique du cerf altéré, et enfin 1a phrase augustinienne que
nous avions déjà citée: "Tu nous as faits pour toi, Seigneur,
et notre coeur est sans repos tant qutil ne demeure en Toi". La
transfiguration du désir de lthomme est également une découverte
spirituelle importante de I'auteur gui, bien avant que Ia psycha-

( 1 ) Oetnnres)0( 98
( 2 ) id. )oflrl æ7
( 3 ) ibid. )Oflrr 4æ
(4) id. )ofir 36
(s)id. I'v-r æ7
( 6 ) id. rv 199
185

nalyse ne révèl-e que lrhomme est un être de désir (1), a cette


intuition que Ià se trouve 1a clé de 1'agir humain. Du reste, le
thème de I'eau se trouve souvent atlié à celui du désir en tant
que 1'être aItéré symbolise parfaitement I'attirance existentiel-
le d'un manque qu'il faut combler. Le désir de I'eau est telle-
ment vital que dépassant 1a simple fettre de l-a scène évangé1i-

euê, I'auteur en vient parfois à imaginer une fusion totale que


f idée du boire ne donne qu'incomplètement :
Vivés toute en Nostre Seigneur, ma chere Fi1le ; que
ce soit I'eau dans laqueIle votre coeur nage (2).
Toutefois, toujours soucieux que 1e symbole ne prenne pas la pla-
ce de ce qu'il représente et demeure serviteur et non point maî-
tre, Itévêque aura 1e souci de corriger en certaines occasions
I'importance qu'on pourrait lui attribuer :
0r sus, sil vous falloit mourir sans boire de lreau de
La Samaritaine, êt quten seroit-ce pour cefa, pourveu
que nostr'ame fut receue a boire aeternellement en 1a
source et fontaine de vie (3) ?
Par ailleurs, inspirés de cette même tradition johannieu€, nous
trouvons un certain nombre de textes ecclésiastiques qui repren-
nent ce type d'image pour I'attribuer au fonctionnement ministé-
riel.
Je me resjouis avec vostre peuple qui a le bien de re-
cevoir de vostre bouche les eaux safutaires de 1'Evan-
gile (q),
écrit François de Sales au bouillant nouvel évêque de Be1ley,
Monseigneur Camus qui deviendra son ami. D e m ê m e à M o n se i g n e u r
Fenouillet, évêque de Montpellier, écrira-t-iI :
Chacun est autour de vous pour puyser les eaux des con-
solations spirituelles de Ia vive source que Dieu a
mise en vous (5).
Ce faisant, i1 resitue toujours I'ordination épiscopale dans 1a
tradition apostolique que Ies protestants contestent vivement.

( 1 ) I^acanJ., !g!Q, Paris, Seuil, 1!166


( 2 ) Oeuvres )(IV 165
( 3 ) id. )Gr 385
(4) id. )ff 28
(s)id. )fiv 2æ
186

Jésus 1uy-mesme, qui est 1a source vive de toute mis-


sion ecclesiastique (1).
Pour 1ui, cette source féconde constamment lrEglise' comparée à
un jardin bien irrigué (2), ce qu'i1 rappelle même dans I'utiIi-
sation liturgique de lreau comme I'indique 1e choix de ce cadeau
envoyé au nouvel évêque de Sion:
Je vous envoie un aspersoir pour donner I'eau béni-
te (3). L'évêque aura pourtant toujours soin de rappeler que le
symbole nrest pas en soi une fin de caractère magique:
Et ce que I'on dit que Ia bénédiction de I'Evêque et
I'eau bénite effacent les péchés véniels, n'est pas
en vertu de Ia bénédiction mais de Lracte d'humilité(4).
Après cette abondance des développements de f'épisode de Ia Sa-
maritaine, i1 nous reste à achever notre parcours évangé1ique sur
Ie thème de lreau.
Lors de Ia passion du Christ, la longue station au Mont des
Ol-iviers se passe au delà drun torrent, Ie Cédron, dont François
de Sales note Ies caractéristiques (5).
Dans Ie jardin des 0liviers, ce sera 1a tentation terrible,
Irheure du doute et de la sueur d'angoisse.
Nous voudrions prier dans L'eau de naffe et estre ver-
tueux a manger du sucre, et nous ne regardons point au
doux Jésus gui, prosterné en terre, sue sang et eau de
detresse pour I'extreme combat qu'i1 sent en son inte-
rieur... (6)
Mais plus encore que ce petit trait, c'est 1a contemplation du
Christ en croix qui viendra parfaire 1a thématique de Ia source.
Le costé du Sauveur, percé par 1a l-ance sur 1a croix
fut la vive source de toutes les graces dont Ies ames
sont arrousées par les saints sacrements (7).
L'évocation est bien dans fe style de la fin du XVTème siècle qui

(l-) Oetvres I 31
(2) id. v 17
(3) id. xv-rr 123
(4) Ehbetiens 1063. Por-nI'util-isatim lih.u'giqæ de I'eanr : rrtiLisaticn de I'eau bérÉte à des
firts dcntestig.res, Cf. X\[I 10 ; le @têræ des enfants en dagen de rprt, Cf. )0[II 3i13
(5) oeuwres )OflÆ4
(6) id. )trrr 28, cf. Ib 14, 35 ; Is D., U
(7) id. rr 246
187

privilégie une présentation prus que réaListe du crucifié.


Nous retrouvons 1a même idée dans 1e commentaire salésien sur Ia
passion:
Je descouvre lrun et I'autre main (sic) attaché et 1es
deux pieds aussi, gui, comme quatre ruisseaux drune
mesme source versent continuelrement un sang 1e plus
beau, clair et vermeil qui fut onques au monde (j_).
quelques pages plus 1oin, ce tableau se conclut ainsi :
et que jamais rreau de la contradiction ne puisse es-
teindre le feu sacré de ra charité que nous avons du
prochain (2) .
présentant une fois de plus I'eau comme un beau symbore ambiva-
rent, tantôt facteur de fertilité, tantôt menace pour re feu de
1 | amour.
En commentant largement lrensembre de ces thèmes bi-
bliques relatifs à lreau, 1a tradition Patristique constitue une
mine drinspiration pratiquement illimitée à laque11e les prédica-
teurs et auteurs spirituels emprunteront un matériau consacré par
lrautorité de leurs auteurs.
Quers emprunts François de sares effectue-t-ir à ce corpus si a-
bondant ?
Quers auteurs ecclésiastiques ont-ils davantage sa faveur ?
Peut-on discerner en cela une image principale qui traduit une
idée-force d'interprétation ?
Autant de questions pour lesquelles nous allons chercher mainte-
nant des é1éments de réponse.

1?19_Ee! r e I egtg_g!_legtggl aph r S

1?191_!s s _igeg es_9e_1=Seu_empr u n!ÉSe_è_lg_le!I9] eg i s


La patrologie évoque le thème de lreau de deux manières
bien différentes. La première fait appel largement au merveilleux
chrétien à des fins apologétiques et va être tout particurière-
ment utilisée par François de sales dans ses toutes premières
oeuvres comme arguments contre res thèses protestantes, 1es
Eglises de 1a Réforme ne récusant pas en effet rrautorité des

(1) Oeuures lf/J'II L77


(2) ibid. )oflÆ 184
188

Pères de I'EgIise. La seconde nous offrira des symboles' compa-


raisons et métaphores utiLisés pour mettre en lumière les réaIi-
tés de Ia vie spiritueLle.

l-2191-1 Le merveilleux :

Les traits de cette tradition concernent tout particu-


1ièrement les démé1és de I'Eglise primitive avec des Juifs ou des
apostats. Sous Ia plume de François de Sales, Saint Athanase par-
fe ainsi d'une image du Christ profanée par des Juifs:
Chose admirable, a ce coup Ie sang et I'eau commencent
a sortir et couler en tres grande abondance, si que
les juifz en ayans porté une cruche pleine en leur sy-
nagogue, tous les malades qui en furent arrousés ou
mouiIlés furent tout soudainement guéris (1).

Saint Jérôme rapporte drautres faits terrifiants lors de l-a mort


de JuIien I'apostat.
i1 se fit un si grand tremblement de terre que la
mer, sortant de ses p r o p r e s bornes, iI sembloit que Dieu
menaçast 1e monde ( . . . ) les citoyens d'Epi'daure, (...)
accoururent a saint Hilarion, ( . . . ) tout aussi tost
qu'i1 eut fait trois signes de 1a Croix au sable, 1a
mer qui srestoit tante enflee, demeure ferme devant
Iuy (... ) saint Hierosme en est le tesmoin (2).
Nous trouvons encore 1e long récit d'un nommé Joseph empêché par
sorcellerie de construire une église gui, en pratiquant une a-
bondante aspersion dreau bénite, annule ces effets maléfiques (3).

Un autre fait est encore raconté par un historien de la même


ép oque .
Un juif estant baptisé se vient présenter a Paulus,
evesque novatien, pour estre rebaptisé, dict Socrates
I'eau des fons, tout incontinent s'esvanouit (4) .
Ces traits impressionnèrent-i1s les lecteurs de François de
SaIes ? Il est sans doute difficile dren juger... Toujours est-iL
qu'ils n'apparaissent plus dans les autres oeuvres et que sans
doute leur inspiration tout comme 1a désagréabIe impression
qu'ils donnent de Ia conception que lron pouvait avoir des Juifs

(1) Oetrrres II l-l-1, citant Saint Attrana.se (De Pass. InEq)


(2) Oewres II 1Æ, citant Saint Jérûne (ln vit. S. Hilan. )
(3) OenrrresII24L
(4) id. I 105, citant Socrate Lirne 7 @. n
189

à 1'époque peuvent être considérées comme une erreur de jeunesse


à attribuer à une période de po1émique au cours de laquelle
François de SaIes était encore loin d'avoir atteint Ia cafme me-
sure et 1'équilibre qui se révèIent dans toutes ses autres oeu-
vres.

!?1.913-!e-!!Ése!f ss s- s e-I-seg
Ceci excepté, I'eau présente un certain intérêt d'ins-
piration dans 1es oeuvres patrologiques. Si lron passe rapide-
ment sur des mentions purement anecdotiques comme celle de sainte
Monique suivant son fils par mer et par terre (1) ou le fait
tragique rapporté par saint Ambroise de trois jeunes fil-1es pré-

fèrant se noyer dans un fleuve plutôt que de perdre feur chaste-


té (2), nous trouvons de fort beaux développements de la réaIité
spirituelle.
Saint Gregoire, Evesque de Nazianze, ainsi que luy-
mesme racontoit a son peuple (3)' se promenant sur 1e
rivage de la mer, consideroit comme les ondes stavan-
çans s u r 1 a g r e v e l a i s s o y e n t d es coquilles et petitz
cornetz, tiges d'herbes, petites huistres et sembla-
bles brouilferies que 1a mer rejettoit' et par maniere
de dire crachoit dessus Ie bord ; puis, revenant par
des autres vagues, e11e reprenoit et engloutissoit de-
rechef une partie de cela, tandis que les rochers des
environs demeuroyent fermes et immobiles, guoy que Ies
eaux vinssent rudement battre contre iceux. 0r sur ce1a,
iI fit cette belle pensee: que les foibles' comme co-
quilles cornetz et tiges d'herbe, se laissent emporter
tantost a l-'affliction, tantost a la consolation, a
Ia merci des ondes et vagues de Ia fortune, mais que
les grans courages demeurent fermes et immobiles a tou-
tes sortes d'orages (4)...
Le genre narratif est ici très travaillé: Irénumération des di-
verses épaves rejetées par Ia mer finit par une personnification,
Ia mer crachant ces petits débris avant de les avaler de nouveau
cornme 1e font certains animaux (5). La fermeté du roc est plus

(1) OeuvresIII 272


(2) Entretiens l-l-44
(3) Saint ffigoire de I'lazianze, Onat. )OflII I - 9
( ) OeuvresIII 96
(5) l,e thèrne& la petite coqrdlle æaraît ure auùre fois, évoqr.rantla réalité lacusbe et n>
deste de Ia cité d'Armecy en des accents qui ræelle:qrt sans dcute Ie petit Liré clrer à
Jæctdm Du Beflry : rr... et puis re voyla derechef a dreyal po-n retcr.rnen en na pauvr€ petite
coquille, qui m'est phrs ctrèneque to:s les palais"(...) Cf. XVI 2.
190

sobrement évoquée, el-Ie ne saurait être prétexte à long discours


car sa stabilité est sa seule éloquence. La 1eçon n'est pas stoî-
cienne pourtant, 1a faiblesse n'étant d'une part nullement mépri-
sable et drautre part la force n'étant pas acquise par vertu per-
sonnelle mais par I'adhésion à une force qui vient de Dieu.
Dans un tout autre texte, f interprétation du symbole de L'eau
nous vaut la référence à Saint Jérôme :
Que si saint Hierosme, suivant le sens mistique, veut
que 1a praedication soit une sorte d'eau purifiante, il
ne sroppose pas aux autres Peres qui ont entendu 1e la-
voir d'eau estre 1e Bapteme precisement (1).
Ce qui nous persuade encore davantage que I'eau présente bien ain-
si diverses significations possibles.
Dans un autre passage, I'image du fleuve servira simplement de
comparaison:
Ainsy saint Gregoire Nazianzene et saint BasiLe s'en-
trraymoyent de cet amour eui, comme un fleuve abondant
en eau claire, va doucement (...) ; c a r i I c o u l e et ne
flotte point, i1 arrouse et ne ravage point, iI ga-
zouille et ne bruit point. De mesme lramour parfait du
prochain qui est selon Dieu se communique en diverses
manieres (2).
Cette lettre est adressée à Jeanne de Chantal et caractérise sans
doute assez bien 1e type de relation que peut apporter rramitié
spirituelle. Les verbes qui figurent I'écoulement du fleuve sont
groupés deux à deux de manière antithétique chacun apportant en
nuance ce que son opposé pouvait apporter en force. Par ailleurs,
les divers sens de rrhomme sont invités à 1a contempl-ation de
cette harmonie : 1a vue, 1'ouïe et même I'interligence conviée
à concevoir 1'action bienfaisante du ffeuve en Ia plaine traver-
sée. L'al1égorie s'écoure ainsi avec une tranquitle maj esté.
un extrait de saint Ephrem enfin, rapporté par François de sales,
incite 1e croyant à se couvrir de 1a cuirasse du signe de ra
croix en toutes occasions...
que tu navigues en mer, ou que tu passes les rivie-
res (3).
Nous retrouvons ici 1e thème de I'eau qui peut constituer un danger.

(1) OeurrresI 351


(2) id. )ofl L4s
(3) id. II 24, cibrt Saint Ephrsn 'De ven. poetrfr, C. ilI
- 191 -

Après cette évocation des Pères de I'EgIise, nous de-


manderons à Irhagiographie de nous parler à son tour de L'éLément
liquide et de I'inspiration qu'e11e propose à François de Sales.

!?Lg?_!.:e au_ d a n s_!_Eegrggf ep.hf e


Nous avions déjà constaté 1a présence de certaines ima-
ges thomistes traditionnel-Ies retenues par François de Sales dans
ses oeuvres, comme celle des sacrements ttcanauxrr de fa grâce (1).

Cette image est du reste parfois développée dans un sens réaIis-


te:
parce que les eaux ont bien accoutumé de couler p lus
vitement et plus fortement quand les canaux sont posés
en des lieux bons et penchants (2).
Mais nous pouvons noter êgaLement que d'autres traits sont em-
pruntés à la vie des grands saints. La vie de Saint Benoît ' Pâf
exemple, nous mentionne deux allusions à Iteau.
Saint Benoit se jette dans 1a neige pour futter contre
ses tentations (3),
et à 1a fin de sa vie
Sainte Scholastique, seur de saint Benoist, ayant ins-
titué une Congrégation de Religieuses, alloit toutes
1es annes visiter son frere; et 1a derniere fois
qu'elle y fust, advint le miracle de fa pluye et tem-
peste que Dieu fit venir expres pour arrester le glo-
rieux patriarche saint Benoist qui ne vouloit pas de-
meurer davantage avec sa chere et sainte seur ainsy que
saint Gregoire et les autres autheurs ecclesiastioues
racontent (4).
Le trait traditionnel et populaire n'est ici que sinplement rap-
pelé.
un épisode de 1a vie de saint Louis participe d'une inspiration
plus édifiante en rapportant que ce dernier, maLade, trouva tout
de même la force de jeter dans ra mer ra table de jeu du comte
drAnjou, son frère: 1a mer n'est pas ici comme dans re premier
cas au service d'un miracl-e mais iLlustre simplement une réalité
prosalque (5).

( 1 ) Enbetiens L262
( 2 ) ibid 1264 et Oeurr"es)0flII l_89
( 3 ) Oeulrres III 295
(4) id. )Off 314
( 5 ) id. III 249, citant Joirnrille, Hist. de S. tqrs, partie II
-L92-

Plus symboliquement, sans doute, nous découvrons cette comparai-


son attribuée à Catherine de Sienne :
Si vous prenes, dit elle, uD verre et que vous L'em-
plissiez dans une fontaine, et que vous buviez en même
temps sans 1e tirer de Ià-dedans, encore que vous bu-
viez tant que vous voudriez, le verre ne se vide point i
mais si vous 1e tirez hors de 1a fontaine, quand vous
avez bu, l-e verre sera vide. Ainsi est-il des amitiés;
quand on ne les tire point de leur source, elles ne
tarissent jamais (1)
La comparaison, dans sa simplicité, semble bien appartenir au
registre oral improvisé qui caractérise les Entretiens et non
pas refever d'une composition littéraire rigoureuse. ElIe est ré-
vélatrice en cela de 1'éclectisme de 1a production salésienne.
La vie de sainte Françoise offre un trait qui va être
davantage composé.
Et sainte Françoise, considerant un aggreable ruysseau
sur le rivage duquel e11e srestoit agenouillee pour
prier, fut ravie en extase, repétant plusieurs fois
ces paroles tout bellement : "la grace de mon Dieu
coule ainsy doucement et souefvement comme ce petit
ruysseau" (2) .
Le choix des adverbes, tout particulièrement ,,be11ement,,, ,,souef-

vementrr, rrdoucementrr, contribue à lrharmonie dtune phrase modeste


qui introduit 1e lecteur à une de ces correspondances subtiles et
toujours répétées qui unit 1a réaIité la plus simple de la nature
et Ia vie spirituelle drun croyant.
De manière moins édifiante sans doute, mais avec un
certain humour, François de SaLes dépeint encore dans la familia-
rité des Entre_tiens ce petit trait de 1a vie drune sainte pour
laque1le it a beaucoup d'estime, Mère Thérèse d'Avi1a. Il nous
présente ici, comme un exemple exagéré d'obéissance, une reli-
gieuse qui nravait pas bien saisi une directive de sa supérieu-
re.
Et Ia supérieure, à laquelle i1 prit une petite fan-
taisie (car i1 nrest pas merveille qu'eIIes en aient
quelques unes) tui répondit :
"AIlez mettre Ia tête dans un puits et vous lrenten-
drez". La filIe fut si prompte à obéir que la mère

( 1 ) Entnetiens L039, citant Catlrcnine de Sianne, le Dialqlue, c. lXlV


(2) Oe{nr€s III æ, citært And. Valladierr.rs, kESr. S. FTanc. Rcm., $ fnff
- 193 -

Thérèse dit euê, si on ne lravait arrêtée, eIle sral-


Iait jeter dans un puits (1).
Terminons avec un él-ément plus en marge de notre propos, mais
révélateur du goût pour les rel-iques que présentaient les Catho-
liques de r'époque et auquel ne sembre pas échapper François de
SaIes.
Celui-ci expédie, en effet, à une correspondante une illarme de
Vandosmeil en lui expliquant Ionguement qu'i1 s'agit drun peu
d'eau ayant touché de la terre sur 1aque11e, selon la tradition
du diocèse d'0rréans, tombèrent des larmes du christ. Mais sans
doute n'en est-il pas entièrement convaincu lui-même, car ir fi-
nit par conclure de 1a manière suivante :
Mais comme que ce soit, gardes cette représentation de
larmes comme un ménorial de celles de Nostre
. Seigneur... (2)

9g " g I " " f on_ s ur_ I _igeee_9g-f :9eg_!g!gl9,f 1.9,


Intimement 1iée à la thématique biblique, la symbolique
de I'eau comporte dans I'oeuvre saIésienne un choix éclectioue
qui répond pourtant à quelques idées forces assez const"nt"".
Dans 1e signe ambivalent de lreau, Ia connotation positive domine
largement, Lreau étant re prus souvent perçue comme un élément
positif. Certaines images, exprimant débordement et forces incon-
trô1ées, sont même attribuées à une miséricorde divine dont l'é-
coulement ressemble davantage à Ia course désordonnée du torrent
alpestre qu'à 1a sagesse thoniste du ruisseau bien canarisé.
Dans 1es références à lrEcriture I'auteur n'évoque pas toujours
l-es passages les plus attendus comme la traversée de 1a Mer Rouge,
étrangement absente, ou encore la figure de Jean-Baptiste et la
théophanie du baptême du christ au Jourdain. En revanche, r'épi-
sode de fa rencontre de Jésus et de ta Samaritaine dans I'E-=.g.1=
9g-g,ggl prend une importance considérabl-e et offre des développe-
ments souvent très élaborés. Ce passage est une catéchèse baptis-
mare et propose également une introduction à 1a théologie de
I'Esprit-Saint qui nrest pas sans intérêt du fait de Ia fonction

( 1 ) Enbetiens LO97, citant 1ïÉrèse d'Avila, Livre des fqrdatiss c. XV'I, cp. cit.
(2) Oeuvres )0( 3It
- r94

épiscopale de I'auteur. Egalement sans doute 1a popularité de la


figure de Ia Samaritaine et 1e fait que cet épisode apporte une
grande intensité de relation humaine ne sont-i1s pas étrangers au
choix de cette image.
Sous 1a plume salésienner lreau donne souvent une 1eçon de con-
fiance et de paix, alors que paradoxalement e11e parlera souvent
de tempête comme nous 1e verrons encore bien davantage dans no-
tre prochaine partie consacrée à 1a navigation. Pour François de
Sales, en effet, le calme nrest pas I'absence de combat mais son
dépassement.

Enfin, 1a contemplation de lreau rappelle ce miracle permanent

de la nature, mise devant les yeux du croyant afin d'être pour

lui Ie livre déchiffrable de la présence aimante de son Dieu.

Comment l-rhomme répond-il, en ce qui regarde l'éIément liquide à


I'injonction divine rapportée au Livre de 1a Genèse "soumettez 1a
terrett ?
Pour une bonne part, pâr 1a navigation et 1a pêche. L'affronte-
ment, 1a lutte contre des éléments qui débordent infiniment l-'hom-
me seront bien, avec ce thème de 1a navigation, lroccasion d'i1-
Iustrer Irhumaine destinée faite de luttes et de combats, mais
aussi tout entière orientée vers une fin que 1a foi du croyant
désignera avec certitude et confiance.
CeIa dit, notre dernière partie de cette étude de Ireau concerne-
ra donc 1'eau utile à Lthomme et sans douter les applications spi-
rituelles que ne manquera pas d'en faire François de Sales.

L22 Lreau utile à I'homme

L??!._Le_ngyisetf e!
122L1 La mer

La tradition biblique montre 1e plus souvent la mer de


manière négative. A 1a différence de certains peuples de L'anti-
quité comme les Phéniciens et les Grecs, Israël n'était pas un
peuple de marins. Bien loin de quelque invitation au voyage, 1e
sentiment dominant éprouvé devant Ia mer était celui drune puis-
sance formidable, indomptable, souvent terrible et menaçante.
fmage du péri1 mortel, elle est Ie lieu des puissances mauvaises
adverses de Yahweh sur raquelle 1e christ dans 1e Nouveau
- 195 -

Testament manifestera un pouvoir en forme d'exorcisme.


L'expérience qura François de Sales du milieu marin
n'est guère positive non p1us. En bon terrien, i1 se méfie intui-
tivement de cet éIément en mouvement perpétuel qui lui rappelle
1es mauvais souvenirs de certaines traversées agitées lors de
voyages italiens. L'une d'eI1es, au cours de Iaquerre il fairlit
perdre 1a vie, fe navire sur lequel i1 aurait dû prendre place
ayant fait naufrage sous ses yeux, est demeurée mémorable (1).
Pourtant, 1e thème de 1a ner prendra sous sa plume deux
significations bien différentes, lrune positive s'il insiste sur
son immensité qui lrouvre à f infini de Dieu, et lrautre négative
en regard de lragitation qurelle présente. La navigation bénéfi-
ciera de 1a première et aura à affronter 1a seconde.
Dans son caractère immense, Ia mer peut symboliser
l-r immensité de Dieu.
Je vous voy, o mon Dieu, des yeux de mon esprit, comme
une mer de perfections et un abisme de bonté qui non
seulement m'environne de tous costés... (Z)
ce thème sera développé avec quelques variantes
cette mer de perfections, cet abisme de bonté... (3)
en cette pleyne mer de charité... (4)
Agitée, redoutable et inquiétante, la mer peut figurer
pourtant un obstacle considérabIe, non pas sans doute infranchis-
sabfe mais redoutable, s'identifiant curieusement dans une situ-
ation précise, au passage à 1a rerigion réformée angricane de
I'un des prêtres du diocèse.
et maintenant le voyla séparé de tout le reste du
monde par Ia mer et de I'Eglise par le schisme de
lrerreur (5).
ce propos nrest pourtant pas désespéré, dans une autre rettre
iI fait ainsi état de Ia même situation :

(f ) Oeuvres )0OI 9l- (à Arpôme, ftalie en l-591)


(2) Oavres )0(lIl 194
(3) ibidsn
(4) id. )(tII &1
(s) id. )o( 383
- 196 -

Or sus, je ne desespere pas de le voir un jour repas-


ser la mer et venir au port, mais je pleure sur luy de
tout mon coeur (1).

Les images drune mer agitée sont fréquentes. François


de sales les mentionne soit en faisant appel à un exempre précis
soit de manière métaphorique (2).
Ltévocation du phénomène de 1a navigation peut renvoyer à un ré-
cit classique comme I'histoire du stoîcien Aulus GelLius terrori-
sé par la tempête et qui perd à cette occasion toute sa belte
sérénité philosophique comme 1e rapporte saint Augustin (3), épi-
sode dont François de SaIes profite pour exprimer une opinion peu
favorable à cette doctrine.
Mais fa prupart du temps, c'est à 1'expérience directe que se ré-
fère l'évêque de Genève qui laisse alors échapper quelque expres-
sion nous permettant de deviner son sentiment à ce sujet :
Et qui pourroit jamais égaler le bien, s'iI y en a
quelqu'un, de vivre entre les perilz, les tourmentes
continuelles, agitations et vicissitudes perpetueLles
quron souffre sur mer (4) .
Le choix des noms et surtout des épithètes en est suffisamment
é1oquent... car rien nrest bien attirant en cette navigation a-
gitée, si ce nrest sans doute re seul érément qui soit stable
crest-à-dire 1e ciel.
de tems en tems vous regarderes Dieu, comme font ceux
qui naviguent en mer lesquelz, pour al_1er a la terre
qurilz desirent, regardent plus en haut au ciel que
non pas en bas ou iIz voguent (5).
Nous percevons par cette identification combien tout naturelle-
ment 1a navigation sur une mer agitée va être pour r'évêque le
symbole par excel-Ience de 1a vie terrestre, tournée vers Ie
CieI, certes, mais non point exempte de ces tempêtes qu'i1 est

(1) Oetrvres )O( 387


(2) Iâ prédicatiur rs"r,s offre nÊmeurre sorte de proverbe d'æigine narseillaise atbibué par I'ar
tetlr à Saint Bernard nais qui nerrifestsrBnt ne se tuJve pas dans les oetnrres de ltillusbe cis-
tercien : tDe deuu<cents batæar-u<or galàes qui s'enbarquent a.r pæt de Ita15eille, il re s'en
perd pas u:e' dit-il, fiais cew qui s'enùarqtrcnt ar-rbe pæt co.urent gnard risqtre de se perdre".
cf. x 411_.
(3) Oeuvres W 31, citant Saint Aqgr.rstin Libn. qe Civit. 9 c 4 l*cctes Atbicae 1 )O( C l_
(a) Oeuvres ry l-S
(s) id. rrr 171
-197-

illusoire de vouloir esquiver. Les effets du maI de mer sont dé-


crits avec un réalisme qui ne sent pas encore Ia censure classi-
que .
L'agitation de la mer esmeut tellement toutes les hu-
meurs, que ceux qui entrent sur icelle pensans nt en
avoir point, ayant un peu vogué, connoissent bien
qurilz en sont pleins, par 1es convulsions e t v o mi s s e -
ments que ce bransle desrég1é leur excite (1)
Peut-on lutter contre de tefs malaises ? Lrauteur nous propose
une solution sans doute observée par lui-même mais qui selon ses
dires nrest pas entièrement satisfaisante.
Faittes comme ceux qui sentent les ennuis et desvoye-
mens drestomach sur la mer; car apres qurilz ont roulé
et feur esprit et leur cors par tout le navire pour
treuver allegement, i L zz v i e n n e n t enfin embrasser I'ar-
bre et 1e mat d'ice1uy, , €t 1e serrent estroittement
pour s'asseurer contre 1e tournoyement de teste qu'iIz
souffrent. Il est vray que I'allegement leur est court
et incertain (2);
ce passage, tiré d'une Iettre a une religieuse, est remarquable-
ment composé, montrant u n e f o i sS d e p l u s quel soin mettait
François de SaIes à rédiger sa correspondance privée. Lterrance
des malheureux passagers, leur misère à 1a fois moral-e et physi-
que trouve son dénouement dans ce geste désespéré autour du mat,
dépeint avec humour dans Ia petite réflexion de I'auteur sur 1a
brièveté de cet allègement. La pointe de cette évocation sera
d'inciter sa correspondante à agir de même avec l-a croix, , dans
des épreuves intérieures qu'e11e dut sans doute confier a

François de Sales.
La mer agitée ne doit point désespérer complètement celui qui est
embarqué. Le pire est peut-être passé et demeure toujours I'es-
poir d'une traversée plus sereine ensuite.
Seulement je vous prie de reprendre patience, oublier
les orages et les fIotz, et mesnager Ie reste de vostre
navigation tranquillement. Vous n'eustes jamais tant
de peine ni de mal de coeur que parmi ceste bourras-
que ; benissez Dieu, demeures humble et courageuse, et
ne vous lasses point de souffrir beaucoup (3).

( 1 ) Oeurres )III n
( 2 ) id. )cI 183
( 3 ) id. )o( 309
I98

Car, et nous retrouvons bien ici un thème cher à François de


Sa1es, f inquiétude est encore plus pernicieuse que tous les ma-
faises qui nous ont êté décrits avec réalisme. Une conversion
srimpose pour celui qui est embarqué: ce que François de Sales
appelle fa "direction d'intention", l'évocation du terme de 1a
traversée et du "pourquoi" de fa navigation redonnent courage au
malheureux passager. II en est de même dans la vie spiritueLle
où le regard vers Dieu remet en chemin. Cette idée est développée
ici largement dans une lettre en forme d'al1égorie.
Gardes bien de laysser convertir vostre soin en trou-
bl-ement et inquietude, €t toute embarquee que vous
estes sur Ies vagues et parmi les vens de plusieurs
tracas, regardes tous-jours au Ciel et dites a nostre
Seigneur: O Dieu, crest pour vous que je vogue et na-
vigue, soyez ma guide et mon nocher. Et puis consoles
vous, eu€ quand nous serons au port, les douceurs que
nous y aurons, effaceront les travaux pris pour y aI-
1er. Or, nous y allons parmi tous ces oragesr pourveu
que nous ayons 1e coeur droit, I'intention bonne, 1e
courage ferme, 1'oeil en Dieu et en luy toute nostre
fiance. Que si 1a force de la tempeste nous esmeut
quelquefois un peu I'estomach et nous fait un petit
tourner Ia teste, ne nous estonnons point, mays sou-
dain que nous pourrons, reprenons haleyne et nous ani-
mons a mieux faire (1).
La composition de ce passage témoigne d'une élaboration d'une
composition littéraire très poussée qui a intégré 1es différents
thèmes de 1a navigation et présente point par point un parallè1e
d'une grande cohérence avec 1a vie spirituelfe de la correspon-
dante de 1'auteur. La vie est cette traversée dont 1a mort, Per-
çue de manière positive et optimiste, est Ie port. Dieu est 1e
guide. La vie, rude parfois, est 1a mer agitée qui provoque bien
des travaux crest-à-dire des douleurs. Le mal de mer est un mal
de vivre qui nrest guère étonnant dans une telle situation mais
qui ne saurait être définitif.
De fait, 1e seul remède décisif pour lutter contre tant de désa-
gréments, est bien tout simplement de cesser 1a navigation' en
suivant ce conseil également plein drhumour :
Allons terre a terre, puisque 1a haute mer nous fait
tourner la teste et nous donne des convufsions (2).

(1) Oeuwes )(IV 3:Æ


(2) id. )cr æ5
r99

Sous 1a plume saIésienne nous trouverons encore un certain nom-


bre d'allusions à 1a mer agitée, non pas prises comme é1éments
de comparaison, mais directement au sens figuré.
AppeIé comme observateur lors du chapitre général des
religieux Célestins, 1'évêque ne qualifiera pas autrement les
difficultés que rencontre cet ordre.
La Congregation des Coelestins' agitee maintenant en
France de q u e l q u e contention espere q u e l - a v e n u e d e
son Abbé Général ( . . . ) calmera et accoysera a y s e m e nt
la petite mer ( . . . ) ( L )

Le tracas quotidien sera évoqué de Ia même nanière.


en 1a navigation que je fay sur Ia mer tempestueuse
de ce diocèse ( 2 )
Tracas qui en viendra parfois à être développé en une sorte dral-
1égorie lorsque lrauteur implore La prière d'une soeur
dont j'ay a Ia vérité bon besoin, pour estre embarqué
en I'endroit 1e plus tempestueux et tourmenté de toute
cette mer de 1'Eglise (3 ) ,

ou encore lorsqu'il confie à un nouveau confrère dans I'épiscopat


Ia difficulté de fa charge qu'il vient de recevoir :
et pleust a Dieu que nos ,charges, plus tempestueuses
que 1a mer, eussent aussi la propriété de 1a mer' de
faire jetter et vomir toutes fes mauvaises humeurs a
ceux qui s'y embarquent. Mais i1 n'en est pas ainsy;
car bien souvent nous nous embarquons et mettons voile
au vent estans tres cacochymes, et plus nous voguons
et avançons en Ia haute mer, plus nous acquerons de mau-
vaises humeurs (a).
Etrange manière de traduire la purification spirituelle à 1aquel-
1e est invité un nouvel évêque. . .
L'aspect prosalque de cette description srinspire des théories
médicales anciennes reLatives auxrrhumeursrret encore en vogue
à 1'époque.

(l-) Oeuvres )il-llI 255


(2) id. XII 38t. On bcuve anssi en )trII 236 lroçressicn rtqJbe la nrer des affaires ondinai-
rgsrr...

(3) id. )trI l-83. Centains &enorrents ù:anatiques viennent parfois r€ndre p}:s t'erilleusie encor\g
Ia siù.ratisr de l'évêqr.e qtri livre ceci dans me letbe à Jeryrre de Chantal sr 1@4 ' ruratte!'E
de pied coy une gratde tanpeste, ccnne je vors ry écrit ar ccmæcæernent, et po.r rur particulier,
mais joyeusenrent" XII 388 (antre alh:sicn sirnilaire : )flII L1)
(4) id. )trr l-88
- 200

Les évêques et ecclésiastiques n'ont du reste pas 1e monopole de


ces tempêtes gui peuvent se déchaîner également en de simples de-
meures comme ceIle de cette dévote dont 1e mari ombrageux ne to-
lérait pas ltassistance quotidienne à la Messe ( 1 ) . Ceci étant,
ces tempêtes extérieures sont interprétées de manière optimiste.
C'est bon signe que le diable face tant de bruit et de
tempestes autour de 1a volonté, crest signe qu'i1 n'est
pas dedans (2).
Du reste, assez êtrangement, I'optimisme saIésien pourra même a1-
ler plus loin encore:
Courage, ma fille! Ce vent de tempeste nous conduira
a bon port (3).
I1 demeure pourtant vrai que d'illustres exernples offrent un ca-
ractère bien désespérant, celui d'0rigène par exemple :
(...) Ce grand et valeureux nocher, apres tant de tem-
pestes passëes, apres tant de si riches traffiques
qu'il avoit fait avec les Hebreux, Arabes, Chaldéens,
Grecz et Latins revenant plein d'honneurs et de riches-
ses spirituelles, fayre naufrage et se perdre au port
de sa propre sépulture (4).
Mais cette métaphore filée Laisse place le plus souvent à 1a bel--
1e 1eçon detrconfiance de coeuril de la tempête apaisée (5) en
laquelre nous voyons 1e christ dompter les tempêtes de ra colè-
re (6), des tracas (7), et toutes sortes drépreuves (B) ; ou
bien encore 1'épisode de Jésus qui relève Pierre effrayé en train
de sombrer dans l-es eaux du lac (g)

L??L?_L:i n s t r u me$_fg9ig p e n s ab I e_è_fe_lgyfg elf e n_j__lg_!gu s s oI e

Pour affronter un élément aussi instable et inquiétant


que 1a mer agitée, i1 convient de srassurer des repères sûrs qui

(1) Oalrres ÆII 7n


(2) ibid. )flII l-O ; nÊre idée en nI 350
(3) id. )0s 1s2
(4) rd. r 53
(5) Mr 8, 24 q
(6) Oetrvres III L65
(7) id. )trrr æe
(8) id. r 206
)ff-I 78
(9) id. )ctrr l-93, cf. Mt L4, æ
20L

pourront assurer 1e navigateur de discerner sa route et 1e terme


de sa traversée. François de Sales avait déià mentionné Ie ciel
en sous-entendant sans doute ces étoiles que fes anciens marins
prenaient comme point fixe. Mais à f'ère des grandes découvertes,
crest bien 1a boussole qui a révolutionné I'art de la navigation
en permettant de dépasser un cabotage longtemps incertain et de
ne plus craindre les périls voilés par un ciel couvert qui empê-
chait tout relevé.
Le principe, faut-i1 1e rappeler, eD est d'une é1émentaire sim-
plicité. Sa dynamique est le signe immédiat' pour François de
Sales , drune réaIité spirituelle.
et thors, comme une eguille touchee par I'aymant, se
tourne et remeu vers 1e poIe... ainsy 1a volonté at-
teinte de lramour celeste s'eslance et porte en Dieu (1).
L'image élaborée et synthétique du Traité était préparée déià
par une évocation que nous rencontrons dans lrfntrodgg!fg!_è-fg
vie dévote. Drune manière sans doute plus poétique, I'aiguille
marine of fre une personnif ication, eIle rrregarderr le point car-
dinal, assimilé ici à 1'étoile qui marque sa direction.
Que 1e navire prenne telle route qu'on voudra, qu'iI
cingle au ponant ou levant, âu midi ou septentrion, et
quelque vent que ce soit qui 1e porte, jamais pourtant
son eguille marine ne regardera que sa belle estoile
et le pole (2).
Dieu est aussi cette belle étoile que désigne r'1a pointe de nos-
tres coeur" dont iI est question quelques lignes plus loin (3)

dans une métaphore filée.


Nous retrouvons presque mot pour mot l-a même figure dans une
Iettre adressée à Jeanne de Chantal (4) .

Quelle différence, encore une fois, avec 1e style encore rugueux,


I'inspiration polémique teintée d'un peu de pessimisme que nous
découvrons dans 1e texte suivant extrait des Controverses. Nous
n'en sommes pas encore à 1a sérénité de la navigation vers un
Dieu d'amour sur 1aque1le plus tard François de SaIes va insister'

(1) Oarres V 24
(2) id. rrr 317
(3) ibid€rn
(4) id. )ctv 112
202

mais bien à un naufrage dont il menace ses contradicteurs.


vous vogues donques ainsy, sans aiguille, bussore, et
timonr €n I'océan des opinions humaynes ; vous ne pou-
ves attendre autre qu'un miserabl.e naufrage. Ah, de
grace' pendant que ce jourd'hui dure, pendant que Dieu
vous presente 1'occasion jettes vous en I'esquif d'une
serieuse poenitence et venes vous rendre en Ltheureuse
navire, laquelle a plein voyle va surgir au port de
g1oire... (1)
Nous mesurons parfaitement ici re cheminement à la fois ritté-
raire et spirituel opéré par I'auteur en quelques années.

L221,3 Le but du vogage_: _1e_port

L'étude des images précédentes nravait pu faire autre-


ment que d'anticiper 1égèrement sur 1a présentation du but de
ra navigation: Ie port ou havre. Nous avons vu que ra naviga-
tion, même si e11e doit s'effectuer avec confiance, nrest jamais
tout à fait agréable et nous ne pouvons nous attendre de la part
de François de sales à des pages admiratives sur la navigation
elLe-même et à un engouement pour les traversées ter que notre
goût moderne 1ra développé (2). Le port est Ia seule raj_son
d'être, 1e sens de Ia navigation. Traditionnellement il symbolise
1a mort, 1a vie n'étant qurun passage, souvent agité. La mort
étant identifiée à 1a rencontre avec le Dieu d'amour, le port
parlera donc de bonheur et sera envisagé non pas avec crainte,
mais avec espoir (3). Lrimage antithétique sera le naufrage,
assimilé à la damnation, que nous exposerons plus roin. Du reste,
et dtune manière qui nrest sans doute pas absolument cohérente
avec 1a réarité, 1a boussole salésienne indique le port lui-même
comme étant 1e Nord, grâce au symbole de 1rétoile qui représente
Dieu. Employé dans ce sens, re thème du port apparaît une première

(1) Oe.rrrresI 342


(2) ... lilênesi centaines affaires positivement menées,dsrrerrt I'inpressim d'r-rrenavigaticn
Itvent en po.4)err,Cf. )e( 136.
(3) L'oraiscn fwèbûre ù Drc de lrhrcoer-urnecqæoseepa-ur êbe Aitée par lra.rta-r offle r-rr lcqg
Oeve lqs a can< qui rrcnt sur Ia nrer le lcqg de la rade et
terre à terre : iI lem est aÀris g,re les arbn€s les laissent en se r"eculant d'an<, et qr:e Ie
rnrri:ne dans lequel ils ssrt porbes est d: toit iflrpbile et sans ctr4ger de p'tace" (...) Cf.
Oeuwes \rII 4tr1. 'rla naladle est ta barque pcLr passen dans L'innrtalitér', ibid IIII 42g. Ol
encore : "il est p}:s difficile qu'trt flave passe par la rrcn sans se saler, que de dsrcurer en
Ia cor.ursans y ænenoe et pnattigrer des rper-rs co[Tcrrpues', ibid. \r[r 4L4.
-203-

fois dans I'Introduction à 1a vie dévote, complété par l'évoca-


tion de deux cordes qui tirent Ia petite barque' Philotée, vers
ce but: Iramour et 1a charité (1). Le Traité' à son tour' offre
une formule synthétique de cette représentation à lraide d'un
génitif d'identification : "au port de 1'éternellerr (2) et men-
tionne que certains êtres, dispensés drune navigation agitée,
'rarrivent au port sans navigation" (3). La correspondance revient
au moins neuf fois sur f image du port utilisée dans Ie même
sens, avec des nuances variables. Le Seigneur lui-même est iden-
tifié à ce port (4), qualifié d'agréable (5) et qui doit être
regardé perpétuellement parmi lrorage de la mer (6). fl est en-
core désigné comme 1e port de la paix (7),1e bon port par excel--
lence (8) atteint au terme drune navigation'ren humble pureté et
simplicité" (9) jusqu'au Paradis même.
Son évocation optimiste nrempêche pourtant pas François de Sales
de se laisser parfois aller à quelques paroles de découragement
qui nous ramènent aux images de tempêtes, lorsque Ies affaires
de son diocèse semblent inextricables et oue lui-même ne sait
plus y faire face.
Tantis enim fluctibus, in hac altitudine maris quatior,
ut vetustam multisque Iocis putrescentem navim, nulla-
tenus ad portum dirigere posse videar, timendumque sit
ne tempestas demergat me (1O).
A cette image traditionnelle de but ultime de lrexistence, I'ima-
ge du port voit parfois s'en superposer une autre qui n'apparaî-
tra sans doute pas absolument cohérente avec ce qui précède mais

(1)
(2) id. rv 189
(3) ibid. w 18r-
(4) id. )cr 331, )flrr 9
(s) id. )fir 1æ
(6) ibid. )rr æ.
(7) id. )Mr L61
(8) id. )0c 1æ
(9) id. )o( 203
(1O) id. )0(ff l-57. lbaÀdt ainsi ;r6uur cetbe haute nsr, en effet, je suis bathr par des vqgues si
violentes, qu'il ne serble irpæsible de csdirire enrpont na vieilLe barque en raint endroiE
vemrulue et qu'il est a cl:airÈe qæ la tspête ne nr-.sutuerge tt
- 204

qui montre bien que tout évêque qu'il était, François de Sales
n'en était pas moins sujet à des moments de découragement qui
sont bien 1e propre de Ia nature humaine. I1 écrit ici à un tout
nouvel évêque, son ancien condisciple monseigneur Fenouillet (1)
en 1e félicitant de
finir ses jours en nostre vocation ecclesiastique com-
me dans un havre de grace pour passer au havre de gloi-
re apres ceste si rude tempeste et lressay des plus
cruel-z orages du monde (2).
La vie religieuse des Visitandines sera également évoquée sous
1a même dénomination.
( . . . ) has Congregationes, quampLurimis virginibus vi-
duisque quas procellosis seculi fluctibus Spiritus
Sanctus eripere dignabitur, portum salutarem exhibitu-
ras, in eodem Spiritum confidentes (3) .
Crest du reste avec ce même terme que dans sa correspondance,
François de Sales rappelait à Jeanne de Chantal leur projet com-
mun.
nous voyci a Ia veille de nostre embarquement pour
aller au havre de grace et de consolation (4).
De manière sans doute plus traditionnelle, Ie navire figure dans
Ies Controverses 1a vraie Eglise qui surgira au port de 1a sainte
doctrine (5) : I'image demeure ici bien imparfaite et 1'évêque
se rendra vite compte que Ia doctrine catholique nrest pas, en
soi, le port et qurelle ne dispense pas des orages de 1a traver-
sée de la vie.
Toujours argumentant dans 1e même ouvrage, François de Sales en
parlant des diverses interprétations de ses contradicteurs,

(1) Pierre Fsrcuillet l-572-1653natif drArneqr fut Ie ccndisciple de Frarçois de Sales avant de
det/enir erès de rultiples péripeties ùæoine de la cattrâùrale de Genèveen o<il à Annecyen
1604. Ncnrnéal siège de lvlcnbeltien en L6C|./iI enbetint r-urecorrepandarae fcr-nrie avec l'ér€que
de Genèveqri sollicita enbre zubes chæes ssr avis s-r le Tïaité de l'arntn de Dieu :XV-l 26Èæ6
in H€rmequinJacq.rcs, Iæs cnaisss fr-rÈbnes drttenri r\/ ( ité de
Paris fV le l-4 nars 1975), Lille, senrice de rçnod:ctim des thèes, 1978, Torc II, p. 27 .
Calvet (lt'lgr J), Ia litténaù-ure religiæse de FYançois de Sales à Fénelcn, Paris, de Gigond, 1938,
p. 53$54o
(2) Oetnres X.IÆIIzu
(3) id. )0$/ 5Ol-.lbad.rit airsi : (...)"e.ssr-rés dans Ie Saint Eænit que ces Cc4gÉgatiurs fcr-u:-
niront un porb de salut a de rrcnùransesveu\fes et vierges que Ie rÊmeEspnit Oaignera arracher
a-ucflots terpêUæu( ùr siècle "
(a) OeuvresXil æ9
(s) id. r 31-4
205

mentionnera 1e navire du Saint Esprit qui est 1e seul à "prendre


portrr, les autres courant au naufrage. Dans une lettre de même
inspiration, 1'abjuration protestante empruntera encore cette
image maritime qui devient presque un cliché.
in_commulfenis_9g!!gffgge_portum_regrprgn! (1) .
Dans I'introduction au Code Fabrien, François de SaIes qualifie

cette fois saint Jérôme comme étant un'rport très sûr de 1a com-
munion catholique" (2): Nous trouvons encore 1e port présenté de
manière la plus généraIe qui soit dans une lettre de François de
Sa1es à son Duc où le port ne recouvre plus que les états de
Savoie eux-mêmes.
en fin s'est retiré comme au port, dans l-es estatz de
Vostre Altesse (3).
Ce port ne devait pourtant pas être un lieu de sérénité absolue
si I'on en croit certaines confidences quelque peu désabusées de
I'Evêque qui eut plus drune fois à se plaindre, comme nous I'a-
vons VUr de I'agitation extrême de ses affaires temporelles et
spirituelLes.
Lrexpression générale "conduire une affaire à bon port" (4) se
trouve également sous 1a plume salésienne mais sans doute peut-
on déjà parler à son sujet de métaphore l-exicalisée.

L??!.!_\gge I le_e!_nauf rage s

La traversée mouvementée doit aboutir au port, du moins


est-ce 1à son but, et le désir de celui qui I'entreprend. Mais
bien des dangers menacent Ie navigateur qui ne sont pas seulement
figurés par la rner agitée et les désagréments physiques qui peu-
vent être ressentis. Les écueils sont 1à qui guettent les navires
et tout drabord Ie plus fameux d'entre eux mais aussi Le plus
plaisamment décrit: Le roc nu de ScylIa qui surplombe 1e gouffre
de Charybde.
Le peintre Androcides 1e tesmoigna ayant a peindre les

( 1 ) Oeures )gI 233. lbad.rit ainsi : ... rrrarrcnê a.r pont de Ia ænrr-rricn catfoliqte[
( 2 ) id. )0Grï 148
( 3 ) id. )ofi 128
(4) id. XV-III 386
-206-

fameux escueils de Sylle et Caribde, car i1 employa


tout son art a representer au naturel, apres 1e vif,
les poissons autour de ces bancz, par ce quil estoit
fort friand, et le reste il peignit fort grossiere-
ment (1).
Le naufrage existe pourtant beI et bien, dont p ers onne n'est
vraiment exempt, comme Ie rappell-e ce passage du Traité qui ré-
vè1e une grande Iucidité spirituel-Ie.
qui sera asseuré de conserver 1'amour sacré en cette
navigation d e l a v i e m o r t e l 1 e , puisquren Ia terre et
au ciel t a n t d e p e r s o n n e s d ' i n c o m p a r a b l e d ignité ont
fait de si cruelz naufrages ! (2)
Naufrage drune mort subite mais surtout de 1a damnation sur 1a-
quelle François de Sales insistera p€u, préférant toujours Ia
prédication positive au développement de thèmes propres à provo-
quer lreffroi chez ses auditeurs. Sans aller jusqurà cette évo-
cation ultime, 1e terme de naufrage peut être employé dans fe
sens de désastre, comme celui qui désigne I'action dommageable
de Jeanne de Chantal qui crut bon de brû1er toutes ses lettres
à 1'occasion drune maladie qu'eIle estimait devoir lui être fa-
tale (3). Nous remarquerons que lridée du naufrage n'est guère
fréquente sous la plume salésienne par rapport aux nombreuses
images d'arrivée au port qui nous ont êtê esquissées. Dans 1e
choix même des illustrations de ses propos, 1a doctrine optimiste
de 1'évêque de Genève apparaît avec une grande netteté. Nous
trouvons même une sorte de naufrage qui pourrait être positif en
tant qu'i1 traduit une situation de dépouillement favorable à
I'avancée spirituell.e de l-a Visitation.
Il sragit de la contestation entre les monastères de Moulins et
de Nevers sur Irutilisation drune somme importante de miIIe écus,
-f I équivalent du revenu annuel de 1a mense épiscopale, semble-
t-i1,- François de Sales confie alors à Jeanne de Chantal
mille escus que je voudrois plutost estre au fons de
Ia mer quren I'esprit de ces filles (4).

( 1 ) Oeuvres )Æ{'II47, citryrt P}:tarc., qraest ccrnrival, 1. W


( 2 ) id. rv 216
( 3 ) id. )tr\/ l_31
(4) id. )0( 35t
-207-

Mais sans doute faut-iI voir 1à également une allusion à 1a pa-


role de lrEvangile qui indique que celui qui est cause de scan-
dale aurait un sort préférabIe s'iL était précipité à l-a mer
avec une meule autour du cou (1).

I22L5 Q u e1 _ n a v l r g _ p o u r _ 1 a t r a v e r s é e de La vie ?

L'image 1a plus usitée pour qualifier I'embarcation


qui permettra de faire 1a traversée de 1a vie est pour François
de Sales 1a barque. Sans doute cette image est-elle influencée
par plusieurs choses : Ia réa1ité de Ia situation annécienne qui
voit surtout ce genre drembarcations sur son lac contrairement
au Rhône et aux lacs plus grands qui autorisent f'utilisation
de navires plus importants. L'idée de traversée sur une barque
peut également offrir quelque réminiscence mythologique avec la
figure du passeur Charon. De plus, et lron en conviendra sûre-
ment, I'image se rapporte parfaitement à I'humilité de 1a pro-
pre condition de lrauteur.
Enfin, lrimage de 1a barque sera riche de références évangéliques.
En effet, Iorsque, François de Sales se voit proposer de devenir
évêque coadjuteur de Paris, i1 confie à un confrère dans 1'épis-
copat, monseigneur Fenouillet :
Pour I'honneur que sa majesté me fait, je f'admire
drautant plus que je ne vois rien en moy qui nren soit
extremement indigne, et ne doute point que vostre bien-
veillance en mon endroit et celle de nostre amy ne
soyent fe seul vent qui enfle 1a voyle de ma barque
pour 1a porter en cette haute mer, en laquelle si Dieu
me fait passer, ce ne sera pas sans un grand danger
puisqu'e11e nrest pas pour Les eaux salees de I'océan,
mais pour nos petitz lacs d'eau douce (2).
Assurément, I'allégorie n'est pas tout à fait cohérente, -et
François de SaIes nren est pas dupe lui-même-, dans 1a mesure
où Paris ne se trouve pas au bord des eaux salées. Crest proba-
bLement 1'agitation parisienne qui est visée avec son efferves-
cence prévisib1e, bien plus considérabIe encore que Ies troubles
annéciens, à moins que I'évêque ne présente ici une fine aLlu-
sion au navire emblématique de 1a capitale. Sans doute aurait-i1

( 1 ) Lc, L7, 2
( 2 ) Oe.vres Æl 24
-208-

été prêt à obéir pourtant à une requête flatteuse de Ia France

eui, cependant, ne se concrétisa jamais (1). I1 suivit pourtant,


et on peut 1e penser, secrètement ravi, ce conseil qu'i1 donnait
souvent à des correspondants pour lesquels i1 voulait corriger
f instabilité:
Il faut que I'on demeure en la barque en laquelle on
est, pour faire 1e trajet de cette vie a Irautre, et
quron y demeure volontier et amiablement (2) '
sa barque sera donc toujours cette petite cité dtAnnecy,
ou j'ay appris a me plaire, puisque c'est 1a barque
dans laque1le il faut que je vogue pour passer de cette
vie a I'autre (3).
et surtout sa nission épiscopale, sur 1aque1le il ne se fait pas
beaucoup d'if l-usions
Si che io mi vidi Vescovo di Ginevra in un momento, câ-
ricato della condotta di questa miserabile barca, tutta
fracassata et dentro aperta... (4)
confie-t-iI à son ancien maître et directeur spirituel, 1e Père
Possevin de Ia compagnie de Jésus. I1 sait donc de quoi i1 parle
lorsqu'i1 s'agit des tracas d'une traversée difficile dont cer-
tains inconvénients pourtant pourraient parfois être évités
il est aysé de conduire 1a barque quand e11e n'est
point pressee de vens et de passer une vie qui est
exempte d'affaires ; mais parmi les tracas des proces,
comme p a r m i les v e n s , il difficile de tenir Ie che-
min ( 5 ) .
Pour Ies religieuses de 1a Visitation auxquelles i1 sradresse
dans les Entretiens, la barque qualifiera tout naturellement Ieur
propre institut, lieu dans Iequel Dieu les a conduites précisé-
ment I'en barque" (6 ) .
Puisque nostre Seigneur a voulu que ce fût notre patrie

(1) Ccmneil le cqrfie dans r-ureletbe qr:'iI adresse àM. des llryes o) il irdiq:e que scn Énrcur
po-r la Savoie "ne sça-uroit (f ')enpeschende (s')ortarquen a @rt ar.rbe senrice ou (iI) panseroit
esbe plr.rs utile a Ia gloire divjne et an bien de I'Eglise, puisqr.rede (scn) @tsrc et par vo-
catisr (if est) cssacre a cela". Oeuvr^esEV L0.
(2) Oewres )ff-II 370
(3) id. )clrr 324
(4) ibid. )CIII 1æ. lbad:it ainsi : "Je rnevis dcnc tort d'r.n cop &êque de @ve, avec le de
rroir de csrduire cette barque rnisérable, tcute ffacassee et enb'ql,terte'r.
(s) id. )(\rrr 363
(6) Enù.etiers l-326
209

et notre barque, et que notre coeur fût marié à cet


Institut (1).
Dans une lettre à Jeanne de Chantal, François de SaIes renforce-
ra encore 1a valeur de cette image en identifiant fa barque en
laque11e chacun est installé à cell-e de 1'épisode évangélique de
1a tempête apaisée.
arrestés vous en la barque ou je vous ay embarquée,
êt, vienne ltorage et 1a tempeste, vive Jesus, vous
ne perires point (2) .
Dans le même ordre de grandeur, la naceLle apparaÎt plusieurs
fois, dans Ies Controverses, nacelle de lrEglise dont Pierre est
1e patron, nacelle qui sait ses faiblesses et sa petitesse et ne
saurait s'exposer à des tempêtes qui I'engloutiraient (3) .
Ceci étant, François de Sales nous montre également des navires
de tailIe plus considérabl-e dont il détailIe certains aspects
mais en présentant une diversité de sens importante. I1 eut I'oc-
casion drobserver directement certains drentre eux, et de les
décrire de manière tout à fait concrète:
certes, asses entre sur l-a mer qui entre dans un vays-
seau qui est a I'emboucheure du Rosne, prest a singler
et faire voyle ( ).
Lrinsistance porte ici sur Iraction imminente du navire et re-
présente la très prochaine reconnaissance par Rome de IaVisitation.
L'évocation des grands voiliers à I'appareillage inspire encore
visiblement 1'évêque lorsqu'il écrit à Monseigneur Fremyot :
Or maintenant, il faut voir les choses qui vont plus
viste par dilatation, et vous en treuveres quelques
unes, comme les navires quand 1e vent estend leurs
voisles. Les navires donques qui chomment au port, si
tost que le vent propice les saysit aux voiles et
qu'il les emplit et fait enfler, el1es singlent. Et
certes, ainsy 1e peuple. Lhors que 1e vent favorable
du Saint Esprit entre dans nostre coeur, nostre ame
court et single dans 1a mer des commandemens (5).
L'a11égorie de ce grand voilier offre une image éminemment posi-
tive sans aucune allusion à une éventuelle tempête. Elle rappelLe

( 1 ) Enbetiers 101-0
( 2 ) Oeurres )CIII 21-1-,Cf. Irft 8, 24
( 3 ) id. )f, 179
(4) id. )il-rrr 249
(s)id. )cr 315
2ro

tout 1e passage des oiseaux apodes qui sont saisis aux ailes par
1e vent; lremploi du vocabulaire en est ici assez semblable et
sans doute est-ce davantage 1a dynamique du mouvement qui est
recherchée que 1e thème lui-même de Ia navigation.
La navigation d'un grand vaisseau permettra encore 1a mention du
sentiment de confiance que le croyant peut avoir lorsqu'i1 se
fie à son Dieu, image probablement moins risquée que celle de
la fragile petite barque toujours menacée.
Nrayes point s o i n d e v o u s m e s m e ,n o n p l u s q u r u n v o y a -
geur qui srest embarqué de bonne foy sur un navire,
qui ne prend garde qu'a se tenir et vivre dans ice-
1uy, Iaissant le soin de prendre 1e vent, tendre les
voiles et faire voguer, au pilote sous la conduite du-
quel iI srest mis (1)
hors de tout contexte, une telle citation paraîtra sans doute
grandement drinspiration "quiétiste" (2) et il serait dommagea-
ble de ne pas la resituer au milieu de très nombreuses autres
images qui nous parlent de tempêtes et de luttes dans certaines
traversées. La mort de 1a vofonté exprimée de 1a même manière
dans le
sommet du lfg:lg (3) comme dans fgg_Eglfetiens (4) se

conquiert au terme drune l-utte, du combat spirituel qui jour


après jour, donne au croyant de faire davantage colncider son
propre vouloir avec cefui de son Dieu pour ne plus en faire qu'un
seul. Elte préparera 1e grand départ de 1a mort, cette I'heure de

faire voyle" qui sera 1e temps de la rencontre définitive (5).

Du reste, François de SaIes recommande I'humilité et le discer-


nement pour juger d'une te]1e progression spirituelle, utilisant
pour ce faire Ie même thème de 1a navigation.
Nous ne connaitrons jamais notre propre perfection,
car iI nous arrive comme à ceux qui naviguent sur mer ;

(1) Oetrrrres)|XJ.{L24L
(2) Le r€procle de quiétisre fait à certains ccr.rants de la Visitaticn tels les écrits Wiri-
ùæls de Ia }Ièlre llarie de sales, vise une attih.de passirre qui attenùait tolb de Dieu et rreftr
serait de cocpénenar ùnarÉsre de la grâce. Cette attib:de re tânoigre g:e d'r-rre lecb,re font
irccnpfète des écrits salésiers, 1' j:rqge ser.rle des oisean< 4odes dâ/el@ée plr.s loin offlant
ur dÉrrerrti absolu à cette ccnceptian.
(3) oeuvres V LS sg
(a) nnuetiens fozs
(5) Oeuvres)41I272
ibid. xn n4
2TL

ils ne savent pas s'ils avancent, mais le maître


pilote, qui sait 1'art de naviguer, 1e connaît. Ainsi
nous ne pouvons juger de notre avancement, mais oui
bien de celui d'autrui (1) .
Si tout du moins i] est bien difficile de mesurer ainsi le che-
min, iI reste toujours que 1a navigation est obligatoire (2).
Après Ia présentation d'une image d'importance, les
autres utilisations et interprétations qui en sont faites, parais-
sent souvent ternes. C'est bien Le cas des autres évocations de
grands navires, aux sens bien dispersés et beaucoup moins riches:
I'épisode emprunté à Pline de fa vie d'Alexandre, cinglant en
haute mer et qui découvre lrArabie heureuse à Irodeur qui en éma-
D€ r sera Lroccasion drun paral1è1e avec un certain ttpressentiment

du ciel" (3).
0u encore un passage du lfg1!É qui nous rapporte lraventure arri-
vée à un navire chargé de fer attiré par "Ia montagne de I'ay-
manttr, image que nous ne retiendrons pas pour 1e moment car nous
retrouvons ce thème dans notre étude sur les phénomènes physi-
ques (4).
Le transbordement dtun navire à un autre, renvoie, dans les
Controverses, aux changements d'opinion perpétuels (5), ce dont
François de Sales profite pour égratigner un peu au passage Ie
poète Marot qu'iI n'apprécie guère (6) .
Le grand navire prêt à appareiller donnera encore une intéressan-
te image du monde qui attend un jeune gentilhomme et qui n'est
autre que CeIse-Benigne de Chantal sur 1e point de se rendre pour
Ia première fois en Ia cour de France.
En fin donq vous alles faire voyle et prendre 1a haute
mer du monde en ]a cour (7)

(1) Enbetiens 1042


(2) Oeuvres XII 2]-6
(3) id. )CtI 331, citant PfirE, Hist. I,lat., l- )ClI, c. )OII, mârEréfér€rEe dans Oerres III32
(4) Oetnres V 11
(s) id. r æ
(6) t€s diver"s r€virEnpnts religieu< ù poète, lros:vne de b:adrctior des psarps qu'i1 accurr
plit po-n Ia Réforne, le rendent sr.rryect a.r ja.rre et zÉlê prâôt è Genève. Ce jugerrerrt abrupt
ttptivé par les circmstances polâniqres de I'fucpée ctrablaisiewre n'est pas recqrd.rit dærs le
neste de lroetnne.
(7) OeurrresXfV 376
- 2r2

Cette métaphore sera filée sur plusieurs pages prodiguant des


conseils divers comme celui de ne pas srembarquer parmi les
amourettes ( l-) et se terminant en forme d'aI1égorie par une re-
prise de lrimage du départ.
Vous alles prendre 1a haute mer du monde, R€ changés
pas pour cela de patron, ni de mat, ni de voyle, ni
d'ancre, ni de vent. Ayés tous-jours Jésus-Christ comme
patron, sa Croix pour arbre sur lequel vous estendies
vos resolutions en guise de voyle ; vostre ancre soit
une profonde confiance en luy et affés a Ia bonne heure.
Veuille a jamais 1e vent propice des inspirations ce-
lestes enffer de plus en plus les voyles de vostre
vaysseau et vous faire heureusement surgir au port de
1a sainte éternité, que si bon coeur vous souhaite sans
cesse (2).
L'aI1égorie rappellera sans doute 1'énumération paulinienne de

I'équipement spirituel du chrétien calquée sur la panoplie mili-

taire (3) dans une application maritime qui allie p lus i eurs des

sens que nous avions discernés : Ia dynamique du voilier prêt à


appareiller, 1a traversée agitée mais poussée par 1e souffle de
l-'Esprit-Saint et 1e but ultime du port de lrEternité.

L22L6 Les marins

François de SaIes, dans ses évocations maritimes ne se


contente pas de mentionner seulement les embarcations ou 1a na-
vigation elle-même. A plusieurs reprises, i1 nous décrit Les ma-
rins à I'oeuvre.
A cet égard, nous pouvons trouver une première occuren-
cer sans doute observée directement par I'auteur, gui donne pro-
bablement une petite idée des exigences faites aux marins de
f'époque. Ce trait familier se trouve dans 1e langage simple des
Entretiens.
Quand nous sommes a ramer, iI Ie faut faire par mesu-
re ; ceux qui rament sur mer ne sont pas battus pour
ramer un peu lâchement, mais oui bien s'ils ne donnent
pas des coups de rame en mesure. De même Iron doit tâ-
cher d'élever Ies Novices toutes également (4).

(l-) Oeuvres)tV 378


(2) ibid. )fiv 381_
( 3 ) Ep 6, lo41
(4) Enbetiens l-l-@
2L3

Cependant, François de SaIes Ie constate' pour un marin, l-a mer


est toute sa vie. Crest bien 1à un choix définitif que l-a mort
même ne démentira pas. Cette rapide comparaison avec Ia situa-
tion d'une pénitente procédurière présente une formule ellypti-
que pleine d'humanité.
Ma filIe, ceux qui vivent sur 1a mer, meurent sur 1a
mer:je n'ay guere veu de gens embarqués dans les pro-
cés, qui ne meurent dans cet embarras ( r ) .
MaIgr é un destin qui semble tout tracé, 1e marin aime son navire
c omme I'atteste ce petit trait des Entretiens croqué également
sur 1e vif :
et chaque nocher chérit plus 1e vaisseau dans lequel
i1 vogue que Ies autres , guoique plus riches et mieux
fournis (2).
Cet amour de leur profession ne les dispense pas pour autant
drune compétence que lrauteur leur reconnaît, compétence qui
srexerce bien au delà de 1a simple apparence qui ferait espérer
à un passager novice une navigation sans histoire.
Tout ainsy que Ies nochers qui partent sous un vent
favorable en u n e sayson p r o p i c e , n ' o u b l i e nt pourtant
jamais les cordages ancres et autres choses requises
en tems de fortune et parmi 1a tempeste, aussi quoy
que le serviteur de Dieu j o u i s s e d u r e p o s et de la
douceur du Saint A m o u r , i 1 n e d o i t j a m a i s e stre depour-
vu de 1a crainte du jugement divin, pour sren servir
entre Ies assautz et orages de la tentation (3).
Cette compétence s'applique encore dans 1e domaine de Irobserva-
tion. François de Sales établit un parallèle entre Ia situation
dtun passager qui nra drautre souci, comme nous Iravions VU, que
de se laisser porter par I'embarcation et les nautonniers
gui, voyant tous jours 1a beIle estoille, savent qu'iIz
sont en bonne voie et disent aux autres qui sont en
1a barque : Courage, vous estes en bon chemin (4) .
Ce savoir-faire nous introduit sans doute au rô1e tout particu-
lier du maître-pilote du navire qui est tout spéciafement

(l-) Oarra:esW 2Æ
(2) Enbetiens l-@9
(3) OetrwesV æ9. Cette ccrmaisstrrce ccncerne éga1errentles canditicrs rnéùéor"ologiquesde Ia næ
vigatio:, qrd pernettent à des rerins oçériJrentés de re pas se fier à cerbairs petits vents ræ
tina-D< et c4nician< qui re pernettent pas d'epparreiller, Cf. htetiens L08
(4) Entr€tiens 118O
2t4

responsable de sa bonne marche. L'auteur esquisse une courte


fable mettant en scène un maître-pilote au comportement aberrant,
ce qui Iui permet de proposer un parallè1e avec 1a situation
d'une religieuse qui, s'étant initiée à sa vocation avec sérieux,
désirerait ensuite quitter son ordre.
Que serait ceIa, sinon faire comme un maître-pilote
eui, a y a n t a m e n é s a b a r q u e a u port après avoir Iongue-
ment et fort péniblement travaillé pour 1a sauver des
péri1s de fa tourmente, voudrait enfin, étant parvenu
au bord, rompre son navire et se jeter lui-même dans
La mer ? Ne Ie jugerait-on pas bien foL ? Car s'il vou-
lait faire cela, il ne devait pas tant travailler pour
arnener sa barque au port ( 1) .
cette incompréhensibre folie serait sans doute à mettre en rap-
port avec 1a lâcheté de cerui qui abandonne son navire alors
gu'i1 avait précisément mission de fe conserver, comme Ie montre
une audacieuse identification composée par 1révêque dans une
lettre au Duc de Nemours dont i1 n'apprécie pas particulièrement
fes intrigues et 1e manque de courage à assumer ses actes (2).

L22L7 La flotte

Dans cette deuxième génération de Ia Renaissance, Ies


grandes découvertes ont pris une importance terre, que lron pour-
rait attendre sous 1a prume épiscopale plus d'une aLlusion à ces
grandes flottes qui ramenaient tant de merveilleuses cargaisons
du Nouveau Monde.
Est-ce du fait de fa situation de la savoie ? Toujours est-ir
qutune seule aLlusion mentionne cet engouement pourtant considé-
rable, sous ra forme d'une expression qui semble stéréotypée :
Or en fin, ma tres chere fiIIe, hier voyci un pacquet
qui m'arrive, comm'une flotte des Indes, riche de let-
tres et de chansons spirituelles (3).

1.??19_!e_nayfge!i on_per s9gg9lfg-gg_I_eg!egr_sgr_le_Ieg :


Nous avons compris gue François de Sal-es est bien loin
de se poser en hardi navigateur. Pourtant plusieurs traits nous

( 1 ) Enbetiens Ll-65
( 2 ) Oeuvres )UI 256
(3) id. )rII 260
- 2L5 -

livrent sa propre pratique de la navigation, non plus observée


en spectateur mais vécue directement par lui.
Sur 1e grand Iac Léman, tout dtabord. Il confie à
Jeanne de Chantal ses impressions quelque peu inquiètes en Ies
transformant en une expérience spirituell-e d'une grande délica-
tesse.
Hier, j'a1lay sur le lac en une petite barquette pour
visiter Monsieur LrArchevesque de Vienne, et j 'estois
bien ayse de nravoir point drappuy qu'un ais de trois
doigtz sur Iequel je me peusse asseurer, sinon 1a Sain-
te Providence; et si; j'estois encor bien ayse d'estre
1a sous f'obeissance du nocher, eui nous faysoit as-
seoir et tenir ferme sans remuer, comme bon luy sem-
bloit : et vrayment je ne me remuay point (1).
Cette situation évoque immédiatement pour Iui un épisode hagio-
graphique traditionnel (2), lrexpérience humaine étant toujours
intimement 1iée c}:,ez lrauteur à I'expérience spirituelle.
Je me resouvins hier de sainte Marthe, exposee dans
une petite barque avec Magdeleine; Dieu luy servit
de pilote pour 1a faire aborder en nostre France (3).
La navigation sur 1e lac d'Annecy habituellement moins périlleux
est rapportée en deux occasions: une fois lorsque ltévêque se
rend au monastère de Talloires, et en ce cas la tempête sera da-
vantage dans cette communauté monastique que sur l-e 1ac lui-
même (4), et une autre fois avec Jeanne de Chantaf pour afler
rendre visite à des amis (5). Ces deux épisodes ne donnent pas
1'occasion d'un développement spirituel particulier.

r se! r e!-Ilgvle]s -e!-pÊ gls


1.331.9-Iey
François de SaIes nous Iivre également quelques impres-
sions à propos de la navigation sur les rivières moins périlleuse
et très fréquente à son époque. Cette navigation était une néces-
sité pour se rendre d'une rive à Irautre en I'absence de pont (6)

( 1 ) og.r/res ÆII æ7
(2) ibidsn æ8. I€ débarquermrt des "saintes fsfiflss" a-u< Saintes Marie de la ttbn po.n âra4géIiser
la Ganrle,selsr une baditim.
( 3 ) Oavres )(tII æ8
(4) id. )ff'rrr æ0
( 5 ) id. )ff-r l_88
(6) Enbetierc 1Ol-2
2L6

et en même temps peut figurer 1e passage iné1uctab1e de la mort.


Il arrive pourtant que des ponts équipent les grandes cités,
comme à Paris, ce qui donne lieu à une métaphore :
cet arc du pont celeste sous lequel le fleuve des
mutations de ce monde passe ' qui s'appelle vanité (1) .

Cette courte allusion est extraite du règlement estudiantin de


Paris et semble très inspiré par I'esthétique baroque de l'eau
en mouvement que nous retrouverons moins fréquemment par 1a sui-
te.
Ceci étant, 1a navigation sur rivière procure d'heureux moments,
même si 1a première impression en est quelque peu surprenante :
comme ceux qui naviguent le long de Ia rive voient,
ce feur semble, l e s a r b r e s e t t o u r s s e r e m u e r (2).
Dans une missive en italien datée de 1618, François de Sales dé-
taille les heureux moments d'une teIle navigation i
'tE 1i cinque giorni di navigatione ho havuto tempo di
godere Ia presenza del Serenissimo Cardinale, non sen-
za parlare di moltissime cose buone ; e due volte iL
giorno Sua ALtezza Iegeva libri francesi per andar di
più in più imparando 1a Iingua et 1e cose di questo
Regno. Et anco a1le volte vogava et mi faceva vogare
con lei, pensando al principio che io non sapessi
quellrarte, neIla quale tutta via s'è trovato che io
era dottore" (3).
Ce moyen de Iocomotion sera du reste également utilisé par les
premières Visitandines dans les périgrinations nombreuses qu'exi-
geaient Ies multiples demandes de fondations qui émanaient de
toutes les régions de France et de Savoie. L'auteur précise à
Jeanne de Chantalr gui s'en faisait sans doute un point de scru-
pule, quren
ce cas il faut considérer la barque sur l-reau comme
un rrmonastère portatif" (4), ce qui ne nuit en rien à frexigence
de Ia c1ôture rnonastioue.

(1) Oeuyres)OGI l-2


(2) id. r 331
(3) id. )ff-III 307. lbaduit ainsi : 'rPendant les cirq jo.rs de n€MigatioNl, j'ai pr: à loisir jo-rir
de Ia présence ùr sérénissùrc Cardinal, rsr sans parlen de beaæop de bcrrres dræes. Der-u< fois
pan jo-r, San A1tæsselisait des lirrres ffaçais po-uranendne de p}:s en plus Ja langue et
s'initier a-u<affai::es fu royanre. Parfois nÊfireelIe ranait et ne faisait ranrer arrec elle, par
sant drabord que je rE savais pas cet art, dans leçe1 pctr.tat if s'est trcuv,é q.re j'étais
déjà passé dæteur't.
(a) OeurresW.87
-2L7-

!e-p ê c h e
Une des fins de 1a navigation est sans doute la pêche
qui comporte de plus I'intérêt de nombreux rapprochements avec
1e Nouveau Testament. Ne voulant pas anticiper sur 1'étude du
bestiaire qui fera état des diverses espèces de poissons évoquées
à cette occasion, nous ne rel-èverons que deux expressions men-
tionnant cet art tout en remarquant sa rareté dans la thématique
sal-ésienne. Une première aLlusion comprend un caractère littérai-
re et traite de 1a lecture de certains romans contemporains
et ilz aval-eroyent insensiblement I'aggreable hameçon
qui 1es tireroit de 1a mer du peché dans la nacelle
de la vertu (1).
François de SaIes veut parler ici des romans pastoraux et sur-
tout moraux comme ceux de son ami et voisin Monseigneur Camus
avec lequeI i1 entretenait des contacts fréquents.
Par ailIeurs, Ie verbe pescher présente une homophonie intéres-
sante avec 1'état peccamineux. Jouant sur fe sens, François de
SaIes présente ainsi une réflexion sur le défaut d'inquiétude
IequeI fait alhors toutes sortes d'effortz pour pes-
cher, comme I'on dit, en eau trouble (2).
Cette expression se retrouvera en une autre occurrence (3).

Conclusion sur I a_nav iggligg

Tout récit de navigation est, pour finir, 1e récit


drune crainte surmontée. Dans sa présentation de la navigation,
François de Sales n'élabore pas quelque philosophie du voyage
à la manière de Montaigne. ses impressions, si elles ont 1e ton
de I'expérience vécue, ne veulent attester qu'une seule chose :
lraventure intérieure, seule, est chemin vers son Dieu.
En interrogeant sa mémoire et en scrutant Ies Ecri-
tures, I'auteur propose ainsi une superposition qui pour l_ui est
capable de définir I'essentiel de lraventure humaine, sa desti-
née, son but. Sa mémoire lui parle de tempêtes, au sens strict:
lors d'un retour mouvementé d'rtalie, arors que les routes peu

( 1 ) Oeurres)0( A9
(2) id. rrr 3l_l_
( 3 ) id. )0flII 226
2L8

sûres étaient infestées de brigands, un premier naufrage faillit


lui être fatal à Venise. A peine remis de ses émotions, iI voit
sombrer au large d'Ancôme Le navire auquel- une grande dame napo-
litaine venait de lui interdire 1'accès. Ce nrest que partie re-
mise ; à peine est-i1 embarqué sur un autre navire qurune tempê-
te effroyabLe lui vaut l-es invectives d'un capitaine superstitieux
uIcéré de voir ses passagers se mettre en prière... Ces é1éments
anecdotiques ne sont pas tout. Le monde entier lui paraît être
entré en tempête. Un nonde vertigineux et frénétique au coeur
duquel 1a cour présente un risque réeI d'engloutissement spiri-
tuef ; un monde cruel, surtout, offrant partout 1e spectacle
atroce de ses suppliciés, de ses ruines et de ses exactions. La
tempête semble bien être, pour François de SaIes, le terme qui
convient à cette réalité omni-présente. LrEcriture, à son tour,
lui rappelfe 1es tempêtes sur 1e lac de Galilée. Mais, cê fai-
sant, elle ouvre analogiquement à une attitude de confiance im-
mense, d'abandon paisible et prophétique. cet abandon est un
combat de tous fes instants, mais i1 est paisible parce que ga-
gné d'avance. La figure du Christ dormant à lrarrière de 1a
barque lorsque se 1ève 1a bourrasque est exemplaire:1a tempête
sera calmée. Crest là une certitude absolue qui préludera imman-
quablement à Ia question portée par I'Evangile : 'rOù est votre
foi ?tl

Le terme de 1a navigation nrest pas l-e naufrage, mais 1e port.


Trois points peuvent alors se dégager de cette évocation de la
navigation dans lroeuvre salésienne.
Tout drabord, de manière allégorique , 1a navigation
offre une irremplaçable connaissance mystique de 1a vie privée
du croyant. E11e décrit une odyssée aventureuse de lrexpérience
existentielle de chacun, à caractère littéraire et religieux
tout à 1a fois. cette expérience nrest pas idéarisée, eLl-e est
même 1e plus souvent enregistrée comme malheureuse, parfois même
désespérante. Ce faisant, eIle est indissociable du t'combat
spirituel". La progression spirituell-e est alors perçue comme un
voyage intérieur dont François de sales se propose de cerner re
projet, 1e mode et la fin.
Par ailleurs, cette navigation offre un caractère ini-
tiatique. Par certains côtés, elre s'apparente au mystère
219

séducteur de la quête du Graal. son but, sril se laisse parfois


deviner, ne peut jamais être pleinement connu. c'est 1e mystère
du port, Pressenti comme merveilleux, mais irréductible à Ia per-
ception actuelre de celui qui n'est encore quren chemin. L'ini-
tiation s'opère peu à peu dans le long mûrissement de la naviga-
tion tempêtueuse.
Erre nrest pas de caractère gnostique. Erle ne sait avancer que
sous 1e vent de lramour et de Ia grâce. Cette conception ralliera
sans doute la grande tradition cistercienne médiévale qui invite
à cingler, toutes voiles déployées vers r'étoile de la mer, ta
Vierge Marie.
Enfin, cette navigation, bien au-del_à des tempêtes du
Nouveau_Testament, rejoint 1e dynamisme des grandes figures des
marcheurs bibriques, Abraham et Moïse. E11e initie à la rude
écore de 1a lutte contre 1a crainte, de I'abandon actif guidé
par fa Divinité. Le désert de I'Exode peut alors sridentifier à
une mer symbolique dont le port serait cette rtterre de promissionrl
que nous aborderons dans notre étude relative à I'é1ément I'terrer.
Cette image de fa navigation nous permet ainsi de
mieux percevoir 1a visée de l-'oeuvre salésienne dans son ensem-
bre : une initiation optimiste et positive à la traversée de ra
vie non point réservée à quelques navires drélite mais accessi-
b1e, au-de1à des tempêtes inévitabres, à toutes les barques abî-
mées et malrnenées par I'existence, sûres pourtant d'atteindre un
port drunion et de bonheur que seules res images mystiques du
9gl!fg-g sont propres à qualifier.
I1 nous reste maintenant à évoquer une réaIité assez
différenter appartenant encore à 1'érément liquide : r'image de
1a perle qui renferme une fusion intéressante de caractère bi-
naire entre l-es é1éments de L'air et I'eau, pour offrir à la na-
ture une production somptueuse d'une inestimable vareur.

L23 La psrle

Mais pourquoi traiter mai ntenant de La perle ? N'aurait-


il pas mieux valu évoquer ce thème conjointement aux autres pier-
res précieuses, comme 1e proposent l-e plus souvent Ies répertoi-
res et les index ?
220

Nous ne le pensons pas. La perIe, dans 1a conception

salés i enne , est un symbole drunion , €t cette union constitue une

synthèse des éléments de lrair et de Lteau. Pour nous en convain-

cre, examinons les sources qui ont inspiré une tel-Ie image. Elles

sont doubles car elles procèdent à la fois de Ia tradition de

1'humanisme antique avec Pline et de I'Ecriture avec deux parabo-

les évangéliques.
P 1i n e , t o u t drabord, dans son Histoire NaturelIe (1)

rapporte ceci:
L'origine et la production du nacre ne différent guère
de lrhuitre. Quand I ' i n f l u e n c e d e I a s a i s o n g é n é r a -
trice les stimule, on d i t eue, s r o u v r a n t p a r u n e e spèce
de baillement, elIes conçoivent p a r I ' a c t i o n d ' u n e ro-
sée fécondante, q u ' e 1 1 e s m e t t e n t a u j o u r l - e p r o d u i t
qu'e11es ont porté, et que ces produits sont les per-
1es, q u i différent selon I a q u a l i t é d e c e tte rosée.
Si la rosée est p u r e , I e p r o d u i t e s t b l a n c , s i elle
est trouble, 1 e p r o d u i t e s t t e r n e ; i l e s t p â l e sril a
été conçu à I ' a p p r o c h e d r u n o r a g e ; c e q u i p r o u v e q u e
les états des perles dépendent plus du calme des airs
que du cafme des mers. C'est du ciel qu'e11es tirent
une couleur n u a g e u s e o u I i m p i d e , s u i v a nt 1a sérénité
des m a t i n é e s ( 2 ) .
Un simple rappel de 1'engouement considérable de 1a Renaissance
pour I'Antiquité greceu€, latine et hébraïque restituera à ce
passage toute f importance qu'i1 pouvait avoir pour les contem-
porains de François de Sales et sans nul doute pour lrauteur
lui-même. I1 n'était pas question de remettre en cause lraspect

"scientifiqueil d'une telIe observation pourtant présentée condi-


tionnellement par I'auteur latin. La beauté de Ia naissance de
la perle était déjà en soi une image particulièrement frappante,
sa variation selon l-es nuances du ciel en faisait un bon maté-
riau pour I'esthétique de l'époque. François de SaIes lui con-
fèrera une importance non point l-ittéraire nais mystique. Mais
cette évocation pouvait-elIe avoir un quelconque lien avec lrE-
criture ? II est vrai que I'EvangiIe parle de perles, de manière
rapide, dans 1a parabole suivante :

( 1 ) Pline, Histoi::e lthùre1le' 1' D(, c )000y', al LfV


( 2 ) cité dans les Siniliùrdes in Oeuvres #1I127
22I

Le Royaume des Cieux est encore sembl-abl-e à un négo-


ciant en quête de perles fines: en a-t-i1 trouvé une
de grand prix, if s'en va vendre tout ce qu'i1 possè-
de et achète cette perle (1).
La pointe de cette parabole nous oriente vers Ia valeur de la
perle qui pourrait ici se trouver remplacer par tout autre ob-
jet de valeur. Dans un autre passage de IrEvangile de Matthieu,
nous trouvons cette phrase de Jésus qui insiste tout autant
sur la valeur de la perle :
Ne jetez pas vos perles devant les porcs (2).
Mais sans doute est-ce dans 1e 9="ffqgg_des_Canf-gggg qu'i1 fau-
drait davantage chercher 1a source d'inspiration biblique de
cette image de perle qui va influencer largement François de
Sales. En effet, la tête de la Jeune Sulamite y est couverte de
gouttes de rosée, etrrses boucles de gouttes de la nuit" (3)
évoqueront bien déjà 1e mythe de 1a naissance de fa perfe. Par
ai1leurs, ce mythe parle drunion, celle de la rosée et de 1'huî-
tre. Or, le propos du Cantigue n'est-il- pas précisément de nous
décrire lrunion de Dieu et du croyant sous 1e signe de I'amour
conjugal ? La c1é de cette lecture nous est offerte dans un
extrait du Traité de Iramour de Dieu : 0n y voit la souveraine
Bonté -présentée sous des traits féminins, comme 1a rosée-
répandrerrune abondance de graces et de bénédictions sur toute
La race des hommes... de laquelle tous ont été arrousés comme
d'une pluye qui tombe sur Ies bons et sur les mauvaisrt (a). Cette
phrase reprend diverses citations scripturaires qui présentent
ainsi positivement Ia rosée et sont relevées par François de
SaIes (5). Le génitif d'identification amène encore famitière-
ment certains propos comme la rosée des consolations célestes (6),

( 1 ) Mt 13, ÆF46
(2) Mt7,6
( 3 ) Ct 5, 2 in Oarwes )0(\[ 29
(4) Oetnrres IV 16
(5) OeuvresV m Cf. Is. 14, 8
id. II L57 Cf. Is.45, I
id. IV zu CT. JdI 6, T
id. )fiIr 33 Cf. Dt 2., 2 Ps 82, 3
id. X\rII Z7l et )O( æ6
(6) id. )ff'rr 12s
222

Ia rosée de fa Sainte ParoIe (1). De p1us, la rosée sert encore


d'é1ément de comparaison pour exprimer des réaIités positives

aussi diverses que 1a joie de recevoir des lettres de Jeanne de


Chantal (2), un matin tranquille (3); ou la joie de Noë1 (4).
La perle, en unissant rosée et huître, n'est pas autre chose que
Iravatar mystique du Cantique_des_Cantiques, lrimage par excel-
lence de I'union fécondante de Ia grâce au coeur de Irhomme dans
1e jeu plein et entier de sa Iiberté. La cohérence de lraI1égorie
va s'élaborer progressivement.
Lreau de mer, amère comme les eaux de Mériba dont nous avions
parlées, représentera 1e monde dans son impureté.
Et je leur monstre que comme les meres perles vivent
emmi la mer sans p r e n d r e aucune g o u t t e dteau m arine...
ainsy p e u t une ame vigoureuse et constante vivre au
monde sans recevoir aucune humeur mondaine (5).
La mère-perle figurera donc 1e coeur de Irhomme en tant qu'i1
est disposé à recevoir 1a grâce comme un divin cadeau qu'i1 aura
à faire fructifier.
En gardant en surimpression f image du Cantiqug, l'évocation de
la perle sera alors tout à fait à propos pour parler du mariage,
particulièrement.
Le coeur chaste est comme 1a mere perle qui ne peut
recevoir aucune goutte d'eau qui ne vienne du ciel,
car i1 ne peut recevoir aucun playsir que celuy du
mariâg€, qui est ordonné du ciel (6).
Notons au passage que pour François de Sa1es, le mariage n'est
nullement un pis a11er, rrremède à 1a concupiscencêrr1 eu€ certai-
nes spiritual-ités auraient voulu démontrer. Il est rrvocation"
par excellence en tant qu'iI reçoit son inspiration de Ia divi-
nité mêrne.
Puis, empruntant à Pline l-'idée que les perles conçues

(1) Oeurn'es
I l-
(2) id. )sr 281
(3) id. x\r 29
(4) id. )fir 133
(5) id. rrr 6
(6) ibid. rrr 17s
223

sous de mauvaises conditions météorologiques offrent une qualité

moindre, François de SaIes présente ce trait en un développement


dramatisé:
Les perles qui sont conceuës et nourries au vent et
au bruit des tonnerres n'ont que I'escorce de perIe,
et sont vuides de substance ; et ainsy les vertus et
beIIes qualités des hommes qui sont receuës et nour-
ries en I'orguei1, en 1a vantance, et en la vanité,
n'ont qu'une simple apparence du bien r sans suc ' sans
moëlle et sans solidité (1) .

La comparaison des valeurs réciproques de 1a perle et de 1a co-


quille de I'huître permet de poursuivre :

Qui peut avoir des perles ne se charge pas de coquilles


et ceux q u i p r e t e n d e n t a 1 a vertu ne srempressent point
pour les honneurs (2) .
Mais pourquoi cette attirance si grande pour la perle ? Coquette-
rie féminine immémoriafe, répond François de Sales. . .
Les dames tant anciennes que modernes ont accoustumé
de prendre des perles en nombre a Ieurs oreilles pour
1e playsir, dit PIine qu'e11es ont de les sentir
grilloter, s'entretouchant I'une f'autre (3) .

Coquetterie féminine qui introduit cependant déià au discours


mystique du Cantieu€, car si 1e bruit des perles, -ioliment tra-
duit par 1e verbe "gritloterrr-, opère une séduction indéniable,
1a parole de 1'EvangiIe accomplit dans le coeur une identique
séduc ti on.
Les passages que nous venons de citer se rapportent
tous à I'Introduction à la Vie dévote ; il est du reste carac-
téristique de ne point trouver une image aussi élaborée dans les
deux premiers ouvrages de François de Sal-es (4). Par contre, l9
Traité de I'amour de Dieu va considérablement donner de I'ampleur
à cette image où bien des nuances sont mises en valeur, révéla-
trices de Ia profondeur d'analyse de la vie spirituelle que pré-
cisément révè1e cet ouvrage. La première nuance apportée à la

(1) Oetrvres III L42


(2) ibid. rrr 145
(3) ibid. IIf 269, citant Pline, Histoirne tlaù.relle , D(, c )00(/, al LVI
( ) ffrrrnis me par4trrase de Mt 7, 6 quri ne bnille pæ par sa ùarité "la loi interdit de pne
faner les rystères en offtant les penles de Ia philæçhie ctrétieerre cette tourbe confuse
porcs, juifs et ididèles"... Oeurres )0{tI æ.
224

naissance des perLes insistera sur leurs différences: si elles


procèdent toutes d'une identique origine, chacune d'elle est
unique.
Nostre seigneur compare sa grace aux perles, lesquerres
comme dit PLine, s'appellent autrement unions, parce
qu'e11es sont tellement uniques une chacune en ses
qualités qu'i1 ne s'en treuve jamais deux qui soyent
parfaittement pareilles (l_).
un subtil glissement de sens fait passer de I'idée de 1'union
sous-jacente à 1a naissance de 1a perle, conjuguant lrouverture
de f'huître et Lravènement de ra rosée, au caractère d'unicité
qui accentue La valeur particuLière de chacune. La diversité est
beauté, cette intuition spirituelre ne srestompe jamais dans
I'oeuvre salésienne. Par ailleurs, utilisant une extrapolation
qui lui est tout à fait familière dans le traitement de ses
sources' François de Sales va encore embellir lrimage primitive
de I'auteur Iatin.
tout ainsy que les perles prennent non seulement Ieur
naissance mais aussi leur aliment de 1a rosee, Les
meres perles ouvrant pour cet effect l-eurs escailles
du costé du ciel, comme pour mendier les gouttes que
ra fraîcheur de I' air fait escoul-er a l,aube du jour (2).
La personnification induit vraiment ici I'huître sous Les traits
du croyant tourné vers son Dieu -le ciel- et qui mendie sa grâce,
dans l-rattitude du pauvre, privilégiée par les Béatitudes.
La rosée symbolise ici 1a foi, nourrie ensuite par ra grâce, qui
deviendra ce joyau séducteur évoqué par I'fnffgggglfgl. Cepen-
dantr c€ dépôt précieux est toujours vulnérabfe et menacé sel-on
la cohérence même de I'image dessinée :
Ainsy on dit des perles, qui conçues de 1a rosee ce-
leste perissent si une seure goutte de lreau marine
entre dans leur escailIe... (3)
Le renforcement d'un autre aspect de 1'attitude des mères-perles
permettra de développer non plus r
l- idée du danger couru par re
précieux dépôt, mais plus fondamentarement encore re jeu de ra
liberté du croyant dans 1a proposition faite par son Dieu.

( 1 ) Oeumes fV l-l-0
( 2 ) ibid. rv 171
( 3 ) ibid. w 226
-225-

Le cief prépare les gouttes de la fraiche rosée au


primtems et les espliiye sur 1a surface de 1a mer ' et
l-es mereperles qui ouvrent leurs escailles reçoivent
ces gouttes, lesquelles se convertissent en perles :
mais au contraire, les mereperles qui tiennent leurs
escailles fermees n'empeschent pas que 1es gouttes ne
tumbent sur e11es, elles empeschent néannoins qu'e11es
ne tumbent pas dans e11es. 0r Ie ciel a i1 pas envoyé
sa rosée et son influence sur lrune et Irautre mere-
perle ? (1)
Plus qurun grand discours spéculatif sur 1e problème de 1a grâce
et de 1a liberté, cette catéchèse par image exprime un équilibre
harmonieux entre le don gratuit de Dieu et 1a réponse nécessaire
du croyant pour adhérer à Ia foi. Le probfème de la prédestina-
tion est ici esquivé drune manière habile: toutes 1es mères-
perles reçoivent 1a rosée, par conséquent, toutes sont prédesti-
nées à 1a production de Ia perle. L'accusation de néo-pélagianisme
est par ailleurs écartée, car 1a production de Ia perle, crest-
à-dire de la foi, reste un don libre et gratuit prodigué par le
Ciel. Du reste, I'attitude d'ouverture de I'huître est provoquée
par I'aurore, c'est-à-dire par une grâce qui agit par mode de
séduction esthétique.
Car sans 1e ressentiment des rayons de lraurore, qui
lront doucement excitee, 1a mereperle ne fust p a s
venue en Ia surface de la mer ni nreust pas ouvert son
escaille ( 2 ) . . .
L'auteur semble quelque peu oublier, dans ce développement com-
p1émentaire, que 1a marge de manoeuvre drune huître ne comporte
pas en réaIité 1a mobilité qu'iI lui attribue généreusement. . .
mais peu importe. Nous voyons revenir ici 1e thème du rayon de
soleil qui éveiIIe à 1a vraie vie, cher à "lrimagination" des
voyageurs endormis, rayon qui incite pareillement une réponse
en celui qu'i1 sollicite.
Dans un autre passage, I'image de Ia rosée qui s'unit à 1a
substance de lrhuître insistera sur 1a notion de plaisir.
1'ayse qu'eIle ressent d'appercevoir I'aggreable
fraischeur de ce germe que 1e ciel luy envoie ( 3 ) .

(1) Oeuwes W 235, citært Plire, cp. cit.


(2) ibidem
(3) ibid. il 238
226

La fraîcheur opère ici ce qu'aifleurs 1a chaleur du rayonnement


pouvait amener, cette sensation de bien-être qui nrest pas sans
rappeler certains traits du Cantigue_ges_9g"tfg-Sg.
Des extraits de 1a Correspondance se feront encore
1'écho des propos mystiques du Cantigue en reprenant I'image de
1a séduction du soleil- et de 1a rosée: 1a mère-perle srouvre
aux réalités dren haut et se ferme aux eaux d'en bas, tout ainsi
que Jeanne de Chantal, invitée à renoncer aux valeurs du monde
pour se tourner vers celles du Royaume (1). De plus, dans une
autre fettre également destinée à Jeanne de Chantal, François de
sares confiera à sa correspondante privilégiée une très forte
expérience spirituelle vécue lors d'une procession au cours de
Iaquelle, selon lrusâge, i1 portait L'ostensoir contenant une
hostie consacrée:
Mais je treuvois mon pectoral plus riche, encor qu'i1
ne fut composé que d'une seul-e pierre, eui est la perle
orientale que la Mere-perle conçue en ses entrailles
chastes, de Ia benite rosee du ciel; car voyes vous,
je tenois ce divin Sacrement bien serré sur ma poitri-
Dê, ce m'estoit advis qu les noms des enfans d'israëI
estoit (sic) tous marqués en iceluy. Ouy, et 1e nom
des fil-1es spécialement, et 1e nom de I'une encore
ptus (2).
0utre I'intérêt de nous laisser deviner l-a force drune amitié
spirituelle exceptionnelle, ce passage donne une rerecture de
lrimage de 1a rnère-perl-e plus mystique encore que celle du If*!É
puisqu'e11e s'applique à I'Incarnation réalisée dans l-'Annoncia-
tion de Marie. La superposition d'une évocation de source Iatine
et de lrun des passages les prus forts de 1a révélation évangé-
lique nrest pas perçue c o m m eg ê n a n t e elle atteste au contraire
de cette tranquille certitude que toute réarité de ra nature
porte lrimage drune réaIité de 1a foi qu'i1 suffit de découvrir
et de mettre en lumière. La cohérence de lrimage qui fait passer
du pectoral à 1'huître est assurée par I'aIlusion au collier du
grand prêtre de lrAncien Testament constitué de douze pierres
précieuses représentant les douze tribus d'IsraëI.
Dans un ordre différent d'idée, 1e thème de Ia perle

( 1 ) oewres )gII 209


( 2 ) id. )fiv l_69
-227-

autorisera encore une formule dialectique en forme de réversion


approfondissant 1a notion derrcomplaysance" qui fait du croyant
un "possesseur'r de Dieu également possédé par Dieu.
Qui est plus I'un a Irautre, ou fa perle a 1'ouTtre
ou l-'ouitre a Ia perle ? La perle est a lrouître qui
I'a attiréee a soy, mays I'oultre est a 1a perle 1a-
quel1e luy donne la valeur et Irestime (1) .

Pour offrir un panorama complet du thème de la per-


1e (2), i1 nous faut encore considérer un emprunt assez diffé-
rent que François de Sales fait à un autre extrait de Pline i
cette fois, contrairement au tableau de 1a naissance de 1a perle
qui était rapidement esquissé chlez I'auteur fatin et considéra-
blement développé et nuancé par l'évêque savoyard, nous obser-
verons Ie phénomène inverse. Pline en effet s'étend largement
sur 1'épisode suivant :
11 y a eu deux perles Les plus grosses quron ait ja-
mais vues e1les furent toutes deux possédées par
CIéopâtre, 1a dernière des reines dtEgypte. . .
Chaque jour, Antoine se rassasiait de repas splendi-
des ; eIle, avec lrorgueil et Ie faste dédaigneux drune
courtisane royale, rabaissait toute 1a somptuosité,
tout I'appareil de ces festins. Antoine demandait ce
quron pourrait ajouter à tant de magnificence, elle
répondit qu'en un seul repas, e11e dépenserait dix
millions de sesterces. Antoine désirait apprendre com-
ment, bien qu'i1 crût 1a chose impossible : on paria.
Le lendemain, jour où devait se vider lraffaire, e11e
fit servir un repas magnifique, sans doute pour que
1a journée ne fût pas perdue, mais qui ne valait pas
mieux que I'ordinaire drAntoine. Celui-ci plaisante
et demande 1e compte. C1éopâtre répond que ce n'est
qurun assessoire ; eIle ajoute que 1e repas coûtera
le prix fixé, et euêr seuIe, e11e mangera les dix mi-
lions de sesterces. Elle fait apporter 1e second ser-
vice. Les serviteurs, qui étaient dans 1e secret, ne
placent devant elle qu'un vase plein de vinaigre, li-
quide dont 1a force dissolvante fond les perles. ElIe
portait en ce moment ces deux perles, chef-d'oeuvre
singulier de la nature, et véritablement sans pareil.
Antoine examinait ce qu'e11e allait faire : Ia reine

(1) Oeuvres fV 265


(2) Un pæsage de l'ur des Sernsrs de François de Sales rææte r-rp étqrrante obsenratim We
lrqr rre bctr/e rn:lle part ailffi : Ies rÈres pertes en-naient, ccrme les abeilles, urre reire
qr'elles s:irrraient, intéressante occasicn de rryrochen der.o<thàres pnivifqgiê : celui de l'æ
vette et celui de 1a penle, po..r illusber Lurprcpc s-r lrlrrræulée Cancepticn, CT. X 4O3.
-228-

en ôte une, la jette dans 1e vinaigre, 1a fait fondre


et l r a v a l e . L . P l a n c u s , juge du pari, mit la main sur
I'autre au m o m e n t o ù e l l e se préparait à la dissoudre
de l a m ê m e f a ç o n , e t d é c l a r a Antoine vaincu ; présage
que 1'évènement confirma (1).
Curieusement, François de SaIes ne donnera de cet épisode qurun
sommaire dont 1a concision est assez inhabituelle.
Cléopatre, cette infame reyne drAegypte (... ) fit ap-
porter a Ia fin d'un festin qu'elIe faysoit a son tour,
un bocal de fin vinaigre, dedans leque1 e11e jetta une
des perles qu'elle portoit en ses oreilles, estimee a
deux-cent cinquante nille écus ; puis 1a perle estant
resolue, fondue et liquefiée, e11e 1'avala, et eust
encore enseveli I'autre perle qutel-Ie avoit en I'autre
oreiIle, dans 1a cloaque de son vilain estomach si
Lucius Plancus ne lreust empeschee. Le coeur du Sauveur
vraye perle orientale uniquement unique (... ) (2).
La reprise de ce trait nrest guère objective, on en conviendra
facilement. Aucune mention nrest faite de ce pari mondain et
somptueux qui prenait place dans 1'étrange joute opposant Ia
reine d'Egypte au généra1 romain. Le geste de C1éopâtre apparaît
sous 1a plume salésienne comme purement insensé et en rapport
avec Ie qualificatif péjoratif qui lui est attribué dès Irabord.
L'insistance porte sur 1a perte inestimable de ce joyau, estimé
en monnaie courante de I'époque, €t pour lequeI trois verbes sont
requis afin dren décrire fa navrante destruction. Lrestomac royal
qui osa se Iivrer à de tels débordements ne peut être autre chose
qu'unrtcloaquerrtout à fait absent du texte de PIine. La perle
sans prix prend ici une figure religieuse et son engloutissement,
l'apparence du martyr. C'est e11e la véritable héroIne du récit.
Nous retrouverons en une autre occasion la fameuse perle de
C1éopâtre dans 1e contexte d'une comparaison quelque peu éton-
nante, mais aussi plus reposante :
une des perles de Cleopatra valoit mieux que 1e plus
haut de nos rochers, mays celuy-ci est bien plus
grand: I'un a p l u s de g r a n d e u r , lrautre plus de va-
leur ( 3 ) .

Abandonnant CIéopâtre à son triste sort, nous glanerons

(1) Pline, cp. cit. D(, LI/III, p. 38, bad. Litù,é


( 2 ) Oeurres N W
( 3 ) id. v ls
-229-

au hasard de Ia correspondance quelques autres évocations de


perles ; elles ne rendent compte d'aucun des textes latins cités
précédemment.
Dans 1e Traité, un court paragraphe insiste sur Ie

fait que Ies pêcheurs de perles nrattachent pas d'importance aux


huîtres mais estiment l-eur pêche en fonction des perles seul €S r

parallèIe intéressant avec 1e thème de 1a recherche de Dieu dans


Ies créatures, les créatures n'étant que I'huître et Dieu 1a
perle (1).
Dans sa correspondance, François de Sales parle à di-
verses reprises de Irusage qui peut être fait des perles, dé-
peignant une curieuse image de coquetterie spirituelle avec I'ap-
parition d'une parure de caractère mystique :
Les paroles saintes sont des perles, et de ce1les que
le vray Ocean drOrient, I ' A b y s m e d e m isericorde , nous
fournit. Assemblés e n b e a u c o u p a u t o u r de vostre co1,
pendés en bien à vos aureilles, environnés en vos bras:
ces atours ne sont point défendus aux vefves, car ilz
ne les rendent p o i n t v a i n e s m a y s h u m b l e s ( 2 ) .

La présentation de I'océan comme image de 1a divinité, même si


elfe ne montre guère de cohérence avec I'intuition biblique,
s' inspire ici de I ' idée d'infini . Nous l-ravions déi à rencontrée.
Drautres expressions désignent 1a perle de manière plus commune
en privilégiant simplement I'idée du grand prix attaché au joyau
La belle seur est une perle (3).

cette demoyselle dont i1 est question estoit une perle


en bon naturel, en bonnrhumeur et en vertu (4).

Cet emploi en forme de catachrèse ne nous fera pas oublier sans


doute les belles évocations qui ont précédé (5).Ecole de Ia grâce et

de la liberté, lieu de I'union mystique du croyant et de son


Dieu dont I'amoureuse sollicitation est aussi universelle que 1a

rosée, Ia mère-perle propose au croyant son hunble modè1e' cette

(l-) Oeurres V l-84


(2) id. )çtII l-44. Idée s€nbtable ncins dévelcppée en )ff-lII L83
(3) id. xv 180
(4) ibid. xv 265
(5) Ce pnocédéest Çgalernnt utilisé dans Ia prédicaticn ccrrrrpen tercigne LrOnaissr ftu'Èbre ôr
Drc de lrlercoeur, qui â/oque airei Ia figLre ô-r diçanr qpnt su garder pr-neté et netteté,
cf. \Ær 4l_5
_ 230

ouverture à 1a sollicitation divine qui fera d'elle Irécrin à


jamais précieux drun sublime trésor. Fruit d'une histoire dramour
éternelle, ce joyau de la foi n'aura pas à être profané ou dis-
sout dans quelque acide réalité d'en bas. I1 constitue pour qui
veut collaborer à son élaboration ce trésor de grand prix qu'of-
fre 1 rEvangile.
-23L-

I 3 L'AIR

1 3l Présentat ion de 'image


I

L I air contribue aux forces vitales de 1a Création et


const itue |
1 un des quatre é1éments fondamentaux tradit ionnels.
Dans 1e corpus salésien, i1 fait pourtant un peu figure de parenr

Pauvre eÈ ne présente ni 1'excellence du feu ni 1a richesse évoca-


Èrice de lreau.
Dans Ia tradition biblique, cet é1énenc est utilisé pour
signifier la personne de lrEsprit de Dieu, aucun visage eË même
aucun nom n r é t . a n t
auËrement, qualifié pour décrire son action. Dans
les langues successivement utilisées par I'Ecrit.ure, 1'Esprit. sera
donc nommé par un nom commun (ruah en hébreu, pneuma en grec,
spiritus en 1aÈin) ernprunté aux phénonènes naÈurels du vent et de
la respirat. ion. Du reste, Ëous les grands symboles de 1'Esprit,
lreau, le feur l'air et 1e vent apparÈiennent au monde de 1a natu-
re eE ont en commun de ne pas avoir de figure disËincEe : ils
évoquent. surtout 1 | envahissement d t une présence, une expans ion
irrésistible et Ëoujours en profondeur.

Dans 1'esthéÈique du XVIème et du début du XVIIème siè-


cles, I'air offrira 1 r a 1 1 é g o r ie
du mouvement., de 1'écoulement, 1e
signe de I'inconstance du monde et de lthomme, tout comne lteau.
I1 illustrera ce monde passager et, sans joie au spectacle parfois
cruel: façonnant indéfiniment 1e nuage en un spectacle toujours
renouvelé, 1e vent parÈicipera à ceÈte mutation cont,inuée, à ceÈte
métamorphose qui servira de base à 1a rnétaphore contenplat ive de
cett.e esthéË ique.
De I'air lui-rnême, i1 est, oiseux de parler longuemenÈ en
tant que précisément son apparence même ne donne pas lieu à de
longs discours. Nous verrons donc surtouÈ François de Sales en
parler de manière pragmat ique en indiquant des réa1 ités cl imac i-
ques ou nédica1es. Le vent par contre donnera lieu à des dévé1op-

Pements plus symboliques essentiellement. inspirés par 1'Ecriture.


Nous laisserons ensuite I'auteur faire une large part aux orages
et nous achèveron, ce t.hème par un autre qui lui esÈ Erès proche,
I e nuage .
232

132 L'air proprement dit

Dans 1a conversation courante, 1tévocaËion de ltair est,


1iée au clinat qui peut être plusou moins bénéfique pour celui ou
ce11e qui est appelé à s'y adapt,er. Ct est ainsi que I t on peut
parler d tun air malsain comme 1'éraiÈ, déjà, celui de Paris :
Ltair de Paris ne vous est pas salutaire (1).

La seule solut ion esË alors de changer de contrée. Mais


François de Sales se montre parfois sévère pour cerEaines corres-
pondantes - ces cons idérat ions paraissent en e ffet exclus ivemenË
relever d'élémenËs féminins - qui désirenÈ changer d'air pour des
raisons fut iles :
esËimanË que I'air luy serait plus propre... (2)

tout en reconnaissant bien en dtauËres occasions I furgence de


cert aines s iËuat ions :
si e11e ne changeoit d'air e11e mourroit dans Peu
de semaines (3).
Lridéal serait, bien sûr, de ne point compte de ces
tenir
vicissitudes eÈ de présenter une santé ou un caracËère - suf.f.i.-
samment forÈs pour pouvoir stadapÈer partout..
Ceux qui onË 1a santé forte ne sont. point sujetz a 1'air;
mais i1 y en a qui ne peuvent subsister qu'en changeanË
de clinat.. Quand sera-ce que nous ne chercherons que
Dieu ? (4>
La dernière quesËion, inattendue dans son caractère un peu brutal
et inpatient, resitue 1e problème dans sa réalicé p1énière:1a
recherche de Dieu pour François de Sales prime Eout 1e reste et
c t e s t ËanË mieux si 1'air peuÈ y contribuer.
Je mtimagine que vous estes 1a, en ce bel 4ir, ou vous
regardes comme d I un saint hermitage, 1e monde qui est en
bas, eË voyes le ciel auquel vous aspires, a descou-
verr (5).

Ceci dit, anEicipant quelque peu sur 1es siècles, nous voyons
François de Sales vanËer 1es charmes clinatiques de sa Savoie au-
près du supérieur provincial des Capucins à qui i1 demande une

(1) Oeuwes)0( 151


(2) id. nnrr 2s7
(3) id. w.246
(4) id. )0( 26s
(5) ibid. 166
-233-

nouvelle maison de religieux pour 1a peÈite ville de La Roche.


L'argument enployé fera un peu sourire les connaisseurs puisque ce
site est tout particul ièrement réputé pour ses brouillards d thiver
cont inuels dus à une vallée encaissée.
puisque 1'air y esË extrememenË bon, 1e voysinage ferti-
1e eË abondanË en force bons vi11ages... (l)

Mais nous conviendrons que ces quelques ciÈations de la


correspondance épiscopale, si el1es apporÈent quelques petiÈs
traits relatifs à 1a connaissance de 1a mentalité de 1'époque, ne
donnent guère maEière à de beaux développements 1 ittéraires. Sans
douËe est-i1 Ëemps de considérer 1e Ehème du venË qui nous offrira
une m a Ëi è r e plus abondante et symbol ique.

133 Le vent

AvanÈ d'êÈre un symbole biblique, le vent demeure une


réal ité observable dans 1a naÈure.

1331 Le vent directement observé dans la nature

Force non maîtrisable, 1e vent apparaîr souvenÈ comme un


obsracle à des projets de déplacement. au même titre que 1a pluie
ou 1a ne ige.
mais ctest que 1a sayson est si sujette aux vens et ora-
ges que ie ôe puis pas a mon pouvoir dtaller et venir,
mais if fauE que je vogue a leur rnerci (2).
Lrutilisation dtun verbe du registre maritime "voguer" rappellera
sans doute f image de 1a barque épiscopale qui symbolise pour
François de Sales sa mission quotidienne. Du reste, quelques passa-
ges de Ia correspondance nous livrenË de belles évocaËions de 1a
réal ité c1 inat ique montagnarde z
O ma chere Fi1le, que'vous me fistes un jour grand play-
sir de me recommander 1a sainte humilité ! car sçavés-
vous, quand 1e vent s t enferme dedans nos va1lees, entre
nos montaignes, i1 Èernit les peË iËes fleurs et desraci-
ne les arbres; et moy qui suis 1ogé un peu bien hauÈ en
cette charge d'evesque, jt"n reçois plus dtincommodi-
tés... (3)
L I al légorie prend ici 1a figure, adaptée à 1a réa1 icé monÈagnarde,

(1) Oeuures)MII 18'3

Q) nfi tt+z
(3) )cv 2s3
. 234

de La fable à venir du chêne eË du roseau.


Sans que I'on ail1e s'exposer pourËant aux rigueurs drun hiver
alpestre, 1e vent peut se montrer redourable même dans un monastè-
re pour 1a santé parfois compromise de Jeanne de Chantal. François
de Sales fait preuve ici dtune solliciÈude Ëoute fraternelle en
recommandant ceci à la supérieure de 1a VisiÈation naissante,
encore inconforÈableEent instal 1ée :

eÈ tenes vous assisse de plus que vous pourres et en


lieu ou ce grand vent qui tire dans 1e choeur ne vous
frappe poinÈ (1).

I1 convient, nous 1e voyons, de composer avec cette force naËurel-


1e parfois redoutable. En ce1a,1e vent peut inviter à davantage
de sérénité eË ne saurait se laisser confondre avec d'autres
périls autrement graves :

Non, non, ma Fille, laisses courir 1e vent, ne penses


pas que 1e frifrillis des feuilles soiË 1e cliqueris des
armes (2).
Le choix dtun moÈ évocateur en forne dtonomatopée constitue I fune
des formes de ces Èrouvailles littéraires que présente I tauÈeur
en plusieurs occasions, te1le lattsussurationtt du torrent ou drau-
tres exemples que nous aurons 1'occasion de considérer ultérieure-
menË.
La même 1eçon de sérénité se retrouve dans ces passages glanés au
grê de la correspondance :
Vrayment. 1e serein d'hier ni 1e vent ne mtont f ait
aucun ennuy (3).

Les vens de 1a terre ne t (4 ).


I esmouvroyent aucunemenË
La Ëempeste eÈ la bonace me sont indifferentes ( 5) .

I1 n'est point tourmenté des vens de 1a Èerre (6) .

Lrapport négaËif du vent va encore nous être signalé dans un petit


trait vécu qui rappelle très directement une situaÈion évangélique
et nous donnera de mieux comprendre le lien continuel que François
de Sales fait entre 1es petits évènement,s de sa vie quotidienne eE

(1) Oetnrres XDr 5

(2) id. )crrr88


(3) id. )vrrr 233
(4) id. )ilfi 96
( s ) i d . w.7 2
(6) ibid. xil los
' 235

les pages de ltEcrit.ure qutil médite eË commente jour après jour.

Je vis dernierement une ve fve a 1a suite du Saint


Sacrement et ou les autres portoyenE des gros flambeaux
de cire blanche e11e ne portoit qutune petit,e chandelle,
que peut estre e11e avoit faite; encores, 1e vent 1'es-
te ignit . Cela n'avança ni ne recula 1e Saint Sacrement;
e11e ne laissa pas drestre aussi ÈosÈ que 1es auËres a
I'Eglise (l).

Le vent. ntest pas sans doute 1e centre de ce petit récit, mais 1e


fait que François de Sales remarque ce qui ntesË, somme Èoute,
qu t u n
infime détail de cetËe manifestaË ion rel igieuse, nous permet
de saisir égalernent la dé1 icaÈesse de senriment - mê1ée ici à
I'humour - donÈ faisait preuve 1e Prince-Evêque à 1'égard des plus
humbles, t.rait qui contribua grandement à sa popularité.
La force du vent a pourt.ant parfois des aspects bénéfi-
ques comme en Èémoigne cetÈe remarque :

mays saches que nostr t


ame estanÈ bonne eË bien
resignee es mains de NosÈre Seigneur, ÈouÈes sortes de
telles attaques stesvanouissent au vent. comme 1a fumee,
et plus 1e venÈ est gros plus Èost elles disparoissent(2)
Mais ceË aspect est asse z rare. Habituellement., seule sera reÈenue
f image négative d t u n qui
vent agite :
car je croy fermement qu'e11e esE conËinuellenenÈ
agiÈee des vens de ses passions, et que par consequent
tous jours en bransle (3).

Dans ce passage, François de Sales parle de 1tâne en s'adressant


à 1a cé1èbre mère Angélique Arnaud dont i1 connaît 1e caractère
entier eË les inquiétudes spirituelles.
En d'autres occasions, l'enploi du génitif dridenrification, assez
propre au sÈyle po1émique, verra 1a mise en oeuvre d'un cerËain
nombre d t express ions concernant, on 1e devine, 1es thèses proÈes-
tantes : rrvent des erreurstt (4) par exemple.
Le venÈ - et tout particulièrement 1a bise d'hiver si
redoutable dans 1es contrées montagneuses - sera parfois invoqué
dans un sÈyle très direct.:

Oste Èoy d t icy, o bise infructueuse qui desseche mon


ame, et venés, o gracieux vents des consolations et

(1) Oennres)CII 82 (en parallèle arrecl"t- 12,42, I'obole de la vewe.)


(2) id. )Mr 96
(3) id. xD( 51
(4) id. I 51 (no.ls ne les avons pas ÈciJtes réperEoriées.)
-236-

soufflés dans mon jardin, eÈ ses bonnes affections


respandront lrodeur de suavit.é (l).

A ceEte bise drhiver sera opposé un vent bienfaisant., doux et


caressant, gui n'est pas sans rappeler La brise 1égère, signe de
1a présence de Dieu dans 1e Livre des Rois (2)
0r je vous dis en vérité, comme if esË escrit au Livre
des Rois : Dieu n'est ni au vent fort, ni en 1'agÏTârTon,
ni en ces feux, mais en ceste douce ec Ëranquille porËée
d'un vent presque imperceptible (3)

ou encore 1e vent de midi du Cantique des Cantiques :


(... ) mais un venE chaud et cuisanÈ dessechar presque
touE en un momenË, cest arbrisseau. (celui de Jonas. )
Un venÈ fit presque 1e mesme effect en 1a consolat ion
que j'avois en vous. Mais (ne) penses (pas), je vous
suppl ie, que ce fuË un vent de quelque rapport. 1éger,
envieux ou mesdisanE; non, a 1a vérit,é, ce f uÈ un vent
venant du midy d'une ent ière char ité . " (4 )
CetÈe image est reprise plusieurs fois de manière plus ou moins
déve I oppée :

0 ma tres Chere Fille que je souhaitte ce gracieux vent


qui vienE du midy de 1'amour divin, ce Saint Esprit qui
nous donne 1a grace d'aspirer a 1uy et de respirer pour
luy ( s) .
De ÈouËe manièrer 1e venÈ ne sauraiÈ Èout renverser. Même Ëempê-
tueux, i1 ne viendra pas à bout de cerÈaines constructions aux
robusÈes ass ises.

nos colonnes sonÈ, ce me semble, bien fondees; un peu de


venÈ ne les aura pas esbranlees (6) .

Une dernière évocat ion du vent, rej oindra une certaine représenta-
tion baroque en tanÈ qu'elle dramatise 1e crucifié:
de tous cosEés 1e sang pleut; lrair et le vent froid
saysissent tout ce cors eslevê (7).

Dans I t E c r i t u r e ,
1e vent, symbole égatement ambivalent, est avec
1e feu Itun des signes essentiels de 1tévénemenÈ fondaÈeur de 1a
Primit ive Egl ise que const iÈue 1a PenËecôte.

(1) Oeuwes III 328


(2)1Rt9,tr-rz
(3) Oeuwes XII 166
(4) ibid. nr 138cf. ct 4,16
(5) id. )fi/ 61, voir aussi )Oililt28
(6) id. )rrr r4t
(7) id. )oMr 181
237

Car I'Esprit divin est voiremenË vio1ent... I1 vient


comme un vent impeÈueux et comme une foudre cé1esEe,
mays i1 ne renverse point 1es apôtres, i1 ne les
treuble poinË (1).
Cet événemenË fondateur se poursuir du reste dans I'expérience
personnelle de chaque croyant invicé dans 1'accueil de lr"inspira-
tion" divine à revivre pour son prop.re compce Ia Pentecôte. Tout
naEurellemenE 1a même synbolique sera ut.ilisée.
Ainsy, Theot ime, quand I'inspirat ion, comme un vent
sacré, vient nous pousser en 1'air du Saint Amour, (...)
elle se prend a nosÈre volonté ( 2 ) .

Là êgalemenr, la l iberÈé du croyanÈ est af.f.irmée comme


pleine ec entière; 1'évocaËion de la voile, même si elle vient
assez curieusemenE qualifier le terme esprit, permettra de conce-
voir une incitaÈion divine qui respect.e absolument I radhésion ou
Ie refus de 1thomne.
quand le vent. favorable de la grace celesÈe enfle
les voyles de nostre esprit, i1 esÈ en nostre liberté
de refuser nostre consentemenÈ eË empescher parce moyen
1'effet de 1a faveur du vent (3).
Le vent. est sans doute ltun des proÈagonistes des vasEes mises en
scène de la naEure que comporÈent 1es orages, eux qui impression-
nent si grandement 1es mortels. Ils sont signes et symboles des
orages inÈérieurs et spirituels dans 1e microcosme humain eË of-
friront des aspecEs divers que nous allons tnaintenant esquisser.

134 Orages et tourbillons

1341 Le Ëourb i1 lon annonc iateur de 1 'orage

De par son mouvenent, 1e Ëourbillon raPpellera sans


doute 1e modè1e baroque de la spirale. I1 présenÈe ses lettres de
noblesse puisque François de Sales I'emprunte à 1a Vulgate à
propos de I'ascension du prophète Elie :
cogitemusque perpetuo Heliaur il1um Thesbiten non aliter
quam per Èurbinem ad caelum ascendisse (4 )

(1) OeuyresV 10 cf. Ac 2


(2) id. frt r29
(3) ibid. N 2v
(4) id. )(t 156 (cf. II R 2,11), traduit ainsi : "er sq.rvenons-ncus
tanjorrs qu'Ilélie le Thesbite
nresÈ rcnté au ciel que dans trr tqrrbillon".
238

ttp"t :
turbinemtt 1e propos restrictif meÈ en valeur ce Bouvement,
que pourtant dtauÈres occasions nous monEreron! comme étant peu
posicif :
jamais, non jamais, nous ne devons laisser eruporËer
nostre espric a ce tourbillon de vent foller, ni penser
de treuver une neilleur rayson de 1a volonté de Dieu que
sa volonté mesme ( 1 ).
Mais laissons naintenanÈ éc1aÈer I'orage. . .

I342 Lt orage

François de Sales dans 1e sËyle famil ier dont i1 use


avec une grande délicatesse eË beaucoup de finesse d'observaËion
nous livre sa propre expérience drun orage particulièrement
impressionnant :
Hier au soir, nous eusmes icy des grans tonnerres et des
esclairs extremes, eË j t""tois si ayse de voir nos jeunes
gens, mais particulierement mon frere, nosËre Groisy,
qui mu1Ëiplioyent les signes de croix et le nom de Jésus.
Ah ! ce leur dis-je, sans ces terreurs nous nteussions
pas Ëant invoqué Nost.re Seigneur. Sans mentir, je rece-
vais une parÈiculiere consolation pour cela, bien que 1a
violence des esclaÈz me fit t.remousser, et ne me pouvais
contenir de rire (2).
L'orage dut. sans doute atÈeindre un paroxisme peu frê-
quenÈ puisque François de Sales revient sur cet épisode mémorable
dans une auÈre 1eËtre eÈ précise que toute 1a famille stétaiÈ réfu-
giée dans 1a petiÈe chapelle du château (3). L'évêque ne se dépare
pourt,ant pas de son humour accoutumé pour féliciter sa maisonnée de
sa piété... Cette attitude semblait du resÈe assez généralement
répandue puisque François de Sales expl ique dans 1e Traité que
Les chrest iens, parni 1es est,onnemens que les tonnerres,
tempestes et autres perLIz nat.ureLz leur apport.enË,
invoquenÈ le nom sacré de Jésus et de Marie, font 1e si-
gne de 1a croix, se prosternent devanÈ Dieu, eÈ font
plusieurs bons actes de foy, d'esperance et de reli-
gion (4).
Aucune honte à cela, du reste, puisque même saint Thomas dtAquin,
si Lton en croit 1a Vie des saints de 1'ordre prêcheur de Razzi
citée par François de Sales partageait cetÈe at,t itude :

( 1 ) Oeurres frl 2%

Q) id. )crr 307


( 3 ) ibid. Krrr 312
(4) id. v 301
239

Le glorieux SainË Thomas d tAquin, estanÈ naEureltemenE


sujet t
a s e ffrayer quand il tonnoiÈ, souloit dire, Par
maniere d'orayson jaculaËoire 1es divines paroles que
1'Eglise esÈime tant : Le Verbe a esté fait chair (1).

Le Èonnerre ntest-i1 pas, du reste, confondu parfois avec 1e cour-


roux divin, si 1'on en croit certaines traditions Psalmiques ?
Auss i les tonnerres, tempesÈes, foudres, sonË appelés
voiLÀg Jsj€.neuli par 1e psalmiste, qui dit de plus
ffi p a t o l e dticel.ty, parce q u t e lles annon-
cent sa crainte eÈ sonË comme ministres de sa justice Q)
La prière semble donc 1e plus sûr moyen, 1e plus généralement em-
ployé et pour François de Sales, à bon escienÈ, pour conjurer les
effets impressionnants des orages
esperant gu€, par 1a publ ique invocaÈ ion de son secours,
nous obËiendrons la fin de Eant d'aff1 ict ions, de pestes
eË de tempestes, desquelles depuis quelques années, il a
pleu a Dieu de visiËer son peuple (3).
Sans doute retrouvons-nous ici quelques Èraces de 1a fin de 1a
période goËhique, riche en anges exrerminaÈeurs, venant de 1a part
de 1a Divinité opérer quelque abondante moisson au milieu des mor-
tels. Les st.atuÈs de la Confrérie de 1a sainte Croix, érigée par
François de Sales, ne parlent I
pas en d autres termes, faisant
valoir que 1a prière d'intercess ion dé1 ivre 1a c iré des orages,
tempêËes, grê1es et autres perËurbations atmosphériques. . . (4)

Du resÈe, 1e chât iment divin, s t il paraît inexpl icable lorsqu'il


frappe 1a fidè1e Savoie, esË exposé avec quelques sous-entendus
dépourvus d'innocence lorsqu' i1 s I attaque à 1a c ité de Calvin eÈ
de Bèze.
Nous nous treuvons aussi sans nouvelles, hormis de nostre
miserable Geneve que 1a peste afflige cruellemenË, sans
qu'a 30 lieues a 1a ronde i1 y en ait aucun ressentiment;
qui fait plus probable ce que plusieurs disent, qutelle
leur est venue par la puanteur de la foudre qui y Èumba
prodigieusement ceÈ esEé. Pleut a Dieu que 1'affl ict ion
leur donnast ltentendement affin qutilz reconneussent
aussi bien la peste spirituelle de laquelle i.Iz meurenE
eË font mourrir Èant de gens, comme LLz sont contraints
de confesser 1a temporelle (5).

( 1 ) Oeuvres V 301
'Voix ôr Seigneurqui fracasse les cèdres du Liban et affole les bidres en
Q) ibid. V301cf. Ps 28
travail"
( 3 ) Oeuwes XV'II 47
(4) id. )ocv 360
(s)id. )ilflr 67
- 240

Sans douÈe ces paroles sonÈ-e11es dures à enËendre.


E1les s'inscrivent dans 1a tradition prophétique d'Isaîe (1) qui
présente 1e f1éau comme 1'occasion pour ltautorité d'opérer un
mouvemenË de conversion. La logique analogique de 1 répoque relie
curieusement. 1 t ir ion de 1a naladie avec Ia fréquence du phé-
"ppar
nomène de 1a foudre signe visuel et acousÈique impressionnanÈ
mais aussi olfactif si lron en croit ce qui est rapporËé.
Si prière et repentir sont de bons moyens pour arrêËer
le bras de la vengeance divine, les acÈes de sorcellerie, eux,
sonE prohibés. Nous les avons signalés dans notre chapitre sur 1e
feu. Leur c o n d a m n a Èi o n dans les sËatuts synodaux n t e s t rien moins
que normale eÈ nullement. assortie d'éventuels châtinents exorbi-
t,ant.s. Par ailleurs, e11e aEteste, dans 1e même temps, de leur
présence dans les sociérés montagnardes
est prohibé t
l usage de parol les
inconneiies, caracteres
et signes superst.iËieux, aux prieres eÈ adjuraÈions qui
se font contre la tempeste (2).
La foi véritable apporte un senËiment de confiance dans 1'effica-
cité de 1a prière eÈ développe ce sentiment d'abandon en Dieu que
François de Sales considère à 1a fois comme le sommeÈ de la vie
spirituelle et comme 1e seul chemin du véritable bonheur:
mais de se remeÈtre a Dieu entre 1es orages et Èempes:
Ëes, c'est 1e propre de ses enfans; je dis, se remeEÈre
a 1uy avec un total abandonnement (3).
Pourtant ce haut idéal nrest pas annoncé comme étanr immédiatement
accessible. Il demande 1a longue et patienËe ascèse d'une confian-
ce qui grandira comme une belle plante, €r son temps.
Ne nous faschons pas de nos tempestes et des orages
qui parfois troublent. nostre coeur et. nous ostent
nosÈre balance (4 ).
Les orages ne sauraient être esquivés, non plus que les tempêtes
dont i1 avaiÈ été quesÈion dans noËre partie sur 1a navigaÈion:
e 1les font part ie t
de l inéluctable de 1 ' h u m a i n e condic ion :

Croyes-moy, ma chere fil 1e, Dieu ayme les anes


qui sonË agiËees des fLotz et tempestes du monde
pourveu qu'e1les recoivent de sa main 1e travail €t,

(r) I s 2 8 , L 4 à n
Q) Oeurres)OtrII 271
( 3 ) id. )oilIl r33
(4) id. nrr 2%
-24L

comme vaillanÈes guerrieres, s ressayent de garder 1a


fidelicé emmi les assautz eÈ combatz (1).
Du reste, dans une suite d'épreuves spirituelles encore plus mar-
quée, il arrive qu'à un long Èemps de sécheresse succèdent de
"biens grans orages".(2)
François de Sales connaîË bien 1e chemin à p"rcourir pour atÈein-
dre cette "Sainte Indifférence" que cerËains ont voulu confondre
avec un quiétisme qui éluderait Ëoutes les aspérités et 1es
épreuves de I'exisËence...
Ayés un grand coeuE, €Ë eslevé, qui sache conserver sa
pa ix et sa E.ranquil 1iËé parmi touËes sortes d'orages ( 3) .
Cette dernière phrase pourrait bien êËre 1e sommaire qui résume
pour François de Sales tout.e I'at.t, itude du croyant et qui se re-
trouve dans un grand nombre de passages de sa correspondance (4).
Ces évocations de 1'orage pris dans 1e sens propre et
dans 1e sens figuré offrent quelques aspects complénenËaires sous
1a forme d'images isolées qui privilégient un détail particulier
de ces phénomènes ou encore indiquent un usage qui n'a plus qutun
loinÈain rapport avec 1a naEure tant leur enploi est usé.
Nous ne serons guère surpris, ainsi, de consËaÈer que 1es Réforma-
teurs se voient aËtribuer dans les deux premiers ouvrages de
François de Sales un caractère que Itorage senble propre à expri-
mer en une énuméraÈion sans nuance de leurs calomnies , inj ures ,
reproches, diffamations et autres Èendresses (5). Eux-mêmes ne
sonÈ-i1s pas, selon 1e mot de lrEpître de Jude (6) emportés par
les hasards du vent (7), rejoignant en cela 1a longue cohorte des
hérésies Èempêtueuses brusquement apparues dans I tEglise et aussi
rapidement évanouies : comme cel1e des NicolaîÈes (8). Il est vrai
que 1e discours religieux est sans doute propre à devenir rapide-
menË explosif comrne 1e remarque avec lucidité François de Sales

( 1 ) Oeurres frl 27O(rftF idée et II,I 297)


Q) id. rrr 335
( 3 ) id. )crr 86
( 4 ) id. XIV 394, par exeqle.
(s)id. rr 36
( 6 ) Jude 11-13

Q ) Oetrvres)0CV 188
(8) id. r 126
-242-

lui-même en parlant ici des "murmures" dans les ordres religieux:


(...) remedier aux plus petitz murmures; car comme les
grans orages se forment de vapeurs invisibles, les grans
Èroubles viennenË de causes fort legeres (f ) .

PuisanE dans 1a tradition biblique, François de Sales


propose encore, en passant, quelques traits concernant 1 | orage
qu'i1 a pu glaner ici er 1à; entre autres' une allusion à la nuée
du Livre de 1tl:cp!e qui guidait mystérieusemenÈ 1e peuple dans 1e

désert, ment ion guère développée du rest e (2); et 1e rappel de


t :
cert a ine s Ëhéophan ie s du même L ivre de 1 Exode
1. ïl faut voir et parler a Dieu parmy
Que voules vous
les tonnerres et tourbillons du vent (3); i1 le faut voir
dans 1e buisson eE parmy 1e feu eÈ les espines' eË pour
ce faire 1a vérité esÈ qu'i1 est besoing de se deschaus-
ser eË faire grande abnegat ion de nos volontés eÈ
af fections (4).

L'inspiration de cetÈe évocation assez syîthéËique se rapprochera

davantage sans douËe des remarques que nous avions pu faire dans

notre étude sur 1e thème du feu. Nous noterons simplemenË qutici

1'orage y esÈ associé, ce qui n'esË pas en soi tellement étonnanE

tant i1 est vrai que 1e Ëonnerre ntest pas autre chose que le ttfeu

du cie1".
D'autres passages ins isteront sur 1a foudre qui frappe,

comme ce Ërait hagiographique de 1a vie de sainr Siméon 1e Stilite

"q.re 1e feu du ciel tua sur 1a colonne" (5), trépas présenté comme

grandement positif car provoqué par le ciel d'une parÈ et rapPe-

lant d'auÈre part 1'ascension du prophère Elie. Au sens figuré,

parler de 1a foudre semblait être déjà populaire, comme en Eémoigne

la remarque suivant,e:

J'ai été comme frappé par la foudre en apprenant ce


malheur d'un ami comnun ( 6 ) .
Un emprunt à Pline nous vaudra êgalement quelques surpri-

ses quant à 1a manière naÈure11e de se proËéget de ce f1éau du

c ie 1 :

(1) Oeuures )0(\II 98

Q) id. T.v
(3) Ex 19,16
(4) Oeuvres)trII 6 cf. Dr 3, t2-5
(s) id. nK 1r3
(6) id. xr 135
- 243

Sçaves vous ce que font les bergers en Arabie quand


ilz voyent esclairer, tonner, et I'air chargé de fou-
dres ? lIz se retirent sous les lauriers, et eux et leurs
troupeaux ( I ).

L'invication Èransposée sera donc ainsi de se retirer en toute con-


fiance à Itombre de 1a croix... Par ailleurs lfauteur larin désigne
encore quelques auEres curiosités que François de Sales avaiË
notées mais qutil ne semble pas avoir utilisées dans ses oeuvres:
le fait que 1a foudre ne tombe janais sur 1e corail (2) ou encore
que 1es corps Ëués par la foudre sèchent mais ne pourrissent.
jamais (3).

La Ëradition apostolique emprunte êgaLement à 1 rorage


quelques-uns de ses traiÈs, dans 1e nom Ëout d'abord de deux apô-
Ères, Jean et Jacques nommés Boanerg€s, enfants du tonnerre (4) et
également dans 1'épithète que donne François de sales à 1'.pôtre
Paul :

I1 m'est advis que j toy" ceËÈe bouche apostolique


comme un tonnerre (5).

La vive lueur apporÈée par 1'éclair est êgalement men-


t ionnée, une fois pour ins ister sur 1e fait que 1a prééminence de
1'éclairage esÈ laissée au soleil qui seul peut assurer une conti-
nuité de ce phénomène (6), 1e propos étant ici de montrer un mira-
cle eÈ d'en opposer 1a brièveté à 1a pérennité de 1'Eglise Carholi-
que; Une autre fois, de manière figurée eÈ péjorative tout. ensemble,
les éclairs figurent 1es petiËs traics acerbes du caractère de
madame de 1a F1échère ( 7 ).

Quelques épisodes de 1a vie de François de Sales 1ui-mêne


eË qui ont, soulevé de nombreux remous, sont. égalemenE qualifiés par
lui en des Ëermes exprimant 1a tempêt.e, ainsi 1a traversée-surprise,
en grande tenue épiscopale, de 1a vi1le réformée de Genève (8) ou

(1) Oeurres
xv 52
(2) id. )ofirrro5
(3) ibid. )oMr133
(4) id. r 23Lcf..r{r.3,r7
(s) id. v 33
(6) id. rr 10s
(7) id. )ff 319
(8) id. Ær 227
- 244

encore certaines difficultés rencontrées par 1a première communau-


Èé de 1a Visitation (1).
Une certitude demeure t.oujours en Èous cas, même au mi-
lieu des orages 1es plus diaboliques (2), ces désordres de 1a r.erre
n'ébranlent pas les réa1ités du ciel (3); autrement dit, dans la
créaË ionfuture enfin ËouË entière réconciliée avec Dieu eE avec
e11e-même, l torage ntaura plus de raison drêtre (4).
I1 nous reste sans douEe à observer 1es nuages, qui com-
posent une réa1ité à 1a fronrière des divers é1émenËs de 1'eau, de
1'air eÈ du feu, en rapporc aussi avec cette t.erre qutils désaltè-
renÈ et dérruisent parfois.

135 Les nuages

Ecran devant 1e soleil, empêchanË 1a douceur du rayon


d'éclairer et de réchauffer, le nuage va davantage êËre perçu dans
Ia nature salésienne comme un obstacle que comme 1 1ément bénéfi-
t é

que Porteur dtune pluie bienfaisante pour les cultures. I1 esË vrai
que 1a Haute-Savoie ntest guère une région sujetre aux sécheresses
et que les jours de plein soleil sont bien plus appréciés que les
nombreux jours de pluie et de précipitaËions diverses.
Dès lors, ne nous ét.onnons guère de trouver 1'écrit
polémique protestant conËre 1a dévotion de 1a croix qualifié de
nuage, viÈe dissout par 1a "blanche clarté de 1a croix" (5). plus
profondément, dans 1e Traité de Itamour de Dieu, 1a foi sera
dépeint,e ainsi :
une connoissance obscure, environnee de beaucoup
de nuages (6).

Dans 1a Correspondance, 1'éËat d'esprit intérieur pourra êrre appe-


ré "nuageux" (7) toujours en fonction du microcosme; à moins que ce
soienË certaines difficultés intellectuelles empêchant une pleine

( 1 ) Oeuvres )0( 231

Q ) id. fV 169 cf. Is 14,13


(3) id. xrv 163
(4) id. xrr 357
(s)id. rr 26
(6) id. w 316
Q ) id. ltrrr 83
245

et.enËière compréhension d'un domaine de 1a foi qui soient aussi


dés ignées par 1e terne de "nuages" ( 1) .

PrésentanE les mêmes caractérist iques, 1es brouillards


sonÈ également plusieurs fois évoqués.
Ma tres chere seur, ces brouillardz rle sont pas si
espais que 1e so1eil ne les dissipe (2).

Brouillards des difficultés personnelles mais également parfois


brouillards des docËrines protesÈantes, cet "esprit de tournoye-
menE" comme diÈ François de Sales qui promeut la libre interpré-
tation des Ecrit.ures (f ).
Le brouillard peut enfin figurer 1e malaise d'un état fébri1e mis
en parallè1e une ËouÈe autre maladie,
avec plus inÈérieure mais
tout. aussi redouÈable que l ton appellerait aujourd'hui 1a dépres-
s ion ne rveuse
eE comne un brouillard espais remplir 1a tesËe eÈ La
poitrine de rume, et par ce moyen rend 1a respirat. ion
difficile et met en perplexité 1e voyageur, ainsy 1e
malin remplissant ltesprit humain de tristes pensées i1
luy oste la facilité d'aspirer a Dieu, et 1uy donne un
ennuy eÈ descouragement extreme, affin de le desesperer
et le perdre (4).
Le ciel couvert., 1e brouillard épais, autant d'images Propres à
Ëraduire. un état de tristesse qui demeurera toujours pour
FrançoisdeSa1escontrenaÈureetcaËégoriquementopposéà1a
vocation de 1'homme appelé à 1a joie et au bonheur. Ltimage une
fois de plus est précise : nuages et, brouillards seront un jour
percés par 1e soleil, ils participent à un état d'irnperfecÈion
passager, inéluctable cerÈes, mais qui fera paraître plus aEti-
rant encore 1a clarté définitive eÈ 1a lumière à 1aquelle 1e
croyant est appelé en 1a vie terrestre d'abord puis, êt plénitude,
dans 1a vie définitive de 1'éËernité. Du reste I'image même de 1a
pluie il1usÈre ce Èhème en insistant sur 1a résolution bénéfique
et pos iË ive du nuage
et comme nous voyons que les nuees espaissies par 1e vent
de nidy, se fondanÈ et converËissant en pluie ne peuvent
plus demeurer en e1les-mesmes, ains tumbenÈ et srescou-
lent en bas, se meslanÈ si intimemenË avec 1a terre

( 1 ) Oeurres )QtrII 20
Q ) id. )(Vr 133
( 3 ) id. I 176et I 169
(4) id. v 315
246

qu'e11es desÈrempenÈ qu I elles ne sont plus qu'une


mesme chose avec icelle, ainsy ltame laquelle, guoÏ
quraimante, demeuroiË encore en e11e mesme sort par
cet escoulement sacré et fluidiËé sainte et. se quitte
soy mesme, non seulement pour stunir au Bienaymé mays
pour se mesler et se détremper avec luy ( 1) .

Cette dernière évocat ion aura, ouËre sa grande beauËé,


1e mérite d'opérer une transicion avec le dernier é1ément de
noEre étude, à savoir, 1a terre.

( 1 ) O e u v r eM
s +6
-247-

14 LA TERRE

140 Présentacion de f image

La vie de 1'homme dépend entièrement. des richesses qui

lui sont offertes par 1a terre et de 1a fercilité de son so1.

E11e esf 1e cadre providentiel de sa vie. Cependant, du fait même

de cetÈe importance vitaler la Eerre n'est Pas perçue comme étant

seulement 1e cadre de vie de lthomme : i1 y a entre 1ui et e11e

un lien intime, souvenr souligné de nanière religieuse par lrima-

ge réaliste de 1a t.erre-mère ou de 1a terre-fenmel 1e peuple

dtlsraë1, touÈ comme les auËres peuples de 1'antiquité sera ame-

né à faire ce lien en suggéranË que Ithomme crêê esÈ tiré de 1a

terre. Ceci étanË, 1a Bible affirme aussiÈôt que I'homme est

appelé à se rendre maître de ceËte terre' plantée Pour lui d'un

Jardin délicieux par un Dieu qui désire son bonheur. Dans 1a

mysEérieuse épreuve du péehé qui gauchiÈ 1a relation prinitive

entre I'homme et Dieu, la terre va être éEroitenent associée eÈ

solidaire de 1tépreuve de 1'homme. Il serait trop long de détail-

ler Èoute I'importance du thème de 1té1énent Èerre dans la suiËe

des Livres inspirés; 1a promesse d'une terre ' la Terre Promise,

et sa longue conquête, 1es cultes associés aux fêtes des réco1-

tes, 1es tenËaÈions conËinuelles d'idolâtrie qu'e11e propose'

1es occasions de chuËe auxquelles e11e incite parfois en exacer-

bant des sentimenÈs d'injuste appropriation, les Promesses de

fécondiÈé et de justice qui lui sont 1iées... Dans 1e Nouveau

TestamenË, 1a terre sera encore au centre de nombreuses paroles

évangé1 iques, au genre 1ittéraire parabol ique touË d'abord mais


aussi dans 1a proposition faite aux disciples par celui q,ri se
désigne comme "Christ", dthabiter et de gérer 1a terre' - proPo-
s it ion subvers ive eE touÈ à fait originale. - Le message messia-
nique nouveau ne concerne plus seulement une terre précise mais
1a terre tout enÈière. Enfin, dans lteschatologie' ceËÈe même
Ëerre est appelée à "êËre 1ibérée de 1a servitude de 1a corrup-
tion pour entrer dans la liberté et 1a gloire des enfants de
Dieu" ( I ).

(l) Ro 8,19
248

Le XVIème siècle et 1e début du XVIIème sièc1e ne sont

pas insensibles à ce Ehème de la Ëerre. En litEéraEure,1e roman

pastoral qui prend un essor tout parËiculier avec 1'Astrée

d'Honoré drUrfé, conÈenporain eÈ ami de François de Sales, ÈienÈ

1a terre en hauÈe est ime. E11e sera 1e cadre d'un parcours ini-

t iaÈ ique et symbol ique d'une grande coulplexité, amenanË progres-

sivemenÈ ses héros jusqutà une concepÈion mysÈique qui rejoint


t intuiÈion de certains mystiques Rhénans (f). La Ëerre que pré-
l
sence 1e rotuan pastoral ressemble à 1a nature biblique du

Cantique des Cantiques. E11e en a le langage inspiré et 1e charme.

E11e influence directemenË I'oeuvre salésienne dans sa conception

et son esÈhéËique.

141 La terre proprenent, diÈe

Notre première parÈ ie observera directemenË ' avec


François de Sales, les diverses réalirés de ceË é1ément de 1a
nature.

14I 1 Une terre féconde

La Ëerre est mère, comme nous 1'avons indiqué r êr tant

que 1'homme en est issu dtaprès 1e Livre de la Genèqe (2) qui voit
ttAdamtt, c 'est-à-dire de terre",
1e premier êÈre se nommer " fait
ce que François de Sales résume par cett,e belle formule :
c t est pourquoy nous sommes appellés terre parce que
nous sommes exEraitz de 1a Èerre eE que nous
retournerons en t.erre (3).
Dans 1e Traité, il cite deux fois 1e réciÈ de 1a CrêaEion de
t
1 homme en se rapportant. au deuxième récit de 1a Genèse (4) qui
mont r e la "mise en forme" de I'homme à partir de 1a rerre (5).

EEant ainsi à ltorigine de lthomme sous I'acÈion créa-


trice de Dieur la terre poursuit ceËÈe activité créatrice en
rêtre vivant de ses grains, réa1ité que rappelle 1a
nourrissant 1

( 1 ) Ançlus Silesius

Q ) CîL1,2
( 3 ) Oetrvres V 132

Q ) Gn 2, 1 sq.
(s)Oeuwes V 89, ibiden V 268
-249-

parabole évangé1 ique du semeur ( I )


comme 1a bonne Èerre ayant. receu 1e grain 1e rend en
sa saison au centuple, ainsy 1e coeur qui a pris 1a
complaysance en Dieu ( 2 ) .
Cependant, la parole de Dieu que représenÈe 1a graine dans 1a
parabole n'agit pas de roanière magique. Si f initiaËive de 1a
croissance appartienÈ au mysEère divin, i1 convienÈ que le
croyant. exerce une act ivité non négl igeable pour que 1a culture
arrive à maturiré.
I1 faut garder nos coeurs purs et neÈs comme un temple
sacré auquel Dieu f.ai,c sa rés idence eÈ avoir tous les
jours et. a toutes les heures 1a serpe à 1a main pour
couper et reErancher 1es inuËi1ités qui naissenE à
IteaËour de nos coeurs, qui sonf comme 1a terre qui a
Ëoujours besoin d'être sarclée et émondée ( 3 ) .
L'Evangile propose, du rest.e, une autre parabole de croissance :
"1e bon grain et I'ivraie". En reprenanÈ le Ëerme, François de
Sales suggère quelques productions dont 1a croissance ne saurait
êt re béné fique :
Ctest dommage de semer en 1a Èerre de nostre coeur des
affect.ions si vaines eÉ sottes : jeux, ba1s,
festins... (4).
L'image Ëraditionnelle de culÈure sera utilisée de manière origi-
nale par François de Sales à propos de sa charge épiscopale:
Continuons seulemenE a bien culÈiver, car i1 nrest
point de terre si ingrate que lranour du laboureur
ne f æconde ( 5) .
Si 1e labour dépend de 1 rhomme, ensuite 1a providence naÈure11e
produira:cet échange mystérieux qui permeÈtra 1a croissance du
grain. Etrange complémentariÈé observée par 1'aut,eur avec une
grande précision scientifique
La terre envoye des vapeurs a 1'air, eË 1'air des
pluyes a la terre (6).
Tous 1es é1énents de 1a nature sont appelés à collaborer dans

(t) rc a,g
(2) Oeuwes V 59
(3) Entretiens 1324
(4) Oeuwes III 65
(s) id. )v 28
(6) id. w e7
250

cette grande syEphonie bienfaisante de la création, sous I'action


d'un Dieu qui envoie so1eil et pluie sur checun.
La terre seche ne reçoit pas si a propos 1e soc ni 1a
senence; Dieu fait pleuvoir Pour semer sa grace ( 1 ).

Nous aurons ltoccasion de revenir sur 1a fécondité de 1a terre,


son aspect nourricier et macernel. Mais sans douÈe serait-i1
inportant d'examiner la terre sous son aPParence la plus nue' 1a
plus austère, ce1le qutoffre 1e désert. Son évocation ne saurait
êrre inspirée par quelques paysages famil iers à I'auÈeur mais
relève d rune influence bibl ique très forte.

L4I2 Le désert

En soir le désert n'a rien de très attirant:1teau y


est rare, 1a survie précaire, c'est une terre que Dieu ne semble
pas avoir bénie contrairement au jardin de I'Eden ou à 1a Terre
Pronise. Ctest pourtant dans ce chaos peuplé de dénons que Dieu
a voulu, d t a p r è s le Livre de l tExode, faire passer son peuple
avant de 1e conduire dans 1a terre où "coulenÈ 1e lait et 1e
mielt'. Du même coup, sa significaÈion en sera transformée : il
sera 1e lieu véritable de 1a naissance du peuple de Dieu, le
tenps du passage fondamenÈal et indispensable au cours duquel
Dieu se fera éducateur. La figure de Jean-Bapt iste ' fréquemment
invoquée par François de Sales, stinscrira dans cette tradiÈion.
E11e ne propose pasr à propremenÈ parler, une rnystique du désert
mais invite à revivre, dans une expêrience spirituelle à 1a fois
personnelle et collective, ce tetrps privilégié de rencontre avec
d'après 1 r E v a n g i l e de
Dieu et de conversion. Le Christ lui-nême,
Matthieu (2), tiendra à vivre ce tenps d'étaPe du peuple de Dieu
avant d'accompl ir de manière dé finit ive 1e desÈ in d'Israë1 dans
une création présentée déjà comne réconciliée :
t'i1 étaic avec les bêtes sauvages et les anges 1e
servaienÈ" (3).

Pour François de Sales,1e déserÈ sere surtout intérieur et figu-


rera une expérience spirituelle rude nais souvent positive.
Ne vous troubles point pour vos secheresses et

( 1 ) Oa.rwes XII 404


(2) I,t 4, l-11
( 3 ) I|t 1,12
25L

et sÈeril ités. . . Quel bonheur de servir Dieu au desert,


sans manne, sans eau, et sans auÈres consolat ions que
celle quton a d'esEre sous sa conduitte eË de souffrir
pour luy (1).
Cette expérience sera fortement marquée par la hauÈe st.acure du
Précurseur dont François de Sales aime à rappeler 1a figure et
1'action.
SainË Jean BaptisEe a1la au désert a 1'age de cinq
ans, et sçavoiË que nostre Sauveur, et le s ien, estoiË
nay tout proche de 1uy, cresÈ a dire une journee ou
deux ou Ërois, comme cela (2).
Ce ÈraiË esË sans nu1 doute emprunté à quelque tradition apocry-
phe, nais en tous cas i1 met en relief 1a proximité des deux cou-
s ins qui sera grandement développée dans 1a prédicat ion salé-
sienne, thème hors du propos de notre étude actue1le. I1 ntest du
resËe pas impossible que 1a réa1icé de ce départ précoce de Jean
au désert ait eu des fondemenËs exacts dans 1a mesure où des
exégètes actuels supposent une apparËenance de Jean 1e Bapt iste à
1a communaut.é essenienne de Qumran. Dans d tauËres 1eÈtres, 1e
commenËaire sur 1e même sujet sera ainsi formulé :
J'ay souvent admiré I rextreme resignation de sainÈ
Jean Bapt iste qui demeura s i long Èens au deserE, Eout
proche de Nostre Seigneur, sans s'empresser de 1e voir,
de 1e venir escouter eE suivre ( 3).
François de Sales insiste encol:e sur Civers aspects de cette pré-
sence au désert : 1a solitude (4), 1a virginité parfaite du
prophèÈe donÈ 1e regard ne saurait êÈre Èenté (5), sa dévo=
rion (6), son message enfin (7). Jean-BapËiste apparaît, ainsi
comme 1e parangon du chercheur de Dieu. Le désert sera donc 1e
lieu de 1a dévoÈion dans Iequel il fera bon demeurer sous le
soleil de Dieu, selon I'expression même du Psaume 77 (8).

(1) Oeuwes)Ott 25
(2) id. )trr 366
(3) id. Ærr 227
(4) id. )fir 73
(s) id. xt 74
(6) id. )v 75
(7) id. )ill/ 3æ
(8) Ps 77,19
252

Ctest encore en ce lieu que Dieu dressera une table ( I ),

Eexte qui propose ains i une caËéchèse eucharist ique à parÈ ir de


1a mulciplication des pains au cours de laquelle Dieu offre un
fest in plus dé1ectable que 1e fest in impérial d'Arcaxerces men-
c ionné dans 1a Bible.
Et ces ames amoureuses du Sauveur, qui le suivent en
nostre Evangile, j.usques sur 1e hauE du desert y fonË
un plus delicieux fesEin sur 1'herbe eË 1es fleurs,
que ne firent jamais ceux qui jo,ryssoyent de 1'appareil
sompËeux d t Assuerus, ou 1'abondance estouffoit 1a
j ouissance parce que c'estoit une abondance de viandes
et des hommes (2).
I1 arrive pourtant que 1e désert soit dépeint de manière enÈiè-
remenË négative comme dans ce passage de lrlntroducEion qui dé-
crit et évoque avec un grand réalisme ceË écat de désespérance
spirituelle qui peut guetter 1e chercheur de Dieu.
I1 vous sera advis que vostre ame soit une terre deser-
te infructueuse stéri1e, en laquelle i1 nty ait ni
sentier ni chenin pour treuver Dieu, ni aucune eau de
grace qui la puisse arrouser a cause des secheresses
eui, ce me senble, 1a réduiront totalement en
f riches (3).
I1 est vrai que 1a fécondité spirituelle du désert n'est pas im-
médiatenent. percept ible et que 1'éËaÈ de découragenent demeure un
passage obl igé dans 1e cheminement spirituel.
Du reste, 1e désert n'est e ffect ivemenÈ perçu que comme
un 1ieu d'it inérance er d'apprent issage et il doic déboucher sur
une ÈouÈe autre réa1iré. Rester toujours au désert ne seraiË pas
vertu, mais fuite malsaine
comme de même ce ntest pas 1e moyen d'être doux que de
demeurer seul en un déserr (4 ) .

Ainsi, sans douEe, 1e désert annonce-t-i1 par avance un


auÈre lieu, une terre promise qui prend, dans 1e Nouveau Testa-
menË,1a dimension du monde eË dans laque1le 1'homme aura à
réa1 iser 1e bonheur d'une réconc iI iat ion avec lui-nême, avec son
semblable et avec son Dieu. Cette Èerre promise sera pour 1e mar-
cheur du désert ce que 1e porË était. au navigaÈeur' les deux

( 1 ) Oeuwes )OtrII æ

Q ) id. )$ b6 cf. Est I,3


(3) id. rrr 325
(4) Entreciens 1012
253

images offranË à ceË égard une grande unité d'inspiraËion.

1413 La Èerre promise

Dans 1e choix des textes bibliques qu'i1 nous donne à


propos de 1a t ' t e r r e promise", François de Sales marque une insis-
tance sur deux faits. Le premier est sans doute que 1a promesse
divine s'accompagne d'un Èemps nécessaire de désinsËallation et
de ltaccueil dtune aventure au conËour encore indisEincE.
L'hisÈoire drAbraham est fort cé1èbre. Dieu lui dit. :
Abrahan, sors de Èa Èerre et de t.a parenté, ctesÈ à
dire sors de ta ville et t'en va au lieu que je te
monErerai (1).

Ce nécessaire arÊachement, inhérent au chemin du croyant,


François de Sales 1'envisage pour lui-même lorsqu'i1 esÈ ques:
Èion de 1ui proposer la coadjutorerie de 1'évêché de Paris.
(. . . ) Touchant 1a proposition qui se fait de me rÈirer
moy mesme de ma terre et de mon parentage (2).

Une fois ce départ. acconpl i, 1a promesse d tune terre va Ërouver


un complémenc essent iel avec 1a miss ion de 1ibérat ion donnée à
Moîse.
Vous me faites resouvenir de Moyse. Le sainË homme,
arrivé sur 1e mont de Phasga, i1 vit Ëoute la Èerre de
promission devant ses yeux, Eerre a laquelle i1 avait
aspiré et espéré quaranÈ'ans cont inuelz, parmi les
murmurations et sedicions de son armee eË parmi 1es
rigueurs des deserts : I1 1a vit et ni entra point,
mais mourut en 1a voyanÈ (3).
Tout croyant est appelé à pénétrer dans cette même terre de pro-
mission qui revêt un sens spirituel sous la plume sa1ésienne:
Vous vettez bien que parmi tanË de destours, nous
ferons prou et que nostre Seigneur nous conduira par
les desertz a sa sainÈe terre de promission (4).

Cette terre prend alors figure du Royaume annoncé dans l tEvangile,


lui qui nécessiËe de se décacher de 1a Èerre des hommes à 1a
suite du Christ, é1evé de Ëerre par sa morÈ sur 1a croix, et
confessé comme ressuscité.
Nostre Seigneur dit : Si quelqu tun me leve de terre,

(1) gntretiens 1147cf. Gn 12, 1 sq.


(2) Oeuvres)CV 15
(3) id. )trr 385cf. Dr Y+, l-5
(4) id. )Mr so
254

je tireray tout apres moy (1).


Cette vision spirituelle de 1a terre ne sauraiÈ faire oublier 1a
dureté dtune ré,a1ité concrèt,e qui est 1e lot de ËouË mort.el.

1414 La terre est parfois rude

La pauvreté et le détachement du ChrisÈ qui constatait


lui-nêne ne pas avoir de lieu où reposer sa tête (2) nous vaut,
également. une recommandation pleine de réalisme desÈinée aux
religieuses visit.andines qui pourraient se laisser tenËer par un
confort. douillet:
Estant au 1it, qutelles se souviennent que NosÈre
Seigneur eE plusieurs saintz dormoyenË sur 1a cerre
f roide (3).
A cetËe rudesse s'ajout,eront, sans doutê les dangers présentés par
1a Ëerre e11e-même. François de Sales n'en noËe qutun seul de
manière allusiver un tremblement de terre en date du lO juillet
1591 alors qu'i1 poursuivaiË ses écudes à Padoue (4 ).

1415 Terre eÈ richesse

Mais ceux qui possèdent des biens s'imaginenÈ-i1s par-


fois que 1a vie n'esÈ pas si rude eÈ que leur richesse esË 1égi-
time? François de sales ne se lancera pas dans de grandes haran-
gues prophétiques pour dénoncer 1'oppression des pauvres. Le
Eemps ne s'y prêtaif guère, probablemenË, et son act ion rentrera
Eoujours dans 1e cadre des conventions sociales eÈ politiques qui
rêgissaient son époque. Des é1éments de sa Correspondance font au
contraire état dtun réalisme praÈique et prudent concernant les
dots des futures religieuses de 1a VisitaÈion qui apport.eronÈ des
Èerres sur lesquelles e1les pourronÈ être entretenues (5), ou
bien 1a juridiction politique sur les terres que lui-mêne, évêque,
a charge d r a d m i n i s t r e r du point de vue de I'Eglise (6).
I1 indique cependant que cette propriété qui ne sera pas mise en

(f ) Oar,rres )OilII 315 cf.. Jn L2,32


(2) L 9,58
(3) Oer-nrres
)0$/ 155
(4) id. )orr 73
(s) id. )cv 328
(6) id. )(VI 99
255

cause d'un point de vue politique ne devra pourtant pas être un


poids qui ernpêche de rechercher 1es réa1 icés spirituelles.
examiner son coeur. . . pour voir s'i1 est point aËtaché
a quelque chose de 1a Ëerre (1)

recommande François de Sales à Jeanne de ChanÈa1. Toute richesse,


touÈe possession ntest que passagère et provisoire Èant i1 est
vrai que I'homme esÈ mortel eÈ qu'un jour, comme 1e rappelle 1e
Psaume 145 (2) if reËourne à la terre.

L4I6 La mort. reÈour à 1a Ëerre

Ce Èrait n I occulte en rien, nous I'imaginons, la foi de


François de Sales en la docErine chrétienne de la résurrecÈion et
du Paradis qu'i1 évoque fréquemment à lraide drimages de 1a naÈu-
r€, conme nous avons déjà
eu lroccasion de 1a consEater. I1 utili-
se s implement à sa manière l t express ion populaire qui dés igne
I t enfouissemenË du corps du défunt :
Madame de Chantal confia Samedi a 1a terre 1e cors de
1a pauvre chere peEiËe seur RogeË (3).
Lremploi du verbe rend 1a réalité presque maternelle à 1'égard de
cette terre qui accueille 1a défunte.
En une autre occasion, parlant. des pertes incroyables
t
d une campagne mil iÈaire part icul ièremenË désastreuse, François
de Sales décrit en un raccourci saisissanË f image des soldaËs qui
sortent. des t,ranchées glaiseuses pour plonger direcËement dans 1a
Èo m b e
Mais, ce qui console les miserables, c'esË que de ceux
qui furent nos ennemis, i1 en meurt davanÈage comme
s'il z tr'est.oyent sorÈ is de 1a terre des tranchees que
pour rentrer en ce1le des tombeaux (4 ).

L4I7 Conclus ion

Réal ité maÈernel1e qui apparaît d tun bouÈ à |


1 autre de
1a destinée humaine, dans sa création et dans son Èrépasr la Eerre
offre à François de SaIes une grande diversité de conceptions.
E11e est tout d'abord cette réalité fanilière sur laquelle chacun

(1) Oeuvres)OC lY+


(2) Ps L45,4
(3) Oeu,rres)(VI 34
(4) id. )ilrrr 31
- 256

s'appuie, ténoin ceÈte étrange manière de prendre un engagemenE.


en crachant Par terre (1). E11e constiÈue ensuit,e 1e don merveil-
leux que Dieu fit à I'homme dès ltorigine et sur lequel s'ancre
1e mystère de I r r n c arnation.
E11e connaît alors I'appel et le
ressourcement de la tradifion exodale mais aussi 1a cat.échèse
baptismale de Jean. Enfin e11e annonce déjà dans 1'eschatologie
cet.te terre nouvelle qui ntest pas sans rapport avec 1'actuelle
qui sera transfigurée pour 1a félicité éternelle des aimés de
Dieu.

142 La pouss ière

ComportanË sans doute une nuance 1égèrement péjorative


en regard du terme dé "Èerre" perçu comme plus noble,1a poussiè-
re prend sous 1a plume salésienne un sens assez pÊoche en
diverses occasions.
Lrhomme ntest que "poudre eË cendre" (2) comme re rap-
pe1 1e Abraham; cetËe express ion renforcera f ins isËance sur
1'abaissement exErême de lrrncarnation du fils de Dieu :
ory, ma chere Fi11e, car nostre sauveur a pris nosÈre
vraye ehair, qui est en somme poudre; mays en 1ry, e11e
est si excellent,e, si pure, si sainte que les cieux et
1e soIeil ne sonË que poussiere au prix de cette poudre
sacreee (3).
Par ceËte image François de sales donne pleine dinension à son
humanisme christocentrique alors t
que tant d images nous avaient
sensibilisés à f importance thématique du ciel et du soleil. La
poussière nrest pourtanÈ guère attrayanÈe, elle qui enlaidit
touËe chose:
rien de si pur a quoi 1a poussiere ne s'atÈache (4 ).
et qui ne peuË au nieux que servir de buvard (5).
E11e permet en tous cas de redire encore autrement I r infinie
sollicitude d'un Dieu amoureux de 1'homme.

( 1 ) Entretiens 1034

Q) Oeuwes)0$/ f9O cf. Gn 18,27


( 3 ) id. )v 150
( 4 ) id. )0(I 67
(s)id. )0w 117
257

143 La nontagne

1430 Présentation de 1 I image

La terre proprement dite ne se prêtait sans douÈe guère


à de longues observations direcÈes mais bien davantage à un recen-
trage scripturaire, de même 1e thème de 1a poussière ne pouvaiË
offrir une ampleur bien considérab1e. NoÈre croisième paragraphe
traitera de 1a montagne en tant qutelle est précisément 1e lieu
d'observaÈion privifégié de François de Sales du fait de son
or igine savoyarde ; Nous remarquerons pourËant, que 1es observaË ions
directes se parËagent grandement 1à auss i avec de nombreuses
images dtorigine biblique, 1a montagne éËant,, dans 1e texte ins-
pirér ur lieu tout à fait unique.
Dans 1a plupart des religions, en effet, 1a Bontagne,
probablement à cause de son altitude eË du mystère dont e11e
stentoure, esË considérée comne 1e point où 1e ciel rencontre 1a
terre et, par voie de conséquence, I'habitaÈ de prédilection des
forces et figures divines. Nombreux sont les peuples qui font
têfêrence à leur sainte montagne auxquelles sont raËtachés les
mythes cosmogoniques propres à leur culcure. La Bible a été sen-
sible à un te1 at.trait que cependant elle s'esÈ roujours efforcée
de purifier : 1a mont,agne dans 1a Bible n'est qu'une créature
comme les auÈres, bien qutelle soit 1e lieu de 1a rencontre entre
Dieu et lthomme, du fait même de ce qurelle désigne par sa seule
présence. En effec 1a sEabilicé de 1a montagne a quelque chose de
fascinant : alors que les hommes passenÈ, les monÈagnes, e11es,
semblent demeurer toujours immuables :1a Bible en fera donc 1e
symbole de 1a fidé1ité du Dieu de 1'Alliance qui communique sa
Loi en une théophanie grandiose sur 1e Eont Sinaî (1). E11e sera
encore 1a source de certaines inspiraÈions prophéÈiques. La vie
publ ique du Christ même, dans 1 ' E v a n g i l e de MatÈhieu, nous est
présentée comme encadrée entre deux scènes siÈuées en montagne :
au début cfest une monÈagne que choisit 1e SaEan pour offrir au
Fils de 1'homne 1e pouvoir sur 1e monde entier (2), à 1a fin,
e11e sera 1e lieu de 1a séparation ultime après les appariÈions

(1) E:(3, 1-5


(2) Mt 4r8
258

pascales lors de 1'Ascension qui suivra 1a transmission aux dis-


ciples dtune mission et dtun pouvoir reçu du Père (1). Entre ces
deux scènes, la mont.agne sera encore 1e théâcre de cerÈains épi-
sodes essentiels de 1a vie du Christ : 1e sermon sur 1a mont.agne
avec l t a n n o n c e des Béatitudes (2), de multiples guérisons, 1a
mulciplicaËion des pains (3), 1a transfiguration enfin (4). Le
calvaire Pourra encore dans cert,aines Èradit ions mér iter 1e nom
de montagne non pas ÈanË à cause de son altitude mais du f.ai,t de
l'évènement irrémédiable qui sty déroule. Ces quelques évocations
Ëout à fait incomplètes nous convaincront de I'inporÈance de ce
lieu dans 1a tradition biblique.
Pour les contemporains de François de Sa1es, habitanÈs
de 1a Savoie, 1a montagne était loin sans doute de paraîÈre comme
1e lieu privilégié de 1a rencontre entre Dieu et 1es hommes.
Longtemps seules les va11ées furenË habitées en permanence eË à
1a bel1e saison les troupeaux étaient emmenés en alciÈude en des
paÈurages non dépourvus de périls. PourÈant, comme nous le ver-
rons, les nécessités d'une population en expansion - et parfois
le besoin de se défendre des ennemis - avaienË occasionné un
habitat permanent en des lieux plus périlleux au coeur de vallées
très ret irées ( 5 ) . Par ail1eurs, d'ordinaire 1a monÈagne était
davantage perçue comme étant un obstacle plutôt qutun lieu aÈti-
ranË qui draînerait les foules. Rappelons qu t il faudra atÈendre
1e xrxème sièc1e pour que 1a curiosité de I'homme 1e pousse à
gravir par plaisir les cimes et à se risquer sur des penÈes en-
neigées. rl faudra pour cela exorciser les vieilles peurs, 1es
terreurs Ëransmises de généraÈion en génération dans ces villages
autarciques, terreurs du diable, des fées,des pierres mystérieu-
ses, des appariÈions de dragons et de beaucoup d t a u t . r e s phénonè-
nes surnaturels. Ne sourions pas trop vite : en lran 1559, huit
ans avanË 1a naissance de François de sales, un certain Jean

(r) ft za,to
(2)I..s
(t) lt ts,zg
(4) lt 17, 1 sq.
(5) ... c'nr. en Ëémôigrpnt.diverses d€rnandes d'érection de paroisses nq.nrelles. cf. Oetrwes
)frtv passin. voir égalsrpnt 'tstat du diocèse", oeurres xicll tll à 335.
259

FabriEius, notable, rapporEe à un ami, Henri Bullinguer, la dé-


couverte dtun dragon monËagnard vu par deux hommes. A I'en croire,
ceËÈe rencontre fut partielleurent fatale à 1'un d'eux puisque 1e
sang de 1a dire créaËure "éÈait si venimeux et 1e venin si subtil"
que 1e venE conÈraire l t a v a i t porté j.rsqutà lui et fait perdre Ia
vue (1).
PoinE de semblables diableries sous 1a plume salésienne
mais ne nous étonnons pas de ne pas voir 1'évêque présenter un
goût hors de propos pour des sommets enneigés dont il admire 1a
beauté sans s ty aËËacher outre mesure.

1431 La vie quotidienne dans 1a montagne

La correspondance de François de Sales eÈ tout parÈicu-


I ièrement divers rapporÈs qu'i1 dut expédier à ses supérieurs nous
apport.ent des enseignements précieux sur 1a vie quotidienne et 1a
concept ion qu'i1 pouvait avoir de cette terre si part icul ière que
const itue 1a région de monÈagne. Voici commenÈ François de Sa1es,
dans un "éÈaË du diocèse" daté de novembre 1606 (2) décrir ce milieu:
Est hæc diocæsis Gebennensis in medio monÈium altis-
s imorum pos ita, in quorum tamen plerumque cacuminibus
eÈ præruptis pagos numerosissimis familiis refertos
videre est; quibus uÈ de religione provideretur, majo-
res eccles ias ædificaverunt ad quas pastores in iuis
vallibus commorantes, singulis diebus festis accederent,
plebem sacratissimo Missæ Sacrificio recreaÈuri. Verum
cum initio rar€p admodun incolarum in tam asperis locis
essenÈ familiæ, illa extemporaria visitaÈio pastorum
sat is superque esse debebaÈ, quandoquidem pr€psert ium ob
agrorum et agricolarum pauciËatem, non possenË ex illo-
rum decinis ali ac sustentari clerici qui inter eos
residerent. At nunc, cum Deus eÈ genËem i1lam multiplica-

(1) cité dans l'étude de Grard{arLeret,, Jdrn, La urcnËagne


à Ërarrersles âges, Archives
déparÈ€rpntalesd'Anrccy.
(Z) Oeuvres)0CII 328, traduit ainsi : 'Le diocèse de Genèveest siËué au nilieu de Èrès hzutes
mnÈagnes dcrrt ceperdant les scmets et, les escarpænts sont sds le plus scuvenEde villages
renferænÈ des fæilles très ncÉreuses. Ihns le but de fcurnir à ces fæilles les seccurs de
la religion, nos aîetx bâtirent des églises oi prssent venir, à &aqlJe jour de fête, les curés
habitæt le fqrd des vallées, pcur apporter à la population le bienfait du Très Saint
Sacrifice de la lGsse. ALrdéhrÈ, le ncsbre des færilles éËant très restreinÈ en ces lieu< de
difficile accès, ceÈte visiËe e:Graordinaire des curés devait tcrrt à fait suffirei ilfa,rËre
part, il eut éËé iryossible de naintenir 1à à dæure des clercsqui, zurto.rt à czuse du
petit ncûre des dr4s et des paysans,n'anrraient pr être ncurris et entreterus sur la dî.æ
fq,rrnie par les hôitærrs. Mais aujorrd'hui que Dieu a mrlriplié ces poprlations,
- 260

vit, et deserta, gentis labore ac indusÈria, in arva et


praËa rnuËaEa sint, desiderandum esset illis quoque addi-
ci rectores animarum, quibus alendis decimæ quas
quotannis persolvunt sufficerent.
Ces indications nous renseignenË avec une relative précision sur
1a manière avec laquel1e se présente I'habit.at monÈagnard au début
de 1'épiscopat de François de Sales. Le paysage esE de plus en
plus modifié par une population laborieuse qui n'hésite pas à
résider en des lieux difficiles d'accès. François de Sales lui-
même, gui se faisait un devoir de visiËer toutes ses paroisses,
rapporEe par exemple ceci:
Vidi ego et visitavi parrochialem ecclesiam in a1Èissimo
monte positam, ad quam nemo, nisi pedibus ac manibus
reptans , accedere queat. , per sex mi1 1iar ia Ital ica
distantem ab alia ecclesia (1)
eÈ l'évêque d'insister sur les périls qui guettent 1e malheureux
desservanÈ lorsque tout est recouvert de glace et de neige dans
ces Parages.
Fidè1e compagnon de ses déplacemenËs, Georges Rolland son secré-
taire témoignera lors du premier procès de canonisation des diffi-
cultés de voyager en montagne. Sa dépos it ion esE cons ignée dans
I'Article 47 procès rauteur :
du de béatification de 1
i1 visita touËes les églises eÈ chapelles de son
diocèse même quelques unes comme 1a paroisse de La
Forclaz en Chablais qui sont de difficile accès. . .
Je ne veux pas oublier les grandes peines et Èravaux
qu'i1 souffrît lorsqu'en plusieurs paroisses montueuses
et de difficile abord, i1 éÈait conËraint d'a11er et
d'en revenir à pied, quoiqu t il fût grandement sujet
aux sueurs et assez pesanÈ de sa personne. En une parois-
se appelée Nancy-sur-C1use, s ituée en un I ieu montueux et
d'un si diffile abord quton n'y peut a11er ni en revenir
a cheval qu'au péri1 évident de sa vie à cause du chemin
trop escarpé et Ërop étroit, i1 y a au commencemenÈ de
1a montée des degrés fort éEroits, coupés dans 1e roc,
qui fait front drun côté, eÈ de 1'autre on voit droiË en
bas la rivière d'Arve qui est grandement, impétueuse (2).

S:ite note (2) paæ précédente :


et que les déserts ont été, grâce zu trauail et à lrirdustrie, drangésen dr^a'mPs et en prairies,
il serait à sq:traiter qurcr attadrât des pasteurs à ces tro.rpea.D(spirituels'.l ..
(1) Oeuyres)OilII 329, traô-rit ainsi : "J'ai vu de æs yeLD(et visité une église paroissiale située
sur une très hauÈemntagre, ûl persorulene peuËarriver çten gri4ant des pieds et des rnains, et
distante de 1'église voisire de sixnilles italiens."
(2) Saint Frærçois de Sales par les tfuins de sa vie - te)ces - s<traits ôr procès de béatificæ
tion préserrtés par Danos,Roær, Anrecy, C'ardet,,L967, 374 p.
- 26r

Nous comprenons dès lors que 1a connaissance des ré-


gions mont.agneuses que possédait I évêque du diocèse n t avait
I rien
de théorique eË d'intellectue1le; i1 se trouvait très au fait de
Ëous les périls et embûches qu'elles comportaient.
En effet, outre 1es difficultés dtaccès mentionnées, 1a
monËagne offre encore des risques d'avalanche à Itoccasion des-
quels i1 arrive à François de Sales de devoir intercéder auprès du
Duc de Savoie.
Ces pauvres gens du Val dtAux, comme esperdus dtune
ruine présenÈe qui les accable, n ronÈ sceu ou se jecter
a refuge qutaux pieds de Vostre A1Ëesse (1)
ou encore :
Ayant veu a Six I'espouvantable et irreparable accable-
ment survenu i1 y a quelques années, par la cheute drune
piece de montagne, je n'ay sceu refuser aux habiÈans du
lieu (...) mon veritable tesmoignage en faveur de leur
trop juste praetenÈion : Crest pourquoy j'.sseure que ce
malheur leur a osËé une tres notable parÈ ie de leurs
biens et, de miserables qutilz estoyent, les a'rendus 1a
misere ruesure... (2).
La Eontagne, dans un premier tenps est donc ceÈ obstacle
'Èoujours (3)
péril1eux qui caractérise 1a partie "d"ça les monts"
du duché de Savoie. Dans ce lieu ingrat, I'homme peut pourtant
composer, comme 1e mont.re I I installation dtun nombre grandissant
d'éÈablissements religieux qui s'adjoignent à 1a prolifération des
nouveaux villages évoqués précédemment eÈ qui bénéficient alors
drautorisaÈions et de statuÈs ecclésiastiques par ordonnance
épiscopale :
Nous permettons 1a celebrat ion de 1a Sainte messe en
I'oratoire basÈ i au p i e d de 1 a m o n È a i g n e r €o 1a
paroisse de MoÏ... (4).
I1 est vrai que 1a monÈagner E81gré sa rigueur, demeure êgalement
un lieu favorable à 1rérection de communautés monasÈiques ferven-
t.es comme celle des ermites du Mont-Voiron donE François de Sales
fixera les Const icuË ions.
Le 1ieu par sa hauteur excess ive, extremement froid,

(1) Oeuyres)W'III 276


(2) id. )$ 103. Par contre la rencontre avec des brigards nfesË pas æntiorrnê cqne une réaliÈé à
craindre dans les rcntagnes, contrairænË à d'autres époqr.rcs plus ancierres. cf. Entretiens 1155.
(3) Oeuwes)OfiII 290
(4) id. )ocv 128
-262-

et 1a plupart de l thiver tellement couvert de neige


quton y monÈe et descend au peril de 1a vie, de soy-
mesme atteste qu t on n'y peut aller deschaussé et mal
vestu ( 1)

ou encore comme celle, plus cé1èbre, des chanoines réguliers du

Grand SainÈ Bernard pour lesquels 1'évêque rédige une autorisa-


Ëion de recueillir les dons.
Cum rel igiosa Domus, quæ in medio Mont is Jovis, a
Sancto B e r n a r d o d e M e n t h o n e ' A u g u s Ë æ a r c h i d i a c o n o '
fundata esË ' plurimos Canonicos regulares al iosque
viros, sub eorum cura, ad excipiendos peregrinos ec
quoscumque viatores, gui ex cisalpinis in Èransalpinas
regiones, et vicissim, inter montium i11a cacumina, ob
nivium procellarum ac frigorum vim eE impetum incredi-
bilem p a s s i m p e r i c l i t a r i s o l e n E . . . ( 2 )

Ces aspects négat ifs, ce risque affr onËé lors des tournées pasto-

rales et lors des divers voyages que François de Sales dut effec-
Èuer en Iralie ne recouvrent pas Ëout ce que pense 1'évêque du
nilieu dans lequel i1 doit exercer ses activités. En effeÈ 1a
montagne va être pour 1ui une source d'émerveillement. Le carac-
t.ère courageux de ces femmes et de ces hommes aux prises avec une
réalité naturelle qui n'esË qutun long combat va 1ui permeÈrre de
relever des traits qutil transposera dans 1e contexte de La vie
spirituelle eÈ dans celui de sa mission pastorale.
j ' " y veu ces jours passés des mons espouvanË.ables ÈouË
couvertz dtune glace espaisse de dix ou douze piques'
et les habitans des vallees voysines me direnr qu'un
berger, al lant pour recourir une sienne vache, tomba
dans une fente de douze Piques de hauËr êû laquel1e i1
mourut gelé.0 Dieu, ce dis-je, et.1'ardeur de ce ber-
ger estoit e11e si chaude a La queste de sa vache, 9uê
cette glace ne I t a point refroidy ? Et pourquoy donques
suis-je si lasche a 1a queste de mes brebis ? Certes'
cela mrattendrit 1e coeur t eË mon coeur Èout glacé se
fondiË aucunement. Je vis des merveilles en ces lieux-
1a : 1es vallees esÈoient t.outes pleynes de maysons '
et 1es mons Ëous pleins de glace jusques au fond. Les
petite vefves, les petites villageoises, comme basses
vallees sont si fertiles, eË les evesques si hautemenË
eslevés en 1'Eglise de Dieu, sont Èant glacés ! Ah !
ne se creuvera-t-i1 pas un soleil asses fort Pour

(1) Oeuvres)0CM85
(2) ibid. )0CV 197 Èraduit ainsi : 'Ï,a pieuse l,Iaison gui, au cæur du lfuiÈ-Janc, fut fcndée par
Saint Bernard de l€nthon, archidiacre dtAoste, enËreËient eÈ forrniÈ, en vtre de Dieu notre Saurzur,
plusieurs ctranoires régrliers, et drautres personnesso,rs leur direcÈion, porr aco.reillir 1es
pélerins eË Ëq.rs autres vo)rageurs qui renconËrent drordinaire dr danger çâ et 1à, en passant des
régicrs de deça, en celles de delà les Alpes et réciproque'rFnt, à cause des furieuses t€qêÈes de
neiç et de la violence incroyable ùr froid qui rëgrent sur ces sæÈs."
263

fondre celle qui me transiE ? (1)


Dans ce passage d'une lettre adressée à Jeanne de Chantalr la
description de chaque t,raiÈ de 1a vie montagnarde faic naître
une évocation spirituelle en une longue suiËe dr ident ifications
t
qui s appuie sur 1a réa1 ité naturelle rencont.rée. La parabole
recomposée du berger qui part à 1a recherche de sa bête per-
due (2) voiÈ immédiatement se superposer f image anÈiÈhéÈique de
1a chaleur du coeur et du froid de 1a glace dans 1aquelle périt
1e malheureux. Une sorËe de chiasme en forme de réversion met
alors en rel ief 1e fait que 1a glace impressionnante de cette
va11ée de Chamonix n'est qut"pp.rente tandis que 1a chaleur du
coeur épiscopal nresE, en fai-t, que glace et 1âcheté. La cohé-
rence de 1 image est as surée par I ' idée de 1ré lévaE ion conférée
|

au rang épiscopal qui rend vraisemblable ce surcroît de glace.


La parabole se Èermine une fois de plus par la figure positive du
so1eil dont 1a fonct.ion réchauffanËe fera fondre 1a g1ace. Le
voyage épiscopal de 16O6 qui esÈ à 1'origine de cette 1eÈtre
durera, au dire même de 1révêque, cinq mois entiers "parmi nos
hautes montagnestt (3) à tsauter de rocher en rocher
t sur nos
monts" (4). A 1'émerveillement du paysage grandiose qui 1'entoure
succède parfois I'heureuse surprise d tun village Èout enÈier
t
il luminé en I honneur du vis iteur de rnarque.
O ma chere Fi11e, que j'"y treuvé un bon peuple parni
tant de hautes montaignes ! Quel honneur, quel accueil,
quelle veneration a leur Evesque ! Avant hier jtarri-
vay en cette petiEe vil1e tout de nuiE; mais 1es
habiÈans avoyent t.ant fait de lumieres, tant de festes,
que tout estoiÈ au jour. Ah ! qu'ilz meriÈeroyenÈ bien
un autre Evesque ! (5)
Nous ne connaissons les impressions de François de Sales sur ces
vis iÈes pasËorales que par ses 1eÈtres adressées à Jeanne de
Chantal et par 1e Eémoignage de son secrétaire. Mais sans doute
pouvons-nous considérer à quel point cette expérience duc être

( 1 ) Oeurres )CII 199

Q ) It 18,12
(3) Oeuwes)fiII 190
(4) ibidæ XIII 190
(s)ibiden ÆTI22I
264

marquant.e pour 1ui. Le style en esE très affectif, 1'ensemble


traduit un enthous iasme que 1'on retrouve davanËage dans 1a des-
cription des réa1ités spiriEuelles que dans 1a rêf.êrence à sa
Èâche épiscopale; nous 1'avons si souvent enËendu la considérer
lourder tttempestueusett, et peu graÈifianËe.

Une dernière relation de ce voyage mémorable nous in-


troduira dans une dimension de contenplation de 1a nature qui
n'est pas si fréquent.e sous 1a plume salésienne et qui procède à
1a fois des traditions psalmique et franciscaine. Le paEaEraphe
demeure néanmoins te inté de cet. humour salés ien si part icul ier
lorsque 1'évêque se laisse aller en privé à des propos sponÈanés.
car j'^y rencontré Dieu ËouË plein de douceur et de
suaviÈé parmi nos plus hautes et aspres monËaignes, ou
beaucoup de sinples ames 1e cherissoyenÈ et. adoroyenÈ
en toute vérité et sincérité, et les chevreuilz et
charnois couroyent ça e t 1 a p a r m i l e s e f f r o y a b l e s glaces
pour annoncer ses louanges. I1 est vray gue, faute de
devotion, je n'entendois que quelque mot de leur 1an-
gage, Eays i1 me sembloit bien qu'i1z diÉoyent de belles
choses: Vostre sainÈ AugusËin les eust bien entendu,
s'i1 les eust veu (1).
LrinspiraËion en appelle à Sainc Augustin donÈ 1a haute autorité
pourrait curieusemenÈ s t e s s a y e r à déchiffrer cetËe Ëhéologie dtun
genre particulier; en revanche, i1 semblerait que nous ne soyons
pas Èrès éloignés ici du sermon aux oiseaux de François dtAssise
transposé dans 1a réaliré montagnarde.
Pourquoi de te11es scènes sont-e11es si rares et Énique-
ment. réservées à la correspondance de Jeanne de Chantal ? Leur
aspect confidentiel nous incite à penser qutelles ntétaient guère
dans 1e goût dtune époque qui esÈime négativement de telles monta-
gnes. Y trouver Dieu semble une gageure, un moment privilégié
certes, mais incommunicable à l tensenble des lecEeurs de l t lntro-
duct.ion ou du Traité qui ne comprendraienÈ peuË-êEre pas f intérêt
que pourraient enclore de telles images. E1les témoignenË d run
goût personnel sans douËe plus proche t
d une esthét ique moderne
mais qui ntaurait pas été bonne servante des propos que I'auteur
dest inait à son temps.
La monÈagne en tant que telle ne sera plus Eentionnée
dans 1a correspondance sinon comme éÈanË cet obstacle qui empêche

(1) OetnrresfrI-L 223 cf. Saint Augustin EEet. i" Pss IJfiIIII, CXLI et Conf. I, fV, c.)CI
26s

1a communicaEionr ou bien un lieu perdu et oublié, loin de 1a vie

inrellectuelle des capirales renommées.


esÈans clouë eÈ affligé a ces monEaignes et si indigne
de vostre considération (1)

écriÈ-il par exemple à 1'archevêque de Vienne. I1 s'estime quelque

peu prisonnier de ces "replis de nos monËagnes" (2) qui 1ui sern-

blent peser parfois lourdement:


Nous parlons de 1a closËure; mays j'y suis bien a bon
esc ienÈ et nos monÈaignes sont les murailes de mon
monasËere, eE 1a ma1 ice de nosrre aage serË de port ier
qui m'empesche de sorËir (3)
rabbesse prend-i1 parfois
confesse-t-i1 à I du Puits d'Orbes. Aussi

cette situation avec un grand humour comme dans cette 1etËre à

madame de Villeneuve

Oh ! Si Dieu avoit disposé que nous fussions Èous-jours


ensemble que ce seroiË une chose suave ! Mais, quel
moyen ma Ères chere fille ? Nos montaignes gasteroyenË
Paris eÈ empescheroyenË 1e cours de 1a Seine si elles y
estoient, et. Paris t
affameroit nos vallees s il estoit
parrni ces montaignes (+ ) .

Ai1 leurs, avec 1e ton forË différent de I'amerÈume, i1 confie au


poèce pour 'envoi
baroque La Ceppède, avec ses remerc iement s 1 de

ses Théorèmes:

Confiné en ce recoin de nos montaignes, je me t iens


pour invisible (5).
Il 1ui resÈe pourtanË 1a ressource d t inviter largement dans ces
belles monÈagnes qu'il ne saurair quitter ceux eË celles qui dési-
rent 1e rencontrer en leur vanÈant au passage tout ltavantage que
1'on peut rétirer dtun séjour en ces contrées "qr,ri sonÈ Èoutes en
fort bon air" (6) eÈ dont 1a froideur est inversement proportion-
nelle à 1a chaleur de 1'accueil (7), s'inspirant même parfois de
I'exemple de Marie qui parcit e11e-même, lors de 1a Visitation

( l ) Oeuvres XM25

Q) id. )crr 3z+


(3) ibid. xrrr 93
(4) id. )0( 121
(s)id. )vr 287
( 6 ) id. )cv 167

0 ) id. xx 118
266

ttaux et (l).
chams es monËagnestt
Et puis 1a montagne parlera de Dieu, en cer.te terre chrétienne où
est plantée la croix, rappel consËant de La Passion du Sauveur

"en chemin...; sur 1e pont, en 1a montaigne..." (2).

1432 Lrabîme, le précipice

Le caractère impress ionnant de cerÈains s ites monËa-


gnards commande sûrement de nombreuses ment ions d'abîmes ou de
précipices, Ëhèrnes qui ne sont pas non plus étrangers à 1a repré-
s ent aÈ ion s c r ipË ura i re .
Certains de ces abîmes décrits fonË direct.ement allusion
à des passages scabreux tels que ceux qui nous ont été signalés à
'occas pasÈorales 'évêque.
1 ion des tournées de 1

Quand nous voulons-nous tenir en bride nostre coeur,


nostre jugement et nosËre langue, s inon en ces pas s i
raboteux et proches des precipices ? ( 3)
Ltimpression de vertige ressenÉie à 1'approche du vide, - ce senti-
ment d'atÈirance malsaine eÈ dangereuse -t est. êgalement indiquée,
phénomène bien connu de Ëous ceux qui ont à franchir des passages
périlleux :

Helas, que nostr'ennemy est subtil et comme i1 nous


conduit insensiblement aux precipices (a ) .

Ceci éÈant,1e précipice sera 1a plupart du temps désigné de ma-


nière négative pour exprimer un péri1 de 1a vie spirituelle ou un
obsËacle à la docËrine catholique, et faide génitif
c€r à 1 dtun
drident.ificaËion. Ainsi !rouvons-nous 1e précipice "des grandes
Ëentations" (5), tabisme (6),
"l de misères infinies" "un abisme de
Ëristesserr (7), "ltabisme du néanË" (8), "l'abisme d'affliction
spiriÈue11e", t'le gouffre (9),
de Itheresie" "1e précipice des

(1) Oeuwes W;l 324 cf. Ic 1,56

(2) id. rr 1.30


(3) id. )trv yr7
(4) ibid. xrv 336
(5) Entretiens 1065
(6) Oeuwes)0(VI 414
(7) ibid. wfi 226
(8) ibid. )oilr 66
(9) id. )trrr 238,Yr 422,xrr 233
267

opinions protesËantes" (1). Sans génitif dridentification, le pré-

cipice symbolisera les difficultés inrérieures dtune connaissance


de Jeanne de Chantal (2) eÈ 1e gouffre, conjointement à f image de
1'écuei1, les défauËs majeurs de 1a vanité eE de I'ambition (3).

CeËte même inage pourra aussi f.Lgurer dans un ordre d'idées diffé-
rent le temps qui passe de manière inélucÈable:
Voicy, ma Ëres chere fi11e, cette annee qui se va
abismer dans 1e gouffre ou toutes les autres se sont
jusques a present aneanties (4 ).

Cette dernière évocation, plus Ëravail1ée, est teintée d'un 1éger


senËinent de mé1anco1ie auquel se laisse parfois aller révêque
I de
Genève dans telle ou telle 1eÈtre à Jeanne de Chantal.
La chicane et ses embarras sont encore appelésttgouffte de cons-
c ience eÈ de uoyens" à évicer à tout pr ix ( 5) .

Par ailleurs, 1e gouffre et les inages qui peuvenÈ lui


être associées, c'est à dire ltabîne ou 1e précipice, sonE en plu-
sieurs occasions mentionnés de manière positive pour illustrer
1'action bénéfique d'une vertu ou 1a présence agissante du Dieu
d'amour. L'emploi d'un épichète t génic if
ou d un d' ident ificat ion
permet alors une construction synthétique er économique. Dieu sera
ainsi un abîne d'infinie beauté (6), un abîme d'amour (i) qui ab-
sorbera I'abîme des misères infinies évoqué précédemment (8). Nous
ttabisme
trouvons également un des coeurstt ( 9), un ttabisme de ËouËe

perfection" (1O) et même "un abisme de raysons" qui confirment une

généreuse enÈreprise (11), Sans épithèEe ni génitif, 1'abîme est


I mysËère,
directement ut i1 isé Pour exPrimer 1a profondeur d un

(l) OerlwesII 368


(2) id. )cv %
(3) ibid. )w 376
(4) ibid. Ær 2v
(s) id. xwr 15
(6) ia. )QMI402, dansle to<te italien : "... un pelagod'infiniÈa bellezza''
(7) ibid. )o(\j|t414
(8) iuiaen
(9) id. )cv 3s3
(10) id. rt 2s6
(tr) id. )trrr 147
268

celui de I'Incarnation (1) ou bien de cerÈains points difficiles


de 1a théologie : Dieu principe de Èoute chose (2), les raisons
du jugement de Dieu ( 3) , 1a uriséricorde de Dieu (4 ).
La monÈagne peuÈ recé1er drautres secrets que celui de
ses précipices. Celui de ses grotÈes, par exemple, nombreuses en
cerÈaines régions. Ce lieu est riche d'une Ëradition biblique pro-
phét ique; sûrement fait-il écho à 1a tradit ion des Pères du désert
et du monachisme prinitif; i1 est encore, de manière assez di-f.f.ê-
rente, un espace privil-égié de 1a pastorale baroque et des romans
d'ur fé .

1433 La grotre

Pour François de Sales, la grotte est essentiellement


un lieu intérieur. qui sous-entend le reÈrait, 1e recueillement eË
rappellera 1e lieu myst ique de 1a niche de 1a colombe dans la
falaise, chère au Cantique (5)

faites moy bien parr des desirs que vous aures de vivre
commtun heureux hermiEe, dans 1a caverne sainte de 1a
dilection infinie que vous descouvrires-1a (6).

L'image de 1'heureux ermiÈe qui vit dans La caverne rejoint égale-


ment un site hagiographique local, bien connu de François de Sales,
1a caverne de I termite bénédictin Saint Germain de Talloires, ni-
chée en haut d'une falaise qui surplombe le lac d'Annecy, lieu que
François de Sales aurait souhaicé é1 ire pour s'y ret irer dans une
existence de prière et d'étude (7). Le Ëemps, comme on 1e sait,
ne lui permit jamais de mettre ce projet à exécution.
Ajoutons à ce thème de 1a groËte la très édifianÈe
histoire de Julien l tApostat, te1le qurelle est rapPortée dans La
Défense, où cette groËre constituaic un hauË lieu de sorcellerie
et d t ions ensoufrées qui ne pouvaient être chassées que par
"pparit
La croix (8).

( 1 ) Oetrwes XXI 52
Q ) id. )0( 61
( 3 ) id. )ocr 19
(4) id. )trrr 114
(s)Ct 2,L4
(6) Oeurres )(D( 193
( 7 ) Qroex, P T, 25, cité par E.J. rajeunie, op. cit. II, 370
(8) Oeurres IT 285
269

Remarquons au passage que ce rrait ne comPorte pas dans

1'oeuvre salésienne une importance qui mériterait de plus longs

développements. Nous quitËerons donc ces lieux escarpés pour redes.-

cendre dans 1a vallée eË observer commenË elle est désignée par


t
I auËeur.

1434 La val lée

S t opposanË paradoxalement au danger des monts ' Ia val-

1ée sera appréciée comme un lieu de refuge eÈ de tranquillité; en

même temps elle parlera d'humilité en regard des monEs orgueil-

leux. E11e sera également 1e point de départ indispensable à qui

veuÈ gravir ensuite quelque chenin de crête:

et jusques a ce que Dieu vous esleve plus haut, je vous


conseille, Philothee, de vous retirer en 1a basse
va1lee que je vous monsEre ( I )

conseil êgalement prodigué plus personnellenent. à Jeanne de

Chant a I :

Couragê, ma chere fi11e. A11ons, allons Ëout le long


de ces basses vallees (2).

A ceÈÈe évocation relativement posiÈive va se superposer une auEre


conception, négative celle-1à, inspirée de I'office liturgique et
popularisée par 1'hymne du Salve Regina. La vie y est dépeinte
comme se déroulant "in hanc lacrimarum valle" (3). La phrase sera

citée trois fois à ltoccasion du conmentaire du NoÈre Père (a);

ou encore avec un génit if 1égèrement différenÈ en d'autres


occasions
Vivons, ma Fi11e, vivons tant qu t il plaist a Dieu,
en cette vallee de misere (5)
express ion que nous 1 isons également dans une lettre en ital ien
"in queste misere va11i" (6).
La va11ée aussi sera peu présenËe dans les t.exÈes salé-
siens, toujours t,rès effacêe devant le rôle prééninent de 1a
monE.agne.

(1) oeuvres TIT 79


(2) id. )ûrr 99
(3) "dans cette vallée de lanes"

(4) Oetnrres)Qfirl 384, 395, 4IO


(s) id. Æt1r27
(6) id. wt 27s
270

Avec ce dernier paragraphe srachève 1'évocaÈion de 1a

monËagne observée plus ou moins directement par I'auteur et in-

fluencée par son cadre de vie eË son expérience Personnelle. Nous

allons mainÈenant relever que 1a plupart des images de montagne


toeuvre salésienne sont, en fait, direcÈement inspirées de
dans l

ltEcriËure, notanment dans 1es oeuvres majeures, ltlntroduction

à 1a vie dévote et surËouE 1e Traité de Itamour de Dieu.

1435 Mont.agnes de la Bible

14351 Dans 1e Pent.aEeuque

Dans l t avenÈure des deux figures les plus marquantes de


I'Ancien TesEamenÈ, Abraham eÈ MoÎse, La moncagne est présenËée en
des épisodes essentiels. Lors de 1a vocation d'Abraham (1),

François de Sales situe le lieu vers.lequel Dieu invite Abraham à


se rendre comme étanE une montagne (2), trait qui n'esË Pas expli-
cité dans 1'Ecriturel par contre, c'esf en empruntant direcËement
1'expression de la Bible qutil parle de 1a montagne du sacrifice
d'Isaac (3), thème qu'il développe allégoriquement Pour appeler à
1'abandon du superflu que doit opérer celui qui se met en présence
de son Dieu.
La montagne du buisson ardenË dans 1'histoire de MoÎse permetÈra
dtinsisËer sur 1'aspecE éminemment respectable du site concrérisé
par 1a demande qui est faite de ret irer ses sandales (4 ) .

La monragne du Sinaî enfin dans touË le déploiement


"pparaîtra
d'une théophanie, laquelle s'identifiera à 1'orage des difficultés
de la vie du croyant.
Que 1e monde renverse, que tout soit en tenebres, en
fumee, en t intamarre; mais Dieu est avec nous. Mais s i
Dieu habite es Ëenebres eË en la montaigne du SinaÎ,
Ëoute fumante et couvert.e de tonnerres, d t esclairs et de
fracas, ne serons nous pas bien aupres de luy ? ( 5 )
En gardanÈ à 1'esprit touÈes ces connoËaËions nous pouvons alors
goûter f invitat ion rédigée de la sorte :

( 1 ) Gn 12,1

Q ) Oeurres )(VII 6
( 3 ) id. )ovr 214
( 4 ) id. I 51 cf. E:<3, 1 sq.
(s)id. )(Irr 211cf. E:<19, 1G18. trait évoquéen Entretiens 1179
27r

Venes en 1a montaigne que Dieu vous monstrera,


pour y consacrer ces petitz momens de vie qui vous
restenr., en faveur de 1a Ëressainte eternite qui
vous est preparee (1).

14352 La nontagne du Cantique des Cant iques

L I image du bien-aimé bondissant sur les montagnes ( 2)

esË présente soiÈ à ltoccasion d'une citation direcËe du texËe (3),

soiÈ dans une relecture ident ifiant 1e fiancé au Christ


En fin 1'Espoux gui, lors de son Ascension, esË allé a
1a monËaigne de 1a mirrhe et a 1a colline de 1'encens(4).
'Ceci sans douËe un be1 exemple de commentaire synbolique
constitue
de I'Ecriture qui désigne ainsi les collines du Calvaire et 1e
Ëombeau vide du Ressusc ité. Nous ret.rouverons 1e même style direcË
ec incitatif qui invite à adhérer à 1a dynamique de ce mouvement
spirituel :
Or bien, venés, chere fi11e, venés es montaignes; Dieu
vous y face voir 1'Espoux sacré qui tressaille es mons
et outrepasse les col1ines, qui regarde par les fenes-
tres eË a travers 1a treille (5).

14353 La montagne de Sion

Le thème biblique de 1a nontée à Jérusalem lors des


grands moments de pélerinages populaires a vu se mu1Ëiplier de nom-
breuses rêf.êrences à 1a montagne de Sion, symbole de 1a résidence
de Dieu au milieu de son peuple au coeur de 1a cité sainÈe et de
son tenple. Les notions de stabilité de 1a montagne et de sa
pérennité renforçaient cetÈe évocaËion.
Ceux qui se confient au Seigneur pour habiÈer en sa
mayson ne vacillenr non plus que la montaigne de Sion (6)
indique 1a formule de vêture des Visitandines mise au point par
François de Sales. A deux reprises dans les Controverses, pour
dé fendre 1a Ëhèse de 1'Eg1 ise cathol ique, François de Sales éta-
blira un long rapprochement entre cetÈe montagne de Sion, monta-
gne sur laquel1e est bâtie 1a ciré de Saint AugusÈin, eÈ

(l) OeuwesxXI 47
(2) Ct 2,8 relevé par Saint François de Sales en &MI 111
(3) Oeuwes)O(VI21
(4) ibid. )oMr 26
(5) id. ffir 269
56) id. )Off 179 cf. Ps 125
272

1'eschaËologique Jérusalem céleste qui recouvre touËe 1a terre.


tEgl ise universelle s'opposera au mont 0lympe
CetÈe monËagne de I

qui malgré sa grande réputation ne comprend qu'un tout petiÈ Ëer-

ritoire que nu1 ne connaîÈ d'expérience en Savoie, contrairement

à 1a réalité de cette Eglise catholique dont chacun a Pu faire

l t expérience. Ces texËes n'offrenÈ pas une grande clarté de style

du fair de la surcharge des rêf.êrences allégoriques ou scriPËu-

raires qut ils veulent synÈhétiser; ils témoignent une fois de plus

dtune inspiration circonsÈanciée et à notre avis d'un intérêt

assez mêdiocre (1).

l4 354 Les monËagnes du Nouveau Testament

Jérusa1em, 1a cité construite sur les montagnes d'où

viendra 1e secours divin (2), est loin d'être 1a seule référence

aux montagnes dans 1e Nouveau TesÈament . Nous avions déj à ment ion-

né ces monEs de Juda qui voient courir 1a jeune Marie à 1a rencon-

tre de sa cousine Elisabeth (3). La situation dtune vi11e cons-

t ruite sur une haut.e monÈagne inspirera à Jésus une parabole

courËe mais éclairante (4 ) rapportée par François de Sales dans 1e

latin de 1a vulgate (5). Le Thabor sera êgaLement bien présent

dans 1es textes sa1ésiens, soit pris en 1ui-même (6), soiÈ paral-

1è1enenË à dtautres montagnes.

De dire "Vive Jésus" sur la montaigne du Thabor, sainÈ


Pierre, Èout gross ier, en a b ien 1e courage; mais de
dire "Vive Jésus" sur 1e monE de Calvaire, cela n t appar-
tient qu'a 1a Mere et a Itamoureux fidelle qui luy fut
laissé pour son enfanÈ (7).

Cet.Ëe évocat ion des deux monËagnes reviendra plus ieurs fois dans

les propos salésiens, toujours avec ceÈte même idée qu'i1 est

facile de reconnaître la présence aimanËe du Christ dans les

périodes fastes de la vie humaine et de I'expérience spirituelle,

mais que ceËte aEt.itude esE beaucoup plus difficile dans les

( 1 ) OeuwesI 69, ibid. I 132

Q ) id. )MI 53 cf. Ps 121 eE 123


( 3 ) id. xD( 313
(4) It 5,14
(s)Oeuvresn([V 84
( 6 ) id. )trV 338et )ftr'rI246
Q ) id. )$ 140
273

épreuves lourdes eË désespérantes que vivra immanquablement 1e


croyant. (1). La menËion du mont Calvaire seule apparaîtra égale-
ment sans développement part.iculier en diverses occurences (2).

Nous achèverons ceËte peinËure des montagnes de I'Evan-


gile par ce texËe qui offre en raccourci Ëoutes 1es situations
intérieures que renconÈreronË les religieuses de 1a VisitaËion
d'Annecy, chacune étanÈ symbolisée par une montagne.
Vivés joyeuses, mes t.res cheres Filles, enÈre vos
saint.es occupaE ions. Quand 1'air vous sera nubileux,
entre les secheresses eË aridités, Èravaillés au dedans
de vostre coeur par 1a pratEique de 1a sainte humilité
eE abjection; quand i1 sera beau, clair et serein,
allés, faites vos spirituelles saillies sur 1a colline
du Calvaire, d'Olivet, de Sion eÈ de Thabor, e(r, de 1a
m o n t a i g n e d é s e r E e o u N o s t r e S ei g n e u r r e p a i s t sa chere
trouppe aujourdrhui, volés jusques au sommet de 1a
montaigne eternelle du Ciel et voyés les immortelles
dé1ices qui y sont preparees pour vos coeurs (3).

14355 Quelques expressions emprunrées à 1 rEvangile

Sans parler d'une monÈagne en particulier, certains


Èextes de 1'Evangile font mention de ce relief de manière iuragée.
Au passage nous en relevons les expressions.

143551 Transporter 1es montagnes

"La foi à transporËer les montagnes", citée dans l tEvan-


gile (4) et reprise par 1'apôtre Paul dans ses Epîtres (5),
François de Sales 1a donne en latin dans 1e Code Fabrien (6), en
français dans 1e Traité (7) et une autre fois en latin, mais asso-
ciée à un verset psalmique ( 8) .

143552 Abaisser les moncagnes

La formule d'Isaîe, à laquelle se réfère le prophète

(1) OetrwesXM36, )0(\II 310 et Entretiens 1325


(2) id. )v'rrr 341, w 22t, )0( 280, )oilIl 269
(3) id. )$ æ6
(4) It 11,13
(5) I co 13,2
(6) Oeuwes )QtrII 115

o) id. v 2M
(8) id. )ocr 15cf; Ps 45, 2-3
- 274 -

Jean Baptiste, est paraphrasée dans une lettre :

Neaumoins, ctest 1e Sauveur que je presche lequel rem-


plit les vallees et explane ou abbaisse les montagnes (1).

143556 Quelques expressions faisanÈ encore allusion à 1a montagne

CerËaines expressions sa1ésiennes porcenE une image usée,


une catachrèse qui n'a en soi rien de bien rare, mais qui permeË

ces ornemenEations de style, é1ément remarquable de 1'écriÈure de


1tévêque. Lremploi dtun génitif d'identificacion en esË 1a tournu-
re la plus courante. Nous voyons ainsi François de Sales proposer

l tascension de 1a "montaigne de 1a perfection chrestienne" (2),

quelquefois de façon assez rêaliste :

Non pasr peuË esÈre pour ceux qui sonÈ des-ja fort
advancés en 1a montaigne de 1a perfect ion; mais pour
nous autres qui sommes encore es va11ees, quoy que
des ireux de monter ( 3) .

Ce "nont de perfecËion" exige de ne pas regarder en arrière (4),

son point culminanE est décriÈ comme une cîrne (5) ou un sommet (6).

Cette image de montagne servira aussi à désigner 1a hiérarchie


ecclésiasËique, 1'état épiscopal en étant 1a cîme (7).

Ces images rejoindronË peuË-être un goût plus moderne de 1'alpi-


nisme; leur source biblique est plus aËtesËée que leur origine
expériment.ale ËanÈ i1 esË vrai que 1es conËemporains de François
de Sales prisaienc très modérémen.t 1e pur plaisir de gravir les
sommets.

14356 La montagne, but ultime de 1a vie

Dans 1a cohérence des images bibliques, nous verrons


enfin 1e paradis esquissé sous 1a forme d'une montagne
Le Paradis est une montaigne a 1aque1 1e on s'achemine
mieux avec les jambes rompues eË blessees qutavec les

( 1 ) Oe,rfreqW S, cf. Is 4Or4, Tt 3,5


Q ) id.. TTT 293
( 3 ) id. xrrr 162
(4) ibid. xrrr 97
(s)id. rrr 293
( 6 ) id. )vrrr 278
( 7 ) id. )CI 188 - Le llroit C,arpn n'a.rra, seùle-t-il, pas assez de Érite po.rr être évoqr.!é
ttmnËagrett 'hrontictrlo"
le Ëeæ de et devra se contenter dr.rqr.nlificatif cf. )OfiI 87 -
275

jambes enËieres et saines (f )'

pour expl iquer 1e paradoxe, que 1'abbesse du monastère


Préc isons,
desÈinataire de cette lettre, souffrair depuis
du Puits d,orbes,
grave maladie des membres inférieurs' CetËe men-
longtemps dtune
n, esE pourÈant pas s implemenE une formule d'encouragement
t ion
car 1a monEagne est avanÈ tout un lieu
sous la plume de 1tévêque
eC f invitarion biblique d'a11er et de mon-
intérieur et spirituel
(2) est à comprendre comme Itincita;
ter à 1a montagne du Seigneur
tion d'un chemin sPirituel ouvert à tous eË 1a monÈagne en rappel-

lera Ëoujours l,exigence à 1 tévêque savoyard (3). Ainsi 1a réalité

de 1a Jérusalem céleste (4) esÈ-elle présente Par anticipaÈion

dans tous 1es monts de 1a création visible'

L44 Les voies de communicaËion terrestre

IlnousresteàparachevernoEreétudeduthèmedela
des voies de communication qui 1e con-
Eerre par une présentation
que 1e voyage ' dans 1a thémat ique sa1és ienne,
cernent. Rappelons
: occasion de relation' i1 figu-
prend une importance considérab1e

reencoresynboliquementceEEeprogressionquiestuneconsranËe
eE une découverre iniriatique de naEure
de la vie spirituelle
mystique. De plus, i1 permet drentrer pleinemenÈ au coeur de ceËÈe
e11e qui inÈroduira peu à peu 1e
nature donnée à contempler,
d'étape en étape' avec son
croyant au sommeÈ d'un amour purifié,
Ëoujours en montant' I1 ne prétend
Dieu. Car le chemin steffectue
parfaite d'un manuel raÈionnel mais épouse les
pas à 1a régularité
son
courbes capricieuses de 1a vie nême. I1 sent 1e sauvage mais
les mulfiples obsta-
aventure mène quelque parE. I1 a à affronter
oPPoser au même titre que 1a naviga-
cles que la nature peut lui
tion opposaiE à 1'avancée du navire 1a fougue de ses tempêtes'
forces du voyageur' Expé-
mais i1 n'est Pas dépendant des seules
rience existenËie11e Pour François de Sales souvenE "ou en voyage

ou nalade" (5),1a route de 1a vie sera une route de confiance

(f) Oeu,rres)(II 3%
(2) id. )otrr 66
(3) 'be plus, en ceste mnraigre, çi est si eslerréeq,rton nty enterd poinc le bruict des créæ
)0OI 127
Èures, on gq,rste' ccnæ dic 1e Prophète' qre Dieu est dcnn<et sua\re." cf.
(4) Oeuwes I 49
(s) id. )Ml sl
276

selon 1a sentence emprunËée au Livre des Proverbes ( I ) :

Marches simplement, eË vous marcheres confidemment (2).

Pour aborder ce thème à 1a maÈière abondante, nous

allons recourir à noËre classification habituelle, observant dans

un premier Èemps 1es images d'origine naÈure11e, puis les images

emprunEées aux humanistes anciens, les images inspirées de 1a

Bib1e, les images influencées par Ia I ifÈéraËure de 1'époque eË


rorigine paËrisrique ou hagiographique.
enfin les images d

1441 Le chemin observé directement

La plupart des images de chemin ne sonË pas développées

mais se contentenË d'un génifif dtidentification: en cela sans

doufe ne constituent-e1 les pas véritablement une image au sens

exacE de ce terme. Nous avons pourtanË voulu 1es réperËorier en

Èant que ce Èhème nous permettra une étude comparaÈive des diffé-

rentes noEions que ce Ëhème du chemin va désigner au fur et à

mesure que se déploie 1a rédaction de 1'oeuvre salésienne. Pour ce

faire, nous suivrons lrordre choisi par 1a grande Edition drAnnecy'

nous réservanc 1a possibilicé de commenter davantage 1es images

les plus développées.

14411 Chenin dans les ConËroverses

Dans cet ouvrage parËicu1ier, 1e chemin traduit I'opinion


I indivisibilité de 1'Eglise (3) ou encore 1a tradition de
de I

I'Eg1ise, "chemin baÈtu des devanciers" (4 ). En trois autres cir-

constances, i1 désignera 1a poursuite d'un raisonnemenË (5) avec

des expressions courantes comme celle-ci:

Or sus, revenons maintenanË au chemin (6)-

Nous ne trouvons ici que des expressions touË à fait

banales et lexicalisées. Par ailleurs, ce terme esË absent de La

Dé fense, I'autre ouvrage polémique de François de Sales.

(1) Pr 10,9
(2) OeuwesnK 52
(3) id. r 41
(4) ibid. r 1r8
(5) ibid. r 27, r LL4, r 3r9
(6) ibid. r 114
277

L44I2 Le chemin dans 1'Introduct ion à 1a Vie dévote

Dans 1a Préface de I'ouvrage, 1e chemin sera signalé


comme étant celui de 1a DévoËion en ce monde (1) ou sous-entendu
à lroccasion de 1a mise en place de 1a figure du coureur, identi-
fié au croyant
car alhors, comme un homme bien sain, non seulemenË i1
chemine, mais i1 court eÈ saute en 1a voye des commande-
mens de Dieu, €t, de p1us, il passe eË court dans 1es
senÈiers des conseilz eÈ inspiraËions celesËes (2).
La scène, très dynamique, faLt penser à un réseau champêtre de
chemins eÈ sent iers parcourus par quelqu t un qui rappel lera sans
doute en filigrane 1e bien-ainé du Cant ique d e s C a n Ëi q u e s . TouÈ
ici respire 1a joie et I'enÈhousiasme.
Une auËre image insistera sur 1 raspect. péri11eux du che-
min qui nous renverra à certains extraiÈs précédemment cités.
EË comue ceux qui cheminent en 1a plaine ntont pas be-
soin de se prester la main, mais ceux qui sont es che-
mins scabreux et glissans s tenÈretiennenE l tun I rauÈre
pour cheminer plus seuremenÈ, ainsy ceux qui sont es
Religions nront pas besoin des amitiés particulieres,
mais ceux qui sont au monde en ont nécessiËé pour staso.
seurer eË secourir les uns les auËres partni tanc de
mauvais passages qu'i1 leur faut franchir (3).
La construcc ion offre un parallè1e qui fait appel à I'expérienee
1a plus prat.ique, enÈre 1a marche en montagne exprinée par des
expressions savoureuses te1les que t t s e prester 1a maintt, ttstasseu-
rerrr, et, 1a réa1ité de 1a vie spirituelle des gens du monde,
réal ité qui apparaît ainsi sobre eÈ aisérnent identifiable: La
poince de ceÈte évocation est bien alors de justifier cette arnicié
spiricuelle pour 1aquel1e François de Sales investira lui-mêne une
énergie très grande. I1 en inventera même 1a mise en oeuvre de
manière riche et originale, en une profonde intuit ion psychologi-
que et clarté spiricuelle.
Dans ce même ouvrage, nous reËrouvons par aitlleurs 1a
formule courante "couper chemin" au sujet de 1a décision dtune vie
chrét ienne authenÈique qui doit permettre précisément. ceËte dis-
Ëance vis à vis des valeurs mondaines peu en rapporÈ avec I'idéa1

( 1 ) Oeuwes III lr"oraison dédicatoire"

Q ) ibid. rrr 16
( 3 ) ibid. III æ4
- 278 -

évangélique (l).
Nous const atons ains i que 1e chemin est connoté de ma-

nière habituellement pos ir ive lorsquril définit un aspect de 1a

dévotion sans que pour auÈanÈ les aspecËs négat ifs des risques

encourus en so ient occul té s .

I44L3 Le chemin dans 1e Traité

L'image du chemin est bien développée dans ceE ouvragê,


procédant à la fois d'une allusion à 1'expérience personnelle de
1'aureur er de 1a tradic ion bibl ique.
DétesÈab1e, t.u seras assis !
Hé, ne connois-tu pas que tu es au chemin, et que 1e che-
min n'esE pas faic pour stasseoir mais pour marcher ? Et
i1 esÈ tellement fait pour marcher, que marcher s'appel1e
cheminer et Dieu, parlant a 1'un de ses plus grans amis:
Marche, lui diË-i1 devant moy, eÈ sois parfait (2) .
Ce passage nous offre 1a primeur d'un j",, de moË poétique qui nous
inrroduit à 1'expression spirituellement très riche de "cheminer".
L'aposErophe esË directe eË semble initer 1e ton d'un compagnon de
route hélant un canarade paresseux. L'universal isne de ltappel esÈ
souligné discrèt.emenË par 1e faic de 1a vocation de chacun à être
en ce chemin, - chemin qui n'est auËre que celui de 1a vie parfai-
Ëe La sainteÈé nty est plus présenËée comme ltapanage des
"Rel igions" mais b ien de touÈ un chacun.
Dans cet ouvr aEe, 1e chemin peut encore symbol iser 1a
chariÈé, et dans ce sens, le péché constitue un frein (3) sur 1e
"chemin du Ciel" (4). L'aspect dynamique du chemin esË alors souli-
Bné,1e but u1Èime auquel il se propose de conduire est désigné
sans ambages : 1a perfection eÈ le Cie1, ni plus, ni moins.

144L4 Le chemin dans les Entretiens

Dans un passage des EntreÈ iens, 1es "voies" dés igneront


les divers états spirituels par lesquels les VisiËandines peuvent
passer : consolaEion, affliction ou abjection (5). La vie

( 1 ) Oeuvres III 365


Q ) id. W 169 cf. cn 17,1
( 3 ) ibid. W 219 sry trorre ue allusion supléuentaire grâce à un génitif d'identificaticm.
(4) ibid. rv 310
(s)Enrreciens 1299
279

religieuse touÈ enËière est montrée comme éËant un chemin qui

élimine 1e mépris des auÈres (1). Le chemin va figurer encore

1'union à Dieu dont dfautres unions peuvent détourner :

I1 fauË a1le Ê gr andement s implement en cefte sainte be-


sogne, Câr ceux qui vont conËinuellemenË demandant 1e
chernin Ie plus courE pour aller en 1a vil1e où ils pré-
ËendenÈ d'al 1er, courenË fortune d'arr iver plus-tard que
ceux qui ayarlt enfilé le grand chemin ne s'en détournent
point (2).

Ce ÈraiË fait appel une nouvelle fois à 1'expérience 1a plus con-

crète de qui I'entend. Ensuice, avec une allusion à la situaÈion


tobéissance (3) eÈ même par-
dtAbraham, le chemin sera synonyme d

fois de ce que François de Sales nomme 1'obéissance aveuBle, elle


qui exige une grande simplicité (4). Ce chemin sera balisé par 1es

supérieures (5) qui indiqueronË 1a direccion plus sûrement que 1e

comrnun des mortels ne 1e fait pour les voyageurs, affirme François

de Sales avec humour :

Vous êtes bien heureuses, mes chères fi11es, plus que


nous auÈres qui sommes au monde; car lorsque nous deman-
dons 1e chemin, I'un nous dit : c rest à droite, et
lf autre : cresË à gauche, et enfin 1e plus souvent on
nous Ërompe (6).

Le passage esË caractérisÈique du sÈy1e ora1, vivanÈ et familier

des EntreËiens. Un te1 chemin sera donc suivi en simplicité (7) et


en confiance (8). Les obstacles en seront 1a tendreté sur soi-nê-
me (9) et cerÈaines distractions ou découragemenÈs qui "amu-
senË" (10). Rien ne saurait pourÈanË arrêter en chemin (11) tanÈ
i1 convient de "gagner chemin en présence de Dieu" (12). QuanË à

(1) Entretiens IOB


(2) id. 10s8
(3) ibid. 1147
(4) ibid. 1150
(s) ibid. 1r"63
(6) ibid. 1179
(7) ibid. 1189
(8) ibid. 119[
(9) ibid. læs
(ro) ibid. l2L9 er LZ?l-
(tl) ibid. 1210
(r2) ibid. 1213
280

1a souffrance, e11e non plus ne saurait constiËuer un obstacle


dirimant bien au contraire. . .
I1 n'y a de chemin plus asseuré que celui de 1a souf-
france pourvu quton souffre avec amour, douceur et
pat ience, et par 1à on pourra imiter Nostre Se igneur
et tous les Saints (1).

De cet ouvrage, peut-être reËiendrons-nous 1'évocaEion très fani-


I ière qui pas semé t
d'un chenin ne semble d embûches imposs ibles
mais dont lrauteur ne cache pourtanË pas 1a difficulté à venir. Un

"conducËeur" (2) est nécessaire pour le parcourir : Dieu bien sûr,

mais aussi 1a médiation de 1a supérieure religieuse perçue eË


présentée comme un guide sûr quelle que soit sa personnalité, ce
qui requiert de 1a part de la religieuse une confiance quthabi-

tuellement lton ne peuÈ pas accorder dans 1a vie quoÈidienne à

ceux qui indiquenc La route.

14415 Le chemin dans 1a correspondance

Nous distinguerons dans cetÈe abondanÈe maËière ce qui

regarde 1a correspondance échangée avec Jeanne de ChanËa1 en la


prenant par ordre chronologique, puis les 1etÈres adressées à
dtautres personnes que nous classerons par ordre thémaÈique.

144151 Correspondance avec Jeanne de Chantal

L I image du chemin esË notée trenÈe trois f ois dans cet.t.e


correspondance privilégiée. Si 1'on cons idère que deux menË ions
sont des expressions stéréotypées cel1es "coupper chemin" (3),

"passer outre en vostre chemin" (4), et que dix emplois de ce


terme sont des allusions directes et praËiques à des déplacemenÈs
de François de Sales ou de Jeanne de Chantal (5), i1 reste encore
vingt-et-une expressions métaphoriques ou comparatives qui parle-

ronÈ du chemin comme étant une réalité spirituelle.


Le chenin sera d'abord f image de 1a vie, touÈ sinplement, dans
sa dinension 1a plus générale, à 1a fois spirituelle et incarnée :

(l) Entretiens 1297


(2) selcn le terc nÊse de François de Sales. cf. Oeuvresï11 22
(3) Oeuwes )CI 285
(4) id. ncl 170
(5) id. ÆTT 42, )(Irr 356, XV 98, XVr 2, )Mr 129, frtL 273, Xvrrr 371, XD( 19, )0( 248, )0( 385.
28L

vous estes au vray chemin, encore que vous y rencontries


de la fange... (1)

chemin à enprunEer doucement mais avec ceËte confiance du coeur de

qui est.assuré de ne pas se tromper :

Alles doucemenr vostre chemin, car i1 est bon (2).

François de Sales a 1e secret de ces formules ellipEiques qui ma-

nient 1e paradoxe avec une tranquill ité tel1e qui les fait aPpa-

raître comme une évidence. La conjonction "car" amène ici 1a cer-

titude que la hâte n'est réservée qutaux chemins illusoires, alors

qu'il serait Légitime df imaginer 1a cé1érité de celui qui, ayant

trouvé 1e bon chemin, décide de se rendre rapidemenÈ au but.

De fait, 1a docÈrine spirituelle salésienne apparaît bien comme un

chemin de paÈ ience et de persévérance. Cette exclamat ion sponÈanée

nous 1e montre bien :

Vous ntaves souffert f incomrnodité du chemin que troys


ans et vous voulez 1e repos ( 3).

Le modè1e du chemin spirituel est à rechercher dans 1'Ecriture

avec la fuire en Egypte de la Sainte Famille (4 ), mais surtout


| Exode eË ses quarante années d'une errance féconde puis-
dans 1
qutelle menaiE "au bien heureux paÎs" auquel, différeBmenÈ' tout

croyant est appelé (5). Ce chenin invite à la foi mais aussi à 1a

bonne foi comne 1e souligne avec humour ce slogan :

Cheminons ÈouÈ à 1a bonne foy avec lui (6)

I1 appelle aussi à 1'espérance (7) p,risqu'i1 esË "1e chemin de 1a

charicé" (8). La progression sur ce chemin épousera 1e pas lent dË

sûr du monÈagnard, décr it ic i par une gradaÈ ion d'éPithètes

cheminons et pratt iquons ces bonnes et grossieres,


mais solides mais saintes mais excellentes verËus (9).

qui I
permeE d affronter Ëoutes les épreuves intérieures
Un pas

(t) 0euvres )OCII140


(2) id. xII 385,voir aussi nrr 32
(3) id. nrr s
(4) id. )Mrr 216
(s) iuiaen
(6) id. )ocr 144
(7) id. )oil 83
(8) id. )ff 192
(9) id. nrr 68
282

symbolisées par 1a nuit.

Cheminés donqr oâ chere fi11e, eE avancés chemin parmi


ces mauvais tems et de nuicË ( f ) .

Ce pas manifestera encore 1a confiance du voyageur qui en viendra

même à cheminer 1es yeux fermés (2). La longueur du chemin requer-

ra un voyage à cheval;1e croyant sera allusivemenÈ 1a monture eË

Dieu 1e cavalier qui 1a guide.

Tous les chemins sont bons a ceux que Dieu tient de sa


mayn (3).

I1 conviendra, de plus, comme le conseil en sera donné plus Ëard

dans les EnËretiens, de se méfier des raccourcis ec de rester en

une voie sans douËe moins rapide mais touÈ du moins plus sûre.
C'esr 1e grand ehemin, ma chere fille, duquel i1 nous
faut pas encore départir jusques a ce que 1e jour soit
un peu plus grand eË que nous puiss ions bien discerner
les sentiers (4).
CeËÈe inage comporte êgaLement lrévocaÈion d'un voyage dans 1a
nuiË. Des formules I
d encouragemenË rendent compte de la longueur
du chemin:
Allons tous-jours; pour lentenent que nous avancions,
nous ferons beaucoup de chemin (5).
L'inage du chemin sera ËouÈ particulièrement précieuse pour Èrai-
t
Ëer d un problème sur lequel reviendra souvent François de Sales :
celui du discernement de la vocation particulière de sa dirigée.
Du reste, ce problène ntesr pas unique et i1 apparaîtra occasion-
nellement en d'aut res correspondances ( 6) . I1 cons iste pour une
parÈ en 1a tentation de considérer souvent 1a vocaËion des autres
plus désirable que 1a sienne propre (i). François de Sales tranche
1a quesrion avec un grand bon sens qui fait appel là encore à
1'expér ience du voyageur :
A11ons, allonsr râ fi11e, nous sommes en bon chemin, ne
regardés ni a droitte ni a gauche; non, ceËtuy-ci est

( 1 ) Oetrwes )CII 99

Q) id. )0G 180


(3) id. )trrr 141
(4) ibid. nrr 162
(s)ibid. )crr æ2
(6) ibid. xrrr 35
(7) ibid. )crrr 339
283

1e meilleur pour nous. Ne nous amusons point a 1a con-


s idérat ion de 1a beauté des aut res , mais saluons seule-
ment ceux qui passent par iceux et disons leur sinple-
menÈ : Dieu nous conduise a nous revoir au logis ( 1 ).

Le tableau est Èrès vivant et bien observé. Plus qu'un long


discours spéculatif sur 1e discernement d'un appel, i1 souligne 1a
richesse propre à chaque vocation particulière; ÈouËes sont chemin
vers un même logis, le Royaume à venir (2) .

Ecrivant à Jeanne de Chancal au sujet drune commune


connaissance, François de Sales parle d t u n chemin montagnard,
rapide sans doute, mais donE 1e risque est de 1e prendre comme une
fin en soi et non comme un moyen menant au but. I1 ntest pas Ëémé-
raire de penser que ceci fait appel à 1'expérience montagnarde
I
de I auteur.
La grande fille va au chenin forË asseuré, pourveu que
son asppreté ne la descourage; Les voyes les plus faci-
les ne nous menent pas Èous-jours plus droittement ni
asseurement; on s tamuse quelquefois au playsir quton y
a et a regarder de part et d'autre 1es vei.ies aggreables,
qu'on en oub I ie 1a d i1 igence du voyage ( 3 ) .
Nous savons que 1a correspondance des dernières années traitera de
moins en moins de 1'état spirituel personnel de 1a fondatrice de
1a VisiEation, pour s'occuper en priorité des affaires concernant
1 rétablissemenE des communautés nouvelles. Ainsi, 1a guestion de
savoir t
s il est souhaitable dtaccueillir une fille boireuse nous
vauÈ ceÈte réponse pleine dthumour :
eË e11e ira mieux boiteuse au chemin de 1a perfecËion
qurelle nreusÈ fait autrement, comme j'""pere (4).
Ainsi, quelles que soient 1es apÈitudes physiques des postulant.es,
1a Visitat.ion est rêaf.firnée comme étant ce chenin de perfec-
tion (5) pour chacune sous 1e regard de Dieu (6).

Ceci ne dispense pas François de Sales, à 1'occasion, de rassurer


Jeanne de Chancal dont i1 perçoit avec acuité 1e caractère sujeÈ à
I I inquiétude et f intensité de ses épreuves intérieures. Ces

( 1 ) Oer:vresXIII 295

Q ) ... "prisqr:e cfesÈ a un seul objet et pqJr r.Inseul object que nous allons" cf. )(VI 296
( 3 ) Oeuvres )(VI 20
(4) id. )cD(73
(s)id. )0( 3æ
(6) id. )(tII 295
284

ré flexions, deux années avant sa morË, témoignent de 1a 1ongue


évolufion spirituelle d'un accomPagnemenÈ marqué Par 1a finesse
psychologique de François de Sa1es.
Vostre chemin est tres bon, ma tres chere fi11e, et
ny a rien a dire sinon que vous alles trop considerant
vos pâs, crainte de choir; Vous faires Èrop de refle-
xion sur les saillies de vosÈre amour Propre, 9ui sont
sans doute frequentes, mais qui ne sont jamais dange-
reuses tandis gu€, tranquillenent, sans vous ennuyer de
leur inportuniÈé, ni vous estonner de leur mulËitude,
vous dires non; Marches simplement, ne desires pas tant
le repos d'espriË, er vous en aurez davanÈage (...)
Quant a vostre chemin, Dieu qui vous a conduit jusques
a presenÈ vous conduira jusques a 1a fin ( I ).

144152 Autres correspondances

Dans 1es 1eÈtres adressées à d'autres correspondants et


correspondantes f image du chemin recouvrira des réa1 ités assez
semblables, sans touËefois atteindre 1a richesse d'analyse de tel
ou tel passage précédemment cité. Y aPparaissent un cerËain nombre
de clichés et â" catachrèses.

I44I52l Catachrèses

Ces expressions sont les mêmes que ceIIes que nous


avions déjà rencontrées : "coupper chemin" (2), "p"t ce chemin"(3),

"estre en chemin" (+), auxquelles s'ajoute parfois I'emploi de


génitifs dt identification : "1e chemin des procès" (5), "1e chemin
des ordonnances divines" (0), ou celui drépifhètes génériques : 1e

"bon. chemin" ( 7) . Le verbe marcher est emPloyé êgaLement pour


exprimer par exemple La progression de l toraison (8).

EnsuiËe, 1e chemin est assez souvent synonyme de voyage.

(1) Oenvresffi,29
(2) ibid. xD( 301
(3) id. frII 228; wt 2%
(4) id. xrrr 286
(s) id. )cv 285
(6) id. )$-rrr 69
(7) id. xvrr 86, xvtrr lyr
(8) id. )(VIr 387
-285-

1441522 Le chemin au sens ProPre

Part ir en voyage, c'est se met t re en chemin (i ) .

Quelquefois 1e chemin est signalé comme difficile,

difficulËas" (2), périlleux (3), provoquanÈ des peines (4)


"iterum
ou franchement mauvais ( 5) . Sa réal ité est profondément marquée

par 1a nature, plus part icul ièremenË , les condit ions cl iruat iques :

je fus certes en peyne de vostre chemin d'icy a 1a Roche,


voyant que 1e Èems s'aigrissoit un peu; et Dieu soiÈ 1ouë
dequoy vous Itaves passé asses heureusement (6).

Le choix de I'it inéraire est êgalement nommé sous ce cerme :

i1 che era i1 mio camino più diritto (7).

C'esÈ ains i que François de Sales, avec une aPParente naÎveÈé,

expliquera au Père Possevin sa traversée audacieuse de 1a ville de

Genève avec sa suite épiscopale.

De même, ailleurs, 1 it-on :

Et quand elle ira en esprit a Rome voir celuy qui y est'


nostre bon frere, ctest son chemin de passer par icy, et
sa commodité de s'arresEer un peu parmi ces montagnes (8).

Lririnéraire en imagination suiË fidèlement ici fitinéraire pro-


I
saîque qu'imposerait un véritable déplacement à Rome. D autres

expressions plus tradiEionnelles telle "al1er droit chemin" (9)

apparais sent encore .

Enfinr la longueur d'acheminement du courrier est mentionnée:

épreuve pénible (lO), même si drhabitude les lettres arrivent à

desËinaËion, au dire même de 1'évêque.

Quand vous craindriez la perte de vos letÈres en chemin,


bien q u e p r e s q u e j a m a i s i 1 n e s ' e n p e r d ' v o u s pouvez
bien n e p o i n c s i g n e r c a r j e c o n n o i s t r a y b i e n Ë ous-jours

(1) OeuvresXIII 196, 27O, %3; )MII 135; )ffIII 254, 392; )(D( 46, 69; )0(t 114, 116.
(2) id. Ærr 232
(3) id. xrv 1s4
(4) id. )w 359,)(IIIrr186
(5) ibid. xv 111,x\rrrr 71
(6) id. Nt 262
(7) id. fr;l 223, craduit ainsi : "c'était rcn cheminle plus direct'
(8) id. )0( 11
(e) id. )(D( 197
(10) id. xJrr 24
-286-

vostre main (1).

1441523 Le chemin de la vocation


Pris au sens figuré, 1e chemin dés ignera d'abord la voca-
Ëion particulière à laque1le cerËains sonË appelés: chemin à par-
courir sans regret et sans regarder avec envie d I autres routes
croisées au passage. Une expression peut résumer cetEe idée assez
fréquemnent exprinée:
Le vray amour nta guere de methode. Demeures en paix, Dâ
tres chere Fi11e, marches fidelement au chemin auquel
Dieu vous a mis (2).
Cette vocaËion concernera 1tétat ecclésiasÈique comme celui de
François de Sales (3), 1a vie religieuse à la VisitaËion (4), 1a
vie religieuse dans un autre ordre (5), voire un engagement plus
sécu1 ier menanÈ aux honneurs ( 6) .

Pourtant, plus généralement, 1e chemin sera retenu bien


davanÈage comme 1a figure de La vie spirituelle et de 1a progres-
s ion qu'e 11e impl ique .

1441524 Le chemin de 1a vie spirituelle

Ce chemin ntest guère aisé non p1us, car i1 y fauE sur-


monter les obstacles du Èravail et de la dureté intérieure (7), de
1'adversité (8), du danger (9), des amertumes et mélancolies spi-
rituelles ( 1O) . Pourtant, ce"vray chemin de 1a vie spirituelle"(ll)
est habituellement décrit sous un aspect éminemment positif. CresË
Dieu lui-même qui 1e montre (L2) eÈ remeË sur 1a bonne rouËe qui

(1) OenvresW,274
(2) id. )vrrr 239
(3) id. Kr 297
(4) id. xK3s6
(s) id. )$Ærr399
(6) id. )o(1
(7) id. nc 53
(8) ibid. nc 41
(9) id. )vrr 268
(ro) id. nrr 112
(tr) id. )$rrr 412
(12) id. xrv 12
287

s'en écarËeraiË (1) puisqu'I1 esË par excellence 1e guide (2) eÈ


prépare éventuellemenÈ un passage au nilieu des embûches (f).
Le but de ce chemin esË le Ciel (4) ou encore 1a sainte éterni-
Èé ( 5 ) ; Les parcours qu'i1 propose sont variés et différenËs selon
chacun rnais ctest Dieu qui en a 1tinitiative (6). Selon les cas'
I'itinéraire spiriruel portera des appellations diverses : chemin
de crainËe eÈ de grâce (7), chemin de 1a dévorion (8) eÈ de 1a
charicé (9), chemin de verEu en vertu (1O), chemin de 1'obéissan-
ce (11), chemin guidé par la Providence gui, personnifiée, tient
1a jeune novice visiËandine par 1a main (12), chemin de 1'amour
enf in (i3).
La marche sur de tels chemins commence souvenË dans 1a chaleur de
I'enthousiasme (14) mais requiert une persévérance joyeuse et
solide (15). Aucun àge de La vie n'esÈ dispensé de 1'emprunter,
même les plus jeunes sonÈ concernés (16). Une aide appréciable
peuÈ encore accompagner celui qui se met sous 1a protection de 1a
Vierge Marie, e11e qui sait "mener par 1e bon chemin" (17).

Des paragraphes plus détai11és et métaphoriques marque-


ronÈ une insistance sur 1a vertu de patience indispensable au
voyageur:

(1) OeuwesXV 179, 180


(2) id. )Mr 236
(3) id. w296
(4) id. )vrr Yr7
(s) id. xv 12
(6) id. w 2u
(7) ibid. n 37
(8) id. )rrr 176
(9) id. )v 192
(10) id. )w 165
(u) ibid. xrv 149
(r2) id. xvrr 233
(13) id. )w 238
(14) ibid. )cv 1s6
(1s) id. )trrr s3
(16) id. )$ 302
(17) id. )$Ir 360
288

I1 faut, pour bien cheminer, nous appliquer a bien


faire 1e chemin que nous avons plus pres de nous' et 1a
premiere journee, eÈ non pas s tamuser a desirer de faire
1a derniere pendanc qu'il faut faire et devuider 1a
premiere (1).

Cela reviendra fréq.uemment :


Ma chere Seur, cheninés perpetuellement et touË douce-
menÈ. Si nosÈre Bon Dieu vous fait courir, if dilatera
vosÈre coeur... (2).

Ce peut êËre du reste 1a stratégie pédagogique du maître des novi-


ces comme de 1a responsable de monastère de ne pas dévoiler t.out
de suiËe 1'ampleur du chemin à parcourir, afin de ne pas effrayer
de prime abord ceux eÈ cel1es qui auronÈ à 1e praËiquer. A ceÈ
égard, elle est éclairante cetÈe réflexion de François de Sales à
propos de religieuses qui doivenE effectuer de larges réformes
dans un monastère Èr è s re1âché :
I1 ne faut pas, ce me sembler leur dire combien elles
ont de chemin a faire pour touc 1e voyage' mais seule-
ment du jour a 1a journee (3).

14416 Le thène du chemin dans 1es 0puscules

Les ouvrages des Opuscules donnenË un recue il de pièces


diverses stéËendant sur I'ensemble de la producEion littéraire de
1'auteur. Les images du chemin qutelles offrenÈ vont constiÈuer
un complémenË appréciable aux remarques que nous avions pu faire.
Si 1'on excepÈe Ia présence de quelques express ions courantes sur
lesquelles nous n'insisËerons pas, comme "faire du chemin" (4)'

"c'est vostre chemin" (5), "a11er sagement en son chemin" (6) '

"ne pas s'endormir sur son chemin" (7), "marcher en simplicité en


1'observance des resgles" (8), à quoi i1 fauË adjoindre 1es
Constirutions c o r n r n eé c a n t "le chemin du Ciel" (9) ou de 1a

( 1 ) Oeuwes nI 2CY+
Q ) id. XTII 1%
(3) ibid. )crr 225
(4) id. )oMr 33
( 5 ) ibid. )ovr 313
(6) ibid. )ofi,it 299
( 7 ) ibid. )0(VIy+7
(8) ibid. )0$rr 322
(e)ibid. )QilII 306
289

vertu (1), sans omettre quelques menËions purement Eechniques à


propos des voyages (2) . D'autres iurages portent une original ité,
par exemple deux expressions en forme de proverbe qui constituent
une sorte de slogan relarif à cerÈains aspects de La vie spiri-
tuelle.
Laisser j"pper et clabauder ce matin et passer outre
en son chemin ( 3 ),
sentence sans douEe empruntée à la tradition populaire et qui peut
uËilement être complétée par ce11e-ci i
si souvent le marcher nous lasse, souvent aussi le
repos nous engourdit (4 ).
Par ailleurs plusieurs images vont marquer une insisÈan-
ce sur un aspect parEiculier du chemin :
(...) ac ita fiet ut dum me, oneri succumbenËem, eriges,
ac sustentabis, ope mutua cunjungamus, et quasi ambulan-
tes per lubricum vicissim manus teneamus, eoque robus-
tius singulorum pedes perfigantur, quo alter in alternum
vehemenr ior i char itate ac fiduc ia inniÈetur (5) .
Ce passage renferme une néÈaphore fifée du marcheur et. accompagne
la nominaÈion des "surveillanÈsrr, c'est-à-dire des prêtres res-
ponsables de tout un secÈeur pastoral qui porÈeronË avec leur
évêque 1a tâche de 1'animation de I'Eglise 1oca1e. Lrimage fait
allusion à ces sentiers difficiles de monÈagne où une entrraide
solide est nécessaire. Le chemin qui suiE nous paraîtra sans douÈe
plus rranquille
Plus un chemin nous est conneu r'plus nous 1e hantons ;
plus nous y connoissons de gens, et plus volont iers
aussi nous y cheminons eÈ plus facilement. Mais aussi,
par telz chemins nous arrivons plus tard au gisÈe, parce
qu I ayant beaucoup de connoissances, icy nous partons à
I'un, 1a a 1'autre; icy nous entrons en La boutique de
1tun, Ia nous nous arrestons avec un amy. Pour 1a consi-
deration de Dieu, nu1 chemin ne nous est plus batÈu,
conneu et familier que celuy des choses corporelles
entre lesquel les nous vivons (0) .

(l) Oeuvres)ff'tll292; )0(Vpassin


(2) id. )Qcv 290
(3) id. nffr 213
(4) id. )off 319
(5) id. )O([V155, ÈraÀ-rit ainsi : "et tandis que vcus mraiderez eÈ æ so.ttiendrez dærs la dnrç
oi je succcÉe, no,x; ns.s dcrnreronsun mrtr:el appri, cæ si ncus marchions sur un û€nin glissanr,
nctx; nous tiendrons par la main, eÈ nos pieds se poseront avec drautant plus dtassurance çluenolÉi
aurons I'un po.r l'autre plus de charité et de confiance."
(6) id. )oilrl æ
290

Aller droiÈ à Dieu demeure pourtant une exigence prioritaire,


même si de nombreux amis ou lrattrait de belles fleurs sur un che-
min campagnard inciÈeraienÈ à quelques arrêts c o n Ë e m p 1 a Ëi f s .
C'esE ce que 1'auEeur appelle marcher "sagement" (1).
Par conÈre dans un chemin rural eÈ Ëouffu, d t autres précaut ions
seronc nécessaires.
Ceux qui sonË parmi les halliers et buissons, s'i-Iz
veulent courir et s tempresser a cheminer, iLz se piquent
et deschirenË; mais s'ils vont tanE bellemenE, destour-
nant les espines de parË et drautre, i-lz passent plus
v istement et sans piqueure (2) .
Le rythme de 1a marche est également scandé, lenÈ au début
nous conÈenter de marcher 1e pecif pas a nos commence-
mens, pour puis apres courir ec marcher a grande
course (3)
persévérant toujours, même sous les temps pour lesquels 1e so1eil
de Dieu semble ne plus êÈre présent:
Scaches, ma tres chere fi11e, qu I on fait plus de chemin
quand 1e Èems est couvert qu'au grand de 1a chaleur;
ainsy, quand on est en grande secheresse on avance plus
au pur amour de Dieu, pourveu quton soir fidele eË sans
descouragemenc (4 ) .
Lthomme esÈ ce pé1erin, en rouËe, ttle corps sur 1a route et 1tâme
en 1a douce patrie" (5) qui se plaît autant en ce chemin inéga1
de 1a vie, - ronces, fossés, fanges et autres difficultés - r que

par un chemin inaginairemenË plat et sans difficulté (6). I1 sait


que son Dieu lui indique sa route et 1a réponse stappelle alors
f oi, conf iance, s iropl icité et joie.
et consideres 1e premier point de 1a simplicicé celeste,
qui cons iste a chercher Dieu par 1e chemin qu'i1 nous a
marqué; car qui ne veuË pas al1er par ou Dieu 1e conduit
ne 1e treuvera jamais, d'autant qu'i1 ne 1e cherche pas
sinplement.
- Et quel esc 1e chemin qutil vous a marqué, ma tres
chere Fil1e ? Celuy auquel vous esÈes; et croyes moy'
Dieu conduis it les enfans d'Israë1 par 1a voye du desert
theureux furent
pierreux, espineux eË raboEeux. O q ceux

( i ) Oeuwes )OfiII 307

Q ) ibid. )Qfirr 226


( 3 ) ibidem
(4) ibid. )0$r 309
(s)ibid. )0(\rr 398
( 6 ) ibid. )ofiIl 77
29r

qui ne murmurerenÈ point car jamais rien ne leur manqua


O que malheureux furent ceux qui murmurerent, car iLz
furenÈ piques du serpenË et eurent mille angoisses ( 1 ).

L442 Chenin dans la Bible

Cette dernière c itat ion nous convainc sans doute de l t im-

porÈance pour François de Sales du Ëhème biblique du chemin. Rien

de Èrès étonnant à cela lorsque 1'on songe que Itancien sénite esË

un nomade eË que par 1e fait même, chemin, voie et sentier jouent

un rô1e de premier plan dans son exisËence. C'esË donc bien natu-

rellement que la tradition biblique utilisera ce même vocabulaire


pour parler de sa vie religieuse er morale, Ia langue hébraîque

offranÈ une grande richesse sémant ique pour dés igner ces réal ités.

La question fondamenËa1e que 1'homme croyant se pose à chaque êta-


pe de sa route peut se formuler ainsi, telle qu'e11e apparaît dans
t Int ;
1 roduct ion

ou esÈ ton Dieu ? par quel chenin le pourras-tu


treuver 1. (2)

Plongeant loin ses racines spiriruelles, 1e chrét ien ne pourra


oublier qutà 1'appel de Dieu, Abraham, le Père des croyanËs, se
nit en rouÈe (3) inaugurant I'immense aventure d'une ascèse phy-
sique et d'une purificaEion intérieure visant à une disponibilité
permeËtant de répondre à l t a p pel divin. Ainsi François de Sales
prônera-t-il :
1a fréquenÈe pensée de La parole que Dieu dit a Abraham:
marche devanÈ noy eE sois par fait (+ ) .
L'hisÈoire édifianËe de Joseph et de ses frères parle abondamment
du chemin. François de Sales nten conserve qutune courte citation:
Ne vous courroucés point en chemin (5).
Plus 1oin, à 1répoque du judaîsme après f installation en Ëerre
promise, dans 1'histoire fondatrice d'Israë1, les rabbins élabo-
rèrent 1a docrrine des deux voies qui résume 1a conduiÈe morale de
1'homme. Selon ceËte doctrine i1 existe deux manières de se

( 1 ) Oetrwes)0$lI 353 cf. Nb 2I, Y6

Q) id. III 326


( 3 ) Gn 12,1
(4) Oeurres )Qil/ 493
(s)id. )trV 105 cf. eî 45,24
-292-

conduire, deux chemins: celui de 1a vertu' droit et parfait,

chemin de 1a vie (1) et 1e mauvais chemin, tortueux (2) que sui-

venÈ insensés, pécheurs et méchanËs eË qui les conduit à 1a Per-


dition et à 1a mort. Nous Ërouvons des traces de cette conception
dans les citations sa1ésiennes.
Le chemin de 1'homme en sa jeunesse..(3).
Marches donq s implement, et vous marcheres avec joye
et confiance (4).

CetÈe citation biblique qui rejoint sans doute les conseils que

nous avions déjà rencontrés fait allusion à une expérience plus

existentielle de 1a route.
Pourveu que vous marchies dans le chemin de 1a verÈu'
quoy que lenËement, vous ne laisseres pas dtarriver a
vosÈre but (5).
Parfois, dans une superposiÈion dtimages emPrunËées à 1a fois à 1a
tradit ion sapienË iale e Ë a u C a n Ëi q u e des Cant iques ' nous décou-
vrons un lurnineux traiÈ poétique:
t
Faites que vostre sent ier s t avance comme l aurore
resplendissanËe er qut il croisse jusques a la perfecÈion
du jour (6)

ou encore
Le sent ier des justes s I avance et croist comme une
lumiere resplendissante jusques au jour parfair (7).

Les Psaumes se font êgalement 1 t écho de cette concept ion.


(... ) legem pone mihi viam justificaÈionum Èuarum
medio cordis mei (8).
Le Nouveau TestamenÈ définit 1rère messianique comme un

nouvel Exode au coeur duquel Jésus, Nouveau MoÎse, sera le guide.

Le thène du chemin y sera donc privilégié de manière gênêra1e mais

aussi plus particulièrement dans certaines paraboles I el1es re-


prennent 1a docÈrine des deux voies, en précisant 1'étroitesse du

( 1 ) Pr 2,19

Q) Pr 21,8
( 3 ) Oeuvres)CV 117, )0$ 90 cf, Pr 30,18
(4) id. )0$[I 362 cf.. Pr 10,9
(s)id. )oMr 361
( 6 ) id. )Off 194 cf. Cr 6 , 9 ; P r 4 , 1 8
( 7 ) id. rv 167
(8) id. )O(tI 89 cf. Ps 68,33 'Donnemi parr loi le chenin de tes justifications au milieu de mn
coeur.ll
293

chemin qui conduit à la vie eË 1e peËiË nombre de ceux qui 1'em-


pruntent, Eândis que le grand nombre suiÈ le chemin qui conduit à
la mort (l). Dans 1a doctrine salésienne, ceci n'est pas formulé
en termes Èragiques, bien au contraire. L'exigence évangé I ique
renforce la confiance en La présence prévenante de Dieu:
Vous aves ci-devant franchi plusieurs passages ' eÈ c'a
esté par 1a grace de Dieu;1a tnesme g r a ce vous sera Pre-
senÈe en Èoutes les occas ions suivantes, eÈ vous del i-
vrera des difficultés et mauvais chemins I'un apres
1'auËre, quand il devroit envoyer un Ange pour vous
porter es pas plus dangereux (2)
ou encore
NosËre doux Sauveur vous donnera, s t il luy plaist, la
luniere pour suivre ce bon chemin auquel vous esÈes;
ayés seulement bon courage (3).
L'envoi des apôtres en mission va en préciser Iturgence en quelques
moÈs :
Ne saluez personne en chemin (4).
Enfin 1a résurrection est indiquée comme donnant accès au vrai
sanctuaire qui n'est plus un temple fait de main d'homme ec de
pierre, mais la propre chair du Christ qui inaugure un chemin
nouveau ef vivanÈ.
Aves vous poinÈ rencontré nosËre Sauveur en chemin ? (5)
Ne suffit-il pas que mon cher Maistre m'en ayt monsÈré
le chemin ? (6)
Si Jésus Christ est ressuscité, nous ressusciterons, dit
Saint Paul, i1 nous a frayê le chemin (7).
Au croyanÈ de poursuivre cette route par des chemins lurnineux ou
obscurs, même s'ils ne lui sont pas toujours aisés.
Or que 1es sentiers de la Providence que Dieu a des
siens sont admirables et imperscrutables (8).
L'expression Ëraditionnelle est ici exprimée de façon inédite par
I'emploi d'une épithèËe rare eÈ surprenante.

(1) lt 7,13
(2) Oeuvres)MIII BO
(3) id. )(trr 15
(4) id. w 279cf. rc lo,4
(s) id . Ærr 292
(6) id. )0$rr238
(7) id. Krr 3r7
(8) ibid. xrr 398cf. Ro11,33
- 294

1443 Les chemins dans la Patrologie

François de Sales rend compte ainsi de 1a pensée des


Pères de I'Eglise :
"0rigene, saint Cyprien, saint Hilaire, saint Ambroise,
saint. Hierosme et saint AugusÈin disenÈ que 1e chemin,
duquel il esË dicË, dum es in via, n'esÈ autre que 1e
passage de la présente vie." (1)

1444 Conclus ion sur I 'image du chemin

CetËe étude comparat ive des divers stades de I 'inage du


chemin dans les oeuvres spirituelles nous montre une évolution sen-
sible essenËiellement visible enËre les deux premiers ouvrages
polémiques de I'auteur et le reste de son oeuvre.
La fréquence de cette inage de chemin, même si e11e n'ap-
paraît que fugitivement, est par ailleurs éloquente; e11e figure le
dynamisme d'une aventure inrérieure à laquelle I'auËeur convie son
lecËeur. Ce dynamisne t
s inscriÈ dans 1a grande ÈradiÈion sémiÈique
vétéro-ÈesÈanenÈaire et. privilégie de par ses racines les figures
exemplaires des marcheurs pour Dieu : Abraham, Moîse, les prophèÈes
auxquels 1e chrétien sera invité à s'identifier. CeEte idenËifica-
tion sera, du resÈe, drauËant plus aisée que cette disponibilité du
marcheur rejoindra I'expérience existentielle du lecteur en un
Èemps où 1e voyage à pied éÈaic une entreprise nécessaire et courmune.
De par les élémenrs mêrnes qu'elle comporte, La métaphore du chemin
offrira les éléments essentiels qui caractérisent toute progression
spiricuelle : 1a disponibilité, la patience, l'énergie nécessaire
pour affronÈer obstacles et dangers, le but enfin, car 1e chemin
mène toujours que lque part . L'embarras devant les croisements mal
indiqués, les inrempéries, les rythmes mêmes de 1a route constitue-
ront. autanË d I occas ions de métaphores filées qui nuanceront à
I'envi la description du voyage incérieur.
Enfin, nous observerons que si la docÈrine traditionnelle
des deux voies apparaît sous 1a plume de 1'auteur, elle nrest en
rien dranatisée. Tout au contraire, c'est un chemin optimiste que
trace 1a doctrine salésienne de I'union à Dieu, sur une terre faite
de beauté et d'exigence.

(1) Oer,nrres
I 380 cf. W 5, 2y26; It. L2, 5Ù59

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