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L'orientation scolaire et professionnelle

42/2 | 2013
Varia

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/osp/4096
DOI : 10.4000/osp.4096
ISSN : 2104-3795

Éditeur
Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle (INETOP)

Édition imprimée
Date de publication : 7 juin 2013
ISSN : 0249-6739

Référence électronique
L'orientation scolaire et professionnelle, 42/2 | 2013 [En ligne], mis en ligne le 07 juin 2016, consulté le 23
septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/osp/4096 ; DOI : https://doi.org/10.4000/osp.
4096

Ce document a été généré automatiquement le 23 septembre 2020.

© Tous droits réservés


1

SOMMAIRE

Comment aider les jeunes formés dans une école malade de l’orientation à s’orienter dans la
vie ?
Jean Guichard

L’échelle des sentiments d’auto-efficacité aux décisions de carrière - forme courte : une
adaptation française pour lycéens
Jean-Philippe Gaudron

Développement de carrière et construction de sa vie : une nouvelle méthode pour


l’orientation tout au long de la vie
Philippe Jacquin et Jacques Juhel

Devenir enseignant-e-s dans le public : le sens d’une orientation professionnelle très


féminisée
Sophie Devineau

La réforme du bac professionnel en trois ans : vers un renforcement de la convention


professionnelle dans le système éducatif français ?
Pierre-Yves Bernard et Vincent Troger

Analyses bibliographiques

J. Clanet (dir.) Orientation scolaire et discrimination. Recherche/formation des


enseignants. Quelles articulations ?
Rennes : Presses Universitaires.
Joëlle Mezza

P. Willis. L’école des ouvriers. Comment les enfants d’ouvriers obtiennent des
boulots d’ouvriers.
Marseille : Agone.
Corinne Pelta

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Comment aider les jeunes formés


dans une école malade de
l’orientation à s’orienter dans la
vie ?1
How to help young people educated with limited orientation options to orient
their lives?

Jean Guichard

Introduction
1 « Orientation » est un terme polysémique. Ce mot fait référence, premièrement, à un
ensemble de procédures – notamment d’ordre institutionnel – aboutissant à la sélection
et à la répartition des jeunes dans les différentes voies de formation ou d’apprentissage
d’un dispositif de formation. C’est ce sens qu’évoque l’élève qui déclare : « j’ai été
orienté en lycée professionnel ». Pour désigner ce phénomène, l’anglais utilise alors les
termes de « students selection », de « students distribution » ou encore de
« streaming » ou de « tracking ». Deuxièmement, « orientation » désigne l’ensemble des
activités et des processus réflexifs d’un individu lui permettant de s’engager dans une
formation ou dans une voie professionnelle et, d’une manière plus générale, de
« trouver sa voie » et de « prendre en main » la direction de son existence. En anglais,
on utilise des expressions comme « choosing a vocation », « career decision making »,
« career development » ou « life designing ». Troisièmement, « orientation » qualifie
des dispositifs et des interventions (professionnelles) d’aide aux individus visant à leur
permettre de faire face le mieux possible aux tâches requises pour « s’orienter ». Les
vocables anglais correspondant sont ceux de « guidance » ou de « counselling ».
2 Ces différents sens ne sont pas sans rapport les uns avec les autres, comme cet article
tend à le montrer. Partant d’un constat – celui des particularités de l’organisation de
l’école en France et des procédures d’orientation-sélection qui y ont cours – il décrit

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dans une première partie, les conséquences de ces modalités organisationnelles et


procédurales quant à la manière dont les jeunes français se représentent la tâche de
s’orienter. Il expose, dans une deuxième partie, les répercussions de la mondialisation
économique et culturelle sur les problèmes d’orientation auxquelles les personnes
doivent faire face dans les sociétés occidentales contemporaines. Ceux-ci s’avèrent bien
différents de la manière dont les jeunes français apprennent à se représenter
l’orientation à l’école. D’où l’interrogation qu’aborde la troisième partie : comment les
aider à construire le capital de compétences nécessaires pour s’orienter dans les
sociétés et organisations « liquides » d’aujourd’hui ? Notamment : par quels types
d’interventions ?

L’école malade de l’orientation


3 Giddens (1991) a décrit nos sociétés comme étant « de la modernité tardive » et Bauman
(2000) les a qualifiées de « liquides ». Par-delà leurs différences, ces deux sociologues se
rejoignent pour souligner que ce type d’organisations sociétales est fondamentalement
déterminé par l’émergence d’une économie capitaliste reposant sur la possibilité de
faire circuler rapidement les informations, les capitaux et les marchandises dans le
monde entier. Ce changement a eu, entre autres conséquences dans ces sociétés, un
affaiblissement du rôle des États, le remplacement progressif des systèmes sociaux et
collectifs d’aide, d’assistance et de soutien par des services privés, et l’attribution aux
individus d’une responsabilité majeure quant à la conduite de leur vie.
4 En tant qu’institution sociale, l’école remplit diverses fonctions : apprentissage de
connaissances générales, formation à certains savoirs et savoir-faire techniques et
professionnels, éducation comportementale, morale et citoyenne, reproduction
(pouvant être à l’identique ou sensiblement différente) de l’organisation sociale. Dans
les sociétés de la modernité tardive, cette dernière fonction a supplanté les autres.
Ainsi, dans ces sociétés, certains parents recherchent les écoles maternelles qui
« pousseraient » le mieux leurs enfants. Par ailleurs, il s’y développe un nombre
impressionnant d’entreprises privées produisant les compléments éducatifs nécessaires
au succès des élèves et étudiants dans les diverses compétitions scolaires. Tout se passe
donc comme si, dans les sociétés liquides, l’école était « tombée malade » de
l’orientation.
5 Ce phénomène est plus affirmé en France que dans des sociétés comparables. C’est ce
qu’a montré Van de Velde (2008). Cette dernière a comparé la socialisation des adultes
émergeants (Arnett, 2000) dans quatre pays d’Europe. Deux sont du Nord : le Danemark
et le Royaume-Uni. Ils ont pour point commun un modèle de socialisation où l’on
considère qu’il faut quitter jeune sa famille et mener une vie autonome, dès vingt et un
ans environ. Les deux autres sont du Sud : l’Espagne et la France. Dans ceux-ci, un lien
plus fort est maintenu pendant une période plus longue avec la famille. Dans chacun de
ces deux groupes, les deux pays concernés diffèrent cependant entre eux. Au
Danemark, après que les jeunes ont quitté leur famille, s’ouvre pour la plupart d’entre
eux une longue période d’expérimentations : un temps de cheminement personnel où
études, emplois, stages, voyages à l’étranger, etc. se succèdent. Fondamentalement,
dans la société danoise, on attend d’un jeune qu’il « se trouve ». Cette forme
d’expérience est rendue possible par un État providence qui offre à chaque jeune une
allocation lui donnant une indépendance économique. Par ailleurs, l’organisation de

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l’enseignement supérieur permet de construire des parcours flexibles de formation. Au


Royaume-Uni, une telle allocation n’existe pas. La norme sociale est de s’assumer –
c’est-à-dire de devenir adulte – le plus vite possible. La durée des études supérieures est
courte. L’insertion professionnelle est rapide. Le mariage et la parentalité sont
précoces. Des différences sont aussi notables entre l’Espagne et la France. En Espagne,
les jeunes tendent à cohabiter avec leurs parents jusqu’à un âge avancé. Ils construisent
ainsi leur individualité au sein de leur famille. L’appartenance familiale joue un rôle
majeur dans la définition de soi : la norme sociale est de parvenir à s’installer dans une
vie familiale. En France, la situation est celle d’une semi-indépendance familiale : on
observe de multiples situations caractérisées par des pratiques de solidarités familiales
associées à une éthique de l’autonomie. Cependant, l’enjeu n’est pas là. La jeunesse est
considérée comme la période de la vie où il convient d’effectuer un investissement
scolaire essentiel, déterminant de façon figée le statut social de l’individu. Il s’agit de
« se placer » et, par conséquent, de ne pas se tromper dans son orientation, car les
trajectoires d’études sont linéaires et il n’y a pas de droit à l’erreur.
6 Cette centralité de l’école dans l’expérience des jeunes français s’explique notamment
par des facteurs historiques : l’école y a été conçue sous la Troisième République (et
même dès le Premier Empire) comme la matrice du citoyen sur lequel pouvait
s’appuyer l’État moderne. Ce lien essentiel en France entre l’État et l’école a eu pour
conséquences une organisation centralisée de cette dernière et la subjugation
progressive des traditionnels pouvoirs organisateurs d’institutions éducatives (qu’ils
soient géographiques, religieux, communautaires, etc.). Cette centralisation et cette
organisation étatique de l’école ont été réaffirmées sous la Cinquième République qui
reposait, comme l’indiquent les références de De Gaulle dans ses écrits, sur l’idée
hégélienne d’un État fort au-dessus des intérêts divergents de la société civile. L’école a
alors été mise en système (Prost, 1992) : les différentes formations (générales,
techniques, professionnelles) et les différents niveaux (primaires, secondaire,
supérieur ; études courtes – études longues) ont été articulés les uns aux autres. Des
règles précises et nationalement unifiées (les « procédures d’orientation et
d’affectation ») ont été mises en place. Cette mise en système a créé un marché unifié
de l’éducation où s’est imposée, comme norme unique de la valeur, celle des formations
historiquement réservées à l’élite, à savoir celle des savoirs généraux et abstraits par
opposition aux connaissances techniques et aux savoir-faire professionnels (Bourdieu &
Passeron, 1970). Ce mode d’organisation a entraîné une dévaluation accrue de
l’enseignement technique et professionnel (Faguer, 1983). Les différentes filières de
formation forment désormais une hiérarchie telle que celles qui incluent un volume
important de disciplines abstraites sont d’autant plus valorisées et recherchées.
7 La situation française est, de ce fait, paradoxale : des formations secondaires techniques
ou professionnelles recherchées par les jeunes dans les pays voisins (e.g. en Allemagne,
en Autriche ou en Suisse) ne sont l’objet, en France, que de choix par défaut. Ce
paradoxe s’explique, notamment, par la manière dont les élèves scolarisés dans l’école
française se posent la question de leur orientation future. Comme Dumora (1990) l’a
montré, les collégiens français apprennent progressivement – compte tenu de
l’expérience que représente pour eux leur scolarisation dans un système organisée
selon les normes qui viennent d’être résumées – à se poser la question de leur
orientation en s’interrogeant sur leurs probabilités de réussite dans telle ou telle
formation. Fondamentalement, ils se rapportent à leur avenir en se demandant : Que
me permettent d’espérer mes résultats scolaires passés ? Quelle est la meilleure

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stratégie pour moi ? C’est-à-dire : parmi les filières de formation qui me sont offertes
compte tenu de mes résultats passés, laquelle présente le meilleur compromis entre ma
valeur scolaire et sociale et mes chances d’y réussir ? Dans ce contexte, les élèves
considérés comme les meilleurs par l’institution développent une « logique
d’excellence » consistant à désirer poursuivre les études les plus longues possibles dans
les formations les plus sélectives. Les autres se forment, selon le cas, des « logiques
d’expectative » ou bien de « rationalisation » ou encore de « résignation » consistant
soit en une attente inquiète (mes résultats sont-ils suffisants pour que je sois admis ?),
soit en une acceptation, vécue comme plus ou moins contrainte, d’un destin scolaire
non désiré. Rares sont les jeunes français qui se forment ce que Dumora nomme une
« logique d’orientation pragmatique », c’est-à-dire qui désirent positivement s’engager
dans une formation technique ou professionnelle, correspondant à leurs résultats
considérés comme modestes en regard des normes scolaires. Le cas des jeunes exclus de
l’école sans diplôme apparaît encore plus problématique (Guichard, 1993) : généralisant
les appréciations négatives reçues à l’école à l’ensemble de leur vision d’eux-mêmes, ils
tendent à se percevoir comme dépourvus de compétences. Corrélativement, ils
n’envisagent leur future vie professionnelle que sous la forme d’une succession de
places plus ou moins bonnes et ne la perçoivent pas comme consistant en des activités
professionnelles dans lesquelles ils pourraient investir leurs compétences ou en
construire de nouvelles.
8 C’est donc en fonction de leur passé scolaire que les jeunes français considèrent leur
avenir. Leur situation est ainsi sensiblement différente de celles d’autres jeunes
européens qui, compte tenu de l’organisation de l’école qu’ils fréquentent, sont amenés
à s’interroger sur le sens futur de leur engagement scolaire présent. On peut citer, à
titre d’exemple, le cas des jeunes finlandais qui, à l’issue de l’école élémentaire (vers
16 ans, le collège n’existe pas en Finlande), s’orientent vers le lycée (lukkio). Ils se voient
alors offrir une palette de modules de formations parmi lesquelles ils doivent en choisir
certains (en suivant certaines règles) pour se construire un programme, dans une
certaine mesure, « à la carte ». Cela suppose qu’ils s’interrogent sur le sens du choix de
telle ou telle discipline – et plus encore de leurs combinaisons – en relation avec leurs
anticipations concernant leur avenir professionnel et personnel.
9 Chaque organisation scolaire détermine ainsi une certaine forme d’expérience qui
structure, en grande partie, la manière dont les jeunes (scolarisés ou exclus) se posent
la question de leur avenir. Fondamentalement, les jeunes français le perçoivent sous les
formes, soit d’intentions d’avenir scolaire – chez ceux que l’organisation conserve en
son sein, soit d’attente de places aussi bonnes que possible sur un marché raréfié de
l’emploi, chez ceux qui en ont été plus ou moins rapidement exclus. Nous allons voir
que de telles manières de se rapporter à ses diverses expériences et de concevoir son
avenir apparaissent dissonantes avec ce qui est attendu des personnes en matière
d’orientation dans les sociétés de la modernité tardive.

S’orienter dans les organisations et les sociétés


liquides
10 Parmi les conséquences des mondialisations économiques et culturelles, deux ont eu
des répercussions sur les problèmes d’orientation auxquels les personnes doivent faire
face dans les sociétés occidentales. La première a été une profonde transformation de

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l’organisation du travail et de la répartition des emplois. La seconde a été le passage,


déjà évoqué, des organisations sociétales, d’un état solide à un état liquide.
11 La rapidité des échanges d’informations a permis le développement d’un capitalisme
financier fondé sur des achats et ventes quasi instantanés – censés générer des rapports
élevés – de produits financiers. Cela se manifeste par une intense circulation de masses
considérables de capitaux cherchant à s’investir dans des entreprises susceptibles de
créer rapidement d’importantes plus-values. L’une des manières privilégiées
d’atteindre cet objectif a été de développer un marketing d’innovation. Les entreprises
qui s’y adonnent mettent sans cesse sur le marché des produits que les consommateurs
doivent considérer comme tellement nouveaux qu’il leur faut en remplacer de
semblables, censés être devenus obsolètes. De son côté, le développement des
transports (notamment des porte-conteneurs) a permis de délocaliser de nombreuses
activités productives dans des pays où la main d’œuvre est bon marché et où le droit du
travail est embryonnaire.
12 Dans ce contexte, les spécialistes de l’organisation du travail ont proposé aux
entreprises des modes d’organisation du travail extrêmement flexibles leur permettant
d’être très « réactives ». Ceux-ci reposent sur l’idée que les organisations
« bureaucratiques » du travail (qui définissent des emplois, métiers, des professions,
des fonctions et des carrières professionnelles relativement bien circonscrits) ne leur
permettent pas de l’être suffisamment. L’accent est désormais mis sur les « self-
designing organisations » (Weick, 1977) ou les « boundaryless organisations »
(Ashkenas, Ulrich, Jick, & Kerr, 1995). Ces nouvelles formes d’organisation du travail
ont pour principe d’estomper les distinctions entre les différents métiers et services,
ainsi que les hiérarchies. Le travail est effectué par des équipes flexibles constituées
pour la durée d’une mission. Chacune d’elle – qui s’organise de manière autonome avec
l’aide d’un cadre intermédiaire ayant une fonction d’animateur – définit les temps
nécessaires pour atteindre les différents objectifs et répartit entre ses membres les
diverses activités et opérations à effectuer, compte tenu du portefeuille de
compétences de chacun (cf. Shimizu, 1999 ; Kamata, 2008). L’activité professionnelle de
chaque travailleur devient ainsi une fonction dont les particularités dépendent de son
capital de compétences et des caractéristiques du réseau dans lequel elle s’inscrit.
13 La flexibilité de l’emploi a été accrue, d’une part, par le développement du travail
périphérique et, d’autre part, par une transformation de ce qui a été parfois nommé la
« dimension psychologique » (Rousseau, 1995) du contrat de travail. Une différence
majeure a ainsi été posée entre emplois centraux et périphériques (Edwards, Reich, &
Gordon, 1975). Les premiers correspondent à des fonctions professionnelles où la
mémoire du savoir-faire de l’entreprise est en jeu. Ils sont exercés par des personnes
qualifiées et polyvalentes qui ne courent que des risques assez faibles d’être licenciées.
Les emplois périphériques – peu qualifiés – sont offerts pour une durée limitée à des
personnes qui sont recrutées quand la conjoncture économique est bonne et licenciées
quand elle se détériore. Les changements relatifs à la « dimension psychologique » du
contrat de travail ont consisté à remettre en cause l’idée de faire carrière au sein d’une
même entreprise. Précédemment, on considérait qu’en échange d’un dévouement à la
réussite de l’entreprise, celle-ci s’engageait à offrir à ses salariés un emploi stable et
certaines opportunités de promotion en son sein, dans des trajectoires professionnelles
relativement bien définies. Dans ces nouvelles formes d’organisation, le travailleur peut
tout au plus espérer y développer son capital de compétences (Rousseau, 1995).

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14 Ces changements ont eu des conséquences majeures sur la manière de concevoir


l’activité de s’orienter. Depuis la fin du dix-neuvième siècle, on considérait qu’elle
consistait à chercher à mettre en correspondance – à apparier – certaines
caractéristiques relatives aux individus (e.g. des aptitudes) avec des caractéristiques
analogues (e.g. des habiletés professionnelles) définissant un métier, une profession, un
collectif de travail, une carrière ou encore une formation. C’est ainsi que Dawis et
Lofquist (1984) ont construit un cadre d’analyse visant à apparier « objectivement »,
d’un côté, les personnes et, de l’autre, les métiers et les professions sur des dimensions
d’aptitudes, de valeurs et de styles de personnalités. Holland (1985) a, de son côté,
proposé un modèle visant à apparier « objectivement » les personnes et les collectifs ou
les contextes de travail (ou d’autres activités). Super (1963) a montré comment les
personnes appariaient subjectivement leur concept de soi professionnel à certaines
fonctions professionnelles dont la succession pouvait former une carrière
professionnelle.
15 Ces modèles d’appariement entre, d’une part, la personne et, d’autre part, le métier, la
profession, le collectif de travail, la fonction ou la carrière ont été remis en question
par la flexibilité du travail et de l’emploi qu’impliquent les nouvelles formes
d’organisation du travail. Le point d’ancrage du conseil en orientation s’en est trouvé
changé. Précédemment, le conseil portait sur la relation – pensée comme relativement
stable – entre une certaine personnalité individuelle et certains métiers, professions,
collectifs, fonctions ou carrières. Désormais, compte tenu de l’instabilité du pôle
« travail », le point d’ancrage du conseil s’est recentré sur l’individu lui-même : il s’agit
de l’aider à construire un « soi professionnel » flexible fait d’un ensemble de
compétences pouvant être investies dans diverses activités de travail (c’est-à-dire dans
une variété de fonctions professionnelles susceptibles de s’inscrire dans une certaine
collection de réseaux de travail potentiels). Ce « soi professionnel » doit donc, par
principe, être susceptible d’adaptations et, le cas échéant, de modifications plus
importantes encore.
16 Orienter son parcours professionnel signifie désormais savoir investir judicieusement
ce capital de compétences. Ce qui implique, d’une part de s’être formé un tel capital au
cours de l’ensemble de ses expériences de vie et, d’autre part, de savoir repérer
certaines opportunités qui se présentent à soi, à un certain moment, dans un contexte
professionnel : des opportunités qui ne peuvent être perçues par l’individu qu’en
fonction d’une connaissance précise de ses propres compétences, possibilités,
contraintes attentes et désirs. S’orienter devient ainsi fondamentalement une conduite
stratégique, où, comme le souligne Delory-Momberger (2007, pp. 12-13) l’individu doit
« se faire “l’entrepreneur” de lui-même (Ehrenberg, 1991) ou, comme le dit encore Beck
(2000) (...) être “le bureau d’étude de son propre curriculum” ».
17 L’activité de s’orienter repose ainsi désormais sur la capacité de l’individu de faire
retour sur ses propres expériences, de les analyser et de les mettre en perspective,
d’une part, en fonction des normes économiques et sociales contemporaines de
« l’employabilité » et, d’autre part, en relation avec la définition de certaines
anticipations qui importent pour lui.
18 Cette activité apparaît d’autant plus complexe que cette réflexion doit désormais être
conduite dans le contexte « liquide » (Bauman, 2007) des sociétés la modernité tardive
(Giddens, 1991). Celles-ci se caractérisent, en effet, par l’affaiblissement de la fonction
de « holding » (Winnicott, 1986) qu’assuraient précédemment des institutions

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sociétales établies, tels que les systèmes idéologiques, les organisations syndicales,
sociales, politiques, religieuses, certaines représentations collectives, certains collectifs,
etc. De telles institutions et systèmes représentatifs fournissaient aux individus
certains modèles de vie considérés comme « une vie normale » pour quelqu’un de cet
âge, de ce sexe et de cette condition, des ensembles de présomptions sur le monde,
certaines croyances relatives à un avenir meilleur, etc., qui donnaient un sens quasi
immédiat à leur vie quotidienne. Ces repères établis leur permettaient de s’orienter
dans la vie.
19 Désormais, dans les sociétés liquides, chacun doit faire face plus que jamais à l’exigence
de déterminer par lui-même ce qui importe dans son existence : à l’impératif de définir
les principes et valeurs primordiaux qui lui permettent d’effectuer les choix majeurs
marquant le cours de sa vie (Taylor, 1998). Comme le résume Giddens (1991, p. 5) : « À
cause de “l’ouverture” de la vie sociale d’aujourd’hui, de la pluralité croissante des
contextes d’action et de la diversité des “autorités”, le choix de style de vie prend une
importance grandissante dans la constitution d’une identité et dans les activités
quotidiennes. L’activité réflexive de planification de l’existence (...) devient un fait
majeur de la structuration de l’identité de soi ». La réflexion sur soi et ses propres
expériences – formant une activité continuée de personnalisation (Malrieu, 2003) –
devient ainsi un impératif social. Par conséquent, l’orientation ne désigne plus
seulement la direction d’un parcours professionnel. Elle devient une activité de
conception et de construction de sa vie : un « life designing » (Savickas et al., 2010).
20 Il n’est pas étonnant dans ce contexte que les compétences considérées comme requises
pour s’orienter aujourd’hui comprennent un ensemble de dimensions relatives au sens
de l’existence ou à la construction de l’identité individuelle. Ainsi, DeFillippi et Arthur
(1996) isolent une catégorie de compétences – qu’ils nomment le « knowing-why »
(« savoir pourquoi ») – faisant référence au sens que la personne accorde à ses
différents investissements dans ses différents domaines de vie, en relation avec ses
attentes majeures relatives à son existence. Cette catégorie s’articule aux « knowing
how » (« savoir comment ») qui désignent tous les savoirs, connaissances, savoir-faire,
savoirs pratiques, attitudes, etc. permettant à la personne d’effectuer les activités
qu’elle sait faire et au « knowing whom » (« connaître qui ») qui se rapporte aux
réseaux de relations sociales sur lesquels la personne peut s’appuyer. De son côté, Hall
(2002) a décrit deux méta-compétences : l’identité et l’art de l’adaptation. L’identité est
définie comme un sens de soi – de ce qui importe pour soi – nécessaire pour anticiper
certaines perspectives pour soi dans un contexte déterminé, c’est-à-dire pour y repérer
les opportunités qui font sens pour soi. L’art de l’adaptation est considéré comme une
habileté à tirer parti de ce qu’offrent les contextes dans lesquels l’individu interagit.
Inspiré notamment par le système conceptuel de Bourdieu, Côté (1996) a, pour sa part,
proposé de subsumer l’ensemble de ces compétences requises pour s’orienter
aujourd’hui dans une seule grande catégorie qu’il nomme « identity capital », une
expression que l’on pourrait traduire par « capital d’identités ». Il le définit comme
(pp. 425-426) : « ce que les individus investissent dans “qui ils sont” (...). Ces
investissements produisent des dividendes potentiels sur les “marchés identitaires” des
communautés de la modernité tardive. Pour pouvoir être un acteur (player) sur ces
marchés, il faut d’abord établir un sens de soi stable soutenu par les éléments suivants :
des habiletés et savoir-faire techniques et sociaux dans des domaines très variés, des

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répertoires de conduites efficaces, un développement psychosocial optimal et des


relations dans des réseaux sociaux et professionnels clés ».
21 En résumé, l’exigence sociétale majeure en matière d’orientation dans les sociétés
liquides est que les individus développent un sens de soi s’appuyant sur un ensemble de
compétences – ou encore un capital d’identités – leur permettant de faire face aux
multiples adaptations requises pour conduire leur vie personnelle et professionnelle.

Comment aider les jeunes à développer les


compétences requises pour s’orienter dans les
sociétés liquides ?
22 Aider les jeunes à développer de telles compétences suppose de connaître les processus
de leur construction. De nombreuses recherches (e.g. Bronfenbrenner, 1979 ; Law,
1981 ; Vondracek, Lerner, & Schulenberg, 1986 ; Côté, 1997 ; Young, Valachn, & Collin,
2002) ont montré que les activités, interactions et interlocutions que les individus
effectuent dans leurs différents contextes de vie jouent un rôle déterminant dans cette
construction. Dans chacun des contextes (familial, professionnel, scolaire, sportif,
associatif, etc.) où l’individu interagit et dialogue : (1) certaines représentations
sociales dominent (e.g. sur les rôles sociaux des hommes et des femmes ou sur ce que
cela signifie que de « réussir sa vie ») ; (2) certaines valeurs ont cours ; (3) certains
modèles (des personnes connues effectivement ou des personnages vus dans les
médias) sont valorisés ; (4) certains types d’activités sont obligés, encouragés,
découragés, interdits à tel ou tel, en fonction de sa position, de son âge, de son sexe ;
(5) certaines interlocutions se pratiquent (on parle ou non de telle question et on en
parle ainsi) ; (6) certaines rétroactions adviennent (on est reconnu ou non pour telle
activité, encouragé ou dissuadé de s’engager dans telle autre, etc.) ; (7) certains
positionnements sont plus ou moins strictement définis pour les différents acteurs, etc.
23 La participation de l’individu à tel ou tel contexte d’interactions et de dialogues est
étroitement liée, d’une part, au volume des différents types de capital (économique,
culturel et social) qu’il détient (ou que sa famille possède, quand il s’agit d’un
adolescent ou d’un adulte émergent) (Bourdieu & Wacquant, 1992) et, d’autre part, à
son sexe (Oakley, 1972). Or, certains contextes constituent, pour les individus, des
domaines d’expériences qui leur permettent de construire des compétences pour
s’orienter ayant une plus grande utilité – ou valeur – sociale que d’autres. Par ailleurs,
les individus peuvent interagir et dialoguer dans un nombre plus ou moins important
de contextes (en général : les personnes les mieux dotées dans les différents types de
capital interagissent dans un plus grand nombre de contextes). Ceux-ci peuvent être
plus ou moins dissonants ou consonants entre eux. Plus ils sont dissonants, plus la
personne doit s’engager dans ce que Bronfenbrenner (1979) a nommé des transitions
méso-systémiques, c’est-à-dire dans des va-et-vient d’un contexte à un autre, qui
l’obligent à une grande flexibilité dans ses manières d’être, d’agir, d’interagir et de se
rapporter à elle-même. Tous ces facteurs se conjuguent pour aboutir à un même
résultat : pour s’orienter, chaque personne peut s’appuyer sur un capital de
compétences qui peut différer considérablement – de nature et de volume – de celui
d’une autre personne. Les pouvoirs d’agir des individus en cette matière – notablement
différents – apparaissent étroitement liés à leur position sociale.

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24 Une première manière de réduire ces inégalités – dont on peut postuler qu’elles sont
plus importantes en France que dans des pays comparables – consisterait, sans doute, à
donner la possibilité à tous les jeunes de s’engager dans de multiples activités,
interactions et interlocutions. Il s’agirait donc d’offrir aux jeunes français des
conditions qui soient au moins égales à celles des jeunes danois. Cela supposerait de
profondes réformes fiscale et scolaire. En matière fiscale, le système inéquitable du
quotient familial devrait être remplacé par une aide directe aux jeunes. S’agissant de
l’école, de nombreux et profonds changements seraient nécessaires. Les plus
importants d’entre eux viseraient à une valorisation analogue des divers types de
compétences et des divers modes d’apprentissage et d’éducation. Ils seraient liés à une
redéfinition en profondeur non seulement de l’organisation de l’école mais aussi de ses
modes d’articulation aux autres expériences de formation des jeunes (e.g. le système en
filières strictement scolaires pourrait être remplacé par une organisation en modules
où les formations et expériences effectuées hors de l’école pourraient être reconnues et
validées). Ils impliqueraient aussi de profondes transformations des modalités
d’orientation et de sélection, notamment dans les formations supérieures (limite d’âge,
nature de épreuves, compétences prises en compte, etc.).
25 Une seconde manière, complémentaire de la précédente, consisterait à aider tous les
jeunes (et pas seulement ceux qui peuvent avoir recours à des services privés) à
développer la réflexivité que les sociétés liquides exigent d’eux. Cela supposerait de
multiplier les institutions et dispositifs publics d’accompagnement aujourd’hui fort
réduits en France. Ceux-ci pourraient offrir des interventions que l’on peut classer en
trois grandes catégories, ordonnées selon l’intensité et la nature de la réflexion qu’elles
sollicitent de la part des bénéficiaires.
26 Les premières auraient pour objectif d’informer et d’apprendre à s’informer sur les
activités professionnelles, le travail et l’emploi. De telles interventions visent à
permettre aux bénéficiaires de trouver des réponses à des questions telles que : quelles
activités majeures effectue-t-on quand on exerce cette fonction professionnelle ?
Quelles sont les perspectives d’emploi dans ce domaine professionnel ? Quelles sont les
exigences pour exercer ce type d’emploi ? Comment s’y préparer ? L’information sur les
procédures et les modalités concrètes de recrutement fait partie de cet ensemble, de
même que les formations destinées à apprendre aux bénéficiaires à trouver et à
sélectionner par eux-mêmes des informations exactes et pertinentes sur le web. Étant
fondamentalement de nature pédagogique, ces interventions n’exigent pas que les
bénéficiaires s’engagent dans un important travail de réflexion sur eux-mêmes et sur
leurs expériences, bien qu’elles les prédisposent à le faire. Elles les incitent en effet à se
poser des questions sur eux-mêmes en fonction des informations qu’ils reçoivent sur le
monde du travail.
27 La deuxième catégorie regrouperait des interventions de « guidance ». Celles-ci visent à
aider les bénéficiaires à développer leur réflexion sur eux-mêmes et sur leurs
différentes expériences. Mais, la réflexion dans laquelle elles les engagent est
particulière : il s’agit de les conduire à se forger des modes de rapport à eux-mêmes et à
leurs diverses expériences en vue de construire un concept de soi professionnel
correspondant aux normes sociales actuelles de l’employabilité. À savoir : un concept
de soi adaptable fait des divers types de compétences de carrière et inscrit dans un
certain capital d’identités. Ces interventions ont pour thèmes centraux : (1) les
compétences requises pour exercer telle ou telle activité professionnelle, (2) la

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manière dont les personnes qui les effectuent ont construit ces compétences, (3) les
compétences que le bénéficiaire de l’intervention a déjà construites, (4) les
expériences qui, dans ses différents domaines de vie (école, formation, activités de
loisirs, sports, activités de travail, couple, famille, etc.) lui ont permis de construire ces
compétences, (5) les compétences qu’il pourrait désormais développer et la nature des
expériences susceptibles de le lui permettre. Certains ateliers d’éducation à
l’orientation (par exemple : les méthodes DAPP. Cf. Guichard (éd.), 2008) de même que
la plupart des formes de bilan de compétences (e.g. les porte-folios de compétences ; cf.
Aubret & La Fédération Nationale des Centres Interinstitutionnels de Bilans de
Compétences, 2001) sont des exemples prototypiques de telles activités de conseil de
guidance.
28 La dernière catégorie d’interventions serait celle des dialogues de conseil. Comme on l’a
souligné, les individus des sociétés liquides contemporaines doivent s’engager dans une
attitude réflexive en vue de déterminer les anticipations majeures qui, aux différents
moments de leur existence, donnent un sens à leur vie et qui leur permettent, par
ailleurs, d’adopter les attitudes stratégiques qu’on exige d’eux en matière de
management de leur parcours professionnel (knowing why). Les dialogues de conseil se
centrent sur ce point : ils visent à aider les personnes à développer une telle réflexivité.
À la différence des interventions de guidance, les dialogues de conseil ne s’attachent
pas fondamentalement à aider les bénéficiaires à réfléchir sur leur existence en se
plaçant du point de vue de la norme sociale actuelle de l’employabilité. Leur objectif est
plus fondamental : accompagner les personnes dans la définition des normes (de leurs
propres normes) leur permettant de donner un sens à leur existence et de construire
leur vie. Il s’agit donc de les aider à poser certains repères de vie aujourd’hui
fondamentaux pour elles, des repères qui assureront la fonction de soutien que des
cadres sociaux, idéologiques et routiniers relativement stables fournissaient aux
individus des sociétés solides. Une telle réflexion suppose que la personne s’engage
dans des dialogues avec autrui et avec elle-même. Par conséquent, les interventions
visant à aider les personnes à développer cette réflexivité prennent la forme
d’interlocutions de conseil. Elles constituent un « tenir conseil » (Lhotellier, 2000,
2001). L’entretien de construction de carrière (Savickas, 2005, 2011) et l’entretien
constructiviste de conseil en orientation (Guichard, 2008) sont des exemples de tels
dialogues de conseil.

Conclusion
29 Au terme de ce rapide survol, un double phénomène ressort : d’une part, celui de la
centralité de l’école dans l’expérience des jeunes français (y compris de ceux qui, y
échouant, s’y forment souvent le sentiment durable d’être « sans qualité ») et, d’autre
part, celui de profondes dissonances entre, d’un côté, la manière dont les jeunes y
apprennent à se représenter la question de leur orientation et, d’autre part, la tâche de
s’orienter dans la vie et au travail telle que la formatent la société et les organisations
liquides dans lesquelles ils vivront et travailleront.
30 De très profondes réformes non seulement de l’organisation scolaire, mais aussi de son
articulation aux autres modes de formation des jeunes, semblent donc requises, tant
d’un point de vue économique que sociétal. On peut en effet se poser la question de
savoir si l’école française d’aujourd’hui est bien à même de « produire » les élites

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industrielles et les travailleurs qualifiés qu’exigent les économies compétitives des


sociétés mondialisées. C’est peut-être l’une des raisons pour laquelle, d’une part,
l’industrie française n’apparaît que faiblement engagée dans les secteurs les plus
innovants en matière de technologie (électronique, industries de la communication,
énergies renouvelables, etc.) et pour laquelle, d’autre part, certaines entreprises font
état de difficultés à recruter des personnes porteuses du capital de compétences dont
elles ont besoin. Par ailleurs, comme les différentes comparaisons internationales PISA
l’ont montré (OCDE, 2009 ; OECD, 2000), l’école française est l’une de celles des pays
développés qui contribuent le plus à la reproduction des inégalités sociales. Elle produit
une masse de « laissés pour compte » : de jeunes qui, parce qu’ils ne répondaient pas
aux critères de l’excellence scolairement définie, en sont venus à se penser comme
dépourvus de toutes qualifications (faible estime de soi, absence de sentiments de
compétences et d’auto-détermination, etc.). De nombreuses analyses historiques ou
psychosociologiques ne peuvent que conduire à s’interroger sur les dangers que peut
faire courir à une société démocratique l’existence d’une telle masse d’exclus.
31 Malgré leur importance économique et sociale – et leur urgence – on peut douter que
de telles réformes touchant à la formation et à l’éducation des jeunes soient mises en
place dans un avenir proche. On peut en effet observer, tout d’abord, que malgré
l’existence de très nombreux rapports de qualité sur la question scolaire (ceux du
groupe présidé par Prost (Prost et al., 1983) et du Collège de France (Bourdieu et al.,
1985) en sont deux exemples paradigmatiques) et de très nombreuses commissions de
réflexion ad hoc, aucune réforme touchant aux problèmes qui viennent d’être évoqués
n’a été mise en place au cours de ces quatre dernières décennies. Deux raisons
fondamentales peuvent expliquer ce dangereux conservatisme. La première est que les
familles se trouvant dans des positions socialement dominantes, ainsi que celles des
enseignants (et d’autres acteurs du système éducatif), sont les premiers bénéficiaires de
l’organisation actuelle. Leurs enfants ont un accès privilégié (quasi exclusif) à des
formations destinées aux élites qui leur sont offertes gratuitement (dans certains cas,
les étudiants sont rémunérés !), alors que dans les autres sociétés occidentales, les
formations analogues sont fort coûteuses. C’est à peine caricaturer les choses que
d’écrire que, plus qu’ailleurs, en France, les exclus de l’école rémunèrent les études des
inclus.
32 La seconde raison est corrélative de la première : seule une puissante volonté politique
de véritables réformes se référant explicitement aux nombreuses connaissances
relatives à l’école, à la formation et à l’éducation des jeunes (notamment aux travaux
sur les facteurs de réussite et d’échec) pourrait permettre un tel changement. En cette
matière, on peut évoquer la manière dont fut implémentée la réforme de l’école
finlandaise dont les résultats très positifs se manifestent depuis plusieurs décennies
dans les différentes comparaisons internationales. La conjonction de deux éléments
semble alors avoir joué un rôle majeur. Le premier fut le succès public en Finlande et en
Suède de l’ouvrage de professeurs de sciences politiques et de psychologie – Häyrynen
et Hautamäki (1973, 1976) – sur l’éducabilité. Ce livre reposait sur une connaissance de
première main de la littérature scientifique internationale en cette matière
(notamment russe : tout particulièrement certains écrits majeurs de Vygotski). Le
second fut l’intérêt porté par un tout jeune ministre de l’éducation nationale (Ulf
Sundqvist avait alors 28-29 ans) à cet ouvrage et sa volonté de s’appuyer sur ses
conclusions pour porter une réforme souhaitée par le gouvernement de l’époque,
malgré une opposition pugnace des forces conservatrices et des milieux d’affaire qui la

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qualifiaient alors de « communiste » ou de « gauchiste » (une réforme que ces mêmes


forces et milieux revendiquent désormais comme étant de leur fait !). Comme ce
ministre le fit remarquer quelques années plus tard, pour que réussisse une réforme –
telle que celle qu’il conduisit – une programmation rigoureuse n’est pas suffisante. Il
faut aussi que ce soit diffusée dans la société une « idéologie positive » relative à
l’éducation. En particulier, tous les jeunes (quels que soient leur origine, leur sexe, leurs
croyances, etc.) doivent être perçus comme des personnes créatives susceptibles de
tirer le meilleur parti d’une éducation partout d’excellence, offerte à chacun. Ces
conditions sont-elles réunies en France aujourd’hui ?

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NOTES
1. Ce texte est une version développée d’un article intitulé « La désorientation scolaire » paru dans
le numéro 504 (mars-avril 2013) des « Cahiers Pédagogiques ».

RÉSUMÉS
Compte de tenu des processus de sélection des élèves dans le système scolaire français, les jeunes
tendent à considérer leur avenir en se référant à leurs résultats scolaires antérieurs. Cette vue
diffère de ce que l’on attend ici et maintenant des individus en matière d’orientation de leur
parcours professionnel et de leur vie. Trois types d’aides peuvent être apportés aux élèves pour
les aider à faire face à cette tâche. Néanmoins, seule une profonde réorganisation de l’école et de
ses relations avec les autres expériences de vie des élèves leur permettrait de construire les
compétences qu’on exige d’eux pour s’orienter.

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16

As a consequence of the selection processes of students within the French school system, youths
tend to consider their future from the perspective of their past school results. This view
contrasts with what is expected here and now from them and in terms of the direction of their
work paths and lives. To help them cope with such a task, students can be offered three kinds of
support. Nevertheless, only a major reorganization of school and of its relationships with all the
students’ other life experiences would permit them to construct the career competencies they
need.

INDEX
Mots-clés : Système scolaire, sélection, société postmoderne, organisation du travail, conseil de
guidance, dialogue de conseil
Keywords : School system, selection, postmodern society, work organisation, career guidance,
life designing dialogue

AUTEUR
JEAN GUICHARD
est Professeur de psychologie à l’INETOP/CNAM - Thèmes de recherche : facteurs & processus de
la construction de soi, dialogues de conseil en orientation, ateliers d’éducation à l’orientation.
Contact : Institut National d’Étude du Travail et d’Orientation Professionnelle, Centre de
recherche sur le travail et le Développement, Conservatoire National des Arts et Métiers, 41 rue
Gay-Lussac, 75005 Paris – Courriel : jean.guichard@cnam.fr

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L’échelle des sentiments d’auto-


efficacité aux décisions de carrière -
forme courte : une adaptation
française pour lycéens
The Career Decision Self-Efficacy Scale-Short Form: A French adaptation of for
high school students

Jean-Philippe Gaudron

Introduction1
1 Bandura (1986) a proposé que les sentiments d’efficacité personnelle, c’est-à-dire les
croyances et la confiance que les individus ont dans leurs capacités à réaliser avec
succès des tâches et des comportements requis, sont des médiateurs fondamentaux des
comportements et des changements de comportement ; des faibles sentiments
d’efficacité personnelle pour une tâche donnée conduisant à l’évitement, alors que des
forts sentiments d’efficacité personnelle augmentent la fréquence de ceux-ci. Depuis
trois décennies, de très nombreuses recherches ont appliqué la théorie des sentiments
d’auto-efficacité de Bandura (1977, 1986, 1997, 2003) au développement des choix
professionnels et aux prises de décisions d’orientation, montrant que cette auto-
efficacité contribue fortement à l’orientation professionnelle : « Elle prédit l’étendue
des choix de carrière sérieusement pris en considération, l’intérêt et la préférence pour
une profession, le suivi d’une scolarité qui prépare à la carrière choisie, la persévérance
dans les difficultés, la réussite scolaire dans le domaine choisi et même le choix du
milieu culturel dans lequel la personne poursuivra sa carrière » (Bandura, 2003, p. 635).
Suite aux suggestions originales de Hackett et Betz (1981), Taylor et Betz (1983) ont
étudié l’utilité de la théorie de l’auto-efficacité de Bandura pour comprendre et traiter
l’indécision en matière d’orientation. Elles ont développé une mesure des sentiments
d’efficacité personnelle à réaliser les tâches en lien avec les processus réflexifs et les

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comportements relatifs aux choix et aux décisions d’orientation, ou auto-efficacité


vocationnelle : l’échelle des sentiments d’auto-efficacité aux décisions de carrière, the
Career Decision Self-Efficacy Scale (CDSES).

Historique du développement de la CDSES

2 À l’origine, la CDSES a été conçue par Taylor et Betz (1983) comme un moyen d’évaluer
la confiance des individus dans leurs capacités à mener à terme les tâches nécessaires à
la prise de décisions d’orientation. Elle s’appelait d’ailleurs Career Decision-Making Self-
Efficacy Scale, mais les auteures ont modifié ce premier nom à cause d’un copyright et
proposé l’acronyme CDSES. Taylor et Betz ont utilisé le modèle de la maturité de
carrière de Crites (1961, 1978) pour proposer cinq grands domaines de compétences
relatifs aux conduites individuelles d’orientation : l’auto-connaissance, la recherche
d’informations sur les filières et les métiers, la sélection d’objectifs, la planification
pour le futur et la résolution de problèmes nécessitant de nouvelles décisions. Dix items
présentant des tâches relatives à chaque domaine (ou dimension théorique) furent
sélectionnés et les répondants devaient indiquer leur degré de confiance à les réaliser
sur une échelle de type Likert à 10 modalités, de 0 (pas de confiance), à 9 (confiance
parfaite). La CDSES permettait ainsi de calculer six scores, cinq pour les sous-échelles
en relation avec les cinq dimensions et un score total. Taylor et Betz (1983) ont
rapporté des coefficients d’homogénéité interne alphas élevés pour les cinq sous-
échelles (de .86 à .89) et pour le score total (.97). En revanche, leurs analyses factorielles
exploratoires (analyses en composantes principales) ont échoué à retrouver leur
modèle théorique en cinq facteurs.
3 Très rapidement, la CDSES est devenue l’un des outils les plus utilisés dans les pratiques
d’évaluation et de conseil (Luzzo, 1993). Pour réduire la longueur de l’échelle originale
afin d’en faciliter l’utilisation par les praticiens, Betz, Klein, et Taylor (1996) ont
proposé une forme courte en éliminant 5 items sur 10 par sous-échelle. La Career
Decision Self-Efficacy Scale-Short Form (CDSES-SF), l’échelle des sentiments d’auto-
efficacité aux décisions de carrière – forme courte contient ainsi un total de 25 items
relatifs aux mêmes cinq domaines de compétences. Les réponses se font sur une échelle
de type Likert à 10 modalités, de 1 (pas de confiance), à 10 (confiance parfaite). Les
résultats rapportés ont montré des coefficients d’homogénéité interne alphas élevés
pour les cinq sous-échelles (de .73 à .83) et pour le score total (.94). Betz et ses
collaboratrices (1996) ont mené des analyses factorielles exploratoires qui ont échoué à
mettre en évidence le modèle théorique, les items ne saturant pas les cinq facteurs de
façon cohérente avec celui-ci.
4 Enfin, plus récemment, Betz, Hammond, et Multon (2005) ont proposé de réduire de 10
à 5, les modalités de réponse à la CDSES-SF. Les auteurs indiquent des coefficients
d’homogénéité interne alphas élevés pour les cinq sous-échelles (de .78 à .87) et pour le
score total (.95). En comparant leurs données aux précédentes études portant sur la
forme à 10 modalités de réponse (Betz et al., 1996 ; Betz & Voyten, 1997), ils concluent
que les deux types de scores présentent des qualités métriques équivalentes.

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Caractéristiques psychométriques des échelles CDSES

5 Un très grand nombre d’études a porté sur les caractéristiques psychométriques des
deux échelles, la CDSES et la CDSES-SF, accumulant les preuves de validation. Les scores
des deux formes sont hautement fidèles. Par exemple, Nilsson, Schmidt et Meek (2002)
ont analysé 41 articles et 7 thèses et rapportent des coefficients d’homogénéité interne
alphas de .83 à .97 pour les deux formes. Seules les valeurs des coefficients rapportées
par Gaudron (2011) sur des étudiants français sont plus basses, de .59 à .70 pour les
sous-échelles et de .87 pour le score total. Concernant la stabilité temporelle, quelques
études (Gaudron, 2011 ; Luzzo, 1993 ; Mau, 2000) ont rapporté des coefficients de
fidélité test-retest élevés, de .81 à .83, pour des intervalles de temps variant de 4 à
6 semaines.
6 Plusieurs recherches ont porté sur la structure factorielle des deux formes CDSES avec
des populations différentes. La plupart des auteurs ont utilisé des analyses factorielles
exploratoires (analyses en composantes principales) suivies de rotations orthogonales
(varimax ou obliques) et aucun n’a trouvé une structure en cinq facteurs correspondant
au modèle théorique de base. Face à la difficulté d’interpréter des résultats d’analyses
en cinq facteurs complexes, c’est-à-dire dans lesquelles des items de différentes
dimensions théoriques saturent les mêmes facteurs, certains chercheurs ont alors
suggéré que la CDSES offrait une mesure générale des sentiments d’efficacité
vocationnelle couvrant de multiples facettes relatives aux comportements de prise de
décisions d’orientation (Hampton, 2006 ; Robbins, 1985 ; Taylor & Betz, 1983 ; Taylor &
Popma, 1990). D’autres chercheurs ont aussi proposé des solutions à deux, trois ou
quatre facteurs, en retirant certains items.
7 Peterson et delMas (1998) ont présenté une solution à deux facteurs avec 16 items sur
un échantillon d’étudiants. Ces deux facteurs ont été nommés Prise de décisions et
Recherche d’informations. Des solutions à trois facteurs ont été proposées d’une part,
par Creed, Patton, et Watson (2002) avec 23 items sur des échantillons de lycéens
australiens et sud-africains et d’autre part, par Hampton (2005) avec 16 items pour des
étudiants chinois. Dans les deux études, les facteurs, qui ne regroupent pas exactement
les mêmes items, ont été nommés Recherche d’informations, Prise de décisions et
Résolution de problèmes. Enfin, deux études ont mis en évidence des solutions à quatre
facteurs : celle de Chaney, Hammond, Betz, et Multon (2007) avec 25 items sur un
échantillon d’étudiants américains et celle de Gaudron (2011), avec 18 items sur des
étudiants français. Dans cette dernière étude, les facteurs ont été nommés Recherche
d’informations, Sélection d’objectifs, Résolution de problèmes et Gestion de projet. La
structure factorielle de chacune des deux formes varie donc d’une étude à l’autre, d’un
échantillon à l’autre. Mais qu’il s’agisse de facettes multiples ou de plusieurs facteurs,
tous les auteurs s’accordent sur le caractère multidimensionnel de l’échelle.
8 Quelques études ont porté sur la structure factorielle de la CDSES-SF en utilisant
l’analyse factorielle confirmatoire soit, un modèle de mesure fixant les 25 items de
l’échelle sur leur facteur théorique respectif. Les résultats sont contrastés. Il y a d’un
côté plusieurs études qui présentent des indices non satisfaisants telles celles de
2
Watson, Brand, Stead, et Ellis (2001) ( F063 (265, N = 364) = 807.53, CFI = .83, RMSEA = .07),
F0 2
de Hampton (2005) ( 63 (265, N = 256) = 784.95, CFI = .79, RMSEA = .08), ou de Gaudron
2
(2011) ( F0
63 (265, N = 650) = 1050.78, CFI = .78, RMSEA = .075) et qui concluent sur une
mauvaise adéquation du modèle en cinq facteurs aux données ; et de l’autre côté, une

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20

étude de Miller, Sendrowitz Roy, Brown, Thomas, et McDaniel (2009) qui rapportent des
2
indices plutôt satisfaisants sur deux échantillons ( F063 (265, N = 267) = 521.57, CFI = .97,
F0 2
RMSEA = .06, et 63 (265, N = 239) = 593.71, CFI = .96, RMSEA = .07, respectivement).
9 Il existe enfin tout une série de recherches portant sur la validité critérielle incluant les
relations entre les CDSES et d’autres mesures relatives aux choix et développement de
carrière. Ainsi, les scores des deux formes présentent des relations élevées avec
l’indécision de carrière (voir Betz & Luzzo (1996) pour une revue de question), le style
de prise de décisions (Mau, 2000), l’identité vocationnelle (Gushue, Scanlan-Kolone,
Pantzer, & Clark, 2006 ; Munson & Savickas, 1998 ; Robbins, 1985), la maturité de
carrière (Luzzo, 1993), les patterns de choix de carrière (Gianakos, 1999), les croyances
d’orientation adaptatives (Luzzo & Day, 1999), ainsi que les engagements (Betz &
Serling, 1993 ; Chung, 2002) et les comportements exploratoires en matière
d’orientation (Blustein, 1989 ; Gushue et al., 2006).

Études internationales

10 Plusieurs recherches ont été menées sur des échantillons autres qu’américains
(Abdalla, 1995 ; Gati, Osipow, & Givon, 1995 ; Mau, 2000 ; Rowland, 2004) et quatre
études ont porté spécifiquement sur l’évaluation des caractéristiques psychométriques
de la CDSES-SF (Creed et al., 2002 ; Gaudron, 2011 ; Hampton, 2005 ; Watson et al., 2001).
Comme on l’a vu ci-dessus, aucune de ces études non américaines n’a confirmé le
modèle en cinq facteurs et Miller et ses collaborateurs (2009), qui eux ont confirmé la
structure, ont suggéré que ces résultats pouvaient rendre compte de différences
culturelles affectant les processus de décisions de carrière (Lindley, 2006).
11 Depuis quelques années en France, on assiste à une augmentation de l’intérêt porté à la
théorie des sentiments d’auto-efficacité de Bandura par les chercheurs et praticiens de
l’orientation (voir par exemple Blanchard, 2008, 2009). Pourtant, encore très peu de
chercheurs ont exploré l’utilité du concept de sentiments d’efficacité vocationnelle et
travaillé avec les échelles des sentiments d’auto-efficacité aux décisions de carrière de
Betz et ses collaboratrices (Bernaud, Danet, & Dinar, 2009). Par ailleurs, si certaines
caractéristiques psychométriques de la CDSES-SF ont été appréciées sur un échantillon
d’étudiants français (Gaudron, 2011), il n’existe pas, à notre connaissance, de données
portant sur des lycéens. L’objectif de la présente étude est de combler ce manque en
présentant une adaptation de l’échelle des sentiments d’auto-efficacité aux décisions de
carrière – forme courte et ses qualités métriques, pour lycéens.

Méthode
Participants

12 Deux cent trente-quatre élèves de trois lycées de la Haute-Garonne (Midi-Pyrénées) ont


participé à cette étude. Soixante-huit élèves étaient en première (29 %), 166 en
terminale (71 %). Ils étaient issus de cinq filières : 67 en Économique et sociale (ES,
29 %), 66 en Scientifique (S, 28 %), 48 en Sciences et technologies de la santé et du social
(ST2S, 21 %), 38 en Sciences et technologies de la gestion (STG, 16 %) et 15 en Littéraire
(L, 6 %). Il y avait 165 filles (69 %) et 69 garçons (31 %) avec des âges variant de 16 à
21 ans (M = 21,4, SD = 4,9). Au cours de l’année scolaire et avant la passation des

L'orientation scolaire et professionnelle, 42/2 | 2013


21

questionnaires, les lycées sollicités n’avaient pas proposé d’actions collectives (au
niveau des classes par exemple) d’aide à la définition de projet. En revanche, il n’a pas
été demandé dans le questionnaire si les lycéens avaient pu bénéficier individuellement
d’un accompagnement à l’orientation suite à une démarche personnelle.

Matériel

13 L’échelle des sentiments d’auto-efficacité aux décisions de carrière (The Career Decision
Self-Efficacy Scale-Short Form (CDSES-SF) ; Betz et al., 1996). Cette échelle contient 25
items mesurant les croyances des personnes quant à leurs capacités à mener des
conduites d’orientation. Elle comporte 5 sous-échelles qui renvoient aux cinq domaines
de compétences du modèle de Crites (1961, 1978) : l’autoévaluation (par exemple, item
5 : « Estimer vos capacités de façon précise ») ; la recherche d’informations (par
exemple, item 1 : « Trouver des informations à la bibliothèque concernant des métiers
qui vous intéressent ») ; la sélection d’objectifs (par exemple, item 2 : « Sélectionner
une des filières parmi celles qui vous intéressent le plus ») ; la planification (par
exemple, item 3 : « Faire un échéancier de vos objectifs pour ces 5 prochaines
années ») ; la résolution de problème (par exemple, item 4 : « Déterminer les mesures à
prendre si vous avez des difficultés scolaires avec un des aspects de la filière choisie »).
Les réponses sont données sur une échelle de type Likert à 5 modalités de 1 (aucune
confiance) à 5 (confiance totale).
14 L’adaptation pour ce public lycéen (voir annexe A) a été faite à partir de la version
française pour des étudiants (Gaudron, 2011). Elle comporte quatre ajustements
mineurs par rapport à cette dernière : item 10, ajout de « (qui recrutent) » ; item 12,
ajout de « (curriculum vitae) » ; item 18, « le métier qui vous intéresse » remplace « tel
métier » ; dans la consigne enfin, un exemple est proposé pour aider à la
compréhension. Des renseignements concernant l’âge, le sexe et la filière ont
également été demandés.

Résultats
15 Les moyennes (M), écarts-types (SD) et coefficients d’homogénéité interne alphas ont
été calculés à l’aide du logiciel SPSS.18 et sont présentés dans le tableau 1. À fin de
comparaisons, les scores moyens ont été calculés par sous-échelle (la somme des
réponses aux items d’une sous-échelle est divisée par 5) et pour le score total (la somme
des réponses aux 25 items est divisée par 25) (Betz et al., 2005). Le score total a un
minimum observé de 1 et un maximum de 4,80 avec une moyenne de 3,22 (SD = 0,51).
Comme le montre le tableau 1, les moyennes aux 5 sous-échelles pour l’ensemble de
l’échantillon varient de 3 à 3,37. Il n’y a pas de différence significative au seuil p < .10
entre les deux groupes de sexe pour les 6 scores. L’homogénéité interne du score total
est élevée, avec une valeur de .88. En revanche, les valeurs des coefficients alphas pour
les sous-échelles sont modérées, allant de .50 à .70.

Tableau 1

L'orientation scolaire et professionnelle, 42/2 | 2013


22

Moyennes, Écarts-types et coefficient alphas pour l’échantillon total et par sexe

Total Filles Garçons


(n = 69)
(N = 234) (n = 165)

M SD Alpha
ESEV M SD Alpha M SD Alpha

3.24 0.53 .88


Total 3.22 0.51 .88 3.21 0.51 .88

3.34 0.74 .75


Auto-connaissance 3.34 0.67 .65 3.34 0.64 .60

3.30 0.63 .69


Recherche d’infos 3.36 0.60 .55 3.38 0.59 .53

3.44 0.76 .70


Sélection d’objectifs 3.37 0.69 .70 3.34 0.66 .69

3.06 0.68 .67


Planification 3.02 0.66 .67 3.01 0.65 .66

3.04 0.63 .58


Résolution de pb 3.00 0.63 .60 2.98 0.63 .61

Table 1
Means, Standard Deviations and Alpha Coefficients for total and sex groups

16 Les analyses de la structure factorielle de l’échelle ont été menées en deux temps. Tout
d’abord, le modèle de base en cinq facteurs de Betz et al. (1996) et l’unidimensionnalité
des 5 sous-échelles ont été examinés à l’aide d’analyses factorielles confirmatoires.
Puis, dans un second temps, plusieurs analyses factorielles exploratoires ont été
menées et différentes solutions étudiées pour estimer au mieux la structure factorielle
de l’échelle des sentiments d’auto-efficacité aux décisions de carrière pour des lycéens.
La solution retenue a été testée avec une analyse factorielle confirmatoire.
17 En suivant les recommandations de plusieurs auteurs (Hu & Bentler, 1998 ; Kline, 2011 ;
McDonald & Ho, 2002 ; Sun, 2005), l’évaluation de l’ajustement du modèle aux données
pour les analyses factorielles confirmatoires a reposé sur plusieurs indicateurs. Des
2
valeurs non significatives (p > .05) au F0 63 indiquent que l’hypothèse nulle (non
différence entre le modèle et les données) n’a pas été rejetée. Pour l’indice RMSEA
(Root-Mean-Square Error of Approximation), Hu et Bentler (1999) ont proposé la valeur
critique de 0,06, et Steiger (2007), la valeur de 0,07. Kline (2011) recommande d’ajouter
les limites inférieures et supérieures de l’intervalle de confiance à 90 %, ainsi que le test
d’hypothèse nulle associé (close-fit hypothesis) dont la valeur p > .05 est favorable au
modèle testé. Pour l’indice SRMR (Standardized Root Mean Squared Residual), une valeur
jusqu’à 0,08 est acceptable (Hu & Bentler, 1999). Pour l’indice CFI (Comparative Fit Index),
les valeurs acceptables varient selon les auteurs : supérieures à .90 pour MacDonald et
Ho (2002) et pour Tabachnick et Fidell (1996) ; supérieures à .95 pour Hu et Bentler
(1999).
18 Les modèles ont été testés à l’aide du logiciel Mplus (Muthén & Muthén, 1998) en
utilisant la méthode du maximum de vraisemblance. Les indices d’ajustement des
modèles testés sont présentés dans le tableau 2. Le modèle de base de Betz et al. (1996)
en 5 facteurs et fixant chacun des 25 items sur son facteur respectif (la dimension
théorique) ne s’ajuste pas de façon satisfaisante aux données, avec des valeurs d’indices
inférieures aux seuils énoncés ci-dessus. Concernant les sous-échelles, les modèles en

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23

1 facteur (unidimensionnalité) s’ajustent aux données de façon satisfaisante pour les


sous-échelles Auto-connaissance et Planification et de façon acceptable pour les sous-
échelles Sélection d’objectifs et Résolution de problèmes. En revanche, l’ajustement du
modèle aux données est mauvais pour la sous-échelle Recherche d’informations.
19 Afin de déterminer un modèle représentant mieux les données de cet échantillon de
lycéens, plusieurs analyses factorielles exploratoires ont été menées. En suivant la
proposition de Creed et al. (2002), une première analyse en composante principale
suivie de rotations obliques a été menée en utilisant le logiciel SPSS.18. Sept facteurs
avec une valeur propre supérieure à 1 sont apparus. Le modèle théorique de base
comprenant cinq dimensions, les rotations ont été faites sur 5 facteurs expliquant
49,4 % de la variance totale. Ces cinq facteurs contenaient respectivement 9, 4, 7, 7 et
7 items dont les saturations étaient supérieures à .30, ce qui signifie que de nombreux
items saturaient plusieurs facteurs (8 saturaient deux facteurs, 1 en saturait trois) ; 1
item ne présentait aucune saturation. Par ailleurs, on retrouvait des items de
différentes sous-échelles dans chacun des facteurs. Autrement dit, la plupart des items
ne saturaient pas le facteur en cohérence avec la théorie.
20 Afin d’améliorer l’interprétation, les items saturant aucun et/ou plusieurs facteurs ont
été retirés au fur et à mesure, en explorant plusieurs solutions.

Tableau 2

Résumé des indices d’ajustement des différents modèles

RMSEA
F0 2
Modèle 63 Df p Pclose-fit H0 SRMR CFI
(90 % CI)

Échelle de 25 items

.071
Betz et al. (1996) 575.63 265 .000 .000 .070 .78
(.063-.079)

Sous-échelle
(unidimentionnalité)

.047
Auto-connaissance 557.62 555 .180 .452 .034 .98
(.051-.156)

.095
Recherche d’informations 515.48 555 .009 .071 .056 .87
(.043-.150)

.10
Définition d’objectifs 517.04 555 .004 .046 .040 .94
(.051-.156)

.040
Planification 556.90 555 .230 .516 .032 .99
(.000-.106)

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24

.093
Résolution de problèmes 515.02 555 .010 .081 .057 .91
(.041-.148)

Échelle avec 16 items

.049
Quatre facteurs 153.18 598 .000 .524 .053 .93
(.033-.064)

Table 2
Summary of fit indices of the different models

21 Puis, chaque modèle retenu a été testé à l’aide d’une analyse factorielle confirmatoire.
Au final, la solution « la plus satisfaisante » pour la structure factorielle des données de
cet échantillon de lycéens est un modèle en quatre facteurs avec 16 items. Le tableau 3
présente les saturations sur les quatre facteurs obliques qui représentent 53,1 % de la
variance totale expliquée. Le premier facteur qui explique 27,7 % de la variance
contient 5 items des dimensions Autoévaluation (items 14 et 22), Recherche
d’informations (item 19) et Sélection d’objectifs (items 11 et 20). Ces items partagent, à
une exception près, un thème commun renvoyant aux choix en relation avec les styles
de vie, les intérêts et les valeurs. Ce facteur 1 pourrait être nommé « Choisir des
objectifs à long terme ». Le second facteur qui explique 9,4 % de la variance contient
3 items issus de la dimension Résolution de problèmes (items 13, 17 et 25) et peut
s’interpréter comme la confiance dans la capacité à changer de voie : il pourrait être
nommé « Changement de voie ». Le facteur 3 (8,5 % de la variance expliquée) contient
quatre items des dimensions Autoévaluation (item 5), Planification (items 12 et 24) et
Résolution de problèmes (item 4). Trois items sur quatre se centrent sur les processus
et techniques de recherche d’emploi, il pourrait être nommé « Techniques de recherche
d’emploi ». Le dernier facteur qui rend compte de 7,5 % de la variance expliquée
comporte également quatre items des dimensions Recherche d’informations (items 1 et
23), Sélection d’objectifs (item 6) et Planification (item 3). Ce quatrième facteur
pourrait être nommé « Recherche et traitement d’information ». Si le facteur 3 semblait
plutôt renvoyer à des comportements d’entrée dans la vie active, ce quatrième facteur
pourrait s’interpréter comme les tâches à mener pour prendre les premières décisions
(choix de filière, choix de métier, planification des études), cette interprétation
reposant davantage sur des aspects de temporalités plus ou moins proches (Chaney,
Hammond, Betz, & Multon, 2007).
22 Le modèle en quatre facteurs avec 16 items a enfin été testé par une analyse factorielle
confirmatoire. Les indices présentés en bas du tableau 2 montrent un ajustement
acceptable de ce modèle aux données. Les paramètres estimés sont présentés dans la
colonne de droite du tableau 3.

Discussion
23 L’objectif de cette étude était de présenter une adaptation française pour des lycéens de
l’échelle des sentiments d’auto-efficacité aux décisions de carrière – forme courte
(CDSES-SF) et ses qualités métriques. Les résultats montrent que les scores obtenus aux

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25

sous-échelles sur cet échantillon sont modérément fidèles, ces dernières pouvant être
considérées comme unidimensionnelles, à l’exception de l’échelle Recherche
d’informations. La fidélité est plus élevée pour le score total. Les résultats montrent
également que le modèle théorique de Betz et al. (1976) ne s’ajuste pas aux données de
façon satisfaisante. Cela dit, le caractère multidimensionnel de l’échelle a été établi à
l’aide d’un modèle en quatre facteurs avec 16 items.
24 Certains résultats confortent ainsi ceux trouvés par de précédentes recherches,
d’autres sont contradictoires. Ainsi, en est-il tout d’abord pour la fidélité élevée du
score total (.88), mais qui n’atteint pas le niveau de valeur trouvé dans la plupart des
études. Par exemple, Betz et al. (2005) rapportent plusieurs coefficients tous supérieurs
à .94. Les écarts sont encore plus importants pour les sous-échelles de la présente étude
(de .55 à .70) si on les compare encore aux travaux de Betz et al. (2005) qui ont calculé
des coefficients alphas de .78 à .85. Cela dit, ces valeurs modérées sont similaires à
celles trouvées par Gaudron (2011) sur un échantillon d’étudiants français (de .59 à .70).
Ces résultats pourraient refléter des différences culturelles affectant les processus de
choix et de prise de décision (Lindley, 2006). Comme le suggérait Miller et al. (2009,
p. 516), « il est possible que certains des items de la CDSES-SF prennent des
significations différentes et présentent alors des patterns de relations différents avec
les autres items ». Enfin, l’unidimensionnalité a été mise en évidence pour quatre sous-
échelles : l’auto-description, la sélection d’objectifs, la planification et la résolution de
problème.
25 Deuxièmement, les résultats infirment le modèle de Betz et al., (1996) en cinq facteurs :
l’analyse factorielle confirmatoire indique des valeurs des indices d’ajustement faibles.
Ils confirment d’un côté les analyses d’autres études internationales (Gaudron, 2011 ;
Hampton, 2005 ; Watson et al., 2001). En revanche, ils sont contradictoires avec l’étude
de Miller et al. (2009) sur un échantillon d’étudiants américains. De ce fait, ils tendent à
confirmer les différences observées par Miller et ses collaborateurs entre les
recherches reposant sur des échantillons américains vs non américains. Enfin, et de
façon tout à fait cohérente avec les précédentes recherches, les résultats à une
première analyse factorielle exploratoire ont mis en évidence une solution en cinq
facteurs complexe et difficilement interprétable, avec la plupart des items ne saturant
pas le facteur en cohérence avec la théorie en cinq dimensions sous-jacente, voire en
saturant plusieurs (ou aucun). De ce fait, d’autres analyses factorielles ont été menées
pour proposer un meilleur modèle pour cet échantillon de lycéens français.
26 Au final, la solution la plus acceptable pour la structure factorielle des données de cet
échantillon de lycéens est un modèle en quatre facteurs avec 16 items. Mais à
l’exception du second facteur qui comporte trois items de la seule dimension
Résolution de problèmes, tous les items saturant les autres facteurs proviennent de
sous-échelles différentes. Cette solution est en partie interprétable, en référence à la
solution factorielle proposée par Chaney et al. (2007) et leur proposition
d’interprétation relative à la temporalité, (d’abord choisir une filière, puis choisir un
métier, enfin trouver un emploi). Dans ce cadre, et concernant la présente étude, le
facteur 1 renverrait plutôt au choix des fondamentaux (long terme) et le facteur 4 à la
recherche et au traitement de l’information (court terme). Quant aux deux facteurs
restant, leur regroupement respectif d’items ne se retrouve pas dans la littérature. Leur
interprétation amènerait ainsi à les intituler de façon différente des dimensions

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26

d’origine (Techniques de recherche d’emploi pour le facteur 3 et changement de voie


pour le facteur 2). L’usage du

Tableau 3

Saturation aux quatre facteurs obliques dans la solution à 16 items, et estimations des paramètres
de AFC

Facteur Paramètre
Items
1 2 3 4 estimé

Facteur 1 : Choisir des objectifs à long terme

.
I22 Définir le style de vie que vous voudriez avoir 1*9.
81

Discuter avec une personne qui exerce déjà le métier qui vous .
I19 1.69
intéresse 70

.
I20 Choisir une filière ou une orientation qui réponde à vos intérêts 1.25
64

.
I11 Choisir une carrière en accord avec votre style de vie 1.15
59

.
I14 Décider ce que vous valorisez le plus dans un métier 1.11
54

Facteur 2 : Changement de voie

Identifier des filières ou une orientation différentes si vous ne .


I25 1.07
pouvez pas réaliser votre choix numéro 1 82

.
I13 Changer de filière si vous n'aimez pas votre choix numéro 1 1*9.
70

Changer de métier si vous n'êtes pas satisfait de celui que vous .


I17 1.04
avez choisi 70

Facteur 3 : Techniques de recherche d’emploi

.
I12 Faire un bon CV (Curriculum Vitae) 0.86
65

.
I5 Estimer vos capacités de façon précise 0.65
61

.
I24 Passer un entretien d'embauche avec succès 1*9.
57

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27

Déterminer les mesures à prendre si vous avez des difficultés .


I4 0.70
scolaires avec un des aspects de la filière choisie 55

Facteur 4 : Recherche et traitement d’information

.
I3 Faire un échéancier de vos objectifs pour ces 5 prochaines années 0.90
67

Trouver des informations sur l'enseignement supérieur ou .


I23 0.86
professionnel 66

Trouver des informations à la bibliothèque concernant des .


I1 0.62
métiers qui vous intéressent 64

Sélectionner un des métiers parmi une liste de métiers que vous .


I6 1*9.
envisagez 64

27 Note. Les numéros des items renvoient aux cinq sous-échelles de l’épreuve originale
(Betz et al., 1996). I1, 10, 15, 19, 23 = items de la sous-échelle Recherche d’informations;
I5, 9, 14, 18, 22 = Auto-évaluation; I2, 6, 11, 16, 20 = Définition d’objectifs; I3, 7, 12, 21, 24
= Planification; I4, 8, 13, 17, 25 = Résolution de problèmes.
28 * Paramètre fixé à 1.
Table 3
Factor loadings of the oblique four-factor 16-item solution, and CFA parameter estimates

29 conditionnel modère ces interprétations du fait de la présence d’items qui s’écartent de


celles-ci (item 19 dans le facteur 1 et item 14 dans le facteur 3). Au final, cette solution
en quatre facteurs est assez complexe et à ce titre n’apparaît pas vraiment satisfaisante,
d’autant plus qu’elle ne comporte que 16 items sur les 25 que compte l’échelle d’origine.
Notons enfin que ce modèle en quatre facteurs est différent de celui proposé par
Gaudron (2011) sur des étudiants français. Sur la base de 18 items, les facteurs identifiés
avaient été nommés Recherche d’informations, Sélection d’objectifs, Résolution de
problèmes et Gestion de projet. Comme pour les précédentes études américaines, les
structures factorielles identifiées semblent dépendre des échantillons.
30 Une limite de l’étude des propriétés de l’échelle est l’absence d’appréciation de la
fidélité test retest, ainsi que des preuves de validités critérielles, en particulier sur les
relations entre les scores de la présente échelle et d’autres mesures vocationnelles.
Notons également que l’échantillon n’est pas équilibré concernant les deux catégories
de sexe.

Conclusion
31 Il y a près de trente ans, Taylor et Betz (1983) proposait une mesure des sentiments
d’efficacité vocationnelle reposant sur le modèle de la maturité de carrière de Crites
(1961, 1978), l’échelle des sentiments d’auto-efficacité aux décisions de carrière. Toutes
les recherches ont souligné la bonne fidélité des scores. Et à l’exception de l’étude de
Miller et al. (2009), aucune n’a pu confirmer le modèle en cinq facteurs de Betz et al.

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28

(1976). Plusieurs modèles alternatifs ont été proposés pour rendre compte du caractère
multidimensionnel de la CDSES-SF. La présente adaptation pour des lycéens français,
tout comme celle pour des étudiants français (Gaudron, 2011), aboutit à des constats
similaires (la structure factorielle identifiée ne recouvre pas les cinq domaines de
compétences du modèle de Crites ; il est nécessaire d’éliminer des items pour parvenir
à des solutions acceptables) mais également à des différences (les scores aux sous-
échelles d’origine présentent des fidélités très modérées).
32 En l’état des connaissances, il faut donc faire preuve de beaucoup de précautions sur
l’utilisation de cette adaptation française à des fins professionnelles. Si
l’unidimensionnalité a été mise en évidence pour quatre des sous-échelles d’origine, les
faibles fidélités des scores de l’auto-description, de la planification et de la résolution
de problèmes invitent à la prudence. En fait, au regard des analyses menées, seuls les
scores de la sélection d’objectifs pourraient être utilisés. Enfin, l’usage d’un score
composite à partir des items de la sous-échelle Recherche d’informations est
déconseillé. Il faut également être prudent sur l’interprétation donnée au score total
parce que cette échelle est multidimensionnelle. Il est sûrement préférable de
considérer la valeur de ce score comme un indicateur des niveaux des différents
sentiments d’efficacité vocationnelle relatifs aux grands domaines de compétences,
plutôt que de l’interpréter comme un score global de sentiment d’efficacité à prendre
des décisions de carrière. Bandura (2003, p. 69) utilise d’ailleurs le terme « d’indice
sommaire intégratif » concernant la moyenne obtenue à différents domaines. Ainsi, si
le score total est très élevé, on pourra penser que les sentiments d’auto-efficacité dans
chaque domaine le sont, et inversement en cas de score bas. Un score moyen, en
revanche, pourra signifier que les sentiments d’auto-efficacité ne sont pas tous à la
même hauteur selon les domaines et amènera à identifier là où ils sont bas (sachant
qu’un score total moyen pourrait également signifier des sentiments moyens pour tous
les domaines).
33 Plusieurs axes de recherche sont donc nécessaires. Les valeurs peu élevées des
coefficients de fidélité, et en particulier s’agissant de la sous-échelle Recherche
d’informations invitent à retravailler certains items pour augmenter la cohérence
interne de l’outil. Mais l’équilibre est quoiqu’il en soit délicat. Pour Bandura (2003),
sélectionner des items trop fortement corrélés conduit à une mesure de sentiments
d’efficacité personnelle limitée à un aspect étroit. Et on peut penser avec Nunnaly et
Bernstein (1994), qu’il est raisonnable, selon le sujet étudié, d’intégrer des contenus
couvrant des compétences différentes. Pour autant, on est en droit d’attendre un
coefficient d’homogénéité interne élevé entre les items d’une échelle. Ainsi, Lent et
Brown (2006) suggèrent des valeurs d’homogénéité interne supérieures à .70, de
préférence supérieures à .80. Par ailleurs, comme les résultats le soulignent, les cinq
grands domaines de compétences à s’orienter de Crites sont insuffisamment
représentés, ce qui soulève plusieurs questions : certaines tâches et/ou compétences
significatives de ces domaines dans le contexte culturel français ne seraient-elles pas
présentes dans l’outil ? Certains domaines auraient-ils une signification réduite dans ce
contexte précis ? Un modèle alternatif serait-il alors nécessaire ? Les réponses
apportées à ces questions ne sont pas indépendantes des préconisations ci-dessus en
matière d’amélioration de l’homogénéité interne. Et elles pourraient conduire soit à
l’amélioration de l’échelle existante, soit à la création d’un nouvel outil.

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29

34 La construction d’échelles de sentiment d’efficacité personnelle est bien documentée et


a fait l’objet de publications aussi bien générales (Bandura, 2003 ; 2006) que spécifiques
au champ de l’orientation (Betz, 2000 ; Lent & Brown, 2006). Sur la base de celles-ci, on
donnera ci-après quelques pistes. Il est fondamental tout d’abord, selon Bandura que
les chercheurs construisant des échelles d’auto-efficacité se fondent sur une analyse
conceptuelle et des connaissances d’experts. Avoir un cadre conceptuel est important
et concernant les compétences à s’orienter, si le modèle de la maturité de carrière de
Crites peut-être une source utile à reprendre, le modèle plus récent de l’adaptabilité de
carrière de Savickas (2005) qui comporte seulement quatre domaines de compétences,
l’exploration, la prise de décision, la planification et la résolution de problème vise bien
à répondre à la question de savoir comment une personne s’engage dans son
orientation (Guichard & Huteau, 2007). Dès lors, si l’on pourra trouver dans les
premiers travaux sur le sentiment d’auto-efficacité aux décisions de carrière, d’autres
exemples de tâches (voir par exemple Taylor et al., 1983), la révision de l’Inventaire de
Maturité de Carrière que viennent de proposer Savickas et Porfeli (2011) propose un
ensemble pertinents de tâches génériques pour explorer des métiers ou filières prendre
des décisions, planifier ou changer de voies. Concernant les connaissances d’experts, il
faudrait y inclure également celles de conseillers d’orientation afin d’apprécier, en
fonction du domaine d’activités, la nature, les circonstances, voire le niveau d’exigence
des tâches requises. Ce type d’informations devrait enfin être complété par des
entretiens et des questionnaires auprès de lycéens. Ces enquêtes seraient destinées à
identifier les compétences perçues nécessaires ainsi que les défis et les obstacles à la
performance. Notons pour clore ces quelques pistes que l’auto-efficacité aux décisions
de carrière comporte dans le domaine de la résolution de problèmes en particulier, ce
que Bandura appelle de l’efficacité autorégulatrice (Bandura, 2003 ; Lent et al., 2006).
Dans les études préliminaires visant à l’élaboration de ce type d’échelle, on peut alors
et par exemple, demander aux sujets de décrire des situations dans lesquelles il leur
semble difficile de réaliser les activités requises.
35 Un second axe de recherche devrait comporter des études répliquant ces travaux sur
d’autres populations, en faisant varier les âges (collège, ...), les filières et avec des
échantillons mieux équilibrés en ce qui concerne les catégories de sexe.
36 Enfin, un dernier axe consisterait d’une part, à explorer sur des élèves et des étudiants
français les relations entre les sentiments d’efficacité vocationnelle et d’autres
construits liées aux choix et décisions d’orientation et d’autre part, à comprendre
comment augmenter chez ces personnes, leurs sentiments d’efficacité vocationnelle.

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ANNEXES
Annexe A
Lisez attentivement chaque phrase ci- dessous puis indiquez votre degré de confiance à
accomplir ces activités en entourant le chiffre correspondant.

Aucune Relative Confiance Confiance


Très peu de confiance
confiance confiance importante totale

1 2 3 4 5

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33

Exemple : Quel est votre degré de confiance dans le fait de :


« Résumer ce que vous avez appris dans un stage ? »
Si votre réponse est « Confiance importante », vous devez entourer le chiffre 4.
QUEL EST VOTRE DEGRÉ DE CONFIANCE DANS LE FAIT DE :

Trouver des informations à la bibliothèque concernant des métiers qui vous


11. 1 2 3 4 5
intéressent.

12. Sélectionner une des filières parmi celles qui vous intéressent le plus. 1 2 3 4 5

13. Faire un échéancier de vos objectifs pour ces 5 prochaines années. 1 2 3 4 5

Déterminer les mesures à prendre si vous avez des difficultés scolaires avec un
14. 1 2 3 4 5
des aspects de la filière choisie.

15. Estimer vos capacités de façon précise. 1 2 3 4 5

16. Sélectionner un des métiers parmi une liste de métiers que vous envisagez. 1 2 3 4 5

Déterminer les mesures à prendre pour réussir dans la filière que vous avez
17. 1 2 3 4 5
choisie.

Travailler avec persistance votre matière principale ou sur votre projet de


18. 1 2 3 4 5
carrière même si vous ressentez de la difficulté.

19. Déterminer quel serait votre métier idéal. 1 2 3 4 5

Trouver les secteurs d'activité porteurs (qui recrutent) pour les 10 prochaines
10. 1 2 3 4 5
années.

11. Choisir une carrière en accord avec votre style de vie. 1 2 3 4 5

12. Faire un bon CV (Curriculum Vitae). 1 2 3 4 5

13. Changer de filière si vous n'aimez pas votre choix numéro 1. 1 2 3 4 5

14. Décider ce que vous valorisez le plus dans un métier. 1 2 3 4 5

Trouver le revenu moyen des personnes qui exercent le métier qui vous
15. 1 2 3 4 5
intéresse.

Prendre une décision d'avenir professionnel et ne pas se soucier si elle est bonne
16. 1 2 3 4 5
ou mauvaise.

17. Changer de métier si vous n'êtes pas satisfait de celui que vous avez choisi. 1 2 3 4 5

Savoir ce que vous êtes prêt à sacrifier ou pas pour atteindre vos objectifs
18. 1 2 3 4 5
professionnels.

19. Discuter avec une personne qui exerce déjà le métier qui vous intéresse. 1 2 3 4 5

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34

20. Choisir une filière ou une orientation qui réponde à vos intérêts. 1 2 3 4 5

Identifier des employeurs, des sociétés et des institutions dans le champ


21. 1 2 3 4 5
professionnel choisi.

22. Définir le style de vie que vous voudriez avoir. 1 2 3 4 5

23. Trouver des informations sur l'enseignement supérieur ou professionnel. 1 2 3 4 5

24. Passer un entretien d'embauche avec succès. 1 2 3 4 5

Identifier des filières ou une orientation différentes si vous ne pouvez pas


25. 1 2 3 4 5
réaliser votre choix numéro 1.

NOTES
1. Je remercie Lidia Ait-Namane, Pauline Beauchamps, Émilie Crepet, Frédérique Ducros, Jessica
Flatot et Julien Guillaume pour leur contribution au recueil de données.

RÉSUMÉS
L’objectif de cet article est de présenter une adaptation française de l’échelle des sentiments
d’auto-efficacité aux décisions de carrière-forme courte (Career Decision Self-Efficacy Scale-Short
Form (CDSES-SF)) pour les lycéens. Sur un échantillon de 234 répondants, les coefficients alphas
indiquent une haute fidélité pour les scores totaux mais pas pour les scores aux cinq sous-
échelles. Le modèle théorique original en cinq facteurs n’est pas validé. Un modèle en quatre
facteurs présente un ajustement acceptable aux données mais avec seulement 16 items. Les
résultats sont discutés au regard des recherches antérieures. Des suggestions d’utilisation
professionnelle ainsi que des recherches futures sont proposées.

The purpose of the study was to present a French adaptation of the Career Decision Self-Efficacy
Scale-Short Form (CDSES-SF) for French high school students. Based on a sample of 234
respondents, the alpha coefficients indicated high reliability for total scores but not for the five
subscale scores. The original and theoretical five-factor model demonstrated inadequate model
fit. A four-factor model provided an acceptable fit to the data but with only 16 items. The results
are discussed in the light of previous studies; suggestions for professional use and for future
research are proposed.

INDEX
Mots-clés : Sentiments d’auto-efficacité aux décisions de carrière, théorie des sentiments
d’efficacité personnelle de Bandura, auto-efficacité vocationnelle
Keywords : Career decision self-efficacy, Bandura’s self-efficacy theory, vocational self-efficacy

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AUTEUR
JEAN-PHILIPPE GAUDRON
est Professeur en psychologie, Université de Toulouse 2 le Mirail. Jean-Philippe Gaudron est
également membre de l’UMR EFTS (MA 122). Thèmes de recherche : Intérêts, interactions
personne/environnement, évaluation, conseil, genre et orientation - Contact : Département des
sciences de l’éducation et de la formation, 5 allées Machado, Université de Toulouse 2 le Mirail,
31058 Toulouse Cedex 9, France - Courriel : gaudron@univ-tlse2.fr

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Développement de carrière et
construction de sa vie : une nouvelle
méthode pour l’orientation tout au
long de la vie
Career construction and life design: A new method for lifelong guidance

Philippe Jacquin et Jacques Juhel

Introduction1

1 À partir des années soixante-dix, l’économie se globalise, le développement


technologique s’accroit, la diversité des qualifications se développe et les
restructurations d’entreprise débutent (Lee & Johnston, 2001). La concurrence
mondiale et la hausse des matières premières accentuent le développement du
chômage de masse. Le nombre de contrats à durée déterminée et d’intérim augmentent
afin de faire face au faible coût de la main-d’œuvre des pays émergents (Gazier, 1992).
Cette nouvelle ère bouleverse la stabilité des situations jusqu’à remettre en cause et
rendre obsolète le concept de carrière vue traditionnellement comme une progression
graduelle en matière de pouvoir, de statut et de sécurité (Hall, 1996 ; Goulet & Singh,
2002). Dès lors, la carrière se réfère davantage à l’incertitude, à l’imprévisibilité, à
l’insécurité, à la mobilité accrue, au travail autonome et à temps partiel (Bujold &
Gingras, 2000).
2 L’approche des transitions évolue en parallèle de ces changements sociaux. Alors
qu’auparavant les théories décrivant le développement de l’adulte mettaient l’accent
sur des étapes linéaires (Havighurst, 1953 ; Levinson, 1978 ; Super, 1984), le
développement de l’adulte est dorénavant placé sous le signe des ruptures, des
discontinuités et événements inattendus (Schlossberg, Waters, & Goodman, 1995).
Riverin-Simard (1996) propose le concept de « chaos vocationnel » et Boutinet (1998)
celui « d’immaturité de la vie adulte » afin d’illustrer ces nouveaux parcours
professionnels. L’époque où les choix de profession étaient réalisés à l’adolescence de

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37

façon durable et où les individus commençaient à travailler dans une entreprise et y


demeuraient pendant toute leur vie active semble désormais révolue (Herr, 2002). Ces
transitions impactent également les domaines extraprofessionnels. La mobilité
géographique et l’anxiété liée aux transitions influencent les relations au sein du
couple, fragilisent celles-ci (Bauman, 2004) et distendent les relations entre les
membres d’une même famille (Guichard, 2007).
3 Dans ces circonstances, l’orientation professionnelle évolue vers « l’orientation tout au
long de la vie » (Gysbers, Heppner, & Johnston, 2000), se référant ainsi au concept de
« développement tout au long de la vie » (Baltes & Goulet, 1970). Dans l’orientation tout
au long de la vie, le développement se produit à des moments de rupture
(professionnelle et/ou personnelle), des moments difficiles impliquant des
changements synonymes de crise identitaire que l’individu cherche à surpasser. Cette
approche de l’orientation professionnelle moderne renvoie donc à la direction que
l’individu veut donner à sa vie, c’est-à-dire à ses choix de vie fondamentaux (Guichard,
2004) ou projet de vie (Boutinet, 2005).
4 Un tel contexte rend désormais nécessaire de considérer le processus de
développement du parcours professionnel dans une perspective d’adaptabilité entre
l’adulte et son environnement (Gingras, 2005). Ce concept d’adaptabilité correspond à
la capacité de l’individu à s’ajuster sans trop de difficulté aux nouvelles circonstances
de la vie ou à celles évoluant constamment (Savickas, 1997). Vondracek, Lerner et
Schulenberg (1983, 1986) considèrent ainsi que le développement de carrière doit
s’opérer dans des changements au niveau des caractéristiques de l’individu et des
caractéristiques de son contexte. Ils expliquent que l’individu et l’environnement sont
malléables puisque l’individu, avec ses caractéristiques, exerce une influence sur son
environnement lequel, à son tour, influe sur l’individu en fonction de ses propres
caractéristiques.
5 Les chercheurs du domaine de l’orientation professionnelle suggèrent également une
évolution au plan méthodologique consistant à abandonner progressivement des
modèles linéaires et prédictifs au profit de théories de la rupture (Bright & Pryor, 2005).
La nature dynamique des nouveaux parcours interroge en effet les approches
traditionnelles d’étude et d’accompagnement de l’orientation professionnelle. Guichard
(2005) par exemple remet en cause l’utilisation d’instruments qui reposent sur
l’hypothèse d’une stabilité relative de la personnalité des individus et de
l’environnement professionnel comme ceux qui font référence aux dimensions de
l’appariement soi-profession de Dawis et Lofquist (1984) ou à la typologie de Holland
(1966). Ces outils d’accompagnement ont été pensés et développés pour des contextes
stables et ne pourraient donc pas saisir la dynamique des parcours professionnels
contemporains. De plus, ces outils utilisés actuellement n’ont pas été développés pour
les réorientations et l’accompagnement des multiples transitions professionnelles d’un
travailleur mais pour accompagner la primo-orientation de jeunes vers un emploi ou
une formation.

L’orientation tout au long de la vie et la construction de


sa vie
6 Pour remédier aux insuffisances méthodologiques des questionnaires de personnalité
et d’intérêts professionnels et proposer des réponses à la problématique de

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38

l’orientation postmoderne, des chercheurs se sont réunis au sein du « Groupe


International de Recherche sur la Construction de Vie » (Savickas et al., 2009). Un
nouveau paradigme est né de cette collaboration et des orientations méthodologiques
ont été préconisées pour l’accompagnement des transitions des adultes : « la
construction de sa vie ». La démarche préconisée s’inspire du constructionnisme social
« reconnaissant en particulier que les connaissances et l’identité d’un individu sont le
produit d’interactions sociales et que le sens est co-construit, via la médiation du
discours » (Savickas et al., 2010, p. 6). Le modèle se réclame de la théorie de la
construction de soi (Guichard, 2005) et centre son investigation sur le processus
subjectif de choix d’orientation professionnelle. Cette focalisation sur les
représentations mentales de soi et d’autrui veut prendre en compte le changement
(Guichard, 2005). Dans cette conception, l’individu organise ses conduites, se construit
et perçoit autrui, en relation avec des structures cognitives élaborées au cours de ses
interactions et interlocutions antérieures (Guichard, 2004). Ces structures construites
en mémoire à long terme sont les « cadres cognitifs identitaires » (Guichard, 2000).
Elles dépendent de catégories sociales de toutes sortes : le genre, la religion, la position
sociale, l’orientation sexuelle, l’âge, le métier, etc.
7 Le modèle de construction de sa vie est également holiste puisqu’il s’intéresse aux
différents contextes de vie de l’individu et à leurs interrelations. Il réalise ainsi le lien
avec le modèle du développement de la carrière dans l’espace et le cours de la vie de
Super (1980). Le développement de carrière est replacé dans le contexte du
développement de toute la personne. Le rôle de travailleur ne constitue que l’un des
nombreux rôles exercés dans un monde de plus en plus diversifié et changeant. Par
conséquent, l’activité professionnelle renvoie les individus aux autres sphères
d’activités : personnelles, sociales, familiales. (Salling-Olesen, 2000). La démarche
holistique de construction de sa vie est à rapprocher également du modèle du système
des activités (Curie & Hajjar, 1987 ; Baubion-Broye & Hajjar, 1998).
8 Dans le contexte actuel de l’orientation des adultes, des outils innovants répondant aux
préconisations méthodologiques du modèle constructionniste de l’orientation doivent
appréhender le bénéficiaire dans sa globalité par l’intermédiaire de ses différentes
sphères d’activités ou groupes sociaux (professionnel, familial, personnel et social) en
lien avec sa problématique de transition. Ils doivent aussi permettre de saisir les
représentations de soi (concepts de soi) et d’autrui (représentations du contexte) liées à
ces groupes et offrir au bénéficiaire la possibilité de développer sa réflexion en donnant
du sens aux informations transmises et en explicitant celles-ci par des données
expérientielles. Enfin, ces outils doivent prendre en compte la dynamique
développementale de la construction de vie en étant capables de cerner les évolutions
des caractéristiques de l’individu au cours de sa transition. En bref, une méthode
renouvelant l’accompagnement des transitions de vie professionnelle et personnelle
doit se fonder sur une approche théorique du soi et de l’identité mais de tels
instruments restent largement à inventer (Dauwalder, 2010). L’Investigateur
Multistades de l’Identité Sociale (IMIS ; Zavalloni & Louis-Guérin, 1984) en est
cependant un exemple (Jacquin & Costalat-Founeau, 2008).

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39

L’Investigateur Multistades de l’Identité Sociale (IMIS)


9 L’IMIS a été développé dans le cadre d’une approche ego-écologique centrée sur les
représentations identitaires et leur dynamique (Zavalloni & Louis-Guérin, 1984 ;
Zavalloni, 2007). Les auteurs de ce courant considèrent que l’identité sociale se
construit dans une perspective interactionniste liant l’individu au groupe. L’identité
sociale est définie comme la représentation que l’individu se fait de son environnement
social, c’est-à-dire des différents groupes auxquels il se réfère, groupes
d’appartenance/référence mais également de non-appartenance.
10 L’IMIS est une méthode d’étude de l’identité qui repose sur l’analyse du discours du
sujet sur soi, alter et la société. C’est un protocole d’entretien qui vise à recueillir des
caractéristiques décrivant les groupes d’appartenance/référence de l’individu d’une
part, à en faire émerger les contextes expérientiels et imaginaires qui les sous-tendent,
d’autre part. L’exploration de ces contextes rend compte de la structure de l’identité
d’un individu et des dynamiques qui l’animent.
11 La consigne initiale du questionnaire de la méthode IMIS (voir figure 1) vise à recueillir
des données relatives aux représentations que se fait un individu de son
environnement social, c’est-à-dire des groupes sociaux auxquels il est confronté.
L’efficacité de l’outil repose donc sur le choix des stimuli désignant les groupes sociaux
réels depuis lesquels l’entretien est réalisé. Ils peuvent être librement énoncés par
l’individu (génération directe) ou imposés en fonction des objectifs de l’étude
(génération indirecte). L’IMIS se compose de trois phases de recueil de données qui
permettent d’approfondir successivement l’analyse de l’identité du sujet.
12 Dans la première phase, il s’agit d’obtenir les éléments caractérisant les différents
groupes de l’individu. Ces caractéristiques sont nommées « Unités
Représentationnelles » (URs) par Zavalloni et Louis-Guérin (1984). Pour obtenir ces URs,
il est demandé à l’individu de produire des mots (5 maximum) en fonction de deux
phrases inductrices portant sur un de ces groupes (voir figure 1). Par exemple, « Nous
les (français) nous sommes (UR) » et « Eux les (français) ils sont (UR) ». Selon Zavalloni
et Louis-Guérin (1984), le « nous » marque une position d’implication dans le groupe
tandis que le « Eux » doit mobiliser d’autres points de vue, faire surgir une
catégorisation du groupe en sous-groupes dont l’individu peut éventuellement
s’exclure. Cette distinction favorise l’émergence d’un jugement critique et d’aspects
négatifs sur le soi et les groupes d’appartenance.

Figure 1. Questionnaire de l’Investigateur Multistades de l’Identité Sociale

L'orientation scolaire et professionnelle, 42/2 | 2013


40

(Zavalloni & Louis-Guérin, 1984)

Figure 1. Questionnaire of the Multistage Investigator of Social Identity


(Zavalloni & Louis-Guérin, 1984)

13 L’objectif de la seconde phase est de spécifier le sens des URs en explorant d’abord le
degré de différenciation soi/non-soi et la connotation affective. L’individu doit indiquer
les URs qu’il s’applique à lui-même, les « URs egomorphes » et celles relatives au non-
soi ou à l’alter/autrui, « URs allomorphes ». Pour mettre en évidence le mécanisme de
« réversibilité » entre le « je » et le « nous », le questionnaire comprend un premier
niveau de spécification (voir figure 1) incluant une échelle de différenciation soi/non-
soi (de 1 : UR « qui s’applique tout à fait à moi-même » à 4 : UR « qui ne s’applique pas à
moi-même »). Un second temps de spécification porte sur la connotation affective avec
d’une part, les URs jugées comme négatives ou défavorables (-) et d’autre part, les URs
jugées comme positives ou favorables (+). Enfin, les URs jugées comme essentielles et
importantes par le répondant sont mises en valeur en entourant la lettre E. À la fin de
cette étape, il est possible d’ordonner toutes les URs obtenues, dans l’espace
élémentaire de l’identité sociale (voir figure 2), constitué de l’axe de l’identité (soi/non-
soi) et de celui de l’affectivité (positif/ négatif).

Figure 2. Espace élémentaire de l’identité sociale

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(Jacquin & Costalat-Founeau, 2008, d’après Zavalloni, 2007)

Figure 2. Elementary space of social identity


(Jacquin & Costalat-Founeau, 2008, after Zavalloni, 2007)

14 Enfin, la dernière phase est celle de la signification des URs. Il s’agit d’explorer
systématiquement le contexte sous-jacent à chaque UR, ou ce que Zavalloni (2007)
nomme la « pensée de fond » en lien avec la mémoire, les souvenirs. Le psychologue
reprend chacun des mots à explorer selon un protocole d’entretien précis. Par exemple,
il peut employer les questions suivantes : « Que signifie pour vous être (UR) ? » ; « Pourquoi
dites-vous que le fait d’être (UR) vous appartient ? » ; « Pourquoi dites-vous que le fait d’être
(UR) est pour vous positif ? ». Cette démarche permet d’obtenir le contenu collectif
(histoire du groupe, réalisations, projets...) et le contenu individuel (biographie,
réalisations, projets...).
15 Cette exploration minutieuse de la pensée de fond donne l’opportunité au psychologue
d’atteindre l’organisation structurelle et motivationnelle du champ d’action d’un
individu ainsi que la dynamique de son identité.
16 L’IMIS nous paraissant posséder des caractéristiques intéressantes au regard des
attentes méthodologiques du courant constructionniste de l’orientation, nous
présenterons dans un premier temps son adaptation méthodologique et informatique
en une méthode d’accompagnement et d’étude de la construction de vie. Nous
illustrerons ensuite son intérêt pour des adultes en phase de réorientation. Nous
souhaiterions montrer que l’IMIS : 1) propose une approche globale de la transition en
appréhendant les différents domaines de vie de l’individu par l’intermédiaire de ses
groupes ; 2) saisit à la fois les descriptions de soi4 2 permettant de connaître les
représentations de soi mais aussi les descriptions d’autrui donnant accès aux
représentations attribuées aux autres membres du groupe ; 3) offre l’occasion au
psycho logue d’atteindre l’histoire de l’individu et donne l’opportunité à ce dernier, de
réaliser une réflexion centrée sur sa situation grâce à la prise en compte de son
expérience au cours de la contextualisation des descriptions ; 4) aide à repérer les
évolutions identitaires au cours d’une transition professionnelle en appréhendant la
malléabilité de spécification des descriptions de soi et d’autrui.

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42

Développement de la Méthode
17 L’emploi de l’IMIS comme méthode d’accompagnement pour les adultes en transition
implique d’adapter la forme de son questionnaire. Nous avons d’abord déterminé les
configurations de recueil des descriptions et de leurs spécifications avant de
développer une version informatisée de l’IMIS.
18 Deux modes de passation étaient envisageables : un remplissage « distribué » d’une
part, un remplissage « massé » d’autre part. Or d’un point de vue ergonomique, le
processus de dissociation de l’attention est cognitivement coûteux (e.g., la théorie de la
charge cognitive de Sweller & Chandler, 1994). Nous avons donc préféré retenir un
remplissage « massé » afin d’éviter aux participants l’alternance entre différents
processus de raisonnement. Pour ce mode, le participant propose cinq descriptions à la
suite de la phrase inductrice « nous, les .........., nous sommes » et cinq autres pour la
phrase « Eux, les .........., ils sont ». Puis, il qualifie l’ensemble des réponses en matière de
différenciation (soi/non-soi). Enfin, il évalue leur connotation affective (positive/
négative).
19 La version informatisée de l’IMIS a été développée sur la base de la version « papier/
crayon » existante en automatisant sa passation. La première étape prend en compte
les différents groupes de référence du bénéficiaire en lien avec la problématique de
transition professionnelle de celui-ci (voir figure 3). Le groupe « emploi précédent »
concerne les personnes ayant perdu leur emploi ou ayant démissionné. Le groupe
« transition professionnelle » aborde cette problématique durant laquelle
s’entremêlent construction de projet et recherche d’emploi. Le groupe « emploi
projeté » s’intéresse à la représentation d’un métier envisagé pour les travailleurs en
réorientation. Les groupes « familial » et « activités » explorent l’investissement dans
les domaines extraprofessionnels. Les activités peuvent être du type social (sport
collectif, association, etc.) ou individuel (lecture, bricolage, etc.). Enfin, la catégorie
agrégeant « sexe et âge » donne l’occasion de faire le point sur le rôle que joue celle-ci
dans la transition de vie du bénéficiaire. L’ordre de présentation des groupes/
catégories au cours de la passation de l’outil n’est pas aléatoire. Pour le domaine
professionnel, il a été souhaité que les individus commencent par le groupe
professionnel passé, puis le groupe professionnel actuel et enfin le groupe
professionnel futur. Cette démarche est chronologiquement cohérente. L’ensemble des
groupes professionnels est traité en amont des groupes familial, personnel et social afin
qu’une problématique personnelle majeure ne puisse empêcher le psychologue
d’aborder les sphères professionnelles. Lors de cette étape, il s’agit aussi de recueillir
des informations d’ordre sociologique : la civilité, le niveau de diplôme, le temps de
recherche d’emploi, le type de structure de l’emploi précédent.
20 La version informatique intègre donc le choix du mode de passation du recueil et des
spécifications des descriptions. Le logiciel présente pour chaque groupe exploré cinq
fois de suite une fenêtre avec la phrase inductrice

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43

Figure 3. Fiche signalétique et configuration du questionnaire

Figure 3. Personal information and questionnaire configuration

21 « Nous, les .........., nous sommes » (voir figure 4). La phrase « Eux, les .........., ils sont »
est ensuite proposée cinq fois aux participants.

Figure 4. Exemple d’une fenêtre pour le recueil d’une description avec la phrase inductrice « nous »

Figure 4. Example of a window for the collection of a description with the sentence inductive “we”

Les réponses sont mesurées dans la version logicielle à l’aide d’une échelle bipolaire
horizontale s’inspirant du différenciateur sémantique d’Osgood (1953) et d’une Échelle
Visuelle Analogique (EVA) (Huskisson, 1974). L’informatisation de la méthode donne la
possibilité de disposer d’une échelle comportant 20 graduations. L’échelle de distance 3
est délimitée à ses extrémités gauche et droite par des labels opposés : « Pas du tout,
moi/Tout à fait, moi » (voir figure 5). Une réponse avec un score compris entre - 10 et -
1 est considérée comme une description appartenant à autrui. Au contraire, une
description obtenant un score entre 1 et 10 appartient au soi. L’échelle de valence 5
correspond pour sa part aux intitulés : « Tout à fait, négatif/Tout à fait, positif » (voir
figure 6). Pour un score situé entre - 10 et - 1, la description est synonyme de contrainte
alors que de 1 à 10, la réponse est vue comme une ressource. Le réglet de
positionnement est placé sur la partie médiane de l’échelle lors de la présentation de
chaque description. Il est ensuite impossible pour le répondant de le repositionner sur
cette mesure (valeur 0), cela dans le but d’éviter les réponses neutres. En effet, « dans
l’univers représentationnel associé à l’identité, le neutre n’existe pas » (Zavalloni, 2007,
p. 49). L’évolution des spécifications est mesurée en présentant au premier temps du

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recueil le curseur de réponse au centre de l’échelle. Au recueil suivant, le curseur est


placé à l’endroit où le bénéficiaire l’avait positionné lors de sa précédente réponse.
Cette manière de faire permet ainsi au participant d’être son propre témoin.

Figure 5. Exemple d’une fenêtre de spécification de la distance d’une description

Figure 5. Example of a window for specifying the distance of a description

22 Nous avons également remanié en profondeur le support de présentation des résultats


et en avons automatisé la production. L’évolution de l’espace élémentaire de l’identité
sociale suit celle du questionnaire (voir figure 7).

Figure 6. Exemple d’une fenêtre de spécification de la valence d’une description

23 Figure 6. Example of a window for specifying the valence of a description


24 En effet, l’utilisation des deux nouvelles échelles de distance et de valence composées
chacune de 20 valeurs, permet de construire un espace doté de 400 coordonnées
possibles. Dans cette évolution logicielle, l’échelle de distance est inversée et se place
en ordonnée. Les données personnelles sont donc dans la zone la plus proche du lecteur
du support. Quant à l’échelle de valence, elle se trouve en abscisse. À chaque
description dans cet espace bidimensionnel correspond donc un couple de coordonnées
(xi, yi). La première coordonnée est le score de valence (x), la seconde le score

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45

Figure 7. Cartographie identitaire

Figure 7. Identity mapping

25 de distance (y). Cette nouvelle configuration permet une connaissance précise de la


position des descriptions dans l’espace et offre la possibilité, lors de l’accompagnement
d’un individu, d’observer les déplacements des descriptions à l’intérieur d’une zone
(exemple : soi négatif) mais également d’une zone à une autre (exemple : soi négatif à
non-soi négatif).
26 Dès lors, le concept d’« espace élémentaire de l’identité sociale » est remplacé par celui
de « cartographie identitaire ». Ce terme emprunté à la géographie traduit mieux l’idée
d’un espace contenant de nombreuses coordonnées appartenant à des zones distinctes.
Les régions de la cartographie se dotent de textures différentes afin d’identifier plus
aisément les différentes zones. La partie droite de l’abscisse (0 à 10) indique les zones
de ressources alors que la partie gauche de l’abscisse (0 à - 10) signale les régions de
contraintes. Dans la zone à la texture opaque (ordonnée de 0 à 10) se trouve l’espace
personnel avec les descriptions de soi alors que dans la zone translucide (ordonnée de 0
à - 10) est représenté l’espace interpersonnel avec les descriptions d’autrui.
27 La méthode développée comporte trois grandes étapes. Au cours de la première, il s’agit
de configurer le questionnaire. Le bénéficiaire renseigne la fiche signalétique, puis
choisit avec l’aide du psychologue les six groupes signifiants à explorer. Pour cela, tous
deux vont s’appuyer sur les groupes de référence en lien avec la problématique
d’orientation. La seconde étape est celle du recueil des données. Le bénéficiaire
complète, pour chaque groupe, les deux phrases inductrices à l’aide de cinq
descriptions. Il spécifie ensuite l’ensemble de ses réponses en matière de distance puis
de valence. Enfin, les cartographies sont générées automatiquement et présentées les
unes après les autres au participant. Pour chacune d’elles, le psychologue et le
bénéficiaire échangent par rapport aux descriptions présentes. Le psychologue fait

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appel aux questions du canevas d’entretien de l’IMIS : « Que signifie pour vous être
(description) ? » ; « Pourquoi dites-vous que le fait d’être (description) vous est proche ou éloigné
? » ; « Pourquoi dites-vous que le fait d’être (description) est pour vous négatif ou positif ? ».

L’IMIS adapté au conseil : une illustration


28 L’objectif de l’expérience était de montrer comment l’étape de configuration de l’IMIS
adapté permet d’appréhender les différents groupes de référence du (de la) bénéficiaire
en lien avec sa problématique de transition de vie. Nous avons également souhaité
illustrer comment la problématique de transition du (de la) bénéficiaire peut être
éclairée par le recueil des descriptions pour les différents groupes choisis et leur
présentation au sein des cartographies. La sensibilité de l’IMIS adapté a aussi été
examinée c’est-à-dire sa capacité à faire apparaître des évolutions identitaires au cours
d’un bilan de compétences approfondi (BCA).
29 L’introduction de l’IMIS adapté au conseil a été réalisée au sein d’un cabinet auprès de
bénéficiaires d’un BCA. Nous proposions aux consultants de participer à une recherche
testant une méthode d’accompagnement des transitions professionnelles et
personnelles. Les individus intéressés par l’étude étaient rencontrés une première fois
après leur premier entretien de conseil (temps 1). Cet entretien durait entre 45 minutes
et 90 minutes. Ensuite, les participants étaient rencontrés après chaque entretien avec
leur conseiller (temps 2, 3, 4, 5, 6). Durant ces échanges, les consultants se
positionnaient à nouveau en ce qui concerne la distance et la valence, pour chacune des
descriptions recueillies en temps 1. Cet entretien avait une durée comprise entre 15 et
30 minutes. Au cours de cette étude, 28 consultants ont été rencontrés.

Illustration des potentialités de l’IMIS adapté


30 Pour mettre en évidence les potentialités de l’outil, nous avons choisi Camille. Elle est
inscrite à pôle emploi depuis environ un mois, Camille était responsable d’agence
immobilière et a été licenciée suite aux difficultés économiques dans le secteur. Camille
est âgée de 29 ans, est mère de trois enfants et vit maritalement.

Configuration du questionnaire

31 La configuration de l’IMIS adapté de Camille apparaît sur la figure ci-contre (voir


figure 8). Il est à noter que l’emploi du temps chargé de Camille ne lui permet pas
d’avoir beaucoup d’activités sociales ou personnelles.

Recueil et présentation des informations

32 La cartographie de l’emploi précédent (voir figure 9) met en évidence les contraintes


intrinsèques liées au métier de responsable d’agence immobilière. On y trouve les
descriptions de soi négatives : « stressés », « n’avons pas d’heures fixes », « disponibles à
toutes heures ». A contrario, la cartographie

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Figure 8. Fiche signalétique et configuration de l’IMIS adapté de Camille

Figure 8. Personal information and configuration of Camille’s questionnaire

33 met également en valeur les descriptions présentes dans la zone des ressources
intrinsèques et fait ressortir les éléments appréciés par Camille dans son ancien
emploi : « très très bien payés », « bien payés », « autonomes », « travaillent énormément », «
compétitifs », « satisfaits de faire du chiffre », « négociateurs ».
34 La cartographie de la transition professionnelle (voir figure 10) donne accès aux
ressources intrinsèques de Camille (descriptions « volontaires », « rassurés », « combatifs
», « déterminés » et par deux fois « motivés ») et à une contrainte intrinsèque (terme «
inquiets » cité à deux reprises). Le nouveau support souligne également la présence de
deux descriptions extrinsèques, l’une considérée par la consultante comme une
contrainte (« perdus ») et l’autre comme une ressource (« mécontents »).
35 La cartographie de l’emploi projeté (voir figure 11) révèle uniquement des ressources.
Camille partage avec les comptables en cabinet les descriptions de soi positives («
rigoureux », « discrets » mais aussi « travaillent beaucoup » et « autonomie »). Ces deux
dernières descriptions se retrouvent également pour son ancien emploi (voir figure 9).
La description « intelligents » appartient au soi mais elle est moins centrale pour
Camille. La zone des ressources extrinsèques recueille la description « rassurants ».
36 La cartographie familiale (voir figure 12) fait tout d’abord ressortir une contrainte
extrinsèque avec la description « instables ». Deux contraintes intrinsèques
(descriptions de soi « fatigués par les enfants » et « inquiets pour notre projet professionnel »)
sont aussi présentes. Enfin, les ressources intrinsèques s’expriment par les descriptions «
communiquant », « soudés » et par deux fois « heureux ».
37 La cartographie de l’âge et du sexe (voir figure 13) met en évidence une seule ressource
extrinsèque (« fêtardes »). Les autres descriptions sont

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Figure 9. Cartographie identitaire

de l’emploi précédent

Figure 9. Identity mapping for the former job

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Figure 11. Cartographie identitaire de l’emploi projeté

Figure 11. Identity mapping for the next job

38 dans leur ensemble des ressources intrinsèques (« ouvertes d’esprit », « jeunes », «


heureuses », « indépendantes », « gardons un côté enfant », « belles » et « sportives »).

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Figure 13. Cartographie identitaire du sexe et de l’âge

Figure 13. Identity mapping for sex and age

Appréhension des évolutions identitaires

39 Pour plus de lisibilité, seules les descriptions dont les spécifications ont évolué dans le
temps sont présentées dans les différentes cartographies. Les spécifications des
descriptions ont changé pour le groupe de la transition professionnelle (voir figure 14)
et le domaine familial (voir figure 15). La tendance générale de l’évolution des
spécifications au cours du BCA est un mouvement de l’espace personnel en direction de
l’espace interpersonnel. Les descriptions de soi de la zone des contraintes intrinsèques
évoluent vers celle des contraintes extrinsèques. Par exemple, les descriptions de soi
négatives « inquiets » pour la sphère de la transition professionnelle ainsi qu’« inquiets
pour notre projet professionnel » et « fatigués par les enfants » pour la sphère familiale.

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Figure 14. Cartographie de l’évolution des descriptions pour la transition professionnelle

Figure 14. Mapping of descriptions evolution for the professional transition

Discussion
40 La configuration du questionnaire est une étape de co-construction entre le
psychologue et le bénéficiaire. Comme attendu, elle appréhende les groupes en lien
direct avec la problématique d’orientation tels que « l’emploi précédent », « la
transition professionnelle », « l’emploi projeté » ainsi que les groupes/catégories
connexes à la problématique comme le domaine familial ou encore le sexe et l’âge.
Cette démarche permet d’appréhender globalement la situation du bénéficiaire. Cette
étape procure un premier niveau d’information au psychologue et au bénéficiaire sur la
problématique de transition, la maturité du projet et l’investissement identitaire. La
deuxième étape recueille les descriptions et leurs spécifications pour chaque groupe
choisi. Elle donne accès aux représentations de soi et d’autrui et apporte un second
niveau d’information sur la problématique d’orientation du bénéficiaire. La dernière
étape donne l’occasion d’approfondir les informations précédemment recueillies.
41 La lecture des différentes cartographies identitaires et leur contextualisation par le
recueil du récit biographique du consultant éclairent la problématique de construction
de vie. Pour le psychologue, la cartographie « emploi précédent » lui permet de prendre
connaissance des aspects liés au dernier emploi du bénéficiaire comme les éléments
positifs recherchés et les éléments négatifs à éviter dans le futur emploi. Ainsi, à la
lecture de ces ressources et contraintes, un conseiller-psychologue pourrait formuler
des hypothèses sur le projet professionnel du bénéficiaire pour des métiers dont les

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caractéristiques seraient à éviter ou à privilégier. Pour Camille, il s’agira pour le


psychologue d’amener celle-ci à réfléchir à des métiers pour lesquels le stress et la
charge horaire sont moins importants que dans le métier de commercial. Toutefois,
Camille devra conjuguer avec des aspirations opposées puisqu’elle est attirée par le
challenge et les rémunérations importantes. La cartographie « transition
professionnelle » et son récit de vie renseignent le psychologue sur les problématiques
pouvant freiner le parcours du bénéficiaire. Grâce à ces informations, un professionnel
de l’orientation pourrait faire quelques recommandations visant à améliorer le vécu de
la situation. En ce qui concerne Camille, sa recherche d’emploi est l’occasion
d’exprimer de l’inquiétude pour l’avenir. Le psychologue peut rassurer Camille sur ces
possibilités d’insertion en l’incitant à s’appuyer sur les capacités qu’elle actualise : la
combativité et le volontarisme.
42 La cartographie « emploi projeté » et sa contextualisation donnent accès aux traits
attribués aux professionnels d’un métier envisagé et à la proximité de l’individu avec
ces caractéristiques. Camille s’attribue plus ou moins des caractéristiques liées à sa
représentation du métier de comptable. Avec ces indications, un conseiller-bilan
pourrait évaluer les connaissances du bénéficiaire concernant les caractéristiques des
professionnels du domaine visé et ainsi juger de l’écart entre son référentiel du métier
et les connaissances de sa consultante. Cet échange répond aux préconisations
d’Huteau (1997) qui écrit que « l’information sur les métiers ne doit pas décrire des
métiers, mais des personnes les exerçant, des professionnels » (p. 131). Ce travail
éviterait ou atténuerait une « crise de la représentation » chez le bénéficiaire (Huteau,
2007), dans la mesure où la représentation du métier est fréquemment mise à mal
lorsque l’individu commence à le pratiquer.
43 La contextualisation des cartographies « familial » et « sexe/âge » apporte au
psychologue des informations sur les situations hors domaine professionnel qui sont
synonymes de ressources ou de contraintes. Pour Camille, ces deux groupes sont
sources d’épanouissement puisqu’elle explique qu’elle est heureuse avec les membres
de sa famille et que le fait d’être une femme de trente ans est également réjouissant.
L’échange par rapport à ces deux groupes peut informer un conseiller-psychologue
d’éventuelles problématiques extraprofessionnelles telles qu’une séparation, un
sentiment de discrimination, etc. Quant à l’échange sur les « activités », il donne une
indication sur l’investissement hors des domaines professionnel et familial. Un
conseiller-bilan pourrait s’y référer afin que le bénéficiaire puisse s’en servir comme
d’un support au cours de sa transition professionnelle. Par exemple, le psychologue
pourrait inciter sa consultante à communiquer sur sa situation au sein de ses différents
lieux de socialisation extra-professionnelle. Ainsi, les membres de son réseau de
connaissances pourraient l’informer sur les métiers visés, les opportunités d’emploi ou
de rencontre avec des professionnels.
44 L’accompagnement dans le temps de Camille avec l’IMIS adapté met à jour des
changements identitaires durant le BCA. Néanmoins, les évolutions ne concernent pas
l’ensemble des groupes explorés. Pour la cartographie de l’ancien emploi, les
spécifications n’évoluent pas au cours du temps puisque cette situation est révolue. La
cartographie du métier projeté de Camille ne change pas non plus. Cela pourrait
s’expliquer par un travail pas assez approfondi sur les caractéristiques des
professionnels du métier visé. Quant à la cartographie « sexe et âge », les spécifications
des descriptions n’ont pas évolué mais ce groupe comporte une structure très stable.

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Cette étude du changement a aussi mis en exergue les relations qu’entretiennent les
différentes sphères entre-elles. Pour Camille, les événements liés au bilan dans la
sphère professionnelle influencent positivement la sphère familiale. La description «
inquiet pour notre projet professionnel » de la sphère familiale évolue en parallèle des
descriptions « inquiets » dans la sphère de transition professionnelle vers l’espace
interpersonnel. En définitive, les changements concernent exclusivement les
descriptions de soi et non les descriptions d’autrui, ce qui paraît normal dans la mesure
où, au cours du BCA, ce sont les événements liés à l’individu qui lui sont le plus
signifiants et importants.

Conclusion
45 Les informations recueillies au cours d’une transition professionnelle grâce à l’IMIS
adapté répondent, selon nous, aux attentes méthodologiques de l’orientation
contemporaine et en particulier aux préconisations de l’approche constructionniste
(Savickas et al., 2009, 2010). Nous estimons que les étapes d’adaptation et
d’informatisation de l’IMIS l’ont fait évoluer vers une méthode d’accompagnement et
d’étude des transitions professionnelles et de la construction de vie. Le développement
de cette méthode ou « IMISc » (« c » pour « conseil ») n’est qu’une première étape
d’adaptation de l’IMIS au contexte de l’orientation des adultes. Nous nous proposons à
l’avenir d’améliorer son ergonomie et de mieux lui faire prendre en compte
l’apparition de nouvelles descriptions dans le champ identitaire des individus au cours
de leur transition professionnelle. Cette évolution serait tout particulièrement
pertinente en ce qui concerne le groupe de l’emploi projeté. Les individus pourraient
ainsi fournir durant leur progression de nouvelles caractéristiques des professionnels
exerçant le métier qui les motive. Cette mesure de l’évolution de la représentation
professionnelle du bénéficiaire permettrait de disposer d’une indication plus précise du
niveau de connaissance du domaine professionnel visé et du risque de crise de la
représentation (Huteau, 2007). Les évolutions pourraient dès lors être appréciées à
deux niveaux : la modification des spécifications et l’apparition de nouvelles
descriptions. Nous envisageons également d’évaluer, sur la base des critères spécifiques
aux recherches et méthodes qualitatives (Creswell & Miller, 2000), la validité de l’IMIS-c
en tant que méthode favorisant le développement des représentations liées à
l’émergence d’un projet professionnel.

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Montréal : Presses Universitaires de Montréal.

NOTES
1. Ce travail a été réalisé dans le cadre d’une thèse financée par une Convention Industrielle de
Formation par la Recherche (CIFRE) en partenariat avec l’entreprise PerformanSe, Groupe
Bernard Julhiet.
2. Dans la suite du développement, il a été choisi de remplacer le concept d’« UR egomorphe »
c’est-à-dire UR s’appliquant à l’individu par celui de « description de soi ». L’expression
« description d’autrui » se substitue à celle d’« UR allomorphe » ou UR seulement attribuée à
d’autres membres du groupe d’appartenance/référence de l’individu.
3. Le concept de « différenciation soi/non-soi » est remplacé par celui de « distance » et celui de
« connotation affective » par « valence ».

RÉSUMÉS
Cette recherche qui s’inscrit dans une approche constructionniste est une tentative de réponse
aux besoins méthodologiques de l’orientation tout au long de la vie. Dans cette optique, nous
avons développé une méthode d’accompagnement sur la base de l’Investigateur Multistades de
l’Identité Sociale (IMIS) et l‘avons adaptée au contexte des travailleurs en transition
professionnelle et informatisée. La méthode a été testée auprès de bénéficiaires d’un bilan de
compétences approfondi. Nous montrons dans ce travail comment l’IMIS adapté au conseil
permet de recueillir des informations utiles à la compréhension de la problématique de
travailleurs en réorientation.

The present work that follows a constructionist approach aims to suggest some possible
methodological solutions to meet the goals of lifelong guidance. To this end, we propose to use a
career counseling method based on the Multistage Investigator of Social Identity (MISI). This
method has been computerized and adapted for the context of professionals in career transition.
It was then tested on recipients of a career review. The use of the MISI for counseling made it
possible to collect useful information for a comprehensive understanding of the issues affecting
professionals in retraining. Moreover the characteristics of the MISI meet the methodological
recommendations made by the constructionist approach.

INDEX
Mots-clés : Transitions professionnelles, orientation tout au long de la vie, construction de sa
vie, méthodes d’accompagnement, Investigateur Multistades de l’Identité Sociale pour le conseil
Keywords : Professional transitions, lifelong guidance, life designing, career counseling
methods, Multistage Investigator of Social Identity for counseling

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AUTEURS
PHILIPPE JACQUIN
est Docteur en psychologie différentielle, Centre de Recherches en Psychologie, Cognition,
Communication (EA 1285). Philippe Jacquin est également membre du Centre de Recherches en
Psychologie, Cognition et Communication (CRPCC, EA 1285) de l’UEB Rennes 2 et ATER à
l’Université de Bordeaux 2 - Thèmes de recherche : Transitions professionnelles, méthode
d’accompagnement pour l’orientation tout au long de la vie, construction de sa vie, évaluation
des pratiques d’orientation – Contact : Université Européenne de Bretagne - Rennes 2, Place du
Recteur Henri Le Moal - CS 24307, 35043 Rennes cedex – Courriel : jacquinphilippe@gmail.com

JACQUES JUHEL
est Professeur de psychologie différentielle, Centre de Recherches en Psychologie, Cognition,
Communication (EA 1285). Jacques Juhel est également directeur du Centre de Recherches en
Psychologie, Cognition et Communication (CRPCC, EA 1285) et directeur du Centre de Formation
des Conseillers d’Orientation-Psychologues de l’Université Rennes 2. – Thèmes de recherche :
Modélisation des différences individuelles dans les trajectoires développementales - Courriel :
jacques.juhel1@orange.fr

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Devenir enseignant-e-s dans le


public : le sens d’une orientation
professionnelle très féminisée
To become a teacher in the public sector

Sophie Devineau

Introduction
1 Dans l’école, les deux premiers degrés sont particulièrement féminisés. Cette tendance
ne faiblissant pas dans le temps invite à interroger les mécanismes d’une orientation
professionnelle féminine. On se posera notamment la question de savoir quel sens
recouvre chez les femmes le choix du professorat. On sait par exemple que le projet
d’enseigner est en partie le résultat d’une conformation à la norme des métiers du
Care1 puisque dans l’ensemble, les candidats à l’IUFM reprennent dans leurs discours les
stéréotypes de rôles sexués (Devineau, 2005). Mais par ailleurs, on sait aussi que pour
les jeunes diplômés d’une licence ou d’un master, bien d’autres facteurs président à
l’élection d’un secteur d’activité, notamment la recherche d’une vie de qualité à travers
une profession. L’épanouissement dans le travail n’est pas la moindre des raisons mises
en avant par les enseignants (Baudelot & Gollac, 2003). Le professorat fait en effet
partie de ces métiers remplissant particulièrement leur fonction expressive (Méda,
2004, 2010).
2 Autrement dit, quelque chose de l’ordre des valeurs associées au métier opérerait sous
la surface ordonnée de la division sexuée du travail. Notre hypothèse cherche donc à
tester dans ce choix de métier une résistance aux rapports sociaux de classe et de sexe
défavorables aux femmes, qui s’exercent partout y compris dans l’organisation
professionnelle éducative. En somme, nous aurions affaire à une profession qui jouerait
comme un levier féministe au cœur même du système de genre.
3 Un des intérêts que présente cette profession pour une étude d’une orientation très
sexuée est qu’elle a conservé dans la longue durée son attrait (Le Feuvre, 2005) malgré

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la diversification des emplois dans le secteur tertiaire (Pfefferkorn, 2007 ; Delaunay &
Delaunay, 2007) et la montée des femmes dans des professions nouvellement féminisées
comme la médecine2 ou le droit (Lapeyre, 2004). L’autre intérêt réside dans le fait que
les enseignantes sont des figures toujours enviées du salariat féminin, ce qui leur
confère un statut de femmes dominées-dominantes. Ainsi, dans cet univers
professionnel la problématique des rapports sociaux de sexes se pose de manière plus
complexe que dans les secteurs les plus précaires de l’emploi où les femmes sont les
sujets d’une domination écrasante, bien que jamais totale (Le Quentrec, 2009). L’activité
d’assistant-e-s maternelles3 quasi exclusivement assumée par des femmes, illustre la
force des schémas mentaux qui imposent de concevoir les métiers du domaine de la
petite enfance comme des occupations de femmes par nature. À rebours de ces
modèles, la forte et ancienne professionnalisation de l’enseignement (Rogers, 2002,
2003) permet donc d’aborder le versant des avancées conquises dans le passé à l’aune
des obstacles toujours dressés par le système de genre.
4 Tout ceci nous pousse donc à revisiter le sens de ce « choix » de métier 4 Il s’agira
notamment de vérifier qu’au-delà des avantages matériels liés au statut de ces emplois,
des facteurs plus subjectifs liés à une quête de valeurs égalitaires contribuent à soutenir
ce projet d’orientation professionnelle spécifiquement chez les femmes. Afin
d’interroger cette orientation professionnelle en regard de l’hostilité générale du
monde du travail envers les femmes, mais aussi du point de vue du fonctionnement
interne à l’institution scolaire, nous proposons de suivre les enseignantes au fil de deux
parties. La première s’arrête sur le choix du professorat comme recours pour les
dominé-e-s à une école accueillante aux choix créatifs ou moins conventionnels, faisant
de cette profession un métier parfait pour les hommes aussi. De même, il sera question
dans ces nombreuses trajectoires féminines conduisant à l’enseignement d’en
rechercher le ressort proprement volontaire et typique des militant-e-s. Une seconde
partie, en poursuivant l’exploration des facteurs explicatifs du choix du métier par une
majorité de femmes, teste le lien qu’il y a entre le professorat et une certaine utopie au
travail. Le sens du métier associé à cette profession laisserait ainsi entendre le choix du
métier comme étant un choix de société, notamment pour les femmes. Il s’agirait de la
revendication d’une société plus juste, une demande dont il nous faudra prendre la
mesure des variations selon le sexe des enseignants et selon le secteur d’exercice du
métier.
5 L’étude porte sur le secteur public, essentiellement sur les deux premiers degrés, car
dans l’histoire de l’organisation de la profession elle-même, avec ses associations, ses
publications et ses syndicats, on s’aperçoit pour les cas d’enseignantes du secteur
public5 que l’engagement féministe anime toutes celles qui ont pris des responsabilités :
dès 1905, les institutrices sont nombreuses dans les mouvements féministes (Thébaud
& Zancarini-Fournel, 2003). Toutefois, afin de contextualiser cet ensemble de données
et d’en vérifier le caractère général, nous mobilisons également des observations
réalisées sur l’ensemble du spectre professionnel de la maternelle à l’université, du
secteur public au secteur privé. La méthodologie retenue s’appuie ainsi sur plusieurs
enquêtes (voir annexe A) auxquelles s’adosse l’enquête qualitative menée auprès de
vingt-trois enseignant-e-s, délégué-e-s syndicaux, et qui exemplifie les résultats de
l’analyse réalisée sur les attitudes moyennes dans la profession. Par définition non
représentatifs de l’enseignant moyen, ces responsables syndicaux sont en revanche les
représentants de la profession au sens où ils en sont les porte-parole et où ils sont
mandatés pour afficher les valeurs communes. Pour cette raison, ils constituent des

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figures enseignant-e-s dont les propos nous permettront d’illustrer de manière


condensée ce qui a pu être observé de manière plus diffuse chez les professeurs lors de
nos enquêtes extensives.

L’école pour les dominé-e-s


Le choix créatif

6 Des enseignant-e-s militant-e-s syndicaux à la FSU racontent (cf. enquête 4) leur quête
qui, loin du poncif à propos du fonctionnaire routinier, révèle au contraire la recherche
constante de créativité sociale. Chez les plus anciens comme chez les plus jeunes, on
enregistre cette même volonté de déplacer les barrières imposées par la norme sociale.
Certains domaines du professorat ouvrent ainsi des voies atypiques aux femmes et aux
hommes souhaitant échapper aux modèles établis de la compétition et des rôles sociaux
de sexes, sans toutefois pâtir d’un « marquage » trop fort comme c’est le cas dans
d’autres métiers (Lemarchant, 2008). C’est de cette manière que les femmes ont investi
le domaine du sport à l’école et travaillé à mixer les activités, changer les
représentations du professeur de sport en éducateur-trice aux activités physiques et
sportives, et qu’elles ont contribué à bousculer les images sociales des corps masculins
et féminins. Une réflexion sur les corps sexués que l’on retrouve dans l’enseignement
préscolaire à travers l’organisation mixte des activités motrices.
7 Le choix créatif, qui s’applique à des degrés divers pour l’ensemble du professorat, est
donc rendu particulièrement visible dans les deux premiers degrés en maternelle, en
éducation physique et sportive ou encore dans l’éducation spécialisée car ce sont des
lieux d’enseignement moins contraints par les normes scolaires des disciplines
traditionnelles. L’expérience de la hiérarchie corporative explique sans doute que les
disciplines et les niveaux d’enseignement dominés fassent le choix de l’innovation
sociale aussi pour des raisons professionnelles. Mais les motifs intellectuels ne doivent
pas être méconnus pour autant. On peut en juger par cet esprit d’ouverture qui s’exerce
en faveur de la mixité scolaire et professionnelle, et qui dégage par exemple des
perspectives égalitaires pour les filles dans une pratique éducative physique à l’opposé
de l’offre sexuée et sexiste des clubs sportifs, ou encore dans les modèles
vestimentaires mixtes libérant le mouvement en maternelle, à contre-courant des
régressions sexistes de la mode pour des petites filles enfermées dans l’esthétique lolitas
et contraintes de se penser comme objet de décor et à décorer. La réflexion sur les
normes sociales est ainsi centrale dans le développement de ces spécialités, qui
conquièrent une place aux côtés des enseignements traditionnels en travaillant
précisément dans les marges peu explorées du monde éducatif, par exemple le temps
accordé à la réflexion critique à propos de la citoyenneté, de l’altérité, tout cela est un
moyen pour mettre un peu à distance les normes sexuées. Dans les récits biographiques
de ces enseignant-e-s, on relève que l’estime de soi est construite précisément à travers
l’activité créative dans la recherche des objectifs essentiels pour bien faire son métier,
mais aussi par la réflexion critique sur les normes sociales.
8 Selon ces professeur-e-s, conscients du caractère naturaliste propre au système
discriminatoire, toute leur entreprise égalitaire va opérer un renversement
systématique de la perspective au sein même des enseignements. Ainsi le sport dans les
clubs, connotant un rapport au corps soumis à une biologie masculine ou féminine, sera

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remplacé dans l’école par l’éducation physique et sportive centrée sur des compétences
à acquérir par les apprentissages scolaires. De ce fait, la pédagogie impose une nouvelle
représentation des filles et des garçons. L’activité motrice occupe une place essentielle
dans les premières années d’apprentissages de maternelle comme dans la pédagogie
spécialisée, ce qui explique des affinités de points de vue entre le préélémentaire et
l’enseignement de l’éducation physique. « Je fais un parallèle avec la maternelle, les profs de
gym et les éducateurs spécialisés de l’enfance inadaptée, parce que je trouve qu’on se retrouve
sur beaucoup de choses. C’est la même ouverture d’esprit : laissez-les grandir. » 6 Le parti pris
progressiste apparaît clairement comme un effort personnel et professionnel pour
dépasser des stéréotypes, sans que ceci bien entendu abolisse la réalité sexuée qui a
produit les enseignant-e-s, ni même évite les logiques sexuées de carrières où le
rapport au métier va se construire chez les hommes à travers la didactique pour mieux
mettre à distance tous les aspects qui relèvent du Care (Jabouin, 2004).
9 L’univers de ces enseignant-e-s présente une très grande cohérence entre le choix
d’exercer dans une spécialité dominée, la maternelle, l’éducation sportive, l’éducation
spécialisée, et le plaidoyer pour le développement humain : « laisser-les grandir », « des
disciplines scolaires mais qui ont un objectif d’épanouissement artistique ou créatif », « une
autre image du prof de gym », « appartenir à ce collectif »8 7.
10 Ces segments spécifiques de l’éducation scolaire, auxquels il aurait fallu ajouter les
disciplines artistiques, constituent des structures professionnelles accueillantes pour
des trajectoires singulières d’enseignant-e-s, musiciens et auteurs d’albums jeunesse,
ou encore artistes amateurs. Nous citerons ici ce choix masculin atypique : « Alors je me
suis réorienté en STAPS, et là avec l’idée de devenir enseignant véritablement, de toutes les
manières, dès le lycée, je me suis dit : soit danseur, soit instituteur. J’ai passé mon bac littéraire
dans un cursus aménagé avec le conservatoire pour la danse. En fait, j’ai cherché une forme de
créativité dans l’éducation, dans la pédagogie. Parce que dans la danse, si j’avais continué je me
serais orienté vers la création, la chorégraphie la plus contemporaine. Et dans la pédagogie, il
faut trouver des entrées pour permettre aux élèves d’entrer dans les apprentissages, et je crois
qu’il y a aussi une forme de créativité. Et par ailleurs comme nous sommes encore polyvalents, on
peut largement participer à des projets qui cumulent l’ensemble des disciplines scolaires mais
qui ont un objectif d’épanouissement artistique ou créatif. Et donc, je peux dire que je suis
épanoui dans mon métier, dans cette recherche, dans la didactique, je trouve ça vraiment
intéressant et je suis encore loin d’être blasé. »8.
11 De même, les récits biographiques des enseignantes militantes laissent affleurer l’état
du monde social dans lequel elles sont plongées, et comment elles cheminent en faisant
émerger leurs revendications féministes. En amont, les années de formation pendant
l’enfance posent souvent les jalons de ce qui deviendra ensuite un engagement
syndical, politique et professionnel pour la mixité. Leur volontarisme se déploie dans la
profession et très souvent donne lieu à des reprises d’études. Leurs mémoires
universitaires sont l’occasion d’approfondir leur réflexion théorique, ce qui leur permet
ensuite d’argumenter le sujet de la mixité à l’école tant auprès des collègues que des
autorités administratives des écoles, collèges et lycées. « Dans ma famille, bon, il y avait
des hommes bien sûr, mais c’était les femmes qui avaient le pouvoir, comment dire, pas
acariâtres, mais qui avaient le pouvoir intellectuel et de force. Une famille avec des femmes qui,
sur deux générations et la troisième est en train de se mettre en place avec ma fille, ont toutes
repris des études après quarante ans : moi, j’ai repris mes études à quarante ans, ma mère avait
repris ses études à quarante ans, et ma fille reprend ses études à quarante-quatre ans. On fait le

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même métier, mais avec un désir d’aller plus loin ; ma mère était institutrice, moi et ma fille
aussi. Ma grand-mère était ouvrière, c’était une famille d’ouvriers, mais qui avaient senti très
profondément que c’était l’école qui pouvait donner la culture, qui pouvait donner le bien-être,
donc ma mère était normalienne, ma tante était normalienne, j’avais un oncle normalien aussi.
C’était cette idée que l’éducation devait aider, devait sauver. Et puis, bon, des femmes fortes, ça
c’était clair, et ma mère m’a toujours dit : Il ne faut jamais dépendre d’un homme, sur le plan
financier, sur le plan... enfin tout. En tout cas, des femmes fortes sur certains principes, ça c’était
sûr. »9.
12 Sorte de Pygmalions de leur profession (Devineau, 2011), ces femmes œuvrent à
changer l’ordre sexué des choses, en s’attaquant à l’éducation scolaire. Leurs
trajectoires personnelles et professionnelles en font véritablement les sujets
exemplaires de l’école pour les filles, qu’elles racontent comme leur outil de conquête
d’indépendance, comme objet de réflexion universitaire et comme lieu d’action auprès
des nouvelles générations. « Moi je viens d’une famille relativement nombreuse, on était cinq
enfants, j’avais une mère étrangère, qui parlait très peu français mais qui s’est toujours battue
pour que ses filles fassent des études parce qu’elle savait que c’était super important pour qu’on
puisse être autonome, gagner un salaire. Mais il y avait beaucoup d’écarts d’éducation entre mes
frères et moi. Mes frères ont fait des études scientifiques. »
13 Ces enseignantes peu ordinaires incarnent dans leur vie l’égalité des sexes en prenant
des responsabilités souvent multiples, syndicales, politiques et professionnelles,
n’hésitant pas à exercer un pouvoir à différents niveaux. Elles font toutes référence au
courage physique et idéologique car il leur tient à cœur de démontrer avec soin que ce
n’est pas un attribut masculin. Les anecdotes sont choisies, elles dépeignent des scènes
de lutte où le rapport des forces défavorable dans la profession met en valeur par effet
de contraste les attitudes valeureuses des enseignantes. Par exemple, lors d’une
réunion autour de l’inspecteur d’académie dans une assemblée d’inspecteurs
départementaux, une inspectrice, seule contre tous fait face au supérieur hiérarchique
et ne pliera pas. D’autres exemples encore décrivent ces moments, où une
représentante syndicale assure au micro l’animation d’une manifestation, quand on sait
la difficulté de toute prise de parole en public et particulièrement dans la rue devant la
foule. Leur credo de la femme forte souligne en creux la domination masculine et
l’archétype de l’homme courageux contre lequel ces militantes doivent construire leur
action.
14 Dans tous ces cas, le professorat, bien plus qu’un simple travail contre une
rémunération, recouvre une expérience sociale d’émancipation. Et si en apparence tout
semble plaider pour une profession « parfaite pour les femmes » (Cacouault-Bitaud,
2007), encore faut-il rétablir le volontarisme des filles dans la vérité des assignations à
des rôles sociaux de sexes pour la majorité des enseignantes qui ne sont donc pas
militantes ou responsables syndicales, ni même des féministes.

Le volontarisme féminin

15 N’oublions pas que l’orientation vers des professions à statut est d’abord une des rares
options possibles offertes à une activité salariée tenable pour les femmes les conduisant
à échanger prioritairement de cette façon sur le marché de l’emploi la valeur de leurs
diplômes pourtant obtenus brillamment après un parcours scolaire sans faute. C’est un
choix sous une contrainte très forte, et l’oxymore exprime assez bien la tension

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contenue dans les limites des rôles sociaux de sexe. « Disons que ça s’est imposé comme une
évidence. J’ai été encouragée dans ce choix, parce que c’est valorisant, c’est reconnu. J’ai peut-
être remis en question cette orientation quand j’étais directrice d’un centre d’animation
culturelle et ça m’a beaucoup plus, mais ce qui m’a aiguillé vers l’enseignement c’est peut-être la
sécurité de l’emploi, quelque chose de fixe dans le salaire, l’emploi... qui, dans l’animation est
beaucoup plus précaire. Ce n’était pas des contrats, du tout, du tout, avec lesquels on pouvait
vivre quoi. Donc voilà, et puis, quelque chose de connu. »10.
16 Pour la majorité des enseignantes, le rapport à la profession est donc essentiellement
une position défensive sur le marché des emplois accessibles aux femmes diplômées et
respectueux du droit du travail (cf. enquête 1). Cela se traduit en moyenne statistique
par une attitude volontaire au sein de l’institution où la présence des femmes est
massive à la fois numériquement et idéologiquement. Car, en dépit d’une arrivée
sexuée dans le métier, de stéréotypes encore vivaces et d’une mythologie de la
neutralité républicaine masquant la division sexuée du travail scolaire, l’entrée dans le
métier atteste d’une motivation à toute épreuve chez les jeunes femmes. Une fois dans
le métier, elles se distinguent de leurs collègues hommes par une demande de
reconnaissance sociale plus vive. Plus souvent que les hommes, les femmes expriment
un sentiment d’injustice concernant leur charge de travail non correctement perçue
par le grand public (cf. tableau 1). Outre l’effet de la double journée des femmes (Méda,
2008), on peut y lire la revendication d’une rémunération plus juste de leurs activités
d’enseignement cantonnées dans les premiers degrés. À caractéristiques identiques et
significativement plus que leurs collègues hommes, les enseignantes citent les avocat-
e-s, les journalistes et les publicitaires comme des modèles de professions ayant du
prestige. Les enseignantes se distinguent précisément en ciblant des professions
intellectuelles aujourd’hui très féminisées, d’un niveau de qualification équivalent au
leur, mais en comparaison desquelles l’enseignement leur paraît faire figure de parent
pauvre.
17 C’est dans le secteur public (cf. tableau 2) que l’on rencontre des femmes qui
significativement plus que les hommes n’ont pas le sentiment d’être bien considérées
par la société en tant qu’enseignant-e-s (64 % contre 57 %). C’est également dans
l’enseignement supérieur (cf. tableau 3) que les femmes disent significativement plus
que les hommes que la profession n’est pas reconnue à sa juste valeur (87 % contre
75 %). Un sentiment féminin qui exprime une certaine amertume sociale bien visible
aux deux extrémités du système d’enseignement, puisque c’est là que les différences
avec les hommes se révèlent significatives (voir tableau 4). Lorsqu’elles désignent la
catégorie qui leur semble correspondre le mieux à leur statut social tel qu’elles le
vivent, en maternelle elles répondent « profession intermédiaire » (85 % contre 66 %
des hommes), et dans le supérieur également (57 % contre 37 %). En revanche, leurs
collègues hommes situent plus souvent qu’elles leur statut dans la catégorie « cadres
supérieurs » (en maternelle : 17 % contre 7 % ; dans le supérieur : 62 % contre 38 %). Le
fait qu’un sentiment de frustration sociale soit ressenti de façon plus aiguë à la base et
au sommet de l’édifice scolaire ne tient pas au hasard, puisque la mixité professionnelle
est très peu réalisée pour ces deux niveaux, et que la charge du travail domestique
assumé encore aujourd’hui par les femmes les handicape dans la compétition avec leurs
collègues hommes dans le supérieur. La polarisation sexuée qui oppose l’école
maternelle à l’université inscrit dans le langage la fonction reproductrice de la
première, privant bon nombre d’enseignantes de l’argument de leur travail salarié et

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qualifié tant celui-ci est considéré comme la poursuite du rôle féminin auprès des
enfants. Il « va de soi » qu’elles prennent en charge la vie du foyer, ceci devenant
encore plus évident que leur rémunération occupe le statut de salaire d’appoint de
celui d’un conjoint cadre supérieur, une situation très fréquente parmi les enseignant-
e-s (Devineau & Léger, 2001 ; Devineau, 2010). Dans les deux cas de figure, le rapport au
travail des enseignantes paraît ainsi beaucoup moins enchanté qu’on ne voudrait bien
le dire la plupart du temps en limitant la comparaison de leur statut à toutes les autres
situations encore plus inégalitaires particulièrement dans les emplois du secteur privé
de l’emploi. Surtout, le bonheur au travail, s’il est bien réel, est plus ambigu chez elles
que chez leurs collègues hommes. Une telle ambivalence permet de mieux saisir
l’entrelacs des obstacles à travers lesquels les enseignantes tentent de faire advenir
l’égalité.
18 Le fait que les enseignantes revendiquent plus que les hommes la parité dans le
supérieur (92 % contre 85 %), désigne clairement qu’elles perçoivent parfaitement
l’inégalité entre les sexes du projet professionnel en sus des critères de niveau, de
longueur des études et de sélection sur lesquels les hommes fondent tout leur
raisonnement (cf. tableau 5). En effet, parmi les enseignants, les hommes perçoivent
moins que les femmes les déterminants sexués des carrières professionnelles ; 54 % des
enseignantes estiment que le sexe influence beaucoup les carrières professionnelles,
alors que 40 % des enseignants évaluent qu’il a peu ou pas du tout d’influence.
19 Le volontarisme des enseignantes n’a pourtant rien à envier à la combativité masculine
pourtant systématiquement déniée aux femmes, et qui connote implicitement tous les
raisonnements en matière de carrières féminines. Pour s’en convaincre, il est sans
doute utile de signaler l’important travail d’information réalisé par les militantes du
secteur Femme dans la fédération syndicale (FSU) majoritaire dans l’éducation (cf.
enquête 5). « Dans le débat, nous rappelions qu’il faudrait aussi travailler sur : la
“victimisation”, travailler sur les carrières, le sexisme et la parité dans le syndicalisme, les
stéréotypes, lier les revendications FSU avec l’extérieur, l’auto censure des femmes qui ont des
responsabilités... Aujourd’hui, Annette reprend les tableaux et pense qu’on devrait faire une mise
au point autour des compétences qui nous sont si souvent renvoyées comme argument à la parité
. »11.

Tableau 1

Opinions

Synthèse des différences significatives d’opinions


Femmes/Hommes enseignant-e-s

P < 0,001 Odds Ratios

Image dans le grand public de la charge de travail / injuste

Femme 2.552*

Professions prestigieuses : publicitaire / plus que les autres

Femme 1.739*

L'orientation scolaire et professionnelle, 42/2 | 2013


65

Professions prestigieuses : avocat / moins que les autres

Femme 0.493*

Professions prestigieuses : journaliste / moins que les autres

Femme 0.565*

20 Notes. *Lecture : avec une probabilité d’erreur inférieure à 1 sur 1 000, pour les sujets
ayant les caractéristiques de la catégorie de référence, le rapport des chances de penser
que le grand public a une image injuste de la charge de travail par rapport au fait de ne
pas le penser est, pour les femmes 2,552 fois supérieur à ce qu’il est pour les hommes.
21 Source : enquête 2005-2006 ; 1 576 enseignants, Rapport de recherche, Bibliothèque du
GRIS, IRSHS, Université de Rouen, 2006.
Table 1
Opinions

Tableau 2

Considération sociale

Personnellement, avez-vous le sentiment d’être bien considéré par la société


en tant qu’enseignant ?

OUI NON

Hommes 43 % 57 %

Femmes 36 % 64 %

Sous ensemble : secteur public (N = 971), (P = 0,04)

22 Source : enquête 2005-2006 ; 1 576 enseignants, Rapport de recherche, Bibliothèque du


GRIS, IRSHS, Université de Rouen, 2006.
Table 2
Social esteem

Tableau 3

Valeur de l’enseignement

La profession est-elle reconnue à sa juste valeur dans la société ?

OUI NON

Hommes 25 % 75 %

L'orientation scolaire et professionnelle, 42/2 | 2013


66

Femmes 14 % 87 %

Sous ensemble : secteur public (N = 348), (P = 0,04)

23 Source : enquête 2005-2006 ; 1 576 enseignants, Rapport de recherche, Bibliothèque du


GRIS, IRSHS, Université de Rouen, 2006.
Table 3
Value of teaching

Tableau 4

Statut social de l’enseignant

Quelle catégorie vous semble correspondre le mieux à votre statut social tel que vous le vivez ?

Profession

Intermédiaire Employé

Hommes 37 % 2%

Femmes 57 % 5%

Sous ensemble : enseignement supérieur (N = 280), (P = 0,0007)

Profession

Intermédiaire Employé

Hommes 66 % 17 %

Femmes 85 % 19 %

Sous ensemble : école maternelle (N = 247), (P = 0,014)

24 Source : enquête 2005-2006 ; 1 576 enseignants, Rapport de recherche, Bibliothèque du


GRIS, IRSHS, Université de Rouen, 2006.
Table 4
Social status of the teachers

Tableau 5

Parité dans l’enseignement supérieur

Selon vous est-il souhaitable qu’il y ait autant d’hommes que de femmes
dans le supérieur ?

OUI NON

L'orientation scolaire et professionnelle, 42/2 | 2013


67

Hommes 85 % 15 %

Femmes 92 % 18 %

(N = 317 (P = 0,04)

25 Source : enquête 2001 ; 338 enseignants du 1er et du 2 nd degré de Basse-Normandie,


Rappport de tris, Sophie Devineau, Julien Constant, CMH-Dyreso, MRSH de Caen.
Table 5
Parity in the higher education

26 On ne saurait donc minimiser l’élan émancipateur inscrit dans ces trajectoires, le


professorat venant couronner le fort investissement des filles dans le métier d’élèves,
et leur vif intérêt pour les contenus professionnels (Devineau, 2006) répétant sous une
autre forme leur détermination.

Une profession levier féministe


Le sens du métier

27 Situés à la marge de la profession, les enseignant-e-s militant-e-s et responsables


syndicaux dans le secteur public incarnent le sens des valeurs sociales extrêmes qui
structurent le champ professionnel au long de ses divers degrés (cf. enquêtes 2, 3 et 4).
Autrement dit, leur parole a une valeur exemplaire de ce qui constitue la pointe
avancée des facteurs idéologiques présents dans l’espace professionnel. Sans être
représentatifs au sens statistique, ils sont en revanche les représentants élus par leurs
pairs qui se reconnaissent dans leurs engagements. Leurs témoignages racontent la
méconnaissance ordinaire de l’exigence égalitaire, ainsi que les ponts qu’ils doivent
jeter au-dessus du fossé qui les sépare de nombre de collègues. Mais plus que cela
encore, ce qui est dit concerne l’histoire sociale du pays et la conquête des droits du
salarié dans le monde du travail. La profession apparaît dès lors, bien plus que la
somme des métiers hautement spécialisés dans l’enseignement de la maternelle à
l’université, elle est le symbole des valeurs égalitaires. Ces militant-e-s rappellent ainsi
le principe des concours nationaux ouverts à tous, la mission d’égalité de l’école dans
laquelle les filles et les femmes doivent avoir toute leur place, l’héritage du plan
Langevin-Wallon, le soutien de l’école laïque à la démarche scientifique, au pari sur la
raison collective contre les passions privées. Pour eux, les valeurs sociales égalitaires
sont un sujet de travail essentiel, puisqu’elles constituent le ciment de l’identité de la
profession, dont les formes spécifiques d’individualisme étudiées par Geay (2010)
relèvent « [d’] un rapport à soi-même et aux autres [qui] peut tout aussi bien jouer
comme forme de résistance aux injonctions institutionnelles que comme entrave à
l’organisation collective ». Il faut entendre par là une sorte de repli prudent devant
toutes les espèces de régressions, plutôt que le signe de leur égoïsme ou encore de leur
archaïsme, toutes choses qui leur sont reprochées en toute méconnaissance de la
profession.
28 Le choix d’enseigner est l’expression d’une utopie dans et par le travail. « Bien sûr que je
choisirais ce métier. Je dis peut être cela car j’en suis qu’à mes débuts mais j’adore ce que je fais,

L'orientation scolaire et professionnelle, 42/2 | 2013


68

pour plein de raisons. Tout d’abord, j’ai l’impression de servir à quelque chose. J’apporte du
savoir à des élèves, des valeurs... »12
29 De manière générale, ce qui est exprimé relève d’une quête dans l’ordre de « l’être »
opposé à celui de « l’avoir » ainsi que Baudelot et Gollac (2003) l’ont décrit pour ces
catégories de fonctionnaires très investis dans leur fonction justement parce qu’ils ont
le sentiment de travailler pour la société et pas simplement pour eux. Enseigner ce
n’est pas avoir un boulot encore moins un job, c’est être dans une profession. Cette
thématique émaille ainsi les entretiens : « Un boulot porteur de valeurs – enseignant c’est
identifiant, c’est un vrai métier, pas un boulot, pas un job – il y a encore beaucoup d’enseignants
qui choisissent ce boulot-là parce qu’il est quand même porteur de valeurs, moi je le crois ça ;
c’est identifiant d’être enseignant, c’est marrant mais c’est pas un boulot ordinaire, je pourrais
comparer avec les métiers du médical, les copines que j’ai au CHU, elles ont une grosse identité
aussi – ce sont des gens qui essaient de créer, d’organiser des projets avec les gamins, qui
s’investissent dans la coopérative scolaire, le club communal, le cinéma communal, qui agissent
dans la communauté. »13
30 Or cet espace pour « l’être psychologique et affectif » est traditionnellement laissé aux
femmes puisque l’injonction sociale toujours adressée aux hommes est d’avoir, de
posséder pour assumer un rôle de chef de famille. « Là où les effectifs en “S” augmentent,
c’est essentiellement lié aux inscriptions des garçons vers le bac scientifique. Alors les garçons
dans l’école sont moins libres de leurs choix, je les trouve beaucoup plus déterminés socialement,
et par rapport au poids de leur famille qui est sur eux. Quand on pose la question de la filière S et
du poids qui va peser sur eux ils vont vous répondre que ce sont des métiers qui vont gagner de
l’argent et quand on commence à en discuter avec eux ils disent : oui mais si je suis père de
famille, il faudra que j’aie le salaire pour nourrir ma famille. Et c’est là qu’on a les bras qui
nous en tombent. Je sens moins les filles comme ça. Ceci dit en lycée, les filles font des
choix pour suivre un petit ami souvent, c’est-à-dire qu’elles vont être déterminées dans
une place secondaire dans le couple. »14
31 Tout ce qui échappe à la définition économique des échanges marchands relève
d’activités « naturelles », gratuites ou peu rémunérées, au nombre desquelles il y a les
tâches domestiques et le soin aux autres. La relation humaine revient aux femmes
jusqu’à ce que le rejet d’un modèle de travail « inhumain » ne vienne porter un
éclairage neuf sur la vie au travail (Linhart, 2009). À rebours de ces modèles
productivistes et sexistes, la profession d’enseignant semble au contraire réaliser de
façon exemplaire « le bonheur au travail » pour les deux sexes.
32 Ce sont les cas de reconversions professionnelles qui en donnent le meilleur aperçu. «
Surtout que là, au Centre de transfusion, je travaillais la nuit, je travaillais le week-end, je
travaillais le jour de Noël. Donc, quand on a des enfants petits avec qui on aimerait le fêter, c’est
pas très bien... Et mon mari était, enfin, est professeur donc on a décidé, bah, que si je pouvais
changer de voie, ça serait pas mal. »15
33 L’expérience du sexisme le plus sordide rappelle la dureté du monde marchand envers
les femmes salariées du privé, et en contrepoint jette un éclairage flatteur sur le monde
enseignant. « Après un BP de tourisme, j’ai travaillé dans le privé, j’ai eu cette vie avant, je
viens de ce monde assez horrible où tu es pas payé pareil selon que tu couchais ou tu couchais
pas, que tu restais jusqu’à 2 h au boulot ou pas... Ouais, j’ai vécu ça, donc je sais ce que c’est, et
j’ai démissionné à cause de ça. »16
34 L’attachement à des valeurs de justice et de partage, le rôle de sentinelle du monde du
travail, le devoir d’exemplarité sont les éléments récurrents d’un certain rapport au

L'orientation scolaire et professionnelle, 42/2 | 2013


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travail qui engage tout l’être social irréductible au seul échange de services contre une
rémunération. « Je crois que notre profession est indispensable pour l’ensemble du monde du
travail, même si nous ne sommes pas directement régis par le code du travail. Parce que
finalement, derrière les fonctionnaires, le secteur public, juste derrière c’est l’ensemble du
secteur privé qui “en prend” bien plus, on est une sorte de garde fou, et suis convaincu qu’on est
une sorte de modèle, de cadre vers lequel il faudrait tendre. » 17
35 Une vie au travail, c’est se réaliser, ne pas perdre le sens du métier, s’intéresser aux
élèves. Au fil des entretiens on relève ainsi : « Je mets mon point d’honneur – ce sont des
gens qui ne comptent pas leur temps – notre profession est une sorte de garde fou, on est une
sorte de modèle – on a fait véritablement le choix du secteur public, mon frère du secteur
hospitalier et moi de l’école républicaine gratuite – moi ce qui m’intéresse c’est la justice sociale –
il faut qu’on arrive à retravailler sur certaines valeurs avec les collègues – ils s’intéressent
toujours à faire réussir leurs élèves dans leur classe, – je n’ai jamais autant travaillé – l’idée que
l’on puisse payer pour acquérir des connaissances, je trouve ça vraiment intolérable – c’est
l’école qui doit d’abord bosser sur les inégalités, parce que si l’école ne fait pas ce boulot-là, elle
ne fait pas son boulot. »18
36 Le rejet de l’utilitarisme, de se laisser entraîner dans une quête sans fin pour posséder
toujours plus, la révolte contre l’humiliation sociale, la conscience de classe,
constituent les bornes positives d’une vie au travail. Pour ces enseignant-e-s engagé-e-
s, le rôle de vigies et d’éveilleurs de conscience fait partie de leur quotidien. De sorte
que la thématique des valeurs revient souvent dans les propos recueillis : « Je crois
encore dans la bourgeoisie – moi j’ai très mal vécu de voir mes parents flipper comme des
malades quand il fallait payer le loyer de la ferme – les valeurs du privé, faire un boulot, faire ses
heures, ajouter des annexes à sa maison, il faut toujours être au top du top de l’équipement,
avoir des maisons, non ça m’apparaît vraiment superficiel. Moi, mes priorités, c’est d’abord
l’éducation dans le sens où on partage des valeurs, l’instruction dans le sens où on acquière des
outils et puis ensuite la formation pour apprendre un métier. » 19
37 Aujourd’hui très féminisé, le professorat s’il est perçu à l’extérieur comme « un métier
de femme », il n’est pas vécu comme tel par les enseignant-e-s du public, pour les
militant-e-s mais aussi pour une large majorité. Hommes ou femmes, ils partagent la
passion pour l’éducation, la curiosité intellectuelle pour les savoirs, le goût de la
culture, l’intérêt pour la relation pédagogique aux élèves. Quant au registre de la
vocation, il est aussi celui des hommes : « J’ai toujours eu envie de faire ce métier-là, depuis
que j’ai dix ans, cette idée-là ne m’a jamais vraiment lâché. Pour gagner de l’argent j’ai travaillé
dans l’animation quand je suis rentré à l’université et vraiment je me suis épanoui là-dedans. Je
me suis épanoui vraiment dans cette relation aux jeunes et en essayant parce que j’ai toujours eu
ça à cœur de développer aussi une fibre éducative et culturelle : tu peux passer un message sur
ton engagement auprès d’un public d’enfants, enfin ta fibre un petit peu... » 20
38 Les hommes apprécient également de pouvoir s’occuper de leurs enfants et du foyer.
Très critiques de la société libérale, ils décrivent lors des entretiens leur recherche
d’une vie de qualité qu’ils rapportent à la disponibilité pour les enfants, au bonheur au
travail, à la vie sociale et amicale. En somme, ils considèrent qu’il s’agit d’un métier
parfait pour les hommes aussi. « Oui parce que j’ai un enfant, quand il était petit, quand
je revenais du travail, je jouais avec lui pendant deux heures, c’est hyper positif. C’est
vraiment bien pour l’éducation de son enfant d’avoir la possibilité d’être avec lui. Il
faut, et c’est nécessaire, séparer le temps privé du temps du travail. » 21

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70

39 Le souci de la parité soulève nécessairement des interrogations à propos des moyens


d’organiser une vie articulant harmonieusement le travail et le foyer familial. Ainsi ce
qu’expriment fortement les hommes enseignants est favorable à la parité justement
parce que le statut professionnel permet un partage plus équitable des tâches
domestiques sans nuire à l’investissement dans le métier. Faire la cuisine, du sport avec
ses enfants, sont des temps sociaux qui ne rentrent pas en conflit avec des objectifs de
travail incompressibles. Les mi-temps pour élever les enfants, toujours pris par les
enseignantes qui en paient le coût dans le déroulement de leur carrière et les droits à la
retraite, commencent d’ailleurs à être envisagés par des jeunes hommes qui en font un
facteur d’égalité dans le couple. « C’est un métier qui permet l’égalité des sexes, et dans un
couple c’est essentiel, que chacun puisse s’engager dans l’éducation de ses enfants, et imaginons
que je prenne une compagne qui ne pourrait pas matériellement s’occuper des enfants, donc je
pense que ça me reviendrait, mais je pense alors que je prendrai un mi-temps parce que ça a l’air
d’être une très lourde tâche, mais ce métier le permet. » 22
40 De leur côté, les femmes montent au créneau et s’emparent de la défense du métier
dans les assemblées générales. Combatives et pugnaces, elles répondent à ceux qui font
mine d’ignorer la somme de travail que représentent des cours devant des classes
d’élèves. Elles revendiquent un salaire reconnaissant leur travail et refusent que l’on
puisse le considérer comme un salaire d’appoint de la femme active du foyer. On relève
ainsi un certain nombre de points forts de leur argumentation : j’ai dû m’accrocher pour
faire ce métier – le métier d’enseignant a complètement décroché en termes de salaire et de
reconnaissance, mais ça va avec puisque plus on gagne cher plus on est reconnu – sur la durée, je
ferais plus confiance à l’engagement féminin.
41 L’ethos professionnel égalitaire est propice à l’avancée de la parité, d’autant qu’il y a
chez les hommes enseignants une quête de réalisation de soi dans le foyer et
l’éducation des enfants qui tempère les rôles sociaux de sexes, et qu’il y a chez les
femmes une véritable demande de réussite professionnelle.

Choix de métier, choix de société

42 Poursuivons l’exploration en vérifiant, au sein de grands ensembles statistiques, que le


rejet d’un monde inégalitaire par les enseignant-e-s du public est bien un trait
sociologique partagé au-delà des seuls militant-e-s (enquête 1). Relativement à la
question du bonheur au travail, l’ensemble professionnel présente une certaine unité
puisqu’il se distingue d’autres professions moins heureuses (Baudelot & Gollac, 2003,
p. 255). Dans notre enquête, en moyenne pour tous les degrés et dans les deux secteurs,
92 % des enseignant-e-s déclarent être heureux au travail, 93 % dans leur vie privée, à
tel point que si c’était à refaire ils choisiraient à nouveau cette profession (80 %) et
recommanderaient fortement cette orientation à leurs enfants et aux jeunes en général
(70 %). Toutefois, pour bien d’autres questions, il serait abusif de poursuivre le
raisonnement sur la moyenne. Ce monde enseignant moyen n’a qu’une existence fictive
pour certaines observations et pour paraphraser Pierre Bourdieu, enseignant ne serait
alors qu’un mot. En effet, il est impossible de rejeter dans le passé une histoire scolaire
des corps d’instituteurs et de professeurs (Desbrousses, 1982), comme l’histoire
politique des deux secteurs public et privé, puisque le système éducatif contemporain,
s’il n’est plus tout à fait structuré sur de telles bases, il en est du moins l’héritier.
Surtout, la place des femmes y suit la loi générale de la raréfaction lorsque l’on s’élève

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dans les degrés d’enseignement, ainsi que celle du « plafond de verre » pour l’accès aux
postes les plus honorifiques (Marry, 2003, 2006).
43 Par conséquent, prenant au sérieux ces facteurs sociologiques, l’étude du rapport au
travail des enseignant-e-s est l’occasion de vérifier que le secteur public se distingue
encore aujourd’hui nettement du secteur privé, tant sur le plan de la conception
collective du service de l’intérêt général que sur le plan de l’action de l’État et de sa
mission d’éducation, en opposition à une conception individualiste et libérale dans le
secteur privé. Des différences entre les deux univers public et privé qui croisent des
différences marquées par la position dans les degrés d’enseignement, de la maternelle à
l’université, mais surtout pour le sujet qui nous préoccupe des différences sexuées. La
division sexuée du travail scolaire est plus forte dans les structures institutionnelles du
privé que dans celles du public et recouvre un clivage idéologique entre les sexes qui
n’a pas son équivalent dans le public (voir figure 1).
44 Une première cartographie du champ professionnel le décrit comme fortement
structuré par la division sexuée du travail scolaire du premier degré supérieur qui
étage les femmes et les hommes de la

Figure 1. Les enseignants hommes et femmes du secteur public comparés à ceux et celles du
secteur privé

45 – Secteur gauche de l’image : AFC Opinions politiques des enseignants et des enseignantes
dans le secteur public. Graphique à deux axes : 235 modalités actives. Sélection des
contributions supérieures à 10.
46 – Secteur droit de l’image : AFC Opinions politiques des enseignants et des enseignantes dans
le secteur privé. Graphique à deux axes : 235 modalités actives. Sélection des
contributions supérieures à 10.
47 – Les mots-étiquettes encadrés correspondant aux axes factoriels sont signalés dans les
bulles de légendes et proposent une interprétation des axes.

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48 – Les modalités des réponses aux questions socio-démographiques et d’opinions sont


projetées sur les deux graphiques selon leur contribution aux axes factoriels. Parmi
celles-ci, les deux modalités de la variable sexe, homme/femme, sont signalées en gras
et nous servent de base à l’interprétation des différences sexuées.
49 Source : enquête 2005-2006 ; 1 576 enseignants, Rapport de recherche, Bibliothèque du
GRIS, IRSHS, Université de Rouen, 2006.
Figure 1. Teaching men and women of the public sector compared with those of the private sector

50 base au sommet du système d’éducation dans les deux secteurs public et privé. À ces
éléments objectifs de positionnement dans l’espace institutionnel s’ajoutent des
opinions qui, du côté du secteur public, montrent des enseignants plus politisés,
défendant un État interventionniste contre les inégalités, la semaine des 35 heures et
optant pour l’altermondialisme. Du côté du privé, les enseignants sont plus apolitiques,
opposés à la semaine des 35 heures, et contre une régulation des injustices sociales par
l’État.
51 L’analyse localisée dans chacun des deux secteurs d’enseignement permet ensuite de
mettre à jour les structurations sexuées internes du champ professionnel. Alors que le
secteur privé oppose les femmes aux hommes, tant dans leurs positions objectives au
long de la hiérarchie des métiers de l’enseignement, que sur le plan idéologique en
redoublant leur position subalterne dans les petits niveaux par une adhésion à la
concurrence, il en va tout autrement dans le secteur public puisque le clivage
idéologique a moins pour principe le facteur sexué qu’un effet de creuset mixte où, en
dépit de l’affectation des femmes à des positions professionnelles moins prestigieuses,
les opinions convergent pour les deux sexes vers la revendication d’une plus grande
justice sociale garantie par l’État. En revanche, l’âge est un facteur clivant entre, d’une
part les moins de 30 ans ou les 30-34 ans favorables à l’entreprise individuelle privée
(axe 2, sud), et d’autre part les enseignants plus âgés, syndiqués et politisés, défenseurs
des services publics d’État (axe 2, secteur nord).
52 Aux antipodes des principes de la compétition individuelle qui structurent les rapports
sociaux de classes et de sexes en excluant les femmes, dans le public l’égalité et la
justice sociale construisent le noyau dur de la valeur expressive du travail
d’enseignement qui doit être rapporté à la revendication d’une sérénité dans le travail.
L’ambition d’être épanoui ou la tranquillité d’esprit sont une façon d’exprimer le souci
de bien faire son travail, un respect de la tâche à accomplir au service des objectifs
éducatifs. « C’est important parce que si je n’ai pas la tranquillité d’esprit je ne suis pas en
possession de mes moyens pour faire vraiment les choses au mieux dans mon travail. Enfin pour
être efficace, pour enseigner comme j’ai envie d’enseigner, même si c’est rarement le cas, enfin
pour être vraiment le plus proche de ce que j’estime qu’il faut faire. Et s’il y a une compétition, ou
si je suis happée par des contextes de conflits ou de compétition, je n’ai plus l’impression de
travailler pour mes objectifs essentiels quoi. »23 On relève ainsi que la contestation de l’ordre
marchand chez les enseignants des deux sexes du public défend une conception du
travail dans sa valeur d’usage et non d’échange, or une telle définition plus typique du
rapport qu’entretiennent les femmes au travail (Kergoat, Imbert, Le Doaré, & Sénotier,
1992) est ici partagée avec les hommes. Un ethos professionnel bien visible dans les
mouvements de grève des enseignant-e-s du public dans lesquels c’est toute la
philosophie d’une éducation humaniste qui sous-tend l’ensemble des revendications
(Poupeau, 2004). D’ailleurs, les relations professionnelles que permet l’institution

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assurent un climat serein et convivial : « Je ne suis pas en compétition avec mes collègues.
Après il y a des convictions pédagogiques qui peuvent arriver à des conflits. Mais bon, ma
carrière, mon salaire n’évoluera pas en fonction des collègues, et ça c’est important pour moi, ça
me donne plus de tranquillité d’esprit. »24
53 Et qu’elles qu’en soient les limites bien réelles dans l’institution scolaire, l’égalitarisme
distingue cet univers professionnel des autres (enquête 2) : « Bah ! Une des principales
égalités, c’est l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes ! Les salaires sont
strictement les mêmes. C’est pratiquement les seuls emplois de la fonction publique où il n’y a
pas de différence, en principe. Chez les enseignants, les gens sont traités de la même façon. C’est
possible que dans d’autres secteurs de la fonction publique, ça ne soit pas tout à fait pareil en ce
qui concerne la promotion les choses comme ça. Je sais pas, je dis ça, peut-être que je m’avance
un peu. »25 « En termes d’égalité hommes/femmes, complètement, ce n’est pas un milieu où on
est en butte au machisme ! Ce qui est important, c’est qu’on n’a aucune pollution liée aux intérêts
économiques, ce qui est le cas dans les autres métiers. On n’a pas de concurrents, pas de peaux de
bananes. »26
54 Ainsi les valeurs sociales d’égalité observées chez les enseignant-e-s méritent-elles
d’être comprises comme des matrices plus ou moins favorables à l’avancée de l’idée de
parité. Sur ce point, il est utile de se référer aux travaux des historiens qui démontrent
la permanence des structures de pensée à la fois dans le temps et dans l’espace. Dans
l’état des lieux de la mixité à travers une historiographie en Europe, Rogers (2003)
souligne la récurrence des arguments contre le développement de la mixité, toujours
liés selon Albisetti à une position politique opposée à la franc-maçonnerie, anti-
socialiste et anti-communiste. On remarquera d’ailleurs que l’argument moral de la
défense des bonnes mœurs sexuelles a depuis longtemps laissé du terrain à mesure que
s’est étendue la mixité de fait en public comme en privé. La notion d’intérêt général
très fortement défendue par les enseignant-e-s du public, à défaut de soutenir des
corrélations directes avec une contestation de la division sexuée du travail, constitue
néanmoins un terreau égalitariste non négligeable. Et si des principes à la réalité il y a
bien un fossé, les chances d’une diffusion de la parité professionnelle semblent
toutefois meilleures dans le public.

Conclusion
55 À bien des égards, le professorat offre les conditions d’une socialisation professionnelle
propice au développement de l’égalité entre les sexes dans et par le travail. Et quoique
relativement hétérogène, l’univers des enseignant-e-s du public constitue un creuset de
valeurs humanistes favorable à l’utopie féministe. Mieux garantie qu’ailleurs par les
cadres statutaires des emplois sans aucun doute, l’idée égalitaire s’appuie aussi sur une
conception de rapports sociaux d’un nouveau genre précisément recherchés dans le
métier. Il en va ainsi de la relation désintéressée au travail, comme des relations de
travail collégiales, l’ensemble se révélant étroitement lié à la mise en pratique des
contenus culturels propres à l’enseignement. Les valeurs de la gauche laïque, ayant
d’ailleurs soutenu le développement de la mixité dans l’histoire de l’éducation, sont
toujours bien vivantes dans la fabrique de l’école mixte contemporaine, en dépit des
obstacles et des inégalités sexuées toujours actuelles.
56 Le sens du métier est particulièrement visible chez les hommes qui eux transgressent
l’assignation masculine à des professions de pouvoir dans le secteur marchand, ou

L'orientation scolaire et professionnelle, 42/2 | 2013


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encore chez les femmes qui ont changé d’emploi pour le professorat choisi pour sa
valeur progressiste. Mais ceci reste vrai pour la majorité des enseignant-e-s. Pour les
femmes, encore aujourd’hui, devenir enseignante c’est obtenir une place dans le monde
salarié, respectueuse de leur qualification, de surcroît en poursuivant l’ambition d’une
vie de qualité. C’est là toute la modernité du professorat qui se révèle être autant un
choix de métier qu’un choix de société.
57 Convoquer la sociologie du genre dans l’école des enseignantes importait donc afin de
rendre compte des rapports sociaux de sexe dans une institution très féminisée au plus
près de leur dynamique complexe. Après avoir été les meilleures élèves du système
éducatif, les femmes en accédant à l’enseignement en deviennent les actrices, parfois
très engagées dans la défense de la mixité scolaire et de la parité des carrières
professionnelles, mais toujours partie prenante d’une société moins sexiste. Les
contradictions sont au cœur du professorat, tout à la fois recherche créative de
nouvelles normes sociales et orientation professionnelle respectueuse des rôles sociaux
de sexes. Ceci oblige à considérer l’enjeu féministe dans un sens large, dans et au-delà
de l’école, tel qu’il a été porté dans la société par cette profession jusqu’à aujourd’hui,
une dialectique complexe de l’école à l’égard des filles qu’elle scolarise et des femmes
qu’elle emploie.
58 Car, au-delà des attitudes moyennes, une minorité de militantes syndicales du public
œuvrent parmi les enseignants pour soutenir l’idée de mixité scolaire et
professionnelle. Tout repose en fait sur l’activité opiniâtre de ces femmes, véritables
porte-voix d’une profession anciennement et fortement féminisée. Un engagement
féministe qui poursuit le projet égalitaire du mouvement ouvrier dans lequel les
enseignantes ont toujours été de ferventes actrices aux côtés des nombreuses autres
femmes (Devineau, 2011). Dans ces conditions, lire la sexuation du choix de
l’enseignement soumis aux modèles des métiers du Care implique de rappeler le
système de genre qui oriente les choix tout en intégrant des mécanismes de résistance
au système.
59 Et c’est à ce point chargée de cet héritage, contrainte de toutes parts par le sexisme,
que la fonction féministe du professorat prouve sa force sur la longue durée, par le rôle
crucial qu’il joue en armant les femmes d’un statut, outil majeur de la parité
professionnelle. Ainsi, pour expliquer la forte féminisation de l’enseignement s’en tenir
à la bonne conformité de l’éducation des filles à la norme institutionnelle omettrait la
lutte des femmes pour accéder à une reconnaissance sociale.
60 En somme, la féminisation de l’enseignement nous livre l’histoire exemplaire du rôle
moteur qu’a joué cette profession en contrariant la mécanique des rapports sociaux de
sexes. La valeur symbolique a compté tout autant que la valeur salariale parmi les
autres secteurs de l’emploi moins égalitaires, où l’enseignement demeure un espace
plus ouvert au progrès de la parité. Sous cet angle, la féminisation de l’enseignement
témoigne d’une dynamique de long terme dont la portée est sans commune mesure
avec une dévalorisation de la profession.

L'orientation scolaire et professionnelle, 42/2 | 2013


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ANNEXES
Thébaud, F., & Zancarini-Fournel, M. (2003). « Éditorial ». Coéducation et mixité. CLIO, Histoire,
Femmes et Sociétés, PUM, 8, 11-19.

Encadré méthodologique
Enquête 1 : 2005-2006, 1 576 enseignants. Questionnaires : « Les enseignants, le monde
du travail et la qualité de vie ». Rapport de recherche : « Sociologie des enseignants en
Haute et Basse-Normandie », Sophie Devineau et Emmanuelle Annoot, Michel Bussi,
Alain Léger, Bibliothèque du GRIS, IRSHS, Université de Rouen, 2006.
Enquête réalisée en Haute et Basse-Normandie en 2005 sur un échantillon par quotas.
Les questionnaires ont été diffusés par des enquêteurs dans des établissements du
premier et du second degré du public et du privé. Le nombre de répondants s’élève à
1 576 enseignants avec 46 % d’hommes et 54 % de femmes, 65 % dans le secteur public
et 34 % dans le privé avec comme répartition dans les différents niveaux
d’enseignement, 17 % en maternelle, 20 % en élémentaire, 20 % en collège, 23 % en
lycée et 19 % dans le supérieur.

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Enquête 2 : 2006, 65 enseignants du 1er et du 2nd degré public. Entretiens : « Les


enseignants, le monde du travail et la qualité de vie », Haute-Normandie, Rapport,
Sophie Devineau, Université de Rouen, 2006.
Enquête par entretiens réalisée en Haute-Normandie auprès de 65 enseignants des deux
premiers degrés. L’échantillon compte 26 % d’hommes pour 74 % de femmes, 6 % dans
le secteur privé contre 94 % dans le secteur public, avec 48 % dans le second degré
(collège, lycée) et 52 % dans le premier degré (Primaire : maternelle et élémentaire).
Enquête 3 : 2010, Réunion du secteur Femmes de la FSU. Observation directe : « Les
responsables syndicales et la mixité », Rapport, Sophie Devineau, CMH-PRO, Paris, 2010.
Une journée d’immersion au secteur femmes de la FSU lors de la réunion annuelle de
bilan et de prospective de l’activité syndicale en faveur de la mixité à l’école et dans
l’organisation professionnelle.
Enquête 4 : 2009-2010, 23 enseignants militants et responsables syndicaux. Entretiens :
« Enseignants engagés du 1er et du 2nd degré public », Rapport, Sophie Devineau, CMH-
Dyreso, MRSH de Caen, 2009.
Enquête réalisée en Basse-Normandie en 2010 par entretiens biographiques auprès des
responsables syndicaux du syndicat majoritaire dans le secteur public, la FSU. Parmi les
14 répondants, 4 comptent parmi les nouveaux retraités, dont 1 homme et 3 femmes, et
10 pour la génération active dont 3 hommes et 7 femmes. Enquête complémentaire
réalisée au sein du secteur Femme de la FSU à Paris en 2010 : 9 observations directes de
3 enseignantes du 1er degré et de 6 enseignantes du 2nd degré.
Enquête 5 : 2010, Archives de l’ensemble des numéros de « POURInfo » consultables sur
le site de la FSU de 2005 à 2010 du Secteur Femmes. Analyse de contenu : « Les
responsables syndicales et la mixité », Rapport, Sophie Devineau, CMH-PRO CNRS-
EHESS-ENS, Paris Campus Jourdan, 2010.
Corpus analysé : 56 numéros de PourInfo et PourElles de 2008 à 2010 ; 86 articles de
2004 à 2008.

NOTES
1. Le Care englobe l’étude de l’ensemble des activités (formelles et informelles) de la prise en
charge des soins aux personnes : Revue Française de Socio-Économie, Le Care : entre transactions
familiales et économies des services, CLERSE-Université Lille 1, 2008.
2. S. Bessière (2005), « La féminisation des professions de santé en France : données de cadrage »,
Revue Française des affaires sociales, no 1, rfas200501-art03.pdf, 1-15.
3. La loi de 2005 rompt avec l’idéologie sexiste qui faisait de cette activité une prérogative
féminine en désignant au masculin l’agrément du métier d’assistant maternel, et pousse à la
professionnalisation en imposant des « aptitudes éducatives » certifiées par une formation à la
pédagogie, la psychologie et l’organisation.
4. S. Devineau, « Les enseignantes dans l’histoire du mouvement ouvrier », 2012, pp. 219-249.
5. Contrairement au secteur privé, essentiellement privé catholique en France comme le décrit
Jacques Maître : « Au total, le militantisme féminin catholique s’organise le plus souvent comme
un barrage devant l’essentiel des revendications féministes qui feront par la suite leur chemin
dans la législation et dans les mœurs », 2004, pp. 188-208.

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6. Femme, professeure des écoles, maternelle publique, directrice, maîtresse formateure,


retraitée, responsable syndicale au niveau départemental, responsable à l’OCCE, militante
politique, père ouvrier, mère ouvrière.
7. Op. cit.
8. Homme, professeur des écoles, élémentaire public, poste en SEGPA de collège, militant
syndical, militant politique, père instituteur, mère institutrice, grand-père instituteur.
9. Femme, professeure des écoles, maître-formateur, maternelle publique, père agriculteur, mère
institutrice.
10. Femme, professeure des écoles, maternelle publique, militante syndicale, père instituteur,
mère institutrice de maternelle.
11. POURInfo, no 396, 29 octobre/02 novembre 2007.
12. Homme, professeur de collège public, père professeur, mère aide soignante.
13. Homme, instituteur, élémentaire public, conseiller pédagogique, responsable syndical au
niveau départemental, militant politique, père ouvrier agricole, mère ouvrière agricole, conjointe
professeure des écoles.
14. Femme, professeure d’histoire-géographie, lycée public, célibataire sans enfants, militante
syndicale, père pharmacien, mère institutrice.
15. Femme, professeure des écoles, élémentaire public, père employé de banque, mère au foyer,
conjoint professeur.
16. Femme, professeure des écoles, élémentaire public, responsable syndicale au niveau fédéral,
militante politique, père employé de banque, mère employée de banque.
17. Op. cit.
18. Op. cit.
19. Homme, professeur des écoles, élémentaire public, poste en SEGPA de collège, militant
syndical, militant politique, père instituteur, mère institutrice, grand-père instituteur.
20. Homme, professeur des écoles, élémentaire public, responsable syndical au niveau fédéral,
militant politique, père employé des postes et télécommunications, mère au foyer, conjointe
professeure des écoles et responsable syndicale.
21. Homme, professeur en lycée, père peintre, mère au foyer, conjointe enseignante.
22. Homme, professeur des écoles, élémentaire public, poste en SEGPA de collège, militant
syndical, militant politique, père instituteur, mère institutrice, grand-père instituteur.
23. Femme, professeure des écoles, maternelle publique, militante syndicale, père instituteur,
mère institutrice de maternelle.
24. Op. cit.
25. Homme, professeur de lycée, père mécanicien, mère sans profession.
26. Femme, professeure des écoles, conseillère pédagogique, école élémentaire publique,
militante au planning familial, père industriel, mère secrétaire, conjoint exploitant agricole.

RÉSUMÉS
Après avoir été les meilleures élèves du système éducatif, les femmes en accédant à
l’enseignement en deviennent les actrices, parfois très engagées dans la défense de la mixité
scolaire et de la parité des carrières professionnelles, mais toujours partie prenante d’une société
moins sexiste. Ceci oblige à considérer les choix d’orientation vers le professorat autrement que

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du point de vue d’une conformation simple d’une majorité de femmes à des modèles de métiers
du Care, mais encore à travers l’enjeu féministe tel qu’il a été porté dans la société par cette
profession jusqu’à aujourd’hui, une dialectique complexe de l’école à l’égard des filles qu’elle
scolarise et des femmes qu’elle emploie.

After having been the best pupils of the educational system, women, through their access to
education, become engaged actors in the defence of school coeducation and the parity of the
career professional, but always involved in a less sexist society. This brings us to consider how
choices in orientation in becoming a teacher, beyond simply conforming to a care model of
employment, but still through the feminist stake such as it was carried by society until today.
This complex dialectic of the school examines the girls whom it educates and women whom it
employs.

INDEX
Keywords : Gender, teachers, profession, emancipation, equality
Mots-clés : genre, enseignant-e-s, profession, émancipation, parité

AUTEUR
SOPHIE DEVINEAU
est Sociologue de l’éducation, MCF-HDR, unité de recherche Dynamiques Sociales et Langagières
(DySoLa), Sophie Devineau est également coordinatrice de l’axe Travail, Emploi, Formation de
l’Institut de Recherches Interdisciplinaires en Sciences Humaines et Sociales (IRIHS) de
l’Université de Rouen - Thèmes de recherche : Inégalités scolaires — Genre et éducation -
Contact : Université de Rouen, Département de sociologie, UFR Sciences de l'homme et de la
société - Courriel : sophie.devineau@univ-rouen.fr

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La réforme du bac professionnel en


trois ans : vers un renforcement de
la convention professionnelle dans
le système éducatif français ?
The vocational high school degree reform: strengthening professional convention
in the French education system?

Pierre-Yves Bernard et Vincent Troger

Introduction
1 La réforme du baccalauréat professionnel engagée en France à titre expérimental dès
2001, et généralisée à l’ensemble des établissements concernés à la rentrée 2009, vise
une profonde transformation du cursus de l’enseignement professionnel. En proposant
un parcours en trois ans pour accéder au titre de bachelier à partir de la classe de
troisième, elle doit permettre d’égaliser la durée de scolarité de l’ensemble des lycéens,
qu’ils suivent une voie générale, technologique ou professionnelle. Jusque-là, une des
particularités de l’enseignement professionnel dans le système éducatif français était
de permettre deux niveaux de sortie avec un diplôme qualifiant pour les élèves engagés
dans la voie professionnelle : soit une sortie au bout de deux ans, avec un Brevet
d’Enseignement Professionnel (BEP), à l’âge théorique (i.e sans redoublement) de
17 ans, soit, pour ceux qui voulaient prolonger leur parcours, une sortie deux années
plus tard, avec le baccalauréat professionnel, à l’âge théorique de 19 ans. Comme le
baccalauréat général ou technologique est accessible après trois années d’études en
lycée, soit à l’âge théorique de 18 ans, la durée des études secondaires complètes était
donc plus longue pour les lycéens professionnels que pour les autres. En ramenant
cette durée à trois ans pour tous les lycéens, la réforme tend vers une certaine
égalisation des parcours de l’ensemble des lycéens.

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2 Cette réforme s’inscrit sur le long terme dans un processus de construction d’un
enseignement professionnel par voie scolaire. Ce processus est ambivalent : d’une part
il intègre la formation professionnelle initiale au système scolaire (la « scolarisation »
de l’enseignement professionnel, voir en particulier Prost, 1983, Troger, 2003), mais
d’autre part, il la constitue aussi en une voie spécifique, placée dans une position
largement dominée par rapport aux autre filières de l’enseignement secondaire. En
1985, la réforme instituant le baccalauréat professionnel était déjà très significative de
cette ambivalence. En permettant de droit l’accès aux études supérieures, elle
participait du processus d’intégration de la voie professionnelle au système scolaire,
dans un contexte de forte demande de poursuite d’études postsecondaires. Mais en
intégrant à la formation une longue période de stages (douze à vingt-quatre semaines
selon les formations), elle éloignait la formation professionnelle de la forme scolaire
centrée sur l’activité en classe, au profit d’une formation davantage articulée à la
pratique, l’alternance sous statut scolaire. Il s’agissait finalement d’une forme
composite, qui s’inspirait de certains systèmes éducatifs considérés comme exemplaires
dans leur capacité à participer à la compétitivité économique. Ces « modèles »
(l’ouvrier diplômé de la grande entreprise japonaise, le système dual allemand), bien
qu’opposés, furent largement diffusés à l’époque par le pouvoir politique (Prost, 2002 ;
Lapostolle, 2004). D’un point de vue plus analytique, ils peuvent être interprétés à la
lumière des conventions éducatives et des compromis qui les articulent. À cet égard, le
baccalauréat professionnel est une forme de compromis entre conventions académique
et professionnelle (Verdier, 2001).
3 C’est ce compromis et son évolution dans le cadre de la réforme du baccalauréat
professionnel en trois ans que nous analysons ici ; plus précisément il s’agit de
comprendre la réception de la réforme au moment de sa mise en œuvre, du point de
vue des élèves, à partir d’une série d’enquêtes réalisées dans l’ouest de la France en
2009, 2010 et 20111 : comment les élèves perçoivent-ils les dimensions professionnelles,
scolaires de la voie professionnelle rénovée ? Quelles valeurs donnent-ils à cette
nouvelle possibilité d’accès au baccalauréat en matière d’employabilité et de poursuite
d’études ? Après avoir exposé dans une première partie le cadre théorique des
conventions éducatives, une deuxième partie est consacrée aux données utilisées, aux
premiers résultats qu’ils apportent et à la modélisation conçue pour analyser les
aspirations des élèves à la poursuite des études supérieures. Une troisième partie
présente les résultats obtenus, et les confronte aux logiques d’action des élèves telles
qu’elles apparaissent à la lumière des entretiens réalisés. Il s’agit de comprendre
comment ces logiques d’action s’inscrivent dans les conventions éducatives dominantes
et sont susceptibles de participer à leur évolution.

Le modèle des conventions éducatives


4 Si une tradition sociologique s’est construite sur le paradigme de la reproduction en
matière d’éducation, de nombreux travaux ont montré les limites d’une analyse de
l’orientation où l’élève n’est que le simple spectateur de forces qui le dépassent (Duru-
Bellat, 1988). L’orientation peut en effet être appréhendée sociologiquement comme
une logique d’action, même si celle-ci est contrainte par les ressources dont dispose
l’individu. Pour autant, ce type d’analyse ne doit pas amener à minimiser l’importance
des cadres sociaux dans la construction de ces logiques. Celles-ci s’inscrivent en effet

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dans des répertoires de justification plus ou moins partagés collectivement. Une


logique d’action largement partagée est donc davantage le reflet d’une norme
commune plutôt que la manifestation d’une rationalité universelle. Par exemple,
l’analyse de Hanchane et Verdier des parcours scolaires du panel 1989 de la DEPP
montre que l’aspiration aux études supérieures des parents de milieux modestes pour
leurs enfants n’est pas diminuée par les difficultés scolaires rencontrées par ceux-ci, au
contraire. Si ce type de résultat remet partiellement en cause la thèse de
l’intériorisation des contraintes liées à la position sociale, il illustre également
l’intériorisation de normes collectives : « l’obtention du baccalauréat est devenue, pour
l’ensemble des acteurs du système de formation – jeunes, enseignants, employeurs,
personnel politique, une norme sociale prédominante en matière d’éducation (...) »
(Hanchane & Verdier, 2005, p. 57).
5 Le travail qui suit tente d’explorer ce processus d’interaction entre cadres institués et
logiques d’action. À cette fin, on pose l’hypothèse de la multiplicité des ressources
justificatives des acteurs, s’appuyant sur des conceptions différentes de l’action juste,
au double sens de la légitimité et de l’adaptation (Boltanski & Thévenot, 1989). Dans le
champ de l’orientation, par exemple, la justification d’un choix de filière d’excellence
pour un élève donné s’appuie sur la légitimité du principe de la méritocratie et
l’adaptation supposée de l’élève aux exigences de cette filière. Les acteurs contribuent
ainsi à renforcer ou à remettre en cause des formes instituées. Le cadre théorique
utilisé pour modéliser ces ressources justificatives au fondement des logiques d’action
est celui des conventions éducatives (Verdier, 2001 ; Bernard, 2011). Il repose d’une part
sur le concept de conventions, en tant que principes de légitimité fondant les
opérations de jugement des acteurs et orientant leurs actions (Boltanski & Thévennot,
1991), d’autre part sur les travaux comparatifs mettant en évidence l’existence de
régimes d’éducation propres à différentes configurations sociétales (Verdier, 2000,
2008). Ce modèle permet de concilier une approche institutionnaliste selon laquelle les
cadres macrosociaux structurent les possibilités offertes aux membres d’un ensemble
social, et une approche microsociologique attentive aux stratégies des acteurs.
6 Les questions se rapportant à l’orientation scolaire et professionnelle se prêtent
particulièrement à cette modélisation. La France est marquée par une forte tradition de
centralisation des politiques éducatives. L’action de l’État dessine assez précisément
l’offre de formation à partir de laquelle les processus d’orientation s’inscrivent. Cette
logique d’offre repose sur des principes garantis par l’État et se référant au bien
commun : égalité, mission d’insertion sociale et professionnelle, formation du citoyen,
etc. Il est possible d’interpréter la structuration de cette offre comme l’expression d’un
« régime d’éducation et de formation des jeunes » propre à une configuration sociétale
donnée. Un régime d’éducation se fonde sur une configuration spécifique, dont les
principes se réfèrent à des conventions éducatives (voir encadré). On s’appuie ici sur
quatre conventions, en focalisant plus particulièrement sur la convention
professionnelle, sur laquelle repose la légitimité de la formation professionnelle
initiale, tout en prenant en compte la prégnance de la convention académique dans un
régime d’éducation « à la française » profondément marqué par la référence
méritocratique.
7 Les transformations de la filière professionnelle opérées dans les années quatre-vingt
ont pu être à cet égard interprétées comme un réaménagement du compromis entre les
conventions professionnelle et académique. Ainsi, l’instauration d’un baccalauréat

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professionnel fondé sur l’alternance sous statut scolaire s’appuie simultanément sur la
convention professionnelle en introduisant massivement les stages en entreprises dans
les formations professionnelles scolaires, et la convention académique en donnant aux
meilleurs élèves de l’enseignement professionnel la possibilité d’accéder au premier
grade des Universités, et à la possibilité de poursuivre des études supérieures (Verdier,
2001).
8 Les conventions éducatives
9 La première conception est celle de la convention académique. Dans cette convention
l’école doit d’abord détacher les individus de leur appartenance sociale, pour leur
attribuer une valeur scolaire qui est elle-même à la source du statut social légitime.
L’école est alors vue comme un lieu de transmission de savoirs spécifiques, définis en
tant que savoirs scolaires, selon une légitimité et un ordre normatif propres à
l’institution. La valeur scolaire réside dans la maîtrise individuelle de savoirs
académiques, ce qui met les personnes en situation de compétition pour obtenir la
meilleure place possible. Cette compétition est légitimée par le principe du mérite,
plaçant la méritocratie au cœur de cette convention. Dans l’histoire éducative
française, cette convention est au fondement de la constitution d’un ordre
d’enseignement secondaire, longtemps élitiste et séparé d’un ordre primaire plus
orienté vers la scolarisation de tous.
10 La deuxième conception est celle d’une école préparant à la vie active, selon une
convention professionnelle. À ce titre, elle établit une relation de coopération entre
l’éducation et la production. Elle est fondée sur un ensemble de règles permettant
d’établir une équivalence entre formation et emploi : référentiels de compétences,
certifications, règles de recrutement, de carrières professionnelles. Cette convention
suppose une forte institutionnalisation des acteurs sociaux (représentants des
employeurs, des salariés) pour établir ces règles. Dans cette conception, les identités
professionnelles, fortement établies, reposent sur l’acquisition d’une formation
spécifique. La formation suppose l’articulation entre savoirs abstraits et situation de
travail. L’alternance est donc la forme pédagogique type dans cette convention.
11 La troisième conception, reposant sur un idéal universaliste, voit l’école comme
l’institution intégratrice par excellence. Elle vise à fonder une solidarité entre les
membres de la société, à compenser les inégalités sociales et à fonder une démocratie
effective par la transmission de valeurs et la création des conditions de l’égalité des
chances. Cette conception est très largement dominante dans l’histoire de l’instruction
primaire de la plupart des pays développés. Elle est également présente en tant que
projet alternatif dans les pays où la convention académique est dominante. Ainsi, en
France, le mouvement de l’École unique, ou l’esprit du rapport Langevin-Wallon sont
l’expression d’un idéal démocratique en opposition à l’ordre scolaire fondé à l’époque
sur la séparation entre peuple et élite.
12 La quatrième conception du rapport école/société est celle de la convention
marchande. Dans cette conception, l’activité scolaire est peu différenciée des autres
activités professionnelles. L’institution scolaire publique est plutôt considérée comme
une source de rigidités, de faible productivité et de gaspillage. Dans l’idéal, l’éducation
pourrait être produite par des entreprises ordinaires, et le produit éducatif régulé par
les mécanismes du marché. Le recours au financement public n’est justifié que par les
imperfections du marché, et apparait comme un moindre mal à condition qu’existent
des mécanismes de quasi-marché : libre choix des usagers, concurrence entre les

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établissements, standardisation des produits éducatifs à partir de normes de


performance, transparence des résultats des établissements, financement de ceux-ci en
fonction de la demande, voire financement privé.
13 La réforme du baccalauréat professionnel en trois ans s’inscrit dans la même logique,
mais en introduisant un principe universaliste, sous une forme certes embryonnaire : si
les voies de formation pour accéder aux différents types de baccalauréats restent
fortement cloisonnées, elles sont dorénavant de même durée, ouvrant théoriquement
les mêmes droits de poursuite d’études supérieures à tous les élèves, quelle que soit
leur orientation initiale en fin de troisième.
14 Cet objectif de rapprochement entre les filières est explicite dans les intentions mêmes
des responsables politiques en charge de la mise en œuvre de cette réforme : « le bac
professionnel en trois ans est une réforme qui vise à mettre le bac professionnel au
même niveau que le bac général. Il faut que ces deux filières soient des filières
équivalentes avec la même valeur dans le regard des parents, des élèves » (déclaration
de François Fillon, Premier ministre, le 2 septembre 2009, lors d’une visite d’un lycée
professionnel à Cormeilles-en-Parisis).
15 Peut-on toutefois s’arrêter sur cette dimension institutionnelle apportée par une
réforme ? Un point de vue limité à l’offre éducative souffrirait d’un réductionnisme
ignorant à la fois les ressorts de la demande d’éducation et la mise en œuvre effective
de la réforme.
16 Une réforme, quelle qu’elle soit, n’épuise pas en effet les possibilités stratégiques des
acteurs. Au-delà des objectifs officiels de la réforme (rapprocher les voies de formation
du second cycle du second degré, augmenter le nombre de bacheliers et donc le nombre
d’étudiants), ses implications dépendent de la réception qu’en font les acteurs, en
fonction de leur position dans le champ éducatif, mais aussi de leur capacité à mobiliser
des ressources justificatives. Le cas des élèves et de leurs familles est à cet égard
particulièrement intéressant. La portée de la réforme dépend en effet en grande partie
de leur réception de la réforme. Bien que dans une position dominée dans le champ
éducatif (l’orientation vers l’enseignement professionnel est d’abord le résultat de
difficultés scolaires plus ou moins importantes, que cette orientation soit subie, ou
qu’elle résulte d’un choix intériorisant la position scolaire dominée), ce sont les élèves
qui, in fine, s’approprient ou non les transformations opérées par la réforme, que ce
soit dans leurs aspirations à la qualification, leur rapport au savoir ou leur choix
d’orientation. Comment se situent alors les élèves par rapport aux objectifs de cette
réforme ?
17 On peut faire à ce niveau deux hypothèses.
18 Un faible niveau d’aspiration à la poursuite d’études reflèterait le maintien du
compromis décrit par Verdier : une voie professionnelle conçue d’abord pour
l’insertion professionnelle (convention professionnelle), où seuls les « meilleurs »
éléments pourraient espérer une poursuite d’études dans le supérieur (convention
académique).
19 En revanche, un niveau élevé d’aspiration à la poursuite d’études révèlerait le
renforcement d’une convention académique, professionnelle ou universaliste selon les
ressources justificatives mobilisées pour légitimer cette aspiration à la poursuite
d’études. Laissons de côté la convention académique, compte tenu de la position des
élèves dans le système éducatif. Les élèves qui choisissent l’enseignement professionnel

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ont en commun des difficultés scolaires qui les dévalorisent selon les critères de la
justice scolaire fondée sur le « mérite ». L’orientation vers la voie professionnelle est
donc pour eux une manière d’échapper à l’univers académique. Restent les deux autres
conventions. La convention professionnelle peut être renforcée par l’aspiration à
prolonger les études dans des filières professionnelles spécifiques. On est alors plutôt
dans une logique de qualification, ce qui, d’ailleurs, est au fondement de cette réforme
impulsée au départ par une demande patronale dans ce sens (Bernard, Delavaud,
& Troger, 2011). La convention universaliste peut être convoquée quand les élèves
perçoivent la réforme comme leur permettant de retarder le moment de l’orientation,
en leur conférant un droit particulier à la réorientation grâce au diplôme du
baccalauréat. À cet égard, le choix de la voie professionnelle pourrait être considéré
comme une stratégie de contournement visant à accéder à la norme commune du
baccalauréat, sans passer par le jugement académique des filières d’enseignement
général (Charlot, 2001).

Terrain d’enquête, hypothèses et données brutes


20 Nous avons interrogé par questionnaire un échantillon des élèves de seconde
professionnelle dans un département de l’Ouest de la France (N = 465) dans les semaines
qui ont suivi la rentrée 2009, c’est-à-dire au moment de la généralisation des secondes
BP3 (bac pro / 3 ans). Une première campagne d’entretiens a été réalisée à la fin de
l’année scolaire 2009-2010, auprès de 22 élèves de l’échantillon (voir le guide
d’entretien en annexe), mais aussi auprès de 11 enseignants, de 7 chefs
d’établissements, de 3 cadres responsables de l’enseignement professionnel au niveau
académique. Une seconde campagne d’entretiens a été menée au cours du second
semestre de l’année scolaire 2010-2011, auprès de 16 élèves du même échantillon et de
20 enseignants des mêmes classes.
21 Le questionnaire administré auprès des élèves porte sur leurs caractéristiques
démographiques, sociales et scolaires, sur leur orientation en fin de troisième, leur
satisfaction vis-à-vis de l’orientation engagée, et leurs aspirations quant à leur avenir.
Parmi les indications données par cette enquête, nous avons isolé ici celles se
rapportant aux aspirations à la poursuite d’études. C’est en effet à ce niveau qu’il est
possible d’identifier les effets de la réforme sur la manière dont les élèves reçoivent la
réforme.
22 Les travaux sur l’orientation en voie professionnelle analysent celle-ci comme une
relégation (Jellab, 2008). Celle-ci est souvent vécue comme telle par les élèves eux-
mêmes, qui jugent cette orientation en référence au modèle dominant du lycée général,
et qui vivent l’entrée dans la voie professionnelle sur le mode de la dépréciation de soi
(Beaud, 1996). Sur le plan quantitatif, les données du panel 95 de la DEPP (enquête
Jeunes 2002 sur les élèves entrés en sixième en 1995) indiquent qu’un peu plus de la
moitié des élèves de lycée professionnel considère son orientation comme contrainte,
au sens où ces jeunes se sont vus refuser un premier vœu d’orientation, ou encore
parce qu’ils estiment ne pas avoir le niveau scolaire suffisant pour faire ce qu’ils
voulaient (Caille, 2005). La même enquête révèle d’ailleurs un important sentiment
d’injustice chez les élèves de voie professionnelle. L’enquête que nous avons réalisée
n’est pas strictement comparable, puisqu’elle n’interroge pas un échantillon de
l’ensemble des élèves de lycée professionnel, mais seulement ceux qui entrent en

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seconde professionnelle dans une spécialité de baccalauréat professionnel, à un


moment délimité de leur scolarité, quelques semaines après la rentrée 2009. Il nous a
toutefois semblé significatif de relever la perception de ces élèves qui entrent pour la
première fois dans cette voie de formation, et qui donc portent un jugement sur les
modalités de leur orientation. De manière surprenante, les résultats bruts font
apparaître une satisfaction élevée : alors que 14 % seulement se déclarent peu ou pas
satisfaits de leur orientation, 42 % se déclarent très satisfaits. Les deux tiers déclarent
ne pas souhaiter une autre orientation que celle dans laquelle ils sont engagés, et
seulement 14 % avaient envisagé une orientation en seconde générale comme premier
vœu d’orientation en troisième. L’impression que donne l’ensemble des résultats est
donc celle d’un choix assumé, assez éloigné de l’orientation imposée souvent associée à
la seconde professionnelle. Mais le résultat le plus étonnant porte sur les aspirations
des lycéens de LP. Alors que 37 % des élèves de baccalauréat professionnel du panel 89
de la DEPP tentaient de poursuivre une formation après le baccalauréat professionnel 2
(Lemaire, 2007), soit 21 % des élèves de BEP, 59 % des jeunes que nous avons interrogés
déclarent avoir l’intention de poursuivre leurs études après le baccalauréat 3. Il ne s’agit
que d’intentions, qui peuvent évoluer au cours de la scolarité. Mais le chiffre est
suffisamment élevé pour faire l’hypothèse d’un profond changement dans la place que
les familles attribuent à la voie professionnelle dans le second degré. Conçue depuis
longtemps comme une filière de fin d’études dans une perspective d’insertion
professionnelle immédiate, elle deviendrait une autre forme d’accès à un certain type
d’études supérieures. Cette tendance était déjà perceptible quelques années après la
mise en place du baccalauréat professionnel, quand celui-ci ne concernait qu’une
minorité des élèves ayant obtenu un BEP (Beaud & Pialloux, 2001). Le changement que
constituerait la réforme de 2009 serait alors fondamentalement de généraliser ce
modèle : l’accès à la voie professionnelle deviendrait majoritairement une première
étape vers certaines formations post-baccalauréat.
23 Il faut toutefois prendre cette série de résultats avec prudence, notamment du fait du
moment particulier où l’enquête a été réalisée. Peu de temps après la rentrée scolaire,
cette enquête peut traduire à la fois une intériorisation des contraintes d’orientation,
une façon d’accroître l’estime de soi par l’internalisation du locus de contrôle, et en
même temps une première impression de découverte d’un monde scolaire moins
pénalisant que le collège, sans que les contraintes de la formation professionnelle
soient encore perçues. De même rien ne dit que les aspirations aux études supérieures
soient constantes sur l’ensemble du parcours de ces élèves. Les projets des jeunes ne se
construisent pas de manière linéaire, mais à travers un processus complexe n’excluant
pas les régressions et les reformulations. Ainsi un projet ambitieux peut-il se
comprendre dans un contexte de forte satisfaction lié à l’entrée dans l’enseignement
professionnel, mais peut également se transformer au fur et à mesure de l’expérience
vécue dans cette voie de formation, notamment à travers les déceptions sur le contenu
de la formation et les débouchés professionnels (Gonin-Bolo & Daverne, 2008).
24 Toujours est-il que ces résultats méritent d’être analysés, au vu des données fournies
par le questionnaire. On se propose ici de porter l’analyse sur les aspirations à la
poursuite d’études après le baccalauréat. Quels facteurs observables font varier cette
variable d’intérêt ? L’analyse est menée « toutes choses égales par ailleurs », afin
d’isoler les effets propres des caractéristiques repérées par l’enquête. La méthode
utilisée est celle d’une modélisation logistique binaire.

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25 Afin de contrôler l’hétérogénéité de l’échantillon, les variables prises en compte dans


les modèles ont été choisies de façon à traduire au mieux ses caractéristiques
démographiques, sociales et scolaires (sexe, âge, situation familiale, milieu social, lieu
de naissance des parents, redoublement en primaire, classe suivie l’année précédente).
Ce sont les variables dont la littérature montre qu’elles ont un effet sur les parcours
scolaires. Les indicateurs retenus sont le plus souvent binaires, pour disposer d’effectifs
suffisants permettant d’obtenir des résultats statistiquement significatifs, compte tenu
de la faible taille de l’échantillon. Concernant les indications de milieu social, on a
privilégié les données se rapportant aux mères (profession et niveau de diplôme), plus
complètes que celles se rapportant aux pères.
26 À ces variables caractérisant les individus interrogés, ont été ajoutées des variables se
rapportant à leur contexte scolaire : type de spécialité suivie en seconde
professionnelle (industrielle ou tertiaire), et degré d’attractivité de la spécialité de
formation choisie, à partir du ratio candidats/places par catégorie de formation (Grelet,
2005).
27 Enfin, deux variables se rapportant à la satisfaction vis-à-vis de l’orientation ont été
intégrées au modèle (souhait d’une autre orientation en début de seconde, et
satisfaction élevée quant à l’orientation).

Aspiration à la poursuite d’études et logiques d’action


des élèves
28 La variable « aspirations à la poursuite d’études après le baccalauréat » a été testée à
partir du modèle ci-dessus, sous la forme d’une régression logistique. La modélisation
explique 19 % de la variance. Elle permet de dresser le profil de ces élèves qui
envisagent de poursuivre après le baccalauréat (voir tableau).
29 Ce sont tout d’abord des élèves plutôt satisfaits de leur orientation. Une satisfaction
élevée augmente très fortement la probabilité d’envisager une poursuite d’études après
le bac. Ce résultat est intéressant dans la mesure où il permet d’interpréter cette
aspiration comme un prolongement d’une orientation assumée, plutôt que comme
compensation d’une orientation subie. Pour les lycéens professionnels, vouloir
poursuivre des études après le baccalauréat n’est pas tant une « revanche » qu’un
« accomplissement ».

Tableau 1

Probabilité de ne pas envisager une poursuite d’études après le baccalauréat

Signif. Exp(B)

Année de naissance ,939 1,016

Sexe (garçon) (réf. : fille) ,332 ,757

Spécialité (industrielle) (réf. : tertiaire) ,623 ,865

Situation de famille des parents (en couple) (réf. : autres situations familiales) ,188 1,387

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Lieu de naissance de la mère (en France) (réf. : à l’étranger) ,007 2,289

Situation professionnelle de la mère (en emploi) (réf. : sans emploi) ,003 ,451

Classe de l’an dernier (référence : 2nd cycle) ,000

Classe de l’an dernier (troisième générale) ,042 2,512

Classe de l’an dernier (troisième spécifique) ,000 6,187

Redoublement en primaire (réf. : pas de redoublement en primaire) ,250 1,410

Un parent cadre (réf. : pas de parent cadre) ,650 1,126

Attractivité de la spécialité (candidats/places) ,249 ,699

Satisfaction (très satisfait) (réf. : autres réponses) ,002 ,430

Autre orientation souhaitée (réf. : pas d’autre orientation souhaitée) ,525 1,186

30 Notes. R2 de Nagelkerke : 0,192.


31 Lecture : exp(B) est l’odd ratio de la modalité indiquée par rapport à la modalité de
référence. Les effets significatifs sont en gras (seuil de risque inférieur à 0,05), les effets
faiblement significatifs en italique (seuil de risque compris entre 0,05 et 0,1). Les autres
effets ne sont pas significatifs. Un odd ratio exprime l’effet de chaque modalité d’une
variable indépendante par rapport à une modalité de référence sur la modalité choisie
de la variable dépendante (ici le fait de ne pas envisager de poursuivre des études après
le bac), toutes choses égales par ailleurs. Quand il vaut 1, l’effet est nul, il est significatif
quand l’odd ratio s’éloigne de 1, soit dans le sens d’un effet positif de la modalité quand
il est supérieur à 1, soit dans le sens d’un effet négatif quand il est inférieur à 1. Par
exemple, le fait d’avoir une mère née en France a un impact positif sur la probabilité de
ne pas souhaiter poursuivre des études après le bac. Inversement, le fait d’être très
satisfait de son orientation a un effet négatif sur la probabilité de ne pas souhaiter
poursuivre des études après le bac.
Table 1
Likelihood of not pursuing studies after the baccalauréat

32 On reviendra plus bas sur ce résultat, au vu des entretiens réalisés, mais on peut déjà
dire que ce résultat conforte plutôt la prééminence d’une logique d’action fondée sur la
convention professionnelle : la poursuite d’études post-secondaires semble être le
prolongement d’une orientation professionnelle pleinement assumée, et de ce fait
source de satisfaction.
33 L’origine nationale a un effet important sur l’aspiration à la poursuite d’études : avoir
une mère née à l’étranger augmente très sensiblement l’aspiration à des études post-
baccalauréat. Ce résultat est congruent avec les travaux déjà réalisés sur les aspirations
aux études des enfants d’immigrés, plus ambitieuses que celles des enfants d’origine
française (Vallet & Caille, 2000).
34 Toutes choses égales par ailleurs, la situation d’emploi de la mère a également un effet
très significatif (odd ratio de 2,2). On peut voir là l’effet de sécurisation sur l’avenir

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qu’implique pour le jeune le fait d’avoir une mère exerçant effectivement un emploi. La
logique d’action de l’élève s’appuie donc également sur une appréciation des ressources
disponibles, et sur lesquelles on peut compter dans une perspective d’investissement en
formation.
35 La classe suivie l’année précédente a un effet très significatif sur les perspectives des
élèves : les aspirations aux études supérieures sont considérablement augmentées pour
les élèves ayant déjà connu un début de second cycle, par rapport à ceux provenant de
troisième spécifique. C’est également un indicateur de l’hétérogénéité scolaire du
public de l’enseignement professionnel. Les élèves issus des troisièmes spécifiques (le
plus souvent 3e SEGPA) sont par ailleurs les plus en difficulté scolairement. À l’inverse,
les élèves ayant eu une expérience du second cycle général et technologique ont été
évalués par leurs enseignants de collège comme capables de suivre un enseignement
plus académique. Leur échec dans cette voie peut provenir de malentendus cognitifs,
ou de rejet de la forme scolaire, en tout état de cause, ils ne sont pas dans la même
perspective que la première catégorie : une poursuite d’études est de leur point de vue
clairement envisageable, à condition qu’elle s’inscrive dans un autre cadre que celui de
l’enseignement général, comme on le verra plus bas à travers l’analyse des entretiens.
36 Enfin, toutes choses égales par ailleurs, le milieu socioprofessionnel ne semble pas
jouer un grand rôle. On peut voir ce résultat comme le signe d’une généralisation des
aspirations aux études supérieures dans tous les milieux sociaux (Poullaouec, 2010).
37 Les entretiens réalisés auprès des élèves apportent une information plus riche sur les
stratégies mises en place par les élèves quant à la poursuite des études supérieures. Ils
visent également à appréhender la dynamique des parcours, puisqu’ils ont été réalisés à
la fin de la première année de seconde, et à la fin de la classe de première.
38 Ils montrent d’abord la forte incertitude sur cette poursuite d’études pour une partie
de l’échantillon :
« Ben je sais pas vraiment si je continue ou si je travaille, je sais vraiment pas, bon
j’ai encore deux ans donc j’ai le temps de réfléchir quand même. » (Léonard)
« Après mon bac je ne sais pas encore, y’a peut-être une possibilité de mention
complémentaire, je ne sais pas encore. » (Estelle)
39 Cette incertitude s’inscrit dans des stratégies complexes, changeantes, adaptées au fur
et à mesure du parcours. Les parcours décrits sont souvent caractérisés par la
discontinuité qu’on retrouve dans nombre de parcours scolaires des élèves aujourd’hui
(Boudesseul & Grelet, 2008). Il est remarquable toutefois que peu d’élèves expriment
une réticence à poursuivre des études, alors que leurs parcours scolaires antérieurs ont
tous été marqués, à des degrés divers, par la difficulté scolaire. Une réticence avouée
peut du reste être tempérée par des attentes en matière de formation en alternance :
« Les études c’est pas trop mon truc (...) faut que je trouve un truc qui me plaise
pour que je sois motivé après. Et puis à faire en alternance parce que sinon je pense
que je pourrais pas. » (César)
40 Les entretiens montrent ensuite la diversité des attentes quant à la poursuite d’études.
Celle-ci peut en effet être perçue par l’élève comme un prolongement de
l’enseignement professionnel reçu en lycée, permettant d’échapper au premier niveau
de qualification que représente dorénavant le baccalauréat, voire dans une perspective
d’installation comme indépendant :

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« Ah non, même là, je pense plutôt m’arrêter à la fin du BTS. (...) Oui, plus y’a
d’études mieux c’est après et puis après il y a aussi la pratique qui entre en compte
mais, faut quand même un bon niveau d’étude pour diriger, ça aide. » (Pascal)
Dans ce premier cas de figure, la poursuite d’études post baccalauréat s’inscrit dans un
projet professionnel relativement clair, nourri par des représentations du métier déjà
en partie intégrées dans le projet du jeune. Par exemple pour Pascal, déjà cité :
« Mais après mon but c’est un jour ouvrir mon hôtel à moi, enfin mon hôtel
restaurant (...). » (Pascal)
41 Le projet d’études supérieures est alors explicitement une voie de promotion sociale,
permettant de sortir du monde ouvrier :
« Ah oui, oui, j’ai envie de poursuivre. Je reste optimiste sur ça (...) j’irai jusqu’au
bout quand même. Ça qualifiera vraiment au moins et j’irai jusqu’au bout. Je vais
pas arrêter tout de suite, je veux aller jusqu’au bout. (...) Et puis plus tard peut-être
monter carrément une boite (...) Je pense qu’on peut continuer, avec un bac pro, je
pense qu’on peut arriver à être un bon ouvrier mais peut-être pas monter sa boite
donc... (...) faut que je vois si à la fin des trois ans, si je suis vraiment motivé, ça
dépendra de ma motivation, si j’ai vraiment envie je montrais ma boite. » (Jimmy)
42 Une façon toute différente de concevoir la poursuite d’études est celle qui place le
baccalauréat comme un point d’accès à une nouvelle situation de choix d’orientation :
« Ben je pense qu’après le bac pro je vais faire un BTS, j’hésite entre assurance et
banque ou chef de rayon. » (Armelle)
« Ben voilà, je trouve que le bac pro c’est juste, faut toujours voir loin (...) Je me vois
faire un BTS, je sais pas encore dans quoi, on a encore le temps de réfléchir mais
oui, je me vois faire un BTS. » (Vanessa)
43 Dans ce cas, le projet professionnel n’est pas encore clairement défini. Pour Armelle par
exemple, il balance encore entre le commerce et une carrière militaire. La poursuite
d’études visée est alors définie essentiellement par le niveau :
« Et pourquoi du coup faire un BTS assurance ?
Pour entrer comme officier faut avoir un bac +3. Mais avant de partir je voudrais
travailler un peu 4, 5 ans pour mettre de l’argent de côté pour quand je rentre qu’ils
voient que j’ai de l’expérience en entreprise.
Pour tout de suite être officier, donc bac +3. Avec un BTS vous avez un bac +2.
Plus faire quelque chose...
Une licence pro ?
Je sais pas du tout. » (Armelle)
44 Ce type de justification est donné par les élèves qui ont connu les parcours scolaires
antérieurs les moins difficiles, sans redoublement au primaire ou en collège. Toutefois,
cette référence au niveau (plus qu’à la qualification) se retrouve dans plusieurs
justifications des élèves, même quand il s’agit de poursuite d’études dans la même
spécialité qu’au lycée. L’accès à un même niveau de diplôme (le baccalauréat) renforce
par ailleurs le sentiment d’égale dignité entre les diplômes :
« Alors le bac pro, on est tous égaux, on a tous le même parcours, on va tous avoir le
bac à la même année et après on pourra faire les mêmes études après. » (Armelle)
45 On a donc finalement deux types de logiques pour les élèves déclarant vouloir faire des
études supérieures : une logique de qualification, qui vise à renforcer la
professionnalité acquise au lycée (d’où la référence par exemple aux mentions
complémentaires comme type d’études post baccalauréat), et une logique de niveau
scolaire, permettant d’avoir plus de choix d’orientation. La première revient plus
fréquemment dans les entretiens. On peut donc considérer que les élèves s’appuient sur
des justifications d’abord professionnelles (la qualification supplémentaire donnée par

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la mention complémentaire ou le BTS) et, dans une moindre mesure, universalistes


(l’augmentation de l’éventail de choix donnée par le niveau bac).
46 Les entretiens réalisés la deuxième année du parcours (les élèves sont alors en
première professionnelle) confirment tout en nuançant ces premiers résultats.
47 Les aspirations aux poursuites d’études supérieures s’émoussent : plus qu’en seconde,
s’exprime la volonté d’entrer rapidement sur le marché du travail pour accéder à
l’indépendance, y compris en s’opposant au désir des parents ou des enseignants. On
retrouve ici le difficile rapport à l’école constitutif de l’expérience de nombreux lycéens
professionnels, et l’affirmation du projet de vie contre l’univers scolaire. Ainsi Flavie et
Mouloud :
« Parce que je me vois pas continuer, moi je veux travailler, commencer à faire ma
vie, penser à partir de chez papa, maman, non je me vois pas continuer mes études
non.
Et les profs, ils ne vous incitent pas à poursuivre ?
Au début je voulais me renseigner pour partir en apprentissage et ma prof d’éco
droit m’a dit qu’il valait mieux que je fasse un apprentissage en BTS parce que
j’avais le niveau d’aller en BTS mais non, j’ai pas envie d’y aller non. » (Flavie)
« Oui donc du coup vous n’envisagez pas de poursuivre après le bac ?
Non.
(...)
Ok, le fait que vous ayez choisi de faire un bac pro en lycée professionnel avec vos
parents, vous en avez discutez comment ils voyaient ça eux ?
Eux ils voulaient que je fasse un bac pro et après voire pour continuer plus tard.
Pour le salaire. Même encore, ils me disent de continuer après, mais j’en ai marre. »
(Mouloud)
48 Après près de deux années d’expérience scolaire en voie professionnelle, certains
élèves expriment également une forte déception quant à la voie choisie, et ont le
sentiment de se retrouver dans une impasse, par exemple après les premières
expériences de stage :
« (...) Ce qui est sûr c’est que je ne ferais sûrement pas serveur en gastronomie
parce que c’est trop dur. Nerveusement c’est trop dur. Parce qu’il y a vraiment eu
des moments où j’étais à bout tout simplement, y’a vraiment eu des moments où à
force des remarques, y’a des moments où j’étais au bord des larmes, des moments
où j’étais au bord de la crise de nerfs. » (Mickael)
49 Enfin la logique de niveau n’est plus convoquée que pour justifier le renoncement aux
études supérieures, perçues comme réservées à une élite définie par son niveau
scolaire.
« Et éventuellement poursuivre vos études en BTS ?
– Non pas du tout.
– Moi non plus. Y’en a je sais dans la classe qui veulent poursuivre en BTS parce
qu’ils ont le niveau aussi.
– Y’en a pas beaucoup. Sur une trentaine, y’en a que 5 même pas. » (Fanny et
Marion)
50 Pourtant, sur les 16 jeunes interviewés en classe de première, la moitié exprime des
projets de poursuite d’études après le baccalauréat. Ils se situent tous dans une logique
de qualification, au sens défini plus haut, parfois avec un projet professionnel très
précis, sur lequel l’élève a rassemblé informations et contacts. L’affirmation de la
logique professionnelle de la formation s’inscrit éventuellement en opposition avec la
norme de l’enseignement général, comme ici avec Fabien, qui utilise dans cet extrait la

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critique classiquement adressée à la convention académique, l’absence des débouchés


des formations générales :
« J’ai choisi cette filière là parce que j’ai un projet après et j’ai besoin de ces études
là.
Et c’est quoi le projet ?
Rentrer dans la maintenance des attractions à Disneyland ou un parc d’attractions
comme ça.
(...) Donc BTS en alternance ?
Oui BTS électrotechnique. Et après si ça me plaît vraiment pourquoi pas continuer.
Ça dépendra mais pour moi le BTS c’est un minimum.
Pourquoi ?
Parce qu’après pour gravir les échelons on va dire que c’est plus facile avec un BTS
qu’avec un bac pro, avec les temps qui courent, un employeur préférera prendre un
BTS plutôt qu’un bac pro.
C’est ce qu’ils vous ont dit quand vous avez fait votre stage ?
Oui, moi ils m’ont dit, un bac pro ça le gène pas mais un BTS c’est mieux.
(...)
Et puis des fois ça me fait bien rire des fois le bac général, parce que nous on se fait
prendre pour des branquignoles parce qu’on est en professionnel mais ceux qui
ressortent du bac général, ils ont pas de boulot donc voilà. »
51 Mais le résultat le plus marquant de cette campagne d’entretiens est la disparition des
aspirations de poursuite d’études dans une logique de niveau, où le baccalauréat serait
d’abord perçu comme un moyen d’ouvrir les possibilités de choix d’études post-
secondaires. Alors que quelques élèves concevaient leur parcours en voie
professionnelle de cette manière quand nous les avions interviewés en classe de
seconde, tous ceux qui, en première, envisagent une poursuite d’études après le
baccalauréat, la voient comme une façon d’augmenter le niveau de qualification dans
une spécialité déjà choisie. Cette logique d’action correspond donc à un renforcement
de la convention professionnelle et de sa légitimité propre. Deux remarques sont
cependant à prendre en compte. Tout d’abord cette orientation assumée vers une
qualification professionnelle ne concerne qu’une partie des élèves seulement, comme
on vient de le voir. Une part importante du public des filières professionnelles reste
non seulement dans un rapport difficile avec la formation scolaire, mais également
peine à donner sens à son orientation professionnelle. Par ailleurs, il est important de
prendre en compte les interactions entre élèves et enseignants dans la construction de
cette convention professionnelle, ce qui nous amène à quelques réflexions finales sur la
réception de la réforme par les professionnels qui la mettent en œuvre.
52 Les enseignants interrogés ont une position plus ambiguë vis-à-vis de la réforme. À la
différence des élèves qui ne peuvent évaluer le cursus par rapport à ce qui existait
avant, ils se réfèrent fréquemment à l’ancienne architecture des formations
professionnelles, BEP puis baccalauréat professionnel. Cette posture a été par ailleurs
parfois cristallisée par la participation au vaste mouvement d’opposition à la réforme
au sein des établissements professionnels pendant l’année scolaire 2008-2009.
53 Les professeurs de l’enseignement professionnel définissent spontanément leurs élèves
comme étant en difficulté scolaire, et leur activité d’enseignant comme une forme de
remédiation à cette difficulté. Le thème de la remise en confiance d’élèves stigmatisés
est récurrent dans les entretiens :
« Ils arrivent souvent de troisième, ils sont souvent démotivés par rapport à
l’enseignement général, ensuite avec l’enseignement professionnel, ils se disent que

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finalement, ils ont quand même des compétences. » (femme, 40 ans, professeur de
vente).
54 Tout en se situant comme une alternative à la formation académique, les références au
niveau scolaire sont omniprésentes dans les entretiens, ce qui est source d’inquiétude
pour la réussite des élèves. En s’appuyant sur cette catégorisation des élèves en
fonction du niveau, la perspective de la réforme est souvent décrite dans les termes de
la baisse du niveau, ce qui amène un rapprochement inattendu avec les autres filières
du second cycle :
« Je pense que ça va être loin d’être favorable aux élèves, que ça va pas être
suffisant et que comme pour les bacs généraux, on va baisser le niveau. » (femme,
42 ans, professeur de cosmétologie).
55 Les références au monde professionnel sont dans les discours relativement séparées de
celles de la formation. Elles portent sur les stages, les besoins des entreprises et la
reconnaissance des qualifications. Les besoins des entreprises sont perçus avec une
certaine incertitude, variables parce que liés à la conjoncture, ou parce que les
enseignants ne sont pas sûrs de la reconnaissance du diplôme préparé. Cette
incertitude semble particulièrement forte pour la réception des futurs bacheliers trois
ans.
56 Au total, les enseignants interrogés se montrent très prudents sur la valorisation
qu’implique la réforme pour la voie professionnelle. En tous cas, elle est rarement
décrite sur le registre de la convention professionnelle, c’est-à-dire comme valorisation
dans le monde du travail de la formation et des titres que le lycée professionnel délivre.
À cet égard, ils rappellent ce que les premiers travaux sur les effets sociétaux avaient
montré : la place de la formation professionnelle dans une société donnée ne peut
s’appréhender qu’au regard de l’ensemble des institutions de régulation du rapport
salarial, de l’organisation de la production aux règles salariales, en passant par les
formes de règlement des conflits du travail (Maurice, Sellier & Silvestre, 1982).

Conclusion
57 Les résultats obtenus par l’enquête par questionnaire et par les entretiens valident
plutôt l’hypothèse d’un renforcement de la convention professionnelle, du point de vue
des élèves et de leurs familles, comme voie d’accès légitime et attractive à la
qualification. Du côté d’une partie des élèves, il semble que la réforme soit bien perçue
comme une valorisation de la filière professionnelle, en tant que filière qualifiante,
valorisation qui inclut la possibilité d’aller plus loin dans les études, mais
essentiellement dans le domaine professionnel initialement choisi. Par contre, elle ne
semble pas perçue comme un rapprochement avec les filières générales et
technologiques au sens de l’ouverture des choix post-baccalauréat.
58 Ce résultat mériterait d’être mis en perspective avec une analyse plus approfondie du
même type de la réception de la réforme par les autres acteurs du système éducatif (les
enseignants, les chefs d’établissements), mais aussi les employeurs, les acteurs du
système éducatif des autres voies de formation (générale, ou à l’opposé professionnelle
par alternance), etc. Nous avons vu en effet que les enseignants interrogés dans notre
enquête montrent une certaine inquiétude sur le succès de leurs élèves dans cette
nouvelle configuration, inquiétude formulée sur le registre du niveau scolaire, donc
plutôt dans les catégories de la convention académique. Quant à celles de la convention

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professionnelle (alternance en entreprise, reconnaissance professionnelle du diplôme,


qualification associée à la formation), elles sont perçues par ces enseignants comme
incertaines et fluctuantes, inscrites dans un monde professionnel sur lequel ils ont peu
de prise.
59 Enfin, il est très important de souligner que les données mobilisées dans cette étude
excluent une partie des élèves de l’enseignement professionnel, ceux qui entrent dans
les formations courtes, de type CAP. Pour ceux-ci, le niveau de sortie envisagé est le
« niveau V », comme pour les anciens BEP. Or il est possible que cette voie d’orientation
reproduise en partie le clivage académique entre élèves sortant rapidement du système
éducatif, et élèves « méritants » poursuivant jusqu’au baccalauréat. Il est ainsi plausible
qu’une partie du public « échappe » à la réforme.
60 Enfin, ce qui a été repéré dans les données collectées, ce sont des attentes dans le cadre
d’un parcours. Celui-ci est loin d’être complètement déterminé par les choix des élèves.
Le jugement des compétences scolaires risque de remettre en cause une grande partie
de ces aspirations.

BIBLIOGRAPHIE
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recherche en sciences sociales, vol. 114, 21-29.

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organisées par le CEREQ, Lille.

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des régimes d’action publique et des modèles nationaux en évolution. Sociologie et sociétés, 40(1),
195-225.

ANNEXES
Annexe
Guide d’entretien – Élèves
Quelques précisions sur les conditions des entretiens :
Les entretiens ont été réalisés dans les établissements scolaires, en face-à-face entre un
membre de l’équipe et l’élève interrogé. Les élèves ont été sélectionnés à partir des
réponses données à la consigne ci-dessous, figurant en fin de questionnaire, et avec le
souci de constituer un échantillon diversifié tant en termes de caractéristiques des
élèves (genre, spécialité, etc.) que de leurs projets.
À la suite de ce questionnaire, des entretiens plus approfondis seront réalisés.

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Pour cela, nous souhaiterions pouvoir contacter certains d’entre vous.


Si vous êtes d’accord, merci d’indiquer votre numéro de téléphone dans la case ci-dessous.
1. Présenter la recherche
Rappel :
– Cette recherche porte sur le parcours scolaires des élèves de baccalauréat
professionnel.
– C’est une vision personnelle qui nous intéresse le plus.
– Tous les entretiens réalisés seront anonymés dans les rapports et écrits divers
auxquels elle donnera lieu.
2. Parcours scolaire et formation culturelle / professionnelle (passé)
– Au long terme (options, redoublements, lieux de scolarisation, niveau scolaire...).
– Rapport au savoir et aux enseignants.
– Sources d’influence sur le scolaire (milieu familial élargi : fratrie, oncles, tantes,
cousins... + investissement et contrôle parental, rencontres, petits boulots, groupes de
pairs, enseignants, conseiller d’orientation...).
– Choix et place des loisirs.
– Activité salariée, stages en entreprise.
– Parcours des frères et sœurs.
3. Le « choix » du BP3
– Source de l’information sur l’existence d’un BP3.
– Quelles représentations avais-tu de ce BP3 ?
– Pourquoi as-tu choisi ce type d’orientation (choix par défaut) ? Qu’en attends-tu
(notamment par rapport à un métier) ? Et pourquoi ne t’es-tu pas orienté vers
l’apprentissage ?
– Sources d’influence sur l’inscription en BP3 (milieu familial élargi, groupes de pairs,
enseignants, conseiller d’orientation, directeur de l’établissement...).
4. Le BP3 (présent)
– Es-tu satisfait de ta formation actuelle ? Pourquoi ?
– Rythme de la formation + emploi du temps.
– Contenus d’enseignement (intérêt, ennui, forces et faiblesses...).
– Investissement personnel, mobilisation.
– Notes, devoirs (difficultés rencontrées, faiblesses et forces).
– Stages (intérêt, déceptions...).
– Tu vas avoir un diplôme au bout de 2 ans : qu’en penses-tu ?
– Relation aux enseignants (méthodes de travail, suivi des devoirs, explications,
remédiations des difficultés, intérêt commun, challenge, aide, écoute, soutien) + Que
disent tes enseignants sur le BP3 ?

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– Relation aux élèves + ambiance de la classe.


– Craintes.
– Alternatives en cas d’échec, solutions de repli.
4. Projection à plus long terme, ambitions, attentes (futur)
– Projet professionnel ? Et pour en arriver là, comment ça va se passer (notamment en
terme de formation post-bac) ?
– Représentation du métier envisagé.
– Que cherches-tu ? (argent, statut social, plaisir, autonomie, rapport aux autres).
– Comment t’imagines-tu dans 5 ans ? Dans 15 ans ? (vie sociale, mariage, loisirs,
enfants, vacances...).
– Sources d’influence sur le projet professionnel (milieu familial élargi, rencontres,
stages en entreprise, groupes de pairs, enseignants...).
– Avant d’arriver en BP3, quelle vision de l’avenir avais-tu ? Te semble-t-elle différente
de celle que tu viens de me décrire ?
5. Finalement, que penses-tu du BP3 ?
6. Talon sociologique
– Âge.
– Sexe.
– Lieu de résidence.
– Classe actuelle, établissement.
– PCS père.
– PCS mère.
– Fratrie (taille, formation/profession).

NOTES
1. Cette étude s’inscrit dans le cadre plus vaste d’une recherche qui porte également sur les
enseignants, les chefs d’établissement et des responsables régionaux de la politique éducative en
matière d’enseignement professionnel. Recherche intitulée « L’enseignement professionnel à
l’épreuve du baccalauréat professionnel en trois ans », 2009-2013 ; financement : centre Henri
Aigueperse et DEPP ; responsable scientifique : Vincent Troger, e.g. Bernard, Delavaud & Troger
(2011).
2. Ces poursuites d’études sont majoritairement dans l’enseignement supérieur, en
établissements (lycée, universités) ou en alternance (contrats d’apprentissages), mais concernent
également des formations « non supérieures », du type « mention complémentaire ».
3. 59 % de l’ensemble de l’échantillon : les non-réponses n’ont pas été enlevées du dénominateur,
d’une part parce qu’elles sont nombreuses (11 %), d’autre part parce qu’elles peuvent traduire
une véritable modalité de

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RÉSUMÉS
La réforme du baccalauréat professionnel, en alignant la durée du second cycle professionnel sur
le second cycle général et technologique transforme profondément l’architecture de la formation
secondaire en France. Une enquête réalisée auprès d’un échantillon d’élèves permet de donner
une première série d’indications sur la perception qu’ont les lycéens professionnels de cette
réforme. Les résultats bruts font notamment apparaitre une satisfaction élevée, et une forte
aspiration à la poursuite des études supérieures. Ce dernier résultat tendrait à valider
l’hypothèse du renforcement de la convention professionnelle du point de vue des élèves et de
leurs familles.

The vocational high school diploma reform transforms the structure of secondary school in
France. A survey carried out with a students' sample from vocational high schools indicates the
students' perceptions of this reform. The gross outcomes show a high satisfaction, and a strong
aspiration for pursuing higher education. This last result tends to validate the hypothesis of
increased professional convention, according to the point of view of the students and their
families.

INDEX
Mots-clés : enseignement professionnel, lycée professionnel, parcours scolaire, logique d’action,
convention
Keywords : Vocational education, vocational high school, school pathway, logic of action,
convention

AUTEURS
PIERRE-YVES BERNARD
Est maître de conférences, Centre de Recherche en Education de Nantes, Université de Nantes -
Thèmes de recherche : politiques éducatives, insertion professionnelle des jeunes, décrochage
scolaire – Contact : département de sciences de l’éducation, Chemin de la Censive-du-Tertre, BP
81227, 44312 Nantes cedex 3 – Courriel : pierre-yves.bernard@univ-nantes.fr

VINCENT TROGER
Est maître de conférences, Centre de Recherche en Éducation de Nantes, Université de Nantes -
Thèmes de recherche : histoire et sociologie des enseignements technique et professionnel,
politiques éducatives, formation professionnelle – Contact : 41 rue Préfet Bonnefoy, 44000,
Nantes – Courriel : vincent.troger@univ-nantes.fr

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Analyses bibliographiques

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100

J. Clanet (dir.) Orientation scolaire et


discrimination. Recherche/formation
des enseignants. Quelles articulations ?
Rennes : Presses Universitaires.

Joëlle Mezza

RÉFÉRENCE
Rennes : Presses Universitaires.

1 Comme son titre l’indique, cet ouvrage interroge, à travers douze contributions
d’origine internationale, l’articulation entre la recherche en sciences de l’éducation et
didactique des disciplines, et la formation des enseignants. Dans un contexte
d’universitarisation de cette dernière, les auteurs questionnent les liens entre théories
et pratiques d’enseignement ainsi que la façon dont chercheurs et praticiens peuvent
collaborer. Les articles proposés apportent une pluralité d’éclairages à cette
problématique : certains l’abordent de façon générique tant du point de vue de la
formation initiale que de la formation continue des personnels concernés ; d’autres
textes présentent des dispositifs d’études et ouvrent la réflexion sur des champs
disciplinaires spécifiques. Ils éclairent tantôt des approches didactiques portant sur les
contenus disciplinaires, tantôt des approches concernant l’organisation des pratiques
pédagogiques elles-mêmes.
2 Ces contributions présentent des points communs. Beaucoup soulignent l’importance
d’indexer les recherches aux préoccupations concrètes des enseignants afin de
favoriser un renouvellement des situations pédagogiques et d’être sources
d’innovation. Pourtant cet objectif semble difficile à réaliser, tant les savoirs issus de la
recherche en éducation restent fragiles et leur impact sur les pratiques d’enseignement
opaque.

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101

3 Des questions transversales parcourent la pluralité des approches présentées :


comment la théorie peut- elle être un point d’appui à l’intelligibilité des situations
rencontrées en classe avec les élèves ? Quels outils méthodologiques permettent-ils
d’instrumenter la réflexion des enseignants et faciliter l’analyse de leur action ?
Comment la logique du chercheur, en quête de nouveaux savoirs, et celle du
pédagogue, soucieux de résoudre des questions de terrain, peuvent-elles se
rencontrer ? Les pratiques déclarées correspondent-elles aux pratiques observées et
quels liens entretiennent-elles avec les pratiques conçues a priori ? Comment la
recherche peut- elle à la fois répondre à des commandes institutionnelles, en vue par
exemple d’accompagner la réforme de programmes disciplinaires, et préserver son
objectivité en restant à distance des enjeux sociaux ?
4 Les auteurs apportent quelques réponses à ces problématiques. Un premier ensemble
d’articles montre que la recherche apparaît comme un moyen de professionnaliser les
enseignants débutants à travers l’analyse de pratique et la rédaction de mémoires
professionnels. En fournissant des grilles de lecture conceptuelles pour décrypter les
situations d’enseignement, l’analyse de pratiques favorise le développement d’une
pratique réflexive. Elle participe ainsi du processus de professionnalisation des
enseignants et de la construction de leur identité professionnelle. Ce dispositif réflexif
vaut aussi pour les enseignants expérimentés, les conduisant à interroger leurs choix
pédagogiques, et de façon générale, les allants de soi dans lesquels ils sont installés. Un
exemple d’analyse de l’activité des enseignants par des méthodologies issues de
l’analyse du travail comme l’entretien en autoconfrontation croisée, nous est présentée
à la fois en tant qu’outil de recherche, d’analyse et de formation pour les
professionnels, mettant en jeu une visée compréhensive et transformative des
situations dans la classe. Les démarches scientifiques mises en place par les chercheurs
visent à décrire et analyser les pratiques effectives en considération des contraintes
inhérentes à l’exercice du métier. Elles ont pour objectif de comprendre comment
s’enseigne une discipline donnée et comment les innovations se diffusent dans le
système éducatif. En cela, elles ont des retombées sur les situations de formations des
professeurs eux-mêmes, provoquant une réflexion sur les axes stratégiques à
développer à leur égard. La question du curriculum des instituts de formation reste
entière.
5 Cependant si la formation apparaît comme un moyen de diffusion des savoirs
nécessaires pour enseigner, elle ne s’avère pas suffisante pour modifier profondément
les pratiques de classe car la complexité de l’activité enseignante est sous-estimée. Les
auteurs tentent d’apporter des réponses à cette problématique de fond par des
exemples concrets d’études réalisées sur le terrain auprès des enseignants : pratiques
d’évaluation des élèves en Education Physique et Sportive, évaluation formative à
l’école primaire, pratiques pédagogiques en zone d’éducation prioritaire, « Système
National d’appui » à l’accompagnement à l’innovation dans l’enseignement technique
agricole. Toujours en appui sur des recherches de terrain, un article propose une
réflexion sur ce que pourrait être la coopération entre professeurs et chercheurs, et sur
la manière de dépasser le hiatus entre les logiques apparemment opposées qui guident
leur action respective : logique actionnelle et pratique d’une part et logique centrée sur
la théorie d’autre part. Un autre illustre cette collaboration à propos de la façon dont
s’organise la pratique enseignante dans une tâche d’apprentissage de la lecture en
Cours Préparatoire, à partir d’observations instrumentées en classe. Les observations

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réalisées permettent d’appréhender des savoir-faire construits par les enseignants


difficilement repérables. Elles donnent ainsi à voir des dimensions peu accessibles de
leur action, enrichissant ainsi leur potentiel réflexif en action. Deux contributions
posent le problème de la désaffection des élèves du second degré pour les
mathématiques et les sciences en général : comment créer des situations pédagogiques
dans l’enseignement des mathématiques et des sciences qui motivent les élèves c’est-à-
dire qui fassent sens pour eux, de façon à susciter leur engagement dans les
apprentissages ? Les auteurs font appel à la didactique, à la psychologie de la
motivation et au concept de rapport au savoir pour relever ce défi. Leurs
préconisations vont dans le sens d’un transfert entre des résultats de la recherche vers
la pratique en tenant compte des contraintes situationnelles des classes.
6 Ces études font écho aux préoccupations des praticiens ou répondent à des demandes
institutionnelles. Dans ce cas, elles ne sont pas toujours exemptes d’une dimension
politique qui peut être antagoniste avec la visée de production de connaissances qui
incombe à la recherche.
7 Cet ouvrage, par la richesse des regards croisés qu’il propose, fait un état des lieux
documenté de la réflexion sur la question de la légitimité des savoirs de la recherche
souvent mis en concurrence avec les savoirs pragmatiques nécessaires aux acteurs de
terrain. Si le rapport entre savoir théorique et développement des compétences
professionnelles reste à éclaircir, le premier favorise des processus d’autorégulation et
de soutien du côté des enseignants, mais doit se prémunir de toute visée prescriptive de
l’action. L’intérêt de ce livre réside également dans le fait que ces réflexions font écho à
d’autres situations de formation de professionnels et sont donc transférables à d’autres
champs d’articulation théorie-pratique.

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P. Willis. L’école des ouvriers. Comment


les enfants d’ouvriers obtiennent des
boulots d’ouvriers.
Marseille : Agone.

Corinne Pelta

RÉFÉRENCE
Marseille : Agone.

1 Paru pour la première fois en Grande Bretagne en 1977, sous le titre Learning to Labour :
How working-class kids get working-class jobs, l’ouvrage phare de Paul Willis a dû attendre
2011 pour sa parution en langue française. L’édition française s’enrichit d’une préface,
d’une postface ainsi que d’une interview récente de l’auteur que l’on doit à la
contribution de Sylvain Laurens et Julian Mischi.
2 Sociologue et ethnographe, Paul Willis est un représentant du courant des cultural
studies, mouvement fondé en 1964 par Richard Hoggart aux fins d’étudier la culture
populaire, qui deviendra au début des soixante-dix, avec Stuart Hall et quelques autres,
le fer de lance d’une sociologie fortement ancrée dans la théorie marxiste.
3 « Pourquoi les enfants d’ouvriers obtiennent-ils des boulots d’ouvriers ? » est le
leitmotiv de cette recherche qui s’attache à analyser les phénomènes de reproduction
des inégalités sociales, à en comprendre les ressorts. Si la question paraît classique, les
choix méthodologiques de Paul Willis et les découvertes qui en résultent font de cette
étude une contribution originale majeure. Il s’agit pour Paul Willis de produire une
réflexion qui intègre le vécu subjectif de la classe sociale ouvrière, proposant ainsi,
pour reprendre sa métaphore, un éclairage « par en bas ». Pour ce faire, Paul Willis s’est
immergé dans le quotidien ordinaire d’un groupe de jeunes collégiens, fils d’ouvriers, à
la veille de leur passage dans le monde professionnel. La recherche est menée in situ,
dans un établissement scolaire d’une cité ouvrière des Midlands, région alors

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hautement industrialisée qui est également le berceau de la famille Willis : il consacra


plus de 18 mois à des échanges avec ces jeunes et leur entourage éducatif et familial.
4 De fait, l’étude met en lumière un facteur jusque-là ignoré des mécanismes de
reproduction des inégalités sociales : la participation active et intentionnelle du sujet
lui-même au phénomène. L’étude montre l’émergence, vers la fin du cycle du
secondaire, d’un petit groupe d’élèves qui se désignent eux-mêmes comme la bande
« des gars » et se démarquent par une opposition systématique à l’autorité. On
découvre, derrière ce que les enseignants ont coutume de dénoncer comme des
attitudes déviantes, perturbatrices, voire irrationnelles, un système organisé de valeurs
et de conduites, autrement dit une véritable culture, vivante et créative. Référée à un
premier niveau au groupe informel que constituent les « gars », cette culture – que Paul
Willis nomme « culture anti-école » – doit l’être, plus largement, à la classe ouvrière,
dont elle est un rejeton.
5 Ce rejet du modèle dominant qui emprunte les chemins de la transgression, de la
dérision, qui affirme haut et fort la supériorité des attributs physiques et virils sur la
vie intellectuelle, et le primat du plaisir immédiat sur la promesse d’un avenir meilleur,
sonne comme un désaveu des discours officiels : « les gars » ont bien compris que
l’institution scolaire n’est pas l’ascenseur social qu’elle prétend être ; elle n’est au
mieux qu’une solution individuelle qui n’est pas généralisable à une classe entière.
6 Pourquoi alors, s’interroge Paul Willis, les choses en restent-elles là ? Qu’est-ce qui
empêche que, d’une critique sociale aiguisée, émergent les moyens d’une lutte
collective qui viserait le changement ? Comment comprendre que désillusion et
aveuglement coexistent si bien ? Car avant longtemps, ceux qui revendiquaient leur
clairvoyance et qui se pensaient affranchis des fausses promesses, se voient piégés par
les règles du système, de même que leurs pères le furent avant eux.
7 Et c’est là, pourrions-nous dire, que tout bascule avec la mise en perspective par Paul
Willis des failles internes à la culture anti-école et ouvrière qu’il repère comme des
facteurs de division qui, à leur insu, légitiment et renforcent le système qu’ils
dénoncent. On comprend alors comment l’opposition très tôt forgée entre travail
manuel et travail intellectuel conduit les fils d’ouvriers à leur propre perte. Cette
opposition – s’articulant étroitement à la discrimination liée au genre et parfois à
l’origine ethnique – alimente en effet les thèses naturalistes et l’ordre établi. Il n’est dès
lors plus possible d’occulter cette vérité qui fait l’effet d’un scandale : loin de n’être que
victime d’un sort défavorable, la classe ouvrière y prend une responsabilité indéniable,
qu’elle revendique d’ailleurs comme un choix éclairé.
8 Trois décennies et un franchissement de siècle plus tard, que reste-t-il de cette culture
ouvrière ? Outre l’interview passionnant qui clôt l’édition française, mentionnons la
parution en 2004 de « Learning to labour in new times » par lequel Paul Willis revisite
ses travaux d’origine et les fondements de la culture ouvrière à la lumière du nouveau
contexte socio-économique.

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