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Durin
Georges BERNANOS
La grande peur des bien-pensants. 1931.
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MEMENTO Le 27 Septembre 1940, la première des 14 ordonnances alleman-
des - la huitième du 29 Mai 1942 rendra obligatoire le port de
l'étoilejaune - fixe le recensementdes Juifs en région parisienne :
150 000 Juifs dont 64 000 étrangers sont concernés et les conJ-
missariats de police sont chargés de son application.
De son côté, le 3 Octobre 1940, le gouvernement de Vichy édicte
le premier statut des Juifs directement rédigé sous l'autorité per-
de la Législation des sonnelle du maréchal Pétain (Conseil des ministres du 1er Octo-
bre). Cette initiative proprement française va jusqu'à substituer
aux critères religieux retenusjusqu'ici par les lois nazies de Nurem-
QUESTIONS JUIVES berg, des critères purement raciaux dans la définition des person-
nes juives.
Jugé incomplet avec le temps et ne visant que l'élimination des
Juifs de la fonction publique, ce statut sera complété par un second,
le 2 Juin 1941, puis renforcé par un troisième en préparation en
à l'usage des Maires Mars 1942.
Le 4 Octobre la loi assignait à résidence et à internement dans
et des Brigades de Gendarmerie des camps spéciaux les Juifs étrangers et, le 7 Octobre, une autre
abrogeait le décret CREMIEUX qui accordait depuis le 24 Octo-
bre 1870 la nationalité française aux Juifs d'Algérie.
Le 10 Novembrele gouvernementmettait à exécution sa première
loi d'aryanisation, et le 17 Novembreles camps spéciaux d'"indé-
sirables" de métropole et d'Algérie étaient placés sous la direc-
tion du ministère de l'Intérieur.
En zone occupée, plus de 40 000 Juifs étrangers s'y retrouveront
enfermés fin 1940, et 10 000 le seront en zone dite "libre".
Le statut des Juifs du 3 Octobre 1940, visait leur élimination de la fonction publique.
Le 2 Juin 1941, le secondstatut étenditl'éliminationdes Juifs du secteur économique
(J.O. du 14 Juin 1941) ouvrant la voie à une épurationmassive des professionslibé-
rales, du commerce, de l'artisanat et de l'industrie. Une loi d'aryanisationplaçant
les biens juifs entre les mains d'administrateursprovisoires, lui sera associée le 22
Juillet 1941.
Il est à noter que les lois antisémitesqui ne furentjamais de 1940 à 1944, un thème
majeur de publicationclandestinedu parti communiste, ne furent pas abrogéeslors-
que les Alliésdébarquèrenten Novembre 1942 en Afrique du Nord. Les lois raciales
furentmaintenuesavec l'accord des Anglais et des Américains,puis abrogéesdéfini-
tivementpar le général de Gaulle (Gouverneurgénéral d'Algérie, MarcelPEYROU-
TON, ancien ministre de l'intérieur de Pétain, co-signatairedu statut des Juifs).
Un tel dispositif entraîna donc très rapidement la création d'un
immense ghetto professionnel pour les 170 000 Juifs de la zone
occupée et les 110 000 de la zone sud. Pour tous devenus hors-la-
loi dans un pays que la guerre, le catholicisme et son "enseigne-
ment du méprisla propagande, avaient rendu hostiles aux Juifs,
l'internement : première étape vers la déportation, finit par deve-
nir l'acte civil inéluctable.
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«L'histoire du camp de Drancy commence le 20 Août 1941. A l'aube de ce beau jour
d'été, en représailles — c'est le prétexte — d'une manifestation patriotiqued'étudiants
le 14 Juillet précédentà la Bastille, le onzième arrondissement de Paris est cerné par
la police française, sur l'ordre des autorités d'occupation.
Près de cinq mille hommes de tous âges — je retrouvai dans ma chambre un gamin
de quatorze ans et un vieillard de soixante-treize ans, — de toutes conditions, Français
ou étrangers, mais tous de confession ou d'ascendance juive, sont arrêtés à leur domi-
cile, ou dans la rue, et rassemblés et transportés dans ce grouped'immeubles alors ina-
chevés que l'on appelait les ''gratte-ciel
Rien n'avait été prévu pour nous accueillir. Dans les immenses salles en béton brut,
Les courants d air étaient
on avait posé des châlitsde bois, sans paillasse, sans couverture.
tels que, l'hiver venu, J'eau gelait la nuit dans les chambres. Il y avait vingt robinets
dans la grande cour pour cinq mille internés et les commodités étaient à l'avenant. Il
n'y avait même pas de récipients pour la nourriture, et nous avons dû nettoyer, avec
la terre de la cour, les vieilles boîtes de conserves rouillées laissées par d'anciens pri-
sonniers de guerre britanniques qui eux, bénéficiaient des faveurs de la Croix-Rouge.
Et il faut que l'on sache que, si près de la capitale, dans cette banlieue ouvrière, nous
avonsconnu très rapidement le régime concentrationnaire, dont la raison d'être est l'avi- C'est donc le 20 Août 1941 que le camp entre officiellement en
lissement de l'homme, et les moyens, la déchéancephysique et les humiliationsmorales.
activité sous le commandementsupérieur de ThéodorDannecker,
jeune officier SS de 27 ans, chargé par Berlin de préparer à partir
de Drancy la déportation massive des Juifs de France.
Commencéesle 14 Mai 1941, les rafles connaîtront désormais un
YVES JOUFFA* rythme rapide et ininterrompu jusqu'en Août 1944.
Le 12 Décembre 1941, la Feld Gendarmerie et les gardiens de la
(*) Président d'honneur de l'Amicaledes anciens internes et déportes du camp de Drancy paix parisiens internent 743 Juifs parmi lesquels les notables de
la capitale.
Les 16 et 17 Juillet 1942, la rafle du "vélodromed'hiver" sera pré-
parée minutieusementpar lespolices française et allemandeà partir
des fichiers perfectionnés. Durant deux jours 1 472 équipes, soit
2 944policierspour les 20 arrondissements,plus220 inspecteurs
des RenseignementsGénérauxet250inspecteurs de la PoliceJudi-
ciaire, s'emparerontde 13 152 personnesdont 4 115 enfants de moins
de 16 ans. 4 992 hommes et femmes rejoindront directement
Drancy tandis que 8 160 autres, dont les enfants, demeureront au
vélodromed'hiver durant près d'une semaine dans des conditions
effroyables avant de rejoindre les camps d'internement.
Au milieu de l'année 1942, les Allemands disposaient en France
de trois bataillons de police, soit entre 2 500 et 3 000 hommes.
Les effectifs de Vichy comptaient100 000 hommes et 30 000poli-
ciers pour la seule région parisienne.
La police françaiseappliquales ordonnancesallemandes,procéda
aux rafles, aux convois de déportation, à la garde de convois de
déportés. Toutes les rafles furent organisées, conduites et exécu-
tées par les services français de police et de gendarmerie.
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En pleine agglomération,à 50 mètres à peine du marché muni-
cipal, le camp de Drancy occupeune longue bâtisse de quatre éta-
ges, en forme de U, demeuréeintacte à ce jour.
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Les futurs déportés que la noria des autobus débarquait de la
gare dans la cour du camp, les lundi, mercredi, et samedi,
venaient à Drancyde tous les coinsde France, arrêtés à leur domi-
cile, capturésdans les prisons, arrachésdes hôpitaux, des maisons
de santé, pourchassésdans les coloniesde vacances et jusque dans
les couvents ou les asiles d'aliénés.
Ils se réveillent parfois brusquement avec des cris de terreur, ils appel-
lent vainement leurs mères et réveillent les autres enfants à l'entour.
Qu'on imagine... les regards apeurés et désespérés des tout-petits qui
ont à satisfaire leurs besoins et qui ne savent pas le faire tout seuls».
(159).
«Les chefs d'escaliers appelaient les déportés. Ceux qui étaient nom-
més se faisaient une raison et préparaient leurs bagages. Le lendemain à
7 heures, appel du chef d'escalier. Rassemblement dans la cour, on
coupe cheveux, barbes et moustaches. On remonte dans sa chambre
pour un nouvel appel, pour redescendre ensuite avec ses bagages à la
fouille. On regagne ensuite l'escalier du départ sans retour en arrière».
-
A partir du troisième convoi, le 22 juin 1942, des femmes Vu leur nombre, les déportés ne peuvent ni s'allonger, ni
commencèrentà partir dans la proportion de plus de la moitié. s'asseoir. Les wagons étant entièrementfermés, on ne peut rien
voir au dehors. Quelquespetites ouverturesprès du toit permet-
tent à ces pauvres gens de ne pas mourir asphyxiés.
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Pourtant cette longue tragédie du camp de Drancy connut aussi
des heures d'intense espérance lorsque, abandonnés à leur sort et
condamnés à l'extermination, des internés osérent s'engager dans
la folle entreprise de creuser un tunnel d'évasion,
en septembre
1943, dans des circonstancesqu'un desprincipaux témoins M. A.
Ullmo rappelle ici.
Mais comment rappeler tous les noms de ceux qui, venant d'arriver et
sachant qu'ils partiraient certainement le lendemain, ou quelques jours
plus tard, acceptaient de descendre travailler à l'œuvre de libération
dont ils ne profiteraientpas ! Certains, comme Juda Basicurinsky et les
camarades de son parti, ne sont pas revenus : d'autres, tel Marcel
Stourdzé, ont survécu et sont là maintenant.
Il y avait aussi l'état-major composé du Commandant Kohn, de
Roger Lévy, de Jean Bader, chef de la sécurité et du renseignement, de
Jean Ullmo, qui assura une protection efficace lorsque fut prise la déci-
sion de travailler 24 heures sur 24, à trois, puis enfin à quatre équipes.
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La police antijuive de Vichy était du ressort du gouvernement ;
la police régulière et la gendarmerie présidaient aux arrestations
et gardaient les trains de déportés.
A quelquesmois de la Libération, la dernière opération de police
conduite contre les Juifs aura lieu à Bordeaux en Janvier 1944.
A deux semaines de la Libération de Paris, en gare de Bobigny,
la S.N.C.F. acheminait sans encombre son dernier train de con-
damnés à mort.
'A l'époque de la "bataille du rail", rien n'a été fait de façon systématique qui puisse
libérer et sauver le bétail humain des wagonsplombésdont les cheminots n'ignoraient
pas le contenu. Du 27 Mars 1942 au 11 Août 1944, 85 convois ont été acheminés de
France, transportant 76 000 êtres humains, sans incident de parcours."
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES :
- Serge
Raoul HILBERG La destruction des Juifs d'Europe,
KLARSFELD
: FAYARD, 1988.
mémorial de la déportation des Juifs de France,
: Le C.D.J.C. 1978.
—
Vichy-Auschwitz, 2 vo) : 1942, 1943, 1944 FAYARD, 1985
—
E. KOGON : Les chambres à gaz : secret d'EtatEd. Minuit, 1984
- M. MARRUS, R. PAXTON : Vichy et les Juifs CALMANN-LEVY, Paris, 1981
- R. PAXTON : La France de Vichy, FAYARD, 1972.
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