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Drancy, 1941-1944 / Jacques

Durin

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Durin, Jacques (1941-....). Auteur du texte. Drancy, 1941-1944 /
Jacques Durin. 1989.

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«La persécution, vraiment, vous en êtes encore là ? Vous en êtes encore à cette belle imagination
qu 'on supprime les gens en les persécutant ? Eh ! c 'est tout le contraire. Pas une cause n'a
grandi qu'arrosée du sang de ses martyrs».
Zola - Pour les Juifs - Figaro 16 mai 1896
"Dégagé des hyperboles ridicules, l'antisémitisme apparaîtra ce
qu'il est réellement, non pas une marotte, une vue de l'esprit, mais
une grande pensée politique."

Georges BERNANOS
La grande peur des bien-pensants. 1931.

"Nous demandonsinstamment à nos lecteurs de nous donner les


noms des fonctionnairesjuifs qu'on nous déclare nombreux aux
frontières.

La Croix : "Le Juil" 5-11-1894.


L'Histoire ne saurait être ni sélective ni déformante, et pourtant
le danger permanent qui nous guette à vouloir suivre les évène-
ments les plus dramatiques consiste à réviser notre jugementsur
eux. Et là, de la simple révision au révisionnismeil n'y a qu'un
pas que la mémoire oublieusefranchit d'autantplus aisémentqu'il
ne lui répugnepas non plus, avec le temps, de faire parfois alliance
avec le mensonge.
1940-1944n'est paspour nous un temps mort, un vide intemporel
dans la belle ordonnancede notre histoirenationale. Cette période
qui couvre l'occupation allemande n'est pas une parenthèse, pas
plus que l'Etat français n'est à nos yeux cette anti-France dont
par pudeur on voudrait allerjusqu'à taire le nom.
Les quatre années fatidiquesqui se sont écouléeslà, font toujours
partie de notre histoire "une et indivisible" comme l'on aimait à
le dire jadis de la République.
Vichy n'est pas plus un hasard que le statut des Juifs ne fut une
exception. Lorsque La Libre Parole d'Edouard DRUMONT et
La Croix catholiqueréclamaient un recensementet un statutpour
tous les Juifs, l'année 1898 anticipait largement sur la législation
raciale du maréchal Pétain, comme l'île du Diable du capitaine
Dreyfuspréfigurait bien à sa manière les bagnes français à desti-
nation de Treblinka ou Sobibor.
N'oublions pas que lorsque "La France aux Français"sous-titrait
en 1937 VAntijuifde DARQUIERDE PELLEPOIX, ce slogan
reprenait exactementà cinquante ans d'intervalle la même consi-
gne mobilisatricede haine que celle qu'au temps de l'affaire Drey-
fus, la Ligue nationale et antisémitique lançait à ses adhérents.
Il existe donc bien une longue traditionfrançaise, obstinée et têtue
— au
moins depuis Le Concile de Latran de 1215 quand fut arrêté
v pour 7'ensemble de l'Europe chrétienne lepremier marquageinfâme
des Juifs —, et qui demeurera toujours sourde au message des
Lumières.
A ce titre, Drancy atteint dans notre histoire nationale, un point
extrême de non-retour, et sa finalité exterminatriceopère dans le
drame d'une république défaite et humiliée, un renversementcom-
plet des valeurs d'humanité.
Plus durement que les ordonnances allemandes, la législation de
J'Etat français définit racialement la situation des Juifs, comme
l'atteste à partir d'Octobre 1941 ce certificat d'authenticité exigé
par l'administration en cas de litige.
Au total, 76 000 hommes, femmes et enfants, y seront regroupés
et parqués derrière des barbelés gardés par des gendarmes fran-
çais, pour être transportés en wagons à bestiaux vers Auschwitz.
Durant deux ans, de 1942 à 1944, 67 des 79 convois de Juifs dépor-
tés de France, quitteront l'enceinte fortifiée du camp, soit 67 000
personnes.
Tout au long de cette période Drancy aura été une institution
française.
En nous demandant : "Comment cela fut-ilpossible T\ nous lais-
serons parler d'eux-mêmes les évènements.

Durant trois ans, de 1941 à 1944, le camp de Drancy va attacher


son nom à l'action la plus monstrueuse de la seconde guerre mon-
diale : l'extermination complète et définitive des Juifs sur l'ensemble
des territoires européens.
A peine éloignée de quelques kilomètresdes tours de Notre-Dame,
cette petite localité de l'ancien département de la Seine, entrera
dans l'histoire par la porte d'épouvante pour devenir en effet la
plaque tournante des grands convois de déportés qui, sillonnant
le territoire national en tous sens, achemineront sans interruption
ni gène vers les camps d'extermination des milliers d'êtres humains.
Au lendemain d'une débâcle générale qui vit durant six semaines
les troupes d'invasionde la Weermachttraverserla France de part
en part depuis la Meuse jusqu'à la frontière espagnole, le terri-
toire se couvrit de camps d'internement dont certains existaient
déjà avant la guerre : plus d'une trentaine en zone non occupée
: Gurs, Noë, Rivesaltes, Récébédou, Les Milles, Le Vernet... ;
plus d'une quinzaine en zone occupée,parmi lesquels : Pithiviers,
Beaune-la-Rolande,Compiègne, Drancy. Tous ces camps demeu-
rèrent placés sous la responsabilité directe de l'administration
française.
En effet, le gouvernementdu maréchalPétainauquelle Parlement
de Front populaire venait de voter, le 10 Juillet 1940, les pleins
pouvoirs (569 pour, 80 contre), s'était fixé dès son installation,
tout à la fois l'assainissement, la reconstructionnationale, la recher-
che des responsabilitésdans la "défensede la race, de la famille,
de la jeunesse, de la profession". Les Juifs dont l'épuration était
un gage d'accommodementavec Hitler autant qu'un objectifpour-
suivi depuis longtemps par une opinion antisémite, durent sup-
porter une nouvelle fois le rôle redoutable du "bouc émissaire".

En promulgant le 22 Juillet 1940 la loi sur la révision des natura-


lisations, le gouvernement retira d'emblée la nationalité française
à 6307 Juifs.
Le 27 Août, il abrogeale décret-loiMARCHANDEAUdu 21 Avril
1939, mettant ainsi un terme aux poursuites pénales prévues par
la République contre les incitateurs à la haine raciale.
Désireux de fournir un fondementlégal à l'internement des Juifs
résidant sur le sol national, l'Etat français va mettre en place dès
son arrivée un arsenallégislatif etjuridiquesans précédent de lois,
de décrets, de circulaires,d'enquêtes statistiques,de recensements
(plus d'une centaine de textes officiels à la fin de 1941), visant
d'abord à réglementer le sort des Juifs de France, des réfugiés,
des exilés Juifs, dallemagne ou de Pologne.
Tout un réseau de textes administratifsrendra ainsi intolérable et
sans autres issues que l'internement et la déportation, le sort de
dizaines de milliers de fugitifs traqués.

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MEMENTO Le 27 Septembre 1940, la première des 14 ordonnances alleman-
des - la huitième du 29 Mai 1942 rendra obligatoire le port de
l'étoilejaune - fixe le recensementdes Juifs en région parisienne :
150 000 Juifs dont 64 000 étrangers sont concernés et les conJ-
missariats de police sont chargés de son application.
De son côté, le 3 Octobre 1940, le gouvernement de Vichy édicte
le premier statut des Juifs directement rédigé sous l'autorité per-
de la Législation des sonnelle du maréchal Pétain (Conseil des ministres du 1er Octo-
bre). Cette initiative proprement française va jusqu'à substituer
aux critères religieux retenusjusqu'ici par les lois nazies de Nurem-
QUESTIONS JUIVES berg, des critères purement raciaux dans la définition des person-
nes juives.
Jugé incomplet avec le temps et ne visant que l'élimination des
Juifs de la fonction publique, ce statut sera complété par un second,
le 2 Juin 1941, puis renforcé par un troisième en préparation en
à l'usage des Maires Mars 1942.
Le 4 Octobre la loi assignait à résidence et à internement dans
et des Brigades de Gendarmerie des camps spéciaux les Juifs étrangers et, le 7 Octobre, une autre
abrogeait le décret CREMIEUX qui accordait depuis le 24 Octo-
bre 1870 la nationalité française aux Juifs d'Algérie.
Le 10 Novembrele gouvernementmettait à exécution sa première
loi d'aryanisation, et le 17 Novembreles camps spéciaux d'"indé-
sirables" de métropole et d'Algérie étaient placés sous la direc-
tion du ministère de l'Intérieur.
En zone occupée, plus de 40 000 Juifs étrangers s'y retrouveront
enfermés fin 1940, et 10 000 le seront en zone dite "libre".
Le statut des Juifs du 3 Octobre 1940, visait leur élimination de la fonction publique.
Le 2 Juin 1941, le secondstatut étenditl'éliminationdes Juifs du secteur économique
(J.O. du 14 Juin 1941) ouvrant la voie à une épurationmassive des professionslibé-
rales, du commerce, de l'artisanat et de l'industrie. Une loi d'aryanisationplaçant
les biens juifs entre les mains d'administrateursprovisoires, lui sera associée le 22
Juillet 1941.
Il est à noter que les lois antisémitesqui ne furentjamais de 1940 à 1944, un thème
majeur de publicationclandestinedu parti communiste, ne furent pas abrogéeslors-
que les Alliésdébarquèrenten Novembre 1942 en Afrique du Nord. Les lois raciales
furentmaintenuesavec l'accord des Anglais et des Américains,puis abrogéesdéfini-
tivementpar le général de Gaulle (Gouverneurgénéral d'Algérie, MarcelPEYROU-
TON, ancien ministre de l'intérieur de Pétain, co-signatairedu statut des Juifs).
Un tel dispositif entraîna donc très rapidement la création d'un
immense ghetto professionnel pour les 170 000 Juifs de la zone
occupée et les 110 000 de la zone sud. Pour tous devenus hors-la-
loi dans un pays que la guerre, le catholicisme et son "enseigne-
ment du méprisla propagande, avaient rendu hostiles aux Juifs,
l'internement : première étape vers la déportation, finit par deve-
nir l'acte civil inéluctable.

Un programme antijuifcomplet et audacieux faisait donc désor-


mais officiellement partie de la loi française, applicable sur J'ensem-
ble des deux zones, y compris celle sous contrôle allemand, éten-
dant sa rigueur en Algérie, et de l'Indochine à Saint-Pierre et
Miquelon ; partout où s'exerçait la souveraineté française.
Le poids des traditions administratives et des sanctions qu'aggra-
vaient encore les nécessités de l'heure, poussèrent les fonction-
naires à s'y conformer d'autantplus scrupuleusementque les con-
ceptionsofficiellesallemandes et françaisess'enchevêtraientet se
complétaientparfaitement sur ce point.
Pour les Juifs de la zone sud, dite "libre", et pour ceux d'Algérie,
le gouvernement français ordonna de son côté, le 11 Décembre
1942, son propre marquage en apposant la mention : ' Juif ' sur
les documents administratifs, les cartes d'identité et d'alimentation.
Une telle décision accentueragrandement la terrible efficacitédes
rafles.

En vertu de l'ordonnance allemande du 29 Mai 1942 applicable


aux Juifs de la zone occupée, le port de l'étoile remettait en vigueur
l'ordonnancemédiévale de LouisIX (Saint-Louis), de 1269, portant
injonction aux Juifs de porter un signe jaune les distinguant des
Chrétiens.
L'origine du marquage infamant remonte à la décision prise par
les Pères du IVe Concile de Latran (1215) sous le pontificat
d'Innocent III (1196-1216). En France, dix conciles successifs au
cours des XIIIe et XIVe siècles, imposèrent aux Juifs le marquage
de l'étoile jaune, du bonnet ou de la rouelle.
En faisant des Juifs des citoyens français, la Révolution supprima
définitivement le 27 Septembre 1791 le marquage infâmant.
Avant l'arrivée des premiers Juifs, Drancyétait déjà un lieu d'inter-
nement. Dans des bâtiments restés inachevés à la veille de la guerre,
et qui devaient être l'amorced'une vaste et belle cité-jardin comme
en pouvaientrêver les urbanistesde l'entre-deux-guerres,les Alle-
mands vainqueurs vont entasser provisoirement des civils britan-
niques, yougoslaves, grecs. Des prisonniers français les suivront
avant leur départ vers les stalags et les oflags.
Le 14 Mai 1941, une première rafle opérée par la police parisienne
aidée des renseignements générauxarrêtera près de 3 700personnes
envoyées à Pithiviers et Beaune-la-Rolande.
Le 20 Août, une seconderafle effectuée en plein Paris (XIe et XIIe
arrondissements)par la police et les gardes mobiles - 2 400 ins-
pecteurs gradés et gardiens de la Préfecture de police pour 4 232
Juifs - verra arriver les premiers Juifs à Drancy.

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«L'histoire du camp de Drancy commence le 20 Août 1941. A l'aube de ce beau jour
d'été, en représailles — c'est le prétexte — d'une manifestation patriotiqued'étudiants
le 14 Juillet précédentà la Bastille, le onzième arrondissement de Paris est cerné par
la police française, sur l'ordre des autorités d'occupation.
Près de cinq mille hommes de tous âges — je retrouvai dans ma chambre un gamin
de quatorze ans et un vieillard de soixante-treize ans, — de toutes conditions, Français
ou étrangers, mais tous de confession ou d'ascendance juive, sont arrêtés à leur domi-
cile, ou dans la rue, et rassemblés et transportés dans ce grouped'immeubles alors ina-
chevés que l'on appelait les ''gratte-ciel

Rien n'avait été prévu pour nous accueillir. Dans les immenses salles en béton brut,
Les courants d air étaient
on avait posé des châlitsde bois, sans paillasse, sans couverture.
tels que, l'hiver venu, J'eau gelait la nuit dans les chambres. Il y avait vingt robinets
dans la grande cour pour cinq mille internés et les commodités étaient à l'avenant. Il
n'y avait même pas de récipients pour la nourriture, et nous avons dû nettoyer, avec
la terre de la cour, les vieilles boîtes de conserves rouillées laissées par d'anciens pri-
sonniers de guerre britanniques qui eux, bénéficiaient des faveurs de la Croix-Rouge.
Et il faut que l'on sache que, si près de la capitale, dans cette banlieue ouvrière, nous
avonsconnu très rapidement le régime concentrationnaire, dont la raison d'être est l'avi- C'est donc le 20 Août 1941 que le camp entre officiellement en
lissement de l'homme, et les moyens, la déchéancephysique et les humiliationsmorales.
activité sous le commandementsupérieur de ThéodorDannecker,
jeune officier SS de 27 ans, chargé par Berlin de préparer à partir
de Drancy la déportation massive des Juifs de France.
Commencéesle 14 Mai 1941, les rafles connaîtront désormais un
YVES JOUFFA* rythme rapide et ininterrompu jusqu'en Août 1944.
Le 12 Décembre 1941, la Feld Gendarmerie et les gardiens de la
(*) Président d'honneur de l'Amicaledes anciens internes et déportes du camp de Drancy paix parisiens internent 743 Juifs parmi lesquels les notables de
la capitale.
Les 16 et 17 Juillet 1942, la rafle du "vélodromed'hiver" sera pré-
parée minutieusementpar lespolices française et allemandeà partir
des fichiers perfectionnés. Durant deux jours 1 472 équipes, soit
2 944policierspour les 20 arrondissements,plus220 inspecteurs
des RenseignementsGénérauxet250inspecteurs de la PoliceJudi-
ciaire, s'emparerontde 13 152 personnesdont 4 115 enfants de moins
de 16 ans. 4 992 hommes et femmes rejoindront directement
Drancy tandis que 8 160 autres, dont les enfants, demeureront au
vélodromed'hiver durant près d'une semaine dans des conditions
effroyables avant de rejoindre les camps d'internement.
Au milieu de l'année 1942, les Allemands disposaient en France
de trois bataillons de police, soit entre 2 500 et 3 000 hommes.
Les effectifs de Vichy comptaient100 000 hommes et 30 000poli-
ciers pour la seule région parisienne.
La police françaiseappliquales ordonnancesallemandes,procéda
aux rafles, aux convois de déportation, à la garde de convois de
déportés. Toutes les rafles furent organisées, conduites et exécu-
tées par les services français de police et de gendarmerie.

Leur performance fut encore accrue par la célérité de la Section


juive de la Préfecture de police de Paris, créée en automne 1940
sous les ordres de FRANÇOIS directeur de l'administration et de
la police générale, avec son fichier de 150 000 Juifs : véritable
modèle d'efficacité tenu constamment à jour par une équipe de
fonctionnaires.
Ces rafles bénéficièrent en outre du soutien actif de services spé-
ciaux venant compléter le dispositifadministratifmis en place :
Le Commissariat Général aux QuestionsJuives (C.G.Q.J. créé
le 29 Mars 1941), la Section d'Enquêteet de Contrôle (mi-Août
1942), la Police aux QuestionsJuives (19 Octobre 1941) rattachée
le 1er Avril 1942 au Secrétariat Général à la Police.
Aucun de ces services ne sera soumis directement à l'autorité de
l'administrationallemande. Le 11 Mai 1941 était encore créé l'Ins-
titut d'Etudes aux QuestionJuives : véritableofficine de mou-
chardage avec ses 4 000 fonctionnaires répartis sur tout le territoire.
NI0 1450. — LOI du 29 mars 1941 créant Arrête :
un commissariat général aux questions Article unique. — Sont nommés ou
juives (1). maintenus au commissariat général
(Modifiée par les lois des 19 mai et
lsr sept. 1941 *et du 6 mai 1942) aux questions juives, à dater du 1er
septembre 1941, dans les emplois
ci-après :
Nous, Maréchal de France, chef de I. — CABINET ET SERVICES GÉNÉRAUX
l'Etat français, a) Cabinet.
Le conseil des ministres entendu, M. le lieutenant-colonel Chomel de
Décrétons : Jarnieu (Pierre), directeur du cabinet
et des services généraux ;
.trf. ler. — Il est créé, pour l'ensemble du M. Cabany (Lionel),chef de cabinet ;
territoire national, un commissariat général M. Ruellan (Charles), chargé de
«ux questions juives.
L. 1-9-1941 (2). «Art. Jer. Il est créé mission au cabinet ;
Pour l'ensemble — du territoire — national, un M. Le Renard (Alfred), chef du
cornrnissariat- général aux questions juives, service du courrier et des archives.
rattaché au secrétariat d'Etat à l'intérieur ».
L. 6-5-194.2 (3). Il est b) Services rattachés.
— « Art. 1er.

créé pour l'ensemble du territoire M. Grateau (Pierre-André), chef des
national un commissariat général aux servies administratifs et financiers ;
questions juives placé sous l'autorité M. Garnier (Marcel),chef adjoint des
du chef du Gouvernement ». services administratifs et financiers ;
M. Giroud (Jean), maître des requê-
2. — Le commisaire général aux
Questions juives a pour mission : tes au conseil d'Etat, chargé du service
10 De préparer et proposer an chef de de la législation et du contentieux.
t',Et«t toutes mesures législatives relatives à M. Reffet (Robert), adjoint au chargé
I état des juifs, à leur capacité politique, à du service de la législation et du
H1" aptitude juridique à exercer des fonctions,
des emplois, des professions ;
contentieux.
2o De fixer, en tenant compte des besoins II. — DIRECTION DU STATUT DES
l'économie nationale, la date de la liqui- PERSONNES
dation des biens juifs dans les cas où cette M. Gazagiie (René), directeur du
"Çuidation est prescrite par la loi ;
jo De désigner les administrateurs séques- statut des personnes ;
et de contrôler leur activité. M. Ditte (Jacques), directeur adjoint
L. 19-5-1M (4). 2. — Le
— « Art. questions
du statut des personnes.
commissaire général aux III. — DIRECTION DE L'ARYANISATION
juives est chargé de : ' ÉCONOMIQUE
« 1" Proposer au Gouvernement Hegelsperger (Yves), directeur de
M.
toutes dispositions- législatives et régle- l'aryanisation économique.
mentaires, ainsi que toutes mesures MM. Daussin (André) et Nacdon
COMMISSARIAT GÉNÉRAL (François), directeurs adjoints de
Propres à mettre en oeuvre les AUX QUESTIONS JUIVES
décisions de principe arrêtées par le Art. 3. — Le commissaire général est désigné l'aryanisation économique.
Gouvernementrelativement à l'état des par arrêté du ministre secrétaire d'Etat chargé IV. * — SERVICE DU CONTRÔLE DES
juifs, à leur capacité civile et politique, de la vice-présidence du conseil. Personnel du commissariat <1)
L. 1-9-1941, — « Art. 3. — Le commis- ADMINISTRATEURS PROVISOIRES
à leur aptitude juridique à exercer des saire général est nommé par arrêté du vice- M. le contrôleur général de l'admi-
fonctions, des emplois, des profes- président du conseil et du secrétaire d'Etat Le commissaire général aux ques- nistration de l'armée de Faramond
sions ; à l'intérieur». tions juives, (Melchior),chef du service du contrôlç
« 2° Assurer la coordinationnéces- L. 6-5-1 m.
— « Art. 3. — Le Vu la loi du 29 mars 1941, modifiée des administrateursprovisoires;
saire entre les différents secrétariats commissaire général aux questions par les lois du 19 mai et du 1er M. Dagron (René), chef adjoint du
d'Etat pour l'applicationde ces diver- juives est nommé par décret contre- septembre 1941, créant un commissa- contrôle des administrateurs prÓ-
ses dispositions et décisions, et suivre signé par le chef du Gouvernement. riat général aux questions juives ; visoires.
cette application ; « Il est assisté d'un secrétaire géné- Vu la loi d'u 10 avril 1941 portant Fait à Vichy, le 21 ocobre 1941.
« 3° Pourvoir, en tenant compte ra,l désigné dans les mêmes formes ». ouverture de crédits ; XAVIER VALLAT.
'des besoins de l'économie nationale, Art. 4. Le présent décret sera Vu la loi du 28 juin 1941 portant
la gestion et à la liquidation des publié au — Journal officiel et exécuté fixation du budget pour l'exercice (1) J. O. 26-10-1941.
biens juifs, dans les cas où ces opé- comme loi de l'Etat. 1941 ;
rations sont prescrites par la loi ; Vu la loi du 1er octobre. 1941 portant CIRCULAIRE n° 418,
« 4° Désigner les agents chargés
Fait à Vichy, Je 29 mars 1941. annulation et ouverture de crédlits sur POL. 5 DU 23 OCTOBRE 1941
desdites opérations et contrôler leur PH. PÉTAI-N. l'exercice 1941 ; DU MINISTRE DE L'INTÉRIEUR.
activité ; L'amiral de la flotte, ministre Vu le décret du 29 septembre 1941 A Messieurs les Préfets des zones libre
«5° Provoquer éventuellement à vice-président du conseil, portant délégation de signature ; et occupée. (1}
l'égard. des juifs, et dans -les limites 1.
AI DARLAN. Vu le décret du 19 juin 1941 orga- Objet : Opérations immobilières.
fixées par les lois en vigueur, toutes j. D, 31-3-1941. nisant les services du commissariat La présente circulaire a pour objet
(1)
césures de police commandées par <2) V. infra p. 79. -
général aux questions juives, modifié (1) luns-Llasscurs, 8 mars 1942, no 10 et
l'intérêt national ». Cl)
(4)
V. infra p. 153.
Infra b. 47.
V. fhfrat).47. par le décret du 20 octobre 1941, il" 11 du 15 mars 1942.
"La politique antijuive de Vichyne fut pas seulement indépendante de la politique alle-
mande, elle en fut la rivale Vichy lutta contre l'autorité occupante pour affirmer sa
souveraineté dans les affaires. antijuives et pour conserverles avantages des confisca-
tions et du contrôle des réfugiés."(R, PAXTON. Vichy et les Juifs, p. 334).

Pendant ce temps à Berlin, les nazis en avance sur ce terrain


depuis 1933, arrêtaient à Wannsee le 20 janvier 1942, le projet
gigantesque de l'extermination finale des Juifs d'Europe, visant
onze millions de Juifs y compris ceux d'Angleterre, en ratissant
le continent européen d'Ouest en Est dans une chasse à l'homme,
encore jamais entreprise.

24
En pleine agglomération,à 50 mètres à peine du marché muni-
cipal, le camp de Drancy occupeune longue bâtisse de quatre éta-
ges, en forme de U, demeuréeintacte à ce jour.

L'ensemble des bâtiments offerts aux internés, est entouré


d'une double enceinte de barbelés, interrompuepar des miradors
placés aux quatre coins. Entre les deux rangées un chemin de
ronde. A proximité quatre immenses tours dont l'habitation est
réservée aux gendarmesresponsablesdu camp.

Les locaux, modernes pour l'époque, sont restés inachevés,


sans portes ni fenêtres. A l'intérieur du bâtiment, le sol est en
ciment, irrégulier; les tuyaux de canalisationsont à découvert. Un
escalier dessert les quatre étages, et chaque aile latérale compte
dix escaliers. Les bâtiments sont construits sur des caves profon-
des dont une partie sera aménagée en cachots. Dans la cour de
200 mètresenviron de long, le sol est en machefer d'où s'élèvent
en été d'épais nuages de poussière noire, et où stagnent en hiver,
d'énormes flaques d'eau. A l'extrémité sud, les sanitaires appelés
dans lejargon du camp, le «château rouge» ; et à l'opposé, la bara-
que à fouille par où passeront les déportés avant de partir
défmivement.

La cour Ouestservira de terrain de jeu aux enfantsdu camp et


deviendra en 1943-1944 le lieu de rassemblementpour la dépor-
tation.

En 1943, le commandant allemand du camp, le capitaine S.S.


BRUNNER, fera exécuterpar les intéressés, d'importants travaux
Une cour centrale sera aménagée et cimentée, lesplafonds et les
murs des cinq escaliers de départ, blanchis à la chaux, un
garage, une basse-cour, une porcherie pour les Allemands,
seront construits. Du gazon sera même semé sur la pelouse et
arrosé par deux .tourniquets. Enfin la porte en fil de fer barbelé
sera remplacée par un portail monumental.
Comme par dérision et par un souci de propreté dont les nazis
avaient le secret, ce fut durant cette période où les déportations
connurent un rythme frénétique, que l'on voulut donner au
camp son aspect le plus... séduisant.
Les archives françaises et allemandes du camp de Drancy,
conservées au C.D.J.C. en font un « camp d'internement » sous
le régime de la discipline militaire.

En effet, Drancy fut administré directementpar la Préfecture


de Police de Paris jusqu'en 1943. Trois fonctionnaires de Po-
lice, Savart, Laurent, Guilbert, s'y succédèrent comme com-
mandants du camp jusqu'à leur remplacementpar Brunner en
juillet 1943.

Les services de Dannecker préparaient des directives généra-


les ; traduites en français et signées par le Préfet de Police, laiiii-
ral Bard et le Général Guilbert, Commandant de la Gendarmerie
de la Région parisienne, elles devinrent l'instruction du 26 août
1941 qui réglementa la vie de camp.

De la date de son ouverture jusqu'à sa libération, le 18 août


1944, la garde extérieure et la surveillance intérieure étaient con-
fiées à un détachement de gendarmes. Une équipe d'Inspecteurs
de la Préfecture de Police dressait les fiches des détenus. En sep-
tembre 1941, une administrationjuive fut mise en place sous
l'autorité d'un chef de camp, sur le modèle des camps hitlériens.
Sous ses ordres se trouvaient les chefs d'escalierset par leur inter-
médiaire, les chefs de chambrée, le service 'social, le réfectoire
d'enfants. Les bureaux militaire et du vaguemestreétaient dirigés
par un gendarme français. Des infirmiers et des médecins étaient
surveillés par un médecin «aryen» nommé par la Préfecture de
Police.
«Nominativement, toute l'administrationjuive était sous les ordres
du chef de camp interné, nommé par le commandantfrançais du camp»
(G. Wetiers. La France à l'heure de l'étoilejaune p. 128).

En juin 1942, Danneckerfutremplacé par Rôthke. Le Ier août


1942, l'ancien commissaire de police Guilbertprit la place de Lau-
rent. L'Inspecteur principal Thibeaudatfut remplacé par Korpe-
reich. Le capitaine Vieux était à la tête du détachementintérieur
de gendarmes. A ses côtés, les lieutenants de gendarmerie Barrai
et Pietri, le maréchal des logis Van Nest commandaient.
«La grande masse des gendarmes - dira G. Wellers, n 'était ni bonne
ni mauvaise, mais suivait aveuglément les ordres de ses chefs». (ibid. op.
cit. p. 150).

Pourtant, constate-t-il«la fouille des colis était sévère, parfois


méchante. Les gendarmesperçaient avec un couteau le petit pot
de confiture en carton, ou cassaient le pain en morceaux pour
dépister les fraudes éventuelles». (p. 129).

En août 1942, fut créé un réfectoirepour les enfants internés.


En septembre, fut organisé le service intérieurpar les prisonniers
eux-mêmes. On créa à cette intention trois brigades de douze
hommes appelés «M.S,».

En octobre 1942, fut organisée une école avec des professeurs


recrutéssur placeparmi les internés. Elle fut suppriméeen janvier
1943. Pour faireface au nombre croissant d'internés, on mit en
place une infirmerie, pour les femmes, les enfants, les hommes,
une salle pour agités, un laboratoire d'analyses, une pouponnière
où naquirent une vingtaine d'enfants qui furent déportés comme
les autres.

Un dispositif administratif lourd, structuré, efficace,pour


répondre aux besoins d'une population disparate qui atteignit au
plus fort des déportations sur Drancy, 7 000 personnes.
Aujourd'hui, dans les mêmes locaux, la société des H.L.M. de la
Ville de Paris, accueille 462personnes au total ! C'est dire l'entas-
sement que l'on connut à l'époque, et comparable sur ce point à
celui du ghetto de Varsovie.

.C'est le 2 juillet 1943 que le Hauptsturmführer S. S. Brunner


prit la direction du camp.
Toute l'administrationfrançaise du camp de Drancyfut en un
jour, relevée de ses fonctions. Les gendarmesne devantplus assu-
rer que la surveillanceextérieure du camp, ce qu 'ils firentjusqu 'à
la Libération.
Drancy fonctionna dès lors comme Buchenwald, Dachau,
Bergen-Belsen ou Auschwitz. Pour 3 000 internésen moyenne, on
ne comptajamaisplus de quatre Allemands! Le camp assumait là
le maximum de son rendement avec une stupéfiante économie de
moyens en hommes.

«Cette période se caractérise par un mélange curieux de cynisme,


d'hypocrisie et de chantage qui confèrent au camp de Drancy, des ana-
logies frappantes avec les camps allemands» (G. W. p. 186).
Reportage photographiquesur le camp de concentration de Drancy
exécuté par la division pour la propagande nazie en France
(3 décembre 1942) (Bibliothèque nationale, Cabinet des Estampes).

37
54
Les futurs déportés que la noria des autobus débarquait de la
gare dans la cour du camp, les lundi, mercredi, et samedi,
venaient à Drancyde tous les coinsde France, arrêtés à leur domi-
cile, capturésdans les prisons, arrachésdes hôpitaux, des maisons
de santé, pourchassésdans les coloniesde vacances et jusque dans
les couvents ou les asiles d'aliénés.

La vie du camp était réglée sur le rythme incessant et ininter-


rompu des déportations : 3 000 personnes par semaine, les
dimanche, mardi et jeudi.

L'année la plus terrible à Drancyfut celle qui alla du 16 juillet


1942 au 2 juillet 1943. Année capitale en effetpuisqu'en l'espace
de douze mois, Drancy a vu la déportation de près de 40 000 per-
sonnes. A la mi-juin 1942 par exemple, on dut augmenter le
potentiel ferroviaire en zone occupée. Berlin envoya à Paris
3 7 000 wagons de marchandise, 800 wagons de voyageurs et 1 000
locomotives.

Dès 7 heuresdu matin, les autobus arriventdans le camp déver-


sant en un jour, le 16 juillet 1943 par exemple, 2 000 personnes
dans le dénuement le plus total.

«Les malheureux arrêtéspar surprisemanquaientde tout, les hommes


et les femmes, séparés dès leur arrivée, n 'avaient pas eu le temps de
répartir équitablementleur maigre bagage, de sorte que souvent, la
femme était en possession du linge du mari qui, de son côté, gardait le
peu de nourriture qu'ils avaient eu la présenced'esprit d'emporter...»
«L'affolement, observera G. Wellers, témoin durant près de quatre
ans, de la vie à Drancy, était extrême» (G. W. 138).
Pris au piège que pouvaient leur tendre les passeurs à la ligne de
démarcation, ou dénoncés à la Kommandantur, tous ceux qui
avaientété raflés se retrouvaientlà comme ceux qui furent notam-
ment arrêtés lors de cette vaste opération des 26 et 28 Août 1942,
que menèrent exclusivementles Français en zone non occupée,
et qu 'exécutèrent selon des plans soigneusementpréparés dans cha-
que département, la police, la gendarmerie, les gardes mobiles,
les pompiers et la troupe. Autantd'hommes, de femmes, d'enfants,
séparés les uns des autres, regroupés comme du bétail dans des
lieux de rassemblement. De là, triés dans les camps de concen-
tration de la zone «libre» avant d'être convoyés en wagons plom-
bés dans des trains placés sous la garde des gendarmes, jusqu 'à
Drancy, devenue désormaisla plus grande tête de ligne vers Ausch-
witz. Priorité absolue était donnée aux grands convois de dépor-
tés, y compris sur les transports de la Wehrmacht. Ainsi peut-on
calculer qu 'en moyenne, pour les Juifs raflés sur la Côte d'Azur,
cinq jours seulement les séparaient de leur lieu d'extermination.
Un bref instant de vie qui vous transportait du rivage azuréen de
la Baie des Anges aux crématoires d'Auschwitz.

Cette supplique au chef de l'Etat, particulièrementémouvante et courageuse, témoigne


de la grande rafle du 26 Août 1942 en zone libre, et de l'émotion qu'elle put susciter.
A Nice, 560 Juifs furent notamment arrêtés par familles entières dans des conditions
relevant du cauchemar. Arrivés à Drancy le 1er Septembre, ils quitteront le
camp le
lendemain même pour Auschwitz (convoi n° 27). Sur 1000 déportés dont 150 enfants,
650 seront gazés à l'arrivée.
Mais, de loin, le sort le plus affreux fut celui réservé aux
enfants, lesquels furent à la demande expresse du Président
Laval, associés au programme de déportation.

«Le Président Laval a proposé à l'occasion de la déportation des


familles juives de la zone non occupée, de déporter également les
enfants de moins de 16 ans. Le problème des enfants juifs restant
en
zone occupée ne l'intéresse pas».
Dannecker à Eichmann. 6 juillet 1942.

«Dans la deuxième moitié du mois d'août 1942, on amena à Drancy,


4 000 enfants sans parents. Ces enfants avaient été arrêtés avec leurs
parents le 16 juillet. Cinq jours plus tard, les parents et les enfants
furent envoyés de Paris à Compiègne. Là, on sépara les enfants des
parents.

On déporta les parents directement de Pithiviers et on envoya les


enfants par groupe de mille à deux cents adultes étrangers à Drancy»
(G. W. 140).

«Ces enfants étaient âgés de 2 à 12 ans. On les déchargea des autobus


au milieu de la cour, comme de petites bestioles. Les autobus arrivaient
avec des agents sur les plates-formes, les barbelés étaientgardéspar un
détachement de gendarmes» (G. W. 140).
«Les enfants descendaient des autobus et aussitôt les plus grandspre-
naient la main des tous petits, et ne les lâchaient plus pendant le court
voyage vers les chambrées. Dans l'escalier, les plus âgés prenaient sur
leurs bras, les plus petits et, essouflés, les montaient au 4ème étage. Là,
ils restaient les uns à côté des autres, comme un petit troupeau apeuré,
hésitant longtemps avant de s'asseoir sur les matelas, d'une saleté
repoussante» (140). «La réunion était alors d'une tendresse dont seuls
les enfants dans le malheur ont le secret» (141). Et Georges Wellers de
poursuivreson évocation «qu 'on se représente une chambre sale puante,
à peine éclairée la nuit par une veilleuse bleue. Couchés par terre, sur des
matelas à moitié déchirés et qui perdent leurs plumes, souillés par les
excréments et puant l'urine, cent ou cent vingt enfants vivent là, jour et
nuit, abandonnésà eux-mêmes.
Qu 'on essaye de se représenterles silhouettes des fillettes et des garçons
de deux, trois ou quatre ans, harassés de fatigue, dormant les uns sur les
autres, leurs joues douces et délicates posées directement sur l'ordure
des matelas.

Ils se réveillent parfois brusquement avec des cris de terreur, ils appel-
lent vainement leurs mères et réveillent les autres enfants à l'entour.
Qu'on imagine... les regards apeurés et désespérés des tout-petits qui
ont à satisfaire leurs besoins et qui ne savent pas le faire tout seuls».
(159).

«Les enfants se trouvaientpar cent dans les chambres, on leur mettait


des seaux hygiéniques sur le palier puisquenombred'entre eux ne pou-
vaient descendre le long et incommode escalier pour aller aux cabinets.
Les petits incapables d'aller seuls, attendaient avec désespoir l'aide
d'une femme volontaire ou d'un autre enfant».

«l,es tout- petits ne connaissaient souvent pas leur nom, alors on


interrogeait leurs camarades qui donnaient quelques renseignements...
Chaque nuit, de l'autre côté du camp, on entendaitsans interruptionles
pleurs des enfants désespérés et de temps en temps, les appels et les cris
aigus des enfants qui ne se possédaientplus».
«Ces enfants ne restèrent pas longtemps à Drancy. Deux ou trois
jours après leur arrivée, la moitié d'entre eux quittait le camp, en dépor-
tation, mélangés à 500 adultes étrangers. Deuxjours plus tard, c 'était le
tour de la seconde moitié» (G. W. 142).

De toutes les péripéties affreuses que connut le camp de


Drancy, celles qui ont témoigné de la situation particulièrement
inhumaine réservée aux enfantsjuifs, ont été les plus insupporta-
bles. C'est là, que 5 500 enfantspassèrent du 21 juillet au 9 sep-
tembre 1942. Beaucoupy arrivèrenten wagons à bestiauxde toute
la France, dans un étatphysiqueet moral lamentable. Entre 900 et
1 000 durent être hôspitalisés en arrivant au camp.

Pour ces seuls enfants, les statistiques allemandes révèlent


qu'en 1942, 1 032 enfants de moins de 6 ans ont été déportés de
Drancy vers Auschwitz.
- 557
2 de 6 à 12 ans
2
- 464
de 13 à 17 ans
Au total plus de 6 000 pour cette seule année.
Le respect sacré que Vichy et son chef suprême consacraientà
la famille, ne valait à l'évidence, que pour les Français exclusive-
ment !
C'est le 27 Mars 1942 à 12 h que partira pour Auschwitzle pre-
nlÍer train de déportés depuis la gare du Bourget-Drancy via
Compiègne.
Le capitaine SS DANNECKER dirigera en personne le convoi (1 112
déportés). Ce premier train était composé de wagons de troisième
classe. Par la suite et pour des raisons d'économie, les Allemands
leur préférèrent les wagons de marchandise. Là où il fallait
200 hommes pour garder un train de voyageurs, un train à bes-
tiaux en exigeait beaucoup moins. En moyenne, chaque convoi
réunissaitune locomotive, trois wagons de voyageurs pour l'escor-
ter, vingt wagons de marchandise.

Les gendarmesfrançais accompagnaientles déportésjusqu'à la


frontière allemandeà Novéant, où les Allemands les relayaient.

Le coût de chaque déportation était supporté par les Français :


700 DM par Juif, plus l'équipement et le ravitaillement pour une
période de quinze jours à partir du jour de la déportation. Geor-
ges Wellers raconte à nouveau les péripéties d'un départ en 1942.

«Deux ou trois jours avant le départ, le bureau des effectifs établissait


la liste de1 000 partants. Examen médical rapide, vérification de la
nationalité : étrangers, français, anciens combattants... IJ

«Les chefs d'escaliers appelaient les déportés. Ceux qui étaient nom-
més se faisaient une raison et préparaient leurs bagages. Le lendemain à
7 heures, appel du chef d'escalier. Rassemblement dans la cour, on
coupe cheveux, barbes et moustaches. On remonte dans sa chambre
pour un nouvel appel, pour redescendre ensuite avec ses bagages à la
fouille. On regagne ensuite l'escalier du départ sans retour en arrière».

«La fouille était opérée par un certain nombre d'inspecteurs de


police. Les consignes interdisaient plus d'un colis à la main et une
musette. Interdits, argent, objets de valeur, outils, objets coupants, qui-
nine, véganine, considérées comme «drogues stupéfiantes», papier
hygiénique assimilé au papier à écrire...
«Les aiguilles, les épingles, les petites glaces de poche, les boites
métalliques de conserve, les tubes métalliques d'aspirine, les menus
objets en verre ou en métal, étaient confisqués comme «objets cou-
pants» (G. W. 234).

Plus tard, pour diminuerl'angoisse et écarter toute inquiétude


de la part des déportés, Brunner décida d'assouplir le moment
essentiel de la fouille. Le plus important pour lui, était que la
cadence des déportations fut respectée, et que les arrivées et les
départspuissent se succéderdans les meilleures conditions.

A droite, en entrant dans le camp, les troispremiers escaliers du


départ accueillaient ceux qui avaient été désignés pour partir.

Dans chaquechambréeil y avait environ 86 personnes entassées


dans une promiscuité inimaginable.

« En novembre 1942, les matelasétaient redevenus de la paille qu'ilfallut


brûler. Jusqu'enjuillet 1943, les déportéspassaient la nuit sur un sol bossué
en ciment» (G.W. 242).

« Les convois quittaientle camp dans un état de dépressionmorale intense.


Pendant la dernière journée et la dernière nuit dans les chambrées des
déportés, c' est l'inconsolabledétresse de ceux qui se sentaientperdus et qui
ne voyaient aucun secours d'aucun côté.

« On voyait partout desfemmes silencieuses ou en larmes, de petits visages


d'enfants, exprimantdans leurs regards une stupéfaction étonnée ou inquiète.
Des hommes cachant leur misère sous une crâneriepitoyable.» (G.W. 165).

« Les convois partaient ainsi au petitjour,abandonnantles chambréesvers


5 heures du matin. En pleine nuit, à 6 heures, ils étaient parqués dans la
cour, les uns après les autres emportés par les autobus. Parfois on vidait les
infirmeries en déportant tous les malades, les jambes dans le plâtre ou la tête
bandée, les moribonds sur les civières, lesfous délirantsà qui on administrait
des calmants.» (G.W. 154).
A 7 heures du matin, la nuit avait englouti sa cargaison de On entasse les partants dans les wagons de marchandises, qui
bétail humain. Tout était fini! Le plus atroce restait à faire! sont plombés avant le départ et ne sont descellés qu'unefois
I parvenus à destination. Pour seule boisson, deux seaux d'eau
Pendant longtemps, les départs eurent lieu de la gare du par wagon, il devront suffir (l tous les besoins de ces malheureux
Bourget, plus tard de celle de Bobigny. pendant tout le \'OYllge.

-
A partir du troisième convoi, le 22 juin 1942, des femmes Vu leur nombre, les déportés ne peuvent ni s'allonger, ni
commencèrentà partir dans la proportion de plus de la moitié. s'asseoir. Les wagons étant entièrementfermés, on ne peut rien
voir au dehors. Quelquespetites ouverturesprès du toit permet-
tent à ces pauvres gens de ne pas mourir asphyxiés.

Dès le 5 août 1942, les convois comportèrentpériodiquement


des enfants de moins de 15 ans, ce qui ruina la thèse officielle
franco-allemande de colonies de travail pour les Juifs, à l'Est.

Bien plus, l' apparition dans le camp desfemmes, des enfants,


et des vieillards, changea fortement sa physionomie.

«Les déportationsprirent un caractère pathétique,parfois délirant. Tout


se passait dans une nervosité intense, aussi bien pour les déportés que pour
ceux qui restaient. On ne voyait pas de limite imaginableà la cruauté. Les
choses les plus monstrueuses s'accomplissaientavec la simplicité du quoti-
dien »
.
(G.W. 157).

Habituellement, les déportés quittentDrancy pour la gare, le


matin de bonne heure, car le train part dans la matinée. Cepen-
dant, le mois d'octobre 1942, les jours devenant de plus en plus
courts, l'acheminement se fera la veille au soir, à cause de la
lumière. Le départ des trains ayant lieu le matin, toujours à la
même heure, les déportés passent ainsi une nuit de plus dans ces
horribles wagons.
Pendant l'année en question, les règles du début pour le choix des
déportés évoluèrent rapidement en s'aggravant. Si naguère chaque
Pour les enfants, rapporte Georges Wellers, l'horaire était le
même.
déportésubissait certains examens médicaux, à partir du 16 juillet 1942,
ces examens furent complètement supprimés. Parmi les malades qui se
faisaient déclarer, au début on retenait les plus sérieux : les fractures
récentes, les maladies chroniques dans leur phase aigue, telles que le dia- « Le jour de la déportation, les enfants étaient réveillés à 5heuresdu matin
bète ou la méphrite, la tuberculose pulmonaire évoluée, les maladies et on les habillaitdans la demi-obscurité. Il faisait souventfrais à cinq heures
mentales, incurables. Mais au mois d'août la tuberculose fut liquidée du matin, presque tous les enfants descendaientdans la cour, très légèrement
dans le camp par la déportation expresse des malades, et à chaque vêtus.
déportationon porta sur les brancardsjusqu 'aux autobus de 5 à 7 mala-
des dans le plâtre, ou des asthmatiquesen pleine crise, même des fous Réveillés brusquementdans la nuit, morts de sommeil, les petits commen-
qui se débattaient.Il n 'y avait que les maladies infectieuses qui puissent çaient à pleurer et peu à peu les autres les imitaient. Ils ne voulaient pas
ajourner la déportation du malade jusqu'à sa guérison ou sa convales- descendre dans la cour, se débattaient, ne se laissaient pas habiller. Il
arrivait parfois que toute une chambrée de cent enfants, comme prise de
cence.
panique et d'affolementinvincible, n'écoutaitplus les paroles d'apaisement;
alors on appelait les gendarmesqui descendaientsur leurs bras les enfants
hurlant de terreur.» (G.W. 245).
Pendant quelques semaines, on ne déportapas de Drancy, les person-
nes âgées de plus de 60 ans, ni les enfants en bas âge. Vers la fin du mois
d'août, la limite d'âge sera reculée à 70 ans; plus tard elle n 'existeraplus
du tout. Il y eut des vieillards centenaires déportéset, au mois de février
1943, on a vu la déportation de plus de 1.500personnes, hommes, fem-
mes et enfants dont l'âge moyen (y compris les enfants) était de 64 ans et
demi. Le doyen de ce groupe avait 96 ans. De temps en temps on obte-
nait l'autorisation de renvoyer un certain nombre de vieillards à l'asile
de l'hôpital Rothschild. A d'autres moments, on allait les chercher dans
cet asile pour les ramenerà Drancy, et les déporter. Un petit nombre de
vieillards, eurent la chance d'être oubliés à l'asile et furent ainsi sauvés
au moment de la libération.

Les enfants au dessous de deux ans avaientété reconnus «non dépor-


tables», on ne fit plus aucune attentionà leur âge. Un grand nombre de
nourrissonsfurent déportés, et dans un convoi pris place un enfant
arrivéà Drancyà l'âge de 15 jours et déportéà 17jours. S'il a supporté
le voyage, il aura été certainement exterminé quatre jour plus tard.

Le flottement a étéplus grand en ce qui concerne les femmes encein-


tes. A certaines époques on ne les déportaitpas avant le terme de la gros-
sesse. On les déporta ensuite avec leur bébéné à Drancy. A d'autres épo-
ques, on les déporta sans attendre leur délivrance.»

73
Pourtant cette longue tragédie du camp de Drancy connut aussi
des heures d'intense espérance lorsque, abandonnés à leur sort et
condamnés à l'extermination, des internés osérent s'engager dans
la folle entreprise de creuser un tunnel d'évasion,
en septembre
1943, dans des circonstancesqu'un desprincipaux témoins M. A.
Ullmo rappelle ici.

«Le projet mis au point consistaità creuser un tunnel,


non pour
quelques-uns (ce qui eut étéplus facile et plus rapide), mais
pour
permettre l'évasion de tous les internés.

Cette tranchée-abri offrait l'avantage d'une zone de dispersion assez


étendue. Le départ du camp devait avoir lieu sitôt après l'appel du soir,
au jour J. La dispersion se ferait jusqu'au couvre-feu, puis dès la levée Liste de l'équipe du tunnel :
du couvre-feu jusqu'à l'appel du matin. Un service d'ordre devait pren-
dre en charge les internés, escalier après escalier, les canaliser sans bruit. Claude Aron, déporté, décédé; colonel Robert Blum, déporté,
La résistance de Drancy et des environs était mobiliséepour hâter le per- décédé; Robert Dreyfus, déporté, décédé; Jean Bader, décédé; Juda
cement du tunnel à hauteur des escaliersde l'abri, mettre des camions et Basicurinsky et ses camarades, déportés, décédés; Stanislas Vadasz,
des cachettes à notre disposition pour les vieillards, les infirmes, les fem- déporté, décédé; René Geismann, décédé; Georges Geismann, décédé;
mes et les enfants. Rien ne manquait à notre plan. Georges Levitzki, décédé; Pocicelsky dit Georges Boris, décédé; Ray-
mond Walch, décédé; Roger Lévy, décédé; Pierre Bloch, déporté; Serge
Bouder, évadé de déportation; Jean Cahen-Salvador, évadé de déporta-
tion; Elie Cario, corps franc du capitaine Neuville; Bernard Dreyfus;
Les premiers travaux sont entamés vers le 15 septembre 1943. Roger Gerschel, évadé de déportation, Georges Gerschel, évadé de
L'équipe de base qui décide de l'entreprise est composée de Maurice déportation; Oscar Handschuh, évadé de déportation; Louis Hands-
Kalifat, des deux frères Geissmann, Roger Schandolow, Abraham chuh, évadé de déportation, Eugène Handschuh, évadé de déportation;
Stern, Claude Aron et André Ullmo, ces deux derniers assurant la Maurice Kalifat, évadé de déportation, Léon Kutner; Robert Manuel;
co-
direction des opérations. Puis, dans les jours qui suivent, et au fur et à Charles Meyer; Jean Oppenheimer; Claude Rain; Michel Sciama; Roger
mesure des nécessités (pour évacuer la terre, boiser le tunnel, tasser la Schandalow, évadé de déportation; Robert Schwob; Abraham Stern;
terre dans les caves) notre équipe devient de plus en plus importante. Raymond Trèves, évadé de déportation; André Ullmo; Jean Varon;
Voici les noms de ceux qui en furent les permanents, travaillant prati- Raymond Weill; Marc-Adrien Weill, Paul Zigmant; Henri Schwartz,
76 quement tous les jours : déporté revenu.
Membres du brain-trust et du service de sécurité:

CommandantGeorges Kohn; Roger Lévy; Jean Bader, Jean Vilma.

Mais comment rappeler tous les noms de ceux qui, venant d'arriver et
sachant qu'ils partiraient certainement le lendemain, ou quelques jours
plus tard, acceptaient de descendre travailler à l'œuvre de libération
dont ils ne profiteraientpas ! Certains, comme Juda Basicurinsky et les
camarades de son parti, ne sont pas revenus : d'autres, tel Marcel
Stourdzé, ont survécu et sont là maintenant.
Il y avait aussi l'état-major composé du Commandant Kohn, de
Roger Lévy, de Jean Bader, chef de la sécurité et du renseignement, de
Jean Ullmo, qui assura une protection efficace lorsque fut prise la déci-
sion de travailler 24 heures sur 24, à trois, puis enfin à quatre équipes.

Il est difficile de décrire en quelques lignes ou d'imaginer les efforts


qu'il fallu déployer et les précautions qu'il fallut prendre : trouver le
matériel nécessaire pour creuser une galerie haute de 1 m 30 et large de
0,80 m, éclairée à l'électricité et entièrement boisée; travailler au fond
pour percer, transporter la terre; supporter la chaleur, le manque d'air.
Chaque jour ou presque, il fallait monter sur les toits pour vérifier la
direction ou calculer les corrections à donner à l'axe du tunnel. Ilfallait
aussi, hélas, cesser de travailler quelques jours, avant et après le départ
des convois. Quant à l'impatiencedes travailleurs, elle nous causait des
soucis. Il était difficile de leur faire admettrequ 'ils n 'avaient pas le droit
de percer en surface aussitôt après le passage sous les barbelés; que la
chance de quelques uns ne peut être obtenue au prix d'une repression autant d'acharnementque de discrétion, ils cherchent. Ordre est donné
collective sur tous ceux qui resteraient au camp. de cesser le travail. Un conseil de guerre est réuni qui prend la décision
de «les mettre dans le bain». Le travail reprend, ils descendent au fond
Ce fut un drame pour Claude Aron et pour moi, de maintenircoûte régulièrement à leur tour. Sans être pleinement rassurés, nous respirons.
que coûte, le projet initial. Nous ne savions pas encore que l'arrivée à Mais, trois semaines plus tard, ils sont réexpédiés à Compiègne aussi
Auschwitz ou à Theresienstadt impliquait la mort pour 99 % de nos subitement qu'ils en sont venus. L'un d'eux, Lobstein, fut déporté.
coreligionnaires. Nous étions préoccupés davantage par les soucis du L'autre resta à Compiègne jusqu'à la Libération. Mais après leur
travail de tous les jours. Le temps jouait contre nous, nous étions à la départ, nous donnonsl'ordre de suspendre les travaux. Le tunnel avait
merci du plus petit incident. Les S.S. s'entraînaient au tir dans les alors plus de 35 mètres. Une semaine se passe sans alarme et les travaux
caves... Il pouvait y avoir des mouchardsdans le camp... Nos craintes reprennent avec acharnement. Il ne restait que 1,30 m ou 1,40 m, une
de ne pouvoir aboutirfurent bien plus fortes lorsque deux internés que journée de travail environ à quatre équipes, lorsque tout à coup le signal
nous avions connus à Compiègne, arrivèrent inopinément à Drancy : ils d'alarme fut donné par un de nos camarades, de l'entrée du
ne sont pas Juifs, nous le savons. Pourquoi les envoie-t-on ? Pourquoi camp : signaux acoustiques, signaux optiques, un coureur vient me pré-
dès leur arrivée, manifestent-ils un intérêt si grand pour les caves ? Nuit venir que les Allemands se préparent à inspecter les caves. Ils descendent
et jour, Jean Bader et ses hommes les surveillent. Nuit et jour, avec par l'escalier 1, à l'autre extrémité du bâtiment. Immédiatement
J.'envoie Jean Varon passer les consignes aux camarades du fond, déjà
alertés par signaux lumineux : cesser le travail immédiatement, camou-
fler comme d'habitude l'entrée de la cheminée à l'aide d'une planche,
étendre de la toile et par dessus de la terre qu'on piétinera. Celafut exé-
cuté impeccablement. Je constate que l'équipe entière est sortie de la
cave.
Presqu au même moment, les S. S. arrivent. Le camouflage hélas,
était vain. Comment camouflerefficacement les masses de terre extrai-
tes du tunnel et répanduessur le sol chaque jour par des équipes spécia-
les qui tassaient cette terre sur le sol de la cave ? Les S. S. mirent tout de
même un certain temps à découvrir l'entrée de la cheminée. Nous pen-
sions que le dépit d'avoir sous-estimé le courage des Juifs allait entraîner
les S. S. aux plus atroces cruautés. En vérité, comme le rapporta plus
tard M. Brey, un chauffeur de la Préfecturede Police, mis à leur dispo-
sition, les S. S. manifestèrent leur admirationpour ce travail qu'ils quali-
fièrent de fantastique.

Telle est, brièvement résumée, l'histoire du tunnel. A côté de l'épo-


pée, l'histoire de tous les jours à sa place. La résistance c'est aussi le
maintien du moral.

Dans l extraordinaire misère du camp de Drancy, les internés ont


connu un moment d'intense satisfaction. C'est celui que leur a donné le
sentiment de l'accomplissement de leur devoir d'homme et de Juif.
Parce qu'elle est un élément intime de l'âmejuive, à Tsedaka (justice-
charité) a armé de courage les Juifs dans leur lutte pour la liberté. Les
résistants du camp de Drancy, dont beaucoup avaient été arrêtés pour
faits de résistance, ont, en unissant leurs efforts à ceux des résistants
encore en liberté, travaillé pour la Libération de la France et de tous les
peuples^
L'image humaine du mal, ce fut donc bien cette énorme
course
à la mort engagée partout contre les Juifs, pourchassés dans la
rue,
traqués dans l'atelier, dans la chambre meublée, dans la salle
d'attente en longues files silencieuses, dans les couloir des trains...
Ce fut pour eux le long voyage aux multiples étages, de la salle
d'interrogationdu commissariatde police de Marseille, Lyon, Nice
ou Toulouse,jusqu'à Drancy. Là, numérotés, dénaturalisés, embar-
qués dans des wagons plombés pendant troisjoursjusqu'à Ausch-
witz, leur vie s'arrêtait brutalement avec la chambre à
gaz. le four
crématoire et son odeur forte et pénétrante de graisse brûlée.
Le 28 Août 1942, le 25 000e Juif quittait Drancy pour Ausch-
witz. Deux ans plus tard, jusqu'au 11 Août 1944, le chiffre atteint
75 721 déportés, dont Serge KLARSFELDa publié les
noms, con-
voi par convoi.
"Cest par téléphone, un matin de la fin de Février 1944,
vers dix heures, qu'une voix
amie, celle de Pierre Colle, m'apprenait l'arrestation de Max Jacob par les gendarmes
au service des autorités d'occupation.
On avait ramassé tous les citoyensjuifs du département du Loiret ; il faisait partie du
lot pour la déportation !...
En quittant Saint-Benoît-sur-Loirepour Drancy, il avait tracé quelques lignes pour
curé : ',Je remercie Dieu pour le Martyre qui s'avance" disait-il." son

(Henri Sauguet - Drancy, Avril 1984).

Après deuxjours passés dans un wagon glacial en gare d'Orléans,


Max Jacob qui contracte une congestion pulmonaire arrive le
28 Février 1944 à Drancy (matricule 15872). Avant d'être transféré
à l'infirmerie où il mourra le 5 Mars 1944, le chef de la police
du camp prend le temps de lui soustraire... contre un reçu, la
somme de 5 520 Frs et sa montre.
Vivant, Max Jacob aurait probablement fait partie du convoi
n069 du 7Mars 1944 à destination d'Auschwitzoù sur 1 501 Juifs,
dont 170 enfants, 1 311 furent gazés dès l'arrivée.

«...Jadis, personne ne me remarquait dans la rue, maintenant les enfants se moquent


de mon étoile jaune.
Heureux crapaud ! tu n'as pas d'étoile jaune».

Max Jacob - Derniers poèmes en vers et en prose.


Pourarriver à un tel résultat les effectifsallemands en France (2 500
au maximum dont la plupart ne parlaient pas français ni
ne connaissaient la géographie) ne purent que faire appel à l'aide
des Français, qui leur fut largement offerte, au point que, tant aux
frontières que dans la zone d'occupation italienne (Savoie, Nice),
les gouvernements fascites Italien, Espagnol et Portugais, proté-
gèrent les Juifs des mesures prises par J'Etat français lui-même,
jusqu'à s'opposer à lui par les armes comme le firent les Italiens
à Grenoble ou à Annecy.
Les déportations étaient donc en grandepartie la tâche de la police.
Les arrestations, le regroupement et la remise des victimes aux
Allemands, étaient organisés et exécutés par des fonctionnairesdu
ministre de l'Intérieur, responsables devant LAVAL et dirigés par
le secrétairegénéral de la police, René BOUSQUET et son délé-
gué à Paris, LEGUAY

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La police antijuive de Vichy était du ressort du gouvernement ;
la police régulière et la gendarmerie présidaient aux arrestations
et gardaient les trains de déportés.
A quelquesmois de la Libération, la dernière opération de police
conduite contre les Juifs aura lieu à Bordeaux en Janvier 1944.
A deux semaines de la Libération de Paris, en gare de Bobigny,
la S.N.C.F. acheminait sans encombre son dernier train de con-
damnés à mort.

'A l'époque de la "bataille du rail", rien n'a été fait de façon systématique qui puisse
libérer et sauver le bétail humain des wagonsplombésdont les cheminots n'ignoraient
pas le contenu. Du 27 Mars 1942 au 11 Août 1944, 85 convois ont été acheminés de
France, transportant 76 000 êtres humains, sans incident de parcours."

(Annie KRIEGEL, Vichy et la Question Juive, p. 360).

Rien en effet ne s'interposa pour freiner ou empêcherles transports vers Auschwitz,


même pendantl'été 1944 quand tout était irrémédiablement perdu pour l'Allemagne,
et lorsque les sabotages provoquaient partout des déraillements et effectaient d'autres
convois.
"Aucun des 85 convois de Juifs déportés ne dérailla ou ne subit d'avaries. Pendantla
seule année 1944, 14 transports quittèrent la France ; tous sauf 3 emmenant un millier
de Juifs ou davantage.Les seuls incidents signalésparles SS furentdes évasionsindivi-
duelles."
(R. PAXTON, Op. Cit., p. 305)
Aujourd'hui les historiens sont unanimes à reconnaître que lors-
que les Allemands commencèrent la "Solution finale", l'antisé-
mitisme d'Etat de Vichy leur offrit, par sa législation, son admi-
nistration, ses services de police, de gendarmerie, de justice,
demeurésintacts après la débâcle de 1940 etjusqu'à la Libération
— sans compter tous ceux qu'elle créa d'elle-même —, une aide
plus importante que celle qu'ils reçurent dans aucun autre pays
d'Europe :
En ce domaine la nation héritière des Droits de l'Homme servit
plus fidèlement l'hitlérisme que la Hongrie ou la Roumanie.
"Combien de morts y aurait-il eu en moins si les nazis avaient
été contraints d'identifier, d'arrêter et de transporter eux-mêmes
sans aucune assistancefrançaise, chacun des Juifs de France qu'ils
voulaient assassiner ? On ne peut que le conjecturer."
(R. PAXTON, Op. Cit., p. 339)
Non! Jamais aujourd'hui on n'aurait pu lire les noms des
75721 déportés, convoi par convoi, tels que les a publiés
S. Klarsfeld, et dont les centaines de pages font penser à l'an-
nuaire téléphoniqued'une ville moyenne, si la France des Droits
de l'Homme ne s'était laissée pervertirau point de promulguer et
de faire appliquer par son administration des lois raciales plus
dures que celles de Nuremberg.

Et si ce drame immense et inoubliabledont veulenttémoigner


ici ces photos inédites et ces documents irréfutables, est la
conséquencefatale du tribut au mal que laissèrent imposer au
peuple de la Thora les grandes nations européennes, Drancy et
ses barbelés expliquent encore à leur manière, la raison même
d'Israël; l'impérieuse, l'absolue et cruelle nécessité pour tous
ces humiliés, pour ces quelquesmillions de survivants de la plus
grande infamie de l'Histoire, de vouloir survivre aujourd'hui en
tant que nation. Détermination radicale, soif inextinguibleparce
qu' éprouvée au seuil même des crématoires, de vouloirpersister
dans son être.

Que penvent encore aujourd'hui nous apprendre ces visages dis-


parus d'enfantsarrachés des bras de leurs mères, parqués comme
des bêtes, transportés et jetés aux flammes par milliers, sinon
qu 'aucune nation aussi fière et sûre d'elle soit-elle de ses valeurs,
de ses institutions et de ses hommes, n'est vraiment à l'abri du
Mal à un moment ou à un autre de son histoire. Pas même la
France, terre d'asile et d'émancipation,qui faillit durant quatre ans
d'autantplus gravement qu'elle s'estimaitjusqu'alorsdétentrice et
inspiratrice du droit universel de légiférer sur la dignitéhumaine.
REMERCIEMENTS
Le présent ouvrage renouvelle en la complétant une première
initiative. Son auteur, en voulant y maintenirprésente l'impérieuse
nécessité du vrai, tient à exprimer ses plus vifs remerciements à
ceux qui J'ont toujours encouragé dans cette voie : M.V.
JANKELEVITCH, philosophe, dont il veut honorerici la mémoire,
M. R. PAXTON, historien, M. G. WELLERS, Maître de
recherche honoraire au C.N.R.S. ; ainsi qu'à ceux qui l'ont aidé
dans ses recherches : M. Yves JOUFFA,président honoraire des
anciens internés et déportés du camp de Drancy, président de la
Ligue des droits de l'homme, M. A. Ullmo, avocat Honoraire,
M. H. SAUGUET, président des Amis de Max JACOB, Mme C.
COHEN-NAAR, directrice du C.D.J.C., Mmes et M. S.
HALPERYN, S. MIMOUN, V. JACOBSEN, documentalistes
responsables des archives du C.D.J.C.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES :

- Serge
Raoul HILBERG La destruction des Juifs d'Europe,
KLARSFELD
: FAYARD, 1988.
mémorial de la déportation des Juifs de France,
: Le C.D.J.C. 1978.

Vichy-Auschwitz, 2 vo) : 1942, 1943, 1944 FAYARD, 1985

E. KOGON : Les chambres à gaz : secret d'EtatEd. Minuit, 1984
- M. MARRUS, R. PAXTON : Vichy et les Juifs CALMANN-LEVY, Paris, 1981
- R. PAXTON : La France de Vichy, FAYARD, 1972.
,

G. WELLERS : L'Etoile jaune à l'heure de Vichy ou de Drancy à Auschwitz, FAYARD, 1973.




G. WELLERS : Les chambres à gaz ont existé, GALLIMARD, 1981.
C.D.J.C. Colloque international : La France et la Questionjuive : 1940-1944, Paris, 1981.


Colloque : L'Allemagne nazie et le génocide juif, Ed. Seuil, 85.
Imprimé et Edité sous les Presses de

IMPRIMERIE

16, Avenue Carnot, 93350 LE BOURGET


Tél. (1) 48.37.06.21, FAX (1) 48.37.30.20
Dépôt légal Décembre1988
ISBN en cours

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