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le paysage façonné
CHAPITRE UN : INVENTIONS.................................................. 13
Le paysage............................................................................. 14
La photographie................................................................... 25
Le désert............................................................................... 33
Le tourisme........................................................................... 45
CONCLUSION............................................................................. 201
POSTFACE Note sur un essai de méthode................................. 207
BIBLIOGRAPHIE......................................................................... 217
Catalogues............................................................................. 233
Documents............................................................................ 234
Voyager, dit-elle
Une préface est nécessairement un voyage. Une sorte de tourisme textuel,
qui a pour but d’établir des repères, de reconnaître les points de vue, en somme
de photographier des sites dans l’œuvre à lire, de façon à tracer, pour le lecteur
sédentaire, un itinéraire engageant…
Tout comme le voyageur qui fait l’Égypte en huit jours, et la Mésopota-
mie en deux semaines, l’auteur d’une préface ne prétend pas tout dire, tout
voir, tout rapporter du pays qu’il traverse, mais il peut en partager les impres-
sions.
Ce sont bien des impressions ou des instantanés que je voudrais rassem-
bler ici, revenant de ce voyage dans le texte de Suzanne Paquet. Voyage dans le
voyage, car ce livre, qui parle de paysage, en efface les limites, en franchit les
frontières et en déplace les points de fuite.
Dès l’abord et résolument, l’auteure nous place devant la réalité : nous
sommes dans l’ère post-industrielle. L’économie gère le monde, et pas seulement
au sens politique et social, car la culture aussi a son économie, qui façonne des
standards, distribue les avantages, partage ou retient les ressources. Le pay-
sage, comme l’art et ses œuvres, sont des objets exploitables, et rentables pour
peu qu’on s’y attache.
Nous voici déjà loin de l’étalon-paysage traditionnel, dont nous avons
l’image et l’idée en tête. Nous voyons s’effacer peu à peu les paysages de Poussin
et les ciels de Turner, les ruines des romantiques et les abîmes de Friedrich ; non
qu’ils aient disparu, mais ils ont changé de statut ; ce ne sont plus des tableaux
de musée, propres à la contemplation, des instants éternels destinés à la vue,
non, ils ont pris la tangente, ils voyagent, maintenant. Et avec eux, la concep-
tion qui les a fait naître et les a soutenus tout au long des siècles jusqu’à
aujourd’hui. Car les concepts aussi, voyagent, et c’est bien ce que montre ce
livre de manière très originale.
1. Une partie de cette œuvre peut être vue à l’adresse suivante : http://www.emanuel-licha.
com/war_tourist.html
La pratique et le concept
Mais le point fort de ce livre avant-coureur, sur lequel il faut insister, à
mon sens, c’est le nœud complexe qui est clairement montré ici, entre le voyage
« réel » que l’on accomplit en personne en se déplaçant dans des sites, et le
voyage « mental » entre des conceptions différentes de l’environnement dit
naturel. Autrement dit le lien entre pratique et concept, l’un se pliant à l’autre
et vice-versa dans un enlacement continuel.
Ainsi, l’auteure parle-t-elle de ces lieux-cultes du land art que sont
Spiral Jetty ou le Double Negative, ou encore les Sun Tunnels, que l’on
connaît par les photographies et les textes, mais qui sont littéralement invisibles
si l’on se déplace pour les voir. Ils ne sont appréhendés que par un déplacement
mental. Le concept de paysage mis en œuvre dans ces installations trouble
ainsi à la fois la perception de la chose et la pensée de ce qu’est un paysage, s’il
est invisible. Ces œuvres sont donc heuristiques, ce sont des pistes pour la
réflexion, tout en étant aussi des pistes dans le désert. Marches circulaires
autour d’un inconnu : le site non-site.
Mobilité, fluidité, inachèvement de l’interrogation, comme aussi retour-
nements et dérives. C’est cela que l’art nous apprend. Dans les mains des artis-
tes, la photographie défie le code des agences de voyage et des lois sur la sauve-
garde des monuments. Ce faisant, cette arme critique ne touche pas seulement
le résultat des politiques de l’environnement, elle touche au plus profond l’idée
qu’on se fait du paysage. Elle en invente les traits contemporains.
L’âge industriel
Le XIXe siècle est assurément le moment où se mettent en place
les éléments indispensables à la transformation qui sera ici analysée.
C’est un temps fort de l’ère industrielle, de nouvelles découvertes
techniques autorisant le développement des moyens de locomotion,
avec pour conséquences l’augmentation de la mobilité des personnes
aussi bien que l’émergence d’une nouvelle façon de percevoir le pay-
sage. Alain Corbin, de même que John B. Jackson ont bien explicité
ce phénomène : les transports rapides commandent une nouvelle
posture, une attitude différente du voyageur, qui auparavant se dépla-
çait de toute autre manière (Corbin, 2001 : 111-112 ; Jackson, 1997 :
199-209).
La mise au point du procédé photographique en 1839 est
concurrente de cette augmentation de la mobilité. Produit de
lieux, aussi étudiés ici, peuvent être vus comme les produits ou les
emblèmes de l’intensification radicale des déplacements – une mobi-
lité territoriale mais aussi sociale – et du développement d’une
économie postindustrielle. Ce sont les territoires suburbains, la ban-
lieue, et périurbains, de vastes zones transitionnelles entre l’urbain,
le suburbain et le rural.
Ces motifs et ces lieux ont été largement appropriés et exploités
par les trois artistes à partir des travaux desquels on pourra observer
comment dans la deuxième moitié du XXe siècle s’opère le change-
ment d’état du paysage, comment à cet égard le travail artistique de-
vient partie de vastes entreprises, comment l’art y est instrumentalisé.
Les travaux de Robert Smithson (1938-1973) et de Nancy Holt (née
en 1938), tous deux artistes du land art, ainsi que ceux de Lewis Baltz
(né en 1945), artiste photographe, seront analysés suivant cette pers-
pective. Certaines œuvres d’autres artistes qui leur sont contempo-
rains, par exemple Robert Morris et Michael Heizer, seront aussi
parfois examinées. Deux types de pratiques artistiques, le land art et
la photographie, sont donc pris en compte ; mais tous deux tendent
finalement à se rejoindre. Cette conjonction s’accomplit par la
commande, que caractérisent d’incessants glissements entre l’art et
l’usage, et qui prend de plus en plus d’importance dans le domaine
artistique à partir des années 1960.
Le passage du paysage de bien symbolique à objet façonné adve-
nant par des processus hybrides et par la conjugaison de multiples
éléments, ce sont les interactions entre ceux-ci qui seront décrites,
selon un modèle inspiré par la sociologie de la médiation telle que
proposée en sciences par Bruno Latour et appliquée au domaine des
arts par Antoine Hennion (Latour, 1995 ; Hennion, 1993a et 1993b ;
Latour et Hennion, 1993).
Selon Bruno Latour, les innovations sont généralement le résul-
tat du travail collectif d’agents hétérogènes, de choses et de gens de
toutes sortes6. Lorsqu’elles sont bien au point, parfaitement opéra-
tionnelles et durables, les innovations se propagent et sont reprises
par d’autres groupes et en d’autres lieux et d’autres contextes : « cha-
que fois qu’un objet devient « indiscutable » il se répand ailleurs »
(Latour, 1995 : 321). Des déplacements permettent aux innovations,
devenues entre-temps des faits et des concepts avérés ou des objets
fonctionnels, d’être utilisées à d’autres fins que ce pourquoi elles
6. « Décrire l’association des choses ou décrire l’association des humains, c’est un seul et
même travail » (Latour, 1995 : 341).
Bref itinéraire
Le premier chapitre expose comment certaines innovations, la
perspective des peintres, la photographie et le tourisme, deviennent
des faits et des concepts avérés qui, parce que tous trois sont de plus
en plus indissociables et aussi parce qu’ils feront éventuellement
l’objet de reprises et de combinaisons inédites, sont les éléments
constitutifs du processus étudié dans cet ouvrage. Ce détour histori-
que par la Renaissance puis le XIXe siècle permettra d’établir les assi-
ses de l’argumentation développée dans les chapitres subséquents,
démontrant comment les « non- humains » – objets et œuvres d’art,
territoires, systèmes politiques et économiques – et les humains –
artistes, critiques, membres d’institutions muséales, autres groupes
professionnels –, tous considérés comme des « opérateurs de transfor-
mations ou de traductions » (Heinich, 2001 : 66), concourent, par
leurs actions mutuelles à faire passer le paysage (l’idée ou la chose)
par diverses modulations, pour que finalement se définissent une
forme et une approche très différentes de celles que l’on connaissait
jusqu’à l’époque industrielle.
Le chapitre deux est consacré à l’étude des liens land art, photo-
graphie, mobilité et paysage. Il y est montré que grâce à ces associa-
tions, le land art peut devenir un art du paysage, cependant que la
photographie artistique, même lorsque son motif est le paysage, ne
peut tenir ce rôle. Il est ainsi observé que le land art, par son utilisation
de photographies aux fins de documentation d’une action à même le
territoire, participe de la mécanique de « représentation incitant aux
déplacements en re-connaissance » qui conditionne à la fois l’appari-
qu’un certain art public inspiré du land art : le façonnement des lieux
en aires de loisir et de tourisme ; cette pratique, la mission photogra-
phique, s’inscrit donc comme un autre opérateur de transformation
dans la production de l’espace postindustriel.
Ces analyses successives ou synchrones de différentes matières
abordées en résonance permettront de comprendre que l’espace
ainsi façonné, ainsi produit, en vient à s’envisager globalement comme
une série de paysages, devenant capital (touristique), lorsque de nou-
veaux acteurs tendent à s’instituer en gardiens et dépositaires de tout
ce qui concerne le paysage. Le dernier chapitre explique comment le
land art et la photographie artistique font l’objet de reprises lorsque
de nouveaux groupes ou un nouveau champ s’en réclament et en
usent pour légitimer leurs entreprises et comment, en retour, cette
médiation assure une certaine pérennité au land art : « S’ils ne le
reprennent pas à leur compte, l’énoncé sera restreint à un point de
l’espace et du temps […], mais s’ils le reprennent, ils peuvent le trans-
former jusqu’à le rendre méconnaissable » (Latour, 1995 : 260).
*
Le paysage est donc, depuis son « invention » une fabrication,
un objet qui est de l’ordre de l’artificiel, qu’il s’agisse de construction
visuelle fondée sur les règles de la projection perspective ou bien
d’intervention à même le milieu ou le site. Les lieux ici étudiés sont
déjà radicalement artificialisés, construits, altérés (selon les deux ac-
ceptions du mot), dévastés. De plus, ils se prêtent si mal à l’exercice
conceptuel qui pourrait en faire des paysages que l’on voudra littéra-
lement les modeler à cet effet. C’est pourquoi il faudra tenir compte
des oscillations entre le sens large et le sens plus étroit de la notion de
« paysage postindustriel ». Quelques constats au sujet de possibles
définitions de ce paysage particulier et de ses conditions d’apparition
sont offerts en conclusion.
Prenant pour motif ces singuliers territoires, tout au long d’un
examen attentif des rapports entre représentation et mobilité à tra-
vers la photographie, le land art et le tourisme, il sera possible de
vérifier dans quelle mesure le paysage se produit et se consomme et
quelles sont la part de l’art et la part de l’usage dans cette nouvelle
conception des lieux, le paysage façonné en une des formes du spec-
taculaire intégré. Aux fins de cette investigation, de nombreux fac-
teurs devront être pris en compte, au risque parfois de certains allers
et retours – on aura déjà compris l’importance de ce mouvement –
inventions
Dans le présent chapitre, il est question d’inventions dont cer
taines se présentent en succession et d’autres en synchronie. En fait,
il s’agit de montrer comment certaines « boîtes noires », essentielles
au changement d’état du paysage tel qu’il est examiné dans le pré-
sent essai, se sont « fermées » à certains moments. Les « boîtes noires »,
décrites par Bruno Latour dans La science en action (1995), sont des
concepts, des faits, des techniques ou des objets qu’un travail collectif
et que diverses transformations ont rendu parfaitement fonctionnels
et utilisables, stables et finis1. Ces « boîtes noires » peuvent s’apparen-
ter aux paradigmes scientifiques définis par Thomas S. Kuhn, para-
digmes qui produisent « engagement et accord apparent » et qui
« fournissent des modèles qui donnent naissance à des traditions
particulières et cohérentes de recherches scientifiques » (Kuhn,
1972 : 26). Les boîtes noires « fermées » sont les faits ou les objets et
les techniques dont l’usage est entendu comme « naturel » et univer-
sel, dont on ne met plus en question l’évidence et la nécessité, qui
sont devenus des « points de passage obligés » (Latour, 1995 : 346). Ce
qui ne veut pas dire que certaines d’entre elles ne seront pas réouver-
tes par la suite (les théories que l’on réfute par exemple) ou différem-
ment combinées pour fabriquer d’autres faits et objets et même repri-
ses et transformées à d’autres fins que celles qu’on leur connaît.
Les faits et techniques examinés ici sous cet angle sont : la pers-
pective des peintres qui est le facteur déterminant de l’apparition du
paysage, la photographie dont la mécanique intègre le fait perspectif
et le tourisme qui naît et prolifère en rapport avec les représentations
1. L’expression « boîte noire » est utilisée par les cybernéticiens pour désigner un appareil
ou une série d’instructions d’une grande complexité, mais qui se présente comme « un
tout unique » et « durable » (Latour, 1995 : 26 et 320-321).
LE PAYSAGE
C’est d’abord par l’art, la majorité des théoriciens en convien-
nent, que s’inventent les paysages. S’agissant de décrire des lieux de
manière qu’ils soient dignes d’intérêt, les poètes et les peintres s’oc-
cupent à rendre remarquables des territoires qui auparavant inspi-
raient l’horreur ou la crainte. La montagne est le premier paysage à
apparaître ainsi : c’est le récit de son ascension du mont Ventoux par
Pétrarque au XIVe siècle (Corbin, 2001 : 15 ; Schama, 1996 : 419-422)
qui marque pour la première fois une importante métamorphose des
lieux : « À l’aube des temps modernes, les montagnes figurent les
verrues de la création ; elles semblent un territoire satanique. Peu à
peu, elles apparaissent comme de délicieuses horreurs qui procurent
le frisson ; en un mot elles sont sublimes » (Corbin, 2001 : 88). Bien
que l’on accorde à Pétrarque le bénéfice de la première invention, de
même que généralement on donne préséance à la littérature (rela-
tions de voyages, poésie, etc.) en regard des inventions successives des
différents paysages (après la montagne au XIVe siècle, le rivage et la
mer au XVIe siècle, et ainsi de suite), la peinture vient à peu près au
même moment établir une emprise sur le paysage (et pas nécessaire-
ment les paysages) qui va perdurer pendant des siècles.
C’est la peinture qui retient ici l’attention ou plutôt une
construction picturale, la perspective centrale, perspectiva artificialis
ou costruzione legittima, qui est la perspective des peintres et non celle
de la géométrie. L’emploi de ce procédé permettant la description
(soi-disant) exacte d’une spatialité en trois dimensions sur une sur-
face plane se propage chez les peintres dès le XIVe siècle. On le sait,
c’est à partir des travaux des peintres Giotto et Duccio, ces « fonda-
teurs de la vision perspective moderne de l’espace » comme les
2. Giorgio Vasari, Le vite dei più eccellenti pittori, scultori e arcitetti, Florence, 1568, cité par Marisa
Dalai Émiliani, « La question de la perspective », préface à Erwin Panofsky (1975 : 18).
Cette préface offre par ailleurs des sources bibliographiques abondantes sur la dite ques-
tion.
3. Pour un point de vue critique sur l’histoire de la perspective légitime, voir p. 87-111.
4. En effet, le travail collectif qui est à l’origine de la fermeture des boîtes noires est tissé
d’alliances et de controverses (Latour, 1995 : 320-321).
les travaux publics en France » (Berque, 1990 : 13212). Voici qui s’ac-
corde à ce que j’ai avancé plus tôt, soit que l’art et l’aménagement
sont peu à peu identifiés l’un à l’autre lorsque le paysage cesse d’être
l’affaire de la peinture.
Si la théorie (ou le « point de vue ») de la médiance avec tous ses
néologismes est un tant soit peu obscure et que de toutes façons selon
son auteur même, pour le moment « peu de monde y accède »
(Berque, 1990 : 140), elle a par ailleurs l’avantage d’étudier les effets
réciproques des sociétés et des milieux les uns sur les autres :
[…] la société perçoit son milieu en fonction de l’usage qu’elle en fait ;
réciproquement, elle l’utilise en fonction de la perception qu’elle en
a. Des matrices phénoménologiques (les schèmes de perception et
d’interprétation d’un milieu) ne cessent ainsi d’engendrer des em-
preintes physiques (les modes d’aménagement du milieu) ; lesquels, à
leur tour, influencent ces matrices et ainsi de suite (Berque, 1990 : 43-
4413).
Chez John B. Jackson, les interactions société et milieu sont éga-
lement de première importance. En revanche si Augustin Berque, au
même titre que Anne Cauquelin, bâtit sa théorie à partir de la nature
qui serait indissociable de l’idée de paysage – ou dont l’idée de pay-
sage serait indissociable –, John B. Jackson propose une toute autre
conception du paysage, qui à la fois évacue complètement l’antério-
rité de l’art (Berque fait de même14) et pose le paysage comme parfai-
tement artificiel et humanisé. Il faut souligner, et cela sera vérifié plus
loin, que paradoxalement, pour les artistes du dernier tiers du
XXe siècle, la possibilité que le paysage soit autre chose que de la na-
ture revêtira une importance cruciale.
[..] a landscape is not a natural feature of the environment but a
synthetic space, a man-made system of spaces superimposed on the face
of the land, functioning and evolving not according to natural laws but
to serve a community – for the collective character of the landscape is
one thing that all generations and all points of view have agreed upon
(Jackson, 1997 : 30515).
Le rapport au paysage est donc chez Jackson, comme chez
erque, de l’ordre du collectif (un point de vue partagé? – l’on aura
B
remarqué et l’on remarquera à quel point, justement, il est difficile
de traiter de paysage en excluant la notion de point de vue). Dans
une série de commentaires qui prennent la forme de courts textes
dont les premiers paraissent au début des années 1950, John B. Jack-
son propose le paysage comme une stricte réalité factuelle ou maté-
rielle qui serait du « domaine public », c’est-à-dire de l’espace possé-
dant des composantes culturelles et géomorphologiques distinctives
et dont la principale caractéristique serait d’être au service d’une com-
munauté en ce sens que son évolution et ses transformations seraient
définies par–pour les usages collectifs. N’était-ce de l’importance de
ses aspects culturels ou humanisés, ce que Jackson nomme paysage,
ce pourrait tout aussi bien être le territoire, strictement parlant. Pour
Jackson, le paysage se présente comme un palimpseste, chacune des
strates pouvant donner des indications sur les sociétés qui ont adapté
le territoire à leur usage. Et là où Berque voit, au XXe siècle, le « déla-
brement du paysage grandeur nature sous l’effet de la « rurbanisa-
tion » (Berque, 1990 : 122), Jackson constate les effets inévitables des
modes de vie occidentaux, effets avec lesquels il faut composer.
On ne peut nier qu’à l’époque où Jackson publie ses observa-
tions, avec le développement de l’industrie, avec l’accroissement de
la production et de la consommation, le territoire des pays occiden-
taux subit des modifications radicales sur de courtes périodes de
temps ; corollaire de l’industrie, le transport est certes le facteur de
changement le plus formidable16. À une toute autre échelle que celle
de l’action traditionnelle des occupants sur leur milieu, les liaisons
ferroviaires et routières entre les sites de production des matières pre-
mières et ceux de leur transformation, puis les lieux de consomma-
tion des produits finis, changent complètement l’espace. Une partie
de la marchandise fabriquée, les voitures dites de tourisme, nécessi-
tera d’ailleurs des voies spécifiques à son usage. À commencer par le
train qui transporte choses et gens, bientôt suivi par la prolifération
des routes et l’envahissement des véhicules personnels, les modes de
locomotion rapide modifient l’aspect des continents : les distances à
parcourir semblent plus courtes, il est plus aisé de visiter de nouveaux
15. Les italiques sont de l’auteur.
16. « [The building of roads] is now the most powerful force for the destruction or creation
of landscapes that we have » (Jackson, 1980 : 122).
rendre sur des lieux visuellement distincts pour y pratiquer des activités
plus physiques (2002 : 155).
Néanmoins, même à « l’âge de la vitesse » selon les termes de
Jackson, ces pratiques demeurent marginales. Le paysage, massive-
ment, est surtout « éprouvé » par la fenêtre des véhicules motorisés,
ce nouveau cadre. Et le point de vue, s’il est devenu « mouvant », n’en
est pas moins le lieu du sujet et n’est finalement qu’actualisé en une
succession de perspectives fixes rapidement modifiées dans le temps.
De plus, le long de la route, les « points de vue » (outlooks qui veut
aussi dire façon de voir), attendus, se multiplient et signalent tout ce
qu’il y aurait à voir19. On s’y arrête et reprenant la position fixe et fron-
tale, on absorbe le tableau : « pour documenter un voyage, la méthode
usuelle du touriste est la recherche assidue et la prise photographi-
que des vues pittoresques, pas trop loin de l’autoroute » (Jussim et
Lindquist-Cock, 1985 : 106). Le voyageur, dit-on, est grand consom-
mateur de paysage.
Quelle que soit la manière de l’envisager (de le qualifier ?), re-
présentation et perception chez Cauquelin, intégration réciproque
de l’écologique et du symbolique de Berque ou stricte matérialité –
qui s’accompagne pourtant nécessairement de perception – pour
Jackson, « l’expérience du paysage » reste de l’ordre du visuel, à tout
le moins pour la majorité. D’accord en cela avec Anne Cauquelin
pour qui le paysage « n’est pas un lieu » (1990 : 92-96), je soutiens
qu’il est de l’ordre du perspectif/perceptif, élaboré à partir du point
de vue (du sujet) qui le met à distance et le rassemble. Ce qui n’em-
pêche toutefois pas le territoire d’être modifié par les usages, par
l’activité humaine, ce que décrit fort bien John B. Jackson.
Au XVIIIe siècle déjà, le voyageur-sujet du Grand Tour se posait
généralement comme un spectateur immobile, progressant d’un
moment de contemplation statique à un autre. Au XXe siècle, c’est
toujours de la vision perspective que naît le paysage, d’un regard qui
est ordinairement filtré par « des verres fumés et le viseur d’une
caméra » (Graburn, 1989 : 35), objets qui seraient possiblement les
versions contemporaines du Claude glass. Et si ce sont encore des ima-
ges qui appellent au déplacement, elles seront désormais photogra-
phiques.
19. « Sous-produit de la consommation des marchandises, la circulation humaine considérée
comme consommation, le tourisme, se ramène fondamentalement au loisir d’aller voir ce
qui est devenu banal. L’aménagement économique de la fréquentation de lieux différents
est déjà par lui-même la garantie de leur équivalence » (Debord, 2001 : 164). Les italiques
sont de l’auteur.
LA PHOTOGRAPHIE
La perspectiva artificialis, ayant atteint son niveau de finitude, de-
venue un fait stable, continue d’agir à travers les siècles : « aujourd’hui
encore, notre culture est massivement informée par le modèle pers-
pectif, et beaucoup plus profondément sans doute que ne l’aura été
celle de la Renaissance » (Damisch, 1993 : 110). Que la vision contem-
poraine soit encore et toujours réglée en point de vue, cadre et liaison
est l’un des témoignages de cette persistance.
La photographie tire sa première légitimité de sa capacité d’imi-
tation de la nature encore plus parfaite que celle de la peinture. C’est
ainsi que l’on a pu supposer la photographie apte à supplanter la
peinture, au moment même où celle-ci commence à s’éloigner de
l’imitation du réel, au XIXe siècle. Je n’épiloguerai pas sur cet épiso-
de, coïncidence ou évidence… d’autres l’ont fait et là n’est pas mon
propos. Constatons simplement que la construction perspective,
parce qu’elle est désormais une généralité incluse dans le rapport
occidental au monde, peut être reprise et utilisée ailleurs qu’en pein-
ture, de façon que soit reconduite cette vision qui est née avec elle. Le
dispositif photographique répond admirablement aux règles de la
LE DÉSERT
Le paysage désertique occidental, s’il apparaît grâce à la photo-
graphie, reste toutefois un paysage qui hésite, un terrain vague en
quelque sorte. Je m’intéresserai ici à son émergence car il y a, et cette
hésitation en est une, de nombreuses similarités entre le désert et les
territoires postindustriels. Ce point sera détaillé plus loin, de même
que la façon dont le désert lui-même fait, à l’ère postindustrielle, l’ob-
jet d’une grande attention chez les artistes – à tout le moins chez ceux
dont les travaux sont ici examinés.
36. La plupart des auteurs du XXe siècle font preuve d’une belle ardeur lorsqu’il s’agit de
prêter des préoccupations esthétiques au photographe et des qualités artistiques à ses œuvres.
Voir par exemple Naef et Wood (1975 : 125-136). Les auteurs vont jusqu’à comparer la
façon dont O’Sullivan « traite le paysage » avec celle de Cézanne, « son contemporain »
(1975 : 136). Au sujet de cet ouvrage, ce commentaire d’Allan Sekula : « This project, while
rich in information, manifests its art-historicist bias in its reference to United States
government-sponsored geographical and geological surveys as instances of “government
patronage” as if we were talking about some nineteenth century version of the National
Endowment for the Arts » (Sekula, 1983 : 230).
studied and reported on. In fact, all the work of nature in that wild and
unknown region is to be scanned by shrewd and highly educated ob-
servers37.
Cette mission, de même que les Geographical and Geological
xplorations of the One Hundredth Meridian (1871 et 1873-1874) de
E
George Wheeler a, outre ses objectifs d’études scientifiques, des buts
industriels, soit le relevé d’indications sur la présence des matières
37. Édition du 8 mai 1867 du New York Times, cité par Naef et Wood (1975 : 127).
sont les photographes, en tout premier lieu, qui ont contribué à défi-
nir les façons de les voir et de les représenter. David Nye souligne que,
quoique les peintres de paysage aient suivi de près les photographes
(Thomas Moran est au Grand Canyon en 1873), ils usent volontiers
de photographies pour leurs compositions, parfois même pour pein-
dre des motifs qu’ils n’ont pas vus. Cette dernière façon de faire est
assez habituelle à l’époque des grands surveys, les peintres s’inspirant
ou reproduisant des photographies des Muybridge, Watkins, etc.
(Nye, 2003 : 7841).
Les photographies de Timothy O’Sullivan auront une fortune
double. D’une part, lorsque le désert devient un paysage qui peut
être largement apprécié, O’Sullivan est introduit au panthéon des
photographes du wilderness états-unien, ces « maîtres involontaires du
XIXe siècle », comme le dit si bien Lucy R. Lippard (1998 : 60). D’autre
part, l’entrée de ses photographies au musée, avec le discours auquel
cette nouvelle situation donne lieu, fait de O’Sullivan l’un des inspi-
rateurs de toute une tradition artistique, celle d’une photographie
directe, qui réfléchit ses caractéristiques propres, ses conditions de
fabrication et les exigences du métier de photographe. « Car ce sont
des images photographiques d’actes d’investigation d’un espace où le
défi le plus grand n’est pas la survie mais la perception, l’observation
elle-même » (Trachtenberg, 1989 : 155). Le désert, on l’a vu avec le
Grand Canyon, ne peut être digne d’intérêt selon l’optique photo-
graphique habituelle, ne présentant ni singularités, ni perspectives
propres à en faire un paysage pittoresque ou grandiose ; il est aride,
rébarbatif. Timothy O’Sullivan trouve cependant le moyen de rem-
plir ce vide photographique et de faire voir, comme le signale Alan
Trachtenberg, la nature sous enquête, scrutée par la photographie
ou par d’autres moyens, en train de subir un processus de transposi-
tion en connaissance, en représentation. C’est ainsi que l’on pourra
plus tard qualifier le travail de O’Sullivan de moderniste, c’est-à-dire
d’autoréflexif : dans ses images, la photographie se révèle découvrant
ou se montre photographiant.
Avec New Topographics (1975), exposition qui fera date et à
laquelle je reviendrai plus loin, Timothy O’Sullivan devient une réfé-
rence obligée pour bon nombre de photographes de la génération
de Lewis Baltz. Ceux-ci cherchent à réaliser des photographies qui
seraient vraiment documentaires, des images qui, comme celles de
O’Sullivan, décriraient leur objet tout en mettant en question le lien
entre l’objet représenté et la représentation elle-même (Jenkins,
41. Voir également : Naef et Wood (1975 : 62-65).
LE TOURISME
For most of this century the cult of desert photography has numbed us
so that about the only desert we can recognize is a Cibachrome
Bowden, Blind in the Sun.
persuade la Midland Counties Railway Company d’affréter un train spécial pour convoyer
des abstinents de Leicester à Loughborough, où ils devaient assister à une réunion de sa
ligue, et de les ramener chez eux. L’arrangement devint permanent » (2003 : 13).
45. Ceci au sujet de la Nouvelle Zélande, mais qui s’applique parfaitement aux États-Unis.
46. Je souligne.
47. Il est utile de noter que le point de vue du sujet « impérialiste » est associé à une position
typiquement masculine, que la photographie reconduirait. Voir, entre autres, Taylor
(1994).
48. Le Petit Robert, version électronique.
49. Ou « marchandise spectaculaire » dans son sens restreint de « produit de consommation »
(Debord, 2001 : 152).
Alors que, dans les années 1960, l’âge industriel tire à sa fin, le pay-
sage ne sera plus, à peu de choses près, qu’une question de tourisme,
fut-il de proximité.
Appropriations
Industrial society is that kind of society that develops in a cumulative, unidimen-
sional, growth sequence, by simply adding on new elements – a new factory,
population growth, a new social class, for example. […] Postindustrial or
modern society is the coming of consciousness of industrial society, the result of
industrial society’s turning in on itself, searching for its own strengths and weaknes-
ses and elaborating itself internally. The growth of tourism is the central index of
modernization so defined
Dean MacCannell, The Tourist.
8. « the buildings don’t fall into ruin after they are built but rise into ruin before they are
built » (Flam, 1996 : 72).
13. « […] et dont l’unité est maintenue dans et par l’expérience ordinaire » (Cauquelin 2000 :
32).
14. L’original en anglais du texte « La sculpture dans le champ élargi » dont est tirée cette
citation est paru en 1979 dans October.
LE CENTRE ET LA PÉRIPHÉRIE
À la fin des années 1960, Robert Smithson passe de la banlieue
au désert. De la recherche ou sélection de sites pour ses non-sites, il
en viendra à travailler sur le site lui-même, à le marquer physique-
ment. Ce qui ne l’empêche pas d’appliquer sa « dialectique18 » site/
non-site aux œuvres monumentales qu’il crée – ou tente de créer – de
1970 à 1973. Et, cette « dialectique », ou plutôt la relation indicateur-
spectacle (marker-sight) que j’analysais à l’instant, deviendra une ten-
dance générale pour tout le land art états-unien de l’époque.
17. « Content usually involves some kind of representational aspect which I try to avoid. The
non-site is an abstraction that represents the site » (Flam, 1996 : 199).
18. C’est Smithson lui-même qui qualifie son système site/non-site de dialectique. Pour com-
prendre le côté laborieux du terme et le pourquoi je juge utile de le mettre entre guille-
mets, voir Hobbs (1981 : 19-30). Également : « he yanked and tugged the word dialectic,
until, in the end, he found a meaning for it that would have given Marx a hearth attack : it
came to mean : accommodation » (Leider, 2001 : 77).
19. « Since he felt that many significant experiences in the twentieth century are vicarious
ones available through secondary media such as film, video, and essays, Smithson decided
to make secondary primary in Spiral Jetty. The Earthwork, then, does not consist merely of
the spiralling causeway in Utah: the entire piece comprises the several works of art that
frame the original Jetty » (Hobbs, 1981 : 17).
20. Je souligne.
21. « a framing of the landscape » (Holt, 1977 : 35).
22. Elle fait ses débuts à titre de photographe : « In the mid-1960s Nancy Holt was known in
New York City as a photographer, a filmmaker and a concrete poet » (Shaffer, 1983 : 169).
rendre sur les lieux de leurs travaux et un objet en soi, une partie de
l’œuvre. D’après Smithson, l’on peut parler de mapscapes et de carto-
graphic sites (Flam, 1996 : 91). Pour Nancy Holt, le spectateur de ses
œuvres est un voyageur auquel elle fournit tous les instruments utiles
au déplacement et à la découverte, des outils qui lui permettront
d’aller en re-connaissance vers un site sélectionné et marqué ; ainsi
les mots et les photographies de l’œuvre sont des traces mémorielles,
et non des objets d’art, soutient-elle. Au mieux, elles incitent les gens
à aller voir l’œuvre elle-même (Holt, 1979 : 37).
Holt invite donc le spectateur à se rendre sur les lieux, à faire in
situ l’expérience de son travail. Paradoxalement, lorsqu’on en a vu les
photographies, l’œuvre est sans surprise. Comme si l’aspect photo-
graphique était contenu à même les travaux de Holt, ce qui les ren-
drait comparables à bien des destinations touristiques :
La plupart des touristes « visionnent » des paysages, des objets célè-
bres, plutôt que de rentrer réellement en contact avec une culture
vivante. Ils vont moins vers des hommes et des pays que vers la chose à
voir, vers une image de ces populations et de ces territoires. Or cette
vision n’a pas grande ressemblance avec la réalité ; elle est réponse à
l’attente des touristes. Ils n’auront même pas à déchiffrer, mais simple-
ment à reconnaître (Bugnicourt cité dans Lanquar, 1990 : 8724).
C’est ainsi que de sa visite aux Sun Tunnels, Gilles A. Tiberghien
affirme : « J’arrive enfin sur le site avec un peu le sentiment de péné-
trer dans une photographie mais pas du bon côté. » (1996 : 41)
La parcelle de terrain sur laquelle ses Sun Tunnels sont érigés
appartient à Nancy Holt qui en fait l’acquisition en 1974. Elle est par
ailleurs propriétaire d’un certain nombre de terrains voisins de celui
où se trouvent les Tunnels, dans le Great Basin Desert.
L’acquisition de terrains, par achat ou par bail emphytéotique,
est pratique courante chez les land artists états-uniens. Cette nécessité
de posséder des terres pour édifier des œuvres colossales, ainsi que le
déplacement de matière et le terrassement à grande échelle qui dis-
tinguent le land art des États-Unis, sont dénoncés par d’autres prati-
ciens que l’on associe également au land art, des artistes européens
qui n’opèrent généralement le « marquage de sites » que par des
interventions très légères, ou par la photographie. Richard Long,
artiste britannique qui pratique déjà dans les années 1960 et pour qui
« c’est la photo qui est la sculpture » (Lippard, 1973 : 74), accuse ainsi
24. Je souligne.
Le fait est que ces artistes ne veulent pas faire autre chose qu’un
art qui serait américain, précisément. Pour Heizer, c’est l’échelle qui
donne à sa sculpture ce caractère (Celant, 1997 : 404), tandis que
pour Smithson, il s’agit de trouver une manière qui serait ancrée dans
sa propre expérience en Amérique, une manière lui permettant de
« trouver [s]a voie propre, pour émerger de sous les amoncellements
d’histoire européenne » (Flam, 1996 : 284-286). Et quoi de plus im-
portant pour la nation états-unienne et ses citoyens que l’étendue de
son territoire, et sa domination? On peut voir dans la sortie des artis-
tes de leurs ateliers pour aller vers les déserts de l’Ouest une réédition
that these artists would therefore be forcibly freed from the tyranny of
a commodity status and market-orientation (Lippard, 1973 : 263).
Des artistes du land art il est vrai de dire, tout comme de leurs
contemporains, tenants d’un art conceptuel, qu’ils utilisent les mé-
dias de masse, les magazines, les journaux et les médias électroniques
tels la télévision pour mieux diffuser leurs travaux. Des artistes font
paraître des œuvres et des documents dans les revues, spécialisées ou
non. C’est ainsi que, par exemple, les « Incidents of Mirror-Travel in
the Yucatan » de Smithson, qui est un non-site tout comme « A Tour
of the Monuments of Passaic, New Jersey », est publié dans Artforum
en 1969 et « Sun Tunnels » de Nancy Holt, article plutôt documen-
taire, paraît dans le même magazine en 1977 ; Smithson publie aussi
dans Harper’s Bazaar (1966) et dans Landscape Architecture (1968). Des
œuvres de land art sont filmées pour la « galerie télévisuelle » (Fernse-
hengalerie) de Gerry Schum, par laquelle seront présentées sur les
ondes en 1969 des œuvres de Smithson, de De Maria, de Heizer et de
Dennis Oppenheim, ainsi que des travaux des Européens Marinus
Boezem, Jan Dibbets, Barry Flanagan et Richard Long. En 1967,
Smithson prévoit déjà retransmettre à l’intérieur des travaux exécu-
tés à l’extérieur (Flam, 1996 : 56). Pour lui, « aussi loin que vous alliez
en périphérie, l’art sera toujours transmis d’une façon ou d’une
autre, il y aura un retour d’information » (Flam, 1996 : 234). À propos
de ses travaux éphémères, il affirme que si une œuvre est suffisam-
ment forte et proprement photographiée elle est incorporée dans une
situation de distribution de masse (Flam, 1996 : 235). Cet intérêt pour
la photographie comme véhicule apte à transmettre l’art est manifes-
tement partagé par ses collègues Oppenheim (« Alors l’œuvre d’art
doit maintenant être visitée, ou abstraite, par une photographie,
plutôt que fabriquée. ») et Heizer (« Je crois que certaines photogra-
phies proposent une manière précise de voir les œuvres. ») (Flam,
1996 : 251).
Il convient de considérer l’importance que l’on a bien voulu
accorder à la dématérialisation des œuvres d’art et aux effets de leur
transmission à la lumière d’une certaine pensée qui se répand à la fin
des années 1960, celle de l’avènement d’un « village global » dans
lequel l’information et sa circulation seraient un principe essentiel.
Marshall McLuhan est l’un des plus célèbres tenants de cette pensée
qu’illustrent deux de ses principaux ouvrages qui ont un grand succès
dès leur publication. La galaxie Gutenberg dénonce la spécialisation
visuelle du sujet moderne et prédit un grand changement social, une
« re-tribalisation » du monde entier, formant ce fameux « village », qui
26. Rejoignant ainsi les affirmations de Gombrich (que McLuhan examine), de Panofsky et de
Damisch : voir le premier chapitre.
se situer dans l’œuvre, plutôt que devant elle et que son appréciation
nécessite un certain mouvement, dans ou autour d’elle. Il y a là une
volonté que l’on pourrait qualifier de mcluhanesque de faire éclater
le point de vue unique généralement posé sur les œuvres. Cepen-
dant, dans la mesure où à peu près personne ne fait l’expérience in
situ des œuvres, le fait qu’elles ne soient connues que par des images
réinstaure précisément, à mon avis, la position conventionnelle du
sujet, le point de vue. D’une part, la distance est une composante
nécessaire à la saisie perspective ; d’autre part, interposer une photo-
graphie, ou même un texte (le « from where I am sitting », la position de
« l’homme typographique » de McLuhan), entre l’œuvre et le specta-
teur reconduit (ou même fabrique) le point de vue. Il n’y a de vision
qu’astreinte à une distance en même temps qu’à un point de vue
donné, affirme Hubert Damish, comme on l’a vu précédemment. Du
coup, dans le cas de la Jetty comme dans celui de la plupart des gran-
des œuvres du désert – celles de Heizer, de De Maria, de Holt –, cette
interposition est susceptible de transformer les œuvres en paysages.
Car il semble que lorsqu’il est question du land art, les photographies
qui interviennent entre l’œuvre et le spectateur agissent plutôt
comme ces vues à l’usage des touristes qui redoublent le site réel – les
recorded sights de Joel Snyder –, que comme des reproductions d’œuvres
d’art.
Regarder une image de Yosemite Valley prise par Ansel Adams n’est
pas la même chose que contempler une reproduction photographi-
que des Ménines de Velasquez. La photo d’Adams est une vue et non
pas un simple tenant-lieu de la vallée réelle, alors que la reproduction
des Ménines n’est que le tenant-lieu du tableau réel. La reproduction
ne fonctionne pas comme une vue analogique du tableau. On ne dira
jamais : Ah, voilà une belle vue des Ménines ! (Schaeffer, 1987 : 28).
Les photographies des earthworks monumentaux sont précisé-
ment plus que des tenants-lieux. L’usage qui est fait de ces images
corrobore une telle idée. Car ce sont des vues qui assureront la for-
tune du land art, non pas seulement dans le champ de l’art, mais dans
un domaine connexe, celui du « paysage » – conçu comme objet de
l’aménagement et comme objet théorique. Et l’on peut présumer
que l’allure d’American Sublime des œuvres de land art contribuera à
en faire les paysages spectaculaires que l’on sait.
31. Parlant de désastres causés par l’humain, tel Salton Sea en Californie (une erreur d’ingé-
nieurs qui, voulant empêcher une région d’être inondée par les crues de la rivière Colo-
rado, en inondèrent une autre, formant ainsi le plus grand lac de Californie), Smithson
affirme : « so that here we have an example of a kind of domino effect where one mistake
begets another mistake, yet these mistakes are all curiously exciting to me on a certain
kind of level – I don’t feel them depressing » (Flam, 1996 : 305).
Park City que Baltz crée de 1978 à 1981, examine une mutation
similaire, en 102 photographies. L’échelonnement du travail sur qua-
tre ans permet à son auteur d’enregistrer toutes les étapes de la trans-
formation d’un ancien village minier en un village à vocation récréa-
tive où le ski sera la principale activité. Année après année, les ruines,
les saletés, les monceaux de détritus laissés par la mine font place à
des constructions neuves, à un village de résidences secondaires,
autre phénomène tributaire de la mobilité américaine, mobilité
sociale tout aussi bien que physique.
Construite dans les montagnes, à une heure de route de Salt
Lake City en Utah, Park City est à la fois une banlieue éloignée de Salt
Lake City et un lieu où les résidants de la côte ouest peuvent trouver
de la neige pour skier, occasion rare dans la région. La petite munici-
palité est un autre de ces endroits où, à la vie rude des mineurs, suc-
cède grâce à l’électrification, une vie de banlieue climatisée. Un type
d’opération financière en remplace un autre :
Recycled from the boom and bust cycle of rapacious extraction to the
boom and bust of the recreational cycle, the new Park City has swap-
ped the insecurities of speculation in precious metals for the econo-
mic confidences of snow, no more predictable than the weather and
just about as reliable (Baltz et Blaisdell, 1980 : 230).
Au sujet de l’ensemble de son travail des années 1970 et 1980,
Baltz (1988) se déclare intéressé par une certaine « architecture of
entropy » plutôt que par le paysage mais, selon Michèle Chomette
(1988), il faut « considérer ce travail comme une enquête sur la notion
même de paysage contemporain à travers l’étude des artefacts et de
ses mutations alternées du vide au plein suivant les ressacs d’une civi-
lisation édificatrice ». Poursuivant sur la simultanéité temporelle
entre le land art et les premières œuvres de Baltz, Chomette (1988)
remarque que le travail de ce dernier est « un manifeste esthétique
exemplaire, où la création photographique avec une terminologie
minimale, un refus total du spectaculaire, du séduisant, de l’anecdote
et de toute mise en scène démontre […] l’importance du concept et
du langage visuel du photographe face au réel le plus banal, le plus
dépourvu de caractère et de beauté ».
Cette absence de spectaculaire, cette mise en vue du banal, est
précisément ce qui oppose, en termes de réception, la photographie
artistique et le land art. C’est aussi ce qui rend ce dernier apte à deve-
nir un nouvel art du paysage même si paradoxalement ce n’est, comme
il a été démontré, qu’à travers ses documents. Car, à une époque où
32. À moins d’être l’un des « voyageurs des interstices » décrits par Urbain (1993 : 219-228).
« Ce voyageur est aussi attentif et peut-être même surtout séduit par la découverte ou la
redécouverte des micro-déserts : campagnes abandonnées, réseaux ignorés, exotismes
oubliés » (1993 : 222).
[a] single glance from almost any balcony of any motel anywhere in
the urbanising West will provide identical information. Park City is one
place that anybody can know intimately and completely without ever
visiting. This is another way of saying that the place and everything in
it are in the conditions of photographs (Baltz et Blaisdell, 1980 : 22933).
Telle que décrite par Gus Blaisdell, la condition photographi-
que (« photographic condition ») est un état par lequel un endroit peut
être « connu lorsque l’on en regarde les images » (Baltz et Blaisdell,
1980 : 229). Et quand on connaît ajouterai-je, se rendre sur les lieux
c’est simplement re-connaître. Les Suns Tunnels de Nancy Holt propo-
sent un bel exemple de cette condition photographique puisque
cette œuvre semble contenir d’emblée son aspect photographique.
La photographie de paysage est trop familière, trop intégrée à la
vie de tous les jours, bref trop semblable, pour succéder à la peinture
comme art du paysage, et ce, bien que photographie et peinture par-
tagent les conventions qui ont vu naître le paysage, cadre, point de
vue et liaison. Cela parce que, « du fait qu’il n’est guère de photogra-
phie qui ne paraisse faisable ou même toujours déjà faite à l’état vir-
tuel – puisqu’il suffit d’une simple pression sur un déclic pour libérer
l’aptitude impersonnelle qui définit l’appareil – on veut que la photo
graphie trouve sa justification dans l’objet photographié » (Bourdieu,
1965 : 114). Le monde entier (à peu de choses près) est donc toujours
déjà en condition photographique, il est une série de vues qui n’atten-
dent que d’être enregistrées. Dès lors et puisque l’on ne dissocie
« aucunement l’image de l’objet et l’objet de l’image » (Bourdieu,
1965 : 129), l’on amassera des photos de lieux, de paysages lointains ou
grandioses (du stéréogramme à la carte postale aux prospectus tou-
ristiques), mais l’on ne collectionnera pas nécessairement de la photo-
graphie. Car la photographie, dit Bernard Lamarche-Vadel, « n’a nul
besoin de destinataires, chacun y est à son tour sujet et objet, impli-
qué avant même qu’elle ne s’applique, dans une figure du monde
inséparable désormais de son image. Dispositif technico-optique
normatif du monde, la photographie n’a nul besoin de destinataires
particuliers et d’une certaine manière elle ne peut en avoir, dans la
mesure où ces destinataires éventuels sont rassemblés et inclus par
avance dans une image du monde qui n’a pas d’autre motif que son existence
et sa répétition » (1993 : 19-2034).
33. Je souligne.
34. Je souligne.
Modulations
Il faut sa matière, son lieu, les gestes qui l’ont fait,
ceux qui l’ont présenté, qui l’on « montré montrer », ceux qui l’ont nommé,
attribué, vendu, acheté, exposé, reproduit, admiré
Hennion, La passion musicale.
territoires inédits, dont les moindres ne sont pas la mobilité (des artis-
tes comme des œuvres) et la transmission de la périphérie vers le
centre d’un certain supplément documentaire qui est généralement
photographique ; la photographie devenant elle-même le médium ou
le véhicule par lequel l’œuvre d’art sera dorénavant visitée ou abstraite,
selon les termes de Dennis Oppenheim. Les artistes usent aussi de
techniques originales, par exemple l’excavation et le déplacement de
matériaux à très grande échelle, techniques qui nécessitent des
alliances avec des intervenants particuliers, ouvriers de la construc-
tion tout aussi bien que commanditaires privés.
En plaçant ces travaux et ces attitudes artistiques dans un contex-
te large, il s’agit maintenant d’identifier quelles sont les médiations
déterminantes et de comprendre par quelles traductions, opérées
par quels acteurs, le land art et une certaine photographie artistique
deviennent des « boîtes noires » :
Avec de l’astuce et de la patience, il devrait être possible de faire que
tous contribuent à la diffusion d’une thèse dans le temps et dans
l’espace – thèse qui va devenir une boîte noire couramment utilisée
par tout un chacun. Si ce point est atteint, aucune autre stratégie n’est
nécessaire : les protagonistes deviennent purement et simplement
indispensables (Latour, 1995 : 2904).
Très vite, les land artists (ou leurs œuvres?) arrivent à recruter
certaines institutions et certains individus du milieu artistique, parce
que ces individus le veulent bien (leur intérêt va manifestement en ce
sens) et aussi parce que le courant est très fort : un art à ce point amé-
ricain est relativement incontournable pour les conservateurs et criti-
ques des États-Unis et les conditions sociales sont rassemblées pour
qu’un renouveau artistique qui semble contester les vieilles institutions
soit bien accueilli. Avec l’aide de certains alliés du milieu, les artistes
voudront également agir sur des intervenants hors milieu qui se lais-
seront parfois recruter, processus qui pourra donner lieu à des
controverses, cependant que les œuvres elles-mêmes continueront d’agir,
tout particulièrement eu égard à la notion de paysage.
Observons comment et grâce à quels opérateurs de traductions,
par quelles médiations et quels déplacements le land art aussi bien
que la photographie artistique en viennent à contribuer au façonne-
ment de l’espace postindustriel en spectacle, alors que le land art se
repositionne dans les villes et dans les banlieues, tandis que la photo-
L’ART, EN DÉPLACEMENT
La décennie 1960 est le moment où les artistes sortent des ate-
liers et semblent aussi prendre leurs distances par rapport au marché
de l’art. Ce mouvement, que l’on a pu voir comme une révolte des
artistes, a pourtant été très rapidement soutenu, et suivi, par la criti-
que et les institutions artistiques. L’on peut dire que l’institution s’est
ralliée aux artistes ou bien que ces derniers ont aisément recruté
l’institution, parfois avec l’aide des critiques.
« En 1960, Lawrence Weiner propose, à Mill Valley en Califor-
nie, une « exposition » qui consistait en un cratère exécuté grâce à
des explosifs. » (Lippard, 1973 : 13) À l’exception de quelques « ex-
positions » de ce genre, du début jusqu’au milieu des années 1960,
lorsque les artistes sortent des galeries et des musées, c’est générale-
ment pour montrer leurs oeuvres… sur la pelouse attenante au bâti-
ment. Les artistes états-uniens que l’on associera au land art commen-
cent alors leurs carrières et exposent leurs travaux (qui de la peinture,
qui de la sculpture) dans les institutions et les galeries reconnues,
dont celle de Virginia Dwan où l’on trouve Robert Smithson dès
19665. Si les artistes commencent à travailler avec de la terre et du
sable, à empiler de tels matériaux naturels, c’est à l’intérieur même
des galeries. Mais en 1967, le City Parks Department de New York
organise Sculpture in the Environment, une exposition temporaire de
vingt-neuf sculptures de grand format réparties dans la ville. Smithson
travaille (depuis 1966) avec un groupe d’ingénieurs et d’architectes à
l’aménagement du terrain entourant l’aéroport de Dallas-Fort-Worth,
projet auquel il intéresse Carl Andre, Sol LeWitt et Robert Morris. Il
fait sa première excursion du côté de Passaic. Heizer part réaliser ses
premières œuvres dans le désert, en Californie. Oppenheim exécute
son premier earthwork à flanc de montagne. Claes Oldenberg fabri-
que son Placid Civic Monument à Central Park. L’année suivante, le
mouvement s’accentue, les actions à l’extérieur sont de plus en plus
nombreuses. Les interventions en zones périurbaines et dans les
5. Soulignons que Smithson, qui pratique de façon professionnelle et expose ses œuvres
epuis 1959, opère par la suite un léger réajustement historique en décrétant que ses
d
débuts officiels datent de 1964-1965. Il ira même jusqu’à récupérer et à faire disparaître
une bonne partie de ses travaux antérieurs à 1964 (des tableaux, principalement) (Flam,
1996 : 211et 283).
travail des artistes, sont membres des mêmes collectifs (la Art Workers
Coalition est fondé en 1969), organisent des symposiums dans toutes
sortes d’endroits et des événements d’art en tous genres, participent
à des street works. Ces jeunes commissaires-critiques sont aussi invités
par des institutions prestigieuses. Sharp est l’un des commissaires de
l’événement Earth Art du Andrew Dickson White Museum of Art.
Avec Liza Bear, il fondera la revue Avalanche en 1970. En 1971 il orga-
nise Pier 18, une série d’interventions éphémères photographiées,
dont la documentation est présentée au Museum of Modern Art de
New York. Seth Siegelaub organise divers événements tels January
5-31, 1969 : « L’exposition consiste dans (les idées communiquées
dans) le catalogue ; la présence physique des œuvres est complémen-
taire au catalogue. » (Lippard, 1973 : 71). Pour Siegelaub, le type d’art
présenté ne dépend pas de son aspect matériel ; le catalogue offre
donc de l’information de première main et non pas des reproduc-
tions. La publication peut ainsi être l’événement lui-même6. July-
August-September, 1969, dont Siegelaub s’occupe également est un
catalogue d’exposition plus conventionnel, montrant les travaux de
onze artistes qui réalisent des œuvres en onze sites différents (dans
sept pays), pendant les trois mois indiqués dans le titre du catalogue.
Smithson y participe à partir du Yucatán où il exécute une série d’œu-
vres éphémères, dont les neufs déplacements de miroirs qui forme-
ront les Incidents of Mirror-Travel in the Yucatán. Cette œuvre est une
sorte de non-site, un autre récit de voyage comprenant des photogra-
phies – toujours à l’Instamatic – et une carte sur laquelle sont indi-
qués les lieux des interventions7. En 1970, Siegelaub dirige un nu-
méro spécial de Studio International, une exposition de magazine. Des
œuvres et des artistes sont choisis par six critiques de pays différents,
eux-même invités par Siegelaub. Lucy R. Lippard est parmi ces der-
niers.
Lippard est une critique d’art engagée. Elle est militante de la
première heure du Art Workers Coalition, organisatrice et partici-
pante de street works, animatrice de symposiums radiophoniques et
ainsi de suite. Cela n’empêche toutefois pas que de grandes institu-
tions l’invitent à mettre sur pied des expositions d’envergure.
8. Les nombres des titres indiquent les populations des villes où l’événement a lieu. Lippard
organisera aussi 2,972,453 à Buenos Aires en 1970, avec des artistes autres que pour les
deux précédentes manifestations.
For the most part, however, contemporary artists who have ventured
“out there” and found sites and sights to revitalize their art have been
more successful in bringing these awareness back in to the art world
than in bringing art out to the world. For example, when so-called
Conceptual Art emerged around 1968, it was welcomed as a blow at
the “precious object” but none of us took into account that these
Xeroxed texts or random snapshots documenting ideas or activities or
works of art existing elsewhere would be of no interest whatsoever to a
broader public. They were, in fact, smoothly absorbed into the art mar-
ket and are now only slightly less expansive than oils and marbles. The
perversity (and failure) of offering unwanted avant-garde art for the
price of wanted schloks bears out in retrospect art historian Linda
Nochlin’s depressing suggestion that, admirable as the move to get out
of the museums and into the streets may be, it can also be seen as “the
ultimate act of avant-garde hubris” (Lippard, 1984 : 75-76).
Nombre d’acteurs et d’agents non humains contribuent à la
production et à la dissémination du land art au cours de la période
qui s’étend de 1967 à 1974. Des artistes aux critiques, des collectifs
aux institutions, des œuvres à leurs documents, des mécènes à leur
argent, bien des interactions peuvent être identifiées. Ce ne sont ma-
nifestement pas seulement les œuvres et leurs auteurs qui ont fait le
land art : « Le critique qui formule un jugement ne devine pas un
niveau de qualité latent, il le produit, modifiant le sens de l’œuvre
critiquée et s’appuyant lui-même sur une série d’anticipations à
propos de son propre public, de sa carrière, du public de l’œuvre »
(Hennion, 1993a : 142). Et contrairement à ce que la légende veut, le
circuit institutionnel et l’argent des possédants sont des maillons im-
portants de la chaîne par laquelle se constitue l’objet ou la forme land
art. Les institutions, même prestigieuses (musées comme galeries
commerciales et publications spécialisées), contribuent à disséminer
(à transporter) cette nouvelle forme d’art. Il est par ailleurs évident
que, même s’ils ne commandent pas d’œuvres à strictement parler,
s’ils n’influent aucunement sur leur aspect et leur contenu, ce sont
les mécènes et leur argent qui rendent possible l’existence des œuvres
monumentales du désert. Et si cet argent autorise les artistes à satis-
faire leur désir de sortir des sentiers battus, il agit aussi de façon plus
patente : « Ce fut le support de quelques marchands et collection-
neurs qui rendit possible non seulement la création de earthworks par-
ticuliers, mais également l’essor du genre artistique « Earthwork » lui-
même » (Boettger, 2002 : 215).
L’INÉVITABLE ENGAGEMENT
Le John Gibson Projects for Commissions présente en 1969 une
exposition dont la moitié des artistes ont participé à Earth Works chez
Virginia Dwan en 1968. Ces artistes sont Carl Andre, Robert Morris,
Claes Oldenburg, Dennis Oppenheim et Robert Smithson. L’exposi-
tion du John Gibson Projects s’intitule Ecological Art. De Earth Works à
Earth Art, puis Ecological Art et Environmental Art – un simple titre pou-
vant agir comme une médiation21 –, diverses appellations viennent
moduler le sens d’une certaine pratique artistique dont le matériau
est (généralement) la terre et dont les sites sont de vastes zones où il
est possible aux artistes de travailler à une échelle monumentale.
sentent, entre 1975 et 1977, des œuvres temporaires qui sont exécu-
tées sur ou autour d’« un gigantesque tas de déchets chimiques »
(Lippard, 1983 : 233). Les Harrison (en 1977) et Sonfist (Pool of Virgin
Earth, 1975) tentent, littéralement, de réhabiliter le site, d’en extirper
par leurs interventions les composants chimiques. Quant à Oppen-
heim, il fabrique Identity Stretch (1976), une reproduction géante en
goudron de ses empreintes digitales en partie superposées à celles de
son fils. Quoique Oppenheim n’ait aucune intention de restaurer le
lieu, le goudron utilisé pour l’œuvre agit, selon Lippard, comme un
fertilisant pour la pelouse (!). Le Growth House de Simonds n’est pas
non plus une œuvre de réhabilitation, mais elle est tout de même
fidèle aux convictions de l’artiste : c’est un « travail social » qui « criti-
que le système et suggère des améliorations environnementales »
(Lippard, 1983 : 236).
S’appuyant sur l’éventualité que cette nouvelle expérience
donne lieu à des formes d’art qui seraient réellement écologiques et
publiques, Lippard souhaite que l’Artpark soit davantage qu’une
autre attraction touristique située dans le périmètre de Niagara Falls.
Y ayant observé une véritable possibilité d’interaction entre le public
et les artistes, elle défend désormais une certaine fonction (ou utilité)
sociale de l’art qui lui ferait dépasser le statut d’objet de consomma-
tion. Plutôt que l’« immatérialité et l’impermanence », Lippard sou-
tient, dès 1975, dans une série de conférences et d’articles, puis dans
Overlay, l’importance de « la continuité entre nature, site et commu-
nauté qui est une nécessité pour un art vivant » (Lippard, 1983 : 238).
Elle défend aussi une « fonction communicationnelle de l’art »
(Lippard, 1983 : 5) qui ferait qu’un art vraiment public serait celui
qui ne sépare plus l’art et la vie : « En fait, la meilleure gageure de
l’art, en cette époque où l’expérience publique est sujette à l’emprise
corporatiste et bureaucratique, pourrait se trouver dans l’intimité,
dans l’offre d’oasis, de jardins, d’un chez-soi dans l’immensité et l’im-
personnalité du contexte public » (Lippard, 1981 : 139). Et, suivant
cette logique : « Le parc est probablement la forme d’art public la
plus opérante qui soit, une interface entre la nature et la société »
(Lippard, 1983 : 228). Selon Lippard, le parc répond à deux « besoins »
fondamentaux d’un art « antiformaliste », la nécessité d’une conscien-
ce écologique de la nature et celle d’une audience plus large pour
l’art. Et si elle aussi associe Olmsted aux formes d’art qu’elle suppose
être les plus socialement engagées, c’est en citant Smithson, celui
dont elle fait le premier des « contemporary earth and garden artists »,
28. Earthworks : Land Reclamation as Sculpture, Seattle, Seattle Art Museum/King County Arts
Commission, 1979, p. 5.
eizer parle, elle aussi, de fierté nationale… Voilà qui est typique-
H
ment américain.
PLACES PUBLIQUES
Bien que très peu de sites strictement industriels aient été res-
taurés par des artistes dans les années 1970, la notion de réhabilita-
tion par l’art ne s’épuise pas, au contraire. Elle sera plutôt appliquée
en zones urbaines et suburbaines, en des périmètres habités. Car un
art qui interpelle le public au sens où l’entendent de plus en plus de
critiques et d’artistes engagés ne doit pas se trouver en des lieux trop
isolés. Le parc urbain, le jardin comme le dit Lippard, serait l’empla-
cement privilégié d’un certain travail in situ tout en offrant l’opportu-
nité d’intégrer l’art à la vie de tous les jours.
Artists who in the late ‘60s and ‘70s had been working in remote, often
desolate environment – either on private land with limited access (as
with site specific sculpture) or unpeopled land (Earthworks) – brought
back to the public sphere a notion of site not only easily transmissible
but also highly appropriate (Linker, 1981 : 66-67).
Kate Linker, Nancy Foote, Lucy Lippard, John Beardsley, tous
défendent un art qui a une fonction par laquelle sa validité publique
est assurée. Et cet art, étrangement, s’est développé à partir du land
art. Est-ce parce qu’il s’agit d’interventions dans le paysage ou parce
que quelques-uns des land artists de la première heure reviennent à la
ville assumer le design de parcs urbains que cette association est sug-
gérée par les critiques? Une partie de la réponse se trouve éventuelle-
ment dans le fait que l’art in situ (ou le design) subventionné – qui se
pratique surtout dans les villes – est pour un artiste une façon de
gagner sa vie tout en mettant à contribution une expertise chèrement
acquise dans les plaines désertiques et les lacs salés du sud-ouest, ce
qui est exactement ce que Smithson préconisait pour des lieux plus
périphériques, d’autres territoires. De plus, les critiques, en voulant
démontrer l’évidence d’une continuité du land art vers l’art public,
agiront comme des médiateurs qui modulent le sens de l’« art dans le
paysage ».
Quoi qu’il en soit, les œuvres d’art public environnementales
(au sens où elles transforment l’entièreté du lieu où elles sont réali-
sées), exécutées par des artistes en collaboration avec d’autres profes-
sionnels et des équipes d’ouvriers spécialisés, commandées par des
organismes publics et parapublics et subventionnées par les program-
mes d’intégration des arts – GSA, NEA, villes et États –, commencent
quement depuis ses débuts » (Deutsche, 1996 : 66). Et dès la fin des
années 1980, selon Eric Gibson, dans les espaces urbains extérieurs,
ce type d’art supplante rapidement parcs et aménagements paysagers
pour devenir une structure récréative majeure40.
Que ce soit comme l’un des éléments d’un nouveau complexe
habitation-services ou qu’il s’agisse de redonner une vocation à des
bouts d’espace qui ont été laissés pour compte lors de grands projets
de renouvellement des infrastructures, ce qui est le cas pour Dark Star
Park, l’art dans le paysage devient l’un des outils de l’aménagement
du territoire qui tend à homogénéiser l’espace urbain au profit d’une
classe moyenne qui sera attirée par l’apparence de qualité de vie que
donnent les lieux soigneusement re-composés et intégrés par des pro-
fessionnels. Et Dark Star Park, que Nancy Holt a si minutieusement
élaboré pour l’entrée d’une banlieue en Virginie, est certes une réus-
site de réaménagement : « Grâce à elle, alors, le terrain vague urbain
renaîtra sous la forme d’un jardin d’Éden du re-développement »
(Linker, 1981 : 72).
Ainsi reconnue pour ses capacités de mener à bien de grands
projets de réhabilitation en collaboration avec d’autres professionnels,
Holt est conviée en 1984, l’année même de l’achèvement de Dark Star
Park, à restaurer un dépotoir du New Jersey. C’est un site périurbain
qui n’est pas directement en zone habitée. Situé aux Hackensack
Meadowlands à quelque cinq milles de New York, le dépotoir a près de
cent pieds de hauteur et couvre cinquante-sept acres, pour dix mil-
lions de tonnes d’ordures. Projet d’envergure non seulement par ses
dimensions, Sky Mound sert plusieurs buts. Le premier est de l’ordre
de l’intervention écologique : la montagne de détritus est scellée par
une toile plastique faite de bouteilles recyclées et les gaz méthane pro-
duits par la décomposition des déchets sont captés pour fabriquer de
l’électricité. Le site est ensuite terrassé, des végétaux sont plantés et un
étang créé, de façon à attirer la faune et à (re)composer un milieu
naturel. Holt veut aussi faire de Sky Mound un parc – « Aussitôt que j’ai
vu le site, j’ai su que je voulais transformer ce dépotoir en parc/œuvre
d’art » (Marter, 1994 : 31) –, une aire de loisirs complète avec des sen-
tiers et toutes sortes de dispositifs d’observation, ces objets dont elle a
fait pour ainsi dire sa marque de commerce. Le parc doit en effet com-
prendre des structures où s’alignent les solstices et les équinoxes ainsi
que des points d’arrêts (ou des points de vue) particuliers pour obser-
40. ���������������������������������������������������������������������������������������������
« Art is fast replacing the park or landscaping as the chief recreational context in our out-
doors urban spaces » (Gibson, 1988 : 32).
Maquette par Nancy Holt, 1989 ; Vue aérienne vers l’est montrant l’installation du
revêtement de la décharge, 1990 ; Moon Viewing Area, dessin de Nancy Holt, c. 1985.
Reproduit avec l’autorisation de New Jersey Meadowlands Commission. Dessin et
maquettes de Nancy Holt, courtoisie de New Jersey Meadowlands Commission.
43. Au sujet de ces artistes spécialisés dans la réhabilitation et la restauration, on peut consul-
ter : Robin Cembalest (1991 : 97-105) ; Weilacher (1999) ; Tiberghien (2001 : 173-194).
44. Il semble que le Art-in-Public-Places Program du NEA ait suivi (ou encouragé) ces prati-
ques. Déjà, en 1981 : « The [NEA] projects have grown with aesthetic concerns and social
needs, moving from the original focus – large scale sculpture – toward collaborative
ventures, planning grants, works of an ecological nature and works based in economic re-
development schemes » (Linker, 1981 : 39).
LE VILLAGE GLOBAL
Just as shifts in the structural organization of cultural production alter the form of
the art commodity (as service) and the authority of the artist (as primary narrator
or protagonist), values like originality, authenticity, and singularity are also
reworked in site-oriented art – evacuated from the art work and attributed to the site
– reinforcing a general cultural valorization of places as the locus of authentic
experience and coherent sense of historical and personal identity
Miwon Kwon, One Place after Another
fonciers. Les classes moins favorisées sont alors repoussées hors des
centres, vers des enclaves moins visibles et toutes les grandes villes du
monde, les métropoles, en viennent à se ressembler48. Et « [l]es pro-
fessions telles que l’urbanisme et l’architecture de paysage – et main-
tenant l’art public – se chargent d’imposer cohérence, ordre et ratio-
nalité spatiale » (Deutsche, 1996 : 5).
Quant aux œuvres de réhabilitation périurbaines dont Sky
Mound, l’on peut sans doute les considérer comme des infrastructu-
res destinées au tourisme de proximité, aux « activités de loisir
de courte durée des populations urbaines » (Cazes, Lanquar et
Raynouard, 1993 : 5), parce qu’elles sont situées à la périphérie im-
médiate des villes et qu’elles offrent diverses possibilités récréatives.
Ces travaux sont en quelque sorte conçus comme des parcs à thème,
éducatifs ou ludiques ou les deux conjugués. Si par exemple Sky
Mound existait, l’on pourrait à la fois y comprendre comment est
renaturalisée une décharge publique, y déambuler et y admirer de
vastes panoramas, y observer certains phénomènes célestes. Il était
d’ailleurs prévu d’offrir des tours guidés de Sky Mound lorsque le tra-
vail serait suffisamment avancé (Marter, 1994 : 30-31). Les œuvres
complétées ne fonctionnent pas autrement. Up and Under est un parc
où l’on peut se promener et expérimenter des perspectives particu-
lières, ainsi qu’un amphithéâtre en plein air où ont lieu des specta-
cles. Autres exemples : les sites paysagés de traitement des eaux usées
de Viet Ngo comprennent des sentiers et des centres d’interprétation
pour les visiteurs ; les sculptures de Patricia Johanson proposent des
expériences écologiques tout en étant des espaces de jeux pour les
enfants. L’une des œuvres de Johanson est même classée National
Historic Landmark.
Dans les années 1980, au même titre que les œuvres d’art de
type land reclamation et art-as-public-spaces, une certaine photographie
activiste sera appelée à prendre part au réaménagement de l’espace.
La photographie artistique sera aussi mise au service de projets de
réhabilitation des territoires, mais dans ce cas, à des échelles nationa-
les aussi bien que locales.
L’examen des travaux de Lewis Baltz met en évidence l’idée
selon laquelle les photographes, dans les années 1970, sont des obser-
vateurs attentifs des changements territoriaux et de l’émergence d’un
48. « The culture and ideology fostered in this globalization process relates largely to “lifestyle”
themes and goals and their acquisition ; and they tend to weaken any sense of community
helpful to civic life » (Herman et Chomsky, 2002 : xiv).
tion, dont Walker Evans qui participe aux entreprises de la FSA pour-
rait revendiquer du moins en partie la « paternité49 », ne s’appuie pas
uniquement sur l’aspect humain du contenu des images, mais aussi
sur le fait que quelques-uns des photographes à l’emploi de la FSA,
tout particulièrement Evans, revendiquent une certaine liberté artis-
tique, la possibilité de faire des choix sans que le chef n’y interfère,
sans que le photographe ne se plie à un objectif de propagande gou-
vernementale. Cette revendication sera source de conflit entre Evans
et son chef de mission, Roy Stryker, qui impose aux photographes des
consignes précises concernant le contenu des images. Il émet réguliè-
rement, à l’endroit de ses photographes, des scénarios détaillés pour
les prises de vue (Tagg, 1988 : 169). Stryker rend également inutilisa-
ble 100 000 des 270 000 négatifs produits pour la FSA, les jugeant peu
adéquats. Par leur envergure – 170 000 négatifs archivés sur les
270 000 réalisés – et aussi parce qu’émerge alors la tradition du docu-
mentaire social, les missions de la FSA sont une référence obligée en
la matière. Côté paysage, les surveys géographiques et géologiques du
XIXe siècle restent un repère essentiel.
En Europe, aussi bien qu’aux États-Unis, chaque fois qu’une
mission photographique s’organise, l’on se réclame de ces deux pré-
cédents, surveys du XIXe siècle et FSA des années 1930. Quant au
Rephotographic Survey Project, il donnera le ton à toute une prati-
que photographique dans laquelle s’investissent de nombreux photo-
graphes de paysage activistes. D’autres projets de re-photographie
sont ainsi mis sur pied par exemple, Stopping Time : A Rephotogra-
phic Survey of Lake Tahoe ou le Portland Grid Project. Bon nombre
de programmes de documentation exhaustive des transformations
des territoires ont aussi cours dans les années 1970 et 1980, plusieurs
d’entre eux dans l’ouest des États-Unis, entre autres le Mono Lake
Project, le Great Central Valley Project, le Water in the West Project et
le Pyramid Lake Project. En France, de grandes missions sont organi-
sées auxquelles sont conviés à participer des photographes étrangers
aussi bien que français. Lewis Baltz prend part en 1986 à la mission de
la DATAR (En France, les années 1980, j’y reviens sous peu) et, à la fin
de la même décennie, à la Mission photographique TransManche
pour le patrimoine photographique de la région Nord-Pas-de-Calais.
Baltz amorcera à cette occasion sa série « Technologies » qui s’éloigne
de la photographie de paysage. La Mission TransManche visant à do-
cumenter toutes les transformations apportées par le creusement du
tunnel ferroviaire sous la Manche (France – Grande Bretagne), Baltz
49. Voir Buffard, (1990 : 53-54). Voir également Amérique. Les années noires (1983) et Maresca
(1996 : 89-118).
La série San Quentin Point est, Baltz le dit lui-même, « dans une
certaine mesure un hommage à Smithson » (Grout, 1990 : 30) :
Ressorts ou bibelots, tissus pressés dans la terre comme s’ils étaient
repassés, chardons poussant n’importe comment, choses gluantes et
innommables, rendues avec la précision exquise avec laquelle « n’im-
porte quelle poubelle » disait naguère Walter Benjamin « pouvait être
et serait embellie par la photographie » (Baltz et Haworth-Booth, 1986,
n.p.).
Candlestick Point et San Quentin Point sont des terrains vagues
que les communautés voisines utilisent comme décharges publiques
au moment où Baltz les photographie. Ces territoires seront éventuel-
lement transformés, l’un en parc provincial où des activités récréati-
ves sont proposées, l’autre en zone résidentielle. Mais, contrairement
à ce qu’il avait fait avec Park City, Baltz dans ces deux cas, ne s’inté-
resse aucunement au processus de transformation : il se contente
d’enregistrer un état chaotique des lieux. À la même époque, il photo
graphie également de vrais dépotoirs, au Canada (Heartlands Sanitary
Landfills, Victoria, B. C., 1986) et en Norvège (Continuous Fire Polar
Circle, Norway, 1986).
Baltz partage avec Smithson un intérêt pour la composition du
territoire en couches successives déposées là par les différents usages.
En photographiant les diverses strates de matériaux accumulés dans
les dépotoirs, avec ses minutieux relevés de ces décharges publiques
qui sont, selon Nancy Holt, « les artefacts de notre génération »,
l’artiste va un peu plus « en profondeur » dans le terrain, mettant à
découvert « le côté sombre du progrès humain » (Rian, 2001 : 68).
La photographie engagée semble parfois tenir un rôle public
qui dépasse la simple dénonciation. Des photographes militants
comme Richard Misrach veulent en faire, littéralement, un opérateur
de transformation et il est vraisemblable qu’elle agisse en ce sens en
certaines occasions, même si les artistes n’ont pas d’intentions aussi
claires que celles de Misrach. Il n’est toutefois aucunement évident
que les images de Baltz ont eu une quelconque incidence dans la
transformation de Candlestick Point et de San Quentin Point,
quoiqu’il arrive fréquemment que les photographes passent avant
que les sites dévastés ne soient restaurés. On pourrait voir dans ce
phénomène un effet semblable à celui observé au premier chapitre
alors que, disait-on, les photographies de William Henry Jackson
avaient influé sur la décision des autorités gouvernementales de faire
de Yellowstone un parc national. Mais, comme le fait remarquer David
55. Je souligne.
56. Letarget cité par Buffard (1990 : 58).
57. Les italiques sont de l’auteur.
58. Bernard Letarget en entrevue avec Daniel Quesney, « 1980 – Paysages Photographies –
1990 », Séquences/Paysages no 1, 1997, p. 13.
59. « En dépassant l’étude cartographique, en renonçant au documentaire, il s’agissait par de
nouveaux regards de découvrir d’autres réalités, de mettre à jour les liens tissés au fil des
ans entre le cadre urbain, l’industrie et la nature. Seule la création artistique pouvait, en
toute liberté, assurer cette démarche exploratrice. […] Leur vision personnelle transcen-
de la réalité, pour mieux saisir l’instant dans toute la représentation de son histoire et de
son devenir. » (Bernard Granié, maire de Fos-sur-Mer, préface de l’ouvrage de Baltz,
Davies, Garnell et Basilico, 1997 : 5).
bien particuliers. De même que les artistes qui élaborent des parcs/
œuvres d’art, les photographes à qui l’on commande des images sem-
blent conférer une aura d’authenticité et de singularité aux lieux
eux-mêmes. Mais, contrairement aux œuvres d’art public qui restent
visibles puisqu’elles sont permanentes, les photographies issues de
commandes publiques semblent avoir pour destination finale les ar-
chives – et parfois les « coffee-table books », ce qui n’est pas très diffé-
rent.
Les œuvres de Timothy O’Sullivan dorment dans les archives du
gouvernement des États-Unis pendant des années, avant d’en être
retirées et d’acquérir leur statut d’œuvres d’art, de « paysages photo-
graphiques modernistes ». Selon Douglas Crimp, un semblable mou-
vement se répand à partir de la fin des années 1970, alors que des
photographies en tous genres sont extraites des archives et reclassi-
fiées selon « leur valeur nouvellement acquise, la valeur dorénavant
attachée aux « artistes » qui ont fait les photographies61 ». La photo-
graphie, comme les chefs de mission de la DATAR l’ont bien compris,
devient alors son propre objet et peut entrer au musée. Crimp signale
que, pour ce faire, la photographie doit cesser d’être utile à l’inté-
rieur d’autres pratiques discursives, qu’elle ne peut plus servir à des
fins de documentation, d’information, de preuve ou d’illustration.
Néanmoins, suivant les principes des commandes photographiques,
des missions et des observatoires, si la photographie est considérée
comme artistique et mise au travail comme telle, elle doit aussi répon-
dre à des objectifs précis, du simple inventaire à la création de repè-
res pour une société en mal de paysage. Cette situation particulière
correspond très certainement à ce qu’Alain Buffard appelle le « para-
doxe productif » qui consiste, littéralement, à enrôler l’art comme opé-
rateur de transformation. Les artistes restent alors maîtres du conte-
nu de leurs images, mais le contexte, c’est-à-dire les motifs de ceux
qui établissent la commande, n’en détermine pas moins le sens géné-
ral.
The value of the photographic image and its role in the action in which
it participated is not inherent in the content of the image or embed-
ded in the intrinsic or extrinsic elements of form. Rather, it is ancho-
red to the functional context of creation and cannot be teased from
the image itself (Schwartz, 1995 : 51).
61. « What was Egypt will become Beato, or Du Camp, or Frith ; […] ; the American Civil War,
Alexander Gardner and Timothy O’Sullivan ; the cathedrals of France will be Henry Le
Secq » (Crimp, 1995 : 74).
Apparition ou dissolution
Avant même de préciser quelles sont ces pratiques, il me faut remarquer un trait du
monde contemporain qui s’impose fortement : celui d’un l’élargissement des sphères
d’activité naguère limitées, bien cernées. Le métissage des territoires,
l’absence de frontières entre les domaines sont bien une marque
du contemporain ; le paysage n’échappe pas à cette règle
Cauquelin, L’invention du paysage.
nable du champ paysage. Dans les années 1980 malgré (ou grâce à)
une reprise du land art, la construction des faits (ou du fait paysage)
n’est plus l’affaire des artistes.
Toujours en examinant comment le champ paysage s’installe
comme constructeur de faits et de façons à mettre au jour le rôle des
représentations artistiques à cet égard, différentes interventions ou
actions seront décrites : celles auxquelles participe la photographie
commandée pour les missions et observatoires ; celles par lesquelles,
dans une économie postindustrielle, l’on tend à refaçonner les terri-
toires en une série de destinations ou de spectacles, de paysages en
mode touristique propres à attirer le plus grand nombre de visiteurs.
Par la suite, il sera possible de remonter, pour bien en attacher les
maillons, la chaîne des médiations et des traductions afin d’indiquer
de quelle façon le land art comme art du paysage est intégré au spec-
tacle et la photographie artistique mise à son service, bref comment
et par qui ou par quoi finalement s’assemblent tous les éléments exa-
minés dans cet essai.
Le paysage est effectivement un domaine de métissage. S’y ren-
contrent l’architecture de paysage, l’aménagement et l’urbanisme, la
géographie, la philosophie, la sociologie, l’histoire de l’art parfois et,
d’une certaine façon, l’art. La préoccupation première des acteurs de
ce champ semble être de gérer et d’administrer, tout en l’esthétisant,
son objet, c’est-à-dire de « paysager notre environnement » selon les
termes d’Augustin Berque (1995 : 355). Cela étant, le paysage post
industriel, considéré dans son acception étroite de représentation de
sites dévastés par l’activité industrielle, ne peut être recevable en
l’absence d’une « esthétique contemporaine de l’abandon [qui] per-
mettrait de considérer les « ruines de la modernité » autrement qu’un
désastre » (Jeudy, 2001 : 16). Ce paysage de ruines reste marginal,
objet d’une attention pour ainsi dire transitoire en attendant son re-
façonnement, cependant que tout l’espace postindustriel se conçoit
et se développe en mode touristique.
CONDITIONS PHOTOGRAPHIQUES
L’analyse du passage du land art à une forme de pratique paysa-
giste artistique urbaine et périurbaine a démontré que, à cet égard, la
construction des faits se situe du côté des acteurs du milieu de l’art,
artistes, commissaires et critiques. Dans les années 1980 toutefois, le
land art sera repris par d’autres intervenants dont l’action, si elle
5. Voir par exemple Stephen Bann sur Bernard Lassus (1990 : 214-230) et Bann (1999 : 233-
243). Notons que Bernard Lassus a fait les beaux-arts avant de devenir architecte de pay-
sage ; Stephen Bann relie d’ailleurs le travail de Lassus au land art. Voir Weilacher
(1999 : 117).
6. « It’s no longer painting and sculpture which make inventions, but garden art» (Lassus cité
par Weilacher,1999 : 117). Voir également Lassus (1999 : 164).
C’est bien par la photographie que le land art est devenu un art
du paysage. Je crois que sans cet aspect vue enregistrée d’une destina-
tion où il serait possible de se rendre (et c’est la possibilité qui est
importante, non pas le fait qu’elle soit actualisée, comme l’indiquait
Smithson lorsqu’il parlait de « voies mentales ou physiques »), il en
serait tout autrement. La croyance en l’objectivité parfaite des photo-
graphies semble avoir survécu au XIXe siècle, alors que le médium est
considéré comme reproduisant simplement un point de vue partagé,
porteur d’« une vision distribuée qui transcende la subjectivité indivi-
duelle et partant, l’intérêt individuel » (Snyder, 1994 : 183). Il importe
ici d’opérer la distinction entre les deux types de photographies, l’ar-
tistique à laquelle on ne nie plus son statut d’œuvre issue de la subjec-
tivité d’un artiste, et l’ordinaire (pas seulement dans son acception
populaire, mais aussi comme l’instrument dont se servent techniciens
et aménagistes) maniée par tous, comme un simple outil d’enregis-
trement offrant une preuve de la réalité de son objet. C’est immanqua-
blement du supplément documentaire, qui n’est pas de la photogra-
phie artistique, dont on use lorsqu’il s’agit de traiter du land art
comme d’un art du paysage, cet art qui serait un modèle à suivre
lorsqu’il s’agit de paysager le territoire :
Sous leurs apparences rétrospectives ou ludiques, ces manifestations
post-modernes que sont le néo-vernaculaire ou l’art-paysage révèlent
ainsi l’amorce d’une ère sans précédent : celle d’un outre-pays où
l’homme administre l’environnement comme il joue du paysage, dans
l’accord profondément moral de son sens esthétique avec sa connais-
sance (moderne) du réel physique (Berque, 1995 : 35710).
J’ai précédemment signalé l’association que fait Augustin
Berque entre « l’apparition de l’art-paysage aux États-Unis » et l’émer-
gence du terme « paysagement » dans les travaux publics en France,
deux événements qui seraient selon lui contemporains et forts signi-
ficatifs. Berque accorde, dans son texte sur la mission de la DATAR,
une grande importance à cette idée de « paysagement » (« la société à
paysagement ») qui autoriserait l’aménagement et la gestion de l’en-
tièreté du « capital paysager ». Un art, le land art, qui « se déploie dans
l’espace du paysage grandeur nature », en plus de fournir un canon
qui permet de justifier que l’on (re)modèle le territoire, engendre
d’après Berque « un espace imaginaire, [qui] a néanmoins rompu
toute attache avec les espaces illusoires de la perspective “légitime” » ;
cet apparent abandon de la règle perspective étant l’élément essentiel
qui donne sens à son concept de médiance (Berque, 1990 : 132).
10. Je souligne.
ticiens, bien sûr, mais aussi ses historiens, ses théoriciens, bref son
discours : « le terme « architecture de paysage » pourrait être réservé
à la manipulation artistique des environnements paysagers au profit
d’expériences humaines » (Krog, 1981 : 375). L’annexion du land art
devient dès lors chose toute naturelle.
Françoise Dubost identifie, au début des années 1980, une
frange de la profession qu’elle nomme « les artistes » et qui veulent se
démarquer des « professionnels » et des « gens de métier » par le
caractère plus distinctement artistique de leurs travaux. Ce sont évi-
demment ces « artistes » qui tiennent à produire un « discours d’ac-
compagnement » pour leur discipline (Dubost, 1983 : 439 et 44415).
Discours qui est effectivement élaboré au cours des années 1980, en
France comme aux États-Unis, en se référant tout particulièrement,
et de diverses manières, au champ de l’art.
Expériences perceptives nouvelles ou commentaire sur la société,
c’est à une recherche de sens, pour l’art des jardins comme pour l’art
du paysage, à laquelle se livrent bien des auteurs et des architectes de
paysage qui brouillent ainsi les distinctions entre art et pratique de
l’aménagement (Stephen Bann, Brenda Brown, Catherine Howett,
Robert Riley, Stephanie Ross, Udo Weilacher, etc.) tout au long des
décennies 1980 et 1990. Robert Riley affirme que si un « travail artis-
tique qui façonne la nature pour donner du sens [sic] est un jardin »
alors les œuvres de land art « sont des jardins » (Riley, 1988 : 144).
Stephanie Ross veut « tracer des affinités » entre les jardins du
XVIIIe siècle et les earthworks du XXe siècle (Ross, 1993 : 158-182).
Pour Steven Krog, comme pour John Beardsley avant lui, c’est la per-
ception particulière que provoquent les travaux site specific des sculp-
teurs des années 1960 et 1970 qui fait leur importance. Il cite James
Turell à cet égard : « media of art are perception16 ». De même, c’est la
relation au paysage, de l’œuvre au site et du spectateur à l’œuvre et au
site, qui retient l’attention de Stephanie Ross : « Des travaux comme
le Roden Crater de Turell, le Double Negative de Heizer […] nous for-
cent à repenser notre place dans le paysage, nos rôles d’agents perce-
vant, appréciant, consommant ou détruisant » (Ross, 1993 : 17817).
C’est de cette manière, d’après Ross, que les œuvres de land art rem-
15. Brenda Brown, aux États-Unis, identifie aussi un groupe de ce genre (1991 : 140).
16. « Turning aside from this diversionary question: « Is it beautiful? », we are free to accept
artist James Turell’s imperative that « media of art are perception ». Small wonder that
Robert Smithson, Carl Andre, Christo, Michael Heizer, Dennis Oppenheim and other
artists turned to the landscape as their forum and/or medium » (Krog, 1981: 72).
17. Je souligne.
pliraient la même fonction que les plus beaux jardins du XVIIIe siè-
cle.
On peut cependant se demander comment une œuvre très dif-
ficilement accessible comme le Double Negative (mais dont les photo-
graphies sont grandioses et très publiques) ou une autre, le Roden
Crater, que personne n’a visitée puisqu’elle n’est toujours pas complé-
tée et que l’artiste n’autorise pas qu’on la voit tant qu’elle n’est pas
achevée, pourraient nous « forcer à repenser notre place dans le pay-
sage ». Il s’agirait plutôt de notre position devant une image ou par
rapport au discours qui entoure une œuvre. Car si Craig Owens avait
raison sur une chose, c’est bien sur l’importance du discours, qui fait
office de supplément documentaire au même titre que les photogra-
phies – et conjugué avec elles –, et de même s’interpose entre les
œuvres et le spectateur. Le Double Negative et aussi la Spiral Jetty de
Smithson (autre œuvre inaccessible puisqu’elle reste submergée pen-
dant les décennies 1980 et 1990) sont les travaux les plus largement
évoqués lorsqu’il s’agit d’établir des liens entre architecture de pay-
sage et land art. Signalons-le encore, c’est l’expérience de l’œuvre qui
ferait ressortir ces associations. Et pourtant cette « expérience »,
lorsqu’elle n’est pas « vécue » par les photographies, l’est à travers les
écrits des artistes, particulièrement ceux de Smithson, ou suivant des
« récits » généralement acceptés comme celui de John Beardsley18.
Brenda Brown catégorise une nouvelle vague en architecture de
paysage par l’intérêt que partagent les membres de ce groupe pour
les arts visuels, en particulier pour les earthworks et les travaux site
specific.
It [the influence of fine arts] shows in material and formal vocabulary
and in understanding aesthetic and intellectual conceptions. It also
appears in allusions and quotations within works and in verbal and
written references from designers. Examples and precedent from the
art world, exposure to fine art education and collaborations with “fine
artists” may also affect how landscape architects are presenting them-
selves and their works (Brown, 1991 : 140).
Fait intéressant, Brown ajoute que, alors que les « artistes site-
specific » voulaient sortir l’art des galeries (ce qui n’est bien sûr pas
tout à fait exact), plusieurs des paysagistes de cette « nouvelle vague »
semblent en revanche rechercher la légitimité que confère la gale-
rie.
les œuvres qu’aux œuvres elles-mêmes. Elle affirme par ailleurs que
les architectes de paysage sont « allés plus loin » que les artistes du
land art (Brown, 1991 : 145). Garrett Eckbo, autre praticien reconnu,
déclare quant à lui que l’architecture de paysage est « l’art ultime
parce que le paysage, social aussi bien que physique, est la source
d’inspiration pour tous les autres arts » (Howett, 1985 : 58). Michael
Van Valkenburg se serait inspiré, pour son Ice Vine Garden, d’une
œuvre de Hans Haacke, Spray of Ithaca Falls : Freezing and Thawing on
Rope, présentée dans le cadre de Earth Art à Cornell University en
1969. Gary Dwyer procède par « marquages » comparables à ceux de
Richard Long ou de Dennis Oppenheim. Les exemples sont nom-
breux d’œuvres d’art citées par les architectes paysagistes, souvent des
travaux disparus ou inaccessibles. La Tanner Fountain de Peter Walker
(1980) est l’une de ces réalisations qui empruntent à des œuvres que
l’on classe, de façon parfois inexacte, dans la catégorie du land art.
Selon Catherine Howett (1985 : 54) et aussi Brenda Brown (1991 : 145-
147), cette fontaine tient à la fois de la Steam Piece (1967-1973) de
Robert Morris et de la Stone Field Sculpture (1977) de Carl Andre. Steam
Piece, qui était un jet de vapeur sortant de terre par intermittence,
n’existe plus, alors que la similarité entre la fontaine de Walker et
l’œuvre de Carl Andre se trouve dans l’angle de prise de vue des photo
graphies montrées pour établir ladite similitude.
Again, a cynic might reply that it is the spectacle aspect of much out-
side site and earthworks which is responsible for their popular appeal.
[…] It has been the fate of much site work to be addressed by the
media for its sensational aspect: art’s answer to Disneyland. Come on
out and risk your life crawling through tunnels and teetering on
ladders ! Or better still, if you’re man enough, I should say person
enough, make a risky pilgrimage to the inaccessible desert wilderness
where, if one can avoid the sidewinders and the cryptic remarks of the
taciturn artist, one can return sunburned, but definitely enriched, or
at least thrilled, and with a stack of Kodachrome slides (Morris,
1979 : 15).
Sur les hauts-plateaux du Nouveau-Mexique, le Lightning Field
de Walter De Maria fait maintenant cabane comble tout au long de la
saison pendant laquelle il est ouvert. Dans le Great Basin Desert de
l’Utah, les Sun Tunnels de Nancy Holt attirent des visiteurs réguliers
et tous les ans, lors du solstice d’été, l’on campe nombreux sur les
lieux pour assister au lever du soleil. Dans certains de ses plans pour
son Roden Crater d’Arizona, James Turell prévoit un centre pour les
visiteurs (visitor’s center) ainsi que de l’hébergement à même le site, ce
qui ferait de cette œuvre monumentale une attraction touristique
comme n’importe quelle autre.
Quant à la Spiral Jetty de Robert Smithson, Lucy Lippard avait eu
à son sujet, dès 1977, cette intuition : « Le monument isolé de Smith-
son durera assez longtemps pour devenir une ruine romantique
(peut-être y aura-t-il même des visites de groupes) » (Lippard, 1977 : 88).
Lorsque Nancy Holt lui a cédé la Spiral Jetty en 1999, la Dia Founda-
tion avait d’abord songé à la restaurer, c’est-à-dire à la rehausser pour
la rendre visible. Mais la Jetty a finalement émergé d’elle-même des
eaux du Great Salt Lake, sous un aspect changé par sa longue immer-
sion. Et grâce à cette réémergence tardive, pas de doute qu’elle soit
en voie de devenir un lieu de contemplation, comme une ruine pitto-
resque ou un paysage se prêtant bien à ce que John Urry appelle le
« regard romantique » (romantic gaze) d’un certain tourisme qui tient,
en évoquant la nécessité d’une relation solitaire, intime et person-
nelle voire « semi-spirituelle », à l’objet contemplé, à se démarquer du
« regard collectif » (collective gaze) du tourisme de masse qui, par oppo-
sition, implique une certaine convivialité (Urry, 2002 : 150). De
même, selon Jean-Didier Urbain, le tourisme « désertique » est « un
tourisme de révélation », qui distingue aussi ses consommateurs de la
masse des autres touristes : « Rien d’étonnant à ce que l’amateur de
déserts se conçoive lui-même comme une sorte de nomade des espa-
Reproduit avec l’autorisation du Salt Lake Art Center, Salt Lake City
20. Urry en réfère à Pierre Bourdieu quant à la « distinction » à laquelle correspond le
« regard romantique ». Et, dit Bourdieu, « les consommateurs défendent leur rareté par la
rareté des produits qu’ils consomment ou la manière de les consommer » (1980 : 171).
La Spiral Jetty est inscrite par le Service des parcs nationaux des
États-Unis sur le site Internet du Golden Spike National Historic Site21
(GSNHS) comme « nearby attraction », parmi les Dinosaur National
Monument, Hill Aerospace Museum, Thiokol Rocket Display et autres
City of Rocks National Reserve22. On peut, par le GSNHS, se procurer
des instructions détaillées pour se rendre à la Jetty, voyage qui est
encore périlleux, certainement un « pèlerinage risqué dans le désert
sauvage » selon les termes de Morris, qui nécessite un véhicule à qua-
tre roues motrices. L’itinéraire suit des chemins de terre non entrete-
nus, et offre par intermittence des vues à l’apparence parfaite de
pittoresque postindustriel que Smithson n’aurait pas renié : « D’autres
surprises adviennent sur le parcours, comme autant d’installations
pittoresques intentionnelles : une roulotte rose et blanche abandon-
née et vandalisée, un tracteur amphibie, un camion pick-up rouillé »
(Collier et Edwards, 2004 : 32). Symboles corrodés de cette mobilité
qui a modelé le territoire américain et à laquelle Smithson s’intéres-
sait tant. De plus, comme Lippard l’avait anticipé, il est possible de
participer à un tour, sorte de voyage organisé jusqu’à la Jetty .
Ailleurs, dans le désert du Mohave, le Double Negative de Michael
Heizer (maintenant propriété du Museum of Contemporary Art de
Los Angeles) « retourne à la terre » comme le constatait déjà Lippard
en 1977 (1977 : 88). Peut-être songera-t-on bientôt, dans une impul-
sion de conservation proche des opérations de mise en patrimoine
dont font l’objet ruines et paysages, à le restaurer et à le rendre plus
accessible, car le chemin qui permet de monter sur la Mormon Mesa
où se trouve l’œuvre est très endommagé. Mormon Mesa, après tout,
n’est qu’à une heure en voiture de Las Vegas…
DESTINATIONS
Une certaine condition photographique transforme les œuvres du
land art en des vues enregistrées de destinations vers lesquelles il suffi-
rait d’aller pour les re-connaître. À l’inverse, la photographie artisti-
que telle qu’elle est pratiquée par Lewis Baltz et ses collègues spécia-
listes du paysage de la marge n’illustre certes pas des endroits où l’on
aimerait se rendre. On pourrait pourtant croire que ces artistes
21. Un monument commémoratif a été élevé en Utah, là où se sont rejoints les tronçons est et
ouest des chemins de fer américains, unifiant complètement le pays en 1869.
22. www.nps.gov/gosp/tour/nearby.html. Un lien vers ce site se trouve sur celui de la Dia
Foundation (www.diacenter.org).
24. Nous avons vu plus haut que ce sont en grande partie les land artists qui ouvrent la voie, ou
leurs œuvres qui ont servi de modèles, à cette esthétisation du paysage.
25. Je souligne.
lisation ») des sites et des territoires qui assure leur caractère distinctif
et donc leur valeur.
C’est ainsi que l’on élabore, dans les villes et hors des villes, des
paysages porteurs d’identité ou de mémoire, susceptibles d’attirer le
plus grand nombre de visiteurs. Car les touristes collectionnent les
destinations comme au XIXe siècle on collectionnait les stéréo
grammes ; les voyageurs sont des consommateurs de sites comme le
suggère Lucy Lippard (2000 : 122). Il va sans dire que les métropoles
ont un rôle déterminant dans la fabrication des paysages en périphé-
rie, soit parce que les métropolitains développent eux-mêmes la péri-
phérie en y injectant des capitaux, soit que la périphérie n’a d’autre
choix économique que de se constituer en destination – authentique,
typique ou exotique, autre – afin d’attirer les gens de la métropole. Le
développement touristique dans les pays en émergence est principa-
lement assuré par de grandes compagnies états-uniennes ou euro-
péennes et la majeure partie des capitaux retourne dans les métro
poles26. De même, ce sont les habitants des villes qui vont vers les
zones périphériques, campagne, littoral, etc., où le tourisme est un
facteur économique important.
Mais voyons par quels procédés on en arrive à construire des
paysages, à thématiser l’espace, en usant d’images récupérées aux
archives et/ou commandées à des artistes. Voici les formes d’inter-
ventions possibles : la conservation, généralement par désignation ; la
restauration en un état antérieur ; la reconstitution ; le nettoyage et la
remise en fonction. Une autre forme d’intervention serait l’invention
de nouveaux paysages, mais celle-ci ne faisant pas appel à des images
préexistantes, elle ne sera pas examinée.
La conservation ou la protection des lieux s’effectue par leur
mise en réserve, soit l’instauration de parcs nationaux ou le classement
de sites qu’il ne sera plus possible de modifier. C’est ce qu’Alain
Corbin appelle « l’étatisation du paysage » (2001 : 165). L’importance,
à cet égard, des inventaires photographiques du XIXe siècle (geogra-
phical surveys) a déjà été soulignée. Si, pour les États-uniens du
XIXe siècle les mises en réserve favorisaient l’émergence d’une image
forte de la nation, la fin du XXe siècle voit naître la crainte de perte
d’identité et, de là, le besoin d’une mémoire unifiante pour les na-
tions. Les inventaires récents, comme la mission de la DATAR, sont
commandés pour suppléer à ce manque. C’est le même enjeu identi-
taire qui pousse à classer, à désigner, à mettre en patrimoine, bref à
26. À ce sujet, on peut consulter Urry (2002 : 57).
des artistes, pour soutenir leur action. En plus de faire appel à la re-
présentation photographique, la volonté généralisée de conserver les
traces du passé avec la « muséification » de l’espace qui s’ensuit, a
cette caractéristique bien particulière, décrite par Jeudy, de « faire
tableau » en fixant et en cadrant ce qui doit être vu :
Au rythme d’une patrimonialisation générale, l’esthétique n’est pas
un « plus », elle est une finalité essentielle puisqu’elle permet de voir
et de se représenter tout ce qui nous entoure, tout ce dans quoi on vit
comme la configuration d’un paysage. Présentant l’avantage indénia-
ble de donner la forme immédiate du « tableau » à tout acte de
perception, le paysage subsume les différentes conceptions du patri-
moine (Jeudy, 2001 : 123).
Ainsi on usera d’images réalisées pour les observatoires photo-
graphiques afin de fixer doublement certains territoires dans la durée.
Mais, malgré la volonté étatique d’impliquer les communautés loca-
les, cette double mise en paysage porte en elle, tout comme la pro-
duction de l’espace urbain, mais à un autre niveau, un risque
d’exclusion. Le paysage – la forme du tableau comme le suggère
Jeudy – supposant le regard d’un observateur extérieur se posant en
sujet pour lequel ce qui est perçu devient objet, le résidant ne pour-
rait en effet se sentir inclus dans ce tableau soigneusement composé,
ne bénéficiant pas de la distance nécessaire pour l’apprécier.
Les séries de rephotographies – ce qu’en France l’on appelle
des reconductions photographiques – produites par des artistes peu-
vent aussi contribuer à établir des comparaisons entre le passé et le
présent. Les images anciennes, photographies mais aussi cartes posta-
les et tableaux, mesurées à des reprises récentes des mêmes lieux
selon les mêmes cadrages servent « aux aménageurs […] à prévenir
les détériorations mais également à susciter des actions d’améliora-
tion » (Quesney, Ritelhueber et Stefulesco, 1994 : 32). Améliorations
qui parfois correspondent à un retour en arrière vers les paysages
intacts d’avant, à leur restauration. Il ne sera pas alors question d’inter
ventions artistiques de réhabilitation comme celles de Nancy Holt
(Sky Mound et Up and Under) par exemple, mais d’un retour à l’authen-
tique passé. On utilisera les séries photographiques pour déterminer
les éléments du paysage à améliorer, à retrancher ou à ajouter. Mais,
qui peut décider quelle image est la bonne, quel est le paysage typique
ou authentique de telle ou telle région? « Jusqu’à quel point un lieu-
image créé pour des spectateurs venus de l’extérieur correspond-il au
sens du lieu des gens de l’intérieur, si tant est qu’il y ait un consensus
parmi ceux-ci? » (Aitchison, MacLeod et Shaw, 2000 : 153).
À l’extrême de ces actions de restauration serait l’« écologie pro-
fonde » (deep ecology) qui demanderait de revenir à un état « premier »
du territoire, un état préphotographique et même préreprésentation,
l’écologie prenant ainsi le rôle de « garde-nature et donc de garde-
paysage », comme le signale Anne Cauquelin (2000 : 427). Ce retour
en arrière autoriserait éventuellement à éliminer une partie… de
l’humanité, pour laisser toute la place à la nature sauvage qui devien-
drait alors sujet de droit et à part entière28.
Une autre forme de restauration moins extrême, mais tout de
même très curieuse est la reconstitution. C’est une opération qui
s’effectue généralement à partir d’images anciennes, de photogra-
phies ou de tableaux. Alain Corbin fait état d’un « projet ministériel
de conservation de paysages célébrés par des peintres dont la noto-
riété est devenue mondiale ; donc de protection de lieux touristiques à
venir 29 ». Le cas évoqué par Corbin est celui de la vallée de la Loue
dans le Jura à laquelle l’on veut redonner l’apparence qu’elle avait
lorsque Gustave Courbet l’a peinte en 1866. Des ingénieurs ont appa-
remment travaillé à cette reconstitution qui nécessitait la coupe
d’arbres et le rétablissement de certaines cultures… « sans compter
les usines » (Corbin, 2001 : 173). John Urry donne l’exemple de ces
terrasses de roc s’élevant au-dessus du lac Rotomahana en Nouvelle-
Zélande qui, au XIXe siècle, formaient une attraction touristique très
prisée. Ces terrasses ayant été détruites par une éruption volcanique
en 1886, elles sont tout de même restées célèbres grâce aux vues enre-
gistrées de l’époque. Au XXe siècle, l’attraction est finalement recons-
truite, mais pas exactement au même endroit. Selon Urry, cet ensem-
ble de terrasses « thématisées » devrait être d’apparence plus
authentique que l’original, qui est connu seulement par des photo-
graphies (Urry, 2002 : 131), images centenaires qui ont bien entendu
guidé la reconstitution. Voilà certes un beau cas de ce que MacCannell
nomme « staged authenticity » : des attractions dont le visiteur se figure
qu’elles sont authentiques ont été complètement fabriquées à son
intention (1999 : 91). Un phénomène similaire est observable au
Québec où une partie du paysage urbain de la ville de Québec, la
place Royale, a été refaçonnée selon un plan conçu dans les années
27. L’auteure souligne.
28. Sur cette notion de la deep ecology on peut consulter Ferry (1992 : 107-138).
29. Je souligne.
32. Je souligne.
33. Je souligne.
LE SPECTACLE
Remontons brièvement la chaîne déployée dans le présent cha-
pitre, en continuité avec le précédent, et par laquelle j’ai tenté de
« rétablir au cas par cas non pas seulement l’infinie complexité et
l’unicité ultime de chaque fait, mais aussi la façon dont certains se
dégagent peu à peu, se stabilisent, se généralisent34 ».
Au début des années 1970, à un moment où les préoccupations
environnementales se font pressantes, Robert Smithson opère sa fa-
meuse traduction que bien des critiques reprennent et transposent,
ou traduisent à nouveau en fonction « sociale », c’est-à-dire écologique
ou publique, pour un art pourtant caractérisé par sa monumentalité,
les altérations causées aux territoires qu’il s’annexe et par sa réalisa-
tion en des lieux hors des circuits conventionnels de présentation.
Les quelques projets de land reclamation exécutés par des land artists et
largement relayés par les médias35, en corrélation avec les possibilités
accrues de financement public pour l’art en milieu urbain, ensemble
autorisent cette réorientation de l’art dans le paysage vers une voca-
tion (sub)urbaine et récréative à saveur environnementale qui sem-
ble en être un aboutissement logique. J’ai ainsi décrit la tentative de
Lucy Lippard de faire voir le land art, converti en parcs et jardins,
comme une forme d’art engagé. Par ailleurs, John Beardsley s’ap-
puyant manifestement sur les écrits de Smithson, Lippard, Linker et
Foote, élabore quant à lui un récit dans lequel le land art « évolue » en
un art public « socialement utile », c’est-à-dire à fonction récréative. À
mesure que cette forme d’art public (art-as-public-spaces) s’installe, le
land art, l’original, celui des déserts, isolé et monumental, se fixe dans
l’histoire de l’art comme un moment – ou un mouvement – artistique
circonscrit dans le temps et fermé, bref révolu.
Il serait donc juste de dire que le land art disparaît, qu’apparaît
une autre forme qui en est en partie dérivée et que c’est une série de
médiations et de traductions, c’est-à-dire une redistribution des inté-
rêts et des buts, souvent opérées par des critiques et commissaires – et
aussi jusqu’à un certain point par les artistes, ne serait-ce que parce
qu’ils « reviennent » à la ville – qui transforme en suite naturelle des
34. « …quitte à recourir pour cela à la fois à des volontés construites et à des circonstances
aléatoires, à des projets explicites et à des effets pervers, à des propriétés recherchées et à
des caractères apparus » (Hennion, 1993a : 200).
35. « Even in the United States the “publicness” of public images goes well beyond their
specific sites or sponsorship: “publicity” has, in a very real sense, made all art into public
art » (Mitchell, 1990 : 30).
39. Je souligne.
40. Voir également Heidegger (1977 : 135).
1. « The view, or the scenic overlook, is a ready made photograph waiting to be snapped »
(Lippard, 2000 : 139).
4. Mormon Mesa, que certains auteurs appellent aussi Virgin River Mesa.
7. Une Indigenous arts industry selon les mots de Suzette Watkins, catalogue Desert Mob 2003
(2003 : 1).
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