Vous êtes sur la page 1sur 32

Promotion 2019-2022 Année scolaire 2021-2022

Coralie LOPEZ

ENTRE EMOTION DE MAMAN ET POSTURE DE SOIGNANT

UE 3.4 S6 – « Initiation à la démarche de recherche »

UE 5.6 S6 – « Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques et professionnelles »

UE 6.2 S6 – « Anglais »

Institut de Formation en Soins Infirmiers René Tostivint


69 Rue de Rieuville – 28100 DREUX
REMERCIEMENTS

Sans grande surprise, les premiers mots de ce travail seront adressés à Claire Sivault
qui a toujours su se montrer disponible pour m’écouter, me lire, me conseiller, me guider... Qui
m’a aidée (sans le savoir) bien au-delà de la rédaction de ce dossier et qui m’a amenée là où je
voulais aller. Je vous remercie et j’espère que mon travail sera à la hauteur !

Naya, mon bébé bonheur... J’ai choisi ce sujet de mémoire en partie parce que je suis
devenue ta maman. Je pourrais écrire des milliards de mots pour toi. Tu es arrivée dans ma vie
comme un coup de tonnerre. Beaucoup m’ont dit que je n’y arriverais pas, que je ne reprendrais
pas ma formation d’infirmière, qu’être étudiante et maman solo ça ne fonctionnait pas, que je
n’aurais plus de bons résultats scolaires, que j’allais être freinée dans mes études et ma future
carrière, que je n’avais pas la situation pour avoir un enfant, et que ceci et que cela... Sache que
tu es le plus grand des moteurs, tu donnes un sens à tout ce que je fais, je suis incroyablement
fière de t’avoir et je réussi grâce à toi. Ma Nanita d’amour, petit bout de moi, merci d’être là,
merci d’être toi ! Je t’aime indéfiniment.

Maman, ma Sœur, Papi et Mamie, Papa, vous m’avez épaulé et rendu visite pendant
des années à l’hôpital quand j’étais du côté patient et pourtant, j’ignore encore pourquoi mais
vous avez toujours cru en moi. Vous m’avez soutenu sans faille et grâce à vous je suis
maintenant de l’autre côté de la blouse, je ne vous remercierais jamais assez ! Maman, j’ai
envie de te dire merci tout spécialement à toi. Tu m’as épaulée pendant toute ma vie et tu as
logiquement continuer pendant mes études : me faire réciter mes cours, m’interroger pour
préparer les évaluations, relire inlassablement mes devoirs avec des « mots trop bizarres »
comme tu dis, garder Naya pour que je puisse avancer ou me reposer. Tu es merveilleuse, tu es
mon pilier, je te dois tout ! Je ne te le dirais jamais assez : je t’aime et je t’admire. Mamie, un
petit merci supplémentaire pour les relectures et surtout merci de m’avoir suivie jusqu’en
Espagne pour t’occuper de mon bébé, sans toi je n’aurais probablement pas pu réaliser mon
stage Erasmus aussi sereinement. Tu es la meilleure, merci encore !

Adnane, merci de m’avoir permis de devenir maman, merci d’être toujours présent pour
moi, merci d’être patient, merci de me supporter... Notre histoire est très compliquée, c’est très
dur d’être loin de toi mais tu m’as toujours soutenue et je t’en remercie infiniment. Tu es génial,
j’ai de la chance de t’avoir à mes côtés.
Merci à mes collègues de promotion qui m’ont accueilli en cours de route avec
beaucoup de bienveillance. Vous êtes pour certains devenus des ami(e)s... July, Mathilde, Théo,
Lina, Candice, merci pour les moments passés ensemble !

Je remercie également Michelle Erismann pour les relectures et les corrections


proposées à mon devoir.

Je tiens naturellement à remercier l’intégralité des professionnels qui sont intervenus


dans ma formations :
• Les formateurs de l’IFSI, qui ont supportés mes innombrables questions farfelues
durant ces années, qui ont toujours été bienveillants et qui nous offrent une
formation théorique et un accompagnement d’une grande qualité. Je tiens
particulièrement à remercier Cécile et Isabelle qui m’ont largement épaulées lorsque
j’en avais besoin.
• Les nombreux intervenants qui prennent du temps sur leurs emplois du temps
chargés pour venir nous former et nous informer. Isabelle Picard, merci pour votre
disponibilité et votre joie de vivre, vous avez rendu les heures d’Anglais fun et
enrichissantes.
• Les professionnels en stage, qui nous accueillent et nous font grandir
professionnellement parlant. Vous nous permettez de nous construire.
• Mathilde et Cathy nos petites fées du CDI, toujours accueillantes et de bonne
humeur, qui font un travail incroyable pour faciliter nos recherches. Vous
n’imaginez pas combien votre aide nous est précieuse !!!
• Les ASH Margaux et Patricia qui nous permettent d’étudier dans des locaux propres
et agréables.
• Les secrétaires, toujours présentes pour répondre à nos questions, nous rappeler nos
oublis, s’occuper de nos bourses, d’Erasmus...

Enfin, c’est probablement un peu étrange, mais je suis très reconnaissante et je remercie
la vie de façon générale car je considère avoir de la chance d’être là où je suis aujourd’hui,
d’être entourée de personnes formidables et de pouvoir exercer, en Juillet je l’espère, le métier
qui des années auparavant a contribué à me « sauver » la vie.
SOMMAIRE

INTRODUCTION ...................................................................................................................... 1

SITUATION DE DEPART ........................................................................................................ 2

REFLEXION .............................................................................................................................. 5

QUESTIONNEMENT ............................................................................................................... 6

1- Les émotions................................................................................................................... 6

2- Les mécanismes de défense ............................................................................................ 6

3- La posture professionnelle soignante ............................................................................. 7

PROBLEMATISATION ............................................................................................................ 7

1- Les émotions................................................................................................................... 7

2- Les mécanismes de défense .......................................................................................... 11

3- La posture professionnelle............................................................................................ 15

4- Synthèse de la problématisation ................................................................................... 17

QUESTION DE RECHERCHE ............................................................................................... 18

HYPOTHESE DE RECHERCHE............................................................................................ 18

OUTILS DE RECHERCHE..................................................................................................... 19

CONCLUSION ........................................................................................................................ 22

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................... 24
INTRODUCTION

Le métier de soignant a toujours demandé implication et dévotion. En effet, jusqu’à la


fin du XIXe siècle, on considérait que soigner était une forme d’art que seules les religieuses
pratiquaient. Grâce aux avancées économiques et scientifiques, les représentations du soin ont
évoluées, passant de l’acte de charité à une réelle profession régie par des lois et nécessitant
une formation. Bien que le versant religieux ait disparu pour laisser place à la
professionnalisation, les principales qualités requises pour exercer le métier d’infirmier
s’appuient sur le versant « humain ». Ainsi, on demande aux soignants de faire preuve (entre-
autres) d’empathie, de patience, d’ouverture d’esprit et de respect. Aptitudes personnelles que
l’on doit mettre au service du professionnel. Infirmier(e)s, nous sommes des humains qui
travaillons avec des humains. Nous devons accompagner les patients dans leurs pathologies,
être capable de tout entendre sans juger, accueillir leurs souffrances physiques et/ou psychiques,
cohabiter avec la mort en essayant de la retarder ou de la rendre la plus confortable possible...
Cela n’est pas chose simple car sous notre blouse, nous sommes comme eux ! Par conséquent,
que ce soit les nôtres ou celles des patients, les émotions sont au cœur des prises en soin, au
cœur de notre profession.

Ainsi, mon travail d’initiation à la recherche prend appui sur une situation dans laquelle
mon implication émotionnelle m’a amenée à sortir de ma posture professionnelle. Point de
départ de ce fastidieux travail, je n’ai pas réfléchi longtemps avant de choisir sur quelle situation
j’allais travailler, elle s’est imposée à moi assez logiquement, sans que je ne sache vraiment
pourquoi. Probablement parce qu’elle m’a touchée au-delà de la sphère professionnelle : je ne
réfléchissais et n’agissais plus en tant que Coralie la soignante mais en tant que Coralie la jeune
maman.

Cette situation, je vous la décrirais la plus honnêtement possible afin que vous puissiez
comprendre les racines du questionnement qui en découle. Par la suite, nous verrons que ce
questionnement a mis en évidence un certain nombre de concepts que l’on explorera dans la
phase de problématisation. Cela nous permettra d’analyser au mieux la situation de départ et
d’élaborer notre question de recherche. Enfin, nous émettrons une hypothèse, qui pourrait
correspondre à une des réponses possibles à notre question de recherche, que nous irons vérifier
grâce à un outils de recherche.
Je vous souhaite bonne lecture...

1
SITUATION DE DEPART

Dans le cadre de ma formation en soins infirmiers, j’effectue mon stage de semestre 5


au sein du bloc opératoire pour une durée de 10 semaines. Le service se divise en trois secteurs
différents : le SAS d’accueil où le patient arrive pour que l’on vérifie son dossier, son identité,
être perfusé et recevoir une antibioprophylaxie si nécessaire en fonction de l’intervention. Le
patient passe ensuite en salle d’opération pour se faire opérer puis sera dirigé vers la salle de
réveil pour une surveillance post interventionnelle.

La situation que j’ai choisie s’est déroulée le Jeudi de la deuxième semaine de mon
stage, j’étais en salle de réveil, chargée de surveiller les patients une fois leur chirurgie terminée
et leur prodiguer les soins nécessaires en fonction de leur situation. La salle de réveil a une
configuration particulière car tout est ouvert : il y a 13 postes répartis tout autour de la salle et
il est possible de voir tous les patients à partir de n’importe quel endroit de la pièce. La matinée
se passait comme d’habitude : je prenais en charge les patients au fur et à mesure qu’ils sortaient
des salles d’opération, j’effectuais les surveillances nécessaires, j’assurais la traçabilité des
soins et je m’occupais à ce moment-là de deux patients qui ne présentaient aucune complication
post opératoire. Je me sentais alors relativement à l’aise et sereine.

Aux alentours de 12h, une intervention se termine et une petite fille de 3 ans, que je
nommerais Maïssane (nom fictif), est amenée en salle de réveil suite à des soins dentaires. Elle
est intubée, dort car toujours anesthésiée et son opération s’est déroulée sans encombre.
Maïssane est hospitalisée en service de chirurgie ambulatoire et sa maman attend dans la
chambre la fin de l’intervention. La fillette a été emmenée au bloc opératoire dans une petite
voiture électrique avec son doudou afin de la rassurer et détourner son attention de
l’environnement médical. Dans le service, le protocole veut que ce soit les IADE (infirmiers
anesthésistes diplômés d’Etat) qui prennent en charge la pédiatrie au moment du réveil, je ne
vais donc pas auprès de la fillette à son arrivée et continue mon activité auprès des deux patients
que j’avais en charge, sans trop prêter attention à l’enfant.

Vint le moment de son réveil : elle est dans un lit d’adulte avec son doudou, reprend
conscience et est extubée sans soucis. Quelques minutes après, j’entends des pleurs lointains
assez discrets. Instinctivement, je tourne la tête pour voir d’où ça vient, j’observe la pièce pour
comprendre ce qu’il se passe, j’essaye d’analyser la situation de loin et voit Maïssane pleurer

2
dans son lit. L’IADE est avec elle, je ne m’inquiète pas puisque je constate que la fillette est
prise en charge. Je continue donc la surveillance de mes patients. Environ dix minutes passent
et la petite fille pleure toujours, ses pleurs se sont intensifiés, ils sont désormais plus aigus et
plus forts qu’auparavant et provoquent en moi une certaine angoisse. Je me rends auprès d’elle
car je ne peux m’empêcher d’aller la voir pour essayer de la rassurer et de la calmer. L’IADE
me dit alors que “c’est normal, les enfants réagissent très souvent comme ça après une
anesthésie, elle va finir par se calmer ; il faut la laisser seule pour ne pas la stimuler”. N’ayant
jamais vu de réveil pédiatrique avant, je demande pourquoi on ne fait pas venir sa maman. Je
m’étais renseignée en amont pour connaître les droits de l’enfant dans le service car étant moi-
même maman, j’imaginais que le passage au bloc opératoire était très angoissant, d’autant plus
pour un tout petit qui n’a pas encore conscience du monde qui l’entoure. J’avais alors appris
qu’il était tout à fait possible de faire descendre un des parents une fois l’enfant réveillé et
extubé. Voyant que Maïssane continuait de pleurer d’une façon que j’assimile à de la peur, je
suppose que faire venir sa maman est le seul moyen pour la petite fille de se sentir en sécurité
et apaisée. L’IADE me dit que c’est inutile et me répète qu’elle va se calmer toute seule. A ce
moment-là, la fillette pleure toujours, elle est allongée dans son lit, serre très fort son doudou
contre elle, est recroquevillée, ne répond pas aux questions de l’IADE lorsqu’elle lui demande
si elle a mal quelque part, ne veut voir personne et a retiré auparavant les câbles de surveillances
présents sur sa poitrine, le saturomètre, le brassard à tension ainsi que sa perfusion.

Étant donné que je suis étudiante, je ne me trouve aucune légitimité pour contredire
l’IADE donc j’écoute ce que l’on me dit, m’éloigne et laisse la petite fille pleurer seule dans
son lit. En m’éloignant et en laissant l’enfant seule, mon cœur se serre, je ne suis pas bien, je
n’arrive pas à me concentrer sur mes autres patients car je ne suis pas en accord avec moi-même
et ne pense qu’à Maïssane. Mon sentiment de mal-être augmente symétriquement aux pleurs
de la fillette. J’ai conscience qu’être en salle de réveil est anxiogène puisqu’il y a du monde
partout, des câbles de scope, du bruit, des machines qui « bip », des va-et-vient, les effets de
l’anesthésie, de possibles douleurs et me mets à la place de la petite qui doit être effrayée à tout
juste 3 ans, d’autant plus qu’à cet âge la figure d’attachement maternelle est essentielle et
représente le principal repère de l’enfant. Ses pleurs ne cessent pas, ils sont de plus en plus forts
et aigus, je décide alors d’aller contre l’avis de l’IADE et retourne voir la petite car il est
insupportable pour moi de la voir pleurer seule, je réagis à ce moment-là comme je l’aurais fait
face à ma fille et fait un transfert. Je suis tiraillée intérieurement entre la posture professionnelle
qu’on me demande d’avoir et la posture de maman qui me vient naturellement. Je lui parle,

3
tente de trouver les mots justes, lui fais des papouilles dans les cheveux, lui parle de son doudou
pour tenter de la détourner mais rien n’y fait, Maïssane est en boule et en larmes dans son lit
pendant les quelques minutes où je suis à ses côtés.

Au loin, je vois l’IADE et l’infirmière discuter ensemble. Je me doute qu’elles parlent


de la situation donc je vais les voir. Elles me disent d’un ton assez ferme que c’est simplement
mon instinct maternelle qui parle, que je ne dois pas m’inquiéter, que plus on lui parlera ou la
stimulera plus elle pleurera, qu’il faut absolument que je la laisse se calmer seule puisque sur
le plan clinique tout va bien ! Totalement contre cette idée, je suis profondément convaincue
que Maïssane est en panique, qu’elle a peur et que la seule chose qui pourrait la calmer c’est de
faire venir sa maman. Mais étant étudiante, je vais contre mes convictions et écoute ce que l’on
me dit. Je suis submergée d’émotions négatives, je ressens un mélange de tristesse, de colère,
d’incompréhension et d’impuissance mais j’arrive à ne pas le montrer et à me contrôler.

Vers 12h20, l’IADE en charge de l’enfant part manger. Je saisis l’opportunité pour me
précipiter vers la fillette qui pleure depuis maintenant 20 minutes sans s’arrêter. Je tente de la
rassurer en la prenant dans mes bras et en lui chantant des petites chansons, comme je le fais
pour ma fille, afin d’essayer de la détourner de l’ambiance « salle de réveil ». Maïssane est un
peu réceptive, elle se blottit contre moi, pose sa tête dans mon cou en cachant son visage et ne
veut plus me lâcher, elle s’agrippe comme si elle avait senti que j’avais compris son besoin ! Je
prends alors la décision seule, sans concertation avec l’équipe infirmière et médicale d’appeler
sa maman et de la faire descendre, je ne peux plus accepter la situation, s’en est trop pour moi.
Je n’arrive plus du tout à être dans une posture de soignante, je ne réfléchis plus comme une
étudiante infirmière mais comme une maman. Je suis en symétrie émotionnelle avec la jeune
patiente, bouleversée d’avoir à ne rien faire alors que je perçois toute la détresse de cette fillette.
A ce moment-là, je ne réfléchis pas aux conséquences de mes actes et privilégie le bien-être de
l’enfant. Sa maman arrive au bloc quelques minutes plus tard, Maïssane sanglote encore dans
mes bras avec le visage caché. En lui caressant les cheveux, je lui dis « regarde ma puce, ta
maman est là ». Elle relève la tête, aperçoit sa maman et se jette littéralement dans ses bras en
pleurant de soulagement : il s’agit maintenant de pleurs plus espacés, moins forts et moins
profonds. Elle se calmera quelques secondes après.

De mon côté, je suis submergée par mes émotions, je n’arrive plus à retenir mes larmes,
je laisse couler toute la tension que j’ai gardée en moi et pars m’isoler dans les toilettes pour

4
pleurer. Je mets une dizaine de minutes à reprendre mes esprits avant de pouvoir retourner en
salle de réveil.

A mon retour, Maïssane est calme, dans les bras de sa maman, totalement apaisée.
L’infirmière me croise et remarque mes yeux rouges. Nous parlons rapidement de la situation,
elle ne relève pas le fait que j’ai pris la décision seule de faire descendre la maman et me dis
que le principal est que l’enfant soit soulagée donc que j’ai bien fait. Maïssane et sa maman
quitteront la salle de réveil pour retourner dans le service de chirurgie ambulatoire vers 13h (1h
après son arrivée), avant le retour de l’IADE.

REFLEXION

Lorsque j’ai vécu cette situation, je me trouvais dans un contexte social et familial
émotionnellement compliqué pour moi. Ma personnalité et ma sensibilité ont fait qu’il m’était
insupportable de voir cet enfant pleurer tant cela faisait écho à mon expérience personnelle et à
ce que je vivais au quotidien avec ma fille âgée alors de dix mois. Cela m’a conduit à agir
rapidement, instinctivement et inconsciemment sans prendre en compte les conséquences qui
auraient pu en découler. En effet, il y aurait pu avoir des conséquences pour la patiente, pour la
maman, pour l’équipe, pour moi : il aurait été possible que la cadre du service fasse un rapport
à mon sujet, que l’équipe soit mise en difficulté, que la maman soit choquée d’entrer dans une
salle de réveil et fasse un malaise, que la fillette panique davantage, que l’IFSI soit averti et me
sanctionne ou même que je sois renvoyée de mon stage. J’ai peut-être agi de la sorte pour me
protéger, comme une sorte de mécanisme de défense. Cependant, peut-on réagir ainsi ? Chaque
soignant possède une vie personnelle plus ou moins lourde émotionnellement ainsi qu’un vécu
et une personnalité mais cela ne doit pas impacter les prises en soins, ce qui n’a pas été mon
cas.

5
QUESTIONNEMENT

Afin de comprendre mon fonctionnement dans cette situation, je me suis posée les
questions suivantes, que j’ai directement regroupées par concepts afin que ce soit plus parlant :

1 - Les émotions
› Comment gérer ses émotions ?
› La gestion des émotions réduit-elle l’authenticité dans la prise en soins ?
› Est-il possible de prendre correctement en soins un patient sans émotion ?
› A quoi servent les émotions pour le soignant ?
› Les soignants peuvent-ils se détacher émotionnellement pour ne plus ressentir
d’émotions ?
› Comment se servir de ses émotions pour aider un patient ?
› La prise en soins des enfants est-elle émotionnellement plus compliquée ?
› Pourquoi y a-t-il des prises en soins émotionnellement plus compliquées que d’autres ?
› Les émotions sont-elles bénéfiques pour comprendre les patients ?
› Peut-on anticiper ses émotions ?
› Peut-on entrer en relation avec un patient sans être dans l’émotion ?
› Quelle est la place des émotions dans le soin ?
› Avons-nous le droit de laisser nos émotions s’exprimer devant les patients ?
› Y a-t-il des émotions à éviter ?

2 - Les mécanismes de défense


› Qu’est-ce qu’un mécanisme de défense
› A quoi servent les mécanismes de défense chez le soignant ?
› Dans quelles situations interviennent les mécanismes de défense ?
› Comment se mettent-ils en place ?
› Est-il possible d’anticiper ses mécanismes de défense ?
› Est-il possible d’anticiper les mécanismes de défense des patients ?
› Sont-ils nocifs professionnellement parlant en impactant négativement les prises en
soins ?
› Sont-ils “irréversibles” ? (si on développe tel ou tel mécanisme de défense dans une
situation, va-t-on toujours le développer lorsqu’une situation similaire se reproduira)

6
› Les mécanismes de défense peuvent-ils nous amener à prendre des risques
professionnellement parlant ?
› Est-il possible de lutter contre ses mécanismes de défense ?
› Y a-t-il des mécanismes de défense qui desservent la relation avec le patient ?

3 - La posture professionnelle soignante


› Qu’implique la posture professionnelle soignante pour l’infirmier ?
› Peut-on concilier posture professionnelle et posture de maman ?
› La posture de maman est-elle compatible avec la posture professionnelle ?
› A quel moment peut-on basculer d’une posture à l’autre ?
› Jusqu’où s’arrête la posture professionnelle ?
› Comment acquière-t-on sa propre posture professionnelle ?
› Qu’est-ce qu’une posture professionnelle adaptée ?
› Comment nos vécus personnels ou professionnels impactent-ils notre posture
professionnelle ?
› Est-ce que les ressentis personnels ont leur place dans la sphère professionnelle ?

PROBLEMATISATION

Dans ma situation, je pense que mes émotions m’ont amenée à mettre en place des
mécanismes de défense qui ont impacté ma posture professionnelle soignante. C’est pourquoi
je vais traiter ces trois concepts dans cet ordre pour un maximum de fluidité.

1 - Les émotions
Étudié depuis le XIIIe siècle, le concept des émotions n’a cessé d’évoluer jusqu’à
aujourd’hui. De nos jours, les émotions font partie intégrante de la société et ne sont plus
synonyme de faiblesse. Homme ou femme, adulte ou enfant, riche ou pauvre, tout le monde est
autorisé à les ressentir, à les accepter et à les exprimer. Tout le monde, sauf les soignants à qui
l’on demande dès l’entrée en formation une certaine maîtrise de soi et de ses émotions comme
en témoigne Marion Borenstein à travers son article sur « les soignants et leurs émotions au
quotidien » dans lequel elle exprime que pour les soignants, « le questionnement ne porte pas
sur la place des émotions, sur leur intérêt, leur légitimité ou leur élaboration, mais bien souvent
sur leur gestion, entendue au sens du contrôle, de la maîtrise, voire de la répression » (2018,
p.10-12). Mais finalement, qu’est-ce qu’une émotion ? Selon Lelord, F. et André, C.

7
« l’émotion est une réaction soudaine de tout notre organisme, avec des composantes
physiologiques (notre esprit) et comportementales (nos actions) » (2018, cité par Paillard,
p.165). Dans l’ouvrage des concepts en soins infirmiers, les auteurs Anzieu, D. et al. complètent
la définition précédente en ajoutant la notion de valence (les émotions peuvent-être agréables
ou désagréables) et en y incluant l’expérience émotionnelle personnelle. Ils définissent alors
l’émotion comme « un état particulier survenant dans des conditions indéfinies (une situation
dite émotionnelle) accompagnée d’une expérience subjective et de manifestations somatiques
et viscérales » (2012, p.165). En m’appuyant sur les idées de ces auteurs au travers de leurs
définitions, je dirais qu’une émotion est une sensation personnelle qui survient brutalement
lorsque nous sommes confrontés à une situation qui nous engage et qui nous touche aussi bien
positivement que négativement. Cette confrontation fait appel à notre vécu, à notre mémoire,
ravive en nous des expériences passées et amène à des réactions psychiques puis physiques. Au
moment où j’ai vécu la situation que je vous ai décrite, j’avais une vie personnelle relativement
difficile, sans entrer dans les détails. Je ne le savais pas sur le moment, mais maintenant que
j’analyse ce qui s’est passé, je peux dire que j’étais en surcharge émotionnelle. Ainsi, mon vécu
et ma mémoire sont automatiquement revenus au premier plan lorsque j’ai été confrontée à la
détresse de la jeune patiente.

Suite à mes lectures, j’ai constaté que de manière générale, lorsque l’on parle
d’émotions, l’accent est principalement mis sur les six émotions dites de « bases » ou
« Darwinienne » en rapport à Charles Darwin (père de la théorie de l’évolution). Ces dernières
regroupent la joie, la tristesse, la colère, le dégoût, la surprise et la peur. Considérées comme
universelles, les travaux réalisés sur celles-ci démontrent que chaque individu (humain ou
mammifère animal) est capable de les ressentir, de les exprimer et de les identifier quels que
soient son environnement, sa culture ou même son âge (Fernandez, L. 2012, p.165). C’est
notamment ce qui s’est passé dans ma situation, j’ai réussi à interpréter la peur de Maïssane, ce
qui m’a amenée à développer moi-même une émotion que j’assimile aujourd’hui à une forme
de tristesse. Bien que nous soyons tous amenés à les ressentir, ces émotions primaires
nécessitent un élément déclencheur. En effet, elles interviennent lorsque nous sommes
confrontés à des situations qui sortent de l’ordinaire, elles provoquent alors en nous une réaction
biologique qui se manifeste par des signes corporels (rires, pleurs, sueurs...). Dans ma situation,
comme pour poursuivre la symétrie émotionnelle avec la jeune patiente, nos émotions se sont
déclarées de la même manière : par des pleurs. Ces manifestations dépendent du « système
sympathique et/ou parasympathique sous l’excitation des zones thalamiques » (Claudon, P. et

8
Weber, M., 2009, p.62) et ne sont donc pas toujours accessibles à la conscience. Parallèlement
aux émotions Darwiniennes, il en existe de nombreuses autres, nommées « émotions mixtes »
telles que la honte, la jalousie, la pitié ou la culpabilité par exemple. Plus complexes à élaborer,
elles sont dépendantes des contextes relationnels ou sociaux, se développent tout au long de la
vie et nécessitent que la personne soit en pleine possession de ses fonctions cognitives. Elles
sont par conséquent moins abordées car moins abordables.

Qu’elles soient simples ou mixtes, positives ou négatives, les émotions sont générées
automatiquement par notre cerveau et sont capitales dans notre quotidien de par leurs rôles
informatif et communicatif. En effet, véritables boussoles psychiques, les émotions nous
orientent et nous guident, elles nous alertent, nous permettant ainsi de juger une situation en
fonction du stimulus reçu (De Miribel, 2013, p.399). Une fois ce jugement établi, nous sommes
en capacité de prendre une décision afin d’offrir une réponse adaptée. Pour ma part, mes
émotions m’ont totalement guidées à agir pour la fillette et m’ont amenée à décider seule de
faire venir la maman pour tenter de rassurer l’enfant. Il est à noter que « l’intensité des émotions
est révélatrice de l’importance de ce que nous vivons » (Larivey, M., 2021, p.20) et que par
conséquent, les émotions mettent l’accent sur des évènements qui nous touchent et révèlent nos
besoins. Aussi, étant moi-même maman d’une enfant nécessitant des soins, j’ai vécu cette
situation de manière beaucoup plus intense. La peur ressentie par Maïssane m’a renvoyée à ce
que ma fille pouvait ressentir et il m’était totalement impossible de ne pas agir tant cela
raisonnait en moi. Instruments précieux, nos émotions nous servent également dans la relation
aux autres. Elles nous permettent de comprendre notre interlocuteur, de détecter ses besoins et
ainsi de construire une relation riche car comme le dit Michelle Larivey, « sans émotion, nos
échanges seraient fades, vides et ennuyeux » (2021, p.24). Par conséquent, les émotions
occupent selon moi une place centrale dans notre profession dans le sens où elles permettent au
soignant de s’harmoniser avec son patient, de « décoder » ses besoins et d’enrichir la relation
soignant-soigné en montrant un intérêt particulier aux ressentis de celui que nous prenons en
soins.

Inévitables et indéniablement utiles dans le métier, les émotions sont cependant sujettes
à une certaine régulation de la part du soignant qui ne peut s’autoriser à être constamment
submergé par les prises en soins ou les histoires de vie des patients. Il en va de son bien-être.
Pour cela, chaque professionnel de santé est amené à effectuer un travail de gestion
émotionnelle, travail qui selon Arlie Hochschild comprend deux dimensions : « un travail sur

9
ses propres émotions afin de se conformer à un rôle professionnel puis un travail sur les
émotions de l’autre, qu’il s’agit de contrôler afin de rendre l’exercice plus facile et de se
préserver » (2021, cité par Mortillardo, M et al., p.42). Ce double effort de régulation
émotionnelle s’acquière avec l’expérience et dépend des personnes, du contexte ou encore des
représentations de chacun. Débutante dans le métier et émotionnellement très impliquée auprès
des patients, doublement lorsqu’il s’agit d’enfants, je ne suis pas parvenue à effectuer cette
double régulation émotionnelle. Je me suis perdue entre mes émotions ainsi que celles de
Maïssane et m’en suis voulue un certain temps car je ne me suis pas trouvée professionnelle.
Dorénavant je pense différemment : pour moi, il est important d’avoir à l’esprit que nous avons
à faire à des humains, des individus avec un vécu, animés par plusieurs émotions qui fluctuent
et auxquelles nous n’avons d’autre choix que de faire face. Etant nous-mêmes humains, les
émotions que ressentent les patients nous renvoient aux nôtres et parfois nous déstabilisent voir
nous dérangent. C’est alors à ce moment-là que nous cherchons à les réprimer (Larivey, 2021,
p.20) et c’est ce qui a été mon cas. Or, de nombreuses études ont prouvé que les émotions font
partie intégrante de nous, de notre identité personnelle comme professionnelle et qu’il n’était
pas possible de ne pas en ressentir, « tenter de les réprimer en permanence reviendrait à essayer
de ramer à contre-courant » (Borenstein, 2018, p.11). Il est alors conseillé d’accueillir les
émotions, de les exprimer et de les analyser pour s’en nourrir car comme le dit Michelle
Larivey, « plus nous sommes capables d’exprimer et d’extérioriser nos émotions, plus le contact
avec nous est enrichissant pour ceux qui nous côtoient » (2021, p.24).

Ainsi, mes diverses lectures sur les émotions m’ont permis d’analyser ce qui s’est joué
dans ma situation. Au début, j’étais sereine, je ne rencontrais aucune difficulté et mes émotions
passaient inaperçues puisqu’elles étaient plutôt positives. Les choses ont changé lorsque
Maïssane s’est réveillée et s’est mise à pleurer : ses émotions visiblement négatives m’ont
alertée. L’enfant ressentait de la peur, elle en présentait du moins toutes les caractéristiques
(elle est recroquevillée dans son lit, serre très fort son doudou, pleure, ne veut croiser le regard
de personne...). Pour moi, cette émotion révélait un besoin de rassurance pour la fillette et, étant
jeune maman, je n’ai pu m’empêcher de vouloir répondre à son besoin. Comme un miroir, les
émotions de la jeune patiente me renvoyaient aux miennes. Parallèlement au besoin que j’avais
d’apporter du réconfort à Maïssane, je me suis trouvée face à une équipe que je n’ai pas sentie
attentive aux émotions de l’enfant, ni aux miennes. Je me suis alors retrouvée seule avec moi-
même, dans l’obligation de réprimer mes émotions pour garder une certaine neutralité
émotionnelle car c’est ce que je pensais être un gage de professionnalisme. Ces deux

10
facteurs réunis ont contribué à ce que je sois en surcharge émotionnelle, je n’arrivais plus à
contrôler les émotions de la patiente ni les miennes. Cela s’est alors traduit physiquement,
notamment par mes larmes.

Pour conclure cette partie sur les émotions, je retiendrais qu’il est inutile de lutter contre
ce que l’on ressent. Les émotions ont un rôle et ont leur place dans les soins. Il est évident que
certaines situations sont plus complexes que d’autres car elles révèlent chez nous des failles ou
des souvenirs que nous voudrions garder enfouis, mais j’aime à croire que c’est ce qui fait que
nous sommes nous et que nous pouvons apporter ce qu’il faut aux patients. Lorsque l’on
travaille avec son cœur, il est inévitable d’avoir des émotions et cela n’engage que moi, mais je
trouve que c’est précisément ce qui fait toute la difficulté et la beauté de ce métier. Cependant,
certaines émotions peuvent être tellement intenses qu’elles nous amènent à développer des
mécanismes de défense.

2 - Les mécanismes de défense


Relativement récent, le concept de mécanismes de défense est apparu vers la fin du XIXe
siècle suite aux travaux de Sigmund Freud (fondateur de la psychanalyse) qui s’intéressait à ce
moment-là aux psychonévroses de défense. C’est ensuite sa fille, Anna Freud, qui publiera en
1936 le premier ouvrage de référence en matière de mécanismes de défense : « le Moi et les
mécanismes de défense ». Étudiés depuis par de nombreux auteurs, les mécanismes de défense
n'ont toujours pas définition consensuelle, chaque chercheur ayant sa propre vision du concept.
Par exemple, N. Sillamy les définit comme des « mécanismes psychologiques inconscient
utilisés par l’individu pour diminuer l’angoisse, née des conflits intérieurs entre les exigences
instinctuelles et les lois morales et sociales » (1980, cité par Inoescu et al., p. 25) tandis que
Laplanche et Pontalis pensent qu’il s’agit de « l’ensemble des opérations dont la finalité est de
réduire, de supprimer toute modification susceptible de mettre en danger l’intégrité et la
constance de l’individu biopsychologique » ils ajoutent que les mécanismes de défense
« prennent souvent une allure compulsive et opèrent au moins partiellement de façon
inconsciente » (s.d., cités par Friard, p.214). Malgré les différences de tournures de phrases
entre les définitions, on retrouve majoritairement les mêmes idées. En effet, tous s’accordent
sur le fait qu’il s’agit d’opérations mentales automatiques, involontaires et inconscientes qui
permettent au sujet d’atténuer ses angoisses, ses tensions pour lui permettre de s’adapter aux
difficultés internes ou externes qu’il rencontre.

11
En lien avec l’absence de définition consensuelle, il est difficile de s’arrêter sur le
nombre exact de mécanismes de défense existant, étant donné « qu’il y a autant de défenses que
notre imagination, notre témérité ou notre aisance verbale nous permettent d’en inventorier »
(Vaillant, s.d., cité par Friard, p.215). Pour tenter de les répertorier, il existe deux modes de
classifications. La première s’intéresse à l’effet plus ou moins adaptatif des mécanismes de
défense tandis que la seconde se penche davantage sur la cible visée : les émotions ou les
pensées. Bien que très intéressante, j’ai choisi de ne pas développer la première classification
mais de m’intéresser principalement à la deuxième qui, je pense, est plus en lien avec ma
situation. En effet, la classification en fonction de la cible distingue les défenses dirigées contre
les pensées et celles contre les émotions. Les auteurs ayant écrit sur ce sujet affirment que « la
cible ultime des mécanismes de défense est les émotions » (Chabrol, 2005, p.33). C’est ce qui
s’est joué pour moi : mes émotions étaient trop intenses, je ne pouvais plus les gérer, c’était
source de bien trop de stress interne. Ainsi, j’ai développé un mécanisme de défense contre mes
propres émotions.

Malgré les différentes classifications, les multiples définitions et les indénombrables


mécanismes recensés, certains sont tout de même davantage utilisés que d’autres comme le déni
ou la régression par exemple. En ce qui me concerne, je pense avoir utilisé l’activisme qui
correspond au fait de « gérer des conflits psychiques ou des situations traumatiques externes
par le recours à l’action, à la place de la réflexion ou du vécu des affects » (Friard, 2012, p.216).
En effet, lorsque la situation est devenue beaucoup trop anxiogène pour moi, je me suis comme
coupée de toute forme de réflexion pour me tourner vers l’action en faisant venir, contre tout
avis, la maman de Maïssane. J’avais ce besoin urgent, interne et inconscient, d’agir en dépit des
risques que j’encourais. Je n’avais d’ailleurs absolument pas conscience des conséquences qu’il
y aurait pu y avoir et je ne m’en préoccupais pas du tout : j’étais dans l’action ! Cela m’a aidé
à oublier mes angoisses, j’ai eu l’illusion de faire ce qu’il fallait et cela m’a permis de diminuer
la tension interne que je ressentais. En amont de l’activisme, j’ai effectué une projection. Ce
mécanisme de défense représente « l’opération par laquelle le sujet expulse dans le monde
extérieur des pensées, des affects, désirs qu’il méconnait ou refuse en lui et qu’il attribue à
d’autres personnes ou choses de son environnement » (Friard, 2012, p.217). Ici, j’ai clairement
projeté toutes mes angoisses concernant les soucis de santé de ma fille sur Maïssane. Je ne m’en
rends compte que maintenant en faisant mes recherches et en écrivant ces lignes, mais lorsque
je suis auprès de ma fille, je ne m’autorise absolument pas à montrer mes angoisses, mes peurs,
ma tristesse car je me dis que si moi je ne suis pas solide, alors sur qui elle va pouvoir

12
s’appuyer ? Qui lui apportera le soutiens dont elle a besoin ? Si moi, sa maman, je pleure devant
elle, alors comment va-t-elle trouver la force d’avancer du haut de ses 9 mois... Toutes ces
questions, que je ne me posais pas du tout avant, ont contribué à ce que je fasse cette projection.
Devant Maïssane, je pouvais me permettre de « craquer », il y avait d’autres personnes pour
s’occuper d’elle. Par conséquent, j’ai projeté toutes les angoisses que je ressentais à propos de
ma fille sur cette jeune patiente. Je me suis autorisée, inconsciemment, à lâcher prise sur tous
ce que je ressentais et ne pouvais plus contrôler. Cela m’a permis par la suite de me sentir plus
apaisée, comme soulagée. D’ailleurs, les mécanismes de défense, tous autant qu’ils sont,
servent essentiellement à nous défendre et nous protéger psychiquement dans le but que nous
puissions nous adapter aux difficultés rencontrées, aux situations difficiles, voire aux
traumatismes. J’aime croire qu’ils agissent comme des petits antigènes dirigés contre la
souffrance psychique.

Cette souffrance psychique résultant des conflits internes et externes, chaque individu y
est en permanence confronté. Je pense que l’humain évolue et se construit ainsi. J’ai pu
constater lors de mes différents stages que dans le monde soignant, cette souffrance est
démultipliée. Nous sommes confrontés, douze heures par jour, plusieurs fois par semaine, à la
détresse, aux émotions, à l’anxiété, aux histoires de vies plus ou moins compliquées, aux
souffrances de chaque patient, à leurs mécanismes de défense qui peuvent parfois être violents,
etc. D’ailleurs, il est à noter que le soignant peut développer des mécanismes de défense en
réponse à ceux des patients. Notamment si les mécanismes mis en place par la personne soignée
nous déstabilisent. Alors, à nos propres conflits internes, s’ajoutent ceux des personnes dont
nous souhaitons prendre soin. Bien que dans la majeure partie du temps, nous arrivons à gérer
tout ce stress, parfois, nous n’y parvenons plus à cause de divers facteurs (fatigue, émotion,
résonnance avec son vécu personnel...) et devons opérer à des stratégies défensives pour
pouvoir supporter, ce qui nous est insupportable à ce moment précis. C’est effectivement ce qui
s’est joué lors de ma situation, un ensemble de facteurs ont contribué à ce que je ne puisse plus
supporter les tensions que je ressentais. Je n’arrivais plus à voir cette enfant souffrir, je souffrais
de ne pas être entendue par mes collègues, je n’avais jamais travaillé auprès d’enfants malades,
j’avais une enfant malade à la maison pour laquelle je m’obligeais à être la plus forte possible,
je ne m’autorisais pas à évacuer mes angoisses personnelles, j’étais angoissée de voir Maïssane
recroquevillée et esseulée dans son lit, je n’étais pas en accord avec mon besoin de la rassurer...
Ainsi, pour rendre cette situation moins désagréable, il m’a fallu mettre en place des

13
mécanismes de défense. Avec le recul et l’analyse que j’ai pu faire, j’estime avoir eu de la
chance à ce moment-là car mon action n’a eu aucune conséquence négative.

En effet, certains mécanismes de défense peuvent desservir la personne y ayant recours


en générant des difficultés de communication ou en la faisant prendre des risques. Prenons
l’exemple de l’agressivité comme mécanisme de défense. Cela n’a pas été mon cas dans cette
situation, mais de nombreux patients y ont recours, ce qui induit parfois chez les soignants la
même forme de réponse. Or, bien que cela protège psychiquement en donnant l’impression
d’être dans la maîtrise et d’avoir une certaine puissance, cela s’avère très souvent délétère.
Alors, bien que les mécanismes de défense soient mis en place de façon inconsciente, ils sont
quelquefois contre-productifs. Sachant cela, il est important de les anticiper mais surtout de les
analyser ! En effet, l’analyse que l’on fait de ses propres mécanismes de défense permet de
corriger certains aspects non productifs de son caractère et de devancer les stratégies défensives
des patients car avec l’expérience, nous savons que certaines situations amènent certains
mécanismes. En l’occurrence, il aurait été judicieux que je me prépare psychologiquement à ce
que la prise en soins d’un enfant me bouleverse et me mette en difficulté.

Pour résumer, les mécanismes de défense correspondent à des stratégies défensives


mises en place par notre cerveau de façon inconsciente. Naturellement présents chez toutes
personnes, adultes ou enfants, hommes ou femmes, patients ou soignants, ils nous permettent
de nous protéger contre les situations qui nous malmènent psychiquement. Etant donné que
nous sommes amenés à développer de nouveaux mécanismes de défense à mesure qu’une
situation anxiogène se présente, il en existe un nombre encore indéfini. Bien qu’inconscients,
il est possible d’anticiper certaines de leurs apparitions en analysant le mécanisme de défense
développé, le contexte de survenue et surtout en s’analysant soi-même, ce qui est le plus
compliqué à faire. En effet, je pense qu’il est important de connaître ses limites, de savoir ce
qui nous met en difficulté (dans la vie personnelle comme dans la vie professionnelle) et d’avoir
conscience de ce que nous ne sommes pas en capacité émotionnelle de gérer. De cette façon,
nous pouvons minimiser l’apparition ou l’intensité de ces stratégies défensives et éviter certains
mécanismes délétères, car il arrive que la défense que nous mettions en place ne soit pas adaptée
à la situation, au contexte, à l’environnement ou dans mon cas, à ce que l’on attend d’un
étudiant en soins infirmiers, c’est-à-dire avoir une posture professionnelle soignante.

14
3 - La posture professionnelle
Depuis mon entrée en formation de soins infirmiers, j’ai entendu de nombreuses fois le
terme de « posture professionnelle » sans jamais réellement me demander ce que cela signifiait.
Pour comprendre ce concept, je pense qu’il est nécessaire de différencier le positionnement
professionnel de la posture professionnelle. Termes souvent mis côte à côte dans nos esprits.

Intéressons-nous tout d’abord au positionnement professionnel. Défini par Rachel


Chamla comme étant « un processus de construction qui permet de se positionner mais aussi
d’être positionné dans un environnement définit » (2010, cité par Portal, p.20), le
positionnement professionnel apparait comme un « processus de réflexion qui conduit à une
prise de décision dans une situation particulière et qui répond à la question : que dois-je faire
dans cette situation ? » (Portal, 2012, p.21). Ainsi, le positionnement correspond en quelque
sorte au cadre professionnel de référence. Par conséquent, il est évolutif et réajustable puisqu’il
s’adapte à la personne accompagnée, aux conditions d’exercice de sa fonction et à
l’environnement immédiat (Solidaires social, 2021, vidéo).

La posture professionnelle quant à elle, serait davantage « la place que l’on veut occuper
dans la vie professionnelle, dans une situation donnée ». Par ailleurs, ce terme « englobe un
ensemble de connaissances mises en actions (savoir-faire et savoir-être) pour assurer son désir
d’efficacité mais aussi pour favoriser un soin basé sur une relation professionnelle avec les
individus » (Paillard, 2018, p.395). J’en comprend alors qu’il s’agirait d’un subtile mélange
entre le savoir, le savoir-faire et le savoir-être. L’auteur Maela Paul rajoute une nuance à cette
définition en y incorporant la notion de choix. Elle suggère que la posture professionnelle
définit « la manière de s’acquitter de sa fonction (ou de tenir son poste). C’est nécessairement
un choix personnel relevant de l’éthique » (2004, cité par Portal, p.21). Etant construite selon
un choix personnel d’exercice de sa fonction, la posture professionnelle est propre à chaque
soignant et se matérialise dans la relation avec le patient. Elle peut donc variée en fonction des
situations rencontrées et de nos compétences. Ainsi, la posture que l’on choisit d’adopter serait
en partie guidée par nos valeurs, nos représentations, nos idées, nos compétences, notre moral,
notre vécu personnel, etc. C’est-à-dire, par qui nous sommes ! Puisque le « soi professionnel »
dépend du « soi personnel » (Chamla, 2010, cité par Portal, p.21).

Motivée par notre identité personnelle, notre posture professionnelle se construit dès le
début de notre entrée en formation en soins infirmiers, notamment par le biais des stages. Nous

15
y acquerrons des compétences (savoirs, savoirs-faire et savoirs-être) indispensables à la
conception de notre posture. Cela nous arme, en quelque sorte, puisque nous rencontrons en
stage un bon nombre de nouvelles situations que nous devons apprendre à comprendre et à
gérer. De plus, chaque terrain de stage nous offre la possibilité d’être encadré par divers
professionnels, avec des postures et des façons de faire propre à chacun. Par ces occasions, nous
gardons en mémoire les difficultés que nous avons rencontrées ainsi que les professionnels
auxquels nous souhaitons nous identifier afin de réguler en permanence notre posture. Cela
nous permet d’appréhender différemment une situation déstabilisante déjà vécue, et de nous
construire professionnellement parlant. Nous pouvons alors penser que « la notion de posture
implique l’idée d’équilibre instable, d’effort, de travail en cours dans la durée » (Donnadieu et
al., 1998, p.92). Pour ma part, avant d’entrée à l’institut de formation et avant même d’être
maman, j’ai eu la chance de travailler de nombreuses années auprès d’enfants de tous âges,
mais notons-le, uniquement auprès d’enfants en pleine santé. Je n’avais jamais eu à prendre en
soin un enfant malade, avant le mien. N’ayant pas d’expérience de soignant dans ce domaine
ni aucun modèle en tête, je n’ai pas su quelle posture je devais adopter. Alors, j’ai adopté la
seule posture que je connaissais à ce moment-là : celle d’une maman d’un enfant malade.

Comme nous l’avons vu précédemment, la ligne de conduite de notre posture dépend


de qui nous sommes, de nos valeurs personnelles, de notre identité. De ce fait, j’ai agi selon
mon intime conviction qu’il est impensable de laisser un enfant (même un adulte) pleurer seul,
sans rien faire, sans s’interroger sur la cause de ce mal-être et sur ce qui pourrait l’aider. Je
trouve ça relativement violent et ne conçois pas la vie et encore moins le soin de cette manière,
car comme le disent Alain De Broca et Carole Kohler, « le soin est l’art de l’attention à l’autre »
(2011, p.40). Par conséquent, ma posture a en quelque sorte basculée : j’ai quitté mon attitude
de soignant pour me rapprocher de celle de maman. Cette modification de posture n’est pas rare
et est influencée par les conditions de travail, l’état psychologique du soignant et son vécu
(Manoukian, 2014). En effet, si nous sommes fatigués, si nous avons vécu une situation
similaire qui s’est avérée compliquée pour nous ou encore si nous avons des difficultés
personnelles, il n’est pas exclu que notre posture professionnelle se modifie et devienne quelque
peu inadaptée. Au moment où j’ai vécu ce changement de posture, comme je l’ai déjà évoqué
en amont, j’étais envahie par mes émotions, je faisais le rapprochement avec ce que je vivais
avec ma fille et j’avais une situation personnelle assez compliquée. Je pense que tout cela a
contribué à ce que je modifie ma posture. A l’inverse, nous pouvons imaginer que si je me
trouvais dans une situation personnelle différente, si je n’avais pas d’enfant ou si j’avais déjà

16
eu l’expérience de prise en soin d’enfant, ma posture aurait probablement été toute autre. Le
versant personnel du soignant est par conséquent un paramètre non négligeable dans la
construction de sa posture professionnelle car « laisser sa vie privée au vestiaire semble
complètement utopique dans la mesure où l’individu - le professionnel et la personne en dehors
de l’organisation - n’est qu’un » (Sorlin, 2019, p.31). Je trouve que cela souligne encore
davantage l’importance que le soignant a de se connaître, de distinguer ses difficultés et ses
ressources afin d’analyser, et si possible d’anticiper, l’influence qu’auront ses caractéristiques
personnelles sur sa posture professionnelle (Phaneuf, cité par Kervarec, 2016).

Pour synthétiser ce concept en quelques mots, la posture professionnelle est à


différencier du positionnement professionnel. Notions relativement imbriquées puisque « la
posture définit une manière d’habiter un positionnement » (Paillard, 2018, p.395). Ainsi, la
posture professionnelle est davantage une attitude, une façon d’être qui va s’adapter au patient
tandis que notre positionnement, lui, s’adapte au cadre professionnel. Notre posture se travaille,
se construit, et ce dès le début de notre entrée en formation en soins infirmiers. L’alternance
théorie et pratique nous permet d’acquérir des savoirs, des savoirs-être et des savoirs-faire
indispensables au développement de notre posture. Posture, rappelons-le, symétrique à qui nous
sommes personnellement. Ainsi, notre posture professionnelle se modifie en fonction de notre
vécu personnel et/ou professionnel, de notre état psychologique, de nos valeurs, etc. D’où
l’importance pour le soignant de bien se connaître et de connaître ses limites car comme le dit
Margot Phaneuf, « pour aider un patient ou son entourage dans une situation à fort enjeu
émotionnel, il faut être prêt à s’ouvrir à l’expérience de l’autre. Pour cela, il faut savoir si nous
en sommes capables » (cité par Kervarec, 2016).

4 - Synthèse de la problématisation
Afin de conclure cette partie destinée à la problématisation, il est important d’établir un
lien entre les trois concepts étudiés précédemment. Les émotions, nous l’avons vu, sont
inévitables dans la vie personnelle comme dans la vie professionnelle, notamment lorsque l’on
travaille dans le domaine du soin. Elles sont souvent agréables, nous n’y prêtons alors pas
grande attention comme lorsqu’un patient nous remercie par exemple, nous ressentons une
forme de joie. Parfois, il arrive que nos émotions soient désagréables, nous déranges, nous
déstabilisent, c’est alors à ce moment-là que nous tentons à tout prix de les réprimer. Que ce
soit par pudeur, par culture de la maîtrise, par gène ou même par honte, il est rare que nous
acceptions l’expression de nos émotions dites « négatives », c’est comme si nous ne savions

17
pas quoi en faire, nous ne voyons pas qu’elles nous sont d’une utilité précieuse. Alors, à force
de lutter contre ce que l’on ressent, l’angoisse devient tellement importante que nous ne sommes
plus en mesure de la supporter. Notre cerveau se met alors en « alerte » et notre inconscient
prend le dessus sur la situation en mettant en place des mécanismes de défense. Comme pour
les émotions, les mécanismes de défense ne sont pas toujours dérangeants. Certain peuvent
même être plaisant, comme l’humour par exemple, qui nous permet de dédramatiser une
situation vécue comme anxiogène. D’autres, nous incommodent et nous handicapent presque
dans la relation aux autres car ils peuvent nous amener à adopter des comportements contre-
productifs. C’est le cas notamment de l’agressivité par exemple. Ainsi, l’ensemble de nos
émotions et de nos mécanismes de défense peuvent avoir une influence sur notre posture
professionnelle, dans le sens où ils peuvent nous entrainer à agir d’une façon jugée inadaptée
au contexte de travail et à la prise en soin d’un patient.

Ainsi, dans ma situation, une certaine chronologie a eu lieu : mon vécu personnel à
contribuer à décupler mes émotions. Ne pouvant plus les assumer, mon inconscient a pris le
dessus dans le but de me protéger psychiquement, en mettant en place des mécanismes de
défense. Ces derniers, ont alors fait basculer ma posture professionnelle. Cette chronologie et
ce lien de cause à effet n’est évidemment pas dû au hasard et à une base. La personne que je
suis, ma vie personnelle, mon vécu (tant personnel que professionnel)... Tout cela agit sur la
posture professionnelle que je choisis, inconsciemment, d’adopter.

QUESTION DE RECHERCHE

L’ensemble de mes lectures m’ont permis d’analyser au mieux ma situation pour aboutir
à la question de recherche suivante : « Dans quelle mesure le versant personnel de la vie du
soignant intervient dans l’implication émotionnelle de ses prises en soins, l’amenant à
développer des mécanismes de défense qui impactent sa posture professionnelle ? »

HYPOTHESE DE RECHERCHE

Pour tenter de répondre à la question de recherche formulée ci-dessus, j’émet


l’hypothèse selon laquelle le soignant fait face à une perte de posture professionnelle quand
l’implication émotionnelle est trop importante, en lien avec sa vie personnelle et son vécu
(personnel et/ou professionnel).

18
OUTILS DE RECHERCHE

Pour vérifier mon hypothèse, il me parait approprié de m’adonner à une enquête


qualitative par le biais d’entretiens individuels semi-directifs. Les enquêtes qualitatives
permettent d’interroger un petit nombre d’individus afin d’obtenir des informations très riches,
en lien avec notre thématique. Ce genre d’enquêtes peut se faire via de nombreux outils comme
l’observation ou la réalisation d’entretiens par exemple. Pour ma part, j’ai opté pour des
entretiens semi-directifs qui me permettront probablement de faire émerger de nouvelles
hypothèses, tout en nourrissant celle déjà formulée en amont. Par ailleurs, je trouve que cet outil
correspond à ma personnalité. Etant relativement naturelle et spontanée, j’ai besoin de pouvoir
m’adapter à ce que la personne interrogée me dira, sans suivre des questions standardisées.
Ainsi, j’ai dans l’idée que les entretiens offrent une certaine souplesse, laissant libre court à
toute forme de dialogue dans le but d’effectuer un travail compréhensif s’approchant au plus
près de l’interviewé.

Je ne vais pas avoir l’occasion de réaliser ces entretiens dans le cadre de ce travail
d’initiation à la recherche, mais j’ai par contre tout le loisir de les imaginer. Ainsi, si j’avais à
les mener, je commencerais par réaliser une sorte de « to do list » qui ressemblerait à cela :
› Définir les critères d’inclusions à l’enquête. S’agissant d’une enquête qualitative, je ne
retiendrais qu’un petit nombre de candidats, au maximum cinq. Il me faudra donc cibler au
maximum la population. Ainsi, je demanderais que tous les participants soient infirmier(e)s
diplômé(e)s d’Etat depuis peu (maximum 3 ans d’exercice). Après avoir longuement hésité
entre « jeunes diplômé(e)s » ou « expérimenté(e)s », je me suis arrêtée sur les jeunes
diplômé(e)s. J’ai fait ce choix car nous avons vu qu’avec l’expérience, nos émotions sont
plus faciles à comprendre et à gérer, que nos mécanismes de défense sont suffisamment
encrés en nous pour que nous arrivions à les anticiper et que notre posture professionnelle
s’est davantage construite. Alors, bien que cela aurait été intéressant d’avoir un retour
d’expérience sur l’impact de la vie personnelle entre le début et la fin de carrière, je préfère
recueillir les témoignages d’infirmier(e)s n’ayant pas encore ce recul, pour tenter d’avoir le
plus d’authenticité possible afin d’obtenir un maximum de matière pour vérifier, ou non,
mon hypothèse. Enfin, je demanderais à ce que les professionnels aient déjà vécu un
changement de posture en lien avec leur implication émotionnelle et leur histoire
personnelle puisque c’est l’objet de ma recherche.

19
› Envoyer les demandes de participation dans les services. Je ciblerais les services qui,
selon mes représentations, sont à forts enjeux émotionnels comme les soins palliatifs,
l’oncologie, la pédiatrie, les urgences ou encore la réanimation. En effet, j’ai dans l’idée
qu’il est davantage probable de rencontrer des situations similaires à celle que j’ai vécue
dans ces services-là, étant donné que la patientèle a souvent une histoire de vie complexe
ou se trouve dans une situation vécue comme « dangereuse » pour eux. De plus, hormis aux
urgences, ce sont des patients susceptibles de rester suffisamment longtemps pour créer une
sorte d’attachement soignant-soigné et pour qui l’entourage est sûrement très présent. Le
soignant a donc à gérer ses propres émotions, celle du patient et celle de sa famille. Il y a
donc, je pense, plus de chance pour moi de réussir à trouver des infirmier(e)s ayant
rencontré(e)s une situation émotionnellement complexe, qui mélangeait vécu personnel et
émotions dans le cadre professionnel.
› Réalisation d’un guide d’entretien. Pour que les entretiens aient une certaine fluidité,
j’élaborerais un guide d’entretien avec les thèmes que je souhaiterais aborder. Cependant,
je ne formulerais pas de question en amont étant donné que j’aimerais garder le maximum
de spontanéité et de naturel dans notre discussion. Je n’ai pas envie d’avoir les yeux rivés
sur ma feuille à lire les questions et noter les réponses. J’imagine davantage ces rencontres
comme des échanges. Pour commencer, je me présenterais et expliquerais le but de notre
entretien. Ensuite, je raconterais ma situation pour que la personne comprenne le point de
départ de mon enquête. Puis, dans le but d’avoir un maximum d’informations en lien avec
ma question de recherche, j’orienterais la discussion autour des thèmes suivants : la vie
personnelle, les situations de soins émotionnellement compliquées, les mécanismes de
défense mis en place dans ces moments-là, l’impact ressenti sur la posture professionnelle
et éventuellement les conséquences que cela a engendré. Je laisserais ensuite la discussion
se faire, la personne se livrer.
› Organiser et planifier les rencontres. J’ai conscience que les thèmes que nous allons
aborder lors de ces entretiens sont personnels, parfois peut-être même intimes. Ainsi, je
tiens à créer une ambiance rassurante pour que la personne interrogée se sente à l’aise et
puisse se confier. Pour cela, je souhaiterais trouver un endroit calme, isolé, où personne ne
pourra venir faire irruption lors de nos échanges (pas la salle de repos d’un service par
exemple). J’imagine que nous serions assis côte-à-côte, pas trop proches ni trop éloignés.
Je fais ce choix de disposition car je trouve que le fait d’être face-à-face devant une table
bloque quelque peu la discussion et place la personne interrogée en position « d’analysé ».
Ce n’est pas ce que je souhaite qu’elle ressente. Ensuite, n’ayant pas envie de prendre de

20
notes et ne voulant pas oublier les informations qui me seront dites, je souhaiterais
enregistrer vocalement les entretiens, avec l’accord des participants. Pour finir, je
contacterais les volontaires pour définir le jour et la plage horaire de l’entretien. Ainsi, je
leurs demanderai de m’accorder plus ou moins une heure de leurs temps afin de m’aider à
récolter des informations susceptibles d’affirmer ou d’infirmer mon hypothèse de
recherche.
› Analyser les informations récoltées. Une fois l’intégralité des entretiens terminés, je
m’accorderais quelques jours de réflexion. Je n’essayerais pas d’analyser les réponses dans
la foulée car je pense que je n’aurais pas le recul nécessaire pour être objective. Quand sera
venu le moment d’analyser les réponses, j’écouterais les enregistrements, noterais les points
essentiels qui ressortiront et tirerais les conclusions qui en découleront.

Malheureusement, je ne vais pas pouvoir mener mon enquête à terme, ce qui est
d’ailleurs assez frustrant. Cependant, je m’attends à certaines réponses de la part des soignants.
J’imagine que tous m’évoqueront des situations les ayant amenées à changer de posture. Je
pense que cela sera souvent lié à leur vécu et/ou leur situation personnelle, autrement dit à qui
ils sont lorsqu’ils ne sont pas vêtus de cette fameuse blouse blanche.

21
CONCLUSION

Mon travail d’initiation à la recherche touche maintenant à sa fin. J’ai pu y approfondir


mes connaissances sur les émotions, sur les mécanismes de défense et sur la posture
professionnelle. J’ai notamment pu constater qu’un lien existait entre ces trois concepts, un lien
de cause à effet qui partait souvent d’une base : le versant personnel de la vie du soignant. Ainsi,
ce constat m’a permis de dégager la question de recherche suivante : « dans quelle mesure le
versant personnel de la vie du soignant intervient dans l’implication émotionnelle de ses prises
en soins, l’amenant à développer des mécanismes de défense qui impactent sa posture
professionnelle ? ». Pour tenter de répondre à cette question, j’ai choisi d’effectuer une enquête
qualitative par le biais d’entretiens individuels semi directifs, dont l’hypothèse consistait à
démontrer que le soignant fait face à une perte de posture professionnelle quand l’implication
émotionnelle est trop importante, en lien avec sa vie personnelle et son vécu (personnel et/ou
professionnel). Ne pouvant pas aller au bout de l’enquête, je ne suis pas en mesure d’affirmer
quelconque résultat, je ne peux que les imaginer.

Outre l’enquête et l’approfondissement de connaissances sur les concepts choisis, je


dois dire que le principal apport de ce travail a été personnel. Je me suis autorisée à prendre le
temps de m’analyser, de creuser au fond de moi pour comprendre ce qui c’était réellement joué
dans ma situation de départ. Cela m’a aidé à me rendre compte de l’importance de mes
émotions, de leurs rôles, de ce qui les déclenchent, de leurs conséquences etc.
Emotionnellement très sensible, je m’implique au maximum dans tout ce que j’entreprends, y
compris lorsque je suis au travail et je suis souvent prise d’émotions (quelles soient positives
ou négatives). D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu relativement honte des
émotions « négatives » que je ressentais, elles me dérangeaient, je voulais les cacher car je les
assimilais à de la faiblesse. Je comprends désormais que ce que je vivais comme un fardeau,
est finalement une chance. Ma sensibilité et mon vécu m’offrent la possibilité d’avoir une
compréhension honnête des patients que je prends en soins. J’arrive facilement, je dirais même
naturellement, à me mettre à leur place et à tenter d’imaginer ce qu’ils ressentent pour pouvoir
leur apporter l’aide exacte dont ils ont besoin. Ainsi, mon point de vue sur les émotions à
totalement changé. Aujourd’hui, je dirais même que s’il m’arrive un jour de ne plus ressentir
d’émotions lorsque je prends en soins des patients, je devrais me remettre en question et changer
de métier car je pense intimement qu’en «soins infirmiers, l’expérience habite la tête et la main,
mais elle demeure sans valeur si elle n’implique pas le cœur » (Phaneuf, 2011).

22
Partant de cette idée et du constat que le métier d’infirmier fait vivre des situations plus
ou moins complexes, je me demande alors, à l’inverse, quel est l’impact de la vie
professionnelle du soignant sur sa vie personnelle ?

23
BIBLIOGRAPHIE

Anzieu, D. et al. (2012). Emotion. Dans M. Formarier et L. Jovic (dir.), Les concepts en sciences
infirmières (2e éd., p.165). Mallet conseil.

Borenstein, M. (2018, septembre). Les soignants et leurs émotions au quotidien. Soins


pédiatrie/puériculture, (304), 10-12.

Chabrol, H. (2005, mars). Les mécanismes de défense. Recherche en soins infirmiers, (82), 31-
42. https://www.cairn.info/revue-recherche-en-soins-infirmiers-2005-3-page-31.htm

Claudon, P. et Weber, M. (2009, janvier). L’émotion. Dans Devenir (volume 21, p.62-65).
Médecine et hygiène. https://www.cairn.info/revue-devenir-2009-1-page-61.htm

De Broca, A. et Kohler, C. (2011, avril). Comment vivre le respect d’autrui en institution ?


Soins, (754), 40.

De Miribel, M. (2013). Du rôle des émotions. Dans, Accueillir les publics. Comprendre et agir
(p.399-415). Editions du cercle de la librairie. https://www.cairn.info/accueillir-les-
publics-comprendre-et-agir---page-399.htm

Donnadieu, B et al. (1998). Les théories de l’apprentissage : quel usage pour les cadres de
santé ? Masson.

Fernandez, L. (2012). Emotion. Dans M. Formarier et L. Jovic (dir.), Les concepts en sciences
infirmières (2e éd., p.164-167). Mallet conseil.

Fournier, M. (2016, décembre). Histoire des émotions. Sciences humaines, (287), 37.
https://www.cairn.info/magazine-sciences-humaines-2016-12-page-37.html

Friard, D. (2012). Mécanismes de défense. Dans M. Formarier et L. Jovic (dir.), Les concepts
en sciences infirmières (2e éd., p.213-216). Mallet conseil.

24
Ionescu, S. et al. (2003). Comment définir les mécanismes de défense ? Dans Les mécanismes
de défense : théorie et clinique (2e éd., p.23-27). Nathan.

Kervarec, A. (2016). Le positionnement infirmier dans les prises en charge à forts enjeux
émotionnels [Mémoire d’initiation à la recherche, Institut de formation en soins
infirmiers de Quimper]. Ifps-Quimper. https://www.ifps-
quimper.fr/ent/docs/mirsi/KervarecAude.pdf

Larivey, M. (2021, janvier). L’importance des émotions. Dans La puissance des émotions :
comment distinguer les vraies des fausses (p.20-25). Les éditions de l’homme.

Larousse. (s.d.). Définition : professionnel. Dans Dictionnaire de Français Larousse. Larousse.


https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/professionnel/64160

Manoukian, A. (2014). La relation soignant-soigné (4e éd.). Lamarre.

Mortilardo, M. et al. (2021, janvier). Des émotions aux compétences émotionnelles. Santé
mentale, (254), 22-27.

Mortillardo, M. et al. (2021, janvier). Le travail émotionnel des soignants. Santé mentale, (254),
42-47.

Paillard, C. (2018). Emotion. Dans Dictionnaire des concepts en sciences infirmières :


vocabulaire professionnel de la relation soignant-soigné (4e éd., p.165-167). Sete.

Paillard, C. (2018). Posture professionnelle soignante. Dans Dictionnaire des concepts en


sciences infirmières : vocabulaire professionnel de la relation soignant-soigné (4e éd.,
p.395-397). Sete.

Phaneuf, M. (2011, novembre). Les savoirs d’expérience en soins infirmiers, une richesse à
explorer : mentorat, pratiques exemplaires et benchmarking. Prendresoin.org.
http://www.prendresoin.org/wp-content/uploads/2012/11/Les-savoirs-dexpérience-en-
soins-infirmiers-une-richesse-à-explorer-mentorat-pratiques-exemplaires-et-
benchmarking.pdf

25
Portal, B. (2012, janvier). Des mots et des sens : posture, positionnement, évaluation... Le
sociographe, (37), 19-26. https://www.cairn.info/revue-le-sociographe-2012-1-page-
19.htm

Solidaires social. (2021, 19 avril). Positionnement professionnel / Posture professionnelle :


définitions et références [vidéo]. Youtube.
https://www.youtube.com/watch?v=CkPZuiQpySk

Sorlin, N. (2019, mars). Il faut laisser sa vie privée au vestiaire ! Mais est-ce si facile ? Objectif
soins et management, (267), 29-31.

Tcherkassof, A. et H-Frijda, N. (2014, mars). Les émotions : une conception relationnelle.


L’année psychologique, (114), 501-535. https://www.cairn.info/revue-l-annee-
psychologique1-2014-3-page-501.htm

26
RESUME / ABSTRACT

ENTRE EMOTIONS DE MAMAN ET BETWEEN MOM’S EMOTIONS AND


POSTURE DE SOIGNANT CAREGIVER’S POSTURE

Soignants, nous sommes amenés à Caregivers, we are led to encounter


rencontrer des situations émotionnellement situations that are emotionally difficult to
difficiles à gérer. En effet, notre rôle est manage. Indeed, our role is to accommodate
d’accueillir les souffrances physiques et/ou physicals and/or psychologicals patients’
psychiques des patients. Cela n’est pas pain. This is not easy because without our
chose simple car sans notre blouse, nous nurse uniform, we are like them !
sommes comme eux ! Par conséquent, que Consequently, whether our own or patients’
ce soit les nôtres ou celles des patients, les ones, emotions are inevitable and represent
émotions sont inévitables et représentent the essence of our profession. So, the
l’essence de notre profession. Ainsi, la situation I chose was emotionally difficult
situation que j’ai choisie a été for me. I took care of a 3 years old girl in
émotionnellement difficile pour moi. J’ai the post-intervention monitoring room and
pris en soin une fillette de 3 ans en salle de her awakening didn’t go well. Having a sick
surveillance post-interventionnelle et son child, I made a transfer and no longer acted
réveil s’est mal passé. Ayant une enfant as a caregiver but as a mother.
malade, j’ai fait un transfert et n’agissais
plus en tant que soignante mais en tant que
maman.

L’analyse de ma situation, via des lectures The analysis of my situation, through


sur les émotions, les mécanismes de défense readings on emotions, defense mechanisms
et la posture professionnelle, m’a amenée à and professional posture, led me to the
la question de recherche suivante : « dans following research question : « to what
quelle mesure le versant personnel de la vie extent does the personal side of the
du soignant intervient dans l’implication caregiver's life intervene in the emotional
émotionnelle de ses prises en soins, involvement of his care, leading him to
l’amenant à développer des mécanismes de develop defense mechanisms that impact on
défense qui impactent sa posture his professional posture ? »
professionnelle ? »

Pour mener à bien ma recherche, j’ai émis To carry out my research, I put forward a
une hypothèse que j’irais vérifier en hypothesis that I would verify by carrying
procédant à une enquête qualitative par le out a qualitative survey through semi-
biais d’entretiens individuels semi-directifs. structured individual interviews.

Ce travail m’a permis d’approfondir mes This work allowed me to deepen my


connaissances, mais surtout d’effectuer un knowledge, but above all to work on
travail sur moi-même. Cet apport personnel myself. This personal contribution allows
me permet d’entrer dans la vie me to enter professional life with more
professionnelle avec plus de sérénité. Aussi, serenity. Also, I wonder what is the impact
je me demande quel est l’impact de la vie of caregiver’s professional life on his
professionnelle du soignant sur sa vie personal life ?
personnelle ?

Mots-clés : émotions – mécanismes de Key-words : emotions – defence


défense – posture professionnelle – vécu mechanisms – professional posture –
personnel – vécu professionnel personal experience – professional
experience

Vous aimerez peut-être aussi