Vous êtes sur la page 1sur 85

Quand les valeurs de l’infirmier

rencontrent la criminalité

Mémoire de fin d’études


UE : 5.6 S6 - Analyse de la qualité et traitement des
données scientifiques et professionnelles

IFSI Tenon

Flamand Théo
Promotion 2015 - 2018
Directrice de mémoire : Mme Leuret
Mémoire rendu le : 6 juin 2018
Il s’agit d’un travail personnel et il ne peut faire
l’objet d’une publication en tout ou partie sans
l’accord de son auteur1

1 Flamand Théo : theo.flamand@gmail.com


1
« Dans le monde, il n’y a pas d’un côté le bien et de l’autre le mal.
Il y a une part de lumière et d’ombre en chacun de nous.
Ce qui compte c’est celle que l’on choisit de montrer dans nos actes,
ça c’est ce que l’on est vraiment. »
Sirius Black – Harry Potter et L’ordre du Phénix

2
REMERCIEMENTS
• À ma directrice de mémoire, Mme Leuret, pour votre
accompagnement pendant cette année, pour vos interrogations, vos
remises en question qui m’ont permis d’avancer dans ma réflexion.

• À ma référente pédagogique, Mme Garnier, pour votre


accompagnement qui m’a permis de reprendre confiance en moi, de
me motiver quand parfois je me questionnais sur mon avenir.

• Aux infirmiers qui ont pris du temps pour répondre à mes questions

• À ma famille,
Mon père, merci pour ton soutien qui a su me remettre en question et
me motiver quand j’en avais besoin.
Ma sœur, merci de m’avoir motivé, de m’avoir dit que je pouvais y
arriver. Ces paroles m’ont beaucoup aidé dans des moments de doute.
Papy et Manou, merci d’avoir été présents et de m’avoir soutenu.
Yannick, merci pour ton soutien parfois discret mais qui a beaucoup
compté pendant mes années d’études.
Ma mère, merci de m’avoir accompagné, soutenu, conseillé. Si j’arrive
aujourd’hui au bout de cette formation c’est en grande partie grâce à toi.
Merci d’avoir toujours été présente malgré mon caractère parfois
compliqué.

• À mes amis,
Claire, merci d’être présente depuis le début de la formation. Ta
présence a été précieuse et m’a permis de prendre confiance en moi.
Maxime, merci pour ces moments passés, pour ta motivation à distance.
Bon courage dans ta nouvelle vie à trois qui promet pleins de bonheurs.
Jade et Lucie, merci pour tout ce que vous m’avez apporté moralement.
Merci pour votre écoute, votre bienveillance dans des moments difficiles.
Alexandre, merci pour ces années associatives passés ensemble et ce
que cela m’a apporté personnellement à tes côtés.
Lina, Élise, Elie, merci pour cette année associative parfois difficile,
souvent enrichissante. Merci également pour votre encouragement.
Manon et Alix, merci d’avoir été présentes cette année.
Merci Jacquie.

3
SOMMAIRE

I. INTRODUCTION ...................................................................................... 6

1. Situation d’appel .............................................................................. 7

2. Situation optimale professionnelle ................................................... 8

3. Questionnement .............................................................................. 9

4. Légitimation ................................................................................... 10

5. Généralisation................................................................................ 10

6. Population cible ............................................................................. 10

7. Question de départ ........................................................................ 10

8. Champ d’action .............................................................................. 11

II. CADRE THÉORIQUE ............................................................................. 12

1. Acte criminel .................................................................................. 12

1.1. Définition................................................................................. 12

1.2. Le soin, un droit en toutes circonstances................................ 13

1.3. Soigner tout le monde............................................................. 14

1.4. Accepter de ne pas tout savoir ............................................... 14

2. Valeurs personnelles ..................................................................... 16

2.1. Définition de valeurs ............................................................... 16

2.2. Valeurs personnelles .............................................................. 16

3. Émotions ........................................................................................ 17

3.1. Définition :............................................................................... 17

3.2. Les émotions du soignant ....................................................... 17

3.3. Mécanismes de défenses du soignant.................................... 18

4. Valeurs professionnelles ................................................................ 19

4.1. Les valeurs professionnelles de l’infirmier .............................. 19

4.2. L’apprentissage des valeurs professionnelles ........................ 20


4
5. Conflit de valeurs ........................................................................... 20

5.1. Le refus de soins .................................................................... 21

6. Relation soignant-soigné ............................................................... 22

6.1. Définition de la relation ........................................................... 22

6.2. Un soignant + un patient ......................................................... 22

6.3. Impact du conflit dans la relation soignant-soigné .................. 23

6.4. Juste distance professionnelle ................................................ 23

III. ANALYSE .............................................................................................. 24

IV. SYNTHÈSE ............................................................................................ 33

V. CONCLUSION........................................................................................ 34

VI. BIBLIOGRAPHIE ................................................................................... 35

VII. ANNEXES .............................................................................................. 38

5
I. INTRODUCTION

Depuis maintenant quelques années, j’ai intégré cette formation en soins


infirmiers. Cela n’a pas été facile tous les jours, je ne compte plus les regards de
patients croisés lors des stages, les soignants bienveillants qui nous accordent du
temps et nous confient leurs doutes, leurs peurs mais aussi et surtout leur amour de ce
métier et des patients qu’ils prennent en charge.
Cela fait maintenant plusieurs années que j’ai commencé cette formation, et
avant d’effectuer mon premier stage, j’avais une vision idyllique du métier d’infirmier. Le
même regard que portent actuellement mes amis ou ma famille qui ne sont pas du
milieu, à mon projet professionnel.
Au fil du temps et des stages j’ai eu l’occasion de découvrir le vrai visage des
infirmiers et des soignants. En effet si la vision du grand public sur notre métier n’est
pas si différente de ce que j’ai vécu lors de mes années de formation, j’étais loin
d’imaginer ce que j’allai rencontrer lors de mes stages.
J’ai découvert des infirmiers2 qui soignent avec leurs connaissances, leurs
expériences mais aussi avec leurs cœurs et leurs valeurs. Ces valeurs du soignant ont
été au fil de mes stages une question permanente. Comment deux infirmiers qui ont
eu la même formation, le même parcours et qui travaillent dans le même service
peuvent prendre en charge différemment le même patient ?
Ces questionnements ont été pour moi évidents au moment de chercher un
sujet pour ce travail de fin d’études. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de traiter
des valeurs personnelles et professionnelles pour mon mémoire.

Dans un premier temps je vais vous présenter la situation précise qui m’a permis
d’illustrer mon travail de fin d’études. Je vous présenterai ensuite mon questionnement
issu de mon expérience afin d’établir les mots clefs que je traiterai dans mon cadre de
référence et qui me serviront à établir une grille d’entretiens que j’irai proposer aux
infirmiers. J’analyserai ensuite les données récoltées afin de répondre à ma question
initiale et élargirai enfin sur une question de recherche.

2 Lire « infirmier.e.s » dans l’ensemble du document


6
1. Situation d’appel

La situation se déroule lors de mon stage en psychiatrie au cours du semestre


trois. Il s’agit de mon premier stage en santé mentale. Je découvre ce service en région
parisienne qui accueil des patients atteints de différents troubles mentaux. Il est
composé d’une trentaine de lits. Deux infirmiers, deux aides-soignants et un agent des
services hospitaliers sont présents en permanence dans le service. De plus un
médecin et un interne complètent l’équipe.
Dès la première semaine de stage, il m’est interdit de consulter les dossiers afin
de ne pas altérer les premiers échanges et de porter un jugement sur les patients du
service. Les informations que j’ai à ma disposition sont donc : le motif d’hospitalisation,
le mode d’hospitalisation ainsi que les traitements. Pendant la première semaine, les
conversations sont rapidement orientées vers un patient en particulier, Mr V âgé de 57
ans atteint de schizophrénie. L’interdiction de consulter les dossiers fait monter en moi
l’envie de comprendre, de savoir et d’anticiper les éléments du dossier. Les
informations que j’ai sur ce patient sont très réduites, mais elles m’emmènent à me
poser des questions. En effet, le patient est hospitalisé depuis “très longtemps” en
Soins psychiatriques sur Décision du Représentant de l’Etat (SDRE). De plus, j’ai
entendu des professionnels du service dire clairement qu’ils ne voulaient pas le
prendre en charge, certains professionnels refusaient même sa participation lors des
ateliers. Personnellement je me souviens avoir entendu un infirmier du service dire :
“le prendre en charge ok, mais je ne ferai que le strict minimum”. Cette remarque
m’avait particulièrement interrogé car ce soignant prenait en charge les autres patients
sans effectuer de jugement. Une autre chose qui m’a interpellé la première semaine
c’est qu’alors que le repas se déroule en salle commune, Mr V mange seul, dans un
coin de la salle. A cette situation les aides-soignants me disent qu’il s’agit de sa volonté
et qu’elles ne veulent pas entrer en conflit avec lui.
Après la première semaine, j’ai enfin accès au dossier et naturellement mes
interrogations se portent sur Mr V. J’apprends qu’il est hospitalisé dans le service
depuis 20 ans en Soins à la Demande d’un Représentant de l’État à la suite de viol
suivi d’agressions physiques qu’il a commis à plusieurs reprises sur de nombreux
enfants pendant plusieurs années. Jugé aux assises il a été reconnu non responsable
de ces actes suite à l’expertise psychiatrique effectué après son arrestation. Á la suite

7
d’un court séjour en Unité pour Malade Difficile, il devait rejoindre son secteur mais le
service étant placé à proximité d’une école primaire, le juge l’a fait transférer dans
notre service.
Suite à la découverte de ces éléments j’ai pu mieux comprendre l’origine de la
différence de traitement du patient dans le service par le personnel paramédical.

2. Situation optimale professionnelle

Afin de répondre à cette situation, j’ai d’abord voulu connaître le cadre législatif
qui régit notre profession et notamment le code de déontologie infirmier qui dit :
« L’infirmier doit écouter, examiner, conseiller, éduquer ou soigner avec la même
conscience toutes les personnes quels que soient, notamment, leur origine, leurs
mœurs, leur situation sociale ou de famille, leur croyance ou leur religion, leur
handicap, leur état de santé, leur âge, leur sexe, leur réputation, les sentiments qu’il
peut éprouver à leur égard ou leur situation vis-à-vis du système de protection sociale.
Il leur apporte son concours en toutes circonstances. Il ne doit jamais se départir d’une
attitude correcte et attentive envers la personne prise en charge3. » Suite à ce rappel
législatif, j’identifie un écart entre la situation que j’ai vécu avec ce patient lors de mon
stage et le code de déontologie auquel sont soumis tous les infirmiers.

Suite à cet écart je me suis posé de nombreuses questions que j’ai ensuite
triées selon plusieurs critères. J’ai retiré celles répondant par oui ou non, les questions
qui portaient un jugement de valeur ou encore celles ne relevant pas du domaine
infirmier.

3
Article R4312-11 du code de déontologie infirmier, Ordre National des Infirmiers
novembre 2016, Consulté le 21 mai 2018, Disponible à l’adresse suivante :
https://www.ordre-infirmiers.fr/assets/files/000/codedeonto_web.pdf

8
3. Questionnement

Valeurs personnelles champ disciplinaire 5 : Intégration des savoirs et postures


professionnelles infirmières
● Comment la situation personnelle du soignant intervient-elle dans la prise en
charge de patient auteur d’acte criminel ?
● Comment les soignants arrivent à dépasser leurs valeurs personnelles pour
prendre en charge un patient auteur d’acte criminel ?
Emotions Champ disciplinaire 4 : Sciences et techniques infirmières, intervention
● Comment le soignant peut-il soigner sans garder de remords ?
● Comment le soignant garde-t-il ses émotions lors de la prise en charge de
patients auteurs d’actes criminels ?
Valeurs professionnelles champ disciplinaire 5 : Intégration des savoirs et posture
professionnelle infirmière
● Comment le jugement porté sur un patient modifie-t-il sa prise en charge ?
● A quel moment de la prise en charge le soignant pourrait devenir maltraitant à
l'égard d'un patient auteur d'actes criminels ?
● Comment l’infirmier peut-il être dans le jugement face à un patient auteur
d’actes criminels ?
Mécanisme de défense Champ disciplinaire 4 : Sciences et techniques infirmières,
intervention
● Quand le soignant peut-il admettre qu’il n’arrive pas à prendre en charge le
patient et passer la main à un collègue ?
● Comment le soignant adopte-t-il des mécanismes de défense dans la prise en
charge de patient auteur d’actes criminels ?
Relation soignant-soigné Champ disciplinaire 4 : Sciences et techniques infirmières,
intervention
● Quelle attitude avoir lors des soins face aux patients auteurs d’actes criminels ?
● Comment adopter une posture bienveillante face à un patient auteur d’actes
criminels ?

9
Distance professionnelle Champ disciplinaire 4 : Sciences et techniques infirmières,
intervention
● Quelle distance avoir face à un patient auteur d’acte criminel ?
● Quelle attitude mise en place par le soignant, permet de maintenir la relation
soignant-soigné ?

4. Légitimation
Comme rappelé dans ce travail par l’article R4312-11 du code de
déontologie infirmier4, nous devons prendre en charge tous les patients de la même
manière et avec toute la bienveillance possible sans être perturbé par nos valeurs
personnelles. Ce travail est donc légitime car il s’interroge sur cette question.

5. Généralisation
Cette situation bien que très précise évoque un problème que peuvent
rencontrer tous les professionnels infirmiers dans les différents services. En effets
lorsque nous travaillons dans un service dit « classique » nous pouvons prendre en
charge des patients qui bousculent nos valeurs.

6. Population cible
Ma population cible pour ce travail sont les patients ayant commis un acte
criminel hospitalisés dans un service de soins généraux qui n’a pas l’habitude de
prendre en charge ces patients.

7. Question de départ
Les valeurs personnelles de l'infirmier influent-elles sur ses valeurs
professionnelles dans la relation soignant-soigné avec un patient ayant
commis un acte criminel ?

4
Article R4312-11 du code de déontologie infirmier, Ordre National des Infirmiers
novembre 2016, Consulté le 21 mai 2018, Disponible à l’adresse suivante :
https://www.ordre-infirmiers.fr/assets/files/000/codedeonto_web.pdf

10
8. Champ d’action
Afin de répondre à ma question de départ j’ai élaboré un guide d’entretiens
semi-directif au regard du cadre conceptuel. Ce guide d'entretien est composé de
questions ouvertes afin de faciliter l’échange. Chaque question comporte également,
des relances afin de recentrer le sujet et d’apporter des informations
complémentaires. Ils seront anonymes, réalisés dans un endroit calme et en
dehors du temps de travail du professionnel afin d’exclure les interruptions. Pour
permettre un meilleur échange et avec l’accord du professionnel, les entretiens
seront enregistrés afin de me concentrer sur les réponses ainsi que la
communication non verbale. La durée des entretiens varie de 30 à 45 mn.
Afin de traiter les informations recueillies j’établirai une grille d’exploitation
au regard du cadre théorique. Elle me permettra de classer les propos
enregistrés, par mots clefs afin de les analyser par la suite.

11
II. CADRE THÉORIQUE

1. Acte criminel
1.1. Définition
Pour commencer je souhaite définir les mots clefs utilisés et qui proviennent de
termes juridiques afin d’établir les bases de mon travail et ainsi, permettre à chaque
lecteur de comprendre ma vision et la raison pour laquelle j’ai utilisé certains termes
plutôt que d’autres.
Selon l’article 111-1 du code pénal : « Les infractions pénales sont classées,
suivant leur gravité, en crimes, délits et contraventions5. »
Le site vie-publique.fr édité par la Direction de l’information légale et
administrative définit le crime comme ceci : « Les crimes constituent la catégorie
formée par les infractions les plus graves, qui manifestent une violation extrême des
interdits fondamentaux de notre société. Ils sont punis, en fonction de leur gravité,
d’une peine de réclusion pouvant aller de 15 ans à la perpétuité. L’homicide, mais
encore le viol [...] sont des crimes6. »
Le crime est définit par le petit robert comme une : « Infraction que les lois
punissent d’une peine afflictive ou infamante. [...] Les crimes sont jugés par une cours
d'assise [...] Crime contre les particuliers -> assassinat, empoisonnement, meurtre,
viol7. »
Sur son site internet personnel, le professeur Jean-Paul Doucet, ancien
professeur des facultés de droit et ancien titulaire de la rubrique de droit criminel à la
Gazette du Palais définit le terme de criminel en deux catégories :

5
Article 111-1 du code pénal relatif aux classifications des infractions pénales
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070719&idArticle=LEGIAR
TI000006417175&dateTexte=&categorieLien=cid
6
Quels sont les différents types d’infractions pénales ? Direction de l'information légale et
administrative, aout 2012
Disponible à l’adresse suivante :
http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/justice/fonctionnement/justice-penale/quels-sont-
differents-types-infractions-penales.html
7 Définition de crime, le petit robert, dictionnaire de la langue Française Paris : Le Robert, juin 2000,

page 573, 2842 pages


12
« - Dans la langue usuelle, un criminel est un individu ayant commis une
infraction qui a troublé de manière grave l'ordre social.
- Dans la langue juridique, un criminel est un individu qui a fait l’objet d’une
condamnation définitive pour avoir commis un fait sanctionné par la loi d’une peine
criminelle8. »
L’utilisation du terme : « ayant commis un acte criminel » lors de ma question
de départ est volontaire et justifié par la situation vécue en stage. En effet, le patient
pris en charge étant reconnu non responsable de ses actes, il a bénéficié lors de son
procès d’un non-lieu. Il n’est donc pas coupable en terme juridique et ne peut donc pas
être désigné comme criminel conformément à la définition citée précédemment.
Cependant pour la suite de ce travail je vais élargir afin de traiter du patient qui a
commis un acte criminel en général sans prendre en compte les circonstances
psychiatriques du patient.

1.2. Le soin, un droit en toutes circonstances


L’article 11 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946, rend la Nation
garante de la protection de la santé de chacun9. Selon Adeline HAZAN : « Dans ses
lieux de privation de libertés, ce droit ne doit pas disparaître ou être diminué. Tout doit
être mis en place afin de garantir ce droit tout en le conciliant avec la sécurité que cela
impose10. »
Selon l’article 46 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 : « La qualité et la
continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions
équivalentes à celles dont bénéficie l'ensemble de la population11.

8
Définition d’un criminel, dictionnaire de droit criminel, Jean-Paul Doucet, mars 2018
Disponible à l’adresse suivante : http://www.ledroitcriminel.fr/dictionnaire/lettre_c/lettre_c_crimi.htm
9
Préambule de la constitution du 27 octobre 1946, Conseil constitutionnel
Disponible à l’adresse suivante :
http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/la-constitution-du-4-
octobre-1958/preambule-de-la-constitution-du-27-octobre-1946.5077.html
10
HAZAN, Adeline ; PERRIER, Jean-Baptiste (sous la dir.). Soins et privation de liberté
Clermont : Centre Michel de l’hôpital, décembre 2015, 192 pages
11
Article 46 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=D36DD9CE2A3044E8A0D4016F240D1
280.tplgfr27s_1?idArticle=JORFARTI000021312291&cidTexte=JORFTEXT000021312171&dateTexte
=20091125&categorieLien=id

13
1.3. Soigner tout le monde
Nous avons vu, dans la situation optimale professionnelle l’article R. 4312-11
du code de déontologie : « L’infirmier doit écouter, examiner, conseiller, éduquer ou
soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient12. »
Dans un reportage audio diffusé sur son site internet, Arte radio a donné la
parole à un infirmier qui exerce en milieu carcéral, son témoignage est anonyme, il
nous parle de sa vision du soin13 : « Dans l’idée générale le soin il est pour les riches
et les pauvres. Moi ce que je fais c’est que le soin il est pour les méchants et les gentils,
c’est à dire qu’on soigne tout le monde. […] C’est sûr qu’en rentrant chez soi on se
pose des questions, je pense que c’est normal de se demander si c’est logique et bon
de soigner des gens qui ont fait le mal. […] Pour moi c’est pas envisageable de ne pas
m’occuper d’un patient parce qu’il ne me plait pas. »
« Quand j’étais amené à m’occuper de patients qui pouvaient être en lien avec le
terrorisme j’avais un blocage total mais finalement quand je m’occupais de ces patients
j’avais une certaine satisfaction à le faire, c’est la meilleure réponse au terrorisme pour
moi c’est d’être terriblement bienveillant face à quelqu’un qui nous voulait terriblement
du mal et que c’est la meilleur arme qu’on peut avoir contre eux. […] C’est une difficulté
qui est réellement dure à entendre mais des gens qui ont fait des crimes et qui ont fait
du mal peuvent être parfaitement intéressants, drôles, charismatiques, beaux. Il y a
vraiment du bon à prendre chez tout le monde. J’ai rarement vu un patient ou il y avait
que du mauvais. »

1.4. Accepter de ne pas tout savoir


Le secret du motif d’incarcération est définit par l’article 42 de la loi du 24
novembre 2009 à savoir : « Toute personne détenue a droit à la confidentialité de ses
documents personnels. Ces documents peuvent être confiés au greffe de
l'établissement qui les met à la disposition de la personne concernée. Les documents
mentionnant le motif d'écrou de la personne détenue sont, dès son arrivée,

12
Article R4312-11 du code de déontologie infirmier, Ordre National des Infirmiers relatif à la non
discrimination, novembre 216, Consulté le 21 mai 2018, Disponible à l’adresse suivante :
https://www.ordre-infirmiers.fr/assets/files/000/codedeonto_web.pdf
13
Réparer les méchants. Mélanie van Kempen [podcast] Arte radio, 26-27 janvier 2017
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.arteradio.com/son/61658289/reparer_les_mechants

14
obligatoirement confiés au greffe14. »
Dans un dossier du Haut Comité de la Santé Publique coordonné par Geneviève
Guérin, secrétaire général adjointe : « […] l’indépendance de la démarche sanitaire a
permis l’instauration de droits dont la jouissance était jusqu’alors refusée aux
personnes détenues, aux premiers rangs desquels le libre accès aux soins, la non-
discrimination en raison du motif d’incarcération et le respect du secret médical. »
Le témoignage de l’infirmier réalisé par Arte confirme cette interdiction.
Cependant il évoque la fuite des informations par le patient ou le personnel
pénitentiaire : « J’ai pas à connaître le crime du patient de par mon statut de soignant.
Malgré ça, le problème c’est qu’on est souvent amené à connaître la raison de
l’incarcération, parce que ça peut être une personne un peu médiatique ou parce que
le patient lui-même va se confier sur son crime ou par mégarde de nos collègues on
va parler puis la rumeur va se répandre que untel a fait ça et on finit toujours par le
savoir. » « On a toujours une espèce de perversité, peut-être un peu malsaine mais
quand même humaine à vouloir savoir pourquoi le patient est en prison, on ne peut
pas s'empêcher, on observe les différents profils, on se pose pleins de questions et on
finit par savoir. Mais au fur et à mesure, on va naturellement oublier petit à petit que
ce sont des détenus avant d’être des patients et l’on va les prendre en charge de
manière totalement objective. »
Après ce rappel législatif, nous allons nous intéresser aux valeurs de l’infirmier.

14
Article 42 de la loi pénitentiaire de novembre 2009 relative à la confidentialité des documents
personnels
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=6FDBF19ED86668715082764FD05964
A8.tplgfr34s_1?idArticle=LEGIARTI000021329623&cidTexte=LEGITEXT000021329505&dateTexte=2
0180521

15
2. Valeurs personnelles
2.1. Définition de valeurs
L'étymologie du mot valeur vient de “valere” qui signifie “être fort” en latin. Le
Larousse donne plusieurs définitions à la valeur. J’ai sélectionné cette définition qui
me semble la plus proche du sujet : « Ce qui est posé comme vrai, beau, bien, d'un
point de vue personnel ou selon les critères d'une société et qui est donné comme un
idéal à atteindre, comme quelque chose à défendre15. »
Selon Lise Michaux: « Cultures et valeurs n’ont jamais été aussi présentes dans
les discours des soignants. […] il parait actuellement indispensable d’indiquer qu’à titre
individuel ou collectif on vise à respecter les valeurs et les volontés des patients, ou
encore à tenir compte d’éventuelles différences culturelles16. »

2.2. Valeurs personnelles


Selon Lise Michaux : « Les notions de culture et de valeurs sont au fondement de la
réunion de personnes au sein de groupes, qu’il s’agisse de groupes sociaux,
professionnels ou autre, les membres partageant des points communs, des vues
communes. Ces notions permettent aussi à des personnes de se positionner dans telle
ou telle frange plus ou moins formelle d’une population car elles peuvent se projeter et
se reconnaitre dans les spécificités affichées, sentir qu’elles ont une fibre commune17. »
Selon D. Moreau : « La valeur est ainsi un repère éthique : elle permet d’orienter
les choix à faire et les décisions à prendre dans un contexte donné18. »
Les valeurs personnelles sont également responsables des émotions du
soignant.

15
Définition de valeur. Dictionnaire Larousse
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/valeur/80972
16
MICHAUX, Lise. Culture et valeurs dans l’univers du soin
Paris : Seli Arslan, 2015, Page 9, 172 pages.
17
MICHAUX, Lise. Culture et valeurs dans l’univers du soin
Paris : Seli Arslan, 2015, Page 9, 172 pages.
18
MOREAU, D. Soigner : une éthique en acte. Savoirs et Soins infirmiers
2009 60-160-U-10, page 8.

16
3. Émotions
3.1. Définition :
Le Larousse définit l’émotion comme une « Réaction affective transitoire
d'assez grande intensité, habituellement provoquée par une stimulation venue de
l'environnement19. » Selon Eckman20, on distingue 6 émotions primaires en
psychologie à savoir : La joie, la surprise, la tristesse, la colère, le dégoût et la peur.
Ces émotions sont dites primaires car elles peuvent être ressenties et/ou exprimées
indépendamment de notre culture et de notre environnement. Elles se différencient
des émotions dites mixtes comme la honte, la culpabilité, la jalousie, le mépris, la pitié,
la tendresse car elles nécessitent une élaboration cognitive.

3.2. Les émotions du soignant


Qu’est-ce qui différencie deux soignants qui ont le même parcours, la même
formation et qui travaillent dans le même service ? Je me suis plusieurs fois posé cette
question lors de mes stages et comme expliqué dans l’introduction de ce mémoire elle a
été un fil rouge lors de mes années de formations. Dans l’introduction de son livre le
travail émotionnel des soignants à l’hôpital, Catherine Mercadier21 dit : « D’un simple
coup d’œil, l’infirmière évalue l’état de gravité d’un patient qui, simultanément, va lui
inspirer de la sympathie ou au contraire de l’aversion. Sentiments et connaissances
sont donc indissociables lorsque l’objet de nos perceptions est humain22. » L’émotion
du soignant est donc une variable qui s’ajuste selon différents aspect et c’est
notamment ce qui est décrit dans la définition de l’émotion par Paul Eckman dans le
paragraphe précédent. Mais alors comment le soignant doit-il faire face à ces émotions ?

19
Définition de l’émotion. Dictionnaire Larousse
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/%C3%A9motion/28829
20 Paul Ekman, psychologue Américain et professeur de psychologie à l’université des sciences

médicales en Californie. Il fut l’un des pionniers dans l’étude des émotions dans leurs relations aux
expressions faciales.
21
Catherine Mercadier, infirmière et sociologue, a été formatrice en soins infirmier et directrice d’IFSI-
IFAS. Elle est conseillère pédagogique régionale (ARS Midi-Pyrénées)
22
MERCADIER, Catherine. Le travail émotionnel des soignants à l’hôpital, 2em édition
Paris : Seli Arslan, Août 2017, Page 21, 296 pages

17
3.3. Mécanismes de défenses du soignant
Selon Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis auteurs du livre “vocabulaire
de la psychanalyse”, le mécanisme de défense est “l’ensemble des opérations dont la
finalité est de réduire, de supprimer toute modification susceptible de mettre en danger
l’intégrité et la constance de l’individu biopsychologique23.”
Les mécanismes de défense qui vont être mis en place par l’infirmier sont la
majorité du temps des réactions involontaires et non contrôlées. Elles peuvent
toutefois être mal interprétées par le patient et ainsi dégrader la relation soignant-
soigné qui s’établit.
Martine Ruszniewski, psychologue à l’institut Curie de Paris a identifié neuf
mécanismes de défenses spécifiques aux soignants :
Le mensonge : Il consiste à mentir au patient afin d’éviter une situation que le
soignant n’a pas prévu. Ce mécanisme de défense brise la relation de confiance quand
il est révélé.
La banalisation : Le soignant évite les plaintes du patient en installant une
distance entre eux. Il se concentre sur ce qu’il peut traiter comme la douleur par
exemple.
L’esquive : Le soignant évite les questions du patient en ne répondant pas
précisément à ses interrogations. Il est en décalage avec la question posée.
La fausse réassurance : Le soignant entretient l’espoir du patient en esquivant
la gravité d’une situation. Il gagne du temps dans l’annonce d’un diagnostic par
exemple.
La rationalisation : En utilisant des termes médicaux qu’il ne maîtrise pas, le
soignant place une distance entre lui et le patient.
L’évitement : L’infirmier nie la présence physique et ne parle du patient que
comme une maladie ou un numéro de chambre. Lorsque le patient demande quelque
chose il ignore sa demande et continue son chemin.
La dérision : L’infirmier utilise l’humour afin de relativiser la souffrance d’un
patient et repousser une discussion plus sérieuse.

23
LAPLANCHE, Jean ; PONTALIS, Jean-Bernard. Vocabulaire de la psychanalyse
Paris : Presses universitaires de France, 2007, 523 pages
18
La fuite en avant : Afin de se libérer de ce qu’il sait sur le patient, le soignant va
tout lui annoncer d’un coup sans ménagement. Il s’établit à la suite d’une angoisse
intense qui provoque une sidération chez le soignant.
L’identification projective : Le soignant prend en charge le patient comme s’il se
prenait en charge lui-même. Il attribue sa propre personnalité au patient.
Il est très important pour l’infirmier d’être conscient que ces mécanismes de
défense existent et qu’il peut être amené à y avoir recours à un moment. C’est cette
étape de conscientisation qui permet à l’infirmier de prévenir ce comportement afin de
trouver les ressources nécessaires en temps voulu pour y faire face.
Après avoir traité des valeurs personnelles puis des émotions nous allons
aborder une autre partie de ce mémoire, les valeurs professionnelles.

4. Valeurs professionnelles
4.1. Les valeurs professionnelles de l’infirmier
Dans cette première partie je ne vais pas revenir sur la définition de la valeur
que j’ai définit précédemment mais bien sur les valeurs professionnelles de la
profession d’infirmier.
Le code de déontologie édité par l’Ordre National des Infirmiers dit que :
“L’infirmier, au service de la personne et de la santé publique, exerce sa mission dans
le respect de la vie humaine. Il respecte la dignité et l’intimité du patient, de sa famille
et de ses proches24. » Le code de déontologie continue par l’article R4312-4 en lien
avec le respect des principes fondamentaux : « L’infirmier respecte en toutes
circonstances les principes de moralité, de probité, de loyauté et d’humanité
indispensables à l’exercice de la profession.25 »
Ces valeurs sont une partie de celles qui régissent notre profession mais elles
ne sont pas les seules et chaque soignant doit développer ses propres valeurs
professionnelles en plus de celles définies dans le code de déontologie.

24
Article R4312-3 du Code de déontologie infirmier relatif au devoir d’humanité
Ordre National des Infirmier, novembre 2016
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.ordre-infirmiers.fr/assets/files/000/codedeonto_web.pdf
25
Article R4312-4 du code de déontologie infirmier relatif au respect des principes fondamentaux, Ordre
National des Infirmier, novembre 2016
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.ordre-infirmiers.fr/assets/files/000/codedeonto_web.pdf

19
4.2. L’apprentissage des valeurs professionnelles
Selon Lise Michaux « Tout au long de sa vie, une personne incorpore les
normes, les valeurs, les codes, la culture du groupe social dans lequel elle évolue ;
c’est la socialisation […] Dans le cadre particulier d’une formation professionnelle
initiale, l’étudiant est amené à incorporer, intérioriser les normes et les valeurs
spécifiques du groupe dans lequel il aspire à s’intégrer : c’est la socialisation
professionnelle. »
Selon Everett Hughes26, il existe deux phases à la socialisation professionnelle :
• La phase d’initiation à la culture professionnelle
• La conversion à une nouvelle conception de soi et du monde, à une nouvelle
identité
Afin d’intégrer sa nouvelle culture professionnelle, il identifie trois mécanismes
spécifiques qui permettront d’acquérir sa nouvelle identité professionnelle :
• Le « passage à travers le miroir » c’est le moment de l’immersion dans la culture
professionnelle ;
• L’installation dans la dualité entre le modèle idéal de la profession et le modèle
pratique ;
• L’ajustement de la conception de soi, aboutissement de la phase de conversion
et solution de la dualité entre les deux modèles.
Alors que nous avons vu les valeurs personnelles et professionnelles, celles-ci
peuvent parfois, entrer en conflit dans l’exercice de notre métier.

5. Conflit de valeurs
Selon le rapport Gollac27 datant de 2011 : « Le travail occupe une place
importante dans la façon dont les gens donnent un sens à leur existence » Il continue
en affirmant que lorsque le travail ne permet plus de construire ce sens, l’employé peut

26
EVERETT, Hughes cité par MERCADIER, Catherine. Le travail émotionnel des soignants à l’hôpital,
2em édition
Paris : Seli Arslan, Août 2017, PP 181-182, 296 pages
27
ASKENAZY, Philippe ; BAUDELOT Christian. et al. Mesurer les facteurs psychosociaux de risque
au travail pour les maîtriser, rapport du collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au
travail, mai 2010, page 157, 223 pages
Disponible à l’adresse suivante :
http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_SRPST_definitif_rectifie_11_05_10.pdf

20
« se sentir écœuré parce qu’on bâcle le travail ou terrassé par la honte d’avoir accepté
de nuire à autrui »
Selon Lise Michaux28 : « Les valeurs professionnelles ne viennent pas
remplacer les valeurs personnelles ; elles peuvent s’y surajouter, prendre plus ou
moins d’importance… et peuvent éventuellement mener à des conflits ou tensions
internes. » Elle continue dans son ouvrage en affirmant que si les valeurs semblent
personnelles, elles sont le fruit de l’influence parentale, du milieu socioculturel
d’origine, de l’éducation reçue et du réseau relationnel, ce qui provoque parfois un
conflit lorsque l’on ne partage pas le même parcours.

5.1. Le refus de soins


Selon l’article R. 4312-12 du code de déontologie infirmier : « Hors le cas
d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un infirmier a le droit de
refuser ses soins pour une raison professionnelle ou personnelle [...].29 » Cet article
donne à l’infirmier la possibilité de passer la main à un autre collègue à condition de
s’assurer que la continuité des soins est correctement respectée.
Selon Lise Michaux30 : « Un retrait au nom de ses valeurs ne sera pas toujours
directement formulé par les professionnels, mais cela devrait pouvoir être verbalisé »
Elle continue en écrivant « Une dérive consistant cependant pour certains à se réfugier
dans la technique justement pour ne pas avoir à échanger avec cette personne sur
laquelle un jugement de valeur est porté au nom de convictions personnelles31. »

28
MICHAUX, Lise. Culture et valeurs dans l’univers du soin
Paris : Seli Arslan, 2015, page 74, 172 pages.
29
Article R4312-12 du code de déontologie infirmier relatif à la continuité des soins
Ordre National des Infirmier, novembre 2016
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.ordre-infirmiers.fr/assets/files/000/codedeonto_web.pdf
30
MICHAUX, Lise. Culture et valeurs dans l’univers du soin
Paris : Seli Arslan, 2015, page 74, 172 pages.
31
MICHAUX, Lise. Culture et valeurs dans l’univers du soin
Paris : Seli Arslan, 2015, page 76, 172 pages.
21
6. Relation soignant-soigné
6.1. Définition de la relation
Selon Alexandre Manoukian32 la relation est « la rencontre entre deux
personnes au moins, c’est à dire deux caractères, deux psychologies particulières et
deux histoires33 », il complète sa définition en définissant des facteurs qui interviennent
dans la relation : « les facteurs psychologiques [...] Les facteurs sociaux [...] Les
facteurs physiques34 ». Cela donne une variabilité à la relation selon ces différents
facteurs. En effet s’ils sont différents d’une personne à une autre, il existe donc autant
de relation qu’il existe d’individus.
Claude Curchod35 estime lui : « Il n’y a pas de soins sans l’établissement de
relation entre les humains, dont certains demandent à être soignés, alors que d’autres
ont la mission de répondre aux besoins de santé de la population.36 »

6.2. Un soignant + un patient


La relation soignant-soigné est la relation qui s’établit entre le professionnel de
santé et le patient qu’il prend en charge. Cette relation se met en place avant même
que les deux parties n’aient commencé à discuter. Ainsi comme l’explique Alexandre
Manoukian : « [...] Nous échangeons des informations en permanence. Celles-ci
utilisent différents supports tels que les mots, les gestes, les mimiques, les positions
du corps, les attitudes mais aussi ce qu’on appel les “accessoires” [...] la tenue
vestimentaire (uniforme, vêtements civil ou chemise d’hôpital) et les attributs d’une
fonction (pince, stéthoscope, tensiomètre, mais aussi bassin, urinoir, etc.)37 »
Ces différentes informations sont analysées très rapidement par le patient et/ou
le soignant afin d’obtenir des renseignements sur son interlocuteur.

32
MANOUKIAN, Alexandre, titulaire d'un DESS de psychologie clinique, ancien enseignant en institut
de soins infirmiers, est psychothérapeute et formateur en milieu hospitalier.
33 MANOUKIAN, Alexandre ; MASSEBEUF, Anne. La relation soignant soigné 3em édition Rueil-

Malmaison : Lamarre, 2008, page 9, 223 pages


34
MANOUKIAN, Alexandre ; MASSEBEUF, Anne. La relation soignant soigné 3em édition
Rueil-Malmaison : Lamarre, 2008, page 9, 223 pages.
35
Claude Curchod, infirmier, enseignant et consultant, travaille au CHU vaudois à Lausanne dans le
service de formation continue de la Direction des soins.
36
CURCHOD, Claude. Relation soignants-soignés Prévenir et dépasser les conflits
Issy Les Moulineaux : Elsevier Masson, 2009, page 13, 224 pages.
37 MANOUKIAN, Alexandre ; MASSEBEUF, Anne. La relation soignant soigné 3em édition Rueil-

Malmaison : Lamarre, 2008, page 8, 223 pages


22
A ces renseignements vont se rajouter les expressions du visage, les cris etc.
Toutes ces formes de communication non verbales font déjà partie de la relation
soignant-soigné.

6.3. Impact du conflit dans la relation soignant-soigné


Selon Claude Curchod : « Un des mécanismes qui conduit à des difficultés
relationnelles entre personnes soignées et personnes soignants, […] repose sur la
présence de jugement de valeur. […] Ces étiquettes sont parfois à l’origine de relations
d’emblée tendues. […] C’est le cas lorsque des soignants affichent des stéréotypes
envers certains malades qu’ils ont connu précédemment ou envers certains groupes.
[…] Origines ou conséquences, ces jugements et les étiquetages qui les
accompagnent sont porteurs de stigmates. Ils peuvent être annonciateurs de
discrimination et d’exclusion tant des patients que de leurs famille.38 »

6.4. Juste distance professionnelle


Selon Pascal Prayez : « la juste distance est la capacité à être au contact
d’autrui en pleine conscience de la différence des places »
Selon Laurent Morasz « La bonne distance n’est pas une distance fixe à trouver,
mais un objectif « théorique » à avoir en tête, pour nous rapprocher du patient quand
nos « réactions » humaines tendent à nous en éloigner, et à nous en distancier quand
ces mêmes « réactions » nous en rapprochent trop au risque de la confusion39. »

38
CURCHOD, Claude. Relation soignants-soignés Prévenir et dépasser les conflits
Issy Les Moulineaux : Elsevier Masson, 2009, page 31, 224 pages
39
MORASZ, Laurent ; PERRIN-NIQUET, Annick. Et al. L’infirmier(e) en psychiatrie, les grands principes
du soin en psychiatrie 2ème édition
France : Elsevier Masson, 2012, page 187, 336 pages

23
III. ANALYSE

Présentation des différents infirmiers interrogés


Pour ce travail d’analyse j’ai souhaité interroger quatre infirmiers travaillant dans
des services de soins généraux afin de leur soumettre mon guide d’entretien.
La première chose que l’on remarque dans la présentation de chacun c’est
l’année d’obtention du Diplôme d’État. En effet l’infirmière ayant le plus d’expérience
est la N°1 dont l’obtention date de l’été 2015. Les deux infirmiers diplômés depuis le
moins longtemps sont les infirmiers N°2 et N°3 diplômés en juillet 2017.
Les infirmières N°1 et N°4 ont un profil semblable. Elles ont 23 et 25 ans et sont
diplômées à un an d’écart. De plus elles travaillent toutes les deux dans un service de
réanimation dans lequel elles ont passé la majeure partie du temps depuis l’obtention
du diplôme d’état.
De l’autre côté les infirmiers N°2 et N°3 n’ont pas le même parcours. L’infirmier
N°2 exerce en secteur d’intérim et est donc amené à changer régulièrement de service
ce que l’infirmière N°3 ne fait pas car elle travaille en chirurgie urologique depuis
l’obtention de son diplôme.

La prise en charge d’un patient ayant commis un acte criminel


Les quatre infirmiers qui ont été interrogés ont tous déclaré avoir pris en charge
un ou plusieurs patients qui ont commis un acte criminel. Les infirmiers N°1 et N°2 en
ont pris en charge plusieurs alors que les N°3 et N°4 n’ont pris en charge qu’un seul
patient qui a commis un acte criminel.

Le premier point commun à ce sujet qui m’a marqué pour les quatre entretiens
que j’ai effectué est la connaissance très rapide des motifs d’incarcération du patient.
En effet alors que les IDE N°1 et N°4 m’ont spontanément parlé de l’interdiction pour
le personnel soignant de connaitre le motif d’incarcération conformément à l’article 42

24
de la loi du 24 novembre 200940. Les quatre infirmiers disent avoir appris rapidement
le motif par différentes méthodes. Les infirmières N°1 et N°4 ont fait des recherches
sur internet pour obtenir plus de renseignements alors que les infirmiers N°2 et N°3
ont eu l’information par le personnel policier ou par le patient lui-même.

1er thème : Valeurs personnelles :


Pour l’ensemble des quatre infirmiers interrogés, les valeurs personnelles sont
une caractéristique de leur personnalité, de ce qu’ils sont et comment ils se comportent
dans la vie de tous les jours. Dès la définition des valeurs personnelles, l’infirmier N°2
met en opposition ses valeurs personnelles avec ses valeurs professionnelles : « Pour
moi les valeurs personnelles c’est la personne qu’on est dans la vie de tous les jours.
C’est en opposition avec les valeurs professionnelles. » Cette opposition dès le début
est intéressante car elle permet de montrer que l’infirmier N°2 apporte une importance
à différencier ses valeurs personnelles et professionnelles. À ce moment il est le seul
à faire un lien entre valeurs personnelles et professionnelles.
À la question quelles sont vos principales valeurs personnelles ? Seules les
infirmières N°3 et N°4 ont en commun d’avoir abordé le respect en première valeur
alors que toutes les autres valeurs ne sont citées qu’une seule fois.
Comme vu précédemment dans le cadre théorique, selon Lise Michaux : « Les
notions de culture et de valeurs sont au fondement de la réunion de personnes au sein
de groupes, qu’il s’agisse de groupes sociaux, professionnels ou autre, les membres
partageant des points communs, des vues communes. Ces notions permettent aussi
à des personnes de se positionner dans telle ou telle frange plus ou moins formelle
d’une population car elles peuvent se projeter et se reconnaitre dans les spécificités
affichées, sentir qu’elles ont une fibre commune. » Cette affirmation est partagée par
l’infirmière N°1 qui évoque à propos des valeurs personnelles : « C’est aussi en
fonction des valeurs personnelles de chacun que tu accroches ou pas avec les gens. »
Bien que les autres infirmiers ne parlent pas de leurs valeurs personnelles
comme de quelque chose qui rassemble, ils admettent, en revanche facilement que

40
Article 42 de la loi pénitentiaire de novembre 2009
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=6FDBF19ED86668715082764FD05964
A8.tplgfr34s_1?idArticle=LEGIARTI000021329623&cidTexte=LEGITEXT000021329505&dateTexte=2
0180521
25
les valeurs personnelles occupent une place essentielle dans l’exercice de leur métier
à l’image de l’infirmière N°3 qui dit : « Si on devait mettre un pourcentage ce serait de
l’ordre de 100% c’est-à-dire que l’empathie à laquelle j’attache une importance, le
respect et la sympathie elle est clairement visible quand je travaille. » L’infirmier N°2 a
également une vision forte de ses valeurs personnelles dans son métier car pour lui
ce sont ces valeurs qui l’ont guidé vers le métier d’infirmier : « [...] je m’y retrouvai
notamment dans ce côté aide à l’autre, le côté on est tous des êtres humains donc on
doit s’entraider […] »

2-ème thème : La prise en charge d’un patient ayant commis un acte criminel
Prendre en charge tous les patients sans jugement est rappelé dans l’article
R431211 du code de déontologie infirmier41. L’infirmière N°1 a déjà une expérience
de contact avec des personnes incarcérées car son père travaillait comme gardien de
prison dans la seule prison ouverte d’Europe en Corse. Elle a eu l’occasion lors de ses
vacances de côtoyer à ce moment des détenus. Pour elle, la prise en charge semble
plus facile. Elle dit d’ailleurs ne pas porter d’aprioris sur cette population. Pour les trois
autres infirmiers, bien qu’ils partagent cette volonté de prendre en charge ces patients
de la même façon que les autres, ils admettent une potentielle différence de prise en
charge. Pour l’IDE N°3, la différence faite est inconsciente et elle ajoute : « […] sur cet
exemple là, je pense que j’ai moins raconté de blagues, j’ai moins été vers le contact
physique avec lui. » L’infirmier N°2 parle de son image de l’univers carcéral avec des
« tueurs bodybuildé », en revanche il nuance son propos juste après en affirmant que
« c'est des gens comme tout le monde ». L’infirmière N°4 commence par dire : « Je
pense que on n’est pas là pour juger » et continue plus loin : « [...] je pense que c’est
pas pareil de prendre en charge un patient qui a pu commettre des viols, des meurtres
tout ça et un patient qui entre guillemet a fait un cambriolage »
Quand je parle de prendre en charge un patient qui a commis un acte criminel,
les infirmiers me répondent ne pas vouloir juger le patient, ils se placent derrière leur
position de soignant pour justifier cela. L’infirmière N°4 nuance tout de même son

41
Article R4312-11 du code de déontologie infirmier, Ordre National des Infirmiers
novembre 2016, Consulté le 21 mai 2018, Disponible à l’adresse suivante :
https://www.ordre-infirmiers.fr/assets/files/000/codedeonto_web.pdf
26
propos en admettant l’erreur d’avoir pris en charge le patient « comme un patient
lambda ». Elle évoque le moment où la situation a évoluée. Prise d’un « excès de
confiance » car la prise en charge se déroulait bien depuis plusieurs jours : « Lui a
complètement changé de comportement au bout de son troisième jour et du coup
arrivé au quatrième jour où il me connaissait, il s’est permis des remarques voire des
menaces envers moi, qui fait que la prise en charge a été très compliquée. »
Plusieurs infirmiers m’ont répondu ne pas faire de distinction entre la prise en
charge d’un patient libre et d’un patient qui a commis un acte criminel. En revanche
plusieurs m’ont affirmé avoir constaté ce comportement chez certains de leurs
collègues.

3-ème thème : Les émotions du soignant


Dans sa réponse, l’infirmière N°4 commence par citer les différentes émotions
auxquelles elle pense : « la peur, la tristesse, l’angoisse, la joie. » Parmi les émotions
qu’elle cite, trois sont des émotions plutôt négatives et une, la dernière, est une
émotion positive. Trois des émotions citées par l’infirmière N°4 sont des émotions
primaires définies par Paul Eckman42. Il définit les émotions primaires comme pouvant
être ressenties indépendamment de notre culture et de notre environnement.
Cette vision plutôt négative est abordée par les infirmiers N°1 et N°2. Ils
évoquent la possibilité que l’émotion « entrave ta prise en charge » ou encore qu’elle
est « à la fois un outil et à la fois un danger. » Cela fait référence aux propos de
Catherine Mercadier : « D’un simple coup d’œil, l’infirmière évalue l’état de gravité d’un
patient qui, simultanément, va lui inspirer de la sympathie ou au contraire de l’aversion.
»
Les infirmières N°1, N°3 et N°4 disent apporter une grande importance aux
valeurs personnelles dans leur exercice professionnel. A contrario l’infirmier N°2, dit
donner une place assez faible. Il voit l’infirmier comme un « professionnel et pas une
simple nonne qui s’occupe des gens » il confirme sa pensée en affirmant : « On est
censé rationnaliser le soin et pas l’émotionnaliser »

42
Paul Eckman, psychologue Américain et professeur de psychologie à l’université des sciences
médicales en Californie. Il fut l’un des pionniers dans l’étude des émotions dans leurs relations aux
expressions faciales.
27
4-ème thème : Les mécanismes de défense du soignant :
Selon Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis, le mécanisme de défense est
: « l’ensemble des opérations dont la finalité est de réduire, de supprimer toute
modification susceptible de mettre en danger l’intégrité et la constance de l’individu
biopsychologique. » Le caractère de danger est partagé par les quatre infirmiers, en
effet tous ont abordé lors de notre entretien cette notion. Pour l’infirmière N°3 par
exemple : « […] c’est ce que l’on met en œuvre, encore une fois, consciemment ou
inconsciemment pour se protéger […] » L’IDE N°4 évoque la même idée : « Ce sont
des attitudes qu’on adopte pour se défendre de choses qui peuvent nous attaquer
nous personnellement et donc des réactions que l’on n’aurait pas en temps normal […]
»
La place des mécanismes de défense chez les soignants et donc les infirmiers
a été étudiée par Martine Ruszniewski. Elle en a identifié neuf. Ces mécanismes de
défense sont connus des infirmiers interrogés. Parmi les quatre entretiens effectués
seule l’infirmière N°3 dit ne pas avoir l’impression d’en avoir mis en œuvre. Les trois
autres interrogés disent faire attention aux mécanismes de défense allant jusqu’à faire
spécialement attention pour l’infirmière N°1 car elle sait que les patients détenus ont
accès plus facilement à la justice et peuvent porter plainte.
Lors des quatre entretiens effectués, aucun infirmier n’a répondu à ma question
à propos de se soustraire d’une situation par le mécanisme de défense. Il est très
intéressant d’observer qu’ils n’ont pas esquivé la prise en charge d’un patient qui a
commis un acte criminel par ce mécanisme. En revanche l’IDE N°4 évoque avoir passé
la main lorsqu’elle ne se sentait plus apte à poursuivre correctement cette prise en
charge.

5-ème thème : Les valeurs professionnelles


Lorsque j’aborde les valeurs professionnelles avec les infirmiers interrogés,
certains ne comprennent pas la différence entre les deux. C’est le cas pour l’infirmière
N°4 qui dit : « […] ça revient un peu à la question sur les valeurs personnelles […] »
ou encore l’IDE N°3 qui dit : « J’ai du mal à faire la distinction entre mes valeurs
personnelles et professionnelles […] ».

28
Pour l’infirmier N°2 les valeurs professionnelles sont « en théorie communes à
toute la profession ». La valeur de respect qui était citée deux fois à propos des valeurs
personnelles est citée une nouvelle fois par l’infirmier N°2 pour qui, le respect des choix
des patients est une valeur importante dans sa pratique professionnelle.
Pour les infirmières N°1, N°3 et N°4 leurs valeurs professionnelles étaient déjà
présentes avant d’entrer en formation. Cette réponse n’est toutefois pas surprenante
car elles avaient déjà dit précédemment que leurs valeurs professionnelles étaient
complètement liées aux valeurs personnelles. Cependant elles admettent la place de
la formation dans la consolidation de ces valeurs. Pour l’infirmier N°2, ce sont les
stages qui ont favorisé l’émergence de valeurs professionnelles. Selon lui « j’ai été
plus formé pendant mes stages qu’à l’IFSI parce que c’était beaucoup de blablas. »
Cette vision du développement des valeurs pendant le stage est partagée par
l’infirmière N°1 qui dit « c’est aussi les stages qui t’aident à les façonner. Ça dépend
aussi sur quels soignants tu tombes […] si tu n’as pas un personnel qui est là pour
t’aider et qui a ces valeurs aussi tu ne peux pas les acquérir. » L’IDE N°1 par cette
dernière phrase évoque l’importance du personnel infirmier qui encadre les étudiants.
Pour elle, les valeurs professionnelles sont donc transmises en stage.

6-ème thème : Concilier valeurs personnelles et professionnelles


Lors des entretiens, les quatre IDE m’ont affirmé ne pas faire de distinction entre
les valeurs personnelles et les valeurs professionnelles à l’image de l’infirmier N°2 qui
me répond : « ... même, je vais confondre les valeurs personnelles et professionnelles
car il y en a, je ne sais pas si je les considère comme personnelles ou professionnelles.
» Ces réponses données précédemment ont bien sûr eu un écho supérieur au moment
d’aborder la notion de concilier les deux. Les infirmières N°1 et N°3 ont toutes les deux
utilisé l’image du vestiaire comme l’explique l’IDE N°1 : « Avant on disait aux élèves
infirmiers qu’on posait nos émotions et nos problèmes personnels au vestiaire mais je
suis désolée ce n’est pas quelque chose qui est possible […] » Même réponse pour
l’infirmière N°3 qui dit ne pas laisser ses valeurs au vestiaire
« Mes valeurs personnelles m’accompagnent tous les jours, toutes les minutes dans
mon travail. »

29
Chaque infirmier a répondu pendant l’entretien, qu’il essayait de ne pas faire de
différence de traitement entre la prise en charge d’un patient « classique » et d’un
patient qui a commis un acte criminel. Cependant cette notion est nuancée par
l’infirmière N°4 qui dit : « Je pense que c’est pas pareil de prendre en charge un patient
qui a pu commettre des viols, des meurtres tout ça et un patient qui entre guillemet a
fait un cambriolage. » Cela entre en opposition avec le code de déontologie infirmier
qui précise que : « L’infirmier doit écouter, examiner, conseiller, éduquer ou soigner
avec la même conscience toutes les personnes quels que soient, notamment, leur
origine, leurs mœurs, leur situation sociale ou de famille, leur croyance ou leur religion,
leur handicap, leur état de santé, leur âge, leur sexe, leur réputation, les sentiments
qu’il peut éprouver à leur égard ou leur situation vis-à-vis du système de protection
sociale. Il leur apporte son concours en toutes circonstances. Il ne doit jamais se
départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne prise en charge.43 »

7-ème thème : Le conflit de valeurs


Selon Lise Michaux44 : « Les valeurs professionnelles ne viennent pas
remplacer les valeurs personnelles ; elles peuvent s’y surajouter, prendre plus ou
moins d’importance… et peuvent éventuellement mener à des conflits ou tensions
internes. » Ce point de vue est partagé par l’infirmière N°4 qui dit : « [...] ce que je
pense c’est que ma prise en charge pourrait être différente même si je dis que je
ne suis pas juge dans le cas où j’apprends que un patient détenu a violé, a tué, tout
ça je pense que ça serait compliqué pour moi même si je dis qu’on n’est pas juge. »
Pour l’infirmier N°2, « Si ses valeurs sont beaucoup trop éloignées des tiennes tu vas
avoir un gros décalage et ne vas pas pouvoir entre guillemets comprendre ton patient
[...] » Pour se protéger de ce conflit de valeurs et afin de prendre en charge
correctement le patient, l’infirmier N°2 nous dit qu’il se protège en « restant juste dans
le technique c’est bête et méchant et du coup ça demande moins de réflexion, moins
d’investissement sentimental. » L’infirmière N°1 parle du binôme infirmier : l’aide-
soignant, comme d’un soutien en cas de difficultés face au patient.

43
Article R4312-11 du code de déontologie infirmier, Ordre National des
Infirmiers novembre 2016, Consulté le 21 mai 2018, Disponible à l’adresse
suivante : https://www.ordre-infirmiers.fr/assets/files/000/codedeonto_web.pdf
44
MICHAUX, Lise. Culture et valeurs dans l’univers du soin
Paris : Seli Arslan, 2015, page 74, 172 pages.
30
Selon l’article R. 4312-12 du code de déontologie infirmier : « Hors le cas
d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un infirmier a le droit de
refuser ses soins pour une raison professionnelle ou personnelle [...]. » Malgré ce texte
législatif seule une infirmière sur les quatre interrogés admet avoir refusé une prise en
charge qu’elle estimait contraire à ses valeurs. Pour justifier cela les infirmières N°2 et
N°4 parlent du travail en équipe et de l’échange, que cela permet de discuter et de
reprendre la prise en charge correctement.

8-ème thème : La relation soignant-soigné


Lors des entretiens, les quatre infirmiers ont tous donné une importance à la
relation soignant-soigné. Pour l’infirmière N°3 la relation soignant-soigné est :
« […] la relation entre nous personnel soignant qui pouvons apporter quelque
chose à un soigné. » Pour l’infirmière N°4 : « […] je pense que la relation soignant-
soigné, elle est forte [...] »
Selon Claude Curchod : « Il n’y a pas de soins sans l’établissement de relation
entre les humains, dont certains demandent à être soignés, alors que d’autres ont la
mission de répondre aux besoins de santé de la population. » Cette citation reflète ce
que dit l’infirmière N°3 quand elle dit : « [...] la relation entre nous personnel soignant
qui pouvons apporter quelque chose à un soigné. Dans mon monde à moi, elle est de
qualité. »
Selon Alexandre Manoukian : « [...] Nous échangeons des informations en
permanence. Celles-ci utilisent différents supports tels que les mots, les gestes, les
mimiques, les positions du corps, les attitudes mais aussi ce qu’on appel les
“accessoires” [...] la tenue vestimentaire (uniforme, vêtements civil ou chemise
d’hôpital) et les attributs d’une fonction (pince, stéthoscope, tensiomètre, mais aussi
bassin, urinoir, etc.) » Ce que dit Alexandre Manoukian est partagé lors de mes
entretiens par les infirmières N°1, N°3 et N°4 comme dans cet extrait « Elle se met en
place à la première seconde où tu rentres dans la chambre du patient. »
Dans la suite de notre entretien, chaque infirmiers a rappelé qu’ils mettaient tout
en œuvre pour prendre en charge les patients ayant commis un acte criminel comme
les autres patients qu’ils prennent en charge dans leurs services.

31
9-ème thème : La juste distance professionnelle
Pour les infirmiers interrogés, la juste distance professionnelle n’est pas perçue
de la même manière. Pour l’infirmière N°3 c’est la clef de notre métier alors que pour
l’infirmière N°4 il s’agit uniquement d’un terme très théorique qui n’a pas lieu d’être
dans la réalité. Ce que nous remarquons dans les réponses c’est que chaque infirmier
adapte la juste distance professionnelle dans son travail. L’infirmière N°4 s’implique
beaucoup et admet pleurer parfois à la mort d’un patient alors qu’à l’inverse, l’infirmier
N°2 met une plus grande distance entre lui et le patient : « Les patients ne doivent
entre guillemets jamais devenir des amis, une relation c’est une relation
professionnelle. »
Ensuite, la juste distance professionnelle avec un patient qui a commis un acte
criminel, tous les infirmiers sont unanimes, ils n’ont pas modifié leur manière d’être
avec les patients qui ont commis un acte criminel à l’image de l’infirmier N°2 qui dit : «
[...] j’essaye d’en faire abstraction et de me comporter de la même façon que je me
comporterai avec un patient non criminel. » La réaction est la même pour l’infirmière
N°1 qui dit « Il n’y a pas de différence, moi ça m’est arrivé avec le détenu de parler de
tout et de rien après il avait une facilité déconcertante à parler de son acte, ça par
contre c’est particulier. »
Pour finir, l’infirmière N°4 qui raconte avoir subi des insultes et des menaces de
la part du patient conclu son entretien de cette façon : « [...] au début effectivement
peut-être que ça a été trop loin, peut être que j’aurais dû plus me méfier. [...] Moi
comme je disais, j’y suis allé en me disant, il faut prendre en charge ce patient comme
n’importe qui. Au final je ne pense pas que j’aurais dû faire les choses autrement. »

32
IV. SYNTHÈSE

Au cours des quatre entretiens que j’ai effectué avec les infirmiers, j’ai découvert
des professionnels qui prennent en charge leurs patients avec beaucoup de sérieux et
d’implication. Chaque IDE interrogé m’a parlé de ses valeurs personnelles et
professionnelles pour finalement constater que la barrière était très fine entre les deux.
Comme ils me l’ont fait remarquer à plusieurs reprises, un infirmier ne dépose pas ses
valeurs au vestiaire pour les récupérer quelques heures plus tard.
Ils ont prouvé lors des entretiens qu’ils prennent en charge leurs patients avec
leurs valeurs, leur vécu, leurs expériences. Ainsi il n’existe pas une prise en charge
infirmière mais il en existe autant qu’il y a d’infirmier.
Prendre en charge un patient qui a commis un acte criminel n’a pas été un choix
pour ces infirmiers. Ils travaillent dans des services de soins généraux et sont un jour,
par hasard, confrontés à cette prise en charge. Face à un patient qui vous dit avoir tué
ou encore un autre qui a séquestré une personne plusieurs heures pour de l’argent, ils
ont répondu par une prise en charge bienveillante, avec le sourire et pour certains en
oubliant, parfois, la condition particulière du patient qu’ils soignaient.
Au cours des quatre entretiens, les infirmiers interrogés ont eu la même
constance dans leurs réponses. Chacun est conscient de prendre en charge un patient
qui a fait beaucoup de mal, parfois tué parfois violé. Cependant à aucun moment ils
ne se sont laissé envahir par le jugement. Dès le début certains m’ont rappelé d’eux
même qu’ils n’étaient pas juge et que ce n’était pas à eux de faire ce travail et que la
justice était présente pour cela.
Si chacun des infirmiers interrogés a eu la force de continuer la prise en charge
ou de passer la main c’est parce qu’une équipe soignante est comme son nom
l’indique UNE ÉQUIPE. Cet élément de réponse est le même que chaque infirmier m’a
rappelé sans que jamais je n’oriente les questions vers cette réponse. Soit les
collègues sont une ressource pour évacuer des sentiments, parfois trop lourds à porter
ou alors ils sont présents pour prendre la suite de la prise en charge quand cela n’est
plus possible pour leur collègue. La clef de ma question de départ est là : L’Équipe !

33
V. CONCLUSION

Alors que se termine ce mémoire de fin d’études, je repense à ce patient que


j’ai croisé en service de psychiatrie et qui a été le déclencheur de toute ma réflexion
pendant ce mémoire. Tout le travail de recherche effectué mais aussi d’interrogation
auprès d’infirmiers qui ont vécu une situation similaire à celle que j’ai vécue m’a fait
comprendre beaucoup de choses sur moi-même et ma capacité à prendre en charge
sans juger. Effectivement alors que je conclue une année de travail personnel, de
recherches, j’arrive à la conclusion que le comportement que j’ai eu face à ce patient,
était similaire aux comportements que j’ai retranscrits lors de mes entretiens. Pendant
longtemps cette situation m’a marquée et je me suis souvent demandé si j’avais réussi
à le prendre en charge en oubliant ce qu’il avait fait.
Aujourd’hui ce travail de recherche étant terminé, je ne pense pas avoir mis de
côté le passé de ce patient mais je pense avoir réussi à le prendre en charge quand
même. Ce que m’ont prouvé les infirmiers interrogés, c’est que l’objectif n’est pas
d’oublier mais bien de mettre de côté notre jugement personnel comme nous le ferions
pour tous les autres patients sans nous poser cette question.
De plus, j’ai réussi à trouver dans les réponses des infirmiers qui m’ont accordé
de leur temps pour me répondre, un début de solution. L’équipe soignante est une
force dans notre métier. Nous travaillons rarement seul et nous pouvons nous aider
mutuellement. C’est la notion que chacun des infirmiers m’a apportée dans leurs
réponses. Pouvoir passer la main quand nous arrivons au bout de notre capacité à
être bienveillant est une chose très importante.
Tout au long de ce travail, j’ai appris à en connaitre un peu plus sur moi. J’ai
appris à savoir l’infirmier que je souhaite devenir. Un infirmier qui a des valeurs
personnelles et qui acquière des valeurs professionnelles toujours dans l’intérêt du
patient.
En lien avec le travail effectué et afin d’ouvrir mon travail sur une question de
recherche, je me pose la question : « Comment l’équipe soignante devient-elle un
support à l’infirmier pour passer la main en cas de difficulté dans la prise en charge
d’un patient criminel ? »

34
VI. BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages
Définition de crime, le petit robert, dictionnaire de la langue Française
Paris : Le Robert, juin 2000, 2842 pages.

HAZAN, Adeline ; PERRIER, Jean-Baptiste (sous la dir.). Soins et privation de liberté


Clermont : Centre Michel de l’hôpital, décembre 2015, 192 pages

MICHAUX, Lise. Culture et valeurs dans l’univers du soin


Paris : Seli Arslan, 2015, 172 pages.

MERCADIER, Catherine. Le travail émotionnel des soignants à l’hôpital, 2em édition


Paris : Seli Arslan, Août 2017, 296 pages

LAPLANCHE, Jean ; PONTALIS, Jean-Bernard. Vocabulaire de la psychanalyse


Paris : Presses universitaires de France, 2007, 523 pages

MANOUKIAN, Alexandre ; MASSEBEUF, Anne. La relation soignant soigné 3em


édition
Rueil-Malmaison : Lamarre, 2008, 223 pages

CURCHOD, Claude. Relation soignants-soignés Prévenir et dépasser les conflits


Issy Les Moulineaux : Elsevier Masson, 2009, 224 pages

MORASZ, Laurent ; PERRIN-NIQUET, Annick. Et al. L’infirmier(e) en psychiatrie, les


grands principes du soin en psychiatrie 2ème édition
France : Elsevier Masson, 2012, 336 pages

Article
MOREAU, D. Soigner : une éthique en acte. Savoirs et Soins infirmiers
2009 60-160-U-10, page 8.

Sitographie
Article R4312-11 du code de déontologie infirmier relatif à la non discrimination
Ordre National des Infirmiers, novembre 2016
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.ordre-infirmiers.fr/assets/files/000/codedeonto_web.pdf
Consulté le 3 juin 2018

35
Article 111-1 du code pénal relatif aux classifications des infractions pénales
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT0000060707
19&idArticle=LEGIARTI000006417175&dateTexte=&categorieLien=cid
Consulté le 3 juin 2018

Article 46 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009


Disponible à l’adresse suivante :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=D36DD9CE2A3044E8
A0D4016F240D1280.tplgfr27s_1?idArticle=JORFARTI000021312291&cidTexte=JO
RFTEXT000021312171&dateTexte=20091125&categorieLien=id
Consulté le 3 juin 2018

Quels sont les différents types d’infractions pénales ?


Direction de l'information légale et administrative, aout 2012
Disponible à l’adresse suivante : http://www.vie-publique.fr/decouverte-
institutions/justice/fonctionnement/justice-penale/quels-sont-differents-types-
infractions-penales.html
Consulté le 3 juin 2018

Définition d’un criminel, dictionnaire de droit criminel. Jean-Paul Doucet, mars 2018
Disponible à l’adresse suivante :
http://www.ledroitcriminel.fr/dictionnaire/lettre_c/lettre_c_crimi.htm
Consulté le 3 juin 2018

Préambule de la constitution du 27 octobre 1946. Conseil constitutionnel


Disponible à l’adresse suivante :
http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/la-
constitution-du-4-octobre-1958/preambule-de-la-constitution-du-27-octobre-
1946.5077.html
Consulté le 3 juin 2018

Article 42 de la loi pénitentiaire de novembre 2009 relative à la confidentialité des


documents personnels
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=6FDBF19ED8666871
5082764FD05964A8.tplgfr34s_1?idArticle=LEGIARTI000021329623&cidTexte=LEGI
TEXT000021329505&dateTexte=20180521
Consulté le 3 juin 2018

Définition de valeur. Dictionnaire Larousse


Disponible à l’adresse suivante :
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/valeur/80972
Consulté le 3 juin 2018

36
Définition de l’émotion. Dictionnaire Larousse
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/%C3%A9motion/28829
Consulté le 3 juin 2018

Article R4312-3 du Code de déontologie infirmier relatif au devoir d’humanité


Ordre National des Infirmier, novembre 2016
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.ordre-infirmiers.fr/assets/files/000/codedeonto_web.pdf
Consulté le 3 juin 2018

Article R4312-4 du code de déontologie infirmier relatif au respect des principes


fondamentaux
Ordre National des Infirmier, novembre 2016
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.ordre-infirmiers.fr/assets/files/000/codedeonto_web.pdf
Consulté le 3 juin 2018

ASKENAZY, Philippe ; BAUDELOT Christian. et al. Mesurer les facteurs


psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser, rapport du collège d’expertise
sur le suivi des risques psychosociaux au travail, mai 2010, 223 pages
Disponible à l’adresse suivante :
http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_SRPST_definitif_rectifie_11_05_10.pdf
Consulté le 3 juin 2018

Article R4312-12 du code de déontologie infirmier relatif à la continuité des soins


Ordre National des Infirmier, novembre 2016
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.ordre-infirmiers.fr/assets/files/000/codedeonto_web.pdf
Consulté le 3 juin 2018

Article 42 de la loi pénitentiaire de novembre 2009


Disponible à l’adresse suivante :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=6FDBF19ED8666871
5082764FD05964A8.tplgfr34s_1?idArticle=LEGIARTI000021329623&cidTexte=LEGI
TEXT000021329505&dateTexte=20180521
Consulté le 3 juin 2018

Podcast
Réparer les méchants. Mélanie van Kempen [podcast] Arte radio, 26-27 janvier 2017
Disponible à l’adresse suivante :
https://www.arteradio.com/son/61658289/reparer_les_mechants
Écouté le 3 juin 2018

37
VII. ANNEXES

38
IDE 1 IDE 2 IDE 3 IDE 4
Présentation de l’IDE
« Je suis diplômée « [...] je suis diplômé depuis « [...] je suis diplômée depuis « [...] j’ai commencé en septembre 2016
Année de diplôme depuis l’été 2015 » L3 juillet 2017 [...] » L3 juillet 2017 [...] » L4 [...] » L4
« 1 mois, 1 mois et demi de « [...] j'ai travaillé pour « [...] depuis août 2017 je « [...] j’ai commencé direct par la réanimation
service de médecine plusieurs services, j’ai travaille en chirurgie suite à un stage que j’avais fait en réa [...] »
Parcours depuis le
polyvalente d’urgence et j’ai travaillé aux urgences, en urologique [...] » L4-5 L4-5
diplôme fait un petit peu d’UHCD et médecine respiratoire et
d’urgence » L4-5 infectieuse [...] » L3-4
« Ca fait 2 ans, 2 ans et « [...] là je travaille en intérim « [...] c’est tout ce que j’ai fait « [...] pour l’instant j’ai fait que de la réa [...] »
demis que je suis en donc je fais un peu de tout depuis le diplôme. » L5 L8
Service actuel réanimation et en unité de mais surtout de la
soins continu » L6-7 chirurgie. » L5
Prise en charge d’un patient ayant commis un acte criminel
« […] on n’est pas sensé « Parfois les patients se « A son arrivé ont avaient « [...] la cadre était venu dans le service pour
savoir ce genre de chose. confient et peuvent nous aucunes informations, en prévenir qu’il y allait avoir un patient détenu,
Après la curiosité de donner eux même le motif ou tout cas moi j’en avais moi je n’étais pas là le jour ou elle a prévenu
l’équipe, en général à alors c’est en discutant avec aucunes et c’est des donc je l’ai su par mes collègues. » L13-15
chaque fois fait qu’il suffit les policiers qui nous donnent policiers avec qui j’ai « [...] normalement les patients détenus sont
d’avoir le nom et le prénom des informations comme la sympathisée qui étaient là la rentrés sous X à l'hôpital pour des questions
tu le tape sur internet et tu durée d’incarcération. » L14- nuit qui m’ont expliqué que l'extérieur ne sache pas qu’il est
as tout. » L20-22 16 pourquoi. » L11-13 hospitalisé, et pour éviter les risques
Connaissance des « […] certains de mes « On sait que si le patient a d’évasion. » L17-19
antécédents juridique du collègues qui refusent de le pris 10 ans fermes ce n’est « [...] le jour ou j’arrive je vois sur la
patient savoir car suivant les types pas un petit délinquant. » prescription que le patient n’est pas rentré
de crimes ils ont peur de ne L16-17 sous X [...] » L20-21
pas être capable de ne pas « [...] le personnel de la journée avait
s’en occuper. » L25-27 cherché ce qu’il avait fait sur internet et du
coup, quand moi je suis arrivé on m’a dit ce
qu’il avait fait. » L22-23
Valeurs personnelles
« […] c’est les choses « [...] ça va peut-être entrer « [...] comme un état d’esprit « [...] se sont des valeurs qui nous animent
auquel moi je crois » L30-31 en opposition avec les ou une façon d’être, nous en tant que personne. Ce sont des
« […] quelque chose qui valeurs soignantes qui sont auxquels on attache une choses qui sont indépendantes de nous
définit les personnes » L32- plus larges et qui vont importance pour sois, on fait parce qu’on ne peut pas les contrôler. » L26-
33 concerner tous les attention de la mettre à profit 28
« C’est aussi en fonction des infirmiers. » L28-29 tous les jours. » L24-25
valeurs personnelles de « Ce sont nos valeurs
chacun que tu accroches ou qu'elles soient politiques ou
Q1 : Comment définissez- pas avec les gens » L33-34 personnelles en termes
d'amitié ou de relation avec
vous les valeurs d'autres personnes hors du
personnelles ? contexte professionnel. »
L29-31
« Pour moi les valeurs
personnelles c'est la
personne qu'on est dans la
vie de tous les jours. C'est
en opposition avec les
valeurs professionnelles
[...] » L31-33
« […] je ne fais pas de « [...] dirais la fidélité, la « [...] j’attache beaucoup « Le respect ça c’est sûr » L34
distinction entre les loyauté. On ne laisse jamais d’importance et je tâche de « L’humilité aussi [...] » L35
personnes qui ont une quelqu'un derrière c'est l’être sur le respect, « [...] je pense que c’est les deux qui sont
Q1 : Quels sont vos
orientation sexuelle principalement ça, et le l’empathie et la sympathie. » pour moi les plus importantes sur le plan
principales valeurs différente, une origine partage. » L37-38 L28-29 personnel. » L35-36
personnelles ? différente » L37-39 « [...] l'entraide est aussi une
« Je dirais donc plutôt valeur importante. » L42
l’égalité » L40
« [...] quand je suis au travail « Ce sont ses valeurs-là qui « Si ont devait mettre un « Je mets un point fort pour respecter toutes
j’y suis avec mes valeurs m'ont guidés vers la vois pourcentage se serait de personnes que je prends en charge [...] »
personnelles. » L44-45 d'infirmier [...] » L40 l’ordre de 100% c’est à dire L39-40
Q1 : Quelle place « […] la personne que je suis « [...] je m’y retrouvai que l’empathie à laquelle « [...] moi je suis une personne assez
occupent vos valeurs dans la vie est la même que notamment dans ce côté j’attache une importance, le souriante, assez extravertie et que forcément
personnelles dans celle dans mon travail. » L46- aide à l'autre, le côté on est respect et la sympathie elle dans mon travail je mets un point d’honneur
l’exercice de votre métier 47 tous des êtres humains donc est clairement visible quand à faire pareil et d’ailleurs souvent les patients
? on doit s'entraider [...] » L41- je travaille. » L32-34 le disent, ils disent vous avez tout le temps le
42 sourire. » L42-45
Prise en charge d’un patient ayant commis un acte criminel
« […] en ce qui me concerne « Au début on a une petite « Je pense que sur le papier « Je pense que on n’est pas nous là pour
ça ne me change pas grand- appréhension car on se fait cela ne doit rien changer. » juger. Il y a des personnes qui font ce métier
chose […] » L50 une idée de l'univers L37 là, qui sont habilités à juger, moi c’est pas
« Je n’ai pas d’apriori sur les carcéral on s'attend avoir « [...] dans la réalité je pense mon travail [...] » L49-50
détenus, j’arrive facilement à une espèce de tueur que consciemment ou « [...] je pense que c’est pas pareil de
faire la part des choses » bodybuildé mais en général inconsciemment, et j’espère prendre en charge un patient qui a pu
Q2 : Que pensez-vous de L55-56 c'est des gens comme tout inconsciemment on fait une commettre des viols, des meurtres tout ça et
la prise en charge d’un le monde. » L44-46 différence, quand même. Ce un patient qui entre guillemet a fait un
patient ayant commis un « [...] mais sinon ouais c'est n’est pas normal, mais on le cambriolage [...] » L53-55
acte criminel ? un patient, moi de mon côté fait. » L38-40
j'essaie de ne pas me « [...] sur cet exemple là, je
renseigner sur ce qu'ils ont pense que j’ai moins raconté
fait parce que moi je prends de blagues, j’ai moins été
en charge mon patient puis vers le contact physique
la justice fait son travail et la avec lui. » L42-43
santé fait le siens. » L47-49
« […] pour le premier, je « [...] je pense que c'est « [...] comme dans mes « [...] je savais ce qu’il avait fait,
dirais que ça ne m’a pas l'avantage d'avoir fait une fac valeurs personnelles le effectivement ce n’est pas quelque chose qui
changé grand-chose dans le de droit avant arrivée en prendre en charge en tant me traumatisait par rapport à ce qu’il avait
sens où il s’est retrouvé études d'infirmier j'ai que patient est extrêmement fait donc quand je l’ai pris en charge, je l’ai
dans un état végétatif […] » dissocié les deux. » L53-54 important j’ai essayé de ne pris en charge comme un patient lambda. »
L72-73 « Mon travail n'était pas de faire aucune différence entre L60-62
« Sur l’autre détenu, j’arrive savoir si ce qu'il avait fait les deux. » L47-49 « C’est peut être ça qui a été mon erreur du
facilement à faire la part des était bien ou mal mais je me coup, parce que je me suis peut-être un peu
Q2 : Comment avez-vous choses quand ont rentrent suis plus ou moins rapporté trop laissé amadouer [...] » L62-64
vécu la prise en charge dans la chambre […] » L79- au serment d'Hippocrate, ont
d’un patient ayant commis 80 soignent tout le monde et ce
[…] dès l’instant qu’il y a un n’est pas à nous de poser
un acte criminel par minimum de confiance qui les questions. » L54-56
rapport à vos valeurs s’instaure qu’ils soient détenu
personnelles ? ou pas ça ne change pas
grand-chose […] L82-83
Les émotions du soignant
« […] les réactions qu’on va « C'est à la fois un outil et à « [...] c’est les choses que « Ce sont des sentiments qui sont propre à
avoir vis à vis du patient la fois un danger. C’est que l’on va mettre en œuvre chacun, des choses qui peuvent nous
[…] » L116-117 les émotions, il faut savoir consciemment ou toucher plus ou moins … et qui peuvent
« [...] que ce soit triste les reconnaître et ne pas les inconsciemment et qui vont interférer dans notre prise en charge [...] »
heureux peut importe ça va laisser nous déborder. » avoir des répercussions sur L82-84
être les émotions qui vont L63-64 notre manière de travailler. » « [...] en terme d’émotions il y a la peur, la
être créés par la prise en « Que ce soit la peur, L51-53 tristesse, l’angoisse, la joie. » L84-85
charge du patient […] » l'appréhension, la colère, « Je pense que si l’on n’a pas d’émotions en
Q3 : Comment définiriez- L118-119 des choses comme ça on étant soignant on n’est pas un bon soignant
peut les ressentir mais il faut car ça fait partie de la prise en charge totale
vous les émotions du savoir aussi les détecter et c’est ce qui fait que l’on apporte un plus
soignant ? pour prendre en soin le dans notre prise en charge. » L88-90
patient et savoir passer la
main si on n’arrive pas à les
gérer. » L64-67
« On ne peut pas éteindre
ses émotions quand on est
au travail mais on doit les
gérer parce qu'on est
professionnel. » L67-68
« […] les émotions sont très « Une place assez faible en « Ont aiment tous à se dire « Je pense une grande place, je pense que
importantes, elles peuvent fait, parce que du coup je que l’on ne met pas nos je fonctionne beaucoup au feeling avec les
très bien être bénéfique vois plus l'infirmier comme émotions, que l’on est là patients. » L94-95
comme elles peuvent un professionnel et pas une pour travailler, je pense que « [...] je mets un point d’honneur à être avec
totalement entraver ta prise simple none qui s'occupe ce n’est pas vrai. » L56-57 les patients comme je suis dans la vie de
en charge. » L125-127 des gens [...] » L70-71 « [...] elles occupent une tous les jours et que après quand je suis
« […] si tu t'investis un petit « On est censé rationaliser place extrêmement triste malheureusement ça peut se voir de
Q3 : Quelle place peu trop, tu as trop de le soin et pas importante c’est évident temps en temps. » L95-97
sympathie ça peut te bouffer l'émotionnaliser. » L72-73 après je fais en sorte que « Je pense que les émotions positives c’est
occupent vos émotions
[…] » L129-130 mes émotions qui n’ont rien très bien de les mettre dans la prise en
dans la prise en charge « […] quand ça fait un à voir avec ce patient-là ne charge mais dans les négatives il faut
des patients ? moment que tu le prends en l’impact pas. » L63-64 essayer de les contrôler. » L102-103
charge et que régulièrement
tu te prends de l’agressivité
en pleine figure il arrive un
moment où on reste humain
on n’est pas des machines
on a envie de répondre. »
L135-137
« […] ça nous arrive même « Bah j'essaie de le voir « [...] il a été très violent une « [...] il y avait aucuns jugements de ma part,
régulièrement de passer la comme un patient j'allais dire nuit envers une des policière pour moi la prise en charge a été vraiment
main. » L143-144 normal, mais comme un qui était là, et en effet j’ai pareille. » L110-111
autre patient non criminel et changé je pense « Mais il n’y avait aucunes peurs, aucunes
essayer de ne pas laisser inconsciemment et angoisses et c’était vraiment des émotions
Q3 : Comment gérez-vous des émotions prendre le maintenant en y comme celles que je peux avoir
vos émotions lors la prise dessus [...] » L75-76 réfléchissant, j’ai changé habituellement quand je prends un patient en
en charge d’un patient « Normalement, je suis en dans le sens où j’étais plus charge. » L113-115
criminel ? train de faire un soin qui est sa copine dans la relation
bien pour lui donc j'ai pas de que j’avais avec lui [...] »
raison d'avoir des soucis L70-72
avec lui. » L79-80

Mécanismes de défense
« [...] c’est ce que met en « Ce sont des « [...] c’est ce que l’on met en « Ce sont des attitudes qu’ont adoptent pour
place le soignant quand il est comportements inconscients œuvre, encore une fois, se défendre de choses qui peuvent nous
en difficultés. » L158-159 que l’on va mettre en place consciemment ou attaquer nous personnellement et donc des
« […] c’est l’infirmier qui quand l’on se retrouve dans inconsciemment pour se réactions que l’on n’aurait pas en temps
lorsqu’il ne maîtrise plus une des situations difficiles. » protéger sois et pour ce que normal [...] » L117-119
Q4 : Pouvez-vous me dire
situation use de stratèges L106-107 l’on pense parfois être de « [...] quand on se sent vulnérable face à une
ce que sont pour vous les pour s’en échapper. » L162- « Le fait de refouler certaines protéger le patient. » L80-82 situation. » L119
mécanismes de défense ? 163 pensées ou des émotions et
de ne pas entendre certaines
informations parce que notre
cerveau n’est pas prêt à le
traiter. » L107-109
« […] on va d’avantages « [...] quand je les repères « Je n’ai pas l’impression « On a tous forcément des mécanismes de
faire attention car on sait dans la prise en soins d’en avoir spécialement mis défenses, mais je pense que je ne m’en
pertinemment que c’est des j’essaye de comprendre en œuvre mis à part ce rends pas compte. » L122-123
Q4 : Quelle place donnez- gens qui ont à faire à la loi comment ils sont arrivés là moment ou du coup il a été « [...] mon mécanisme de défense a été très
donc ils peuvent très vite pour prendre en soins le violent [...] » L85-87 simple car après le problème, j’ai refusé de le
vous aux mécanismes de
aller s’amuser à aller porter patient de la meilleure des prendre en charge et j’ai demandé à un de
défense lors de la prise en plainte ou à se plaindre. » manières possibles en mes collègues de prendre la suite de la prise
charge d’un patient ayant L190-192 évitant que les instincts en charge. Donc la pour le coup ça a été
commis un acte criminel ? prennent le dessus et éviter quelque chose de très clair. » L131-134
de considérer le patient
comme quelqu’un de
dangereux. » L113-116
Q4 : Dans quelle mesure
ce mécanisme de défense
vous a-t-il permis de vous
soustraire de cette
situation ?
Valeurs professionnelles
« C’est quelqu’un qui doit « C’est des valeurs qui sont « J’ai du mal à faire la « [...] ça revient un peut à la question sur les
mettre tout le monde sur un en théorie commune à toute distinction entre mes valeurs valeurs personnelles, pour moi c’est des
pied d’égalité pour moi une la profession c’est à dire de personnelles et valeurs auxquels je pense quand je prends
des valeurs principale. » L ne pas juger les patients, de professionnelles [...] » L96- en charge un patient et je pense que mes
209-210 respecter les patients, d’être 97 valeurs personnelles sont proches de mes
« […] on n’est pas là pour dans la bientraitance, de « Je ne fais pas de valeurs professionnelles. » L147-149
juger les gens, on n’est pas respecter leurs choix de vie, distinction entre les deux. » « [...] je pense que mes valeurs personnelles
Q5 : Comment définiriez- la justice, on n’est pas là je pense que le respect du L100 sont proches de mes valeurs
vous les valeurs pour ça. » L211-212 consentement est quelque « [...] je ne joue pas un rôle professionnelles. Pour moi les deux sont très
professionnelles d’un « […] il faut être impartial chose de très important. » quand je suis au travail, je proches car je pense que je suis dans ma vie
infirmier ? […] » L218 L124-127 suis souriante avec plaisir, professionnelle un peu comme je suis dans
« La solidarité dans l’équipe c’est naturel. » L110-111 ma vie personnelle. » L148-151
parce qu’on fait un travail qui « [...] quand j’ai une
n’est pas toujours facile et discussion avec quelqu’un
on a besoin d’une équipe que je ne connais pas dans
derrière nous qui peut nous la rue j’aurais le même
soutenir [...] » L127-128 comportement qu’avec l’un
de mes patients. » L114-116
« […] elles les ont forgés « Il y a eu des temps à l’IFSI « Je pense que je les avais « Je pense que du coup je les avais avant, je
forcément oui, après je notamment les temps de avant, maintenant mes ne pense pas que ce soit mes études qui
pense que je les avais déjà retour de stage qui nous études m’ont permis de m’ont permis de construire mes valeurs
comme toutes personne qui permettaient de parler de savoir ce que surtout je ne professionnelles. » L154-155
rentre à l’IFSI […] » L230- situation qu’ont avaient vécu voulais pas être et pas « [...] surement que je les développe plus
Q5 : Dans quelle mesure 231 et qui nous avaient faire. » L119-120 aujourd’hui en tant que professionnelle mais
« […] c’est aussi les stages questionnés. » L133-134 « J’ai compris l’importance je pense que j’avais pas mal de valeurs
pensez-vous que vos
qui t’aident à les façonner. « [...] c’est surtout dans les de garder mes valeurs et professionnelles que j’avais de base en
études ont favorisés Ca dépend aussi sur quels stages où la rencontre des que le jour où je les ais plus valeurs personnelles. » 157-159
l’émergence de valeurs soignants tu tombes […] » professionnelles forge nos il faut que je me remettre en
professionnelles ? L236-237 valeurs. » L135-136 question et pourquoi pas
« […] si tu n’as pas un « [...] je considère que j’ai changer de métier. » L120-
personnel qui est là pour été plus formé pendant mes 122
t’aider et qui à ces valeurs stages qu’à l’IFSI parce que
aussi tu ne peux pas les c’était beaucoup de
acquérir. » L240-241 blablas. » L139-140
Concilier valeurs personnelles et professionnelles
« Pour moi mes valeurs sont « [...] ça se concilie plutôt « J’arrive avec mes valeurs « Pour moi les deux sont liés, je ne me pose
les même que je sois au bien. C’est à dire que les personnelles et je ne les pas la question. En fait pour moi on est une
travail ou pas […] » L246 valeurs que j'avais déjà laisses pas au vestiaire. Mes seule et même personne. » L162-163
« Avant ont disaient aux personnellement composent valeurs personnelles
élèves infirmier qu’ont bien avec les valeurs m’accompagnent tous les
posaient nos émotions et soignantes » L143-145 jours, toutes les minutes
nos problèmes personnelles « De ne pas juger les gens, dans mon travail. » L125-
Q6 : Comment conciliez- au vestiaire mais je suis de tolérer les différences, 127
vous vos valeurs désolé ce n’est pas quelque des choses comme ça qui se
personnelles et chose qui est possible […] » retrouvent bien dans le
professionnelles dans L247-249 métier d’infirmier. » L145-
l’exercice de votre métier « […] tu es ce que tu es 147
? donc pour moi mes valeurs « Du coup même, je vais
personnelles c’est aussi mes confondre les valeurs
valeurs professionnelles personnelles et
c’est ce que je suis. » L250- professionnelles car il y en a
252 je ne sais pas si je les
considère comme
personnelles ou
professionnelles. » L149-150
« [...] en ce qui me concerne « Je pense que certains « Je suis évidemment pas « Qu’il ait fait des erreurs grave dans sa vie
le passé du patient n’a pas crimes sont trop graves pour d’accord avec son passé cela ne me concerne pas. » L172
d’incidences dans ma prise qu’on puisse prendre en criminel, c’est à dire l’acte « [...] c’est pas dans mes valeurs ce qu’il a fait
en charge. » L261-262 soins le patient. » L154-155 criminel ça ne correspond mais je ne doit ne pas en tenir compte pour
« [...] j’ai eu des stages qui « [...] des criminels comme pas du tout à mes valeurs assurer au patient une bonne prise en
m’ont prouvés que j’étais des pédophiles ou des personnelles, en revanches charge. » L173-175
Q6 : Dans quelle mesure capable de me décharger de violeurs j’aurai eu du mal à mes valeurs personnelles
le passé criminel d’un ça. » L271-272 passer outre car ça va trop à sont aussi que tout le monde
« [...] le fait de pouvoir passer l’encontre de mes valeurs a le droit d’être soigné [...] »
patient intervient-il dans la
la main et de tourner dans les pour que je les prenne en L131-133
confrontation de vos secteurs ça nous évite aussi soins comme un patient « [...] tout le monde a le droit
valeurs personnelles et justement d’être trop investi normal. » L156-158 à des soins de même qualité
professionnelles ? sur une prise en charge et « Même si en théorie ont et donc c’est ça qui prend le
qu’on se confronte trop avec soignent tout le monde mais dessus dans ma tête au lieu
nos valeurs personnelles et je pense qu’il y a certaines de me concentrer sur son
qu’au bout d’un moment ça personnes… Par exemple passé criminel. » L134-136
dérape. » L278-281 est ce que j’aurais sauvé
Adolf Hitler [...] » L161-163
Conflit de valeurs
« [...] leur passé criminel c’est « Si ces valeurs sont « [...] demain on t'amène un « [...] ce que je pense c’est que ma prise en
une chose moi je m’intéresse beaucoup trop éloignés des terroriste qui vient de charge pourrait être différente même si je dit
plus à ce qu’ils sont face à tiennes tu vas avoir un gros commettre un attentat, c’est que je ne suis pas juge dans le cas où
moi. » L302-303 décalage et ne vas pas évidemment pas dans mes j’apprend que un patient détenu a violer, a
« [...] quand j’ai en face de pouvoir entre guillemets valeurs que de tuer des tuer, tout ça je pense que ça serait
moi quelqu’un qui va me comprendre ton patient [...] » gens, évidement, par contre compliqué pour moi même si je dis qu’on est
Q7 : Comment respecter je vais le respecter L167-168 c’est dans mes valeurs pas juge. » L179-182
l’association des valeurs aussi car c’est ce qu’on nous « Tu vas faire le soin personnelles et « [...] c’est là ou le personnel influe sur le
personnelles et a appris et c’est comme ça technique mais tu vas moins professionnelles que tout le professionnel car nous on doit prendre en
professionnelles peuvent- que je suis [...] » L305-306 t’investir dans la relation monde a le droit à des charge n’importe quelle personne de la
elles entrer en conflit dans avec ton patient. » L170-171 soins. » L140-143 même manière et ça ne doit pas interférer
une prise en charge d’un « Tu vas te protéger, tu vas « Ça va être un conflit normalement dans notre prise en charge. »
patient ayant commis un te dire je vais m’investir un interne mais le patient sera L184-186
acte criminel ? minima avec lui, je vais faire traité comme n’importe quel
mon travaille à minima, je autre patient. » L143-144
vais le soigner point et il va « Par contre, demain sur un
rentrer chez lui. » L172-174 violeur d’enfant je ne sais
pas si je vais réussir.
J’espère, c’est mon idéal. »
L145-147
« Je dirais que j’arrive « [...] me protéger en restant « J’ai occulté complètement, « [...] comme je savais ce qu’il avait fait je
facilement à passer au- juste dans le technique c’est c’est à dire que je ne rentrais n’avais pas trop de problèmes avec ça c’est
dessus [...] » L315 bête et méchant et du coup pas dans sa chambre en me plutôt lui, ce qu’il a fait, il sera jugé pour ça. »
« [...] on est une équipe qui ça demande moins de disant “ah c’est celui qui a L189-190
parle beaucoup à côté donc réflexion, moins fait ça” » L150-151 « Dans le sens où je n’avais pas de peurs,
c’est facile d’évacuer les d’investissement pour moi je me devais de le prendre en
Q7 : Comment avez-vous choses que tu as sur le cœur sentimental. » L178-180 charge car c’est un patient à prendre en
surmontés vos propres [...] » L316-317 charge comme n’importe qui. » L193-194
valeurs en vue de la prise « Le fait de savoir qu’on peut « [...] je ne me suis pas dit que je prenais en
en charge d’un patient facilement passer la main à charge un détenu. » L199-200
ayant commis un acte quelqu’un d’autre et qu’on
criminel ? sait que pendant deux jours
ont l’aura pas en charge
c’est plus facile de prendre
sur soit [...] » L323-325
« [...] nous dans les « Non ! » L183 « [...] c’était en oncologie, « Non, [...] Après quand il y a des
chambres on est deux donc « J’en ai fait abstraction en une patiente plus ou moins désaccords sur des soins, des choses qui
c’est plus facile de faire un me concentrant juste sur la en soins palliatif qu’on nous a peuvent interférer sur mes valeurs
soin sur quelqu'un avec qui technique. » L185 demandé de préparer pour professionnelles je pense qu’il y a toujours
tu n’es pas du tout en accord « Elle est peut-être d’un peu descendre au bloc pour une moyen de discuter avec d’autres médecins,
quand tu es deux car tu te moins bonne qualité mais ponction d’ascite. » L158- d’autres infirmiers. » L207-212
soutiens. » L349-351 elle est présente quand 160
même. Plus vite c’est fait « J’étais étudiante infirmière
plus vite c’est passé. » L187- et avec mon infirmier on a
188 stoppé net en disant qu’il était
hors de question parce que
de toute façon elle ne
tiendrait même pas le fait
d’être transférée sur un
brancard. » L160-162
« [...] la ponction d’ascite a
été faite au lit et ensuite le
Q7 : Avez-vous déjà même jour deux heures
refusé une prise en après on nous a demandés
de préparer tout ce qu’il faut
charge ou un soin car il
pour que le lendemain elle
n’était pas en accord avec soit transférée en unité de
vos valeurs personnelles soins palliatif, ce que l’on a
et professionnelles ? refusé car de toute façon
encore une fois elle ne
tiendrait pas le transfert sur le
brancard. Et cette dame est
décédée deux heures plus
tard. » L163-167
« [...] c’était contre mes
valeurs d’acharnement
thérapeutique [...] » L167-
168
La relation soignant soigné
« Une relation soignant « C’est une relation qui doit « Pour moi la relation « Pour moi, je pense que la relation soignant
soigné ça peut très bien être être équitable. » L191 soignant soigné c’est une soigné elle est forte [...] » L214
sur quelques heures aux « Tu dois lui donner les relation qui doit être si « [...] j’ai besoin de créer un lien avec le
urgences ou sur des années informations nécessaire à lui possible dans le meilleur des patient. » L215
en EHPAD. » L357-359 permettre d’avoir un monde de qualité ce qui « [...] je mets un point d’honneur à essayer
« [...] elle peut être soit très consentement qui est le n’est malheureusement pas de créer une relation de confiance, de
agréable ou au contraire très siens et pas selon toi ce qui toujours le cas. » L175-177 rigolade aussi si je puis dire. » L217-218
épuisante sur le long est le mieux pour lui. » L193- « [...] la relation entre nous
Q8 : Comment définissez-
terme. » L363-364 194 personnel soignant qui
vous la relation soignant « Enfin nous on est juste pouvons apporter quelque
soigné ? entre guillemets un outil pour chose à un soigné. Dans
le patient car il n’a pas les mon monde à moi, elle est
capacités physique de le de qualité. » L178-179
faire ou alors il n’est pas
formé pour le faire et du
coup on le fait à sa place
mais toujours pour lui. »
L201-204
« [...] j’explique toujours à « Elle se met en place à la « Elle se met en place naturellement quand
mes patients ce que je vais première seconde ou tu je suis avec le patient. » L227
faire et pourquoi je le fais et rentres dans la chambre du « Comme j’aime bien rigoler avec eux
je leur laisse la possibilité de patient. » L181-182 souvent c’est comme ça que j’aborde mes
le refuser un soin s’ils ne « C’est à dire que le toc toc, patients ça me permet de créer tout de suite
« A chaque fois que je suis veulent pas. » L206-207 oui entrez, bonjour, sourire, un contact pour ensuite faciliter nos
avec un patient cette relation « [...] tu leurs dit nous on c’est moi l’infirmière C… échanges. » L227-229
Q8 : Comment cette soignant soigné se met en pense que ça c’est mieux infirmière de nuit c’est 70% - « Je pense aussi que la relation que j’ai avec
place. » L420-421 pour vous si vous êtes 80% de ta relation soignant mes patients est complètement liée à mon
relation se met elle en
« [...] parfois même avant d’accord on le fait si vous soigné qui est gagnée. » attitude dans les premières secondes de la
place dans votre exercice d’être dans la chambre, on n’êtes pas d’accord on va L182-183 prise en charge. » 229-231
professionnel ? est dans le couloir et le essayer de trouver autre
premier contact est très chose mais ça ne va pas
important. » 422-423 être aussi efficace. » L210-
212
« Pour moi c’est ce qui va « [...] la même place qu’un « Du coup moi au début ou « Bah comme je disais pour moi la relation
faire ta prise en charge c’est autre patient, c’est en théorie je me suis occupé de lui je soignant soigné elle doit être pareille, elle
à dire le premier rapport que un patient comme un autre n’étais pas au courant du doit être naturelle, ne pas avoir de peurs ou
tu vas avoir avec lui et on doit le prendre en pourquoi du comment donc d'aprioris parce que sinon ça peut être
justement cette relation charge de la même façon. » je n’ai rien changé à ce que compliqué et ça impliquerait de ne pas
Q8 : Quelle place avez- soignant soigné et le rapport L215-216 j’ai dit avant c’est à dire que prendre en charge comme je prendrais en
vous donné à la relation que tu as avec eux va définir « Il a une privation de liberté les premières secondes font charge un autre patients. » L234-237
soignant soigné dans la la prise en charge que tu vas vu qu’il a commis un crime tout. » L186-188 « Moi quand j’ai des patients détenus je
prise en charge d’un avoir sur le long terme avec mais ce n’est pas une « Une fois que j’ai su le préfère vraiment, ne pas savoir pourquoi ils
patient criminel ? lui [...] » L426-428 abolition totale de ces pourquoi du comment ça n’a sont là. Parce que ça pourrait influencer ma
libertés donc il a toujours le rien changé jusqu’au prise en charge, ma relation soignant soigné
droit de dire non à un soin. » moment où il a commencé à et ce n’est pas forcément bénéfique. » L237-
L216-218 être violent. » L189-190 239
« Ça reste un être humain. »
L219
La juste distance professionnelle
« [...] la juste distance pour « Les patients ne doivent « Pour moi, elle représente « Un terme très théorique, pour moi qui dans
moi il faut suffisamment entre guillemets jamais un peu la clef, une des clefs la réalité n’a pas lieux d’être. » 241-242
avoir de relation poussés devenir des amis, une de notre métier. » L199 « [...] à l’école on nous répétait “ouïe la
dans le sens ou la personne relation c’est une relation « Elle n’est pas toujours distance professionnelle, patati patata, il ne
en face de toi va avoir professionnelle. » L221-222 facile à tenir. Pour moi elle faut pas trop s’impliquer dans la prise en
confiance et va pouvoir se « C’est une relation avec son l’est, par contre je me rends charge d’un patient” en fait si tu t’impliques
livrer [...] » L440-441 infirmier mais du coup une de plus en plus compte que pas, au bout d’un moment ça n’ira pas non
« On a pas à introduire notre fois que je ne suis plus son pour les patients elle n’est plus. » 243-245
vie personnelle car à partir infirmier j’ai plus besoin pas toujours claire. » L201- « Moi je m’implique, alors oui des fois le
du moment où tu fais d’avoir cette relation de 203 décès d’un patient ça va être compliqué
Q9 : Que représente pour intervenir ta vie personnelle confiance ou de partage « [...] il y a des patients qui quand tu t’es beaucoup impliqué dans la
vous la juste distance c’est tout de suite plus avec lui. » L222-224 se permettent des réflexions prise en charge. Et bah en fait si tu as besoin
professionnelle ? compliqué [...] » L451-452 qui ne sont plus du tout dans d’aller pleurer dans les toilettes cinq minutes
la distance de soignant à pour souffler et bah tu le fait. » L245-248
soigné, dans la distance
professionnelle. » L203-204
« Il n’y a pas de différences, « [...] j’essaye d’en faire « Je n’ai pas eu de difficultés « [...] au début effectivement peut être que ça
moi ça m’est arrivé avec le abstraction et de me avec lui à la gérer. » L214 a été trop loin, peut être que j’aurais dû plus
détenu de parler de tout et comporter de la même façon me méfier. » L274-275
de rien après il avait une que je me comporterai avec « Moi comme je disais, j’y suis allé en me
facilité déconcertante à un patient non criminel. » disant, il faut prendre en charge ce patient
parler de son acte, ça par L228-229 comment n’importe qui. Au final je ne pense
Q9 : Comment gérez-vous contre c’est particulier. » « [...] le fait d’enlever ces pas que j’aurais du faire les choses
L463-465 pinces Kocher et ces autrement. » L275-277
cette juste distance avec ciseaux de sa poche et
ce patient ? même les stylos avant
d’entrer dans la cellule parce
que potentiellement il y a
danger, bah ça nous
rappelle que ce n’est pas un
patient comme les autres. »
L234-236
Guide d'entretien :
● Pouvez-vous vous présenter ?
○ Depuis quand êtes-vous diplômé ?
○ Depuis quand êtes-vous dans ce service ?
○ Dans quel(le)s autres structures/services avez-vous exercé ?
● Vous avez pris en charge un patient ayant commis un acte criminel, pouvez-
vous me présenter le patient et les informations que vous aviez sur lui au
moment de la prise en charge ?

1. Comment définissez-vous les valeurs personnelles ?


a. Quelles sont vos principales valeurs personnelles ?
b. Quelle place occupent vos valeurs personnelles dans l’exercice de
votre métier ?

2. Que pensez-vous de la prise en charge d’un patient ayant commis un


acte criminel ?
Comment avez-vous vécu la prise en charge d’un patient ayant commis
un acte criminel par rapport à vos valeurs personnelles ?

3. Comment définiriez-vous les émotions du soignant ?


a. Quelle place occupent vos émotions dans la prise en charge des
patients ?
b. Comment gérez-vous vos émotions lors la prise en charge d’un patient
criminel ?

4. Pouvez-vous me dire ce que sont pour vous les mécanismes de défense


?
a. Quelle place donnez-vous aux mécanismes de défense lors de la prise
en charge d’un patient ayant commis un acte criminel ?
b. Dans quelle mesure ce mécanisme de défense vous a-t-il permis de
vous soustraire de cette situation ?

5. Comment définiriez-vous les valeurs professionnelles d’un infirmier ?


Dans quelle mesure pensez-vous que vos études ont favorisées
l’émergence de valeurs professionnelles ?

6. Comment conciliez-vous vos valeurs personnelles et professionnelles


dans l’exercice de votre métier ?
Dans quelle mesure le passé criminel d’un patient intervient-il dans la
confrontation de vos valeurs personnelles et professionnelles ?
7. Comment l’association des valeurs personnelles et professionnelles
peuvent-elles entrer en conflit dans une prise en charge d’un patient
ayant commis un acte criminel ?
a. Comment avez-vous surmonté vos propres valeurs en vue de la prise
en charge d’un patient ayant commis un acte criminel ?
b. Avez-vous déjà refusé une prise en charge ou un soin car il n’était pas
en accord avec vos valeurs personnelles et professionnelles ?
I. Si oui, pourquoi ?
II. Si non comment trouvez-vous les ressources pour faire
abstraction de vos valeurs personnelles et respecter vos valeurs professionnelles ?

8. Comment définissez-vous la relation soignant-soigné ?


a. Comment cette relation se met-elle en place dans votre exercice
professionnel ?
b. Quelle place avez-vous donné à la relation soignant-soigné dans la
prise en charge d’un patient criminel ?

9. Que représente pour vous la juste distance professionnelle ?


Comment gérez-vous cette juste distance avec ce patient ?
Entretien C.C N°1
1 Théo : Est-ce que tu peux te présenter, depuis quand tu es diplômé, dans quel service
2 tu travailles, depuis quand tu y es et un peu ton parcours depuis ton diplôme ?
3 IDE 1 : Alors je suis diplômée depuis l’été 2015 ça va faire trois ans, j’ai fait un petit
4 peu mais alors très peu un mois, un mois et demi de service de médecine polyvalente
5 d’urgence et j’ai fait un petit peu d’UHCD et d’urgences mais principalement de la réa
6 donc ça fait deux ans, deux ans et demi que je suis en réanimation et en unité de soins
7 continus car mon service fait les deux.
8 Théo : Très bien, et du coup moi je t’ai sélectionné car tu m’as dit que tu avais pris en
9 charge un patient criminel est-ce que tu peux me parler de lui, ce que tu savais au
10 moment de sa prise en charge ?
11 IDE 1 : Alors j’en ai pris plusieurs en charge car nous, quand les détenus ont des
12 soucis que ce soit à la prison de St Maur, à la prison de haute sécurité ou le Craquelin
13 qui est plus une prison avant jugement, c’est redirigé sur Châteauroux, a part bien sûr,
14 si la prise en charge nécessite une spécialité qu’on n’a pas. Donc quand on les a on
15 sait qu’ils sont détenus parce qu’on a forcément les policiers, on a un règlement qui
16 fait que tout le temps, constamment il y a obligatoirement deux policiers qui sont
17 présents 24/24h.
18 Théo : D’accord et du coup tu as les infos, tu sais ce qu’il a commis ou combien
19 d’années il doit effectuer ?
20 IDE 1 : Alors sur le principe non car on n’est pas sensé savoir ce genre de choses.
21 Après la curiosité de l’équipe, en général à chaque fois fait qu’il suffit d’avoir le nom et
22 le prénom tu le tapes sur internet et tu as tout.
23 Théo : D’accord et c’est quelque chose que vous faites, de vous renseigner ?
24 IDE 1 : Après oui certains pas tous, moi je l’ai jamais fait on me l’a toujours dit aux
25 transmissions donc quand on sait, on sait hein voilà on y peut rien. J’ai certains de
26 mes collègues qui refusent de le savoir car suivant les types de crimes ils ont peur de
27 ne pas être capables de ne pas s’en occuper.
28 Théo : Ok, merci du coup la première question, est-ce que tu peux me définir ce que
29 sont pour toi les valeurs personnelles ?
30 IDE 1 : Les valeurs personnelles ? Ouh là c’est compliqué ça (rire) c’est les choses
31 auxquelles moi je crois, que je considère, que j’ai envie de garder. Les choses
32 auxquelles je crois, pour moi, les valeurs personnelles sont quelque chose qui définit
33 les personnes. C’est aussi en fonction des valeurs personnelles de chacun que tu
34 accroches ou pas avec les gens. C’est souvent quand tu as des valeurs personnelles
35 en commun que tu te fais des amitiés que tu fais un cercle d’amis.
36 Théo : D’accord et quels sont toi tes principales valeurs personnelles ?
37 IDE 1 : Hum … Je dirais que je ne sais pas comment le dire mais je ne fais pas de
38 distinction entre les personnes qui ont une orientation sexuelle différente, une origine
39 différente je ne sais pas je ne fais pas de distinction, je m’en fous d'où viennent les
40 personnes et de ce qu’ils sont. Je dirais donc plutôt l’égalité … je m’attarde beaucoup
41 plus à leurs valeurs plus que d'où ils viennent.
42 Théo : Quelle place occupent tes valeurs personnelles dans l’exercice de votre métier
43 d’infirmière ?
44 IDE 1 : Bah c’est très simple elle est super importante car quand je suis au travail j’y
45 suis avec mes valeurs personnelles. Je ne peux pas arriver dans mon service et
46 devenir une autre personne, donc forcément la personne que je suis dans la vie est la
47 même que celle dans mon travail.
48 Théo : Que penses-tu de la prise en charge d’un patient qui a commis un acte criminel
49 ?
50 IDE 1 : Hum … alors moi en ce qui me concerne ça ne me change pas grand-chose
51 dans le sens où je n’ai pas été habituée à être avec des détenus mais mon père a été
52 gardien de prison, il est lieutenant dans la pénitentiaire il a été employé en Corse où
53 tu as la seule prison ouverte d’Europe c’est-à-dire que tu n’as pas de barreaux tu n’as
54 rien. Moi j’ai été plusieurs fois en vacances là bas où les détenus je les croisais et il y
55 a 80% de détenus qui sont là bas pour meurtre. Je n’ai pas d’apriori sur les détenus,
56 j’arrive facilement à faire la part des choses. Après en réa, la plupart du temps au début
57 ils sont endormis et quand ils sont réveillés ils sont forcément attachés. Donc
58 forcément tu as une peur qui peut s’écarter et quelqu’un qui est en réa qui se réveille
59 on en a certains qui ne sont pas détenus et qui n’ont pas d’antécédents criminels, ils
60 peuvent être très violents parce qu’ils sont perdus, ils ne savent pas ce qu’il se passe
61 et en plus certains ont même des hallucinations donc quand ils sont persuadés qu’on
62 veut les tuer ils ont des réactions très violentes et je dirais même plus qu’un détenu.
63 Donc la situation de violence on la connaît déjà on la vit quotidiennement.
64 Théo : Du coup ; le patient qui n’est pas incarcéré n’a pas les policiers pour réagir ?
65 IDE 1 : Non il n’y a pas les policiers, après la seule différence qu’il va y avoir c’est
66 qu’on a la police parce qu’on a forcément deux policiers et les détenus ont forcément
67 les entraves qu’aux pieds. Après, nous quelqu’un qui se réveille qu’il soit détenu ou
68 pas il est forcément attaché. Après voilà c’est un protocole spécifique au service mais
69 quand il se réveille il est forcément attaché.
70 Théo : Ok d’accord et comment toi tu as vécu la prise en charge de ces patients par
71 rapport à tes valeurs personnelles ?
72 IDE 1 : Alors pour le premier, je dirais que ça ne m’a pas changé grand-chose dans le
73 sens où il s’est retrouvé dans un état végétatif donc de toute façon il ne nous aurait
74 pas sauté dessus et c’est plus la famille où c’était particulier. Il avait une famille,
75 comme d’autres en ont, qui n’ont pas commis d’actes criminels, mais il avait une famille
76 qui jouait un petit peu là dessus, sur la peur qu’ils pouvaient instaurer sur le personnel
77 médical et paramédical, c’est là où c’est le plus délicat, parce que la violence des
78 familles c’est particulier. Parfois on a même plus de problèmes avec une famille qui va
79 être violente, plus que les patients. Sur l’autre détenu, j’arrive facilement à faire la part
80 des choses, quand on rentre dans la chambre après je dirais pas que je suis hyper
81 rassurée, j’aime bien quand il y a quelqu’un d’autre mais la première c’est la plus
82 importante qu’on va avoir avec la personne dès l’instant qu’il y a un minimum de
83 confiance qui s’instaure qu’ils soient détenus ou pas ça ne change pas grand-chose,
84 en tout cas de mon point de vue, c’est vraiment plus ce premier rapport qu’il va y avoir
85 je ne fais jamais totalement confiance parce qu’on, sait pertinemment qu’ils sont
86 capables de passer à l’acte après. Il y a des circonstances qui sont différentes selon
87 les actes criminels mais c’est plus cette instauration de confiance dont j’ai besoin.
88 Quand la personne n’est pas agressive envers moi-même, si je vais être méchante, la
89 prise en charge va être la même et on a un chef de service qui insiste énormément là-
90 dessus sur le fait que la prise en charge doit être la même pour tous les patients.
91 Théo : D’accord ok, parce que du coup le patient qui est détenu a le droit de voir sa
92 famille ?
93 IDE 1 : Alors ça, ça dépend, en règle général il y a des interdictions. Alors nous le
94 deuxième, il n’avait pas de famille donc ça réglait les soucis mais sur le premier, à la
95 base personne n’avait le droit de visite. Personne n’était même sensé savoir qu’il était
96 hospitalisé. Le problème c’est qu’à l’intérieur de la prison il y a dû y avoir des fuites, je
97 ne sais pas forcément, mais ils ont su qu’il était en réa et c’est à partir de ce moment-
98 là où c’était compliqué parce que la famille a appelé et a commencé à mettre un poids
99 sur l’équipe Paramé, pour dire de toutes façons on va venir, que vous le vouliez ou
100 non, s’il faut forcer on forcera. C’est plus le côté familial qui était très pressant de ce
101 côté-là, même s’ils n’ont pas le droit de venir, quand ils sont là on ne peut pas y faire
102 grand-chose, même si la police est là. Dans ce cas-là on doit alléger les tensions il y
103 a eu une autorisation de visite mais normalement les autorisations de visite ne sont
104 que pour une certaine personne de la famille, ou les policiers font signer un registre
105 comme quoi ils sont venu, ils sont repartis avec telle ou telle personne. Après en
106 fonction de l’évolution médicale du patient il peut y avoir des visites autorisées. Nous,
107 ce patient là, il s’est trouvé que ce patient-là ne se réveillait pas spécifiquement donc
108 l’autorisation a été élargie et le problème je dirais annexe à ce problème médical que
109 ce soit pour ce détenu là ou l’autre sur Châteauroux la police n’a pas énormément de
110 personnel. C’est à dire que systématiquement ils ont deux personnes qui sont
111 bloquées au CH qui ne peuvent pas intervenir, certains sont rappelés sur leurs
112 vacances et comme tout service c’est compliqué. Souvent au bout de quelques
113 semaines d’hospitalisation la peine est levée c’est à dire que tant que les détenus sont
114 hospitalisés la peine est levé.
115 Théo : D’accord, est-ce que tu peux me définir ce que sont pour toi les émotions du
116 soignant ?
117 IDE 1 : Les émotions du soignant ça va être les réactions qu’on va avoir vis à vis du
118 patient, après que ce soit triste heureux peu importe ça va être les émotions qui vont
119 être créées par la prise en charge du patient après de là à te définir exactement, c’est
120 tellement… vaste.
121 Théo : C’est ta définition que je veux.
122 IDE 1: Pour moi c’est la réaction qui va contribuer à la prise en charge du patient. Pas
123 forcément ce qu’il est mais sa prise en charge en général.
124 Théo : Et quelle place occupent tes émotions dans ta prise en charge ?
125 IDE 1 : Elle est très importante car dans la prise en charge les émotions sont très
126 importantes, elles peuvent très bien être bénéfiques comme elles peuvent totalement
127 entraver ta prise en charge. Ça peut très bien être bénéfique et puis aller vers l’avant
128 quand tu es quelqu’un d’assez optimiste qui pousse les patients vers l’avant avec qui
129 tu crées entre guillemets un lien, tu tires les patients vers le haut alors que si tu
130 t'investis un petit peu trop, tu as trop de sympathie ça peut te bouffer nous on a certains
131 collègues à partir d’un certain moment refusaient de prendre en charge certains
132 patients parce qu’on s’investi trop, on sent que les situations peuvent vite nous
133 dépasser car on est trop impliqués dans la prise en charge car il y a des choses qui
134 nous ont plus ou moins touchées ou un patient qui va avoir un comportement agressif
135 même si on sait que c’est pas contre nous quand ça fait un moment que tu le prends
136 en charge et que régulièrement tu te prends de l’agressivité en pleine figure il arrive
137 un moment où on reste humain on est pas des machines on a envie de répondre. Pour
138 éviter ça, nous dans le service on passe la main. Pour moi c’est vraiment essentiel que
139 ce soit bénéfique ou entravant les émotions sont essentielles.
140 Théo : Tu as un peu répondu à la question suivante à savoir comment tu gères tes
141 émotions avec un patient criminel ? Tu as dit que vous passiez la main est-ce que c’est
142 quelque chose que vous faite régulièrement ?
143 IDE 1 : Ah oui ça nous arrive, que ce soit criminel ou pas, ça nous arrive même
144 régulièrement de passer la main. Ça nous est déjà arrivé plus d’une fois d’avoir des
145 familles de nos collègues qui sont hospitalisées en réa donc la personne ne prend pas
146 en charge sa famille, ni les collègues qui sont trop proches aussi évitent de prendre
147 en charge
148 Théo : Et par rapport aux patients criminels est-ce que ça vous est déjà arrivé ?
149 IDE 1 : Á ma connaissance non c’est vrai qu’on a plus tendance à passer la main
150 quand la personne est réveillée et si elle est agressive. Qu’il soit criminel non on passe
151 plus la main sur la réaction qu’ils peuvent avoir vis à vis de nous. On peut en avoir
152 certains qui peuvent être très agressifs avec les personnes qui vont être typés on
153 passe la main ça sert à rien de mettre de l’huile sur le feu.
154 Théo : Est-ce que tu peux me dire ce que sont pour toi les mécanismes de défense
155 du soignant ?
156 IDE 1 : Les mécanismes de défenses ? … heuuu c’est quelque chose qu’on étudie à
157 l’IFSI (rire). Non plus sérieusement, comment je peux te répondre ? … Les
158 mécanismes de défense c’est ce que met en place le soignant quand il est en
159 difficultés. C’est ça ?
160 Théo : Je ne suis pas là pour te dire si c’est vrai ou pas ce que je veux c’est ta définition
161 du mécanisme de défense.
162 IDE : Oui bah voila c’est ça c’est l’infirmier qui lorsqu’il ne maîtrise plus une situation
163 use de stratégies pour s’en échapper.
164 Théo : Et est-ce que ça vous arrive d’utiliser des mécanismes de défense ?
165 IDE 1 : Non c’est rare, je sais que c’est arrivé dans certains services pour l’avoir
166 constaté. On n’a pas beaucoup de patients, on est sur des secteurs de 5 patients
167 grands maximum en réanimation et 6 patients en unité de soins continus. Les gens qui
168 sonnent qui vont commencer à être très chiant il faut dire ce qui est ou très lourd, non,
169 on répond. Après c’est vrai qu’on peut commencer à s’agacer ça arrive que dans nos
170 explications on commence à devenir un peu plus sec. Après je dirais qu’avec le
171 caractère de certains patients ils ont besoin qu’on leur rentre dedans ça nous est déjà
172 arrivé que arrivé 20h quand tu embauches que la personne oublie déjà toutes les
173 formules de politesse, dès le début, de leur rentrer dedans et de leur expliquer ce
174 qu’est la politesse et que on se doit un minimum de respect envers l’équipe
175 paramédicale et qu’ils sont en colère car ils sont hospitalisés ils ont pas envie c’est
176 compréhensif personne n’aime être hospitalisé mais que nous on y est pour rien et
177 qu’on attend un minimum de respect ça nous est déjà arrivé plusieurs fois d’être obligé
178 de l'expliquer c’est quand même malheureux. Mais souvent la prise en charge se
179 passe mieux car une fois que la violence est passée tout le monde se calme de son
180 côté, tout le monde prend sur soi, le patient, le soignant et ça se passe bien. Je dirais
181 on peut avoir au bout d’un moment un certain agacement après non on répond aux
182 sonnettes les gens qui ont besoin on est là. Je dirais on peut être plus sec dans nos
183 explications à un moment.
184 Théo : Par rapport au patient qui a commis un acte criminel quelle place tu donnes
185 aux mécanismes de défense ?
186 IDE 1 : J’ai vu des collègues agacés auprès de patients détenus mais comme elles
187 auraient été agacées avec un autre patient. Si c’est 6 fois dans la journée qu’il arrache
188 son pansement c’est un petit peu chiant. C’est des pansements qui sont très long donc
189 on s’agace mais comme on se serait agacé avec un autre patient. Après je dirais même
190 le contraire on va d’avantage faire attention car on sait pertinemment que c’est des
191 gens qui ont affaire à la loi donc ils peuvent très vite aller s’amuser à aller porter plainte
192 ou à se plaindre. Les plaintes d’un détenu ça peut aller très loin, l’hôpital est frileux car
193 ça peut très vite monter et tout ce qui est détenu, je ne sais pas comment le dire mais
194 il faut faire attention. Il peut vite y avoir scandale donc on a tendance à plus prendre
195 sur nous que ce soit avec les familles, les détenus ou quoi que ce soit ça peut aller
196 plus loin. Je sais que notre chef de service fait très attention à ça, il en est même très
197 frileux c’est-à-dire qu’il insiste pour que la prise en charge soit la même pour tout le
198 monde et spécifiquement pour eux donc je dirais qu’on a plus tendance à prendre sur
199 nous quand c’est des détenus pour éviter le scandale que ça peut faire s’il y a un
200 problème. Après s’il faut s’agacer car ça fait 10 fois qu’il arrache son pansement c’est
201 agaçant.
202 Théo : La question suivante était : Dans quelle mesure ce mécanisme de défense t’a-
203 t-il permis de te soustraire d’une situation ? Mais comme tu m’as dit que tu n’avais
204 jamais utilisé de mécanismes de défense tu ne vas pas pouvoir y répondre.
205 IDE : Non du coup je vais avoir du mal à te répondre la dessus. Peut-être que j’ai eu
206 des mécanismes de défense avec des patients mais alors je ne m’en suis pas rendu
207 compte donc je vais avoir du mal à les analyser.
208 Théo : Comment tu définirais les valeurs professionnelles d’un infirmier ?
209 IDE 1 : C’est quelqu’un qui doit mettre tout le monde sur un pied d’égalité pour moi
210 une des valeurs principale. Que la prise en charge soit égale. Alors je sais que ça peut
211 être difficile, que les patients agressifs ça peut être quelque chose de difficile mais on
212 n’est pas là pour juger les gens, on n’est pas la justice, on n’est pas là pour ça. Après
213 je ne suis pas là pour me faire marcher dessus mais si il y a quelque chose qui se
214 passe, je pars du principe que ça ne doit pas venir de nous. S’il y a quelque chose qui
215 se passe mal, il faut répondre mais ce n’est pas de nous que doit venir l'agressivité ou
216 la façon de parler qui peut être désagréable.
217 Théo : Donc tu dirais qu’il faut apaiser les choses
218 IDE 1 : Oui il faut être impartial, pour moi c’est l’impartialité qui fait tout, même si ce
219 n’est pas toujours évident dans chaque situation. Je dis ça mais ça m’est déjà arrivé
220 de m’agacer, c’est justement pour ça que pour moi c’est essentiel d'être capable de
221 passer le relais à quelqu’un d’autre. Alors je dis ça avec facilité parce que moi dans le
222 service où je suis on peut le faire facilement, je sais très bien que dans un service ou
223 tu as 20, 25 lits pour 1 infirmier tu ne peux pas passer la main il faut faire avec. Je
224 pense que c’est là aussi que c’est difficile c’est à dire quand tu ne peux pas passer la
225 main bah ce n’est pas évident je pense que c’est aussi là qu’il y a des débordements
226 parce que ce relais tu ne peux pas le faire.
227 Théo : Dans quelles mesures tu penses que tes études ont favorisé ces valeurs
228 professionnelles ? Est-ce que tu penses que tes trois années d’IFSI t-on aidé à forger
229 ces valeurs ?
230 IDE 1 : Je pense qu’elles les ont forgé forcément oui, après je pense que je les avais
231 déjà comme toute personne qui rentre à l’IFSI, tu rentres car tu as des convictions. On
232 le voit, les personnes qui n’ont pas ces valeurs sont soit écartées de la formation soit
233 dégoûtés et s’en vont eux même. Il y a quand même un certain tri. Quand je vois il y
234 en a un certain nombre qui ont arrêté d’eux même. Après c’est des valeurs que j’avais
235 déjà commencé à façonner dans le secourisme car c’est des valeurs sur lesquelles on
236 insiste au sein du secourisme. Après c’est aussi les stages qui t’aident à les façonner.
237 Ça dépend aussi sur quels soignants tu tombes car les stages c'est bien beau mais
238 c’est vraiment les personnes qui te forment qui font qui tu es et qui font que tu es plus
239 ou moins à l’aise dans un stage et qui vont t’aider à avancer. Car les stages c’est bien
240 joli mais si tu n’as pas un personnel qui est là pour t’aider et qui a ces valeurs aussi tu
241 ne peux pas les acquérir. Je pense que ça aide à les façonner mais je pars du principe
242 qu’on les as déjà tu ne peux pas les créer. Tu les as ou tu les as pas tu ne peux pas
243 créer ces valeurs-là.
244 Théo : Comment tu concilies tes valeurs personnelles et professionnelles dans ton
245 métier d’infirmière ?
246 IDE 1 : Pour moi mes valeurs sont les mêmes que je sois au travail ou pas, parce que
247 c’est juste ce que je suis quand je vais au travail. Avant ont disaient aux élèves
248 infirmiers qu’on posait nos émotions et nos problèmes personnels au vestiaire mais je
249 suis désolée ce n’est pas quelque chose qui est possible même s’il le faut, je dirais
250 plus qu’on fait avec, plus qu’on les pose au vestiaire pour les reprendre après. Non tu
251 es ce que tu es donc pour moi mes valeurs personnelles c’est aussi mes valeurs
252 professionnelles c’est ce que je suis. Je vais au travail avec ce que je suis avec mes
253 problèmes si j’en ai et c’est juste qu’il faut être capable de faire avec et de prendre sur
254 soi. Les déposer au vestiaire je ne vois pas comment c’est possible. A part être dans
255 l’urgence constamment comme ça m’arrive déjà, comme ça nous arrive parfois et
256 d’être en pleine réanimation pendant 12h et là tu as autre chose à penser (rire) pour
257 moi c’est ce que je suis enfin mes valeurs personnelles et professionnelles se
258 rejoignent.
259 Théo : Dans quelle mesure le passé criminel d’un patient intervient-il dans la
260 confrontation de ces valeurs personnelles et professionnelles ?
261 IDE 1 : Alors moi en ce qui me concerne le passé du patient n’a pas d’incidences dans
262 ma prise en charge. Je sais que j’ai certains collègues où ça intervient forcément
263 surtout ceux qui ne veulent pas savoir ce qu’ils ont fait, c’est parce qu’ils savent
264 pertinemment que ça ne pourra pas concilier avec leur valeurs et la prise en charge
265 car ils ne veulent pas savoir. Après l'acte criminel pour moi en ce qui me concerne ça
266 ne sera pas en accord avec mes valeurs personnelles pour la plupart des prises en
267 charges sur les actes criminels. J’ai eu un gros trafiquant avec un gros réseau et l’autre
268 avait assassiné son colocataire de 40 coups de couteaux avant de l’avoir attaché au
269 lit pour aller acheter de la vodka. Donc non forcément ça ne rentre pas dans mes
270 valeurs personnelles (rire) mais la prise en charge je dirais il faut être, en tous cas
271 nous on est beaucoup à se détacher des choses. Mais parce que j’ai eu des stages
272 qui m’ont prouvés que j’étais capable de me décharger de ça. Comme les stages en
273 psychiatrie tu le vois si ça passe ou si ça casse. Quand tu as quelqu’un en face de toi
274 et qu’il n’a pas les mêmes valeurs. Après il faut être capable de prendre du recul, c’est
275 pour ça que c’est bien dans mon service on tourne pas mal on n’est pas sans arrêt,
276 tous les jours à prendre en charge le détenu, ça tourne. Ça nous permet de souffler et
277 de ne pas trop entrer dans le jugement personnel qu’on peut avoir vis à vis des
278 personnes et d'interférer avec nos valeurs dans la prise en charge. Justement sur le
279 fait de pouvoir passer la main et de tourner dans les secteurs ça nous évite aussi
280 justement d’être trop investi sur une prise en charge et qu’on se confronte trop avec
281 nos valeurs personnelles et qu’au bout d’un moment ça dérape. Après je n’ai pas eu
282 l’occasion de prendre en charge pendant 3 semaines 1 mois un détenu je les ai eus
283 en charge mais en tous cas le temps de ma prise en charge c’est passé. Après on a
284 tendance quand ils sont réveillés, on nous demande de ne pas y aller tout seul. Mais
285 de ne pas y aller tout seul peut-être parce qu’ils peuvent être agressifs mais peut être
286 aussi car il suffit que le détenu interprète mal quelque chose, tu es deux, tu peux
287 prouver ce que l’autre a dit.
288 Théo : Toujours dans l’idée de ce que tu disais tout à l’heure sur le fait qu’ils sont très
289 procéduriers ? Peut-être plus que d’autres patients ?
290 IDE 1 : Oui c’est très facile de leur côté d’aller taper un scandale et il y en a qui sont
291 malheureusement comme on a pu le constater avec des familles aussi qui regardent
292 partout, qui regardent tout, qui ouvrent les tiroirs alors qu’ils n’ont pas le droit, ils
293 regardent par les fenêtres. On est très observés, ils font très attention car ils ont de
294 toute façon l’apriori qu’on prend en charge différemment quelqu’un qui est criminel de
295 quelqu’un qui ne l’est pas et parce qu’ils ont cet apriori quand ils sont détenus ou quand
296 ils sont en famille c’est la raison pour laquelle ils sont aux aguets sur tout ce qu’on peut
297 faire et tout ce qu’on peut dire. C’est plus ça des fois où ils nous mettent une pression.
298 Théo : Du coup ma question suivante tu as déjà un petit peu répondu elle est liée,
299 c’est : Comment l’association des valeurs personnelles et professionnelles peuvent
300 entrer en conflit dans la prise en charge d’un patient qui a commis un acte criminel ?
301 IDE 1 : Oui ... enfin … je pense que ça peut entrer en compte si tu le prends trop en
302 charge ou si les réactions vis à vis de toi sont … enfin leur passé criminel c’est une
303 chose moi je m’intéresse plus à ce qu’ils sont face à moi. Il peut avoir fait un crime,
304 alors je sais que c’est pas facile car certains crimes ne sont pas en accord avec mes
305 valeurs personnelles mais quand j’ai en face de moi quelqu’un qui va me respecter je
306 vais le respecter aussi car c’est ce qu’on nous a appris et c’est comme ça que je suis
307 après dès l’instant où il va arrêter de me respecter dans ce cas on va passer sur un
308 autre cas de figure ou si j’ai besoin de lui rentrer dedans je lui rentrerai dedans parce
309 qu’il y a un moment ou le respect c’est mutuel. Moi je leur demande juste une chose
310 c’est de me respecter. Tant qu’ils me respectent il n’y a pas de problèmes. Dès l’instant
311 qu’ils vont plus me respecter à commencer à être odieux bah dans ce cas c’est déjà
312 arrivé c’est la police qui est intervenu.
313 Théo : Comment est-ce que tu as surmonté tes propres valeurs quand tu as pris en
314 charge un patient qui a commis un acte criminel ?
315 IDE 1 : Je dirais que j’arrive facilement à passer au-dessus, c’est après que tu reviens
316 dessus … après on est une équipe qui parle beaucoup à côté donc c’est facile
317 d’évacuer les choses que tu as sur le cœur tu peux facilement les évacuer parce qu’on
318 parlent beaucoup entre nous et donc après comme je dis sais c’est des actes certains
319 tu les retrouves chez nous avec des policiers devant la porte qui ont fait des actes
320 mais qui des fois ne sont pas aussi graves que celui qui a tué son colocataire. On en
321 a certains qui se retrouvent en prison pour trois mois et dont l’acte criminel en tant que
322 tel n’est pas si important que ça mais surtout les actes je pense qu’il faut essayer de
323 les mettre de côté. Moi j’ai cette facilité parce qu’on peut le faire facilement. Le fait de
324 savoir qu’on peut facilement passer la main à quelqu’un d’autre et qu’on sait que
325 pendant deux jours on l’aura pas en charge c’est plus facile de prendre sur soi en
326 disant que ça ne va pas être dans la durée en ce qui nous concerne nous.
327 Théo : Du coup ça aide à surmonter ?
328 IDE 1 : Bah c’est plus facile de se dire que quelqu’un que tu vas avoir pendant un mois
329 et en plus d’avoir fait un acte criminel il est désagréable tu sais pertinemment qu’après
330 un mois ça va être difficile à prendre en charge.
331 Théo : S’il est très agréable mais qu’il a commis un acte criminel comme tuer son
332 colloque de 40 coups de couteaux est-ce que tu te verrais le prendre en charge
333 pendant un mois. Est-ce que ça modifierait ta prise en charge ou tu as quand même
334 besoin de prendre du recul et d’aller vers des patients plus “classiques” ?
335 IDE 1 : Non ça ne me gênera pas tant qu’il y a un respect mutuel. C’est plus
336 l’agressivité envers l’équipe soignante qui va me gêner, criminel ou pas. Quelqu’un qui
337 est agressif ça va être plus difficile à prendre en charge sur la longueur car ça épuise
338 beaucoup. C’est en plus des gens qui sont très demandeurs et qui puisent
339 énormément sur ton mental et puis sur ta capacité physique car quand tu cours dans
340 tous les sens ce n’est pas évident. Dès l’instant qu’il est respectueux moi ça me va.
341 J’ai plus de mal à prendre en charge quelqu’un qui a pas fait d’actes criminels mais
342 qui est très agressif et très désagréable que quelqu’un qui a commis des actes
343 criminels mais qui est sympathique.
344 Théo : Du coup tu m’as déjà répondu à la question suivante mais il y a une question
345 de relance. C’était est-ce que tu as déjà refusé une prise en charge ou un soin car elle
346 n’était pas en accord avec tes valeurs personnelles ou professionnelles ? Donc tu m’as
347 déjà répondu non mais comment toi tu as trouvé les ressources pour faire abstraction
348 de ça, de tes valeurs personnelles et pour respecter tes valeurs pro ?
349 IDE 1 : Bah quand on intervient souvent nous dans les chambres on est deux donc
350 c’est plus facile de faire un soin sur quelqu'un avec qui tu n’es pas du tout en accord
351 quand tu es deux car tu te soutiens. C’est tout bête mais une prise en charge quand
352 tu es deux c’est tout de suite plus facile mais parce qu’on a l’avantage de travailler en
353 binôme infirmier aide-soignant et que sur un soin ou tu as un doute tu sais que la
354 personne ça peut dégénérer ou va être désagréable le fait de travailler en binôme ça
355 facilite le travail.
356 Théo : Comment tu définis la relation soignant-soigné ?
357 IDE 1 : Ouh la (rire) … La relation soignant-soigné ? C’est complexe une relation
358 soignant-soigné. Une relation soignant-soigné ça peut très bien être sur quelques
359 heures aux urgences ou sur des années en EHPAD. La relation soignant-soigné c’est
360 complexe car aux urgences tu n’as pas d’attaches ça va être beaucoup plus bref alors
361 qu’en EHPAD la relation soignant-soigné elle est essentielle. Enfin elle est essentielle
362 partout je ne dis pas qu’elle est plus essentielle en EHPAD qu’aux urgences mais tu
363 t’investis forcément plus et elle peut être soit très agréable ou au contraire très
364 épuisante sur le long terme. La relation soignant-soigné, elle est essentielle même en
365 réanimation sur des gens quand on leur parle, systématiquement il n’y a pas de relation
366 c’est faux. Ils ne sont pas tous dans le coma artificiel. Nous quand on prend une
367 personne en charge on prend aussi en charge la famille qui va être présente et qui va
368 avoir des craintes. La prise en charge de la famille elle fait partie intégrante de la
369 personne qui est soignée, en tous cas dans le service où je suis. Elle est existentielle
370 cette relation soignant-soigné quand les gens se réveillent, ils sont intubés, ils sont
371 forcément attachés et c’est angoissant c’est horrible comme situation à vivre. Sachant
372 qu’il y a ¼ des personnes qui se réveillent qui ont des hallucinations, qui ne savent
373 pas où ils sont. On en a certains qui étaient persuadés que toutes les nuit on les
374 emmenait dans les sous-sols des hôpitaux, qu’on les craignait, qu’on voulait du mal à
375 leur famille. Les hallucinations c’est juste horrible, si tu n’as pas cette relation soignant-
376 soigné pour essayer de calmer les choses bah ta prise en charge elle est merdique.
377 Les gens qui sont même conscients qu’ils sont intubés et attachés, cette relation elle
378 est essentielle, d’être là, d’être présent pour leur expliquer les choses. De pouvoir être
379 aux petits soins, de leur mettre la télévision, de pouvoir les installer correctement
380 comme ils veulent, de s'inquiéter, de demander à la famille qu’ils aient leur
381 shampooing, leurs lunettes c’est tout bête mais d’être lavé par ton shampoing ou ton
382 gel douche que tu as chez toi au lieu du truc de l'hôpital c’est parfois en réanimation la
383 seule chose que tu as de l’extérieur. Entre les machines et la casas que tu es obligé
384 d’avoir c’est la seule chose que tu as de chez toi. Tu n’as pas un soignant en face de
385 toi pour s’inquiéter de comment tu vas moralement car la réanimation les gens voient
386 ça comme quelque chose de très technique et c’est très technique c’est que de la
387 manipulation et là aussi cette relation SS c’est très mis en avant. Moi quand je vois le
388 nombre de cartes qu’on reçoit des gens qui sortent et qui nous remercient que ce soit
389 la famille ou les patients il y a justement cette relation soignant-soigné qui est
390 essentielle c’est la raison pour laquelle on a des bonnes prises en charge. Parce qu’on
391 les tire vers le haut. Des fois tu vas être désagréable en leur disant non, vous faites
392 votre toilette du haut parce que même si vous ne voulez pas je ne la ferai pas vous la
393 ferez. Si vous continuiez à vous enfoncer comme ça vous allez finir par ne plus pouvoir
394 le faire car vous allez atrophier vos muscles et vous allez aller vers un syndrome de
395 glissement et vous allez continuer et au final vous allez vous retrouver dans un fauteuil
396 alors que vous pouvez vous retrouver dans votre jardin. Et parce que on s'investit
397 relationnelle- ment un minimum avec eux qu’on peut les tirer vers le haut. Les patients
398 de réa qui sont amputés, qui ont vécu un drame familiale, ils sont triste, on ne les laisse
399 pas triste à ne rien faire on est humain on ne va pas les laisser comme ça constamment
400 parce qu’ils ne sont pas bien. On est là pour eux pour leurs angoisses, c’est stressant
401 la réanimation quand tu vois le nombre de bip sur les écrans constamment, les gens
402 qui courent dans tous les sens qu’on t'oblige à ne pas sortir du lit tu es ficelé à pleins
403 de fils, de capteurs, pour te mettre au fauteuil c’est une prescription médicale, tu
404 dépends totalement de l’équipe médicale et paramédicale et si tu n’as pas un minimum
405 de relation soignant-soigné ça ne peut pas bien se passer, c’est même pas
406 envisageable. Pour moi c’est essentiel, je sais qu’il y a des réanimations qui ne sont
407 pas comme ça, j’ai eu certains retours, moi ça me scandalise de voir une personne en
408 réanimation ne pas parler aux gens intubés sous prétexte qu’ils ne te répondront pas.
409 Alors ils ne peuvent pas te répondre en parlant mais ils peuvent très bien te répondre
410 de la tête oui ou non. Ça se lit aussi sur le visage. C’est pas parce qu’il est intubé que
411 tu ne peux pas avoir de relation soignant-soigné c’est faux. Ce n’est pas parce que tu
412 as un patient sourd ou aveugle que tu ne vas pas avoir de relation avec ces patients-
413 là. C’est comme quelqu’un qui est intubé. On voit la réa comme quelque chose très
414 technique, ils sont tous endormis dans les comas mais ce n’est pas vrai, on a
415 énormément de relations avec nos patients. C’est une fausse idée que les gens se
416 font. Pour moi c’est essentiel la relation soignant-soigné tu ne peux pas faire sans. Je
417 sais qu’il y a des réanimations ou des IDE et AS qui n’ont pas ces valeurs là. Mais
418 chez nous si tu n’as pas ça tu es vite mis à l’écart et très vite ensuite du service.
419 Théo : Comment cette relation se met elle en place dans ton exercice professionnel ?
420 IDE : À chaque fois que je suis avec un patient cette relation soignant-soigné se met
421 en place. C’est-à-dire que dès que le patient entre dans le service cette relation se met
422 en place. Quand je l’accueille dans le service parfois même avant d’être dans la
423 chambre, on est dans le couloir et le premier contact est très important.
424 Théo : Et quelle place donnes-tu à la relation soignant-soigné dans la prise en charge
425 d’un patient qui a commis un acte criminel ?
426 IDE 1 : Pour moi c’est ce qui va faire ta prise en charge c’est-à-dire le premier rapport
427 que tu vas avoir avec lui justement cette relation soignant-soigné et le rapport que tu
428 as avec eux va définir la prise en charge que tu vas avoir sur le long terme avec lui si
429 au premier abord ça se passe mal, c’est mort, tu sais pertinemment que ça va mal se
430 passer sur tes soins. Si il sent que tu vas le prendre en charge comme quelqu’un
431 d’autre sur ses soins, dès l’instant qu’il va ressentir ça normalement d’un point de vue
432 général ça va pas bien se passer. C’est vraiment cette relation soignant-soigné du tout
433 début qui est importante parce que c’est là dessus qu’ils vont se baser. C’est comme
434 un autre patient si d’entrée de jeu tu es désagréable avec lui il va te coller une étiquette,
435 c’est mort. Il ne va plus pouvoir te voir. Mais elle est essentielle surtout sur le début.
436 Après ce n’est pas des gens avec qui on va forcément beaucoup parler. Quoi que …
437 Nous on est des bavardes.
438 Théo : Justement ça introduit la dernière question c’est que représente pour toi la juste
439 distance professionnelle ?
440 IDE 1 : Bah la juste distance pour moi il faut suffisamment avoir de relation poussée
441 dans le sens où la personne en face de toi va avoir confiance et va pouvoir se livrer
442 que ce soit au niveau de son corps parce que ce n’est pas évident de se faire mettre
443 une sonde urinaire mine de rien c’est hyper intrusif comme soin. Il faut avoir
444 suffisamment de relation pour que la personne ait confiance en toi pour qu’elle se livre
445 d’un point de vue physique comme relationnel et mentale pour se livrer un minimum
446 parce qu’il y a le soin physique mais aussi tout ce qui est à-côté si la personne ne va
447 pas bien mentalement ça ne va pas être évident à prendre en charge car les soins
448 seront faits plus vite et moins bien mais il ne faut pas non plus faire intervenir notre vie
449 perso dans cette relation. Pour moi le patient n’a pas à savoir comment se passe la
450 vie personnelle. C’est quelque chose qu’on n’a pas à faire intervenir dans la relation
451 soignant-soigné. On a pas à introduire notre vie personnelle car à partir du moment où
452 tu fais intervenir ta vie personnelle c’est tout de suite plus compliqué ça m’est déjà
453 arrivé et puis là si le patient en face de toi utilise ta vie personnelle pour te piquer on
454 sait pertinemment qu’on va répondre plus facilement parce que c’est la vie
455 personnelle. Pour moi il ne faut pas faire intervenir la vie personnelle mais ça
456 n’empêche pas de pouvoir parler avec les patients de tout et de rien moi ça m’est déjà
457 arrivé de parler des infos, de la musique, de ce qu’on aime ou pas, de voyages mais
458 j’ai jamais parlé de ma vie personnelle en tant que telle. Je crois qu’il faut être capable
459 de parler de tout et de rien sans pour autant faire intervenir réellement sa vie
460 personnelle.
461 Théo : Et comment tu gères cette juste distance avec des patients qui ont commis un
462 acte criminel ? Est-ce que tu la gères pareille?
463 IDE 1 : Il n’y a pas de différence, moi ça m’est arrivé avec le détenu de parler de tout
464 et de rien après il avait une facilité déconcertante à parler de son acte, ça par contre
465 c’est particulier. À s’en excuser aussi même si on n’est pas là pour ça on est là pour
466 l’entendre à la rigueur s’il l’a dit mais on n’est pas là pour donner un jugement. Moi ça
467 m’est arrivé de parler de tout et de rien avec lui mais je n’ai jamais été parlé de ma vie
468 personnelle.
Entretien J-F.M N°2
1 Théo : Est-ce que tu peux déjà te présenter, me dire depuis quand tu es diplômé, dans
2 quel service tu travailles et les structures dans lesquelles tu as travaillés ?
3 IDE 2 : Moi je m'appelle J.F je suis diplômé depuis juillet 2017, j'ai travaillé pour
4 plusieurs services, j’ai travaillé aux urgences, en médecine respiratoire et infectieuse
5 et là je travaille en intérim donc je fais un peu de tout mais surtout de la chirurgie.
6 Théo : Du coup tu m'as dit que tu avais pris en charge un patient qui a commis un acte
7 criminel, ça va être un peu le fil rouge de cet entretien.
8 IDE 2 : Il y en a eu plusieurs du coup tu veux que je parle de tout où je me centre sur
9 un seul ?
10 Théo : Non d'une manière générale. Du coup est-ce que tu peux me donner les
11 informations que tu as quand tu les prends en charge, est-ce que tu sais le motif
12 d'incarcération ou est-ce que tu as d'autres infos ?
13 IDE 2 : J’ai déjà eu des patients notamment aux urgences qui étaient en box cellule.
14 Parfois les patients se confient et peuvent nous donner eux même le motif ou alors
15 c’est en discutant avec les policiers qui nous donnent des informations comme la durée
16 d’incarcération. On sait que si le patient a pris 10 ans ferme ce n’est pas un petit
17 délinquant.
18 Théo : D'accord donc tu ne savais pas s’ils étaient là pour un petit délit ou pour avoir
19 commis un acte criminel ?
20 IDE 2 : Alors j’ai eu les deux. Des patients qui viennent aux urgences et qui ont commis
21 un petit délit entre parenthèses mais aussi des patients qui étaient extraits de prison
22 pour être hospitalisés et qui eux étaient bien des criminels comme on l’entend dans la
23 loi.
24 Théo : Ok donc pour cet entretien on va se concentrer sur les patients qui ont commis
25 un acte criminel et que tu as pris en charge.
26 Alors première question est-ce que tu peux me définir pour toi, ce que sont les valeurs
27 personnelles ?
28 IDE 2 : Comment dire, ça va peut-être entrer en opposition avec les valeurs soignantes
29 qui sont plus larges et qui vont concerner tous les infirmiers. Ce sont nos valeurs
30 qu'elles soient politiques ou personnelles en termes d'amitié ou de relation avec
31 d'autres personnes hors du contexte professionnel. Pour moi les valeurs personnelles
32 c'est la personne qu'on est dans la vie de tous les jours. C'est en opposition avec les
33 valeurs professionnelles, par exemple la fidélité qui pourrait être une valeur
34 personnelle alors que la solidarité en équipe pourrait être une valeur professionnelle.
35 Théo : Bah du coup tu commences un peu ma question suivante, c'est qu'elles sont
36 pour toi tes principales valeurs personnelles ?
37 IDE 2 : Je dirais la fidélité, la loyauté. On ne laisse jamais quelqu'un derrière c'est
38 principalement ça, et le partage.
39 Théo : Quelle place occupent tes valeurs personnelles dans l'exercice de ton métier ?
40 IDE 2 : Ce sont ces valeurs-là qui m'ont guidé vers la voie d'infirmier entre guillemets
41 parce que je m’y retrouvais notamment dans ce côté aide à l'autre, le côté on est tous
42 des êtres humains donc on doit s'entraider, l'entraide est aussi une valeur importante.
43 Théo : Que penses-tu de la prise en charge d'un patient qui a commis un acte criminel
44 IDE 2 : Au début on a une petite appréhension car on se fait une idée de l'univers
45 carcéral on s'attend avoir une espèce de tueur bodybuildé mais en général c'est des
46 gens comme tout le monde. Des fois ils ont un état de santé un peu dégradé parce
47 que du coup en prison ce n’est pas forcément top, mais sinon ouais c'est un patient,
48 moi de mon côté j'essaie de ne pas me renseigner sur ce qu'ils ont fait parce que moi
49 je prends en charge mon patient puis la justice fait son travail et la santé fait le sien.
50 Théo : Comment tu as vécu la prise en charge de ce patient par rapport à tes valeurs
51 personnelles ?
52 IDE 2 : Moi ça ne m'a pas posé de soucis je sais que pour des collègues ça a pu être
53 difficile, mais je pense que c'est l'avantage d'avoir fait une fac de droit avant d’arriver
54 en études d'infirmier j'ai dissocié les deux. Mon travail n'était pas de savoir si ce qu'il
55 avait fait était bien ou mal mais je me suis plus ou moins rapporté au serment
56 d'Hippocrate, on soigne tout le monde et ce n’est pas à nous de poser les questions.
57 Théo : Et donc pour toi le serment d'Hippocrate te guide dans ton travail ?
58 IDE 2 : Oui car le code de déontologie infirmier s’y réfère quand même vachement. Et
59 du coup bah oui c'est les premières valeurs du soignant qui ont été écrites et du coup
60 pour moi les valeurs soignantes s’y retrouvent toujours comme infirmier. Ne pas nuire,
61 ne pas juger les gens et juste les prendre en soin du mieux qu'on peut.
62 Théo : Comment tu définis les émotions du soignant ?
63 IDE 2 : C'est à la fois un outil et à la fois un danger. C’est que les émotions, il faut
64 savoir les reconnaître et ne pas les laisser nous déborder. Que ce soit la peur,
65 l'appréhension, la colère, des choses comme ça on peut les ressentir mais il faut savoir
66 aussi les détecter pour prendre en soin le patient et savoir passer la main si on n’arrive
67 pas à les gérer. On ne peut pas éteindre ses émotions quand on est au travail mais on
68 doit les gérer parce qu'on est professionnel.
69 Théo : Quelle place occupent tes émotions dans la prise en charge des patients ?
70 IDE 2 : Une place assez faible en fait, parce que du coup je vois plus l'infirmier comme
71 un professionnel et pas une simple nonne qui s'occupe des gens donc le but c'est que
72 les émotions prennent le moins de place possible. On est censé rationaliser le soin et
73 pas l'émotionnaliser.
74 Théo : Ok, et comment tu gères toi tes émotions par rapport à un patient criminel ?
75 IDE 2 : Bah j'essaie de le voir comme un patient j'allais dire normal, mais comme un
76 autre patient non criminel et essayer de ne pas laisser des émotions prendre le dessus
77 et ne pas laisser la petite peur quand tu as des petits papillons dans le ventre te dit : il
78 est peut-être dangereux, mais en même temps il y a peu de raisons pour qu'il soit
79 dangereux pour moi. Normalement, je suis en train de faire un soin qui est bien pour
80 lui donc j'ai pas de raison d'avoir des soucis avec lui.
81 Théo : D’accord et du coup, quand tu fais des soins est-ce qu'il y a toujours la police
82 avec toi ?
83 IDE 2 : Alors non en général ils sont à l'extérieur du box.
84 Théo : Mais ils peuvent intervenir rapidement en cas de problème ?
85 IDE 2 : Oui tout-à-fait, ils sont justes derrière la porte.
86 Théo : Est-ce que c'est une ressource pour toi, est-ce que ça te permet d'éliminer le
87 stress ?
88 IDE 2 : Non je trouve que le fait d'avoir des gens armés à côté de moi c’est plus une
89 source de stress.
90 Théo : Plus stressant pour toi ou pour le patient ?
91 IDE 2 : non pour moi. Le patient en général est habitué, mais moi je ne suis pas habitué
92 à cette situation, d’avoir des gens avec des gilets pare-balles au milieu d'un hôpital
93 c’est pas courant. Une fois, une dame âgée est arrivée aux urgences, elle devait avoir
94 80 ans avec trois autres femmes et du coup je leur dit de rester à l’extérieur. Et en fait
95 quand j’ai vu l’arme de l’accompagnante, elles m’ont dit qu’elles étaient gendarmes et
96 qu’elles avaient arrêté cette mamie qui volait des choses dans un magasin et du coup
97 bah vachement surpris car j’avais un apriori car j’avais l’impression que la mamie était
98 innocente avec sa petite téléalarme autour du cou mais de voir l’arme du gendarme
99 c’est bête mais j’ai fait attention à pas laisser de choses de valeurs dans le box. Alors
100 là, elle n’était pas encore passée en jugement elle était juste arrêtée mais ça joue
101 quand même un petit peu.
102 Théo : Et ça c’est le fait de voir l’arme du policier ?
103 IDE 2 : Bah je lui ai posé la question et du coup elle m’a dit qu’elle était gendarme et
104 qu’elle avait arrêté la mamie.
105 Théo : Que sont pour toi les mécanismes de défense ?
106 IDE 2 : Ce sont des comportements inconscients que l’on va mettre en place quand
107 l’on se retrouve dans des situations difficiles. Le fait de refouler certaines pensées ou
108 des émotions et de ne pas entendre certaines informations parce que notre cerveau
109 n’est pas prêt à le traiter. C’est pas quelque chose de conscient on ne peut pas les
110 déclencher exprès.
111 Théo : Et quelle place tu donnes aux mécanismes de défense dans la prise en charge
112 d’un patient qui a commis un acte criminel ?
113 IDE 2 : Bah, quand je les repères dans la prise en soins j’essaye de comprendre
114 comment ils sont arrivés là pour prendre en soins le patient de la meilleure des
115 manières possibles en évitant que les instincts prennent le dessus et éviter de
116 considérer le patient comme quelqu’un de dangereux. C’est plutôt des mécanismes
117 qui sont délétères dans la prise en soins d’un patient.
118 Théo : Dans quelle mesure ce mécanisme de défense toi, il peut te permettre de te
119 soustraire à une situation ?
120 IDE 2 : Aucune idée, comme ça je n’ai pas d’exemple en tête où c’est arrivé.
121 Théo : Ok, du coup on revient aux valeurs, tu m’as déjà parlé très vite des valeurs
122 professionnelles mais pour toi comment tu définis les valeurs professionnelles d’un
123 infirmier ?
124 IDE 2 : C’est des valeurs qui sont en théorie commune à toute la profession c’est à
125 dire de ne pas juger les patients, de respecter les patients, d’être dans la bientraitance,
126 de respecter leurs choix de vie, je pense que le respect du consentement est quelque
127 chose de très important. La solidarité dans l’équipe parce qu’on fait un travail qui n’est
128 pas toujours facile et on a besoin d’une équipe derrière nous qui peut nous soutenir
129 notamment dans les situations d’urgence ou il y a besoin de cette solidarité et de cette
130 confiance dans l’équipe.
131 Théo : Dans quelle mesure tu penses que tes études à l’IFSI ont favorisé l’émergence
132 de tes valeurs professionnelles ?
133 IDE 2 : Il y a eu des temps à l’IFSI notamment les temps de retour de stage qui nous
134 permettaient de parler de situation qu’on avait vécu et qui nous avaient questionnés.
135 Mais c’est surtout dans les stages où la rencontre des professionnelles forge nos
136 valeurs. Moi j’ai toujours pensé que les cadres de santé formateurs étaient toujours
137 très éloignés des soins et parfois très éloignés du métier d’infirmier car ils l’exercent
138 plus depuis longtemps. Du coup j’ai plus pris comme modèle des infirmiers que j’ai eu
139 en stage que des formateurs que j’ai eus à l’IFSI. Enfin moi je considère que j’ai été
140 plus formé pendant mes stages qu’à l’IFSI parce que c’était beaucoup de blablas.
141 Théo : Comment tu concilies tes valeurs personnelles et professionnelles dans
142 l’exercice de ton métier ?
143 IDE 2 : Je pense que comme j’ai fait un bon choix d’orientation ça se concilie plutôt
144 bien. C’est-à-dire que les valeurs que j'avais déjà personnellement composent bien
145 avec les valeurs soignantes. Elles vont très bien ensemble. De ne pas juger les gens,
146 de tolérer les différences, des choses comme ça qui se retrouvent bien dans le métier
147 d’infirmier.
148 Théo : Donc pour toi c’est facile car tu n’as pas besoin de les concilier ?
149 IDE 2 : C’est ça, pour moi ça a été facile parce que je m’y retrouve. Du coup même, je
150 vais confondre les valeurs personnelles et professionnelles car il y en a je ne sais pas
151 si je les considère comme personnelles ou professionnelles.
152 Théo : Dans quelle mesure le passé criminel d’un patient intervient-il dans la
153 confrontation de ces valeurs personnelles et professionnelles ?
154 IDE 2 : Je pense que certains crimes sont trop graves pour qu’on puisse prendre en
155 soins le patient. Il y a des crimes où on peut entendre le fait qu’un patient l’ai fait. Mais
156 des criminels comme des pédophiles ou des violeurs j’aurai eu du mal à passer outre
157 car ça va trop à l’encontre de mes valeurs pour que je les prenne en soins comme un
158 patient normal. C’est jamais arrivé mais si c’était arrivé j’aurais eu du mal. Parce que
159 c’est des gens qui seraient allé trop loin pour moi dans la voie criminelle et j’aurais eu
160 du mal à les considérer comme des patients. Enfin, j’aurai eu du mal à soigner
161 quelqu’un qui a fait beaucoup de mal. Même si en théorie on soigne tout le monde
162 mais je pense qu’il y a certaines personnes… Par exemple est-ce que j’aurais sauvé
163 Adolf Hitler ? Je ne sais, enfin je ne sais pas si tu vois mais c’est pour aller dans l’excès.
164 Théo : Comment l’association des valeurs personnelles et professionnelles peuvent-
165 elles entrer en conflit dans la prise en charge d’un patient qui a commis un acte criminel
166 ?
167 IDE 2 : Si ces valeurs sont beaucoup trop éloignées des tiennes tu vas avoir un gros
168 décalage et ne vas pas pouvoir entre guillemets comprendre ton patient car le
169 décalage va être trop grand entre lui son comportement et toi ce que tu attends entre
170 guillemet de normal pour un être humain. Tu vas peut-être être un peu plus distant. Tu
171 vas faire le soin technique mais tu vas moins t’investir dans la relation avec ton patient.
172 Dans la relation de confiance. Tu vas te protéger, tu vas te dire je vais m’investir a
173 minima avec lui, je vais faire mon travail a minima, je vais le soigner point et il va rentrer
174 chez lui. Je ne m’engage pas, je me protège.
175 Théo : Du coup tu réponds un peu à la question suivante, c’est comment tu as
176 surmonté tes propres valeurs pour prendre en charge un patient criminel ? C’est un
177 peu ce que tu disais avant.
178 IDE 2 : Oui c’est ça, me protéger en restant juste dans le technique c’est bête et
179 méchant et du coup ça demande moins de réflexion, moins d’investissement
180 sentimental.
181 Théo : Est-ce que tu as déjà refusé un soin car il n’était pas en accord avec tes valeurs
182 personnelles ou professionnelles ?
183 IDE 2 : Non !
184 Théo : Et du coup comment tu fais abstraction ?
185 IDE 2 : J’en ai fait abstraction en me concentrant juste sur la technique. En disant je
186 vais le faire vite fait bien fait et gagner du temps au max du coup sur la prise en charge.
187 Elle est peut-être d’un peu moins bonne qualité mais elle est présente quand même.
188 Plus vite c’est fait plus vite c’est passé.
189 Théo : Maintenant on va parler de la relation soignant-soigné, comment toi tu définis
190 la relation soignant-soigné ?
191 IDE 2 : C’est une relation qui doit être équitable. Je disais que pour moi les valeurs les
192 plus importantes c’est le consentement du patient libre et éclairé sans contraintes
193 mises sur lui. Tu dois lui donner les informations nécessaires pour lui permettre d’avoir
194 un consentement qui est le sien et pas selon toi ce qui est le mieux pour lui. Le modèle
195 un peu paternaliste du médecin qui décide du parcours de soins du patient moi ne me
196 plait pas trop et du coup dans une relation soignant-soigné que le patient me dise de
197 lui-même ce dont il a besoin. C’est peut être bête mais sur les antalgiques, des choses
198 comme ça c’est vraiment d’écouter le patient, et toi lui proposer les solutions de soins
199 que tu peux, toujours en lui expliquant là je peux vous donner tel antalgique à telle
200 heure si vous avez encore mal vous pouvez rappeler on peut monter de pallier. Définir
201 un projet de soins à deux car en théorie un soin c’est … Enfin nous on est juste entre
202 guillemets un outil pour le patient car il n’a pas les capacités physique de le faire ou
203 alors il n’est pas formé pour le faire et du coup on le fait à sa place mais toujours pour
204 lui.
205 Théo : Comment cette relation tu la mets en place dans ton exercice professionnel ?
206 IDE 2 : Oui j’explique toujours à mes patients ce que je vais faire et pourquoi je le fais
207 et je leur laisse la possibilité de refuser un soin s’ils ne veulent pas. Les soins ça va du
208 traitement à la prise de sang, pose de perfusion ou une transfusion qui peuvent être
209 refusées en fonction des valeurs des gens donc tu leur explique pourquoi tu le fais,
210 pourquoi c’est nécessaire selon les théories médicales et après tu leurs dit nous on
211 pense que ça c’est mieux pour vous si vous êtes d’accord on le fait si vous n’êtes pas
212 d’accord on va essayer de trouver autre chose mais ça ne va pas être aussi efficace.
213 Théo : Quelle place tu donnes à la relation soignant-soigné quand tu prends en charge
214 un patient criminel ?
215 IDE 2 : Dans le cas où je l’ai fait, la même place qu’un autre patient, c’est en théorie
216 un patient comme un autre et on doit le prendre en charge de la même façon. Il a une
217 privation de liberté vu qu’il a commis un crime mais ce n’est pas une abolition totale
218 de ces libertés donc il a toujours le droit de dire non à un soin. Il a toujours le droit de
219 refuser quelque chose. Ça reste un être humain.
220 Théo : Que représente pour toi la juste distance professionnelle ?
221 IDE 2 : Les patients ne doivent entre guillemets jamais devenir des amis, une relation
222 c’est une relation professionnelle. C’est une relation avec son infirmier mais du coup
223 une fois que je ne suis plus son infirmier j’ai plus besoin d’avoir cette relation de
224 confiance ou de partage avec lui. Si je le croise à l’extérieur je peux lui faire un signe
225 s’il me reconnaît mais sans plus ça reste une relation professionnelle.
226 Théo : Et du coup comment tu gères la juste distance avec un patient qui a commis
227 un acte criminel ?
228 IDE 2 : Bah j’essaye d’en faire abstraction et de me comporter de la même façon que
229 je me comporterai avec un patient non criminel.
230 Théo : Donc comme ta relation soignant-soigné, ta distance professionnelle n’est pas
231 impactée par le fait qu’il a commis un acte criminel ?
232 IDE 2 : Non en tous cas j’essaye qu’elle le soit le moins possible. Et selon moi elle doit
233 l’être le moins possible. Enfin il y a des petites choses qui font que l’on se comporte
234 différemment. C’est bête mais le fait d’enlever ses pinces Kocher et ses ciseaux de sa
235 poche et même les stylos avant d’entrer dans la cellule parce que potentiellement il y
236 a danger, bah ça nous rappelle que ce n’est pas un patient comme les autres. Mais on
237 doit être capable d’oublier, de le laisser à la porte et de s’occuper du patient. Penser
238 d'abord au patient avant de penser au criminel.
Entretien C.L N°3
1 Théo : Est-ce que tu peux te présenter, me dire depuis quand tu es diplômée, depuis
2 quand tu travailles dans ce service, dans quel service tu travailles et un peu ton
3 parcours depuis ton diplôme ?
4 IDE 3 : Bonsoir, je m’appelle C je suis diplômée depuis juillet 2017 et depuis août 2017
5 je travaille en chirurgie urologique et c’est tout ce que j’ai fait depuis le diplôme.
6 Théo : Quand on discutait tu m’as dit que tu avais pris en charge un patient qui avait
7 commis un acte criminel, est-ce-que tu peux me le présenter, est-ce-que tu peux me
8 dire les informations que tu avais au moment de sa prise en charge à propos de son
9 passé ?
10 IDE 3 : C’est un monsieur qui venait de la prison de Fresnes, qui est venu pour se faire
11 opérer, qui était donc sous surveillance policière. À son arrivée on avait aucune
12 information, en tous cas moi, j’en n’avais aucune et c’est des policiers avec qui j’ai
13 sympathisé qui étaient là la nuit qui m’ont expliqué pourquoi.
14 Théo : D’accord, donc tu connaissais le motif exact ?
15 IDE 3 : Non pas exact !
16 Théo : On va donc commencer la première question, est-ce-que tu peux me définir ce
17 que sont pour toi les valeurs personnelles ?
18 IDE 3 : Les valeurs personnelles (rire) c’est ce que j’amène de moi dans mon travail.
19 C’est-à-dire que moi dans mes valeurs, en tant qu’infirmière c’est d’être souriante,
20 d’être respectueuse, d’être toujours avenante, dans l’empathie pour moi c’est mes
21 valeurs personnelles que j’amène dans mon sac à main quand je viens à l’hôpital.
22 Théo : Et hors de l’hôpital quelles sont tes valeurs personnelles ? Comment tu définis
23 une valeur personnelle en général ?
24 IDE 3 : Du coup je définirais ça comme un état d’esprit ou une façon d’être, auxquels
25 on attache une importance pour soi, on fait attention de la mettre à profit tous les jours.
26 Théo : Est-ce que tu peux me donner tes principales valeurs personnelles ? Dans ta
27 vie de tous les jours, on parlera plus tard de tes valeurs professionnelles.
28 IDE 3 : Dans la vie de tout le jour j’attache beaucoup d’importance et je tâche de l’être
29 sur le respect, l’empathie et la sympathie. Ce sont mes trois valeurs personnelles.
30 Théo : Ok, quelle place occupent tes valeurs personnelles dans l’exercice de ton
31 métier ?
32 IDE 3 : Si on devait mettre un pourcentage ce serait de l’ordre de 100% c’est à dire
33 que l’empathie à laquelle j’attache une importance, le respect et la sympathie elle est
34 clairement visible quand je travaille.
35 Théo : Ok, que penses-tu de la prise en charge d’un patient qui a commis un acte
36 criminel ?
37 IDE 3 : Je pense que sur le papier cela ne doit rien changer. C’est comme ça, c’est
38 une évidence, c’est un patient comme un autre. Maintenant dans la réalité je pense
39 que consciemment ou inconsciemment, et j’espère inconsciemment on fait une
40 différence, quand même. Ce n’est pas normal, mais on le fait.
41 Théo : Comment elle se manifeste pour toi cette différence ?
42 IDE 3 : Du coup je me base vraiment sur cet exemple là, je pense que j’ai moins
43 raconté de blagues, j’ai moins été vers le contact physique avec lui.
44 Théo : Comment est-ce que tu as vécu la prise en charge d’un patient qui a commis
45 un acte criminel ? Surtout que toi tu connaissais le motif par rapport à tes valeurs
46 personnelles ?
47 IDE 3 : Justement comme dans mes valeurs personnelles le prendre en charge en tant
48 que patient est extrêmement important j’ai essayé de ne faire aucune différence entre
49 les deux.
50 Théo : Ok, comment tu définis les émotions du soignant ?
51 IDE 3 : (Rire) une définition ? … Bah c’est les choses que l’on va mettre en œuvre
52 consciemment ou inconsciemment et qui vont avoir des répercussions sur notre
53 manière de travailler.
54 Théo : Et quelle place occupent tes émotions quand tu prends en charge des patients
55 d’une manière générale ?
56 IDE 3 : On aime tous à se dire que l’on ne met pas nos émotions, que l’on est là pour
57 travailler, je pense que ce n’est pas vrai. Un patient pour qui je ressens de la
58 sympathie, à la base je ressens de la sympathie pour tous mes patients jusqu’au
59 moment où ça peut basculer.
60 Tu peux répéter la question ? Je me suis égarée dans ma réponse.
61 Théo : C’était quelle place occupent tes émotions dans la prise en charge des patients
62 ?
63 IDE 3 : Oui elles occupent une place extrêmement importante c’est évident après je
64 fais en sorte que mes émotions qui n’ont rien à voir avec ce patient-là ne l’impact pas.
65 Par contre, s’il m’a énervé, il m’a énervé.
66 Théo : Et comment tu gères tes émotions quand tu prends en charge un patient qui a
67 commis un acte criminel ?
68 IDE 3 : J’ai pas eu de besoin… Enfin j’ai pas eu besoin de me poser la question, je
69 n’ai pas été en situation de difficulté face à lui. C’est très faux, c’est complètement faux
70 parce qu’il a été très violent une nuit envers une des policière qui était là, et en effet
71 j’ai changé je pense inconsciemment et maintenant en y réfléchissant, j’ai changé dans
72 le sens où j’étais plus sa copine dans la relation que j’avais avec lui, où on s’entendait
73 bien, là j’étais la soignante qui lui laisse pas le choix et que ce sera la piqûre qui va le
74 calmer.
75 Théo : Mais du coup il y a eu un avant et un après le fait qu’il ne respecte pas le
76 personnel ?
77 IDE 3 : Pas le personnel soignant !
78 Théo : Oui mais le personnel policier ou pénitencier
79 Est-ce que tu peux me dire ce que sont pour toi les mécanismes de défense ?
80 IDE 3 : Les mécanismes de défense c’est ce que l’on met en œuvre, encore une fois,
81 consciemment ou inconsciemment pour se protéger soi et pour ce que l’on pense
82 parfois être de protéger le patient.
83 Théo : Et quelle place tu donnes aux mécanismes de défense dans la prise en charge
84 d’un patient qui a commis un acte criminel ?
85 IDE 3 : J’essaye de me remémorer des mécanismes de défense (rire). Je n’ai pas
86 l’impression d’en avoir spécialement mis en œuvre mis à part ce moment ou du coup
87 il a été violent, forcément bah ce pourquoi il est en prison ça fait forcément écho dans
88 le cerveau. Dans ce cas ce n’est même pas un mécanisme de défense qu’est la
89 négociation et tout ça. J’en ai un en tête mais je n’arrive pas à le transposer à la
90 situation.
91 Théo : Tu as peut-être pas utilisé de mécanismes de défense face à cette situation ?
92 IDE 3 : Je n’ai pas l’impression.
93 Théo : Tout à l’heure quand je t’ai parlé des valeurs personnelles, rapidement tu m’as
94 parlé des valeurs professionnelles du coup on va y arriver. Comment tu définis tes
95 valeurs professionnelles ?
96 IDE 3 : J’ai du mal à faire la distinction entre mes valeurs personnelles et
97 professionnelles, c’est à dire que dans mes valeurs perso j’ai parlé de respect et dans
98 mes valeurs professionnelles c’est le numéro 1. Tout en découle de là, je ne laisserai
99 pas un patient avec sa protection pleine, mais ce n’est même pas du professionnel,
100 c’est juste du respect. Je ne fais pas de distinction entre les deux.
101 Théo : Je reformule, tu ne penses pas qu’il y a des valeurs professionnelles que l’on
102 développe et qui sont propre au métier ?
103 IDE 3 : Bah j’essaye de réfléchir mais c’est à dire que mes valeurs professionnelles
104 c’est quoi ? De ne pas laisser un patient dans sa protection pleine mais c’est du respect
105 tout simplement. Si tu as un exemple qui peut m’aider ?
106 Théo : Non mais c’est très intéressant à analyser ce que tu me dis. Du coup pour toi
107 tu prends en charge tes patients comme tu es dans la vie. Comme tu pourrais prendre
108 en charge tes amis ? Enfin ce n’est pas les mêmes comportements mais tu vois ce
109 que je veux dire ?
110 IDE 3 : Oui bien sûr, je ne joue pas un rôle quand je suis au travail, je suis souriante
111 avec plaisir, c’est naturel. De temps en temps je mets un masque car je suis fatiguée
112 ou ça ne va pas mais ce n’est pas grave ça reste à la maison, on met le masque avec
113 le sourire et ça revient naturellement parce que c’est ma nature d’être et que je suis
114 comme ça dans la rue dehors, mais oui quand j’ai une discussion avec quelqu’un que
115 je ne connais pas dans la rue j’aurais le même comportement qu’avec l’un de mes
116 patients.
117 Théo : Dans quelle mesure tu penses que tes études ont favorisé l’émergence de
118 valeurs professionnelles ? Ou est-ce que tu avais ces valeurs avant ?
119 IDE 3 : Je pense que je les avais avant, maintenant mes études m’ont permis de savoir
120 ce que surtout je ne voulais pas être et pas faire. J’ai compris l’importance de garder
121 mes valeurs et que le jour où je les ai plus il faut que je me remettre en question et
122 pourquoi pas changer de métier.
123 Théo : Comment concilies-tu tes valeurs personnelles et professionnelles dans ton
124 métier ?
125 IDE 3 : J’arrive avec mes valeurs personnelles et je ne les laisses pas au vestiaire.
126 Mes valeurs personnelles m’accompagnent tous les jours, toutes les minutes dans
127 mon travail. Toujours dans le respect, je radote un peu la dessus mais c’est un peu le
128 B - A - BA.
129 Théo : Dans quelle mesure le passé criminel d’un patient intervient-il dans la
130 confrontation de tes valeurs personnelles et professionnelles ?
131 IDE 3 : Je suis évidemment pas d’accord avec son passé criminel, c’est à dire l’acte
132 criminel ça ne correspond pas du tout à mes valeurs personnelles, en revanches mes
133 valeurs personnelles sont aussi que tout le monde a le droit d’être soigné, c’est la loi,
134 c’est écrit dans la loi, tout le monde a le droit à des soins de même qualité et donc
135 c’est ça qui prend le dessus dans ma tête au lieu de me concentrer sur son passé
136 criminel.
137 Théo : Comment l’association des valeurs personnelles et professionnelles peuvent
138 entrer en conflit dans une prise en charge d’un patient qui a commis un acte criminel
139 ?
140 IDE 3 : Elles peuvent entrer en conflit, un exemple d’actualité, demain on t'amène un
141 terroriste qui vient de commettre un attentat, c’est évidemment pas dans mes valeurs
142 que de tuer des gens, évidement, par contre c’est dans mes valeurs personnelles et
143 professionnelles que tout le monde a le droit à des soins. Ça va être un conflit interne
144 mais le patient sera traité comme n’importe quel autre patient. Je ne sais pas si je vais
145 réussir, mais j’ai réussi sur ce patient là, sur cette situation-là. Par contre, demain sur
146 un violeur d’enfant je ne sais pas si je vais réussir. J’espère, c’est mon idéal.
147 Théo : Et du coup dans la prise en charge dont on parle depuis tout à l’heure, comment
148 toi tu as surmonté tes propres valeurs personnelles dans la prise en charge de ce
149 patient ?
150 IDE 3 : J’ai occulté complètement, c’est à dire que je ne rentrais pas dans sa chambre
151 en me disant “ah c’est celui qui a fait ça”. Non, des fois j’oubliais, je rentrais dans sa
152 chambre comme dans n’importe quelle chambre et en l’occurrence une des nuits où
153 j’ai passé la nuit entière dans sa chambre car il avait beaucoup de douleurs, et j’ai
154 complètement occulté, je pensais à autre chose et à des moments ça me reviens et
155 ça repart. J’essaye de ne pas y penser.
156 Théo : Est-ce que tu as déjà refusé une prise en charge ou un soin car il ne
157 correspondait pas à mes valeurs personnelles ou professionnelles ?
158 IDE 3 : Oui par contre ça n’a rien à voir avec le criminel, c’était en oncologie, une
159 patiente plus ou moins en soins palliatif qu’on nous a demandé de préparer pour
160 descendre au bloc pour une ponction d’ascite. J’étais étudiante infirmière et avec mon
161 infirmier on a stoppé net en disant qu’il était hors de question parce que de toute façon
162 elle ne tiendrait même pas le fait d’être transférée sur un brancard. Donc on nous a
163 écouté, la ponction d’ascite a été faite au lit et ensuite le même jour deux heures après
164 on nous a demandé de préparer tout ce qu’il faut pour que le lendemain elle soit
165 transférée en unité de soins palliatif, ce que l’on a refusé car de toute façon encore
166 une fois elle ne tiendrait pas le transfert sur le brancard. Et cette dame est décédée
167 deux heures plus tard. Et donc là donc, c’était contre mes valeurs d’acharnement
168 thérapeutique que je mets entre grandes guillemet mais c’était contre mes valeurs à
169 moi d’insister, de faire des choses qui vont faire souffrir cette dame alors que
170 clairement c’est la fin. Ça n’aurait pas amélioré son état.
171 Théo : Comment est-ce que tu définis la relation soignant-soigné ?
172 IDE 3 : Est-ce que je peux ressortir la définition qu’il y a dans mon mémoire ou pas
173 (rire) ?
174 Théo : Bah si tu peux me dire que tu l’as traité dans ton mémoire.
175 IDE 3 : Oui mais de toute façon je ne me souviens pas de la définition. Pour moi la
176 relation soignant-soigné c’est une relation qui doit être si possible, dans le meilleur des
177 monde, de qualité ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. Dans tous les
178 cas c’est… la relation entre nous personnel soignant qui pouvons apporter quelque
179 chose à un soigné. Dans mon monde à moi, elle est de qualité.
180 Théo : Comment cette relation se met en place dans ton exercice professionnel ?
181 IDE 3 : Elle se met en place à la première seconde où tu rentres dans la chambre du
182 patient. C’est à dire que le toc toc, oui entrez, bonjour, sourire, c’est moi l’infirmière
183 C… infirmière de nuit c’est 70% - 80% de ta relation soignant-soigné qui est gagnée.
184 Théo : Quelle place tu donnes à la relation soignant-soigné dans la prise en charge
185 d’un patient criminel ?
186 IDE 3 : Du coup moi au début où je me suis occupée de lui je n’étais pas au courant
187 du pourquoi du comment donc je n’ai rien changé à ce que j’ai dit avant c’est à dire
188 que les premières secondes font tout. Et comme je l’ai vraiment pris en charge comme
189 un patient lambda entre guillemet. Une fois que j’ai su le pourquoi du comment ça n’a
190 rien changé jusqu’au moment où il a commencé à être violent. Mais du coup jusqu’à
191 ce moment-là, cette relation soignant-soigné avec ce patient là étaient de très bonne
192 qualité.
193 Théo : Et il n’y a pas eu d’appréhension, de premier jugement avec le fait qu’il soit
194 accompagné de policiers ?
195 IDE 3 : Non c’est plus de la curiosité malsaine et mal placée mais pas d'appréhension
196 ça de toutes façons on sait qu’ils sont là pour nous aider si il y a besoin aussi. Donc
197 non pas spécialement.
198 Théo : Que représente pour toi la juste distance professionnelle ?
199 IDE 3 : Pour moi, elle représente un peu la clef, une des clefs de notre métier. Elle
200 n’est pas toujours facile justement pour moi personnellement par mes valeurs de
201 sympathie de blagounettes. Elle n’est pas toujours facile à tenir. Pour moi elle l’est,
202 par contre je me rends de plus en plus compte que pour les patients elle n’est pas
203 toujours claire. Donc il y a des patients qui se permettent des réflexions qui ne sont
204 plus du tout dans la distance de soignant à soigné, dans la distance professionnelle.
205 Théo : Tu as un exemple ?
206 IDE 3 : Oui un très bon exemple il n’y a pas très longtemps, un patient qui m’a dit au
207 bout de la deuxième nuit que j’étais très jolie mais que je devais perdre du ventre. Bah
208 la qualité est un peu biaisée pour la suite de la relation.
209 Théo : Du coup ça casse la relation soignant-soigné ?
210 IDE 3 : Bah là, ça la casse nettement. Alors je suis restée courtoise, respectueuse et
211 sympathique mais pas plus.
212 Théo : Avec ce patient du coup qui a commis un acte criminel, comment tu as géré
213 cette juste distance ?
214 IDE 3 : Je n’ai pas eu de difficultés avec lui à la gérer. D’ailleurs, je pense qu’on peut
215 le rentrer là dedans. Dans les premières nuits où je me suis occupée de lui, j’ai eu un
216 souci je n’arrivais pas à le bilanter. Donc le monsieur m’apprend que dans la journée
217 des infirmières le laissent se piquer tout seul. C’est-à-dire qu’il fait ses bilans tout seul.
218 Je pense qu’il y a un souci de distance à ce moment-là. Entre autres problèmes, c’est-
219 à-dire que le patient il n’est pas au club Med, on n’est pas en prison à se faire ces
220 tatouages tout seul, ce qui en l’occurrence était le cas. Là il était dans un cadre
221 spécifique qui est le cadre hospitalier, il n’a pas à se faire ses piqûres tout seul. C’était
222 beaucoup moins agréable car on a pris en artérielle mais c’est comme ça, ce n’est pas
223 à lui de se piquer, c’est à nous de le faire.
Entretien D.E N°4
1 Théo : Est-ce que tu peux te présenter, me dire depuis quand tu es diplômée, dans
2 quel service tu travailles et depuis quand tu y travailles et pour finir ton parcours depuis
3 ton diplôme
4 IDE 4 : J’ai 23 ans, j’ai commencé en septembre 2016, j’ai commencé direct par la
5 réanimation suite à un stage que j’avais fait en réa et du coup je savais que c’était de
6 la réa que je voulais faire. Ma dernière année c’était surtout tout ce qui était soins
7 intensifs donc réa et soins intensifs néphrologie et du coup c’était par là que je voulais
8 me diriger donc pour l’instant j’ai fait que de la réa et maintenant ça fait deux mois que
9 je travaille de jour. Même pas deux mois, parce qu’avant je travaillais de nuit.
10 Théo : Tu m’as dit que tu avais pris en charge un patient qui a commis un acte criminel,
11 est-ce que tu peux me dire ce que tu savais de lui quand tu l’as pris en charge. Est-ce
12 que tu avais des informations précises ?
13 IDE 4 : Alors, la cadre était venue dans le service pour prévenir qu’il y allait avoir un
14 patient détenu, moi je n’étais pas là le jour où elle a prévenu donc je l’ai su par mes
15 collègues. Mais avant le jour où je suis arrivé je ne savais pas du tout de quel ordre
16 c’était, ce qu’il avait fait. La seule chose c’est que du coup j’ai su ce qu’il avait fait parce
17 que normalement les patients détenus sont rentrés sous X à l'hôpital pour des
18 questions que l'extérieur ne sache pas qu’il est hospitalisé, et pour éviter les risques
19 d’évasion. Donc normalement tous les patients sont rentrés sous X à l'hôpital. Donc
20 c’était sensé être le cas et le jour où j’arrive je vois sur la prescription que le patient
21 n’est pas rentré sous X, et qu’il a des étiquettes à son nom. Donc bien sûr, j’étais de
22 nuit à cette époque et le personnel de la journée avait cherché ce qu’il avait fait sur
23 internet et du coup, quand moi je suis arrivé on m’a dit ce qu’il avait fait. Du coup au
24 final quand j’ai commencé à le prendre en charge je savais ce qu’il avait fait.
25 Théo : Est-ce que tu peux me dire ce que sont pour toi les valeurs personnelles ?
26 IDE 4 : Pour moi les valeurs personnelles ce sont des valeurs qui nous animent nous
27 en tant que personne. Ce sont des choses qui sont indépendantes de nous parce
28 qu’on ne peut pas les contrôler. C’est des choses qui ne devraient pas, normalement
29 interférer dans notre travail mais qui font qu’on est cette personne là. Qu’on est nous
30 avec nos pensées. Donc forcément ça s’implique quand même dans notre travail au
31 quotidien je pense.
32 Théo : Sans parler des valeurs professionnelles est-ce que tu peux me donner des
33 valeurs personnelles qui te caractérisent ?
34 IDE 4 : … Le respect ça c’est sûr … je suis en train de réfléchir, c’est pas facile comme
35 question. L’humilité aussi, c’est très important ... je pense. Oui je pense que c’est les
36 deux qui sont pour moi les plus importantes sur le plan personnel.
37 Théo : Ok et quelle place occupent tes valeurs personnelles dans ton métier ?
38 IDE 4 : Bah le respect forcément du coup comme j’ai dit. J’ai dans mon quotidien, donc
39 bien évidement que je l’ai dans mon travail. Je mets un point fort pour respecter toutes
40 personnes que je prends en charge, mais comme les personnes que je ne prends pas
41 en charge et que je côtoie au quotidien. Après au-delà des valeurs il y a aussi les traits
42 de caractères en général car je pense que moi je suis une personne assez souriante,
43 assez extravertie et que forcément dans mon travail je mets un point d’honneur à faire
44 pareil et d’ailleurs souvent les patients le disent, ils disent vous avez tout le temps le
45 sourire. Il y a tout ce qui est valeurs mais il y aussi la personnalité qui est indissociable
46 au niveau du travail et au niveau professionnel de toutes façons.
47 Théo : Qu’est-ce que tu penses de la prise en charge d’un patient qui a commis un
48 acte criminel ?
49 IDE 4 : Je pense qu’on n’est pas nous là pour juger. Il y a des personnes qui font ce
50 métier là, qui sont habilitées à juger, moi c’est pas mon travail, je ne suis pas là …
51 après comme je pense que la prise en charge dépend … Si on sait ce qu’il a fait, le
52 détenu, je pense que ça peut influencer malgré tout la prise en charge,
53 malheureusement, je pense que c’est pas pareil de prendre en charge un patient qui
54 a pu commettre des viols, des meurtres tout ça et un patient qui entre guillemet a fait
55 un cambriolage et qui est détenu pour ça. Je pense que malheureusement ça rentre
56 en compte même si on n’est pas juge et qu’on n’est pas la pour juger le patient mais
57 je pense que la prise en charge peut être différente en fonction de ce qu’a commis le
58 patient. Si on le sait ou pas.
59 Théo : Et comment toi tu as vécu cette prise en charge ?
60 IDE 4 : Quand je l’ai pris en charge du coup je savais ce qu’il avait fait, effectivement
61 ce n’est pas quelque chose qui me traumatisait par rapport à ce qu’il avait fait donc
62 quand je l’ai pris en charge, je l’ai pris en charge comme un patient lambda. C’est peut
63 être ça qui a été mon erreur du coup, parce que je me suis peut-être un peu trop laissé
64 amadouer, il y eu beaucoup de soucis par la suite et j’y suis allé comme n’importe quel
65 patient donc sourire, on y va on rigole on instaure une relation soignant-soigné mais
66 comme n’importe quel patient en fait, vraiment. Parce que je savais ce qu’il avait fait
67 et c’était pas quelque chose qui me rebutait en fait, qui me faisait peur, donc j’y suis
68 allé vraiment moi toute souriante, normale.
69 Théo : Tu dis qu’il y a eu des soucis, sans rentrer dans les détails est-ce que tu peux
70 me dire ce qu’il s’est passé ?
71 IDE 4 : La prise en charge du coup elle s’est passée en deux fois. Je travaillais lundi
72 mardi, c’est les premiers jours où je l’ai eu en charge, ça c’est extrêmement bien passé
73 il m’a beaucoup remercié, il disait aux policiers que j’étais très bien et il y a eu la
74 deuxième partie qui s’est donc passée le vendredi, samedi, non je crois que c’était que
75 le vendredi du coup, où là je l’ai pris en charge. C’était pas fait exprès, c’était la
76 répartition qui ce faisait comme ça. Et je pense que dans un excès de confiance et vu
77 que lui il me connaissait déjà, je le connaissais déjà et ça se passait bien. Lui a
78 complètement changé de comportement au bout de son troisième jour et du coup
79 arrivé au quatrième jour où il me connaissait, il s’est permis des remarques voire des
80 menaces envers moi, qui fait que la prise en charge a été très compliquée.
81 Théo : Comment tu définis les émotions du soignant ?
82 IDE 4 : Les émotions ? … Ce sont des sentiments qui sont propres à chacun, des
83 choses qui peuvent nous toucher plus ou moins … et qui peuvent interférer dans notre
84 prise en charge aussi. Donc en terme d’émotions il y a la peur, la tristesse, l’angoisse,
85 la joie. Toutes ces émotions je pense qu’on les voit au quotidien et qui nous animent
86 en tant que soignants et qui font que la prise en charge est plus ou moins facile auprès
87 d’un patient mais ça c’est pareil c’est indissociable de nous, de notre personnalité à
88 l’extérieur et de nous de notre travail en tant que soignant. Je pense que si l’on n’a pas
89 d’émotions en étant soignant on n’est pas un bon soignant car ça fait partie de la prise
90 en charge totale et c’est ce qui fait que l’on apporte un plus dans notre prise en charge.
91 Théo : Quelles places occupent tes émotions dans la prise en charge de tes patients
92 ?
93 IDE 4 : Je pense une grande place, je pense que je fonctionne beaucoup au feeling
94 avec les patients. Alors des fois il y a plus ou moins de feeling, mais alors moi c’est ce
95 que je disais je mets un point d’honneur à être avec les patients comme je suis dans
96 la vie de tous les jours et que après quand je suis triste malheureusement ça peut se
97 voir de temps en temps. Quand je suis heureuse ça peut se voir aussi mais je pense
98 que c’est aussi important. Moi il y a une grande place à l’émotion dans la prise en
99 charge de mes patients. Peu importe que ce soit de l’émotion du bien ou du mal c’est
100 vrai que quand il peut y avoir un peu d’énervement j’ose espérer que je ne la mets pas
101 trop dans ma prise en charge mais on est tous humains et que les émotions ça fait
102 partie de nous. Je pense que les émotions positives c’est très bien de les mettre dans
103 la prise en charge mais dans les négatives il faut essayer de les contrôler. Comme la
104 tristesse, je pense que c’est pas une tare d’être émue dans la prise en charge d’un
105 patient mais je pense qu’il faut aussi savoir la contrôler.
106 Théo : Ton émotion face à un patient criminel, comment tu la gères quand tu es face
107 à lui ?
108 IDE 4 : Alors comme je le disais, je n’ai pas pris en charge un seul patient détenu, ça
109 m’est arrivé plusieurs fois, par contre les autres fois je ne savais pas pourquoi ils
110 étaient là. Pour le coup comme je disais, il y avait aucun jugement de ma part, pour
111 moi la prise en charge a été vraiment pareille. Et là avec le patient détenu, je savais
112 ce qu’il avait fait, pour moi il y avait aucune peur, aucune angoisse. Sauf à la fin quand
113 il s’est passé le problème. Mais il n’y avait aucune peur, aucune angoisse et c’était
114 vraiment des émotions comme celles que je peux avoir habituellement quand je prends
115 un patient en charge.
116 Théo : Pourrais-tu me dire ce que sont pour toi les mécanismes de défense ?
117 IDE 4 : Ce sont des attitudes qu’on adopte pour se défendre de choses qui peuvent
118 nous attaquer nous personnellement et donc des réactions que l’on n’aurait pas en
119 temps normal, quand on se sent vulnérable face à une situation.
120 Théo : Et quelle place tu donnes aux mécanismes de défense quand tu prends en
121 charge ce patient criminel ?
122 IDE 4 : On a tous forcément des mécanismes de défenses, mais je pense que je ne
123 m’en rends pas compte. Mais quand j’analyse les situations, je pense que sur la
124 première partie de la prise en charge, quand ça se passait très bien, je n’en avais pas
125 spécialement adopté. Parce que justement je n’avais pas de peurs, pas d’angoisses,
126 pas d'aprioris sur le patient donc il y a juste au début quand je l’ai pris en charge il avait
127 très mal, il sonnait beaucoup, c’était pendant le relais avec une autre équipe et du coup
128 c’était un des policiers qui était venu nous voir pour nous dire que le patient était en
129 train de s’énerver, qu’il avait très mal. Donc là je m’étais dit si il commence à s’énerver
130 … Donc j’y suis allé en adoptant peut être attitude qui allait dans son sens mais très
131 vite je me suis rendu compte qu’il y avait aucun soucis. Et par la suite mon mécanisme
132 de défense a été très simple car après le problème, j’ai refusé de le prendre en charge
133 et j’ai demandé à un de mes collègues de prendre la suite de la prise en charge. Donc
134 là pour le coup ça a été quelque chose de très clair.
135 Théo : Donc ça répond un peu à la question suivante, dans quelle mesure les
136 mécanismes de défenses t’ont-ils permis de te soustraire à une situation ?
137 IDE 4 : Donc là c’était clairement d’éviter la situation qui pour moi avec l'événement
138 qui s’était passé était trop lourde et je ne me sentais pas de retourner dans sa
139 chambre.
140 Théo : Donc tu as vu que la situation t'échappait et tu as préféré passer la main à un
141 collègue ?
142 IDE 4 : Ah oui totalement, justement je n’en ai pas assez adopté des mécanismes de
143 défense. J’étais trop en mode sereine, en mode il n’y a pas de problèmes, c’est un
144 patient comme les autres, et au final j’aurais du peut être plus me protéger, ne pas y
145 aller aussi sereinement que j’y suis allée.
146 Théo : Comment tu définis les valeurs professionnelles d’un infirmier ?
147 IDE 4 : Bah ça revient un peu à la question sur les valeurs personnelles, pour moi c’est
148 des valeurs auxquelles je pense quand je prends en charge un patient et je pense que
149 mes valeurs personnelles sont proches de mes valeurs professionnelles. Pour moi les
150 deux sont très proches car je pense que je suis dans ma vie professionnelle un peu
151 comme je suis dans ma vie personnelle.
152 Théo : Dans quelle mesure tu penses que tes études ont permis l’émergence de tes
153 valeurs professionnelles ?
154 IDE 4 : Je pense que du coup je les avais avant, je ne pense pas que ce soit mes
155 études qui m’ont permis de construire mes valeurs professionnelles. Si du coup les
156 stages mais encore plus l'expérience par la suite. Je pense que la plupart des mes
157 valeurs professionnelles je les avais déjà. Alors surement que je les développe plus
158 aujourd’hui en tant que professionnelle mais je pense que j’avais pas mal de valeurs
159 professionnelles que j’avais de base en valeurs personnelles.
160 Théo : Et comment tu concilies tes valeurs perso et pro quand tu effectues ton métier
161 ?
162 IDE 4 : Pour moi les deux sont liées, je ne me pose pas la question. En fait pour moi
163 on est une seule et même personne. C’est peut-être bien ou pas ce n’est pas la
164 question mais moi, je ne me vois pas … Enfin moi il y des traits de caractère que j’ai
165 sur le plan professionnel, que je n’ai pas sur le plan personnel. La patience, je l’ai plus
166 dans le professionnel que dans le personnel. Je ne peux pas manquer de patience
167 auprès d’un patient qui est là, je ne vais pas réagir devant lui comme je réagi dans la
168 vie de tous les jours. Mais la plupart de mes valeurs personnelles sont mes valeurs
169 professionnelles aussi.
170 Théo : Dans quelle mesure le passé criminel d’un patient intervient-il dans la
171 confrontation de vos valeurs personnelles et professionnelles ?
172 IDE 4 : Qu’il ait fait des erreurs graves dans sa vie cela ne me concerne pas. Je suis
173 là pour le prendre en charge et le soigner. Effectivement c’est pas dans mes valeurs
174 ce qu’il a fait mais je ne doit ne pas en tenir compte pour assurer au patient une bonne
175 prise en charge.
176 Théo : Dans quelle mesure tu penses que les valeurs perso et pro peuvent entrer en
177 conflit dans la prise en charge d’un patient qui a commis un acte criminel ?
178 IDE 4 : Bah la, c’est ce que je disais, il y a certaines personnes ça va les rebuter
179 directement rien que de savoir que ces personnes sont détenues. Donc moi ce que je
180 pense c’est que ma prise en charge pourrait être différente même si je dit que je ne
181 suis pas juge dans le cas où j’apprend que un patient détenu a violé, a tué, tout ça je
182 pense que ça serait compliqué pour moi même si je dis qu’on est pas juge. Mais je
183 pense que pour beaucoup le fait qu’un patient soit détenu ça peut les rebuter aussi.
184 Donc c’est là ou le personnel influe sur le professionnel car nous on doit prendre en
185 charge n’importe quelle personne de la même manière et ça ne doit pas interférer
186 normalement dans notre prise en charge.
187 Théo : Et du coup comment toi tu as surmonté tes valeurs quand tu as pris en charge
188 ce patient criminel ?
189 IDE 4 : Du coup comme je savais ce qu’il avait fait je n’avais pas trop de problèmes
190 avec ça c’est plutôt lui, ce qu’il a fait, il sera jugé pour ça.
191 Théo : En fait parce que ce n’était pas dans la liste des violeurs et meurtrier c’était
192 plus facile ?
193 IDE 4 : Dans le sens où je n’avais pas de peurs, pour moi je me devais de le prendre
194 en charge car c’est un patient à prendre en charge comme n’importe qui. Ce qui est
195 plus compliqué moi je trouve dans cette prise en charge c’est le fait qu’il y ait pas mal
196 de policiers devant la chambre. Pour moi c’est ce qui est plus dérangeant dans la prise
197 en charge. Qui te rappelle que ce n’est pas un patient comme les autres. Mais en
198 terme de valeurs moi je n’avais pas de problèmes avec ça et si je parle des autres
199 patients détenus que j’ai pris, où je ne savais pas le motif, moi c’est pareil, je ne me
200 suis pas dit que je prenais en charge un détenu. Ce qui est particulier c’est qu’il y ait
201 tout le temps des policiers devant la chambre et qui ça, te rappelle au quotidien que
202 ce n’est pas un patient comme les autres. Mais à partir du moment où le patient a du
203 respect envers moi, mon travail, mes collègues et envers notre prise en charge, est
204 poli. À partir de ce moment là il n’y a pas de problèmes.
205 Théo : Est-ce que tu as déjà refusé une prise en charge ou un soin car il n’était pas
206 en accord avec tes valeurs personnelles et professionnelles ?
207 IDE 4 : Non, sauf comme j’ai dit à la fin de la situation où la prise en charge était trop
208 compliquée pour moi à gérer, j’ai dit “stop”. Mais c’est l’unique fois où je n’ai pas pris
209 en charge, où j’ai arrêté la prise en charge de ce patient. Après quand il y a des
210 désaccords sur des soins, des choses qui peuvent interférer sur mes valeurs
211 professionnelles je pense qu’il y a toujours moyen de discuter avec d’autres médecins,
212 d’autres infirmiers.
213 Théo : Comment tu définis la relation soignant-soigné ?
214 IDE 4 : Pour moi, je pense que la relation soignant-soigné elle est forte, c’est vrai que
215 j’ai besoin de créer un lien avec le patient. Même quand j’étais étudiante j’ai toujours
216 aimé le contact avec les patients, c’est pour ça que j’aime la prise en charge des
217 adultes car je pense que les liens sont faciles à créer et je mets un point d’honneur à
218 essayer de créer une relation de confiance, de rigolade aussi si je puis dire. Si on arrive
219 à rigoler avec le patient moi c’est ce que je veux. Si je peux apporter un peu de joie
220 dans sa prise en charge moi j’y mets un point d’honneur. On pourrait dire qu’en réa
221 c’est différent mais moi même avec les patients intubés j’essaye de créer un vrai lien.
222 Pour moi c’est une relation qui est très forte qui doit passer par la confiance mais aussi
223 par la complicité soignant-soigné. Moi j’ai l’impression de beaucoup rigoler avec mes
224 patients mais pour moi c’est indispensable.
225 Théo : Comment cette relation se met-elle en place dans votre exercice professionnel
226 ?
227 IDE 4 : Elle se met en place naturellement quand je suis avec le patient. Comme j’aime
228 bien rigoler avec eux souvent c’est comme ça que j’aborde mes patients ça me permet
229 de créer tout de suite un contact pour ensuite faciliter nos échanges. Je pense aussi
230 que la relation que j’ai avec mes patients est complètement liée à mon attitude dans
231 les premières secondes de la prise en charge.
232 Théo : Quelle place tu donnes à la relation soignant-soigné quand tu prends en charge
233 un patient qui a commis un acte criminel ?
234 IDE 4 : Bah comme je disais pour moi la relation soignant-soigné elle doit être pareille,
235 elle doit être naturelle, ne pas avoir de peurs ou d'aprioris parce que sinon ça peut être
236 compliqué et ça impliquerait de ne pas prendre en charge comme je prendrais en
237 charge un autre patients. Moi quand j’ai des patients détenus je préfère vraiment, ne
238 pas savoir pourquoi ils sont là. Parce que ça pourrait influencer ma prise en charge,
239 ma relation soignant-soigné et ce n’est pas forcément bénéfique.
240 Théo : Que représente pour toi, la juste distance professionnelle ?
241 IDE 4 : (rire) La juste distance professionnelle ? …. Un terme très théorique, pour moi
242 qui dans la réalité n’a pas lieux d’être. C’est un peu fort comme mot peut-être mais
243 quand à l’école on nous répétait “oui la distance professionnelle, patati patata, il ne
244 faut pas trop s’impliquer dans la prise en charge d’un patient” en fait si tu t’impliques
245 pas, au bout d’un moment ça n’ira pas non plus. Moi je m’implique, alors oui des fois
246 le décès d’un patient ça va être compliqué quand tu t’es beaucoup impliquée dans la
247 prise en charge. Et bah en fait si tu as besoin d’aller pleurer dans les toilettes cinq
248 minutes pour souffler et bah tu le fais. Pas forcément devant le patient, mais pour moi
249 c’est indispensable d’aussi s’impliquer. Après c’est ma vision des choses, je suis très
250 à cheval là dessus mais parce que moi je suis entière et pour moi, ça m’est arrivé une
251 fois ou je me suis impliqué beaucoup beaucoup beaucoup trop et que là effectivement
252 c’était peut être pas bénéfique pour moi, aussi, parce que c’était une prise en charge
253 très compliquée, d’un patient qui allait vraiment très mal, qui était jeune. Et là, de moi
254 même je me suis dit, je pense que ça va, je l’ai beaucoup pris en charge. Mais tant
255 qu’on a cette analyse sur la situation et qu’on sait que l’on s’implique de telle manière
256 et que je peux gérer cette situation … En fait pour moi la juste distance professionnelle,
257 il faut l'analyser. C’est-à-dire à partir du moment où ça ne va pas trop en pâtir dans ta
258 prise en charge et que ça reste du positif pour toi et pour le patient, pour moi il n’y a
259 pas de raisons de ne pas s’impliquer et de ne pas trop s’impliquer. Il faut aussi savoir
260 s’analyser pendant tes études, on t’apprend à analyser tes situations, à analyser telle
261 ou telle chose et ça c’est important de le faire. Et parfois moi je rentre chez moi et je
262 me dis effectivement que ce soit sur des soins techniques ou sur des situations qu’il y
263 a eu, je pense que j’analyse. Si j’analyse et que je vois que la relation est trop proche
264 avec le patient, que je m’implique trop, ça peut être compliqué au fur et à mesure. Mais
265 moi quand je réfléchi, on est beaucoup, je pense, à s’impliquer énormément mais c’est
266 ce qui fait que l’on prend bien en charge les patients. Je pense qu’il faut arrêter d’être
267 que dans le théorique, donc toi tu es le soignant et il faut juste rester à bonjour
268 monsieur, est-ce que vous avez mal? Bon bah très bien, on fait une blague de temps
269 en temps, de faire genre on est sympa. Je pense que la distance professionnelle, tant
270 qu’elle est gérée il n’y a pas de soucis. C’est à partir du moment où on voit que c’est
271 compliqué, on stoppe.
272 Théo : Et par rapport à ce patient qui a commis un acte criminel, ta juste distance elle
273 était la même ?
274 IDE 4 : Bah au début effectivement peut-être que ça a été trop loin, peut-être que
275 j’aurais dû plus me méfier. Pas en première partie mais enfin … Moi comme je disais,
276 j’y suis allée en me disant : il faut prendre en charge ce patient comment n’importe qui.
277 Au final, je ne pense pas que j’aurais dû faire les choses autrement. Par contre ça a
278 été la bonne chose de dire ça a été trop loin, je ne peux plus prendre en charge ce
279 patient. Parce que je sais qu’il y a d’autres personnes, car certains de mes collègues
280 m’ont dit que j’avais trop rigolé avec lui, mais en fait ça veut dire que si j’étais partie à
281 me dire que je ne dois pas rigoler avec ce patient, je dois juste faire les soins lambda,
282 monsieur vous avez mal, oui, non, Bah cela oui aurait été à l’encontre de mes valeurs
283 car je ne suis pas juge. Alors oui c’est vrai que j’ai instauré une vraie bonne relation
284 avec ce patient au début comme j’aurais fait avec n’importe quel patient. Au final ça
285 m’est retombé dessus car le patient a pris la confiance, il a dépassé les limites et c’est
286 là où je dis que la distance professionnelle c’était plus possible donc j’ai passé le relais
287 à mes collègues.
Quand les valeurs de l’infirmier rencontrent la criminalité
Ce mémoire de fin d’étude traite de la gestion des valeurs personnelles et
professionnelles d’un infirmier face à un patient ayant commis un acte criminel.
Les valeurs sont omniprésentes dans notre vie de tous les jours. Elles nous
accompagnent jusque dans notre poste de soins lorsque nous sommes amenés à
nous confronter à la criminalité.
Cette première analyse m’à conduit à la question de départ : les valeurs
personnelles de l’infirmier influent-elles sur ces valeurs professionnelles dans la
relation soignant-soigné avec un patient ayant commis un acte criminel ?
Afin de construire ce travail de recherche, je me suis tout d’abord appuyé sur
des textes de lois ainsi que sur des auteurs ayant rédigé des livres ou des articles à
propos de ce sujet.
Après avoir effectué ce travail de recherche, j’ai créé un guide d’entretien semi-
directif qui m’a permis ensuite d’interroger quatre infirmiers travaillant dans des
services de soins généraux et qui ont pris en charge un patient ayant commis un acte
criminel.
L’élément principal qui ressort des entretiens, est le travail en équipe. En effet,
tous ont évoqué la nécessité de “passer la main “en cas de difficulté dans une prise
en charge.
5 mots clefs : Acte criminel, valeurs personnelles, émotions, valeurs
professionnelles, relation soignant soigné.

When the values of the nurse meet the crime


This dissertation focuses on the management of the personal and
professional values of a nurse faced with a patient who has committed a criminal
act.
Values are ubiquitous in our everyday lives. They are even with us at work
when we are faced with crime.
This primary analysis led me to the initial question: do the personal values
of a nurse influence their professional values in the caregiver-patient relationship
in the case of a patient having committed a crime?
In building this research, I first of all studied legislative texts as well as books
or articles written by authors about this subject. Then I created a semi-directed
interview guide which enabled me to interview four nurses working in general care
wards who had cared for a patient who had committed a crime.
The main element emerging from these interviews is teamwork. Indeed all
four mentioned the need to transfer care to a colleague in case of difficulty with a
particular case.
5 key words : Criminal act, personal values, emotions, professional values,
care-giving relationship.

Vous aimerez peut-être aussi