Vous êtes sur la page 1sur 81

MASTER MEEF

Parcours « Education et Pédagogie Adaptée aux Besoins Educatifs


Particuliers »

Mémoire de 2ème année


Année universitaire 2019 - 2020

Le travail coopératif entre élèves en ULIS :


une aide précieuse aux apprentissages

Bourda Stéphanie

Directeur du mémoire : Sylvie Pérez


Assesseur : Monique Desq

Soutenu le

1
Remerciements

J’aimerais remercier mes collègues de Cappei notamment Pauline que j’ai rencontrée dès le
premier jour de formation et qui m’a motivée pour m’inscrire en master, Céline avec qui j’ai
rapidement sympathisé autour d’un café et Béatrice que j’ai appris à connaître au fil de la
formation. Elles ont été des soutiens importants tout au long de cette année de formation entre
réflexions pédagogiques, échanges de pratiques et partage de fous rires.

Je voudrais aussi remercier ma tutrice Laure, mes formateurs Cappei et ma directrice de


mémoire Sylvie Pérez pour son dynamisme, son franc-parler et sa capacité à synthétiser les
informations dans les moments où je m’égarais et je perdais le fil de mon propos.

J’ai aussi une pensée pour Virginia mon AESH qui a été un soutien sans faille lors de cette
année de formation et qui m’a secondée dans cette nouvelle aventure qu’est l’enseignement
spécialisé en étant non seulement toujours présente, mais aussi très impliquée auprès de nos élèves
d’Ulis. Elle connaissait le collège, la classe, les élèves et a rendu cet environnement nouveau très
vite accessible, agréable et familier.

Ce mémoire a aussi occupé une place importante dans ma tête et ma famille. Il n’aurait pas pu
voir le jour sans la compréhension de mon mari qui a écouté et supporté patiemment mes anecdotes
joyeuses les soirs de journées prolifiques en classe, mais aussi mes doutes et complaintes quand mes
lectures ou ma réflexion pédagogique n’avançait pas. Mes enfants aussi ont fait preuve de
patience : ce mémoire est un peu le leur car les notions d’élèves à besoins éducatifs particuliers, de
tutorat ou de dispositif Ulis leur sont devenues plus que familières et désormais ils peuvent citer les
prénoms de mes élèves sans aucune hésitation.

Merci enfin aux amies professeurs des écoles qui se reconnaîtront et aux amis en général qui
n’ont pas pu passer à côté du mémoire, sujet prégnant ces derniers mois dans nos échanges.

« C’est à plusieurs qu’on apprend tout seul »


François Le Menahèze

2
Sommaire

Introduction ............................................................................................................................... 4
1. Des questions professionnelles à l’objet d’étude ..................................................................... 6
1.1. Mon contexte professionnel......................................................................................................................... 6
1.2. Des questionnements vers l’objet d’étude ................................................................................................... 7
2. Ressources institutionnelles et conceptuelles .......................................................................... 8
2.1. Historique et textes institutionnels .............................................................................................................. 8
2.1.1. Historique du handicap dans la société française ............................................................................... 8
2.1.2. La prise en charge du handicap au niveau international .................................................................... 9
2.1.3. Relation handicap et éducation .......................................................................................................... 10
2.1.4. Déficience et troubles des fonctions cognitives.................................................................................. 11
2.2. Revue de littérature .................................................................................................................................... 13
2.2.1. Vivre avec autrui pour apprendre avec autrui ................................................................................... 13
2.2.2. La constitution des groupes de travail ............................................................................................... 17
2.2.3. L’intérêt de la coopération entre élèves ............................................................................................. 18
2.2.4. Le fonctionnement du tutorat ............................................................................................................. 19
2.2.5. L’intérêt du conseil coopératif ........................................................................................................... 20
3. Cadre théorique et méthodologie.......................................................................................... 22
3.1. L’activité, une notion fondamentale .......................................................................................................... 22
3.1.1. Le couplage acteur/environnement .................................................................................................... 22
3.1.2. Le point de vue intrinsèque ................................................................................................................ 23
3.1.3. L’accès à la conscience pré-réflexive ................................................................................................ 24
3.1.4. Les caractéristiques de l’activité........................................................................................................ 25
3.2. Spécificités du contexte pour mon étude ................................................................................................... 26
3.2.1. Les participants .................................................................................................................................. 26
3.2.2. La méthodologie suivie pour mes études de cas ................................................................................ 29
3.2.3. La mise en place du tutorat ................................................................................................................ 30
3.2.4. Le descriptif des différentes situations de tutorat .............................................................................. 31
3.2.5. L’organisation du conseil coopératif ................................................................................................. 37
4. Résultats et discussions ......................................................................................................... 37
4.1. Les apports du tutorat ................................................................................................................................ 37
4.1.1. L’évolution des élèves dans leur rôle de tuteurs ................................................................................ 38
4.1.2. L’impact du tutorat sur les représentations et le comportement des élèves ...................................... 44
4.1.3. Le tutorat au service des apprentissages ........................................................................................... 47
4.2. La mise en pratique du conseil coopératif ................................................................................................. 49
4.2.1. Donner son point de vue et accepter celui des autres ........................................................................ 49
4.2.2. Débattre et être capable de définir une charte commune .................................................................. 53
4.2.3. Régler un différend et garder un climat de confiance ........................................................................ 55
4.2.4. S’exprimer librement sur des sujets personnels ................................................................................. 57
4.3. Des situations de coopération qui émergent .............................................................................................. 58
4.3.1. Un tutorat improvisé .......................................................................................................................... 58
4.3.2. Un espace et des habitudes qui induisent le tutorat ........................................................................... 59
5. Conclusion et perspectives .................................................................................................... 59
Annexes .................................................................................................................................... 61
Références bibliographiques .................................................................................................... 78
Résumé ..................................................................................................................................... 81

3
Introduction

Après un cursus un peu atypique : DEUG de droit à l’Université Montpellier I, puis maîtrise
d’histoire à l’Université Paul Valery, j’ai préparé le CAPES d’histoire-géographie. Puis à la suite
d’une séance d’histoire dans la classe d’une enseignante de lycée professionnel, je me suis inscrite
en candidate libre au CAPLP de lettres-histoire. J’ai été reçue au concours PLP et affectée sur un
poste de stagiaire dans l’académie de Bordeaux, à Oloron Sainte-Marie dans les Pyrénées
Atlantiques : j’ai débuté auprès d’élèves inscrits en CAP cuisine et BEP carrières sanitaires et
sociales.

Après ma titularisation, j’ai été mutée dans l’académie de Créteil en Zone d’Education
Prioritaire au Lycée professionnel Louis Lumière à Chelles en Seine et Marne. Dans cet
établissement, j’ai enseigné à des classes de chaudronniers, vendeurs, électriciens pendant trois ans,
puis j’ai été mutée dans l’académie de Montpellier en tant que Titulaire de Zone de Remplacement.
J’ai effectué des remplacements dans différents établissements (lycée hôtelier de Saint Jean du
Gard, lycée professionnel Darboux à Nîmes) avant d’être nommée sur un poste fixe au lycée Jean
Baptiste Dumas à Alès où j’ai côtoyé pendant 8 ans tout le panel des classes de lycée professionnel
tertiaire et industriel : mécaniques auto, chimistes, coiffeuses, techniciens de surface, secrétaires et
usineurs. J’ai ensuite enseigné 4 ans en Polynésie française au lycée professionnel de Mahina avec
encore un public varié depuis les esthéticiennes jusqu’aux techniciens en froid et climatisation en
passant par les CAP petite enfance. Au retour, j’ai fait une demande de formation Cappei que j’ai
obtenue avec un poste en ULIS au collège Jean Moulin à Alès.

Mes 20 ans d’enseignement m’ont permis de côtoyer différents publics et m’ont amenée à
m’interroger : comment vraiment aider les élèves en difficulté scolaire ? C’est le public que je n’ai
cessé de croiser dans mes classes de 4ème et 3ème techno, de CAP, de BAC pro, puis dans celles de
3ème prépa pro ainsi que dans les classes d’élèves tahitiens.
J’ai donc essayé d’analyser mes pratiques de classe en fonction des élèves qui avaient souvent
des besoins particuliers même s’ils étaient scolarisés en milieu ordinaire.
Le point commun de cette réflexion a souvent été dirigé vers ma posture en classe et la façon
dont les élèves recevaient mon enseignement. Certains adhéraient au groupe classe lors de cours
collectifs, mais d’autres avaient besoin de reformulation, de soutien plus particulier, d’un étayage
face aux activités et aux consignes proposées.

4
Très rapidement, je me rendue compte que j’instaurai très souvent un climat de coopération
entre mes élèves, parfois par nécessité face à un groupe classe compliqué, mais plus généralement
par choix afin de permettre à chaque élève d’atteindre un objectif précis avec l’aide d’un tiers.

5
1.Des questions professionnelles à l’objet d’étude

1.1. Mon contexte professionnel

Depuis la rentrée de septembre 2019, je suis coordonnatrice d’un dispositif ULIS collège. Ce
dispositif est implanté dans un collège de REP+ (Réseau d’éducation prioritaire) dans le quartier des
Près Saint Jean à Alès. C’est un quartier très populaire classé ZUS (Zone urbaine sensible) avec une
population défavorisée constituée en majeure partie d’élèves habitant des immeubles situés en face
du collège.
Au niveau sociologique, les élèves vivent dans des familles dont les parents ne travaillent pas
ou appartiennent à des catégories socio-professionnelles sans diplôme ou avec des diplômes de
niveau 5. Nombre d’entre eux sont issus de l’immigration turque, roumaine, maghrébine ou
appartiennent à la communauté gitane et tous vivent dans la précarité. Il n’y a pas de réelle mixité
sociale au sein du collège même si sur les 6 écoles primaires du bassin, l’une d’entre elle est située
dans une zone plus pavillonnaire. Les élèves du dispositif ULIS sont à l’image du bassin et vivent
dans un contexte familial et social difficile. En effet sur 12 élèves, j’ai 3 élèves issus de la
communauté roumaine, un de la communauté gitane, un de la communauté maghrébine et 7 autres
vivant dans des familles monoparentales, recomposées ou en famille d’accueil avec des revenus
assez faibles.
En début d’année, j’ai remarqué de l’indifférence et des mésententes entre ces 12 élèves très
différents. Ils étaient ensemble par la force des choses dans le dispositif mais ils ne partageaient rien
car il y avait trop de différences entre eux, différences liées à l’écart d’âge (les élèves ont entre 13 et
16 ans), aux codes culturels (les élèves roumains n’ont pas les mêmes réactions que les autres face
au cadre scolaire), mais aussi aux handicaps propres à une ULIS TFC (Troubles des Fonctions
Cognitives) et TSL (Troubles spécifiques du Langage) : certains élèves ne parlent pas bien le
français et s’expriment souvent dans leur langue maternelle, d’autres ont des troubles d’élocution,
d’autres au contraire ont un langage élaboré mais des troubles de l’attention et /ou de la
concentration.
La cohabitation de tout ce petit monde, plusieurs heures par jour, s’est donc avérée assez
problématique : les élèves n’avaient d’autres points communs que le handicap, différent pour
chacun. De plus, certains élèves se connaissaient déjà alors que d’autres arrivaient en ULIS. Pour
ajouter une difficulté supplémentaire, ils découvraient une nouvelle enseignante inconnue dans
l’établissement.

6
1.2. Des questionnements vers l’objet d’étude

Après une première semaine où chacun essayait de prendre ses marques, je me suis interrogée
sur ma façon de fonctionner avec des élèves au niveau hétérogène, ce qui était déjà le cas dans les
classes dites ordinaires, mais cette fois avec en plus la dimension du handicap. Il fallait aussi que je
tienne compte de la spécificité du dispositif ULIS dans lequel les élèves entrent et sortent pour
rejoindre leur classe de référence. Mon principal questionnement portait sur les conditions pour
favoriser la mise au travail des élèves. Pour cela il était nécessaire de créer du lien entre les élèves et
moi, mais aussi entre eux.
Par conséquent, je me suis demandée quelles postures de l’enseignant pourraient favoriser ce
lien indispensable pour rentrer dans les apprentissages. Et assez rapidement m’est venue l’idée
d’une collaboration nécessaire avec les élèves mais aussi entre eux, sans mon intervention directe,
lorsqu’ils étaient dans le dispositif ULIS. Cependant je ne voyais pas comment un travail coopératif
pourrait aider ces élèves d’horizons si différents à modifier leurs comportements et comment cette
façon de travailler pouvait améliorer leur entrée dans les apprentissages.
J’ai donc décidé de creuser cette question car elle me semblait correspondre à la fois à une
nécessité dans le fonctionnement de l’ULIS, mais aussi à une manière de travailler que je
connaissais et que je pratiquais de manière instinctive, sans m’être jamais interrogée sur mes
pratiques, sur ce que je pouvais améliorer ou sur ce qui fonctionnait.
Ce mémoire était enfin l’occasion de m’arrêter sur mes pratiques, arrêt nécessaire mais
souvent impossible car j’étais en permanence dans l’action, surtout face à un public demandeur
d’attention et souvent à la recherche de cadres et de limites. S’arrêter et se regarder faire ne
m’arrivaient que dans des moments extrêmes où je devais gérer une situation d’urgence en gardant
mon sang froid, tout en étant en prise directe avec l’élève. Dans ces moments de tension, je me
dédoublais pour analyser comment réagir vite et bien et ne pas perdre la classe, ou au contraire je
laissais agir mon instinct en espérant que le groupe classe, qui dans ces moments-là est un
spectateur attentif, se rangerait de mon côté une fois la situation maîtrisée.
Ma nouvelle orientation professionnelle me semblait alors idéale pour prendre ce recul
puisque par la formation Cappei je m’engageais dans une nouvelle voie. J’embarquais donc mes
élèves, passagers involontaires, dans cette nouvelle aventure tel Ulysse avec ses compagnons, en
espérant comprendre les obstacles rencontrés et les contourner, non pas de manière instinctive, mais
de façon plus raisonnée grâce à des lectures éclairantes sur le thème du travail coopératif et des
observations in situ de mes élèves.

7
2. Ressources institutionnelles et conceptuelles

2.1. Historique et textes institutionnels

2.1.1. Historique du handicap dans la société française

Le handicap est une notion très vaste qui n’a pas toujours été prise en compte par les sociétés.
De l’Antiquité jusqu’au Moyen-Age, les personnes handicapées étaient totalement marginalisées.
Elles étaient considérées comme atteintes d’une malédiction et donc soit éliminées, soit utilisées
pour attirer la compassion. Ce phénomène touchait en premier lieu les enfants. Il faut attendre le
XIIème siècle pour voir la construction d’Hôtels-Dieu qui accueillent à la fois les handicapés et tous
les pauvres qui n’ont pas de fonction sociale dans la cité. Mais la charité de l’Eglise et des puissants
laisse la place au XVIème siècle à la peur face à cette population en marge. Handicapés, pauvres et
malades sont une fois de plus mis à l’écart et enfermés.
Le siècle des Lumières et l’influence des philosophes voient la société s’interroger sur le sort
des enfants et adultes handicapés. Cependant il faudra attendre le XIXème siècle pour que soient
votées les premières lois dans le domaine du travail avec la loi de 1898 sur la responsabilité de la
collectivité mais aussi dans le domaine de la scolarité avec les lois Ferry.
La loi de 1905 sur l’assistance aux vieillards, infirmes et incurables permet de prendre en
charge cette partie de la population laissée pour compte. Mais c’est seulement à partir de la loi de
1975 qu’une politique spécifique est consacrée à cette population désignée par le handicap. Dès le
premier article, le législateur met l’accent sur le fait que la prévention et le dépistage des handicaps
mais aussi les soins, l’éducation, la formation et l’orientation professionnelle, l’emploi, la garantie
d’un minimum de ressources, l’intégration sociale et l’accès aux sports et loisirs du mineur ou de
l’adulte handicapé deviennent une obligation nationale. La politique d’intégration débute donc avec
cette loi.
La loi du 11 février 2005 relative à l'égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées apporte des évolutions fondamentales pour répondre aux
attentes des personnes handicapées. En effet le handicap est enfin défini : « Constitue un handicap,
au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société
subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou
définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques,
d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ». Cette loi repose sur la notion
d’accessibilité universelle.

8
2.1.2. La prise en charge du handicap au niveau international

Si la dimension sociale et politique du handicap a beaucoup évolué au niveau national, c’est


aussi le cas à l'échelle européenne et mondiale.

- 9 décembre 1975 : Déclaration des droits des personnes handicapées adoptée par l'Organisation
des Nations Unies (ONU). Etape importante car l’ONU rassemble les Etats les plus puissants de la
planète, ceux qui ont le plus d’influence au niveau international, aussi bien dans le domaine
politique qu’économique ou encore social.

- 9 décembre 1989 : La Charte sociale européenne du Conseil de l'Europe engage les Etats membres
à prendre les mesures nécessaires en vue de garantir aux personnes handicapées l'exercice du droit à
l'autonomie, à l'intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté (art. 15).

- 1994 : la déclaration de Salamanque réaffirme le droit de toute personne à l’éducation tel qu’il est
énoncé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, et renouvelle l’engagement
pris par la communauté internationale lors de la Conférence mondiale sur l’éducation pour tous de
1990 d’assurer l’application universelle de ce droit, indépendamment des différences individuelles.

-1997 : L’article 13 du traité de l’Union Européenne qui « combat toute discrimination fondée sur le
sexe, la race, l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation
sexuelle » institue le principe juridique de non-discrimination au fondement de toute politique
envers les personnes handicapées.

- 2006 : Adoption de la nouvelle Convention sur les droits des personnes handicapées par l'ONU.

- En 2011, 147 pays signataires et 99 ratifications obtenues. Cette dimension internationale permet
une unification des lois et un développement des mesures pour le handicap. En 30 ans, le statut de la
personne handicapée a été non seulement reconnu mais aussi pris en compte. Le modèle de société
évolue donc vers une intégration de plus en plus effective du handicap dans la vie quotidienne aussi
bien dans les domaines du travail, de la culture, de la santé et a fortiori de l’éducation. La notion
d’accessibilité universelle commence à s’incarner dans les politiques des Etats.

9
2.1.3. Relation handicap et éducation

L’Ecole, reflet de la société, a aussi suivi ce mouvement et connu des évolutions concernant la
prise en compte des enfants handicapés. Depuis le début du XXème siècle, la société a changé dans
sa connaissance et sa reconnaissance des enfants qu’elle appelait « différents ». Ces enfants
n’étaient d’ailleurs pas considérés comme des élèves avant le XXème siècle, mais comme des
personnes éducables ou non éducables. Les premières pouvaient aller à l’école, quant aux autres,
elles étaient placées dans des asiles ou des établissements religieux.
Il fallut attendre la loi du 15 avril 1905 pour poser comme principe que tout enfant était
éducable. On créa donc des classes de perfectionnement et un premier diplôme pour spécialiser des
enseignants : le CAEA (Certificat d’aptitude à l’enseignement des enfants arriérés). Cette
dénomination fourre-tout d’arriérés montrait la ségrégation à l’égard d’enfants « hors-norme » de
par leur handicap physique, leur retard mental ou leurs troubles psychologiques sans réelle prise en
compte des différences.
Cinquante ans plus tard, en 1963, un nouveau diplôme professionnel est créé pour les
enseignants spécialisés : le CAEI (Certificat d’aptitude à l’éducation des enfants et adolescents
déficients ou inadaptés). Le terme d’arriéré disparaît laissant la place à celui d’inadapté, ce qui
signifie que la société a évolué et reconnaît que le système scolaire tel qu’il est défini ne peut pas
s’adapter à tous les publics. En revanche on considère encore que l’enfant, élève potentiel, doit être
réadapté, rééduqué pour correspondre ou au moins tenter de correspondre à une norme sociétale en
vigueur.
Les années 80 voient un nouveau changement d’orientation avec le CAPSAIS (Certificat
d’aptitude aux actions pédagogiques spécialisées d’adaptation et d’intégration scolaire) qui souhaite
permettre une meilleure adaptation ou une intégration des élèves à besoins éducatifs particuliers
pour être en phase avec la société et la loi d’intégration de juin 1975.
Le CAPA-SH et le 2CA-SH créés en 2004 viendront conforter cette intégration des élèves
handicapés ou à besoins éducatifs particuliers dans l’école désormais plurielle, miroir d’une société
en pleine mutation, concernant les représentations à l’égard des personnes handicapées.
Et la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées confirmera ces mutations en affirmant que « le parcours de
formation des élèves en situation de handicap se déroule prioritairement en milieu scolaire
ordinaire ».
Au sein des structures de l’éducation nationale, des changements s’opèrent aussi en même
temps que les évolutions sociétales. Les classes de perfectionnement du début du siècle cèdent la
place en 1989 aux CLIS (Classe d’intégration scolaire puis Classe d’inclusion scolaire). Ces
dernières ont à leur tour disparu en faveur des ULIS école depuis la circulaire de 2015. Dans le

10
secondaire, l’évolution s’est faite en parallèle avec l’intégration des élèves à besoins éducatifs
particuliers dans les UPI (Unité pédagogique d’intégration) à partir de 1995, puis dans les ULIS à
partir de 2015.
La circulaire du 21-08-2015 rappelle la définition et le fonctionnement des Unités localisées
pour l’inclusion scolaire (ULIS). Ce texte de référence reprend les points essentiels de mon travail
en tant qu’enseignante spécialisée. L’élève en ULIS est tout d’abord un collégien soumis au
règlement intérieur de l’établissement. Il doit donc être à même de comprendre ce règlement pour
pouvoir se repérer et se déplacer dans le collège d’un espace à un autre avec son carnet de liaison
qui contient toutes les informations utiles. C’est aussi un élève à besoins éducatifs particuliers qui
possède une notification MDPH lui permettant de bénéficier de mesures propres à assurer sa
formation d’élève. Ces mesures contenues dans le PPS (Projet Personnalisé de Scolarisation)
peuvent être entre autres l’orientation vers une ULIS.
C’est le cas pour les élèves du dispositif ULIS TFC de mon établissement. Les élèves d’ULIS
sont aussi des collégiens comptabilisés dans les effectifs du collège et ils doivent être inscrits dans
une classe de référence pour avoir la possibilité de poursuivre en inclusion des apprentissages
adaptés à leur potentialité et à leurs besoins afin d’acquérir des compétences sociales et scolaires
même lorsque leurs acquis sont très réduits. Désormais la pertinence du dispositif ULIS est
vraiment claire à mes yeux car ancrée dans une évolution de la société et des modes de scolarisation
qui en découlaient. Je peux ainsi mieux appréhender la notion d’élèves à besoins éducatifs
particuliers et comprendre la place qui est la leur dans cette école tout d’abord ségrégative, puis
intégrante et aujourd’hui inclusive.

2.1.4. Déficience et troubles des fonctions cognitives

La définition du dictionnaire Larousse indique que la déficience est « une insuffisance


physique ou intellectuelle ; faiblesse ». Définition assez péjorative car dans le terme « insuffisance »
on note le préfixe privatif « in » et le mot « faiblesse » est associé directement à son pendant positif
« force ».
L’OMS (Organisation mondiale de la santé) propose la définition suivante : « terme désignant
les anomalies organiques ou fonctionnelles, temporaires ou permanentes par rapport à une certaine
norme biomédicale. » Dans ce cas précis, la déficience n’est plus considérée comme une faiblesse
mais comme une anomalie par rapport à une norme pré-établie. Cette anomalie peut être organique
et avoir une origine chromosomique, génétique ou physiologique et elle fera partie de l’individu de
façon permanente si aucun traitement n’est possible. Ou elle peut être fonctionnelle et être associée
à un dysfonctionnement d’un organe ou d’un système et dans ce cas l’anomalie peut être
permanente si l’organe ou le système est lésé de manière irréversible, ou temporaire s’il existe un

11
traitement efficace. L’OMS ajoute que la déficience consiste en « toute perte de substance ou
altération d'une structure ou fonction psychologique, physiologique ou anatomique ». La déficience
est dans ce cas liée au handicap au sens lésionnel. Elle peut être là encore un état temporaire ou
permanent en fonction de l’importance ou de la gravité des lésions. Mais ce n’est pas pour autant
que l'individu doit être considéré comme malade. La différence entre maladie et handicap n’est pas
forcément claire selon les déficiences constatées et le diagnostic posé.
C’est pour ces raisons que la notion de trouble des fonctions cognitive recouvre des réalités
bien différentes, différences qui par ricochet se retrouveront au sein même des ULIS. Concernant
les troubles des fonctions cognitives, l'OMS précise que ces troubles se traduisent par "un déficit
significatif du développement intellectuel associé à des limitations de comportement adaptatif se
manifestant avant 18 ans". On comprend donc que les enfants et a fortiori les élèves atteint par ce
déficit du développement intellectuel ne peuvent pas être inclus dans des classes ordinaires sans une
aide spécifique qui leur permettra de poursuivre leur scolarité de manière efficace et enrichissante.
Ces troubles intellectuels vont souvent de pair avec des troubles du comportement qui handicapent
ces élèves dans leur relation aux autres et a fortiori dans leurs relations avec les attentes de
l’institution scolaire.
L’Onisep (Office National d'Information Sur les Enseignements et les Professions) dans son
volet sur le handicap précise que « dans le 2d degré, plus de 36 % des élèves présentent des troubles
des fonctions cognitives. En milieu ordinaire, la scolarisation par un dispositif collectif d'inclusion
(Ulis) est la plus adaptée. » Il décrit le dispositif ULIS de manière claire afin d’être accessible à
tous. « La scolarisation avec l'appui d'un dispositif ULIS (Unité localisée pour l'inclusion scolaire)
apporte une réponse adaptée, à condition que l'élève soit capable d'assumer les contraintes et les
exigences de la vie en collectivité et de communiquer avec les autres. L'ULIS (Unité localisée pour
l'inclusion scolaire) accueille des élèves en école élémentaire ordinaire. En collège ou en lycée
professionnel, elle accueille des élèves âgés de 12 à 18 ans présentant un même type de handicap ou
besoins éducatifs. Dans ces structures, les élèves bénéficient de séances de rééducation avec des
professionnels des services d'éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD). Ils sont
scolarisés en classe ordinaire, et bénéficient de temps de regroupement avec le coordonnateur de
l'ULIS. La personne en charge de l'aide humaine permet à l'élève de mieux comprendre les
consignes et de réaliser le travail demandé. »
A travers cette définition de la déficience et des troubles des fonctions cognitives, on se rend
compte que le handicap généré par ces troubles va être encore plus révélé dans la relation avec
autrui nécessaire et inévitable quand l’enfant ou l’adolescent se retrouvera en milieu scolaire. En
effet il revêt un statut d’apprenant et n’est plus seul, il devient membre de la communauté scolaire
et en tant qu’élève membre d’un collège et d’une classe avec lesquels il doit interagir.

12
2.2. Revue de littérature

2.2.1. Vivre avec autrui pour apprendre avec autrui

L’élève présentant des troubles des fonctions cognitives qui se retrouve au collège me
rappelle à l’échelle individuelle, le citoyen handicapé au sein de la société. Il est confronté aux
autres élèves comme le citoyen aux autres habitants de la cité au sens grec du terme. Je ne peux
donc m’empêcher d’évoquer Charles Gardou (2017) et son ouvrage « La société inclusive, parlons-
en ! ». En effet, ce livre découvert pendant ma formation Cappei m’a beaucoup marquée car il
présente un modèle de société inclusive parfois utopiste, certes, mais qui ouvre le champ des
possibles et montre vers quel type de société nous devrions tendre pour vivre tous ensemble. Pour
lui « une société inclusive, c’est une société sans privilège, sans exclusivité et exclusions ».
A la lecture de son ouvrage, j’ai progressivement fait un parallèle entre les cinq axiomes sur
lesquels il souhaiterait construire les fondements d’une société inclusive et l’école inclusive qui se
dessine en filigrane derrière ses propos.
Le premier axiome affirme que « nul n’a l’exclusivité du patrimoine humain et social ». Il
explique que les étrangers, les minorités linguistiques, culturelles et les membres d’autres groupes
défavorisés ou marginalisés ne bénéficient pas des mêmes accès et des mêmes droits concernant le
patrimoine commun mondial. La plupart des personnes en situation de handicap sont elles aussi
exposées à des discriminations dans leur vie professionnelle et dans leurs relations sociales. A
l’école également, nul n’a l’exclusivité des apprentissages sociaux et pédagogiques. Chaque élève
avec son identité propre, ses besoins particuliers, a le droit de recevoir cet enseignement. Et la
circulaire de 2015 sur la scolarisation des élèves en situation de handicap le rappelle « 1.2 (…) Les
élèves bénéficiant de l’ULIS sont des élèves à part entière de l’établissement scolaire, leur classe de
référence est la classe ou la division correspondant approximativement à leur classe d’âge,
conformément à leur projet personnalisé de scolarisation (PPS) »
L’école a donc la responsabilité d’inclure les élèves à besoins éducatifs particuliers pour
qu’ils apprennent avec autrui, aussi bien avec les adultes de la communauté éducative qu’avec tous
les autres élèves, même si leur projet de scolarisation est différent. Ils ne peuvent être exclus du
patrimoine éducatif et social sous prétexte qu’ils n’ont pas acquis les mêmes connaissances
scolaires, intellectuelles ou sociales que les élèves dits ordinaires. Ils ont droit aussi à leur part de ce
patrimoine humain qui nous définit tous même si pour eux l’accessibilité demande des
aménagements que nous devons accepter de faire pour vivre ensemble. Un élève ne peut pas être
privé de cours d’arts plastiques ou de mathématiques sous prétexte que les salles sont au premier
étage du collège et qu’il n’y a pas d’ascenseur ni de rampe d’accès. Cela paraît logique pour un

13
handicap physique et visible, c’est parfois plus compliqué à faire comprendre pour un handicap
intellectuel non visible.
Le deuxième axiome rappelle que « l’exclusivité de la norme, c’est personne et que la
diversité, c’est tout le monde » ce qui signifie que dans la société comme à l’école, la norme en tant
que telle n’existe pas, chaque élève est unique aussi bien dans son intégrité physique que dans sa
façon d’apprendre et de s’approprier les connaissances. D’où l’intérêt de diversifier les méthodes
d’apprentissage : dans leur format (apprentissage individuel, collectif), leur durée : (activités sur un
temps long pour une évaluation ou sur un format plus court pour maintenir l’attention et l’intérêt
des élèves) et dans leurs modalités : (activités faisant appel à un support écrit, informatique, auditif,
corporel ou autre). Apprendre avec autrui est donc une des façons d’accéder aux savoirs, autrui
étant forcément différent, cette diversité va générer des interrogations, des discussions et donc des
apprentissages nouveaux. Mais ce n’est pas évident pour les élèves ni pour les adultes d’ailleurs,
surtout quand autrui est loin de la norme institutionnelle de ce que doit être un élève ordinaire.
Donc il faut « faire monde » à partir du singulier, du métis, du divers avec ses bizarreries et
discontinuités comme le dit Gardou. Et dans l’école cela signifie faire avec autrui, avec celui qui a
un trouble, une déficience, un handicap. Et il ajoute que « la chose n’est pas spontanée, il faut la
provoquer » donc là encore le rôle de l’enseignant spécialisé trouve un sens dans l’apprentissage
avec autrui. On est le lien entre le milieu ordinaire et le milieu du handicap. Pour que mes élèves
puissent être inclus dans les classes dites ordinaires, il faut que je sois aussi inclue dans la sphère
des enseignants et non perçue seulement comme « Mme ULIS la prof des élèves handicapés ».
Donc faire avec autrui passe d’abord par mon intégration et la salle des professeurs est l’endroit où
je peux jauger de mon inclusion ou pas. D’elle dépend l’inclusion future de mes élèves.
L’axiome suivant part du postulat « qu’il n’y a ni vie minuscule ni vie majuscule ». Gardou
nous explique qu’il « n’y a pas plusieurs humanités : l’une forte, l’autre faible (…) l’une éminente,
l’autre insignifiante. Mais une seule, dépositaire de notre condition universelle, au cœur de laquelle
niche la vulnérabilité. » Cette vision de l’humanité s’applique aussi à l’échelle individuelle où
chacun d’entre nous peut aussi être à son tour vulnérable, de manière temporaire à la suite d’une
blessure physique ou psychologique, ou de manière permanente en ayant un handicap ontologique.
Elle prend tout son sens dans l’école où l’élève en situation de handicap ne doit pas être vu comme
le faible face au fort, l’insignifiant face à l’éminent. Et le meilleur moyen d’éviter cette dualité est
de faire en sorte que tous les élèves partagent le même espace, celui de la classe ordinaire ou du
moins celui du collège, afin d’apprendre ensemble dans l’espace classe ou de se côtoyer dans les
espaces de vie commune. Cela permet de dépasser les clivages et de changer les comportements, ce
qui est un des buts de l’école inclusive. D’ailleurs dans la cour de récréation ou à la cantine, les
discussions entre élèves ne reposent pas sur des notions scolaires et les différences s’effacent plus
facilement, l’élève en situation de handicap est moins stigmatisé, il retrouve et partage les mêmes

14
codes que les autres élèves et peut ainsi être inclus dans le même espace que ses camarades. La
différence ne reposera plus sur le handicap mais sur d’autres codes propres aux collégiens comme
l’acceptation dans un groupe par un vêtement à la mode ou des références musicales ou
télévisuelles communes.
Le quatrième axiome aborde le thème de l’exclusion : « Vivre sans exister est la plus cruelle
des exclusions ». Ce qui pourrait se traduire dans l’école comme le fait d’apprendre sans autrui, en
étant isolé, coupé des autres. Et c’est là que le dispositif ULIS prend tout son sens. Contrairement
aux UPI qui étaient une classe avec possibilité d’intégration des élèves, les ULIS poussent cette
intégration plus loin vers l’inclusion en permettant aux élèves ayant un handicap de se confronter à
autrui dans des moments choisis, lors d’inclusions dans les classes de référence pour partager les
apprentissages, mais aussi lors des échanges entre élèves du même âge ayant les mêmes
préoccupations d’adolescents. Ce qui rejoint l’axiome précédent sur le fait que l’humanité est une et
que nous pouvons partager des moments tous ensemble.
Lors du cross du collège, j’ai insisté pour que mes élèves se rendent au stade avec leur classe
de référence et non avec moi, même si je faisais partie des professeurs présents. J’ai choisi
sciemment de ne pas amener les élèves du dispositif mais de me joindre à l’organisation avec les
professeurs d’EPS afin que mes élèves ne soient pas exclus de l’ambiance et que leur participation
soit équivalente à celle de n’importe quel élève lambda. Cela a été mal perçu par certains qui n’ont
pas compris pourquoi l’enseignante d’ULIS n’accompagnait pas « ses élèves ». Mais au final les
élèves étaient contents de faire le trajet à pieds avec leurs copains et Laurent était très fier de me
montrer la médaille gagnée par tous les élèves de 5ème 3, classe ayant totalisée le plus de médailles
individuelles. Se sentir exister au sein de leur classe dans une activité où l’étiquette ULIS est
gommée pour un moment est une façon de se sentir faire partie d’un tout, de devenir membre d’un
groupe et de s’impliquer dans sa société d’appartenance.
Cela paraît anecdotique mais Gardou explique que « la plupart des personnes handicapées
sont dans la société sans y être vraiment. Elles gardent toujours un sentiment d’extranéité. Une
impression d’appartenir et de ne pas appartenir. En même temps dedans et dehors : sur le seuil, en
situation liminale. Aux mains des autres qui décident pour elles ; qui les prennent en charge sans les
prendre en compte comme sujets et acteurs de leur propre histoire et d’un récit commun ». Ce
ressenti est le même pour les élèves du dispositif ULIS : inclus dans une classe de référence mais
pas pris en compte pour une sortie scolaire de cette classe, devant faire la photo de classe avec les
autres élèves d’ULIS et non avec leur classe de référence alors que certains y passent plus de temps
que dans le dispositif, comptés arbitrairement comme élèves d’ULIS pour se rendre au cross, puis
comme élèves de leur classe pour participer à la course.
Les élèves sont constamment tiraillés entre leur statut d’élève à part entière, qu’on leur donne
en théorie, et leur statut d’élève handicapé qui ressort quand cela semble plus facile à gérer. C’est

15
une façon d’exclure en faisant une croix sur leurs aptitudes, leur capacité d’adaptation dans le
groupe aussi infimes soient elles. C’est aussi une façon de polariser sur leur handicap et non de faire
confiance à l’adolescent qui est en eux. Mes élèves viennent seuls au collège en bus ou à pied donc
ils sont largement capables de se rendre au stade avec leurs camarades, sans faire plus ou moins de
bêtises que les autres. Par conséquent, les laisser vivre cette matinée de cross avec les autres, c’est
juste les considérer comme les autres, sans les stigmatiser, ni les exclure. Et en parallèle, de mon
côté, c’est aussi un moyen d’être considérée comme une enseignante ordinaire capable de prendre
en charge un groupe d’élèves autres que celui du dispositif ULIS. Après cette matinée cross, les
élèves connaissaient mon nom et ont compris que je faisais partie de la communauté éducative, que
je pouvais plaisanter avec eux ou les obliger à rester groupés pour traverser un passage piéton
comme le faisait leur professeur d’anglais. Et inversement, j’ai apprécié faire partie du groupe et me
sentir une enseignante du collège à part entière connue et reconnue par tous les élèves et pas
seulement par les élèves du dispositif. Donc je peux comprendre la violence d’une exclusion même
involontaire et a contrario, la joie éprouvée par Laurent avec sa médaille.
Le dernier axiome souligne que tout être humain est né pour l’équité et la liberté. C’est
l’axiome qui m’a paru le plus théorique et le plus difficile à comprendre mais au final celui qui
résume le mieux ce que doit être une société inclusive et par conséquent une école inclusive. En
effet Gardou réaffirme que « les êtres humains ne sont pas des copies conformes à un modèle
unique reproduits en millions d’exemplaires interchangeables. En situation de handicap ou non,
chacun d’eux a le droit inconditionnel à être singulier et à réaliser sa singularité. Celle-ci n’autorise
aucun traitement inégalitaire. » Ce qui signifie que dans des situations pourtant identiques qui
appelleraient des réponses identiques, certains individus vont développer des réponses spécifiques.
Ces réponses peuvent être liées à un handicap ou une fragilité que la collectivité doit prendre en
compte sous peine d’amplifier les inégalités. De manière simpliste, cela reviendrait à considérer que
nous avons tous deux yeux avec une vision parfaite et que nous pouvons tous voir les mêmes
choses, ce qui est totalement faux. Par conséquent nous pouvons utiliser des artefacts pour avoir la
meilleure vue possible et personne n’est lésé si nous avons besoin de lunettes, d’une loupe ou d’une
traduction en braille pour lire et comprendre une information. Ces accommodations permettent de
rétablir un équilibre dans notre vie avec une plus grande accessibilité, une autonomie et une liberté
qui seraient compliquées à atteindre sans elles.
Il en va de même pour les élèves à besoins éducatifs particuliers. Ce n’est pas les favoriser
que de rendre accessibles à tous certaines notions en utilisant des façons d’enseigner ou des outils
adaptés. Choisir une police de caractère plus lisible, un vocabulaire approprié ou distribuer les
questions d’un texte tapées à l’ordinateur permet aux élèves dyslexiques de se repérer plus
facilement dans l’espace de la page et de mieux intégrer la consigne. Et cela ne lèse en rien les

16
autres élèves qui au demeurant vont parfois aussi bénéficier de l’adaptation mise en place car elle se
révèle utile à tous. L’équité permet justement d’atteindre l’égalité des chances pour tous les élèves.
Les axiomes choisis par Gardou sont parfois encore utopistes mais témoignent d’une réalité
concrète : celle de l’importance du contact et de l’échange avec autrui que ce soit à l’échelle de la
société, du collège ou de la classe. Gardou résume ce constat en concluant que « le concept de
société inclusive renvoie à la quête, impossible mais nécessaire, d’une « bonne présence » à l’autre,
dans un espace qui nous garde ensemble. Cette façon de penser questionne l’Ecole au sens large,
lieu d’éducation gouverné par la norme, le niveau et le classement ». Elle questionne aussi la place
de chacun par rapport aux autres dans la façon de sociabiliser, d’échanger et de travailler.
Et les pédagogies collaboratives font partie de ces questionnements car elles sont une des
facettes de cette socialisation et de ce travail en commun volontaire ou imposé par l’enseignant.

2.2.2. La constitution des groupes de travail

La question première est de savoir comment on apprend en groupe ? Pour cela il faut partir du
postulat que même si le dispositif ULIS n’est pas un groupe formé d’élèves d’une même classe, cela
reste tout de même un groupe. Le problème c’est que ce groupe est composé d’élèves qui se
croisent et n’ont pas le même vécu dans leur journée de collégiens contrairement aux élèves d’une
classe ordinaire qui naviguent « en troupeau » d’un cours à l’autre avec un emploi du temps
commun. Le groupe formé par les élèves d’ULIS ne partage rien à la base : ses membres d’âges
différents de 13 à 16 ans, ont des préoccupations différentes entre les pré-adolescents de 5ème et les
grands adolescents de 3ème. Ils se retrouvent ensemble uniquement dans le dispositif.
Le groupe peut apparaître de prime abord comme un obstacle aux apprentissages qui sont par
nature individuels comme le signale Luc Peeters (2009). Pour que le groupe soit un vecteur
d’apprentissage, il faut que se crée pour l’élève un conflit d’ordre cognitif entre son point de vue et
celui d’autrui. Piaget décrivait l’apprentissage comme une alternance entre des phases
d’assimilation, durant lesquelles l’élève dispose des compétences lui permettant de résoudre seul les
problèmes qu’il rencontre par application de processus de pensée connus, et des phases
d’accommodation, au cours desquelles il ne dispose pas des stratégies lui permettant de traiter les
problèmes rencontrés. Il doit donc modifier ses représentations pour apprendre. Et la situation de
groupe peut être une stratégie pour entrer en interaction avec autrui et se confronter à un autre point
de vue. (Annexe 1)
Par conséquent pour que le groupe fonctionne, il faut que les élèves membres du groupe
disposent d’un langage commun permettant les échanges, mais aussi qu’il règne dans le groupe une
certaine hétérogénéité pour que ces différences produisent un échange d’informations et de
propositions variées face au problème commun. Sans cette donnée, le groupe n’est pas vecteur

17
d’apprentissage, il possède néanmoins d’autres fonctions comme l’explique Meirieu (1996). Il
s’engage dans une logique de production, de monitorat ou encore de réconciliation mais n’est plus
dans une logique d’apprentissage. Par conséquent l’enseignant doit bien définir en amont ce qu’il
compte adopter comme démarche et quel est le but poursuivi lorsqu’il décide de faire travailler les
élèves en groupe. C’est ce que décrit Astolfi (2017), quand il catégorise les formes de travail en
groupes entre le groupe de confrontation, d’évaluation, d’appropriation, d’entraînement et de
besoin. (Annexe 2)
La mise en place de travail de groupes ne peut donc se faire que si les élèves s’investissent un
minimum dans le groupe-classe, ce qui n’est pas une évidence car dans le cas du dispositif ULIS
chaque élève peut se demander quel intérêt il va trouver dans ce lien groupal temporaire avec des
interlocuteurs qu’il ne considère pas comme ses pairs, puisque chacun est présent dans la classe à
des moments différents et que le lien du handicap n’est pas fédérateur dans une ULIS TFC et TSL
où chaque élève présente des troubles et des difficultés qui lui sont propres. On peut se demander
légitimement si travailler en groupe, collaborer avec autrui est donc une méthode d’apprentissage
opportune dans ce type de configuration et s’il ne vaut pas mieux privilégier une autre forme
d’enseignement que les pédagogies coopératives.
Cependant comme un enseignant peut difficilement se démultiplier, il a tout intérêt à ne pas
rester seul face aux élèves et à solliciter la participation de ceux-ci pour l’enrichissement du milieu
dans lequel ils évoluent. De plus c’est un moyen pour qu’ils se sentent utiles. C’est là toute la force
de la coopération entre élèves et l’objectif premier de leur autonomie : les autoriser à s’aider ou
s’entraider afin que l’enseignant ne soit pas la seule personne ressource capable d’étayer l’activité
intellectuelle des élèves. Ils ont ainsi la capacité de se diriger eux-mêmes dans un environnement
donné (Durler 2015, Foray 2016). Et dans ce cas, l’hétérogénéité des élèves devient une richesse sur
laquelle s’appuie la coopération pour dégager du profit cognitif partagé (Connac 2017).

2.2.3. L’intérêt de la coopération entre élèves

Le travail coopératif est en effet une des méthodes d’enseignement les plus compliquées à
mettre en place si l’on veut qu’elle soit efficace et ne tourne pas au bavardage d’un groupe d’élèves
autour de tables placées en ilots. Cette méthode poursuit des logiques et des buts multiples et
permet à l’enseignant de se décentrer et de ne plus être l’unique dispensateur du savoir. (Annexe 3)
A l’inverse, l’enseignement frontal demande à l’enseignant une énergie intense pour tenir une classe
en haleine et la faire entrer en totalité dans les apprentissages en étant l’unique référence. De plus,
on est bien loin des cours magistraux dispensés depuis le haut de l’estrade par un professeur
détenant le savoir à des élèves qui, au mieux buvaient les paroles de l’enseignant si le cours les
intéressait, au pire dessinaient sur leur cahier et se faisaient passer des mots en attendant que l’heure

18
se finisse, sous peine de subir les foudres dudit enseignant en cas d’interruption du cours par un fou
rire ou une remarque déplacée. Aujourd’hui l’élève a désacralisé le professeur pour le meilleur,
avec des relations plus complices et constructives, comme pour le pire en projetant sur lui ses
attentes, ses angoisses et ses frustrations. Donc le cours n’est plus vertical entre un professeur, seul
détenteur du savoir et des apprenants ignorants, mais horizontal car les réseaux sociaux et internet
permettent d’accéder aux informations et au savoir quasi instantanément dès que le professeur a
donné le sujet du cours. Par conséquent, le cours magistral qui existe encore et joue un rôle
important de transmission des savoirs, n’est plus le modèle de référence pour faire entrer les élèves
dans les savoirs et les faire progresser. D’autres manières d’enseigner sont nécessaires avec des buts
parfois similaires, parfois différents mais toujours dans le même souci d’apprentissage.
En ULIS, le cours magistral est impossible à cause de la spécificité du dispositif tant au
niveau des effectifs fluctuants des élèves qu’au niveau des pré-requis et des possibilités
d’apprentissages différents de chacun. Mais les temps de regroupement existent pour étudier une
notion nouvelle en tenant compte des besoins de chacun. Par contre la coopération entre élèves est
un des axes pédagogiques que j’ai priorisée cette année dans le dispositif comme auparavant dans
mes classes de lycée professionnel. Et à travers ce mémoire, je prendrai le temps d’analyser ma
pratique et de confronter les activités que je pratiquais de manière intuitive, avec les recherches
dans ce domaine.
En effet, sous le terme générique de coopération, on trouve un ensemble de situations où des
personnes produisent ou apprennent à plusieurs. Elles agissent ensemble. Au-delà de la coordination
et de la collaboration, la coopération correspond au niveau le plus étroit du faire à plusieurs, dans
lequel les partenaires sont mutuellement dépendants, avec qui il est nécessaire de s’associer (Jean-
François Marcel, 2007). Plus précisément la coopération est entendue comme ce qui découle des
pratiques d’aide, d’entraide, de tutorat et de travail de groupe. (Annexe 4)

2.2.4. Le fonctionnement du tutorat

Lorsqu’un élève volontaire apporte son aide à un camarade de manière organisée, codifiée et
liée à un contrat d’engagements, on utilise le terme de tutorat ou « enseignement pas ses pairs »
(Connac, 2017). Un tuteur est un élève volontaire et formé aux gestes de l’explication. Il maîtrise ce
qu’on lui demande ou sait renvoyer vers quelqu’un de compétent. Il répond en cela à l’origine du
mot, étymologiquement le terme de tuteur vient de la racine latine tueri signifiant « protéger,
garder, veiller à ». Le terme de tuteur et celui de tutorat apparaissent dans le milieu de
l’enseignement où ils sont définis comme un dispositif d’apprentissage et d’aide qui induit
l’interaction communicative entre un tuteur et un tutoré. Une relation interindividuelle
dissymétrique, forme plus élaborée de l’aide, où le tuteur est reconnu comme aidant et devient

19
responsable du soutien demandé par le tutoré. Au-delà de la maîtrise de la compétence disciplinaire
engagée, J. Bruner (1987) explique que le tuteur a besoin de montrer d’autres qualités afin de
pouvoir remplir un rôle d’étayage auprès du tutoré : enrôlement dans la tâche, simplification
mesurée de l’activité, maintien de l’orientation de la tâche, signification des caractéristiques
déterminantes et démonstration de modèles.
Par conséquent, certains auteurs insistent sur le choix des tuteurs. G.Barnier (2001) explique
que pour éviter une certaine domination du tuteur sur le tutoré, l’enseignant ne va pas
systématiquement choisir comme tuteur un élève-expert (qui a les meilleurs résultats), mais plutôt
celui qui conjugue des compétences dans le domaine d’enseignement traité et des compétences
d’ordre communicationnel. Pour devenir tuteur, l’élève doit bien sûr maitriser la compétence
travaillée, mais surtout être capable de la traduire et de la transmettre en étant à l’écoute du tutoré.
Le concept de « congruence cognitive » évoqué par A. Baudrit (2007) regroupe les qualités
relationnelles et sociales (capacité à s’exprimer dans un langage approprié, à expliquer dans des
termes compréhensibles et à utiliser les notions et concepts accessibles à l’interlocuteur) ainsi que
les compétences académiques (expertise dans le domaine d’action interrogé).
Le tutorat est donc un principe de coopération basé sur la relation dissymétrique entre un
tuteur et un tutoré dans un cadre formel posé par l’enseignant. A partir de ces éléments fournis par
les différents auteurs, j’analyserai des situations de tutorat mises en place dans mon dispositif.

2.2.5. L’intérêt du conseil coopératif

Le conseil coopératif est une pratique introduite en pédagogie au début du XXème siècle par
un pédiatre polonais Janusz Korczak auprès d’orphelins et d’enfants abandonnés dans le ghetto de
Varsovie. Il considérait ces enfants comme des personnes à part entière avec une capacité de
débattre et de prendre des décisions. En France, cette démarche a été reprise par Barthélémy Profit
et Célestin Freinet qui l’ont progressivement faite évoluer. De nos jours, le conseil coopératif utilisé
par une minorité d’enseignants s’inscrit principalement dans une logique d’éducation à la
citoyenneté par la pratique ordinaire des fonctionnements de la démocratie. Il permet aussi à chacun
de faire part de ses opinions, d’argumenter et de confronter son point de vue avec celui des autres
élèves pour faire bouger sa position ou être conforté dans ses choix. C’est un moment de rencontre
avec tous les autres élèves, un moment à part où les apprentissages « classiques » sont laissés de
côté pour faire place à une parole différente, à une rencontre avec les autres, rencontre difficile
voire impossible dans les activités quotidiennes qui rythment la vie du dispositif.
« Le conseil est le lieu où les membres du groupe peuvent présenter leurs critiques et leurs
propositions, confronter leurs points de vue, analyser le fonctionnement de leurs activités et
institutions et prendre des décisions. C’est là que la parole collective s’élabore et que le pouvoir des

20
enfants devient une réalité institutionnelle. Structure instituante qui permet l’établissement des lois
du groupe, il est aussi le lieu où les conflits et les transgressions sont traités, afin d’y trouver des
solutions qui préservent les droits individuels et l’intérêt collectif » (Le Gal, 2002)
Oury et Vasquez (1967) ont contribué à l’approfondissement des pratiques de conseils
d’élèves, autre terme pour désigner les conseils coopératifs. Oury décrit le conseil coopératif à
travers la métaphore du corps humain. Le conseil serait l’œil du groupe (le comportement de chacun
apparaît aux yeux de tous, on peut difficilement mentir et se mentir), le cerveau du groupe (les
problèmes sont considérés non comme des manques mais comme des défauts d’organisation
auxquels on peut remédier par une réflexion collective), le rein du groupe (pour l’élimination des
conflits perturbateurs en cherchant une alternative équitable à la violence qui passe par la parole) et
le cœur du groupe (la posture des élèves est différente en conseil et en dehors, c’est en conseil
qu’on élabore de nouveaux projets, de nouvelles dynamiques de fonctionnement).
La mise en place de ces conseils n’est pas toujours évidente et Le Gal propose des matrices
de repères pour l’introduction de tels conseils. J’ai suivi ces propositions en les adaptant au mode de
fonctionnement du dispositif. Tout d’abord, il explique que le processus de changement doit être
soutenu et accompagné, l’autonomie et la responsabilisation sont deux qualités qui s’apprennent.
Elles sont d’ailleurs au cœur de ma pratique d’enseignement car j’essaie à travers différents
processus de rendre mes élèves plus autonomes, le handicap et le peu d’estime de soi les rendent
souvent dépendants de leurs parents et des autres. Mes élèves sont des adolescents comme les autres
mais ils sont souvent surprotégés par leurs parents ou considérés comme incapables d’accomplir
certaines tâches qui au contraire les responsabiliseraient et les rendraient plus autonomes.
Ensuite, la mise en place du conseil doit répondre à un besoin, être préparée avec attention et
menée avec prudence par un enseignant qui sait où il souhaite aller. Sur ce principe j’avoue que lors
du premier conseil coopératif j’ai navigué un peu à vue, car c’était la première fois de ma carrière
d’enseignante que je mettais en place un conseil coopératif, donc contrairement au tutorat autre
outil coopératif que j’utilisais depuis des années, la mise en place d’un conseil coopératif était une
première dans le dispositif ULIS. Dans ces conseils Le Gal (2007) préconise aussi de respecter et de
préciser la place des différents partenaires, adulte et enfant. Cela a nécessité des éclaircissements
sur ma place d’enseignante et sur la place de Virginie l’AESH car si pour elle, les élèves ont intégré
son statut égal au leur, ils ont par contre eu du mal à me considérer comme une participante au
conseil au même titre qu’eux. En effet, dans le cadre du conseil, je suis un membre comme les
autres même si je reste la garante du bon fonctionnement du dispositif.
Concernant les sujets traités lors des séances du conseil, ils doivent être importants pour la
communauté sinon les élèves ne se sentent pas impliqués ; les séances du conseil doivent être
fréquentes pour traiter des propositions et des problèmes, et j’ajouterai régulières pour ne pas laisser
une proposition en suspens ou une situation problématique se dégrader.

21
Enfin, le conseil doit être efficace pour être crédible et permettre à chacun de s’y investir. Si
les propositions ne sont pas discutées ou les problèmes résolus, ces réunions tournent à vide et les
élèves s’ennuient. De plus, une fois les décisions prises, elles doivent être connues de tous,
sérieusement appliquées et se traduire par des faits concrets pour que le conseil ne reste pas un outil
pédagogique théorique : il faut qu’il fasse vraiment partie de la vie du dispositif. Dernier point
évoqué par Le Gal (2007), la liberté de chacun doit être respectée, le conseil n’a pas à se substituer
aux consciences. Ce dernier point prend toute son importance dans le dispositif avec des
adolescents d’horizons différents qui ne partagent pas les mêmes façons de vivre dans leur famille
ni les mêmes points de vue. Par conséquent certains sujets comme la religion, l’égalité hommes-
femmes, le racisme, le rapport à l’école et au travail peuvent devenir épineux et matière à
discussion.
On constate donc que la mise en place d’un conseil coopératif ne se fait pas à la légère car
de lui vont sortir des idées nouvelles, des questionnements, des comportements différents et des
discussions animées. Pour cela, il faut organiser ces séances de conseil de manière solennelle et
réfléchie.

3. Cadre théorique et méthodologie

3.1. L’activité, une notion fondamentale

L’activité humaine est « située » et dynamique. Elle est indissociable de la situation


matérielle, sociale et culturelle au sein de laquelle elle prend forme et doit, par conséquent être
étudiée in situ (Lave, 1988 ; Suchman, 1987) C’est ce qu’a démontré Serge Leblanc (2007), dans sa
réflexion sur l’activité des enseignants. Il a mis en avant qu’il était impossible de dissocier
l’enseignant de son environnement, c’est pour cela qu’il est indispensable d’étudier le couplage
entre acteur et environnement.

3.1.1. Le couplage acteur/environnement

Selon Veyrunes (février 2005), « analyser l’activité revient à analyser un couplage


action/situation, c’est-à-dire les interactions asymétriques que l’acteur entretien avec son
environnement. Les groupes sociaux constituent un autre niveau autonome de l’activité humaine. Ils
ont leur dynamique propre et sont constitués par un réseau d’interrelations qui à chaque instant
déterminent leur propre identité. » (Eco 1988 ; Theureau, 2004)

22
Le collectif n’est pas une totalité constituée des activités individuelles mais « une totalité
constamment dé-totalisée par les activités des individus qui le constituent » (Theureau, 2004). Dans
le cadre de situation d’apprentissage, il semble réducteur de s’attacher à un seul aspect de la
situation. En effet, par définition, il est impossible d’anticiper les interactions entre acteurs qui
entraînent un caractère imprévisible et incertain de l’action. C’est ce que Leblanc (2007) appelle
« le monde propre de l’enseignant dans sa classe ». Cette notion de monde propre est empruntée au
biologiste von Uexküll (1965) qui a reconstitué le monde des différentes espèces animales.
Leblanc (2007) explique que l’activité de l’enseignant en situation c’est « appréhender son
activité de manière globale en ne séparant pas ses actions, perceptions, et cognition mobilisées dans
la situation. » Il s’agit donc de s’intéresser à la réalité de la classe en zoomant sur ce qui s’y passe
réellement. L’organisation de l’action est un « couplage action-situation » singulier, c’est-à-dire une
mise en contact particulière d’un acteur et d’un contexte, guidée par les intentions d’un acteur. Par
conséquent la signification des contextes et de l’action n’est pas donnée a priori mais est construite
par l’acteur in situ. Elle correspond à la façon dont l’acteur construit, en même temps qu’il agit, une
interprétation personnelle et subjective de la situation qu’il vit, et de l’action qu’il accomplit
(Theureau, 1992).

3.1.2. Le point de vue intrinsèque

Pour Gal-Petitfaux (2010), la cognition et l’activité sont incompréhensibles hors contexte et


doivent nécessairement être étudiées en situation, car l’action, la cognition et la situation sont
intimement liées. Lorsqu’une situation est observée pour être analysée, il faut également tenir
compte de deux points fondamentaux : le premier est l’aspect culturel. Le monde enseignant jouit
d’une culture professionnelle prégnante. Il partage des actions et des situations typiques qui vont
influencer les interprétations que les enseignants ont de la situation et donc leurs actions sur le
moment ou a posteriori. De fait, et c’est le deuxième point développé par cette auteure, l’action et la
cognition évoluent sans cesse : « elles sont dynamiques, elles se déploient en relation avec les
ressources acquises au cours des expériences passées et en exploitant celles présentes dans la
situation actuelle ». La situation en classe dépendra forcément de ce que l’enseignant vit et de son
interprétation à l’instant où il le vit.
Pour Jacques Saury (2002), « aucune pratique professionnelle n'existe indépendamment des
praticiens qui l'exercent et en assurent la manifestation sociale. Toutefois, sa reconnaissance sociale
s'opère selon deux voies : d'une part, par un processus de prescription de ce qu'elle devrait être et
d'autre part, par un processus de description de ce qu'elle est comme activité réellement mise en
œuvre ». Dans la première voie, il s’agit de travaux d’ordre politique, idéologique, économique,
scientifique ou technologique produits par des experts déconnectés du terrain des praticiens. Dans la

23
deuxième voie, « la pratique est définie comme un ensemble de productions humaines vivantes,
d'actions locales, de valeurs et d'engagements émotionnels, qui se déploient dans des milieux de
travail et de vie ». Le deuxième cas induit un système de règles tacites, de productions de normes et
de valeurs implicites qui se situent au coeur du travail où la culture est primordiale. Ces deux points
de vue, prescriptif et descriptif agissent conjointement à la définition de l'agir professionnel d’une
manière extrinsèque et intrinsèque. Cependant Jacques Saury privilégie le primat de l’intrinsèque et
considère « que l'essence de la pratique (les compétences et les connaissances qu'elle exprime) se
situe dans l'activité elle-même et dans les significations que le praticien en construit au cours de son
travail. L'étude de la pratique suppose, dans cette perspective, de recourir à des modèles et à des
catégories de description capables de rendre compte de cette expérience accomplie et vécue, plutôt
qu'à des catégories conçues pour sa prescription. »
Ainsi dans leur article Nathalie Gal-Petitfaux et Jacques Saury (2002) développent « un
programme de recherche qui s'appuie sur des modèles de l'action et de la cognition située, et sur le
modèle sémiologique du cours d'action ». Leurs travaux ont une double visée épistémique car de
nouvelles connaissances doivent enrichir la recherche grâce à la théorisation, et transformative de
part « la nature des liens entre la recherche et la conception d'aides à l'action et à la formation » des
praticiens. Par ailleurs ils considèrent que l’étude de la pratique enseignante est indissociable des
conditions de collaboration entre le chercheur et l’enseignant qui nécessitent de tenir compte de
« l'intégration authentique du chercheur dans la communauté de pratique, du respect fondamental
des exigences de la pratique et du postulat d'une relative opacité des pratiques. ». D’où les
conditions méthodologiques spécifiques de l’observatoire d’étude proposé par Gal-Petitfaux et
Jacques Saury « à deux niveaux : comportemental, c'est-à-dire celui de sa réalisation au plan
corporel, verbal, spatial et temporel et au niveau significatif, c'est-à-dire celui du sens qu'elle a pour
l'acteur et des connaissances qu'il mobilise pour agir. ». Par conséquent si l’acteur est indissociable
de son environnement, il doit cependant croiser son activité avec le point de vue du chercheur pour
être efficace. Il est alors en mesure de décrire son activité en poussant l’analyse jusqu’aux
événements non conscientisés.

3.1.3. L’accès à la conscience pré-réflexive

Une fois le monde propre de l’enseignant investi, il peut accéder au couplage -activité-
situation et analyser les significations qu’il accorde à tel ou tel évènement. Il s’agit donc de réaliser
une description d’une partie de l’activité en respectant son caractère d’interaction asymétrique entre
l’acteur et son environnement. En effet, il existe une co-détermination entre l’acteur et
l’environnement. Le caractère asymétrique de la relation de ces deux entités trouve son origine
dans le point de vue de l’acteur qui à son « monde propre ». La conscience pré-réflexive est la

24
compréhension de son activité et sa capacité à l’expliciter. Selon Veyrunes (2005), analyser
l’activité revient à analyser le couplage action-situation, c’est-à-dire les interactions asymétriques
que l’acteur entretien avec son environnement. De fait, il passera du stade de l’intuition au stade de
la conscientisation.
Serge Leblanc (2007) reprend l’hypothèse de la « conscience pré-réflexive » développée par
Theureau, 2006. On passe de l’effet de surface de la dynamique des couplages activité-situation à
une analyse fine de ce flux d’activités que l’on découpera en unités significatives afin de
comprendre chaque unité d’activité. En effet, il faut distinguer le déroulement de la situation et sa
description continue, du commentaire plus précis de ce qui est significatif. « Les éléments
significatifs de la situation constituent les ressources pour l’activité de l’acteur » (Norman, 1993 et
Veyrunes 2005). Ainsi le flux d’action a une valeur significative de rang élémentaire, le
redécoupage en unité d’expérience significative de rang supérieur permet une reconstruction
plausible de la dynamique d’un mouvement de pensée. Veyrunes rappelle que comprendre et
analyser les interactions entre les différents acteurs nécessite d’accéder aux processus de
construction de signification (Eco, 1988 ; Theureau, 2004). Il poursuit en précisant que s’intéresser
au collectif suppose de prendre en compte à la fois le cours d’action de chacun, ce qui est
significatif pour eux, et en même temps l’articulation de ces cours d’action (Theureau, 2002). Les
niveaux individuel et social de l’activité sont indissociables (Elias, 1987/1991). Le collectif n’est
pas une totalité constituée des activités individuelles, mais « une totalité constamment détotalisée
par les activités des individus qui la constituent » (Thereau). L’activité est donc analysée comme un
flux, décomposable en unités d’actions (U) significatives pour l’acteur. L’analyse de ce flux est
donc une étape essentielle car sans l’accès à ces éléments de l’activité souvent non conscientisés, on
se prive d’informations essentielles voire on interprète de manière erronée l’activité observée. Et
soit on ne peut pas passer à la typicalisation de situations similaires, soit cette dernière sera erronée.

3.1.4. Les caractéristiques de l’activité

Le couplage acteur/environnement de mon activité se situera entre les élèves, l’AESH et


moi-même. L’étude porte sur les interactions entre ces différents acteurs au sein du dispositif ULIS
qu’ils fréquentent tous les jours quand ils ne sont pas en inclusion. Je vois mes élèves au moins une
heure par jour ; c’est donc dans cette plage horaire que je peux étudier leur façon de vivre et de
travailler ensemble sous l’angle du travail coopératif en zoomant sur deux activités choisies : le
tutorat et le conseil coopératif. Ces deux formes de travail coopératif ont des caractéristiques
différentes dans leur organisation. L’activité sera parfois distribuée quand je mets en place le tutorat
ou que j’organise les modalités du conseil de classe. L’activité sera aussi située car le

25
fonctionnement de mon dispositif et la disposition de l’espace se prêtent aux deux thèmes de mon
étude.
Le point de vue intrinsèque sera développé à partir du découpage des vidéos des élèves sur
les différentes situations de tutorat et sur l’analyse des notes prises après chaque conseil
pédagogique. Ensuite en étudiant le point de vue de chercheurs sur la question du travail coopératif
abordé dans ma revue de littérature, je confronterai mes résultats et analyserai les ressemblances,
mais aussi les différences entre les résultats de leurs travaux et l’activité observée dans mon
dispositif.
L’analyse du flux d’activité à partir des vidéos des élèves découpées en unités d’activités,
puis la retranscription de leurs propos me permettra une analyse complète de l’activité en accédant
aux éléments non conscientisés lors d’un simple visionnage. De même la relecture des notes prises
lors de l’observation des élèves in situ fera apparaitre des détails ignorés en première lecture. En
effet quand je filme les élèves, je suis dans l’action, alors que quand je regarde la vidéo plusieurs
fois, des éléments nouveaux se révèlent progressivement comme à la relecture de mes notes. Dans
le premier cas les images s’incarnent avec plus de sens et l’implicite devient clair, dans le second
cas les mots de la phrase prennent une signification unique et singulière.

3.2. Spécificités du contexte pour mon étude

3.2.1. Les participants

Daniel 16 ans, d’origine roumaine, ne maîtrise pas le français, a des problèmes de compréhension.
C’est un adolescent très calme et posé, mais qui ne se mélange pas avec les élèves de 5ème et 4ème
qui ont trois ou quatre ans de moins que lui. Il a un niveau très faible CP-CE1 avec un énorme
retard dans les apprentissages fondamentaux en mathématiques et en français. Il n’a pas été
scolarisé avant son arrivée en France il y a quatre ans et personne ne parle français à la maison. Il
est inclus en 3ème avec Ninon.

Romain 15 ans, est aussi d’origine roumaine mais est né en France. Il est présent dans le dispositif
ULIS pour la 4ème année. Peu intégré dans le dispositif les premières années car il ne parlait presque
pas français, lisait difficilement et était absentéiste. Cette année il vient plus volontiers en cours
mais reste à l’écart car c’est un des plus âgés : il ne tisse de lien qu’avec les deux autres élèves
roumains. Il s’installe à la table la plus au fond de la salle et rechigne à travailler en groupe. Il est en
atelier deux jours par semaine, en classe de 3ème pour l’EPS et les arts plastiques et en ULIS les
lundis et vendredis matin.

26
Ninon 15 ans, incluse en 3ème dans de nombreuses matières : français, histoire-géographie, EPS,
Arts plastiques, musique, technologie et en ULIS. C’est une élève très sociable qui a du mal à se
concentrer sur son travail et à mémoriser les informations sur le long terme, mais elle est toujours
prête à aider les autres. Elle est souvent absente. Elle est vite fatiguée quand elle entame une activité
écrite trop longue. Elle a beaucoup d’inclusions mais est présente en ULIS au moins une heure par
jour.

Ian 14 ans, est d’origine roumaine lui aussi et ne s’intègre pas dans le dispositif car il est absent au
moins un jour sur 2. Il n’a aucune difficulté de langage mais un retard scolaire important lié à une
scolarisation en pointillés et à une famille non francophone et compliquée qui ne peut pas l’aider, ni
être présente pour lui. C’est un électron libre qui refuse de s’intégrer au groupe lorsqu’il arrive en
classe. Quand une activité lui plait, il aime la faire seul et ne demande de l’aide qu’à Virginie
l’AESH ou à moi-même. Il est inclus en 4ème avec Léo.

Kenzo 15 ans a d’importants troubles du langage et de l’attention. Il est aussi dyspraxique et très
mal à l’aise avec son corps, pourtant il se débrouille bien en EPS quand il est dans un cycle course.
Il est sous traitement et se fatigue très vite. Il adore les mathématiques mais a du mal à entrer dans
les autres activités car il a besoin de consignes claires, mais aussi de reformulation personnelle et il
n’investit pas un travail hors du domaine des mathématiques s’il n’est pas obligé. Il souhaiterait
passer son temps à côté de Léo et n’aime pas les changements. D’ailleurs en classe, il choisit
toujours la même place au milieu au deuxième rang. Il est accompagné en cours de mathématiques
par l’AESH et se repose beaucoup sur elle, même lorsqu’il n’en pas besoin. Il peut vite s’énerver ou
se décourager si on ne répond pas immédiatement à ses attentes. Il est inclus en 4ème avec Nathalie.

Léo 14 ans, il est dyspraxique, a des problèmes de coordination et d’élocution. Très discret, il n’a
aucun problème pour s’intégrer au groupe et est partant pour tout malgré ses difficultés de
verbalisation. Il utilise un ordinateur pour ne pas être en double tâche mais c’est encore compliqué
pour lui de gérer cet outil qu’il n’investit pas encore assez. Il est inclus en 4ème avec Ian.

Nathalie 14 ans, c’est une élève volontaire, très agréable avec un bon niveau en français à l’oral,
elle s’exprime de manière claire mais se perd dans des digressions qui parasitent sa pensée et son
raisonnement. Elle rencontre des difficultés de concentration et de mémorisation. Elle a aussi des
problèmes neurologiques, avec des tremblements permanents l’empêchant d’avoir une graphie
correcte, de dessiner et de réaliser des tâches manuelles fines : elle utilise un ordinateur qu’elle
maîtrise de mieux en mieux grâce aux séances d’ergothérapie. Elle est incluse en 4ème avec Kenzo.

27
Chérane 13 ans a des troubles sont importants au niveau du langage. Elle refuse de travailler ou
d’être assise à côté de certaines personnes. Elle est volontaire mais travaille quand elle l’a décidé et
consacre son temps libre à compter ses stylos et à faire des dessins dans des quadrillages. Elle adore
les mathématiques mais ne s’intéresse pas aux autres matières. Elle a beaucoup de mal avec
l’implicite et est capable de lire plusieurs fois une histoire sans la comprendre mais en l’ayant lu de
manière très sérieuse et concentrée. Elle vit dans un milieu où elle n’est pas stimulée avec une mère
et une sœur handicapée. Elle est incluse en 5ème avec Nina.

Nina 13 ans, a des difficultés de concentration, cherche les limites, s’éparpille, ne sait pas se
positionner dans un groupe, tenir un rôle, adhérer à une consigne. Elle était en inclusions inversées
l’an passé avec un début de phobie scolaire. Cette année, elle a encore beaucoup d’inclusions mais
passe plus de temps en ULIS. Elle est incluse en 5ème avec Chérane.

Oriana 13 ans, est dans le dispositif ULIS pour la première année, l’an passé elle était en inclusions
inversées. Très réservée, elle n’a pas du tout confiance en elle, est très influençable et est en grande
difficulté scolaire avec une lenteur dans les apprentissages. Par ailleurs, c’est une élève par contre
très scolaire avec son matériel toujours en bon état et ses cahiers bien tenus. Elle adore colorier et
aime lire des albums simples sans implicite. Les mathématiques sont des concepts très difficiles
pour elle. Elle est incluse en 5ème avec Eloi et Laurent.

Eloi 13 ans, a des Troubles du spectre Autistique qui engendrent des problèmes de positionnement
face aux autres, de concentration sur un temps long c’est-à-dire plus d’un quart d’heure, une grande
fatigabilité car il est sans arrêt en train de gérer son espace et sa relation aux autres. C’est celui qui a
le moins d’inclusions donc qui est le plus présent dans le dispositif. Les interactions avec les autres
sont parfois compliquées car il peut vite envahir leur espace ou devenir très embêtant par ses
questions ou remarques déplacées. Il n’a pas de filtre social. Il est inclus en 5ème avec Oriana et
Laurent.

Laurent 13 ans, est un élève très effacé, qui travaille seul, vite et sans demander d’aide. Il met un
point d’honneur à faire son travail mais n’interagit pas avec les autres. C’est celui qui avait le plus
d’inclusions mais vu sa fatigabilité, il est désormais davantage en ULIS. Le travail en groupe est
compliqué pour lui car il aime décider et ne demande pas l’avis des autres. Il est inclus en 5ème avec
Oriana et Eloi.

28
Virginie l’AESH connaît bien les élèves car elle est présente dans le dispositif depuis 7 ans et les
élèves de 4ème et 3ème étaient déjà avec elle l’an passé.

Carla élève de seconde bac pro SPVL, elle est venue en stage dans le dispositif pendant 4
semaines.

3.2.2. La méthodologie suivie pour mes études de cas

Je suis partie de vidéos tournées entre décembre et mars présentant différents binômes qui
m’ont servi de bases pour retranscrire l’activité des élèves dans le dispositif en situation de tutorat.
La vidéo, avec ses entrées audiovisuelles, semble être le meilleur outil pour transcrire le plus
fidèlement possible l’action d’enseignement. « Elle offre la possibilité de restituer le caractère
global (de saisir pour partie les ambiances de classe), pluridimensionnel mais aussi singulier de
l’activité » (Leblanc, Ria et Veyrunes, Vidéo et analyse in-situ des situations d’enseignement et de
formation dans le programme du cours d’action, 2012). L’analyse de ces vidéos s’attachera à
« zoomer » sur les moments en lien avec mon objet d’étude.
Pour faire ressortir les éléments saillants de l’action prévus et imprévus, il faut confronter les
vidéos à d’autres données d’observation. La retranscription des vidéos sous forme de verbatim
permet une analyse différente, plus poussée de l’activité de chaque acteur. En effet selon Leblanc,
Ria et Veyrunes (2012), le corpus vidéographique est insuffisant pour reconstruire l’expérience
vécue. J’ai donc regardé, écouté et décortiqué les vidéos afin de reconstruire l’expérience vécue,
puis retranscrit ces vidéos sous forme de verbatim qui m’ont permis de cerner plus précisément les
éléments de l’activité imperceptibles lors des visionnages.
J’ai aussi utilisé les entretiens d’auto confrontations avec un triple objectif : « constituer les
données comportementales et contextuelles indispensables à l’analyse des cours d’action ; fournir
un support pour documenter les aspects invisibles de l’activité à partir d’une remise en situation
dynamique face à ces données et enfin, fournir des éléments pour les rétrodictions de l’analyste »
(Leblanc, Ria et Veyrunes, 2012). La situation filmée et l’auto confrontation permettent une lecture
objective, elles mettent en exergue les ressentis, les sous-entendus, les attentes, les raisonnements,
etc… de chacun des acteurs, elles sont au plus proche de la réalité implicite et explicite de la
situation. Ces traces d’activité recueillies sous diverses formes vont par conséquent me permettre de
reconstruire l’enchainement des unités d’action pour accéder au sens de l’activité et mettre à jour
des couplages activités-actions « cruciaux, critiques et typiques mais aussi atypiques ré interrogeant
de ce fait les normes établies de l’activité professionnelle » (Ria, Serres, Goigoux, Baques &Tardif,
2006).

29
A plus long terme, cette façon de traiter les informations recueillies dans le cours de
l’activité me permet d’enrichir ma réflexivité en développant une intelligibilité des situations de
travail car désormais je considère mon enseignement comme un travail et non plus seulement
comme une pédagogie. Par conséquent en rendant compte du couplage activité-situation à partir
d’outils conceptuels et de méthodes issues de l’ergonomie du travail, je peux développer un
discours au plus près de mon vécu et analyser ma pratique de manière réflexive grâce à des
éléments de terrain concrets.
Ma pratique ne va pas être bouleversée de fond en comble mais j’aborde désormais les
situations de classe sous un angle différent et je suis capable de m’engager à une échelle modeste et
sur des thèmes précis dans des débats et controverses professionnelles, après la lecture d’ouvrages
didactiques et l’analyse de mon activité sur le terrain.

3.2.3. La mise en place du tutorat

Le dispositif ULIS ne fonctionne pas comme une classe ordinaire avec un emploi du temps
commun pour tous des élèves qui se suivent de cours en cours toute la journée. De plus les 12
élèves du dispositif ont des âges et des niveaux hétérogènes. Ils ne sont ensemble dans le dispositif
que sur un temps court d’une ou de deux heures. Donc les temps de regroupement n’excèdent pas
deux heures par jour avec des groupes à effectifs réduits. Une notion peut être abordée avec certains
élèves mais pas avec d’autres. Il arrive aussi fréquemment que les élèves travaillent avec une feuille
de route commune mais que chacun commence par l’activité qu’il souhaite. Par conséquent, dans la
même heure certains élèves peuvent travailler sur une poésie, d’autres sur un problème de maths,
d’autres encore faire de la fluence de lecture ou de la numération.
Comme nous ne pouvons pas avec mon AESH nous dupliquer, j’ai mis en place une autre
modalité d’aide entre élèves. Quand je vais voir un élève qui bute sur une difficulté et que je sais
qu’un autre élève présent dans le dispositif a réussi cette activité, je propose à l’élève en réussite de
venir aider son camarade. Cela permet aux deux élèves de progresser en verbalisant le problème et
en trouvant la solution. Cependant ce système est compliqué quand il n’est pas institutionnalisé, car
je ne peux pas interrompre l’élève en réussite qui travaille sur une autre activité pour qu’il vienne en
aide à son pair. Donc après la lecture des travaux de Sylvain Connac, j’ai instauré le système du
tutorat de façon plus cadrée pour permettre aux élèves de tirer un bénéfice de cette pédagogie
coopérative.
La mise en place du tutorat s’est faite de façon progressive. Lorsque les élèves arrivent dans le
dispositif, et ils remplissent leur emploi du temps, puis ils reprennent leurs inclusions avec moi pour
certains, ou nous abordons une notion en regroupement, ou ils choisissent individuellement une
activité parmi celles proposées dans le plan de travail. Au début ils préféraient travailler seuls mais

30
très vite grâce aux évaluations et à la connaissance des difficultés de chaque élève, j’ai commencé à
leur proposer de travailler en binôme. Ils étaient parfois réticents car je formais les binômes en
fonction des activités et des niveaux de compétence. Ils continuaient souvent à travailler seul à côté
de leur binôme imposé. Le tuteur n’avait aucune interaction avec le tutoré qui n’osait pas ou n’avait
pas envie de demander de l’aide à ce camarade avec lequel il ne partageait rien de peur qu’il ne se
moque de lui, ignore sa demande ou lui réponde de manière agressive. Puis progressivement les
élèves ont compris que travailler avec un autre élève facilitait les échanges et la réussite de l’activité
proposée. A partir de ce moment, les interactions ont commencé à être plus nombreuses. Et comme
je ne corrige pas les activités avec des notes mais avec des commentaires : un smiley qui sourit
quand l’activité est comprise, une remarque « trop difficile pour l’instant », « besoin de l’aide d’un
copain », « activité à finir plus tard », ils ont progressivement décidé de s’entraider pour aller au
bout de l’exercice proposé afin d’avoir le fameux smiley. Ils se sont aussi apprivoisés mutuellement
et les incidents ou les moqueries sont très rares et souvent liés à d’autres motifs que le fait de
travailler ensemble.
J’ai alors pu installer une caméra dans la classe et aussi décidé de les filmer avec mon
téléphone en leur expliquant que cela me permettait d’analyser notre manière de travailler. Nous
avons expliqué ces procédures ensemble, puis j’ai trié les vidéos récoltées et choisi 4 situations qui
me paraissaient à la fois singulières, mais aussi significatives de l’activité observée au sein du
dispositif. Dans les résultats, j’évoque parfois de manière plus succincte d’autres situations qui font
écho à celles étudiées en détail.

3.2.4. Le descriptif des différentes situations de tutorat

Situation 1 : Tutorat Eloi et Oriana (1)

Contexte : Nous travaillons en sciences sur la pyramide alimentaire et étudions les différents
aliments, leur composition et leur fréquence dans l’alimentation quotidienne à l’aide d’une courte
vidéo et du document ci-après. Le cours suivant, je refais la même séance avec un autre groupe
d’élèves et je donne à Oriana et Laurent un nouvel exercice car ils avaient déjà assisté au cours
précédent.

31
Ils doivent replacer les différents aliments dans la pyramide vide en essayant de ne pas
regarder leur document mais en faisant appel aux savoirs acquis lors de la séance précédente et à la
vidéo qu’ils viennent de revoir avec les autres élèves pour réactiver leurs connaissances.
Oriana qui a aimé et compris le cours précédent, découpe et colle facilement ses étiquettes.
Pendant ce temps, j’explique aux trois autres élèves la pyramide et ils se mettent à faire eux aussi la
deuxième activité. Mais Eloi ne comprend pas l’intérêt des couleurs et l’ordre dans lequel sont
classés les aliments. Je propose donc à Oriana de l’aider à compléter sa pyramide.

Dans cette situation Oriana devient la tutrice d’Eloi et va l’aider à comprendre les enjeux de
l’exercice. Elle va guider pas à pas Eloi afin qu’il arrive à reproduire le même travail qu’elle. Le
verbatim montrera la façon dont Oriana s’approprie le cours et le transmet à Eloi (Annexe 5). Dans
l’entretien d’auto confrontation nous reviendrons sur son rôle de tutrice et sur la façon dont Eloi a
compris le cours ou pas. (Annexe 6)

32
33
Situation 2 : Tutorat Kenzo et Léo

Contexte : Lors d’une séance de mathématiques, nous avons revu les additions simples et
travaillé sur le quadrillage, notion déjà étudiée précédemment avec les mots casés et les tableaux à
double entrée. Cette fois, il faut réaliser en premier des calculs simples puis les reporter dans le
quadrillage en respectant les directions. J’explique, je montre un exemple en traçant au tableau la
flèche correspondant au deuxième calcul, puis je laisse les élèves poursuivre seuls les différents
calculs et les reporter dans le quadrillage. Léo a fini rapidement contrairement aux autres élèves.
L’un s’est trompé dans ses calculs donc doit les reprendre, un autre n’a pas saisi le sens de
déplacement dans le quadrillage et un troisième gomme toutes ses flèches d’énervement car il n’a
pas trouvé la bonne île. Avec Virginie l’AESH, nous aidons les trois élèves et je donne un autre
quadrillage plus compliqué à Léo.

L’heure de cours se termine et les 3 élèves arrivent à la fin du premier quadrillage, je leur
propose le quadrillage plus difficile et après une pause ils se remettent au travail. Kenzo arrive
d’inclusions et Léo est en train de finir son second quadrillage, il est ravi car il a trouvé la bonne
réponse et je le sens en réussite. Je lui propose donc d’expliquer l’exercice à Kenzo qui vient

34
d’arriver et je les filme avec mon téléphone. J’ai ensuite retranscrit cette vidéo (Annexe 7).
Je n’ai pas eu le temps de faire un entretien d’auto confrontation avec Kenzo, Léo et Daniel
et d’un autre côté j’ai longuement hésité sans savoir pourquoi mais j’étais gênée de faire cet
entretien surtout avec Kenzo.

Situation 3 : Tutorat Eloi et Oriana (2)

C’est le deuxième tutorat filmé entre Oriana et Eloi qui travaillent souvent ensemble. Oriana
vient de terminer les additions à poser et je lui ai distribuée la correction. Elle a réussi sa ceinture
blanche et souhaite passer à la ceinture jaune. Je lui propose avant d’enchainer sur de nouveaux
calculs d’expliquer le travail à faire à Eloi qui s’installe à côté d’elle après son arrivée du cours de
musique. Je m’assieds en face d’eux et je les filme avec mon téléphone, puis je retranscris cette
vidéo (Annexe 8) pour analyser leur activité et être en mesure de la comparer avec leur premier
tutorat (Situation 1).

35
Situation 4 : Tutorat Nina et Chérane

Les deux élèves ont travaillé en inclusion sur un extrait d’Alice au pays des merveilles et doivent
répondre à des questions sur ce texte. J’avais prévu de reprendre le cours avec elles mais Chérane
arrive et me dit qu’elle a travaillé sur le texte d’Alice et que « c’était trop bien parce qu’elle
connaissait, qu’elle avait vu le dessin animé et le film ». Nina râle en disant que « c’était nul et
qu’elle n’avait rien compris ». Je propose donc à Chérane de nous expliquer le travail à faire.

Je me suis installée à coté d’elles et j’ai participé à l’activité pendant que la caméra nous
filmait puis j’ai retranscrit comme à chaque fois la vidéo (Annexe 10) avant de réaliser un entretien
avec les deux élèves sur cette activité (Annexe 11).

36
3.2.5. L’organisation du conseil coopératif

Dans le dispositif l’idée de mettre en place un conseil coopératif a germé au moins de


novembre après avoir observé le fonctionnement du conseil coopératif dans la classe de ma tutrice.
Je cherchais un moment dans la semaine où tous les élèves seraient présents pour se réunir et
réfléchir sur les activités de la semaine et le fonctionnement du dispositif.
Je souhaitais officialiser ce moment afin que cela ne soit pas une discussion informelle autour d’un
problème précis ou un bilan avant un conseil de classe comme pouvait l’être une heure de vie de
classe lorsque j’étais professeur principal en Lycée professionnel.
Les seuls moments où mes 12 élèves sont tous réunis se sont le mardi en début de matinée, ou un
vendredi sur deux, en fin de matinée. J’ai trouvé plus judicieux de placer la séance du conseil le
vendredi pour clôturer la semaine et repartir le lundi sur de nouvelles bases. J’ai ensuite réfléchi aux
modalités que je souhaitais adopter pour que ce conseil soit une institution de base intégrée et utile
dans le dispositif. Il fallait que j’explique aux élèves le principe et le déroulement du conseil
pédagogique avec des règles claires afin que ce temps de parole collective soit encadré et que
chacun puisse librement s’exprimer.
Les séances du conseil coopératif ont donc été fixées à partir du mois de décembre, tous les
15 jours en semaine B de 10h50 à 11h45, la dernière heure de cours avant le week-end. Elles
devaient durer une heure et se terminer par des prises de décisions à effet immédiat le lundi suivant
et par la résolution de conflits s’il y en avait à l’ordre du jour. Pour que chacun trouve sa place, j’ai
élaboré la charte du conseil coopératif en adaptant des modèles existants. Cette charte énumère les
règles à respecter au sein du conseil, le rôle du président et du rapporteur et les modalités pour
ouvrir et clore chaque séance. Je l’ai distribuée aux élèves lors du premier conseil, nous l’avons lue,
expliquée et collée à la fin du cahier de découvertes pour qu’elle soit accessible à chaque séance.
(Annexe 12) Puis j’ai pris des notes au cours des séances du conseil et a posteriori, afin d’analyser
ce que cette institution coopérative pouvait apporter aux élèves dans leurs relations entre eux et
dans leurs apprentissages. L’analyse de l’activité à travers ces notes ethnographiques, couplées aux
lectures sur les pratiques coopératives m’ont permis de modifier et d’adapter les séances du conseil
pour qu’il ne soit pas une coquille vide.

4. Résultats et discussions

4.1. Les apports du tutorat

37
4.1.1. L’évolution des élèves dans leur rôle de tuteurs

Situation 1 : tutorat Oriana et Eloi

Oriana a compris les catégories et le rôle des aliments ; à l’inverse Eloi a colorié le
document mais n’a pas vraiment saisi l’intérêt de cette pyramide. Oriana en tant que tutrice d’Eloi,
l’a aidé avec plaisir et en faisant de son mieux. Elle a surtout été présente à ses côtés pour s’assurer
qu’il réalise les tâches concrètes : découper, coller, colorier, mais n’a pas été capable de l’amener à
réfléchir sur l’intérêt de ces tâches. Eloi est resté dans un travail d’application et d’exécution par
rapport au modèle donné mais pas dans un travail de réflexion et d’appropriation de la notion
étudiée. Il est resté passif et dépendant de sa tutrice et aurait pu éprouver un sentiment de
subordination face à Oriana. Elle décidait et lui exécutait la tâche. C’est un des risques du tutorat
comme le rappelle Connac (2017).
Ensuite, j’ai remarqué qu’Oriana voulait qu’Eloi ait un document identique au sien puisque
je l’avais validé. Elle tenait vraiment à ce que les étiquettes soient bien collées et à ce que les
couleurs des cases de la pyramide soient respectées. On est dans des tâches concrètes et le passage à
la secondarisation de la tâche est acquis pour Oriana mais elle n’a pas intégré le fait qu’elle devait
transmettre ce qu’elle avait compris à Eloi. Pour lui, l’utilité des couleurs et le rôle de chaque
catégorie d’aliments n’est pas compris et ne semble pas important. En effet comme l’expliquent
Bautier et Goigoux (2004) certains élèves ont des difficultés à identifier les enjeux cognitifs des
tâches scolaires : guidés par une logique du faire, ils accomplissent les tâches sans s’interroger sur
les savoirs à construire.
En effet, Oriana ne reformule pas la consigne et ne vérifie pas si Eloi a compris, elle essaie
de refaire mon cours à l’identique sans se l’être approprié, plus attentive à la forme du cours qu’au
fond, un peu comme une enfant qui jouerait à la maitresse. Lors de l’entretien de confrontation j’ai
vérifié qu’elle avait compris le cours, ce qui était le cas, par contre il restait à travailler sur son rôle
de tutrice et sur la façon de faire passer un message clair au tutoré pour qu’il arrive lui aussi à
comprendre le travail à faire et s’approprier la notion étudiée. Concrètement, Eloi doit dépasser le
stade du collage, découpage qui n’est qu’accessoire pour arriver à comprendre l’utilité des
étiquettes et rentrer dans une tâche plus complexe de métacognition. Pour l’instant il est dans une
tâche simple et manuelle de reconnaissance des étiquettes et de collage par rapport à un modèle
donné. Ce travail n’a aucun sens s’il n’est pas suivi d’une appropriation des notions pour arriver à
l’objectif attendu c’est-à-dire différencier les aliments, les classer et savoir dans quelle proportion il
faut les consommer. Pour lui les étiquettes avec les dessins des aliments pourraient être des
étiquettes lambda se rapportant à n’importe quel autre sujet. A travers cette situation de classe on
voit qu’être tuteur ne s’improvise pas comme l’explique Connac (2017). J’ai donc décidé de

38
travailler sur le rôle et la formation des tuteurs et de poursuivre les situations de tutorat avec
d’autres élèves, mais aussi avec Eloi et Oriana quand l’occasion se présenterait, en ayant expliqué
auparavant ce que l’on attend d’un tuteur pour qu’il apporte une aide efficace.
Cependant cette coopération entre Oriana et Eloi a été positive au niveau relationnel. En effet,
Eloi a réussi à être attentif aux consignes données par Oriana sans se disperser ce qui est difficile
pour lui qui ne tient pas en place, tombe sa règle, ouvre et ferme son cahier, trie ses stylos,
fredonne, regarde par la fenêtre, a besoin de bouger. A partir du moment où Oriana qui est très
calme s’est assise à côté de lui et a pris le temps d’attendre qu’il s’installe, qu’il découpe et colle ses
étiquettes, il est resté concentré et a suivi la procédure donnée par Oriana à la lettre. Donc même si
l’effort de métacognition pour arriver à comprendre l’intérêt de cette pyramide alimentaire n’a pas
été atteint pour l’instant, l’effort de concentration d’Eloi pendant 20 minutes a été important.
Du côté d’Oriana habituellement timide et effacée, la voir énoncer clairement ce qu’Eloi doit
faire, prendre l’initiative d’aller au tableau, saisir la grande règle jaune et indiquer à Eloi les cases à
colorier, montre une confiance en soi et une appropriation de l’espace qu’elle n’avait pas quelques
mois auparavant. Certes ce n’est pas uniquement grâce à la mise en place du tutorat, c’est aussi lié
au fonctionnement flexible de la classe, mais c’est devenu naturel pour Oriana de se déplacer dans
l’espace du dispositif alors qu’en début d’année, elle avait du mal à venir chercher les activités du
plan de travail disposées sur mon bureau. Je constate qu’Oriana prend son rôle de tutrice très au
sérieux, qu’elle s’investit entièrement dans ce rôle et qu’il lui permet de prendre confiance en elle
dans le dispositif et avec les autres élèves. Comme elle était en réussite et maîtrisait l’activité, elle a
pu travailler sur les moyens de communication nécessaires pour aider Eloi en étant à l’aise avec les
notions étudiées. Cela rejoint ce qu’explique Connac, le tuteur doit se faire comprendre et travailler
sa communication (emploi de feedbacks, de divers outils, amélioration et variation des stratégies). Il
peut être contraint de se construire de nouvelles stratégies relatives à l’appropriation des
apprentissages en question (lorsque le tutoré ne comprend pas, le tuteur diversifie ses explications,
créant ainsi de nouvelles connexions).

Situation 2 : Tutorat Léo et Kenzo

En regardant plusieurs fois la vidéo, j’avais le sentiment que je n’étais pas allée au bout et je
me suis demandée pourquoi j’avais fait appel à Daniel et pourquoi j’avais arrêté le questionnement
et le film à ce moment précis en laissant Kenzo travailler en autonomie.
Puis, lorsque j’ai retranscrit mot à mot la vidéo de cet échange, j’ai compris que Léo était très fier
d’expliquer les consignes à Kenzo mais avait des difficultés à les verbaliser, cela lui demandait un
effort intense pour ordonner sa pensée et la restituer de manière cohérente afin que Kenzo puisse
comprendre l’exercice. En face Kenzo répondait en hochant la tête qu’il avait compris, mais je n’en

39
avais aucune certitude car souvent le « oui j’ai compris » est une façon pour les élèves de couper
court aux explications. Une sorte de « oui poli » ou de « oui pour qu’on en finisse », car ils n’ont
pas l’envie ou les capacités de comprendre la consigne et veulent abréger des explications qui sont
compliquées et parfois incompréhensibles. D’où ma demande d’intervention auprès de Daniel pour
changer de tuteur et d’angle d’accroche. Mais là aussi je me heurte à un mur Daniel explique à sa
façon mais Kenzo dysphasique est dans l’incapacité de reformuler ce qu’il a compris. De plus
Daniel ne fait que reprendre les explications de Léo sans rien apporter de nouveau. Je constate donc
que le transfert des acquis qui permet un renforcement des connaissances a fonctionné pour Léo et
Daniel, mais la mise en mots de ces acquis, c’est-à-dire le passage de la pensée au langage est
compliqué pour tous les deux pour plusieurs raisons : difficultés d’élocution, pauvreté du
vocabulaire, barrière de la langue et quasiment impossible pour Kenzo à cause de sa dysphasie.
A force de visionner la vidéo, je note les efforts de Kenzo très concentré mais aussi ses
silences et ses difficultés pour répondre car il faut qu’il écoute les explications de Léo puis qu’il les
verbalise, ce qui est déjà très difficile au quotidien ; de plus il doit avoir assimilé la consigne que
Léo vient de lui donner, se l’approprier quasi immédiatement et la reformuler à sa façon. Autant
dire une multitude d’actions quasi simultanées qu’un élève ordinaire sans handicap ou même un
adulte n’est pas toujours en capacité de réussir. La contrainte de parler à haute voix de manière
intelligible pour cet élève est ici un effort insurmontable voire une souffrance ! Je me rends compte
que j’ai mis Kenzo en grande difficulté et le fait qu’il triture nerveusement sa mèche de cheveux
prouve qu’il ne sait pas comment sortir de cette situation. Il répète le mot « compter » car il a saisi
qu’il fallait additionner, mais je ne sais pas s’il a compris le but de l’exercice et si mes attentes ne
sont pas trop élevées par rapport à la compréhension finale de la tâche.
Face à la détresse de Kenzo qui semble avoir compris le travail à faire mais n’arrive pas à
l’exprimer, j’ai décidé d’arrêter mon questionnement et l’aide de ses camarades pour le laisser
réaliser tranquillement son exercice en autonomie et voir ce qu’il a retenu ou pas. Je me rends
compte que c’est un écueil qu’expliquent Bautier et Goigoux (2004). Les élèves qui rencontrent des
difficultés d’apprentissage d’ordre socio-cognitives et socio-langagières ne parviennent pas seuls à
quitter le registre premier qui leur est familier et sont donc systématiquement mis hors-jeu des
situations scolaires car ils décodent mal les attentes du professeur qui sollicite cette attitude de
secondarisation. Les situations de travail construites par les enseignants peuvent favoriser le travail
de secondarisation et de décontextualisation des élèves lorsqu’elles permettent aux élèves de
reconnaître les enjeux cognitifs et langagiers des tâches ; si en revanche elles sont source
d’ambiguïtés et de malentendus et conduisent à une interprétation erronée des visées des activités et
des attendus scolaires, elles entraveront tout le processus de secondarisation. C’est le cas pour
Kenzo qui est paralysé par mes attentes et celles de ses camarades et qui n’arrive pas à aller au-delà
du mot « compter » et à nous fournir une explication complète de la tâche à accomplir.

40
Cependant le point positif de ce tutorat a été l’enthousiasme de Léo, tuteur pour la première
fois, qui avait envie d’expliquer à Kenzo un exercice dans lequel il était en réussite. Lui qui a des
difficultés d’expression moindres par rapport à Kenzo mais tout de même importantes, avec une
diction hachée et une désynchronisation des phrases, semblait à l’aise dans son rôle de tuteur.
Même constat avec Daniel qui n’a pas de problème d’élocution ni de dysphasie, mais se retient
souvent de parler à cause de la barrière de la langue. En effet, il est le seul à parler et lire le français
dans sa famille arrivée en France depuis quelques années. Comme il avait fini et réussi l’exercice et
qu’il regardait ses camarades, je me suis naturellement tournée vers lui pour qu’il puisse aussi
expliquer ce qu’il fallait faire à Kenzo et il s’est exécuté sans aucune résistance ni gêne, alors qu’il
n’aime pas parler devant ses camarades. Donc on constate une motivation et une envie de partage
de la part des tuteurs qui dépassent leur gêne face à des difficultés orales. Quant au tutoré à aucun
moment ses camarades ne se sont moqués de lui : la difficulté soulevée pour restituer les consignes
s’est donc estompée rapidement quand Kenzo s’est mis à travailler seul. Il a réussi à faire ses
calculs et s’est trompé une seule fois dans son quadrillage. J’ai demandé à Léo de l’aider à retrouver
son erreur en se servant de son propre travail et ils ont fini l’exercice tous les deux.

Situation 3 : Tutorat Oriana et Eloi

C’était la troisième fois qu’Eloi et Oriana travaillaient ensemble en situation de tutorat. Ce


sont deux élèves de 5ème qui sont dans la même classe d’inclusion mais qui n’ont aucun point
commun. Et pourtant leur tutorat fonctionne plutôt bien. La première fois, Oriana n’avait pas reçu
de formation de tutrice et le tutorat s’était transformé en une simple application de consignes et
d’exécution de taches manuelles (Situation 1). Entre temps, nous avons travaillé sur le rôle du tuteur
et établi une charte du tuteur en conseil coopératif.
Je remarque dans la vidéo que cette charte est respectée par Oriana qui est patiente et attentive dans
l’aide qu’elle apporte à Eloi. Elle a bien saisi et intégré ce que l’on attend d’un tuteur face à l’élève
tutoré. Cette fois elle ne m’imite pas et ne fait pas la leçon à Eloi. Elle l’accompagne pas à pas dans
la pose de son addition, lui qui a d’énormes difficultés en mathématiques et dans le repérage de
l’espace. Poser une simple addition de trois nombres, mettre les signes + à gauche et tracer un trait
en dessous représente une difficulté supplémentaire pour Eloi par rapport au calcul en ligne.
Lors de l’auto confrontation, en posant la question à Oriana à propos des qualités d’un
tuteur, je constate qu’effectivement elle a compris son rôle et qu’elle est capable de le remplir.
Quand j’interroge Eloi, il compare le rôle du tuteur au rôle de l’enseignant, pour lui le tuteur est un
relais du professeur et il est donc attentif à la parole de ce dernier. On le sent plus impliqué et plus
réceptif que lors de la situation précédente sur la pyramide alimentaire. Il écoute davantage Oriana
qui parle beaucoup moins, est plus patiente et le guide sans se substituer à lui.

41
Le tutorat dans ce cas-là est vraiment positif, Oriana réinvestit les modalités de l’addition
posée qu’elle n’avait pas acquises quelques semaines plus tôt et transmet son savoir à Eloi qui n’a
pas encore saisi les automatismes de cette opération. Eloi quant à lui arrive à travailler avec et à
côté d’Oriana sans se laisser distraire, alors que normalement son bureau est placé contre le tableau
près du bureau de Virginie l’AESH car son temps de concentration est limité. De plus cette fois on
accède à la secondarisation de la tâche, la partie collage de la feuille est courte, assez vite exécutée
pour entrer réellement dans les apprentissages. Oriana permet à Eloi de ne pas bloquer sur le début
de l’exercice, elle attend patiemment qu’Eloi commence son exercice et elle corrige rapidement ses
erreurs tout en l’encourageant.
On constate donc que la formation des élèves à leur rôle de tuteur est nécessaire. Les tutorés
qui bénéficient de tuteurs formés montrent des performances plus élevées que ceux bénéficiant de
tuteurs non formés (Lafont, Ensergueix et Cicéro, 2006). De plus les tuteurs formés mettent en
place des stratégies de résolution de tâche plus évoluées. En effet, le tuteur va devoir réaliser
différents types d’interventions qui ne peuvent être seulement intuitives (rappel et réexplication de
la consigne ; maintien dans l’activité ; aide technique sur un aspect particulier de la tâche, qui pose
problème ; aide stratégique sur la démarche à suivre ; contrôle et validation de l’avancée de la
résolution de la tâche) et qui nécessite donc une préparation (Filippaki, Barnier et Papmickael,
2001). Comme nous l’avons vu dans la situation 2 avec Kenzo et Léo, il ne suffit pas de mettre
deux individus en interaction pour qu’ils coopérent (Baudrit, 2007) ; il est nécessaire que les
situations de tutelle reposent sur l’enrôlement des deux partenaires : la formation concerne autant la
fonction de tuteur que celle de tutoré. Et avec Oriana et Eloi on constate que chacun d’eux est
vraiment impliqué dans sa tâche ce qui leur permet d’être concentrés et de mener à bien l’exercice.

Situation 4 : Tutorat Chérane et Nina

Le tutorat n’a pas fonctionné comme je l’espérais, Chérane connaissait l’histoire d’Alice au
pays des merveilles mais n’arrivait pas à comprendre les questions posées sur l’extrait étudié. Je
n’avais pas lu le texte ni les questions en amont donc je ne savais quels seraient les obstacles
rencontrés, alors que dans un tutorat sur un travail en ULIS je sais quelles sont les difficultés
auxquelles les élèves peuvent être confrontés et quel tuteur sera capable de les aider. Pour qu’un
tutorat fonctionne, il faut vraiment que le tuteur ait compris la notion ou le travail à faire. Il doit
aussi être capable de l’expliquer à son camarade tutoré (Guichard, 2005) sans lui donner les
réponses et en le guidant pas à pas, ce qui demande un effort important de métacognition ; en effet,
il faut d’abord s’approprier la notion, capable de voir à quel endroit, sur quel exercice le camarade
bloque et puis l’aider à débloquer la situation.

42
Cependant Chérane était volontaire : elle se rappelait de l’histoire, cherchait les réponses
dans le texte puis les montraient à sa camarade. Elle a donc entrainé Nina qui n’avait aucune envie
de faire des efforts et de chercher les réponses, elle a eu un rôle moteur alors qu’habituellement
Chérane aime travailler seule et n’éprouve pas le besoin ni l’envie d’expliquer ou de partager son
travail avec les autres. Elle n’est pas tournée vers autrui même lorsqu’elle ne comprend pas un
exercice ; elle est centrée sur elle-même et accorde difficilement sa confiance car elle ne voit pas
d’intérêt dans les échanges. En début d’année, elle pouvait attendre 10 minutes en bloquant sur un
exercice sans me demander de l’aide et sans que cela lui pose le moindre souci : elle fixait le
tableau ou comptait et recomptait ses feutres.
Lors de l’entretien d’auto confrontation, (Annexe 11) Chérane ne s’oppose plus à être
tutrice. Elle le sera d’ailleurs à nouveau dans une autre situation : après quelques hésitations, elle
acceptera d’aider son camarade Ian. Aller vers l’autre lui demande un effort énorme, mais elle
arrivera tout de même à expliquer à Ian comment classer des nombres dans l’ordre croissant.
Chérane est en 5ème et elle a déjà progressé dans ses relations avec autrui : avec la poursuite de cette
méthode de travail cette compétence sociale devrait encore s’améliorer l’an prochain. En six mois,
on est passé du travail strictement individuel tant du point de vue géographique que matériel à un
travail plus collaboratif dans lequel l’échange avec autrui est possible, même si pour l’instant il
n’est pas spontané.
Quant à Nina, elle a déjà été tutrice volontaire et semble avoir compris le rôle d’un tuteur.
La formule qu’elle utilise « aider mais pas donner les réponses » revient chez beaucoup d’élèves
après la formation de tuteur. C’est positif car ils ont bien compris la dimension de l’aide encadrée à
un camarade en difficulté. Ils ont aussi intégré cette notion de tutorat c’est-à-dire l’action de se faire
comprendre par le tutoré pour le débloquer et lui permettre d’avancer dans la résolution d’un
problème ou d’une tâche donnée (Vedder, 1985). Par contre dans la situation de tutoré avec
Chérane, elle ne met pas spécialement de bonne volonté pour tenter de comprendre le travail à faire.
C’est donc d’autant plus méritoire pour Chérane d’essayer d’entrainer Nina en lui montrant les
passages importants du texte. Je pensais que Chérane allait se démotiver et ignorer Nina vu le peu
de motivation de cette dernière. Malgré tout, elle a pris sur elle et continué à inciter Nina à chercher
les réponses. Elle est entrée dans son rôle de tutrice sans vraiment s’en rendre compte, elle qui
généralement ne demande pas d’aide et qui ne veut pas être aidée. Au cours de l’entretien d’auto
confrontation, lorsque je lui ai demandé si elle referait cette expérience, elle a hésité avant de me
répondre de manière positive.
Par conséquent, parfois il est nécessaire de confronter les élèves à une situation de tuteur sans leur
préciser le rôle qu’ils vont jouer (Berzin, 1996), contrairement à ce que prônent d’autres auteurs qui
souhaitent que les tuteurs soient formés et volontaires (Gartner, 1973). Armand (2012) propose
même d’introduire dans la formation de tuteur une dimension supplémentaire d’étayage. Elle

43
présente cette démarche qui consiste à articuler trois étapes (IMA) : identification du problème
(l’élève aidé et l’élève aidant identifient le problème, la notion ou la tâche à travailler), modelage
(l’élève aidant réalise à voix haute la tâche) et accompagnement (l’élève aidé réalise la tâche, sous
le regard de l’élève aidant).
Cette méthode est intéressante mais ne peut pas s’appliquer à tous les élèves car elle demande un
effort de cognition très important et peut mettre une pression supplémentaire sur les épaules de
l’élève aidant. Il ne faut pas pour autant exclure la formation des élèves ; lorsqu’il est en situation
de réussite, désigner un élève comme tuteur sans formation préalable lui permet de se rendre
compte qu’il est capable de tenir ce rôle et qu’il peut même y trouver de l’intérêt et du plaisir. C’est
aussi une manière détournée de lui donner envie de se former en tant que tuteur.

4.1.2. L’impact du tutorat sur les représentations et le comportement des élèves

Dans les quatre situations étudiées, on remarque des points communs même si le couplage
acteur/environnement est différent. L’environnement reste le même : le dispositif ULIS mais les
acteurs changent en fonction des binômes étudiés.
Concernant les tuteurs, les élèves sont désignés par l’enseignante mais restent volontaires. Je
n’ai jamais obligé un élève à être tuteur. D’ailleurs certains élèves n’ont pas voulu jouer ce rôle
comme Chérane, Ian ou Romain et ils n’ont pas été forcés. Par contre j’ai dû désigner les tuteurs car
les élèves n’osent pas endosser spontanément ce rôle pour deux raisons : ils n’ont pas forcément de
points communs ni de relations entre eux pour proposer d’aider leurs camarades. Nous sommes
dans un dispositif ULIS avec des élèves qui sont présents épisodiquement comme je l’ai expliqué
auparavant, donc ces élèves n’ont pas tissé de lien et n’ont pas d’histoire commune comme c’est le
cas dans une classe ordinaire. L’autre raison est le manque de confiance en eux lié au handicap et au
retard dans les acquis scolaires. Ils se sentent souvent incapables d’être celui qui sait, qui montre et
qui transmet le savoir. Le fait de devenir tuteur va donc leur permettre de changer l’image qu’ils ont
d’eux-mêmes et de prendre confiance en eux. Par conséquent il est parfois nécessaire d’imposer un
rôle à certains élèves qui peuvent d’ailleurs le refuser. Cela permet de réactiver le désir d’apprendre,
de transmettre, même chez certains élèves dont le désir est ailleurs, ou pire, nulle part (Cornet et De
Smet, 2014). C’est le cas pour Nina qui en situation de tutoré est parfois passive ou carrément
hostile à toute aide extérieure mais qui, lorsqu’elle prend en charge un autre élève peut mobiliser
ses connaissances et retrouver l’envie de montrer ce qu’elle a compris.
Les élèves tuteurs découvrent aussi d’autres façons d’interagir avec l’élève qu’ils ont en
charge. Cela les oblige à repenser leur rapport à l’autre. En effet, quand j’associe deux élèves, ils
n’ont généralement pas d’affinité car ils ne viennent pas de la même classe de référence et n’ont pas
non plus le même âge ni le même vécu scolaire. Dans l’enceinte du collège ils ne se côtoient pas,

44
n’ont pas les mêmes amis ni les mêmes codes. Par conséquent ils doivent avant toute chose faire un
effort de socialisation pour entrer en contact avec le tutoré qu’il côtoie ponctuellement en ULIS et
qu’ils ignorent le reste du temps. Cet effort permet de créer un lien même temporaire au sein du
binôme et il arrive souvent que deux élèves désignés pour travailler ensemble reproduisent de façon
spontanée leur binôme dans d’autres situations d’apprentissages. En effet ils ont trouvé dans leur
échange une complémentarité qu’ils ne soupçonnaient pas. Ainsi Eloi 13 ans travaille souvent avec
Daniel 16 ans sur des activités de fluence de lecture. Eloi lit très bien mais n’arrive pas à se
concentrer ; or quand il aide Daniel qui ne maitrise pas le français à lire un texte sans erreur de
prononciation et de plus en plus vite, il est très attentif. Daniel quant à lui ne va jamais
naturellement vers Eloi qu’il considère du haut de son 1 mètre 85 et de ses 16 ans comme un bébé.
Cependant après deux tutorats lecture, j’ai demandé aux 8 élèves présents de constituer des binômes
et Eloi s’est précipité vers Daniel qui lui a spontanément fait une place à côté de lui.
Pour le tutoré, il faut arriver à donner du sens au tutorat, à favoriser la mobilisation de chacun
dans le travail d’apprendre. Le travail coopératif en binôme va permettre à ceux qui ne peuvent pas
apprendre seuls, qui ne comprennent rien à ce qui se passe en classe, ceux pour qui le rapport au
savoir est compliqué de retrouver du sens (Cornet et De Smet, 2014). Et si cette transmission du
savoir passe par un pair, elle est parfois plus facile, plus concrète et moins bloquante que si elle est
proposée par l’enseignant. Travailler sur les additions et multiplication en regroupement s’est révélé
extrêmement compliqué avec Eloi, Nina et Oriana dyscalculiques, Chérane bloquée sur la
manipulation des stylos sans accès à la secondarisation de la tâche et Laurent très à l’aise à l’oral. Et
pourtant quand on a repris cette notion dans le plan de travail, Oriana avait intégré comment poser
les additions en ligne et elle a réussi à expliquer ce mécanisme à Eloi, Chérane quant à elle a
accepté l’aide de Laurent et Nina râlait parce que personne ne voulait travailler avec elle sauf
moi alors qu’en début d’année j’étais la référence unique ou à défaut Virginie l’AESH. On a donc
plaisanté avec Nina en lui rappelant qu’elle avait le choix entre deux tutrices, Virginie et moi mais
que visiblement nous étions devenus des tutrices de second choix.
Un autre effet inattendu du tutorat : la barrière du handicap qui s’estompe de façon naturelle
car les élèves sont concentrés sur la tâche et engagés dans leur rôle de tuteur et de tutoré. Par
exemple Oriana fait preuve de beaucoup de patience avec Eloi qui se concentre et les troubles
autistiques qu’il peut avoir ne sont pas un obstacle, Oriana lui laisse le temps de sortir sa colle et de
fermer sa trousse car c’est important pour lui de suivre ses rituels, elle attend aussi patiemment qu’il
ait rebouché et rangé sa colle dans sa trousse et replacé son cahier bien droit avant de lui expliquer
le travail à faire. Dans d’autres circonstances, Eloi peut agacer ses camarades avec ses tocs et la
répétition de rituels ou de phrases dix fois en un quart d’heure, mais dans ce cas précis Oriana sait
qu’en tant que tutrice elle doit accompagner et aider Eloi et elle prend sa tâche très au sérieux. Idem
pour Léo et ses troubles du langage : il explique lentement à Kenzo l’exercice de calcul et de

45
quadrillage et Kenzo ne se montre pas impatient. Daniel, qui a rarement des interactions avec ces
deux élèves, écoute aussi leur échange alors qu’il a fini son travail et attend juste son tour pour me
montrer ses résultats.
Dernier aspect, les élèves les plus en retrait ou ceux qui sont dans la rébellion sont
« contaminés » par ce mode de coopération. En effet coopérer, travailler à deux demande un effort.
Aider un autre élève ou être aidé c’est s’engager, donner de soi. Il faut donc de bonnes raisons pour
user de soi : c’est plus fatiguant que d’user des autres en restant dans son coin ou en attendant que
les autres fassent le travail à notre place. Il faut alors trouver un sens, une motivation pour renoncer
à la passivité ou à une satisfaction factice apportée par le travail d’autrui. Ce changement d’attitude
s’est fait progressivement dans le dispositif. Chérane qui en début d’année n’acceptait pas de prêter
un fluo à un camarade, a commencé à s’ouvrir aux autres et au bout de quelques mois, elle acceptait
l’aide de Laurent sur des exercices du plan de travail qu’elle n’arrivait pas à faire seule. Sa
motivation première était qu’elle voulait avoir accès à l’album de lecture de la semaine mais cet
album n’est accessible au coin lecture que lorsque le plan de travail est terminé. Comme elle s’est
aperçue que Laurent terminait le premier ses plans de travail et je lui ai proposé de s’adresser à lui
pour qu’il l’aide. D’abord réticente, elle a finalement accepté et a pu accéder au graal du coin
lecture. Les semaines suivantes, j’ai remarqué qu’elle s’asseyait discrètement à la table voisine de
Laurent quand elle n’arrivait pas à faire un exercice au lieu de rester passive à fixer le tableau. Elle
s’est ainsi choisi un tuteur et leurs interactions ont augmenté. Cette façon de travailler en coopérant
a même gagné Ian élève absentéiste et bavard lorsqu’il revenait en classe. Il a commencé lui aussi à
travailler avec les autres. C’est un élève qui a un bon niveau de compréhension avec un retard dans
les acquisitions lié à une scolarité en pointillés et qui arrive à suivre les activités du dispositif
malgré ses absences. Quand il me posait une question sur un exercice déjà terminé par d’autres
élèves et qu’il n’était pas venu en classe la veille, je lui demandais de s’adresser à un élève qui avait
déjà fait le travail. Au début il boudait dans son coin ou râlait en marmonnant qu’on ne voulait
jamais l’aider, mais comme il est de nature curieuse et aime généralement le travail proposé, il a
commencé à observer les autres élèves qui d’habitude ne l’intéressent pas et à aller vers l’un d’entre
eux à défaut de réponse de ma part. Ma seule interdiction était le travail en binôme avec Romain qui
d’ailleurs reste aussi à l’écart et ne veut pas être tuteur car lorsqu’ils sont réunis ils perturbent la
classe, bavardent, rigolent en parlant en roumain et ne font plus rien.
A travers les vidéos, verbatim et entretiens, j’ai pu constater les effets positifs du tutorat au
niveau comportemental, social et psychologique avec une amélioration de l’estime de soi, une
connaissance de l’autre et un changement d’attitude face au travail. Cette façon de travailler a aussi
eu des conséquences sur les apprentissages.

46
4.1.3. Le tutorat au service des apprentissages

Connaissant le niveau de mes élèves et leurs points forts, j’ai constitué des binômes avec un
tuteur et un tutoré qui changent en fonction de l’activité afin que les élèves soient à tour de rôle le
tuteur mais aussi le tutoré : cela évite le sentiment de supériorité ou à l’inverse la perte de confiance.
Quand je désignais un élève comme tuteur, cela le valorisait et il prenait en charge le tutoré. Et
comme les rôles changent, personne ne se sent lésé puisque le tuteur dans une situation A peut
devenir le tutoré dans une situation B avec un autre binôme (Connac 2017).
Ce système d’aide a commencé à bien fonctionner après quelques écueils prévisibles : le
tuteur donnait les réponses au tutoré, le binôme n’était pas engagé dans la tâche et l’aide se
transformait en bavardage sur un tout autre sujet que l’activité, le binôme était passif car le tuteur
n’avait pas envie d’aider ce camarade mais une autre personne. J’ai donc dû réguler ce mode de
coopération en jouant la tierce personne. Je me mettais à côté du tuteur pour l’aider dans son rôle de
guide et pour lui expliquer comment reformuler, donner une consigne, un étayage au tutoré. Et
progressivement celui qui aide permettait à celui qui reçoit l’aide de s’enrôler dans la tâche. Les
vidéos tournées avec mon téléphone face aux élèves et proches d’eux m’ont aidée à jouer ce rôle de
médiateur avant de m’effacer progressivement. Au début les élèves ont eu besoin de cette proximité
rassurante et guidante car ils n’arrivaient pas à être à l’aise dans leurs explications. Par contre le fait
d’être filmé aurait pu les perturber, finalement cela n’a eu aucune incidence, soit parce qu’ils
avaient l’habitude avec Mme Dupres qui avait instauré le même système de caméra au tableau, soit
parce que ma proximité avec eux ne changeait pas même lorsque je tenais mon téléphone. Le
problème venait du manque de communication entre les élèves par manque d’habitude. La majorité
des élèves communiquent avec leurs camarades et leur famille dans des situations de la vie
quotidienne mais ils n’ont pas de discussions structurées, argumentées et élaborées avec leurs pairs
ou avec des adultes en dehors du collège, donc être tuteur demande des compétences qu’ils ne
possèdent pas ou qu’ils n’ont jamais utilisées. Dans beaucoup de familles, il n’y a pas d’expériences
communes vécues autour d’écrits comme lors de lecture d’album, de recette de cuisine, d’écriture
de cartes postales, de liste de courses…ni de récits oraux autour d’intérêts communs, pas de plaisirs
partagés par la parole, pas de relation construite à travers le langage (Cornet et De Smet 2014). Des
conditions de vie difficiles et des histoires personnelles destructurantes, des écrans comme seuls
interlocuteurs font barrière à la culture écrite et orale. Il est donc difficile pour les élèves d’utiliser
un mode de communication qu’ils ne connaissent pas et a fortiori ne maîtrisent pas. En effet
comment expliquer de manière claire et construite une notion à un camarade quand on n’a pas reçu
en amont dans la famille les codes appropriés du langage pour le faire ? La discussion entre le tuteur
et le tutoré tournait rapidement à vide faute de vocabulaire précis pour exprimer une idée, pour
expliquer un concept ou juste pour débloquer une situation.

47
Lors de la mise en place du travail coopératif, j’ai donc été pour beaucoup de binômes cet
intermédiaire qui aidait le tuteur à s’exprimer, à clarifier son propos, à trouver les mots justes pour
que le tutoré puisse progresser et que le tuteur se sente utile et valorisé. Et progressivement la parole
s’est libérée, affermie et émancipée. Les élèves arrivaient à exprimer plus clairement leurs idées et à
trouver les mots justes pour que le tutoré se sente guidé. J’ai noté ces évolutions en observant le
même élève dans plusieurs situations de tutorats sur deux mois (Oriana, Léo et Chérane). La
répétition de la fonction de tuteur leur a permis de prendre de l’assurance mais a aussi contribué à
faire progresser leur vocabulaire, leur syntaxe car ils étaient dans l’obligation de faire des phrases
construites et compréhensibles, et leur diction car parler trop doucement ou trop vite devenait un
inconvénient pour faire comprendre une consigne. Dans la cour de récréation le débit de parole, les
abréviations, les codes entre adolescents ne posent pas de problème pour se raconter les anecdotes
du quotidien. Dans l’enceinte de la classe par contre, face à un camarade il faut peser ses mots et
utiliser le langage mathématique, scientifique ou littéraire approprié pour expliquer le
fonctionnement d’une addition ou l’intérêt d’une description dans un texte. Léo et Daniel ont
d’ailleurs eu beaucoup de difficultés dans leur rôle de tuteur car malgré leur bonne volonté, le
langage utilisé et la pauvreté de leur vocabulaire amenaient à des dialogues répétitifs et peu
construits qui ne donnaient pas d’indications claires sur la tâche à accomplir. Eloi en revanche qui
possède un vocabulaire plus riche n’avait aucun problème pour être compris des autres et cette
facilité d’expression l’a énormément valorisé aux yeux de ses camarades car généralement Eloi
parle en permanence de tout et de rien et monopolise souvent l’espace du dispositif par ses propos et
ses déplacements bien qu’il fasse des efforts pour se canaliser. Dans son rôle de tuteur sa parole
gênante car omniprésente devenait utile et ciblée sur un objectif précis.
Ensuite pour que le tutorat soit plus efficace, j’ai expliqué aux élèves le rôle d’un tuteur.
Cette fonction est difficile à maitriser car l’élève tuteur doit remobiliser ses connaissances avant de
pouvoir les transmettre : c’est un rôle complexe et très valorisant. En effet, le tuteur occupe en
quelque sorte une fonction d’enseignant tout en restant un pair. J’ai donc travaillé avec les élèves
sur les missions d’un tuteur après des premières expériences de « tutorat-découverte ». Plusieurs
auteurs reviennent sur l’importance de la formation des tuteurs (Guichard 2005). Et j’ai compris
rapidement qu’il fallait effectivement former les élèves à ce rôle qui n’allait pas de soi. Après avoir
discuté des qualités que devaient posséder un tuteur, nous avons écrit la charte du bon tuteur lors
d’un conseil coopératif. (Annexe 13)
Ce travail a permis à tous les élèves tuteurs volontaires ou non de réfléchir aux attendus pour
tenir ce rôle et de verbaliser, d’échanger, d’argumenter autour de cette fonction. Même des élèves
comme Chérane, Ian ou Romain qui ne voulaient pas être tuteurs et qui ne s’étaient pas essayés à
cette fonction ont participé à l’élaboration de cette charte. Sans avoir exercé la fonction, ils avaient
cependant des idées précises sur les qualités du tuteur.

48
Enfin en plus des efforts concernant les modalités propres au langage, à la diction, au débit et
au ton de la voix, le tutorat demande un effort énorme au niveau de la métacognition. En effet
quand l’élève est tuteur, il doit avoir d’abord intégré la consigne pour lui-même avant d’être capable
de la restituer à son camarade tutoré. Donc celui qui enseigne apprend plus que celui qui reçoit
(Connac, 2017), cette activité mentale, à forte densité intellectuelle, s’avère utile à plusieurs titres.
D’abord elle remobilise les savoirs acquis, ce qui réactive les connexions et donc les ancre
davantage. Ensuite, elle nécessite leur adaptation, ce qui se traduit par l’activation de neurones et la
création de synapses non sollicitées lors de la phase initiale d’apprentissage. Enfin elle fait appel à
plusieurs langages et, invite même à la construction de quelques autres. Cette diversification des
langages rend le cerveau plus dense et ainsi plus disponible au développement des nouveaux
apprentissages qui jalonneront le parcours scolaire de ces élèves. Permettre aux élèves de vivre des
situations de tutorat, c’est donc leur faire développer du langage et de la pensée (Cailler, 2007).
C’est ce que j’ai constaté avec Léo et Daniel ; pour ce dernier développer du langage est
doublement difficile puisqu’il doit arriver à construire une phrase en français alors qu’il « pense en
roumain » comme il me dit souvent, et il doit arriver à rendre cette phrase compréhensible par son
camarade au niveau syntaxique mais aussi au niveau logique. Kenzo élève fort en maths qui suit les
inclusions en classe de 4ème avec l’AESH a des troubles dysphasique et dyspraxique, pourtant il
s’avère être un tuteur efficace avec Nina élève de 5ème dyscalculique avec des troubles de l’attention
et un sens de la diplomatie inexistant. Lors du tutorat, Nina n’a jamais montré qu’elle ne comprenait
pas toujours ce que disait Kenzo. Celui-ci a toujours fait des efforts importants pour être compris
alors qu’en inclusions il ne veut pas parler et ne communique qu’avec Virginie l’AESH.

4.2. La mise en pratique du conseil coopératif

4.2.1. Donner son point de vue et accepter celui des autres

La semaine précédant la tenue du premier conseil coopératif, j’avais attisé la curiosité des
élèves tout au long de la semaine en mentionnant une nouvelle activité pour le vendredi sans
préciser laquelle. J’avais repris l’idée de Pochet et Oury dans leur ouvrage « Qui c’est l’conseil ? »
(1978) et refusé de trancher sur la possibilité de faire ou non un sapin de Noël dans la classe. J’avais
également repoussé la demande de Nina et Oriana concernant la poursuite des cours de salsa.

49
1er conseil vendredi 22 novembre

Lors du rituel « gym et humeur » du matin, je présente l’emploi du temps et rappelle que la
dernière heure sera consacrée à une nouvelle activité. A 11H après la sonnerie, j’invite les élèves à
s’asseoir autour des tables de regroupement en prenant leur cahier de découvertes. Ils pensent
travailler une nouvelle notion en sciences, histoire ou géographie. Ils s’apprêtent à aller chercher
leur trousse à leur place mais je précise qu’ils n’auront pas besoin d’écrire. Je leur demande ensuite
s’ils savent ce que c’est qu’un conseil. Certains évoquent le conseil de classe. Je leur réponds que
notre conseil va plutôt ressembler au conseil de tribu chez les indiens mais version moderne sans
tipi, ni calumet de la paix. Nous avons étudié l’histoire de « Petit Nuage » de Michel Piquemal donc
la référence aux Indiens est parlante pour les élèves.
Je présente le conseil et son déroulement en distribuant une fiche à coller à la fin du cahier
que nous lisons ensemble (Annexe 12), puis je leur demande s’il y a des questions. Silence. Je leur
dis que nous allons alors évoquer les questions laissées en suspens cette semaine pour prendre des
décisions. Sachant que je pars en formation cappei le lundi suivant et que je ne reviens que le 16
décembre, il faut évoquer la question du sapin de Noël que certains veulent décorer et d’autres pas.
Pour que la discussion soit plus facile, je demande qui serait volontaire pour être président et qui
veut être le rapporteur. Personne n’est volontaire donc je précise que le président aura juste à
déclarer le conseil ouvert comme je l’ai écrit sur le document et à clore le conseil quand nous
aurons terminé de discuter. Quant au rapporteur c’est lui qui distribue la parole et s’assure du bon
fonctionnement du conseil. Ninon accepte d’être présidente et Eloi veut bien être rapporteur si ce
conseil « compte pour de faux » comme il précise car il a peur de se tromper. Je lui réponds qu’il ne
peut pas se tromper car ce n’est pas un exercice c’est un débat entre nous, il doit juste à distribuer la
parole pour que tout le monde ne parle pas en même temps.
Les rôles étant définis je repose la question : « Est-ce que pendant mon absence vous avez
envie de faire des décorations pour le sapin de Noël avec le remplaçant comme souhaiteraient le
faire Oriana et Nina ? » Personne ne demande la parole. Je leur dis que si personne ne s’oppose à
cette proposition je la soumettrais à mon remplaçant. Oriana et Nina sont ravies mais je vois
Romain faire la tête et souffler. Je dis à Eloi qu’il semblerait que Romain veuille dire quelque
chose. Eloi lui donne la parole mais Romain ne veut pas parler. J’insiste en lui demandant si le fait
de faire des décorations de Noël ne lui plaît pas. Il hésite puis me dit qu’il trouve que c’est pour les
petits et qu’il n’a pas envie de faire des coloriages. Romain a le profil de mes anciens élèves de
CAP avec en plus des troubles de l’attention et une scolarité chaotique, une maîtrise approximative
de la langue française et un retard dans les acquisitions du socle commun dans toutes les matières. Il
est dans le dispositif les lundis et vendredis matins et nous travaillons des notions fondamentales en
français et mathématiques, le reste de la semaine il suit les cours d’EPS en 3ème des cours d’atelier

50
usinage, chaudronnerie avec les 3ème SEGPA. Il n’avait pas envie d’être en inclusion et perturbait
les cours ou était passif selon les matières, rester dans le dispositif ULIS 21 heures par semaine était
trop compliqué pour lui qui a besoin de bouger et de réaliser des activités de manipulation ou de
construction. Il fait de la mécanique avec son père et rempaille des chaises qu’il vend au marché
avec son oncle. Après un début compliqué, il a trouvé sa place en atelier avec des élèves de son âge
et adore travailler de la matière. Le professeur PLP de Segpa a compris le profil de Romain : les
cours de théorie sont lus en ULIS chaque semaine, il n’est en atelier les mardis et jeudis qu’en
pratique. Faire des guirlandes de Noel en papier crépon et des coloriages de boules de Noël à 15 ans
ne semble donc pas être une activité envisageable alors que Nina et Oriana en 5ème n’attendent que
ça et ont même imprimé un modèle de boule à colorier. On en discute et Nathalie, élève conciliable,
propose que ceux qui veulent faire des décorations de Noël les fassent et que ceux qui ne veulent
pas fassent autre chose. Ninon, Daniel, Chérane, Eloi et Laurent sont d’accord pour faire des
décorations, mais Kenzo, Ian et Léo ne sont pas motivés.
J’hésite sur la démarche à suivre car voter à la majorité reviendrait à faire des décorations et
couperait court à toute discussion, ce qui n’est pas le but du conseil, de plus cela ne donnerait
aucune envie à ceux qui ne sont pas d’accord avec la majorité de s’exprimer à l’avenir. Je propose
donc de suivre l’idée de Nathalie et d’essayer de trouver une autre activité dans le même créneau
horaire pour les 4 élèves qui ne souhaitent pas faire de décorations. Romain est d’accord mais ne
propose aucune autre activité, Kenzo et Léo demandent s’ils ne pourraient pas faire des exercices
sur les logiciels éducatifs. Je réponds que la seule contrainte c’est de trouver une activité en arts
plastiques comme les autres mais pas forcément sur les décorations. On cherche, Léo propose de
refaire des graffs sur le thème de Noël cette fois (on avait travaillé en début d’année sur l’écriture de
leur prénom en graff). L’idée semble séduire Kenzo. Laurent demande la parole et dit qu’il aimerait
lui aussi faire des graffs plutôt que des guirlandes et des boules, je demande à Eloi de noter les
propositions pour que chacun puisse s’inscrire dans l’une ou l’autre des activités proposées.
La discussion s’anime enfin et les élèves commencent à imaginer ce qu’ils pourraient faire
mais Romain et Ian ne semblent toujours pas satisfaits et ils ne choisissent aucune des deux
activités. Cependant ils doivent trouver une autre activité ou s’inscrire dans celles proposées.
Finalement je leur propose de créer un sapin en remplacement de celui des années précédentes qui
commence à être abimé. Il faudrait dessiner un modèle de sapin dans du carton dur, le découper au
cutter et le peindre pour que les autres élèves puissent accrocher leurs décorations. L’idée semble
leur plaire et je leur précise l’importance de l’enjeu : pas de sapin, pas d’endroit pour accrocher les
décorations. Romain est d’accord, Ian méfiant me demande s’il peut travailler avec Romain, je
donne mon accord sur ce projet et Daniel profite de l’occasion pour demander s’il peut faire le
travail avec eux. J’accepte exceptionnellement que ces trois élèves d’origine roumaine du même
quartier travaillent ensemble. Eloi note les conditions pour ce travail : au terme de chaque séance le

51
remplaçant doit estimer si le projet avance sinon Daniel retournera à l’atelier déco et Romain et Ian
à l’atelier Graff. Nous adoptons cette décision et je vérifie qu’Eloi l’ait notée avec l’aide de
Nathalie.
Prise dans l’action, je me rends compte qu’il reste seulement cinq minutes et que nous
n’avons pas évoqué la poursuite des cours de salsa donc je remets cette question à l’ordre du jour du
prochain conseil puisque mon remplaçant ne poursuivra pas cette activité. Il nous reste juste le
temps de choisir le prochain président et rapporteur plus un secrétaire pour aider le rapporteur si
quelqu’un a envie de tenir ce rôle. Personne n’étant volontaire, je demande à Ninon de choisir son
successeur et elle choisit Daniel, Eloi fait pareil et choisit Oriana. Nous notons la décision et Ninon
de clôture le conseil en lisant la formule consacrée écrite sur la fiche collée en début de séance dans
le cahier.
Ce premier conseil a été une expérience nouvelle pour les élèves mais aussi pour moi et j’ai
passé une heure à mener la séance en fonction des réactions des élèves. Heureusement que j’avais
ma trame écrite à l’avance sur laquelle m’appuyer mais ensuite il a fallu m’adapter rapidement et
improviser pour donner corps à ce conseil. Je savais que si la connexion entre eux ne se faisait pas à
ce moment-là, l’utilité du conseil serait vaine. Après mes lectures je constate que notre conseil a
suivi l’évolution identifiée par Connac (2017).
Trois étapes se font jour :
1.Silence, les élèves parlent peu et osent peu s’engager ;
2.Tumulte, ils testent la solidité de cette institution avant de pouvoir y accorder une pleine
confiance ;
3.Langage, ce n’est qu’à partir de cette troisième étape que le conseil prend sa réelle valeur,
que ce qui s’y dit construit réellement la classe et les personnalités.
Chaque élève a pu exprimer son opinion et ses envies dans la discussion sur Noël, j’ai évité
la dérive démagogique du conseil au moment du vote en choisissant une autre solution car le vote
ne me semblait pas satisfaisant comme solution consensuelle. Connac (2017) justement reprend
cette idée lorsqu’il explique que l’adulte responsable du groupe pourrait, consciemment ou pas, user
du conseil pour faire valider ses propres opinions, ses volontés personnelles. Les membres du
conseil, aveuglés par le leurre de la parole libérée, ne seraient amenés à ne voter que pour les idées
de l’adulte, ne les considérant pour diverses raisons que comme les seules alternatives équitables.
Le conseil deviendrait alors le lieu d’expression du pouvoir des pensées d’un adulte manipulateur et
perdrait toutes ses vertus éducatives. Seul l’enseignant est en mesure d’estomper les risques de cette
dérive démagogique, en commençant par attribuer au conseil un réel pouvoir de résolution. C’est ce
que j’ai tenté de faire devant l’attitude de Romain et ce qui a permis de libérer la parole de tout le
monde.

52
4.2.2. Débattre et être capable de définir une charte commune

2ème conseil : vendredi 20 décembre

Ce conseil clôt la dernière heure avant les vacances de Noël. J’invite Daniel et Oriana à
s’installer côte à côte en bout de table. Daniel en tant que président doit relire les règles du conseil :
Oriana l’aide car Daniel est intimidé. Comme nous n’avons pas choisi de secrétaire, Nathalie se
propose pour remplir à nouveau ce rôle. Le président déclare le conseil ouvert et rappelle l’ordre du
jour noté par Eloi au dernier conseil :
« Est-ce qu’on continue les cours de salsa ou change-t-on d’activité le jeudi en dernière heure ? »
Cette heure est consacrée à des activités corporelles en tout genre, nous avons fait du jonglage
pendant deux séances avec un intervenant du pôle cirque d’Alès qui a un partenariat avec les 6èmeet
5ème option arts du spectacle du collège, puis de la relaxation avec une enseignante d’EPS, et enfin
je leur ai fait découvrir la salsa après avoir constaté les idées arrêtées et genrées des garçons à ce
sujet.
Oriana, Nathalie et Virginie aimeraient continuer la salsa, le reste des élèves ne manifeste
pas un enthousiasme débordant mais n’ose rien dire. Je leur propose de remplacer la salsa par du
yoga mais là encore cela ne semble pas plaire aux élèves. Je leur demande donc de proposer
d’autres activités. Kenzo et Léo aimeraient jouer au foot dans la cour mais les filles s’y opposent
vigoureusement. On décide de ne pas poursuivre la salsa et de trouver une activité collective dans la
cour autre que le foot. Un élève propose le ballon prisonnier mais les autres disent qu’ils en ont
assez de ce jeu. Finalement les élèves se mettent d’accord pour faire du basket.
Au cours de cet échange, les débats sont rapides et les élèves participent davantage en
défendant plus facilement leur point de vue. Le sujet les intéresse peut-être davantage ou ils ont
compris que l’on pouvait vraiment s’exprimer. Chacun, adultes compris, a donné son avis et
participé au débat. Nous actons la décision de commencer un cycle basket ou du moins de faire
deux séances pour voir ce que cela donne.
Ensuite les trois objectifs du conseil notés leur fiche sont abordés.
- Etudier les propositions et les changements envisageables dans le dispositif : c’est ce que
nous avons fait pour les ateliers de Noël et l’activité du jeudi.
- Lire les félicitations : j’explique que désormais je mettrai des petits papiers bleus avec une
boîte sur une étagère de la bibliothèque. Au dos de ces petits papiers, il y a le message « papier
bleu, ce qui me rend heureux. » Tout au long de la semaine, et quand il le souhaite chacun pourra y
écrire des félicitations pour une personne de la classe, mentionner une activité ou un moment qu’il a
aimé au sein du dispositif. Pour illustrer mon propos, j’adresse mes chaleureuses félicitations pour
les décorations de Noël, le panneau des prénoms en graff et le sapin réalisés avec Clément mon

53
remplaçant et Virginie pendant ma période de formation (Annexe 14). Je prends soin de faire
nominativement un compliment à chaque élève.
- Tenter de résoudre les problèmes : la démarche est identique à celle des félicitations. Sur
des papiers orange : « papier orange ce qui me dérange », les élèves peuvent écrire ce qui leur pose
souci. Nous essayerons de résoudre le problème au cours du conseil.
Après avoir abordé ces trois points, je propose de compléter l’ordre du jour avec l’écriture
de la charte du tuteur dont on a parlé au cours de la semaine. J’hésite à écrire les propositions au
tableau, et me ravise en demandant à Oriana de noter ce que chacun propose pour vraiment rester
dans ma posture d’animatrice du conseil et ne pas revenir dans une posture d’enseignante au tableau
avec mon stylo. Je repose la question déjà évoquée dans la semaine « Quelles sont les qualités d’un
bon tuteur ? » Ils sont tous familiarisés avec ce terme puisque nous travaillons souvent en binôme.
Nathalie commence en disant qu’un tuteur doit être gentil. Oriana marque le mot « gentil », puis
j’attends des précisions. Eloi rajoute que le tuteur ne doit pas s’énerver et qu’il doit expliquer
gentiment, Ninon dit qu’il doit être patient. Puis je demande si le tuteur doit donner les réponses
quand il aide un camarade. Léo ne le pense pas : pour lui, le tuteur doit aider son camarade à trouver
les réponses. Laurent ajoute qu’il peut donner un exemple et Ian qui n’aime pas travailler en binôme
précise que le tuteur doit avoir tout bien compris pour expliquer. Je propose de noter les qualités
citées par les élèves : gentil, patient, calme, ne doit pas s’énerver et avoir bien compris l’exercice.
Puis les élèves choisissent le président et rapporteur pour la prochaine séance, Léo et Nathalie se
proposent spontanément, Daniel peut alors prononcer la formule consacrée pour clore la séance.
En amont, je me suis beaucoup interrogée sur la réaction des élèves pour cette deuxième
séance bien éloignée de la première. J’ai été agréablement surprise de constater une parole plus
libérée et une prise de décision accélérée. Le fait de ne pas opposer une activité à une autre et de
proposer plusieurs solutions, plusieurs alternatives permet aux élèves de se sentir plus libres et
d’exprimer leurs envies. On ne vote pas, on ne se laisse pas influencer par un copain, on peut
choisir ce qui intéresse le plus grand nombre à partir des propositions de chacun. La parole circule
alors plus facilement et même les plus réservés se sentent concernés et finissent par donner leur avis
dans une atmosphère respectueuse et détendue. On arrive aussi à rédiger un document en commun,
la charte du tuteur en s’interrogeant sur le rôle de cet élève qui aide, même Ian qui n’a jamais été
tuteur ou tutoré donne son avis sur la question.

54
4.2.3. Régler un différend et garder un climat de confiance

3ème conseil : vendredi 17 janvier

Léo et Nathalie ouvrent la séance du conseil et comme la boîte s’était remplie au cours de la
semaine, je propose de débuter par la lecture des mots déposés par les élèves. Je commence par les
mots bleus qui sont normalement des mots heureux. Et effectivement Ninon félicite Daniel d’être
venu toute la semaine en ULIS et à toutes les inclusions. Ils sont dans la même classe de 3ème mais
Daniel est souvent absent depuis les vacances de Toussaint. Je lis un autre mot anonyme cette fois
« Je suis content de faire du basket mais j’aime pas l’acrosport » et je vois Laurent toujours réservé
sourire. Nina renchérit en précisant qu’elle aussi n’aime pas l’acrosport et qu’elle préfère le vortex.
Je leur dis qu’on ne peut pas apprécier tous les cycles et qu’à mon époque ça n’existait même pas.
Eloi répond « La chance ! » Je précise alors que je n’avais pas autant de choix en EPS et que tous
les ans je faisais athlétisme, gym au sol et un sport collectif. « Ah bon trop nul » répond Eloi. Cette
anecdote permet de libérer la parole et nous voilà lancés. Je poursuis avec un autre mot bleu
anonyme « j’aime bien l’album que je lis » et j’en profite pour les féliciter de leur sérieux lors du
quart d’heure quotidien « Silence on lit » mis en place depuis octobre.
Nous passons aux mots orange. Le premier anonyme « j’en ai marre de la techno » suscite lui aussi
une discussion car tous les élèves sont inclus en techno et selon les professeurs les cours sont plus
ou moins difficiles. Je lis un autre mot « j’en ai marre qu’Eloi me cherche et m’insulte ». Silence
autour de la table, Eloi me regarde et dit « j’ai rien fait madame ». Je réponds à Eloi que je ne suis
pas là pour juger et que la personne qui a écrit ce mot ne peut pas rester anonyme : elle accuse un
camarade et il faut donc régler le problème. A l’écriture je sais déjà que Nina est l’auteur du mot. Je
la regarde discrètement mais elle ne réagit pas. Eloi est embêté car c’est violent d’être accusé ainsi
sans savoir par qui ni pourquoi. Je fais remarquer qu’accuser quelqu’un ainsi ce n’est pas rien. Je
donne l’exemple d’un mot anonyme « je trouve Romain moche et débile ». « Ah ouais quand
même » dit Romain. Nina me regarde et après hésitation avoue que c’est elle qui a écrit le mot. Eloi
lui répond qu’il ne lui a rien fait. Tout le monde se tourne vers moi pour attendre une réaction, un
arbitrage. Je réponds que si Nina a écrit ce mot c’est qu’il y a un problème à régler afin que tout le
monde se sente bien. Eloi ne démord pas du fait qu’il n’a rien fait et Nina explique qu’il tape avec
son pied sous sa chaise, qu’elle lui a dit de s’arrêter, qu’il recommence, qu’elle lui a dit à nouveau
et qu’il a répondu « ferme ta gueule ». Eloi nie, Nina insiste ! J’interviens alors en précisant qu’on
n’a pas à s’insulter dans la classe, ni à balancer des coups de pied dans la chaise des copains : ça
évitera les mots orange. Je termine en leur disant que cela ne doit pas les empêcher d’écrire ce qui
les dérange pour autant.

55
Il reste encore un quart d’heure et tous les mots ont été lus. Nous faisons un tour de table
pour voir s’il y a d’autres propositions ou des changements à proposer. Chérane dit qu’elle aime
bien l’alarme de deux minutes avant la fin de chaque cours : elle peut se préparer mais ça la stresse
un peu pour ranger ses affaires. (Tous les jours, Chérane étale tous ses feutres et crayons sur le
bureau à côté d’elle et les remet un par un dans sa trousse : cela nécessite du temps pour tout
ranger.) Ninon dit qu’elle aime bien même si le bruit de mon alarme de téléphone « n’est pas top ».
Je demande quelle solution nous pourrions trouver pour améliorer ce timer stressant et bruyant. Léo
propose de mettre l’alarme cinq minutes avant la fin du cours et Laurent de changer de sonnerie.
Virginie trouve que s’arrêter 5 minutes avant la fin de l’heure c’est beaucoup. Nous convenons que
3 minutes sont suffisantes et je promets de regarder dans le week-end si je peux changer de
sonnerie. Je remercie au passage Ninon et Kenzo qui cette semaine ont rangé à plusieurs reprises le
timer de la classe, les colles, ciseaux et matériel commun que certains élèves oublient de remettre à
leur place avant de quitter la salle.
La tension est redescendue et nous choisissons le président et le rapporteur de la prochaine
séance. Contre toute attente Laurent demande s’il peut être président et Nina veut être rapporteur.
Nathalie demande si elle doit noter autre chose que l’alarme, je demande aux élèves s’ils ont
d’autres sujets à proposer pour le prochain conseil. Ils répondent par la négative, la séance se
termine.
Lors de cette séance, l’accusation de Nina envers Eloi a jeté un malaise au sein du conseil.
J’ai dû trouver une solution pour régler ce problème sans léser personne et sans tomber dans ce que
Connac (2017) appelle « la dérive judiciaire ». Dans ce cas précis le conseil devient plus un tribunal
qu’un lieu où s’exerce la coopération. Plaignants et accusés ne se contentent rapidement plus des
décisions du conseil qui est alors déconsidéré en tant que cœur du groupe. Souvent, c’est vers
l’adulte que les élèves se détournent en lui demandant de redevenir l’enseignant, celui qui décide,
qui peut trancher. Pour tenter d’estomper cette dérive, il est possible de réduire les critiques et
d’optimiser la place des propositions, des félicitations et des remerciements. Plutôt que de mettre
sur le devant de la scène ce qui pose problème, l’enseignant peut faire en sorte que les séances du
conseil soient des moments de promotion de ce qui fonctionne bien dans la classe et de valorisation
de ceux qui en sont les auteurs. C’est justement ce basculement qui conduira à une meilleure qualité
des relations et donc à un net amoindrissement des réclamations de sanctions. C’est ce que j’ai
essayé de faire en coupant court rapidement au différend entre Nina et Eloi sans l’évincer, en
partant sur un autre sujet puis en félicitant les élèves qui prenaient soin du matériel de la classe sans
nommer ceux qui le laissaient traîner.

56
4.2.4. S’exprimer librement sur des sujets personnels

4ème conseil : vendredi 28 février

Le conseil débute par des félicitations de Léo pour ses co équipiers de basket : ils ont gagné
la veille contre l’autre moitié de la classe. Nathalie est contente car son ordinateur est réparé et elle
peut mieux suivre les cours, Oriana est fatiguée et aurait aimé que les vacances durent plus
longtemps. Virginie félicite les élèves pour leur élégance lundi. Depuis deux mois, nous avons mis
en place le « lundi chic » : ce jour-là on doit venir au collège bien habillé c’est-à-dire autrement
qu’en tenue de sport, ce qui est difficile car les garçons de la classe sont toujours habillés en
survêtement. Les baskets sont acceptées car beaucoup d’élèves n’ont pas d’autres paires de
chaussures. Virginie et moi nous plions aussi à la règle et Nina nous félicite car elle nous a trouvées
« trop belles » en robe et talons. J’adresse des félicitations spéciales à Kenzo qui était gominé,
portait un jean et une veste très jolie ; les autres renchérissent « carrément classe Kenzo ».
Ensuite n’ayant pas de mot orange dans la boîte, je demande s’il y a des propositions ou des
remarques sur le fonctionnement de la classe. Personne n’a d’idée ; je lance donc un débat sur leur
orientation future puisque les 4ème et 3ème vont repartir en stage. Chacun évoque ce qu’il aimerait
faire plus tard et Nina note le nom des élèves et leurs envies pour que nous puissions faire des
recherches dans le cadre du parcours avenir. Même les 5èmequi ne sont pas directement concernés
donnent leur point de vue et le débat s’oriente sur les possibilités qui sont ouvertes ou non aux
élèves en fonction de leur handicap. Romain dit qu’à la fin de l’année il ira travailler avec son père
et sans briser ses rêves je lui rappelle qu’il ne peut pas être embauché dans un garage à 16 ans et
qu’il devrait déjà demander s’il peut être embauché pour son prochain stage. Nathalie aimerait faire
un CAP petite enfance mais avec ses tremblements cela risque d’être compliqué : on réfléchit aux
envies et aux possibles pour chacun. Je sens alors poindre une préoccupation voire une inquiétude
chez certains élèves qui aimeraient aller en lycée professionnel mais qui réalisent que la poursuite
d’études après le collège dans un environnement non protégé va être très difficile. Nous décidons de
nous pencher sur la question de l’orientation plus précisément au retour du stage des élèves pour
leur laisser le temps de découvrir l’univers professionnel.
Pour finir sur une note plus légère je propose de réfléchir au réaménagement de la classe
pour septembre. J’ai demandé à l’intendante si on pouvait repeindre la salle qui est certes très
grande mais grise et vétuste. J’invite les élèves à penser aux changements possibles lorsque la salle
sera repeinte. Ils peuvent écrire leurs propositions et les glisser dans la boite sur des papiers rose
« ce que je propose ». Nous clôturons le conseil et comme personne n’est volontaire pour être
président et rapporteur, je demande à Laurent et Nina de choisir leurs successeurs. Kenzo et
Chérane géreront le prochain conseil.

57
Ce conseil a débuté dans la bonne humeur avec des félicitations pour tous par rapport au
lundi chic ». Il s’est ensuite orienté vers des aspects plus intimes liés à l’orientation mais en
filigrane se projetaient les doutes et les craintes pour l’avenir car mes élèves savent pertinemment
qu’ils ne pourront pas envisager une poursuite d’études en lycée. Chacun a évoqué ses envies et ses
rêves : c’est rare car le reste du temps nous travaillons et la place laissée à l’expression personnelle
est assez réduite. Nous n’avons pas pris de décisions au cours de cette séance mais nous avons
entamé une discussion commune à laquelle même Romain et Ian peu intéressés par la vie du groupe
ont pris part.

4.3. Des situations de coopération qui émergent

4.3.1. Un tutorat improvisé

Romain n’arrivait pas à remplir son rapport de stage à cause de la barrière de la langue et de
sa difficulté à se mettre au travail sur une activité longue. Carla, 16 ans, élève de seconde bac pro
2SPVL en stage dans le dispositif depuis 3 semaines, m’a demandé si elle pouvait aider Romain.
Elle devait elle aussi remplir un rapport de stage dans le cadre de son Bac pro donc elle pensait
pouvoir l’aider. Je prends dix minutes pour lui expliquer mes attentes et je demande l’accord de
Romain pour travailler avec Carla, sachant qu’il refuse généralement de travailler en groupe sauf
avec Ian et Daniel. La plupart du temps, je refuse car ils bavardent en roumain et ne travaillent pas.
Romain accepte et les deux adolescents travaillent ensemble toute l’heure. Carla relit les attendus à
Romain qui réfléchit et lui dicte ses réponses à Carla. Je le sentais à l’aise et investi dans son travail.
Le fait que Carla ait son âge et ses références y est pour beaucoup.
De son côté Carla, a observé le fonctionnement de l’ULIS la première semaine, puis a
commencé à aider les élèves comme nous le faisons avec Virginie ; progressivement elle s’est
intégrée dans le dispositif en trouvant sa place. Les élèves la tutoient, l’écoutent quand elle travaille
avec eux et elle n’hésite pas à demander notre aide quand elle ne comprend pas un exercice. Elle est
vraiment dans une posture d’observatrice et intervient ponctuellement auprès des élèves avec
bienveillance. Pour les élèves, c’est un peu une camarade mais plus grande qui a plus de
connaissances et son aide est acceptée naturellement. Le fait qu’elle me demande si elle pouvait
travailler avec Romain montre qu’elle a bien compris le fonctionnement de l’ULIS où tout le monde
peut travailler ensemble, choisir son binôme ou préférer avancer seul sur son plan de travail.

58
4.3.2. Un espace et des habitudes qui induisent le tutorat

Nous avons la chance d’avoir une grande salle puisqu’il s’agit d’un ancien atelier. En début
d’année, les tables étaient organisées en îlots mais ce dispositif ne me convenait pas, il créait des
tensions entre élèves, ne favorisait pas le travail mais plutôt les bavardages et le manque de
concentration. J’ai donc décidé de mettre les bureaux les uns à côté des autres, mais là non plus la
disposition n’était pas satisfaisante car trop rigide, les élèves étaient isolés et ne pouvaient
communiquer avec leurs voisins. De plus il fallait coller les bureaux pour travailler à deux ce qui
arrive fréquemment dans le dispositif. J’ai donc opté pour une solution flexible : une moitié de
classe avec des bureaux collés deux par deux propice au tutorat et au travail individuel et une autre
moitié de classe avec 3 grandes tables pour les regroupements ou les travaux de groupe. Au fond de
la classe, j’ai gardé le coin bibliothèque et repos. (Annexe 15)
Cette disposition induit une coopération entre deux élèves qui peuvent s’y installer ensemble
alors que ce n’est pas prévu et vont finir par coopérer. D’ailleurs en début d’année les élèves qui
arrivaient d’inclusion appréciaient de retrouver la place qu’ils s’étaient choisie, ce qui est assez
facile car il y a 12 places pour 12 élèves. Progressivement ils arrivaient et regardaient les élèves
présents pour choisir leur voisin de table. Désormais ils choisissent une place mais selon l’exercice
travaillé, ils se déplacent pour demander de l’aide à un camarade et parfois finissent d’un commun
accord par travailler en binôme sur les tables du fond. La grandeur et la disposition de la classe
permettent ces déplacements d’élèves et les différentes activités proposées renforcent cette manière
de travailler. La répartition de l’espace joue donc aussi un rôle dans l’émergence et la mise en place
des situations de coopération.

5. Conclusion et perspectives

J’ai envie de poursuivre ce travail de tutorat l’an prochain car je garderai les mêmes élèves.
Ils sont formés au rôle de tuteur et ont pris l’habitude de ce mode de travail coopératif. J’aimerais
multiplier les occasions de tutorat, notamment lors des retours d’inclusion, pour que les élèves
puissent revoir et approfondir la notion étudiée dans leur classe de référence. Comme ils sont inclus
par deux, cela facilite cette façon de travailler. Cependant le tutorat ne doit pas être systématique, il
peut aussi se transformer en aide ou entraide entre les élèves d’une même classe de référence, mais
aussi en travail en groupe, un autre aspect de la coopération que j’aimerais étudier.

59
Dans tous les cas il faut aussi conserver des temps de travail individuel pour permettre aux
élèves de s’approprier les consignes, d’être évalué ou de bénéficier d’un accompagnement
personnalisé, tout simplement parce que comme le dit Meirieu (2016) pour qu’il y ait une
collaboration formative, il faut qu’il y ait une intervention féconde. Si la coopération n’est que la
mise en place de groupes d’élèves enjoints à collaborer sans consigne précise, elle devient stérile
voire contreproductive car personne n’apprend plus rien et le groupe s’organise dans une routine où
chaque élève occupe la place qui lui convient entre « concepteurs, exécuteurs, chômeurs et
gêneurs » (Connac 2017).

De plus la coopération est un outil pédagogique dans l’air du temps avec ses corollaires :
l’organisation des classes en îlots, le travail de groupe, la dévolution de la tâche. Elle correspond à
une demande institutionnelle comme le précise le Code de l’éducation dans son article L111-1, mais
aussi à un changement dans la manière de concevoir la classe pour les élèves et pour les
enseignants. Le but étant d’autoriser les élèves à partager ce qu’ils savent et à solliciter leurs pairs
en cas de difficultés, de participer à une prise en compte inclusive de la diversité des élèves, mais
aussi de développer la solidarité et la responsabilité.
Cette façon de travailler ou du moins de communiquer est déjà ancrée dans les habitudes des
élèves qui communiquent constamment entre eux à travers les réseaux sociaux, que ce soit dans un
but d’entraide scolaire avec la création de groupes entre élèves d’une même classe sur Instagram ou
Snapchat, ou dans un but ludique avec les jeux en réseaux dans lesquels ils peuvent constituer des
équipes avec des inconnus ou des amis pour former des équipes comme dans Clash of clan ou
Brawl Star.
La période de confinement a confirmé l’intérêt des élèves pour le travail coopératif. Dans ma
classe virtuelle les élèves continuent à travailler en groupe et préfèrent être ensemble pour lire un
texte et résoudre une énigme que seuls devant leur fiche même si chez eux ils doivent faire le travail
seuls. Je finirai donc en reprenant cette phrase introductive qui s’est incarnée dans mon mémoire :
« C’est à plusieurs que l’on apprend tout seul ».

60
Annexes

Annexe 1 : Différence entre Collaboration et Coopération

Annexe 2 : les différentes modalités du travail coopératif

61
Annexe 3 : Les logiques du travail de groupe

Annexe 4 : Les différentes formes de groupes d’apprentissage

62
Annexe 5

Situation 1 : Verbatim du tutorat Oriana et Eloi

Moi : Oriana comme tu as fini et compris le travail sur la pyramide alimentaire, j’aimerais que tu
aides Eloi à compléter sa pyramide et à la colorier. (Je lui rends son cahier avec le travail corrigé)

Oriana : D’accord madame. (Elle va s’asseoir à côté d’Eloi et regarde ce qu’il a fait.)
Alors tu vois ta pyramide tu dois coller les étiquettes et mettre les mêmes couleurs que moi. (Elle
lui montre sa pyramide et ne dit plus rien, Eloi prend ses crayons de couleur et commence à
colorier le bas de pyramide en bleu)

Oriana : Non Eloi d’abord tu colles les étiquettes. (Je les observe d’un œil sans intervenir, et Oriana
attend patiemment à côté de lui sans rien dire.)

Eloi prend une étiquette au hasard et va la coller en bas de la pyramide.

Oriana : Attends Eloi tu dois coller les étiquettes pareil que moi dans ma pyramide.

Il prend son étiquette, regarde dans quelle case est collée celle d’Oriana, il colle son étiquette et
fait pareil avec la suivante. Oriana ne dit rien et le regarde faire en lui indiquant l’emplacement de
chaque étiquette. Une fois toutes les étiquettes collées :

Oriana : Maintenant tu vas colorier les étiquettes de la même couleur que dans ma pyramide.

Eloi : Je colorie aux feutres ?

Oriana : Non aux crayons de couleur c’est mieux.

Eloi : Je fais tout pareil que toi ?

Oriana : Oui pareil.

Eloi arrive dans la case « produits laitiers »

Eloi : J’ai pas un autre bleu, je peux faire en violet ?

O : Ben non ça va pas marcher.

E : Ben si c’est pas grave, ça va faire joli quand même.

O : Oui mais ça va pas marcher.

E : Ben si pourquoi ?

O : Parce que c’est pas comme ça au tableau.

E : Oui mais ça marche aussi.

O : Ben non regarde la pyramide à la prof.

63
Oriana se lève et lui montre le modèle projeté au tableau.

O : Tu vois en bas c’est bleu parce que c’est de l’eau qu’il faut boire, et puis c’est jaune parce que
ça ressemble au pain et aux pâtes, après c’est vert comme les légumes. Alors après tu dois remettre
bleu parce que y a du lait qui se boit aussi et des yaourts.

E : C’est pas bleu le lait et les yaourts c’est blanc.

O : Oui mais y a pas de blanc alors tu colories en bleu. Tiens je te prête mon bleu. Et après tu fais
l’autre case en rouge comme la viande.

E : Bon d’accord.

Eloi colorie docilement et Oriana attend.

O : Après tu colories en jaune t’as compris pourquoi ?

E : Non

O : Alors regarde tu vois quoi dans la case ?

E : Une bouteille

O : Et y a quoi dedans ?

E : Du sirop ?

O : Non y a de l’huile et l’huile c’est jaune et ça fait partir des matières grasses parce que c’est gras.

E : Ah ok.

Il colorie la case et s’arrête.

O : Après tu colories la dernière case de quelle couleur ?

E : Orange

O : Pourquoi ?

E : Ben comme au tableau.

O : Oui mais tu dois savoir pourquoi. Regarde en orange c’est le sucre et les bonbons.

E : Ok

Eloi colorie la dernière case en orange, Oriana vérifie sa pyramide.

O : Voilà, tu as tout compris. Va montrer à la prof.

64
Annexe 6

Situation 1 : Entretien d’auto confrontation avec Oriana et Eloi

Moi : Eloi tu peux m’expliquer à quoi correspondent les étiquettes que tu viens de coller ?

Eloi : Ben c’est les étiquettes de la pyramide.

Moi : En lui montrant le robinet d’eau sur l’étiquette, qu’est-ce que c’est sur cette image ?

Eloi : De l’eau.

Moi : Pourquoi tu as collé cette étiquette en bas de la pyramide ?

Eloi : Parce que c’est pareil que dans la pyramide d’Oriana.

Moi : D’accord, mais est-ce qu’il n’y a pas une autre raison pour coller cette étiquette ici ?

Eloi : Silence

Moi : Est-ce que ces étiquettes ont un ordre précis ?

Eloi : Oui

Moi : Lequel ?

Eloi : Elles sont rangées de la plus grande à la plus petite.

Moi : Ah bon ? Regarde bien je crois qu’elles font toutes la même taille.

Eloi : Ah oui.

Moi : Oriana pourquoi l’étiquette avec le robinet d’eau est collée en bas de la pyramide ?

Oriana : Parce que l’eau ça se boit et que c’est pas sucré alors ça va là.

Elle me montre la case et l’étiquette « boissons non sucrées »

Moi : Elles servent à quoi en fait ces étiquettes ?

Oriana : Ca montre ce qu’on mange.

Moi : Pourquoi elles sont rangées dans une pyramide ? Eloi ?

Eloi : Parce que c’est joli.

Moi : Oriana ?

Oriana : Oui c’est joli et c’est dans l’ordre.

Moi : Quel ordre ?

65
Oriana : Ben en bas c’est ce qu’on mange le plus et en haut ce qu’on mange le moins.

Moi : Tu avais compris ça Eloi ?

Eloi : Non

Moi : Tu lui avais expliqué Oriana ?

Oriana : Oui je lui ai montré pour coller les étiquettes.

Moi : D’accord mais quand tu lui as montré où coller les étiquettes tu lui as expliqué à quoi elles
servaient ?

Oriana : Silence

Je sens Oriana inquiète d’avoir mal fait le travail.

Moi : Ce n’est pas grave Oriana, effectivement tu lui as montré comment bien coller les étiquettes à
la bonne place.

Et pour les couleurs que s’est-il passé Eloi avec le violet ?

E : Ben comme j’avais plus de bleu je voulais colorier cette case en violet (Il me montre la case
produits laitiers.) mais Oriana m’a dit que c’était mieux si je faisais en bleu parce que c’est comme
les boissons en bas. (ll me montre la case boissons non sucrées).

Moi : Pourquoi Oriana ça ne va pas s’il colorie en violet ? Tu crois que c’est grave ?

O : Ben oui c’est bleu sur la pyramide et c’est aussi une boisson le lait alors ça doit être en bleu.

Moi : D’accord mais en dehors des couleurs, qu’est-ce qu’il doit comprendre Eloi à propos des
aliments de la pyramide ?

O : Qu’il faut manger plus les choses qui sont en bas et moins les choses qui sont en haut.

Moi : D’accord. Tu as compris pourquoi il faut manger davantage de céréales Eloi que de sucre par
exemple ?

E : Oui parce que trop de sucre c’est pas bon pour la santé.

Moi : Et pourquoi j’ai choisi de mettre les aliments dans une pyramide ?

O : Parce qu’en bas c’est plus grand qu’en haut.

Moi : Et donc qu’est-ce que ça veut dire si on compare les aliments en bas et en haut Eloi ?

E : Silence

O : Ca veut dire qu’il faut manger plus les aliments qui sont en bas que les aliments qui sont en haut
dans une journée.

Moi : c’est ça Oriana.

66
Annexe 7

Situation 2 : Verbatim du tutorat Kenzo et Léo

Moi : Kenzo nous avons travaillé sur un quadrillage avant que tu arrives et j’ai proposé à Léo de
t’expliquer les consignes et de t’aider si tu as un souci et en même ce temps je vous filmerai comme
la dernière fois quand tu as travaillé avec Nathalie. Est-ce que tu es d’accord ?

Kenzo : Oui

Moi : Léo on t’écoute.

Léo : Alors 6 +2 ça fait 8 et tu vas à droite de 8 carreaux. Après 8 + quelque chose ça fait 11 et tu
vas vers le haut.

Moi : Je crois qu’avant il faudrait que tu lui expliques la première étape. Qu’est-ce qu’il doit faire
avant le quadrillage ? C’est quoi la première étape ?

Léo : D’abord tu dois trouver la bonne île.

Moi : D’accord et pour ça comment va-t-il faire ?

Léo : Ah d’abord il faut faire les réponses.

Moi : Quelles réponses ? Montre lui sur la feuille.

Léo : Tu dois compter là genre 8 + quelque chose ça fait 11 alors tu vas vers le haut, après tu fais 2
+ quelque chose et ça fait 6 et après tu fais tous les résultats là de la feuille.

Moi : Alors le but final c’est de faire quoi ?

Léo : Trouver la bonne île.

Moi : D’accord donc il y a plein d’îles sur le quadrillage et il faut trouver la bonne île.
Comment tu as fait tout à l’heure pour y arriver ?

Léo : Par exemple tu pars à droite et tu mets 6 par exemple comme ça. (Il montre sur la grille le
bateau et compte 6 cases vers la droite). Après il faut regarder et y a écrit 3 par exemple alors tu
fais 3 vers en haut par exemple.

Moi : D’accord alors Kenzo est-ce que tu as compris la consigne ?

Kenzo hoche la tête pour dire qu’il a compris.

Moi : Est-ce que tu peux me dire ce qu’il faut que tu fasses ?

Kenzo : Long silence, il se triture sa mèche de cheveux.

Moi : Qu’est-ce que tu dois faire Kenzo ?

Kenzo : Compter.

67
Moi : Compter quoi ? Pourquoi ?

Long silence à nouveau

Daniel était assis en bout de table et avait fini, il semblait intéressé par notre conversation donc je
lui demande d’intervenir.

Moi : Daniel tu peux l’aider ?

Daniel : Il faut compter les carreaux pour trouver la bonne île.

Moi : D’accord et pour compter les carreaux tu vas te servir de quoi ?

Daniel : Tu dois remplir les cases avec les nombres là. Tu comptes et quand tu as tout fini tu prends
les nombres et tu les mets dans le quadrillage.

Moi : Tu as compris Kenzo ? Tu vas commencer par faire quoi ?

Kenzo : Silence. Compter.

Moi : D’accord montre-moi ce que tu vas compter.

Il me montre les cases à remplir.

Moi : D’accord donc je te laisse faire et tu viens me montrer quand tu as fini tout l’exercice.

68
Annexe 8

Situation 3 : Verbatim du tutorat Oriana et Eloi

Moi : Oriana j’aimerais que tu expliques à Eloi ce qu’il doit faire en maths pendant que je vous
filme.

Oriana : Ben déjà il doit ouvrir son cahier.

Eloi l’ouvre mais est gêné car sa trousse est dessous donc Oriana pousse la trousse en haut du
bureau pour qu’il ait davantage de place, elle attend ensuite qu’il ait trouvé la bonne page pour
pouvoir coller le document avec les additions.

Tu dois coller ta feuille.

Elle patiente à nouveau en observant Eloi ouvrir sa trousse, chercher et sortir sa colle, fermer sa
trousse, ouvrir sa colle. Elle range à nouveau sa trousse en haut du bureau et se rapproche de lui
pour voir ce qu’il fait.
Elle lui montre où coller sa feuille pour éviter qu’elle ne soit collée au milieu de travers.

Colle ta feuille dans la marge comme ça tu vas pouvoir poser tes additions à côté.

Une fois la feuille collée, elle pointe son stylo sur la première addition en ligne.

Tu fais du plus grand au plus petit, ça en premier, tu fais premier, deuxième, troisième.

Moi : Pourquoi il faut qu’il fasse premier, deuxième, troisième ?

Oriana : Parce qu’il faut commencer par le plus grand.

Moi : Et qu’est-ce qu’il faut qu’il fasse de ces trois nombres ?

Oriana : Il doit les écrire là.

Moi : De quelle façon ?

Oriana : posée, c’est-à-dire comme ça Eloi. Posée comme ça.

Elle lui montre les additions qu’elle a déjà faites sur son cahier et il acquiesce de la tête.
Il commence à poser sa première addition sous l’oeil attentif d’Oriana.
Il écrit le premier nombre et s’arrête.

Oriana : Maintenant tu écris le deuxième. Tu dois chercher le plus grand nombre d’abord. Voilà
dessous. Et tu mets un + sur le côté.
Et après tu écris le troisième, non attention, regarde ce qui est écrit.

Elle lui laisse le temps d’écrire et de corriger son erreur en pointant son stylo sur le nombre à
modifier.

Maintenant tu traces une barre. Voilà. Et tu calcules.

69
Moi : Très bien, tu as compris Eloi ce qu’il te reste à faire ?

Eloi : Oui. Il commence à calculer.

Moi : Et toi Oriana qu’est-ce que tu dois faire ?

Oriana : Je le laisse faire ses additions et ensuite je vérifie si c’est juste et je lui explique si c’est
faux.

70
Annexe 9

Situation 3 : Entretien d’auto confrontation avec Oriana et Eloi

Moi : Cela fait plusieurs fois que tu es tutrice Oriana, est-ce que ce rôle te plait ?

Oriana : Oui j’aime bien aider les autres quand j’ai compris.

Moi : Tu pourrais me dire quelles sont les qualités d’un bon tuteur ?

Oriana : Il faut être gentil avec les autres, attendre et être patient.

Moi : C’est tout ?

Oriana : Il faut aussi bien expliquer doucement pour qu’on comprenne ce qu’il faut faire.

Moi : D’accord ? Et quelles sont les choses que ne doit pas faire un tuteur ?

Oriana : Il ne doit pas se moquer des copains, ni crier quand on ne comprend pas.

Eloi : Le tuteur il doit faire comme la prof.

Moi : Ca veut dire quoi Eloi ? Je fais quoi ?

Eloi : Ben vous expliquez jusqu’à ce que je comprenne et vous ne vous moquez pas de moi. Vous
êtes gentille sauf quand je fais l’imbécile.

Moi : C’est quoi faire l’imbécile ?

Eloi : C’est quand j’ai pas envie d’écouter et que j’embête un peu les autres.

Moi : Est-ce qu’Oriana est une bonne tutrice.

Eloi : Oui ça va.

Moi : Est-ce qu’Eloi a bien écouté tes conseils Oriana ?

Oriana : Oui il a bien travaillé et en plus il a été très sage.

71
Annexe 10

Situation 4 : Verbatim du tutorat Chérane et Nina

Moi : Chérane puisque tu connais l’histoire d’Alice au pays des merveilles, tu veux bien nous
expliquer ce qui se passe dans ce texte ?

Chérane : Alors c’est l’histoire d’Alice et elle voit un lapin blanc et elle le suit et elle tombe dans un
trou et après elle devient grande.

Moi : Nina tu veux rajouter quelque chose ?

Nina : Non.

Moi : Alors je vais relire le texte que Chérane a résumé et on va répondre aux questions.

Je relis le texte qu’elles viennent d’étudier en français à haute voix.

Vous avez compris le texte ?

N et C : Oui

Moi : Chérane tu nous lis la première question ?

Chérane : Dans quel état se trouve Alice au début du texte ? Qu’en pensez-vous ?

Moi : Alors dans quel état se trouve Alice ?

Silence

Moi : Comment est Alice au début du texte ? Qu’est-ce qu’elle fait ?

Chérane : Elle est assise à côté de sa sœur.

Moi : Et puis qu’est-ce qu’elle fait ?

Chérane : Elle voit un lapin.

Moi : Oui c’est vrai mais avant de voir le lapin ?

Silence

Moi : Elle est dans quel état Alice ? En colère ? Joyeuse ? Fatiguée ? Enervée ?

Silence

Chérane : Je sais pas elle est avec sa sœur et elle s’ennuie.


Moi : D’accord et toi Nina que peux-tu rajouter ?

Nina : Je sais pas.

72
Moi : Elle s’ennuie et elle se demande ce qu’elle pourrait faire. Est-ce qu’elle a une idée ?

Chérane : oui elle veut faire des fleurs.

Moi : Où vois-tu qu’elle veut faire des fleurs dans le texte, qu’est-ce que ça veut dire ?

Chérane : Là. Elle montre la ligne 7 « tresser une guirlande de pâquerettes »

Moi : Nina qu’est-ce qu’elle veut faire Alice ? Regarde ce que montre Chérane.

Nina : Silence.

Moi : Chérane, tu peux aider Nina ?

Chérane : Regarde Nina c’est là. Elle lui montre la phrase dans le texte.

Moi : Alors Nina qu’est-ce qu’elle veut faire Alice ?

Nina : Elle veut tresser une guirlande.

Moi : Et elle le fait ou pas ?

Chérane : Ben non elle voit passer le lapin.

Moi : D’accord elle voit passer le lapin donc on va passer à la question 2 et laisser celle-là.
Tu nous lis la question 2 Nina ?

Nina : Quel personnage attire son attention ? Décrivez-le. Silence.

Moi : Alors quel personnage attire l’attention d’Alice ? Chérane tu peux aider Nina à trouver la
réponse sans lui donner ?

Chérane : C’est là. Elle montre la ligne 9. T’as vu Nina ?

Nina : Oui.

Moi : Et donc quel est ce personnage que voit Alice ?

Nina : Ben le lapin.

Moi : Et comment est-il ?

Chérane : Regarde Nina c’est marqué. Juste là.

NIna : Ben un lapin avec des yeux roses.

Moi : D’accord et on apprend autre chose sur ce lapin ?

Chérane : Il a un gilet et une montre.

Moi : Très bien on va s’arrêter là.

73
Annexe 11

Situation 4 : Entretien d’auto confrontation

Moi : Nina tu as compris le texte ?

Nina : Bof un peu.

Moi : Et toi Chérane ?

Chérane : Un peu aussi.

Moi : Pourtant Chérane tu as montré à Nina les endroits du texte qui vous aidaient à trouver les
réponses.

Chérane : Ben oui parce que ça j’avais compris.

Moi : Tu as donc été un peu la tutrice de Nina, tu l’as aidée. Est-ce que ça te plait d’aider un
camarade ?

Chérane : Quand j’ai compris oui.

Moi : Donc peut-être que tu pourrais être tutrice une autre fois ?

Chérane : Long silence. Oui peut-être.

Moi : Et toi Nina, tu as déjà été tutrice, est-ce que tu penses que Chérane t’a aidée ?

Nina : Ben oui elle m’a montré dans le texte les mots pour que je trouve les réponses.

Moi : Pourquoi elle ne t’a pas donné directement les réponses ?

Nina : Parce que sinon moi je fais rien.

Moi : Tu te rappelles ce qu’on avait dit qu’il fallait faire pour être un bon tuteur ?

Nina : Oui il faut être gentil et patient.

Moi : C’est tout ?

Nina : Non il faut aider mais pas donner les réponses, il faut expliquer quand on ne comprend pas.

74
Annexe 12

Le fonctionnement du conseil coopératif

1-Voici les règles du conseil à respecter par tous les membres

-Chacun a le droit à la parole.

-On demande la parole en levant la main et on attend que le rapporteur nous donne la parole.

-Ceux qui ont le moins parlé seront prioritaires.

-On respecte celui qui parle en l’écoutant.

-On ne se moque pas.

-Celui qui ne respecte pas les règles aura un avertissement.

-S’il continue il sera exclu.

-Un président et un rapporteur se proposent pour animer le conseil, s’il n’y a pas de volontaire,
Mme Bourda peut choisir deux élèves.

2-Les rôles du président et du rapporteur

Le président ouvre la séance du conseil et lit l’ordre du jour

« Bonjour, nous sommes le ….


Le conseil coopératif est ouvert et je serai le président.
« Aujourd’hui à l’ordre du jour nous avons……. »

Le rapporteur note les décisions prises pendant la séance qui seront conservées dans le cahier
du conseil.

3- Les missions du conseil coopératif

-On étudie les propositions et les changements envisageables dans le dispositif.

-On lit les félicitations.

-On tente de résoudre les problèmes.

4- Le président clôture la séance du conseil

« Le prochain président sera…….


Le prochain rapporteur sera……

Le conseil coopératif est terminé. »

75
Annexe 13

Les fonctions du tuteur

La Charte du tuteur

-Etre gentil avec le camarade que l’on aide.

-Etre patient et ne pas s’énerver quand un camarade ne comprend pas.

-Aider le camarade à comprendre la consigne, lui expliquer plusieurs fois avec des mots différents.

-Donner un exemple du travail à faire pour que le camarade puisse s’appuyer dessus.

-Ne pas donner les réponses sinon le camarade n’a plus qu’à recopier le travail.

-Dire quand on ne sait pas et qu’on n’arrive plus à aider le camarade. Demander de l’aide à son
tour.

-Encourager le camarade quand il progresse comme on aime être encouragé par Virginie et Mme
Bourda.

-Le féliciter quand il est arrivé au bout de l’exercice.

-Ne pas se vanter face au camarade parce que dans d’autres cas on aura besoin de lui comme tuteur.

Signature

76
Annexe 14 : Photo des décorations et du sapin de Noël

Annexe 15 : Photos de ma salle de classe

77
Références bibliographiques

Loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées.

Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées.

Circulaire n° 2015-129 du 21-8-2015.

Circulaire n°2019-088 du 5 juin 2019.

ARMAND Joëlle, IMA, : une démarche d’apprentissage par les pairs, Sherbrooke, Maitrise en
enseignement préscolaire et primaire. Université de Sherbrooke, 2012.

ASTOLFI Jean-Pierre, L’école pour apprendre : l’élève face aux savoirs, Paris, ESF, 2017.

BARNIER Gérard, Le tutorat dans l’enseignement et la formation, Paris, L’Harmattan, 2001.

BAUDRY Alain, tuteur : une place, des fonctions, un métier ?, Paris, PUF, 1999.

BAUDRY Alain, Le tutorat, richesse d’une méthode pédagogique, Bruxelles, de boeck, 2007.

BAUTIER Elisabeth et GOIGOUX Roland, Difficultés d’apprentissage, processus de secondarisation et


pratiques enseignantes : une hypothèse relationnelle, Revue française de pédagogie, volume 48,
2004, p.89-100.

BRUNER Jérôme, Comment les enfants apprennent à parler, Paris, Retz, 1987.

BUCHETON, Dominique (dir.), L’agir enseignant : des gestes professionnels ajustés. Toulouse,
Octarès, 2009.

CONNAC Sylvain, La personnalisation des apprentissages – Agir face à l’hétérogénéité à l’école et


au collège, Paris, ESF, 2019.

CONNAC Sylvain, La coopération entre élèves, Paris, Canopé, 2017.

CONNAC Sylvain, Apprendre avec les pédagogies coopératives, Paris, ESF, 2017.

78
CONNAC Sylvain, Enseigner sans exclure, Cahiers pédagogiques, Paris, 2017.

CORNET Jacques, DE SMET Noëlle, Enseigner pour émanciper, émanciper pour apprendre, Paris,
ESF, 2014.

DIDIER-COURBIN Philippe et GILBERT Pascale, Eléments d’information sur la législation en faveur


des personnes handicapées en France : de la loi de 1975 à celle de 2005, Revue française des
affaires sociales, 2005, p. 207 à 227.

DURAND Marc, VEYRUNES Philippe, L’analyse de l’activité des enseignants dans le cadre d’un
programme d’ergonomie-formation, Les dossiers des Sciences de l’Education, 2005, p. 47-60.

DURLER Héloïse, L'autonomie obligatoire. Sociologie du gouvernement de soi à l'école, Rennes,


PUR, 2015.

FORAY Philippe, Devenir autonome : apprendre à se diriger par soi-même, Paris, ESF, 2016.

GAL-PETITFAUX Nathalie, L’activité en classe de l’enseignant d’EPS et le caractère « situé » des


connaissances dans l’action : contribution d’un programme de recherche en anthropologie cognitive
eJRIEPS, Université de Franche Comté, 2010, pp.27-45.

GAL-PETITFAUX Nathalie, SAURY Jacques, Analyse de l'agir professionnel en éducation physique et


en sport dans une perspective d'anthropologie cognitive, Revue française de pédagogie, 2002, p.51-
61.
GARDOU Charles, La société inclusive, parlons-en, Toulouse, érès, 2012.

GARTNER Alan, Conway KHOLER, Frank RIESSMAN, Des enfants enseignent aux enfants, Paris,
éditions de l’Epi, 1973.

GUICHARD Daniel, Le tutorat entre élèves au cycle 3, Revue française de pédagogie, n°150, 2005,
p.73-85.

LAFONT Lucie, ENSERGUEIX Pierre, CICERO Christophe, Pourquoi et comment former des élèves
tuteurs pour faciliter les apprentissages moteurs ? Communication orale au 7ème colloque européen
sur l’autoformation, ENFA Toulouse, 2006.

LE GAL Jean, Les droits de l’enfant à l’école, pour une éducation à la citoyenneté, Bruxelles, De
Boeck et Belin, 2002.

79
LE GAL Jean, Le conseil dans la classe, Editions ICEM, Nantes, 2007.

LEBLANC Serge, Concepts et méthodes pour valoriser l’activité professionnelle au sein de la


formation initiale et continue des enseignants, CAHR, 2007, p.11-33.

LEBLANC, RIA et VEYRUNES, Vidéo et analyse in-situ des situations d’enseignement et de formation
dans le programme du cours d’action, 2012.

MARCEL Jean-François, Coordonner, collaborer, coopérer : de nouvelles pratiques enseignantes,


Bruxelles, de boeck universités, 2007.

MEIRIEU Philippe, Itinéraire des pédagogies de groupe – Apprendre en groupe, Lyon, Chronique
sociale, 1996.

MEIRIEU Philippe, L’école, mode d’emploi, Des « méthodes actives » à la pédagogie différenciée,
Paris, ESF, 2016.
PEETERS Luc, Méthodes pour enseigner et apprendre en groupe, Bruxelles, de boeck, 2009.

REVERDY Catherine, La coopération entre élèves : des recherches aux pratiques, dossier de veille
de l’IFÉ no114, ENS Lyon, Lyon, 2016.

THEUREAU Jacques, Le cours d’action : méthode élémentaire, Toulouse, Octarès, 2004.

80
Résumé

Enseigner dans une ULIS collège pour la première fois c’est ré interroger ses pratiques de
classe pour faire entrer dans les apprentissages des élèves à besoins éducatifs particuliers confrontés
au handicap et aux difficultés scolaires. C’est aussi chercher des outils pédagogiques adaptés au
dispositif ULIS, cadre singulier au sein d’un collège composé de classes ordinaires et d’une Segpa.
Une des entrées choisies a été le travail coopératif et plus précisément le tutorat et le conseil
coopératif. Le tutorat est un moyen de travailler ensemble que j’utilisais déjà en lycée professionnel
mais sans avoir décortiqué, ni analysé l’activité des élèves. Quant au conseil coopératif, c’est une
nouveauté pédagogique que je n’avais jamais expérimentée.
A travers ce mémoire je retrace l’évolution de l’éducation et de la place de l’élève dans
l’école, mais aussi dans la société pour les élèves à besoins éducatifs particuliers. Cette place a
changé avec les lois sur l’école inclusive, il est donc important que les méthodes d’enseignement
s’adaptent aussi. Le travail coopératif est un des outils pour apprendre aux élèves à travailler à
plusieurs et une façon différente d’entrer dans les apprentissages auxquels ils n’accédaient pas tout
seuls.

Mots-clés : ULIS, travail coopératif, tutorat, conseil coopératif, école inclusive.

Summary

To be a teacher for a ULIS plan in a secondary school for the first time means re-examining
its class practices to make pupils with special educational needs due to disabilities and academic
difficulties, access to learning process. It is also a quest for suitable educational tools to the ULIS, a
unique learning plan within an ordinary secondary school with SEGPA classes.
One of the chosen way was cooperative learning, mentoring and cooperative council.
Mentoring is a way for pupils to work together that I already used in technical college but without
having analyzed or theorized this kind of learning process. As for cooperative council, it is an
educational innovation that I had never experienced.
Through this thesis, I draw the evolution of education and of the pupil’s place within the
school and within the society for pupils with special educational needs. This place has changed with
inclusive school laws, so it is important that teaching methods adapt as well. Cooperative learning is
one of the tools for students to learn and to access understanding in a way they couldn’t do on their
own.

Key words : ULIS, Cooperative learning, mentoring, cooperative council, inclusive school.

81

Vous aimerez peut-être aussi