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Apprendre
avec les pédagogies
coopératives
ISBN : 978-2-7101-4451-9
ISSN : 1158-4580
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reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les
articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Remerciements
3
À mon grand-père René pour les possibles qu’il a suscités.
À mon épouse Nathalie et notre fille Orlane pour leurs présences, leurs
encouragements au quotidien et les nombreux sacrifices d’une telle aventure.
Table des matières
Première partie
Repères historiques et théoriques
1. Mouvements et pédagogues de la coopération. . . . . . . . . . . . . . . . 19
Le mouvement Freinet et l’Office central de la coopération à l’école 22
Des techniques éducatives à la pédagogie institutionnelle. . . . . . . . 28
2. Apprentissages et coopération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Des formes de mémoires qui interagissent. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
Une construction de la mémoire en trois phases . . . . . . . . . . . . . . . 37
Dormir contribue à bien apprendre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
L’importance des émotions positives, liées à soi . . . . . . . . . . . . . . . 40
Vers une pédagogie en cohérence avec le fonctionnement
du cerveau ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
Deuxième partie
L’organisation matérielle de la classe
1. La coopération : entraide et tutorat. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
L’aide, l’entraide et le tutorat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Les apports scientifiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
La formation des enfants au tutorat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Des activités pour initier à la coopération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
5
Apprendre avec les pédagogies coopératives
Troisième partie
La coopération du point de vue de l’enseignement
1. Plans de travail et personnalisation des apprentissages . . . . . . . . 93
Différencier, individualiser ou personnaliser ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Aux origines du plan de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
La mise en place des plans de travail. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
6
Table des matières
Quatrième partie
La coopération du point de vue des relations
1. Quelques espaces de parole et d’expression . . . . . . . . . . . . . . . . . 205
Le « Quoi de neuf ? » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205
Le bilan météo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
7
Apprendre avec les pédagogies coopératives
Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319
Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325
Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 335
8
Préface
La pédagogie coopérative :
une histoire qui a de l’avenir
9
Apprendre avec les pédagogies coopératives
Michel Tozzi,
professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Montpellier 3
10
Introduction
Adolphe FERRIÈRE 1
11
Apprendre avec les pédagogies coopératives
12
Introduction
13
Apprendre avec les pédagogies coopératives
14
Introduction
Le cœur de cet ouvrage est plutôt d’étayer les projets, de solidifier les pratiques
et de densifier les argumentaires. Cela consiste en une mise à disposition de
repères à la fois réflexifs et pratiques, établis à partir de plusieurs années de
tâtonnements expérimentaux et de recherches, permettant aux enseignants qui
en ont le projet, d’introduire dans leur structure de classe des dispositifs invitant
les enfants à apprendre lors de situations coopératives. Libérer de tels espaces
pour le travail scolaire est une véritable aventure avec l’assurance qu’au terme
des persévérances, les bénéfices pour les enfants sont décuplés.
Cet ouvrage se veut un outil à destination des enseignants. À défaut de cahier
journal et de guides du maître, ceux qui s’engagent dans les voies de la coopéra-
tion ont besoin plus que d’autres d’envisager leurs pratiques professionnelles
avec du recul, afin que les événements qui surviennent dans la classe puissent
être appréhendés avec sérénité et exploités au mieux. C’est pour cette raison qu’à
travers un plan détaillé, pour donner un aspect opérationnel à ce qui est présenté,
nous alternerons explicitations théoriques, descriptions de dispositifs et témoi-
gnages de classe.
La première partie proposera un étayage théorique sur la genèse des pratiques
coopératives en France, en suivant l’évolution de grands mouvements pédago-
giques. Parce que c’est une préoccupation majeure pour tout enseignant, tout
éducateur au sens large, il sera en même temps question de s’intéresser aux
dernières recherches en psychologie cognitive sur le fonctionnement du cerveau :
comment apprend-on ? Comment la mémoire se construit-elle ? Quel est l’impact
du sommeil et des émotions sur les apprentissages ? Que nous disent ces
recherches sur la pertinence des situations de coopération entre enfants ?
La deuxième partie s’intéressera aux contingences matérielles de la classe coo-
pérative. Comment des enfants peuvent-ils être amenés à coopérer au sein d’une
classe ? Qu’est-ce qui les conduit progressivement à ne pas donner les solutions ?
Comment permettre les déplacements et la simultanéité de projets divers dans des
salles de classes pas plus spacieuses qu’ailleurs ? Quelle articulation peut-on établir
entre temps collectifs et temps individuels, entre activités des enfants et pro-
grammes de l’école ? Quelle est la place de l’outil au sein des classes coopératives
et en quoi complète-t-il avantageusement l’intervention de l’enseignant ?
La troisième partie sera l’occasion de penser les temps d’enseignement de
manière coopérative. Comment peut-on permettre une exposition aux savoirs au
moins aussi intense qu’ailleurs tout en acceptant le caractère vivant des apprentis-
sages ? Le plan de travail sera présenté comme l’outil central des dispositifs de
personnalisation. Il sera mis en réseau avec les procédures d’évaluations pos-
sibles et appliqué pour des champs d’enseignements tels que la langue française,
les créations mathématiques, la recherche documentaire ou les discussions à
visée philosophique.
15
Apprendre avec les pédagogies coopératives
Jean Le Gal 2
2. LE GAL J., Le maître qui apprenait aux enfants à grandir, Les Éditions libertaires, Toulouse,
2007, p. 144.
16
Première partie
Repères historiques
et théoriques
17
Repères historiques et théoriques
18
1
Mouvements et pédagogues
de la coopération
« Par la coopération scolaire, l’école, jusque-là une simple réunion d’individualités que
dressaient les uns contre les autres la contrainte et la sujétion excessive, d’une part et,
d’autre part, la compétition et la jalousie, est devenue une association d’enfants se discipli-
nant eux-mêmes pour prendre en charge l’amélioration de leurs conditions de vie et le
progrès général de la classe, tant au point de vue matériel qu’au point de vue moral. 2 »
1. PROFIT B., 1935, in Meirieu Ph., Célestin Freinet – Comment susciter le désir d’apprendre ?,
PEMF – L’éducation en questions, 2001, p. 25.
2. PROFIT B., L’éducation mutuelle à l’école, Sudel, Paris, 1936.
19
Repères historiques et théoriques
20
Mouvements et pédagogues de la coopération
monde, ce qui peut donner des idées pour entamer divers projets comme de
la correspondance, des recherches documentaires, différentes recherches.
• Les plans de travail sont des documents sur lesquels les enfants notent ce
qu’ils ont choisi de faire et ce qu’ils doivent réaliser. Ces choix sont guidés
par ce qui entre dans la classe en termes de sollicitations ou de projets et
par les divers outils à disposition pour découvrir des savoirs pas forcément
rencontrés de manière naturelle.
• Les situations de communication : les journaux, la communication sur Inter-
net, la correspondance, les conférences d’enfant, etc., qui attribuent aux pro-
jets une visée formelle et permettent aux enfants « auditeurs » d’être
sensibilisés aux domaines de travail de leurs camarades.
Quelques repères permettent de situer les fondements des pédagogies coopé-
ratives :
• avant de penser didactique, intéressons-nous à la pédagogie ;
• penser l’éducation avant d’envisager l’instruction, le champ éducatif de
l’école concerne l’étendue des champs de vie des enfants ;
• un manque de motivation, de désir d’apprendre et de confiance en soi
semble être le principal frein actuel aux apprentissages à l’école ;
• devant la réalité de l’hétérogénéité des groupes-classes, la pédagogie de
l’uniforme n’est plus adaptée. Celle du prêt-à-porter ne suffit pas non plus.
Seules celles du sur-mesure et de la responsabilité permet une adaptation
mutuelle ;
• l’adulte ne peut pas être un moniteur qui indiquerait une direction unique à
suivre. Ce serait plutôt un organisateur de milieu de travail, un guide au
quotidien et une ressource permanente ;
• si l’on souhaite susciter la citoyenneté à l’école, mieux vaut penser les faits
de violence en termes de prévention plutôt qu’en termes de gestion ;
• discuter plutôt que taper : c’est le fondement de la société civile sans quoi
le respect d’aucune autre loi n’est possible.
À ce jour, plusieurs groupements se reconnaissent de ce courant pédagogique :
la pédagogie Freinet, aujourd’hui représentée par l’Institut coopératif de l’École
moderne 3, l’Office central de la coopération à l’école, les pédagogies institution-
nelles et la nouvelle dynamique dite « 3e type » regroupant les acteurs fédérés
autour de la conception de l’apprentissage par la construction des langages. Elles
sont le fruit de l’engagement de vie de pédagogues français dont Elise et Célestin
Freinet, Barthélemy Profit puis Fernand Oury. Voici quelques éléments en mesure
de situer la vie de ces personnages ou des mouvements qu’ils ont su insuffler
puis l’essentiel de leurs apports en matière de coopération à l’école.
21
Repères historiques et théoriques
« Célestin Freinet, instituteur, est certainement le plus grand pédagogue français du XXe
siècle. Son nom, qui est aussi celui de son mouvement, le “Mouvement Freinet”, est connu
dans des dizaines de pays, en Europe bien sûr, mais aussi en Amérique centrale, en
Amérique latine, en Afrique, au Moyen et Extrême-Orient 4. »
Célestin Freinet est né en 1896 dans la petite commune de Gars dans les Alpes-
Maritimes. Il avait fréquenté l’école du peuple et reconnut même plus tard ne pas
en avoir trop souffert, même s’il se souvenait surtout de l’ennui qui l’envahissait
pendant les cours, du ronron des paroles du maître qui le menait à une espèce
de somnolence. Il fut appelé à s’engager dans la guerre des tranchées, y côtoya
la rudesse des combats et la mort de camarades. En octobre 1917, à la suite d’une
très grave blessure par balle dans les combats du Chemin des Dames, il fut atteint
d’une pleurésie. À 21 ans, après une convalescence de plus de deux ans, il est
considéré comme invalide de guerre à 70 %.
« Quand je suis revenu de la guerre 1914-1918, j’avais été assez sérieusement blessé et,
notamment, je ne pouvais pas parler longtemps, surtout pas dans une salle de classe…
Lorsque j’avais parlé pendant dix minutes, un quart d’heure, comme cela, je n’en pouvais
plus. Et alors, j’ai cherché des solutions : ou bien je quittais l’enseignement à ce moment-
là, ou bien je trouvais d’autres techniques de travail qui m’auraient permis de faire ma
classe de façon intelligente, efficiente aussi, de m’intéresser à ma classe mais que je puisse
tenir le coup. Alors j’ai cherché 5. »
Il retira de cette période les idées de solidarité et d’entraide. Pour que les
horreurs de la guerre cessent, et convaincu qu’il est plus opportun de s’intéresser
à l’éducation populaire, Freinet se lance dans l’éducation des enfants du peuple.
Il réutilise selon ses besoins les grandes innovations internationales qui se déve-
loppent dans le domaine de la coopération et le sens donné aux apprentissages.
« Toute méthode est regrettable qui prétend faire boire le cheval qui n’a pas soif. Toute
méthode est bonne qui ouvre l’appétit de savoir et aiguise le besoin puissant de travail 6. »
Pour point de départ aux désirs d’apprendre, il utilisa la vie des élèves, leur
quotidien et leur environnement. Comme il éprouvait physiquement des difficultés
22
Mouvements et pédagogues de la coopération
23
Repères historiques et théoriques
d’apprentissages : la sensibilité (le fait que tout vécu laisse une trace) et la permé-
abilité à l’expérience (la multiplicité des vécus favorise leur ancrage). Toutes les
techniques sont intégrées dans le travail des élèves.
« On ne peut isoler une technique de l’organisation générale des activités scolaires. La classe
promenade n’aura de sens que lorsqu’elle s’intégrera à une communication, lorsqu’elle fera
l’objet d’une relation aux autres. Tout est régulé au sein de la coopérative scolaire 7. »
Chaque technique éducative introduite par Freinet dans sa classe l’a été en
lien constant avec ce qui existait au préalable et est intervenue en réponse à un
besoin d’organisation du travail. Concernant les pratiques coopératives, elles
étaient sous-jacentes depuis le début, mais c’est avec l’arrivée à l’école Freinet,
fin 1935, d’enfants assez turbulents que la pratique coopérative s’est structurée.
Il fallait éviter des conflits journaliers qui se réglaient en fin de semaine dans la
réunion de coopé, introduire le journal mural où chacun pouvait écrire ses griefs
au lieu de les régler à tout moment.
Parallèlement à cette mise en place pédagogique, Freinet crée la Coopérative
de l’enseignement laïc (la CEL). Elle deviendra l’organe à travers lequel les textes
et les outils de Freinet seront diffusés dans toute la France et même à l’étranger.
En 1932, alors instituteur à l’école de Saint-Paul-de-Vence, Freinet doit faire
face à une situation de crise. Amené à accueillir 49 élèves dans une école
construite pour 27 et devant le refus de la municipalité à débloquer la situation,
il en appelle plusieurs fois à ses supérieurs 8. Ceux-ci obligent la mairie à engager
les travaux nécessaires, ce qui conduit à un fort refroidissement des relations avec
l’instituteur. Au cœur de ce climat tendu, il arrive que certains élèves en fassent
part dans leurs textes libres. C’est le cas dans l’un d’eux, écrit par Marcel Diaz,
alors âgé de 12 ans :
« Mon rêve. J’ai rêvé que toute la classe s’était révoltée contre le maire de Saint-Paul qui
ne voulait pas nous donner les fournitures gratuites. Je m’élance, les autres ont peur.
Monsieur le maire sort son couteau et m’en donne un coup sur la cuisse. De rage, je
prends mon couteau et je le tue. Monsieur Freinet a été le maire… Je suis allé à l’hôpital.
À ma sortie, on m’a donné mille francs 9. »
7. GOUPIL G., Comprendre la pédagogie Freinet, Amis de Freinet, Mayenne, 2007, p. 33.
8. Daniel LOSSET a réalisé en 2006 un film sur ces événements : Le maître qui laissait les enfants
rêver.
9. In Le « vrai » Niño, bulletin des « Amis de Freinet », no 87, août 2007, p. 27.
24
Mouvements et pédagogues de la coopération
hostiles, fustigeant ses méthodes et ses idées. Des pétitions contre lui se multi-
plient tout comme des lettres de soutien. En avril 1933, cent cinquante parents
protestataires se réunissent devant l’école et exigent le départ de Freinet.
« Face à l’excitation de la foule et pour protéger les quatorze élèves qu’il a dans la classe,
celui-ci réagit en s’approchant des manifestants, revolver au point. L’issu de l’affrontement
aurait pu être plus dramatique, mais la menace de l’arme à feu a permis de contenir une
certaine violence, jusqu’à la venue de la gendarmerie. L’inspecteur d’académie qualifie
ce geste de maladroit et peu courageux 10. »
« Après le rapatriement des activités de la CEL à Cannes en avril 1946, et après l’échec
des tentatives d’union pédagogique avec les autres mouvements d’éducation populaire,
Freinet lance l’initiative de créer l’ICEM (Institut central de l’École moderne), sans doute
à l’instar de l’Office central de la coopération à l’école. Mais de nombreux militants
réagissent pour faire remplacer Central par Coopératif, plus dans l’esprit de la CEL 11. »
Célestin Freinet n’est séparable ni de sa femme, Élise Lagier Freinet, tout autant
institutrice qu’artiste, décisive sur l’expression libre, ni des cinq cents compagnons
du début des années 1930.
25
Repères historiques et théoriques
C’est dans cet esprit qu’en 1964, en tentant de répondre à ce que pouvait être
la pédagogie Freinet, celui-ci a proposé la création d’une sorte de code pédago-
gique sous forme d’invariants pédagogiques 13.
« N’y aurait-il pas dans la création de coopératives scolaires juxtaposées aux mutuelles
scolaires, et au besoin fédérées avec elles, une préparation modeste mais directe et sérieuse
aux fonctions, aux devoirs de l’avenir 14 ? »
C’est dans les dernières années du XIXe siècle que les coopératives sont appa-
rues en France, sous forme de mutuelles. Petit à petit, elles se sont étendues à
l’école dans le but de former les futurs citoyens à la prévoyance et à l’épargne.
Les enfants qui cotisaient à ces mutuelles tiraient l’argent d’actions qui visaient à
en récolter, comme l’élevage de lapins et d’abeilles. C’est également à cette
période que quelques fondateurs insistèrent sur les vertus éducatives des mutuali-
tés. Il s’agissait de responsabiliser les élèves afin d’en faire des hommes respon-
sables et solidaires. En plus de ces vertus éducatives, les coopérateurs scolaires
purent rapidement employer leurs coopératives pour donner vie à des projets de
classe, comme des voyages de fin d’année ou du matériel pédagogique utile aux
activités des élèves.
12. GOUPIL G., Comprendre la pédagogie Freinet, Amis de Freinet, Mayenne, 2007, p. 33.
13. FREINET C., « Les invariants pédagogiques », in Œuvres complètes, tome 2, Le Seuil, Paris,
1954, p. 383.
14. MABILLEAU L., « Appel aux enseignants », in VINCENT J.-F., Du projet compétitif d’éducation
au projet coopératif d’éducation, mémoire pour le Conservatoire national des arts et métiers –
Centre d’études sociologiques du travail et de l’entreprise, septembre 2001.
26
Mouvements et pédagogues de la coopération
En 1929, l’Office central de la coopération à l’école (OCCE) fut créé. Ses mis-
sions étaient d’encourager la création de groupements d’élèves et l’enseignement
de la coopération. Trois grands pédagogues ont contribué à son développement.
Émile Bugnon permit un développement économique. Pour lui, la coopération
avait pour visée l’illustration par le terrain d’un fonctionnement mutualiste, basé
sur l’entraide et la solidarité. Le deuxième pédagogue qui a contribué à l’essor de
l’OCCE est Barthélemy Profit. Inspecteur primaire, né en 1867, il fut le premier à
mettre en évidence l’intérêt pédagogique des coopératives scolaires en les faisant
définitivement sortir des objectifs des mutuelles scolaires.
« À une époque où les lois de prévoyance sociale étaient à peu près inexistantes, il s’est
intéressé au sort familial des écoliers en même temps qu’à l’enseignement de la solidarité,
et qu’il a fondé avec succès une vingtaine de Sociétés de Mutualité scolaire et postscolaire 15. »
« Ainsi, par la discipline autoritaire d’une part, par le système de compétition d’autre
part, sont emprisonnés les rapports naturels qui devraient exister entre les élèves comme
entre eux et le maître… Il ne peut y avoir aucune solidarité acceptée dans une école où
le maître n’est qu’un caporal ; il ne peut y avoir aucune coopération possible dans une
école où les élèves pratiquent quotidiennement le chacun pour soi 16. »
15. GOUZIL M., PIGEON M., Profit et la coopération scolaire française, OCCE, Paris, 1970, p. 21.
16. PROFIT B., L’éducation mutuelle à l’école, Sudel, Paris, 1936, in VINCENT J.-F., 2001, p. 15.
27
Repères historiques et théoriques
« Il n’est que de rappeler un singulier événement qui devait aider à transformer radicale-
ment l’hôpital : lorsque nous y introduisîmes une presse Freinet, petit format, empruntée
à une école voisine. Aidés par quelques malades, nous commençâmes à imprimer un
bulletin… Les quelques points que j’ai cités : imprimerie, club, ateliers, suffiront, je l’espère,
à tenir dépliée devant vous la toile tramée de nos tâches quotidiennes… C’est dans cet état
d’esprit que j’avais proposé il y a quelques années, le terme de “Pédagogie Institution-
nelle”… pensant que ce n’est pas par hasard si ces grandes architectures – hôpital et école
– posent simultanément des problèmes analogues… » (Jean Oury 17).
28
Mouvements et pédagogues de la coopération
« La simple règle qui permet à dix gosses d’utiliser le savon sans se quereller est déjà une
institution. L’ensemble des règles qui permet de définir “ce qui se fait et ne se fait pas”
en tel lieu, à tel moment, ce que nous appelons les lois de la classe, en sont une autre » dit
Fernand Oury. « Mais pour que cette règle existe, encore faut-il qu’il y ait du savon ! » 20
C’est de cette idée d’institution que partirent, au seuil des années 1940, le
docteur François Tosquelles et un de ses internes Jean Oury pour développer le
désaliénisme. Il s’agit de ne plus considérer l’aliéné comme tel mais comme une
personne capable de se construire dans la relation et non dans l’enfermement.
Lorsque Jean Oury parle de PI, il évoque la forme d’enseignement directement
inspirée de ce qu’il pratique dans un but thérapeutique et reprise par un certain
nombre d’instituteurs membres de l’ICEM, dont son frère Fernand Oury.
Fernand Oury, né en 1920, devient instituteur sans expérience. En 1939, il se
retrouve instituteur suppléant, avec 45 enfants. Il met entre parenthèses les
réflexes dans ce qu’il nomme avec Jacques Pain l’école caserne, et comprend très
vite que les classes homogènes sont un rêve de politique, que « chaque élève est
hétérogène ». Évoluant dans de grosses écoles urbaines, il mesure rapidement
l’ampleur des limites de ses pratiques. En 1945, il lance un journal dans sa classe.
Ses interrogations le conduisent à participer en 1949, à un stage organisé par la
CEL et où il rencontre Freinet. C’est une révélation qui lui permet de revisiter ses
pratiques même si, déjà, il regrette le manque d’applicabilité de certains de ces
outils à son contexte parisien. Une question préoccupe encore Fernand Oury :
Freinet est à la campagne, comment faire de la pédagogie active en ville, dans la
« jungle urbaine » en plein développement ? En fait il a eu des expériences « de
terrain » décisives, la plupart du temps en dirigeant des colonies pour enfants.
C’est là qu’il « invente » le conseil coopératif et les « ceintures » de comportement
– reprises du judo. Sa carrière d’instituteur et de pédagogue le conduit à fédérer
autour de lui de nombreux partisans, grâce, entre autres, aux ouvrages qu’il
coécrit. Plus que Freinet, il use d’un style facile d’accès en rédigeant de courtes
histoires d’enfants présentant un aspect bien précis de la PI : les monographies.
L’ICEM décide de s’étendre depuis Cannes en constituant des groupes départe-
mentaux. Ceux-ci ont pour objet de relayer localement son action par la diffusion
de brochures et l’organisation de stages. En 1952, l’Institut parisien de l’École
moderne (IPEM) voit le jour avec Raymond Fonvieille comme délégué, et Fernand
Oury, en tant qu’adhérent. La dynamique de ce groupe conduit à la publication
d’une revue départementale sur les techniques Freinet :
20. MEIRIEU Ph., Itinéraire des pédagogies de groupe, Chronique sociale, Lyon, 1996, p. 89.
21. LAMIHI A., De Freinet à la pédagogie institutionnelle ou l’école de Gennevilliers, Cahiers de
l’Institut de l’histoire des pédagogies libertaires, Ivan Davy éditeur, Vauchrétien, 1994, p. 28.
29
Repères historiques et théoriques
Freinet commence à montrer son désaccord en disant que ce ne serait pas par
la publicité que le mouvement qu’il avait constitué serait déterminé mais plutôt
par le travail dont il serait le moteur. En même temps, F. Oury, qui participe aux
congrès de l’ICEM, essaye de rallier à lui le plus possible de militants, prétextant
la vieillesse de Freinet et son déclin. En octobre 1960, Fonvieille fait paraître dans
sa revue un article intitulé « Les schématisations abusives » dénonçant quelques
écueils de la PF 22. Il est alors sommé par le bureau de l’ICEM de renoncer à la
diffusion de L’Éducateur d’Île-de-France à l’extérieur du mouvement ou de quitter
l’ICEM. Il préfère donner naissance à un nouveau groupe pédagogique : le Groupe
des techniques éducatives (GTE). En février 1961, Freinet rédige la circulaire dans
laquelle il écrit :
« Le Bureau parisien qui ne remplit nullement son office est supprimé purement et
simplement. […] L’ICEM cesse, à dater de ce jour, de considérer Fonvieille comme délégué
départemental 23. »
30
Mouvements et pédagogues de la coopération
25. HÉVELINE E., ROBBES B., Démarrer une classe en pédagogie institutionnelle, Hatier, Paris,
2000, p. 19.
26. POCHET C., OURY F., OURY J., « L’année dernière j’étais mort… » signé Miloud, Matrice,
Vigneux, 1986.
31
2
Apprentissages et coopération
« L’apprentissage peut être grossièrement défini comme le processus par lequel un être
vivant enregistre des éléments de son environnement extérieur, des informations, qui
modifieront son comportement ultérieur. La mémoire proprement dite sera alors
l’ensemble de ces éléments enregistrés dans le système nerveux 2. »
33
Repères historiques et théoriques
« L’appréhension est toujours une sorte de captation par le sujet, qui lui permet d’assimi-
ler ce qui est déjà socialement acquis et culturellement disponible, mais qu’il doit reconqué-
rir pour son propre compte 3. »
Apprendre, mais quoi ? Dans les classes coopératives, les enfants acquièrent
des connaissances et développent des compétences en matière de vie sociale, de
responsabilité, de coopération, d’entraide. Les constatations ne sont pas contes-
tables. En revanche, la question est plus complexe autour des disciplines. Il est
même probable que dans des écoles ordinaires, les enfants en sachent plus, que
la mise à disposition de savoirs soit plus forte. Mais qu’en est-il pour les savoirs
intermédiaires, ceux qui sont relatifs aux compétences de recherche, d’écriture,
de lecture, de résolution de problèmes, de réalisation de projets et plus largement
de construction d’une pensée personnelle ? En permettant à l’enfant d’élargir son
champ de travail et d’aiguiser sa conscience d’exister, la classe coopérative favo-
rise l’émergence d’apprentissages conséquents, persistants et faisant sens. Toute-
fois, cela ne suffit pas à répondre à une série de questions : qu’est-ce qu’un enfant
qui travaille ? Suffit-il que les enfants soient attentifs, captés par l’enseignant voire
en activité pour qu’ils apprennent ? Qu’est en mesure de proposer la structure
coopérative d’une classe pour que ce qui se construit chez les élèves corresponde
à des apprentissages durables et autonomes ? La contrainte aide-t-elle à l’appren-
tissage ou au contraire peut-elle devenir source de dépassements ? Lorsque les
enfants commettent des erreurs dans la classe et qu’elles sont reprises par les
camarades lors des situations de coopération, n’y a-t-il pas un renforcement des
apprentissages de ces erreurs ? Les dernières recherches en sciences cognitives
sur le fonctionnement du cerveau apportent quelques éclaircissements.
3. ASTOLFI J.-P., La saveur des savoirs. Disciplines et plaisir d’apprendre, ESF Sciences humaines,
Paris, 2008, p. 57.
34
Apprentissages et coopération
réseaux de neurones sont activés. Ainsi, les empreintes prennent du volume, nous
apprenons. Des processus inconscients déterminent si nous sommes prêts à
absorber de nouvelles informations. Chaque nouvelle situation est comparée à un
équivalent passé pour évaluer si elle est profitable, source de plaisir ou bien
désavantageuse, source de douleur.
Les recherches en neurosciences et en sciences cognitives ont pu révéler
qu’apprendre correspondait à la combinaison de quatre activités intellectuelles :
être attentif, comprendre, mémoriser et transférer (réutiliser ce que l’on a acquis
dans des contextes inédits et complexes) 4. Elles ont notamment établi l’existence
de plusieurs formes de mémoires : les mémoires à long terme (perceptive, séman-
tique, épisodique) et les mémoires d’action (de travail et procédurale). Cette
mémoire à court terme est une sorte de bloc-notes où sont stockées les informa-
tions utiles pour une durée limitée. Elle intervient au niveau du cortex préfrontal
et maintient temporairement une représentation active de l’information, ce qui
permet de la manipuler pour l’utiliser immédiatement. Certains neurones du cortex
préfrontal sont activés lors de l’arrivée de l’information et restent actifs aussi
longtemps que l’information doit être maintenue en mémoire de travail ; une inter-
ruption fortuite de cette activation par un élément perturbateur efface immédiate-
ment l’information.
• La mémoire perceptive imprime de manière automatique et involontaire
l’image des objets que nous voyons, sans nécessairement y mettre du sens.
Pour ce qui est d’ordre visuel, cela correspond à la perception d’une forme
avant qu’elle soit identifiée. À partir d’un fragment de cette image mentale,
le cerveau est en mesure de réactiver la forme globale. Par exemple les
formes géométriques, les lettres de l’alphabet, les chiffres ou les notes de
musique. C’est par l’intervention de cette mémoire que les jeunes enfants
ont la faculté d’apprendre la signification d’une multitude d’objets sans pour
autant conserver le souvenir de ces apprentissages.
• La mémoire sémantique stocke des connaissances sur soi ou sur le monde.
L’ensemble des connaissances générales que nous nous sommes construites
constituent ce champ. Elles ne nécessitent ni le rappel d’un événement
précis, ni celui d’une perception. Par exemple, les pays d’Europe, les dates
en histoire ou les tables de multiplication.
• La mémoire épisodique enregistre des événements liés à un contexte, des
instants uniques bien localisés dans le temps et dans l’espace. Par exemple,
son dernier anniversaire, l’élection du président de la République ou la pro-
clamation de la réussite à un examen. Ce qui est conservé dans la mémoire
35
Repères historiques et théoriques
5. TULVING E., « Episodic memory : from mind to brain », in Annual Review of Psychology,
vol. 53, 2002, p. 1-25.
36
Apprentissages et coopération
6. Voir en particulier les travaux de Serge LAROCHE et Michel FAYOL, in BOURGEOIS E., CHAPELLE
G., Apprendre et faire apprendre, PUF, Paris, 2006, p. 39-68.
37
Repères historiques et théoriques
38
Apprentissages et coopération
39
Repères historiques et théoriques
acquis récents. Cela se vérifie encore lorsque, après l’encodage d’une information,
même forte émotionnellement, une privation de sommeil intervient : elle en dété-
riore le rappel quelques heures plus tard. La qualité du sommeil pendant la nuit
qui suit la première étape de la mémorisation est essentielle pour sa consolida-
tion, encore plus son rappel.
Outre cette facilitation de la consolidation, le sommeil aide à la constitution
de certains raisonnements, concernant notamment la généralisation des acquis,
le lien entre eux 8. Le cerveau humain a deux fois plus de chances de trouver la
solution à un problème 12 heures après le début des recherches, à condition que
dans cet intervalle de temps il y ait eu une période de sommeil égale au moins à
un cycle complet. Pour les apprentissages perceptifs et moteurs, il en va de même
puisque le sommeil optimise les savoir-faire acquis par entraînement, sans pra-
tique ultérieure.
8. Maquet P. et al., Sleep and Brain Plasticity, Oxford University Press, 2003.
9. VIARD A. et al., « Hippocampal activation for autobiographical memories over the entire life-
time in healthy aged subjects : an FMRI study », in Cerebral Cortex, vol. 17, 2007, p. 2453-2467.
10. D’ARGEMBEAU A. et al., « Influence of affective meaning on memory for contextual informa-
tion », in Emotion, vol. 4, 2004, p. 173-188.
40
Apprentissages et coopération
Au sujet des émotions négatives, des études sur de jeunes animaux subissant
des situations de stress montrent que leur activité cérébrale se réduit de 50 %. Sur
une longue période, on remarque une modification structurelle de leur cerveau.
De plus, le système de récompense du corps ne fonctionne plus correctement. Le
stress est un facteur qui nuit à la longue au cerveau. Les enseignants devraient
donc s’attacher à construire un environnement respectueux et serein. Pour un
enfant, il est bien plus difficile d’apprendre s’il a l’impression par exemple, qu’à
tout moment, on peut se moquer de lui. Du fait que les situations émotionnelles
qui entourent l’apprentissage sont mémorisées avec la substance apprise, il vaut
mieux qu’elles correspondent à une image positive de soi, d’autant plus qu’il
s’agit d’un des facteurs qui optimisent la durabilité.
Les émotions interviennent surtout au cours de la deuxième étape de la mémo-
risation, une fois passée la phase d’encodage, au cours du stockage des informa-
tions dans la mémoire à long terme. Plus précisément, elles semblent
prépondérantes lors de la consolidation du souvenir : les images à forte connota-
tion émotionnelles se montrent plus coriaces à l’érosion et plus résistantes au
temps qui passe. Les souvenirs persistent donc plus longtemps. Les émotions
jouent le rôle d’une sorte de surligneur qui grave plus profondément les souvenirs
dans le tissu neuronal. Dans la mesure où cette construction s’appuie de manière
privilégiée sur les informations qui renforcent positivement l’image que l’on se
fait de soi, elle tend à contribuer fortement à la construction de la personnalité
puisqu’elle aide à la projection dans l’avenir.
Cette importance des émotions sur la mémorisation amène à considérer que
tout apprentissage suppose nécessairement l’existence d’une relation. Le dévelop-
pement et l’entretien d’une structure de communication et d’échanges dans la
classe visent justement à développer du relationnel et donc à faire émerger de
l’émotion. C. Rogers a notamment pu montrer que les attitudes empathiques pou-
vaient provoquer d’importantes évolutions auprès d’enfants souffrant de handi-
caps. On retrouve par ailleurs cette importance de la prise en compte des
émotions dans les travaux d’Antonio Damasio qui s’est attaché à l’étude d’un
patient, Elliot, dépourvu de la zone spécifique à l’émergence des émotions 11. Il a
pu observer qu’à capacité cognitive égale, Elliot manifestait une altération de ses
capacités de raisonnement, ce qui l’empêchait par exemple de gérer son emploi
du temps, son argent ou sa vie affective. L’information émotionnelle serait donc
une condition pour une prise de décision adéquate.
De manière plus large, la mémoire semble dépendante de la richesse des
milieux dans lesquels elle se construit : les milieux riches facilitent les capacités
d’apprentissage dans de très nombreuses situations, en particulier les plus com-
plexes. La richesse du milieu optimise donc le fonctionnement du cerveau. De
41
Repères historiques et théoriques
plus, il apparaît que l’on devient plus performant dans le domaine travaillé mais
aussi, ce qui s’avère particulièrement intéressant dans le champ scolaire, dans
d’autres qui ne lui sont pas directement liés. Il a en particulier été montré que la
pratique intensive d’un instrument de musique développait le cerveau de telle
manière que les aptitudes à la manipulation mentale d’objets en trois dimensions
étaient décuplées 12. La pratique de la musique semble avoir des effets positifs
sur les capacités à apprendre dans d’autres domaines.
Les écoles et les classes gagneraient donc à être des lieux riches, qui éveillent
à la curiosité du monde, nourrissent l’intérêt des enfants et stimulent leurs dispo-
sitions à l’effort. La forme la plus appropriée semble être le travail libre dans le
silence, période de grande concentration. Trois heures de travail libre, cela fait
penser au paradoxe de Jean-Jacques Rousseau : l’important dans l’éducation, ce
n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre. L’enseignant, en hôte qui se
respecte, prépare l’espace des élèves. Miser sur l’ambiance, sur l’espace et le
temps génère un très haut rendement.
Tout ceci prend forme par une série de concepts (information, communication,
langages, structure, auto-organisation) organisés comme peut le montrer cette
représentation. Elle a été développée par B. Collot, dans le cadre de la théorie de
l’apprentissage par la construction de langages 13:
Si l’on entend par information toute chose pouvant être préhensible par les
sens dès lors qu’elle peut ou doit être interprétée, la communication correspond
à la circulation et à la transformation de cette information entre une personne et
son environnement (on parle alors d’interaction) ou entre une personne et d’autres
personnes (on parle plutôt d’interrelation). La communication produit des lan-
gages. Un langage est ici défini comme un outil neurocognitif visant le traitement
de l’information, permettant la communication et s’en enrichissant. Les langages
sont multiples et se traduisent par des connexions neuronales de plus en plus
complexes au fur et à mesure qu’ils se développent et se diversifient.
12. KELLY A.M.C. et al., « Human functional neuroimaging of brain changes associated with prac-
tice », in Cerebral Cortex, vol. 15, 2005, p. 1089-1102.
13. Centres de recherche des petites structures et de la communication.
14. COLLOT B., Une école du 3e type ou la pédagogie de la mouche, L’Harmattan, Paris, 2002,
p. 58.
42
Apprentissages et coopération
PERSONNE
Retrait
modification
Création ou
de réseaux
neuronaux
Traitement Stockage
Information ADAPTATION LANGAGES
Mémoire Mémoire
Information du travail sémantique
Auto-
organisation
Oubli
Oubli
« Les langages sont avant tout les outils cognitifs qui permettent d’appréhender par les
sens des informations, de les interpréter, de produire une représentation du monde dans
lequel on vit, de s’y adapter, d’y exister, d’y évoluer, de le modifier. Ces outils étant avant
tout des outils cérébraux qui se traduisent par des connexions neuronales de plus en plus
complexes 15. »
15. COLLOT B. et al., Du taylorisme scolaire à un système éducatif vivant, Éditions Odilon, Nailly,
2004, p. 46.
43
Repères historiques et théoriques
« Il est facile d’apprendre, et cela est le plus souvent suffisant pour répondre aux questions
posées ou prendre les décisions quotidiennes. Ajouter à la collection de nos informations
que la capitale de la Nouvelle-Zélande s’appelle Wellington ou que le nombre π s’écrit
3,1416 peut être utile dans l’immédiat, mais n’apporte à notre pensée aucune structure
nouvelle 16. »
C’est pour cette raison que l’acte de comprendre s’avère au moins aussi impor-
tant que celui de mémoriser parce qu’il contribue à créer du lien entre les connais-
sances et les compétences. Le renforcement de ce réseau devient alors une source
de densification de la matière grise, caractéristique prépondérante pour rendre le
cerveau plus disponible à de nouveaux apprentissages. On pointe ici le concept
de disponibilité cognitive.
En proposant une alternative aux systèmes traditionnels d’enseignement, la
classe coopérative postule pour être un espace d’apprentissages au moins aussi
ambitieux qu’ailleurs, notamment au niveau des performances scolaires. De par
les espaces de liberté engagés, le possible recours à l’entraide, le sens donné aux
activités par la communication, la possibilité d’apporter du matériau de travail à
l’école, différents phénomènes interviennent pour permettre aux enfants
d’apprendre.
• L’effet coopératif
Il se produit lorsque l’on est amené à enseigner quelque chose à quelqu’un
(cf. les travaux d’Alain Baudrit). Celui qui explique est amené à mobiliser ses
connaissances et donc à les ancrer davantage. Le tuteur bénéficie le plus du
tutorat, parce qu’il est obligé de mettre en œuvre une articulation entre pensée
et langage.
Ainsi, lorsque Chayma se met à travailler avec Léo les lettres de l’alphabet,
chose qu’elle n’arrivait pas à faire jusque-là et qu’elle parvient soudainement à
maîtriser ; lorsqu’Aïssam devient un maître en matière de dessins d’architecture
dans la classe, après avoir été sollicité par plusieurs de ses camarades pour leur
montrer comment il y parvenait ; lorsque Marie, juste après avoir répondu à une
demande de la petite Chloé, bat tous les records de jets de balles à la thèque
alors que jusque-là c’était un miracle lorsqu’elle tapait sur le bois ; lorsqu’Alexan-
dra se met à devenir experte pour trouver les verbes d’une phrase simplement
44
Apprentissages et coopération
45
Repères historiques et théoriques
46
Apprentissages et coopération
17. Par référence à l’enseignement au Moyen Âge fait de rigidité, de traditionalisme, de verba-
lisme et de formalisme.
47
Deuxième partie
L’organisation
matérielle
de la classe
L orsque l’on démarre une classe coopérative ou lorsqu’on la relance après une
période d’interruption, l’organisation matérielle, spatiale et temporelle est
une priorité. Pourquoi davantage dans une classe coopérative que dans une
autre ? Simplement parce qu’à travers les espaces de libertés permis par la coopé-
ration, les enfants ont la possibilité de se déplacer, parler, organiser des travaux
à plusieurs, entrer dans des activités dont le contrôle échappe en grande partie à
l’enseignant…, en somme, créer de la dissipation. Si rien n’est fait pour accueillir
ce caractère vivant de la classe, il ne faut alors pas s’étonner qu’elle devienne un
lieu de désordre où les apprentissages laissent la place à de l’angoisse, ce qui
serait contraire aux visées attendues.
Il est donc de la responsabilité de l’enseignant de penser ce que l’on nomme
« l’institution zéro », c’est-à-dire un fonctionnement de classe initial à partir
duquel les enfants vont pouvoir trouver leurs marques pour, par la suite, entrer
dans des logiques d’autostructuration du groupe. Quitte à ce que ce soit discu-
table, l’enseignant doit donc répondre à une série de questions pour que la classe
coopérative débute : dans quelles conditions les enfants peuvent-ils s’aider ?
Comment les paires tuteurs/tutorés vont-elles être constituées ? Quelle formation
sera apportée pour que, lors des situations de coopération, les réponses ne soient
pas données ? Comment les tables vont-elles être disposées ? Dans quel lieu les
49
L’organisation matérielle de la classe
50
1
La coopération :
entraide et tutorat
1. LE MÉNAHÈZE F., Coopérer pour apprendre (DVD), Éditions ICEM, no 48, Nantes, 2005.
51
L’organisation matérielle de la classe
52
La coopération : entraide et tutorat
« L’effet paradoxal est que c’est le tuteur qui bénéficie le plus du tutorat, parce qu’il est
obligé de mettre en œuvre cette articulation entre pensée et langage. Même un élève en
difficulté de lecture qui va aller lire des histoires aux petits de la maternelle va se trouver
dans une telle valorisation qu’il va modifier son niveau de langue, être plus exigeant
envers sa propre maîtrise des savoirs scolaires 2. »
2. CAILLER J., Tutorat à l’école, Actes de l’université d’automne du SNUIPP Lalonde, 2007, p. 64.
3. MARCHIVE A., L’entraide à l’école élémentaire, thèse de doctorat de l’université Bordeaux II,
1995, p. 11.
4. MARCHIVE A., ibid, 1995, p. 350.
5. BRUNER J., Comment les enfants apprennent à parler, Retz, Paris, 1987.
53
L’organisation matérielle de la classe
6. REQUI A.-S., Le tutorat entre pairs dans une classe unique de l’école Antoine Balard, mémoire
de master en sciences de l’éducation, université Paul Valéry, Montpellier, avril 2007.
7. BAUDRIT A., Tuteur: une place, des fonctions, un métier?, PUF, Paris, 1999.
54
La coopération : entraide et tutorat
55
L’organisation matérielle de la classe
Lorsqu’un tuteur ou un tutoré souhaite rompre le tutorat, il lui suffit d’en faire
part à son partenaire. Cela pourra donner lieu à de nouvelles mises en relation et
aussi, preuve d’un aboutissement du dispositif, d’une évolution autonome dans
la classe. Lorsqu’un enfant sollicite régulièrement son enseignant et manifeste
ainsi son incapacité à trouver par lui-même les éléments nécessaires à la poursuite
de son travail, il est facile de l’inviter à demander de l’aide à un tuteur. Le passe-
port est un outil qui peut également servir pour solliciter un tuteur. Cela évite de
lui demander d’arrêter ce qu’il est en train de réaliser. Dans le même esprit, Bruce
Demaugé-Bost a imaginé le trétra’aide 8.
FICHE DE TUTEUR/TUTRICE 9
Je suis tuteur/tutrice. Cela veut dire que je m’engage à aider mon voisin
ou ma voisine lorsqu’il ou elle en a besoin. Voici les règles du tutorat.
– J’ai réussi mon brevet de tuteur.
– Je donne plus d’importance à mon travail qu’à mon rôle de tuteur.
Si être tuteur me demande trop d’efforts ou m’empêche de travailler, je
demande à ne plus l’être.
– Mon rôle est de donner des petits coups de pouce à l’autre pour l’aider
à démarrer.
– Je ne donne jamais les réponses au camarade que j’aide. Je lui explique
comment je fais, je lui montre des exemples, lui donne des astuces pour
qu’il puisse trouver la solution.
– Je guide l’autre sans faire à sa place je dois sentir qu’il travaille seul,
sans se reposer sur moi.
– Petit à petit, l’autre doit avoir de moins en moins besoin de moi cela
veut dire que le tutorat est une réussite pour tous les deux.
– Je ne me moque jamais du travail de l’autre.
– Lorsque je l’aide, nous chuchotons pour ne pas déranger la classe.
– Je parle régulièrement de mes réussites ou de mes difficultés avec mon
enseignant.
– Je peux demander à être aidé par un tuteur quand j’en ai besoin.
Je m’engage à être tuteur et à respecter les règles du tutorat.
8. Voir : http://bdemauge.free.fr/
9. À partir de la fiche de tuteur pensée par Benoît RUF.
56
La coopération : entraide et tutorat
« Un tuteur n’est pas un “chef” qui commande celui qu’il aide. Il est là pour
l’accompagner et répondre à ses questions afin que ses journées à l’école se
passent bien 10. »
Il s’est plusieurs fois avéré opportun de proposer un travail spécifique autour
de la question de l’aide afin que les classes rédigent un document qui leur rap-
pelle les idées-forces. En voici un, tiré des travaux de François Le Ménahèze sur
l’école Ange Guépin de Nantes 11:
• Il peut se servir des fiches outils et de tous les autres documents de la classe.
• Il ne donne pas la réponse ni la solution.
• Il ne se moque pas, il encourage et félicite.
• Il peut demander de l’aide.
• Il peut :
– donner des exemples ;
– expliquer avec ses mots ;
– dire ce qu’il faut faire ;
– lire la consigne avec celui qu’il aide ;
– donner des astuces ;
– faire des schémas ;
– aider à lire, observer et comprendre les fiches outils ;
– laisser deviner ;
– répondre aux questions ;
– …
10. Extrait du portfolio des élèves de l’école coopérative Antoine Balard à Montpellier.
11. LE MÉNAHÈZE F., « Coopération et travail individualisé », in Coopération et pédagogie Freinet,
Éditions ICEM Pédagogie Freinet, no 33, 2002, p. 52.
57
L’organisation matérielle de la classe
58
La coopération : entraide et tutorat
Validation
59
L’organisation matérielle de la classe
12. De nombreuses autres situations de formation des élèves à la coopération ont été publiées
dans l’ouvrage La coopération, ça s’apprend, ESF Sciences humaines, 2020.
60
La coopération : entraide et tutorat
Conclusion attendue : voir le document « Celui qui aide – celui qui se fait
aider ».
Le travail coopératif
Objectif : expérimenter que l’on travaille mieux à plusieurs que seul.
Organisation de la séance : les enfants sont en petits groupes et suivent les
instructions de l’adulte.
Exemples de questionnaires
Au handball et au water-polo, on joue Pour ranger leurs affaires, les enfants ont
avec un …………………. un …………………….
Chaque joueur porte sur lui un …………………….. On trace un trait avec une …………………….
Celui qui fait respecter les règles s’appelle La personne qui s’occupe de la classe est un
un …………………….. ……………………..
Les spectateurs qui encouragent les équipes Une …………………….. permet d’écrire sur un
sont des ……………………. tableau.
L’arbitre se fait entendre avec un ……………………. Les enfants jouent dans la ……………………..
Prendre un carton ……………………., ça veut dire À l’école, un enfant s’appelle un ……………………..
qu’on ne joue plus. Le responsable d’une école s’appelle
Au basket, on marque des ……………………. le ……………………..
Au rugby, le ballon est ……………………. Le ……………., c’est la réunion où les enseignants
Les joueurs qui marquent des buts sont discutent de l’école.
des ……………………. L’homme qui a rendu l’école obligatoire, laïque
Tous les 4 ans ont lieu les ……………………. et gratuite s’appelle Jules ……………………..
Pour manger à l’école, les enfants vont
à la ………….
Étape 1 : « Vous avez 8 minutes pour répondre seul et sans parler aux dix
questions du questionnaire 1. »
Étape 2 : l’enseignant fournit les solutions et chacun note le nombre de bonnes
réponses. Chaque équipe calcule le nombre de bonnes réponses et les inscrit au
tableau.
Étape 3 : « Vous avez 8 minutes pour répondre aux dix questions sur l’école.
Vous avez le droit de vous aider. »
Étape 4 : l’enseignant donne les corrections et chacun note le nombre de
bonnes réponses. Chaque équipe calcule le nombre de bonnes réponses et les
inscrit au tableau.
61
L’organisation matérielle de la classe
Étape 5 : comparaison des résultats par équipe. « Qu’est-ce que cet exercice
nous apprend sur le travail en équipe ? »
Conclusion attendue : on travaille mieux en équipe que seul. Le travail d’une
équipe est au moins égal au travail du meilleur membre de l’équipe.
Exercice 1 27 35 42 17 26 147
Exercice 2 35 43 41 35 30 184
Comparaison + + – + + +
Les encouragements
Objectif : privilégier l’entraide et l’encouragement plutôt que la moquerie.
Organisation de la séance : les enfants se mettent par petits groupes et
suivent les instructions d’un élève référent. Avant les activités, l’adulte réunit les
référents et leur explique les consignes.
Étape 1 : les référents expliquent qu’il s’agit de dessiner un paysage de mon-
tagne. « Vous avez 10 minutes pour dessiner sur votre feuille un paysage de mon-
tagne avec des sommets, de la neige, des chamois, des alpinistes et des chalets. »
Pendant l’activité, les référents ne disent rien, ne se manifestent pas.
Étape 2 : chaque groupe présente ses dessins et chaque enfant peut expliquer
ce qu’il a pensé du comportement de son référent. L’adulte note au tableau les
principales réponses.
Étape 3 : les référents expliquent qu’il s’agit de dessiner un paysage de mer.
« Vous avez 10 minutes pour dessiner sur votre feuille un paysage de mer avec
des vagues, des bateaux, des poissons, des pêcheurs et une plage. » Pendant
l’activité, les référents doivent féliciter les enfants qui font quelque chose et
encourager ceux qui n’y arrivent pas. Ils peuvent employer les phrases suivantes :
« C’est bien, continue », « Ce n’est pas grave si tu te trompes », « L’important,
c’est que tu fasses de ton mieux », « Ça, c’est joli », « Est-ce que tu veux que je
t’aide ? », etc.
Étape 4 : chaque groupe présente ses dessins et chaque enfant peut expliquer
ce qu’il a pensé du comportement de son référent. L’adulte note au tableau les
principales réponses. Il compare les dessins d’enfants qui au premier exercice
n’ont rien produit de beau et qui se sont bien améliorés au second exercice.
62
La coopération : entraide et tutorat
Étape 5 : « Qu’est-ce que cet exercice nous apprend sur le travail avec
d’autres ? »
Conclusion attendue : on a plus envie de travailler quand on nous encourage
et quand on nous félicite.
« Personne ne sait tout, personne ne sait rien, le savoir appartient à tout le monde. »
13. CHABRUN C., in Coopération et pédagogie Freinet, Éditions ICEM Pédagogie Freinet, no 33,
2002, p. 24.
63
L’organisation matérielle de la classe
Exemple de fiche
Marché de connaissances
Fiche de passeur
64
La coopération : entraide et tutorat
Exemple de fiche
Fiche du marché de connaissances du 19/10/08
Nom : Prénom :
65
L’organisation matérielle de la classe
66
2
La gestion de l’espace
et du temps scolaire
67
L’organisation matérielle de la classe
68
La gestion de l’espace et du temps scolaire
69
L’organisation matérielle de la classe
seront moins, ce qui n’est pas signe que leurs auteurs ont peu appris. Pour cela,
et parce que l’enseignant compte aussi sur les effets de la dissipation, il parvient
à mettre à disposition du matériel en mesure d’orienter les enfants vers la réalisa-
tion d’activités à forte teneur éducative. Capables de pallier l’absence d’un adulte,
ces outils se montrent pertinents par leur faculté à orienter les engagements dans
la libre conduite des projets des élèves. Par exemple, parce que les textes diffusés
dans le journal doivent être orthographiquement corrects, les élèves seront
conduits à utiliser les ressources de la classe pour parvenir par leurs propres
moyens à apporter les corrections nécessaires.
70
La gestion de l’espace et du temps scolaire
Casiers
Atelier
de lecture
Cagibi
Ordi
Ordi
Ordi
Bibliothèque
Arts plast.
Ordi
71
L’organisation matérielle de la classe
Les journées de classe tendent à proposer un équilibre entre des temps per-
sonnels favorisant la réalisation des tâches individuelles ou les situations
d’entraide et des temps collectifs qui se veulent de véritables moments
d’échanges de savoirs, de confrontations de représentations. Cet équilibre temps
personnels/rencontres collectives évolue au fil de l’année scolaire, de la même
manière qu’évolue la place de l’enseignant, comme peuvent le montrer les sché-
mas suivants.
Enseignant
Élève
Élève
Ens.
Septembre Octobre Novembre Décembre Janvier Février Mars Avril Mai Juin
Temps personnels
Temps collectifs
Tps pers.
Tps coll
Septembre Octobre Novembre Décembre Janvier Février Mars Avril Mai Juin
Ainsi donc, alors que les débuts d’année scolaire sont généralement les moments
privilégiés pour installer une culture de classe et des habitudes de travail, il est néces-
saire que le groupe se réunisse plus souvent pour débattre puis établir les conditions
de son fonctionnement. Plus tard dans l’année, mises à part les adaptations à appor-
ter, ce sont plus les élèves et leurs travaux personnels qui importent.
72
La gestion de l’espace et du temps scolaire
Les emplois du temps n’ont pas à correspondre aux modèles en place dans
les lycées à l’origine par Napoléon. C’est plus par tradition scolaire que par souci
pédagogique que leur logique d’usage, même actuelle, a progressivement colo-
nisé les collèges et les écoles. Bien qu’un équilibre entre les disciplines soit à
trouver, que les horaires entre les enseignements soient à respecter, rien ne pré-
cise ni n’impose qu’il faille absolument découper la semaine scolaire en plages
d’enseignements successives de 50 minutes. Cela peut se concevoir dans les éta-
blissements où chaque enseignement est dispensé par un enseignant différent et
pour des dispositifs de fonctionnements uniformes où tous les enfants ont à
mener à un même rythme les mêmes activités. En classe coopérative où ce qui
prime est la pertinence pédagogique de la structure d’entraide, le principe est
plutôt de permettre à chaque enfant d’établir, dans le cadre que lui propose sa
classe, son propre emploi du temps, alliant moments de travaux individuels, temps
d’interactions avec des pairs ou avec l’enseignant et rencontres collectives. Ainsi,
un emploi du temps devient plus un guide pour situer dans la journée quels sont
les horaires à respecter et les rendez-vous collectifs plutôt qu’une suite d’activités
ordonnée par un adulte. On retrouvera donc dans un emploi du temps les horaires
de la classe, les récréations, les temps collectifs d’accès à la parole, les moments
d’échanges coopératifs collectifs et les séances de travail qui ne dépendent pas
seulement de la vie du groupe mais aussi d’intervenants extérieurs, du fonctionne-
ment de l’école, etc. Sont positionnées sur le programme de la semaine des situa-
tions de réflexions collectives et coopératives (par du travail en groupe) où le
partage des représentations est d’une importance capitale pour la formation des
concepts. La plupart du temps, les entrainements sont abordés par l’intermédiaire
des plans de travail. Ce qui n’est concerné par aucun de ces moments est naturel-
lement attribué aux travaux personnels. Pour la communication des projets, la
présentation des exposés ou des conférences, les enfants disposent des temps
de parole institués (Quoi de neuf ?, conseil, bilan), et si nécessaire, peuvent
demander à ce qu’un temps précis leur soit réservé dans l’emploi du temps pour
s’adresser au groupe entier. Une telle gestion du temps de chacun contente une
partie des demandes de la chronobiologie qui avance que l’organisme humain
fonctionne sur des rythmes circadiens 1. Avec une organisation coopérative de la
classe, l’école devient alors un lieu permettant un rappel régulier et diversifié des
informations importantes, proposant des temps de travail collectif et de travail
personnel, à faire seul, avec un camarade, autorisant les pauses sans que cela
pénalise le travail, invitant les enfants à organiser une part de leur travail en
choisissant parmi plusieurs activités à réaliser.
73
L’organisation matérielle de la classe
Discussion
Travail Travail à visées Travail
personnel personnel philosophique personnel
15h50 et démocratique
16h00 Bilan météo Bilan météo
Ainsi donc, les rapports au temps deviennent différents pour chaque enfant
puisqu’il n’est plus question d’associer à un moment de l’année une notion sco-
laire précise. Il s’agit plutôt de concevoir pour plusieurs années un même corpus
de compétences. C’est ici la notion de travail en cycle qui est mise en valeur. Rien
ne devrait justifier les difficultés rencontrées par certains enfants à suivre le
rythme pensé par un enseignant. Au contraire, ce devrait être aux élèves de com-
muniquer à leurs enseignants le rythme qui leur convient le mieux pour profiter
du temps scolaire de manière optimale : éviter de perdre du temps, travailler
pour apprendre et progresser, ralentir le tempo pour mieux comprendre, l’accélérer
lorsque cela devient trop facile, faire des pauses aux moments de saturation…
C’est d’ailleurs ce qui est sous-tendu par l’article L. 311-3 du Code de l’éducation
régissant les programmes scolaires :
« Les programmes définissent, pour chaque cycle, les connaissances essentielles qui doivent
être acquises au cours du cycle ainsi que les méthodes qui doivent être assimilées. Ils
constituent le cadre national au sein duquel les enseignants organisent leurs enseignements
en prenant en compte les rythmes d’apprentissage de chaque élève. »
74
La gestion de l’espace et du temps scolaire
75
L’organisation matérielle de la classe
un caractère décisionnel, cet avis peut être pris en compte pour permettre une
poursuite de la scolarité encore plus efficace. Il va de soi que cette autorisation
accordée aux enfants de changer de classe peut aussi valoir pour les enseignants
qui préféreraient en confier certains avec qui rien de bien ne devrait émerger par
une cohabitation plus longue.
On se rend bien compte que ces questions relatives à la gestion de l’espace
et à celle du temps sont fondamentales en classe coopérative, puisqu’elles consti-
tuent l’actualisation du quotidien de l’enseignant et de ses élèves. D’autres élé-
ments de l’organisation matérielle de la classe interviennent de manière aussi
prépondérante, notamment le recours à divers outils.
76
3
Des outils au service
de l’émancipation éducative
77
L’organisation matérielle de la classe
78
Des outils au service de l’émancipation éducative
création de fichiers, de la BT, des bandes enseignantes… tous ces outils ayant
pour fonction de libérer l’enfant de la dépendance à l’adulte, de l’accompagner
dans ses apprentissages. Il apparaît même que le déficit d’outils, tout du moins
leur défaut de formation, serait l’une des raisons importantes du faible recours
aux pédagogies coopératives.
Choix institutionnels
Démarche Degrés
organisationnels
Méthode
Contraintes spatio-temporelles
Impératifs humains
Modalités d’évaluation
Objectifs opérationnels
Intentions
Objectifs généraux pédagogiques
Finalités
« Cette technique ne se généralise que très lentement, d’une part à cause du manque de
préparation des enseignants à de telles pratiques (on les initie surtout au contenu des
belles leçons, comme si tout le reste s’apprenait tout seul), d’autre part à cause du manque
d’outils adaptés 2. »
Nous sommes donc ici face à une conception émancipatrice de l’outil voulant
inciter les apprenants à se détacher de la guidance des enseignants pour entrer
dans des stratégies d’apprentissages autonomes. C’est pour cela qu’il tend à se
situer comme trait d’union entre les deux principales voies que l’on utilise pour
apprendre : la voie didactique qui s’appuie sur une présentation organisée du
savoir à acquérir et la voie heuristique qui consiste à acquérir par soi-même l’objet
de ses apprentissages.
79
L’organisation matérielle de la classe
APPRENTISSAGE
Individuellesou collectives
Outil
Interventions orales,
gestuelles…
ITINÉRAIRES ITINÉRAIRES
PERSONNELS LA VOIE DIDACTIQUE PERSONNELS
LA VOIE HEURISTIQUE
80
Des outils au service de l’émancipation éducative
81
L’organisation matérielle de la classe
82
Des outils au service de l’émancipation éducative
« Nous parlons, pour notre pédagogie, de techniques Freinet, et non de méthode Freinet.
La méthode, c’est un ensemble définitivement monté par son initiateur, qu’il faut prendre
tel qu’il est, l’auteur seul ayant autorité pour en modifier les données. […] Nous n’avons
jamais eu la prétention de fixer un tel cadre, au contraire. Nous offrons aux éducateurs
en difficulté dans leurs classes, des outils et des techniques longuement expérimentés qui
sont susceptibles de leur faciliter le travail pédagogique. Nous leur disons : voilà ce que
nous faisons avec ces outils, selon ces techniques, voilà ce que nous obtenons, voilà ce qui
ne va pas encore, voici ce qui nous enchante. Peut-être ferez-vous mieux, auquel cas nous
serons heureux de bénéficier à notre tour de votre expérience 4. »
Il concluait quelques lignes plus loin en disant que « l’école moderne n’est ni
une chapelle, ni un club plus ou moins fermé, mais un chantier d’où il sortira ce
que tous ensemble nous y construirons ».
83
L’organisation matérielle de la classe
d’être des boîtes aux lettres. Il s’agit de deux boîtes, l’une où les enfants déposent
leurs documents à corriger et l’autre où une responsabilité « facteur de la classe »
par exemple consiste à récupérer et distribuer les documents visés. Ainsi, pour
l’enseignant, il n’est plus nécessaire d’attendre la fin de journée pour corriger,
beaucoup de petits temps morts dans l’emploi du temps peuvent être occupés à
cette tâche. Entre le temps où un enfant quitte le bureau et celui où un autre
arrive, pendant que le président du jour énonce les maîtres-mots d’un temps de
parole, lorsque tous les enfants sont en activités et n’ont pas nécessairement
besoin de l’intervention d’un adulte, au cours des récréations où le service n’est
pas à assurer, etc., juxtaposées, ces micropériodes correspondent à un temps
conséquent qui n’a pas été perdu puisqu’employé à participer à la circulation de
l’information dans la classe. L’utilisation de ces
boîtes aux lettres n’interdit pas, et même favorise, le
travail par entretien où l’on demande à un enfant de
venir assister à la correction afin qu’un travail d’éva-
luation éducative puisse s’engager. Ces situations,
parce que permettant la rencontre entre une question
et sa réponse, représentent incontestablement des
Deux boîtes aux lettres occasions pédagogiques à saisir pour l’enseignant.
Le passeport de classe
Le deuxième outil simplifiant la mise en place du plan de travail est ce que
nous nommons le passeport (certains se servent d’un cahier ou réservent à cet
effet la partie d’un tableau). En début d’année, chaque enfant en reçoit un, il y
inscrit son nom et son prénom. Lorsque son travail ou ses préoccupations sco-
laires nécessitent l’intervention d’un membre de la classe (l’enseignant, mais aussi
le chargé des fiches, celui qui fournit des explications sur les ordinateurs,
quelqu’un en mesure d’expliquer la reconnaissance du verbe, etc.) et que celui-ci
est déjà occupé par un autre enfant ou une autre tâche, il dépose à ses côtés son
passeport et attend d’être appelé. Pendant ce temps, il peut tenter de résoudre
ses difficultés par lui-même ou s’engager dans un autre travail ; en tout cas, il ne
perd pas son temps à ne rien faire et sait qu’il pourra compter sur une aide
certaine. Les travaux de J.-Y. Rochex 5 sur l’enseignement en zone d’éducation
prioritaire ont pu montrer qu’un des facteurs de réussite scolaire était le temps
d’exposition des élèves aux apprentissages, c’est-à-dire le temps passé à dévelop-
per de l’activité intellectuelle, qui peut varier de un à six entre différentes classes.
Autant dire que plus un enfant est en situation d’activité et de travail, plus il
apprend. A contrario, hormis les temps de pause nécessaires, plus un enfant
5. ROCHEX J.-Y., « Les ZEP: vingt ans de politiques et de recherches », Revue française de péda-
gogie, juillet-septembre 2002, no 140, p. 5-88.
84
Des outils au service de l’émancipation éducative
Passeport de classe
Nom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom . . . . . . . . . . . .
J’ai besoin d’aide.
J’ai essayé de résoudre mon problème seul.
J’ai demandé de l’aide à un camarade de classe.
Personne ne peut m’aider.
Signature :
6. http://bdemauge.free.fr/tetraaide.pdf
85
L’organisation matérielle de la classe
CODE COULEURS
CODE VERT
VERT Je parle
normalement
CODE BLANC
BLANC Je demande la parole
au président
Ces outils, à l’image de la plupart de ceux présents au sein d’une classe coopé-
rative, fonctionnent bien selon les principes institutionnels : ils constituent de
véritables relais dans les relations, des tiers médiateurs symboliques en mesure
de permettre les actions sans qu’elles risquent d’être perverties par des phéno-
mènes inconscients de projections. Lorsqu’en tant qu’enseignant, j’insiste pour
qu’un enfant parle moins fort parce qu’on est en code orange, il entend que la
classe a besoin de calme pour fonctionner et pas que je nie sa parole. Lorsque je
l’incite à utiliser son passeport parce que je ne suis pas disponible, il entend qu’il
pourra compter sur mon aide plus tard et pas que je refuse de travailler avec lui.
Lorsque je lui demande de déposer son travail dans la boîte aux lettres, il entend
qu’il disposera d’un avis sur son travail et pas qu’il ne mérite pas d’attention. De
86
Des outils au service de l’émancipation éducative
plus, si le fait de devoir déposer un passeport pour obtenir une réponse suscite
de la frustration, celle-ci a peu de chance de s’exprimer en direction de l’ensei-
gnant, elle prendra plutôt pour objet l’outil passeport. C’est par l’intermédiaire
d’une autre institution, instituante celle-ci, à savoir le conseil, qu’une recherche
d’aménagement pourrait aboutir sur diverses adaptations, correspondant davan-
tage au fonctionnement du groupe.
87
Troisième partie
La coopération
du point de vue
de l’enseignement
89
La coopération du point de vue de l’enseignement
90
La coopération du point de vue de l’enseignement
91
La coopération du point de vue de l’enseignement
→ Organiser son travail Lien entre ce qui est acquis et ce qui reste à travailler
Choix des activités à réaliser
Planification des activités
Choix des outils ou des partenaires à solliciter
Bilan des activités effectuées
Finalisation de ses projets
Gestion du matériel et rangement des outils
92
1
Plans de travail et personnalisation
des apprentissages
« Donnez un bonbon à un enfant. Il sera satisfait, certes, mais n’en regardera pas
moins avec envie le restant de la boîte. Présentez-lui la boîte pour qu’il choisisse.
Il sera beaucoup plus satisfait, même si son choix n’est pas avantageux. »
Célestin FREINET 1
Les classes sont hétérogènes de fait, quelles que soient les organisations
basées sur une quête de l’homogénéité des élèves. En même temps, les pratiques
enseignantes telles qu’elles sont majoritairement menées dans les écoles fran-
çaises s’appuient sur une conduite collective des activités. L’école a toujours fonc-
tionné selon ce modèle et, somme toute, elle peut se rassurer d’apporter à près
de la moitié des élèves les outils pour constituer une élite reconnue internationa-
lement.
« Un des meilleurs systèmes du monde… pour 50 % des élèves. […] Ces élèves atteignent
un niveau de performances très élevé, supérieur à la moyenne de tous les autres pays et
comparable avec les meilleurs élèves des pays les plus performants 2. »
« 89 % des jeunes dont le père est cadre sont bacheliers contre 48 % des jeunes de père
ouvrier 3. »
1. « Les invariants pédagogiques », in Œuvres complètes, tome 2, Le Seuil, Paris, 1954, p. 394.
2. FORESTIER Ch., THÉLOT C., Que vaut l’enseignement en France?, Stock, Paris, 2007, p. 43.
3. L’État de l’école, no 17, ministère de l’Éducation nationale, Direction de l’évaluation et de la
prospective, octobre 2007, p. 33.
93
La coopération du point de vue de l’enseignement
garantir une ascension sociale pour tous, les acteurs de l’Éducation nationale se
doivent de modifier une part du système éducatif afin qu’il devienne plus juste.
La prise en compte du caractère hétérogène des groupes et la volonté de différen-
cier la pédagogie peuvent donc être considérées comme des enjeux forts d’une
éventuelle réforme de notre système éducatif. C’est d’ailleurs ce qu’expliquait
Freinet en son temps.
94
Plans de travail et personnalisation des apprentissages
95
La coopération du point de vue de l’enseignement
Carte conceptuelle
Différenciation
Individualisation Personnalisation
Travail
Travail Travail en
individuel en interactions/
autonomie interrelations
Les formes de différenciations qui se manifestent par les plans de travail appar-
tiennent plutôt au champ de la personnalisation, si les temps de plan de travail
s’inscrivent dans une organisation coopérative (aide, entraide, tutorat).
« Nous cherchions un système de travail qui nous permettrait de nous occuper librement,
comme nous voulons, et avec le plus de profit possible pour la communauté et pour les
élèves. Nous croyons l’avoir trouvé. Papa a tapé à la machine des plans de travail où
sont inscrits : grammaire, calcul, algèbre, géométrie, histoire, géographie, physique et
chimie, histoire naturelle, avec une place pour les conférences et le travail manuel. Pour
chaque matière, il y a trois cases et des petits carreaux pour les fiches. Chaque lundi, nous
établissons librement notre plan de travail pour la semaine, en inscrivant dans chaque
case ce que nous voulons étudier et les fiches que nous désirons faire. Mais une difficulté
se présentait : comment savoir exactement, au bout d’un certain temps, ce qui a été fait
et ce qui reste à faire. Nous avons alors fait un tableau pour chaque matière : en
géographie, les régions de la France, les pays étrangers, les questions générales, etc. – en
5. Lire à ce sujet GILLIG J.-M., Les pédagogies différenciées, De Boeck Université, Bruxelles, 1999,
p. 16.
96
Plans de travail et personnalisation des apprentissages
histoire naturelle : les différents groupes d’animaux, de plantes et les parties du corps de
l’homme et ainsi pour chaque matière. Chaque semaine nous choisissons sur ces plans
généraux les sujets qui nous intéressent et que nous inscrivons sur notre plan de travail
de la semaine. Lorsque la question est étudiée, nous la barrons en rouge sur le tableau
pour qu’on ne traite pas deux fois le même sujet 6. »
Le plan de travail utilisé à l’école de Vence par Freinet avait la forme reproduite
ci-contre. Les élèves y notaient dans la partie supérieure les activités à réaliser au
cours de la semaine, puis le vendredi grisaient ce qui avait été effectué. Cela
permettait de dresser un double bilan : à partir de ce qui restait à terminer (et
qui faisait généralement l’objet d’un report sur le plan de travail suivant) et en
fonction de la forme que prenait le graphique présent en bas du plan de travail.
Ce bilan était conjointement fait par l’élève et le maître. Le plan de travail était
enfin envoyé dans les familles de manière que les parents puissent le signer.
Le plan de travail peut donc être entendu comme un document spécifique à
chaque élève, sur lequel il planifie ses activités à partir de ce qu’il souhaite et
peut réaliser, et de ce qu’il a à acquérir et maîtriser au terme de son cycle. Il note
la réalisation des travaux, il évalue l’ensemble en fin de période de validité du
plan afin d’élaborer le plan de travail à venir. L’enseignant valide la projection, suit,
accompagne et oriente la réalisation, participe à l’évaluation globale du travail.
« Si l’enseignant est sans cesse sollicité sur des problèmes très différents, il se sentira très
vite dépassé et aura la tentation de revenir au cours magistral, plus facile à gérer 7. »
6. BARRÉ M., Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps, tome 2, Édition PEMF, 1995, p. 4.
7. BARRÉ M., L’aventure documentaire, Éditions ICEM, Nantes, 2002, p. 20.
97
La coopération du point de vue de l’enseignement
98
Plans de travail et personnalisation des apprentissages
99
La coopération du point de vue de l’enseignement
Plan de travail 1
Après avoir noté les dates de validité ainsi que son nom et son prénom, l’élève
remplit ce plan de travail (1) en notant la liste des activités qu’il souhaite réaliser
ou qu’il effectue au fil de la semaine. Pour chacune d’elles, il valide la fin du
travail et demande la même vérification par l’enseignant. En fin de semaine, il fait
le total de ce qu’il s’est validé et celui coché par l’enseignant. Cela fournit
quelques indications pour renseigner la partie bilan.
La principale évolution du plan de travail 2 (voir page suivante) concerne la
liste des activités. Même si elle laisse place aux projets personnels des élèves, elle
regroupe en même temps ce que demande l’enseignant à travers les exigences
de l’école. À noter que cette liste est indicative et qu’elle gagne à être modifiée
pour chaque nouveau plan de travail.
100
Plans de travail et personnalisation des apprentissages
Plan de travail 2
101
La coopération du point de vue de l’enseignement
Plan de travail 3
Le plan de travail est donc cet outil où chaque enfant prévoit ce qu’il a l’inten-
tion de faire. Plus tard, on compare ce qui a été réalisé ou même dépassé et ce
qui ne l’a pas été, parfois par évitement de travaux estimés fastidieux (grammaire,
calcul). Cela demande évidemment à cet enfant une certaine maturité pour antici-
per et gérer l’utilisation de son temps, mais cela lui apprend aussi à faire des
projets, personnels ou collectifs, et à les réaliser. Tout cela gagne à se faire sans
rigidité, sinon cela ressemblerait à la fiche de travail distribuée aux ouvriers à
l’entrée de leur atelier pour définir leur journée ou leur semaine de labeur.
102
Plans de travail et personnalisation des apprentissages
Avec des enfants plus jeunes ou trop marqués par un échec scolaire prolongé,
on ne peut évidemment pas prétendre à un plan de travail préalable qui découra-
gerait par avance. En revanche, il est très important d’aider chacun à se rendre
compte des activités qu’il a réalisées, pour valoriser des faits positifs et faire
prendre conscience des progrès qui resteraient à faire dans certains domaines.
Tout cela sans souci obsessionnel d’évaluation, simplement pour mesurer les pas
déjà accomplis et donner envie d’en franchir de nouveaux, même quand ils étaient
perçus auparavant comme inaccessibles. Sans donner au mot bilan un caractère
comptable, il est nécessaire pour chacun de se rendre compte de ce qu’il a réelle-
ment fait ou découvert au cours de la journée. Ce n’est qu’après avoir noté a
posteriori ses découvertes et ses réalisations qu’on devient un jour capable de
prévoir ce que l’on souhaite faire ensuite.
Pour entrer dans la complexité des pratiques, voici deux nouveaux plans de tra-
vail, utilisés dans une classe unique de l’école coopérative Antoine Balard de Mont-
pellier. Le premier s’adresse principalement aux enfants non lecteurs, d’où l’usage
de pictogrammes. Le second est à destination des élèves plus grands, articulant leur
travail autour des outils de la démarche PIDAPI. Pour mieux vivre ces présentations,
nous demanderons l’aide de deux enfants, Amel en CP et Adil en CM1.
103
La coopération du point de vue de l’enseignement
104
Plans de travail et personnalisation des apprentissages
9. COLLOT B., Une école du 3e type ou la pédagogie de la mouche, L’Harmattan, Paris, 2002.
105
La coopération du point de vue de l’enseignement
L M J V S
CM 1 Semaine
du 26 février au 2 mars 2007
Atelier lire
– un livre
Métier de la semaine :. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
– un documentaire, une BTJ
– une fiche (ou plusieurs)
– le texte d’un camarade
MATIÈRES EXERCICES
– lire ou dire une poésie
Atelier écrire exercice 2 page 69
– un texte exercice A page 71
– recopier un texte à l’ordinateur MATHÉMATIQUES
exercice B page 73
– une dictée exercice C page 73
– un exposé Texte n° 14
– recopier une poésie
au passé composé
– cahier d’orthographe
TRANSPOSER avec Vincent
– une fiche d’orthographe
(ou plusieurs) FRANÇAIS
TRAVAIL recherche ce que
– une fiche conjugaison SUR désignent les
(ou plusieurs) LE TEXTE mots soulignés
Atelier maths
EXERCICES fiche
– un problème
– une fiche (ou plusieurs) colorie sur la fiche tout
TEXTE 14
ce qui change
– aider un camarade
– cahier d’opérations
– un test BILAN DU PLAN
– cahier-tables : addit., soustr., en progrès + Ce que Ce que
mult., div., fract. en baisse – j’en le maître
Un brevet stationnaire X pense en pense
Atelier sciences
Soin du travail
Atelier géométrie, mesure (présentation, écriture,
Atelier arts plastiques rangement…)
Atelier son et musique Qualité du travail
Atelier BT sonores (relu, peu d’erreur,
Coin écoute corrigé correctement…)
Métier Autonomie
(je travaille seul,
Observations : je suis responsable…)
Difficultés
Signature des parents (notions à retravailler,
comportement)
Alors que le plan de travail de gauche propose une liste d’activités et invite à
développer de l’expérience sans souci précis de réalisations, celui de droite se
veut plus didactique avec un degré de guidance de l’enseignant plus important et
une référence explicite à des manuels scolaires. Il serait bien inopportun de dres-
ser un ordre entre ces deux outils tant il est flagrant qu’ils sont tous deux, à égale
mesure, des supports à l’activité scolaire dans un environnement précis et selon
des orientations pédagogiques cohérentes avec les représentations de l’ensei-
gnant. Leurs différences sont des richesses.
106
Plans de travail et personnalisation des apprentissages
Ce plan de travail sert donc de mémoire plus que d’outil de cadrage. Il consti-
tue une sorte de sas entre le caractère vivant et dynamique de la classe, et les
plans de travail individuels. Ce qui y est noté correspond essentiellement à ce que
107
La coopération du point de vue de l’enseignement
les enfants proposent de réaliser, les tâches proprement scolaires faisant l’objet
d’un certain nombre d’injonctions dans les plans de travail individuels. Une fois
terminés, les projets sont effacés.
Visible et accessible par tous, ce plan de travail permet à chacun de savoir ce
qu’il a à faire mais aussi assure une conservation nécessaire des informations,
des projets à conduire à court ou moyen terme. Il arrive en effet fréquemment
que, dans le feu de l’action, des enfants souhaitent ardemment réaliser un projet
qui, avec le temps, s’estompe pour au final s’oublier. Les éléments notés sur le
plan de travail mural ne peuvent être abandonnés et constituent les activités prio-
ritaires à terminer. Chacun sait aussi ce que les autres ont à faire et il n’est pas
rare qu’un enfant participe au projet d’un autre enfant ou lui vienne en aide pour
terminer son projet, ce qui est rarement possible avec le seul plan de travail
individuel. Son suivi consiste en un rappel quotidien, ce qui permet une bonne
visualisation de ce que chacun a prévu de faire, fait effectivement, a fait ou a à
faire. En fin de semaine, les activités du plan de travail mural qui n’ont pas encore
été terminées entrent dans les plans de travail individuels, dans la partie des
projets personnels.
Nous l’avons vu, le plan de travail se veut un outil au service de valeurs éduca-
tives et traduit un projet pédagogique fort. Il est en même temps un support sur
lequel l’enseignant peut s’appuyer pour faire du caractère hétérogène de son
groupe d’élèves un facteur enrichissant la classe et améliorant les apprentissages.
Comme pour la plupart des outils, il s’agit de dispositifs qui nécessitent un temps
d’adaptation pour les enfants, quitte à y consacrer une partie du début d’année,
mais aussi pour l’enseignant à qui il faudra sûrement plusieurs expériences pour
aboutir à un mode de fonctionnement qui lui convient. Il est même fort à parier,
et à espérer, que la stabilité pédagogique ne sera jamais établie…
108
2
Au-delà de la sélection :
l’évaluation en classe coopérative
« Les notes et classements sont toujours une erreur. C’est là, manifestement, la
plus fausse des mathématiques, la plus inhumaine des statistiques. Nous y pal-
lions en donnant aux enfants le goût et le besoin de travail ; en créant une saine
émulation par la compétition coopérative et sociale ; en mettant au point un
système de graphiques et de brevets qui remplaceront un jour prochain l’usage
abusif des notes et des classements. »
Célestin FREINET 1
« J’ai eu toujours des bonnes notes mais depuis le début de l’année, elles
baissent. Je fais de mon mieux, mais j’ai au maximum 12 sur 20. Qu’est-ce que je
dois faire pour faire comprendre à mes parents que je fais ce que je peux et qu’ils
arrêtent de me gronder ? » (Benoît, 12 ans) « Quand les notes tombent, explique
Odile Amblard, rédactrice en chef adjointe d’Okapi, c’est comme si leur personne se
rétrécissait et n’était plus vue qu’à travers ces chiffres rouges ou noirs écrits sur une
copie. Et qui prennent souvent des proportions dramatiques 2. » « As-tu eu des notes
aujourd’hui ? » Cette petite phrase rituelle du parent, qui a un impact important sur
ses relations avec ses enfants, son conjoint, a ce pouvoir insensé d’assombrir ou
d’ensoleiller les soirées familiales. Moins les parents ont de temps à consacrer aux
relations avec leurs enfants, plus se renforce l’importance donnée aux signes visibles
que sont ces résultats chiffrés. Du coup, les notes risquent de donner l’illusion de
bien suivre les « affaires » de l’enfant, alors qu’on n’en suivrait que les apparences.
Les enseignants sont en permanence confrontés à la problématique de l’évalua-
tion. Pour ceux qui s’appuient sur les pédagogies coopératives, l’approche est parti-
culière. L’évaluation est entendue comme le produit d’une action ponctuelle visant
à mesurer les évolutions de performances des élèves à différents moments de leur
1. « Les invariants pédagogiques », in Œuvres complètes, tome 2, Le Seuil, Paris, 1954, p. 383,
invariant 19.
2. LEGRAND C., « Il n’y a pas que les notes qui comptent », La Croix, 2 juin 2004.
109
La coopération du point de vue de l’enseignement
vie scolaire à partir des critères fixés par les programmes de la nation. Elle a du
sens pour différents acteurs : pour les enfants, afin qu’ils puissent estimer la nature
de leur progression et éventuellement prendre conscience des domaines sur les-
quels une attention particulière devra être fournie pour grandir. Pour les familles,
afin qu’elles puissent tisser un suivi avec leur enfant entre ce qui se passe à la
maison et ce qui se construit à l’école, entre ce qui se joue dans l’immédiat et ce
qui fait l’objet d’une projection pour l’avenir. Pour l’enseignant, de manière qu’il
puisse ajuster la structure de la classe aux caractéristiques des élèves, voire qu’il
puisse proposer des supports d’apprentissages plus féconds que ceux précédem-
ment employés.
Une des premières caractéristiques d’un dispositif d’évaluation de la classe coo-
pérative est la caducité des notes. Même si elles peuvent garder tout leur intérêt
dans d’autres contextes éducatifs, elles visent à créer un climat relationnel plus
enclin à de la compétition qu’à de la coopération. De plus elles ne produisent qu’une
vision très globale des domaines de maîtrise de l’élève, nécessitent un temps consé-
quent dans l’activité de l’enseignant et ne permettent que très difficilement d’envisa-
ger directement des stratégies de dépassement des obstacles rencontrés. Le
système docimologique soulève des interrogations quant à la rationalité et l’objecti-
vité de son emploi. Plusieurs phénomènes perturbateurs ont été identifiés 3 :
– l’effet de stéréotypie : il consiste à évaluer dans le même sens différentes
caractéristiques d’une production ou d’un individu. Par exemple, un élève
bon en français est considéré de même dans toutes les autres disciplines ;
– l’effet de halo : le correcteur se laisse impressionner par un aspect précis
du support d’évaluation, par exemple une belle écriture, le caractère
agréable de l’élève… ;
– l’effet d’ordre de correction : il correspond à une fluctuation de la notation
en fonction des copies passées – la lassitude liée aux corrections succes-
sives a un impact sur la note finale ;
– l’effet de tendance centrale : spontanément, sans barème précis, l’évalua-
teur a une tendance générale centrale qui lui fait attribuer les notes autour
d’un intervalle établi ;
– l’effet de contamination : il consiste à être influencé par les résultats anté-
rieurs de l’élève. Cet effet est une sorte de corollaire de l’effet Pygmalion.
André Antibi 4 démontre comment les enseignants s’obligent, de manière
inconsciente, même s’ils n’ont que d’excellents élèves, à mettre une certaine pro-
portion de mauvaises notes pour être dans les normes. C’est cette proportion qu’il
nomme la constante macabre. Il propose de remplacer les notes par un système
d’évaluation par contrat.
110
Au-delà de la sélection : l’évaluation en classe coopérative
Ceintures d’écrivain
Dans une grille de ceintures, surtout pour celles qui correspondent à des
tâches complexes (lecture, résolution de problèmes, oral…), les items proposés
ne désignent pas des compétences mais plutôt ce que l’on pourrait appeler des
« indicateurs ». Lorsqu’un enfant obtient une ceinture, son niveau de maîtrise
111
La coopération du point de vue de l’enseignement
112
Au-delà de la sélection : l’évaluation en classe coopérative
113
La coopération du point de vue de l’enseignement
dans la classe modifié : il devient expert pour les compétences de la ceinture qu’il
vient d’obtenir. Lorsqu’il change de classe, il n’est plus nécessaire d’évaluer à nou-
veau ce qui a été acquis. Il suffit juste de permettre une reprise des travaux là où
ils se sont arrêtés en fin d’année précédente.
De manière concrète, un tableau « Je grandis » est affiché dans la classe. Il
regroupe l’ensemble des ceintures obtenues par les enfants. Chacun dispose de
toutes les grilles de ceintures sur lesquelles se trouvent les compétences corres-
pondant à chaque couleur, et la possibilité pour l’enseignant de signifier la réus-
site d’une ceinture et la maîtrise des diverses compétences lors des phases
d’entraînement. Pendant les moments collectifs, la priorité de parole est toujours
donnée aux « plus petits », c’est-à-dire les enfants qui ont les ceintures les plus
claires (rose, blanche puis jaune). Pour que des enfants reconnus comme experts
puissent être en mesure d’apporter une aide efficace, ils doivent pouvoir respecter
un certain nombre de règles métacognitives : « Pour aider, on ne donne pas la
solution, on ne se moque pas, on encourage et on fournit plein d’idées et
d’exemples. » Ces acquisitions font nécessairement l’objet d’un travail spécifique
conduit par l’enseignant en début d’année scolaire.
Je grandis…
Tableau des ceintures
Comportement
Informaticien
Orthographe
Conjugaison
Vocabulaire
Numération
Géographie
Philosophe
Grammaire
Géométrie
Sciences
Écrivain
Histoire
Écriture
Orateur
Mesure
Lecteur
Calcul
Sport
Marie Bleu Vert Jau Oran Oran Bleu Oran Oran Oran Jau Bleu Oran Oran Vert Vert Bleu Oran Jau Vert
Samir Oran Jau Jau Jau Bleu Oran Oran Vert Jau Oran Oran Jau Oran Oran Oran Vert Jau Oran Oran
Jérémy Marr Jau Jau Oran Bleu Oran Oran Bleu Jau Vert Oran Jau Vert Oran Oran Jau Jau Oran Vert
Myriam Jau Oran Vert Vert Oran Oran Oran Vert Jau Oran Oran Vert Oran Jau Vert Jau Oran Jau Jau
114
Au-delà de la sélection : l’évaluation en classe coopérative
6. MARCHIVE A., « Effets de contrat et soumission à l’autorité », in TALBOT L., Pratiques d’ensei-
gnement et difficultés d’apprentissage, Érès, Ramonville-Saint-Agne, 2005, p. 180-192.
7. BROUSSEAU G., Théorie des situations didactiques, La Pensée sauvage, Grenoble, 1998.
8. LE BOHEC P., Le texte libre mathématique, Éditions Odilon, collection P4, Nailly, 1997.
115
La coopération du point de vue de l’enseignement
Le produit de ces évaluations peut être utilisé comme indicateur dans les cein-
tures qui correspondent à des domaines complexes (la ceinture d’écrivain par
exemple). Pour celles-ci, lorsqu’un enfant estime avoir grandi ou s’être suffisam-
ment entraîné, il n’est pas conduit à passer de nouvelles épreuves (à la différence
d’une ceinture telle que celle de calcul). Il fait la proposition de changer de cein-
ture lors d’un conseil de coopérative et, au regard des critères proposés, l’ensei-
gnant valide l’obtention ou indique la nature des engagements à produire.
Tout cela ne veut pas dire que ces ceintures sont au centre de toute l’activité
de l’enfant. Même si elles défendent les vertus que l’on a pu découvrir précédem-
ment, il n’empêche que de nombreux temps scolaires n’en dépendent nullement.
C’est généralement le cas pour toutes les actions de communication telles que la
rédaction du journal scolaire, les défis mathématiques, les écrits aux correspon-
dants dont les visées premières sont essentiellement celles de se rencontrer, de
se faire comprendre et d’entretenir un partage débouchant sur un enrichissement
mutuel.
Certains parents d’élèves peuvent être dérangés par une telle perte de repères,
surtout en début d’année. La note chiffrée occupe une place importante dans
l’imaginaire social. Beaucoup de parents y restent très attachés. Ils se demandent
comment ils vont pouvoir suivre le travail de leur enfant avec un système d’évalua-
tion qui ne propose pas de note. Plutôt que d’organiser de longues réunions et
d’y employer tout le jargon docimologique que peu maîtrisent, il semble préférable
d’inviter ceux qui en font la demande à observer dans les classes comment se
traduisent les réussites et comment les difficultés sont identifiées. Assez rapide-
ment, surtout par l’intermédiaire de leur enfant, les parents découvrent la grille
116
Au-delà de la sélection : l’évaluation en classe coopérative
des couleurs et isolent facilement les domaines pour lesquels un travail reste à
effectuer. De plus, à la fin de chaque semaine, le bilan du « plan de travail », et
avant chaque période de vacances, le « bilan de période », sont adressés aux
familles afin qu’elles puissent en prendre connaissance et donner leur avis de
parent. Elles y découvrent la nature du travail réalisé, son efficience et éventuelle-
ment, celui pour lequel il faudrait s’engager autrement.
Lorsque les enfants entrent au collège, ils y rencontrent une autre manière
d’être évalués, le plus souvent par l’intermédiaire de la note. Nous avons pu
observer de manière empirique qu’ils manifestent très peu de difficultés dans ce
changement. D’abord parce que de nombreux anciens élèves reviennent dans les
classes pour témoigner de ce qui « change » et sont amenés à expliquer le sys-
tème des contrôles, notes et moyennes. Ensuite parce qu’en fin de CM2, les
enfants rencontrent quelques devoirs notés de manière qu’ils puissent disposer
d’une petite expérience en la matière. Enfin et surtout parce qu’ils passent du
contexte complexe qu’est la classe coopérative à un autre plus élémentaire guidé
par une corrélation quasi mécanique entre un comportement demandé et une
production quantifiée. Généralement, les enfants qui quittent l’école élémentaire
en étant « bleus » dans la plupart des ceintures deviennent de bons, voire de très
bons élèves au collège. Les autres enfants sont le plus souvent confrontés à des
difficultés particulières et nous n’arrivons pas plus que d’autres à les dépasser
dans leur globalité. Il nous semble toutefois que l’absence de notations a plutôt
contribué à entretenir chez eux une capacité à croire en leurs chances de réussir et
à ne pas entrer dans ce que Martin Seligman appelait « l’impuissance apprise 9 ».
9. « L’impuissance apprise désigne l’impossibilité d’agir dans une situation posant un problème,
même pour émettre un comportement simple qui pourrait résoudre ce problème. L’individu,
persuadé qu’il n’a aucun moyen d’agir sur la situation, refuse d’émettre quelque comportement
que ce soit », in DUBOIS N., La psychologie du contrôle, les croyances internes et externes, PUG,
Grenoble, 1987, p. 20.
10. Parcours individualisé et différencié des apprentissages en pédagogie institutionnelle.
117
La coopération du point de vue de l’enseignement
façon innée, les enfants ont toutes les facilités pour se rencontrer, échanger et
profiter les uns des autres, les écoles constituent souvent des espaces où
s’apprend l’esprit de compétition et où se développe la culture des meilleurs. La
vie est habituellement source d’injustice, elle se charge de manière complètement
inéquitable d’exacerber les différences et de ne pas faire du bonheur la chose la
mieux partagée entre les hommes. En même temps, l’école demeure la première
institution de sélection sociale, conduisant les plus forts à le devenir encore plus
et alourdissant le fardeau des enfants les plus en difficulté.
Les outils de la démarche PIDAPI se veulent avant tout des supports d’appren-
tissage pour les classes de cycle III, de préférence à fonctionnements coopératifs.
Ils sont composés de fichiers d’entraînements autocorrectifs ainsi que d’une batte-
rie de supports d’évaluation éducative. Les items en mathématiques et en français
sont regroupés selon huit ceintures, proposant chacune des déclinaisons de la
couleur jaune à la couleur marron. La démarche PIDAPI reprend l’idée de F. Oury
sur les ceintures et l’enrichit d’un matériel sous forme de fichiers d’entraînement
et d’évaluation. C’est ainsi que, au cours des divers moments de temps de travail
personnel, des enfants orange en conjugaison s’entraînent aux items de la cein-
ture verte, période d’entraînement qui s’achève par une demande de passation
de ceinture auprès de l’enseignant.
Le matériel PIDAPI se compose donc :
• d’une boite à outils par élève regroupant, en plus de l’ensemble des docu-
ments qu’il s’est construits ou qui servent à naviguer de manière autonome
dans la classe, l’ensemble des grilles de ceintures. Chaque fois qu’un item a
été identifié comme maîtrisée, elle est cochée dans le portfolio, ce qui
permet de distinguer ce qui est acquis de ce qui reste à acquérir ;
• d’un fichier de préceintures permettant en début d’année un étalonnage des
items réussis par chaque enfant. Ce fichier se veut un support pour des
évaluations diagnostiques, distinguant ce qui n’a pas besoin d’être travaillé
puisque déjà su, de ce qu’il reste à mobiliser en vue de l’obtention d’une
nouvelle ceinture. Cette précaution pédagogique donne tout son sens aux
apprentissages hors entraînement aux ceintures ;
• de fichiers de ceintures constituant des supports d’évaluation sommative en
cas de réussite (les enfants ne s’entraînant alors qu’aux items suivants) ou
des supports d’évaluation formative en cas d’erreurs. C’est d’ailleurs pour
cela que chaque épreuve de ceinture est proposée en trois folios, afin que
les réussites ne correspondent pas à la connaissance des exercices à effec-
tuer. Juste après la réussite d’une ceinture, la préceinture suivante est pro-
posée ;
• d’un tableau de ceintures « Je grandis » regroupant l’ensemble des couleurs
de ceintures acquises par les enfants. Affiché dans la classe, il permet à
118
Au-delà de la sélection : l’évaluation en classe coopérative
Ceintures de grammaire
Orange
• 3.12 Identifier les groupes nominaux ∂.
2e dan
119
La coopération du point de vue de l’enseignement
En effet, l’un des dangers des fiches d’entraînement est d’en faire des supports
scolastiques, décontextualisés et purement impositifs. À défaut de pouvoir ajuster
chaque situation d’entraînement aux projets menés par les enfants, nous avons
pris le parti de les adapter à ce que savent déjà les enfants qui les abordent.
C’est pour cela que chaque fiche débute par une partie « Qu’est-ce que je sais
faire ? », invitant l’utilisateur à s’engager dans l’activité et à manifester ce qu’il a
déjà appris. En fonction de ses réussites et à partir d’une autocorrection en verso
de la fiche, il est alors orienté vers la partie « Entraînements », seulement pour les
items qui ont posé problème. Pour cela, il dispose d’un encart nommé « Conseil-
exemples » dans lequel il pourra trouver, si ce n’est déjà fait au sein de la structure
coopérative de la classe, divers guides lui permettant d’avancer. Tous ces exercices
sont à réaliser sur cahier, rien n’est à noter directement sur les fiches, ce qui évite
des photocopies à répétition. Au terme des entraînements, chaque fiche propose
120
Au-delà de la sélection : l’évaluation en classe coopérative
un « test » qui vise à mesurer l’efficience des compréhensions. Ce test n’est pas
autocorrectif, il fait l’objet d’un regard par l’enseignant qui estime ensuite, souvent
en présence de l’enfant, s’il est nécessaire de poursuivre l’entraînement pour cet
item ou s’il est possible de passer à un autre.
121
La coopération du point de vue de l’enseignement
122
Au-delà de la sélection : l’évaluation en classe coopérative
Comme tout outil en éducation, ceux de la démarche PIDAPI invitent les ensei-
gnants à penser leur introduction de manière que des précautions humaines
prennent le pas sur un usage mécanique.
C’est pourquoi, si rien n’est fait pour en estomper les effets, un recours passif
à ces outils peut engendrer plusieurs lourdeurs. D’abord du côté de la gestion du
matériel, très conséquent et donc, nécessitant un rangement et un entretien très
rigoureux. Ensuite, concernant le suivi des acquisitions des enfants qui, si l’on
souhaite qu’il fasse l’objet d’une responsabilisation, implique que l’enseignant en
fasse de même en remplissant au plus près chacune des grilles de ceintures des
enfants. Enfin au sujet du temps passé par les enfants avec ces outils qui n’ont
pas été pensés pour fonctionner sur une seule année, encore moins s’il s’agit
d’un unique CM2. Il est nécessaire de prévoir plus de temps, ne serait-ce que
pour la mise en place et les diverses appropriations. Rien ne dit toutefois qu’il
faille suivre les mêmes enfants sur plusieurs années. Dans diverses écoles, cer-
tains évoluent autour de ces outils en changeant d’enseignant chaque année.
En même temps, la force de la démarche est qu’elle est en mesure d’appréhen-
der la globalité des apprentissages en mathématiques et en français à partir du
CE1. Elle inscrit les enfants dans une logique scolaire responsabilisée, faisant des
journées d’école des occasions de grandir en profitant au maximum de l’espace
de savoirs que constitue la classe. Couplée à d’autres techniques éducatives, elle
contribue à allier l’indispensable besoin d’expression-création appartenant aux
enfants, en même temps que notre souci d’enseignant de leur permettre d’acqué-
rir les éléments de savoirs relatifs aux programmes de l’école. En plus de faciliter
considérablement la gestion de l’hétérogénéité au sein d’un groupe, elle invite à
s’y appuyer pour en faire une richesse pédagogique. Les différences deviennent
des atouts, les manques sont des raisons de coopérer et les réussites des sources
pour s’affirmer et se construire de manière encore plus forte.
Avec des outils comme ceux défendus par le PIDAPI, l’évaluation trouve un
équilibre entre, d’un côté, le nécessaire besoin de mesurer les acquis et de com-
muniquer les progressions et, de l’autre, celui d’apporter aux élèves des raisons
de croire en leurs forces et l’envie de travailler leurs faiblesses. Il ne s’agit plus
de faire mieux que le copain mais plutôt de devenir meilleur que ce que nous
étions il y a quelque temps. Il s’agit en fait de reconnaître pleinement nos erreurs,
non comme des fautes, mais plutôt comme des étapes importantes vers la
réussite.
123
3
Un apprentissage vivant
de la langue française par le texte libre
1. FREINET C., « Le texte libre », Brochures d’Éducation nouvelle populaire, no 25, 1947.
125
La coopération du point de vue de l’enseignement
pour que le maître puisse apporter son aide, voire, pour les plus jeunes, écrire
les textes des enfants sous leur dictée.
Le texte libre permet avant tout de s’exprimer, mais lorsque la communication
est réelle, l’enfant aura l’occasion de s’approprier des savoirs relatifs aux codes
sociaux de la communication écrite. En effet, l’enfant a la liberté de déposer son
texte dans une « boîte à textes libres » (ce qui signifie donc qu’il a aussi la liberté
de ne pas l’y déposer… à l’enseignant de tenter de dégager la signification de ce
geste afin éventuellement de remodeler les motivations à l’écriture). Nous nous
référerons à deux types de textes libres, les premiers correspondant à des écrits
postés dans une boîte, faisant l’objet d’une présentation collective hebdomadaire
afin de choisir le texte qui prendra le statut de texte libre de la semaine. Les
seconds textes sont de l’ordre de l’écriture libre et confidentielle, font appel à des
techniques telles que les phrases du jour, les carnets de vie ou les journaux de
bord 2. Ces textes ne sont diffusés qu’avec l’accord de leur auteur mais peuvent,
tout comme les textes postés, faire l’objet d’un travail individualisé sur la langue.
On n’instaure pas le texte libre. Il vaut mieux d’abord qu’il y ait des choses à
dire, à écrire. Pour cela, ne pas hésiter à multiplier, en classe, les moments qui
donnent envie d’écrire. Être à l’affût, provoquer même, les situations de vie, les
événements, les sorties scolaires qui déboucheront sur du besoin d’écrire.
Ensuite, organiser la classe de telle sorte qu’elle prévoit du temps pour l’élabora-
tion de ces écrits et qu’elle mette à disposition des enfants toutes les aides pour
faciliter leurs projets : papier, cahier, brouillons, traitements de texte, crayons,
stylos, dictionnaires, banques de mots, banques de textes, lanceurs d’écritures,
etc. Au début donc, on ne peut pas raisonner en termes d’exploitation du texte.
L’important est plutôt de pousser à écrire, et non pas d’écrire pour en faire absolu-
ment quelque chose… Dans cette logique, le journal et tous les supports à commu-
nication apparaissent comme d’une importance seconde. Il s’agit de faire en sorte
que les écrits jaillissent. Ensuite, on peut décider ensemble de leur destination…
Chacun, enfant ou adulte, dispose en conséquence d’une multitude de sup-
ports directement produits par les élèves eux-mêmes. Notre postulat initial est
que ce corpus est quasi suffisant pour permettre l’acquisition des principales
compétences scolaires relatives à l’étude de la langue telle que la conçoivent les
programmes de la nation.
Chaque semaine ou tous les 15 jours, un moment réservé au « choix de
textes » est prévu. Au terme de cette séance, un texte de la semaine est choisi,
les autres écrits pouvant faire l’objet d’une communication, soit par l’intermédiaire
du journal, soit à destination des correspondants, soit autrement, en fonction de
la structure de circulation de l’information de la classe.
2. BOVET E., « Le journal de bord, incitation à l’expression écrite », Le Nouvel Éducateur, no 129,
mai 2001, p. 8.
126
Un apprentissage vivant de la langue française par le texte libre
Une règle est alors appliquée : « Si on est libre de tout écrire, on ne peut
publier n’importe quoi, n’importe comment 3. » Des mises au point des textes
devront donc être faites. Elles seront effectuées, soit individuellement avec l’élève-
auteur, soit collectivement. Dans ce dernier cas de figure, l’auteur est toujours
consulté et son accord doit être donné pour que la version finale puisse être
éditée.
Ce choix de textes est lui aussi un moment de parole important dans la classe.
Chacun vient lire son texte, « l’offrant » au groupe… puis aux futurs lecteurs. Un
texte produit par un seul élève va donc devenir l’objet du groupe, par l’intermé-
diaire des activités de toilettage et de chasse aux mots. La séance nécessite la
présence d’un secrétaire, chargé de noter le thème des textes voire quelques
autres éléments : titre, dessin schématisant un personnage ou un élément de
l’histoire, phrase résumant le propos, sur un support visible par tous les élèves
(tableau, affiche). Au terme de chaque présentation, le président demande au
groupe « qui est intéressé par ce texte ? », ce qui permet de déterminer quel est
l’écrit le plus fédérateur, pas nécessairement le meilleur d’ailleurs. Enfin, le prési-
dent demande aux auteurs des autres textes ce qu’ils souhaitent en faire et
indique les orientations sur le plan de travail mural.
Pourtant, certaines questions restent posées : tous les enfants écrivent-ils des
textes libres ? Suffit-il de « laisser parler » pour que tous « prennent la plume » ?
N’oublions pas que l’acte d’écrire nécessite un travail réel de la part des élèves :
l’écriture est liée à la rigueur, à la contrainte, à la précision, au respect d’un code
ordonné… Autant de caractéristiques au goût de contrainte pour un jeune enfant !
Les élèves sont-ils réellement libres face à ce type d’activité ? En d’autres termes,
n’existe-t-il pas certaines contraintes de création inconscientes ? D’autre part, le
maître utilise les textes dans le but d’en faire une exploitation en étude de la
langue. Le texte libre devenant le prétexte de séances d’apprentissage, ne risque-
t-on pas de produire un effet de blocage chez certains enfants qui auraient envie
d’écrire, mais dont le lexique serait peu étendu, ou dont les compétences ortho-
graphiques ou grammaticales seraient réduites ? Les élèves vont-ils réellement
être amenés à produire des types de textes et d’écrits variés ? Peut-on véritable-
ment écrire « à partir de rien », alors qu’écrire revient, en partie, à procéder à une
projection de soi dans l’écrit, dans l’espace de la feuille ?
Voici donc une première série de questions qui se posent dès lors que l’on
introduit la pratique du texte libre dans sa classe. À charge de chaque enseignant
et des expériences qu’il permet d’y apporter des réponses et d’intervenir sur la
structure de la classe pour tenter de faire évoluer les dérives qu’il sera parvenu à
identifier.
3. LAFFITTE R., Une journée en classe coopérative, le désir retrouvé, Matrice, Vigneux, 1985,
p. 146.
127
La coopération du point de vue de l’enseignement
128
Un apprentissage vivant de la langue française par le texte libre
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La coopération du point de vue de l’enseignement
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Un apprentissage vivant de la langue française par le texte libre
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La coopération du point de vue de l’enseignement
132
Un apprentissage vivant de la langue française par le texte libre
Collection grammaticale
PROPOSITIONS SUBORDONNÉES
PROPOSITIONS COORDONNÉES
COMPLÉMENTS CIRCONSTANCIELS
Collection de mots
1. 1. 1. 1. 1.
2. 2. 2. 2. 2.
3. 3. 3. 3. 3.
4. 4. 4. 4. 4.
5. 5. 5. 5. 5.
6. 6. 6. 6. 6.
7. 7. 7. 7. 7.
8. 8. 8. 8. 8. PRONOMS
9. 9. 9. 9. 9.
10. 10. 10. 10. 10.
11. 11. 11. 11. 11.
12. 12. 12. 12. 12.
13. 13. 13. 13. 13.
14. 14. 14. 14. 14.
15. 15. 15. 15. 15.
16. 16 16. 16. 16.
133
La coopération du point de vue de l’enseignement
Une fois à deux fois par semaine, la boîte à textes libres est ouverte. Tous les
enfants qui le souhaitent peuvent venir présenter à la classe leur écrit. Après
chaque lecture, le président de séance demande : « Qui est intéressé par ce
texte ? », puis note le nombre de doigts levés. Le texte libre qui intéresse le plus
d’enfants devient, avec l’accord de son auteur, le texte de référence de la semaine.
Les autres pourront, après avoir été retravaillés individuellement, intégrer le jour-
nal de la classe. À un autre moment, le texte de référence fait l’objet d’un double
travail collectif : son « toilettage » et la « chasse aux mots », deux techniques
éducatives initiées par C. Freinet dans « la grammaire en quatre pages ».
Le texte est d’abord réécrit au tableau, de manière brute. Suivons l’évolution
d’un texte libre élu, celui de Samir, « Titeuf ».
Titeuf
Il était une fois un garçon qui s’appelait titeuf. Il ne voulait pas de petite sœur, un
grand arrivas ils eurent un bébé lui et Nadia. Ils font l’amour tous les jour pour en
avoir un autre, leur bébé s’appelait Zizi mais lui il l’appelait Zinidine Zidane. Ils
vecurent eureux et eure des enfants.
Samir
Chaque enfant dispose alors de 5 minutes pour, dans un premier temps indivi-
duellement, noter sur son cahier, toutes les propositions d’amélioration du texte.
Chacun est libre de se servir des différents outils à disposition : dictionnaires,
tableaux de conjugaison, fiches outils… Les enfants non encore lecteurs ont pour
consigne d’identifier des mots ou des phrases, ce qui constitue un entraînement
à la lecture par déchiffrement ou reconnaissance.
En tant qu’animateur de discussion, l’enseignant donne alors la parole aux
enfants qui ont des propositions à formuler, la priorité allant, comme à l’habitude,
aux plus petits, c’est-à-dire à ceux qui en savent le moins. Certains remarquent
des absences de majuscules, d’autres pointent des incohérences textuelles (par
exemple ici le fait de parler de sœur), les plus aisés corrigent les accords et les
erreurs d’orthographe les plus complexes.
Progressivement, le texte de Samir évolue.
Titeuf
Il était une fois un garçon qui s’appelait Titeuf. Il ne voulait pas d’enfant. Mais il
faisait l’amour tous les jours avec sa femme Nadia. Un grand jour arriva : ils eurent
un bébé. Ils appelèrent cette petite fille Zizi mais Titeuf préférait l’appeler Zizou. Ils
vécurent heureux avec beaucoup d’autres enfants.
Samir
134
Un apprentissage vivant de la langue française par le texte libre
L’enseignant gagne à ne pas intervenir tant que les enfants ont des modifica-
tions à apporter, mais dans la mesure où plus personne n’a rien à dire, il indique
les zones du texte qui mériteraient des améliorations. Tous les changements
concernant le sens du texte et la narration sont soumis à l’accord de l’auteur. Les
interventions de l’enseignant consistent parfois à faire émerger chez lui des détails
concernant l’intention des personnages ou le contexte de l’action.
À la fin de cette séance de travail (environ une demi-heure), le texte a pris
cette forme :
La famille de Titeuf
Cette drôle d’histoire commence avec un garçon du nom de Titeuf ; il ne souhaitait
pas avoir d’enfant. Pourtant, il faisait souvent l’amour avec sa femme Nadia. Un jour,
elle tomba enceinte et ils eurent un joli bébé. Ils décidèrent d’appeler cette petite fille
Zizi mais Titeuf préférait la surnommer Zizou. Ils vécurent alors heureux avec de nom-
breux autres enfants.
Samir
Lorsque le texte de référence est choisi parmi des textes d’auteurs, le travail
de toilettage laisse alors place à une découverte plus fine de structures nouvelles
de l’écrit et diversifie les moments de chasses aux mots.
La chasse aux mots
Débute alors un second travail d’exploitation de ce texte. La chasse aux mots
vise à constituer des collections de mots à partir du texte de référence. Ces listes
se bâtissent selon des mots de même nature, des mots à similitudes, des groupes
de mots de même fonction, des mots d’un même champ lexical…
« On laissera à cette chasse aux mots son caractère de recherche collective et active, sans
l’éprouver ni le sanctionner par quelque devoir traditionnel 6. »
Avec la même consigne de priorité donnée aux plus « petits », chacun émet
des propositions qu’il argumente si nécessaire. Il convient de préciser au début
qu’un « nom commun » est une chose, qu’un « adjectif qualificatif » est un mot
qui donne des précisions sur le nom, etc. Les enfants remplissent dans leur portfo-
lio les tableaux regroupant les nouveaux mots trouvés. Progressivement, ces docu-
ments deviennent des aides pour étudier les prochains textes.
6. CÉLESTIN F., Grammaire française en quatre pages par l’imprimerie à l’école, BENP no 2,
octobre 1937, p. 4.
135
La coopération du point de vue de l’enseignement
Au terme de ce travail, les enfants recopient le texte de référence sur leur cahier.
Pour les plus petits, il deviendra un support de lecture et enrichira la structure
d’apprentissage naturel du lire-écrire. Pour les plus grands, il sera la base pour
l’autodictée du lendemain : les enfants le mémorisent en devoir à la maison puis
tentent de le réécrire le lendemain en évitant les erreurs. La plupart des informations
proviennent des connaissances que les enfants se sont construites. Celles-ci ont été
puisées dans les documents mis à disposition (portfolio, affichages, fiches outils)
ou sont issues de leurs diverses expériences, scolaires ou non.
Les apprentissages deviennent possibles en raison de la récurrence des situa-
tions. C’est parce que les enfants sont confrontés régulièrement à de nouveaux
textes à étudier par l’intermédiaire de toilettages et chasses aux mots que progressi-
vement, ils développent des aptitudes et se construisent des compétences. En
d’autres termes, la plupart des enfants apprennent à marquer le pluriel d’un « s »
parce que, notamment, à plusieurs reprises, ils ont été conduits à en rencontrer
l’emploi dans un texte de référence. L’énoncé de la règle orthographique trouve
toute sa pertinence lorsqu’il s’agit de mettre en mots des expériences acquises.
« Les acquisitions ne se font pas comme l’on croit parfois, par l’étude des règles et des
lois, mais par l’expérience. Étudier d’abord ces règles et ces lois, en français, en art, en
mathématiques, en sciences, c’est placer la charrue devant les bœufs. Les règles et les lois
sont le fruit de l’expérience, sinon elles ne sont que des formules sans valeur 7. »
Le cahier mémento
Chaque fin de séance d’étude de texte gagne à se terminer par une analyse
projective. À la consigne « Qu’a-t-on appris aujourd’hui ? », les élèves formulent
des éléments de règles orthographique, grammaticale ou de conjugaison. L’une
7. CÉLESTIN F., « Les invariants pédagogiques », BEM, no 25, 1964, invariant 13.
136
Un apprentissage vivant de la langue française par le texte libre
d’entre elles est choisie puis approfondie. Avec l’aide de l’enseignant, le groupe
s’emploie à rédiger une trace écrite dont le but est d’expliquer au mieux la notion de
référence. Sur un « cahier mémento », un document collectant l’ensemble des outils
nécessaires pour l’étude de la langue, les élèves choisissent de recopier le texte éla-
boré ou de réécrire avec leurs propres mots ce qu’ils ont compris de la notion abordée.
Ce cahier mémento, ainsi que la plupart des outils d’étude de la langue, s’enrichit au
fil des séances et est toujours à disposition pour un éventuel usage.
8. D’après les travaux de Jean LE GAL et Michel BARRIOS, Le Nouvel Éducateur, no 131, septembre
2001, p. 11.
9. « L’échelle Dubois-Buyse d’orthographe usuelle française a été établie vers 1940, puis réac-
tualisée.
Elle regroupe 3787 mots d’usage courant, vocables répartis sur 43 échelons, supposés connus
de tout adulte francophone : ainsi, 80 % des mots sont supposés connus après six années de
scolarité.
Elle joue au fond sur deux critères : facilité de compréhension et orthographe simple. Ces mots
sont regroupés en deux catégories : les mots outils qui représentent à eux seuls environ 40 %
du vocabulaire écrit courant, les autres mots étalonnés en degrés de difficulté, les échelons »,
in L’échelle Dubois-Buyse de TERS F., MAYER G., REICHENBACH D., éditions OCDL, Paris, 1988.
137
La coopération du point de vue de l’enseignement
Pour aider les enfants à mémoriser plus facilement des formes d’écriture, Jean
Le Gal et Michel Barrios leur proposent le cheminement suivant.
Voici ce que je te propose pour apprendre à mieux orthographier les mots ou les
groupes de mots que tu utilises en écrivant quelque chose…
138
Un apprentissage vivant de la langue française par le texte libre
Pour les lettres aux correspondants ou les articles autour d’un thème précis
(pour les dossiers), les textes « voyagent » sur un tableau de suivi :
Prénoms
enfants
10. Dans la mesure où le texte n’est pas repris collectivement, les situations où l’enfant est
présent lors de la correction du texte semblent plus adaptées aux apprentissages.
139
4
Correspondance et journal scolaire
141
La coopération du point de vue de l’enseignement
142
Correspondance et journal scolaire
« Chaque classe est appariée avec une autre, si possible de niveau et d’effectif correspon-
dants. Il est intéressant que les deux classes appartiennent à des milieux géographiques
assez différents. […] Chaque quinzaine, chaque enfant écrit à son correspondant qui
devient vite son ami. Les maîtres ont constitué des couples d’âge et niveaux scolaires et
d’intérêts, sensiblement correspondants pour que l’échange soit possible 2. »
Une fois le contrat entre les classes établi par les enseignants, pour démarrer
une correspondance entre une classe A et une classe B, on peut se référer à cette
approche :
– la classe A envoie à la classe B une première lettre collective ainsi qu’autant
de fiches individuelles de présentation qu’il y a d’élèves intéressés par ce
projet ;
– la classe B envoie en réponse une seconde lettre collective, autant de fiches
individuelles de présentation qu’il y a d’élèves et une proposition de
couples ;
– la classe A étudie les couples proposés, engage les correspondances indivi-
duelles lorsqu’il n’y a pas de souci et apporte des modifications aux autres
rapprochements. Les échanges peuvent alors commencer.
Voici, page suivante, ce que peut donner une première lettre collective, avec
des enfants de 8 à 10 ans.
À l’arrivée du colis, les enfants sont sollicités pour la lecture des lettres :
– la lettre collective (éventuellement par l’enseignant, lorsque les élèves ne
sont pas encore suffisamment « grands en lecture »), lorsqu’il s’agit d’une
lettre adressée à l’ensemble de la classe ;
– les lettres individuelles (parfois là aussi avec l’aide du maître, ou d’élèves
plus compétents en lecture), dans le cas d’un envoi de correspondant à
correspondant. Il est intéressant à ce stade de permettre à chacun, s’il le
souhaite, de lire publiquement une partie de sa propre lettre, si elle est
susceptible d’intéresser le groupe.
2. VASQUEZ A., OURY F., Vers une pédagogie institutionnelle?, Matrice, Vigneux, 1967, p. 37.
143
La coopération du point de vue de l’enseignement
Montpellier, le 6 octobre
Au revoir et à bientôt.
144
Correspondance et journal scolaire
De manière plus étendue, il est possible de dresser une liste des supports de
communication à la correspondance lettres collectives, lettres individuelles, e-
mails, enregistrements (audio, vidéo…), cadeaux, photographies, exposés, confé-
rences d’enfants en diaporama ou par affiche, journaux scolaires, albums, travaux
en mathématiques, en géographie, en histoire…, roman construit en cadavre
exquis, productions artistiques, recettes, poèmes, objets fabriqués, etc.
Pour s’adresser à l’ensemble de la classe, la réponse est produite collective-
ment. Elle donne alors lieu à des activités en français, en mathématiques, en
géographie et bien d’autres. Il s’agit de réelles séances d’apprentissage, motivées
par le désir des enfants d’être compris de l’autre. Être lisible, présenter son travail
avec soin, sont autant de désirs qui sont susceptibles de croître et qui permettront
un accès progressif à la maîtrise de la langue écrite.
De plus, répondre aux correspondants implique parfois :
– de se documenter, d’aller chercher des informations (en BCD, mais aussi
auprès des parents, de la médiathèque du quartier, des voisins…) ;
– de s’interroger sur des sujets qui jusque-là ne revêtaient que peu d’impor-
tance aux yeux des enfants parce qu’ils étaient liés à leur vie quotidienne,
à leur environnement familier… ;
– d’où la naissance d’enquêtes, de sujets d’études, à la fois conformes aux
demandes de l’institution scolaire et aux attentes des enfants. Les envois
comprendront alors les traces écrites de ces sujets d’études, des activités
menées en classe pour répondre aux questions des correspondants
(albums), etc. L’intérêt est de donner du sens à l’écrit.
Quant au contenu des écrits, si l’intervention du maître est limitée, il peut tout
de même être conduit à utiliser son « droit de veto 3 », afin qu’aucun enfant n’aille
jusqu’à, par exemple, manquer de respect à son correspondant (voir règles de
fonctionnement de la correspondance, page suivante). Il veille en même temps à
la correction orthographique et syntaxique des lettres, ce qui constitue au passage
un ensemble de situations permettant la construction d’apprentissages vivants en
orthographe, vocabulaire, grammaire et conjugaison. Pour suivre le cheminement
des écrits entre leur premier jet sur brouillon et l’envoi aux correspondants, il est
possible de se référer à un tableau des corrections tel que celui-ci.
3. Le maître, en tant que responsable légal de la classe, peut l’utiliser chaque fois que le bon
fonctionnement de la classe est menacé ou que l’intégrité physique ou morale d’un enfant est
en jeu.
145
La coopération du point de vue de l’enseignement
Mike
Gina
Lucie
• Équivalence et régularité des envois : toute lettre reçoit une réponse et mieux
vaut écrire peu mais souvent que beaucoup et espacé dans le temps.
• Envoi simultané de toutes les lettres.
• Respect des souhaits et demandes de l’autre.
• Qualité des courriers : écriture, décoration, contenu, orthographe.
• Sécurité des enfants : vérification des envois par les adultes (contrôle du fond,
de la forme et des éventuels oubliés).
• Contrat et communication entre les maîtres (calendrier, rythme des envois, format
des lettres…).
• Variété des types d’envois.
• Lien entre la correspondance et les activités scolaires.
• Communication plus par l’écrit que par l’image.
• Conservation des écrits envoyés et reçus.
146
Correspondance et journal scolaire
10 recettes pour
essayer de rater une correspondance 5
NB : Cette liste n’est, bien sûr, pas exhaustive, et son ordre plutôt arbitraire…
147
La coopération du point de vue de l’enseignement
148
Correspondance et journal scolaire
« La vie familiale et sociale apportée en classe par les dits et les écrits des élèves consti-
tuèrent, une fois imprimés, un ensemble de centres d’intérêts émanant directement des
élèves et respectant leurs intérêts immédiats et l’intérêt dominant de la classe 7. »
Avec Freinet, ils se sont construits d’abord grâce à un limographe (une sorte
de petite imprimerie pour enfants avec une casse et de l’encre), ensuite à l’aide
d’une machine à écrire et enfin maintenant avec l’ordinateur. L’informatisation fut
un grand pas pour faciliter la tâche des enseignants et des élèves.
Lorsqu’on se lance dans cette expérience, la consigne que l’on peut donner
aux enfants est : « Si tu as un texte, tu nous le donnes. » Le journal devient une
compilation de textes d’enfants, ce qui constitue un bon départ. Par la suite, il
reste à trouver d’autres déclinaisons. Le principe du journal scolaire est de tout
publier, de tout y mettre, quitte à ce que certains articles ne soient pas très
intéressants. Avec l’accord de l’auteur, toute production écrite induit publication.
Le but de l’enseignant n’est pas de former des journalistes mais de permettre à
des élèves d’apprendre à lire et à écrire. Ainsi, le journal scolaire ne se veut pas
une fin mais un moyen. Dans une optique d’apprentissage naturel de la lecture
et de l’écriture, il devient un support privilégié de lecture et de sens donné aux
activités d’écriture.
Le journal scolaire a une visée de communication : il est nécessaire qu’il soit
lu et que les enfants s’en rendent compte ; on écrit et on s’efforce de bien le faire
parce qu’on sait que des personnes extérieures à la classe vont y porter leur
regard. C’est pourquoi la participation des parents compte dans cette expérience,
ne serait-ce qu’à travers une lecture régulière des textes qui s’y trouvent. L’ensei-
gnant peut même considérer ce journal comme un outil de communication et de
liaison d’information entre l’école et les familles.
C’est pour cela que le journal gagne à être gratuit, tout du moins pour les
parents des enfants de l’école et pour les correspondants. Les lecteurs extérieurs
à l’école peuvent se le procurer par le biais d’un abonnement. Le responsable de
la publication doit alors faire enregistrer le journal et disposer d’un numéro ISSN
(demander les formulaires d’enregistrement à l’ICEM de Nantes).
En ce qui concerne l’approche pédagogique et technique de la réalisation du
journal, la première intention est de créer des événements en permanence : faire
en sorte que les enfants aient des sujets à partir desquels ils auront des choses
à raconter, à communiquer, même si ces sujets ne sont pas porteurs d’universalité.
Par exemple, un support d’écriture peut être la présence d’ouvriers dans ou à
proximité de l’école, une sortie scolaire ou la présentation dans la classe d’un
7. FREINET C., « Contre un enseignement livresque, l’imprimerie à l’école », Clarté, no 75, mai
1925.
149
La coopération du point de vue de l’enseignement
petit animal. À partir de là, il reste à envoyer des enfants avec de quoi écrire, des
questions préparées à l’avance et un appareil photo. Tout est occasion d’écriture.
Une fois les sujets trouvés et les enquêtes réalisées, les élèves écrivent le
brouillon de leur article afin qu’il soit corrigé par un adulte. Cette correction gagne
à être rapide et aidante, le principe général étant de conserver l’élan de motivation
initial des enfants pour l’écriture. Le but ici est qu’ils s’expriment par écrit, le
travail de systématisation d’orthographe ne peut pas trouver place à ce moment-
là. Pour beaucoup d’enfants, les rédactions successives d’articles pour le journal
tendent à ce que les apprentissages liés à l’écriture se déclenchent par eux-
mêmes. On comprend donc toute l’importance de susciter chez eux l’envie de
s’exprimer par l’écrit. Avant que le texte ne paraisse dans le journal, les articles
peuvent être imprimés pour leurs auteurs et collés dans leur cahier de classe.
Au bout de quelques parutions, l’enseignant peut inviter à la réalisation
d’articles définis par la réponse aux questions : quand, comment, où, pourquoi ?
Mais ces recherches journalistiques ne peuvent pas être exclusives, sous peine
de bannir toute la dimension poétique par exemple, ce qui fait le charme et la
différence des journaux scolaires.
La plupart du temps, les enfants sont amenés à saisir leurs textes pendant les
heures de classe, ce qui incite l’enseignant à admettre que tous les élèves ne font
pas tous la même chose en même temps. C’est pour cela qu’il semble favorable
que des ordinateurs se trouvent dans les classes et pas seulement dans une salle
informatique. Tout comme il y a le tableau, on trouve des ordinateurs.
Il n’est pas nécessaire de former les enfants à la mise en page. Dans le pire
des cas, c’est l’adulte qui s’en charge, sinon, un élève qui se débrouille un peu
mieux que les autres peut se voir proposer cette responsabilité. Le principe de
base de la mise en page est de penser une maquette de journal, qui ne change
jamais mais qui attribue une personnalité à la publication de la classe : par
exemple, travailler en quatre colonnes, écrire le titre du journal sur 1/5 de la
première page, valoriser la présentation par des photos ou des images, etc. En
fin de journal, pour chaque numéro, un enfant peut être choisi comme « journa-
liste en herbe ». Il a alors la possibilité de monter un dossier dont lui seul est
l’auteur. Le contrat consiste à ce qu’il puisse s’extraire des activités collectives
pour se consacrer à cette tâche. Le lundi matin, il pose dix questions à ses cama-
rades de classe et le meilleur dans les réponses devient le prochain journaliste
en herbe. Cela permet en même temps de vérifier le taux de lecture du journal.
150
Correspondance et journal scolaire
• Les responsabilités
– Un rédacteur en chef qui coordonne les différentes équipes et lie les étapes de
la production.
– Des journalistes d’investigation chargés de la rédaction et de la collecte des
différents articles périphériques. Ces journalistes peuvent être responsables d’un
type d’articles (les annonces par exemple).
– Des journalistes spécialistes chargés de la rédaction du dossier.
– Des maquettistes qui mettent en forme le journal sur traitement de texte ou
autre.
– Des commis responsables du tirage et de la diffusion des exemplaires.
• Exemple de composition d’un journal de classe (les blogs ne sont pas soumis à
ces contraintes)
Format : A3 recto-verso.
Articles agrémentés des photos, schémas et dessins.
Recto :
– Titre – Numéro – Date de parution.
– Présentation de l’équipe de publication.
– Dossier (réunions d’articles autour d’un thème ou sujet de préoccupation précis).
Verso :
– Articles périphériques sous formes diverses (compte rendu, récit, vécu, roman
feuilleton, fiche d’activité, interview, chant, enquête, jeux, annonces, anec-
dotes…).
– Présentation du prochain sujet de dossier.
8. Certains textes libres peuvent être soumis à un travail collectif d’amélioration. Ces modifica-
tions ne pourront pas se faire sans l’auteur.
151
La coopération du point de vue de l’enseignement
La forme du journal
Périodicité : bimensuel, au plus toutes les 3 semaines.
Composition : sur quatre pages alternant des dossiers sur des événements vécus et
des textes libres.
La une comprend, entre autres, une image ou une photo choisie à cet effet, ainsi
qu’une bande supérieure présentant un sommaire du journal. Ce sommaire est illustré
par des icônes. Une mention indique que les lecteurs sont invités à faire des
remarques sur les articles.
Les images, dessins ou photos sont légendés. Les textes sont présentés en trois
colonnes.
La diffusion
Chaque journal est remis gratuitement à chaque enfant. Les autres numéros sont
vendus. Les profits de cette vente entrent dans les coopératives des classes
concernées.
Numéro CPPAP : 8967.
Prix au numéro : 1 Ā Abonnement pour une année (au moins 10 numéros) : 8 Ā sans
le port – 12 Ā port compris.
Le contenu
Dépend de chaque classe. Il peut s’agir de textes libres choisis, d’articles constituant
un dossier, de jeux, de dessins… En bas de la quatrième page, un encart est réservé
au « rédacteur de la semaine ». Il s’agit d’un espace réservé à un enfant reconnu par
les enseignants comme ayant fourni un gros effort de lecture du journal.
152
Correspondance et journal scolaire
Après la parution
Plusieurs activités pédagogiques suivent la parution du journal :
–la lecture des articles devant toute la classe accompagnée des raisons qui ont
conduit au choix de ces articles ;
–la création d’un patrimoine de classe : « Qu’est-ce qu’on peut faire pour améliorer
notre journal ? » Les enfants émettent des propositions concernant les articles et le
journal dans sa globalité ;
–chasses aux mots (voir études des textes libres, p. 135) ;
–questionnaire sur la lecture du numéro précédent en vue de désigner le rédacteur
de la semaine.
Voici un panel des articles parus ces dernières années dans Le Canard sans
patte (CSP) :
→ À partir de textes libres
→ En géographie
L’Italie
Quand nous sommes partis à la foire exposition, j’ai appris qu’il y avait une grande
tour qui se nommait la tour de Pise. Il y a aussi le Colisée. C’est une arène de deux
étages en forme de rond. Il est à Rome. À Venise, il y a des gondoles pour la fête des
amoureux. Les gondoliers sont des hommes qui font avancer la gondole.
Wanessa – CSP 65
153
La coopération du point de vue de l’enseignement
La fugueuse
Quand nous allions sortir de la ferme, il y avait une poule qui fuguait depuis deux
jours. Mais elle avait peur. Le maître nous a dit : « Si vous l’attrapez, vous aurez trois
fois du goûter ! » Mais nous n’y sommes pas arrivés. Au moins, nous l’avons fait
rentrer. C’était difficile, parce que lorsqu’elle faisait des virages, nous n’arrivions pas
à la suivre.
Mouaâd – CSP 51
→ En histoire
L’annexe
C’était pendant la guerre 1939 à 1945. La famille Franck ne voulait pas être emportée
dans un camp de concentration. Ils avaient très peur, donc ils ont décidé de fuir dans
une cachette, ils y sont partis. C’était dans une bibliothèque. En sachant qu’ils ne
pouvaient pas sortir pendant deux ans. Dans cette bibliothèque, ils étaient huit et
une femme leur rendait des services. Elle leur donnait à manger. Un jour, la porte fut
ouverte par la Gestapo parce qu’un homme les a balancés parce qu’ils étaient juifs.
Badredene – CSP 41
La grotte de Tautavel
Pendant la préhistoire, il y a eu quarante communautés qui sont entrées dans la
grotte. La première s’est installée, puis, pendant un long moment, personne n’est
venu. Alors, avec le temps, une couche de terre a recouvert le sol. Plus tard, une
deuxième communauté est arrivée, elle y est restée à peu près deux semaines avant
de repartir. Alors, toujours avec le temps, la grotte a été recouverte de sable et ainsi
de suite pendant des milliers d’années. Cette terre et ce sable s’appellent les sédi-
ments. C’est comme ça que les archéologues ont trouvé des indices.
Marie – CSP 81
→ En sciences
Le champignon
Le champignon, il faut le choisir pour le mettre dans le roquefort. C’est un champignon
qui se développe sur du pain. Son nom, Penicillium roqueforti. On le mélange avec le
lait de brebis puis on met les fromages dans les caves où les fleurines permettent
que la température reste toujours constante. Le champignon se développe dans les
fromages et il donne tout son goût au roquefort. Les maîtres affineurs vérifient
comment évoluent les pains de roquefort.
Soufiane – CSP 80
154
5
L’apprentissage naturel du lire-écrire
« Notre méthode naturelle est une méthode de vie. […] En tâtonnant, l’enfant cherche
sans cesse, consciemment ou non, la réponse essentielle et constructive aux pro-
blèmes complexes que lui pose la vie. […] C’est cette possibilité que nous avons réali-
sée pour toutes les disciplines scolaires, par la mise au point de nos méthodes
naturelles de lecture, d’écriture, d’histoire, de géographie, de sciences, de calcul, de
dessin et de peinture. Pour toutes les disciplines, donc, nous inversons les processus
d’apprentissage en plaçant à l’origine non la règle et les leçons mais la pratique et
l’action. […] C’est vraiment en forgeant qu’on devient forgeron. »
Célestin FREINET 1
155
La coopération du point de vue de l’enseignement
156
L’apprentissage naturel du lire-écrire
• chaque enfant dispose d’un profil qui lui est propre pour apprendre à lire et
écrire. Certains apprendront mieux en s’appuyant sur des concordances entre
les mots qu’ils rencontrent et ceux qu’ils connaissent, quelques-uns privilé-
gieront comme entrée l’étude des lettres, d’autres préféreront partir du type
d’écrit qu’ils ont sous les yeux pour orienter leurs recherches, etc. La plupart
du temps, les observateurs extérieurs n’ont pas accès à la nature des straté-
gies employées par les enfants, d’autant plus qu’elles gagnent à varier et à
évoluer au fur et à mesure que les apprentissages s’effectuent ;
• la nature des stratégies choisies par un enfant n’influe pas sur ses futures
capacités à lire-écrire. C’est plutôt la fréquence de l’emploi de ses compé-
tences qui lui permettra de devenir un écrilecteur aisé. De plus, alors que
certains n’auront besoin que de quelques mois pour s’engager dans l’écrilec-
ture, d’autres, de profil cognitif similaire, demanderont plus de temps. Au
final, ces deux familles d’enfants pourront devenir à égale mesure des écri-
lecteurs capables de produire les mêmes performances, même s’ils auront
dû emprunter des cheminements différents pour y parvenir.
Les enseignants en charge d’élèves de CP observent régulièrement qu’un
enfant qui dispose d’un dictionnaire oral important, qui a un réseau de connais-
sances établi, qui a rencontré très tôt des écrits par l’intermédiaire notamment des
albums de jeunesse, qui n’a pas peur de se tromper et qui sait ce qu’apprendre
à lire et écrire va lui permettre d’obtenir et de réaliser à court terme ne rencontrera
que très peu de difficulté pour écrilire. À l’inverse, un enfant qui découvre pour
la première fois le livre vers l’âge de 5 ou 6 ans, qui possède un vocabulaire
pauvre, qui explique qu’apprendre à lire lui servira à « avoir un métier », et qui
préfère se taire ou rester en retrait plutôt que d’essayer, aura énormément de mal
pour acquérir ces apprentissages.
157
La coopération du point de vue de l’enseignement
son enfant, elle vous regarderait étonnée. Comme s’il pouvait y avoir deux façons d’ensei-
gner le langage à un enfant ! Comme s’il pouvait même exister une façon d’enseigner le
langage ! Il y a seulement une façon pour l’enfant d’apprendre à parler selon le seul
processus naturel et général de tâtonnement expérimental. L’enfant jette un cri plus ou
moins accidentel, plus ou moins différencié. Il se rend compte, d’une façon plus intuitive
que formelle, que ce cri a un certain pouvoir sur le milieu. C’est ce cri, lentement modulé
à l’expérience, puis articulé, qui deviendra langage 4. »
158
L’apprentissage naturel du lire-écrire
– « VA c’est comme dans VALISE et CHE c’est comme dans CHEVAL. On a déjà vu ces
mots dans d’autres textes. Donc, ici, c’est VACHE. »
« Un seul et même livre ne peut convenir à l’ensemble des enfants. Par la méthode naturelle,
le rythme de l’enfant est respecté, ce qui lui permet d’évoluer dans son apprentissage de la
lecture et de l’écriture selon ses capacités. Cette initiative peut paraître totalement révolution-
naire ; elle l’est encore plus quand Freinet publie Plus de manuels ! Sa pédagogie, se fondant
sur l’intérêt de l’enfant, le conduit à dénoncer l’utilisation de tous les livres d’apprentissage.
Seuls les ouvrages de la bibliothèque trouvent leur place dans la classe 5. »
Ce que reprochait Freinet aux manuels, tout du moins dans l’usage qu’il en était
souvent fait à son époque, est qu’ils imposent un ordre aux choses et parasitent un
rapport complexe aux savoirs, qu’ils s’adressent selon le même modèle à tous les
élèves sans tenir compte des différences qui les identifient, qu’ils proposent souvent
des situations artificielles, qui font peu sens pour les élèves, sont faiblement relatifs
5. LAFON D., Célestin Freinet ou la révolution par l’école, Éditions ICEM, 2006, p. 8.
159
La coopération du point de vue de l’enseignement
« Les ressources mentales que le faible lecteur a dépensées pour essayer de reconnaître les
mots, il ne pouvait pas les consacrer en même temps à la compréhension 6. »
C’est pour cela qu’en partant d’un écrit ou d’une consigne qui fait sens pour
tous, parce qu’appartenant à la culture de classe, cette difficulté supplémentaire
160
L’apprentissage naturel du lire-écrire
161
La coopération du point de vue de l’enseignement
de préhension de l’écrit. Dans une logique experte cette fois-ci, les lecteurs font
alternativement référence à trois approches complémentaires :
– la décomposition syllabique pour les mots nouveaux ou peu rencontrés ;
– l’image mnésique – la reconnaissance photographique – pour les mots ou
groupèmes 7 qui nous sont fréquents et familiers ;
– le contexte dans lequel l’écrit est proposé.
Ainsi donc, les stratégies utilisées par les enfants pour découvrir un mot se
font à partir de :
– une connaissance mémorisée de la phrase ou du texte : « Ici, c’est cheval
parce que c’est le dernier mot de la phase “Michel a vu un cheval”. » On
peut difficilement parler de lecture dans la mesure où, face à un même mot
dans une autre phrase, l’enfant se montre encore incapable de le déchiffrer ;
– le sens de la phrase : « Ici, ce n’est pas chien parce que je savais que Michel
avait vu un cheval. » Cette stratégie montre ses limites face à un texte dont
on ignore le sens au préalable ;
– une décomposition du mot « Ici, c’est marron, parce que “m” et “a” ça fait
“ma”, “o” et “n” ça fait “on” avec un “r”, “ron”. » Cette approche est souvent
opportune mais peut conduire à des incompréhensions, avec des mots
comme « chien », « orchestre », « abdomen »… ;
– une association syllabique avec d’autres mots connus : « Ici, c’est escargot
parce que “es” comme escalier, “car” comme carnaval et “go” comme
goéland. »
Nous avons pu observer que ces stratégies ne sont que très rarement utilisées
de manière exclusive. Le plus souvent, les enfants se sont construit des stratégies
mixtes, qu’ils font intervenir en fonction du contexte dans lequel ils se trouvent.
« Ici, c’est cheval parce que che ça fait “che” et je sais qu’on parle d’un cheval
dans le texte. » « Ici, c’est chien parce que ch ça fait “ch” et ien c’est comme dans
“bien”. » Une fois de plus, ce qui importe à ce niveau-là n’est pas de privilégier
une stratégie sur une autre, mais plutôt de valoriser celles qui fonctionnent en en
permettant une confrontation, intéressante pour ceux qui sont encore en
recherche. À charge des habitudes coopératives de la classe d’apporter à ces
enfants des aides plutôt que des solutions, et à ceux qui se trompent des soutiens
pour poursuivre leurs efforts. Lors de ces échanges, ceux qui ne peuvent contri-
buer par insuffisance de connaissances profitent des apports présentés, les autres
sont amenés à renforcer leurs apprentissages parce qu’il leur est demandé de les
argumenter et de les modeler selon les demandes formulées au sein du groupe.
On retrouve le double intérêt de la coopération.
7. Un groupème correspond à une unité de sens. Il peut être composé d’un seul mot (Lucie,
jamais, marcher) ou de plusieurs (il y a, tout à l’heure, je suis…). Il y a souvent intérêt à ce que
les enfants apprennent à lire et à écrire les groupèmes dans leur globalité sémantique.
162
L’apprentissage naturel du lire-écrire
Le texte de référence
C’est le support à partir duquel les enfants vont entrer dans la lecture. Même
s’il peut parfois être emprunté à de la littérature jeunesse, il est généralement
issu de ce qu’apportent les enfants : un événement, un compte rendu de sortie,
un texte libre choisi, plusieurs phrases du jour… En plus de créer de la proximité
avec la tâche scolaire, ces textes font appel à un corpus de mots appartenant au
vocabulaire commun et donc amoindrissent les difficultés liées au sens. Ce texte
est écrit en double police de caractères. Il est photocopié pour chaque enfant, en
plus grand pour l’affiche.
Lors de la séance de découverte de texte, chacun est amené à contribuer à sa
lecture. La priorité est toujours donnée aux plus petits, c’est-à-dire aux enfants
étant les moins avancés en lecture. Les interventions consistent à lire un mot, un
groupème, une phrase, puis d’expliciter la stratégie utilisée pour y parvenir. La
proposition est ensuite soumise à évaluation par le groupe. Lorsqu’il y a consen-
sus, enseignant compris, on propose de collectionner les stratégies de chacun.
Lorsqu’il y a conflit, c’est la comparaison des stratégies qui devient source
d’apprentissage, la justesse des argumentations et leur efficacité d’exécution se
chargeant d’effectuer le tri entre les diverses propositions. C’est surtout à ce
niveau-là que, lors des découvertes de textes, le caractère coopératif du groupe
intervient. Sur l’affiche, les mots découverts sont soulignés. Sur leur document,
les enfants soulignent ce qui leur pose problème. La découverte du texte se ter-
mine lorsque l’ensemble a été lu. Cela laisse place à des activités de révision, de
163
La coopération du point de vue de l’enseignement
164
L’apprentissage naturel du lire-écrire
165
La coopération du point de vue de l’enseignement
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L’apprentissage naturel du lire-écrire
Les principales difficultés repérées chez les enfants pour entrer dans le lire-
écrire correspondent le plus souvent à :
• une absence d’intérêt à entrer dans le lire-écrire. Cela se traduit souvent,
lorsque l’on pose formellement la question « À quoi cela va-t-il te servir ? »,
par une absence de réponse ou des intérêts très éloignés : « À avoir un
métier », « À apprendre à lire à mes enfants », etc. « Imaginons qu’un enfant
n’ait aucune idée claire de ce que c’est que lire, ses compétences risqueraient
de rester isolées les unes des autres. Il aurait les instruments de la lecture,
mais il ne pourrait les orchestrer en une lecture véritable, chacun jouant sans
s’accorder aux autres. […] Quand l’enfant sait vers quoi il tend, il est acteur
de son apprentissage, il peut co-agir avec ses tuteurs, prendre des initiatives,
essayer lui-même certaines stratégies, faire lui-même le lien entre divers
savoir-faire 9Il s’agit d’enfants pour qui l’écrit ne fait pas beaucoup de sens,
la plupart du temps parce qu’ils n’ont pas été suffisamment sensibilisés
jeunes au monde de l’écrit. Avec eux, il convient de développer cette relation,
en plus de tout le travail autour du code et de la lecture ;
• une image négative de soi. Avec ces enfants, il s’agit de travailler l’image
qu’ils ont d’eux face aux apprentissages. Cette image positive peut se
construire à partir de ce qu’ils comprennent de ce que l’adulte voit en eux.
Il s’agit d’un miroir dans le regard, les gestes, le langage de celui avec qui il
y a interaction. L’enfant doit arriver à « se sentir capable de… » ;
• une pauvreté du lexique personnel : « Je vois un nid », qui est prononcé « Je
vois un nide » parce qu’on ignore le sens du mot nid. Le problème rencontré
par les enfants est qu’ils accèdent difficilement au sens du texte, même si
intrinsèquement, ils sont capables de tout déchiffrer ;
• une méconnaissance des lettres et de leurs phonèmes associés. Sachant que
la signification du texte couplée à la reconnaissance de quelques mots ne
peut suffire à la lecture, un travail sur le code s’impose, quitte à ce qu’il soit
mécanique ;
• une mauvaise maîtrise des phonèmes spécifiques de la langue française on
– an – oi – in – ai – co – ci – ga – gi – etc. Face à ces difficultés, c’est
conjointement un travail systématique ainsi qu’une rencontre fréquente avec
des textes variés qui permettront à ces élèves de se construire suffisamment
d’attributs pour associer à ces graphèmes les phonèmes correspondants.
Le meilleur moyen de s’assurer qu’un enfant est entré dans ce principe alpha-
bétique est l’écrit. Pour cela, en début de CP, Mireille Brigaudiot 10 conseille à
l’enseignant de demander aux élèves de dessiner et d’illustrer un coq puis
d’essayer d’écrire « Cocorico je suis le roi des coqs ».
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La coopération du point de vue de l’enseignement
168
6
Créations mathématiques
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La coopération du point de vue de l’enseignement
« Il n’y a pas de nul en maths, il n’y a que des victimes d’un enseignant sclérosé qui ne
sait pas saisir dans la vie même des enfants ou de la classe les événements qui donneront
aux enfants une occasion de développer leur puissance de vie 2. »
2. THOREL M., « Apprendre à faire des mathématiques par la méthode naturelle », in Le Nouvel
Éducateur, no 184, 2007, p. 7.
3. In Le Nouvel Éducateur, no 184, 2007, p. 40.
4. DOUADY R., Jeux de cadres et dialectique outil-objet, thèse d’État, université Paris VII, 1984.
170
Créations mathématiques
« Les situations problèmes préconisées sont données par le maître, qui en perçoit l’enjeu
parce qu’il a le savoir et des objectifs d’enseignement. Les élèves, eux, ont une tâche définie
et bien délimitée. Ils résoudront la solution non pour le défi intellectuel qu’elle impose à
tous, mais parce qu’il faut suivre la consigne, obéir, apprendre 5. »
171
La coopération du point de vue de l’enseignement
« C’est quoi une création ? C’est simple, c’est n’importe quoi. Alors voilà : à partir de
chiffres, de nombres, de points ou de lettres, vous faites n’importe quoi. Ça, n’importe
quoi, tout le monde en est capable ! Tranquillisez-vous. Si vous n’avez pas compris cette
fois-ci, on fera un second tour 6. »
6. LE BOHEC P., Le texte libre mathématique, Éditions Odilon, Nailly, 1997, p. 15.
7. On pourra notamment s’inspirer des travaux de Claude BEAUNIS et de ses classes : http://
plano.free.fr/creamath2.htm.
172
Créations mathématiques
aide à la construction de ses propres façons de faire. Ces démarches types tendent
à la mise en place de séquences basées sur le tâtonnement expérimental en
mathématiques. Elles consistent à permettre aux élèves, à partir de recherches
mathématiques personnelles, d’avancer dans la maîtrise des concepts puis, pro-
gressivement, d’en parfaire la connaissance et même d’en découvrir de nouvelles
zones. Ces démarches s’appuient également sur les interactions dans le groupe
d’enfants par de régulières communications entre les diverses recherches.
173
La coopération du point de vue de l’enseignement
174
Créations mathématiques
[ =
Trouve les bons nombres Création mathématique 3
[ [ à mettre dans chaque
case pour trouver la machine disque
[ = à la fin 521
120 030 = 240 060
= = 360 = 720
[ = 521 4 009 = 8 018
Création mathématique 4
Combien y a-t-il de triangles
la multiplication de lettres
A E H
x A E O
O O O
G I O O
+ A E H O O
= B C G O O
175
La coopération du point de vue de l’enseignement
9. Approche construite à partir des travaux de Danielle et Marcel THOREL, Sylvain HANNEBIQUE,
Le Nouvel Éducateur, no 184, 2007, p. 12-19.
176
Créations mathématiques
200
3 8 = 24
Rihab – CM1 Les 3 machines
Création mathématique 1
18 4 = 72 50 10 = 500
3 8 = 24 60 200 = 260
16 14 = 224 34 10 = 34 80 300 = 380
224 78 = 302 8 1=9 3 2=5
302 10 = 292 9 2=7 50 10 = 40
292 224 302 292 = 60 70 60 = 10 238 220 = 18
72 34 7 7 10 9 24 =
500 260
380
177
La coopération du point de vue de l’enseignement
178
Créations mathématiques
179
7
Recherches documentaires,
conférences d’enfants et sorties
181
La coopération du point de vue de l’enseignement
« À l’expérimentation, les jeunes lecteurs signalent tout ce qui leur est incompréhensible.
Parfois, en fonction de leurs expériences personnelles, les classes lectrices et les enseignants
182
Recherches documentaires, conférences d’enfants et sorties
proposent d’autres approches du sujet. Leur questionnement amènera les auteurs à appro-
fondir, à préciser 2. »
2. Ibidem, p. 33.
183
La coopération du point de vue de l’enseignement
travers des livres, des ressources numériques ou d’anciens exposés, soit dans la
BCD, soit sur Internet et même, si c’est possible, à la maison ou à la médiathèque
du quartier ou du village. À partir des informations trouvées, les auteurs rédigent
leur exposé en suivant le plan déterminé par la liste de questions. Ils notent les
ouvrages, banques de données, sites Internet ou personnes ressources utilisés
pour bénéficier de ces informations. Chaque mot employé doit être connu et sus-
ceptible d’être expliqué aux autres enfants. À la fin de l’exposé, une série de
questions doit être prévue pour les élèves de la classe. Cela permettra de déve-
lopper et de mesurer l’attention des enfants auditeurs. À ce stade, le travail fait
l’objet d’une relecture par l’enseignant. Après son accord et d’éventuels correc-
tions ou ajouts, les auteurs recopient leur texte sur l’ordinateur. Des illustrations
sont choisies, scannées ou importées, et intégrées à l’exposé. Deux formes géné-
rales sont possibles pour les présentations : l’affiche ou le diaporama informa-
tique. Une nouvelle fois, les compétences techniques des membres de la classe
peuvent être sollicitées. En plus de ce support visuel et collectif, les auteurs pré-
parent une fiche enfant sur laquelle se trouve l’essentiel de leur travail en
résumé. Ce document servira d’aide pour retenir les informations énoncées.
Lorsque l’exposé est considéré comme terminé par l’enseignant, c’est-à-dire
lorsque l’affiche ou le diaporama, les questions de fin et la fiche enfant sont ache-
vés, les auteurs l’annoncent au « Quoi de neuf ? » ou en conseil afin de détermi-
ner un moment dans l’emploi du temps pour la présentation.
• La troisième phase est celle de la présentation à la classe, au moment prévu
à cet effet. La fiche enfant aura au préalable été photocopiée en autant
d’exemplaires qu’il y a d’enfants. Pour cette présentation, il est demandé de
parler fort et lentement, d’être bref en évitant les longs monologues, de
répondre aux questions qui ont été posées, d’éviter de lire et d’utiliser des
phrases courtes. À la fin de chaque chapitre, les conférenciers demandent
s’il y a des questions ou des commentaires, y répondent s’ils sont en mesure
de le faire, annoncent leur incapacité si c’est le cas. Il vaut mieux expliquer
qu’on ne sait pas plutôt que d’inventer des réponses. C’est pour cela qu’au
cours de l’exposé, les auteurs veillent à présenter les sources documentaires
qu’ils ont utilisées. À la fin de l’exposé, les auditeurs doivent répondre aux
questions prévues par les auteurs. Il est important que les réponses aient
été données au cours de l’exposé, pas nécessairement sur la fiche enfant.
Les réponses à ces questions sont individuelles. Les auteurs récupèrent
ensuite les copies, les corrigent et portent une note sur dix. Quant aux audi-
teurs, en fin d’exposé et à titre d’évaluation, avec leurs mains levées, ils
attribuent une note au travail de leurs camarades à partir des critères sui-
vants : présentation, contenu et support. La moyenne de ces avis peut consti-
tuer un nombre de points que l’on peut attribuer à l’exposé.
184
Recherches documentaires, conférences d’enfants et sorties
185
La coopération du point de vue de l’enseignement
« Freinet avait pris la décision d’amener chaque après-midi ses gamins dans la nature.
La promenade, c’était le moment de la journée le plus attendu par les enfants. Elle se
faisait l’après-midi, quand déjà l’effort de la matinée avait entamé la résistance du maître
malade et des élèves les plus instables. Chaque enfant prenait son crayon, son ardoise, et
la petite troupe s’en allait dans les environs immédiats de l’école, le long du sentier
serpentant sous les oliviers, vers le calme du cimetière, dans la colline ou là-haut, sur le
tertre fleuri qui dominait le village. Freinet restait attentif à toutes les remarques des
enfants plus par curiosité humaine que par souci pédagogique et en fin de compte il était
facile de voir que tout le monde tirait de cette sortie en plein air, sous le beau ciel du Midi,
une impression d’euphorie qui disposait à la confiance et ouvrait la compréhension 3. »
3. FREINET C., Naissance d’une pédagogie populaire, Maspéro, Paris, 1971, p. 24.
186
Recherches documentaires, conférences d’enfants et sorties
« Les leçons de choses en plein air étaient toujours l’occasion de découvertes passionnantes et
chaque élève, en apportant ses brins de connaissances, contribuait à bâtir une leçon bien
équilibrée et très vivante. Les insectes et les petits animaux n’étaient pas absents de ces
187
La coopération du point de vue de l’enseignement
188
Recherches documentaires, conférences d’enfants et sorties
discussions. Nous en apportions souvent en classe et le maître savait attirer notre attention sur
le rôle qu’ils jouaient dans la nature. Un hiatus se produisait au retour dans la classe, ajoute
Freinet. Après les sorties, on écrivait un petit compte rendu collectif mais on devait revenir bien
vite aux exercices traditionnels des manuels, sans aucun rapport avec ce vécu. Il aurait fallu
d’une part donner à chaque enfant un exemplaire lisible de ces textes, mémoire vivante de la
classe (la polycopie donnait des résultats trop pâles), d’autre part proposer des documents et
des exercices liés au sujet qui venait de susciter l’enthousiasme 6. »
C’est ainsi que l’aventure documentaire a débuté, avec dans un premier temps
l’introduction de l’imprimerie dans la classe et, dans un second, la longue entreprise
de rédaction des Bibliothèque de travail, la revue enfantine à visée encyclopédique.
Grâce à l’ensemble des ressources qui sont actuellement à notre disposition, nous
n’avons plus à engager cette aventure. Il nous reste cependant à accepter d’ouvrir
la porte des classes pour permettre aux enfants de penser des projets de sorties,
de les conduire et d’en exploiter les apports en lien avec un travail de recherche
documentaire. Voici un exemple d’exposé émanant d’une telle sortie.
Exemple d’exposé
La cité de Carcassonne
Par Wafâa et Aïssam
6. BARRÉ M., Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps, tome 1, Édition PEMF, Mouans-
Sartout, 1995, p. 31.
189
La coopération du point de vue de l’enseignement
Pont-levis : il permet aux chevaliers de passer quand il était abaissé, mais quand
il est monté, personne ne peut passer.
Herse : c’est une grille mobile avec des pointes à l’entrée des châteaux. Quand il
y avait des ennemis, on la fermait. En fait, il y en avait deux, comme ça, on pouvait
enfermer les ennemis et leur jeter de l’huile bouillante d’en haut.
Hourd : construction en bois des fortifications placée au sommet d’une tour ou
d’un mur.
Créneaux : c’est un espace qu’il y a en haut d’un rempart pour que les chevaliers
puissent attaquer.
Donjon : la tour principale du château, l’endroit où vivent le seigneur et sa famille.
Chapelle : lieu de prière pour les chrétiens.
Mâchicoulis : ouvertures en haut des tours et aussi dans les chemins de ronde.
Ceux qui défendent le château s’en servent pour jeter des choses comme de l’huile
ou de l’eau bouillante et des pierres.
Lices : c’est ce qui se trouve entre deux remparts. Autrefois, c’est l’endroit où les cheva-
liers se battaient contre leurs ennemis. Les lices de Carcassonne mesurent 1,5 km.
À Carcassonne, une guide nous a montré la tour de guet. Elle sert à guetter les
ennemis.
Cette tour est la plus haute du château. Grâce à la hauteur de la tour, les chevaliers
peuvent voir très loin.
Au Moyen Âge, on mangeait sur des tranchoirs. Un tranchoir, c’est une tranche de
pain. Les couverts étaient un pic, une cuillère et un couteau. Il y avait un tranchoir
pour deux personnes, même pour le roi.
Nous avons trouvé les informations en écoutant la guide de Carcassonne, dans la
BTJ no 480, « Les châteaux forts », et sur le site Internet www.carcassonne.culture.fr.
190
8
Discussions à visées démocratique
et philosophique
191
La coopération du point de vue de l’enseignement
instable des tâches. L’enseignant peut enfin proposer une écoute philosophique.
La visée n’est plus de susciter de la cognition ni de l’aide, mais plutôt de permettre
l’élaboration d’une pensée personnelle.
De la coopération à la philosophie
Dans le cadre de la classe, quels sont donc les repères sur lesquels l’ensei-
gnant peut s’appuyer pour permettre ces « penser par soi-même », ce que l’on
nomme aussi le philosopher ? Je propose ici à l’étude trois clés pour l’organisation
de discussions à visées démocratique et philosophique (DVDP) avec des enfants.
« On cherche d’abord à s’entendre avec d’autres, pour interpréter ensemble des situations,
et s’accorder mutuellement sur des plans d’action. […] L’agir communicationnel, c’est la
coordination consensuelle des plans d’action des parties prenantes individuelles, laquelle
rend possible le procès d’intercompréhension 2. »
1. Concept apporté par LIPMAN M., À l’école de la pensée, De Boeck Université, Bruxelles, 1995.
2. HABERMAS J., Théorie de l’agir communicationnel, tome I, coll. « L’Espace du politique »,
Fayard, Paris, 1987.
192
Discussions à visées démocratique et philosophique
193
La coopération du point de vue de l’enseignement
Exigences intellectuelles
Conceptualiser
Philosopher
Problématiser Argumenter
• Conceptualiser, c’est tenter de définir les termes que l’on utilise ou auxquels
on se réfère afin d’en préciser le ou les sens et de minimiser les écarts
d’interprétation. Il s’agit de définir les mots qui expriment les notions, d’en
repérer les champs d’application et de tenter de faire ce qu’on appelle des
« distinctions conceptuelles », c’est-à-dire rechercher en quoi certains mots
sont ou ne sont pas des synonymes (par exemple, ami/copain, savoir/
connaître, racisme/égoïsme). Avec des enfants, nous expliquons qu’il s’agit
de demander ou de donner des définitions aux mots importants que l’on
emploie dans la discussion.
Thaleb 5: Moi je ne pense pas qu’il n’a pas eu de courage parce qu’il y est déjà allé
pour essayer de le tuer donc il ne faut pas dire qu’il n’a pas de courage.
Enseignant : Beaucoup d’enfants utilisent le mot courage ; ça serait bien qu’on essaie
de donner une définition à ce mot.
Mennana : Courage, je vais donner une définition ou un exemple. Ça veut dire en fait
quand le maître nous dit : « courez, courez » pour s’entraîner pour le cross du collège
et ben on a du courage pour courir.
Thaleb : Pour moi je ne suis pas d’accord avec Mennana. Par exemple quand on va
te dire d’attraper quelque chose que t’aimes pas, par exemple un serpent, si on te
dit de le tuer et tu le tues, alors ça c’est du courage.
Nesrine : En fait le courage, c’est quand on a peur de quelque chose et ben on le fait.
Thaleb : C’est comme quelque chose qu’on pouvait ne pas faire et qu’on arrive à le faire.
Mouaâd : Moi je veux dire que courage ça veut dire si on a peur, il faut avoir le
courage d’y aller.
Ridoine : Courage ça veut dire t’as eu la force de ne pas le tuer.
5. Script de la DVDP « Yacouba a-t-il été courageux ? » – classe de cycle III – École A. Balard,
2003, extraits.
194
Discussions à visées démocratique et philosophique
Thaleb : Je redis ce qu’a dit Ridoine, c’est comme si on a la force d’y aller alors qu’on
ne peut pas y aller qu’on a un peu peur donc courage ça veut dire qu’on a la force
d’y aller et de le faire.
Enseignant : Donc la définition qu’on a trouvée du courage, ce serait la force de faire
quelque chose qui nous fait peur.
Nabil 7: Je veux dire qu’en fait, la moralité, c’est pour dire que les hommes sont bêtes
parce qu’ils ont préféré rester dans la grotte alors qu’ils auraient pu au moins essayer
de découvrir la vérité. Ils auraient dû demander d’aller voir parce qu’on ne sait jamais
peut-être qu’il disait la vérité. C’est peut-être ça la moralité de l’histoire.
Jérémy : Moi je veux dire mais si il serait resté avec ses copains et bien, il se serait
ennuyé, il aurait rien fait, il aurait discuté, il l’aurait pas cru, il aurait dû rester dans
son coin tout seul.
L’exercice du philosopher ne peut être introduit que par l’adulte présent, mais
dans un contexte coopératif, les enfants les plus à l’aise deviennent rapidement
des supports à partir desquels l’ensemble de la classe va pouvoir évoluer vers
davantage de maîtrise réflexive. Ceci est possible à travers l’écoute de ce qui peut
se dire lors des discussions, mais aussi de ce qui est souligné par des observa-
teurs qui formulent quelques conseils pour les discussions à venir.
6. Script de la DVDP « L’allégorie de la caverne de Platon » – classe de cycle III – École A. Balard,
2002, extraits.
7. Ibidem.
195
La coopération du point de vue de l’enseignement
196
Discussions à visées démocratique et philosophique
les plus compétents. Au contraire, il s’agit d’avoir permis à chacun des enfants de
faire évoluer sa propre pensée par la compréhension des autres points de vue et
la confrontation des argumentations. Les DVDP se veulent plus un champ
d’expression et d’expérimentation de sa propre pensée qu’un champ d’excellence.
8. DELSOL A., Un atelier de philosophie à l’école primaire, Diotime l’Agora no 8, CRDP Montpellier,
décembre 2000.
197
La coopération du point de vue de l’enseignement
198
Discussions à visées démocratique et philosophique
partir de supports de philosophie pour enfants tels que les philo-fables ou les
goûters philo) et d’autres s’en passent, au moins au début, pour laisser émerger
les représentations des enfants. Il n’y a pas de règle fixe de fonctionnement,
c’est justement la diversité des pratiques qui contribue à la richesse du moment
philosophique.
Lors des discussions, l’enseignant occupe la fonction d’animateur qui consiste
à guider dans le recours aux exigences intellectuelles du philosopher. L’essentiel
de ses interventions est donc de cette nature. Mais cela ne le contraint pas à
occuper une fonction mécanisée qui tendrait à faire de ces enfants des sophistes.
L’enseignant essaie d’intervenir le moins possible de manière à laisser les enfants
entrer dans des démarches d’engagements personnels. Certains enseignants
pensent même que du fait de cette classe coopérative où les enfants n’idéalisent
pas la fonction de l’enseignant, celui-ci peut s’autoriser à dire ce qu’il pense de
manière non pas à orienter le débat mais plutôt à l’éclairer depuis son statut
d’adulte.
Ainsi donc, tout comme en philosophie il n’y a pas de vérité absolue, il ne
peut y avoir de dogme pédagogique en matière de conduite de DVDP. Au contraire,
c’est la souplesse des dispositifs qui incitera chacun des enfants à faire de ces
moments de réelles situations d’apprentissage durable.
Lorsque nous avons été amenés à conduire une recherche sur l’introduction
de DVDP dans des classes coopératives 9, nous nous sommes demandé pour
quelles raisons l’émergence de la philosophie à l’école était si récente et pourquoi
Freinet, Oury et les autres n’y avaient pas pensé plus tôt. L’une des réponses
apportées est que la classe coopérative serait par définition philosophique, il n’y
a pas besoin d’un moment spécialement prévu à cet effet. Et pour cause ! Quoi
de plus philosophique que de voir des enfants s’interroger sur le monde, de
l’appréhender par l’intermédiaire de questions réitérées ? Quoi de plus philoso-
phique aussi de considérer l’enfant comme « étant de même nature que nous » ?
Quoi de plus philosophique enfin que d’interroger le monde à partir de la naïveté
propre à l’enfant, qui est la résultante de l’introduction du vivant dans la classe ?
Nous adhérons à cette idée que la classe coopérative serait philosophique par
essence.
Mais avec les DVDP, ce n’est pas de cette philosophie dont il est question, en
tout cas dans sa visée. Il ne s’agit pas de développer des attitudes philosophiques
9. CONNAC S., Discussions à visée philosophique et classes coopératives en ZEP, thèse de docto-
rat en sciences de l’éducation, université Paul Valéry, Montpellier, juin 2004.
199
La coopération du point de vue de l’enseignement
Montasser 10 (CE1) : J’ai appris des choses sur le thème, j’ai appris ce que veut dire
immortel.
Ayoub A. (CE2) : Cette année, j’ai appris beaucoup de choses sur les thèmes qu’on a
faits, sur le livre que nous avait lu la maîtresse, L’agneau qui ne voulait pas être un
mouton, j’ai appris beaucoup de choses, j’ai appris que dans la vie y faut être malin,
comme l’agneau.
Nabil (CM2) : Moi je dis que l’année dernière j’avais jamais fait de DVDP et grâce à
elles, maintenant, quand on parle d’un sujet, je vois la vie d’un autre côté. J’ai besoin
de plus d’échanges pour me faire des idées sur des choses.
10. Script de la discussion « Quel bilan pouvons-nous faire après une année de DVDP hebdoma-
daires ? » – classe unique de Mireille Laporte Davin, 27 juin 2008, extraits.
200
Discussions à visées démocratique et philosophique
Hamza (CM1) : J’apprends des choses sur la vie, des choses qui pourront m’être utiles
quand je serai grand. Il y a des questions que je me pose et quand on fait des maths
ou du français on ne peut pas y répondre, pendant les DVDP, oui.
Soufiane (CM1) : Je pense qu’on apprend par tout le monde. Par exemple, j’apprends
à Nabil, Nabil apprend à Ayoub, on fait tourner nos idées comme ça. Quand je dis
une chose, j’apprends à toute la classe. Quand quelqu’un dit une chose, il apprend à
toute la classe, on n’apprend pas qu’à une personne.
201
Quatrième partie
La coopération du
point de vue des
relations
11. LAFFITTE R., « L’école et la loi : une non-évidence » (conférence), 18 mai 2005, Sète.
203
La coopération du point de vue des relations
204
1
Quelques espaces de parole
et d’expression
Le « Quoi de neuf ? »
205
La coopération du point de vue des relations
Quelle forme est-il envisageable de lui donner ? En quoi cette activité répond-elle
aux demandes de l’institution scolaire et, en d’autres termes, permet-elle d’aider
les élèves à acquérir certaines des compétences visées en fin de cycles II et III ?
Les enseignants qui instituent un QDN parlent de son effet positif sur le « climat »
de la classe. Compte tenu de la forme qui lui est donnée dans les classes coopéra-
tives, il peut en effet jouer le rôle d’un régulateur d’échanges :
Néanmoins, ce ne sont pas les seuls apports du QDN dans la vie des élèves.
Ainsi que d’autres institutions, il structure le temps, contribue à la construction
de ce concept chez l’enfant : l’enseignant y renvoie l’élève (« Tu en parleras au
QDN… »), le QDN est repérable sur l’emploi du temps affiché en classe, l’enfant
apprend progressivement à différer sa prise de parole en fonction des propos qu’il
compte tenir ; ce qui est dit, est écrit, ce qui permet de s’en rappeler.
206
Quelques espaces de parole et d’expression
d’activités autonomes et vivantes. Voici une liste non exhaustive d’évolutions pos-
sibles du QDN pour le développement d’apprentissages autres que langagiers :
– le titre de son intervention : au moment de l’inscription au QDN, générale-
ment sur le tableau, il peut être demandé aux enfants d’en écrire le titre.
Cela leur demande, d’une part, de penser une synthèse de ce qu’ils ont à
présenter et, d’autre part, pour les plus petits, d’écrire sans erreur les
quelques mots correspondant à leur intervention. Ces titres, éventuellement
corrigés par l’enseignant, à disposition de tous puisque sur le tableau,
peuvent à leur tour devenir des supports de lecture et d’orthographe pour
tous les autres enfants de la classe ;
– la nature des présentations : le QDN est traditionnellement le lieu de présen-
tation de faits de vie ou d’objets. Il peut aussi être enrichi par d’autres
formes d’interventions, au début induites par l’enseignant. On peut donc
assister à des lectures d’albums ou d’articles, des récitations de poèmes,
des présentations de faits d’actualité, des comptes rendus d’ateliers… en
somme tout ce qui peut faire l’objet d’une intervention volontaire de la part
d’un enfant devant ses camarades ;
– l’exploitation de ce qui est présenté : au terme de chaque exposé, il peut
s’avérer opportun d’ajouter aux maîtres-mots du QDN énoncés par le prési-
dent cette ouverture : « Qui veut faire un projet à partir de ce qui a été dit ? »
La plupart du temps, quelques enfants sont intéressés pour poursuivre ce
qui vient de se dire en réalisant un projet à court ou à moyen terme. Ces
projets peuvent se traduire par une phrase du jour, une présentation à
d’autres classes, l’organisation d’une sortie pédagogique, une recherche
documentaire pouvant aboutir à une conférence d’enfant, etc. Chaque projet
nouvellement accepté fait l’objet d’une inscription sur le plan de travail
mural et revêt un caractère prioritaire sur les autres activités de classe, afin
que les enfants puissent compter sur l’élan initial qui les a poussés à enga-
ger ce projet ;
– la participation de l’enseignant : faisant partie du groupe, il peut aussi
s’inscrire pour une présentation et demander la parole pour intervenir en
réaction à ce qu’un enfant vient de dire. Généralement, ses interventions
visent à élargir la culture commune de la classe, en apportant un texte, une
chanson, un objet, une vidéo que les enfants ont peu de chance de découvrir
par l’intermédiaire de ce qu’ils rencontrent avec leurs familles. En veillant à
trouver un juste équilibre pour ne pas casser l’élan naturel des présenta-
tions, il peut se permettre de rectifier certaines erreurs d’expression, au
même titre qu’il modifie les erreurs d’orthographe portées à la vue de tous :
« Vous faisez », « Vous disez », « Il faut qu’il est », « Le plus bon »… Il peut
aussi essayer de faire évoluer certaines mauvaises habitudes langagières
que les enfants emploient pour s’exprimer, notamment les utilisations
207
La coopération du point de vue des relations
d’« après » pour structurer les discours ou les intonations ritualisées qui,
progressivement, déforment la plupart des interventions.
Riche de cette armature pédagogique, le QDN permet donc d’installer un cadre
particulièrement « contenant » pour l’enfant et pour l’enseignant. De par la forme
qui est donnée à cette institution, l’enfant prend également conscience de cer-
taines nécessités liées à la vie du groupe. En effet, quelques règles de fonctionne-
ment sont systématiquement rappelées : « Je demande la parole », « J’écoute celui
qui parle », « Je ne me moque pas ». Elles permettent d’aller, sans risque, vers la
prise de parole, vers le dialogue avec d’autres et d’oser s’exprimer, donc d’être
reconnu, d’exister au sein du groupe. Le QDN permet de libérer la parole en
s’entraînant en même temps à l’écoute de l’autre.
Il est parfois question d’attribuer à ce qui se dit lors d’un QDN un caractère
de secret en demandant aux membres de la classe de ne pas le faire sortir du
groupe. Bien que comprenant l’intérêt thérapeutique qu’une telle vigilance peut
avoir, nous en contestons l’usage qui est parfois fait au sein de certaines classes :
malaise d’enfants qui ne peuvent plus partager ce qu’ils ont entendu, difficultés
à présenter des « secrets » lors du QDN, sentiment d’exclusion par les familles,
image d’un enseignant qui manipulerait les enfants, etc. L’école gagne à s’ouvrir
sur l’extérieur et, à ce titre, devrait faire tomber plusieurs barrières qu’elle entre-
tient avec lui. Au lieu de parler de secret, nous préférons une certaine confidentia-
lité dans ce qui se partage, dans la mesure où l’enfant qui présente une situation
qui lui est personnelle explique ne pas souhaiter la voir étalée publiquement.
L’approche la plus appropriée pour s’entendre sur cette éthique de classe semble
être d’en discuter en début d’année, de manière que chacun sache quoi faire avec
ce qu’il reçoit ou donne au QDN.
Il en va de même pour l’enseignant qui, parce que le QDN est d’abord un
espace de libre expression, peut être amené à prendre connaissance en même
temps que les élèves, de faits de vie particulièrement sensibles et difficiles à
entendre. En fonction de la nature de ce qui se dit, il doit intervenir, par une
parole devant le groupe entier, souvent accompagnée par un suivi de l’enfant qui
en est l’auteur. Ce qui fait l’objet d’une telle attention concerne généralement des
histoires de décès d’animaux de compagnie, voire de proches, et quelquefois des
faits de violence vécus par l’enfant dans son contexte familial. Des partenaires
sont à disposition, ce serait une faute professionnelle de ne pas les solliciter.
Lorsque les enfants sont assurés dès le début de notre écoute et de notre soutien
en cas de problème de vie important, ils savent se servir du QDN pour communi-
quer dans cet espace sécurisé.
Les échanges sont régulés par un président de séance. Cela fait partie de ses
attributions de rappeler et de faire vivre les règles du QDN. Choisi sur la base du
volontariat, il n’est pas nécessairement reconnu comme compétent dans un
208
Quelques espaces de parole et d’expression
Président : Le secrétaire va nous donner la liste des enfants qui souhaitent parler
Ordre du jour aujourd’hui et le titre de leur intervention.
Le secrétaire lit le prénom des inscrits et le titre qu’ils ont choisi.
209
La coopération du point de vue des relations
210
Quelques espaces de parole et d’expression
Ichem : Je lui avais déjà donnée mais après elle s’est perdue.
Arslan : Il l’a mangée moi je crois parce que tu as dit qu’elle était petite.
Enseignant : C’est quoi ce jeu des quatre pierres ?
Ichem : En fait tu dois poser une pierre ensuite quand le chasseur touche quelqu’un
tu dois courir et tu dois mettre quatre pierres par-dessus. Mais si tu les fais tomber
tu dois courir et le chasseur ne doit pas te toucher avec la balle. Si tout le monde se
fait toucher et ben le chasseur a gagné et si quelqu’un met les quatre pierres en
place et c’est nous qui avons gagné.
Guillaume : Oui mais t’as pas dit que le chasseur ne devait pas rester à côté des
pierres.
Présidente : Qui veut faire un projet à partir de ce qui a été dit ?
Ichem : Moi je veux bien écrire les règles du jeu des quatre pierres. On pourra les
envoyer aux correspondants.
Présidente : Bon d’accord. Sofia tu le notes sur le plan de travail mural. « Le Quoi de
neuf ? » est terminé. Prise de température de la présidence.
Le bilan météo
Le bilan météo prend la même forme que le QDN. Il consiste à mettre à disposi-
tion des enfants un espace de libre parole, cette fois-ci en fin de journée, afin
d’en dresser le bilan et d’envisager la journée de travail à venir. Son principe n’est
pas d’énoncer les faits retenus par chaque enfant, mais plutôt de permettre que
chacun s’exprime sur ce que la journée lui a permis d’apprendre, la qualité de
son travail, les difficultés qu’il a éventuellement rencontrées ainsi que les aides
qu’il sollicite auprès du groupe.
Pour disposer d’une image globale de la satisfaction du groupe, un bilan météo
gagne à débuter par une prise de température de la journée. Individuellement,
chaque enfant manifeste par des gestes distinctifs l’état de son contentement
quant à ce qu’il a pu vivre. S’il trouve qu’il a passé une bonne journée et qu’il a
bien appris, il pourra lever la main, les doigts vers le haut, en forme de soleil. S’il
pense au contraire avoir été dérangé, ne pas être parvenu à terminer son travail
pour au final ne rien apprendre, il pourra lever la main, les doigts vers le bas,
pour signifier la pluie. Pour un ressenti intermédiaire, il formera un nuage avec
son poing. Le président note au tableau la somme des soleils, puis celle des
nuages et celle des pluies. Pour terminer sur des impressions positives, on peut lui
conseiller de débuter la distribution de parole par les enfants qui sont mécontents.
Au cours des prises de parole, il peut arriver que certains témoignent de diffi-
cultés pour travailler et apprendre. Si ce n’est pas proposé par un autre enfant,
l’enseignant intervient et organise une forme d’aide pour le lendemain. Cette aide
peut prendre la forme d’une intervention lors d’un conseil s’il s’agit d’un problème
lié à l’organisation de la vie du groupe ou la forme d’un tutorat valable jusqu’à
211
La coopération du point de vue des relations
ce que la difficulté soit dépassée. Le plan de travail mural sert alors de conserva-
tion de la mémoire de ce qui s’établit en bilan météo.
Ce moment de parole peut aussi être l’occasion de tenter de résoudre certains
conflits nés entre des membres de la classe. Plutôt que d’essayer d’y trouver une
réponse immédiate, il est possible de profiter des règles d’écoute pour formuler
un message clair à destination de celui qui semble nous avoir dérangés. À charge
ensuite de celui qui le reçoit de se manifester pour apporter une réparation qui
pourra compenser le préjudice. Afin que ces communications n’aient pas pour
effet de médiatiser uniquement ce qui dysfonctionne au sein du groupe, l’ensei-
gnant peut rappeler que le message clair peut aussi se faire de manière positive,
pour signifier un remerciement ou une félicitation. Il peut même s’autoriser à en
formuler quelques-uns, dans les deux sens d’ailleurs.
Pour clôturer le bilan météo, le président de séance peut dire ce qu’il a vécu
et ce qu’il pense de sa prise de fonction. Il peut ensuite lancer une température
de sa présidence, surtout s’il s’agit d’un président du jour. Il peut ensuite passer
au choix de son successeur. Un tel moment de bilan se veut un intermédiaire
entre l’école et la famille et permet aux enfants de franchir cette étape en ayant
pu faire part d’émotions fortes gagnant à être communiquées et en rendant
conscients un certain nombre d’apprentissages, véritables fruits de la journée de
travail.
212
Quelques espaces de parole et d’expression
213
2
Un autre espace d’expression :
les conseils coopératifs
215
La coopération du point de vue des relations
de les écouter, de les faire participer aux décisions sur les affaires qui les
concernent suscite leur responsabilisation et leur engagement dans la réalisation
des projets collectifs et la résolution des problèmes liés à la vie collective 2. » On
pourrait ajouter que la multiplication de ces expériences contribue fortement à
l’affirmation de leur personnalité. Vivre en tant qu’auteur et acteur des situations
stimulantes et authentiques permet de se sentir exister et ainsi de se voir de plus
en plus en conscience d’avoir une prise sur ce que l’on fait, ce que l’on dit et ce
que l’on pense. Dans ce cadre-là, ce qui se construit l’est durablement et devient
le support à partir duquel d’autres constructions vont pouvoir s’enchaîner.
Pour que tout cela soit possible, il est nécessaire de disposer d’une structure
en mesure de pouvoir accueillir les implications de chacun. Jean Le Gal propose
une matrice de repères pour l’introduction de tels conseils :
– le processus de changement doit être soutenu et accompagné, l’autonomie
et la responsabilisation sont deux qualités qui s’apprennent ;
– la mise en place du conseil doit répondre à un besoin, être préparée avec
attention et menée avec prudence par un enseignant qui sait où il souhaite
aller ;
– la place respective des différents partenaires, adulte et enfant, doit être
précisée ;
– les sujets traités doivent être importants pour la communauté ;
– les réunions doivent être suffisamment fréquentes pour traiter des proposi-
tions et des problèmes ;
– le conseil doit être efficace pour être crédible et permettre à chacun de s’y
investir ;
– les décisions doivent être connues de tous, sérieusement appliquées et se
traduire par des faits ;
– la liberté de chacun doit être respectée, le conseil n’a pas à se substituer
aux consciences.
Toute personne présente lors d’un conseil s’exprime donc à titre individuel.
Pendant les phases de décision, chacun dispose d’une voix égale aux autres, qu’il
soit élève ou enseignant. Celui-ci est un participant comme les autres, ce qui ne
l’empêche pas d’exister, de garantir et de protéger, par sa présence, la validité de
cette institution. C’est par lui que la structure de classe est apparue, c’est par
l’intermédiaire de son suivi qu’elle évolue. Éventuellement, en cas de risque ou
de non-respect d’une loi, il saura user de son « droit de veto » qui lui permet si
nécessaire de refuser une orientation prise par le conseil et d’en demander une
2. LE GAL J., Les droits de l’enfant à l’école, pour une éducation à la citoyenneté, De Boeck et
Belin, Bruxelles, 2002, p. 151.
216
Un autre espace d’expression : les conseils coopératifs
plus adaptée. Il peut également faire acte d’éducation en se permettant des paren-
thèses pédagogiques consistant à faire remarquer des situations relevant de l’édu-
cation civique (mise en place par exemple d’une procédure visant à respecter
autrui et s’avérant respectée).
Le conseil de coopérative est une institution consultative, propositionnelle et
décisionnelle. Consultatif, il permet une certaine évaluation de ce qui se vit dans
la classe en ce qui concerne le fonctionnement du dispositif coopératif et les
diverses relations qui s’y créent. Propositionnel, il permet à chaque participant
d’émettre des suggestions d’organisation ou de réorganisation. Celles-ci sont sou-
mises à l’échange avant de pouvoir être traduites en décision, soit par consente-
ment mutuel, soit par report de la décision au prochain conseil (quand c’est
possible), soit par tirage au sort, soit par majorité à un vote collectif (la plus
problématique des modalités de décision). Décisionnel, il tend à ce que les déci-
sions prises par le groupe soient directement applicables et appliquées dans la
classe. Le conseil peut envisager la création de métiers ou la réorganisation d’une
partie de la structure.
Fernand Oury présente le conseil coopératif sous cinq approches 3:
• Le conseil comme œil du groupe : les comportements de chacun appa-
raissent aux yeux de tous. Lors d’un conseil, on peut difficilement mentir et
donc se mentir.
• Le conseil comme cerveau du groupe : les analyses de fonctionnement et
les décisions collectives lui appartiennent. Les problèmes apparaissent sous
forme de conflits qui deviennent sources de résolution par de la réflexion
coopérative.
• Le conseil comme réunion d’épuration : « J’ai un problème » évite bon
nombre de coups de pied ou d’insultes. Le conseil apporte une alternative
équitable à la violence, qui passe par la parole et la recherche d’une solution
non violente sans gagnant ni perdant.
• Le conseil comme cœur du groupe : les moments de langage sont créateurs
de nouveaux dynamismes. C’est par lui que la plupart des informations
entrent, sont communiquées et font l’objet d’élaboration de projets.
• Le conseil comme instance évolutive à l’image de la classe. Trois étapes
d’évolution se font jour :
1. Silence, les enfants parlent peu et osent peu s’engager ;
2. Tumulte, ils testent la solidité de cette institution avant de pouvoir y accor-
der une pleine confiance ;
3. VASQUEZ A., OURY F., Vers une pédagogie institutionnelle?, Matrice, Vigneux, 1967, p. 81.
217
La coopération du point de vue des relations
3. Langage. Ce n’est qu’à partir de cette troisième étape que le conseil prend
sa réelle valeur, que ce qui se dit construit réellement la classe et les per-
sonnalités.
Pourtant, trois dérives risquent de faire perdre au conseil sa capacité à fédérer
les individualités derrière l’idée de coopération.
• La dérive démagogique : elle concerne l’adulte responsable du groupe qui
pourrait, consciemment ou pas, user du conseil pour faire valider ses propres
opinions, ses volontés personnelles. Les membres du conseil, aveuglés par
le leurre de la parole libérée, ne seraient amenés à n’opter que pour les
idées de l’adulte, ne les considérant pour diverses raisons que comme les
seules alternatives équitables. Le conseil deviendrait alors le lieu d’expres-
sion du pouvoir des pensées d’un adulte manipulateur et perdrait toutes ses
vertus éducatives. Lui seul est en mesure d’estomper les risques de cette
dérive démagogique, en commençant par attribuer au conseil un réel pouvoir
de résolution. Cela passe souvent par un réflexe pédagogique pris par les
enseignants, à savoir celui de ne pas décider à la place du conseil, mais de
lui renvoyer tout ce qui peut faire l’objet d’un échange et d’une gestion
coopérative. Plutôt que de facilement répondre à des questions d’enfants
comme « Est-ce que je peux aller faire de l’ordinateur ? », y joindre un renvoi
du type « Parles-en au conseil ! 4 ». Les sujets d’échanges correspondent à
des problématiques partagées et motivées par le réel.
• La dérive judiciaire : tomber dans cette dérive correspond à participer à des
conseils où seules des critiques sont abordées et des sanctions sont posées.
Le conseil devient plus un tribunal qu’un lieu où s’exprime la coopération.
Plaignants et accusés ne se contentent rapidement plus des décisions du
conseil qui est alors déconsidéré en tant que cœur du groupe. Souvent, c’est
vers l’adulte que les enfants se tournent en lui demandant de redevenir un
maître. Pour tenter d’estomper cette dérive, il est possible de réduire les
critiques et d’optimiser la place des propositions, des félicitations et des
remerciements. Plutôt que de mettre sur le devant du conseil ce qui pose
problème, l’enseignant peut faire en sorte que conseils et réunions soient
des moments de promotion de ce qui fonctionne dans la classe et de valori-
sation de ceux qui en sont les auteurs. C’est justement ce basculement qui
4. « “Si vous n’êtes pas d’accord, vous pouvez en parler au conseil.” Antoine n’est pas d’accord.
“Tu en parleras au conseil.” Je reparle encore du conseil à propos du tableau. Cette fois, Christine
explose: “Mais qui c’est l’conseil?” J’interromps la discussion par un “Vous le verrez au conseil”
qui met un point final. Mais toute la journée, ils reviennent à la charge: “Qui c’est le conseil?”
“C’est tous les maîtres?” “Mais non, c’est Christine!” “C’est le directeur.” “C’est vous le conseil?”
“C’est vous le concert?” “Alors, c’est qui?” », in POCHET C., OURY F., Qui c’est l’conseil?, Matrice,
Vigneux, 1978, p. 17.
218
Un autre espace d’expression : les conseils coopératifs
« Le conseil est une institution de base de la classe coopérative évoluant vers l’autogestion.
Les enfants y établissent leurs lois, règlent les conflits, examinent les propositions concer-
nant les activités et les relations au sein du groupe, mettent au point leur plan de travail
pour la semaine, discutent de leurs réalisations 5. »
Un conseil de coopérative peut durer environ une heure. Ses principes de libre
expression, justice et démocratie, en font une institution centrale et le véritable
moteur du fonctionnement d’une classe coopérative. « C’est simple : à un moment
donné, la classe cesse ; on parle ensemble de ce qui se passe, pour le changer,
puis on décide 6 … » En amont des conseils, les enfants préparent l’ordre du jour
5. LE GAL J., Le conseil dans la classe, Éditions ICEM, Nantes, 2007, p. 13.
6. OURY F., VASQUEZ A., De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle, Maspéro,
Vigneux, 1971, p. 464.
219
La coopération du point de vue des relations
7. TIBÉRI D., Citoyen en classe Freinet, journal de bord d’une classe coopérative, L’Harmattan,
Paris, 2005, p. 51.
220
Un autre espace d’expression : les conseils coopératifs
les institutions où les décisions se prennent. Alors, comment s’y prend-on pour
choisir, pour décider, sans flouer la parole confiée, sans donner la seule impres-
sion de cette confiance alors qu’au final, ce sont toujours les mêmes qui imposent
leur loi ?
On discute, on cherche le consensus, mais parfois, c’est un peu long. On
installe la petite règle qui explique que si personne n’est contre, c’est adopté,
mais il arrive souvent qu’un enfant ne soit pas d’accord. On multiplie les possibles,
mais ce n’est pas toujours très efficace si l’on veut aussi réunir un groupe autour
d’une réalisation collective. On introduit des discussions à visée philosophique,
parce que le propre de la philosophie, c’est justement de permettre que coexistent
plusieurs réponses à une même question. Mais pour organiser la classe, pour
donner vie aux projets, ce sera difficile d’y trouver des réponses opératoires. On
reporte au prochain conseil, afin de laisser du temps passer, les passions couler,
mais il n’est pas toujours possible et propice d’attendre. Parfois, on vote, afin de
départager entre deux ou plusieurs voies qui ne s’accordent pas. Le problème
alors, c’est que l’on favorise de la sorte la majorité, au détriment des autres, qui
d’ailleurs, n’ont pas forcément tort.
Dans le contexte démocratique de la classe coopérative, plutôt que d’accorder
une seule voix à chacun des membres du groupe, il est possible de lui permettre
de voter chaque fois que la proposition lui convient. Potentiellement, chacun dis-
pose d’autant de voix que de propositions à confronter. Quelques exemples :
– choix de texte du samedi : 17 textes sont soumis à une classe de 23 élèves.
« Le chat » obtient 16 voix, « Ma sœur Émilie » 17, « Les catcheurs » 8,
« Merci Mamadou » 14, et ainsi de suite… Au final, le texte de référence sera
« Ma sœur Émilie » ;
– réunion du mardi : Mouad propose que cet après-midi on fasse une thèque.
Wanessa propose au contraire une partie d’Incollables. Quant à Amel, elle
propose de répéter les chants pour la chorale. Aujourd’hui, on ne peut pas
faire autre chose que de choisir. Alors, on vote. La thèque fédère 20 voix,
les Incollables 17 et la chorale 21. Ce mardi après-midi, ce sera donc chorale ;
– conseil : Marina souhaite pouvoir manger en classe. Quasiment tout le
monde est d’accord pour dire que ce n’est pas possible pour des raisons de
propreté, mais il est proposé de manger dans la cour pendant les récréations
et d’obtenir le droit de boire en classe en cas de grosse chaleur. Le président
organise un vote : pour le droit de manger en classe, 1 voix ; pour aller
manger dans la cour, 12 ; enfin, pour le droit de boire en classe quand il fait
trop chaud, 21 voix.
Qu’est-ce que cela change ? Presque tout en fait, surtout ce qui ne se voit pas
et qui, la plupart du temps, empoisonne le climat d’une classe. Les filles votent aussi
pour des garçons, on ne vote plus que pour son copain, ou sa copine, personne ne
221
La coopération du point de vue des relations
se retrouve seul à voter pour sa proposition pour au final retirer sa voix, de manière
à ne pas paraître ridicule une seconde fois, on ne vérifie plus qui a voté et qui le
peut encore, on n’exclut plus indirectement ceux qui n’ont pas bien écouté, et sur-
tout, ce qui est choisi n’est ni le meilleur, ni le plus amusant, ni le mieux présenté
ou ce qui provient toujours du même, c’est juste ce qui intéresse le plus d’enfants,
ce qui convient au plus grand nombre… Le tout en ayant réellement accordé une
même importance à l’avis de chaque enfant. Voici peut-être une autre façon de faire
de la philosophie avec des enfants ! En tout cas, une ouverture pédagogique pour
faire avancer la problématique du choix lors des conseils.
Réunions et conseils prennent une même forme de déroulement. Ils sont
animés par un président de séance qui se réfère à une liste de maîtres-mots
utilisés pour tous les conseils, quel que soit l’enfant qui assure la présidence.
Cela permet à ceux-ci de tourner dans la prise en responsabilité de cette fonction,
sans avoir à trop changer les habitudes démocratiques prises par la classe.
Le président lit les problèmes du Frigo. Il peut laisser 5 minutes pour que chacun
tente de résoudre les problèmes sans le conseil, avec des messages clairs.
Président : « La parole est à… » La personne appelée formule son problème.
Problèmes
En cas d’accord trouvé, le président passe. Sinon, le conseil prend une déci-
sion. Quand les problèmes sont des détails, le président peut dire « tas de
sable » et passer.
Président : « Qu’est-ce que vous avez à dire pour que la classe fonctionne
Propositions mieux ? »
Le président distribue la parole et organise une prise de décision si nécessaire.
222
Un autre espace d’expression : les conseils coopératifs
Félicitations et
Président : « Qui a des félicitations ou des remerciements ? »
remerciements
Conseil ou réunion ?
Dans les classes coopératives, le conseil peut prendre deux formes, qui pré-
sentent chacune des intentions pédagogiques différentes : la réunion et le conseil.
Voici une partie du script d’une réunion choisie au hasard. Elle s’est déroulée
courant novembre pendant une demi-heure. Sonia, présidente du jour, et donc en
particulier de cette réunion, a pour fonction le rappel des règles inhérentes aux
moments de parole, la gestion du temps, la distribution de la parole et le souci
de voir les règles démocratiques respectées. N’importe quel enfant peut accéder
à cette fonction à condition qu’il en accepte la responsabilité et qu’il ait été estimé
capable de l’assumer avec sérieux. Ismaël, secrétaire, doit relire les décisions
prises lors de la précédente réunion, noter celles prises ce jour et les rappeler
avant de se quitter. Le cahier de conseil ne sert qu’à noter les météos, le prénom
des enfants qui occupent une fonction ainsi que les décisions qui ont été prises,
éventuellement les félicitations et les remerciements. Pour devenir secrétaire, il
suffit d’être suffisamment autonome en écriture.
223
La coopération du point de vue des relations
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Un autre espace d’expression : les conseils coopératifs
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La coopération du point de vue des relations
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Un autre espace d’expression : les conseils coopératifs
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La coopération du point de vue des relations
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Un autre espace d’expression : les conseils coopératifs
Présidente : Bon, on décide pour que Christelle s’occupe des gerbilles… La majorité.
On note.
Abdel : Je voudrais aider Pierrick à porter le matériel de sport.
Présidente : Pierrick es-tu d’accord ?… Très bien, on note. On passe aux félicitations
et remerciements. Pauline ?
Pauline : Je remercie Samantha d’avoir très bien organisé la sortie au musée.
William : Je voudrais remercier Karim parce qu’il m’aide toujours quand je lui demande
des trucs.
Christelle : Je félicite Samia parce que ses gâteaux arabes étaient très bons. En plus,
j’en avais jamais goûté.
Enseignant : Je félicite Adrien parce qu’il a réussi sa ceinture verte de grammaire et
c’est le premier à l’avoir fait.
Présidente : Bon, le conseil se termine. On passe aux relectures des décisions.
Secrétaire : Je relie les décisions du conseil. Si Laetitia continue de mal faire son
métier, on lui enlève. On aura le droit de boire en classe quand il fera chaud. Pierrick
n’a pas son permis de circulation. Sylvain a obtenu son permis. Élodie devient bleue
en comportement à l’essai. William reste jaune. Christelle prend le métier gerbilles.
Samia écrit la date. Florian s’occupe du tableau. Yoan prend le métier de Pierrick.
Abdel aidera Pierrick pour le matériel de sport. Pauline remercie Samantha. William
remercie Karim. Christelle félicite Samia. Le maître félicite Adrien.
Présidente : Le conseil est terminé. Prise de température de la présidence ?
Élodie : Prise de température de la présidence.
(Quatre orages, trois nuages et quatorze soleils.)
229
La coopération du point de vue des relations
Une fois les inscriptions closes, le président appelle dans l’ordre des colonnes,
selon l’ordre d’inscription et met une croix à côté du prénom une fois que l’enfant
s’est exprimé. Le déroulement du conseil peut être le même, en veillant à ce qu’il
ne dure pas trop longtemps.
La classe coopérative se caractérise comme un système vivant dont le moteur
est l’ensemble des activités de classe moments collectifs, situations d’entraides,
organisation de groupes de besoin, phénomènes de dissipation engendrés par
l’activité des enfants… Or, cette dissipation et le caractère imprévu des échanges
peuvent naturellement induire des effets parasites d’hégémonie d’enfants sur
d’autres ou de troubles entravant le déroulement des activités de chacun (bruit,
encombrements, problèmes de rangement…). Ces perturbations sont d’autant plus
importantes que l’espace dont disposent les enfants peut être restreint. La réunion
et le conseil apparaissent comme les éléments de la structure à partir desquels
s’établit la loi première, celle sans qui toutes les autres ne pourraient pas être
discutées. Cette loi permet à chacun d’être considéré dans son groupe d’apparte-
nance comme un être singulier accepté et respecté, de disposer des diverses
informations traversant l’espace de la classe, de s’orienter vers divers pôles d’acti-
vités et de pouvoir compter sur un espace attribuant un véritable sens à la com-
munication. C’est à ce titre que réunions et conseils peuvent être considérés
comme les clés de voûte de la classe coopérative.
« Les visiteurs ont toujours été impressionnés par la réunion. Un vieux journaliste me
disait tout ému : “J’ai l’impression de revivre mes conférences de rédaction !” Il n’y avait
pas besoin de leader, de donneur de paroles. Très souvent les circonstances faisaient que
je ne pouvais moi-même y assister, sans que cela ne pose de problèmes ou ne perturbe.
La réunion était intégrée par tous comme l’indispensable moment où le groupe se resserre,
se perçoit, se structure, s’organise 8. »
8. COLLOT B., Une école du 3e type ou la pédagogie de la mouche, L’Harmattan, Paris, 2002,
p. 97.
230
3
Contrats de vie, sanctions
et réparations
Dans le commun des écoles, nous n’avons plus affaire à des écoles casernes
telles qu’elles ont été décrites par F. Oury et J. Pain 2. Nous avons plutôt affaire à
une image inversée. La société est entrée dans une culture de l’immédiateté et
du comblant, du tout, tout de suite. Bien évidemment, l’école n’échappe pas à
ces mouvances et s’en voit touchée de front. C’est l’ébranlement de la notion de
limite qui est en jeu. De fait, une carence de la loi se fait ressentir. L’école a
abandonné les punitions humiliantes (coups, bonnets, coins, pensums, etc.) mais
en même temps s’est aperçue qu’elle ne disposait pas d’autre chose. Face à une
classe, il ne reste généralement plus que le pouvoir de séduction de l’enseignant
et les leçons de morale. On ne s’est jamais bien posé le problème des sanctions
qui en sont réduites à l’acte de punition comme échec éducatif. La notion de loi
ne peut donc être appréhendée. Elle ressort de la non-évidence 3.
Lorsqu’un enfant ne respecte pas des règles, c’est d’abord dans son vécu que
l’on risque de trouver une absence de référence à la loi. Il ne s’agit pas de punir
mais plutôt de réagir à un appel qui s’est manifesté par un acte, un mot, un
comportement, un échec, une réussite par un moyen symbolique, une sanction. Il
s’agit de dépasser le cadre de la morale et de le placer au niveau symbolique.
231
La coopération du point de vue des relations
Les enfants agités semblent appeler quelque chose qui les arrête, qui stoppe leurs
errances. Il ne s’agit pas de trouver un équilibre entre laxisme et rigorisme, mais
plutôt de permettre à l’enfant de disposer d’une limite symbolique entre soi et
son environnement. C’est dans cette logique qu’intervient le contrat de vie.
Nous préférons utiliser ce terme plutôt que celui de règlement de classe dans
la mesure où les enjeux de ce travail résident moins dans l’application de règles
et lois que dans un esprit de cogestion que les enseignants sauront susciter
auprès de leurs élèves. De plus, la création de ce contrat implique tacitement cet
engagement mutuel de se donner les moyens d’élaborer en commun les règles
qui régiront les actions de chacun (enfants et adultes) en échange d’engagements
volontaires et solidaires.
Voici une proposition de protocole d’élaboration d’un tel contrat de vie. Il est
composé de cinq parties. Il s’appuie sur l’idée que les lois et les règles ne sont
pas toutes de même nature, que certaines d’entre elles sont immuables alors que
d’autres peuvent être changées, que le non-respect de certaines peut conduire à
des sanctions, ce qui serait pour d’autres pédagogiquement inopportun 4. Ces
règles se déclinent en trois niveaux : les lois, les règles de vie et les codes de
conduite.
• Le niveau des lois correspond à ce qui est immuable, ce qui ne peut être
changé et qui est à la base de tout. Ces lois sont supérieures aux personnes,
sans elles, rien n’est possible. Elles relèvent de l’universel, de la démocratie
et de l’humain. Au début, ce sont les enseignants qui apportent ces éléments
de lois, on ne les discute plus. Lorsqu’on parle de loi à l’école, il ne s’agit
pas de la loi juridique qui correspond à des codes issus de discussions mais
plutôt à une loi symbolique qui est non discutable puisque c’est celle qui
permet à l’humanité de se vivre, c’est celle qui permet aux autres d’advenir.
• Le niveau des règles de vie, c’est celui du règlement. Les règles de vie disent
ce qui est interdit, ce qui est autorisé et les sanctions que l’on encourt
lorsque c’est interdit. Les règles de vie sont proposées, discutées et décidées
en conseil et peuvent à tout moment faire l’objet d’une modification en fonc-
tion des demandes d’adaptation de la classe. Elles correspondent au
contexte dans lequel le groupe-classe se trouve. Les règles sont au service
du vivre ensemble et peuvent donc être modifiées.
• Le niveau des codes de conduite porte sur la politesse et s’intéresse à des
questions plus pratiques : est-ce qu’on se dit bonjour et au revoir ? Qui dit
bonjour le premier ? Quelles sont les formules de politesse que l’on utilise ?
4. Cette typologie est issue d’une présentation de pratiques par Aline PEIGNAULT, principal du
collège du Haut-Mesnil à Montrouge lors du colloque « Construire la loi à l’école », université
d’été, 7-10 juillet 1997, Clermont-Ferrand.
232
Contrats de vie, sanctions et réparations
Les sanctions
Modifiables Non modifiables
Avec Sans
Lois √ √
Règles de vie √ √
Codes de conduite √ √
5. DEFRANCE B., « La construction de la loi à l’école », in Journal du Droit des Jeunes, no 147,
septembre 1995.
6. Voir : http://bdemauge.free.fr/
233
La coopération du point de vue des relations
Liste des principes élémentaires qui ne se discutent pas puisqu’ils sont ce qui
permet qu’il y ait du droit et donc de la discussion :
234
Contrats de vie, sanctions et réparations
Les règles émises par les enfants sont ensuite classées en lois,
règles de vie et codes de conduite
Est de l’ordre de la loi ce qui correspond à ce qui a été présenté au départ
par les adultes et qui peut préciser les termes employés. Devient règle de vie ce
qui peut changer en cas de besoin et qui est relatif au milieu de vie de la classe
mais qui, en cas de non-respect, peut induire une sanction. Deviennent constitutifs
du code de conduite les énoncés pouvant être modifiés par le conseil et ne néces-
sitant pas la médiation de la sanction. Par exemple, une proposition comme « On
n’a pas le droit de voler » correspond au degré des lois, « On doit enlever sa
capuche, sa casquette, son chapeau ou son bonnet avant d’entrer en classe » à
celui du code de conduite et « On se sert du passeport pour demander de l’aide
à quelqu’un qui travaille » peut devenir une règle de vie.
235
La coopération du point de vue des relations
temps accordé pour une aide, une proposition particulièrement facilitatrice lors
d’un conseil, le prêt d’un matériel, un réconfort apporté, une assiduité particulière-
ment intense dans une tâche, un service rendu au groupe, la prise en charge
d’une responsabilité que personne ne souhaitait accepter, un effort personnel
important, la réussite à une épreuve qui jusque-là résistait… Elles peuvent être
distribuées en fin de journée ou par l’intermédiaire de l’enfant ou de l’adulte qui
a pu observer le comportement aidant. Pour souligner le crédit qu’on lui attribue,
il est possible de faire qu’une remarque positive ait le pouvoir d’annihiler une
gêne. Ainsi, on reconnaît les comportements dérangeants et on valorise ceux qui
vont dans le sens des évolutions. On s’efforce de ne pas seulement médiatiser ce
qui crée des problèmes. Pour les enfants en situation personnelle sensible et
créant des difficultés auprès des personnes qu’ils côtoient, c’est l’occasion de se
sentir exister aux yeux du groupe autrement que par leurs errements. Cette atten-
tion accordée est d’autant plus importante lorsque l’on reconnaît que dans des
phases de doute et d’inconfort, il arrive que l’on préfère disposer d’une image de
soi négative plutôt que de renvoyer de la neutralité et avoir l’impression de ne pas
être reconnu par ses pairs. Au cours de la phase d’introduction de ces remarques
positives, l’enseignant devra aider les enfants à dépasser quelques dérives tenta-
trices, comme celles de se les échanger gratuitement (tu m’en mets une, je t’en
mets une), de n’en accorder qu’aux copains, qu’aux plus forts, et de n’avoir pour
seule motivation à les demander que de compenser un nombre de gênes trop
élevé.
Eirick Prairat 7 entend la sanction comme le moyen destiné à assurer le respect
de l’exécution effective d’un droit ou d’une obligation. Il propose une matrice de
fins poursuivies par la sanction telle que nous l’entendons :
• La sanction vise à réconcilier un sujet divisé. Freud a avancé l’idée que l’on
peut en certaines circonstances être travaillé par le sentiment d’un « besoin
de punition ». Après une action répréhensible, l’enfant peut par exemple se
priver de dessert ou bien briser involontairement l’un de ses jouets préférés
pour tenter de se délivrer de la culpabilité qui le submerge. « Le châtiment
que la loi réserve lui semble un purgatoire par rapport à l’enfer des forces
inconscientes de son être moral. » La sanction vise à réconcilier le fautif avec
lui-même.
• La sanction est là pour aider à un moment donné un sujet singulier à adve-
nir. Elle est un moyen de promouvoir l’émergence de la liberté en imputant
à un sujet les conséquences de ses actes. Sanctionner est bien attribuer à
l’autre la responsabilité de ses actes. Cela contribue à l’éducation de l’enfant
en créant chez lui progressivement cette capacité d’imputation par laquelle
7. PRAIRAT E., La sanction. Petites méditations à l’usage des éducateurs, L’Harmattan, Paris,
1997, p. 122-130.
236
Contrats de vie, sanctions et réparations
8. Décret no 85-924 du 30 août 1985 modifié par le décret no 2000-620 du 5 juillet 2000.
9. Circulaire no 91-124 du 6 juin 1991.
237
La coopération du point de vue des relations
Pour éviter que les enfants ne tombent dans la dérive de dresser un ensemble de
punitions inappropriées et avilissantes, voici quelques repères qui guident l’action
pédagogique en termes d’élaboration d’un système de sanctions :
• la sanction s’adresse à une personne, sont refusées toutes les procédures visant
à sanctionner un collectif ;
• la sanction porte sur des actes ou sur des faits, et non sur des intentions, ou
pire, des supposés d’attitudes ;
• la sanction s’accompagne d’une procédure réparatrice qui, à destination de la
victime, consiste à faire preuve de la compréhension de son erreur ;
• lorsqu’elle s’intéresse à une erreur, la sanction correspond à la privation de l’exer-
cice d’un droit, si possible celui lié à la transgression. Lorsqu’elle concerne le
domaine des relations interpersonnelles, faute de pouvoir toucher au droit
d’échanger, la sanction peut être d’ordre symbolique. Lorsqu’elle dépend d’une
réussite, elle tend à faire augmenter les espaces de libertés ou à compenser les
erreurs ;
• l’enfant est en phase d’apprentissage, il peut donc revendiquer un droit à l’erreur,
dans la mesure où il accepte de la corriger, faute de quoi elle deviendrait une
faute 10.
10. « Une erreur ne devient une faute que lorsqu’on refuse de la corriger », J.-F. KENNEDY lors
de son dernier discours le 22 novembre 1963.
238
Contrats de vie, sanctions et réparations
Ce qui est bien différent pour la punition dont le principe est généralement
d’accroître la dissymétrie entre deux personnes par la force et la coercition. Avec
la punition, on peut faire mal, blesser, humilier, rabaisser, etc. Ce qui fait penser
qu’elle n’a pas sa place en éducation. Une punition pour des coups donnés serait
des coups reçus ou une privation de dessert. Une punition pour le matériel non
rangé pourrait être de ranger tous les casiers des enfants de la classe. L’incohé-
rence alors créée serait qu’au lieu d’être conduit à reconnaître la limite d’une loi
ou d’une règle, cet enfant serait plutôt engagé à se voir rabaissé, à être la cible
d’une injustice ou même à ressentir de l’aversion envers celui qui l’oblige à mani-
fester une telle soumission.
La réparation éducative a un tout autre objectif que la sanction. Elle a pour
but de rétablir une relation altérée par une souffrance commise de l’un sur l’autre.
Elle tend à recréer du lien et de l’amitié. Elle s’appuie sur le double principe
d’accorder à la victime du soulagement et de permettre au « persécuteur » de
l’apaisement, du rachat, un pardon. En ce sens, il semble que la nature de la
réparation n’appartient qu’aux protagonistes du conflit. Ce serait contraire à cette
idée que de l’imposer ou plus, d’en imposer la forme, par exemple avec le récur-
rent « va t’excuser ! ». C’est donc à celui qui se reconnaît en erreur de faire la
démarche de proposer lui-même une réparation et à la « victime » de l’accepter
ou pas. Maryse Vaillant 11 semble celle qui a le plus développé ce concept. Elle
l’entend comme un dispositif pédagogique qui vise à permettre au persécuteur
de s’acquitter auprès de sa victime, de son groupe d’appartenance et de lui-même
de l’acte déviant dont il a été l’auteur. La réparation éducative consiste à faire
don de soi pour manifester une compréhension des souffrances provoquées. Elle
donne l’occasion de réparer et de se laisser réparer. Elle peut correspondre à la
conséquence d’un message clair entendu et accepté. Elle est la sincère reconnais-
sance de l’acte commis. La réparation éducative ne fonctionne que dans la mesure
où elle est sincère et honnête. Elle gagne en qualité lorsqu’elle est connue et
utilisée par et pour un maximum de membres du groupe. Dans l’idéal, une répara-
tion provient de la personne qui a causé la souffrance : plus la réparation est
imposée par un tiers, plus elle perd en sincérité et honnêteté. Pour l’histoire des
coups sur la tête, le premier enfant peut proposer d’aller voir le second pour
passer un moment à jouer avec lui, lui donner un dessin personnel, s’excuser.
Dans le cas du matériel mis en désordre, le « rangeur fou » peut proposer d’appor-
ter des biscuits aux enfants de la classe ou d’aider ceux qui en ont besoin à
remettre de l’ordre dans leurs affaires. Contrairement à la sanction, une réparation
n’a pas forcément de lien avec l’acte incident et provient essentiellement d’un
engagement volontaire de vouloir s’acquitter de ce qui fait poids. L’action de
11. VAILLANT M., De la dette au don. La réparation pénale à l’égard des mineurs, ESF Sciences
humaines, Paris, 1994.
239
La coopération du point de vue des relations
Formation à la réparation
Khalid a 10 ans. Hier soir, il est sorti pour faire de la trottinette dans le quartier. Au
coin d’une rue, il a rencontré Driss, un copain de classe, en train d’essayer pour la
première fois sa trottinette. Malheureusement, il s’est écroulé comme un débutant
devant Khalid qui s’est éloigné en rigolant. Ce matin, Khalid a raconté tout fort en
classe comment Driss « s’est gamélé sur le trottoir » et combien il est « nul en trotti-
nette ». Devant les rires et les moqueries de beaucoup, Driss est sorti de la classe
pour pleurer.
→ Étape 1 : questionnement
1 – Pourquoi Driss est-il sorti en pleurant ?
2 – Pourquoi Khalid s’est-il moqué de Driss devant tout le monde ?
3 – Que ressent Driss dans son cœur ?
4 – Que ressent Khalid dans son cœur quand il voit Driss pleurer ?
5 – Que peut faire Driss pour aller mieux ?
6 – Que peut faire le conseil de classe ?
7 – Comment Khalid peut-il consoler Driss ?
8 – Que peut faire Khalid pour aller mieux dans son cœur ?
240
Contrats de vie, sanctions et réparations
Situation 3 : Khalid a menacé Driss de le « taper à la sortie » s’il ne lui donnait pas
son goûter.
Situation 4 : Khalid a enfermé Driss dans les toilettes.
Situation 5 : Khalid a traité la famille de Driss de « faces de rats ».
Ne sont pas considérées comme des sanctions éducatives les pensums (lignes
répétées et dénuées de sens), les violences physiques, les insultes, les humiliations,
les privations complètes de temps de récréation, les privations d’activités spor-
tives internes à l’école.
Les sanctions peuvent prendre la forme de (par ordre d’importance) :
– avertissements ;
– réparation naturelle (réparer ce qui a été cassé, par exemple) ;
– amendes (avec la monnaie de classe) ;
– privations momentanées de droits (parole, déplacement, permis, etc.) ;
– isolements momentanés dans la classe ;
– privations de sorties extraordinaires ;
– demandes d’intervention des familles ou responsables légaux ;
– isolements momentanés dans une autre classe ;
– rester à proximité immédiate des maîtres (cour, BCD, bureau…) 12.
Ces sanctions peuvent être complétées voire remplacées par des réparations
acceptées.
Les mesures positives d’encouragement :
Il y a lieu de mettre en valeur des actions dans lesquelles les élèves ont pu faire
preuve de civisme, d’implication dans le domaine de la citoyenneté et de la vie
de l’école. Ces actions font aussi appel à des sanctions positives les permis de
circulation libre et responsable, l’obtention de ceintures, les métiers et responsa-
bilités, la monnaie intérieure (dans certaines classes), les remarques positives, les
félicitations et remerciements lors des conseils…
241
La coopération du point de vue des relations
que l’on est d’accord avec ce qui a été établi. Il s’agit ici d’une volonté de fournir
des efforts allant dans le sens de la réflexion engagée.
Voici un exemple de contrat de vie tel qu’il se présente à ce stade de dévelop-
pement.
Lois
1 – On vient à l’école pour travailler et apprendre.
2 – Chacun a le droit d’être tranquille dans son corps (respecter les parties
intimes, ne pas se bagarrer), son cœur (ne pas se moquer, insulter) et ses
affaires (ne pas voler, prendre sans autorisation).
3 – Notre enseignant appartient et travaille avec tout le monde.
4 – Nous devons aider celui ou celle qui ne sait pas ou qui a des difficultés.
Règles de vie
1 – On a le droit de manger dans la cour et à la maison.
2 – On a le droit de boire en classe.
3 – On respecte le code de sons (vert on parle normalement – orange on
chuchote – rouge silence – blanc on demande la parole au président).
4 – On ne court pas dans le bâtiment de l’école.
5 – On parle gentiment.
6 – On fait attention et on range le matériel.
7 –…
8 –…
Code de conduite
1 – Dire bonjour, merci, au revoir, s’il te plaît, pardon.
2 – Être agréable avec tout le monde.
3 – Ne pas chanter en classe.
4 – Ranger sa chaise avant de quitter la classe.
5 – Ne pas se balancer sur les chaises.
6 – Être propre.
7 – Ne pas accuser sans preuve.
Les sanctions
Elles servent à se calmer, ne plus recommencer, comprendre son erreur.
Les sanctions interdites :
– taper et faire mal ;
– cracher ou salir quelqu’un ;
– enfermer ;
– insulter ;
– donner des lignes à recopier ;
– priver de toute la récréation.
242
Contrats de vie, sanctions et réparations
Comme sanctions :
– un avertissement ;
– une gêne ;
– une remarque positive ;
– une amende ;
– perdre un droit (de parole, de déplacement…) ;
– priver d’une activité ;
– priver d’une partie de récréation ;
– priver d’une sortie ;
– ceinture dorée.
Toutefois, ce n’est pas parce que les enfants auront participé, proposé, voire
signé ce contrat de vie que la tâche des enseignants se termine quant à l’appren-
tissage de la loi et au suivi du contrat. Au contraire, on pourrait dire qu’elle débute
ici, dans le sens où il va importer, non plus seulement d’expliquer ces règles, mais
surtout de les rappeler et de les faire vivre. On ne peut pas demander à des
enfants de comprendre et d’appliquer un règlement qui se veut toujours coercitif
sans leur laisser un temps d’adaptation et de travail personnel. C’est tout l’intérêt
des apprentissages. De plus, ce n’est pas parce qu’on est amené à répéter ce qui
a été posé collectivement que ce contrat peut être considéré comme caduc : au
contraire, il existe de fait et est en cours de construction et d’auto-acceptation.
De ce fait, établir un contrat de vie avec des enfants, c’est également s’interro-
ger sur la façon dont il va être mis en pratique et comment le groupe le reconnaîtra
comme un outil au centre de sa vie. La structure la plus adaptée pour permettre
à un groupe de vivre et de faire évoluer ce contrat de vie semble être le conseil
coopératif, tel qu’il vient d’être présenté dans le chapitre précédent.
243
4
Prendre des responsabilités
au sein de la coopérative
1. In Une journée dans une classe coopérative, le désir retrouvé, Matrice, Paris, 1985, p. 128.
2. Cité par LAPLACE, C., Pratiquer les conseils d’élèves et les assemblées de classes, Chronique
Sociale, Lyon, 2008, p. 18.
245
La coopération du point de vue des relations
que les enfants développent en s’engageant dans leur métier sont autant de solli-
citations qui contribuent à leur enrichissement affectif et cognitif. En d’autres
termes, il se pourrait bien que le rangement des fichiers de mathématiques aide
certains enfants à améliorer leur orthographe, par exemple. Nous avons déjà pu
voir que la disponibilité aux apprentissages du cerveau dépend en grande partie
de la densité du maillage neuronal, essentiellement bâti par l’intermédiaire des
expériences qu’il a pu développer de manière active.
C’est souvent lors du premier conseil que sont pris en charge les premiers
métiers, jusque-là exercés par le maître depuis son arrivée dans la classe. Mais la
classe coopérative commence réellement à prendre forme et les métiers à acquérir
du sens lorsque les élèves en proposent la création et demandent eux-mêmes au
conseil de les exercer. En début d’année, point de liste, ou alors une très minimale
de deux ou trois métiers nécessaires au démarrage, par exemple facteur, respon-
sable des classeurs, des textes à taper… L’enseignant se garde de tout faire dans
la classe, ce qui engendre la libération d’espaces en même temps que quelques
dysfonctionnements. Avec l’ouverture d’espaces et de lieux d’expression et de
coopération, des résistances surgissent et du fait qu’un certain ordre est néces-
saire si l’on ne veut pas que la classe devienne un milieu invivable parce qu’inor-
ganisé, la proposition de métiers par les enfants apparaît comme une véritable
piste en mesure d’améliorer les interactions et les interrelations dans la classe.
Chaque enfant est en mesure de trouver un métier qui correspond à ce qu’il est
capable de réaliser. Ces responsabilités sont en lien avec des besoins qui émanent
de la vie coopérative de la classe et permettent aux enfants qui les acceptent de
participer à leur développement.
Progressivement, un tableau se construit (les fiches en T ou des étiquettes
qui se déplacent s’avèrent pratiques parce qu’elles facilitent les modifications).
Lorsqu’un nouveau métier est proposé, le conseil s’interroge sur son utilité, déli-
mite la nature de ses fonctions puis recherche des volontaires. Généralement, les
prioritaires sont ceux qui n’en possèdent pas encore un, sauf lorsque la responsa-
bilité correspond à une compétence spécifique, maîtrisable par quelques-uns seu-
lement. Au bout de quelques semaines, chacun parvient à obtenir un métier
auquel il a pensé ou qu’on lui a proposé. Il peut disposer, par l’intermédiaire de
ce tableau et des responsabilités qui y correspondent, d’une place reconnue, utile
et respectée dans la classe. « On ne prend pas le métier d’un autre sans lui en
avoir parlé », est une des règles de vie qui peut être partagée dans le groupe.
Généralement, un enfant qui possède un métier en est titulaire jusqu’à ce qu’il
n’en veuille plus ou jusqu’à ce que le conseil estime qu’il ne le fait pas correcte-
ment. C’est la grande différence avec les services, qui « tournent » selon des
périodes définies par l’enseignants mais qui privent les enfants d’exercer et de
développer de la responsabilité.
246
Prendre des responsabilités au sein de la coopérative
3. CONNAC S., JOFFRE E., TIBÉRI D., Fichier d’incitation à la coopération et à la citoyenneté,
Éditions ICEM, Nantes, 2008, p. 44.
247
La coopération du point de vue des relations
Une fois que tous ceux qui le souhaitent disposent d’une responsabilité, le
principe est que personne ne peut se la voir retirer s’il n’en a pas formulé la
demande. Ceci ne vaut pas lorsque le conseil en a décidé autrement en raison
d’une constatation d’un très mauvais fonctionnement et d’une difficulté manifes-
tée à assumer la fonction. C’est le cas avec un enfant qui n’arrive pas à ranger
correctement les fiches dans les classeurs en raison de la complexité du codage
ou avec un autre qui oublie trop souvent de noter les inscrits à la cantine sur le
cahier prévu à cet effet. Lorsqu’il souhaite céder sa responsabilité, il le précise
lors du conseil et peut en choisir un nouveau parmi ceux dont d’autres enfants
ne veulent plus. Tout enfant peut donc être amené à abandonner un métier si
celui-ci lui apparaît comme trop difficile (lorsque le rôle dépasse la compétence),
ou trop contraignant (lorsque le rôle parasite grandement le travail scolaire), ou à
échanger un métier contre un autre exercé par un camarade.
Certains métiers sont fortement plébiscités parce qu’ils confèrent un statut
envié dans la classe (informaticien ou responsable des photocopies par exemple)
ou parce qu’ils permettent d’obtenir une place importante dans le groupe (respon-
sable des classeurs, chargé de l’appel, écrivain de la date, etc.). D’autres métiers
apparaissent puis disparaissent parce qu’ils se sont avérés caducs, notamment
ceux liés à des projets ponctuels ou peu mobilisateurs. Si plus personne n’y fait
référence, il n’y a plus de raison de se forcer à faire vivre un métier, la décision
de le faire disparaître peut donc être prise lors d’un conseil. La responsabilité
du rang que l’on rencontre fréquemment dans les écoles peut soulever certains
problèmes : au lieu d’aider les enfants à se déplacer sans souci en rang, un tel
métier est propice à des antagonismes qui parasitent la vie du groupe. Ce type
de difficultés peut donc faire l’objet de discussions en conseil, des essais peuvent
être tentés et des décisions prises en fonction des effets.
Il peut également arriver qu’apparaisse une demande de rétribution des
métiers sous forme de monnaie intérieure. Or, peut s’ouvrir un débat sur le fait
que, contrairement aux travaux scolaires, les métiers correspondent à un engage-
ment volontaire qui consiste à rendre service à l’entreprise coopérative de la
classe. À ce titre, nul n’est contraint d’y participer, même s’il doit en assumer
certaines conséquences. C’est pourquoi nous défendons l’idée que ces métiers
pédagogiques ne gagnent pas à être payés par une monnaie intérieure. Dans les
faits, cette modification n’empêche pas les enfants de trouver leur place dans le
groupe grâce à leur métier (« C’est mon métier et t’as pas le droit de le faire à ma
place ! »).
Des phénomènes inconscients apparaissent dans la classe, notamment par ces
métiers. Le transfert est une attitude inconsciente qui consiste à projeter sur autrui
des objets d’amour (transfert positif) ou de haine (transfert négatif) qui ne lui
appartiennent pas. Ce peut être le cas lorsque Thomas passe ses récréations dans
248
Prendre des responsabilités au sein de la coopérative
les jupes de l’assistante d’éducation parce qu’elle lui rappelle par la douceur de
sa voix sa maman. Ce peut être aussi le cas lorsque Lucie s’approprie toutes les
manières de langage de Thélia parce qu’elle voit en elle une part de son idéal.
Pour la personne susceptible d’être la cible d’un transfert, un contre-transfert est
une attitude inconsciente visant à y réagir soit par la mise en place de stratégies
de protection (afin de ne pas le subir), soit par l’acceptation des élans affectifs. Il
s’agit d’une réaction transférentielle antérieure ou postérieure aux transferts. Il y
a contre-transfert lorsqu’en tant qu’enseignant, je m’en prends à un enfant
lorsqu’il se manifeste dans la classe parce que je reconnais en lui des traits de
personnalité d’un autre élève, la plupart du temps ancien. Il peut y avoir égale-
ment contre-transfert lorsque, toujours en tant qu’enseignant, j’évite d’entrer dans
une trop forte relation avec mes élèves parce que je me méfie des éventuelles
conséquences.
La classe coopérative se veut un espace de libération des authenticités. De ce
fait et parce que « les enfants ne laissent pas leur inconscient au portemanteau »,
chacun devient un potentiel auteur de transferts. Un certain nombre d’entre eux
prennent pour objet l’adulte de la classe. Si ces transferts de l’enfant sur l’ensei-
gnant ne sont pas analysés puis régulés, ils maintiennent l’enfant dans une situa-
tion de dépendance qui le conduit à une moindre affirmation de soi. Ce traitement
du transfert peut notamment se produire lorsqu’un enfant occupe une place dans
la classe.
« Pour maîtriser les transferts, l’enseignant s’efforce de fournir à l’enfant le moyen d’accé-
der à d’autres relations d’objet, de s’investir dans des activités qui y correspondent. Le
plus aisé est d’utiliser la médiation du groupe, qui agit selon des consignes, selon la loi
fixée pour tous 4. »
249
La coopération du point de vue des relations
« “Je propose que, chaque jour, un enfant de la classe soit président du jour, à son tour.”
Au conseil, chacun attend de connaître ce que peut être ce mystérieux président du jour.
J’explique, comme ils l’ont constaté, que je ne suis pas toujours disponible pour répondre
à leurs demandes pendant les activités personnelles. Nous avons déjà des responsables
d’équipes et d’ateliers, je propose un responsable nouveau, le président du jour qui pour-
rait voir ce dont chacun a besoin aux ateliers, dans une équipe, faire respecter les règles 5. »
Il se trouve que la vie coopérative de la classe s’appuie sur une série d’élé-
ments du contrat de vie de classe qui garantissent la sécurité, le respect et la
mise en confiance de chacun. Il apparaît judicieux de penser que c’est à l’adulte
de la classe qu’incombe cette fonction de rappel de la règle. Le plus souvent, cela
évite contestations, interprétations et indulgences pour les copains mais pas pour
les mal-aimés. Et pourtant… L’enseignant de la classe est une personne tout aussi
faillible que n’importe quel enfant et l’on sait combien les erreurs d’interprétation
de l’adulte peuvent engendrer des sentiments d’injustice, sentiments particulière-
ment importants au cours de l’enfance.
Le plus souvent, tout du moins pour les enfants les moins autonomes, l’ensei-
gnant est le principal référent pour les problèmes rencontrés. On imagine mal
comment un élève ne reconnaissant pas les verbes ou se trouvant devant un
problème informatique insoluble pour lui va bien pouvoir poursuivre son activité
sans l’aide de l’adulte. Pendant les moments de travaux personnels, il est donc
utile que l’enseignant puisse se rendre disponible pour aider à l’évolution des
activités dans lesquelles les enfants se sont engagés. Dénués d’ubiquité, les
enseignants se trouvent souvent en train de gérer deux types de demandes, pas
toujours compatibles : celles qui relèvent du respect des petites règles du fonc-
tionnement coopératif et celles qui concernent les activités et des apprentissages
en cours.
Une solution pourrait être de réduire la part de liberté des enfants dans la
classe mais on voit bien combien celle-ci s’avère nécessaire pour contribuer plei-
nement à l’exercice de la coopération et à l’aboutissement des projets de chacun.
Une autre pourrait être la fonction de « président du jour ». Dans la classe
cohabitent au moins deux fonctions : celle d’élève et celle d’enseignant. On pour-
rait ajouter au niveau d’une école les fonctions de direction, de parent, de moni-
teur sportif, d’assistant d’éducation, d’inspecteur de l’Éducation nationale…
Chacune de ces fonctions se décline en différents rôles, associés à des tâches
particulières. Du fait qu’un président du jour se voit confier un ensemble de
5. LE GAL J., Le maître qui apprenait aux enfants à grandir, Les Éditions libertaires, Toulouse,
2007, p. 51.
250
Prendre des responsabilités au sein de la coopérative
« Chaque enfant est président de jour à son tour. En dehors des équipes fixes, il se crée
des équipes occasionnelles. Le chef de ces équipes ne peut être un enfant qui est déjà le
chef d’une équipe fixe… Ainsi s’était formée à la colonie, une chaîne très compliquée
d’interdépendance qui ne permettait à aucun colon de se détacher de la collectivité pour
la dominer 6. »
251
La coopération du point de vue des relations
Présidents
→
Blanc Abdellah
Jaune Adil
Bleu Aïssam
Vert Wanessa
Orange Yasmina
Jaune Yassine
* Remarques positives.
252
Prendre des responsabilités au sein de la coopérative
Fiche outil
pour présider une journée
Tu peux te faire aider par un grand ou par quelqu’un qui a déjà présidé la journée.
Au début de la journée, il te faut lire l’emploi du temps pour savoir quand annoncer
les activités et la couleur du code des sons qui correspond.
Chaque fois qu’une activité change, tu l’annonces clairement pour que tout le
monde t’entende bien. Voici des exemples de ce que tu peux dire :
– La classe commence
– C’est l’heure de la réunion
– C’est la récré
– C’est l’heure des ateliers
– C’est l’heure du bilan
– C’est l’heure de l’étude
– La classe est terminée
– …
C’est toi qui vas également présider le « Quoi de neuf ? », la réunion, le conseil et
le bilan.
Si un enfant parle trop fort ou chahute, approche-toi de lui pour lui demander
simplement de faire attention. S’il continue, alors tu peux lui mettre une gêne en le
disant tout haut untel, gêneur ! Tu notes ensuite la gêne sur la feuille du président.
À la fin du bilan de la journée, tu notes au tableau tous ceux qui veulent être
président pour le lendemain (il faut au moins une ceinture jaune et avoir son brevet)
et tu fais décider.
Important à retenir
Il va de pair avec cette fonction que parfois rien ne tourne comme il le faudrait.
Mais qu’importe ? Dans ces cas, en tant qu’enseignant, il est envisageable de
demander à reprendre l’animation de la classe au détriment de notre disponibilité.
« Je reprends la présidence pour remettre un peu d’ordre dans la classe, mais je
suis moins disponible pour vous aider. » La plupart du temps, ce n’est que tempo-
raire. Le président du jour ne remplace pas l’enseignant et, à ce titre, n’est pas
tenté de jouer au petit chef. Cela correspond plutôt à la fonction d’animation de
la journée, investie pour se retrouver en situations de responsabilités et rendre
service à la coopérative, notamment en facilitant l’accès à l’enseignant comme
ressource aux apprentissages.
253
La coopération du point de vue des relations
Certains enfants ne souhaitent plus être président parce qu’ils se sont aperçus
que cela entravait la portée de leur travail. D’autres ne se donnent plus le droit
de le devenir parce qu’ils ne sont pas arrivés plusieurs fois à rappeler certaines
règles auprès de leurs copains ou ont beaucoup de mal à s’interdire de faire le
petit chef dans la classe. Certains, en revanche, ont pu disposer d’une place qui
a montré une facette positive de leur personne, qui a pu contribuer à les faire
sortir d’une réserve personnelle nocive à leur engagement dans diverses activités
ou divers lieux de parole et de décision. D’autres enfin arrivent très bien à concilier
la présidence de la classe et la gestion des projets qu’ils souhaitent mener.
L’enseignant peut alors adopter le réflexe de ne plus s’occuper de ce qui est du
ressort du fonctionnement de la classe et de renvoyer au président du jour ou au
conseil toutes les demandes lui étant adressées à ce sujet. Les enfants présidents
du jour savent toutefois qu’il peut à tout moment les aider ou répondre à leurs
demandes. Voici donc une nouvelle institution coopérative dans la classe, au ser-
vice du développement des activités, qui se trouve être le terrain de plusieurs
apprentissages, dont la principale caractéristique est son humanité, avec toutes
les surprises et aventures que cela peut engendrer.
254
Prendre des responsabilités au sein de la coopérative
255
La coopération du point de vue des relations
Validation
→ Nombre de bonnes réponses
Nombre d’erreurs
→ Brevet de président du jour validé
oui □ non □ Signature de l’enseignant
Lorsque les classes sont organisées autour d’équipes de travail, ce qui n’est
pas la seule organisation possible, une autre fonction intervient auprès des
enfants et de l’enseignant : le référent d’équipe. Elle consiste à mettre à disposi-
tion ses compétences et une part de son temps pour permettre à ses coéquipiers
de s’engager dans leur travail et les tâches qui sont relatives à l’activité de
l’équipe. À la différence des groupes, les équipes se veulent durables et organi-
sées autour de la réalisation d’un projet d’activité ou de vie commune. C’est parce
que l’on s’appuie sur l’idée que l’on apprend mieux en pouvant compter sur des
interrelations et les confrontations que ces équipes existent. Elles deviennent les
premières cellules de travail des enfants dans la classe. Avant d’aller solliciter
l’enseignant ou un autre enfant, on s’efforce de chercher au sein de son équipe
si des réponses existent. Cette conception du travail défendue ici ne tend pas à
susciter de la compétition entre les équipes, il s’agit au contraire de faciliter
l’entraide afin que les travaux de chacun progressent sereinement. Si plusieurs
équipes cohabitent, c’est d’abord parce que le petit nombre d’équipiers rendra
les relations plus aisées.
Plusieurs stratégies pédagogiques peuvent être envisagées pour permettre à
des enfants de vivre sereinement dans une équipe de travail :
– demander la désignation d’un référent d’équipe. Sa fonction est de per-
mettre à l’équipe de vivre le mieux possible, de se mettre à disposition des
équipiers pour apporter de l’aide, de distribuer la parole pour que chacun
puisse être entendu… ;
– organiser une formation collective des référents d’équipe et permettre à
ceux qui sont intéressés de passer le brevet de référent ;
256
Prendre des responsabilités au sein de la coopérative
– déterminer une durée de vie des équipes limitée (plusieurs semaines, une
période…). Chaque personne est alors en mesure d’estimer cette limite pour
relativiser un certain nombre de difficultés rencontrées. Les équipes peuvent
être constituées par l’enseignant, par exemple à l’aide du sociogramme
exprès proposé par F. Oury 7 ou par affinité de projet ;
– construire avec les enfants une « charte du travail en équipe » qui planifie
les droits et obligations des référents d’équipe et des équipiers ;
Le référent d’équipe 8
Droits Obligations
Chuchoter en code rouge Aider ses équipiers
Participer aux réunions de référents Respecter le règlement de classe
Demander de l’aide à l’enseignant Rappeler le règlement de classe
Mettre des gênes et des remarques positives Travailler
Demander à faire sortir de l’équipe les gêneurs Montrer le bon exemple
Autoriser à aller aux toilettes Distribuer la parole
S’occuper du Frigo
L’équipier
Droits Obligations
Répondre à son référent en code rouge Respecter son référent
Demander de l’aide Respecter ses coéquipiers
Participer aux activités de l’équipe Travailler
Parler de ce que l’on vie en équipe au conseil si Donner son avis
nécessaire Mettre de la bonne volonté
Utiliser le Frigo de son équipe
Demander à s’isoler
– pour les équipes qui manifestent des difficultés, leur proposer, en tant
qu’enseignant, une aide consistant à s’y rendre pendant un moment. Il s’agit
alors d’observer ce qui se passe pour proposer des solutions, ou de se
mettre dans la peau du référent pour créer un modèle de départ ;
– tous les enfants ne sont pas en mesure ou ne souhaitent pas à tout moment
de coopérer en équipe. Aussi, il peut arriver que certains d’entre eux se
retrouvent seuls, le temps qu’ils se reconnaissent capables d’accepter le
contrat moral qui lie chaque équipe ;
– adopter une posture d’enseignant qui vise à médiatiser davantage ce qui
fonctionne que ce qui pose problème, à valoriser les réussites plutôt qu’à
sanctionner les échecs.
Le référent d’équipe est l’enfant qui s’est proposé et qui a été choisi pour
aider les coéquipiers à travailler aisément. On notera que nous n’utilisons pas le
7. « Il s’agit pour nous d’obtenir rapidement une image plus ou moins fidèle qui nous permettra
de vérifier nos hypothèses en ce qui concerne les sous-groupes, les constellations. Mais surtout,
il s’agit d’obtenir un élément complémentaire qui aidera le groupe à désigner les responsables
et à constituer les équipes », in VASQUEZ A., OURY F., De la classe coopérative à la pédagogie
institutionnelle, Maspéro, Vigneux, 1971, p. 516.
8. Charte construite par une classe de cycle III et votée au conseil en novembre.
257
La coopération du point de vue des relations
terme de « chef d’équipe » tant commander, imposer et ordonner n’est pas l’objet
de cette fonction. Lors de la phase de formation à cette fonction, les enfants
peuvent être amenés à construire un profil de poste. Celui-ci peut ensuite être
conduit à évoluer au fil de l’année. En voici un à titre d’exemple :
Au terme des situations d’entraînement qui auront vu une série de situations faire
l’objet de discussions, jeux de rôle, improvisations… les enfants qui le souhaitent
peuvent passer le brevet de référent d’équipe. S’ils l’obtiennent, ils pourront alors
demander à être choisis comme tels lorsqu’ils intégreront une équipe.
258
Prendre des responsabilités au sein de la coopérative
259
La coopération du point de vue des relations
Validation
→ Nombre de bonnes réponses
Nombre d’erreurs
→ Brevet de président du jour validé
oui □ non □ Signature de l’enseignant
En complément des équipes, qui existent sur un temps long, pour donner la
possibilité aux enfants de participer à une cellule de coopération plus réduite,
notamment pour faire vivre des projets, une classe coopérative favorise du travail
en groupe.
L’objectif pédagogique d’un petit groupe de travail est spécifique : celui de
favoriser la confrontation des avis (susciter du conflit sociocognitif). Ces diver-
gences d’opinions sont utiles pour apprendre parce qu’elles sont sources de
doutes et d’incertitudes (du conflit cognitif), ce qui donne vie à du questionne-
ment. Ainsi, lorsque l’on est parvenu en tant qu’enseignant à faire émerger le
désir d’apprendre, il devient opportun de répondre aux questions que les élèves
se posent par une exposition formelle aux savoirs scolaires. Cela facilite chez eux
un « effet euréka » typique des premières compréhensions.
C’est pour cela que la constitution des groupes est surtout utile lors de
séances collectives où l’enseignant aborde avec les enfants de nouvelles notions
scolaires. Pour cela, il utilise des situations-problèmes adaptées, laisse d’abord
les enfants réfléchir seul, puis compose les groupes avec ceux qui sont volontaires
pour ne plus rester seuls. Les systèmes de tirage au sort et de regroupements
aléatoires semblent alors les moins problématiques.
Après 5-10 minutes de travail en petit groupe, l’enseignant collecte au tableau
toutes les idées différentes, ce qui participe aussi à susciter de l’incertitude. Puis
260
Prendre des responsabilités au sein de la coopérative
il stabilise les savoirs, rédige une trace écrite que les enfants notent et termine
cette séance par un exercice immédiat de mise en œuvre, corrigé rapidement pour
que chacun dispose d’un retour sur compréhension (une rétroaction).
Ainsi, alors qu’une équipe consiste à vivre longtemps pour essayer de se
mettre d’accord, un groupe est temporaire, rapide et chercher à susciter des
désaccords, parce qu’il vise surtout les compréhensions individuelles.
261
5
La prévention des violences
263
La coopération du point de vue des relations
d’agressions verbales ; c’est elle qui parasite le climat et qui est souvent à
la racine des phénomènes de violence plus radicale.
• Les incivilités correspondent à un manque de politesse, un non-respect des
bienséances. C’est un ensemble de petits désordres de la vie quotidienne.
Elles correspondent à des écarts par rapport à la norme sociale.
• L’agressivité s’exprime sous forme d’énergie vitale, de force mais aussi de
pulsions. Elle fournit la combativité, le dynamisme pour grandir, penser, agir,
se nourrir et alerte de l’état de tension interne.
Agressivité
La violence n’est qu’une forme objective que peut
prendre l’agressivité. L’agressivité ressentie
signale un état de malaise, de déplaisir face à
une situation désagréable. Elle peut être utilisée
Combativité Violence
par l’individu qui la transforme en dynamisme
pour modifier la situation. En revanche, si cet
individu ne détecte pas la tension ou ne sait pas
la métamorphoser en énergie positive, l’agressi-
vité se libérera plus ou moins violemment afin que l’organisme retrouve son
niveau de tension moindre.
• Un conflit peut s’entendre comme une opposition matérielle ou morale. Il
apparaît lorsque plusieurs personnes ne sont pas d’accord. Un conflit non
réglé peut provoquer de la violence.
« Après quelques mois, j’ai constaté que l’utilisation du message clair restait une pratique
de quelques enfants seulement, mais les enfants n’ont que 8, 9 et 10 ans ! Par ailleurs,
les modèles d’adultes qui utilisent cette forme dans la communication interpersonnelle ne
pleuvent pas. Quand je vois les enfants intégrer les messages clairs dans leur vie quoti-
dienne, j’ose espérer qu’ils garderont cette habileté jusqu’à l’âge adulte, dans l’espoir que
leurs relations soient plus harmonieuses 1. »
264
La prévention des violences
Le souci est alors de permettre aux enfants de sortir de ces petites querelles
par eux-mêmes, de manière qu’ils développent des aptitudes pouvant aussi être
employées dans d’autres lieux et d’autres moments que ceux de l’école. Il s’agit
également d’évacuer la notion même de victoire ou de vainqueur dans un conflit
et de susciter la satisfaction d’aboutir à un authentique compromis où chacun
peut trouver une place lui permettant de ne pas entrer dans la spirale de la
violence. Les travaux de Danielle Jasmin conduisent vers ce qu’elle appelle les
« messages clairs 2 ». Un message clair est une petite formulation verbale entre
deux personnes en conflit : une victime, qui se reconnaît comme ayant subi une
souffrance, et un persécuteur identifié par la victime comme étant la source de ce
malaise. Il part du principe que si l’on souhaite sortir d’un problème relationnel,
il vaut mieux s’attacher aux solutions qu’aux raisons qui en sont la cause. Ainsi,
un message clair ne conduira pas des enfants à rechercher le pourquoi de ce qui
les oppose. En revanche, il préférera orienter leur discussion vers des idées qui
pourraient résoudre le différend.
De manière précise, ce message clair s’énonce ainsi :
1. « Ce que tu m’as fait m’a fait souffrir et je vais te faire un message clair. »
2. « Quand tu… » La victime explique ce qui s’est passé.
3. « Ça m’a… » Elle exprime avec des mots les émotions qu’elle a ressenties.
4. « Est-ce que tu as compris ? » La victime demande au persécuteur si le
message était bien clair et, par là même, s’il est d’accord pour ne plus
recommencer voire s’excuser.
Un message clair se veut donc une rencontre non violente entre deux per-
sonnes en conflit qui vont être amenées à se dire d’abord ce qui, dans les faits,
a été la cause de la souffrance et ensuite les sentiments que ces faits ont produits
(« ce que ça fait dans les cœurs »). Il est possible de renforcer les messages clairs
en ajoutant une phase d’énoncé du besoin altéré et une autre formulant une
demande de réparation 3.
Lorsque celui qui est identifié comme le persécuteur accepte le message clair
(« Oui, j’ai compris », « Je m’excuse », « Je n’aurais pas dû te faire ça »…), le conflit
est très souvent résolu et rapidement oublié. Lorsqu’en revanche, ce persécuteur
refuse le message clair (« Je ne suis pas d’accord », « Oui, mais toi tu m’avais fait
ça », moqueries, rires…), la victime est alors en droit de déposer un problème au
conseil, ou même de solliciter un adulte pour tenter de régler le problème.
2. Ibidem.
3. Voir au sujet de la communication non violente, ROSENBERG MARSHALL B., Les mots sont des
fenêtres, Syros, 1999.
265
La coopération du point de vue des relations
Dans les faits, même si cela s’adresse à des enfants initiés, environ trois quarts
des conflits peuvent être résolus à travers ces messages clairs. Ces réussites
tiennent à deux facteurs. Pour la victime, c’est l’occasion de voir sa souffrance
prise en compte et donc de se sentir soulagée d’avoir pu honnêtement exprimer
ce qui lui faisait mal. Pour le persécuteur, c’est un moment important : d’une part,
parce qu’il va avoir la possibilité de prendre conscience que l’une de ses attitudes
a pu entraîner une souffrance et, d’autre part, parce qu’il va pouvoir marquer son
regret. À l’inverse, lorsqu’un message clair n’aboutit pas positivement, sa tentative
permet au moins de situer les échanges dans la parole qui devient alors un tiers
médiateur sur lequel les enfants peuvent s’appuyer en lieu et place des agressions
physiques.
Une des principales conditions pour qu’un message clair puisse être utilisé
efficacement est qu’il s’adresse à des enfants sensibilisés. Il est donc indispen-
sable d’organiser de petites formations. Elles consistent à ce que chacun découvre
d’abord ce qu’est le message clair (le plus souvent une simple démonstration
suffit), sache ensuite dans quelles situations il peut être employé (ni pour des
« tas de sables 4 », ni pour des problèmes importants) et enfin en maîtrise la
formulation (la double acception « ce qui s’est passé – les émotions ressenties »).
Il est donc indispensable que les enfants disposent d’un vocabulaire de base pour
exprimer leurs émotions, c’est pour cela qu’un travail spécifique en amont est
souvent nécessaire. Concernant la formulation du message clair, les jeux de rôles
et théâtres forums permettent aux enfants de s’investir pour s’essayer de manière
fictive à la démarche. À la suite de cette courte séance, certains enfants parmi les
plus compétents peuvent devenir des « maîtres-messages-clairs » au service de
ceux qui n’y parviennent pas encore par eux-mêmes.
Ces messages clairs se déroulent sans la présence de l’adulte et, en fonction
de ce qui se décide dans chaque classe, notamment à travers le conseil, ils
peuvent se faire pendant les récréations ou lors des moments de classe, dans le
couloir. C’est au terme du message clair que celui qui l’a énoncé détermine si le
différend est réglé ou pas. Si l’enfant à qui il s’adressait rigole, se moque de lui,
ne le respecte pas, recommence ce qui lui est reproché ou même conteste les
faits, utilise le fréquent « oui mais toi… », la situation s’arrête et se poursuit géné-
ralement par un problème déposé dans le journal mural de la classe, ce qui don-
nera lieu à une prise de parole lors du prochain conseil.
Il arrive aussi que quelques enfants viennent nous faire un message clair ou
même, qu’à notre tour, nous en fassions un à quelqu’un à la suite d’un problème
relationnel. Quand on n’y est pas habitué, ce sont des situations assez particu-
lières à vivre mais qui permettent aux enfants d’entrer dans une relation de res-
pect mutuel et de coopération.
4. Des petites histoires pouvant être réglées sans l’aide d’une autre personne ou du conseil.
266
La prévention des violences
dépité
bouleversé désespéré contrarié démoralisé
attristé furieux fâché écœuré horrifié fâché
déçu démuni mécontent amer détaché Dégoût anéanti
Tristesse excédé énervé aigri dégoûté fatigué
blessé abattu triste malheureux agacé Colère à bout désemparé
chagriné de mauvaise humeur
désolé affligé las accablé irrité consterné vexé
déprimé exaspéré en colère fragile
agité ulcéré effrayé
coupable alarmé crispé terrifié méfiant
ennuyé honteux anxieux Peur apeuré
abaissé confus DES MOTS POUR DIRE SES ÉMOTIONS craintif inquiet insatisfait
gêné jaloux angoissé atterré
défait Honte humilié choqué déstabilisé
bouleversé
déchu indigne dégradé désorienté
stimulé électrisé
secoué embar-
émerveillé ébahi
rassé léger
fasciné ébloui effaré
abasourdi captivé vivifié vivant
Surprise excité rassuré libre
de bonne humeur
amusé sidéré sceptique encouragé reconnaissant
remonté admiratif réjoui
intrigué détendu attendri passionné rassasié enchanté
revigoré joyeux content
enthousiaste Joie confiant intéressé amusé Amour
serein satisfait étonné hilare ému optimiste paisible béat
impatient apaisé surpris touché comblé ému aux anges
calme enjoué stupéfait curieux en effervescence charmé
gai délivré heureux soulagé amoureux ravi
décontracté bien disposé en sécurité
submergé de joie
égayé
267
La coopération du point de vue des relations
« Moi, ça me sert parce que j’arrive à régler mes petits problèmes. » (Chris – 9 ans)
« Pour moi, un message clair sert à régler un problème qui n’est pas très dangereux.
Ça sert aussi à ne pas passer par le conseil et donc à ne pas se servir des sanc-
tions. »
(Arslan – 9 ans)
« Le message clair sert à régler les conflits. Quand deux élèves créent un conflit,
au lieu de passer à la violence physique ou morale, ils font un message clair. Les
élèves qui n’y arrivent pas appellent un maître-message-clair puis essayent de
régler le conflit. » (Thaleb – 10 ans)
« Ça sert à régler les problèmes sans les maîtres. On apprend à trouver des solu-
tions tout seul. » (Ichem – 8 ans)
« Un message clair sert à régler les problèmes en parlant. Au lieu de se battre, on
dit ce qu’on a dans le coeur au moment de la dispute. » (Mennana – 10 ans)
« Les messages clairs servent à régler des problèmes, à se sentir bien dans son
cœur et à ne plus recommencer. » (Jérémy – 9 ans)
« Pour moi, les messages clairs m’aident à régler les problèmes pour que ça se
passe mieux. » (Fatima – 9 ans)
Situations :
□ Mon métier, c’est responsable du rang, et un élève ne m’écoute jamais.
□ Plusieurs enfants me menacent.
□ Plusieurs enfants me rackettent.
□ Plusieurs enfants ne veulent pas que je joue avec eux.
□ Quelqu’un embête ma petite sœur et elle me le dit.
□ Un adulte entre dans l’école et frappe un enfant.
□ Un élève rigole avec un autre.
□ Un enfant apporte à l’école un objet très dangereux.
□ Un enfant fouille dans mon cartable et prend ma calculette.
268
La prévention des violences
269
La coopération du point de vue des relations
C’est un passeur qui va aider à recréer des liens, rétablir une communication coupée
en redonnant confiance, en introduisant du temps et de l’espace entre deux per-
sonnes en conflit.
Il ne prend pas parti, il ne juge pas, mais il aide à trouver une solution aux diffi-
cultés.
Il n’oblige personne à venir le voir, mais propose son aide dans un esprit de respect
mutuel.
Il est là pour écouter il s’intéresse aux problèmes, donne son attention et son temps
et demande en échange de la bonne volonté.
Il ne rapporte pas ce qui lui est dit il est discret et a droit à toutes les confiances.
Il fait le maximum pour aider mais ne peut pas forcément trouver une réponse à
tous les problèmes. Il n’est pas magicien, ne pas lui demander l’impossible. La
véritable solution est entre les mains des personnes qui sont en opposition.
Il semble que seuls des élèves de cycle III soient en mesure de devenir média-
teurs, tout du moins au regard de ce que nous entendons par médiation. Au
début de la campagne de recrutement, des publicités sont affichées, un appel à
candidature est lancé. Parmi les volontaires, on ne retient qu’un nombre d’enfants
équivalent à ce que la formation peut supporter. Ceux-ci manifestent le désir de
devenir médiateurs et pour cela, de recevoir une formation sanctionnée par un
brevet. À noter que, pour la plupart d’entre eux, ces élèves ne sont ni les meilleurs
5. DIAZ B., LIATARD-DULAC B., Contre violence et mal-être – La médiation par les élèves, Nathan
pédagogie, Paris, 1998, p. 63.
270
La prévention des violences
des classes, ni « les plus sages » ; ce sont souvent des enfants en mal avec la
gestion de leurs propres conflits ou d’autres qui ont l’habitude de rendre des
services à l’école pour son bon fonctionnement. La formation est pensée sur qua-
torze séances de trois quarts d’heure chacune, par exemple sur les temps d’aide
individualisée ou d’accompagnement éducatif.
MESSAGES CLAIRS
1 – « Quand tu… » : on explique ce qui s’est passé
2 – « Ça m’a fait… » ou « Ça m’a rendu… » : on décrit ses
sentiments, ce que ça fait dans le cœur
REFORMULATION
1 – « Si j’ai bien compris… » : on répète avec ses mots ce qu’on
a compris
2 – « Est-ce que c’est ça ? »
3 – Si ce n’est pas ça, on demande une nouvelle explication et
on refait la reformulation (jusqu’à ce que cela soit bon)
Dans les faits, les médiations gagnent à se dérouler à l’abri du regard des
autres enfants de l’école, le mieux est de réserver une salle à cet effet. Les ensei-
gnants n’assistent pas aux médiations, confidentialité oblige, mais ils ne sont
jamais très loin et peuvent être sollicités à tout moment par les médiateurs si les
choses se passent mal. Tous les enfants médiateurs de l’école ne sont pas de
service de médiation en permanence. Afin de leur permettre aussi de profiter
pleinement de leurs temps de pause, il est possible de leur organiser un tableau
de services par roulements. Pour chaque médiation, deux médiateurs sont pré-
sents : ils se font face, comme les enfants en conflit. Un médiateur A anime
les échanges au regard du processus de médiation qu’ils ont découvert lors des
formations, un médiateur B est chargé des reformulations. En fin de médiation,
une fois trouvée une solution convenant à tous les partenaires, celle-ci est notée
sur un cahier, seule trace de la résolution du conflit.
Au final, la plupart des enfants participant aux formations deviennent média-
teurs, quelques-uns choisissant d’abandonner la formation en cours de route.
Aux premiers temps de présence des enfants médiateurs, on rencontre quelques
difficultés liées au fait que la plupart des élèves de l’école, désireux de savoir
exactement de quoi il s’agit, n’hésitent pas à simuler des conflits pour avoir affaire
271
La coopération du point de vue des relations
1 – On propose la médiation
« Est-ce que vous voulez qu’on vous aide ? »
Acceptez-vous ce contrat ? »
272
La prévention des violences
10 – Conclusion de la médiation
Le médiateur B reformule la solution trouvée. Le médiateur A demande si cela
convient à tout le monde. Le médiateur B inscrit la solution sur le contrat de
médiation.
11 – Fin de la médiation
Les demandeurs et les médiateurs signent le contrat de médiation.
Les médiateurs proposent aux demandeurs de se serrer la main.
Le contrat de médiation est conservé dans le cahier de médiation.
Dans un premier temps, cette formation les conduit vers une découverte de
l’idée de non-violence, notamment à partir de l’étude de personnages comme
Gandhi ou Martin Luther King. Au départ, rien n’est gagné parce que beaucoup
disent que la seule manière de répondre correctement à la violence est la violence,
histoire de ne pas perdre la face. Une fois l’alternative non violente comprise, de
nombreux participants l’envisagent comme une solution équitable pour la résolu-
tion des conflits. Cela permet d’entrer dans la seconde partie de la formation :
l’entraînement aux techniques de médiation – les messages clairs, les reformula-
tions et les recherches de consensus. Faire une médiation, dans une écoute
mutuelle, c’est d’abord décrire correctement la situation, ensuite exprimer les sen-
timents éprouvés et enfin tenter de trouver dans la coopération un consensus où
personne n’est perdant mais où tout le monde est gagnant. Les enfants
s’entraînent à ces techniques, par l’intermédiaire de jeux de rôles qui les mettent
alternativement et de manière fictive dans la peau de la victime, du persécuteur
ou du médiateur.
273
La coopération du point de vue des relations
274
La prévention des violences
275
La coopération du point de vue des relations
276
La prévention des violences
Moment 1 :
Jerry, 8 ans, et Tom, 8 ans et demi, sont des élèves de l’école. Ils sont en récréation.
Hier, Tom a donné un peu de son goûter à Jerry. Aujourd’hui, Jerry en demande une
nouvelle fois, mais Tom ne veut plus lui en donner. Jerry lui répond en lui disant
« T’es qu’un radin ! » Tom se met à pleurer.
Moment 2 :
Anita, la grande sœur de Tom, s’approche et menace Jerry : « Si tu recommences à
lui demander du goûter, je te mets une gifle ! »
Moment 3 :
Romuald, le grand frère de Jerry, arrive derrière Anita et lui donne un violent coup
de pied. Anita se retourne et envoie un coup de poing dans la figure de Romuald.
Tom et Jerry se jettent l’un sur l’autre et se frappent.
1. Bagarre dans la cour à Thomas a 10 ans. Il vient de Maxime a 9 ans. Thomas vient
cause d’un vol de billes voler les billes de Maxime et il de lui voler 4 billes et il se bat
se bat avec lui parce qu’il ne avec lui pour les récupérer.
veut pas les lui rendre.
3. Regards interdits sous les Jack, pour s’amuser, escalade John est en train d’uriner dans
portes des toilettes les murs des toilettes pour les toilettes et il s’aperçoit que
regarder John en train d’uriner. Jack le regarde par-dessus le
mur.
4. Bagarre à cause des jours Mariam grimpe sur le château Nisrine hurle sur Mariam
de château alors que ce n’est pas son jour. (« Dégage de là ! ») pour
Elle se fait « sortir » par qu’elle descende du château
Nisrine qui lui dit : « Dégage alors que ce n’est pas son jour.
de là ! »
277
La coopération du point de vue des relations
5. Bagarre à cause d’un Mohamed s’amuse à prendre Fatima ne supporte plus que
chapeau le chapeau de Fatima et à le Mohamed s’amuse avec son
lancer comme un frisbee. Il se chapeau. Elle se jette sur lui et
fait taper par Fatima qui en a le frappe en lui donnant des
marre. coups de poing.
7. Menaces à la sortie Karim demande des billes à Driss a perdu des billes en
Driss en pensant qu’il les lui a jouant contre Karim. Il refuse
volées. Driss ne veut pas. de les lui donner mais il se fait
Karim le menace de le frapper menacer à la sortie.
à la sortie.
8. Perte d’un ballon Aïssa se jette sur David pour le David, en jouant au foot, sans
taper parce que David a quillé faire exprès, a quillé le ballon
son ballon sur le toit de d’Aïssa sur le toit de l’école.
l’école. Aïssa veut le taper.
Les pratiques des messages clairs et de la médiation sont des dispositifs claire-
ment préventifs, ils tendent à régler les conflits en amont des violences. La réalité
des classes, surtout lorsque leur culture ne s’est pas suffisamment construite,
s’avère parfois peu propice à de telles issues non violentes. Des enfants et des
jeunes peuvent rapidement en venir aux mains pour tenter de résoudre par la
force une difficulté. Pour les autres, la fuite ou la soumission peuvent représenter
les seules sorties possibles. L’enseignant, au milieu de ces contextes extrêmement
sensibles, doit intervenir, même si objectivement, peu de solutions se présentent
à lui. C’est ce que l’on appelle des situations crisiques, la rencontre de conditions
qui font que tout ce que l’on pensait d’humaniste en termes d’éducation ne
semble plus pouvoir se justifier ni même parvenir à contribuer au rétablissement
de la sérénité entre les personnes. Pourtant, notre statut nous oblige à intervenir.
Mais comment ? Dans quelle direction ? Avec quelles intentions et quels risques ?
De manière générale, ni l’escalade de la violence, ni la démission de l’adulte ne
sont des réponses à l’acte violent. Au contraire, elles le subliment et interdisent
encore plus des sorties positives du conflit. De même, ne rien faire après l’acte
violent, c’est donner l’impression à l’enfant ou au jeune qu’il est un roi coupable,
ce qui risque d’avoir des conséquences importantes sur la durée.
C’est pour cela que l’on peut tenter de faire en sorte que la réponse se fasse
dans l’éducation quotidienne, qu’elle se traduise par des faits, pas seulement des
278
La prévention des violences
intentions ou des mots. Il est donc possible de donner une réponse de fond, relative
au sens de ce qui s’est produit et, en même temps, une réponse à l’acte lui-même.
De manière générale, si la relation se passe dans le respect de l’autre, le conflit a
de grandes chances d’être apaisé. « Je comprends, j’essaye de comprendre pourquoi
tu as fait ça mais je ne peux pas accepter comment tu l’as fait 7. »
Pour répondre à l’acte violent, trois pistes sont possibles :
– savons-nous accepter les actes non gravement destructeurs et laisser passer
les infractions qui ne sont pas de la violence ? Il y a des actes où l’on n’a
pas à intervenir ;
– sans démagogie, valoriser l’acte sociable, ne pas pointer que le négatif mais
plutôt et surtout ce que l’on trouve positif, attitude qui dépasse le cadre de
la situation crisique et correspond à des gestes professionnels à montrer
quels que soient les moments de vie ;
– quand nous sommes persuadés qu’il y a destruction, désapprouver le com-
portement, notamment en pensant et en justifiant le « non » à partir du droit
à la vie des autres. Il doit donc logiquement être suivi d’une demande de
dédommagement ou de compensation. Les actes les plus évidents ne sont
pas toujours les plus violents. Il est souvent extrêmement difficile de parve-
nir à distinguer la victime d’un persécuteur tant les causes du conflit peuvent
être imbriquées.
Faire face à une situation crisique s’avère donc une tâche extrêmement com-
plexe à gérer. Nous proposons ici une procédure qui tend à aller dans ce sens et
qui se décompose en trois étapes distinctes, présentées sous forme de matrice
de gestion des faits de violence : le DTR.
D comme déconnecter
Lorsqu’un fait de violence se produit, il se manifeste généralement à l’encontre
de quelqu’un ou de ses biens. La stratégie de déconnexion consiste à mettre
du temps et de l’espace entre les deux personnes en opposition : éloigner les
protagonistes et attendre quelques heures avant de tenter une résolution du
conflit. Dans le feu de l’action, pressé par la tension des émotions, il sera difficile
pour tout le monde de changer de polarité en basculant d’une logique d’immédia-
teté et de pulsion à une autre plus prospective, rationnelle et raisonnée. En évitant
autant que possible tout contact physique, on peut, dans un premier temps,
demander à cet enfant (ou à ces enfants) de se rendre dans un lieu calme à
l’intérieur de la classe. Si cela ne suffit pas, généralement parce que la proximité
des camarades interdit la décompression, on peut accompagner ce ou ces enfants
7. HAYEZ J.-Y., La destructivité chez l’enfant et l’adolescent, 2e édition, Dunod, Paris, 2007.
279
La coopération du point de vue des relations
dans une autre classe, sous la surveillance d’un collègue. Généralement, renvoyer
un jeune pour des actes violents inacceptables, c’est risquer de lui faire com-
prendre que pour qu’il ait la paix, il faut qu’il soit infernal. Il ne s’agit pas ici d’une
exclusion, mais plutôt d’un retrait momentané en vue d’une meilleure tentative
de résolution du conflit. Les émotions ne sont pas niées, au contraire, elles sont
entendues et travaillées de manière qu’elles n’entraînent pas de conséquences
encore plus graves.
T comme transmettre
Dans le cas où l’on est la cible des violences, où l’agresseur s’en prend directe-
ment à soi, il est rare que l’on puisse être ipso facto en mesure de faire preuve
de recul. Plutôt que d’essayer de trouver seul des solutions pas directement acces-
sibles, il vaut mieux passer la main en faisant appel à un collègue ou un parte-
naire. L’idée n’est pas de placer au même niveau victime et persécuteur, mais
plutôt d’éviter que l’opposition ne s’aggrave et de créer des intervalles. De plus,
le tiers sollicité sera plus à même d’engager les procédures de reconnaissance de
la situation, du fait de son statut d’intervenant extérieur. En particulier, il saura
reconnaître le moment où la communication est redevenue possible et pourquoi
pas, laisser le problème se régler entre les protagonistes. Pendant la période de
retrait, il est possible d’amorcer la phase de reconstruction en demandant à se
pencher sur ce qui s’est passé par l’intermédiaire d’une fiche de résolution de
problème telle que celle proposée.
Modèle de la fiche de RP
3 – Que proposes-tu?
..............................................................................
..............................................................................
..............................................................................
280
La prévention des violences
R comme reconstruire
Une fois les esprits calmés et le désir retrouvé de sortir du conflit, la phase
de reconstruction peut intervenir. Si l’on est soi-même englué dans l’opposition,
la présence du tiers sollicité peut s’avérer utile. Sinon, on peut soi-même se char-
ger de cette fonction médiatrice, ou la confier à un enfant qui s’en est montré
capable. Il s’agit de permettre à chacun de reconnaître le statut d’erreur de ses
agissements, puis de rechercher une solution qui convienne aux deux parties.
Parmi les solutions possibles, les réparations peuvent s’avérer pertinentes. Les
sanctions ont pour but de rappeler l’existence des lois et des règles de vie. La
conclusion de la gestion du conflit peut donc se traduire par un geste de répara-
tion et une forme de sanction. En même temps, toute réparation, par son caractère
volontaire et sincère, peut se substituer à une sanction si l’on perçoit l’inutilité
d’un rappel à la loi. Il est intéressant que cette phase de reconstruction, si elle
s’achève correctement, se termine par un geste physique entre les deux personnes
en opposition, par exemple une poignée de main.
281
6
Le développement des motivations
Motivations et institutions
283
La coopération du point de vue des relations
accord avec ses buts. Elle est intrinsèquement motivée lorsqu’elle effectue
des activités volontairement, sans attendre de récompense ni chercher à
éviter un quelconque sentiment de culpabilité. La curiosité, l’appartenance
sociale (entretenir avec autrui des relations sociales satisfaisantes et enri-
chissantes), l’autodétermination (se percevoir comme la cause principale de
son comportement) et le sentiment de compétence (se sentir capable de
réussir), sont les quatre principaux facteurs de développement de la motiva-
tion intrinsèque. Tout ce qui est ressenti comme pression, contrainte,
contrôle, la fait baisser, tout comme les situations de compétition, de temps
imposé, de surveillance qui la diminuent à égale mesure.
• Les motivations extrinsèques : l’activité est pratiquée par pression extérieure
– pour obtenir quelque chose de plaisant ou éviter quelque chose de déplai-
sant. Ces motivations sont provoquées par des stimulations extérieures à
l’apprenant recevoir une récompense, éviter de se sentir coupable, gagner
l’approbation en sont exemples.
• L’amotivation : absence de toute motivation – une résignation apprise. Les
pédagogies coopératives seraient génératrices de motivations intrinsèques.
Concernant les besoins d’autodétermination, ils seraient en grande partie
assouvis par l’exercice de la créativité, de l’expression libre, des recherches
documentaires autonomes ainsi que des possibilités de choix. Les besoins
de compétence se verraient remplis par l’intermédiaire des dispositifs de
personnalisation du travail, la connaissance du sens et du but des activités.
Enfin, les besoins d’appartenance sociale seraient comblés lors des situa-
tions de coopération entre élèves, les divers moyens relationnels employés :
le journal, les correspondances, les voyages échanges…
Pour Jean Archambault et Roch Chouinard 5, récompenser les efforts des élèves
pour apprendre, a été redynamisé par l’arrivée du béhaviorisme qui pose que le
comportement est motivé par des renforcements. Le problème est que, souvent,
les comportements et les situations sont mal définis, les renforçateurs trop éloi-
gnés des comportements pour avoir un effet quelconque. Plusieurs chercheurs
ont émis des doutes sur la pertinence d’utilisation des récompenses pour motiver
les élèves. Il s’avère même que l’octroi de récompenses peut avoir des effets
négatifs sur la motivation intrinsèque. Celle-ci correspond à l’exercice d’une acti-
vité pour la satisfaction et le plaisir qu’on y trouve et non pour l’atteinte d’un
résultat externe. Lorsqu’une récompense extrinsèque est associée à une activité
pour laquelle l’apprenant est déjà motivé intrinsèquement, la raison intrinsèque
est occultée par la récompense.
5. « Doit-on récompenser les élèves pour les motiver à apprendre ? », in GALAND B., BOUGEOIS
E., (Se) Motiver à apprendre, PUF, Paris, 2006, p. 135-144.
284
Le développement des motivations
« Les ceintures de comportement, comme la monnaie intérieure, furent depuis les années
1950-1960, les institutions les plus décriées par le petit monde des divers courants de
pédagogies nouvelles. Elles provoquaient des réactions souvent passionnées, qui envahis-
saient très vite toute discussion au sujet de la PI. Aujourd’hui encore 6… »
6. LAFFITTE R. et al., Essais de pédagogie institutionnelle, Champ social éditions, Nîmes, 2006,
p. 242.
285
La coopération du point de vue des relations
« Toute institution est une réponse à un besoin vécu. Quel que soit le domaine, une
organisation rudimentaire adaptée aux besoins réels du maître, de la classe et du moment
est plus opératoire qu’un système complexe, plaqué arbitrairement, qui encombre et para-
lyse la classe qui démarre 7. »
« Sur le plan du comportement comme sur le plan scolaire, il serait injuste et nocif
d’exiger la même chose de tous les élèves. Si l’attitude générale du groupe vis-à-vis de
chacun est précisée, le petit Florent pourra, sans provoquer de réactions, se promener
286
Le développement des motivations
dans la classe, jouer avec l’eau, parler à la tourterelle, perdre de l’argent, dessiner au
tableau quand il en a envie, comme un petit bonhomme de 4, 5 ans. Il est “blanc”. Il
est inutile pour le moment qu’il demande à diriger une équipe, qu’il se propose pour
aller à la gare ou pour tenir les comptes. Il participe aux sorties enquêtes… s’il accepte
d’obéir à un “bleu” qui le prend en charge. Ainsi pouvons-nous en toute sécurité aller
visiter les écluses… Un “vert” circule dans l’école et va porter des textes imprimés com-
mandés par le cours élémentaire. Un groupe de “bleus” va proposer à la maternelle
voisine un spectacle de marionnette. Le maître est tranquille avec ceux-là, rien de fâcheux
ne peut arriver 9. »
287
La coopération du point de vue des relations
Partie
Comporte me nt observable
Attitude
Partie
non observable
288
Le développement des motivations
« Jugés, classés, comparés depuis l’enfance, les adultes que nous sommes censés être ne
comprennent pas d’emblée qu’il ne s’agit pas ici de définir un hypothétique développement
de la personne. Pas question non plus de s’occuper de la “personnalité”. Il s’agit seulement
de matérialiser la position provisoire de chacun par rapport aux exigences de la mini-
société coopérative 11. »
10. LAFFITTE R., Une journée en classe coopérative, le désir retrouvé, Matrice, Vigneux, 1985,
p. 79.
11. Ibidem, p. 74.
289
La coopération du point de vue des relations
Jaune A un métier.
Essaie de travailler sans gêner.
Respecte les horaires et le rang.
Ne pose pas de problème lors des sorties.
Lève le doigt et attend pour parler.
Est poli avec les autres.
12. LAFFITTE R. et al., Essais de pédagogie institutionnelle, Champ social éditions, Nîmes, 2006,
p. 240.
290
Le développement des motivations
« Proposée par un enfant ou pas, décidée par l’adulte qui s’en explique et entend l’avis
du groupe au conseil, elle est définie et limitée dans le temps et dans l’espace. Signalée
sur le tableau des ceintures par une punaise ou une gommette de couleur comme les
autres ceintures, c’est un statut d’isolement important. Les possibilités de déplacement
comme la participation à la vie habituelle de la classe sont limitées. Rien ne se fait sans
l’autorisation de l’adulte 13. »
13. LAFFITTE R. et al., Essais de pédagogie institutionnelle, Champ social éditions, Nîmes, 2006,
p. 248.
291
La coopération du point de vue des relations
Les enfants qui sont devenus dorés ou rouges en comportement peuvent récu-
pérer leur ceinture habituelle en en faisant la demande lors des conseils et en
expliquant ce qu’ils comptent faire pour que les choses se passent mieux.
Le caractère institutionnel et médiateur de la ceinture intervient lorsque cer-
tains enfants demandent à exercer certaines responsabilités ou à bénéficier de
quelques libertés dont ils ne peuvent pas jouir. Du fait que les ceintures sont
attribuées individuellement, au regard de critères collectivement connus et acces-
sibles à tous, les demandes de changement de couleur dépendent moins du désir
d’être le plus fort de la classe que de celui de se voir grandir et d’endosser la
responsabilité qui y est associée. Le lien constant entre obtention de libertés plus
étendues et manifestation de plus grandes responsabilités induit un rapport aux
ceintures plus conscientisé. Ainsi donc, dans cet esprit, c’est bien le dépassement
personnel qui est visé et non d’éventuelles récompenses qui motiveraient les
changements. Il n’est donc pas anodin de participer à des échanges lors de
conseils où des enfants, au terme de la période d’essai de la ceinture, expliquent
sereinement qu’ils ne se sentent pas encore assez grands pour devenir de la
couleur demandée et qu’ils préféreraient encore quelque temps rester avec leur
ceinture précédente.
Notre objectif est ici de présenter sous deux aspects l’outil pédagogique que
l’on nomme monnaie intérieure. Il s’agit d’abord d’esquisser les intentions éduca-
tives pour lesquelles il a été pensé. Ensuite, nous proposerons une approche
pratique à partir d’éléments de réponses à diverses questions. Il se trouve que
les débats entre enseignants sur cette question sont souvent stériles parce qu’ils
créent des affrontements exclusifs. Notre but n’est pas de convaincre mais d’expli-
quer les raisons pédagogiques de cet emploi. Comme pour les ceintures de com-
portement, un usage plaqué de la monnaie intérieure s’avérerait particulièrement
périlleux et risquerait de perdre tout le sens de cet outil.
« L’école et le fric » : cette rencontre qui contente certains mais qui en insatis-
fait beaucoup d’autres. Ces derniers sont le plus souvent parents et enseignants
qui ne souhaitent pas que leurs enfants sombrent dans un enfermement les liant
à l’argent. La seconde raison importante qui fonde la réticence de l’argent à l’école
est le lien de dépendance que certains adultes ont à l’argent. « Le dieu argent ne
risque-t-il pas de s’accoutumer à ces enfants comme il l’a fait pour moi ? » En fait,
répondre à cette question correspond à envisager deux voies possibles. La pre-
mière serait d’attribuer aux enfants les plus habiles des droits économiques qui
les rendraient supérieurs aux autres et qui en outre leur permettraient d’accroître
ce statut plus facilement que sans ressources. La seconde fait référence à son
292
Le développement des motivations
293
La coopération du point de vue des relations
• La deuxième intention visée par les enseignants qui se réfèrent à une mon-
naie intérieure concerne leur engagement pour la promotion et le respect
de valeurs coopératives. Ils souhaitent que les enfants rencontrés dans leurs
classes soient capables d’apprendre par l’entraide et à leur tour de proposer
leurs compétences. Ils travaillent pour que les enfants deviennent des
adultes moins centrés sur leurs propres intérêts, qu’ils soient en mesure
d’estimer ceux des personnes avec qui ils vont interagir. Dans les classes,
cela se traduit par la possibilité donnée aux élèves de s’aider lors de
moments prévus à cet effet, par de plus grandes libertés de déplacement,
de parole et de champs d’action. Les problèmes sont alors que la classe se
transforme en une forme de « ruche » dans laquelle beaucoup de relations
se créent et de nombreuses situations échappent au contrôle de l’ensei-
gnant. On ne peut pas compter sur le caractère inné du sens des relations
chez les enfants. On ne peut pas attendre d’emblée d’eux qu’ils soient en
mesure de régler tous leurs petits conflits, qu’ils sachent réguler leurs
propres libertés, en particulier celle de la parole et de son intensité. C’est
de la responsabilité des enseignants de les y préparer. C’est pourquoi, des
instruments de médiation s’imposent si l’on ne souhaite pas que la classe
devienne un lieu où il devient impossible de travailler. Ainsi peut intervenir
la monnaie intérieure, en complément d’abord d’un règlement de classe qui
fixe les droits et obligations de chacun et ensuite de valeurs suscitées par
l’enseignant, et qui permettent les libertés et l’entraide. Avec l’argent gagné
par le travail scolaire, chacun peut participer à un marché pour vendre et
acheter. Cela permet aussi au conseil de bénéficier d’un instrument de sanc-
tion clair, qui évite les longs et interminables débats autour des décisions à
prendre. Cela confère à l’enseignant un outil extérieur à sa propre personne
et donc intervenant comme médiation entre lui et ses élèves. Il dispose d’un
outil de rappel de la loi qui ne tombe pas dans les travers des pensums,
privations de récréations, excuses sans effet ou punitions humiliantes ; qui
plus est, une fois la sanction payée, les amendes permettent un effacement
de l’erreur commise, sans pour autant interdire l’éventuelle réparation.
• La troisième intention portée par l’instrument monnaie intérieure est ce que
R. Laffitte nomme « la paye thérapeutique 14 ». Il s’agit d’une pratique occa-
sionnelle dont le but est de souligner un effort particulièrement important
entrepris par un enfant en difficulté dans un domaine. Un peu comme une
sorte de dérogation aux modalités des payes communes, l’enseignant ou le
conseil peuvent décider de féliciter et encourager à poursuivre un enfant qui
manifesterait un effort reconnu comme difficile pour lui. Il s’agit d’une paye
extraordinaire, dont le but n’est pas de s’étendre à toute la classe, mais
14. LAFFITTE R., Mémento de la pédagogie Institutionnelle, Matrice, Paris, 1999, p. 248.
294
Le développement des motivations
15. MAUSS M., Essai sur le don, Sociologie et anthropologie, PUF, Paris, 1968.
295
La coopération du point de vue des relations
enfant pouvait contribuer par des récoltes, des objets fabriqués, à développer sa
participation aux recettes de la coopérative. Cet outil a été repris plus tard par les
travaux de René Laffitte :
« Pendant des années, j’ai fait la classe sans monnaie intérieure. Ce qui n’empêchait pas
la classe de marcher. Simplement, je n’y avais pas pensé. […] J’ai donc décidé d’expéri-
menter cette monnaie intérieure qui, sans grands risques, devait permettre aux enfants de
faire des expériences sociales et d’acquérir une certaine maîtrise de cet argent-pouvoir 16. »
Même si ce n’est pas la plus sensible des techniques coopératives, il est impor-
tant d’indiquer qu’un usage de la monnaie, sans les valeurs qui s’y réfèrent, peut
induire certains risques, notamment celui d’en faire un outil plus de perversion
que d’éducation. Il convient donc à tout enseignant qui souhaite en enrichir sa
structure de classe de s’intéresser à ses fondements, à l’esprit qui a conduit ses
concepteurs à la développer dans le champ pédagogique et d’être éclairé par
diverses mises en pratique. Voici la présentation d’un dispositif de classe relatif à
la monnaie intérieure. Il se veut une sorte d’exemple qui ne soit pas un modèle
et à partir duquel des conceptions pourront s’élaborer. N’oublions pas que la
monnaie intérieure dont il est ici question entre en interaction avec tous les autres
outils de la classe coopérative, qu’elle se pense de manière systémique au cœur
d’une structure. Elle ne constitue donc en aucun cas une fin en soi, juste un
élément supplémentaire pour tenter d’atteindre les intentions éducatives présen-
tées précédemment.
16. LAFFITTE R., Une journée en classe coopérative, le désir retrouvé, Matrice, Vigneux, 1985,
p. 83.
296
Le développement des motivations
et de l’étape de vie de la classe. En effet, ce qui est payé en début d’année est
souvent différent de ce qui l’est en fin : les conseils, par les jeux des propositions,
ont pouvoir de modifier les montants et les domaines de paye. Pour illustrer cette
réalité, voici un classement qui indique ce qui est payé en début d’année, ce qui
peut le devenir par décision du conseil et ce qui n’est jamais payé :
– ce qui peut être payé en début d’année : les travaux scolaires, les gros
efforts ;
– ce qui peut devenir source de salaire : les ceintures, les brevets, les articles
pour le journal scolaire, la qualité d’un travail d’équipe, les exposés… ;
– ce qui n’est jamais payé : tout travail qui ne demande pas à être payé, les
dons à la classe, les métiers, ce qui est payé de retour : les lettres aux
correspondants, la plupart des travaux d’atelier, l’art et le jeu : ce qu’on fait
pour son plaisir…
297
La coopération du point de vue des relations
298
Le développement des motivations
pas de l’argent vrai et que « c’est pour les gamins. » D’autres en comprennent
très rapidement le fonctionnement et s’y investissent avec sérieux. Enfants et
enseignant s’y réfèrent naturellement, au même degré que pour toutes les autres
institutions de la classe. La monnaie s’avère souvent être un véritable tremplin
aux désirs d’apprendre, tout du moins lors des démarrages et ponctuellement.
Certains enfants bloqués dans l’attente et l’inactivité scolaire, dans la passivité et
le paraître, peuvent trouver dans cet outil une source d’investissement qui conduit
à la mise en route des efforts. Plus tard, d’autres supports sont nécessaires, notre
propos est ici d’indiquer que la monnaie a une faculté de déclencheur.
Enfin, nous avons pu observer des enfants qui avaient choisi de ne plus se
servir de la monnaie, ou juste pour bénéficier du « minimum vital » : s’acheter les
fournitures nécessaires ou de petits objets du marché. Ces enfants en ont compris
l’intérêt et se sont rendu compte qu’il était en fait ailleurs : dans les apprentis-
sages scolaires. C’est en somme la visée finale recherchée par cet outil, par toute
institution en général : prendre conscience de sa relativité, s’en défaire et conduire
à une autonomie dans son travail ; être arrivé à comprendre que les efforts ne
serviraient ni aux parents, ni aux copains, ni à l’enseignant mais bien à soi-même
pour son devenir.
– Un exercice effectué est payé 2 bals, 1 seul si c’est « bâclé », 0 si ce n’est pas
fait.
– Une fiche PIDAPI (entraînements et test) est payée 5 bals.
– Une préceinture est payée 5 bals.
– Une ceinture est payée 10 bals.
– Un exposé est payé 10 bals.
299
La coopération du point de vue des relations
Des bonus peuvent être attribués lorsque l’effort est particulièrement remarquable
ou lorsque le plan de travail est achevé.
Le calcul des amendes est fait selon les ceintures de comportement
Prix de la papeterie
Stylo → 5 bals
Crayon à papier → 5 bals
Colle → 10 bals
Gomme → 10 bals
Règle → 10 bals
Effaceur → 20 bals
Plan de travail → 10 bals
Passeport → 5 bals
300
7
La coopération au sein d’une école
À l’échelle de l’école, un conseil peut être créé. Parce que sa vocation est de fédérer
l’ensemble des dynamiques des classes, nous pouvons appeler ce conseil d’élèves
d’école « conseil de coordination ». À l’image du fonctionnement démocratique de
notre société, il se veut un lieu d’échange consensuel autour de la vie de l’école. Son
but est de permettre une gestion partagée de ce qui unit enfants et adultes.
« Ces conseils abordent le plus souvent des sujets qui concernent l’organisation de la vie
scolaire et périscolaire (aménagement des espaces, organisation des activités, élaboration
et gestion de projets collectifs ou d’événements de l’école), des aspects directement liés à la
vie collective (règles de vie, sanctions) et de l’organisation institutionnelle du conseil lui-
même 1. »
Ce conseil n’est pas en mesure de prendre tout type de décision. C’est pour
cela qu’il convient de déterminer, en équipe d’adultes, les champs d’action du
conseil de coordination et ceux du conseil des maîtres, avant de les communiquer
aux enfants. Le conseil de coordination pourra par exemple statuer sur le règle-
ment de cour, les recours au permis à points, l’animation de la vie de l’école, la
1. LE GAL J., Les droits de l’enfant à l’école, De Boeck et Belin, Bruxelles, 2002.
301
La coopération du point de vue des relations
302
La coopération au sein d’une école
Titre du projet
303
La coopération du point de vue des relations
304
La coopération au sein d’une école
qui propose de classer ce qui fait l’objet de discussions lors du conseil en trois
rubriques : décisions prises (parce qu’elles ont déjà été discutées en classe),
décisions à prendre (à faire décider dans les classes) et propositions à faire discu-
ter en classe lorsqu’un projet est présenté pour la première fois et concerne l’école
entière. Il peut prendre cette forme :
Date :
Président Secrétaire :
Enfants délégués :
Classes non représentées :
Température de l’école :
Soleil
Nuage :
Pluie :
Température de la présidence :
Soleil
Nuage :
Pluie :
Lors des premières réunions des conseils de coordination, les délégués abordent
fréquemment les petits conflits qui naissent dans la cour parce que certains ne
respectent pas forcément les autres. L’absence ou l’inadaptation d’un règlement de
cour peut être soulevé comme un manque à combler. Pour y pallier, le conseil peut
se proposer pour devenir l’instance de l’école par laquelle ce règlement verra le
jour. Cette élaboration peut se penser selon trois repères : les droits que tout enfant
de la cour peut revendiquer afin de profiter pleinement de son temps de pause –
des exemples de comportements contraires fréquemment rencontrés dans l’école
305
La coopération du point de vue des relations
306
La coopération au sein d’une école
Ces permis existent pour permettre aux enfants de vivre leurs relations sans
une tutelle continue des enseignants et profiter de ces situations pour apprendre
à interagir avec d’autres sans se rendre dépendants d’adultes. Leur but est de
symboliser par des points le respect des règles de cour tout en sanctionnant, si
nécessaire, les enfants ou adultes qui ne les respecteraient pas. Ils sont diverse-
ment utilisés dans les établissements scolaires, du premier et du second degré.
Comme tout outil pédagogique, il est possible d’en faire de multiples usages, de
les utiliser à des fins émancipatrices ou pour domestiquer les groupes avec qui
l’on travaille. Qu’il y ait deux poids et deux mesures entre les enfants et les
adultes, qu’une pression importante s’exerce sur les familles dont les enfants ont
perdu des points, qu’on ne parle que de retrait de points sans jamais valoriser ce
qui fonctionne, constituent autant d’éléments qui ne font pas du permis à point
un instrument d’éducation. En même temps, ils ne correspondent pas à des
contrats parce qu’il n’y a pas d’engagement mutuel pour permettre l’exercice
d’une liberté. En revanche, ce peut être un outil assez pertinent pour à la fois
rappeler l’existence des règles de vie dans la cour et mettre à disposition un
support de médiation en cas de différend. En plus, cela évite le pire, à savoir
qu’un enfant se fasse agresser par un autre en ayant comme seule alternative
307
La coopération du point de vue des relations
celle de devenir agresseur à son tour parce que rien d’autre n’est possible pour
« garder la face » ou de voir les règles de récréation modifiées en fonction de la
personnalité des enseignants de service. A priori, dans les écoles se trouvant en
zone sensible mais également dans toutes les autres, l’école se doit d’être un lieu
où les relations sociales ne sont pas guidées par la loi des plus forts mais plutôt
par celles qui protègent tout le monde, y compris les plus petits et les plus faibles.
Début d’année 12
308
La coopération au sein d’une école
Article 1
Le permis à points est fait pour que tous les enfants de l’école puissent s’amuser
et se détendre pendant les récréations. Personne n’a le droit de faire souffrir un
enfant.
Le règlement de l’école concerne aussi les adultes.
Article 2
Le permis de l’école ne doit pas servir dans les classes.
Article 3
Un enfant à qui il manque des points peut en récupérer en rendant service à l’école.
Pour cela, il doit en discuter avec un adulte. Ces activités se font pendant les
récréations.
Au bout de deux mois sans avoir perdu de points, on récupère tous ses points.
Article 4
En fin d’année, un diplôme de bon citoyen est distribué à tous les enfants qui ont
12 points sur leur permis.
Article 5
Le but du permis, ce n’est pas de dénoncer, c’est de se protéger. Ce sont les enfants
à qui on a fait quelque chose qui doivent se plaindre : ce ne sont pas les copains
ou les copines, sauf lorsqu’il y a eu un accident. Il est important de venir avec un
témoin.
Article 6
On ne peut pas avoir plus de 12 points sur son permis. Le retrait maximum est de
3 points.
Article 7
Les enfants qui ont 4 ou 5 points reçoivent de leur délégué un avertissement du
conseil.
Article 8
Quand on n’a plus de point sur son permis, on doit participer à un conseil de
permis à points. S’y trouvent des enseignants et le délégué de sa classe.
Article 9
…
309
La coopération du point de vue des relations
310
La coopération au sein d’une école
– Aller travailler dans une autre classe – Ne pas déranger les autres enfants
– Aller en salle d’arts plastiques – Faire son travail
ou en BCD – Déplacer sa fiche en T
2. LE GAL J., Les droits de l’enfant à l’école, pour une éducation à la citoyenneté, De Boeck et
Belin, Bruxelles, 2002.
311
La coopération du point de vue des relations
Avec un tel permis de circulation libre et responsable, les enfants sont donc
en mesure de se rendre aux toilettes pendant les temps de classe, monter et
descendre de récréation sans « faire le rang », poursuivre une activité en classe
pendant les récréations, se rendre en BCD, salle informatique… en somme circuler
selon des modalités pensées et prévues selon les contextes. Il existe pour que
les enfants de l’école puissent mieux vivre leurs journées, possèdent plus de
312
La coopération au sein d’une école
Ce qui peut devenir valable et évident pour des enfants inscrits dans des
classes coopératives ne l’est pas forcément pour leurs enseignants. La difficulté
313
La coopération du point de vue des relations
314
La coopération au sein d’une école
dont les témoignages sont précieux 3. Voici comment, dans les faits, il est possible
de l’envisager :
• le titulaire du poste prend la fonction de directeur de l’école. Les enseignants
qui ont souhaité participer l’accompagnent dans l’équipe de direction collé-
giale. D’autres collègues ont également la possibilité de ne pas prendre part
à ce travail ;
• les décharges de direction sont réparties équitablement entre les classes des
enseignants faisant partie de la direction collégiale. Il est aussi possible que
le poste de décharge de direction soit attribué à une classe, l’enseignant de
cette classe étant celui qui remplace ses collègues pour assurer les temps
de décharge ;
• l’équipe se réunit une fois par semaine. Un cahier de communication assure
le transfert d’informations entre ses membres ;
• pour éviter une rupture entre l’équipe de collégialité et les autres membres
de l’équipe d’adultes, plusieurs idées peuvent être pensées :
– un compte rendu des réunions de collégialité à envoyer à tous les adultes
de l’école,
– sans être obligatoires, ces réunions sont ouvertes à tous,
– les décisions hors urgence sont prises en conseil des maîtres,
– les fonctions de la collégialité sont proposées à tous.
Lorsqu’un membre de la collégiale est déchargé de sa classe (une demi-jour-
née par semaine), il est à disposition de l’école. Il est alors amené à accueillir les
parents, à recevoir les visiteurs, à répondre au téléphone, à effectuer divers tra-
vaux administratifs, à se mettre à l’écoute des enfants et adultes de l’école, à
organiser les divers projets pédagogiques en cours. Il ne peut pas prendre de
décisions engageant toute l’école mais transmet les informations soit aux collè-
gues intéressés soit au conseil des maîtres.
En fonction de leur nature, les décisions sont prises lors des conseils des
maîtres, d’école ou de coordination (conseils d’élèves de l’école). Si diverses pro-
positions s’affrontent, c’est une majorité qui détermine le choix sauf lorsqu’il est
indiqué qu’une loi risque d’être franchie, auquel cas le titulaire du poste fait res-
pecter la loi. Pour la question de l’indemnité de direction, il semble logique qu’elle
revienne de droit à la personne titulaire du poste en raison des réunions adminis-
tratives auxquelles elle est tenue d’assister sur son temps personnel (Éducation
nationale et mairie).
315
La coopération du point de vue des relations
Tâches Référents
Relations avec les parents et les parents Gestion personnelle validée par le titulaire
délégués
316
La coopération au sein d’une école
317
La coopération du point de vue des relations
318
Conclusion
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Apprendre avec les pédagogies coopératives
320
Conclusion
321
Apprendre avec les pédagogies coopératives
322
Conclusion
est un possible que l’enseignant pourra faire intervenir si nécessaire, afin qu’à
terme, une structure de classe inédite et originale puisse prendre forme. Enfants
et adultes disposeront alors d’instruments de médiation leur permettant de vivre
sereinement leurs journées et de se concentrer au mieux sur les tâches scolaires
qui justifient leur rencontre. Des étapes essentielles pour apprendre…
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Fichier : lors des moments de travail personnel, les élèves travaillent, à hauteur
de leurs aptitudes, sur des fichiers de tous niveaux selon leurs capacités (voir
ceintures) : mathématiques, français, orthographe, opérations, technologie, lec-
ture… Certains de ces fichiers sont fournis par les PEMF mais aussi par PIDAPI. La
plupart du temps, l’essentiel de ces fichiers est autocorrectif, ce qui permet un
exercice du travail autonome.
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Journal mural (ou Frigo) : généralement sous forme d’affiche, le journal mural est
le document de préparation du conseil sur lequel les membres de la coopérative
peuvent écrire. Il réunit les demandes d’intervention et constitue l’ordre du jour :
demandes, problèmes, propositions, annonces, présentations, félicitations, remer-
ciements. Il est parfois appelé « frigo » parce qu’il a la faculté de conserver les
informations jusqu’au conseil.
Journal scolaire : de classe ou d’école, le journal scolaire est un périodique réalisé
entièrement par les enfants. L’équipe de rédaction est nommée par le conseil à
travers des métiers. Les articles peuvent être issus de textes libres d’enfants,
peuvent être le fruit de leurs recherches, etc. Ils sont retravaillés avant publication.
Le journal scolaire est diffusé à l’extérieur de la classe, socialisant ainsi les écrits.
Il peut aussi faire l’objet de ventes, ce qui tend à alimenter la coopérative.
2. COLLOT B., Du taylorisme scolaire à un système éducatif vivant, Éditions Odilon, 2004, p. 46.
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Portfolio (ou boîte à outils) : document support au travail des élèves qui leur est
constamment accessible et qui regroupe un ensemble de fiches outils (lecture,
orthographe, conjugaison, géométrie, géographie…), une série de guides pour la
classe (les maîtres-mots, une liste de mots pour dire ses émotions…), les référents
d’évaluations (les brevets, les grilles de ceintures…), ainsi que tout document que
l’enfant aura construit ou choisi pour qu’il devienne une aide à son travail.
Président du jour : le président du jour conduit la classe pour une journée.
L’enfant qui en est chargé préside les temps d’échanges collectifs, rappelle les
lois et les règles de vie de classe, répond aux petites questions d’organisation de
la journée et a la possibilité, après les avoir prévenus, d’avertir les enfants
gêneurs. Inversement, il est en mesure de reconnaître les comportements aidants
et peut distribuer des remarques positives. En fin de journée, il lance une prise
de température de la présidence afin d’évaluer sa propre action et désigne le
prochain président à partir des modalités choisies en conseil.
Prise de température : le président « prend la température » de la satisfaction de
la classe. Pour cela, il soumet une question de la forme : « Que pensez-vous
de… ? » Les élèves se réfèrent à un code : les satisfaits ouvrent une main telle un
soleil, ceux moins satisfaits ferment le poing tel un nuage et les autres insatisfaits
montrent une main baissée signe de pluie. Une prise de température est silen-
cieuse mais peut donner lieu à quelques réactions, explications et échanges.
Référent d’équipe : le référent d’une petite équipe de travail est un enfant volon-
taire et accepté comme tel par ses coéquipiers. Il facilite le travail de chacun, en
gérant les éventuels problèmes qui se présentent au groupe, et/ou soutient les
élèves qui rencontrent de petites difficultés. En plus de son travail, il sait se mettre
à disposition des enfants qui ont besoin d’aide et participe aux actions néces-
saires dans la réalisation des projets communs.
Règles de vie : les règles de vie régissent les interactions de la classe. Elles sont
établies par et pour les élèves lors du conseil de coopérative à partir du suffrage
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des membres présents. Ces règles organisent le détail des relations et des condi-
tions de travail. Exemple : « On n’est pas plus de 4 à la bibliothèque. » Ces règles
sont circonstancielles et contingentes. Contrairement à la loi, elles sont adaptables
même si l’adulte conserve un droit de veto. Une règle de vie non respectée peut
entraîner une amende ou un acte précis de réparation.
Remarque positive (ou « aidant ») : une remarque positive est attribuée lorsque
le comportement manifesté est positif, va dans le sens de l’évolution du groupe,
d’un service rendu ou de l’aide à un camarade. Elle peut avoir pour effet d’annihi-
ler une gêne dans le décompte d’une journée.
3. COLLOT B., Une école du 3e type ou la pédagogie de la mouche, L’Harmattan, Paris, 2002,
p. 76.
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Bibliographie
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Collection Pédagogies
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