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Sylvain Connac

Apprendre
avec les pédagogies
coopératives

Démarches et outils pour l’école


Pédagogies
Collection dirigée par Philippe Meirieu

L a collection PÉDAGOGIES propose aux enseignants, formateurs, animateurs,


éducateurs et parents, des œuvres de référence associant étroitement la
réflexion théorique et le souci de l’instrumentation pratique.
Hommes et femmes de recherche et de terrain, les auteurs de ces livres ont,
en effet, la conviction que toute technique pédagogique ou didactique doit être
référée à un projet d’éducation. Pour eux, l’efficacité dans les apprentissages
et l’accession aux savoirs sont profondément liées à l’ensemble de la démarche
éducative, et toute éducation passe par l’appropriation d’objets culturels pour
laquelle il convient d’inventer sans cesse de nouvelles médiations.
Les ouvrages de cette collection, outils d’intelligibilité de la « chose éducative »,
donnent aux acteurs de l’éducation les moyens de comprendre les situations aux-
quelles ils se trouvent confrontés, et d’agir sur elles dans la claire conscience des
enjeux. Ils contribuent ainsi à introduire davantage de cohérence dans un domaine où
coexistent trop souvent la générosité dans les intentions et l’improvisation dans les
pratiques. Ils associent enfin la force de l’argumentation et le plaisir de la lecture.
Car c’est sans doute par l’alliance, sans cesse à renouveler, de l’outil et du
sens que l’entreprise éducative devient vraiment créatrice d’humanité.

Pédagogies/Outils : des instruments de travail au quotidien pour les enseignants,


formateurs, étudiants, chercheurs. L’état des connaissances facilement accessible.
Des grilles méthodologiques directement utilisables dans les pratiques.

© ESF éditeur, 2009


© ESF Sciences humaines, 2021
Cognitia SAS
3, rue Geoffroy-Marie
75009 Paris

8e édition actualisée 2021


www.esf-scienceshumaines.fr

ISBN : 978-2-7101-4451-9
ISSN : 1158-4580

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a, d’une part,
que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une
utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple
et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement
de l’auteur ou ses ayants droit, ou ayants cause, est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou
reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les
articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Remerciements

Ce travail n’aurait jamais pu voir le jour sans un tissu dense de rencontres


professionnelles. Je pense à toutes ces personnes qui, par leurs expériences, leurs
réflexions, la force de leur engagement, leur confiance accordée, leurs marques
d’amitié, ont largement contribué aux idées présentées par cet ouvrage. Je tiens
à remercier tout particulièrement les copains des classes uniques urbaines : Mar-
tine Azaïs, Mireille Laporte Davin, Cédric Léon et Laurent Leseur qui ont permis
qu’un projet ambitieux puisse aboutir à des fonctionnements de classes au service
de la réussite scolaire de nos élèves.
Il convient également de reconnaître la force créatrice des enseignants proches
de l’ICEM34, du département des sciences de l’éducation de l’université Paul
Valéry ou d’autres cercles de travail réfléchissant autour des problématiques de
la coopération à l’école.
Que soient donc à leur tour remerciés Olivia Almazan, Jean-Claude Aparisi,
Gilles Baqué, Magali Barrère, Myriam Bensaïd, Elian Blancher, Sarah Boegner-
Pagé, Roland Bosco, Étienne Briquet, Pierre Cieutat, Bernard Collot, Michel
Ducasse, Richard Étienne, Jany Gibert, Serge Girard, Benoît Guerrée, Ben Haas,
Isabelle Huchard, Éric Joffre, Christiane Koberich, René Laffitte, Nathalie Lavocat,
Jean Le Gal, Nathalie Massé, Philippe Meirieu, Marie Moncoulon, Printemps
Nguyen, David Noally, Isabelle Razoux, Loïs et Mélanie René, Cédric Serres, Domi-
nique Tibéri, Michel Tozzi, et tous ceux que j’ai négligemment oublié de men-
tionner.
Des félicitations spéciales à Mireille pour la qualité de ses relectures.

3
À mon grand-père René pour les possibles qu’il a suscités.
À mon épouse Nathalie et notre fille Orlane pour leurs présences, leurs
encouragements au quotidien et les nombreux sacrifices d’une telle aventure.
Table des matières

Préface. La pédagogie coopérative : une histoire qui a de l’avenir . . 9


Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Première partie
Repères historiques et théoriques
1. Mouvements et pédagogues de la coopération. . . . . . . . . . . . . . . . 19
Le mouvement Freinet et l’Office central de la coopération à l’école 22
Des techniques éducatives à la pédagogie institutionnelle. . . . . . . . 28

2. Apprentissages et coopération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Des formes de mémoires qui interagissent. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
Une construction de la mémoire en trois phases . . . . . . . . . . . . . . . 37
Dormir contribue à bien apprendre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
L’importance des émotions positives, liées à soi . . . . . . . . . . . . . . . 40
Vers une pédagogie en cohérence avec le fonctionnement
du cerveau ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42

Deuxième partie
L’organisation matérielle de la classe
1. La coopération : entraide et tutorat. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
L’aide, l’entraide et le tutorat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Les apports scientifiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
La formation des enfants au tutorat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Des activités pour initier à la coopération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

2. La gestion de l’espace et du temps scolaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . 67


Six passages à travailler . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
Une gestion du temps collectif qui tient compte
des rythmes individuels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72

5
Apprendre avec les pédagogies coopératives

3. Des outils au service de l’émancipation éducative . . . . . . . . . . . . . 77


Outil, technique, méthode ou démarche ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
Trois outils au service de la personnalisation des apprentissages . . 83

Troisième partie
La coopération du point de vue de l’enseignement
1. Plans de travail et personnalisation des apprentissages . . . . . . . . 93
Différencier, individualiser ou personnaliser ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Aux origines du plan de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
La mise en place des plans de travail. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99

2. Au-delà de la sélection : l’évaluation en classe coopérative . . . . . 109


L’évaluation par les ceintures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
Des situations adidactiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
La démarche PIDAPI : un matériel pédagogique à visée coopérative 117
Aisances et lourdeurs de la démarche PIDAPI. . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

3. Un apprentissage vivant de la langue française par le texte libre . 125


Des textes qui ne s’instaurent pas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
Une grammaire en quatre pages. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
Toilettage de texte et chasse aux mots. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134

4. Correspondance et journal scolaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141


Des correspondances pour élargir son milieu de vie . . . . . . . . . . . . 141
Éditer un journal ou un blog scolaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148

5. L’apprentissage naturel du lire-écrire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155


La complexité de l’acte intellectuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
De quelles méthodes parle-t-on pour apprendre à lire et à écrire ? . 157
Des repères pour penser les pratiques enseignantes . . . . . . . . . . . . 161

6. Créations mathématiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169


Travailler l’abstrait et, en particulier, le concret. . . . . . . . . . . . . . . . . 169
L’approche « texte libre mathématique » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
L’approche « création mathématique » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176

6
Table des matières

7. Recherches documentaires, conférences d’enfants et sorties. . . . . 181


Une alternative aux manuels scolaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
Trois phases pour la création des conférences d’enfants . . . . . . . . . 183

8. Discussions à visées démocratique et philosophique . . . . . . . . . . 191


De la coopération à la philosophie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
Un dispositif coopératif comme tremplin au philosopher . . . . . . . . . 197
DVDP et classes coopératives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199

Quatrième partie
La coopération du point de vue des relations
1. Quelques espaces de parole et d’expression . . . . . . . . . . . . . . . . . 205
Le « Quoi de neuf ? » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205
Le bilan météo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211

2. Un autre espace d’expression : les conseils coopératifs . . . . . . . . 215


Œil, cerveau, rein et cœur du groupe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215
Proposer, discuter et prendre des décisions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
Conseil ou réunion ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223

3. Contrats de vie, sanctions et réparations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231


Coopérer, oui, mais avec des règles…. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
Une sanction qui réhabilite, une réparation qui reconstruit . . . . . . . 235

4. Prendre des responsabilités au sein de la coopérative . . . . . . . . . 245


Prendre la responsabilité de président du jour . . . . . . . . . . . . . . . . . 250
Prendre la responsabilité d’une équipe ou d’un groupe . . . . . . . . . . 256

5. La prévention des violences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263


Des messages clairs pour régler ses conflits . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264
Des enfants médiateurs pour les cours de récréation. . . . . . . . . . . . 269
Plan de formation à la médiation par les pairs. . . . . . . . . . . . . . . . . 273
Face à une situation « crisique » – la gestion des faits de violence . 278

7
Apprendre avec les pédagogies coopératives

6. Le développement des motivations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283


Motivations et institutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283
Des ceintures pour symboliser le comportement responsable . . . . . 285
Une monnaie comme béquille aux motivations. . . . . . . . . . . . . . . . . 292

7. La coopération au sein d’une école. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301


Les conseils d’élèves d’école . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301
Le règlement de cour et les permis à points. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305
Des permis de circulation libre et responsable . . . . . . . . . . . . . . . . . 310
La coopération entre adultes : les directions collégiales. . . . . . . . . . 313

Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319
Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325
Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 335

8
Préface
La pédagogie coopérative :
une histoire qui a de l’avenir

C ET OUVRAGE EST ÉCRIT PAR SYLVAIN CONNAC, À LA FOIS PRATICIEN DE


terrain, formateur et chercheur, qui avec son équipe de l’école A. Balard à
Montpellier, est à la pointe de l’innovation : dix classes multi-âges (enfants du CP
au CM2 dans la même classe) dans cet établissement de zone sensible, fonction-
nant toutes en pédagogie coopérative, au sein d’une véritable équipe de maîtres,
avec une culture de classe et d’école de tutorat, d’entraide, de médiation, et même
de discussion à visée philosophique (p. 191 à 201).
L’avantage de ce livre est de regrouper en un seul ouvrage tous les acquis
historiques et plus récents de la pédagogie coopérative en France. Sa force est
d’articuler étroitement des éclairages théoriques pertinents (1re partie), tant du
point de vue didactique du rapport au savoir et aux contenus disciplinaires
(2e partie) qu’au point de vue psychosocial (3e partie), avec la description exempli-
fiée de démarches et d’outils pratiques : textes libres, correspondance et journal,
« Quoi de neuf ? », conseil de classe, métiers, ceintures, monnaie, permis à points,
médiateurs, créations mathématiques, fichiers PIDAPI, atelier interclasses, etc. :
des tableaux récapitulatifs et des scripts de classe nous plongent ainsi au cœur
de l’action éducative, pédagogique et didactique.
L’enjeu de l’ouvrage est de savoir quelle peut et doit être la place de ce type
de pratique toujours très minoritaire dans le système éducatif aujourd’hui. La
pédagogie coopérative parut jadis très subversive, tant ses options étaient en
rupture avec l’enseignement traditionnel de « l’école assise », au point que Céles-
tin Freinet sortit de l’Éducation nationale pour la mettre en œuvre. Elle a encore
de vifs détracteurs : tous les « anti-pédagogues » selon lesquels elle ne prendrait
pas suffisamment en compte l’élève au-delà de l’enfant, favoriserait trop l’éduca-
tion par rapport à l’instruction, le comportement des élèves par rapport à la didac-
tique des contenus (par un trop faible temps d’exposition aux apprentissages),
minerait l’autorité du maître (trop peu « autoritaire ») et du savoir (trop peu sacra-
lisé) ; critique aussi de ceux pour qui ses méthodes actives avantageraient les
élèves déjà fournis en capital culturel, contrairement aux intentions émancipatrices
avancées…
Il se pourrait cependant que la pédagogie coopérative soit aujourd’hui en
phase avec certaines tendances des évolutions sociétales et de nouveaux besoins

9
Apprendre avec les pédagogies coopératives

du système éducatif. Elle prend en compte l’individu en le sortant de l’anonymat


du cours magistral et considère la personne de l’élève dans la totalité de ses
dimensions, répondant au besoin sociétal actuel de reconnaissance (A. Honneth).
Elle donne aux élèves, notamment dans sa version de pédagogie institutionnelle,
un cadre structurant et contenant à travers les « institutions » mises en place, qui
favorise l’intériorisation de règles et le consentement à la nécessité de la loi pour
borner les pulsions, à un moment où l’on observe dans la société un « déclin des
institutions » (F. Dubet) : ce qui est le contraire d’un laxisme comportemental. Elle
développe ainsi la socialisation des individus et du groupe-classe, dans une
période où s’effrite le lien social : une socialisation de type démocratique qui
autonomise et responsabilise les acteurs, éduque à une civilité et une citoyenneté
aujourd’hui défaillantes. Elle étaye aussi les valeurs et les pratiques de solidarité,
dans un monde où règnent une concurrence et une compétition acharnées, qui
font de l’homme un « loup pour l’homme » (Hobbes), travaillé par la « rivalité
mimétique » (R. Girard) de chacun avec son voisin dans une société de surconsom-
mation.
Elle rejoint aussi les conclusions de certaines études en psychologie sociale,
théorie de l’apprentissage et sciences de l’éducation. Certaines montrent par
exemple l’intérêt du tutorat, non seulement pour celui qui est aidé, mais pour
celui qui aide, amené par la conscientisation de ses acquis à renforcer ses
procédures efficaces, donc le transfert de ses apprentissages. D’autres (néopia-
gétiens de l’école de Genève) mettent en lumière la puissance du conflit socio-
cognitif entre élèves pour découvrir et assimiler par une coopération intellectuelle
des notions nouvelles. Par ailleurs, l’individualisation du parcours de chaque
élève par des fichiers personnalisés, mettant en œuvre une différenciation péda-
gogique, tient compte du niveau et du rythme d’acquisition de chacun. La
recherche longitudinale durant cinq ans de l’équipe de Y. Reuter (université de
Lille 3), sur l’école Freinet de Mons-en-Barœul, montre enfin l’efficacité des
méthodes utilisées sur le plan didactique, niveau d’ordinaire le plus contesté.
On peut donc se demander si la pédagogie coopérative n’est pas plus cohérente
aujourd’hui avec les finalités d’une école qui se veut démocratique, confrontée au
défi d’une égalité des chances encore très formelle et aux limites d’un individua-
lisme désocialisateur. Si elle ne participe pas de façon significative au remaillage
d’un lien social distendu. Si elle ne contribue pas davantage à construire chez les
élèves un rapport moins dogmatique au savoir et plus coopératif à la loi et au
pouvoir. Si face à la tentation de la restauration d’un autoritarisme sociologique-
ment non pertinent, dès lors que la majorité de la population adhère à une sociali-
sation familiale de type libéral (c’est-à-dire où l’on discute avec les enfants), elle
ne propose pas une intelligente reconfiguration de l’autorité éducative…

Michel Tozzi,
professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Montpellier 3

10
Introduction

« Et sur les indications du diable, on créa l’école. L’enfant aime la nature : on


le parqua dans des salles closes. L’enfant aime voir son activité servir à quelque
chose : on fit en sorte qu’elle n’eût aucun but. Il aime bouger : on l’obligea à
se tenir immobile. Il aime manier les objets : on le mit en contact avec les idées.
Il aime se servir de ses mains : on ne mit en jeu que son cerveau. Il aime parler,
on le contraignit au silence. Il voudrait raisonner : on le fit mémoriser. Il voudrait
chercher la science : on la lui servit toute faite. Il voudrait s’enthousiasmer : on
inventa les punitions. […] Alors les enfants apprirent ce qu’ils n’auraient jamais
appris sans cela. Ils surent dissimuler, ils surent tricher, ils surent mentir. »

Adolphe FERRIÈRE 1

L ES CLASSES COOPÉRATIVES SONT DES ESPACES ÉDUCATIFS AU CŒUR DES-


quels les acteurs ont la possibilité d’apprendre par la coopération. Le plus
souvent, cela se traduit par des situations de travail à plusieurs où, face à une
difficulté, chacun est libre de solliciter un pair pour tenter de la dépasser ou
échanger ensemble des désaccords mutuels. Il arrive notamment que la coopéra-
tion prenne la forme de tutorats, des formes plus élaborées et définies de
l’entraide : des enfants ayant manifesté un besoin précis se voient accompagnés
par un autre, volontaire pour essayer de faire profiter de son expérience et de son
altruisme dans la réponse à la question posée.
Quoi qu’il en soit, ces pratiques de la coopération à l’école rompent avec les
modèles ordinaires de l’enseignement qui placent un adulte en situation de maî-
trise face à des enfants (ou des jeunes) identifiés par leur ignorance dans le
domaine spécifié. Permettre aux enfants d’entrer dans des démarches de coopéra-
tion, c’est les inviter à investir des espaces de liberté et à s’exercer à une forme
évoluée de la démocratie prise sous l’angle de la fraternité.

Deux avantages pédagogiques forts


En tant que demandeur, un élève peut alors concevoir le groupe de ses pairs
comme une alternative équivalente à l’intervention de l’enseignant. Celui-ci, pas
toujours en mesure de répondre à la grande variété des demandes d’une classe
hétérogène incite aux échanges et aux soutiens mutuels. L’enfant demandeur, le
« tutoré », peut alors disposer de l’information dont il avait besoin et poursuivre
aisément le développement de ses projets. De plus, il arrive souvent que cette
information ait déjà été mise à disposition par l’enseignant, directement via une
consigne orale, ou indirectement par l’intermédiaire de matériel didactique

1. In L’école active, 2 vol., Éditions Forum, Neuchâtel et Genève, 1922.

11
Apprendre avec les pédagogies coopératives

présent dans la classe ou l’école. La relation d’aide, lorsqu’elle aboutit positive-


ment, ce qui est généralement le cas, permet de délivrer cette même information
mais de manière qu’elle puisse être davantage disponible, plus adaptée, corres-
pondant mieux dans sa forme aux modes de préhension de l’enfant demandeur.
À ce titre, et par une augmentation de la rentabilité de la communication, les
situations pédagogiques apparaissent plus performantes.
Quand il est sollicité par un camarade, un élève est directement investi d’une
responsabilité qui lui octroie une place importante dans le groupe. Ses engage-
ments, ses compétences et ses connaissances étant mobilisés, ils deviennent, de
fait, objectivés et trouvent un sens immédiat, souvent plus direct pour un enfant
que la gratuité des savoirs. Apprendre à l’école n’a donc plus seulement pour
intention l’enrichissement individuel mais revêt un intérêt social, la classe deve-
nant le terrain naturel des partages de savoirs. De manière moins évidente, il
apparaît que dans une relation d’aide ou de tutorat, c’est celui qui a été sollicité
qui apprend le plus. Cela s’explique par le même phénomène qui voit les ensei-
gnants, les formateurs, les éducateurs, les parents, devenir compétents pour ce
qui avait été difficile d’acquérir lors des situations didactiques spécifiquement
conçues à cet effet. En fait, tout porte à penser que l’acte d’apprendre ne devienne
réellement effectif qu’à partir du moment où l’on s’est montré capable de les
enseigner. Pour un aidant, c’est cette richesse que la coopération fournit : il a la
possibilité, dans des situations singulières et récurrentes, de mobiliser ses acquis
et de les adapter de manière qu’ils puissent entrer en correspondance avec les
profils du tutoré. C’est cette double opération de mobilisation/adaptation qui ren-
force les apprentissages afin qu’ils deviennent à la fois authentiques et durables.
L’exercice de la coopération dans le cadre scolaire met donc en exergue deux
avantages pédagogiques forts : pour les tutorés, appartenir à un réseau
d’échanges en mesure d’apporter des informations rapides et ajustées. Pour les
tuteurs, voir leurs premiers apprentissages se renforcer tant dans leur maîtrise
que sur la durée et devenir des personnes ressources dans leur groupe d’apparte-
nance, participer ainsi par les faits à une communauté de solidarité.

Comment construire une structure coopérative de classe ?


Les pratiques coopératives sont essentiellement issues de la dynamique impul-
sée par l’Éducation nouvelle et les pédagogies actives. Elles sont en particulier le
fruit de travaux de grands pédagogues français tels que Célestin et Élise Freinet,
Émile Bugnon, Barthélemy Profit, Fernand Oury et des apports plus récents de
Catherine Pochet, René Laffitte, Bernard Collot et quelques autres. Cependant par
un étrange phénomène, on ne conserve et n’utilise qu’une infime part de ces impor-
tantes contributions, qui plus est pas forcément celles relatives à la coopération et
l’entraide. La plupart du temps, la littérature pédagogique existant sur ce domaine

12
Introduction

et à disposition des enseignants provient de pays étrangers francophones, principa-


lement du Québec. À ce jour, aucun ouvrage français ne propose de balayer ce que
la culture de notre pays a pu développer en matière de coopération scolaire. Sans
mésestimer ni écarter toute la richesse de ce qui a pu être développé ailleurs, c’est
ce que propose cet ouvrage : faire le point sur les pratiques de la coopération à
l’école en France, en particulier par le prisme de l’école élémentaire. À charge des
enseignants de maternelle et du secondaire, mais aussi à tous ceux de l’élémen-
taire, d’adapter à leur contexte de travail ce qui va être développé dans ce livre.
En effet, il ne s’agira pas de décrire une nouvelle méthode d’enseignement
pour la classe. D’une part, parce que la plupart du temps les méthodes ne valent
que dans les manuels et ne s’avèrent opportunes que pour une petite partie des
élèves à qui elles s’adressent, dans le contexte dans lequel elles ont été pensées.
D’autre part, parce qu’avec les pratiques coopératives une large place est accor-
dée à la dimension humaine de la personne. À ce titre, les opérations de planifica-
tion s’avèrent le plus souvent soit élitistes en ne s’adressant qu’à un public
préalablement aisé, soit sclérosantes par une promotion de la soumission et une
interdiction de l’émancipation. Prendre l’option de la considération du caractère
humain de la personne, c’est choisir des voies éducatives anxiogènes mais pro-
metteuses, incertaines mais affirmées, décalées mais originales, discontinues
mais efficaces.
Alors que certains enseignants s’engagent dans la voie naturelle de la repro-
duction des pratiques conventionnelles, d’autres optent pour davantage d’aven-
ture avec la ferme intention, par l’ouverture sur la coopération, d’enrichir le milieu
de classe qu’ils constituent pour leurs élèves. Pourtant, comme toute innovation,
qu’elle vaille pour une corporation, pour une école ou pour soi, un besoin de
disposer de repères s’impose, sous peine de se perdre et de revenir à des pra-
tiques bien plus rudimentaires que celles desquelles on partait. C’est ce que René
Laffitte nomme l’effet élastique.
Ces repères, ces soutiens, ces balises à disposition, il est possible de se les
constituer au sein d’une communauté pédagogique ayant fait le choix de ce travail
en équipe. Malheureusement, la culture scolaire française ne semble pas à ce
jour suffisamment fournie pour faciliter ces ressources, seuls les mouvements
pédagogiques et leurs actions militantes apparaissent comme les plus à même de
s’engager dans ce type de formation par l’action. Les ouvrages pédagogiques sont
également nombreux, peut-être un peu trop d’ailleurs : même si presque tout a
déjà été écrit, il est difficile de trouver dans un seul ou quelques livres les indica-
tions nécessaires à la construction d’une structure coopérative de classe, de dis-
poser d’éléments à partir desquels des dispositifs pédagogiques précis vont
pouvoir émerger voire être enrichis et évoluer.

13
Apprendre avec les pédagogies coopératives

Une réponse aux différents enjeux de l’école d’aujourd’hui


L’école d’aujourd’hui doit faire face à divers enjeux, le principal étant la
(re)mise en marche de l’ascenseur social. Trop d’élèves sortent du système éduca-
tif sans qualification, dont une frange importante est issue des couches populaires
de la population. À l’opposé de ce constat, pas assez de jeunes quittent notre
école avec des niveaux d’études élevés. Le quotidien des classes et des écoles et
l’ensemble des recherches scientifiques sur la question montrent bien l’inefficacité
de la sélection en éducation : a-motivante pour les plus forts, appauvrissante pour
les autres. Une prise en compte positive du caractère hétérogène des groupes
apparaît donc comme la piste la plus pertinente pour faire évoluer notre école. Le
problème majeur est que ceux qui y sont confrontés, de manière bien plus forte
qu’à l’ordinaire dans l’éducation prioritaire, doivent de concert faire face à de
vives tensions au sein des classes voire à des phénomènes de violence. D’un
point de vue individuel, il est alors naturel de concevoir la tâche comme colossale
et de préférer se réfugier dans l’impuissance ou le conservatisme.
Dans la conjoncture internationale actuelle et parce que les échanges de cer-
veaux se multiplient, il devient salutaire de former de nombreux jeunes actifs en
mesure de répondre de manière formelle aux caractéristiques dynamiques du tra-
vail : capacités à produire une pensée personnelle, à la communiquer, à mener
des recherches, à participer à des entreprises d’équipe, à prendre des initiatives,
à faire preuve de responsabilité, de solidarité, de motivation, d’autonomie…
Tout ceci peut spécifiquement faire l’objet d’un entraînement précis au sein de
classes coopératives ou lors de moments pendant lesquels les élèves ont la possi-
bilité de coopérer sans la guidance forte d’un adulte. Lorsque l’on reconnaît qu’en
plus de ces enjeux, les enfants manifestent la plupart du temps un engouement
certain pour ces moments de vie et d’authenticité des rencontres, et que l’école
dispose de plusieurs années pour permettre à ses élèves de complexifier leurs
compétences en la matière, les raisons de faire preuve d’optimisme sont nom-
breuses.
En même temps, il va de soi qu’en modifiant le rapport aux savoirs des élèves,
de nouvelles relations se tissent avec les enseignants. Les classes transformées
en réseaux gagnent en sérénité, en confiance et en écoute mutuelle. L’entretien
d’une discipline, même si elle reste indispensable, ne devient plus le résultat d’un
combat. L’autorité des enseignants est accrue non par l’inflation des sanctions
mais par une reconnaissance partagée des compétences et des projets.

Un outil destiné aux enseignants


Il ne semble pas pertinent de voir les classes coopératives s’étendre de
manière hégémonique sur l’ensemble de notre territoire. Le risque serait alors
trop grand de voir ces pratiques humaines réduites à un simple usage mécanique.

14
Introduction

Le cœur de cet ouvrage est plutôt d’étayer les projets, de solidifier les pratiques
et de densifier les argumentaires. Cela consiste en une mise à disposition de
repères à la fois réflexifs et pratiques, établis à partir de plusieurs années de
tâtonnements expérimentaux et de recherches, permettant aux enseignants qui
en ont le projet, d’introduire dans leur structure de classe des dispositifs invitant
les enfants à apprendre lors de situations coopératives. Libérer de tels espaces
pour le travail scolaire est une véritable aventure avec l’assurance qu’au terme
des persévérances, les bénéfices pour les enfants sont décuplés.
Cet ouvrage se veut un outil à destination des enseignants. À défaut de cahier
journal et de guides du maître, ceux qui s’engagent dans les voies de la coopéra-
tion ont besoin plus que d’autres d’envisager leurs pratiques professionnelles
avec du recul, afin que les événements qui surviennent dans la classe puissent
être appréhendés avec sérénité et exploités au mieux. C’est pour cette raison qu’à
travers un plan détaillé, pour donner un aspect opérationnel à ce qui est présenté,
nous alternerons explicitations théoriques, descriptions de dispositifs et témoi-
gnages de classe.
La première partie proposera un étayage théorique sur la genèse des pratiques
coopératives en France, en suivant l’évolution de grands mouvements pédago-
giques. Parce que c’est une préoccupation majeure pour tout enseignant, tout
éducateur au sens large, il sera en même temps question de s’intéresser aux
dernières recherches en psychologie cognitive sur le fonctionnement du cerveau :
comment apprend-on ? Comment la mémoire se construit-elle ? Quel est l’impact
du sommeil et des émotions sur les apprentissages ? Que nous disent ces
recherches sur la pertinence des situations de coopération entre enfants ?
La deuxième partie s’intéressera aux contingences matérielles de la classe coo-
pérative. Comment des enfants peuvent-ils être amenés à coopérer au sein d’une
classe ? Qu’est-ce qui les conduit progressivement à ne pas donner les solutions ?
Comment permettre les déplacements et la simultanéité de projets divers dans des
salles de classes pas plus spacieuses qu’ailleurs ? Quelle articulation peut-on établir
entre temps collectifs et temps individuels, entre activités des enfants et pro-
grammes de l’école ? Quelle est la place de l’outil au sein des classes coopératives
et en quoi complète-t-il avantageusement l’intervention de l’enseignant ?
La troisième partie sera l’occasion de penser les temps d’enseignement de
manière coopérative. Comment peut-on permettre une exposition aux savoirs au
moins aussi intense qu’ailleurs tout en acceptant le caractère vivant des apprentis-
sages ? Le plan de travail sera présenté comme l’outil central des dispositifs de
personnalisation. Il sera mis en réseau avec les procédures d’évaluations pos-
sibles et appliqué pour des champs d’enseignements tels que la langue française,
les créations mathématiques, la recherche documentaire ou les discussions à
visée philosophique.

15
Apprendre avec les pédagogies coopératives

Parce que ces situations d’enseignements s’effectuent dans un contexte rela-


tionnel riche en sollicitations, la quatrième partie introduira le concept d’institu-
tion comme pare-feu aux phénomènes anxiogènes qui pourraient alors survenir.
Comment peut-on libérer la parole des enfants ? Comment faire en sorte que les
conseils coopératifs ne deviennent pas des tribunaux d’enfants ? Quelle est la
place des lois, des règles, des sanctions et des réparations au sein du groupe ?
Dans quelles conditions des enfants peuvent-ils prendre de véritables responsabi-
lités ? Comment un outil comme le message clair peut-il permettre les conflits
sans qu’ils dégénèrent en faits de violence ? Qu’est-ce qui conduit à l’émergence
de motivations intrinsèques dans le quotidien des élèves ? Qu’en est-il des pra-
tiques coopératives au sein d’une école, notamment entre les enseignants ?

« Si j’avais à définir la classe coopérative en pédagogie Freinet, en quelques mots, je dirais


qu’elle est un système complexe cohérent en création permanente, système créé par des
éducateurs de l’École moderne et les enfants ou les adolescents de leurs classes, chaque
classe constituant, à un moment donné de son évolution, de son tâtonnement expérimen-
tal, un milieu vivant original, une synthèse particulière de multiples facteurs qui consti-
tuent la classe coopérative, mais ceci autour de finalités communes, d’une idée de l’homme
et de la société :
– un homme autonome, libre et responsable, apte à prendre sa vie en main et à coopérer
avec les autres, à les accepter dans leur différence et à lutter pour l’avènement d’une
autre société ;
– une société dont la liberté, la justice sociale, la fraternité et le travail désaliéné seront
les fondements, une société d’où aura été bannie l’exploitation de l’homme par l’homme. »

Jean Le Gal 2

2. LE GAL J., Le maître qui apprenait aux enfants à grandir, Les Éditions libertaires, Toulouse,
2007, p. 144.

16
Première partie

Repères historiques
et théoriques

L es pratiques de coopération à l’école ne sont pas nées en même temps que


cet ouvrage, loin de là. Elles sont le fruit de multiples tâtonnements, issus de
plusieurs pays et à l’initiative de différents pédagogues. Rien de réellement nou-
veau ne va donc émerger de cette lecture. Et pourtant, malgré cette histoire riche
en découvertes et diffusions, les élèves sont faiblement conduits à solliciter leurs
pairs pour engager ou poursuivre un apprentissage. Trop souvent, les activités
scolaires correspondent soit à de la participation à des situations de travail collec-
tif, soit à des tâches individuelles, pas nécessairement d’évaluation. De leur côté,
les enseignants semblent connaître, au moins de manière parcellaire, la pédago-
gie Freinet et la pédagogie institutionnelle. Mais lorsque l’on s’intéresse aux dis-
tinctions entre ces deux approches, on obtient la plupart du temps des éléments
qui témoignent d’une méconnaissance des repères organisateurs, à l’image des
recours timides qui en sont faits dans les classes.
Cette absence de formation initiale est d’autant plus dommageable qu’elle se
couple à une image globale de la coopération à l’école qui en fait un support à des
apprentissages relationnels indéniables mais peu en lien avec les savoirs scolaires
à acquérir. Il n’est pas souhaitable que, sous prétexte que la coopération favorise
des relations amicales entre enfants, elle leur interdise de développer des apprentis-
sages au moins aussi importants qu’au sein de n’importe quelle autre classe.
C’est justement parce que nous la contestons qu’il convient d’apporter un
double étayage théorique. D’abord, autour des repères historiques et des projets
fondateurs. Il sera alors question de mouvements comme la CEL, l’ICEM, l’OCCE

17
Repères historiques et théoriques

et les associations de pédagogie institutionnelle. Ensuite, autour de l’acte


d’apprendre. Comment se détermine-t-il ? Comment la mémoire se construit-elle ?
En quoi la classe coopérative correspond-elle en partie au fonctionnement du
cerveau et permet-elle aux enfants d’apprendre de manière vraie et durable ?

18
1
Mouvements et pédagogues
de la coopération

«L’ ÉCOLE COOPÉRATIVE C’EST, AU LIEU DE L’ÉCOLE ASSISE, VIVANT DANS


le bourdonnement des vaines paroles, l’école active… C’est une école
transformée politiquement où les enfants qui n’étaient rien sont devenus quelque
chose, c’est l’école passée de la monarchie absolue à la république et où les
enfants apprennent le jeu de nos institutions et s’exercent à la pratique de la
liberté. L’école coopérative c’est enfin l’école où l’instruction n’est plus le but
exclusif, mais celle où l’on vise à former l’être pensant, qui sait écouter la voix de
la raison, l’être moral et conscient et responsable, l’être social attaché tout autant
à l’accomplissement de ses devoirs qu’à la revendication de ses droits 1. »
Une pédagogie coopérative peut se définir comme une forme d’enseignement
dont les apprentissages sont possibles par la coopération entre les personnes qui
composent le groupe ou celles qui interagissent avec lui. Nous entendons par
coopération toutes les situations où des individus ont la possibilité d’apprendre
ou d’agir ensemble, en pouvant en retirer un bénéfice individuel.

« Par la coopération scolaire, l’école, jusque-là une simple réunion d’individualités que
dressaient les uns contre les autres la contrainte et la sujétion excessive, d’une part et,
d’autre part, la compétition et la jalousie, est devenue une association d’enfants se discipli-
nant eux-mêmes pour prendre en charge l’amélioration de leurs conditions de vie et le
progrès général de la classe, tant au point de vue matériel qu’au point de vue moral. 2 »

Une « pédagogie coopérative » est un terme générique regroupant plusieurs


pédagogies, dont bien entendu la pédagogie Freinet, mais aussi les pédagogies
institutionnelles, la pédagogie de la structure et de la communication, en somme,
toutes les pédagogies qui font de l’entraide entre enfants des sources importantes
d’apprentissages. Il s’agit en même temps de pédagogies au sens fort de ce terme :
avec elles, on ne parle pratiquement jamais de « méthodes » ni de modalités

1. PROFIT B., 1935, in Meirieu Ph., Célestin Freinet – Comment susciter le désir d’apprendre ?,
PEMF – L’éducation en questions, 2001, p. 25.
2. PROFIT B., L’éducation mutuelle à l’école, Sudel, Paris, 1936.

19
Repères historiques et théoriques

d’interventions de l’adulte face à un groupe ou auprès d’enfants. Il n’y a pas de


recettes à appliquer ni de manuel à suivre. Il s’agit plutôt d’une organisation du
groupe à susciter de manière que ses membres puissent, dans un premier temps,
se savoir dans des conditions favorables de confiance et de sécurité pour agir et,
dans un second, en réseau avec différentes sollicitations de façon que leurs
constructions soient au service d’apprentissages vrais et durables.
Dans les faits, ces pédagogies coopératives favorisent les interrelations entre
enfants et les interactions avec leur milieu. C’est en ce sens que l’on parle de pédago-
gies du vivant. De manière naturelle, elles sont souvent source d’enrichissements mais
aussi de différends, voire de conflits, ce qui est le propre du complexe. Si l’on veut
que ces rencontres n’aboutissent pas à des violences par pressions, ressentiments,
voire coups ou insultes, il convient de prévenir ces dérives en s’appuyant sur le maté-
riau de départ : les échanges qui naissent de la vie coopérative.
À cet effet, différentes « institutions » se développent dans la classe :
• Le conseil coopératif : une réunion qui permet à chacun d’apporter les infor-
mations, de poser des questions ou de faire des propositions concernant la
vie du groupe ou la sienne parmi les autres. La plupart du temps, les déci-
sions prises visent à satisfaire tout le monde, tout du moins à ne pas réduire
les espaces de libertés individuelles. Ces réunions sont animées par un
enfant et un secrétaire de séance. L’adulte est présent, donne son avis et
participe aux prises de décisions, comme tout enfant. Il conserve toutefois
un droit de veto pour faire face, lorsqu’ils se présentent, aux phénomènes
de bouc émissaire.
• Les groupes de travail ou le tutorat : ce sont les premières cellules de coopé-
ration, le plus souvent à partir d’une rencontre entre un enfant en demande
et un autre qui propose de donner un peu de son temps. La principale carac-
téristique de ces situations est que l’enfant sollicité ne donne jamais la solu-
tion mais explique, fournit des exemples, montre des outils… Divers travaux
ont pu montrer que c’est l’enfant tuteur qui apprend le plus de ces situations
coopératives. La multiplicité des échanges dans la classe fait que personne
n’est constamment en demande ou expert, que les rôles s’inversent fré-
quemment.
• Les messages clairs, médiations ou autres dispositifs tendent à permettre
aux enfants une écoute des conflits, afin qu’ils ne dégénèrent pas en vio-
lences et qu’ils ne trouvent pas comme réponse unique la sanction.
Au sujet des apprentissages relatifs aux savoirs, il existe aussi diverses institu-
tions qui permettent aux enfants d’apprendre par la coopération et le développe-
ment d’un agir autonome :
• Les lieux de parole tels que les « Quoi de neuf ? », boîtes à textes libres,
créations mathématiques existent pour permettre aux informations exté-
rieures d’entrer dans la classe. Les enfants les présentent devant tout le

20
Mouvements et pédagogues de la coopération

monde, ce qui peut donner des idées pour entamer divers projets comme de
la correspondance, des recherches documentaires, différentes recherches.
• Les plans de travail sont des documents sur lesquels les enfants notent ce
qu’ils ont choisi de faire et ce qu’ils doivent réaliser. Ces choix sont guidés
par ce qui entre dans la classe en termes de sollicitations ou de projets et
par les divers outils à disposition pour découvrir des savoirs pas forcément
rencontrés de manière naturelle.
• Les situations de communication : les journaux, la communication sur Inter-
net, la correspondance, les conférences d’enfant, etc., qui attribuent aux pro-
jets une visée formelle et permettent aux enfants « auditeurs » d’être
sensibilisés aux domaines de travail de leurs camarades.
Quelques repères permettent de situer les fondements des pédagogies coopé-
ratives :
• avant de penser didactique, intéressons-nous à la pédagogie ;
• penser l’éducation avant d’envisager l’instruction, le champ éducatif de
l’école concerne l’étendue des champs de vie des enfants ;
• un manque de motivation, de désir d’apprendre et de confiance en soi
semble être le principal frein actuel aux apprentissages à l’école ;
• devant la réalité de l’hétérogénéité des groupes-classes, la pédagogie de
l’uniforme n’est plus adaptée. Celle du prêt-à-porter ne suffit pas non plus.
Seules celles du sur-mesure et de la responsabilité permet une adaptation
mutuelle ;
• l’adulte ne peut pas être un moniteur qui indiquerait une direction unique à
suivre. Ce serait plutôt un organisateur de milieu de travail, un guide au
quotidien et une ressource permanente ;
• si l’on souhaite susciter la citoyenneté à l’école, mieux vaut penser les faits
de violence en termes de prévention plutôt qu’en termes de gestion ;
• discuter plutôt que taper : c’est le fondement de la société civile sans quoi
le respect d’aucune autre loi n’est possible.
À ce jour, plusieurs groupements se reconnaissent de ce courant pédagogique :
la pédagogie Freinet, aujourd’hui représentée par l’Institut coopératif de l’École
moderne 3, l’Office central de la coopération à l’école, les pédagogies institution-
nelles et la nouvelle dynamique dite « 3e type » regroupant les acteurs fédérés
autour de la conception de l’apprentissage par la construction des langages. Elles
sont le fruit de l’engagement de vie de pédagogues français dont Elise et Célestin
Freinet, Barthélemy Profit puis Fernand Oury. Voici quelques éléments en mesure
de situer la vie de ces personnages ou des mouvements qu’ils ont su insuffler
puis l’essentiel de leurs apports en matière de coopération à l’école.

3. ICEM – 18, rue Sarrazin – 44000 Nantes http://www.freinet.org – http://www.icem-freinet.info/

21
Repères historiques et théoriques

Le mouvement Freinet et l’Office central de la coopération à l’école


La contribution des époux Freinet

« Célestin Freinet, instituteur, est certainement le plus grand pédagogue français du XXe
siècle. Son nom, qui est aussi celui de son mouvement, le “Mouvement Freinet”, est connu
dans des dizaines de pays, en Europe bien sûr, mais aussi en Amérique centrale, en
Amérique latine, en Afrique, au Moyen et Extrême-Orient 4. »

Célestin Freinet est né en 1896 dans la petite commune de Gars dans les Alpes-
Maritimes. Il avait fréquenté l’école du peuple et reconnut même plus tard ne pas
en avoir trop souffert, même s’il se souvenait surtout de l’ennui qui l’envahissait
pendant les cours, du ronron des paroles du maître qui le menait à une espèce
de somnolence. Il fut appelé à s’engager dans la guerre des tranchées, y côtoya
la rudesse des combats et la mort de camarades. En octobre 1917, à la suite d’une
très grave blessure par balle dans les combats du Chemin des Dames, il fut atteint
d’une pleurésie. À 21 ans, après une convalescence de plus de deux ans, il est
considéré comme invalide de guerre à 70 %.

« Quand je suis revenu de la guerre 1914-1918, j’avais été assez sérieusement blessé et,
notamment, je ne pouvais pas parler longtemps, surtout pas dans une salle de classe…
Lorsque j’avais parlé pendant dix minutes, un quart d’heure, comme cela, je n’en pouvais
plus. Et alors, j’ai cherché des solutions : ou bien je quittais l’enseignement à ce moment-
là, ou bien je trouvais d’autres techniques de travail qui m’auraient permis de faire ma
classe de façon intelligente, efficiente aussi, de m’intéresser à ma classe mais que je puisse
tenir le coup. Alors j’ai cherché 5. »

Il retira de cette période les idées de solidarité et d’entraide. Pour que les
horreurs de la guerre cessent, et convaincu qu’il est plus opportun de s’intéresser
à l’éducation populaire, Freinet se lance dans l’éducation des enfants du peuple.
Il réutilise selon ses besoins les grandes innovations internationales qui se déve-
loppent dans le domaine de la coopération et le sens donné aux apprentissages.

« Toute méthode est regrettable qui prétend faire boire le cheval qui n’a pas soif. Toute
méthode est bonne qui ouvre l’appétit de savoir et aiguise le besoin puissant de travail 6. »

Pour point de départ aux désirs d’apprendre, il utilisa la vie des élèves, leur
quotidien et leur environnement. Comme il éprouvait physiquement des difficultés

4. PAIN J., Encyclopædia Universalis.


5. Interview de FREINET C. en 1961, partiellement transcrite: « Célestin Freinet et l’École
moderne », BT 2, no 193, janvier 1987, p. 4.
6. FREINET C., « Les dits de Mathieu », in Œuvres pédagogiques, tome 2, Le Seuil, Paris, 1954,
p. 115.

22
Mouvements et pédagogues de la coopération

à rester confiné dans la petite salle de classe de l’école du Bar-sur-Loup, il organi-


sait des sorties promenades. À leur retour, une série d’informations collectées leur
permettait d’écrire un court texte résumant ce qui venait d’être vécu. Chaque
enfant avait aussi la possibilité d’écrire des « textes libres » dans lesquels il pou-
vait laisser vaquer toutes les imaginations. Pour donner encore plus de sens à ces
écrits, Freinet organisa un réseau de correspondances entre différentes écoles
françaises, dont la première fut celle de l’instituteur René Daniel à Trégunc dans
le Finistère. À la rentrée scolaire d’octobre 1926, Freinet décida de coordonner les
expériences d’imprimerie afin d’échanger régulièrement leurs feuilles imprimées
dans une correspondance interscolaire. À la même période, le couple Freinet avait
acheté une petite caméra Pathé-Baby. Les enfants faisaient des petits films en
9,5 mm sur leurs familles, et sur l’imprimerie dans la classe du Bar-sur-Loup.
L’échange des textes et de films permettait une ouverture sur le monde ainsi que
des supports vivants et variés pour apprendre à lire, écrire, compter ou faire de
la géographie et des sciences.
L’imprimerie fut le principal matériel qu’il utilisa. Elle offrait aux élèves un
accès finalisé à un écrit relatant les diverses sorties et recherches que pouvait
faire la classe. De là, déboucha le journal de classe (La Gerbe à partir de 1927)
qui permit une augmentation de la correspondance. L’année 1927 vit la naissance
de ce que l’on a appelé plus tard « le mouvement Freinet » par l’organisation du
premier congrès de l’imprimerie à l’école. Avec le souci constant d’enrichir le
milieu de vie scolaire des enfants, Freinet, sa femme Élise et l’ensemble des ensei-
gnants qui avaient rejoint ce mouvement s’activèrent pour la construction de
fichiers autocorrectifs visant l’appropriation par les élèves des éléments de base
du savoir scolaire, tout du moins celui qui n’était pas directement accessible par
l’engagement dans les divers projets de la vie coopérative. Un peu plus tard,
naquit l’aventure documentaire le projet de mettre à disposition des élèves des
ressources de savoirs à leur niveau, à l’image d’une encyclopédie universelle et
sous la forme d’une revue intitulée Bibliothèque de travail (BT). Les différentes
techniques éducatives introduites par Freinet dans la classe ont été celles qui
revêtaient un caractère essentiel à l’enrichissement du milieu et à l’exploitation
du caractère vivant des échanges. Cela devenait une source d’apprentissage au
moins aussi forte que l’intervention du maître. En 1949, Jean-Paul Le Chanois fera
un film « Freinet » sur cette première partie de son existence, L’École buissonnière,
avec Bernard Blier dans le rôle de Freinet.
De manière un peu plus générale, il est possible de considérer la pédagogie
Freinet comme s’appuyant sur cinq piliers : l’expression libre, la coopération, les
techniques éducatives, la participation démocratique des élèves et le tâtonnement
expérimental. Ce dernier repose sur trois principes pédagogiques : la considéra-
tion des représentations des enfants, l’engagement des apprenants dans des acti-
vités vraies et vivantes et la répétition. Deux raisons guident les processus

23
Repères historiques et théoriques

d’apprentissages : la sensibilité (le fait que tout vécu laisse une trace) et la permé-
abilité à l’expérience (la multiplicité des vécus favorise leur ancrage). Toutes les
techniques sont intégrées dans le travail des élèves.

« On ne peut isoler une technique de l’organisation générale des activités scolaires. La classe
promenade n’aura de sens que lorsqu’elle s’intégrera à une communication, lorsqu’elle fera
l’objet d’une relation aux autres. Tout est régulé au sein de la coopérative scolaire 7. »

Chaque technique éducative introduite par Freinet dans sa classe l’a été en
lien constant avec ce qui existait au préalable et est intervenue en réponse à un
besoin d’organisation du travail. Concernant les pratiques coopératives, elles
étaient sous-jacentes depuis le début, mais c’est avec l’arrivée à l’école Freinet,
fin 1935, d’enfants assez turbulents que la pratique coopérative s’est structurée.
Il fallait éviter des conflits journaliers qui se réglaient en fin de semaine dans la
réunion de coopé, introduire le journal mural où chacun pouvait écrire ses griefs
au lieu de les régler à tout moment.
Parallèlement à cette mise en place pédagogique, Freinet crée la Coopérative
de l’enseignement laïc (la CEL). Elle deviendra l’organe à travers lequel les textes
et les outils de Freinet seront diffusés dans toute la France et même à l’étranger.
En 1932, alors instituteur à l’école de Saint-Paul-de-Vence, Freinet doit faire
face à une situation de crise. Amené à accueillir 49 élèves dans une école
construite pour 27 et devant le refus de la municipalité à débloquer la situation,
il en appelle plusieurs fois à ses supérieurs 8. Ceux-ci obligent la mairie à engager
les travaux nécessaires, ce qui conduit à un fort refroidissement des relations avec
l’instituteur. Au cœur de ce climat tendu, il arrive que certains élèves en fassent
part dans leurs textes libres. C’est le cas dans l’un d’eux, écrit par Marcel Diaz,
alors âgé de 12 ans :

« Mon rêve. J’ai rêvé que toute la classe s’était révoltée contre le maire de Saint-Paul qui
ne voulait pas nous donner les fournitures gratuites. Je m’élance, les autres ont peur.
Monsieur le maire sort son couteau et m’en donne un coup sur la cuisse. De rage, je
prends mon couteau et je le tue. Monsieur Freinet a été le maire… Je suis allé à l’hôpital.
À ma sortie, on m’a donné mille francs 9. »

Certains habitants, aidés par une municipalité d’extrême droite, se servent de


ce texte et le placardent dans les rues du village en dénonçant « les agissements
de l’instituteur Freinet », ce qui déclenche des manifestations particulièrement

7. GOUPIL G., Comprendre la pédagogie Freinet, Amis de Freinet, Mayenne, 2007, p. 33.
8. Daniel LOSSET a réalisé en 2006 un film sur ces événements : Le maître qui laissait les enfants
rêver.
9. In Le « vrai » Niño, bulletin des « Amis de Freinet », no 87, août 2007, p. 27.

24
Mouvements et pédagogues de la coopération

hostiles, fustigeant ses méthodes et ses idées. Des pétitions contre lui se multi-
plient tout comme des lettres de soutien. En avril 1933, cent cinquante parents
protestataires se réunissent devant l’école et exigent le départ de Freinet.

« Face à l’excitation de la foule et pour protéger les quatorze élèves qu’il a dans la classe,
celui-ci réagit en s’approchant des manifestants, revolver au point. L’issu de l’affrontement
aurait pu être plus dramatique, mais la menace de l’arme à feu a permis de contenir une
certaine violence, jusqu’à la venue de la gendarmerie. L’inspecteur d’académie qualifie
ce geste de maladroit et peu courageux 10. »

Freinet est déplacé d’office et se fait ainsi connaître de toute la France.


Comprenant que tout sera fait désormais pour l’empêcher de continuer son
action pédagogique militante, Freinet décide de créer sa propre école à Vence, Le
Pioulier. Il la bâtit avec des amis, fin 1935. Il y accueille des gamins de la banlieue
parisienne, des enfants de parents militants et à partir de 1937, de nombreux petits
réfugiés espagnols ne parlant pas un mot de français. Freinet peut alors mettre en
place un dispositif de travail individualisé à l’aide d’un document faisant office de
contrat entre lui et chacun de ses élèves : le plan de travail. Les enfants naviguent
dans la classe entre des activités individuelles (guidées par les fichiers autocorrec-
tifs) et des activités de groupe autour d’un objectif précis, l’imprimerie du journal
par exemple. Il s’initie également à ce qu’il nomme le conseil de coopérative, directe-
ment inspiré de ce qu’il avait pu voir en URSS lors de ses différents voyages.
Parallèlement, il fonde avec les autres mouvements pédagogiques, et spécifique-
ment le Groupe français d’éducation nouvelle d’Henri Wallon, le Front de l’enfance.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’école ferme, Freinet est arrêté dans
son école et transféré dans différents camps de concentration français. Libéré, il
rejoint sa famille dans les Hautes-Alpes et y rédige ses principaux livres. En 1947,
l’Institut coopératif de l’École moderne est créé.

« Après le rapatriement des activités de la CEL à Cannes en avril 1946, et après l’échec
des tentatives d’union pédagogique avec les autres mouvements d’éducation populaire,
Freinet lance l’initiative de créer l’ICEM (Institut central de l’École moderne), sans doute
à l’instar de l’Office central de la coopération à l’école. Mais de nombreux militants
réagissent pour faire remplacer Central par Coopératif, plus dans l’esprit de la CEL 11. »

Célestin Freinet n’est séparable ni de sa femme, Élise Lagier Freinet, tout autant
institutrice qu’artiste, décisive sur l’expression libre, ni des cinq cents compagnons
du début des années 1930.

10. LAFON D., voir supra.


11. BARRÉ M., Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps, tome 2, Éditions PEMF, 1995,
p. 80.

25
Repères historiques et théoriques

Parallèlement à ce qui se passe en France, Freinet se fait connaître à l’étranger.


Un peu partout dans le monde se créent des mouvements équivalents à l’ICEM.
Lors des rassemblements, Freinet insiste pour que ses techniques ne soient pas
copiées mais adaptées à la culture et aux traditions des pays. À partir de la
création de l’ICEM, on cessera de parler de Méthode Freinet au profit de Pédagogie
Freinet.

« En effet, une méthode est un ensemble de règles, de normes préalablement définies et


fixées, à appliquer pour arriver à un but alors que la pédagogie Freinet, parce que c’est
une pédagogie moderne, consiste en une mise en œuvre de techniques, avec tout ce que
cela comporte d’évolutions en fonction des conditions d’exercice de l’enseignant dans son
contexte particulier 12. »

C’est dans cet esprit qu’en 1964, en tentant de répondre à ce que pouvait être
la pédagogie Freinet, celui-ci a proposé la création d’une sorte de code pédago-
gique sous forme d’invariants pédagogiques 13.

La place de l’OCCE dans le mouvement coopératif


Le terme de coopération semble être apparu en France pour la première fois
dans un « appel aux enseignants » lancé par Léopold Mabilleau.

« N’y aurait-il pas dans la création de coopératives scolaires juxtaposées aux mutuelles
scolaires, et au besoin fédérées avec elles, une préparation modeste mais directe et sérieuse
aux fonctions, aux devoirs de l’avenir 14 ? »

C’est dans les dernières années du XIXe siècle que les coopératives sont appa-
rues en France, sous forme de mutuelles. Petit à petit, elles se sont étendues à
l’école dans le but de former les futurs citoyens à la prévoyance et à l’épargne.
Les enfants qui cotisaient à ces mutuelles tiraient l’argent d’actions qui visaient à
en récolter, comme l’élevage de lapins et d’abeilles. C’est également à cette
période que quelques fondateurs insistèrent sur les vertus éducatives des mutuali-
tés. Il s’agissait de responsabiliser les élèves afin d’en faire des hommes respon-
sables et solidaires. En plus de ces vertus éducatives, les coopérateurs scolaires
purent rapidement employer leurs coopératives pour donner vie à des projets de
classe, comme des voyages de fin d’année ou du matériel pédagogique utile aux
activités des élèves.

12. GOUPIL G., Comprendre la pédagogie Freinet, Amis de Freinet, Mayenne, 2007, p. 33.
13. FREINET C., « Les invariants pédagogiques », in Œuvres complètes, tome 2, Le Seuil, Paris,
1954, p. 383.
14. MABILLEAU L., « Appel aux enseignants », in VINCENT J.-F., Du projet compétitif d’éducation
au projet coopératif d’éducation, mémoire pour le Conservatoire national des arts et métiers –
Centre d’études sociologiques du travail et de l’entreprise, septembre 2001.

26
Mouvements et pédagogues de la coopération

En 1929, l’Office central de la coopération à l’école (OCCE) fut créé. Ses mis-
sions étaient d’encourager la création de groupements d’élèves et l’enseignement
de la coopération. Trois grands pédagogues ont contribué à son développement.
Émile Bugnon permit un développement économique. Pour lui, la coopération
avait pour visée l’illustration par le terrain d’un fonctionnement mutualiste, basé
sur l’entraide et la solidarité. Le deuxième pédagogue qui a contribué à l’essor de
l’OCCE est Barthélemy Profit. Inspecteur primaire, né en 1867, il fut le premier à
mettre en évidence l’intérêt pédagogique des coopératives scolaires en les faisant
définitivement sortir des objectifs des mutuelles scolaires.

« À une époque où les lois de prévoyance sociale étaient à peu près inexistantes, il s’est
intéressé au sort familial des écoliers en même temps qu’à l’enseignement de la solidarité,
et qu’il a fondé avec succès une vingtaine de Sociétés de Mutualité scolaire et postscolaire 15. »

Sa militance a surtout concerné les intentions éducatives de la coopération,


intentions qui se démarquaient de l’approche de Bugnon. Il a contribué à l’évolu-
tion du mouvement par l’intermédiaire d’ouvrages pédagogiques où il précisait
ses conceptions de la coopération. Pour lui, elle correspondait à une valeur forte
de l’école :

« Ainsi, par la discipline autoritaire d’une part, par le système de compétition d’autre
part, sont emprisonnés les rapports naturels qui devraient exister entre les élèves comme
entre eux et le maître… Il ne peut y avoir aucune solidarité acceptée dans une école où
le maître n’est qu’un caporal ; il ne peut y avoir aucune coopération possible dans une
école où les élèves pratiquent quotidiennement le chacun pour soi 16. »

Avec la coopération, les enseignants disposaient d’un levier d’éducation nou-


velle permettant aux apprentissages de ne plus être construits simplement à partir
de manuels scolaires mais sur de réelles observations, de réelles expériences.
Pour B. Profit, la coopération avait aussi pour intention l’éducation citoyenne.
Le troisième pédagogue dont la rencontre avec l’OCCE fut importante est Freinet.
À la différence de B. Profit, celui-ci était, en tant que citoyen, ancré dans la coopé-
ration adulte puisque, au Bar-sur-Loup, il militait au sein de diverses coopératives.
Au sujet de l’opposition entre Profit et Bugnon, Freinet adopta une position relati-
vement mesurée dans le sens où, même s’il dénonçait la dérive économiste des
coopératives, il en reconnaissait l’état de fait tout en défendant une approche
beaucoup plus pédagogique. Profit pensait que la société ne pouvait changer que
par une modification du système éducatif global, Freinet était plutôt persuadé
qu’il est aussi indispensable de changer la société pour changer l’école.

15. GOUZIL M., PIGEON M., Profit et la coopération scolaire française, OCCE, Paris, 1970, p. 21.
16. PROFIT B., L’éducation mutuelle à l’école, Sudel, Paris, 1936, in VINCENT J.-F., 2001, p. 15.

27
Repères historiques et théoriques

Après la Seconde Guerre mondiale, les coopératives scolaires étaient entendues


par l’OCCE comme des sociétés d’élèves, gérées par eux, avec le concours des
maîtres, en vue d’activités communes. C’est à partir de cette période que le nombre
de coopératives scolaires grimpa de façon exponentielle, ce qui d’ailleurs n’impli-
quait pas nécessairement l’acceptation des valeurs coopératives par les ensei-
gnants. Le mouvement se trouva confronté à la dérive pointée par Profit et Freinet,
à savoir que ces coopératives étaient très souvent davantage considérées comme
des « caisses d’écoles » que comme de véritables outils pédagogiques pour les
élèves. Actuellement, l’OCCE tente toujours de résoudre ce dilemme : faut-il per-
mettre à autant de coopératives scolaires d’exister au risque que certaines ne
laissent que peu de place aux enfants, ou doit-on plutôt engager une politique
éducative forte pour revenir aux fondements pédagogiques de la coopération dans
une classe ?

Des techniques éducatives à la pédagogie institutionnelle

« Il n’est que de rappeler un singulier événement qui devait aider à transformer radicale-
ment l’hôpital : lorsque nous y introduisîmes une presse Freinet, petit format, empruntée
à une école voisine. Aidés par quelques malades, nous commençâmes à imprimer un
bulletin… Les quelques points que j’ai cités : imprimerie, club, ateliers, suffiront, je l’espère,
à tenir dépliée devant vous la toile tramée de nos tâches quotidiennes… C’est dans cet état
d’esprit que j’avais proposé il y a quelques années, le terme de “Pédagogie Institution-
nelle”… pensant que ce n’est pas par hasard si ces grandes architectures – hôpital et école
– posent simultanément des problèmes analogues… » (Jean Oury 17).

Lors du congrès de l’ICEM de 1958, Jean Oury, fondateur de la clinique de La


Borde et praticien de la psychothérapie institutionnelle, présente le concept de
« pédagogie institutionnelle ». Georges Lapassade 18 en fait de même à propos de
stages de formation d’enseignants désireux de se frotter à l’autogestion pédago-
gique. Cette appellation n’est donc pas exclusivement liée à la psychothérapie
institutionnelle, ni aux pédagogues, ni même à Fernand Oury. En fait, elle résulte
d’un long cheminement de recherches d’hommes, en quête d’aboutissements
pédagogiques complétant la dynamique insufflée par Freinet. On parle d’une
pédagogie Freinet et de pédagogies institutionnelles au pluriel en raison de deux
directions prises par ses initiateurs : d’un côté la PI 19 autogestionnaire, inspirée
par la sociologie et la psychosociologie (représentée par des personnes comme
Fonvieille, Lapassade, Lourau, Lobrot) et d’un autre, celle à visée psychanalytique
développée par les frères Fernand et Jean Oury.

17. Congrès de l’ICEM en 1958.


18. Dans un article paru dans la revue Recherches universitaires en 1963.
19. Pédagogie institutionnelle.

28
Mouvements et pédagogues de la coopération

« La simple règle qui permet à dix gosses d’utiliser le savon sans se quereller est déjà une
institution. L’ensemble des règles qui permet de définir “ce qui se fait et ne se fait pas”
en tel lieu, à tel moment, ce que nous appelons les lois de la classe, en sont une autre » dit
Fernand Oury. « Mais pour que cette règle existe, encore faut-il qu’il y ait du savon ! » 20

C’est de cette idée d’institution que partirent, au seuil des années 1940, le
docteur François Tosquelles et un de ses internes Jean Oury pour développer le
désaliénisme. Il s’agit de ne plus considérer l’aliéné comme tel mais comme une
personne capable de se construire dans la relation et non dans l’enfermement.
Lorsque Jean Oury parle de PI, il évoque la forme d’enseignement directement
inspirée de ce qu’il pratique dans un but thérapeutique et reprise par un certain
nombre d’instituteurs membres de l’ICEM, dont son frère Fernand Oury.
Fernand Oury, né en 1920, devient instituteur sans expérience. En 1939, il se
retrouve instituteur suppléant, avec 45 enfants. Il met entre parenthèses les
réflexes dans ce qu’il nomme avec Jacques Pain l’école caserne, et comprend très
vite que les classes homogènes sont un rêve de politique, que « chaque élève est
hétérogène ». Évoluant dans de grosses écoles urbaines, il mesure rapidement
l’ampleur des limites de ses pratiques. En 1945, il lance un journal dans sa classe.
Ses interrogations le conduisent à participer en 1949, à un stage organisé par la
CEL et où il rencontre Freinet. C’est une révélation qui lui permet de revisiter ses
pratiques même si, déjà, il regrette le manque d’applicabilité de certains de ces
outils à son contexte parisien. Une question préoccupe encore Fernand Oury :
Freinet est à la campagne, comment faire de la pédagogie active en ville, dans la
« jungle urbaine » en plein développement ? En fait il a eu des expériences « de
terrain » décisives, la plupart du temps en dirigeant des colonies pour enfants.
C’est là qu’il « invente » le conseil coopératif et les « ceintures » de comportement
– reprises du judo. Sa carrière d’instituteur et de pédagogue le conduit à fédérer
autour de lui de nombreux partisans, grâce, entre autres, aux ouvrages qu’il
coécrit. Plus que Freinet, il use d’un style facile d’accès en rédigeant de courtes
histoires d’enfants présentant un aspect bien précis de la PI : les monographies.
L’ICEM décide de s’étendre depuis Cannes en constituant des groupes départe-
mentaux. Ceux-ci ont pour objet de relayer localement son action par la diffusion
de brochures et l’organisation de stages. En 1952, l’Institut parisien de l’École
moderne (IPEM) voit le jour avec Raymond Fonvieille comme délégué, et Fernand
Oury, en tant qu’adhérent. La dynamique de ce groupe conduit à la publication
d’une revue départementale sur les techniques Freinet :

« L’Éducateur d’Île-de-France devint pratiquement la seule revue du mouvement à pré-


senter les techniques Freinet adaptées aux classes de villes 21. »

20. MEIRIEU Ph., Itinéraire des pédagogies de groupe, Chronique sociale, Lyon, 1996, p. 89.
21. LAMIHI A., De Freinet à la pédagogie institutionnelle ou l’école de Gennevilliers, Cahiers de
l’Institut de l’histoire des pédagogies libertaires, Ivan Davy éditeur, Vauchrétien, 1994, p. 28.

29
Repères historiques et théoriques

Freinet commence à montrer son désaccord en disant que ce ne serait pas par
la publicité que le mouvement qu’il avait constitué serait déterminé mais plutôt
par le travail dont il serait le moteur. En même temps, F. Oury, qui participe aux
congrès de l’ICEM, essaye de rallier à lui le plus possible de militants, prétextant
la vieillesse de Freinet et son déclin. En octobre 1960, Fonvieille fait paraître dans
sa revue un article intitulé « Les schématisations abusives » dénonçant quelques
écueils de la PF 22. Il est alors sommé par le bureau de l’ICEM de renoncer à la
diffusion de L’Éducateur d’Île-de-France à l’extérieur du mouvement ou de quitter
l’ICEM. Il préfère donner naissance à un nouveau groupe pédagogique : le Groupe
des techniques éducatives (GTE). En février 1961, Freinet rédige la circulaire dans
laquelle il écrit :

« Le Bureau parisien qui ne remplit nullement son office est supprimé purement et
simplement. […] L’ICEM cesse, à dater de ce jour, de considérer Fonvieille comme délégué
départemental 23. »

Cette nouvelle fédération tente de créer des relations et du partenariat avec


les médecins et les psychologues, les architectes et urbanistes, les parents
d’élèves, les journalistes, les commissions spécialisées de l’ICEM, les différents
courants pédagogiques, « ainsi que tous ceux dont la volonté est de construire
une école urbaine mieux adaptée aux besoins de l’enfant 24 ».
Ce qui rapproche psychothérapie et pédagogie institutionnelle est d’abord leur
position de contestation des structures concentrationnaires et hiérarchisées. Petit
à petit, des problématiques communes apparaissent. L’hôpital met en scène un
malade qui se trouve en face d’un homme bien portant tout comme l’école réunit
une personne qui ne sait pas en face d’une autre qui sait. Dans les deux cas, le
patient et l’élève sont en situation de passivité, d’attente, et dans l’incapacité
d’accéder au dépassement par eux-mêmes. C’est la raison pour laquelle intervient
de part et d’autre le concept de médiation : un troisième pôle dans une relation
duelle se crée. L’enseignant ou le médecin est alors en mesure de décentrer l’acte
de sa propre personne, tandis que l’élève ou le patient peut se référer à autre
chose qu’une personne risquant de devenir, de par sa prépondérance, un obstacle
aux engagements individuels et autonomes. Une institution se veut l’instrument
de cette médiation. Elle permet d’éviter les dangers des relations duelles
« maîtres-élèves », « soignants-soignés » par l’ouverture de ces couples sur un
triangle salutaire. Elle prévient les pièges d’une relation captatrice et imaginaire,
c’est-à-dire les effets d’identification. Elle libère la parole, favorise les initiatives

22. Pédagogie Freinet.


23. FONVIEILLE R., L’aventure du mouvement Freinet vécue par un praticien militant – 1947-1961,
Éditions Méridiens-Kliencksieck, Paris, 1989, p. 82.
24. LAMIHI A., De Freinet à la pédagogie institutionnelle, p. 36.

30
Mouvements et pédagogues de la coopération

et les échanges. Enfin, elle donne à l’élève et au malade la possibilité de se situer


dans un groupe, parmi d’autres.
F. Oury se tourne vers les recherches américaines, en particulier celles de
J. Dewey, puis vers les travaux des psychosociologues K. Lewin et J.-L. Moreno. Il
y découvre l’importance des phénomènes de groupe et des interactions entre les
personnes qui déterminent nombre de leurs comportements. Oury et les praticiens
de la PI s’intéressent aussi à l’inconscient, ce qui permet de donner une stabilité
au trépied groupe-technique-inconscient.

« En entrant dans la classe, on ne laisse pas son inconscient au portemanteau 25. »

Tout en refusant de faire de l’enseignant un apprenti thérapeute, Oury souhaite


prendre en compte l’impact de ces phénomènes plutôt que les ignorer. Dans le
concret, la référence à la psychanalyse se traduit dans les classes PI par l’intérêt
porté aux phénomènes de transfert et de contre-transfert 26, par une libération de
la parole au travers de lieux prévus à cet effet et par le caractère médiateur des
institutions.
« Ne rien dire que nous n’ayons fait », « On enseigne ce que l’on sait faire, et
comme on l’a appris », « Des lieux, des limites, des lois, c’est la possibilité du
langage et de l’éducation » (concept des 4 L), « Se taire pour mieux entendre ».
Voici quelques-unes des phrases clés qui guident la compréhension de la PI. L’une
des principales conséquences des finalités de la PI demeure l’expression des
désirs des enfants dans la classe. Ceux-ci sont suscités et, en même temps, canali-
sés afin que les libertés individuelles ne soient pas tronquées par celles de
quelques-uns, que l’expression des « je » ne puisse se faire dans la toute-puis-
sance. Les « 4 L » sont les instruments au travers desquels cette expression
devient possible, tout en sachant qu’elle ne peut être omnipotente. Des lieux de
langage sont proposés en même temps que les limites de la loi sont présentées.
Par l’acceptation de la loi, chacun se donne le moyen de rencontrer l’autre en lui
permettant à son tour sa singularité. Transgresser la loi, c’est risquer de se mettre
en marge du groupe puisque c’est elle qui en est le principe fédérateur.

25. HÉVELINE E., ROBBES B., Démarrer une classe en pédagogie institutionnelle, Hatier, Paris,
2000, p. 19.
26. POCHET C., OURY F., OURY J., « L’année dernière j’étais mort… » signé Miloud, Matrice,
Vigneux, 1986.

31
2
Apprentissages et coopération

«T OUT DÉVELOPPEMENT COGNITIF NÉCESSITE LA CONJONCTION DE PRO-


cessus énergétiques, électriques, chimiques, physiologiques, cérébraux,
existentiels, psychologiques, culturels, linguistiques, logiques, idéels, indivi-
duels, collectifs, personnels, trans-personnels et impersonnels qui s’engrènent
les uns dans les autres. […] La connaissance est donc bien un phénomène multi-
dimensionnel, dans le sens où elle est de façon inséparable, à la fois, physique,
biologique, cérébrale, mentale, psychologique, culturelle, sociale 1. »
Une grande difficulté rencontrée par tout enseignant souhaitant développer
des formes de coopération dans sa classe, est qu’en tant que militant, il a souvent
du mal à distinguer dans le déroulement de son projet ce qu’il souhaite faire
advenir de ce qui est réellement. En même temps, la force de son engagement
induit souvent une perte de crédibilité auprès des personnes extérieures, ce qui
peut altérer une part de son discours.
Avec les questions relatives au fonctionnement du cerveau, on touche un niveau
de réalité qui dépasse celui des programmes scolaires. Ce sont des repères, parce
que constitutifs de l’être humain, qui ne peuvent être conditionnés par les procé-
dures pédagogiques induites par les textes officiels. Ainsi donc, plutôt que de partir
de notions à transmettre pour bâtir une séquence didactique ou un projet pédago-
gique, il conviendrait mieux de connaître et s’appuyer sur les modalités de fonction-
nement du cerveau, d’un point de vue biologique, de manière qu’il y ait rencontre
entre ces mécanismes et les savoirs à faire muter en connaissances.
Comme conceptualisation de référence à l’acte d’apprendre, nous prendrons
celle fournie par Georges Chapouthier, neurobiologiste et directeur de recherche
au CNRS dans l’unité « vulnérabilité, adaptation et psychopathologie » :

« L’apprentissage peut être grossièrement défini comme le processus par lequel un être
vivant enregistre des éléments de son environnement extérieur, des informations, qui
modifieront son comportement ultérieur. La mémoire proprement dite sera alors
l’ensemble de ces éléments enregistrés dans le système nerveux 2. »

1. MORIN E., La Connaissance de la connaissance, Le Seuil, Paris, 1986, p. 12.


2. « Plasticité du cerveau: notre principal atout », in Le journal du CNRS, no 174-175, juillet-août
2004, p. 19-20.

33
Repères historiques et théoriques

Ce qu’en dit J.-P. Astolfi complète cette définition de manière avantageuse. Il


explique qu’apprendre est un synonyme d’appréhender, pas seulement au sens
figuré (appréhender une notion) mais aussi au sens propre : appréhender un
voleur. Pour apprendre, on doit donc s’emparer de l’information pour se l’appro-
prier, l’apprivoiser.

« L’appréhension est toujours une sorte de captation par le sujet, qui lui permet d’assimi-
ler ce qui est déjà socialement acquis et culturellement disponible, mais qu’il doit reconqué-
rir pour son propre compte 3. »

Apprendre, mais quoi ? Dans les classes coopératives, les enfants acquièrent
des connaissances et développent des compétences en matière de vie sociale, de
responsabilité, de coopération, d’entraide. Les constatations ne sont pas contes-
tables. En revanche, la question est plus complexe autour des disciplines. Il est
même probable que dans des écoles ordinaires, les enfants en sachent plus, que
la mise à disposition de savoirs soit plus forte. Mais qu’en est-il pour les savoirs
intermédiaires, ceux qui sont relatifs aux compétences de recherche, d’écriture,
de lecture, de résolution de problèmes, de réalisation de projets et plus largement
de construction d’une pensée personnelle ? En permettant à l’enfant d’élargir son
champ de travail et d’aiguiser sa conscience d’exister, la classe coopérative favo-
rise l’émergence d’apprentissages conséquents, persistants et faisant sens. Toute-
fois, cela ne suffit pas à répondre à une série de questions : qu’est-ce qu’un enfant
qui travaille ? Suffit-il que les enfants soient attentifs, captés par l’enseignant voire
en activité pour qu’ils apprennent ? Qu’est en mesure de proposer la structure
coopérative d’une classe pour que ce qui se construit chez les élèves corresponde
à des apprentissages durables et autonomes ? La contrainte aide-t-elle à l’appren-
tissage ou au contraire peut-elle devenir source de dépassements ? Lorsque les
enfants commettent des erreurs dans la classe et qu’elles sont reprises par les
camarades lors des situations de coopération, n’y a-t-il pas un renforcement des
apprentissages de ces erreurs ? Les dernières recherches en sciences cognitives
sur le fonctionnement du cerveau apportent quelques éclaircissements.

Des formes de mémoires qui interagissent

Le cerveau d’un adulte pèse environ 1 400 grammes et utilise 20 % de l’énergie


de l’organisme. Il fait preuve d’une immense plasticité. Chacun de ses 120 milliards
de neurones est en relation avec 10 000 autres. Chaque nouvelle impression laisse
une empreinte et chaque fois qu’une même expérience est répétée, les mêmes

3. ASTOLFI J.-P., La saveur des savoirs. Disciplines et plaisir d’apprendre, ESF Sciences humaines,
Paris, 2008, p. 57.

34
Apprentissages et coopération

réseaux de neurones sont activés. Ainsi, les empreintes prennent du volume, nous
apprenons. Des processus inconscients déterminent si nous sommes prêts à
absorber de nouvelles informations. Chaque nouvelle situation est comparée à un
équivalent passé pour évaluer si elle est profitable, source de plaisir ou bien
désavantageuse, source de douleur.
Les recherches en neurosciences et en sciences cognitives ont pu révéler
qu’apprendre correspondait à la combinaison de quatre activités intellectuelles :
être attentif, comprendre, mémoriser et transférer (réutiliser ce que l’on a acquis
dans des contextes inédits et complexes) 4. Elles ont notamment établi l’existence
de plusieurs formes de mémoires : les mémoires à long terme (perceptive, séman-
tique, épisodique) et les mémoires d’action (de travail et procédurale). Cette
mémoire à court terme est une sorte de bloc-notes où sont stockées les informa-
tions utiles pour une durée limitée. Elle intervient au niveau du cortex préfrontal
et maintient temporairement une représentation active de l’information, ce qui
permet de la manipuler pour l’utiliser immédiatement. Certains neurones du cortex
préfrontal sont activés lors de l’arrivée de l’information et restent actifs aussi
longtemps que l’information doit être maintenue en mémoire de travail ; une inter-
ruption fortuite de cette activation par un élément perturbateur efface immédiate-
ment l’information.
• La mémoire perceptive imprime de manière automatique et involontaire
l’image des objets que nous voyons, sans nécessairement y mettre du sens.
Pour ce qui est d’ordre visuel, cela correspond à la perception d’une forme
avant qu’elle soit identifiée. À partir d’un fragment de cette image mentale,
le cerveau est en mesure de réactiver la forme globale. Par exemple les
formes géométriques, les lettres de l’alphabet, les chiffres ou les notes de
musique. C’est par l’intervention de cette mémoire que les jeunes enfants
ont la faculté d’apprendre la signification d’une multitude d’objets sans pour
autant conserver le souvenir de ces apprentissages.
• La mémoire sémantique stocke des connaissances sur soi ou sur le monde.
L’ensemble des connaissances générales que nous nous sommes construites
constituent ce champ. Elles ne nécessitent ni le rappel d’un événement
précis, ni celui d’une perception. Par exemple, les pays d’Europe, les dates
en histoire ou les tables de multiplication.
• La mémoire épisodique enregistre des événements liés à un contexte, des
instants uniques bien localisés dans le temps et dans l’espace. Par exemple,
son dernier anniversaire, l’élection du président de la République ou la pro-
clamation de la réussite à un examen. Ce qui est conservé dans la mémoire

4. CONNAC S. « Neuroéducation et pédagogie », in Éducation et Socialisation, no 49, en ligne,


2018.

35
Repères historiques et théoriques

épisodique correspond à des événements particuliers, généralement forts en


émotions et emblématiques de bonheur intense ou de situations de danger.
• La mémoire de travail permet de tenir à disposition une ou plusieurs informa-
tions afin de pouvoir les utiliser. Elle est à l’œuvre à tout instant dans notre
vie consciente. Elle nous permet de parler, compter, lire, imaginer, raisonner.
Par exemple, lorsque l’on demande son chemin à un passant et que l’on se
sert des informations qu’il a données pour se rendre à l’endroit souhaité.
Elles feront certainement l’objet d’un oubli, mais elles se seront montrées
indispensables pour l’action.
• La mémoire procédurale concerne les séquences motrices, telles que la marche
ou l’apprentissage du vélo. Elle correspond au stockage des compétences qui
nécessitent la combinaison contextuée de plusieurs connaissances. Par
exemple, la mise en mémoire d’une connaissance sémantiquement apprise,
comme le mot de passe de son ordinateur, mais qui fait l’objet par la suite de
l’enclenchement de gestes machinaux.
Bien que différentes, ces mémoires interagissent entre elles. Par exemple, les
mémoires sémantique, épisodique et perceptive se combinent pour l’encodage
des souvenirs 5. Ceux-ci se construisent à partir d’une perception initiale, se pour-
suivent par une mise en lien avec les connaissances acquises et se terminent
par la mémoire épisodique fixée entre autres par les émotions présentes lors de
l’enregistrement. Pour la formation du souvenir, tout part de la perception de ce
qui se passe, ce qui donne lieu à des raccordements de sens pour aboutir à la
constitution globale de l’événement. Ainsi, il n’est pas étonnant de constater que
la force de la mémoire perceptive conditionne la formation des souvenirs épiso-
diques. Il apparaît également que des activations fréquentes et répétées de la
mémoire épisodique entraînent la construction d’une connaissance générale,
appartenant à la mémoire sémantique. C’est le cas par exemple lors de sorties au
musée où les élèves découvrent une première fois des œuvres impressionnistes,
les approfondissent lors des sorties suivantes pour au final oublier la succession
des visites au profit de la construction de connaissances autour de l’impression-
nisme. Autre exemple : plus on prend le train, plus on acquiert des connaissances
sur le train en général, moins on se souvient d’un trajet en particulier. Ce serait
pour cette raison que le cerveau ne conserverait que relativement peu d’événe-
ments épisodiques, la majorité faisant l’objet d’oublis après avoir contribué à
l’enrichissement d’autres formes de mémoires. Ce processus de sémantisation des
souvenirs tend donc à ce que les plus anciens soient les moins présents sauf si
ces derniers ont fait l’objet d’un marquage affectif fort. Il arrive également que
des liens se tissent autrement, par exemple à partir de la mémoire perceptive et

5. TULVING E., « Episodic memory : from mind to brain », in Annual Review of Psychology,
vol. 53, 2002, p. 1-25.

36
Apprentissages et coopération

en direction de la mémoire épisodique. C’est le cas lorsque des couleurs, des


odeurs, des émotions, rappellent le contexte d’un événement. Intervient alors le
phénomène de reviviscence, qui voit ressurgir à la conscience un souvenir que
rien de spécifique n’était susceptible de faire apparaître. Il se trouve alors que
cette résurgence du souvenir contribue à le renforcer dans la mémoire.

Une construction de la mémoire en trois phases

Les neurosciences développent un modèle relativement consensuel du fonc-


tionnement du cerveau en matière d’apprentissage 6. De manière générale, la
mémoire se développe en trois étapes, bien distinctes :
• L’encodage, l’entrée des informations par exposition à un stimulus externe
et activation des sens. Cet impact laisse une trace mnésique qui se traduit
par une modification de la forme du tissu neuronal : des synapses se créent
(des neurones entrent en contact) en même temps que des récepteurs se
développent sur les neurones. La qualité de l’encodage est fonction de
l’attention du sujet apprenant et de ses capacités à traiter les informations.
Ce qui est encodé dépend fortement de son activité, sachant que l’attention
se porte sans effort sur ce qui est nouveau et le met en relation avec ce qui
est déjà su. Les capacités de traitement dépendent du nombre d’éléments à
gérer en même temps, l’être humain n’étant en mesure de prêter attention
qu’à un nombre très réduit d’entre eux. La mémoire de travail intervient à ce
niveau. C’est pour cela que les capacités de traitement dépendent aussi des
connaissances antérieures, ce qui a été stocké dans la mémoire à long terme.
• Le stockage des informations : la consolidation des traces mnésiques
fraîches liées à l’encodage. Cette étape peut varier de quelques heures à
plusieurs années. Au terme du stockage, les informations sont gravées et
facilement accessibles. Cette phase, essentielle à la mémorisation, est
rendue possible par une pratique récurrente des activités et l’évaluation
immédiate des performances par quelqu’un de compétent. Cette évaluation
immédiate gagne à intervenir lorsque, dans l’intensité de l’attention mobili-
sée par l’enfant, il bénéficie d’un expert, voire du maître, qui oriente, valide
ou pas la direction de l’activité qu’il est en train de conduire. À ce titre,
l’usage en classe coopérative d’un outil comme le passeport de classe pour
la correction des travaux, ou la présentation de travaux au groupe, prennent
tout leur intérêt.
• Le rappel : la récupération de l’information gravée dans le cerveau. Il contri-
bue à son tour, par sa fréquence et ses répétitions, à l’ancrage des souvenirs

6. Voir en particulier les travaux de Serge LAROCHE et Michel FAYOL, in BOURGEOIS E., CHAPELLE
G., Apprendre et faire apprendre, PUF, Paris, 2006, p. 39-68.

37
Repères historiques et théoriques

et à la durabilité des apprentissages. Il apparaît que cette remémoration est


d’autant plus rapide et facile que la situation dans laquelle nous nous trou-
vons ressemble à celle que nous nous remémorons. Plus les indices sont
nombreux, plus la remémoration est aisée. Les indices correspondent à des
émotions, des paysages, des lieux, des partenaires, des modes d’organisa-
tion… En somme, plus les connaissances construites sont intégrées dans un
réseau, plus elles sont faciles à récupérer. À l’inverse, ce qui rend difficile
cette remémoration, ce sont l’absence de consolidation des connaissances
(peu de mises en relation avec les connaissances antérieures), la faiblesse
ou le manque d’indices, le temps passé sans mobilisation, les éventuelles
interférences. Un des problèmes de l’enseignement académique est qu’il
place les apprenants dans des situations comportant peu d’indices :
quelques questions ou documents, généralement un seul et même espace,
des interactions uniquement avec l’enseignant, des émotions souvent
faibles… Le retour sur les connaissances antérieures lors de conversations,
lectures ou échanges, les réactive et modère leur déclin dans le temps.
Biologiquement, ces trois étapes se traduisent par l’intermédiaire de l’activité
neuronale 7. Suite à un stimulus ayant activé un ou plusieurs sens, chaque neu-
rone reçoit des informations de milliers d’autres neurones par l’intermédiaire de
plusieurs milliers de connexions synaptiques, réparties le long des dendrites (ce
prolongement du neurone étant le lieu de connexions avec les autres neurones).
Le support physique des représentations stockées en mémoire est réparti au sein
de vastes réseaux de neurones. Chaque souvenir correspond à une configuration
unique d’activité spatio-temporelle de neurones interconnectés. Les événements
environnants sont codés dans les aires sensorielles sous forme de configurations
de décharges neuronales qui se propagent vers des aires spécifiques du cerveau
et qui font le lien entre des informations de natures différentes ; elles y constituent
une collection de représentations, capables de coordonner les programmes
moteurs. Ces expériences sensorielles laissent des traces dans le cerveau en modi-
fiant l’efficacité des synapses entre neurones et la structure des réseaux neuro-
naux. Selon leur degré d’activation pendant l’expérience sensorielle, certaines
synapses sont renforcées, d’autres affaiblies ou de nouveaux contacts synaptiques
apparaissent : la configuration de ces changements synaptiques représente le
souvenir de l’expérience.
La potentialisation à long terme (le fait de mémoriser) témoigne de la plasticité
neuronale, de la modification des connexions : la seule activation d’un circuit

7. LAROCHE S., « Les mécanismes de la mémoire », in L’intelligence, Revue pour la science,


no 254, décembre 1998, p. 94-101.
LAROCHE S., « Les mécanismes de la mémoire », in Cerveau et Psycho, no 28, juillet-août 2008,
p. 56-61.

38
Apprentissages et coopération

pendant quelques dizaines de millisecondes peut modifier les synapses de ce


circuit pendant plusieurs semaines, plusieurs mois ou plus. Ainsi, les neurones
conservent une trace de leur activation antérieure : le circuit est modifié. Un tel
mécanisme sert de filtre pour rejeter les messages trop faibles et favorise les
associations entre messages d’origines différentes dans le cerveau mais qui
convergent vers les mêmes neurones et les activent de façon synchrone. Un lien
préférentiel – ou chemin spécifique – se crée durablement entre les neurones
activés et leurs cibles. À l’inverse, peuvent se produire des phénomènes de
dépression à long terme, induisant l’oubli. Tout se passe comme si la potentialisa-
tion de certaines synapses pendant l’apprentissage s’accompagnait de l’affaiblis-
sement d’autres synapses. En outre, l’amplitude des modifications synaptiques
pendant l’apprentissage est liée à la force du souvenir. Avec le temps, si les modi-
fications synaptiques disparaissent, on observe un oubli de l’information mémo-
risée.

Dormir contribue à bien apprendre

Le renforcement des apprentissages se produit également lors des phases de


sommeil. Après des situations d’apprentissages intenses, l’activité neuronale se
reproduit lors du sommeil quasiment à l’identique, l’activité cérébrale reprend les
mêmes schémas que ceux apparus lors de la phase d’éveil. Ainsi, le traitement
de l’information peut être réactivé, ce qui contribue à l’ancrage des apprentis-
sages. Ces renforcements facilitent le rappel du souvenir mais également sa modi-
fication puisque à travers la perception initiale, un de ses aspects va être mis en
avant. Les souvenirs sont ainsi réécrits pendant le sommeil. Ce processus est un
peu à l’image des phénomènes transitionnels identifiés par Donald Woods Winni-
cott qui voient les jeunes enfants reproduire avec leurs jouets et doudous les
situations d’interactions vécues dans la famille ou au sein des groupes de pairs.
Ces phénomènes apportent une meilleure compréhension des enjeux et invitent
à se projeter dans des situations futures à forte similarité.
Les consolidations issues des reviviscences lors du sommeil semblent interve-
nir lors des phases de sommeil profond pour les mémoires épisodique et séman-
tique et lors des phases de sommeil paradoxal pour la mémoire procédurale. On
observe un enregistrement durable de ce qui est appris. Les traces fraîches de
mémorisation s’évanouissant facilement, elles doivent être associées avec des
contenus existants. Le sommeil devient donc créatif puisqu’il a l’occasion d’agir
sur un contenu mémoriel, un problème déjà existant. Il a été également montré
que les enfants profitent davantage du sommeil que les adultes.
Ainsi donc, le sommeil apparaît comme un élément fort de consolidation de la
mémoire. Le cerveau, isolé du monde extérieur, a tout loisir de retravailler ses

39
Repères historiques et théoriques

acquis récents. Cela se vérifie encore lorsque, après l’encodage d’une information,
même forte émotionnellement, une privation de sommeil intervient : elle en dété-
riore le rappel quelques heures plus tard. La qualité du sommeil pendant la nuit
qui suit la première étape de la mémorisation est essentielle pour sa consolida-
tion, encore plus son rappel.
Outre cette facilitation de la consolidation, le sommeil aide à la constitution
de certains raisonnements, concernant notamment la généralisation des acquis,
le lien entre eux 8. Le cerveau humain a deux fois plus de chances de trouver la
solution à un problème 12 heures après le début des recherches, à condition que
dans cet intervalle de temps il y ait eu une période de sommeil égale au moins à
un cycle complet. Pour les apprentissages perceptifs et moteurs, il en va de même
puisque le sommeil optimise les savoir-faire acquis par entraînement, sans pra-
tique ultérieure.

L’importance des émotions positives, liées à soi

Les émotions contribuent à leur tour de manière importante aux apprentis-


sages : elles agissent comme des guides qui orientent les informations pour la
constitution de souvenirs. Elles modifient la mémoire en fonction de la quantité
et de la nature des détails liés à l’information. Les souvenirs liés à la mémoire
épisodique ont donc pour caractéristique commune une forte connotation émo-
tionnelle 9. Le souvenir du premier baiser ou celui du confinement induit une réac-
tion corporelle. Dans le même sens, les souvenirs à teneur émotionnelle faible
s’enracinent peu dans la mémoire et contribuent de loin à l’élaboration de la
personnalité. Les mémoires se construisent à partir d’un tri des informations liées
aux sens, ce tri étant guidé en grande partie par les émotions.
De plus, les souvenirs fortement implantés dans notre mémoire sont ceux qui
correspondent à une émotion positive, liée à soi. Les souvenirs d’événements
agréables comportent plus de détails sensoriels que ceux relatifs à des épisodes
douloureux ou à caractère neutre. Autrement dit, on mémorise mieux les événe-
ments et les informations complétés d’un sentiment agréable que l’on ressent
personnellement ; les émotions désagréables ainsi que celles, même positives,
vécues par notre entourage, ont un impact moindre 10. Il apparaît donc qu’il
convient que l’événement positif soit lié à soi si l’on souhaite qu’il se traduise par
un ancrage mnésique.

8. Maquet P. et al., Sleep and Brain Plasticity, Oxford University Press, 2003.
9. VIARD A. et al., « Hippocampal activation for autobiographical memories over the entire life-
time in healthy aged subjects : an FMRI study », in Cerebral Cortex, vol. 17, 2007, p. 2453-2467.
10. D’ARGEMBEAU A. et al., « Influence of affective meaning on memory for contextual informa-
tion », in Emotion, vol. 4, 2004, p. 173-188.

40
Apprentissages et coopération

Au sujet des émotions négatives, des études sur de jeunes animaux subissant
des situations de stress montrent que leur activité cérébrale se réduit de 50 %. Sur
une longue période, on remarque une modification structurelle de leur cerveau.
De plus, le système de récompense du corps ne fonctionne plus correctement. Le
stress est un facteur qui nuit à la longue au cerveau. Les enseignants devraient
donc s’attacher à construire un environnement respectueux et serein. Pour un
enfant, il est bien plus difficile d’apprendre s’il a l’impression par exemple, qu’à
tout moment, on peut se moquer de lui. Du fait que les situations émotionnelles
qui entourent l’apprentissage sont mémorisées avec la substance apprise, il vaut
mieux qu’elles correspondent à une image positive de soi, d’autant plus qu’il
s’agit d’un des facteurs qui optimisent la durabilité.
Les émotions interviennent surtout au cours de la deuxième étape de la mémo-
risation, une fois passée la phase d’encodage, au cours du stockage des informa-
tions dans la mémoire à long terme. Plus précisément, elles semblent
prépondérantes lors de la consolidation du souvenir : les images à forte connota-
tion émotionnelles se montrent plus coriaces à l’érosion et plus résistantes au
temps qui passe. Les souvenirs persistent donc plus longtemps. Les émotions
jouent le rôle d’une sorte de surligneur qui grave plus profondément les souvenirs
dans le tissu neuronal. Dans la mesure où cette construction s’appuie de manière
privilégiée sur les informations qui renforcent positivement l’image que l’on se
fait de soi, elle tend à contribuer fortement à la construction de la personnalité
puisqu’elle aide à la projection dans l’avenir.
Cette importance des émotions sur la mémorisation amène à considérer que
tout apprentissage suppose nécessairement l’existence d’une relation. Le dévelop-
pement et l’entretien d’une structure de communication et d’échanges dans la
classe visent justement à développer du relationnel et donc à faire émerger de
l’émotion. C. Rogers a notamment pu montrer que les attitudes empathiques pou-
vaient provoquer d’importantes évolutions auprès d’enfants souffrant de handi-
caps. On retrouve par ailleurs cette importance de la prise en compte des
émotions dans les travaux d’Antonio Damasio qui s’est attaché à l’étude d’un
patient, Elliot, dépourvu de la zone spécifique à l’émergence des émotions 11. Il a
pu observer qu’à capacité cognitive égale, Elliot manifestait une altération de ses
capacités de raisonnement, ce qui l’empêchait par exemple de gérer son emploi
du temps, son argent ou sa vie affective. L’information émotionnelle serait donc
une condition pour une prise de décision adéquate.
De manière plus large, la mémoire semble dépendante de la richesse des
milieux dans lesquels elle se construit : les milieux riches facilitent les capacités
d’apprentissage dans de très nombreuses situations, en particulier les plus com-
plexes. La richesse du milieu optimise donc le fonctionnement du cerveau. De

11. DAMASIO A., L’erreur de Descartes, Odile Jacob, Paris, 1995.

41
Repères historiques et théoriques

plus, il apparaît que l’on devient plus performant dans le domaine travaillé mais
aussi, ce qui s’avère particulièrement intéressant dans le champ scolaire, dans
d’autres qui ne lui sont pas directement liés. Il a en particulier été montré que la
pratique intensive d’un instrument de musique développait le cerveau de telle
manière que les aptitudes à la manipulation mentale d’objets en trois dimensions
étaient décuplées 12. La pratique de la musique semble avoir des effets positifs
sur les capacités à apprendre dans d’autres domaines.
Les écoles et les classes gagneraient donc à être des lieux riches, qui éveillent
à la curiosité du monde, nourrissent l’intérêt des enfants et stimulent leurs dispo-
sitions à l’effort. La forme la plus appropriée semble être le travail libre dans le
silence, période de grande concentration. Trois heures de travail libre, cela fait
penser au paradoxe de Jean-Jacques Rousseau : l’important dans l’éducation, ce
n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre. L’enseignant, en hôte qui se
respecte, prépare l’espace des élèves. Miser sur l’ambiance, sur l’espace et le
temps génère un très haut rendement.

Vers une pédagogie en cohérence avec le fonctionnement


du cerveau ?

Tout ceci prend forme par une série de concepts (information, communication,
langages, structure, auto-organisation) organisés comme peut le montrer cette
représentation. Elle a été développée par B. Collot, dans le cadre de la théorie de
l’apprentissage par la construction de langages 13:
Si l’on entend par information toute chose pouvant être préhensible par les
sens dès lors qu’elle peut ou doit être interprétée, la communication correspond
à la circulation et à la transformation de cette information entre une personne et
son environnement (on parle alors d’interaction) ou entre une personne et d’autres
personnes (on parle plutôt d’interrelation). La communication produit des lan-
gages. Un langage est ici défini comme un outil neurocognitif visant le traitement
de l’information, permettant la communication et s’en enrichissant. Les langages
sont multiples et se traduisent par des connexions neuronales de plus en plus
complexes au fur et à mesure qu’ils se développent et se diversifient.

« Communication et langages fonctionnent par rétroaction. Il faut des langages pour


communiquer et c’est en communiquant qu’on perfectionne ses langages 14. »

12. KELLY A.M.C. et al., « Human functional neuroimaging of brain changes associated with prac-
tice », in Cerebral Cortex, vol. 15, 2005, p. 1089-1102.
13. Centres de recherche des petites structures et de la communication.
14. COLLOT B., Une école du 3e type ou la pédagogie de la mouche, L’Harmattan, Paris, 2002,
p. 58.

42
Apprentissages et coopération

Traitement de l’information par le cerveau


STRUCTURE
Interrelations COMMUNICATION Interactions

PERSONNE
Retrait

modification
Création ou

de réseaux
neuronaux
Traitement Stockage
Information ADAPTATION LANGAGES
Mémoire Mémoire
Information du travail sémantique
Auto-
organisation

Oubli
Oubli

Un langage se constitue dès lors que la personne a traité un nombre suffisant


d’informations et les a intégrées, c’est pourquoi les langages naissent de la com-
munication ; c’est parce qu’il y a communication qu’il y a langages, et aussi parce
qu’il y a langages qu’il peut y avoir accentuation de la communication… et évolu-
tion des langages… Les différents langages sont définis par les verbes : parler,
marcher, courir, chanter, bricoler, dessiner, danser, sauter, mathématiser, calculer,
etc.

« Les langages sont avant tout les outils cognitifs qui permettent d’appréhender par les
sens des informations, de les interpréter, de produire une représentation du monde dans
lequel on vit, de s’y adapter, d’y exister, d’y évoluer, de le modifier. Ces outils étant avant
tout des outils cérébraux qui se traduisent par des connexions neuronales de plus en plus
complexes 15. »

Ils se construisent d’abord dans une phase exploratoire de création débridée.


L’environnement dans lequel se trouve l’enfant, et à partir duquel s’effectuent les
interactions (et les stimuli) qui se traduiront par des connexions neuronales, est
essentiel. Chaque langage se construit par interférences et dépendances avec les
autres langages, en interaction avec les autres. Ils contribuent alors à la construc-
tion des langages dits fondamentaux.
Pour l’apprentissage de certains langages, notamment ceux relatifs aux exi-
gences scolaires, il semble nécessaire que les apprenants puissent disposer d’une
structure cognitive initiale permettant la focalisation et le traitement de ces nou-
velles informations. La libre activité de l’enfant est au service de cette construction

15. COLLOT B. et al., Du taylorisme scolaire à un système éducatif vivant, Éditions Odilon, Nailly,
2004, p. 46.

43
Repères historiques et théoriques

structurelle initiale sans laquelle le développement de langages plus culturels


et codifiés est entravé voire impossible. L’apprentissage concerne seulement les
langages et non les compétences ou les connaissances qui ne sont que des per-
ceptions didactiques et parcellaires des constructions cognitives.

« Il est facile d’apprendre, et cela est le plus souvent suffisant pour répondre aux questions
posées ou prendre les décisions quotidiennes. Ajouter à la collection de nos informations
que la capitale de la Nouvelle-Zélande s’appelle Wellington ou que le nombre π s’écrit
3,1416 peut être utile dans l’immédiat, mais n’apporte à notre pensée aucune structure
nouvelle 16. »

C’est pour cette raison que l’acte de comprendre s’avère au moins aussi impor-
tant que celui de mémoriser parce qu’il contribue à créer du lien entre les connais-
sances et les compétences. Le renforcement de ce réseau devient alors une source
de densification de la matière grise, caractéristique prépondérante pour rendre le
cerveau plus disponible à de nouveaux apprentissages. On pointe ici le concept
de disponibilité cognitive.
En proposant une alternative aux systèmes traditionnels d’enseignement, la
classe coopérative postule pour être un espace d’apprentissages au moins aussi
ambitieux qu’ailleurs, notamment au niveau des performances scolaires. De par
les espaces de liberté engagés, le possible recours à l’entraide, le sens donné aux
activités par la communication, la possibilité d’apporter du matériau de travail à
l’école, différents phénomènes interviennent pour permettre aux enfants
d’apprendre.
• L’effet coopératif
Il se produit lorsque l’on est amené à enseigner quelque chose à quelqu’un
(cf. les travaux d’Alain Baudrit). Celui qui explique est amené à mobiliser ses
connaissances et donc à les ancrer davantage. Le tuteur bénéficie le plus du
tutorat, parce qu’il est obligé de mettre en œuvre une articulation entre pensée
et langage.
Ainsi, lorsque Chayma se met à travailler avec Léo les lettres de l’alphabet,
chose qu’elle n’arrivait pas à faire jusque-là et qu’elle parvient soudainement à
maîtriser ; lorsqu’Aïssam devient un maître en matière de dessins d’architecture
dans la classe, après avoir été sollicité par plusieurs de ses camarades pour leur
montrer comment il y parvenait ; lorsque Marie, juste après avoir répondu à une
demande de la petite Chloé, bat tous les records de jets de balles à la thèque
alors que jusque-là c’était un miracle lorsqu’elle tapait sur le bois ; lorsqu’Alexan-
dra se met à devenir experte pour trouver les verbes d’une phrase simplement

16. JACQUARD A., Mon utopie, Stock, Paris, 2006, p. 170.

44
Apprentissages et coopération

parce qu’elle a enchaîné une double découverte, au départ de manière un peu


fortuite mais avec les bons arguments. Tous ces exemples sont autant de situa-
tions où la coopération devient, pour le tuteur, un incroyable vecteur d’apprentis-
sages.
• L’effet vicariant
Il intervient par imitation de ce que l’on a observé (voir les travaux de Maurice
Reuchlin et Albert Bandura). On apprend en essayant de refaire ce que l’on vient
de voir faire par un tiers.
Lorsque Myriam se met à s’activer sur la différence entre le rayon et le diamètre
d’un cercle parce que sa copine Yasmina vient de travailler cette compétence ;
lorsqu’Arnaud change sa façon de présider les journées pour adopter le style de
Rihab ; lorsque Yohann écrit son premier texte libre sur les grands pays du monde
et qu’il reprend l’idée de Charlotte ; lorsque les CP montrent qu’ils commencent à
maîtriser la lecture en s’acharnant à s’inscrire au « Quoi de neuf ? » pour présenter
des lectures, comme le font des plus grands de la classe ; lorsque l’on voit évoluer
systématiquement des phrases du jour qui toutes commençaient par « Hier… »,
ce sont autant d’exemples où l’effet vicariant intervient dans la classe.
• La rencontre avec du savoir
Cette rencontre émerge de l’enrichissement du milieu dans lequel on se trouve.
On n’apprend rien dans un milieu pauvre, c’est par l’intermédiaire de diverses
sollicitations que des projets naissent et que des connaissances se construisent.
Nous l’avons vu, apprendre est à la fois un processus fragile, complexe et singu-
lier. C’est le fruit d’une modification progressive de ce qui existe au niveau des
connexions neuronales à partir des informations issues de notre environnement.
Or, toute information entrante ne conduit pas nécessairement à une mémorisation
ni à un développement de compétences. La plupart d’entre elles quittent même
les zones de mémoire d’action (mémoire temporelle) sans entrer dans les zones
de mémoire à long terme (les connaissances et les compétences) ; cela correspond
aux oublis qui sont le résultat des phénomènes de tri, permis entre autres par le
sommeil.
Les connaissances actuelles en matière de fonctionnement du cerveau ont
donc pu montrer que les apprentissages deviennent possibles lorsqu’il y a :
– disponibilité physique et psychique du sujet apprenant : sommeil suffisant,
satiété mais aussi absence de peur, confiance en soi, motivation… C’est à
ce niveau que l’affectivité interfère avec l’acte d’apprendre ;
– immersion dans un milieu riche en sollicitations en mesure de mettre à
disposition diverses informations ;
– une structure neuronale permettant un ancrage des informations entrantes.
Pour être traitée par le cerveau, une information doit être comprise, c’est-à-
dire entrer en relation avec une autre qui s’en rapproche, même si elle n’est

45
Repères historiques et théoriques

pas de même nature. Les différents modes de traitement des informations


sont ici appelés « langages » ;
– mobilisation récurrente et diversifiée de ces langages. C’est leur activation
fréquente et répétée qui permet aux informations de passer de la mémoire
de travail à la mémoire à long terme.
Pour permettre à des enfants d’apprendre, il convient donc de s’assurer qu’ils
se trouvent dans des conditions facilitantes, d’enrichir leur environnement de tra-
vail, de multiplier les supports d’activités pour permettre une diversification des
langages et une densification du cerveau, de faire en sorte que les constructions
puissent être utilisées sur la durée.
Les activités scolaires peuvent dès lors avoir une intention double, sans que
l’une ne soit prépondérante par rapport à l’autre :
– enrichir la structure neuronale pour favoriser les disponibilités cognitives.
En ce sens, la pratique d’une activité physique peut très bien contribuer à
développer des compétences mathématiques ;
– délivrer une information ou développer une aptitude dans un domaine iden-
tifié (mathématiques, pratique de la langue, histoire…).
Plus les enfants disposeront de langages différents, plus ils seront en mesure
de pouvoir apprendre. À leur tour, ces nouveaux apprentissages contribueront à
complexifier certains langages, voire à en créer de nouveaux. La stratégie pédago-
gique de référence correspond plus à une mise en activité intensive des élèves
plutôt qu’à un découpage didactique de leur emploi du temps. C’est donc ici
qu’intervient le concept de temps d’exposition aux apprentissages introduit par
J.-Y. Rochex. Il s’agit du temps consacré aux situations où les enfants sont en
relation directe et personnelle avec du savoir, quel qu’il soit par ailleurs. Il se
trouve que ces mises en relations ne sont que très rarement communes à tous
les élèves d’un groupe, mais seulement à quelques-uns, pas les mêmes la plupart
du temps. En fait, il serait possible de distinguer deux types de situations d’expo-
sition aux apprentissages :
– celles qui privilégient un lien direct avec des informations, elles-mêmes rela-
tives à des compétences ou des connaissances. On est ici dans le schéma
classique de l’enseignement, mais qui s’avère surtout pertinent auprès des
enfants disponibles cognitivement à ces apprentissages, disposant d’une
certaine maturité cérébrale ;
– celles qui développent ce que Bernard Collot nomme les langages, c’est-à-
dire les modes de traitement de l’information. Ici peut intervenir tout ce qui
est de l’ordre de l’activité librement choisie et investie de manière forte et
autonome. C’est le domaine des projets personnels, la plupart du temps
permis par l’intermédiaire des ateliers de classe ou de ce qui se développe
de manière autonome, sans la guidance première de l’enseignant.

46
Apprentissages et coopération

La question de l’exposition au savoir n’est pas obligatoirement en lien avec la


notion de programme ni avec l’imposition de l’activité par le maître. Ce n’est pas
là que cela se joue. Ce qui est déterminant est ailleurs :
– que l’enfant soit confronté à une question, à un « problème » qu’il doit
résoudre et qui l’oblige à « turbiner du neurone ». Être confronté au savoir,
c’est ébaucher des pensées, des actes, du « langage » permettant de
construire, d’identifier un savoir, de le rendre plus clair, plus performant (voir
tâtonnement expérimental, p. 83) ;
– qu’il y ait une intentionnalité de l’enfant par rapport à la tâche qu’il doit
réaliser (l’intentionnalité est plus proche du désir que la motivation).
Six exemples : il y a confrontation avec le savoir quand je veux écrire (et encore
mieux réécrire un texte libre) pour le journal, je veux expliquer et faire comprendre
à la classe comment fonctionne un moulin à vent, je veux résoudre une énigme
que le maître a proposée et prouver ma réponse, je veux aider mon copain qui
me demande comment on reconnaît les verbes dans une phrase, je veux argumen-
ter pour aller à l’encontre d’une décision prise par le conseil, je veux trouver la
solution pour sortir d’un labyrinthe particulièrement complexe.
En fait, la question du temps d’exposition aux apprentissages semble la sui-
vante : comment permettre aux enfants de rencontrer des occasions de raisonner ?
Ces quelques réflexions n’épuisent évidemment pas la question fondamentale
de la place du maître dans la classe. En particulier sur son rôle dans le dosage
« libre, négocié, contraint » avec les enfants. Ce serait donc une fine combinaison
entre ces deux domaines qui conduirait les élèves, à terme, à réussir scolairement.
À charge de l’enseignant de permettre la construction d’une structure de classe
facilitant la sécurité et les mises en confiance mais aussi cette fameuse exposition
aux apprentissages qui, bannissant l’ennui, l’inaction et la scolastique 17,
s’appuient sur des situations d’activités débridées, des occasions de rencontrer
du savoir et des domaines permettant l’exercice de la coopération.

17. Par référence à l’enseignement au Moyen Âge fait de rigidité, de traditionalisme, de verba-
lisme et de formalisme.

47
Deuxième partie

L’organisation
matérielle
de la classe

L orsque l’on démarre une classe coopérative ou lorsqu’on la relance après une
période d’interruption, l’organisation matérielle, spatiale et temporelle est
une priorité. Pourquoi davantage dans une classe coopérative que dans une
autre ? Simplement parce qu’à travers les espaces de libertés permis par la coopé-
ration, les enfants ont la possibilité de se déplacer, parler, organiser des travaux
à plusieurs, entrer dans des activités dont le contrôle échappe en grande partie à
l’enseignant…, en somme, créer de la dissipation. Si rien n’est fait pour accueillir
ce caractère vivant de la classe, il ne faut alors pas s’étonner qu’elle devienne un
lieu de désordre où les apprentissages laissent la place à de l’angoisse, ce qui
serait contraire aux visées attendues.
Il est donc de la responsabilité de l’enseignant de penser ce que l’on nomme
« l’institution zéro », c’est-à-dire un fonctionnement de classe initial à partir
duquel les enfants vont pouvoir trouver leurs marques pour, par la suite, entrer
dans des logiques d’autostructuration du groupe. Quitte à ce que ce soit discu-
table, l’enseignant doit donc répondre à une série de questions pour que la classe
coopérative débute : dans quelles conditions les enfants peuvent-ils s’aider ?
Comment les paires tuteurs/tutorés vont-elles être constituées ? Quelle formation
sera apportée pour que, lors des situations de coopération, les réponses ne soient
pas données ? Comment les tables vont-elles être disposées ? Dans quel lieu les

49
L’organisation matérielle de la classe

enfants pourront-ils ranger leurs affaires personnelles ? Comment les journées


vont-elles être structurées ? Qui fixe l’emploi du temps ? Quels outils trouve-t-on
dans la classe et pour quels apprentissages ?

50
1
La coopération :
entraide et tutorat

« C’est à plusieurs qu’on apprend tout seul. »


François LE MÉNAHÈZE 1

L’aide, l’entraide et le tutorat

Par essence, la classe coopérative se veut le lieu où la coopération est un facteur


permettant et favorisant les apprentissages. L’enseignant n’est plus la seule inter-
face aux savoirs. Nous entendons alors par coopération toutes les situations où
enfants et adultes, réunis en communauté de recherche, mettent à disposition de
tous leurs richesses individuelles, échangent leurs connaissances et développent en
même temps des attitudes métacognitives. La relation coopérative est souvent plus
symétrique qu’elle ne le paraît : alors que l’un bénéficie d’informations dont il avait
besoin, l’autre est amené à remobiliser ses connaissances pour les rendre acces-
sibles à celui ou celle qui le sollicite. Une partie de ce qui se construit au sein du
groupe échappe au contrôle de l’enseignant et fait de la classe un espace d’aven-
tures. Les situations de coopération dans la classe coopérative peuvent intervenir à
tout moment, excepté durant les temps d’évaluation et ceux où il est nécessaire
que les enfants soient centrés individuellement sur leur tâche. Le conseil, le travail
autour des ceintures, le journal de classe, les créations mathématiques, les mes-
sages clairs, le travail en groupe ou en équipe, les recherches documentaires consti-
tuent autant d’occasions pour travailler avec d’autres, apprendre personnellement
et mettre à disposition des camarades ses compétences et connaissances.
Les relations coopératives peuvent prendre plusieurs formes quand il s’agit
d’accompagner des apprentissages :
– l’aide où un enfant reconnu comme expert vient apporter ses connaissances
à un enfant qui en a manifesté le besoin ;
– l’entraide qui voit deux ou plusieurs enfants se réunir pour tenter à plusieurs
de résoudre un problème ou une difficulté ;

1. LE MÉNAHÈZE F., Coopérer pour apprendre (DVD), Éditions ICEM, no 48, Nantes, 2005.

51
L’organisation matérielle de la classe

– le tutorat où un enfant accepte pour un temps donné et avec un objectif


précis d’accompagner un de ses camarades afin qu’il devienne autonome
dans le domaine du tutorat ;
– le travail en groupe pour confronter ses idées et se poser de nouvelles
questions ;
– le travail en équipe pour associer ses talents dans la réalisation d’un projet
commun.
L’aide et l’entraide correspondent à la possibilité de rendre service ou de se
rendre plus compétent en fonction des besoins qui émergent en classe. Les
enfants peuvent y recourir librement. Le tutorat correspond à une organisation
institutionnalisée où un enfant reçoit une aide qu’il demande d’un autre qui
accepte de l’aider. Il ne servirait à rien d’imposer un tutorat si l’on ne pouvait pas
compter sur une pleine participation à cette démarche et sans réciprocité (c’est-
à-dire lorsque ce ne sont que certains élèves qui aident).
Pour les premières déclinaisons, celui qui aide et celui qui est aidé bénéficient
à égale mesure des portées pédagogiques de la coopération. Celui qui est aidé
reçoit l’information qui lui manquait pour développer son apprentissage. Générale-
ment, ce n’est pas l’intervention de celui qui aide qui va permettre l’apprentissage.
Elle va plutôt servir de déclencheur lorsque l’activité intellectuelle n’a pas encore
pu débuter, de relanceur lorsqu’un blocage est apparu ou de soutien à poursuivre
les efforts, les motivations intrinsèques n’étant pas suffisamment fortes à ce
moment-là.
Celui qui aide va en revanche profiter bien plus de ces interactions coopéra-
tives, contrairement à ce que l’évidence pourrait induire. C’est ce qu’on appelle
un « effet tuteur ». Recevoir une information, se voir soutenu et accompagné sont
des aides nécessaires pour apprendre, mais elles sont insuffisantes. Apprendre
correspond à un acte qui ne peut faire l’économie d’une construction et d’une
recherche personnelles. Ce que fait le tuteur ou l’expert dans la relation d’aide,
c’est occuper une fonction enseignante, qui l’oblige à mobiliser ses connaissances
pour les adapter au profil du tutoré. Celui qui enseigne apprend ainsi plus que
celui qui reçoit. Cette activité mentale, à forte densité intellectuelle, s’avère utile
à plusieurs titres. D’abord, elle remobilise les savoirs acquis, ce qui réactive les
connexions et donc les ancre davantage. Ensuite, elle nécessite leur adaptation,
ce qui se traduit par l’activation de neurones et la création de synapses non
sollicitées lors de la phase initiale d’apprentissage. Enfin, elle fait appel à plu-
sieurs langages et même, invite à la construction de quelques autres. Cette diver-
sification des langages rend le cerveau plus dense et ainsi plus disponible au
développement des nouveaux apprentissages qui jalonneront le parcours scolaire
de cet enfant.

52
La coopération : entraide et tutorat

Les apports scientifiques

Plusieurs recherches scientifiques se sont intéressées aux effets de la coopéra-


tion en pédagogie. Pour Jacky Cailler, permettre à des enfants de vivre des situa-
tions de tutorat, c’est leur faire développer du langage et donc de la pensée.

« L’effet paradoxal est que c’est le tuteur qui bénéficie le plus du tutorat, parce qu’il est
obligé de mettre en œuvre cette articulation entre pensée et langage. Même un élève en
difficulté de lecture qui va aller lire des histoires aux petits de la maternelle va se trouver
dans une telle valorisation qu’il va modifier son niveau de langue, être plus exigeant
envers sa propre maîtrise des savoirs scolaires 2. »

Ces situations tutorielles permettent un apprentissage par la reformulation en


amenant l’élève qui aide à revisiter des connaissances, à les réorganiser, à mieux
voir l’essentiel. Ayant à transmettre un savoir, il se retrouve dans l’obligation de
produire des explications compréhensibles. Cela favorise également l’empathie
dans le sens où il est obligé de se mettre à la place de celui qu’il aide s’il veut
réellement lui permettre d’apprendre. De plus, la coopération valorise l’image de
soi et permet de prendre confiance en ses capacités intellectuelles, autant pour
celui qui a aidé que pour celui qui a été le récepteur.
Alain Marchive explique que « les interactions entre élèves ont longtemps été
considérées comme secondaires, mineures, voire néfastes au développement des
apprentissages 3 ». Il n’est pas dans ses intentions de considérer les pratiques
d’entraide pédagogique entre élèves, comme une panacée ni comme un modèle
de situation d’apprentissage, « mais comme un outil pédagogique qui pourrait,
au même titre que d’autres, sous certaines formes et dans certaines conditions,
être utile dans la construction des savoirs de tous les élèves 4 ». Il précise que la
force des situations coopératives est que l’enfant sollicité, pour aider, peut s’adap-
ter au niveau de compréhension de son partenaire parce qu’il partage avec lui
une même culture, un même langage, une même expérience.
J. Bruner apporte la notion d’étayage pour définir les progrès de la personne
qui apprend. Il le définit par ce qu’apporte un tuteur qui rend l’enfant capable de
résoudre un problème, de mener une tâche ou d’atteindre un but qui aurait été,
sans assistance, au-delà de ses possibilités. Bruner propose plusieurs fonctions
relatives à l’étayage en coopération 5 :

2. CAILLER J., Tutorat à l’école, Actes de l’université d’automne du SNUIPP Lalonde, 2007, p. 64.
3. MARCHIVE A., L’entraide à l’école élémentaire, thèse de doctorat de l’université Bordeaux II,
1995, p. 11.
4. MARCHIVE A., ibid, 1995, p. 350.
5. BRUNER J., Comment les enfants apprennent à parler, Retz, Paris, 1987.

53
L’organisation matérielle de la classe

– l’enrôlement : il consiste à engager l’intérêt et l’adhésion de celui qui


apprend ;
– la réduction du degré de liberté : elle se traduit par une simplification de
l’activité. Le tuteur peut prendre en charge une partie de la tâche si celle-ci
est estimée trop difficile ;
– le maintien de l’orientation : faire en sorte que l’enfant qui bénéficie de
l’aide reste dans le champ de l’activité, l’inciter à persévérer ;
– la signalisation des caractéristiques déterminantes : le tuteur souligne ce
qui importe dans la tâche et informe celui qu’il aide de ce qui lui reste à
accomplir pour réussir ;
– la démonstration ou la présentation de modèles : le tuteur apporte des
solutions possibles pour réaliser la tâche, fournit des exemples, montre
comment résoudre certaines difficultés.
Anne-Sophie Requi 6 a pu montrer que les tutorés développent une meilleure
compréhension de ce qu’ils font, d’autres façons d’apprendre, une satisfaction
pour le travail scolaire, de l’estime de soi ainsi que du sérieux dans leurs engage-
ments en tant que tutorés. Pour les tuteurs, il y aurait un renforcement des
connaissances, la mise en œuvre de compétences spécifiques, une satisfaction de
faire apprendre, de l’estime de soi et également une fonction prise au sérieux.
Pour l’enseignant, l’exercice de la coopération par les élèves conduirait à un gain
de temps pour la mise en activité des élèves et à la possibilité de s’engager dans
des activités plus diversifiées, notamment par l’organisation de groupes de
besoin. Elle note également que les élèves se sentent plus responsabilisés, qu’ils
développent un réel plaisir à travailler à deux, que la plupart du temps l’aide est
réciproque et donc que l’intérêt est mutuel.
Enfin, Alain Baudrit 7 énonce certaines limites qui pourraient découler du tuto-
rat. Il présente dans un premier temps des problèmes de distances entre les
partenaires : sociale lorsque l’un se voit attribuer une fonction interdite à l’autre,
cognitive si ces fonctions sont attribuées selon les compétences de chacun et
psychosociale si cela génère une hiérarchie entre les élèves. Il cite ensuite des
problèmes de compétences chez les tuteurs. Le risque serait de confier une tâche
de tutorat à un enfant qui maîtrise mal le domaine de savoir sur lequel il est
censé intervenir. Il redoute enfin ce qu’il nomme les dérives des tuteurs qui se
traduiraient par des orientations socioaffectives pouvant détourner les acteurs de
leur tâche ou par des orientations socio-institutionnelles qui verraient le tuteur se
prendre pour le maître et instaurer un rapport de domination avec le tutoré.

6. REQUI A.-S., Le tutorat entre pairs dans une classe unique de l’école Antoine Balard, mémoire
de master en sciences de l’éducation, université Paul Valéry, Montpellier, avril 2007.
7. BAUDRIT A., Tuteur: une place, des fonctions, un métier?, PUF, Paris, 1999.

54
La coopération : entraide et tutorat

L’exercice de la coopération semble donc développer deux formes de maturité :


• une maturité liée à une prise de conscience progressive de sa propre exis-
tence, ce qui rend plus lucide quant à ce que l’on est amené à engager dans
sa vie. Vivre des situations d’échanges authentiques permet à celui qui en
fait l’expérience de se sentir auteur et acteur de ce qu’il fait. Il prend petit à
petit conscience qu’il a la responsabilité de ses actes, puis de ses pensées.
Parallèlement, il affirme sa personnalité, qui s’affine autour des valeurs de
partage, de solidarité et de fraternité ;
• une maturité du cerveau, correspondant à l’accroissement de notre disponi-
bilité aux apprentissages, de nos propres capacités à apprendre davantage,
de manière plus ancrée et pour une durée plus longue. La complexification
du maillage neuronal issue de la complexité des relations tutorielles facilite
donc à son tour la construction de nouveaux apprentissages.
Pour autant, la coopération n’est pas naturelle. Elle se veut un élément de
culture. À ce titre, elle nécessite d’être introduite par l’enseignant, sous peine de
risquer de ne pas la voir apparaître. Si les adultes qui ont conscience de l’importance
de la coopération ne s’autorisent pas à la promouvoir, s’ils n’apportent pas en
début d’année un embryon de dispositif coopératif, cela risque de prendre un temps
important et de générer des phénomènes anxiogènes. À charge du groupe par la
suite de poursuivre le processus d’autoconstruction de la structure de la classe.

La formation des enfants au tutorat

Les dispositifs de tutorat se construisent plutôt lors des conseils de coopéra-


tive, sur demande d’un enfant reconnaissant une impossibilité personnelle à y
arriver seul. C’est sur la base du volontariat et du modulable que les « petits »
choisissent ponctuellement un tuteur qui se donnera les moyens de répondre aux
questions que la vie scolaire suscite : la vie dans la classe et dans l’école, une
activité à réaliser, une méthode de travail, un outil (fichier, logiciel, compas, etc.)…
tout ce qui peut lui poser problème.
Quand cela est possible, il est expliqué à tout enfant qui en ressent le besoin
de choisir un tuteur. Cette fonction lui est présentée comme une mise à disposition
pour répondre aux questions d’organisation du travail et d’évolution dans la classe.
Les enfants qui souhaitent un tuteur choisissent parmi ceux qui se portent volon-
taires pour le devenir. Une fois les tutorats définis, tuteurs et tutorés s’installent à
proximité. Les enfants qui souhaitent participer au tutorat doivent réussir
préalablement un brevet qui est associé à ces fonctions (tuteur et tutoré). Cette
formation introduit dans la classe des éléments de culture coopérative, par exemple
le fait que pour aider on ne donne jamais la solution ou qu’au sein d’un tutorat, il
ne peut y avoir de relation dominant/dominé, c’est la réciprocité qui compte.

55
L’organisation matérielle de la classe

Lorsqu’un tuteur ou un tutoré souhaite rompre le tutorat, il lui suffit d’en faire
part à son partenaire. Cela pourra donner lieu à de nouvelles mises en relation et
aussi, preuve d’un aboutissement du dispositif, d’une évolution autonome dans
la classe. Lorsqu’un enfant sollicite régulièrement son enseignant et manifeste
ainsi son incapacité à trouver par lui-même les éléments nécessaires à la poursuite
de son travail, il est facile de l’inviter à demander de l’aide à un tuteur. Le passe-
port est un outil qui peut également servir pour solliciter un tuteur. Cela évite de
lui demander d’arrêter ce qu’il est en train de réaliser. Dans le même esprit, Bruce
Demaugé-Bost a imaginé le trétra’aide 8.

FICHE DE TUTEUR/TUTRICE 9

De………………………………………. Date ……………………………………….

Je suis tuteur/tutrice. Cela veut dire que je m’engage à aider mon voisin
ou ma voisine lorsqu’il ou elle en a besoin. Voici les règles du tutorat.
– J’ai réussi mon brevet de tuteur.
– Je donne plus d’importance à mon travail qu’à mon rôle de tuteur.
Si être tuteur me demande trop d’efforts ou m’empêche de travailler, je
demande à ne plus l’être.
– Mon rôle est de donner des petits coups de pouce à l’autre pour l’aider
à démarrer.
– Je ne donne jamais les réponses au camarade que j’aide. Je lui explique
comment je fais, je lui montre des exemples, lui donne des astuces pour
qu’il puisse trouver la solution.
– Je guide l’autre sans faire à sa place je dois sentir qu’il travaille seul,
sans se reposer sur moi.
– Petit à petit, l’autre doit avoir de moins en moins besoin de moi cela
veut dire que le tutorat est une réussite pour tous les deux.
– Je ne me moque jamais du travail de l’autre.
– Lorsque je l’aide, nous chuchotons pour ne pas déranger la classe.
– Je parle régulièrement de mes réussites ou de mes difficultés avec mon
enseignant.
– Je peux demander à être aidé par un tuteur quand j’en ai besoin.
Je m’engage à être tuteur et à respecter les règles du tutorat.

Ma signature Signature de l’enseignant

L’acte de tuteur se fait toujours selon un principe de réciprocité : le fait d’expli-


quer ou d’aider ne rend pas supérieur et on peut être alternativement tutoré ou
tuteur.

8. Voir : http://bdemauge.free.fr/
9. À partir de la fiche de tuteur pensée par Benoît RUF.

56
La coopération : entraide et tutorat

« Un tuteur n’est pas un “chef” qui commande celui qu’il aide. Il est là pour
l’accompagner et répondre à ses questions afin que ses journées à l’école se
passent bien 10. »
Il s’est plusieurs fois avéré opportun de proposer un travail spécifique autour
de la question de l’aide afin que les classes rédigent un document qui leur rap-
pelle les idées-forces. En voici un, tiré des travaux de François Le Ménahèze sur
l’école Ange Guépin de Nantes 11:

« Celui qui aide – celui qui se fait aider »

Celui qui aide

• Il termine d’abord son travail ou ne s’interrompt par trop longtemps.


• Il a bien compris ce qu’on lui demande, de quoi il s’agit.

Sinon, il renvoie à quelqu’un d’autre.

• Il peut se servir des fiches outils et de tous les autres documents de la classe.
• Il ne donne pas la réponse ni la solution.
• Il ne se moque pas, il encourage et félicite.
• Il peut demander de l’aide.
• Il peut :
– donner des exemples ;
– expliquer avec ses mots ;
– dire ce qu’il faut faire ;
– lire la consigne avec celui qu’il aide ;
– donner des astuces ;
– faire des schémas ;
– aider à lire, observer et comprendre les fiches outils ;
– laisser deviner ;
– répondre aux questions ;
– …

10. Extrait du portfolio des élèves de l’école coopérative Antoine Balard à Montpellier.
11. LE MÉNAHÈZE F., « Coopération et travail individualisé », in Coopération et pédagogie Freinet,
Éditions ICEM Pédagogie Freinet, no 33, 2002, p. 52.

57
L’organisation matérielle de la classe

Celui qui se fait aider

• D’abord, il essaye tout seul.


• Il choisit celui qui peut l’aider.
• Il ne le dérange pas dans son travail.
• Il écoute celui qui aide.
• Il met de la bonne volonté.
• Il peut devenir tuteur.
• Il peut :
– poser des questions ;
– demander de réexpliquer ;
– écrire, prendre des notes ;
– décider d’arrêter de se faire aider ;
– …

Exemple de test d’évaluation au tutorat


Brevet de tutorat

1 – Je souhaite devenir tuteur parce que


□ cela me permettra de me faire plus de copains et de copines.
□ je pourrai devenir le chef de quelqu’un.
□ je pourrai demander à quelqu’un de faire ce qui ne me plaît pas.
□ je montrerai que j’ai grandi.
2 – Un tuteur, ça sert à
□ aider le maître ou la maîtresse.
□ faire taire les enfants les plus pénibles de la classe.
□ rendre service aux enfants qui en ont besoin.
□ apprendre à devenir un chef.
3 – Lorsqu’un enfant que j’essaye d’aider ne m’écoute pas
□ je lui donne une claque, comme ça, il m’écoute.
□ il n’a pas à m’obéir, je ne suis pas son chef.
□ je vais demander de l’aide au maître ou à la maîtresse.
□ pendant la récréation, je me moque de lui en disant que ce n’est qu’un petit.
4 – Lorsque je ne comprends pas un mot dans une consigne
□ je crie « maîtresse, maîtresse ! ».
□ je vais de suite chercher un tuteur.
□ je relis bien la consigne pour mieux la comprendre.
□ j’attends que quelqu’un vienne m’aider.

58
La coopération : entraide et tutorat

5 – Lorsqu’un enfant me demande de l’aide


□ je l’envoie voir le maître ou la maîtresse.
□ je lui dis d’attendre si je dois finir mon travail.
□ je lui donne les réponses.
□ je ne lui donne pas les réponses mais seulement des indices.
6 – Lorsqu’un enfant qui m’aide se moque de moi
□ je lui dis « face de phasme ! ».
□ je ne fais rien, c’est son problème.
□ je vais demander de l’aide à quelqu’un d’autre.
□ j’appelle le maître ou la maîtresse pour qu’il s’en occupe.
7 – Lorsqu’un enfant que j’aide n’arrive pas à finir son travail
□ je lui fais comprendre qu’il n’est pas très fort.
□ je lui explique qu’il peut essayer plus tard.
□ je ne fais rien, j’ai mon travail à finir.
□ je le dis au maître ou à la maîtresse.
8 – Lorsqu’un enfant ne me veut plus comme tuteur
□ je lui explique comment il peut faire pour changer ou ne plus en avoir.
□ je lui interdis de changer, être tuteur, c’est mon métier.
□ je l’ignore, puisqu’il ne veut plus de moi.
□ je lui fais comprendre que c’est un imbécile.
9 – Lorsque je ne veux plus être le tuteur d’un enfant
□ je ne peux rien faire, on est obligé de rester tuteur.
□ je vais dire à l’enseignant qu’il s’en occupe.
□ j’en parle au conseil de la classe.
□ je lui dis de partir et de se trouver un autre tuteur.
10 – Quand un enfant m’a aidé
□ je le remercie.
□ je lui dis d’aller travailler.
□ je le dénonce au maître.
□ je lui apporte des bonbons.

Validation

→ Nombre de bonnes réponses


→ Nombre d’erreurs

Brevet de tutorat validé OUI □ NON □


Signature de l’enseignant

59
L’organisation matérielle de la classe

Des activités pour initier à la coopération

La classe coopérative est un lieu de promotion des valeurs de soutien et de


générosité entre pairs dans le travail. Pourtant, cela ne va pas de soi : aider ou
demander de l’aide s’acquiert ! Ainsi, si l’on souhaite permettre à des élèves de
s’entraider pour les acquisitions scolaires, il est nécessaire d’organiser des
séances où les enfants s’exerceront à la coopération. En voici quelques-unes 12

Comment aider quelqu’un ?


Objectif : savoir comment aider quelqu’un.
Organisation de la séance : les enfants se mettent deux par deux. Dans la
première partie, le premier explique quelque chose qu’il connaît ou sait faire au
second. Dans la deuxième partie, le second explique quelque chose qu’il connaît
ou sait faire au premier en essayant de suivre les indications fournies par le
document sur l’aide.
Étape 1 : les élèves se mettent par deux. Ils discutent pour savoir ce que
chacun peut apprendre à l’autre. Il peut s’agir de toute connaissance, par exemple
reconnaître les COD dans une phrase ou jongler avec un ballon. L’enseignant peut
noter au tableau ce qui va être transmis.
Étape 2 : dans chaque paire, un enfant transmet son savoir pendant
10 minutes, l’autre écoute.
Étape 3 : l’enseignant distribue le document sur la coopération. Chaque enfant
le lit, puis ceux qui le souhaitent peuvent donner leur avis ou poser des questions.
L’enseignant gère le débat.
Étape 4 : dans chaque paire, les deux enfants ce qui vient d’être conseillé
dans le document et ce qui vient d’être dit.
Étape 5 : dans chaque équipe, les enfants discutent pour voir en quoi le
deuxième exercice était plus intéressant que le premier.
Étape 6 : les rapporteurs donnent les arguments des élèves de la classe. Des
modifications peuvent être apportées au document sur l’aide et le tutorat.
À la fin de la séance, ou lors du prochain conseil, donner des réponses aux
trois questions suivantes :
1 – Quand peut-on aider ? 2 – Où peut-on aider ? 3 – Qui peut aider ? 4 – Qui
peut demander de l’aide ? 5 – Quand peut-on demander de l’aide ?

12. De nombreuses autres situations de formation des élèves à la coopération ont été publiées
dans l’ouvrage La coopération, ça s’apprend, ESF Sciences humaines, 2020.

60
La coopération : entraide et tutorat

Conclusion attendue : voir le document « Celui qui aide – celui qui se fait
aider ».

Le travail coopératif
Objectif : expérimenter que l’on travaille mieux à plusieurs que seul.
Organisation de la séance : les enfants sont en petits groupes et suivent les
instructions de l’adulte.

Exemples de questionnaires

Questionnaire 1 – Le sport Questionnaire 2 – L’école


Ton prénom ………: Ton score : …/10 Ton prénom ………: Ton score : …/10

Au handball et au water-polo, on joue Pour ranger leurs affaires, les enfants ont
avec un …………………. un …………………….
Chaque joueur porte sur lui un …………………….. On trace un trait avec une …………………….
Celui qui fait respecter les règles s’appelle La personne qui s’occupe de la classe est un
un …………………….. ……………………..
Les spectateurs qui encouragent les équipes Une …………………….. permet d’écrire sur un
sont des ……………………. tableau.
L’arbitre se fait entendre avec un ……………………. Les enfants jouent dans la ……………………..
Prendre un carton ……………………., ça veut dire À l’école, un enfant s’appelle un ……………………..
qu’on ne joue plus. Le responsable d’une école s’appelle
Au basket, on marque des ……………………. le ……………………..
Au rugby, le ballon est ……………………. Le ……………., c’est la réunion où les enseignants
Les joueurs qui marquent des buts sont discutent de l’école.
des ……………………. L’homme qui a rendu l’école obligatoire, laïque
Tous les 4 ans ont lieu les ……………………. et gratuite s’appelle Jules ……………………..
Pour manger à l’école, les enfants vont
à la ………….

Étape 1 : « Vous avez 8 minutes pour répondre seul et sans parler aux dix
questions du questionnaire 1. »
Étape 2 : l’enseignant fournit les solutions et chacun note le nombre de bonnes
réponses. Chaque équipe calcule le nombre de bonnes réponses et les inscrit au
tableau.
Étape 3 : « Vous avez 8 minutes pour répondre aux dix questions sur l’école.
Vous avez le droit de vous aider. »
Étape 4 : l’enseignant donne les corrections et chacun note le nombre de
bonnes réponses. Chaque équipe calcule le nombre de bonnes réponses et les
inscrit au tableau.

61
L’organisation matérielle de la classe

Étape 5 : comparaison des résultats par équipe. « Qu’est-ce que cet exercice
nous apprend sur le travail en équipe ? »
Conclusion attendue : on travaille mieux en équipe que seul. Le travail d’une
équipe est au moins égal au travail du meilleur membre de l’équipe.

Tableau pour le traitement des résultats

Équipe 1 Équipe 2 Équipe 3 Équipe 4 Équipe 5 Totaux

Exercice 1 27 35 42 17 26 147

Exercice 2 35 43 41 35 30 184

Comparaison + + – + + +

Les encouragements
Objectif : privilégier l’entraide et l’encouragement plutôt que la moquerie.
Organisation de la séance : les enfants se mettent par petits groupes et
suivent les instructions d’un élève référent. Avant les activités, l’adulte réunit les
référents et leur explique les consignes.
Étape 1 : les référents expliquent qu’il s’agit de dessiner un paysage de mon-
tagne. « Vous avez 10 minutes pour dessiner sur votre feuille un paysage de mon-
tagne avec des sommets, de la neige, des chamois, des alpinistes et des chalets. »
Pendant l’activité, les référents ne disent rien, ne se manifestent pas.
Étape 2 : chaque groupe présente ses dessins et chaque enfant peut expliquer
ce qu’il a pensé du comportement de son référent. L’adulte note au tableau les
principales réponses.
Étape 3 : les référents expliquent qu’il s’agit de dessiner un paysage de mer.
« Vous avez 10 minutes pour dessiner sur votre feuille un paysage de mer avec
des vagues, des bateaux, des poissons, des pêcheurs et une plage. » Pendant
l’activité, les référents doivent féliciter les enfants qui font quelque chose et
encourager ceux qui n’y arrivent pas. Ils peuvent employer les phrases suivantes :
« C’est bien, continue », « Ce n’est pas grave si tu te trompes », « L’important,
c’est que tu fasses de ton mieux », « Ça, c’est joli », « Est-ce que tu veux que je
t’aide ? », etc.
Étape 4 : chaque groupe présente ses dessins et chaque enfant peut expliquer
ce qu’il a pensé du comportement de son référent. L’adulte note au tableau les
principales réponses. Il compare les dessins d’enfants qui au premier exercice
n’ont rien produit de beau et qui se sont bien améliorés au second exercice.

62
La coopération : entraide et tutorat

Étape 5 : « Qu’est-ce que cet exercice nous apprend sur le travail avec
d’autres ? »
Conclusion attendue : on a plus envie de travailler quand on nous encourage
et quand on nous félicite.

Tableau du vocabulaire des référents

Exercice 1 : la montagne Exercice 2 : la mer

– Ne rien dire. – « C’est bien, continue. »


– Ne pas apporter son aide. – « Ce n’est pas grave si tu te trompes. »
– Être un coéquipier comme les autres. – « L’important, c’est que tu fasses de ton
mieux. »
– « Ça, c’est joli. »
– « Est-ce que tu veux que je t’aide ? »
– « Je suis sûr que tu vas y arriver. »
– « Regarde, je vais te donner un conseil pour
réussir… »

Les marchés de connaissances

« Personne ne sait tout, personne ne sait rien, le savoir appartient à tout le monde. »

Un marché des connaissances se veut un lieu d’échange de savoirs, où chacun,


tantôt passeur, présentera une connaissance, aidant son client, évaluant sa réus-
site, tantôt client, cherchera parmi les stands proposés à acquérir une connais-
sance qu’il aura choisie 13.
Objectifs :
– découvrir la difficulté d’apprendre aux autres ;
– élargir sa représentation du savoir ;
– prendre conscience que l’on peut apprendre aux autres et vice versa.
Organisation de la séance : lorsqu’il y a suffisamment de fiches de passeurs,
le marché peut être organisé.

13. CHABRUN C., in Coopération et pédagogie Freinet, Éditions ICEM Pédagogie Freinet, no 33,
2002, p. 24.

63
L’organisation matérielle de la classe

Exemple de fiche
Marché de connaissances
Fiche de passeur

Nom et prénom du passeur Titre du stand :

Ce que vont apprendre les clients :

Matériel nécessaire : Lieu souhaité :

Temps de l’activité : Nombre accepté : Nom et prénom du secrétaire :

Ce qu’il faut réussir pour devenir passeur

Étape 1 : l’enseignant introduit le marché de connaissances en expliquant ses


principes et son fonctionnement. Il présente la fiche de passeur et l’explique aux
enfants.
Étape 2 : tous les enfants seront passeurs, mais pas en même temps. Envisa-
ger une heure de marché. Il vaut mieux organiser deux phases afin que les enfants
passeurs puissent devenir receveurs et inversement. Il incombe aux passeurs
d’organiser comme ils le souhaitent leur stand : consignes, matériel, brevet. Le
passeur confectionne une affiche format A4 avec la présentation de l’atelier et un
feu bicolore – vert quand il y a des places disponibles, rouge quand il n’y en a
plus. Cette affiche est disposée à l’entrée de l’atelier.
Étape 3 : les passeurs organisent leurs stands et accueillent les « clients » en
fonction des places disponibles. Ils font vivre leur atelier et le concluent en faisant
passer les épreuves du brevet. Quand l’examen est réussi, ils les valident sur la
fiche du marché de connaissances. Au bout de 25 minutes, les rôles s’inversent.
Étape 4 : en fin de marché, prévoir un bilan collectif pour permettre à chacun
d’expliquer ce qu’il a appris et ce qu’il pense des stands qu’il a visités.

64
La coopération : entraide et tutorat

Exemple de fiche
Fiche du marché de connaissances du 19/10/08
Nom : Prénom :

Numéro Titre Passeur Lieu Brevet

1 Recette Raouïa Cuisine Expliquer la


d’Halloween recette _

2 Origami Sofia Cagibi Refaire le pliage

3 Les sons de Wanessa Tableau Lire des mots


l’alphabet

4 K’nex Arthur Table du milieu Construire un


objet

5 Le logiciel Marie Ordinateurs Faire du calcul


Abalect mental

Les jeux coopératifs


Ils permettent de travailler l’idée qu’il n’est pas indispensable qu’il y ait systé-
matiquement des gagnants aux activités que l’on réalise à l’école. Ils participent
à l’amélioration des relations et de la confiance au sein d’un groupe.
• La balle assise : il n’y a pas d’équipe, tout le monde est avec tout le monde
et avec personne, cela dépend des moments du jeu. Quand on a la balle, on
peut soit la passer ou tirer pour toucher. Si l’on est touché, on s’assoit et on
attend que quelqu’un nous passe la balle pour nous délivrer.
• Pulsion : le groupe se met en cercle et se tient par la main. Une personne
donne une impulsion en serrant une main, celui qui la reçoit la transmet. On
peut changer le sens de l’impulsion, introduire plusieurs impulsions et en
donner de différentes formes (une fois, deux fois, trois fois, rythmes diffé-
rents…).
• Zip-zap : le groupe est en cercle. Un animateur est au centre. Lorsqu’il
montre un participant, il énonce « zip » ou « zap. » En cas de zip, le désigné
doit donner le prénom de son voisin de droite. En cas de zap, la désigné doit
donner le prénom de son voisin de gauche. En cas d’erreur, il recommence
ou prend la place de l’animateur.
• Dos à dos : les participants se mettent par deux. Un animateur énonce deux
parties du corps (« pied-pied », « nez-main »…), chaque couple doit faire cor-
respondre les parties du corps énoncées. Lorsque l’animateur dit « dos à
dos », tout le monde se mélange, l’animateur et les couples changent.

65
L’organisation matérielle de la classe

• La chaîne humaine : les participants forment un cercle en se tenant par la


main. Ils se mélangent sans se séparer. Le but de l’activité est d’essayer de
reconstituer la chaîne sans la casser.
• La chaise musicale inversée : les participants tournent autour de chaises et
doivent s’y asseoir lorsque la musique s’arrête. À chaque tour de jeu, on
enlève une chaise. Chacun doit trouver une place, quitte à se retrouver à
plusieurs sur une même chaise. À la fin, le groupe entier doit essayer de
trouver une place sur une seule chaise.
• Touch’mi : le groupe est scindé en deux lignes qui se font face. Chacun doit
connaître les prénoms de l’équipe adverse. Pendant qu’une première ligne
ferme les yeux, la seconde se mélange et se place devant un participant de
la première ligne. Celui qui a les yeux fermés pose ses mains sur le visage
de la personne qui lui fait face et tente de trouver son identité. Il est aussi
possible d’essayer de découvrir la personne en touchant ses mains.

66
2
La gestion de l’espace
et du temps scolaire

L ES DIFFÉRENCES ENTRE LES ENFANTS COMPOSANT UNE CLASSE COOPÉRATIVE


sont des atouts qui sont mis en valeur. Si l’on souhaite que des formes de
coopérations voient le jour, mieux vaut que les acteurs aient des choses à échanger,
à partager. C’est dans cet esprit qu’hétérogénéité et coopération se rejoignent. Pour-
tant, les mises en place ne vont pas de soi. Si l’on désire que les enfants inter-
agissent, il est nécessaire qu’ils disposent d’espaces de liberté pour parler, se
déplacer, s’organiser, en somme, exercer et aiguiser leur autonomie. Apparaissent
alors, avec des enfants néophytes comme avec d’autres ayant pu profiter de plu-
sieurs années scolaires à coopérer, du bruit, du mouvement, du matériel qui
s’abîme, se perd ou n’est plus rangé, des conflits, des tensions… Cet état de fouillis,
peu propice aux apprentissages, si l’on ne veut pas qu’il perdure, mérite notre
attention et nécessite une intervention professionnelle. Des questions relatives à la
gestion de l’espace sont à résoudre : comment adapter l’espace de la classe de
manière qu’il permette à plusieurs groupes d’enfants de réaliser des activités diffé-
rentes sans se déranger les uns les autres ? Comment organiser la gestion du maté-
riel pour faciliter un équilibre entre les mises à disposition et des rangements ?
Comment permettre aux enfants de disposer d’espaces individuels dans une salle
où l’ensemble du matériel est en principe à disposition de tous ?
Concernant les problématiques liées au temps, la complexité est identique. La
personnalisation du travail, la permission de développer des activités que l’on a
choisies correspondent à deux dispositifs qui rompent avec la logique ordinaire de
la gestion du temps à l’école. Même si des plages horaires d’activités peuvent être
conservées, on rompt avec un fonctionnement uniforme du groupe, guidé par un
enseignant en position d’organisateur de l’activité de chacun. Une nouvelle série de
questions apparaît : quel équilibre trouver entre le travail personnel des enfants et
les rencontres collectives qui développent la culture de la classe, entre les moments
où l’enseignant a des contenus disciplinaires à faire acquérir et ceux où ce sont les
enfants qui construisent leurs apprentissages ? Comment aider les enfants à
apprendre sans perdre trop de temps pour l’organisation de leur travail ? Quelle part
attribuer aux situations de coopération et à celles où les enfants sont face à leur
propre travail scolaire ?

67
L’organisation matérielle de la classe

Six passages à travailler

Lorsqu’il parvient à apporter ses réponses à ces questions, l’enseignant d’une


classe hétérogène et coopérative est parvenu en même temps à travailler cinq
« passages » relatifs à la conduite de sa classe.

Passer d’une pédagogie du contrôle à une pédagogie de la dissipation


L’enseignant accepte progressivement qu’une part des activités des enfants lui
échappe dans le cadre de la structure de classe qu’il conduit en assistant le
conseil d’enfants et avec le souci de veiller à la sécurité de chacun. Il confère à
ce qu’il ne contrôle plus, que l’on nommera dissipation, une fonction pédago-
gique. Ces situations, parce qu’indépendantes de sa guidance, tendent à mettre
à la disposition des enfants des expériences d’autonomie authentique. Par leur
intermédiaire, ils deviennent en mesure de s’engager dans des activités qui font
réellement sens, de se sentir investis de la responsabilité de les mener à leur
terme et de chercher à produire une belle réalisation.

Passer d’une pédagogie de l’homogène


à une pédagogie de la complexité
En corollaire de ce qui précède, l’enseignant d’une classe coopérative passe
d’une logique de progression didactique systématique à une prise en compte des
réseaux de savoirs. Il accorde de l’importance à ce qui ne s’évalue pas et aux liens
que les savoirs ont entre eux. Les connaissances se construisent par appropriation
systémique des savoirs qui sont associés, ce qui tend à les ancrer plus fortement.
La plupart du temps, cette considération du caractère complexe des savoirs est
appréhendée par l’intermédiaire d’activités vivantes, directement liées à des faits
de vie qui entrent ou sortent de la classe. Ceux-ci, n’ayant pu être épurés par le
filtre didactique, se présentent aux enfants tels qu’on les trouve au quotidien et
nécessitent un traitement pluriel des informations.

Passer d’une logique d’enseignement


à une pédagogie de l’apprentissage
L’enseignant d’une classe coopérative parvient à mettre au centre de ses
préoccupations professionnelles la nature et la force des apprentissages construits
par ses élèves. À ce titre, il relativise l’impact de ses interventions. Il s’attache à
établir les conditions les meilleures pour que ses élèves puissent profiter pleine-
ment de ce qui a été mis à leur disposition pour apprendre avec du sens et sur
la durée. Il fait donc glisser dans son champ d’enseignement, en plus des activités
inhérentes à de la mise à disposition de savoirs, l’entretien de la structure de
classe, la valorisation des relations d’entraide, le soutien des enfants en besoin

68
La gestion de l’espace et du temps scolaire

et l’établissement de la classe comme un véritable centre de ressources à la


mesure des enfants.

Passer d’une pédagogie de l’individuel et du collectif


à une pédagogie de la personne
Parce que la classe se veut un espace de rencontres plurielles, l’enseignant
dépasse une conception collective de fonctionnement, en même temps qu’il met
de côté les démarches de travail individuel exclusif. À la place, il s’emploie à faire
vivre une structure de classe visant à favoriser le travail de chacun inscrit dans une
communauté d’échanges de savoirs. L’enjeu de cette structure est de permettre à
la fois des travaux individuels, des échanges entre pairs sous forme de petits
groupes évolutifs et des situations collectives de travail. Cela permet à chaque
enfant, en fonction de son degré d’autonomie, de participer à la construction de
son parcours pédagogique, de trouver puis de choisir les voies de travail qui lui
semblent les plus appropriées. Cela permet également à l’enseignant d’alterner
différentes formes d’interventions et ainsi de parvenir à s’adresser, cognitivement
parlant, à un échantillon d’enfants bien plus étendu.

Passer d’une pédagogie de l’omnipotence du maître


à une pédagogie de la coopération
Dans le même ordre d’idées, l’enseignant pense son retrait. Il accepte de ne
plus être au centre de l’animation du groupe. Il réduit sa part d’intervention pour
libérer des espaces qui deviendront des terrains d’expérience pour les enfants. En
se mettant de côté, il leur permet de faire, et en faisant de se construire. Il inter-
vient si nécessaire et fait profiter les enfants de ses acquis. Une fois ces espaces
libérés, des formes d’entraide peuvent apparaître. Elles permettent notamment à
des enfants de réaliser certaines tâches enseignantes. En occupant cette posture,
ils bénéficient d’une remobilisation, d’une évolution et d’un ancrage de leurs
connaissances. Dans la relation tutorielle, la rencontre entre ce que je sais ou ce
que je sais faire et ce que recherche à apprendre quelqu’un d’autre m’oblige à
repenser mes acquis, à les modifier si nécessaire et ainsi à accroître les liaisons
entretenues avec mes autres champs de connaissances.

Passer d’une pédagogie du spectacle


à une pédagogie matérialiste
Puisque l’enseignant accepte de rendre vacante une part de ce qui lui revient,
la nature du travail change. La finalité n’est plus de produire collectivement une
œuvre achevée, mais plutôt d’aider chacun des enfants qui composent le groupe
à avancer chaque jour un peu plus sur le chemin de la réussite. Même si certaines
productions seront effectivement dignes d’être diffusées et valorisées, d’autres le

69
L’organisation matérielle de la classe

seront moins, ce qui n’est pas signe que leurs auteurs ont peu appris. Pour cela,
et parce que l’enseignant compte aussi sur les effets de la dissipation, il parvient
à mettre à disposition du matériel en mesure d’orienter les enfants vers la réalisa-
tion d’activités à forte teneur éducative. Capables de pallier l’absence d’un adulte,
ces outils se montrent pertinents par leur faculté à orienter les engagements dans
la libre conduite des projets des élèves. Par exemple, parce que les textes diffusés
dans le journal doivent être orthographiquement corrects, les élèves seront
conduits à utiliser les ressources de la classe pour parvenir par leurs propres
moyens à apporter les corrections nécessaires.

Un espace au service de la construction de langages


Au sein d’une classe coopérative, les déplacements deviennent possibles et
sont même nécessaires, ils constituent l’une des conditions pour permettre l’opé-
rationnalité de la structure de classe. En se déplaçant, les élèves se munissent du
matériel dont ils ont besoin, se rendent auprès des postes informatiques,
s’assoient à côté d’un camarade qu’ils vont aider ou qu’ils sollicitent, changent
de partenaire pour avancer sur un autre projet, rejoignent l’enseignant pour béné-
ficier de ses explications ou participer à un petit groupe qu’il anime, voire quittent
l’espace de la classe pour rejoindre un autre pôle de travail dans l’école. L’ensei-
gnant gagne donc à permettre la circulation des enfants tant au niveau organisa-
tionnel que spatial (voir le chapitre sur les permis de circulation libre et
responsable, p. 306).
Il peut s’avérer pertinent que dans une salle de classe à taille réduite, les
enfants ne soient pas assignés à un espace, mais potentiellement à tous. La
nature fluctuante des projets et le caractère dissipatif des situations de travail
nécessitent les déplacements. Le problème est que le ratio nombre d’élèves/sur-
face de la classe ne permet pas souvent de telles fonctionnalités. Il est alors
possible de dissocier les espaces privés de rangement des espaces de travail en
attribuant à chaque enfant un casier propre qui ne soit pas soudé à sa table de
travail. Ainsi, chacun dispose d’un endroit qui constitue son espace privé tout en
ayant la possibilité de changer de place sans avoir à se soucier de ses affaires
personnelles. C’est une des conditions des aménagements flexibles.
Il semble donc opportun de rechercher des zones de travail qui dépassent
l’espace de la classe. Cela se traduit par l’utilisation de lieux sous-employés dans
l’école afin que puissent y être menées des activités bruyantes (musique, danse,
chant, bricolage…) ou nécessitant des ressources particulières (BCD, salle informa-
tique…). De plus, la nature des travaux peut induire que l’espace de travail ne se
limite plus seulement à la classe mais s’ouvre sur l’extérieur, par l’intermédiaire
de la réalisation de projets, de la correspondance, etc. La réalité dépasse en
conséquence les murs de l’école pour que les préoccupations s’évadent vers

70
La gestion de l’espace et du temps scolaire

d’autres classes, d’autres régions, d’autres environnements. L’organisation maté-


rielle d’une telle prise en compte concerne ici l’acquisition d’outils en mesure de
permettre et de garantir des échanges d’informations : Internet, téléphone, Twitter,
courrier.
Au niveau de la disposition du mobilier, la classe gagne à être organisée autour
d’un espace central d’échanges coopératifs, en périphérie duquel des ateliers per-
manents deviennent des supports aux projets personnels. Ainsi, en fonction des
activités qu’il doit réaliser, chaque enfant choisit de se rendre au centre de la
classe s’il s’agit de travailler en petit groupe, de réaliser une fiche avec l’aide ou
le partenariat d’un camarade et profite de ce qui se trouve autour pour disposer
de ressources particulières, telles que les ordinateurs, les sources documentaires,
les matériels didactiques, les outils pour la classe en général. Le bureau de l’ensei-
gnant reste le lieu privilégié où les enfants vont pouvoir solliciter leur maître. Pour
être en accord avec la volonté de laisser de la place aux investissements de
chacun, son emplacement peut difficilement se trouver au centre de la classe ou
à l’endroit où convergent la plupart des attentions. L’enseignant se met à disposi-
tion des élèves qui manifestent le besoin de le rencontrer mais également circule
dans la classe et, comme tout un chacun, peut se retrouver à travailler à n’importe
quel endroit. Dernier élément concernant l’agencement matériel de la classe : les
affichages. Ils sont plutôt nombreux et ont une valeur de documents outils. On
peut donc retrouver des tableaux de conjugaisons, des aides pour les homo-
phones, des indications sur la numération de position, un vocable en anglais, un
planisphère, une carte de France, une frise chronologique, mais aussi les règles
de fonctionnement de la classe, des dessins ou peintures d’enfants, le plan de
travail mural… En fonction des besoins et demandes formulés par le groupe, cet
affichage peut faire l’objet de modifications.

Plan d’une classe


Fenêtres
PIDAPI Outils Ordi
Bureau

Casiers

Atelier
de lecture
Cagibi

Tableau – Plan de travail mural

Ordi
Ordi

Ordi
Bibliothèque

Arts plast.

Ordi

71
L’organisation matérielle de la classe

Une gestion du temps collectif


qui tient compte des rythmes individuels

Les journées de classe tendent à proposer un équilibre entre des temps per-
sonnels favorisant la réalisation des tâches individuelles ou les situations
d’entraide et des temps collectifs qui se veulent de véritables moments
d’échanges de savoirs, de confrontations de représentations. Cet équilibre temps
personnels/rencontres collectives évolue au fil de l’année scolaire, de la même
manière qu’évolue la place de l’enseignant, comme peuvent le montrer les sché-
mas suivants.
Enseignant

Élève

Élève
Ens.
Septembre Octobre Novembre Décembre Janvier Février Mars Avril Mai Juin

Temps personnels
Temps collectifs

Tps pers.

Tps coll

Septembre Octobre Novembre Décembre Janvier Février Mars Avril Mai Juin

Évolution du temps occupé par les travaux collectifs au fil de l’année

Ainsi donc, alors que les débuts d’année scolaire sont généralement les moments
privilégiés pour installer une culture de classe et des habitudes de travail, il est néces-
saire que le groupe se réunisse plus souvent pour débattre puis établir les conditions
de son fonctionnement. Plus tard dans l’année, mises à part les adaptations à appor-
ter, ce sont plus les élèves et leurs travaux personnels qui importent.

72
La gestion de l’espace et du temps scolaire

Les emplois du temps n’ont pas à correspondre aux modèles en place dans
les lycées à l’origine par Napoléon. C’est plus par tradition scolaire que par souci
pédagogique que leur logique d’usage, même actuelle, a progressivement colo-
nisé les collèges et les écoles. Bien qu’un équilibre entre les disciplines soit à
trouver, que les horaires entre les enseignements soient à respecter, rien ne pré-
cise ni n’impose qu’il faille absolument découper la semaine scolaire en plages
d’enseignements successives de 50 minutes. Cela peut se concevoir dans les éta-
blissements où chaque enseignement est dispensé par un enseignant différent et
pour des dispositifs de fonctionnements uniformes où tous les enfants ont à
mener à un même rythme les mêmes activités. En classe coopérative où ce qui
prime est la pertinence pédagogique de la structure d’entraide, le principe est
plutôt de permettre à chaque enfant d’établir, dans le cadre que lui propose sa
classe, son propre emploi du temps, alliant moments de travaux individuels, temps
d’interactions avec des pairs ou avec l’enseignant et rencontres collectives. Ainsi,
un emploi du temps devient plus un guide pour situer dans la journée quels sont
les horaires à respecter et les rendez-vous collectifs plutôt qu’une suite d’activités
ordonnée par un adulte. On retrouvera donc dans un emploi du temps les horaires
de la classe, les récréations, les temps collectifs d’accès à la parole, les moments
d’échanges coopératifs collectifs et les séances de travail qui ne dépendent pas
seulement de la vie du groupe mais aussi d’intervenants extérieurs, du fonctionne-
ment de l’école, etc. Sont positionnées sur le programme de la semaine des situa-
tions de réflexions collectives et coopératives (par du travail en groupe) où le
partage des représentations est d’une importance capitale pour la formation des
concepts. La plupart du temps, les entrainements sont abordés par l’intermédiaire
des plans de travail. Ce qui n’est concerné par aucun de ces moments est naturel-
lement attribué aux travaux personnels. Pour la communication des projets, la
présentation des exposés ou des conférences, les enfants disposent des temps
de parole institués (Quoi de neuf ?, conseil, bilan), et si nécessaire, peuvent
demander à ce qu’un temps précis leur soit réservé dans l’emploi du temps pour
s’adresser au groupe entier. Une telle gestion du temps de chacun contente une
partie des demandes de la chronobiologie qui avance que l’organisme humain
fonctionne sur des rythmes circadiens 1. Avec une organisation coopérative de la
classe, l’école devient alors un lieu permettant un rappel régulier et diversifié des
informations importantes, proposant des temps de travail collectif et de travail
personnel, à faire seul, avec un camarade, autorisant les pauses sans que cela
pénalise le travail, invitant les enfants à organiser une part de leur travail en
choisissant parmi plusieurs activités à réaliser.

1. MONTAGNER H., Les rythmes de l’enfant et de l’adolescent, Stock/Laurence Pernoud, Paris,


1988.

73
L’organisation matérielle de la classe

Exemple de tableau d’emploi du temps


EMPLOI DU TEMPS – CLASSE COOPÉRATIVE DE CYCLE III

LUNDI MARDI MERCREDI JEUDI VENDREDI

9h00 Accueil – Quoi de neuf ?


Calcul Problèmes
9h30 Vocabulaire Poésie Conjugaison
mental et opérations

10h30 Travail Travail E.P.S. Travail Conseil


personnel personnel personnel
10h50 Récréation
Toilettage de Langue Créations
12h00 texte et chasse Lecture Travail personnel
vivante mathématiques Bilan de semaine
aux mots
13h45 Pause repas Pause repas

15h00 Atelier Atelier Atelier Atelier


d’histoire de géographie de sciences d’Art

Discussion
Travail Travail à visées Travail
personnel personnel philosophique personnel
15h50 et démocratique
16h00 Bilan météo Bilan météo

Ainsi donc, les rapports au temps deviennent différents pour chaque enfant
puisqu’il n’est plus question d’associer à un moment de l’année une notion sco-
laire précise. Il s’agit plutôt de concevoir pour plusieurs années un même corpus
de compétences. C’est ici la notion de travail en cycle qui est mise en valeur. Rien
ne devrait justifier les difficultés rencontrées par certains enfants à suivre le
rythme pensé par un enseignant. Au contraire, ce devrait être aux élèves de com-
muniquer à leurs enseignants le rythme qui leur convient le mieux pour profiter
du temps scolaire de manière optimale : éviter de perdre du temps, travailler
pour apprendre et progresser, ralentir le tempo pour mieux comprendre, l’accélérer
lorsque cela devient trop facile, faire des pauses aux moments de saturation…
C’est d’ailleurs ce qui est sous-tendu par l’article L. 311-3 du Code de l’éducation
régissant les programmes scolaires :

« Les programmes définissent, pour chaque cycle, les connaissances essentielles qui doivent
être acquises au cours du cycle ainsi que les méthodes qui doivent être assimilées. Ils
constituent le cadre national au sein duquel les enseignants organisent leurs enseignements
en prenant en compte les rythmes d’apprentissage de chaque élève. »

74
La gestion de l’espace et du temps scolaire

On ressent donc tout l’intérêt des référentiels de compétences qui apportent


aux élèves et aux enseignants des balises pour estimer les évolutions, les orienter
si nécessaire individuellement, afin qu’au terme des grandes étapes de la scola-
rité, les connaissances et compétences de base soient toutes construites.
D’importants gains de temps peuvent être réalisés en dépassant le fonctionne-
ment par année scolaire. L’une des approches du travail en cycle est de différen-
cier les enseignements selon les années dans le cycle. Les enfants appartiennent
toujours à une classe à un seul cours, mais ont la possibilité de travailler ce
qui précède et ce qui va succéder. Une autre, plus propice à l’introduction de la
coopération, est de regrouper dans une même classe tout ou partie des années
du cycle, de permettre par exemple de constituer une classe de cycle III avec des
enfants en CE2, en CM1 et en CM2. Les formes dissipatives que vont prendre
ces classes multi-âges sont certaines, ce qui entraîne généralement un temps
d’adaptation pour les élèves un peu plus important. On observe donc une petite
perte de temps sur les apprentissages fondamentaux la première année. Mais dès
que la deuxième débute, la classe ne recommence pas, elle se poursuit, avec un
temps très court nécessaire à l’adaptation pour les anciens élèves. Donc, dès cette
deuxième année, on observe que les enfants disposent d’un temps d’exposition
aux apprentissages bien plus long sur l’ensemble des 10 mois. Sur la troisième
année, les effets sont décuplés. On voit donc ici qu’avec cette conception de la
classe sur plusieurs années scolaires, on rejoint l’adage cher à J.-J. Rousseau :
« Le grand secret de l’éducation, c’est de savoir perdre du temps 2 » ; on pourrait
rajouter « dans le but d’en gagner par la suite ». Il ne s’agit pas, comme le crai-
gnait Jean-Henri-Samuel de Formey, de faire des enfants des bons à rien en leur
proposant des activités chimériques 3, mais au contraire de structurer le temps,
les relations et le travail de chacun pour, par la suite, gagner en efficacité. Cette
phase de construction de la culture coopérative de la classe intervient nécessaire-
ment en début de processus et constitue le socle à partir duquel les enfants
effectueront leur métier d’élève tel qu’on aura pu leur présenter. Il apparaît donc
que les bornes de l’année scolaire peuvent être élargies et que cela peut avoir un
effet bénéfique sur le résultat scolaire des élèves. Toutefois, afin que cela n’ait
pas pour dérive un enfermement de certains enfants dans des classes dont le
climat ne leur convient pas ou avec un enseignant avec qui les relations ne
peuvent s’établir avec sérénité, il semble juste de permettre plusieurs ouvertures.
La première est de proposer à ses élèves de rencontrer d’autres enseignants, de
se confronter à d’autres réalités relationnelles afin que les réflexes établis avec
l’un ne constituent pas une norme scolaire. La seconde est de consulter les
enfants sur d’éventuels besoins de changements de classe. Sans que cela revête

2. ROUSSEAU J.-J., Émile, ou De l’éducation, Livre troisième, GF Flammarion, Paris, 1762.


3. FORMEY J.-H.-S., Anti-Émile, Berlin, 1762.

75
L’organisation matérielle de la classe

un caractère décisionnel, cet avis peut être pris en compte pour permettre une
poursuite de la scolarité encore plus efficace. Il va de soi que cette autorisation
accordée aux enfants de changer de classe peut aussi valoir pour les enseignants
qui préféreraient en confier certains avec qui rien de bien ne devrait émerger par
une cohabitation plus longue.
On se rend bien compte que ces questions relatives à la gestion de l’espace
et à celle du temps sont fondamentales en classe coopérative, puisqu’elles consti-
tuent l’actualisation du quotidien de l’enseignant et de ses élèves. D’autres élé-
ments de l’organisation matérielle de la classe interviennent de manière aussi
prépondérante, notamment le recours à divers outils.

76
3
Des outils au service
de l’émancipation éducative

« Il y a dans l’outil, dans son usage, dans le travail qu’il


soutient, l’élément essentiel des apprentissages dont va
dépendre la valeur de l’éducation. »
Célestin FREINET 1

U N OUTIL, TEL LE BÂTON QUI SERT À RAPPROCHER UN OBJET TROP ÉLOIGNÉ,


dépend essentiellement du geste et des intentions de celui qui l’anime. En
même temps, ce bâton pourrait être utilisé comme arme de poing dans une
bagarre, comme porte-drapeau ou comme levier. Les usages possibles d’un même
outil sont multiples. Toutefois, sa nature et sa forme orientent les intentions de
l’acteur qui envisage de s’en servir. Le même bâton pourrait difficilement être utile
pour des activités comme la traite ou la couture. Il est donc possible de penser
des outils qui interdisent le développement de certains projets.
En pédagogie, l’outil peut devenir un véritable objet médiateur dans la relation
entretenue par l’apprenant avec le savoir. Il peut être une aide pour apprendre
selon des modalités induites par sa forme. L’écart entre son projet et les usages
possibles peut être réduit par la proposition d’un livret d’utilisation qui précise
ses visées et les conditions de son recours.

Outil, technique, méthode ou démarche ?

• De manière conceptuelle, l’outil est entendu comme le support matériel ou


symbolique qu’utilise l’enseignant pour dispenser un contenu d’enseigne-
ment et/ou auquel se réfère l’apprenant pour acquérir une connaissance,
développer une compétence ou évoluer dans l’espace scolaire. Exemples : le
vidéoprojecteur, le diaporama, les Drive, les documents papier, le tableau, la
voix, la lumière, les codes de fonctionnement, etc. Il fait partie des ressources
et des contraintes permanentes dont on dispose ou que l’on se fabrique

1. Essai de psychologie sensible, Œuvres complètes, tome I, Le Seuil, Paris.

77
L’organisation matérielle de la classe

avant d’enseigner ou d’apprendre, selon le point de vue où l’on se place.


En même temps, la fabrication de l’outil peut faire partie de la méthode
employée.
• La technique est entendue comme un procédé ou un ensemble de procédés
particuliers pour obtenir un résultat déterminé. C’est une manière de faire
décontextualisée. C’est le support organisationnel à partir duquel un contenu
va être mis à disposition d’un groupe d’élèves. Son choix est ensuite fonction
des contraintes et ressources « circonstancielles » liées au moment de sa
mise en place, à la durée disponible, à l’état du groupe. La combinaison
d’une ou plusieurs techniques avec les déterminants humains et matériels
de la situation forme une méthode.
• La méthode est un programme réglant d’avance une série d’opérations à
accomplir et signalant certains errements à éviter, en vue d’atteindre un résul-
tat déterminé. Relative et dépendante d’un contexte particulier, elle désigne
l’ensemble des moyens mis en œuvre pour organiser une situation didactique.
C’est un agencement de différentes techniques articulées autour des impératifs
de la situation pédagogique : nombre de participants, contenu, durée,
contraintes matérielles… Son élaboration doit tenir compte à la fois des
contraintes du milieu, des caractéristiques du groupe qui en est le destinataire,
de l’objectif visé et des intentions pédagogiques de l’enseignant.
• La démarche est un enchaînement d’étapes qui forme un tout modélisable.
C’est un ensemble ordonné et réfléchi de méthodes et techniques en lien
avec des stratégies ponctuelles. Elle est la résultante de choix pédagogiques.
La démarche est la traduction concrète d’un projet pédagogique. De ce fait,
son élaboration tient compte des projets éducatifs et des compétences des
enseignants. Cet ensemble s’appuie sur le projet de la nation en matière
d’éducation, à savoir les programmes scolaires et les finalités présentes dans
la Constitution. Généralement, ils se traduisent par une série de choix institu-
tionnels déterminant le système éducatif.
On trouvera ci-après une représentation de ces concepts, sous la forme d’une
pyramide aztèque, proposant divers socles, du plus fondamental (les finalités) au
plus opérationnel (les outils).
Toute sa vie, Freinet a évité de qualifier de méthode l’ensemble de ses pra-
tiques éducatives. Voyant comment se sont figées et souvent dogmatisées les
méthodes Montessori ou Decroly, il préférait utiliser l’expression « techniques Frei-
net » et, bien plus tard, pour réunir dans un même mot les pratiques et l’esprit
qui les sous-tend, il dira « pédagogie Freinet ». Il n’utilisera le mot « méthode »
qu’associé à « naturelle » pour désigner la démarche à faire émerger des élèves
pour les apprentissages du langage, de la lecture, du dessin, du calcul, etc.
Dès leurs débuts, les pédagogies coopératives ont affirmé leur caractère maté-
rialiste : introduction de l’imprimerie, utilisation du magnétophone, de la caméra,

78
Des outils au service de l’émancipation éducative

création de fichiers, de la BT, des bandes enseignantes… tous ces outils ayant
pour fonction de libérer l’enfant de la dépendance à l’adulte, de l’accompagner
dans ses apprentissages. Il apparaît même que le déficit d’outils, tout du moins
leur défaut de formation, serait l’une des raisons importantes du faible recours
aux pédagogies coopératives.

Choix institutionnels

Démarche Degrés
organisationnels

Méthode

Techniques – Outils – Matériel

Contraintes spatio-temporelles

Impératifs humains

Modalités d’évaluation

Objectifs opérationnels

Intentions
Objectifs généraux pédagogiques

Finalités

Pyramide de l’action pédagogique

« Cette technique ne se généralise que très lentement, d’une part à cause du manque de
préparation des enseignants à de telles pratiques (on les initie surtout au contenu des
belles leçons, comme si tout le reste s’apprenait tout seul), d’autre part à cause du manque
d’outils adaptés 2. »

Nous sommes donc ici face à une conception émancipatrice de l’outil voulant
inciter les apprenants à se détacher de la guidance des enseignants pour entrer
dans des stratégies d’apprentissages autonomes. C’est pour cela qu’il tend à se
situer comme trait d’union entre les deux principales voies que l’on utilise pour
apprendre : la voie didactique qui s’appuie sur une présentation organisée du
savoir à acquérir et la voie heuristique qui consiste à acquérir par soi-même l’objet
de ses apprentissages.

2. BARRÉ M., L’aventure documentaire, Éditions ICEM, Nantes, 2002, p. 20.

79
L’organisation matérielle de la classe

« Amener l’apprenant, dans un projet personnel ou collectif, à sécréter du savoir, à


produire du sens et à avoir recours à du savoir, nécessite la mise en place d’un mode
d’apprentissage interactif entre la voie heuristique et la voie didactique 3. »

Le schéma ci-dessous, emprunté aux recherches à l’IREM de Janou et Edmond


Lémery, permet de saisir le fonctionnement de cette interactivité. On y reconnaît
la voie heuristique représentée par les itinéraires en ligne brisée. L’outil y apparaît
comme le catalyseur de la rencontre entre ce qui se construit par l’intermédiaire
des dispositifs didactiques et ce qui est appris par l’ensemble des expériences
vécues. Sans être d’un recours systématique, les apprentissages pouvant aussi
se développer hors contexte didactique, il peut aussi s’avérer pertinent dans le
renforcement de la cohésion de ce qui est travaillé dans et en dehors de l’école.

APPRENTISSAGE
Individuellesou collectives

Outil
Interventions orales,
gestuelles…

ITINÉRAIRES ITINÉRAIRES
PERSONNELS LA VOIE DIDACTIQUE PERSONNELS

LA VOIE HEURISTIQUE

Place de l’outil dans l’apprentissage

3. LÉMERY J. et E., « L’outil en pédagogie Freinet », Le Nouvel Éducateur, no 107, 1999.

80
Des outils au service de l’émancipation éducative

Les pédagogies coopératives se construisent autour de quelques repères à


partir desquels l’enseignant devient l’ingénieur de ses pratiques professionnelles
sans une référence systématique à des méthodes ou des façons d’enseigner pré-
définies et immuables. Ces repères peuvent être traduits par cinq piliers fédéra-
teurs, en l’occurrence ici relatifs à la pédagogie Freinet :
• l’expression libre qui permet à chaque enfant de faire de la classe un lieu en
mesure d’accorder une place à ce qu’il est, à ce qu’il développe dans ses
relations et à ce qu’il fait ;
• le tâtonnement expérimental qui correspond au plus près aux processus
convoqués par l’humain pour apprendre : faire, et ce faisant se tromper
parfois, réussir souvent et progressivement, se construire des connaissances
et développer des compétences basées sur l’interaction avec son milieu ;
• la coopération qui invite à reconnaître qu’on n’apprend jamais de manière
isolée et même que l’entraide est un vecteur privilégié pour progresser ;
• les techniques éducatives qui, à mi-chemin entre les méthodes qui canalisent
et le vivant qui sollicite, proposent des supports à la fois émancipateurs
parce qu’invitant à apprendre par soi-même et projectifs parce qu’en lien
constant avec des valeurs ;
• la participation démocratique des élèves aux décisions à prendre concernant
la vie de leur classe ou de leur école, à travers l’organisation de projets,
l’évolution des contrats de vie communs ou la résolution des problèmes qui
se posent à tous.
C’est d’ailleurs ces mêmes techniques éducatives que l’on retrouve parmi les
trois piliers de la pédagogie institutionnelle, à côté de l’inconscient et du groupe.
En pédagogie coopérative, l’outil a donc une place spécifique parce qu’il ne
peut être une fin en soi. Les outils, au-delà de cette liberté d’emploi qu’ils per-
mettent, se pensent et se bâtissent autour de principes généraux :
• complexité des savoirs : bien qu’associé à un champ de compétences identi-
fiées, l’outil propose un rapport à des savoirs complexes et ne consiste pas
à appréhender la globalité par une succession de petites unités spécifiques.
Les savoirs sont travaillés par les liens qu’ils entretiennent entre eux, de
manière systémique ;
• primauté à l’expression : il permet aux enfants de donner de la valeur à ce
qu’ils savent, à ce qu’ils peuvent apporter et créer de la réciprocité dans
l’appropriation de nouveaux savoirs. La plupart du temps, parce que l’outil
canalise les espaces de liberté mis à disposition au sein de la classe, il soutient
l’expression en garantissant la sécurité nécessaire aux engagements ;
• tâtonnement expérimental : l’outil invite les enfants à l’action, au tâtonne-
ment, à l’expérience, et considère que l’erreur et la réussite sont nécessaires

81
L’organisation matérielle de la classe

pour apprendre. Tout comme pour l’expression, essayer, se tromper et réussir


dépend de la qualité du climat de permission ;
• personnalisation : il prend en compte la singularité de chaque enfant et les
invite à travailler, à partir de ce qu’ils savent faire, ce qu’ils sont capables
de construire avec, par et pour d’autres. Au-delà de l’individualisation, la
personnalisation tient donc compte des richesses à retirer des relations coo-
pératives qu’il est possible d’engager en situations éducatives ;
• coopération : il autorise les enfants à travailler à plusieurs, pas nécessaire-
ment de manière continue, et encore moins de manière individuelle et isolée.
La coopération tend à apporter à celui qui formule la demande, mais aussi
et surtout à celui qui y répond par renforcement et remodelage, des connais-
sances construites ;
• incitation à la recherche : il ne porte pas en lui un programme prédéfini de
ce que les enfants devront acquérir. Celui-ci résultera du processus d’interac-
tion entre chaque enfant, son groupe d’appartenance et les activités qui les
fédèrent. L’important est plus de chercher que de trouver, l’essentiel est de
parvenir à se munir d’outils d’investigation en mesure d’appréhender
l’ensemble des informations qui jalonnent nos quotidiens ;
• pluralité des âges : les outils s’adressent potentiellement à tous les enfants,
quels que soient leur âge, généralement en relation à une amplitude d’âge
de trois ou quatre ans ;
• évaluation éducative : ils favorisent les évaluations éducatives, c’est-à-dire
celles qui permettent des résultats d’évaluations soit basées sur de la réus-
site, soit donnant des indications sur la nature des erreurs en vue de pouvoir
les dépasser ;
• l’enseignant et l’outil : l’outil fait du maître une personne ressource qui aide,
entretient, se met à disposition de l’activité de chacun. À ce titre, l’outil est
un tiers médiateur en mesure de permettre un retrait relatif de l’enseignant
et de sécuriser les enfants dans leur apprentissage de l’autonomie.
Pour le dire autrement, les outils issus des pédagogies coopératives ne
consistent pas à :
– progresser selon une suite de petites activités supposées constituer au final
du programme un corpus de compétences globales ;
– partir de ce que l’enfant doit acquérir ;
– éviter l’erreur et apprendre par un enchaînement d’exercices mécanisés ;
– faire tous ensemble la même activité à la même vitesse ;
– faire travailler les enfants dans leur coin avec l’interdiction de s’aider et
d’échanger ;
– déterminer dès le départ quel sera le résultat du processus engagé ;
– être réservé à un cours particulier (CP ou CE2 ou CM1) ;

82
Des outils au service de l’émancipation éducative

– avoir comme visée l’évaluation des acquisitions ;


– faire du maître un recours systématique aux savoirs.
À travers cette conception de l’outil en pédagogie, plus spécifiquement de
l’ensemble des outils introduits en classes coopératives, c’est la diversité et la
singularité de leurs utilisations qui priment, et non une adéquation douteuse entre
ce qu’en dirait un mode d’emploi et la pluralité des contextes d’enseignement.
Freinet écrivait d’ailleurs à ce propos lorsqu’on lui demandait d’expliciter « sa
méthode » :

« Nous parlons, pour notre pédagogie, de techniques Freinet, et non de méthode Freinet.
La méthode, c’est un ensemble définitivement monté par son initiateur, qu’il faut prendre
tel qu’il est, l’auteur seul ayant autorité pour en modifier les données. […] Nous n’avons
jamais eu la prétention de fixer un tel cadre, au contraire. Nous offrons aux éducateurs
en difficulté dans leurs classes, des outils et des techniques longuement expérimentés qui
sont susceptibles de leur faciliter le travail pédagogique. Nous leur disons : voilà ce que
nous faisons avec ces outils, selon ces techniques, voilà ce que nous obtenons, voilà ce qui
ne va pas encore, voici ce qui nous enchante. Peut-être ferez-vous mieux, auquel cas nous
serons heureux de bénéficier à notre tour de votre expérience 4. »

Il concluait quelques lignes plus loin en disant que « l’école moderne n’est ni
une chapelle, ni un club plus ou moins fermé, mais un chantier d’où il sortira ce
que tous ensemble nous y construirons ».

Trois outils au service de la personnalisation des apprentissages

Dans les faits, trois outils particuliers aident fortement l’organisation de la


personnalisation des apprentissages, les temps où les enfants travaillent de
manière autonome et la mise en place des plans de travail. Il s’agit des boîtes
aux lettres, du passeport et du code des sons. Chacun de ces outils trouve un
sens dans le contexte d’usage, le lien avec les autres outils de la classe et l’esprit
auquel ils correspondent.

Les boîtes aux lettres


Avec un plan de travail, beaucoup de documents circulent et sont à corriger
chaque jour : exercices, textes libres, lettres, articles, tests, brevets… Le recours
à des fichiers autocorrectifs ne suffit pas. Pour diverses raisons, il est parfois
préférable de ne pas laisser l’enfant se corriger seul et de viser les travaux réali-
sés, ne serait-ce que parce que l’accès aux réponses ne permet pas nécessaire-
ment le travail intellectuel correspondant à l’apprentissage associé. C’est la raison

4. FREINET C., « Conseil aux jeunes », BEM, 1969, p. 54-55.

83
L’organisation matérielle de la classe

d’être des boîtes aux lettres. Il s’agit de deux boîtes, l’une où les enfants déposent
leurs documents à corriger et l’autre où une responsabilité « facteur de la classe »
par exemple consiste à récupérer et distribuer les documents visés. Ainsi, pour
l’enseignant, il n’est plus nécessaire d’attendre la fin de journée pour corriger,
beaucoup de petits temps morts dans l’emploi du temps peuvent être occupés à
cette tâche. Entre le temps où un enfant quitte le bureau et celui où un autre
arrive, pendant que le président du jour énonce les maîtres-mots d’un temps de
parole, lorsque tous les enfants sont en activités et n’ont pas nécessairement
besoin de l’intervention d’un adulte, au cours des récréations où le service n’est
pas à assurer, etc., juxtaposées, ces micropériodes correspondent à un temps
conséquent qui n’a pas été perdu puisqu’employé à participer à la circulation de
l’information dans la classe. L’utilisation de ces
boîtes aux lettres n’interdit pas, et même favorise, le
travail par entretien où l’on demande à un enfant de
venir assister à la correction afin qu’un travail d’éva-
luation éducative puisse s’engager. Ces situations,
parce que permettant la rencontre entre une question
et sa réponse, représentent incontestablement des
Deux boîtes aux lettres occasions pédagogiques à saisir pour l’enseignant.

Le passeport de classe
Le deuxième outil simplifiant la mise en place du plan de travail est ce que
nous nommons le passeport (certains se servent d’un cahier ou réservent à cet
effet la partie d’un tableau). En début d’année, chaque enfant en reçoit un, il y
inscrit son nom et son prénom. Lorsque son travail ou ses préoccupations sco-
laires nécessitent l’intervention d’un membre de la classe (l’enseignant, mais aussi
le chargé des fiches, celui qui fournit des explications sur les ordinateurs,
quelqu’un en mesure d’expliquer la reconnaissance du verbe, etc.) et que celui-ci
est déjà occupé par un autre enfant ou une autre tâche, il dépose à ses côtés son
passeport et attend d’être appelé. Pendant ce temps, il peut tenter de résoudre
ses difficultés par lui-même ou s’engager dans un autre travail ; en tout cas, il ne
perd pas son temps à ne rien faire et sait qu’il pourra compter sur une aide
certaine. Les travaux de J.-Y. Rochex 5 sur l’enseignement en zone d’éducation
prioritaire ont pu montrer qu’un des facteurs de réussite scolaire était le temps
d’exposition des élèves aux apprentissages, c’est-à-dire le temps passé à dévelop-
per de l’activité intellectuelle, qui peut varier de un à six entre différentes classes.
Autant dire que plus un enfant est en situation d’activité et de travail, plus il
apprend. A contrario, hormis les temps de pause nécessaires, plus un enfant

5. ROCHEX J.-Y., « Les ZEP: vingt ans de politiques et de recherches », Revue française de péda-
gogie, juillet-septembre 2002, no 140, p. 5-88.

84
Des outils au service de l’émancipation éducative

attend ou s’ennuie, moins il construit des apprentissages. Quoi qu’il en soit,


l’usage du passeport bannit les files où les enfants sont en situation de passivité,
discutant avec ceux qui sont dans la même position parce que n’ayant réellement
pas d’autre chose à faire. Avec cet outil, il est même envisageable de permettre
deux types de demandes : celles urgentes et rapides, c’est-à-dire ne nécessitant
pas un long investissement mais débloquant des situations en impasse (l’endroit
où une fiche se trouve, la compréhension du sens d’un mot…) et celles imposant
un temps plus long d’attention (un éclaircissement didactique sur un contenu
scolaire, une aide méthodologique pour une recherche documentaire, l’explication
d’une notice d’utilisation d’un matériel de classe…). Le passeport a aussi comme
effet de conduire les enfants à essayer de se débrouiller seuls avant d’avoir à
solliciter un tiers. L’indisponibilité momentanée des personnes ressources de la
classe, les intervalles de temps entre la demande d’aide et sa concrétisation, sont
deux facteurs qui invitent indirectement à devenir autonome en essayant de trou-
ver des solutions satisfaisantes. En classe, cela se traduit par des enfants qui
viennent reprendre leur passeport parce qu’ils n’ont plus besoin d’être aidés.
Un autre outil d’organisation de l’aide est proposé par Bruce Demaugé-Bost
sous l’appellation de « tétra’aide 6 ».

Exemple de passeport de classe

Passeport de classe
Nom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom . . . . . . . . . . . .
J’ai besoin d’aide.
J’ai essayé de résoudre mon problème seul.
J’ai demandé de l’aide à un camarade de classe.
Personne ne peut m’aider.
Signature :

Le code des sons


Le troisième outil facilitant l’organisation de plages de personnalisation du
travail tend à réguler le flux sonore de la classe. Nous l’appellerons code des
sons. Il se compose de plusieurs couleurs, les enfants sachant qu’à telle couleur
correspondent des ouvertures en matière de parole et de déplacement. Par
exemple, un code vert peut signifier que l’on est en mesure de s’exprimer normale-
ment, sans crier mais sans autre restriction. Un code orange est associé aux temps

6. http://bdemauge.free.fr/tetraaide.pdf

85
L’organisation matérielle de la classe

de travaux personnels, où il faut chuchoter ou parler à voix basse afin de ne pas


déranger les enfants qui ont besoin de se concentrer ou ceux qui sont en situation
d’interactions verbales. Un code rouge peut signifier que, pour un temps, per-
sonne ne peut ni parler ni se déplacer, ce qui peut être valable pour les plages
d’évaluations, de travaux où les interrelations ne sont pas recherchées ou pour
calmer un groupe qui tend à s’activer de manière trop intense. Enfin, un code
blanc peut être utilisé lors des temps collectifs, où la parole est distribuée par un
président de séance afin que chacun puisse écouter l’autre et que le groupe
puisse se constituer en communauté de recherche. Le changement de code peut
faire l’objet d’une responsabilité dans la classe, à charge de l’enfant qui en est
titulaire d’estimer à quels moments il convient le mieux de changer de code.

CODE COULEURS

ROUGE CODE ROUGE


Je ne parle pas

ORANGE CODE ORANGE


Je chuchote

CODE VERT
VERT Je parle
normalement

CODE BLANC
BLANC Je demande la parole
au président

Code des sons

Ces outils, à l’image de la plupart de ceux présents au sein d’une classe coopé-
rative, fonctionnent bien selon les principes institutionnels : ils constituent de
véritables relais dans les relations, des tiers médiateurs symboliques en mesure
de permettre les actions sans qu’elles risquent d’être perverties par des phéno-
mènes inconscients de projections. Lorsqu’en tant qu’enseignant, j’insiste pour
qu’un enfant parle moins fort parce qu’on est en code orange, il entend que la
classe a besoin de calme pour fonctionner et pas que je nie sa parole. Lorsque je
l’incite à utiliser son passeport parce que je ne suis pas disponible, il entend qu’il
pourra compter sur mon aide plus tard et pas que je refuse de travailler avec lui.
Lorsque je lui demande de déposer son travail dans la boîte aux lettres, il entend
qu’il disposera d’un avis sur son travail et pas qu’il ne mérite pas d’attention. De

86
Des outils au service de l’émancipation éducative

plus, si le fait de devoir déposer un passeport pour obtenir une réponse suscite
de la frustration, celle-ci a peu de chance de s’exprimer en direction de l’ensei-
gnant, elle prendra plutôt pour objet l’outil passeport. C’est par l’intermédiaire
d’une autre institution, instituante celle-ci, à savoir le conseil, qu’une recherche
d’aménagement pourrait aboutir sur diverses adaptations, correspondant davan-
tage au fonctionnement du groupe.

87
Troisième partie

La coopération
du point de vue
de l’enseignement

V éritable architecture pédagogique, la classe coopérative s’appuie sur une


structure d’institutions permettant l’exercice de la coopération. Ainsi, des
espaces de liberté se constituent. Les élèves s’octroient ou obtiennent diverses
autorisations : celles de dire, de contredire, de se déplacer, de proposer, de choisir,
de décider, de réglementer, de féliciter, de parler de problèmes, de s’aider, de
planifier, d’organiser, de s’organiser dans le travail. Progressivement, par l’enga-
gement, ils apprennent l’agir citoyen, se construisent des compétences sociales
pour mieux façonner leur propre personnalité, et développent un rapport dyna-
mique aux savoirs. C’est dans ce cadre que se construisent diverses compétences
et connaissances.
Bien souvent, parce qu’existent des référentiels, ils constituent des protocoles
didactiques et deviennent des guides à l’action enseignante. À l’instar de
C. Freinet, nous pourrions avancer que partir des compétences pour penser la
classe, « c’est mettre la charrue avant les bœufs ». La compétence n’est pas un
préalable, un prérequis, mais un acquis. On peut très bien établir des référentiels
de compétences et s’y référer, et appréhender les tâches dans leur globalité. Il ne
s’agira donc pas ici de prescriptions pour l’enseignant. Seront plutôt mis en avant
la force de l’expérience dans un milieu riche, le vivant et ses interactions qui sont
sources de multitudes d’apprentissages. On n’enseigne réellement rien, on ne

89
La coopération du point de vue de l’enseignement

forme véritablement personne, en tant qu’enseignant, on ne peut que permettre


d’apprendre.
Les compétences des référentiels se veulent des balises utiles à l’analyse des
activités, des comportements et des productions. Elles ont été pensées pour se
montrer utiles dans deux types de situations : pour l’enseignant, témoigner de la
richesse d’une structure ; pour les élèves, leur permettre de repérer leurs acquisi-
tions. Chaque compétence énoncée sera indexée par un certain nombre de tâches
associées. Pour bien distinguer compétence et tâche, nous avons choisi de pré-
senter les compétences sous forme de verbes d’action, leurs tâches associées
sous forme de substantifs.
Cette liste non hiérarchisée de compétences peut émerger chez des élèves de
classes coopératives. Leur détermination s’est bâtie à partir de deux critères :
– principales manifestations au sein de classes coopératives. Ont été écartées
les compétences mixtes, c’est-à-dire potentiellement issues de classes coo-
pératives ou de classes à fonctionnement conventionnel. C’est notamment
pour cette raison que ne figurent quasiment pas de compétences discipli-
naires ;
– correspondant au comportement et aux attitudes attendues d’un élève de
CM2 terminant une scolarité dans une classe coopérative.

Exemples de liste de compétences et de tâches associées

→ Participer à des Prise de parole


échanges dialogiques Exercice de l’individuel au sein d’un collectif
Écoute d’une prise de parole
Confrontation à d’autres avis
Défense de ses points de vue
Questionnement

→ Participer à des Considération de la loi comme vecteur d’émancipation


échanges démocratiques Proposition de règles améliorant le milieu de vie
Respect des règlements en vigueur
Élaboration de sanctions comme rappels de la loi
Demande de la parole
Respect des ordres de passage
Respect de la priorité accordée aux petits parleurs
Négociations
Participation aux modalités de prise de décisions
Acceptation des décisions prises

90
La coopération du point de vue de l’enseignement

→ Prendre et assumer des Estimation du coût d’investissement d’une responsabilité


responsabilités Participation au partage des tâches coopératives
Engagement dans la réalisation de fonctions utiles au collectif
Réalisation effective des tâches associées à la responsabilité
Prises d’initiatives
Écoute des avis d’évaluation de l’exercice de ses responsabilités
Prise en compte des conseils fournis
Demande d’aide en situation de difficulté
Demande d’adaptation en cas d’échec

→ Trouver des solutions à Mise en retrait des alternatives violentes


ses propres conflits Référence autonome aux institutions de traitement des conflits
Appel à l’adulte en ultime recours
Mise en mots des souffrances vécues
Recherche de solutions sans perdants ni gagnants
Égale importance accordée aux conflits et aux accords

→ Animer Référence aux règles de fonctionnement démocratique


Démocratiquement un Distribution des responsabilités
groupe Distribution de la parole
Gestion du temps
Constitution et utilisation d’ordres du jour
Choix des modalités de prise de décisions
Organisation de prise de décisions et d’élections

→ Apprendre par le Engagement dans des projets vrais et vivants


tâtonnement expérimental Mobilisation et combinaison de ses capacités
Convocation de ses connaissances
Stratégies de prises de risques
Confrontation au réel, à l’autre
Essais, erreurs et réussites
Répétition des activités
Multiplication des expériences

→ Coopérer Mansuétude envers les enfants exprimant un besoin


Acceptation de l’attention portée aux plus petits
Apport d’une aide sans fournir les solutions
Mise à disposition de ses compétences
Accompagnement, écoute et soutien
Reconnaissances de ses domaines de maîtrise
Acceptation de ses manques et de ses besoins

91
La coopération du point de vue de l’enseignement

→ Participer à des Apport d’informations dans la classe


échanges de savoirs Curiosité pour l’acquisition de nouvelles connaissances
Intérêt porté aux explications
Capacité à transmettre des savoirs
Conviction que personne ne sait tout
Reconnaissance que chacun possède des connaissances
Acceptation que le savoir appartient à l’humanité

→ Organiser son travail Lien entre ce qui est acquis et ce qui reste à travailler
Choix des activités à réaliser
Planification des activités
Choix des outils ou des partenaires à solliciter
Bilan des activités effectuées
Finalisation de ses projets
Gestion du matériel et rangement des outils

→ Effectuer des recherches Choix des sujets de recherche


documentaires Détermination des questions à travailler
Sélection des sources documentaires
Sélection des informations à conserver
Indications des sources utilisées
Organisation d’exposés ou de conférences d’enfants

→ Communiquer avec Ouverture vers l’extérieur de la classe et de l’école


l’extérieur Écriture d’articles pour un journal scolaire
Participation à des correspondances scolaires
Utilisation de téléphone, fax, e-mail, lettre, etc.

→ Se servir des outils Utilisation d’un ordinateur


informatiques Traitement de texte et saisie informatique
Choix de logiciels appropriés
Gestion du bureau
Correspondance électronique
Recherches documentaires

92
1
Plans de travail et personnalisation
des apprentissages

« Donnez un bonbon à un enfant. Il sera satisfait, certes, mais n’en regardera pas
moins avec envie le restant de la boîte. Présentez-lui la boîte pour qu’il choisisse.
Il sera beaucoup plus satisfait, même si son choix n’est pas avantageux. »
Célestin FREINET 1

Différencier, individualiser ou personnaliser ?

Les classes sont hétérogènes de fait, quelles que soient les organisations
basées sur une quête de l’homogénéité des élèves. En même temps, les pratiques
enseignantes telles qu’elles sont majoritairement menées dans les écoles fran-
çaises s’appuient sur une conduite collective des activités. L’école a toujours fonc-
tionné selon ce modèle et, somme toute, elle peut se rassurer d’apporter à près
de la moitié des élèves les outils pour constituer une élite reconnue internationa-
lement.

« Un des meilleurs systèmes du monde… pour 50 % des élèves. […] Ces élèves atteignent
un niveau de performances très élevé, supérieur à la moyenne de tous les autres pays et
comparable avec les meilleurs élèves des pays les plus performants 2. »

Pourtant, même si elle convient à certains – généralement les enfants issus


des milieux les plus favorisés – elle constitue un instrument de sélection impi-
toyable pour les autres.

« 89 % des jeunes dont le père est cadre sont bacheliers contre 48 % des jeunes de père
ouvrier 3. »

Si l’on souhaite faire de l’école l’institution de la République permettant un


accès démocratique aux fonctions sociales à responsabilités, si l’on souhaite

1. « Les invariants pédagogiques », in Œuvres complètes, tome 2, Le Seuil, Paris, 1954, p. 394.
2. FORESTIER Ch., THÉLOT C., Que vaut l’enseignement en France?, Stock, Paris, 2007, p. 43.
3. L’État de l’école, no 17, ministère de l’Éducation nationale, Direction de l’évaluation et de la
prospective, octobre 2007, p. 33.

93
La coopération du point de vue de l’enseignement

garantir une ascension sociale pour tous, les acteurs de l’Éducation nationale se
doivent de modifier une part du système éducatif afin qu’il devienne plus juste.
La prise en compte du caractère hétérogène des groupes et la volonté de différen-
cier la pédagogie peuvent donc être considérées comme des enjeux forts d’une
éventuelle réforme de notre système éducatif. C’est d’ailleurs ce qu’expliquait
Freinet en son temps.

« 80 % des écoles françaises sont hétérogènes et la conduite de la classe reste le souci


primordial des éducateurs des écoles à classe unique ou à deux et trois classes, si nom-
breuses en France. Pour toutes ces écoles, les manuels n’ont jamais suffi. Il nous faut des
techniques de travail pratiques et efficientes. C’est à la préparation de ces techniques que
nous nous appliquons plus particulièrement 4. »

Attachons-nous à ce que les enseignants sont en mesure de convoquer au sein


de leur(s) classe(s), par l’intermédiaire de leurs pratiques pédagogiques et dans le
souci de mettre au centre de leurs préoccupations plus l’apprentissage des élèves
que les méthodes d’enseignement. La principale mesure qu’il conviendrait de
défendre, si l’on souhaite parfaire les vertus démocratiques de l’école, serait de
revoir et dynamiser les approches de différenciations pédagogiques. Jusqu’à pré-
sent, tout le monde s’accorde sur un constat d’échec : la loi d’orientation de 1989
sur la politique des cycles et les programmes qui ont suivi n’ont jamais été traduits
par des dispositifs connexes sur le terrain. De même, les propositions pédagogiques
en matière de différenciation ont souvent conduit à une multiplicité des entrées
proposées aux élèves avec l’immense travers de l’inflation du travail des enseignants
et l’extrême complexification de la conduite des groupes. La prise en compte des
singularités par des dispositifs de différenciation intervient peu ou s’avère inoppor-
tune parce que trop compliquée à transférer. Penser la classe comme une collection
de groupes de niveaux à qui il conviendrait d’apporter des approches graduées, tout
comme partir de profils d’apprentissages identifiés extérieurement pour proposer
différents canaux d’activités, s’avèrent deux impasses didactiques si l’on souhaite
faire pratiquer la différenciation par la plupart des enseignants.
Pour clarifier notre propos, il semble opportun de rechercher de l’univocité
dans l’usage de trois actions employées dès lors que l’on fait référence à de la
différenciation en pédagogie : différencier, individualiser et personnaliser. Nous
tentons la création d’une carte conceptuelle afin de cerner les frontières de ces
trois domaines. Qu’est-ce qui distingue l’individualisation de la personnalisation ?
En quoi ces dispositifs font-ils référence ou non à de la différenciation ? Sont-ils
les simples manifestations de différenciation en pédagogie ?

4. FREINET C., Plans de travail, BENP, no 40, octobre 1948, p. 3.

94
Plans de travail et personnalisation des apprentissages

• Différencier : mettre en œuvre un ensemble diversifié de moyens, de procé-


dures d’enseignement et de parcours d’apprentissage pour que des élèves
différents puissent atteindre, par des voies variées, des objectifs et des
savoirs communs. La différenciation apparaît donc comme une stratégie
pédagogique appartenant à l’enseignant et s’adressant à l’ensemble des
élèves d’une même classe (voire d’un même établissement). Elle a pour visée
une optimisation du rapport « activité de l’élève-apprentissages dévelop-
pés » par l’intermédiaire d’outils et de dispositifs constituant une structure
de classe devenue riche pour chacun, pour contribuer à l’élévation du niveau
scolaire des élèves et participer à la lutte contre les inégalités à l’école.
• Individualiser : permettre à l’élève d’apprendre seul, à son propre rythme et
éventuellement selon un parcours diversifié, des contenus d’enseignement.
Adapter sa pratique aux caractéristiques des individus auxquels on
s’adresse. L’une des formes de la différenciation est l’individualisation, mais
elle ne s’y résume pas. La différenciation fait appel à d’autres procédures
qui s’appuient sur le principe que l’on n’apprend pas tout seul. Il s’agit égale-
ment d’interagir avec son environnement, en particulier de développer des
interrelations avec ses pairs. Lorsque l’on aboutit à des formes de différencia-
tion qui développent de concert des dispositifs d’individualisation et de
coopération, on peut alors parler de personnalisation.
• Personnaliser : permettre aux élèves d’apprendre des contenus d’enseigne-
ment de manière autonome, dans un contexte coopératif et à partir d’une
structure de classe fournissant divers ressources et supports. La personnali-
sation opte pour une considération de la globalité de la personne apprenante
(affect, culture, connaissances, aptitudes…). Elle correspond, dans un emploi
du temps, à un équilibre entre temps collectifs et temps de travail personnel
(Connac, 2012). Elle consiste notamment à mettre à disposition des élèves
des outils inhérents à de l’individualisation, tout en leur permettant des choix
quant aux supports à sélectionner, aux personnes à solliciter, aux voix à
emprunter pour apprendre. Tout comme l’individualisation, la personnalisa-
tion en pédagogie vise la maîtrise d’un même socle de compétences, mais
elle développe en même temps des aptitudes à la coopération et à l’autono-
mie. L’autonomie est ici définie comme la capacité qu’a une personne de se
diriger elle-même dans le monde (Foray, 2016).

95
La coopération du point de vue de l’enseignement

Carte conceptuelle

Différenciation

Individualisation Personnalisation

Travail
Travail Travail en
individuel en interactions/
autonomie interrelations

Les formes de différenciations qui se manifestent par les plans de travail appar-
tiennent plutôt au champ de la personnalisation, si les temps de plan de travail
s’inscrivent dans une organisation coopérative (aide, entraide, tutorat).

Aux origines du plan de travail

Historiquement, le plan de travail est issu du plan Dalton, la première méthode


de pédagogie différenciée créée vers 1910 aux États-Unis par Helen Parkhurst 5.
En France, c’est une innovation provenant de l’œuvre de Célestin Freinet. D’après
les écrits de M. Barré, elle est apparue en février 1937, comme en témoigne ce
passage :

« Nous cherchions un système de travail qui nous permettrait de nous occuper librement,
comme nous voulons, et avec le plus de profit possible pour la communauté et pour les
élèves. Nous croyons l’avoir trouvé. Papa a tapé à la machine des plans de travail où
sont inscrits : grammaire, calcul, algèbre, géométrie, histoire, géographie, physique et
chimie, histoire naturelle, avec une place pour les conférences et le travail manuel. Pour
chaque matière, il y a trois cases et des petits carreaux pour les fiches. Chaque lundi, nous
établissons librement notre plan de travail pour la semaine, en inscrivant dans chaque
case ce que nous voulons étudier et les fiches que nous désirons faire. Mais une difficulté
se présentait : comment savoir exactement, au bout d’un certain temps, ce qui a été fait
et ce qui reste à faire. Nous avons alors fait un tableau pour chaque matière : en
géographie, les régions de la France, les pays étrangers, les questions générales, etc. – en

5. Lire à ce sujet GILLIG J.-M., Les pédagogies différenciées, De Boeck Université, Bruxelles, 1999,
p. 16.

96
Plans de travail et personnalisation des apprentissages

histoire naturelle : les différents groupes d’animaux, de plantes et les parties du corps de
l’homme et ainsi pour chaque matière. Chaque semaine nous choisissons sur ces plans
généraux les sujets qui nous intéressent et que nous inscrivons sur notre plan de travail
de la semaine. Lorsque la question est étudiée, nous la barrons en rouge sur le tableau
pour qu’on ne traite pas deux fois le même sujet 6. »

Le plan de travail utilisé à l’école de Vence par Freinet avait la forme reproduite
ci-contre. Les élèves y notaient dans la partie supérieure les activités à réaliser au
cours de la semaine, puis le vendredi grisaient ce qui avait été effectué. Cela
permettait de dresser un double bilan : à partir de ce qui restait à terminer (et
qui faisait généralement l’objet d’un report sur le plan de travail suivant) et en
fonction de la forme que prenait le graphique présent en bas du plan de travail.
Ce bilan était conjointement fait par l’élève et le maître. Le plan de travail était
enfin envoyé dans les familles de manière que les parents puissent le signer.
Le plan de travail peut donc être entendu comme un document spécifique à
chaque élève, sur lequel il planifie ses activités à partir de ce qu’il souhaite et
peut réaliser, et de ce qu’il a à acquérir et maîtriser au terme de son cycle. Il note
la réalisation des travaux, il évalue l’ensemble en fin de période de validité du
plan afin d’élaborer le plan de travail à venir. L’enseignant valide la projection, suit,
accompagne et oriente la réalisation, participe à l’évaluation globale du travail.

« Si l’enseignant est sans cesse sollicité sur des problèmes très différents, il se sentira très
vite dépassé et aura la tentation de revenir au cours magistral, plus facile à gérer 7. »

À partir de cette définition, les conditions à remplir pour le plan de travail


peuvent être présentées de la sorte :
• savoir ce que nous avons à faire dans la journée, dans la semaine, dans le
mois et dans l’année. Le plan de travail vise à faire l’inventaire des activités
désirées par les enfants, exigées par la vie ou les programmes officiels ;
• donner aux enfants la possibilité technique de réaliser le travail prévu. Ce
qui suppose la recherche, la mise au point et la production des outils de
travail : logiciels, matériel d’expérimentation, sources documentaires, fichiers
scolaires, livres, compendium, photos, vidéos, etc. ;
• parfaire l’organisation scolaire qui permet le travail ainsi compris, avec plans
de travail, enquêtes, comptes rendus, conférences, etc. ;
• contrôler l’exécution du travail : évaluations, graphiques, tests, chefs-
d’œuvre et brevets.

6. BARRÉ M., Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps, tome 2, Édition PEMF, 1995, p. 4.
7. BARRÉ M., L’aventure documentaire, Éditions ICEM, Nantes, 2002, p. 20.

97
La coopération du point de vue de l’enseignement

Un plan de travail utilisé par Freinet

Avec le plan de travail, apparaît donc clairement la fonction d’instruction par


l’enseignant, ce qui s’oppose au principe de certaines pédagogies où l’enfant
travaille s’il le souhaite, échange au gré de ses envies, occupe ses journées par
le jeu et réalise principalement ce qui lui fait plaisir. Il s’agit surtout d’adapter au
mieux le profil d’apprentissage de l’élève, son caractère humain et singulier, à
l’ensemble des données de l’école s’appliquant à tous dans un souci d’égalité,
qu’elles dépendent du groupe-classe ou des apprentissages à y construire. Pour
cela, le plan de travail vise à sublimer ce que l’on nomme le désir d’apprendre
dont le principal ferment réside dans la motivation au travail. « Chacun aime choi-
sir son travail. » Dans ce septième invariant de Freinet réside l’essence même de
cette motivation à développer : le choix dans les apprentissages. La plupart du
temps, pour un élève, cela ne consiste pas à éliminer mais à reporter ; il ne s’agit
pas non plus de rechercher les moindres efforts personnels, plutôt de déterminer
ce qui fait sens ici et maintenant. Une nouvelle fois, le plan de travail est amené
à intervenir comme un outil, cette fois-ci au service de l’exercice de la liberté de
choix. L’enseignant propose donc aux enfants plusieurs activités dont les appren-
tissages sont relatifs aux programmes de l’école et par l’intermédiaire du plan de
travail, l’enfant détermine ses propres parcours d’apprentissages.

98
Plans de travail et personnalisation des apprentissages

Il reste toutefois un problème à résoudre : celui de la complexité des travaux


à mener et des prérequis nécessaires à leur réalisation. Ce n’est pas parce que
des enfants ont choisi les compétences à travailler qu’ils vont être immédiatement
en mesure de les assimiler. Clairement apparaissent des étapes à franchir, quels
que soient les domaines étudiés. Cette problématique renvoie aux travaux de
Vygotski sur la zone proximale de développement (ZPD). Il la définit comme « la
distance entre le niveau de développement actuel tel qu’on peut le déterminer à
travers la façon dont l’enfant résout des problèmes seul et le niveau de développe-
ment potentiel tel qu’on peut le déterminer à travers la façon dont l’enfant résout
des problèmes lorsqu’il est assisté par l’adulte ou collabore avec d’autres enfants
plus avancés 8 ». Autrement dit, le développement actuel marque ce qu’un indi-
vidu maîtrise déjà seul, le type et le niveau de fonctionnement cognitif qu’il est
capable de mettre en œuvre de façon autonome pour résoudre un problème. La
zone proximale marque ce qui peut constituer la prochaine étape de son dévelop-
pement actuel pour peu qu’une interaction soit initiée. Ainsi, lorsqu’on met en
place un plan de travail avec des enfants, il ne suffit pas de leur donner la possibi-
lité de choix. Encore faut-il s’être assuré que les supports aux apprentissages
correspondent bien aux ZPD des élèves, que les activités ne soient ni trop simples
ni trop complexes, qu’elles se situent juste au-dessus de ce que chacun est en
mesure de réaliser. Le problème est décuplé lorsqu’on reconnaît la foule des
niveaux dans une classe et l’étendue des combinaisons de parcours possibles.
Sont utiles pour répondre à ces questionnements des outils pédagogiques comme
les brevets initiés par C. Freinet ou les ceintures pensées par F. Oury. Il s’agit de
grilles de compétences guidant les élèves dans leur choix de travail et assurant
les enseignants que les parcours suivront une progression efficiente.
Les objectifs pédagogiques du plan de travail peuvent donc être de personnali-
ser les apprentissages, de gérer l’hétérogénéité d’un groupe-classe, de susciter la
coopération et l’entraide entre enfants, de leur permettre d’effectuer des choix
et de proposer des travaux adaptés à chacun, qui ne soient ni trop simples ni
inaccessibles.

La mise en place des plans de travail

Dans la pratique, plusieurs types d’approches sont envisageables pour la mise


en place d’un plan de travail. Nous en proposons d’abord trois à l’étude, successi-
vement complexifiés mais purement théoriques. N’ayant jamais fait l’objet d’une
réelle introduction dans les classes, ils servent ici à présenter le genre de l’outil
dont il est question.

8. VYGOTSKI L., Pensée et langage, Éditions Sociales/Messidor, Paris, 1985, p. 146.

99
La coopération du point de vue de l’enseignement

Les plans de travail individuels


Remplis toutes les semaines, ces plans de travail permettent aux élèves de
choisir d’entrer dans des activités souhaitées et correspondant à leurs aptitudes,
de ne pas attendre sans rien faire que les copains aient terminé leur travail, de
planifier le travail à réaliser. En fin de semaine, un bilan est effectué avec l’ensei-
gnant ; il détermine en partie le plan de travail suivant.
Dans sa forme initiale et rudimentaire, cet outil regroupe le minimum de ce
que l’école attend de l’élève et les prémices de ses projets personnels. Il se veut
l’outil à partir duquel la personnalisation des activités et l’exercice d’une part des
libertés vont devenir possibles. Il regroupe l’ensemble des activités qui pourront
être effectuées individuellement ou avec le concours d’un camarade. Il peut au
début ne regrouper que l’ensemble des possibles dans la classe et réserver une
partie pour le bilan.

Plan de travail 1

Après avoir noté les dates de validité ainsi que son nom et son prénom, l’élève
remplit ce plan de travail (1) en notant la liste des activités qu’il souhaite réaliser
ou qu’il effectue au fil de la semaine. Pour chacune d’elles, il valide la fin du
travail et demande la même vérification par l’enseignant. En fin de semaine, il fait
le total de ce qu’il s’est validé et celui coché par l’enseignant. Cela fournit
quelques indications pour renseigner la partie bilan.
La principale évolution du plan de travail 2 (voir page suivante) concerne la
liste des activités. Même si elle laisse place aux projets personnels des élèves, elle
regroupe en même temps ce que demande l’enseignant à travers les exigences
de l’école. À noter que cette liste est indicative et qu’elle gagne à être modifiée
pour chaque nouveau plan de travail.

100
Plans de travail et personnalisation des apprentissages

Plan de travail 2

Le plan de travail 3 (voir page suivante) propose comme évolution de recon-


naître des degrés de maîtrise des espaces d’autonomie dans la classe, de dresser
des permis d’utilisation de ces plans. Ainsi, dans le cas où un élève n’a pas
effectué le minimum indiqué par l’enseignant lors de la précédente période de
validité, son permis d’autonomie est réduit. En revanche, s’il a effectué plus que
prévu, son permis d’autonomie est élargi. Les enfants en degré 1 travaillent essen-
tiellement avec leur enseignant qui les oriente vers les activités et le matériel.
Ceux qui sont en degré 2 bénéficient du soutien d’un tuteur. Les élèves en degré 3
se sont montrés en mesure d’effectuer leur plan de travail comme ils l’entendent.
En début de semaine, chaque enfant reçoit une pochette dans laquelle se
trouvent l’ensemble des documents qui lui seront nécessaires pour effectuer son
plan de travail. Au début, tous les élèves peuvent être en « niveau 2 » du permis
d’autonomie pour ensuite déterminer leur statut dans la classe.

101
La coopération du point de vue de l’enseignement

Plan de travail 3

Le plan de travail est donc cet outil où chaque enfant prévoit ce qu’il a l’inten-
tion de faire. Plus tard, on compare ce qui a été réalisé ou même dépassé et ce
qui ne l’a pas été, parfois par évitement de travaux estimés fastidieux (grammaire,
calcul). Cela demande évidemment à cet enfant une certaine maturité pour antici-
per et gérer l’utilisation de son temps, mais cela lui apprend aussi à faire des
projets, personnels ou collectifs, et à les réaliser. Tout cela gagne à se faire sans
rigidité, sinon cela ressemblerait à la fiche de travail distribuée aux ouvriers à
l’entrée de leur atelier pour définir leur journée ou leur semaine de labeur.

102
Plans de travail et personnalisation des apprentissages

Avec des enfants plus jeunes ou trop marqués par un échec scolaire prolongé,
on ne peut évidemment pas prétendre à un plan de travail préalable qui découra-
gerait par avance. En revanche, il est très important d’aider chacun à se rendre
compte des activités qu’il a réalisées, pour valoriser des faits positifs et faire
prendre conscience des progrès qui resteraient à faire dans certains domaines.
Tout cela sans souci obsessionnel d’évaluation, simplement pour mesurer les pas
déjà accomplis et donner envie d’en franchir de nouveaux, même quand ils étaient
perçus auparavant comme inaccessibles. Sans donner au mot bilan un caractère
comptable, il est nécessaire pour chacun de se rendre compte de ce qu’il a réelle-
ment fait ou découvert au cours de la journée. Ce n’est qu’après avoir noté a
posteriori ses découvertes et ses réalisations qu’on devient un jour capable de
prévoir ce que l’on souhaite faire ensuite.
Pour entrer dans la complexité des pratiques, voici deux nouveaux plans de tra-
vail, utilisés dans une classe unique de l’école coopérative Antoine Balard de Mont-
pellier. Le premier s’adresse principalement aux enfants non lecteurs, d’où l’usage
de pictogrammes. Le second est à destination des élèves plus grands, articulant leur
travail autour des outils de la démarche PIDAPI. Pour mieux vivre ces présentations,
nous demanderons l’aide de deux enfants, Amel en CP et Adil en CM1.

Plan de travail pour enfants non lecteurs

103
La coopération du point de vue de l’enseignement

Pour la semaine du 11 au 16 octobre, Amel a choisi avec son maître plusieurs


activités. En lecture et en écriture, elle a prévu une histoire, deux feuilles d’écri-
ture, une valise des mots, un coloriage magique en lecture, deux séances sur
logiciel de français, une feuille d’entraînement et le texte de référence de la
semaine. En mathématiques, elle pense faire deux coloriages magiques en mathé-
matiques, un logiciel de calcul, un furet et trois labyrinthes. Elle doit aussi réaliser
son dessin sur la sortie au musée et effectuer tous les rituels du matin. Le samedi,
elle fait son bilan. Elle a travaillé un peu plus que prévu en mathématiques. Il lui
reste à terminer la valise des mots, un logiciel de lecture, celui de calcul, deux
labyrinthes et les opérations. C’est sans doute ce qu’elle choisira en premier pour
son futur plan de travail. Elle se montre satisfaite en français et dans son compor-
tement, un peu moins en mathématiques et pour le travail à la maison. Son ensei-
gnant est d’accord avec elle et ses parents aussi.
En CM1, Adil a des compétences précises à maîtriser et des connaissances à
travailler. Cette semaine, une fois ses rituels terminés, il a prévu plusieurs activi-
tés. Lundi, il doit travailler ses échelles de mots, répondre à son correspondant,
faire une fiche de numération, participer au toilettage de texte et se rendre à
l’atelier d’école en histoire. Les autres jours, il ira en chant, en anglais et en
sciences. Mardi et jeudi, il aura à terminer deux fiches de lecture et à écrire son
article sur la reine Didon que nous avons découverte au musée Fabre. Il lui restera
des mathématiques, du français et son projet de sculpture en argile. Ce plan de
travail a été validé par son enseignant.
En fin de semaine, même s’il est plutôt satisfait de ses journées, son bilan
n’est pas très bon parce qu’il n’a pas pu tout terminer, notamment son article et
ses problèmes de mathématiques. En plus, il a plusieurs fois dérangé la classe.
La semaine prochaine, il sera certainement en degré 1 d’autonomie, pour que le
maître puisse lui apporter une aide précise.

104
Plans de travail et personnalisation des apprentissages

Plan de travail avec démarche PIPADI

Deux outils supplémentaires aident fortement la mise en place des plans de


travail. Il s’agit des boîtes aux lettres et du passeport. Il en a été question dans
le chapitre sur les outils (p. 85-87), nous n’y reviendrons donc pas.
Comme l’ensemble des outils pédagogiques, le plan de travail ne peut pas
faire l’objet d’un usage irréfléchi et mécanisé dans les classes. C’est pour cette
raison que nous invitons chaque enseignant à devenir l’auteur de ses propres
documents, même si une part a su s’inspirer de travaux précédemment étudiés
et réfléchis. Au final, il est évident que les plans de travail employés dans les
classes reflètent les conceptions pédagogiques des maîtres, qu’ils deviennent une
sorte de prolongement matériel d’un ensemble constitué de leurs représentations
de l’acte d’apprendre, de leur projet professionnel, des caractéristiques du
contexte d’enseignement et de leurs pratiques enseignantes. Au sein de deux
classes différentes, conduites par deux maîtres différents, deux plans de travail
ne peuvent être les mêmes. Pour preuve, ces deux documents : le premier plan
de travail est celui construit par Bernard Collot 9, enseignant dans une classe
unique en milieu rural. Le second est celui utilisé par David Noally au sein d’une
classe de CM1.

9. COLLOT B., Une école du 3e type ou la pédagogie de la mouche, L’Harmattan, Paris, 2002.

105
La coopération du point de vue de l’enseignement

Deux plans de travail


PLAN DE TRAVAIL
PLAN DE TRAVAIL N° 17
Je prévoie : O J’ai fait (même si je n’ai pas prévu) : X

L M J V S
CM 1 Semaine
du 26 février au 2 mars 2007
Atelier lire
– un livre
Métier de la semaine :. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
– un documentaire, une BTJ
– une fiche (ou plusieurs)
– le texte d’un camarade
MATIÈRES EXERCICES
– lire ou dire une poésie
Atelier écrire exercice 2 page 69
– un texte exercice A page 71
– recopier un texte à l’ordinateur MATHÉMATIQUES
exercice B page 73
– une dictée exercice C page 73
– un exposé Texte n° 14
– recopier une poésie
au passé composé
– cahier d’orthographe
TRANSPOSER avec Vincent
– une fiche d’orthographe
(ou plusieurs) FRANÇAIS
TRAVAIL recherche ce que
– une fiche conjugaison SUR désignent les
(ou plusieurs) LE TEXTE mots soulignés
Atelier maths
EXERCICES fiche
– un problème
– une fiche (ou plusieurs) colorie sur la fiche tout
TEXTE 14
ce qui change
– aider un camarade
– cahier d’opérations
– un test BILAN DU PLAN
– cahier-tables : addit., soustr., en progrès + Ce que Ce que
mult., div., fract. en baisse – j’en le maître
Un brevet stationnaire X pense en pense
Atelier sciences
Soin du travail
Atelier géométrie, mesure (présentation, écriture,
Atelier arts plastiques rangement…)
Atelier son et musique Qualité du travail
Atelier BT sonores (relu, peu d’erreur,
Coin écoute corrigé correctement…)
Métier Autonomie
(je travaille seul,
Observations : je suis responsable…)
Difficultés
Signature des parents (notions à retravailler,
comportement)

Alors que le plan de travail de gauche propose une liste d’activités et invite à
développer de l’expérience sans souci précis de réalisations, celui de droite se
veut plus didactique avec un degré de guidance de l’enseignant plus important et
une référence explicite à des manuels scolaires. Il serait bien inopportun de dres-
ser un ordre entre ces deux outils tant il est flagrant qu’ils sont tous deux, à égale
mesure, des supports à l’activité scolaire dans un environnement précis et selon
des orientations pédagogiques cohérentes avec les représentations de l’ensei-
gnant. Leurs différences sont des richesses.

106
Plans de travail et personnalisation des apprentissages

Le plan de travail mural


La pratique du plan de travail facilite donc la personnalisation des apprentis-
sages. Elle permet à chaque élève de disposer d’un support d’activités qui corres-
pondent à ses projets, à ce que l’école attend de lui en termes d’acquisitions à
construire et à ce qu’il est en mesure d’apprendre, sans que cela ne soit ni trop
facile, ni pas encore accessible. Jusqu’à présent, le plan de travail a été présenté
sous forme individuelle, remis à chaque enfant et adapté sans lien direct avec
l’ensemble du groupe. Il se trouve que d’autres pratiques permettent, en lieu et
place ou en complément de ce qui a été présenté, de coordonner ce qui concerne
le groupe dans son entier avec les tâches que chacun des enfants choisit d’investir
pour participer à la globalité du projet. L’une d’entre elles, le plan de travail mural,
mérite ici un petit détour.
Ce plan de travail mural réserve un espace à chaque enfant. Il vise à permettre
aux événements qui entrent dans la classe d’être accueillis et transformés en
activités : articles, recherches documentaires, correspondance, créations mathé-
matiques, productions artistiques, organisation de sorties, etc. De plus, lors des
conseils de coopérative, émergent des propositions, des besoins, des envies. Tout
cela est inscrit sur le plan de travail mural. Les activités notées concernent aussi
bien les mathématiques, la lecture, l’écriture, les langues vivantes mais aussi le
bricolage, la peinture, la mécanique… Tout ce que les enfants s’engagent à faire
fait l’objet d’une inscription, que cela apparaisse lors des conseils, lors des
moments de parole tels que le « Quoi de neuf ? », ou même au cours de tout
moment de classe propice à l’émergence de projets.

Plan de travail mural

Adrien Article foire exposition : le stand sur l’Italie


Éva Les clés de l’actualitén° 807 Concours de tours en papier (règles)
Jawad Livret « Célestin »
Jules Exposé sur les chiens
Kader Mots mêlés foire exposition
Latifa Plan de la foire exposition Lettre visite médiathèque
Léo
Moktar Article foire exposition : introduction
Nina Concours de timbres (13/03/09)

Ce plan de travail sert donc de mémoire plus que d’outil de cadrage. Il consti-
tue une sorte de sas entre le caractère vivant et dynamique de la classe, et les
plans de travail individuels. Ce qui y est noté correspond essentiellement à ce que

107
La coopération du point de vue de l’enseignement

les enfants proposent de réaliser, les tâches proprement scolaires faisant l’objet
d’un certain nombre d’injonctions dans les plans de travail individuels. Une fois
terminés, les projets sont effacés.
Visible et accessible par tous, ce plan de travail permet à chacun de savoir ce
qu’il a à faire mais aussi assure une conservation nécessaire des informations,
des projets à conduire à court ou moyen terme. Il arrive en effet fréquemment
que, dans le feu de l’action, des enfants souhaitent ardemment réaliser un projet
qui, avec le temps, s’estompe pour au final s’oublier. Les éléments notés sur le
plan de travail mural ne peuvent être abandonnés et constituent les activités prio-
ritaires à terminer. Chacun sait aussi ce que les autres ont à faire et il n’est pas
rare qu’un enfant participe au projet d’un autre enfant ou lui vienne en aide pour
terminer son projet, ce qui est rarement possible avec le seul plan de travail
individuel. Son suivi consiste en un rappel quotidien, ce qui permet une bonne
visualisation de ce que chacun a prévu de faire, fait effectivement, a fait ou a à
faire. En fin de semaine, les activités du plan de travail mural qui n’ont pas encore
été terminées entrent dans les plans de travail individuels, dans la partie des
projets personnels.
Nous l’avons vu, le plan de travail se veut un outil au service de valeurs éduca-
tives et traduit un projet pédagogique fort. Il est en même temps un support sur
lequel l’enseignant peut s’appuyer pour faire du caractère hétérogène de son
groupe d’élèves un facteur enrichissant la classe et améliorant les apprentissages.
Comme pour la plupart des outils, il s’agit de dispositifs qui nécessitent un temps
d’adaptation pour les enfants, quitte à y consacrer une partie du début d’année,
mais aussi pour l’enseignant à qui il faudra sûrement plusieurs expériences pour
aboutir à un mode de fonctionnement qui lui convient. Il est même fort à parier,
et à espérer, que la stabilité pédagogique ne sera jamais établie…

108
2
Au-delà de la sélection :
l’évaluation en classe coopérative

« Les notes et classements sont toujours une erreur. C’est là, manifestement, la
plus fausse des mathématiques, la plus inhumaine des statistiques. Nous y pal-
lions en donnant aux enfants le goût et le besoin de travail ; en créant une saine
émulation par la compétition coopérative et sociale ; en mettant au point un
système de graphiques et de brevets qui remplaceront un jour prochain l’usage
abusif des notes et des classements. »
Célestin FREINET 1

L’évaluation par les ceintures

« J’ai eu toujours des bonnes notes mais depuis le début de l’année, elles
baissent. Je fais de mon mieux, mais j’ai au maximum 12 sur 20. Qu’est-ce que je
dois faire pour faire comprendre à mes parents que je fais ce que je peux et qu’ils
arrêtent de me gronder ? » (Benoît, 12 ans) « Quand les notes tombent, explique
Odile Amblard, rédactrice en chef adjointe d’Okapi, c’est comme si leur personne se
rétrécissait et n’était plus vue qu’à travers ces chiffres rouges ou noirs écrits sur une
copie. Et qui prennent souvent des proportions dramatiques 2. » « As-tu eu des notes
aujourd’hui ? » Cette petite phrase rituelle du parent, qui a un impact important sur
ses relations avec ses enfants, son conjoint, a ce pouvoir insensé d’assombrir ou
d’ensoleiller les soirées familiales. Moins les parents ont de temps à consacrer aux
relations avec leurs enfants, plus se renforce l’importance donnée aux signes visibles
que sont ces résultats chiffrés. Du coup, les notes risquent de donner l’illusion de
bien suivre les « affaires » de l’enfant, alors qu’on n’en suivrait que les apparences.
Les enseignants sont en permanence confrontés à la problématique de l’évalua-
tion. Pour ceux qui s’appuient sur les pédagogies coopératives, l’approche est parti-
culière. L’évaluation est entendue comme le produit d’une action ponctuelle visant
à mesurer les évolutions de performances des élèves à différents moments de leur

1. « Les invariants pédagogiques », in Œuvres complètes, tome 2, Le Seuil, Paris, 1954, p. 383,
invariant 19.
2. LEGRAND C., « Il n’y a pas que les notes qui comptent », La Croix, 2 juin 2004.

109
La coopération du point de vue de l’enseignement

vie scolaire à partir des critères fixés par les programmes de la nation. Elle a du
sens pour différents acteurs : pour les enfants, afin qu’ils puissent estimer la nature
de leur progression et éventuellement prendre conscience des domaines sur les-
quels une attention particulière devra être fournie pour grandir. Pour les familles,
afin qu’elles puissent tisser un suivi avec leur enfant entre ce qui se passe à la
maison et ce qui se construit à l’école, entre ce qui se joue dans l’immédiat et ce
qui fait l’objet d’une projection pour l’avenir. Pour l’enseignant, de manière qu’il
puisse ajuster la structure de la classe aux caractéristiques des élèves, voire qu’il
puisse proposer des supports d’apprentissages plus féconds que ceux précédem-
ment employés.
Une des premières caractéristiques d’un dispositif d’évaluation de la classe coo-
pérative est la caducité des notes. Même si elles peuvent garder tout leur intérêt
dans d’autres contextes éducatifs, elles visent à créer un climat relationnel plus
enclin à de la compétition qu’à de la coopération. De plus elles ne produisent qu’une
vision très globale des domaines de maîtrise de l’élève, nécessitent un temps consé-
quent dans l’activité de l’enseignant et ne permettent que très difficilement d’envisa-
ger directement des stratégies de dépassement des obstacles rencontrés. Le
système docimologique soulève des interrogations quant à la rationalité et l’objecti-
vité de son emploi. Plusieurs phénomènes perturbateurs ont été identifiés 3 :
– l’effet de stéréotypie : il consiste à évaluer dans le même sens différentes
caractéristiques d’une production ou d’un individu. Par exemple, un élève
bon en français est considéré de même dans toutes les autres disciplines ;
– l’effet de halo : le correcteur se laisse impressionner par un aspect précis
du support d’évaluation, par exemple une belle écriture, le caractère
agréable de l’élève… ;
– l’effet d’ordre de correction : il correspond à une fluctuation de la notation
en fonction des copies passées – la lassitude liée aux corrections succes-
sives a un impact sur la note finale ;
– l’effet de tendance centrale : spontanément, sans barème précis, l’évalua-
teur a une tendance générale centrale qui lui fait attribuer les notes autour
d’un intervalle établi ;
– l’effet de contamination : il consiste à être influencé par les résultats anté-
rieurs de l’élève. Cet effet est une sorte de corollaire de l’effet Pygmalion.
André Antibi 4 démontre comment les enseignants s’obligent, de manière
inconsciente, même s’ils n’ont que d’excellents élèves, à mettre une certaine pro-
portion de mauvaises notes pour être dans les normes. C’est cette proportion qu’il
nomme la constante macabre. Il propose de remplacer les notes par un système
d’évaluation par contrat.

3. BARBIER J.-M., L’évaluation en formation, PUF, Paris, 1985.


4. ANTIBI A., La constante macabre, éditions Math’Adore, Toulouse, 2003.

110
Au-delà de la sélection : l’évaluation en classe coopérative

La recherche de systèmes d’évaluations autres que la note apparaît donc


comme opportune, d’autant plus qu’elle serait en mesure de fournir des supports
de liaison entre évaluation et apprentissages. Dans ce domaine, les pédagogies
nouvelles ont beaucoup produit. L’un de ces éléments de culture correspond à
l’une des techniques développées par Fernand Oury, les ceintures 5. Praticien du
judo, il avait observé la capacité des judokas à coopérer malgré les écarts de
niveaux existant dans le groupe. Il envisagea alors le transfert aux préoccupations
pédagogiques de ce qui fonctionnait dans cette pratique sportive. Une ceinture
est donc la représentation symbolique d’un niveau de maîtrise correspondant à
un ensemble de compétences identifiées. Elles se déclinent en plusieurs couleurs :
rose – blanc – jaune – orange – vert – bleu – marron – noir. Lorsqu’un enfant est
ceinture verte dans un domaine précis, il s’entraîne aux items de la ceinture bleue
et demande à en passer les épreuves une fois cet entraînement achevé.

Ceintures d’écrivain

– Dicter à un adulte une phrase qui veut dire quelque chose


Blanche – Raconter une histoire à partir d’un dessin
– Faire un dessin qui parle d’une histoire ou d’un film

– Dicter à un adulte une histoire avec un début et une fin


– Écrire seul une phrase qui veut dire quelque chose
Jaune – Donner des idées dans un texte fait par la classe
– Écrire une phrase qui parle d’une image (dessin ou photo)
– Trouver un titre d’un texte ou d’une image

– Écrire un texte de 5 lignes qui veut dire quelque chose


– Utiliser plusieurs phrases pour écrire un texte
Orange
– Améliorer un texte écrit avec l’aide d’un adulte
– Enlever certaines répétitions
– Utiliser le passé, le présent et le futur quand il le faut

Dans une grille de ceintures, surtout pour celles qui correspondent à des
tâches complexes (lecture, résolution de problèmes, oral…), les items proposés
ne désignent pas des compétences mais plutôt ce que l’on pourrait appeler des
« indicateurs ». Lorsqu’un enfant obtient une ceinture, son niveau de maîtrise

5. Au sujet des ceintures :


LAFFITTE R., Mémento de la pédagogie Institutionnelle, Matrice, Paris, 1999, p. 203.
VASQUEZ A., OURY F., Vers une pédagogie institutionnelle?, Matrice, Vigneux, 1967, p. 76.
VASQUEZ A., OURY F., De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle, Maspéro, Vigneux,
1971, p. 379.

111
La coopération du point de vue de l’enseignement

dépasse largement la seule compilation des actions données. Leur manifestation


montre toutefois qu’un seuil est franchi et que la zone de développement est plus
large que précédemment. Les items indiqués correspondent en quelque sorte à
des passages obligés qui témoignent d’une évolution des dispositions intellec-
tuelles. Il peut arriver, il est même souhaitable dans une logique de la complexité,
que les élèves se construisent des compétences décalées par rapport aux indica-
teurs fournis. En quelque sorte, le fait que les enfants apprennent autre chose,
de manière parfois plus intense que voulu, est signe que le processus d’apprentis-
sage est en route. Au final, les compétences relatives aux indicateurs fournis sont
acquises. L’essentiel est qu’au terme des situations d’entraînement, la perfor-
mance manifestée soit au moins égale aux exigences attendues. C’est même un
progrès si le parcours s’est élargi, si sa charge a été plus forte et si des apprentis-
sages connexes sont apparus insidieusement.

Exemple de cheminement d’apprentissage balisé par une ceinture

Parcours d’apprentissage emprunté par l’élève


Compétence relative à un repère de la ceinture
Compétence connexe

Les intentions éducatives d’un emploi de ceintures à l’école sont multiples. Il


s’agit tout d’abord de permettre à l’enseignant de tenir compte des connaissances
initiales mobilisées par les élèves tout en faisant de l’hétérogénéité du groupe un
facteur d’apprentissage plus qu’un frein aux évolutions. En d’autres termes, les
ceintures tendent à ce que chaque enfant, dans un groupe, puisse être pris en
considération quels que soient ses connaissances, ses compétences et son profil
d’apprentissage. De plus, cette considération s’accompagne d’une valorisation des
différences puisqu’elles vont pouvoir alimenter la structure coopérative de la
classe. On rend positif le caractère hétérogène d’un groupe.
Il s’agit ensuite de permettre aux enfants d’entrer dans des activités qui corres-
pondent à ce qu’ils sont en mesure d’entreprendre, qui se trouvent dans ce que
Vygotski nomme la zone proximale de développement. Lorsqu’un enfant s’entraîne

112
Au-delà de la sélection : l’évaluation en classe coopérative

pour l’obtention d’une ceinture, il tente la maîtrise de compétences ni trop aisées,


ni trop complexes au regard de son niveau actuel, juste celles qui se trouvent un
peu au-delà de ce qu’il maîtrise et un peu en deçà de ce qui ne lui est pas encore
accessible. Ce qui importe ici, avec cet intervalle de ZPD, n’est plus la distance
pédagogique entre chaque élève et un enseignant qui doit trouver sa posture,
mais plutôt le travail que chacun doit engager pour voir ses apprentissages évo-
luer. Les plus jeunes enfants, en particulier, risquent d’avoir l’impression d’une
sorte d’infini qui les sépare de la ceinture du niveau supérieur. Si le système est
trop frustrant, ils se décourageront, et plus les enfants sont petits, ou plus leur
désir est émoussé, plus la réussite doit tout de même paraître accessible. Ce qui
ne veut pas dire que l’on va tout leur donner d’un seul coup.
Avec les ceintures, il s’agit également de permettre aux enfants de disposer
d’un support conséquent aux apprentissages coopératifs. Dans une classe hétéro-
gène, l’enseignant ne peut plus être le seul recours. Les pairs deviennent des
relais éventuels et des sources d’aides possibles. Dans les faits, lorsqu’un enfant
« jaune en lecture » ne parvient plus à résoudre un problème posé pour l’obten-
tion de la ceinture orange, il peut aller trouver un enfant ayant déjà réussi cette
ceinture et lui demander de l’aide. Cela implique, d’une part, qu’un tableau des
ceintures soit affiché dans la classe de manière que les niveaux puissent être
accessibles par tous, et d’autre part, que celui qui bénéficie de cette aide s’engage
à en fournir une s’il vient à être sollicité.
Enfin, les ceintures ont pour objectif l’évaluation. Celle-ci est à la fois diagnos-
tique, formative et sommative. Elle est diagnostique lorsqu’en début d’année,
l’enseignant évalue les compétences maîtrisées par les élèves. Cela lui permet de
les orienter vers les domaines de travail qui leur correspondent, indépendamment
du niveau moyen de la classe. Cette phase initiale d’évaluation permet de disposer
des profils constitutifs de la classe. Elle est formative parce que, lorsqu’un enfant
n’obtient pas une ceinture, ses domaines de maîtrise sont identifiés et considérés
tout comme ses insuffisances sont retenues pour faire l’objet d’une aide précise.
Au terme d’une première vague d’entraînement qui a échoué, il est rare que toutes
les compétences soient à reprendre. Ce que permet alors la ceinture est un tri entre
ce qui est acquis et ce qui reste à travailler. La phase d’entraînement suivante
consistera donc à se centrer sur ces deuxièmes formes de compétences, en recher-
chant des modalités d’acquisition certainement plus adaptées. Est évoqué ici le
principe de « boucle évaluative » autorisant les élèves à reprendre une évaluation
ratée par un entrainement enrichi de ses erreurs (Cieutat et Connac, 2021). Elle est
sommative lorsque l’ensemble des compétences est maîtrisé. Du fait qu’une ceinture
ne peut pas être retirée, ce qui est réussi n’est pas remis en question, si ce n’est
lors des situations d’entraide où les nouvelles compétences acquises vont pouvoir
enrichir le groupe et servir de relais aux apprentissages d’autres enfants. Un enfant
qui possède une ceinture voit son domaine de préoccupations changé et son statut

113
La coopération du point de vue de l’enseignement

dans la classe modifié : il devient expert pour les compétences de la ceinture qu’il
vient d’obtenir. Lorsqu’il change de classe, il n’est plus nécessaire d’évaluer à nou-
veau ce qui a été acquis. Il suffit juste de permettre une reprise des travaux là où
ils se sont arrêtés en fin d’année précédente.
De manière concrète, un tableau « Je grandis » est affiché dans la classe. Il
regroupe l’ensemble des ceintures obtenues par les enfants. Chacun dispose de
toutes les grilles de ceintures sur lesquelles se trouvent les compétences corres-
pondant à chaque couleur, et la possibilité pour l’enseignant de signifier la réus-
site d’une ceinture et la maîtrise des diverses compétences lors des phases
d’entraînement. Pendant les moments collectifs, la priorité de parole est toujours
donnée aux « plus petits », c’est-à-dire les enfants qui ont les ceintures les plus
claires (rose, blanche puis jaune). Pour que des enfants reconnus comme experts
puissent être en mesure d’apporter une aide efficace, ils doivent pouvoir respecter
un certain nombre de règles métacognitives : « Pour aider, on ne donne pas la
solution, on ne se moque pas, on encourage et on fournit plein d’idées et
d’exemples. » Ces acquisitions font nécessairement l’objet d’un travail spécifique
conduit par l’enseignant en début d’année scolaire.

Je grandis…
Tableau des ceintures
Comportement
Informaticien

Orthographe
Conjugaison
Vocabulaire
Numération

Géographie
Philosophe

Grammaire
Géométrie

Sciences
Écrivain

Histoire
Écriture

Orateur
Mesure

Lecteur
Calcul
Sport

Marie Bleu Vert Jau Oran Oran Bleu Oran Oran Oran Jau Bleu Oran Oran Vert Vert Bleu Oran Jau Vert

Samir Oran Jau Jau Jau Bleu Oran Oran Vert Jau Oran Oran Jau Oran Oran Oran Vert Jau Oran Oran

Jérémy Marr Jau Jau Oran Bleu Oran Oran Bleu Jau Vert Oran Jau Vert Oran Oran Jau Jau Oran Vert

Myriam Jau Oran Vert Vert Oran Oran Oran Vert Jau Oran Oran Vert Oran Jau Vert Jau Oran Jau Jau

114
Au-delà de la sélection : l’évaluation en classe coopérative

Des situations adidactiques

La complexité des savoirs ne peut toutefois pas être complètement appréhen-


dée par l’intermédiaire d’un découpage didactique en compétences élémentaires.
Pour cette raison centrale, toutes les activités d’apprentissage de la classe ne
peuvent et ne doivent pas être en lien continu avec ce support d’évaluation que
représentent ces grilles de ceintures. Apprendre n’est pas si simple. Ainsi, d’autres
activités pédagogiques sont à disposition des élèves afin qu’ils puissent être
confrontés à des situations adidactiques les incitant à effectuer toutes sortes de
transferts de connaissances. Les difficultés rencontrées par les élèves ne
dépendent donc pas toutes de caractéristiques qui leur sont propres ou relatives
à leur contexte social ou culturel. Elles peuvent être issues des situations didac-
tiques apportées par l’enseignant. C’est pour dépasser ces barrières d’apprentis-
sages qu’Alain Marchive propose de s’attacher au développement de situations
adidactiques 6. Il n’y apparaît pas de manière explicite l’intention d’enseigner, mais
plutôt celle de développer des apprentissages pouvant être débridés. L’élève
cherche à se rendre maître d’une situation que l’enseignant a construite de telle
façon qu’il ne puisse atteindre ce but qu’en mobilisant ou en construisant les
connaissances fixées. C’est le concept de dévolution qui entre en jeu ici dans le
sens où « plus le professeur dévoile ce qu’il désire, plus il dit précisément à l’élève
ce qu’il doit faire, plus il risque de perdre ses chances d’obtenir et de constater
objectivement l’apprentissage qu’il doit viser en réalité 7 ». Ainsi donc, dès lors
que l’autorité de l’enseignant implique des conduites de soumission, elle peut
être considérée comme génératrice des difficultés de l’élève. A contrario, toute
forme d’autorité qui suscite l’engagement volontaire de l’élève sans occulter les
conditions didactiques nécessaires à l’appropriation des connaissances crée les
conditions de réelles situations d’apprentissages. C’est notamment le cas lorsque
les enseignants sont amenés à proposer des créations mathématiques 8, à entrer
dans la poésie, à écrire des textes libres, des lettres aux correspondants ou tout
autre écrit finalisé. Afin que ces productions puissent faire l’objet d’une communi-
cation plus large que la seule relation pédagogique, elles demandent à passer par
le filtre de nouveaux outils d’évaluation dont la visée est autant celle de mesurer
les évolutions que de les permettre.
Pour la présentation d’un poème, élèves et enseignants remplissent puis com-
parent ce même support.

6. MARCHIVE A., « Effets de contrat et soumission à l’autorité », in TALBOT L., Pratiques d’ensei-
gnement et difficultés d’apprentissage, Érès, Ramonville-Saint-Agne, 2005, p. 180-192.
7. BROUSSEAU G., Théorie des situations didactiques, La Pensée sauvage, Grenoble, 1998.
8. LE BOHEC P., Le texte libre mathématique, Éditions Odilon, collection P4, Nailly, 1997.

115
La coopération du point de vue de l’enseignement

Exemple d’outil d’évaluation


Enfant Adulte
J’ai récité sans oublier un mot.
Mémoire J’ai récité sans hésiter.
J’ai récité sans transformer un mot.
J’ai parlé à la bonne vitesse et marqué des pauses.
Intonation
J’ai parlé suffisamment fort.
Prononciation
J’ai bien articulé et fait les liaisons.

Langage J’ai récité sans gestes parasites.


du corps J’ai illustré le texte avec mon corps.
J’ai copié le texte original sans erreur.
Présentation
J’ai illustré le poème avec soin.

Le produit de ces évaluations peut être utilisé comme indicateur dans les cein-
tures qui correspondent à des domaines complexes (la ceinture d’écrivain par
exemple). Pour celles-ci, lorsqu’un enfant estime avoir grandi ou s’être suffisam-
ment entraîné, il n’est pas conduit à passer de nouvelles épreuves (à la différence
d’une ceinture telle que celle de calcul). Il fait la proposition de changer de cein-
ture lors d’un conseil de coopérative et, au regard des critères proposés, l’ensei-
gnant valide l’obtention ou indique la nature des engagements à produire.
Tout cela ne veut pas dire que ces ceintures sont au centre de toute l’activité
de l’enfant. Même si elles défendent les vertus que l’on a pu découvrir précédem-
ment, il n’empêche que de nombreux temps scolaires n’en dépendent nullement.
C’est généralement le cas pour toutes les actions de communication telles que la
rédaction du journal scolaire, les défis mathématiques, les écrits aux correspon-
dants dont les visées premières sont essentiellement celles de se rencontrer, de
se faire comprendre et d’entretenir un partage débouchant sur un enrichissement
mutuel.
Certains parents d’élèves peuvent être dérangés par une telle perte de repères,
surtout en début d’année. La note chiffrée occupe une place importante dans
l’imaginaire social. Beaucoup de parents y restent très attachés. Ils se demandent
comment ils vont pouvoir suivre le travail de leur enfant avec un système d’évalua-
tion qui ne propose pas de note. Plutôt que d’organiser de longues réunions et
d’y employer tout le jargon docimologique que peu maîtrisent, il semble préférable
d’inviter ceux qui en font la demande à observer dans les classes comment se
traduisent les réussites et comment les difficultés sont identifiées. Assez rapide-
ment, surtout par l’intermédiaire de leur enfant, les parents découvrent la grille

116
Au-delà de la sélection : l’évaluation en classe coopérative

des couleurs et isolent facilement les domaines pour lesquels un travail reste à
effectuer. De plus, à la fin de chaque semaine, le bilan du « plan de travail », et
avant chaque période de vacances, le « bilan de période », sont adressés aux
familles afin qu’elles puissent en prendre connaissance et donner leur avis de
parent. Elles y découvrent la nature du travail réalisé, son efficience et éventuelle-
ment, celui pour lequel il faudrait s’engager autrement.
Lorsque les enfants entrent au collège, ils y rencontrent une autre manière
d’être évalués, le plus souvent par l’intermédiaire de la note. Nous avons pu
observer de manière empirique qu’ils manifestent très peu de difficultés dans ce
changement. D’abord parce que de nombreux anciens élèves reviennent dans les
classes pour témoigner de ce qui « change » et sont amenés à expliquer le sys-
tème des contrôles, notes et moyennes. Ensuite parce qu’en fin de CM2, les
enfants rencontrent quelques devoirs notés de manière qu’ils puissent disposer
d’une petite expérience en la matière. Enfin et surtout parce qu’ils passent du
contexte complexe qu’est la classe coopérative à un autre plus élémentaire guidé
par une corrélation quasi mécanique entre un comportement demandé et une
production quantifiée. Généralement, les enfants qui quittent l’école élémentaire
en étant « bleus » dans la plupart des ceintures deviennent de bons, voire de très
bons élèves au collège. Les autres enfants sont le plus souvent confrontés à des
difficultés particulières et nous n’arrivons pas plus que d’autres à les dépasser
dans leur globalité. Il nous semble toutefois que l’absence de notations a plutôt
contribué à entretenir chez eux une capacité à croire en leurs chances de réussir et
à ne pas entrer dans ce que Martin Seligman appelait « l’impuissance apprise 9 ».

La démarche PIDAPI : un matériel pédagogique à visée coopérative

La démarche PIDAPI 10 regroupe une série d’outils d’apprentissage et d’évalua-


tion déclinant les contenus en mathématiques et en français selon des couleurs
de ceintures. Construite et initiée par des enseignants de classes coopératives,
elle permet à des élèves de classes de cycle III de s’inscrire en même temps dans
des logiques de travail personnel tout en participant à la structure d’entraide de
la classe.
Les groupes d’enfants sont naturellement hétérogènes et pourtant, nombreux
sont les enseignants qui recherchent l’homogénéité dans leurs classes, considé-
rant la différenciation comme, a priori, une contrainte dans leur travail. Si, de

9. « L’impuissance apprise désigne l’impossibilité d’agir dans une situation posant un problème,
même pour émettre un comportement simple qui pourrait résoudre ce problème. L’individu,
persuadé qu’il n’a aucun moyen d’agir sur la situation, refuse d’émettre quelque comportement
que ce soit », in DUBOIS N., La psychologie du contrôle, les croyances internes et externes, PUG,
Grenoble, 1987, p. 20.
10. Parcours individualisé et différencié des apprentissages en pédagogie institutionnelle.

117
La coopération du point de vue de l’enseignement

façon innée, les enfants ont toutes les facilités pour se rencontrer, échanger et
profiter les uns des autres, les écoles constituent souvent des espaces où
s’apprend l’esprit de compétition et où se développe la culture des meilleurs. La
vie est habituellement source d’injustice, elle se charge de manière complètement
inéquitable d’exacerber les différences et de ne pas faire du bonheur la chose la
mieux partagée entre les hommes. En même temps, l’école demeure la première
institution de sélection sociale, conduisant les plus forts à le devenir encore plus
et alourdissant le fardeau des enfants les plus en difficulté.
Les outils de la démarche PIDAPI se veulent avant tout des supports d’appren-
tissage pour les classes de cycle III, de préférence à fonctionnements coopératifs.
Ils sont composés de fichiers d’entraînements autocorrectifs ainsi que d’une batte-
rie de supports d’évaluation éducative. Les items en mathématiques et en français
sont regroupés selon huit ceintures, proposant chacune des déclinaisons de la
couleur jaune à la couleur marron. La démarche PIDAPI reprend l’idée de F. Oury
sur les ceintures et l’enrichit d’un matériel sous forme de fichiers d’entraînement
et d’évaluation. C’est ainsi que, au cours des divers moments de temps de travail
personnel, des enfants orange en conjugaison s’entraînent aux items de la cein-
ture verte, période d’entraînement qui s’achève par une demande de passation
de ceinture auprès de l’enseignant.
Le matériel PIDAPI se compose donc :
• d’une boite à outils par élève regroupant, en plus de l’ensemble des docu-
ments qu’il s’est construits ou qui servent à naviguer de manière autonome
dans la classe, l’ensemble des grilles de ceintures. Chaque fois qu’un item a
été identifié comme maîtrisée, elle est cochée dans le portfolio, ce qui
permet de distinguer ce qui est acquis de ce qui reste à acquérir ;
• d’un fichier de préceintures permettant en début d’année un étalonnage des
items réussis par chaque enfant. Ce fichier se veut un support pour des
évaluations diagnostiques, distinguant ce qui n’a pas besoin d’être travaillé
puisque déjà su, de ce qu’il reste à mobiliser en vue de l’obtention d’une
nouvelle ceinture. Cette précaution pédagogique donne tout son sens aux
apprentissages hors entraînement aux ceintures ;
• de fichiers de ceintures constituant des supports d’évaluation sommative en
cas de réussite (les enfants ne s’entraînant alors qu’aux items suivants) ou
des supports d’évaluation formative en cas d’erreurs. C’est d’ailleurs pour
cela que chaque épreuve de ceinture est proposée en trois folios, afin que
les réussites ne correspondent pas à la connaissance des exercices à effec-
tuer. Juste après la réussite d’une ceinture, la préceinture suivante est pro-
posée ;
• d’un tableau de ceintures « Je grandis » regroupant l’ensemble des couleurs
de ceintures acquises par les enfants. Affiché dans la classe, il permet à

118
Au-delà de la sélection : l’évaluation en classe coopérative

l’enseignant de savoir à quels niveaux de maîtrises se situent ses élèves, à


chaque enfant d’apprécier ses réussites et à la classe de disposer d’un sup-
port pour l’entraide et la coopération. Lorsque l’un d’entre eux bute sur une
tâche individuelle, il a la possibilité de se rendre auprès de ce tableau afin
de solliciter un camarade qui a déjà réussi l’apprentissage relatif à ce travail ;
• un guide de l’enseignant présentant la logique pour laquelle ces outils ont
été pensés, leur logique d’emploi et de présentation aux enfants ainsi que
divers repères invitant à compléter de manière vivante des apprentissages
qui, par le biais de fiches, ne l’ont pas été nécessairement 11;
• de fiches d’entraînement autocorrectives, toutes bâties selon une même
logique d’utilisation de manière que les enfants puissent y retrouver une
récurrence d’emploi.

Ceintures de grammaire

• 3.07 Identifier les verbes conjugués d’une phrase.

• 3.08 Identifier les adjectifs qualificatifs.


Orange
1re dan
• 3.09 Identifier les déterminants.

• 3.10 Distinguer le nombre (singulier ou pluriel) d’un nom.

• 3.11 Identifier les sujets ∂.

Orange
• 3.12 Identifier les groupes nominaux ∂.
2e dan

• 3.13 Remplacer les GN par un pronom ∂.

• 3.14 Utiliser les phrases négatives.

• 3.15 Reconnaître les compléments circonstanciels.


Verte
• 3.16 Reconnaître les compléments d’objets.

• 3.17 Reconnaître et utiliser tous les points.

11. Voir : https://pidapi-asso.fr/

119
La coopération du point de vue de l’enseignement

Exemple de fiche d’entraînement (recto)

En effet, l’un des dangers des fiches d’entraînement est d’en faire des supports
scolastiques, décontextualisés et purement impositifs. À défaut de pouvoir ajuster
chaque situation d’entraînement aux projets menés par les enfants, nous avons
pris le parti de les adapter à ce que savent déjà les enfants qui les abordent.
C’est pour cela que chaque fiche débute par une partie « Qu’est-ce que je sais
faire ? », invitant l’utilisateur à s’engager dans l’activité et à manifester ce qu’il a
déjà appris. En fonction de ses réussites et à partir d’une autocorrection en verso
de la fiche, il est alors orienté vers la partie « Entraînements », seulement pour les
items qui ont posé problème. Pour cela, il dispose d’un encart nommé « Conseil-
exemples » dans lequel il pourra trouver, si ce n’est déjà fait au sein de la structure
coopérative de la classe, divers guides lui permettant d’avancer. Tous ces exercices
sont à réaliser sur cahier, rien n’est à noter directement sur les fiches, ce qui évite
des photocopies à répétition. Au terme des entraînements, chaque fiche propose

120
Au-delà de la sélection : l’évaluation en classe coopérative

un « test » qui vise à mesurer l’efficience des compréhensions. Ce test n’est pas
autocorrectif, il fait l’objet d’un regard par l’enseignant qui estime ensuite, souvent
en présence de l’enfant, s’il est nécessaire de poursuivre l’entraînement pour cet
item ou s’il est possible de passer à un autre.

Exemple de fiche d’entraînement (verso)

Aisances et lourdeurs de la démarche PIDAPI

Les enfants ne sont pas censés apprendre par l’intermédiaire de l’enchaîne-


ment conventionnel : expression des représentations, déstabilisation, reconstruc-
tion, entraînement, évaluation formative, remédiation, évaluation sommative ;
encore moins par l’intermédiaire des fonctionnements traditionnels : leçon,
entraînements, devoirs, évaluation, sélection. En lieu et place, ils sont, de manière

121
La coopération du point de vue de l’enseignement

générale, orientés vers le grand principe rousseauiste, à savoir, essayer de trouver


des réponses à des questions que l’on se pose plutôt que d’apporter des solutions
à des problèmes qui ne se posent pas encore.
Dans les faits, voici donc comment les élèves sont censés construire des
apprentissages :
– au sein d’un espace sécurisé où il ne suffit pas d’être le plus fort pour faire
la loi, où chacun dispose d’alternatives efficaces à la violence, de façon
qu’en cas de différends, les solutions ne soient pas de fuir, de se soumettre
ou de devenir violent à son tour ;
– à travers l’ensemble des projets qu’ils mènent et conduisent de manière
volontaire et autonome : les exposés, les courriers, les textes libres, les
créations mathématiques, l’organisation de sorties… généralement tout ce
qui se fait au sein des ateliers permanents ;
– à travers le fichier PIDAPI, durant les phases d’entraînement, soit par l’inter-
médiaire des fiches, soit en lien avec d’autres supports d’informations, soit
avec un camarade, soit avec l’enseignant que l’on va spécifiquement sollici-
ter pour un problème rencontré ;
– à travers les situations de coopération, qui permettent à celui qui demande
de bénéficier d’une information qui manquait et au tuteur de mobiliser puis
de reconfigurer des apprentissages préconstruits en les adaptant au profil
de celui qui sollicite ;
– à travers les quelques situations didactiques coordonnées par l’enseignant,
notamment les ateliers autour d’activités d’éveil et de manipulation, mais
aussi au sein de petits groupes de besoin constitués par des enfants qui
ont fait la démarche de s’y inscrire ;
– à travers l’ensemble des activités à forte mobilisation intellectuelle et com-
battant l’ennui, l’inactivité et la passivité à l’école. Ici, c’est surtout la matu-
ration cognitive du cerveau qui est en jeu, afin qu’il puisse se rendre
disponible à un éventail d’apprentissages plus large et plus complexe. Ainsi,
il est fort probable que des activités entièrement investies comme les jeux
de construction, la natation, les origamis, les discussions à visée philoso-
phique, les responsabilités dans la classe et autres puissent contribuer de
manière importante et indirecte à des apprentissages relatifs à la construc-
tion du nombre ou à la reconnaissance des fonctions grammaticales pour
n’en citer que quelques-unes.
Pris de manière isolée, ces éléments n’ont pas de sens et risquent d’avoir peu
d’impact. C’est surtout leur combinaison qui fait leur force et rend la structure
opportune et cohérente d’un point de vue éducatif. C’est donc pour cette raison
qu’il convient de les appréhender de manière combinée, afin d’en faire les fonda-
tions du quotidien des enfants.

122
Au-delà de la sélection : l’évaluation en classe coopérative

Comme tout outil en éducation, ceux de la démarche PIDAPI invitent les ensei-
gnants à penser leur introduction de manière que des précautions humaines
prennent le pas sur un usage mécanique.
C’est pourquoi, si rien n’est fait pour en estomper les effets, un recours passif
à ces outils peut engendrer plusieurs lourdeurs. D’abord du côté de la gestion du
matériel, très conséquent et donc, nécessitant un rangement et un entretien très
rigoureux. Ensuite, concernant le suivi des acquisitions des enfants qui, si l’on
souhaite qu’il fasse l’objet d’une responsabilisation, implique que l’enseignant en
fasse de même en remplissant au plus près chacune des grilles de ceintures des
enfants. Enfin au sujet du temps passé par les enfants avec ces outils qui n’ont
pas été pensés pour fonctionner sur une seule année, encore moins s’il s’agit
d’un unique CM2. Il est nécessaire de prévoir plus de temps, ne serait-ce que
pour la mise en place et les diverses appropriations. Rien ne dit toutefois qu’il
faille suivre les mêmes enfants sur plusieurs années. Dans diverses écoles, cer-
tains évoluent autour de ces outils en changeant d’enseignant chaque année.
En même temps, la force de la démarche est qu’elle est en mesure d’appréhen-
der la globalité des apprentissages en mathématiques et en français à partir du
CE1. Elle inscrit les enfants dans une logique scolaire responsabilisée, faisant des
journées d’école des occasions de grandir en profitant au maximum de l’espace
de savoirs que constitue la classe. Couplée à d’autres techniques éducatives, elle
contribue à allier l’indispensable besoin d’expression-création appartenant aux
enfants, en même temps que notre souci d’enseignant de leur permettre d’acqué-
rir les éléments de savoirs relatifs aux programmes de l’école. En plus de faciliter
considérablement la gestion de l’hétérogénéité au sein d’un groupe, elle invite à
s’y appuyer pour en faire une richesse pédagogique. Les différences deviennent
des atouts, les manques sont des raisons de coopérer et les réussites des sources
pour s’affirmer et se construire de manière encore plus forte.
Avec des outils comme ceux défendus par le PIDAPI, l’évaluation trouve un
équilibre entre, d’un côté, le nécessaire besoin de mesurer les acquis et de com-
muniquer les progressions et, de l’autre, celui d’apporter aux élèves des raisons
de croire en leurs forces et l’envie de travailler leurs faiblesses. Il ne s’agit plus
de faire mieux que le copain mais plutôt de devenir meilleur que ce que nous
étions il y a quelque temps. Il s’agit en fait de reconnaître pleinement nos erreurs,
non comme des fautes, mais plutôt comme des étapes importantes vers la
réussite.

123
3
Un apprentissage vivant
de la langue française par le texte libre

Les couleurs de nos cœurs


Mon cœur marron pour le chocolat,
Ton cœur rose pour l’amour,
Son cœur noir comme le mal,
Notre cœur blanc pour la douceur des nuages,
Votre cœur rouge et l’envie de manger une fraise,
Puis, leur cœur arc-en-ciel qui me rappelle le goût du miel.
Wanessa (8 ans)

Des textes qui ne s’instaurent pas

Produire un écrit sans qu’une démarche particulière ne soit imposée, sans


consigne d’écriture émanant de l’enseignant, telle est la consigne du texte libre.
Il est écrit par l’enfant « quand il veut, où il veut, comme il veut 1 » : il s’agit
d’une pédagogie d’expression libre. L’idée qui préside à cette conception de la
production est que l’enfant va écrire « de belles pages, empreintes de naïveté et
de la poésie naturelle qui caractérise l’enfant ». Il a l’opportunité d’exprimer ses
sentiments. La parole lui est donnée, il écrit, lit, découvre et, par tâtonnements,
se découvre et donc, se construit. L’hypothèse qui prévaut est la suivante : c’est
en laissant d’abord l’enfant s’exprimer, écrire ce qu’il a à écrire, ce qu’il a à com-
muniquer à d’autres, réellement, qu’il sera ensuite possible, dans le domaine de
la production de textes, d’enrichir, d’affiner, d’accéder à des compétences relatives
à différents types d’écrits (récits, poèmes, etc.) et de textes. Nous pouvons noter
que cette conception de la production d’écrits s’apparente à celle de nombreux
didacticiens du français qui, aujourd’hui, associent la notion d’écriture en projet,
au cadre indispensable de toute démarche d’appropriation des savoir-faire et des
savoirs impliqués dans l’activité rédactionnelle.
Lorsque les élèves ne possèdent pas encore les compétences nécessaires pour
écrire seuls leur texte, une plage horaire peut être prévue dans l’emploi du temps,

1. FREINET C., « Le texte libre », Brochures d’Éducation nouvelle populaire, no 25, 1947.

125
La coopération du point de vue de l’enseignement

pour que le maître puisse apporter son aide, voire, pour les plus jeunes, écrire
les textes des enfants sous leur dictée.
Le texte libre permet avant tout de s’exprimer, mais lorsque la communication
est réelle, l’enfant aura l’occasion de s’approprier des savoirs relatifs aux codes
sociaux de la communication écrite. En effet, l’enfant a la liberté de déposer son
texte dans une « boîte à textes libres » (ce qui signifie donc qu’il a aussi la liberté
de ne pas l’y déposer… à l’enseignant de tenter de dégager la signification de ce
geste afin éventuellement de remodeler les motivations à l’écriture). Nous nous
référerons à deux types de textes libres, les premiers correspondant à des écrits
postés dans une boîte, faisant l’objet d’une présentation collective hebdomadaire
afin de choisir le texte qui prendra le statut de texte libre de la semaine. Les
seconds textes sont de l’ordre de l’écriture libre et confidentielle, font appel à des
techniques telles que les phrases du jour, les carnets de vie ou les journaux de
bord 2. Ces textes ne sont diffusés qu’avec l’accord de leur auteur mais peuvent,
tout comme les textes postés, faire l’objet d’un travail individualisé sur la langue.
On n’instaure pas le texte libre. Il vaut mieux d’abord qu’il y ait des choses à
dire, à écrire. Pour cela, ne pas hésiter à multiplier, en classe, les moments qui
donnent envie d’écrire. Être à l’affût, provoquer même, les situations de vie, les
événements, les sorties scolaires qui déboucheront sur du besoin d’écrire.
Ensuite, organiser la classe de telle sorte qu’elle prévoit du temps pour l’élabora-
tion de ces écrits et qu’elle mette à disposition des enfants toutes les aides pour
faciliter leurs projets : papier, cahier, brouillons, traitements de texte, crayons,
stylos, dictionnaires, banques de mots, banques de textes, lanceurs d’écritures,
etc. Au début donc, on ne peut pas raisonner en termes d’exploitation du texte.
L’important est plutôt de pousser à écrire, et non pas d’écrire pour en faire absolu-
ment quelque chose… Dans cette logique, le journal et tous les supports à commu-
nication apparaissent comme d’une importance seconde. Il s’agit de faire en sorte
que les écrits jaillissent. Ensuite, on peut décider ensemble de leur destination…
Chacun, enfant ou adulte, dispose en conséquence d’une multitude de sup-
ports directement produits par les élèves eux-mêmes. Notre postulat initial est
que ce corpus est quasi suffisant pour permettre l’acquisition des principales
compétences scolaires relatives à l’étude de la langue telle que la conçoivent les
programmes de la nation.
Chaque semaine ou tous les 15 jours, un moment réservé au « choix de
textes » est prévu. Au terme de cette séance, un texte de la semaine est choisi,
les autres écrits pouvant faire l’objet d’une communication, soit par l’intermédiaire
du journal, soit à destination des correspondants, soit autrement, en fonction de
la structure de circulation de l’information de la classe.

2. BOVET E., « Le journal de bord, incitation à l’expression écrite », Le Nouvel Éducateur, no 129,
mai 2001, p. 8.

126
Un apprentissage vivant de la langue française par le texte libre

Une règle est alors appliquée : « Si on est libre de tout écrire, on ne peut
publier n’importe quoi, n’importe comment 3. » Des mises au point des textes
devront donc être faites. Elles seront effectuées, soit individuellement avec l’élève-
auteur, soit collectivement. Dans ce dernier cas de figure, l’auteur est toujours
consulté et son accord doit être donné pour que la version finale puisse être
éditée.
Ce choix de textes est lui aussi un moment de parole important dans la classe.
Chacun vient lire son texte, « l’offrant » au groupe… puis aux futurs lecteurs. Un
texte produit par un seul élève va donc devenir l’objet du groupe, par l’intermé-
diaire des activités de toilettage et de chasse aux mots. La séance nécessite la
présence d’un secrétaire, chargé de noter le thème des textes voire quelques
autres éléments : titre, dessin schématisant un personnage ou un élément de
l’histoire, phrase résumant le propos, sur un support visible par tous les élèves
(tableau, affiche). Au terme de chaque présentation, le président demande au
groupe « qui est intéressé par ce texte ? », ce qui permet de déterminer quel est
l’écrit le plus fédérateur, pas nécessairement le meilleur d’ailleurs. Enfin, le prési-
dent demande aux auteurs des autres textes ce qu’ils souhaitent en faire et
indique les orientations sur le plan de travail mural.
Pourtant, certaines questions restent posées : tous les enfants écrivent-ils des
textes libres ? Suffit-il de « laisser parler » pour que tous « prennent la plume » ?
N’oublions pas que l’acte d’écrire nécessite un travail réel de la part des élèves :
l’écriture est liée à la rigueur, à la contrainte, à la précision, au respect d’un code
ordonné… Autant de caractéristiques au goût de contrainte pour un jeune enfant !
Les élèves sont-ils réellement libres face à ce type d’activité ? En d’autres termes,
n’existe-t-il pas certaines contraintes de création inconscientes ? D’autre part, le
maître utilise les textes dans le but d’en faire une exploitation en étude de la
langue. Le texte libre devenant le prétexte de séances d’apprentissage, ne risque-
t-on pas de produire un effet de blocage chez certains enfants qui auraient envie
d’écrire, mais dont le lexique serait peu étendu, ou dont les compétences ortho-
graphiques ou grammaticales seraient réduites ? Les élèves vont-ils réellement
être amenés à produire des types de textes et d’écrits variés ? Peut-on véritable-
ment écrire « à partir de rien », alors qu’écrire revient, en partie, à procéder à une
projection de soi dans l’écrit, dans l’espace de la feuille ?
Voici donc une première série de questions qui se posent dès lors que l’on
introduit la pratique du texte libre dans sa classe. À charge de chaque enseignant
et des expériences qu’il permet d’y apporter des réponses et d’intervenir sur la
structure de la classe pour tenter de faire évoluer les dérives qu’il sera parvenu à
identifier.

3. LAFFITTE R., Une journée en classe coopérative, le désir retrouvé, Matrice, Vigneux, 1985,
p. 146.

127
La coopération du point de vue de l’enseignement

C’est donc à partir de ce vivier de textes que nous bâtissons un dispositif


d’étude de la langue. Plusieurs activités en dépendent et sont proposées de
manière différenciée aux enfants de la classe. Notre principe est de multiplier les
situations d’étude afin d’en optimiser les apprentissages. Alors que certains
enfants profiteront davantage d’une étude collective de texte libre, d’autres
apprendront d’abord par la réécriture d’une lettre à un correspondant. À noter
toutefois que le seul recours aux productions d’enfants serait restrictif dans le
sens où il priverait les élèves d’un regard sur les textes d’auteurs. Nous insistons
donc pour marquer l’importance de l’ouverture à d’autres sources que celles de
la classe, même si ces références ne se veulent pas exclusives. L’étude d’un texte
de la littérature française, avec les mêmes outils que ceux employés pour des
textes d’enfants, a pour buts le transfert de connaissances dans d’autres
domaines que ceux couramment explorés et l’intérêt porté à des écrits qui
peuvent être considérés comme des modèles. Alors que l’écriture enfantine pro-
pose une base de départ intéressante, la littérature apporte ce que des enfants
n’auraient pas pu découvrir par eux-mêmes : l’usage de mots et l’emploi de
formes syntaxiques inédits dans la vie de la classe. Ces situations représentent
en quelque sorte des moments de tremplin pour l’enrichissement des textes de
chacun. S’en priver apparaît donc comme une erreur pédagogique.
Nous disposons alors d’une base de textes pouvant être assimilés à du minerai
brut. Après l’extraction, il convient d’entrer dans une phase d’épuration afin d’ôter
les éventuelles imperfections. Pour cela, nous disposons d’un filtre qui va per-
mettre aux enfants une première réécriture de leurs textes. Il s’agit du guide de
correction. Les codes qui s’y trouvent indiquent chacun un type d’erreurs similaires
et récurrentes. Ils invitent donc les enfants à chercher la correction dans un
domaine particulier et à partir d’outils dont ils connaissent l’existence et maî-
trisent l’emploi : les dictionnaires, tableaux de conjugaisons, règles orthogra-
phiques, listes de mots… Ces outils font l’objet d’une présentation succincte en
début d’année puis sont régulièrement enrichis grâce aux expériences de la classe.
Leur recours se situe entre, d’un côté, une non-intervention sur le texte qui risque-
rait de décourager l’enfant devant la tâche apparente que représente la correction
et, d’un autre, un guidage par l’adulte trop fort qui interdirait la nécessaire gym-
nastique intellectuelle.
En son temps, Freinet pensait que tout ce qui était purement scolaire et n’inté-
ressait que le monde de l’école était à bannir. C’est ce qu’il nommait la scolas-
tique. Dans sa ligne de mire, il visait entre autres la plupart des règles de
grammaire qu’il jugeait inutile dans le cadre d’une quête de sens. C’est pour cela
qu’il a envisagé d’élaborer une grammaire regroupant les éléments nécessaires et
suffisants à la maîtrise de la langue. Il nomma cette étude « La grammaire en
quatre pages ». Nous avons repris son texte et en avons tenté une relecture actua-
lisée.

128
Un apprentissage vivant de la langue française par le texte libre

Guide de correction des textes

? Je ne comprends pas → Réécris le passage en t’appliquant


A Erreur d’accord → Pense aux « s » ou aux « e »
C Erreur de conjugaison → Utilise un tableau de conjugaison
M Erreur de majuscule → Enlève ou ajoute une majuscule
MD Mal dit → Explique autrement
[é] Erreur d’écriture du son [é] → Utilise la règle des trois [é]
O Erreur d’orthographe → Utilise un dictionnaire ou les mots personnels
P Erreur de ponctuation → Pense aux « . » – « , » – « ? » – « ! »
R Répétition → Trouve des synonymes ou utilise un pronom
XIl manque un mot ou un morceau de mot → Corrige la phrase ou le mot

Une grammaire en quatre pages 4

Il est possible de résumer l’amorce de cette démarche ainsi : « Le principal


devoir de grammaire française et le plus profitable est la rédaction. » Freinet
indique ainsi que la voie royale vers la maîtrise de l’écrit est l’écrit lui-même.
L’expression libre des enfants à travers divers textes qu’ils peuvent rédiger devien-
dra alors un bon support aux apprentissages et donc aux évolutions. Un premier
souci de l’enseignant réside dans la mise en place d’un climat de classe porteur
d’expressions-création, notamment au travers de l’écrit.
Cependant, les textes d’enfants ne peuvent et même ne doivent pas être les
seuls supports aux situations d’apprentissage. « C’est en écrivant et en lisant
qu’on apprend à écrire et à lire, écrire signifie ici rédiger. » Mais, nous l’avons dit,
on ne peut pas tout attendre des textes d’enfants, la littérature dans son ensemble
et sa diversité complètent l’apport et garantissent une plus grande référence à la
culture. De ce fait, les enseignants et les élèves disposent de deux types de
textes : ceux rédigés par les élèves et ceux choisis par un membre de la classe
(adulte ou enfant), généralement des textes littéraires (mais aussi tout autre type
d’écrit, la multiplicité optimisant les résultats). Ces textes seront tous exploités
d’une manière proche, le plus souvent à partir d’une grille d’étude construite par
la classe. Ainsi, et par répétition régulière des séances, les enfants améliorent

4. Brochures d’Éducation nouvelle populaire, no 2, octobre 1937.

129
La coopération du point de vue de l’enseignement

leurs compétences d’écrivain et entrent davantage dans l’abstraction. Ces activités


sont l’occasion pour chacun d’aborder naturellement des notions d’orthographe,
de vocabulaire, de conjugaison et de grammaire. Ces formes de la langue
s’apprennent donc avec un minimum d’ennui, ce qui ne peut que renforcer les
apprentissages. Au lieu de partir de la règle pour en maîtriser l’application, on
part du vivant, en l’occurrence des textes étudiés, et on tente d’en dégager un
certain nombre de récurrences, d’attributs qui, au final, délimiteront le concept.
On retrouve ici les principes d’apprentissage de l’abstraction explicités par B.-M.
Barth 5.

Première partie : la nature des mots

• Le nom : il est considéré comme un mot sans lequel il est impossible de se


faire comprendre. On ne lui donne pas d’autre définition sauf de dire qu’on
applique des noms aux choses. Pour la distinction entre les noms propres et
les noms communs, il suffit d’en demander rapidement l’identification,
d’autres définitions ne servent à rien à ce stade. Pour le pluriel des noms,
on précisera que la marque du pluriel est ordinairement « s », que les noms
en « eu », « au », « eau » prennent un « x », que les noms en « al », « ail »
s’écrivent en « aux » au pluriel. Il apparaît inutile de parler des exceptions,
l’habitude de la rédaction et les situations d’écriture feront le nécessaire.
• Le verbe : c’est le mot qui donne vie à la phrase. Lorsqu’on n’utilise pas de
verbe dans une phrase ou lorsqu’on emploi à l’infinitif, la phrase n’a pas tout
le sens qu’on veut lui donner. Les temps usuels repérés sont le présent,
l’imparfait, le passé composé, le futur simple de l’indicatif, le conditionnel
présent et l’impératif présent. Après avoir pointé les formes courantes des
principaux verbes, on s’intéresse aux verbes dont la forme peut changer au
cours des diverses conjugaisons. Ce sera alors l’occasion de parler, toujours
lorsque l’opportunité se présentera, des temps plus difficiles mais impor-
tants le subjonctif mais aussi les formes interrogatives et les participes.
• L’adjectif qualificatif : on n’en donne pas de définition. Il est expliqué comme
étant lié au nom. Son examen et sa recherche systématiques dans les textes
permettront d’en garantir la reconnaissance.
• Le déterminant et le pronom : on ne s’intéresse pas systématiquement à
leur reconnaissance, les enfants ont trop l’habitude de les utiliser dans leurs
textes. En revanche, on recherchera les formes difficiles ou douteuses qu’ils
peuvent prendre. Ainsi, il sera plus facile d’en présenter les accords.

5. BARTH Britt-Mari, L’apprentissage de l’abstraction. Méthodes pour une meilleure réussite de


l’école, Retz, Paris, 1987.

130
Un apprentissage vivant de la langue française par le texte libre

Seconde partie : les fonctions


Lorsque ces notions sont devenues familières aux enfants, on peut passer à
la seconde partie de cette progression. Elle consiste d’abord à repérer qu’avec
des affixes et des mots simples et connus, on peut former des mots plus compli-
qués. Leur emploi est similaire à celui des mots simples que l’on connaît déjà.
C’est également le moment de s’intéresser de plus près au verbe, en particulier à
sa conjugaison et ses régularités. Le besoin s’est déjà fait sentir d’élaborer une
classification.
On peut proposer aux élèves de distinguer : les verbes auxiliaires puis les
verbes comme chanter, finir et recevoir. Les temps usuels présentés sont à ce
moment-là le présent, l’imparfait, le passé composé, le passé simple (surtout les
3e personnes), le plus-que-parfait de l’indicatif, le conditionnel présent, le subjonc-
tif présent, l’impératif présent et les participes.
On aborde alors les notions de conjonction (qui sert à joindre, à coller, à
lier des mots ou des membres de phrase), d’adverbe (sans définition mais par
reconnaissances successives) et les prépositions (toujours par la reconnaissance).
Provisoirement, quelques exercices de grammaire peuvent être proposés aux
élèves. Ils ont pour visée l’automatisation de la pratique du singulier et du pluriel,
l’emploi des pronoms, l’accord des adjectifs et la mécanique de la conjugaison
des verbes. Cependant, ce n’est pas simplement au travers de ces exercices que
les enfants réussiront à appliquer correctement ces règles. L’écriture reste la voie
privilégiée.
Une fois tout le travail sur la nature des mots achevé ou bien avancé, les
élèves peuvent entrer dans une démarche d’analyse logique des fonctions de la
phrase. Cette étude n’intervient qu’à ce moment-là parce qu’il n’est pas utile d’en
connaître le contenu pour produire des textes. Concernant les différentes fonc-
tions, on commencera par identifier les propositions. Dans une phrase, il y a
autant de propositions que de verbes conjugués. La proposition principale est
celle que l’on ne peut pas supprimer sans détruire tout le sens de la phrase.
Les autres sont des propositions subordonnées. Lorsque deux propositions sont
indispensables, il s’agit de propositions coordonnées.
Toutes les autres notions de grammaire ou règles d’orthographe sont alors
abordées de cette manière, par la rencontre avec des textes porteurs dont l’étude
conduit à un questionnement.

131
La coopération du point de vue de l’enseignement

Exemples de fiches d’étude d’un texte

Fiche 1 d’étude d’un texte

1 – On donne un nom aux choses. Quels sont les noms propres ?


2 – Quels sont les noms communs ?
3 – Le verbe donne vie à la phrase. Quels sont les verbes conjugués ?
4 – Quels sont les verbes non conjugués ?
5 – Un adjectif qualificatif explique le nom. Quels sont les adjectifs qualificatifs ?
6 – Quels sont les déterminants ?
7 – Quels sont les pronoms ?

Fiche 2 d’étude d’un texte

1 – Quels sont les noms ?


2 – Quels sont le temps et la personne des verbes conjugués ?
3 – Quels sont les verbes non conjugués ?
4 – Quels sont les adjectifs qualificatifs ?
5 – Quels sont les déterminants ?
6 – Quels sont les pronoms ?
7 – Quels sont les mots avec un préfixe ou un suffixe ?
8 – Une conjonction sert à joindre deux mots ou deux morceaux de phrase. Quelles
sont les conjonctions ?
9 – Quels sont les adverbes ?
10 – Quelles sont les prépositions ?
11 – Il y a autant de propositions que de verbes conjugués. La proposition qui ne
peut s’enlever est la proposition principale. Quelles sont les propositions principales ?
12 – Les propositions qui peuvent s’enlever sont des propositions subordonnées.
Quelles sont les propositions subordonnées ?
13 – Lorsqu’on ne peut pas enlever de proposition, elles sont coordonnées. Quelles
sont les propositions coordonnées ?
14 – Quels sont les groupes nominaux sujets ?
15 – Quels sont les compléments d’objet direct ?
16 – Quels sont les compléments d’objet indirect ?
17 – Quels sont les compléments circonstanciels ?

132
Un apprentissage vivant de la langue française par le texte libre

Collection grammaticale

CONJONCTIONS ADVERBES PROPOSITIONS PRINCIPALES

PROPOSITIONS SUBORDONNÉES

PROPOSITIONS COORDONNÉES

PRÉPOSITIONS GROUPES NOMINAUX SUJETS

COMPLÉMENTS D’OBJET DIRECT

COMPLÉMENTS D’OBJET INDIRECT

COMPLÉMENTS CIRCONSTANCIELS

Collection de mots

NOMS NOMS VERBES VERBES NON ADJECTIFS


DÉTERMINANTS
PROPRES COMMUNS CONJUGUÉS CONJUGUÉS QUALIFICATIFS

1. 1. 1. 1. 1.
2. 2. 2. 2. 2.
3. 3. 3. 3. 3.
4. 4. 4. 4. 4.
5. 5. 5. 5. 5.
6. 6. 6. 6. 6.
7. 7. 7. 7. 7.
8. 8. 8. 8. 8. PRONOMS
9. 9. 9. 9. 9.
10. 10. 10. 10. 10.
11. 11. 11. 11. 11.
12. 12. 12. 12. 12.
13. 13. 13. 13. 13.
14. 14. 14. 14. 14.
15. 15. 15. 15. 15.
16. 16 16. 16. 16.

133
La coopération du point de vue de l’enseignement

Toilettage de texte et chasse aux mots

Une fois à deux fois par semaine, la boîte à textes libres est ouverte. Tous les
enfants qui le souhaitent peuvent venir présenter à la classe leur écrit. Après
chaque lecture, le président de séance demande : « Qui est intéressé par ce
texte ? », puis note le nombre de doigts levés. Le texte libre qui intéresse le plus
d’enfants devient, avec l’accord de son auteur, le texte de référence de la semaine.
Les autres pourront, après avoir été retravaillés individuellement, intégrer le jour-
nal de la classe. À un autre moment, le texte de référence fait l’objet d’un double
travail collectif : son « toilettage » et la « chasse aux mots », deux techniques
éducatives initiées par C. Freinet dans « la grammaire en quatre pages ».
Le texte est d’abord réécrit au tableau, de manière brute. Suivons l’évolution
d’un texte libre élu, celui de Samir, « Titeuf ».

Titeuf
Il était une fois un garçon qui s’appelait titeuf. Il ne voulait pas de petite sœur, un
grand arrivas ils eurent un bébé lui et Nadia. Ils font l’amour tous les jour pour en
avoir un autre, leur bébé s’appelait Zizi mais lui il l’appelait Zinidine Zidane. Ils
vecurent eureux et eure des enfants.
Samir

Chaque enfant dispose alors de 5 minutes pour, dans un premier temps indivi-
duellement, noter sur son cahier, toutes les propositions d’amélioration du texte.
Chacun est libre de se servir des différents outils à disposition : dictionnaires,
tableaux de conjugaison, fiches outils… Les enfants non encore lecteurs ont pour
consigne d’identifier des mots ou des phrases, ce qui constitue un entraînement
à la lecture par déchiffrement ou reconnaissance.
En tant qu’animateur de discussion, l’enseignant donne alors la parole aux
enfants qui ont des propositions à formuler, la priorité allant, comme à l’habitude,
aux plus petits, c’est-à-dire à ceux qui en savent le moins. Certains remarquent
des absences de majuscules, d’autres pointent des incohérences textuelles (par
exemple ici le fait de parler de sœur), les plus aisés corrigent les accords et les
erreurs d’orthographe les plus complexes.
Progressivement, le texte de Samir évolue.

Titeuf
Il était une fois un garçon qui s’appelait Titeuf. Il ne voulait pas d’enfant. Mais il
faisait l’amour tous les jours avec sa femme Nadia. Un grand jour arriva : ils eurent
un bébé. Ils appelèrent cette petite fille Zizi mais Titeuf préférait l’appeler Zizou. Ils
vécurent heureux avec beaucoup d’autres enfants.
Samir

134
Un apprentissage vivant de la langue française par le texte libre

L’enseignant gagne à ne pas intervenir tant que les enfants ont des modifica-
tions à apporter, mais dans la mesure où plus personne n’a rien à dire, il indique
les zones du texte qui mériteraient des améliorations. Tous les changements
concernant le sens du texte et la narration sont soumis à l’accord de l’auteur. Les
interventions de l’enseignant consistent parfois à faire émerger chez lui des détails
concernant l’intention des personnages ou le contexte de l’action.
À la fin de cette séance de travail (environ une demi-heure), le texte a pris
cette forme :

La famille de Titeuf
Cette drôle d’histoire commence avec un garçon du nom de Titeuf ; il ne souhaitait
pas avoir d’enfant. Pourtant, il faisait souvent l’amour avec sa femme Nadia. Un jour,
elle tomba enceinte et ils eurent un joli bébé. Ils décidèrent d’appeler cette petite fille
Zizi mais Titeuf préférait la surnommer Zizou. Ils vécurent alors heureux avec de nom-
breux autres enfants.
Samir

Lorsque le texte de référence est choisi parmi des textes d’auteurs, le travail
de toilettage laisse alors place à une découverte plus fine de structures nouvelles
de l’écrit et diversifie les moments de chasses aux mots.
La chasse aux mots
Débute alors un second travail d’exploitation de ce texte. La chasse aux mots
vise à constituer des collections de mots à partir du texte de référence. Ces listes
se bâtissent selon des mots de même nature, des mots à similitudes, des groupes
de mots de même fonction, des mots d’un même champ lexical…

« On laissera à cette chasse aux mots son caractère de recherche collective et active, sans
l’éprouver ni le sanctionner par quelque devoir traditionnel 6. »

Avec la même consigne de priorité donnée aux plus « petits », chacun émet
des propositions qu’il argumente si nécessaire. Il convient de préciser au début
qu’un « nom commun » est une chose, qu’un « adjectif qualificatif » est un mot
qui donne des précisions sur le nom, etc. Les enfants remplissent dans leur portfo-
lio les tableaux regroupant les nouveaux mots trouvés. Progressivement, ces docu-
ments deviennent des aides pour étudier les prochains textes.

6. CÉLESTIN F., Grammaire française en quatre pages par l’imprimerie à l’école, BENP no 2,
octobre 1937, p. 4.

135
La coopération du point de vue de l’enseignement

Échantillon des mots collectés à partir du texte de Samir

Noms Adjectifs Verbes Mots Mots sur


Sujets
propres qualificatifs conjugués en « -euf » les bébés

Titeuf Drôle Commence Cette drôle Œuf Nounou


Nadia Joli Souhaitait d’histoire Bœuf Landau
Zizi Petite Faisait Il Neuf Berceau
Zizou Heureux Tomba Il Elle Veuf Pleurer
Samir Nombreux Eurent Ils Biberon
Décidèrent Ils Crèche
Préférait Titeuf Couches
Vécurent Ils Lait
Fontanelle

Au terme de ce travail, les enfants recopient le texte de référence sur leur cahier.
Pour les plus petits, il deviendra un support de lecture et enrichira la structure
d’apprentissage naturel du lire-écrire. Pour les plus grands, il sera la base pour
l’autodictée du lendemain : les enfants le mémorisent en devoir à la maison puis
tentent de le réécrire le lendemain en évitant les erreurs. La plupart des informations
proviennent des connaissances que les enfants se sont construites. Celles-ci ont été
puisées dans les documents mis à disposition (portfolio, affichages, fiches outils)
ou sont issues de leurs diverses expériences, scolaires ou non.
Les apprentissages deviennent possibles en raison de la récurrence des situa-
tions. C’est parce que les enfants sont confrontés régulièrement à de nouveaux
textes à étudier par l’intermédiaire de toilettages et chasses aux mots que progressi-
vement, ils développent des aptitudes et se construisent des compétences. En
d’autres termes, la plupart des enfants apprennent à marquer le pluriel d’un « s »
parce que, notamment, à plusieurs reprises, ils ont été conduits à en rencontrer
l’emploi dans un texte de référence. L’énoncé de la règle orthographique trouve
toute sa pertinence lorsqu’il s’agit de mettre en mots des expériences acquises.

« Les acquisitions ne se font pas comme l’on croit parfois, par l’étude des règles et des
lois, mais par l’expérience. Étudier d’abord ces règles et ces lois, en français, en art, en
mathématiques, en sciences, c’est placer la charrue devant les bœufs. Les règles et les lois
sont le fruit de l’expérience, sinon elles ne sont que des formules sans valeur 7. »

Le cahier mémento
Chaque fin de séance d’étude de texte gagne à se terminer par une analyse
projective. À la consigne « Qu’a-t-on appris aujourd’hui ? », les élèves formulent
des éléments de règles orthographique, grammaticale ou de conjugaison. L’une

7. CÉLESTIN F., « Les invariants pédagogiques », BEM, no 25, 1964, invariant 13.

136
Un apprentissage vivant de la langue française par le texte libre

d’entre elles est choisie puis approfondie. Avec l’aide de l’enseignant, le groupe
s’emploie à rédiger une trace écrite dont le but est d’expliquer au mieux la notion de
référence. Sur un « cahier mémento », un document collectant l’ensemble des outils
nécessaires pour l’étude de la langue, les élèves choisissent de recopier le texte éla-
boré ou de réécrire avec leurs propres mots ce qu’ils ont compris de la notion abordée.
Ce cahier mémento, ainsi que la plupart des outils d’étude de la langue, s’enrichit au
fil des séances et est toujours à disposition pour un éventuel usage.

Les mots personnels 8


Nous venons de traiter d’outils visant les compétences grammaticales et de
conjugaison. En ce qui concerne l’orthographe des mots, trois types d’activités
peuvent compléter le texte libre. La première, en lien avec le vocabulaire, corres-
pond à une dictée d’un panel de mots tirés de l’échelle Dubois-Buyse 9. Il s’agit
d’une liste fournie de mots classés par ordre de complexité et d’emploi dans des
textes d’enfants. Cet outil est intéressant d’abord parce qu’il élargit le champ
d’étude des mots de l’enfant en entrant dans des domaines parfois oubliés et,
ensuite, parce que ce travail conduit à un approfondissement du sens de certains
mots. En plus de la dictée des mots, il est demandé de rédiger une phrase expli-
quant le mot employé. Pour cette activité, les enfants s’entraînent puis, lors de la
dictée, ont pour consigne d’indiquer par un trait les mots dont ils ne sont pas
certains afin de ne pas fabriquer de l’orthographe.
Le deuxième travail proposé aux élèves pour leur permettre d’évoluer dans la
maîtrise orthographique de la langue est une autodictée d’un texte personnel
inventé ou choisi dans un répertoire de textes extérieurs à la classe. Comme pour
le travail précédent, la consigne est d’écrire tout ce que l’on connaît. Ces textes
sont changés dès qu’ils sont écrits deux fois sans erreur.
Le troisième outil employé pour l’apprentissage de l’orthographe est nommé
« mots personnels ». Chaque enfant dispose d’une grille de mots qu’il a écrits de
manière erronée, qui ont été recopiés correctement par l’enseignant et pour lesquels
il s’entraîne. Ils lui seront dictés aléatoirement et régulièrement par un camarade, à
l’image de ce qui peut se faire avec les mots de l’échelle Dubois-Buyse.

8. D’après les travaux de Jean LE GAL et Michel BARRIOS, Le Nouvel Éducateur, no 131, septembre
2001, p. 11.
9. « L’échelle Dubois-Buyse d’orthographe usuelle française a été établie vers 1940, puis réac-
tualisée.
Elle regroupe 3787 mots d’usage courant, vocables répartis sur 43 échelons, supposés connus
de tout adulte francophone : ainsi, 80 % des mots sont supposés connus après six années de
scolarité.
Elle joue au fond sur deux critères : facilité de compréhension et orthographe simple. Ces mots
sont regroupés en deux catégories : les mots outils qui représentent à eux seuls environ 40 %
du vocabulaire écrit courant, les autres mots étalonnés en degrés de difficulté, les échelons »,
in L’échelle Dubois-Buyse de TERS F., MAYER G., REICHENBACH D., éditions OCDL, Paris, 1988.

137
La coopération du point de vue de l’enseignement

Feuille d’apprentissage des mots personnels


1 16 31
2 17 32
3 18 33
4 19 34
5 20 35
6 21 36
7 22 37
8 23 38
9 24 39
10 25 40
11 26 41
12 27 42
13 28 43
14 29 44

Pour aider les enfants à mémoriser plus facilement des formes d’écriture, Jean
Le Gal et Michel Barrios leur proposent le cheminement suivant.

Le mémento de Le Gal et Barrios


Notre outil d’orthographe

Voici ce que je te propose pour apprendre à mieux orthographier les mots ou les
groupes de mots que tu utilises en écrivant quelque chose…

• Dans la classe, tu écris quand tu rédiges :


– un texte libre ;
– un article pour le journal ;
– ta lettre au correspondant ;
– une règle dans le cahier mémento, etc.
• Lorsque tu feras quelques erreurs d’orthographe, je t’écrirai correctement les mots
sur un petit papier que je collerai à ton nom sur l’armoire.
• Tu recopieras sans te tromper ces mots ou ces groupes de mots sur ta « feuille
d’apprentissage des mots personnels ».
• Tu apprendras :
– en lisant les mots les yeux ouverts ;
– en lisant les mots les yeux fermés ;
– en écrivant les mots les yeux ouverts ;
– en écrivant les mots les yeux fermés.
• Tous les lundis et les jeudis, je te dicterai cinq mots de ta feuille au hasard.
Chaque fois que tu les écriras bien, tu mettras une croix à côté. Au bout de trois
croix, tu pourras surligner au feutre ces mots et considérer que maintenant tu
sais les écrire.
• Au bout d’un moment, tu verras que tu fais beaucoup moins d’erreurs sur tous
les mots que tu as réussis… Bravo et bon courage !

138
Un apprentissage vivant de la langue française par le texte libre

La vie du texte libre


Pour compléter et conclure tout ce qui vient d’être présenté sur l’étude de la
langue en cycle III, voici un dernier document présentant l’évolution des produc-
tions libres. On saisira, entre autres, le parcours de chacun de ces textes, depuis
l’écriture brute de l’élève jusqu’à leur possible parution dans le journal de classe.

Évolution des productions 10


Expression libre Les exploitations…

Textes libres Correspondance Articles Autres


→ Les textes élus peuvent être
Choix de texte des supports de travail
pour toute la classe.
Mots personnels
→ Dictées de mots personnels
Corrections de l’adulte avec les codes
(orthographe, conjugaison)10 → mots personnels
→ Toilettage de texte
Réécriture du texte par l’enfant (pour le texte de la semaine)

Correction de l’adulte ou de la classe (syntaxe)


→ Chasse aux mots
Saisie sur ordinateur
→ Socialisation des écrits
Communication ou lecture collective

Pour les lettres aux correspondants ou les articles autour d’un thème précis
(pour les dossiers), les textes « voyagent » sur un tableau de suivi :

Écriture Correction Correction Relecture Saisie Texte


enfant adulte enfant adulte ordinateur terminé

Prénoms
enfants

Les transmissions de textes entre enfants et adultes se font par l’intermédiaire


de « la boîte aux lettres » composée de deux cases « Documents à corriger » et
« Documents corrigés ». L’enfant qui a le métier de facteur distribue le courrier
corrigé.

10. Dans la mesure où le texte n’est pas repris collectivement, les situations où l’enfant est
présent lors de la correction du texte semblent plus adaptées aux apprentissages.

139
4
Correspondance et journal scolaire

« Il faut leur dire ce qu’on mange au Bar-sur-Loup !


– Comment on travaille dans les champs.
– Ce qu’on récolte, ce qu’on fabrique.
– Quels arbres poussent, quelles fleurs.
– Quelles bêtes vivent.
– Comment on s’amuse, les fêtes, les coutumes. »
Célestin FREINET 1

Des correspondances pour élargir son milieu de vie

La correspondance interscolaire, introduite par C. Freinet dans les années 1920,


avait pour objectif premier « d’ouvrir la classe sur l’extérieur », d’enrichir sa
culture en lui permettant d’accéder à celle d’une autre, voire de plusieurs. Avoir
des correspondants, c’est être amené à découvrir l’autre, riche de ses différences,
vivant dans un espace géographique nouveau avec qui il va devenir possible de
partager certains points communs.
Au début, l’avis de la classe est demandé, afin de favoriser le nécessaire inves-
tissement de chacun. Décider de correspondre, c’est s’engager vis-à-vis de l’autre
classe à respecter certaines exigences mutuellement établies, dans un contrat
élaboré dès l’origine… Il semble en effet également judicieux de définir un tel
contrat de correspondance avec l’enseignant responsable de la seconde classe.
Celui-ci peut indiquer :
– le contenu des envois (lettres collectives et/ou individuelles, petits cadeaux,
travaux réalisés en classe, journal de classe, etc.). L’équivalence des
échanges, règle d’or de la correspondance, implique un contrôle sur le
contenu et la forme des envois : toute lettre doit avoir une réponse, même
si un élève est absent (la classe prend en charge son envoi) ;
– la fréquence des échanges ;

1. In Naissance d’une pédagogie populaire, Maspéro, Paris, 1971, p. 41.


C’était en 1925, la classe de Freinet et celle de Daniel entamaient pour la première fois une
correspondance.

141
La coopération du point de vue de l’enseignement

– le type de correspondance que l’on va mettre en place : s’agira-t-il de corres-


pondance collective uniquement, ou bien aussi de correspondance indivi-
duelle ?

Exemple de feuille de présentation

Nom Prénom Âge Classe

Métier préféré Métier de mes parents

Couleur de mes yeux Ma couleur préférée

Mes animaux préférés Mon sport favori

Mon école et ma classe Mes ami(e)s

Ma matière d’école préférée Mes animaux de compagnie

Ma passion Mon pays préféré

Ma famille Mes souhaits pour la correspondance

Mon message personnel Un dessin pour toi

Les élèves sont naturellement informés du planning défini et un affichage est


là pour le rappeler.
L’importance de la formation de couples de correspondants est souvent souli-
gnée. Les maîtres en décident en fonction de l’âge des enfants, de leurs centres
d’intérêts, de leurs compétences en écriture et en lecture… Il vaut mieux que les
enfants ne se choisissent pas seuls de manière à éviter les dernières constitutions
de couples réunissant la plupart du temps les enfants les moins engagés dans ce
projet. De plus, afin que les rapprochements ne dépendent pas essentiellement
d’attributs physiques, il est souvent préférable de ne pas s’envoyer de photos
individuelles pendant les premières semaines. Le conseil gagne à être sollicité
pour définir les critères à partir desquels les couples seront constitués.

142
Correspondance et journal scolaire

Il reste encore un obstacle de taille : pourquoi écrire à des inconnus ? C’est


certainement parce que l’autre existe, parce qu’il est à la fois présent et absent,
parce qu’il est loin, que les élèves vont s’y intéresser : correspond-il à l’image que
je me fais de lui ? À celle que j’ai de moi ? Est-il semblable ? Différent ? À cet
égard, il paraît préférable, afin de susciter l’intérêt et l’interrogation, que ces cor-
respondants ne soient justement pas trop semblables aux élèves avec qui ils
vont échanger (situations géographiques, taille des deux écoles, milieux de vie…
différents).

« Chaque classe est appariée avec une autre, si possible de niveau et d’effectif correspon-
dants. Il est intéressant que les deux classes appartiennent à des milieux géographiques
assez différents. […] Chaque quinzaine, chaque enfant écrit à son correspondant qui
devient vite son ami. Les maîtres ont constitué des couples d’âge et niveaux scolaires et
d’intérêts, sensiblement correspondants pour que l’échange soit possible 2. »

Une fois le contrat entre les classes établi par les enseignants, pour démarrer
une correspondance entre une classe A et une classe B, on peut se référer à cette
approche :
– la classe A envoie à la classe B une première lettre collective ainsi qu’autant
de fiches individuelles de présentation qu’il y a d’élèves intéressés par ce
projet ;
– la classe B envoie en réponse une seconde lettre collective, autant de fiches
individuelles de présentation qu’il y a d’élèves et une proposition de
couples ;
– la classe A étudie les couples proposés, engage les correspondances indivi-
duelles lorsqu’il n’y a pas de souci et apporte des modifications aux autres
rapprochements. Les échanges peuvent alors commencer.
Voici, page suivante, ce que peut donner une première lettre collective, avec
des enfants de 8 à 10 ans.
À l’arrivée du colis, les enfants sont sollicités pour la lecture des lettres :
– la lettre collective (éventuellement par l’enseignant, lorsque les élèves ne
sont pas encore suffisamment « grands en lecture »), lorsqu’il s’agit d’une
lettre adressée à l’ensemble de la classe ;
– les lettres individuelles (parfois là aussi avec l’aide du maître, ou d’élèves
plus compétents en lecture), dans le cas d’un envoi de correspondant à
correspondant. Il est intéressant à ce stade de permettre à chacun, s’il le
souhaite, de lire publiquement une partie de sa propre lettre, si elle est
susceptible d’intéresser le groupe.

2. VASQUEZ A., OURY F., Vers une pédagogie institutionnelle?, Matrice, Vigneux, 1967, p. 37.

143
La coopération du point de vue de l’enseignement

Montpellier, le 6 octobre

Bonjour chers correspondants,

Nous avons reçu votre lettre et nous l’avons lue attentivement.


Nous habitons dans la ville de Montpellier, dans le département de l’Hérault.
Ça se trouve dans le sud de la France à environ une vingtaine de kilomètres de
la mer Méditerranée. Nous sommes à 700 kilomètres de Paris.
Notre école s’appelle l’école Antoine Balard. Il y a dix classes dans l’école et en
tout, nous sommes environ 220 élèves. Nous sommes une classe de cycle III avec
des CE2, des CM1 et des CM2. Il y a 21 élèves.
Le sport que nous pratiquons en ce moment est l’athlétisme. Ce vendredi, nous
allons parcourir 3 kilomètres sans nous arrêter. Nous avons inventé un sport qui
s’appelle le loup-ballon que nous faisons le jeudi après-midi.
Voici les règles
Le loup-ballon
Créateur Ichem
1 – Le loup doit toucher les moutons avec un ballon.
2 – Le mouton qui a été touché devient loup (il porte un foulard).
3 – Le dernier touché devient le gagnant et choisit le prochain loup.
4 – Quand on a tiré, on doit passer le ballon.
5 – Celui qui râle ou triche est exclu.
6 – On joue avec deux ballons.
L’année dernière, nous avons eu des correspondants qui habitaient à Gradignan
à côté de Bordeaux. Nous avons pu les rencontrer en classe de découverte. Nous
vous enverrons le plan de la classe avec le prénom de tous les élèves. Nous
travaillons en faisant des ceintures, pas de judo mais de français et de maths. Il
y a plusieurs couleurs le blanc, le jaune, l’orange, le vert, le bleu et le marron.
Tous les samedis, nous faisons un conseil de classe.
Est-ce que vous aussi vous faites des conseils de classe ?
En classe, nous faisons de l’anglais. Nous sortons un journal qui explique ce que
nous faisons pendant la semaine et les sorties. Si vous nous le demandez, on
vous en enverra un. Il s’appelle Le Canard sans patte. Il sort tous les quinze
jours. Il fait quatre pages et nous pouvons le vendre.
Nous pensons que votre activité théâtre est sympa. Racontez-nous dans les
détails comment vous faites. Est-ce que nous pouvons le faire nous aussi ?
Pouvez-vous nous décrire vos étangs ?
Qu’est-ce qu’il y a d’intéressant à savoir sur la Savoie ?

Au revoir et à bientôt.

144
Correspondance et journal scolaire

De manière plus étendue, il est possible de dresser une liste des supports de
communication à la correspondance lettres collectives, lettres individuelles, e-
mails, enregistrements (audio, vidéo…), cadeaux, photographies, exposés, confé-
rences d’enfants en diaporama ou par affiche, journaux scolaires, albums, travaux
en mathématiques, en géographie, en histoire…, roman construit en cadavre
exquis, productions artistiques, recettes, poèmes, objets fabriqués, etc.
Pour s’adresser à l’ensemble de la classe, la réponse est produite collective-
ment. Elle donne alors lieu à des activités en français, en mathématiques, en
géographie et bien d’autres. Il s’agit de réelles séances d’apprentissage, motivées
par le désir des enfants d’être compris de l’autre. Être lisible, présenter son travail
avec soin, sont autant de désirs qui sont susceptibles de croître et qui permettront
un accès progressif à la maîtrise de la langue écrite.
De plus, répondre aux correspondants implique parfois :
– de se documenter, d’aller chercher des informations (en BCD, mais aussi
auprès des parents, de la médiathèque du quartier, des voisins…) ;
– de s’interroger sur des sujets qui jusque-là ne revêtaient que peu d’impor-
tance aux yeux des enfants parce qu’ils étaient liés à leur vie quotidienne,
à leur environnement familier… ;
– d’où la naissance d’enquêtes, de sujets d’études, à la fois conformes aux
demandes de l’institution scolaire et aux attentes des enfants. Les envois
comprendront alors les traces écrites de ces sujets d’études, des activités
menées en classe pour répondre aux questions des correspondants
(albums), etc. L’intérêt est de donner du sens à l’écrit.
Quant au contenu des écrits, si l’intervention du maître est limitée, il peut tout
de même être conduit à utiliser son « droit de veto 3 », afin qu’aucun enfant n’aille
jusqu’à, par exemple, manquer de respect à son correspondant (voir règles de
fonctionnement de la correspondance, page suivante). Il veille en même temps à
la correction orthographique et syntaxique des lettres, ce qui constitue au passage
un ensemble de situations permettant la construction d’apprentissages vivants en
orthographe, vocabulaire, grammaire et conjugaison. Pour suivre le cheminement
des écrits entre leur premier jet sur brouillon et l’envoi aux correspondants, il est
possible de se référer à un tableau des corrections tel que celui-ci.

3. Le maître, en tant que responsable légal de la classe, peut l’utiliser chaque fois que le bon
fonctionnement de la classe est menacé ou que l’intégrité physique ou morale d’un enfant est
en jeu.

145
La coopération du point de vue de l’enseignement

Tableau des corrections

Mon brouillon est Mon brouillon est J’ai terminé ce que


Prénom
terminé corrigé je veux envoyer

Mike

Gina

Lucie

Quelques repères pour


réussir une correspondance 4

• Équivalence et régularité des envois : toute lettre reçoit une réponse et mieux
vaut écrire peu mais souvent que beaucoup et espacé dans le temps.
• Envoi simultané de toutes les lettres.
• Respect des souhaits et demandes de l’autre.
• Qualité des courriers : écriture, décoration, contenu, orthographe.
• Sécurité des enfants : vérification des envois par les adultes (contrôle du fond,
de la forme et des éventuels oubliés).
• Contrat et communication entre les maîtres (calendrier, rythme des envois, format
des lettres…).
• Variété des types d’envois.
• Lien entre la correspondance et les activités scolaires.
• Communication plus par l’écrit que par l’image.
• Conservation des écrits envoyés et reçus.

4. MAUDRIN J.-L., « La correspondance », in Échos – PI, no 6, septembre 2001, p. 26.

146
Correspondance et journal scolaire

10 recettes pour
essayer de rater une correspondance 5

• S’abstenir de passer un contrat avec l’autre collègue.


• Organiser un échange de photos dès le début.
• Ne pas veiller à la réciprocité des échanges.
• Éviter de se soucier de la qualité des envois (lisibilité, orthographe, soin…).
• Laisser partir les envois sans lecture du responsable de la classe.
• Laisser les retards et les silences s’accumuler.
• Ne pas faire signe au collègue en cas de difficulté.
• Accepter tout de suite l’échange des adresses personnelles.
• En cas d’absence ou de départ d’un élève, s’abstenir de prévenir son correspon-
dant et le collègue.
• Ne pas veiller au moment de la clôture de la correspondance scolaire.

NB : Cette liste n’est, bien sûr, pas exhaustive, et son ordre plutôt arbitraire…

La correspondance est sans nul doute aussi un élément permettant à l’enfant


de progresser sur le plan de la socialisation dans la mesure où il échange avec
l’extérieur, avec ces individus qu’il ne connaît pas encore, dans la mesure où il
reçoit de l’autre, qui au début, lui est étranger. En outre, échanger avec l’autre
permet certainement d’accéder à une meilleure connaissance de soi. En effet, la
découverte des particularités du correspondant permet, soit de s’en différencier,
soit de s’y identifier, et par conséquent, de se découvrir.
Quand cela est possible, les enfants seront amenés à se rencontrer, de préfé-
rence après le milieu de l’année scolaire, lorsque la correspondance est bien
installée. Cette rencontre peut d’ailleurs avoir pour conséquence une modification
des binômes ou trinômes de correspondants 6. Ces rencontres peuvent faire l’objet
d’une sortie à la journée, mais aussi d’une classe de découverte commune ou
d’un voyage échange qui voit les enfants accueillis dans les familles de leurs
correspondants pendant les temps extrascolaires.

5. GEFFARD F., « La correspondance au centre des apprentissages », in Le Nouvel Éducateur,


no 63, novembre 1994, p. 34.
6. Certains enfants, compte tenu du nombre d’élèves dans chacune des classes, sont en effet
amenés à échanger avec deux correspondants.

147
La coopération du point de vue de l’enseignement

D’autres formes de correspondances peuvent exister, notamment les réseaux


de correspondance via Internet. Ceux-ci se développent par l’intermédiaire
d’envois de messages électroniques, non pas à une seule classe mais à un
ensemble de classes inscrites sur une même liste de diffusion. Ainsi donc, au lieu
de disposer d’une seule source d’informations, chaque classe en possède plu-
sieurs. Pour chaque message, il n’y a plus obligation de réponse. Chacun d’eux
constitue un événement qui entre dans la classe et peut faire l’objet d’une activité
par un enfant, quelques-uns ou parfois par la classe dans son entier sous forme
de projet collectif. Les communications ne sont plus nécessairement liées à des
travaux de groupe, elles peuvent correspondre à des engagements individuels. De
ces réseaux peuvent émerger également des correspondances individuelles, cette
fois-ci entre deux enfants qui sont intéressés pour échanger par e-mail ou lettre.

Éditer un journal ou un blog scolaire

Outil incontestable de la classe pour finaliser le travail des élèves, le journal


scolaire est porteur de bien plus d’intentions que la seule communication de
pratiques et faits de classe. Davantage éponge à engagements que support d’une
qualité toute relative, ce journal se veut catalyseur des énergies et surtout vecteur
d’apprentissages. En somme, il n’existe qu’au regard des visées suivantes :
– donner sens à la production des élèves par la communication des écrits ;
– informer les partenaires de la classe (parents, camarades, voisins, corres-
pondants…) de quelques réalités significatives ;
– échelonner les tirages et ainsi donner des repères temporels pour l’avancée
des écrits ;
– réunir l’ensemble des champs d’activité de la classe ou de l’école ;
– susciter des engagements responsables relatifs à l’élaboration du pério-
dique ;
– asseoir quelques apprentissages par des réinvestissements objectivés ;
– permettre des situations de rencontre et de coopération des élèves par le
travail ;
– renforcer les notions de plaisir et de désir d’apprendre ;
– éventuellement, enrichir la caisse de la coopérative scolaire par une vente.
Les journaux rédigés ne sont pas soumis à un critère de qualité. C’est l’expé-
rience de la pratique qui fait évoluer naturellement les productions par évaluation
et évolution. Les premiers journaux scolaires existaient à l’école d’Ovide Decroly
en Belgique ; on en imprimait avant 1925. Il est même probable que des journaux
d’école aient existé depuis bien longtemps, sous une forme clandestine où les
écoliers donnaient libre cours à leur expression spontanée et à leurs ressenti-
ments.

148
Correspondance et journal scolaire

« La vie familiale et sociale apportée en classe par les dits et les écrits des élèves consti-
tuèrent, une fois imprimés, un ensemble de centres d’intérêts émanant directement des
élèves et respectant leurs intérêts immédiats et l’intérêt dominant de la classe 7. »

Avec Freinet, ils se sont construits d’abord grâce à un limographe (une sorte
de petite imprimerie pour enfants avec une casse et de l’encre), ensuite à l’aide
d’une machine à écrire et enfin maintenant avec l’ordinateur. L’informatisation fut
un grand pas pour faciliter la tâche des enseignants et des élèves.
Lorsqu’on se lance dans cette expérience, la consigne que l’on peut donner
aux enfants est : « Si tu as un texte, tu nous le donnes. » Le journal devient une
compilation de textes d’enfants, ce qui constitue un bon départ. Par la suite, il
reste à trouver d’autres déclinaisons. Le principe du journal scolaire est de tout
publier, de tout y mettre, quitte à ce que certains articles ne soient pas très
intéressants. Avec l’accord de l’auteur, toute production écrite induit publication.
Le but de l’enseignant n’est pas de former des journalistes mais de permettre à
des élèves d’apprendre à lire et à écrire. Ainsi, le journal scolaire ne se veut pas
une fin mais un moyen. Dans une optique d’apprentissage naturel de la lecture
et de l’écriture, il devient un support privilégié de lecture et de sens donné aux
activités d’écriture.
Le journal scolaire a une visée de communication : il est nécessaire qu’il soit
lu et que les enfants s’en rendent compte ; on écrit et on s’efforce de bien le faire
parce qu’on sait que des personnes extérieures à la classe vont y porter leur
regard. C’est pourquoi la participation des parents compte dans cette expérience,
ne serait-ce qu’à travers une lecture régulière des textes qui s’y trouvent. L’ensei-
gnant peut même considérer ce journal comme un outil de communication et de
liaison d’information entre l’école et les familles.
C’est pour cela que le journal gagne à être gratuit, tout du moins pour les
parents des enfants de l’école et pour les correspondants. Les lecteurs extérieurs
à l’école peuvent se le procurer par le biais d’un abonnement. Le responsable de
la publication doit alors faire enregistrer le journal et disposer d’un numéro ISSN
(demander les formulaires d’enregistrement à l’ICEM de Nantes).
En ce qui concerne l’approche pédagogique et technique de la réalisation du
journal, la première intention est de créer des événements en permanence : faire
en sorte que les enfants aient des sujets à partir desquels ils auront des choses
à raconter, à communiquer, même si ces sujets ne sont pas porteurs d’universalité.
Par exemple, un support d’écriture peut être la présence d’ouvriers dans ou à
proximité de l’école, une sortie scolaire ou la présentation dans la classe d’un

7. FREINET C., « Contre un enseignement livresque, l’imprimerie à l’école », Clarté, no 75, mai
1925.

149
La coopération du point de vue de l’enseignement

petit animal. À partir de là, il reste à envoyer des enfants avec de quoi écrire, des
questions préparées à l’avance et un appareil photo. Tout est occasion d’écriture.
Une fois les sujets trouvés et les enquêtes réalisées, les élèves écrivent le
brouillon de leur article afin qu’il soit corrigé par un adulte. Cette correction gagne
à être rapide et aidante, le principe général étant de conserver l’élan de motivation
initial des enfants pour l’écriture. Le but ici est qu’ils s’expriment par écrit, le
travail de systématisation d’orthographe ne peut pas trouver place à ce moment-
là. Pour beaucoup d’enfants, les rédactions successives d’articles pour le journal
tendent à ce que les apprentissages liés à l’écriture se déclenchent par eux-
mêmes. On comprend donc toute l’importance de susciter chez eux l’envie de
s’exprimer par l’écrit. Avant que le texte ne paraisse dans le journal, les articles
peuvent être imprimés pour leurs auteurs et collés dans leur cahier de classe.
Au bout de quelques parutions, l’enseignant peut inviter à la réalisation
d’articles définis par la réponse aux questions : quand, comment, où, pourquoi ?
Mais ces recherches journalistiques ne peuvent pas être exclusives, sous peine
de bannir toute la dimension poétique par exemple, ce qui fait le charme et la
différence des journaux scolaires.
La plupart du temps, les enfants sont amenés à saisir leurs textes pendant les
heures de classe, ce qui incite l’enseignant à admettre que tous les élèves ne font
pas tous la même chose en même temps. C’est pour cela qu’il semble favorable
que des ordinateurs se trouvent dans les classes et pas seulement dans une salle
informatique. Tout comme il y a le tableau, on trouve des ordinateurs.
Il n’est pas nécessaire de former les enfants à la mise en page. Dans le pire
des cas, c’est l’adulte qui s’en charge, sinon, un élève qui se débrouille un peu
mieux que les autres peut se voir proposer cette responsabilité. Le principe de
base de la mise en page est de penser une maquette de journal, qui ne change
jamais mais qui attribue une personnalité à la publication de la classe : par
exemple, travailler en quatre colonnes, écrire le titre du journal sur 1/5 de la
première page, valoriser la présentation par des photos ou des images, etc. En
fin de journal, pour chaque numéro, un enfant peut être choisi comme « journa-
liste en herbe ». Il a alors la possibilité de monter un dossier dont lui seul est
l’auteur. Le contrat consiste à ce qu’il puisse s’extraire des activités collectives
pour se consacrer à cette tâche. Le lundi matin, il pose dix questions à ses cama-
rades de classe et le meilleur dans les réponses devient le prochain journaliste
en herbe. Cela permet en même temps de vérifier le taux de lecture du journal.

150
Correspondance et journal scolaire

Exemple de fiche technique pour la réalisation d’un journal ou d’un blog


Le journal de classe

Remarque : Titre, domaine de diffusion, outils d’élaboration et nature des rubriques


sont définis.

• Les responsabilités
– Un rédacteur en chef qui coordonne les différentes équipes et lie les étapes de
la production.
– Des journalistes d’investigation chargés de la rédaction et de la collecte des
différents articles périphériques. Ces journalistes peuvent être responsables d’un
type d’articles (les annonces par exemple).
– Des journalistes spécialistes chargés de la rédaction du dossier.
– Des maquettistes qui mettent en forme le journal sur traitement de texte ou
autre.
– Des commis responsables du tirage et de la diffusion des exemplaires.

• Exemple de composition d’un journal de classe (les blogs ne sont pas soumis à
ces contraintes)

Format : A3 recto-verso.
Articles agrémentés des photos, schémas et dessins.
Recto :
– Titre – Numéro – Date de parution.
– Présentation de l’équipe de publication.
– Dossier (réunions d’articles autour d’un thème ou sujet de préoccupation précis).
Verso :
– Articles périphériques sous formes diverses (compte rendu, récit, vécu, roman
feuilleton, fiche d’activité, interview, chant, enquête, jeux, annonces, anec-
dotes…).
– Présentation du prochain sujet de dossier.

• Échéancier d’une organisation productive sur 2 semaines

J – 10 : Choix des différents articles et des journalistes spécialistes du sujet de


dossier – Début des écritures.
J – 7 : Collecte des articles et agencement du dossier 8.
J – 6 : Début des travaux de mise en forme du journal.
J – 4 : Fin de mise en forme et tirage de la maquette – brouillon.
J – 3 : Correction de la maquette – brouillon. Choix du sujet du dossier suivant.
J – 2 : Tirage des épreuves définitives.
J – 1 : Diffusion des publications.
J : Réunion bilan et perspectives des futurs numéros.

8. Certains textes libres peuvent être soumis à un travail collectif d’amélioration. Ces modifica-
tions ne pourront pas se faire sans l’auteur.

151
La coopération du point de vue de l’enseignement

Un exemple de journal : Le Canard sans patte

Année scolaire 2007-2008


Le Canard sans patte est le journal d’enfants des classes uniques de l’école coopéra-
tive Antoine Balard de Montpellier.

La forme du journal
Périodicité : bimensuel, au plus toutes les 3 semaines.
Composition : sur quatre pages alternant des dossiers sur des événements vécus et
des textes libres.
La une comprend, entre autres, une image ou une photo choisie à cet effet, ainsi
qu’une bande supérieure présentant un sommaire du journal. Ce sommaire est illustré
par des icônes. Une mention indique que les lecteurs sont invités à faire des
remarques sur les articles.
Les images, dessins ou photos sont légendés. Les textes sont présentés en trois
colonnes.

La diffusion
Chaque journal est remis gratuitement à chaque enfant. Les autres numéros sont
vendus. Les profits de cette vente entrent dans les coopératives des classes
concernées.
Numéro CPPAP : 8967.
Prix au numéro : 1 Ā Abonnement pour une année (au moins 10 numéros) : 8 Ā sans
le port – 12 Ā port compris.

Le contenu
Dépend de chaque classe. Il peut s’agir de textes libres choisis, d’articles constituant
un dossier, de jeux, de dessins… En bas de la quatrième page, un encart est réservé
au « rédacteur de la semaine ». Il s’agit d’un espace réservé à un enfant reconnu par
les enseignants comme ayant fourni un gros effort de lecture du journal.

La rédaction des articles


Entre leur rédaction et leur saisie, les textes suivent un itinéraire précis :
1 – Les textes écrits sont déposés dans la boîte aux lettres de l’enseignant.
2 – L’enseignant annote ces textes à partir de la grille des codes de correction de
textes (orthographe, syntaxe et sens).
3 – Les textes sont corrigés et réécris par les élèves.
4 – Une fois correctement écrits, les textes sont remis à l’enfant dont le métier est de
faire passer les auteurs pour la saisie informatique de leurs articles.

La fabrication des journaux


Les enseignants s’occupent de la mise en page ainsi que des tirages. L’informaticien
de la classe (un métier) ouvre chaque jour le fichier où les textes doivent être tapés.
Les enfants rédigent et corrigent les textes puis les saisissent par traitement de texte.
Les enseignants effectuent une relecture des textes saisis, corrigent les éventuelles
erreurs et regroupent les écrits dans un seul fichier en séparant bien les diverses
parties.

152
Correspondance et journal scolaire

Après la parution
Plusieurs activités pédagogiques suivent la parution du journal :
–la lecture des articles devant toute la classe accompagnée des raisons qui ont
conduit au choix de ces articles ;
–la création d’un patrimoine de classe : « Qu’est-ce qu’on peut faire pour améliorer
notre journal ? » Les enfants émettent des propositions concernant les articles et le
journal dans sa globalité ;
–chasses aux mots (voir études des textes libres, p. 135) ;
–questionnaire sur la lecture du numéro précédent en vue de désigner le rédacteur
de la semaine.

Voici un panel des articles parus ces dernières années dans Le Canard sans
patte (CSP) :
→ À partir de textes libres

Le singe, le poulet et la patate


Un singe et un poulet se trouvaient dans la rue. Ils voulaient tous les deux manger
une patate. Tout d’un coup, ils en croisèrent une. Mais la patate leur tendit un piège.
Le singe et le poulet tombèrent dans des piquants. Alors, la patate les a mangés tous
les deux.
Smaaïl – CSP 63

→ En géographie

L’Italie
Quand nous sommes partis à la foire exposition, j’ai appris qu’il y avait une grande
tour qui se nommait la tour de Pise. Il y a aussi le Colisée. C’est une arène de deux
étages en forme de rond. Il est à Rome. À Venise, il y a des gondoles pour la fête des
amoureux. Les gondoliers sont des hommes qui font avancer la gondole.
Wanessa – CSP 65

→ Poésie et jeux de mots

Poésie à l’envers sur la classe


Les Kapla jouent avec Yasmina
Le tableau écrit sur Jalal
Cette belle histoire lit Jawad
Le tiroir ouvre Ibtissame
Son cahier corrige Wafâa
L’ordinateur joue avec Gina
Un message clair fait Samir
Wanessa – CSP 55

153
La coopération du point de vue de l’enseignement

→ Comptes rendus de sorties

La fugueuse
Quand nous allions sortir de la ferme, il y avait une poule qui fuguait depuis deux
jours. Mais elle avait peur. Le maître nous a dit : « Si vous l’attrapez, vous aurez trois
fois du goûter ! » Mais nous n’y sommes pas arrivés. Au moins, nous l’avons fait
rentrer. C’était difficile, parce que lorsqu’elle faisait des virages, nous n’arrivions pas
à la suivre.
Mouaâd – CSP 51

→ En histoire

L’annexe
C’était pendant la guerre 1939 à 1945. La famille Franck ne voulait pas être emportée
dans un camp de concentration. Ils avaient très peur, donc ils ont décidé de fuir dans
une cachette, ils y sont partis. C’était dans une bibliothèque. En sachant qu’ils ne
pouvaient pas sortir pendant deux ans. Dans cette bibliothèque, ils étaient huit et
une femme leur rendait des services. Elle leur donnait à manger. Un jour, la porte fut
ouverte par la Gestapo parce qu’un homme les a balancés parce qu’ils étaient juifs.
Badredene – CSP 41

La grotte de Tautavel
Pendant la préhistoire, il y a eu quarante communautés qui sont entrées dans la
grotte. La première s’est installée, puis, pendant un long moment, personne n’est
venu. Alors, avec le temps, une couche de terre a recouvert le sol. Plus tard, une
deuxième communauté est arrivée, elle y est restée à peu près deux semaines avant
de repartir. Alors, toujours avec le temps, la grotte a été recouverte de sable et ainsi
de suite pendant des milliers d’années. Cette terre et ce sable s’appellent les sédi-
ments. C’est comme ça que les archéologues ont trouvé des indices.
Marie – CSP 81

→ En sciences

Le champignon
Le champignon, il faut le choisir pour le mettre dans le roquefort. C’est un champignon
qui se développe sur du pain. Son nom, Penicillium roqueforti. On le mélange avec le
lait de brebis puis on met les fromages dans les caves où les fleurines permettent
que la température reste toujours constante. Le champignon se développe dans les
fromages et il donne tout son goût au roquefort. Les maîtres affineurs vérifient
comment évoluent les pains de roquefort.
Soufiane – CSP 80

154
5
L’apprentissage naturel du lire-écrire

« Notre méthode naturelle est une méthode de vie. […] En tâtonnant, l’enfant cherche
sans cesse, consciemment ou non, la réponse essentielle et constructive aux pro-
blèmes complexes que lui pose la vie. […] C’est cette possibilité que nous avons réali-
sée pour toutes les disciplines scolaires, par la mise au point de nos méthodes
naturelles de lecture, d’écriture, d’histoire, de géographie, de sciences, de calcul, de
dessin et de peinture. Pour toutes les disciplines, donc, nous inversons les processus
d’apprentissage en plaçant à l’origine non la règle et les leçons mais la pratique et
l’action. […] C’est vraiment en forgeant qu’on devient forgeron. »
Célestin FREINET 1

La complexité de l’acte intellectuel

Apprendre à lire et à écrire ne correspond pas en soi à des procédures diffi-


ciles ; celles-ci constituent pourtant des activités mentales complexes, qu’il est
impossible de décrire en quelques mots ou par des idées simples au regard de la
pluralité des profils d’enfants. Généralement, tous ceux qui tentent de nous faire
croire le contraire ont quelque chose à nous vendre ou des mandats électoraux à
reconduire. À ce titre, il semble toujours intéressant de rappeler qu’au fil des ans,
les progrès dans la maîtrise de la lecture s’affirment, en témoignent les résultats
de cette étude de l’INSEE en 2002 2 qui consistait à mesurer les difficultés face à
l’écrit selon la lecture de mots, l’écriture et la compréhension de textes
simples 4 % d’illettrés chez les 18-24 ans, 11 % chez les 25-39 ans, 13 % chez les
40-54 ans et 19 % chez les 55-65 ans. Autrement dit, près d’un senior sur cinq a
des difficultés, mais un jeune sur vingt-cinq. Cependant, il est vrai qu’il est tou-
jours possible de poursuivre la progression et de tendre vers une disparition totale
de l’illettrisme en 6e.
Au sujet de l’enseignement de la lecture et de l’écriture, les recherches sur ces
questions en pédagogie et en sciences cognitives ont pu montrer que :
• apprendre en général et à lire en particulier est directement lié à l’affecti-
vité si on ne voit pas ce que cela peut nous apporter, si l’on n’en perçoit pas

1. In Œuvres pédagogiques, tome 2, Le Seuil, Paris, 1954, p. 367-368.


2. INSEE, Première, no 959, avril 2004.

155
La coopération du point de vue de l’enseignement

du plaisir, au mieux on comprend puis on oublie, au pire, on perd son temps


en n’apprenant rien ;
• apprendre à lire correspond à l’activité mentale de l’enfant et non à celle de
l’adulte qui essaie de lui faire apprendre. S’il n’y a pas cette volonté, cette
motivation, ce désir pour entrer dans le monde de l’écrit, il n’y a pas d’élan
de recherche. Les apprentissages sont alors soit longs et pénibles, soit
impossibles. C’est pour cela que l’on peut rencontrer des enfants qui
apprennent difficilement à lire avec un très bon enseignant et d’autres qui
apprennent aisément avec un piètre pédagogue ;
• on apprend à lire en même temps qu’on apprend à écrire et inversement.
C’est pour cette raison qu’on parle plutôt de l’apprentissage de « l’écrilire »
(ou du lire-écrire). Apprendre à lire donne du sens à l’écriture et écrire permet
un transfert réfléchi des compétences construites en lecture ;
• l’écrilecture se développe dès le plus jeune âge et se poursuit tout au long
de sa vie. Il ne débute pas lorsqu’il est l’âge d’entrer en CP et ne se termine
pas à la fin de cette année. Cet apprentissage commence dès qu’un enfant
rencontre pour la première fois un album, une lettre reçue par un papi ou
une mamie, se développe par l’acquisition d’un dictionnaire personnel de
plus en plus riche et donc par le langage oral. Il se poursuit par la multiplica-
tion des situations d’interaction avec l’écrit, chaque fois que l’on y fait réfé-
rence dans notre vie de tous les jours, de manière plus générale par le
caractère vivant du quotidien de nos existences ;
• l’acte d’écrilire est une combinaison entre deux activités indissociables : utili-
ser le principe alphabétique du code (faire correspondre des sons et cer-
taines associations de lettres) et mettre du sens dans la communication que
l’on est en train de vivre (quand on lit, on reçoit un message, quand on écrit,
on en envoie un). Mettre du sens seulement ne suffit pas à s’approprier les
informations contenues dans un texte. À l’inverse, déchiffrer ne permet pas
un accès à la signification. Au final, lire correspond à la capacité de com-
prendre de manière rapide les informations inscrites dans un texte ; écrire à
celle de retranscrire sur du papier ou un écran des informations que l’on
souhaite communiquer ;
• le principe alphabétique de la langue française n’est valable que pour une
grosse moitié des occurrences graphèmes-phonèmes. Le restant correspond
à des irrégularités de la langue ou à des particularismes. Lire en français est
donc un acte complexe qui exige du temps, le déchiffrage aveugle est source
de problèmes multiples. À cet effet, on peut utiliser l’exemple donné par
E. Charmeux sur la nécessité d’appréhender le mot dans son entier pour en
faire le déchiffrage 3 Mo – Moi – Moins – Moine – Moineau ;

3. CHARMEUX E., Apprendre à lire: échec à l’échec, Milan, Toulouse, 1987.

156
L’apprentissage naturel du lire-écrire

• chaque enfant dispose d’un profil qui lui est propre pour apprendre à lire et
écrire. Certains apprendront mieux en s’appuyant sur des concordances entre
les mots qu’ils rencontrent et ceux qu’ils connaissent, quelques-uns privilé-
gieront comme entrée l’étude des lettres, d’autres préféreront partir du type
d’écrit qu’ils ont sous les yeux pour orienter leurs recherches, etc. La plupart
du temps, les observateurs extérieurs n’ont pas accès à la nature des straté-
gies employées par les enfants, d’autant plus qu’elles gagnent à varier et à
évoluer au fur et à mesure que les apprentissages s’effectuent ;
• la nature des stratégies choisies par un enfant n’influe pas sur ses futures
capacités à lire-écrire. C’est plutôt la fréquence de l’emploi de ses compé-
tences qui lui permettra de devenir un écrilecteur aisé. De plus, alors que
certains n’auront besoin que de quelques mois pour s’engager dans l’écrilec-
ture, d’autres, de profil cognitif similaire, demanderont plus de temps. Au
final, ces deux familles d’enfants pourront devenir à égale mesure des écri-
lecteurs capables de produire les mêmes performances, même s’ils auront
dû emprunter des cheminements différents pour y parvenir.
Les enseignants en charge d’élèves de CP observent régulièrement qu’un
enfant qui dispose d’un dictionnaire oral important, qui a un réseau de connais-
sances établi, qui a rencontré très tôt des écrits par l’intermédiaire notamment des
albums de jeunesse, qui n’a pas peur de se tromper et qui sait ce qu’apprendre
à lire et écrire va lui permettre d’obtenir et de réaliser à court terme ne rencontrera
que très peu de difficulté pour écrilire. À l’inverse, un enfant qui découvre pour
la première fois le livre vers l’âge de 5 ou 6 ans, qui possède un vocabulaire
pauvre, qui explique qu’apprendre à lire lui servira à « avoir un métier », et qui
préfère se taire ou rester en retrait plutôt que d’essayer, aura énormément de mal
pour acquérir ces apprentissages.

De quelles méthodes parle-t-on pour apprendre à lire et à écrire ?

C’est pour l’ensemble de ces raisons que permettre un apprentissage naturel


de la lecture et de l’écriture semble particulièrement adapté aux classes coopéra-
tives. Cette appellation d’apprentissage naturel fait directement référence à ce
que C. Freinet nommait la méthode naturelle de lecture et d’écriture (MNLE),
appellation que nous ne reprendrons pas souvent en raison des équivocités susci-
tées par les débats sur les méthodes de lecture. On pourrait avantageusement le
remplacer par le terme de démarche complexe d’apprentissage. Il convient toute-
fois d’expliciter ce que Freinet entendait par MNLE.

« Qu’est-ce qu’une méthode naturelle ?


Si vous demandiez à une maman, serait-elle agrégée ou femme de lettres ou même
professeur de grammaire ou de phonétique, selon quelle méthode elle a appris à parler à

157
La coopération du point de vue de l’enseignement

son enfant, elle vous regarderait étonnée. Comme s’il pouvait y avoir deux façons d’ensei-
gner le langage à un enfant ! Comme s’il pouvait même exister une façon d’enseigner le
langage ! Il y a seulement une façon pour l’enfant d’apprendre à parler selon le seul
processus naturel et général de tâtonnement expérimental. L’enfant jette un cri plus ou
moins accidentel, plus ou moins différencié. Il se rend compte, d’une façon plus intuitive
que formelle, que ce cri a un certain pouvoir sur le milieu. C’est ce cri, lentement modulé
à l’expérience, puis articulé, qui deviendra langage 4. »

Il apparaît clairement qu’apprendre à lire et à écrire de manière naturelle est


plus une activité de l’enfant que la résultante d’une programmation de l’adulte.
Une méthode intervient donc systématiquement, mais il s’agit ici de celle
construite et employée par l’enfant de manière naturelle pour développer ses
apprentissages. Le rôle de l’enseignant consiste essentiellement à inscrire l’enfant
dans un milieu qu’il aura su rendre riche et aidant, puis à faciliter les interactions
entre ce milieu et les enfants qu’il souhaite voir apprendre à lire et à écrire. Il
établit, fait vivre et revisite un projet pédagogique de manière que chacun puisse
se créer sa propre méthode d’apprentissage. Une méthode naturelle de lecture-
écriture se veut donc développée par chaque enfant de manière personnelle, per-
mise et suscitée par un adulte et un milieu aidant, au service d’une autonomie
créatrice dans le lire-écrire.
La part de l’adulte consiste à accompagner la constitution d’un environnement
permettant à chacun de trouver une place où il se sent en sécurité, faciliter les
rencontres entre enfants et les situations de coopération, enrichir cette structure
par l’entretien des réseaux de communications, des outils, des éléments du patri-
moine culturel et de ses connaissances d’expert.
Les outils matériels regroupent l’ensemble des supports à partir desquels les
enfants vont pouvoir entrer en activité : albums, logiciels, lettres, fichiers, papier,
cahiers… Ils évoluent et s’enrichissent par les situations de communication, notam-
ment celles issues des correspondances. Au sein d’un groupe, la vie sociale apporte
des raisons pour communiquer et la nécessité de la confrontation. Celle-ci est parti-
culièrement opportune lorsque les enfants se présentent et s’échangent de manière
coopérative les stratégies qu’ils ont pu se construire pour entrer dans l’écrit. Alors
que certains peuvent proposer des entrées essentiellement alphabétiques, d’autres
expliquent que des erreurs peuvent être évitées en gardant en mémoire la nature
du texte que l’on est en train d’étudier et d’autres encore sont capables de présenter
la correspondance que certains mots peuvent avoir entre eux. Pour lire le mot vache
par exemple, on peut donc rencontrer plusieurs stratégies :

– « V et A ça fait VA. C, H et E ça fait CHE. »


– « Tu dis que ce mot est mouton, ce n’est pas possible parce qu’on n’a pas vu des
moutons mais des vaches. »

4. FREINET C., Œuvres pédagogiques, tome 2, Le Seuil, Paris, 1954, p. 209.

158
L’apprentissage naturel du lire-écrire

– « VA c’est comme dans VALISE et CHE c’est comme dans CHEVAL. On a déjà vu ces
mots dans d’autres textes. Donc, ici, c’est VACHE. »

La découverte de ces stratégies s’accompagne de la possibilité de disposer de


celles que les autres se construisent et mettent à disposition du groupe par la
coopération. Face à un problème de lecture ou d’écriture, chacun est en mesure
d’abord de tenter de le résoudre et ensuite de présenter les cheminements
empruntés. Lors de cette phase de présentation de stratégies, ceux qui ne sont
pas parvenus à en trouver une suffisamment efficace peuvent compter sur celle
qu’ils comprennent le mieux parmi toutes celles expliquées. Cette phase
d’échanges de connaissances est essentielle puisqu’elle va permettre de valider
ce qui fonctionne, de valoriser les talents, d’apporter un large panel de stratégies
et d’inviter ceux qui n’ont pas encore pu en développer une à le faire. À charge
des expériences personnelles, dans ou hors la classe, de conduire chacun à renfor-
cer le maniement d’une façon de faire et, progressivement, par le truchement
d’activités de tâtonnement expérimental, d’en appréhender de nouvelles. C’est
ainsi qu’au bout d’un moment, sans que l’enseignant ait lui-même fait référence
à une méthode de lecture précise, chaque enfant peut acquérir les compétences
utilisées par les écrilecteurs experts.
Outre le fait qu’elle vaille bien mieux qu’un saut dans le vide, l’usage d’une
méthode de lecture commune pour tous les enfants soulève tout de même
quelques interrogations qui vont d’ailleurs de pair avec celles inhérentes à
l’emploi mécanisé de manuels. Comment permettre aux élèves de lier ce qu’ils
sont en train d’apprendre et les libertés que cela leur permettra d’accroître dans
leur quotidien ? Comment combler le décalage entre la culture de référence des
supports de lecture et celle de certains enfants, notamment lorsque celle-ci est
relativement pauvre ?

« Un seul et même livre ne peut convenir à l’ensemble des enfants. Par la méthode naturelle,
le rythme de l’enfant est respecté, ce qui lui permet d’évoluer dans son apprentissage de la
lecture et de l’écriture selon ses capacités. Cette initiative peut paraître totalement révolution-
naire ; elle l’est encore plus quand Freinet publie Plus de manuels ! Sa pédagogie, se fondant
sur l’intérêt de l’enfant, le conduit à dénoncer l’utilisation de tous les livres d’apprentissage.
Seuls les ouvrages de la bibliothèque trouvent leur place dans la classe 5. »

Ce que reprochait Freinet aux manuels, tout du moins dans l’usage qu’il en était
souvent fait à son époque, est qu’ils imposent un ordre aux choses et parasitent un
rapport complexe aux savoirs, qu’ils s’adressent selon le même modèle à tous les
élèves sans tenir compte des différences qui les identifient, qu’ils proposent souvent
des situations artificielles, qui font peu sens pour les élèves, sont faiblement relatifs

5. LAFON D., Célestin Freinet ou la révolution par l’école, Éditions ICEM, 2006, p. 8.

159
La coopération du point de vue de l’enseignement

au vivant et au réel, et qu’ils se veulent la voix d’une idéologie dominante, excluant


celles des plus pauvres. Pour pallier ces manques, et sans délaisser les ouvrages
qui inviteraient à enrichir la culture de la classe et des enfants qui la composent, la
MNLE propose de partir de textes d’enfants, écrits par eux, au départ sous la dictée
puis de manière autonome lorsqu’ils en sont devenus capables. Ainsi donc, regrou-
pant les supports issus des enfants et ceux apportés par l’enseignant, les supports
écrits dans les démarches d’apprentissage naturel permettent :
– d’ouvrir la classe sur des champs culturels plus larges que ceux des élèves ;
– de devenir source de discussions, de travail intellectuel et coopératif ;
– un rapport à l’écrit vivant et dynamique ;
– d’inviter à la rencontre d’autres écrits ;
– d’obliger la constitution d’un réseau de supports variés et nombreux.
Cette plus grande proximité qu’apportent les supports de lecture initiés par
les enfants vise à amoindrir l’intervalle parfois grand entre la culture des enfants,
notamment leur capital de vocabulaire disponible, et les textes qui leur sont pro-
posés pour s’approprier la logique combinatoire du code écrit. Un enfant de 5 ou
6 ans qui ignore le sens du mot « baignoire » ou celui du mot « peigne » par
exemple, parce qu’il n’en a pas chez lui ou parce que son expérience de vie ne
lui a pas encore permis de savoir à quoi cela correspond, verra sa tâche se compli-
quer de manière importante pour tenter de déchiffrer ce mot et, en conséquence,
pour s’approprier un premier attribut du graphème « gn » dans la langue française.
En revanche, il y aura bien moins de difficulté à déchiffrer un mot comme « brug-
non » si les enfants le trouvent dans un texte qui relate la présentation lors d’un
« Quoi de neuf ? » d’une cagette de brugnons apportée par un père d’élève pour
la classe. Il ne s’agit pas ici de rechercher dans ce que connaissent les enfants ce
qui va pouvoir correspondre à notre progression didactique, mais plutôt de puiser
dans ce qu’ils apportent pour créer une relation vivante à l’écrit. La rencontre
répétée avec des textes divers et variés se charge chaque fois de présenter sous
plusieurs formes chaque élément du code, il y a donc peu de risques qu’un élé-
ment de lecture soit « oublié. » Le code alphabétique est suffisamment artificiel
pour qu’il soit porteur de barrières quant à son appropriation. Si en plus on en
complexifie la découverte par une signification obscure d’un texte, il y a de fortes
chances que le travail engagé ne s’adresse qu’aux enfants les plus capables de
réaliser cette tâche, souvent ceux qui en ont le moins besoin.

« Les ressources mentales que le faible lecteur a dépensées pour essayer de reconnaître les
mots, il ne pouvait pas les consacrer en même temps à la compréhension 6. »

C’est pour cela qu’en partant d’un écrit ou d’une consigne qui fait sens pour
tous, parce qu’appartenant à la culture de classe, cette difficulté supplémentaire

6. OUZOULIAS A., L’apprenti lecteur en difficulté, Retz, Tournai, 2003, p. 23.

160
L’apprentissage naturel du lire-écrire

existe beaucoup moins, ce qui rend le travail d’apprentissage du lire-écrire bien


plus équitable.
Quoi qu’il en soit, ces cheminements naturels dans l’appropriation du lire-
écrire considèrent pleinement l’assimilation de ce qui est extérieur à l’enfant,
puisque apporté par la société : les lettres et le principe alphabétique qui, même
s’il ne s’avère valable que pour une moitié des graphèmes, n’en est pas moins un
code qu’il convient de maîtriser pour devenir autonome. De même, un autre pan
de la culture humaine devient de plus en plus prépondérant pour l’accès à de la
réflexivité dans l’écrit : la littérature de jeunesse et tout ce qu’elle véhicule en
codes sociaux, valeurs morales, supports à la réflexion. Les supports de lecture
et d’écriture mis à disposition des enfants peuvent être des textes apportés par
des enfants mais aussi, en complément, des albums de jeunesse travaillés collecti-
vement, des abstracts de films vus par la classe, des comptes rendus de visites
au musée, des paroles de chansons, des textes poétiques appris… en somme tout
ce qui peut constituer une rencontre aux savoirs.

Des repères pour penser les pratiques enseignantes

Pourtant, et même si l’on gagne à dégager du vécu collectif un certain nombre


de référents communs, les apprentissages du lire-écrire peuvent difficilement se
concevoir de manière uniforme et transmissive dans une classe coopérative où
l’hétérogénéité est une caractéristique acceptée. Chaque enfant apprend à sa
façon et les enseignants n’ont que peu de prise sur ce que les cerveaux des
élèves développent comme activité. Voici les éléments qui apparaissent comme
principaux dans ce qui peut être développé dans une classe à ce sujet.
L’apprentissage du lire-écrire correspond à une triple maîtrise :
– celle du principe alphabétique d’association des phonèmes et des gra-
phèmes, que ce soit les combinaisons régulières (n + a → na) ou les combi-
naisons irrégulières (a + n → [ã]). Il s’agit d’un principe d’attribution d’un
son à une lettre, similaire à un algorithme ;
– celle de la reconnaissance photographique des principaux mots outils de la
langue française (je, et, mais, pour, avec…) ;
– celle de l’accès au sens qui confère à tout écrit une caractéristique de com-
munication : on écrit pour être lu, on lit un texte qui a été écrit pour être
communiqué. À son tour, le sens d’un écrit devient un outil d’exploration et
de découverte des textes. Savoir de quoi traite un écrit nous fournit toute
une série d’indices facilitant la prise d’informations.
Quelle que soit la stratégie d’appropriation choisie initialement ou rencontrée
par un enfant pour apprendre à lire et écrire, il devra appréhender ces trois formes

161
La coopération du point de vue de l’enseignement

de préhension de l’écrit. Dans une logique experte cette fois-ci, les lecteurs font
alternativement référence à trois approches complémentaires :
– la décomposition syllabique pour les mots nouveaux ou peu rencontrés ;
– l’image mnésique – la reconnaissance photographique – pour les mots ou
groupèmes 7 qui nous sont fréquents et familiers ;
– le contexte dans lequel l’écrit est proposé.
Ainsi donc, les stratégies utilisées par les enfants pour découvrir un mot se
font à partir de :
– une connaissance mémorisée de la phrase ou du texte : « Ici, c’est cheval
parce que c’est le dernier mot de la phase “Michel a vu un cheval”. » On
peut difficilement parler de lecture dans la mesure où, face à un même mot
dans une autre phrase, l’enfant se montre encore incapable de le déchiffrer ;
– le sens de la phrase : « Ici, ce n’est pas chien parce que je savais que Michel
avait vu un cheval. » Cette stratégie montre ses limites face à un texte dont
on ignore le sens au préalable ;
– une décomposition du mot « Ici, c’est marron, parce que “m” et “a” ça fait
“ma”, “o” et “n” ça fait “on” avec un “r”, “ron”. » Cette approche est souvent
opportune mais peut conduire à des incompréhensions, avec des mots
comme « chien », « orchestre », « abdomen »… ;
– une association syllabique avec d’autres mots connus : « Ici, c’est escargot
parce que “es” comme escalier, “car” comme carnaval et “go” comme
goéland. »
Nous avons pu observer que ces stratégies ne sont que très rarement utilisées
de manière exclusive. Le plus souvent, les enfants se sont construit des stratégies
mixtes, qu’ils font intervenir en fonction du contexte dans lequel ils se trouvent.
« Ici, c’est cheval parce que che ça fait “che” et je sais qu’on parle d’un cheval
dans le texte. » « Ici, c’est chien parce que ch ça fait “ch” et ien c’est comme dans
“bien”. » Une fois de plus, ce qui importe à ce niveau-là n’est pas de privilégier
une stratégie sur une autre, mais plutôt de valoriser celles qui fonctionnent en en
permettant une confrontation, intéressante pour ceux qui sont encore en
recherche. À charge des habitudes coopératives de la classe d’apporter à ces
enfants des aides plutôt que des solutions, et à ceux qui se trompent des soutiens
pour poursuivre leurs efforts. Lors de ces échanges, ceux qui ne peuvent contri-
buer par insuffisance de connaissances profitent des apports présentés, les autres
sont amenés à renforcer leurs apprentissages parce qu’il leur est demandé de les
argumenter et de les modeler selon les demandes formulées au sein du groupe.
On retrouve le double intérêt de la coopération.

7. Un groupème correspond à une unité de sens. Il peut être composé d’un seul mot (Lucie,
jamais, marcher) ou de plusieurs (il y a, tout à l’heure, je suis…). Il y a souvent intérêt à ce que
les enfants apprennent à lire et à écrire les groupèmes dans leur globalité sémantique.

162
L’apprentissage naturel du lire-écrire

L’organisation générale du contexte d’apprentissage du lire-écrire pensée par


l’enseignant pour les enfants s’appuie donc sur plusieurs équilibres :
– le recours à de la reconnaissance visuelle et photographique de petits mots
fréquemment utilisés dans les textes supports ;
– l’appropriation de la logique combinatoire permettant d’oraliser les nou-
veaux mots, ce qui permet d’accorder du sens aux phrases travaillées ;
– une découverte régulière de nouveaux écrits accessibles pour développer la
lecture ;
– une pratique quotidienne de l’écriture dans une optique d’entraînement, de
communication ou de plaisir ;
– le développement d’un bagage de vocabulaire et d’un réseau de connais-
sances.
Deux activités sont envisagées pour un apprentissage naturel du lire-écrire :
le texte de référence et la phrase du jour 8.

Le texte de référence
C’est le support à partir duquel les enfants vont entrer dans la lecture. Même
s’il peut parfois être emprunté à de la littérature jeunesse, il est généralement
issu de ce qu’apportent les enfants : un événement, un compte rendu de sortie,
un texte libre choisi, plusieurs phrases du jour… En plus de créer de la proximité
avec la tâche scolaire, ces textes font appel à un corpus de mots appartenant au
vocabulaire commun et donc amoindrissent les difficultés liées au sens. Ce texte
est écrit en double police de caractères. Il est photocopié pour chaque enfant, en
plus grand pour l’affiche.
Lors de la séance de découverte de texte, chacun est amené à contribuer à sa
lecture. La priorité est toujours donnée aux plus petits, c’est-à-dire aux enfants
étant les moins avancés en lecture. Les interventions consistent à lire un mot, un
groupème, une phrase, puis d’expliciter la stratégie utilisée pour y parvenir. La
proposition est ensuite soumise à évaluation par le groupe. Lorsqu’il y a consen-
sus, enseignant compris, on propose de collectionner les stratégies de chacun.
Lorsqu’il y a conflit, c’est la comparaison des stratégies qui devient source
d’apprentissage, la justesse des argumentations et leur efficacité d’exécution se
chargeant d’effectuer le tri entre les diverses propositions. C’est surtout à ce
niveau-là que, lors des découvertes de textes, le caractère coopératif du groupe
intervient. Sur l’affiche, les mots découverts sont soulignés. Sur leur document,
les enfants soulignent ce qui leur pose problème. La découverte du texte se ter-
mine lorsque l’ensemble a été lu. Cela laisse place à des activités de révision, de

8. GIBERT G. et al., Apprentissage du lire-écrire, ICEM 34, Clermont-l’Hérault, 1999.

163
La coopération du point de vue de l’enseignement

répétition et de consolidation. Par exemple, tenter de relire un mot pris au hasard


dans le texte, sans s’aider du contexte de la phrase, ou trouver un mot qui n’en
fait pas partie, mais dont certains éléments peuvent permettre la lecture « chien »,
c’est comme le début de « chat » et la fin de « bien ».

Exemple de texte de référence

Le texte de référence de chaque élève est validé par l’enseignant lorsque


l’enfant s’est montré capable de l’oraliser dans sa totalité et de lire isolément
trois mots parmi les plus difficiles du texte. Alors qu’en début d’année, les textes
de références ne comportent que quelques courtes phrases, ils se densifient pro-
gressivement pour atteindre des tailles importantes et des niveaux de langage
élaborés en fin d’année.
Une fois le texte de référence découvert, la feuille d’entraînement associée est
distribuée. Elle est construite à partir des mots travaillés dans ce texte et s’appuie
sur les mêmes consignes segmenter les mots du texte, remettre les mots d’une
phrase dans l’ordre, associer différentes graphies, lire un court texte écrit avec les
mots rencontrés.
Les feuilles d’entraînement sont validées lorsque les quatre exercices sont
correctement achevés. Dans le courant de l’année, s’il est encore nécessaire de
travailler autour de ce support et si les activités qu’il véhicule ne sont pas deve-
nues trop faciles, les consignes changent ainsi que la complexité des données à
traiter.

164
L’apprentissage naturel du lire-écrire

Exemple de feuille d’entraînement

Les phrases du jour


Elles correspondent à un écrit, demandé quotidiennement à chacun, sur le
sujet qu’il souhaite. Il peut s’agir d’une narration à la manière d’un « Quoi de
neuf ? », d’une histoire inventée, d’un poème, etc. En début d’année, cette phrase
est le résultat d’une dictée à un expert (adulte ou tuteur) ; elle devient progressi-
vement le fruit de l’utilisation de mots découverts dans les textes de référence ou
les phrases du jour précédentes pour tendre finalement vers un écrit personnel et
autonome.

Mike « Ce matin, j’ai apporté un escargot dans la classe. »


Marie « Dimanche, avec ma famille, je suis allée sur la plage et j’ai ramassé des
coquillages pour fabriquer un collier. »
Yasmina « Au Quoi de neuf ?, le maître nous a montré une vidéo avec un homme qui
fait le tour du monde. »
Jules « Je ne sais pas quoi écrire. »
Aïssam « Hier soir, je suis allé faire les courses parce que mon petit frère va bientôt
naître. »

Cette phrase du jour peut ensuite faire l’objet de différentes communica-


tions auprès de la classe, des correspondants, du journal… Elle peut également

165
La coopération du point de vue de l’enseignement

devenir le support à diverses activités, en particulier de la graphie pour les plus


jeunes ou ceux qui ont du mal à former les lettres. Pour une aide à l’écriture
autonome de ces phrases, chacun dispose d’un « Petit dico » reprenant les princi-
pales occurrences employées par les enfants en situation d’écrit.
Outre ce qui est commun à tout écolier, les enfants disposent de plusieurs
matériels individuels, spécifiques à ces apprentissages, qu’ils peuvent utiliser à
tout moment :
– un portfolio comprenant quelques fiches outils, l’ensemble des textes de
référence et des feuilles d’entraînement ;
– un sous-main composé d’un côté de l’alphabet et des principaux scripts des
lettres, des jours de la semaine, des premiers nombres et des couleurs. De
l’autre côté, ce document plastifié reprend les principaux phonèmes irrégu-
liers (ou – oi – in – ai…) pour une aide à la décomposition, ainsi que la
plupart des petits mots fréquents et familiers pour une reconnaissance pho-
tographique.
Exemple de sous-main

D’autres outils renforçant les apprentissages en lecture-écriture se trouvent


dans la classe. Ils s’inscrivent la plupart du temps dans des travaux relatifs aux
temps personnels, par l’intermédiaire du plan de travail des lettres en bois pour
une première découverte selon différents sens, la vue et le toucher ; des éti-
quettes des mots ou groupèmes des textes de référence pour des activités de
reconnaissance et de puzzle ; des supports d’associations de graphies à des
images, des « Histoires de mots » (albums de jeunesse spécifiquement pensés
pour l’apprentissage de la lecture proposant des textes illustrés avec des groupes
de mots repris régulièrement) ; un syllabaire permettant une association récur-
rente des différents phonèmes possibles ; des logiciels comme Lectra, Abalect, Je
lis puis j’écris, J’écoute puis j’écris.

166
L’apprentissage naturel du lire-écrire

Les principales difficultés repérées chez les enfants pour entrer dans le lire-
écrire correspondent le plus souvent à :
• une absence d’intérêt à entrer dans le lire-écrire. Cela se traduit souvent,
lorsque l’on pose formellement la question « À quoi cela va-t-il te servir ? »,
par une absence de réponse ou des intérêts très éloignés : « À avoir un
métier », « À apprendre à lire à mes enfants », etc. « Imaginons qu’un enfant
n’ait aucune idée claire de ce que c’est que lire, ses compétences risqueraient
de rester isolées les unes des autres. Il aurait les instruments de la lecture,
mais il ne pourrait les orchestrer en une lecture véritable, chacun jouant sans
s’accorder aux autres. […] Quand l’enfant sait vers quoi il tend, il est acteur
de son apprentissage, il peut co-agir avec ses tuteurs, prendre des initiatives,
essayer lui-même certaines stratégies, faire lui-même le lien entre divers
savoir-faire 9Il s’agit d’enfants pour qui l’écrit ne fait pas beaucoup de sens,
la plupart du temps parce qu’ils n’ont pas été suffisamment sensibilisés
jeunes au monde de l’écrit. Avec eux, il convient de développer cette relation,
en plus de tout le travail autour du code et de la lecture ;
• une image négative de soi. Avec ces enfants, il s’agit de travailler l’image
qu’ils ont d’eux face aux apprentissages. Cette image positive peut se
construire à partir de ce qu’ils comprennent de ce que l’adulte voit en eux.
Il s’agit d’un miroir dans le regard, les gestes, le langage de celui avec qui il
y a interaction. L’enfant doit arriver à « se sentir capable de… » ;
• une pauvreté du lexique personnel : « Je vois un nid », qui est prononcé « Je
vois un nide » parce qu’on ignore le sens du mot nid. Le problème rencontré
par les enfants est qu’ils accèdent difficilement au sens du texte, même si
intrinsèquement, ils sont capables de tout déchiffrer ;
• une méconnaissance des lettres et de leurs phonèmes associés. Sachant que
la signification du texte couplée à la reconnaissance de quelques mots ne
peut suffire à la lecture, un travail sur le code s’impose, quitte à ce qu’il soit
mécanique ;
• une mauvaise maîtrise des phonèmes spécifiques de la langue française on
– an – oi – in – ai – co – ci – ga – gi – etc. Face à ces difficultés, c’est
conjointement un travail systématique ainsi qu’une rencontre fréquente avec
des textes variés qui permettront à ces élèves de se construire suffisamment
d’attributs pour associer à ces graphèmes les phonèmes correspondants.
Le meilleur moyen de s’assurer qu’un enfant est entré dans ce principe alpha-
bétique est l’écrit. Pour cela, en début de CP, Mireille Brigaudiot 10 conseille à
l’enseignant de demander aux élèves de dessiner et d’illustrer un coq puis
d’essayer d’écrire « Cocorico je suis le roi des coqs ».

9. OUZOULIAS A., L’apprenti lecteur en difficulté, Retz, Tournai, 2003, p. 10.


10. BRIGAUDIOT M., Première maîtrise de l’écrit : CP, CE1, secteur spécialisé, Hachette Éducation,
Paris, 2006.

167
La coopération du point de vue de l’enseignement

L’exploitation des productions permet de déterminer le niveau de référence à


ce principe alphabétique au regard de cette échelle :
A → enfants prioritaires pas de trace de la valeur langagière de l’écrit.
B → utilisation de signes sociaux pour encoder mais sans valeur sonore.
C → utilisation de la valeur sonore de signes pour encoder.
D → utilisation du principe alphabétique.
E → utilisation du principe alphabétique + blancs de séparation de mots.
F → utilisation du principe alphabétique au-delà des phonogrammes (majus-
cules et s au pluriel par exemple).
Avec les enfants qui n’ont pas « passé le mur du son » (c’est-à-dire qu’ils
manifestent, dans leurs essais d’encodage, la volonté d’utiliser un code, quel qu’il
soit un phonogramme (« J’ai dessiné une dent pour faire le son [â] »), un chiffre
(2 pour écrire « de »), une lettre (O pour écrire « mo ») qui a valeur symbolique
d’unité entendue dans la prononciation du mot. Ce groupe d’enfants sera le
groupe C), ce n’est pas un problème de méthode mais plutôt de disposition. Pour
eux, aucune méthode de lecture n’est bonne. Pour les autres, toutes peuvent
l’être à égale intensité. C’est pourquoi on ne peut pas mettre des enfants qui ne
maîtrisent pas encore ce code alphabétique devant des textes qu’ils ne
connaissent pas. Les signaux de disposition seront donnés par leurs entrées dans
l’écrit. Avec eux, il convient en tant qu’enseignant de se contenter de se taire,
l’écouter et le regarder afin, au moment opportun, d’exploiter ses domaines de
réussite : « Je crois que je comprends ce que tu fais et je vais te dire quelque
chose qu’on a dû oublier de te dire. » Les sollicitations coopératives de la classe
se chargeront de lui procurer toute une série d’occasions où le besoin de l’écrit
se fera sentir et où des camarades de classe pourront répondre aux besoins éma-
nant de cette découverte.

168
6
Créations mathématiques

« Et pourquoi pas, après le texte libre littéraire,


le texte libre mathématique ? »
Paul LE BOHEC 1

Travailler l’abstrait et, en particulier, le concret

Les créations mathématiques visent à compléter de manière avantageuse les


activités traditionnellement effectuées par l’intermédiaire des manuels. Elles tendent
même à remplacer une bonne partie des situations de résolution de problème telles
qu’elles sont proposées par les didacticiens des mathématiques. Elles représentent
surtout l’occasion pour les enfants, outre un véritable espace d’expression qu’elles
apportent, d’engager des stratégies de recherche complexes, de confronter leurs
connaissances de manière coopérative, d’être, lors des phases collectives, de véri-
tables marchés de savoirs : les connaissances et outils mathématiques acquis par
les uns deviennent des ressources d’évolution pour les autres.
Dans l’absolu, elles pourraient se suffire à elles-mêmes s’il n’était pas nécessaire
de travailler en complément deux domaines essentiels aux mathématiques : le ren-
forcement d’apprentissages d’outils par des travaux de systématisation et le calcul
mental. Il semble donc opportun de conserver le travail induit par les fichiers pour
trois raisons principales : ils permettent de la systématisation (renforcement des
apprentissages par répétition) dont sont rarement porteuses les créations mathéma-
tiques, ils sont à leur tour l’occasion d’appropriation de nouveaux domaines mathé-
matiques qui peuvent devenir des sources d’informations pour les recherches en
mathématiques et certains permettent aux enfants de s’exercer à du calcul mental
réflexe ou réfléchi. C’est d’ailleurs pour cela que la structure de la classe gagne à
offrir diverses sollicitations dans ce domaine, par des logiciels appropriés (Sebran,
Abacalc, Primaths), des fichiers d’incitation, des rituels de classe et, de manière plus
large, les situations issues de la vie coopérative du groupe.
Quant à la réussite en mathématiques des élèves, ce ne sont ni les manuels,
ni les fichiers, ni même les créations mathématiques qui la déterminent.

1. In Le texte libre mathématique, Éditions Odilon, Nailly, 1997.

169
La coopération du point de vue de l’enseignement

« Il n’y a pas de nul en maths, il n’y a que des victimes d’un enseignant sclérosé qui ne
sait pas saisir dans la vie même des enfants ou de la classe les événements qui donneront
aux enfants une occasion de développer leur puissance de vie 2. »

Comme pour d’autres domaines d’activités scolaires, le degré de mobilisation


des langages qui y sont associés, ainsi que l’intensité et la récurrence de l’activité
cérébrale qui en émane, constituent les principaux vecteurs d’apprentissages : plus
on pratique et plus on pratique de manière fréquente et diversifiée, plus larges sont
les expériences et meilleurs sont les apprentissages. Ce serait donc l’assurance de
l’enseignant dans son projet d’enrichissement de la structure qui interférerait de
manière prépondérante dans les apprentissages. Pour le dire autrement, on pourrait
reprendre cette formule : « On n’apprend pas à faire du vélo en regardant le prof
pédaler 3… » On n’apprend pas les mathématiques en se contentant d’observer. Il
ne suffirait même pas d’y ajouter des temps d’application. Si l’on souhaite que
nos élèves développent des acquisitions en mathématiques, on ne peut pas faire
l’économie de leur permettre d’engager des recherches, d’être confrontés à des
difficultés qui les conduisent à envisager le recours à des outils qu’ils ne maîtrisent
pas encore, mais qui vont pouvoir les aider à dépasser ces problèmes rencontrés.
Cette idée est d’ailleurs congruente avec les apports de la didactique des
mathématiques. Dans une séquence didactique, les élèves sont amenés à tester la
validité de leurs représentations en fonction du réel. Ces situations sont appelées
situations problèmes et visent à une restructuration des connaissances à partir
du principe d’équilibration majorante. Les principaux critères pour qu’un problème
devienne une situation problème ont été déterminés de la sorte 4:
– l’élève doit pouvoir commencer à résoudre le problème : la tâche à accomplir
ne doit pas être trop complexe ;
– les connaissances de l’élève ne doivent pas être suffisantes pour résoudre
immédiatement le problème : il faut qu’un obstacle apparaisse ;
– l’élève doit pouvoir valider seul les résultats qu’il obtient : cela lui permettra
essentiellement de prendre conscience de l’incomplétude de ses connais-
sances ;
– l’outil le plus performant pour résoudre le problème doit être la nouvelle
connaissance visée qui prend alors du sens pour l’élève ;
– une situation problème se caractérise enfin par une gestion de classe qui
permet la confrontation des idées dans l’écoute et le respect des personnes.

2. THOREL M., « Apprendre à faire des mathématiques par la méthode naturelle », in Le Nouvel
Éducateur, no 184, 2007, p. 7.
3. In Le Nouvel Éducateur, no 184, 2007, p. 40.
4. DOUADY R., Jeux de cadres et dialectique outil-objet, thèse d’État, université Paris VII, 1984.

170
Créations mathématiques

Les créations mathématiques s’inscrivent donc entièrement dans cette logique


didactique. Les différences tiennent surtout au degré d’implication des enfants
dans la tâche. Cet « attachement » est surtout la résultante de deux implications.
D’abord, les créations mathématiques émanent de propositions émises par
chaque enfant. Elles ne dépendent donc pas d’informations extérieures induites
par l’adulte dans un but didactique. Il s’agit d’une production chaque fois person-
nelle, ce qui tend à développer le caractère responsabilisant de la démarche. De
plus, il est rare que des barrières de vocabulaire ou de culture viennent parasiter
l’entrée dans les recherches mathématiques. Ensuite, elles évoluent à partir de ce
que l’enfant décide d’entreprendre, à l’image des conseils et avis donnés par les
pairs et l’enseignant, mais surtout en fonction de son projet personnel et des
visées qu’il y attribue. Il n’y a pas d’outil mathématique prédéterminé à découvrir
ni de but à atteindre, si ce n’est celui de mener à terme son projet afin de pouvoir
le communiquer et en engager un nouveau.

« Les situations problèmes préconisées sont données par le maître, qui en perçoit l’enjeu
parce qu’il a le savoir et des objectifs d’enseignement. Les élèves, eux, ont une tâche définie
et bien délimitée. Ils résoudront la solution non pour le défi intellectuel qu’elle impose à
tous, mais parce qu’il faut suivre la consigne, obéir, apprendre 5. »

Une création mathématique, autrement


appelée texte libre mathématique, se veut Mathématiques
l’image du texte libre en français pour le naturelles
domaine des mathématiques. Elle corres- Calcul
vivant
pond obligatoirement à un projet personnel,
n’a pas d’autre fin que d’évoluer par l’inter-
médiaire de la structure coopérative de la classe pour, au final être communiquée,
notamment à travers le journal scolaire ou la correspondance. Deux démarches
mathématiques cohabitent au sein d’une classe coopérative le calcul vivant et les
mathématiques naturelles. Le calcul vivant est une démarche qui consiste à résoudre
un problème concret issu de la vie de classe. De ces résolutions peuvent être
extraites des études particulières, mais elles dépendent de la richesse du milieu.
On trouvera les calculs de distance ou de durée pour une sortie scolaire, la compta-
bilité de la coopérative, les mesures pour l’atelier construction… Mais il ne faudrait
pas en rester là, les mathématiques tendent aussi à explorer le monde de l’abstrait.
Les mathématiques naturelles correspondent à l’exploitation des créations mathé-
matiques afin de permettre l’étude d’objets mathématiques dans toutes leurs
dimensions. On travaille l’abstrait et en particulier le concret. En calcul vivant, on
utilise le « nombre de… » (billes, trains, etc.), on questionne le concret ; en

5. JACQUET R., « Mathématiques et éducation du travail », Le Nouvel Éducateur, no 184, 2007,


p. 11.

171
La coopération du point de vue de l’enseignement

mathématiques naturelles, on utilise le « nombre », on se réfère d’abord à l’abstrait.


Le calcul vivant est inclus dans la méthode naturelle de mathématiques.
En début d’année, pour sensibiliser les élèves à leur pratique, on peut envisager
de leur demander d’en produire une, pourquoi pas à la manière de Paul Le Bohec :

« C’est quoi une création ? C’est simple, c’est n’importe quoi. Alors voilà : à partir de
chiffres, de nombres, de points ou de lettres, vous faites n’importe quoi. Ça, n’importe
quoi, tout le monde en est capable ! Tranquillisez-vous. Si vous n’avez pas compris cette
fois-ci, on fera un second tour 6. »

À partir de ce matériau, il est possible de déterminer le genre de ce que l’on


attend. Un certain nombre d’attributs vont alors pouvoir émerger. On peut ensuite
leur en présenter plusieurs, provenant d’autres classes coopératives ou de divers
supports pédagogiques 7. Progressivement, quatre déterminants se dessinent et
permettent de statuer sur le potentiel de création mathématique d’une production :
• cela correspond à une invention, cela ne s’appuie pas directement sur le
travail d’autrui, l’auteur ne s’est pas efforcé de copier ce qu’un autre a déjà
créé, tout du moins dans son espace de proche communication (la classe,
l’école et le réseau de correspondance) ;
• cela invite à une recherche, ce qui signifie que ce n’est ni trop facile ni trop
complexe, afin que du travail puisse être engagé. Il n’est pas nécessaire
qu’une création se termine par une question. Si c’est le cas, les solutions ne
sont pas données directement par l’auteur, qui s’est efforcé de les préparer
sur un autre document. Les processus d’exploration de la création ne doivent
pas correspondre à une quête vaine : ce qui est proposé doit avoir un sens,
les chiffres et les lettres ne sont pas proposés de manière aléatoire ;
• cela correspond aux domaines mathématiques : les nombres, le calcul, la géo-
métrie ou la mesure. Parfois, une création peut avoir plusieurs débouchés :
géométrie et arts visuels, nombre et philosophie, calcul et poésie, etc. Il est
nécessaire qu’au moins l’un d’entre eux appartienne au champ mathématique
sous peine de devoir être traité lors d’un autre moment de la classe ;
• cela ne prend pas la forme d’un problème mathématique, avec énoncé et
consigne, non pas par incompatibilité de genre, mais pour aider les enfants
à ne pas penser que en termes de problèmes, forme dominante des situa-
tions de recherche dans les manuels scolaires.
Plusieurs dispositifs pédagogiques sont possibles autour des créations mathé-
matiques. En voici deux, sans hiérarchie, de manière à permettre au lecteur une

6. LE BOHEC P., Le texte libre mathématique, Éditions Odilon, Nailly, 1997, p. 15.
7. On pourra notamment s’inspirer des travaux de Claude BEAUNIS et de ses classes : http://
plano.free.fr/creamath2.htm.

172
Créations mathématiques

aide à la construction de ses propres façons de faire. Ces démarches types tendent
à la mise en place de séquences basées sur le tâtonnement expérimental en
mathématiques. Elles consistent à permettre aux élèves, à partir de recherches
mathématiques personnelles, d’avancer dans la maîtrise des concepts puis, pro-
gressivement, d’en parfaire la connaissance et même d’en découvrir de nouvelles
zones. Ces démarches s’appuient également sur les interactions dans le groupe
d’enfants par de régulières communications entre les diverses recherches.

L’approche « texte libre mathématique »

• Étape 0 : ce qu’est un texte libre mathématique (en début de processus)


Consigne : « À l’aide de chiffres, de points, de lettres, de traits, vous allez faire
un texte libre mathématique. »
Une fois en début d’année, chaque enfant ou chaque équipe réalise sur une
feuille son texte libre mathématique. L’écriture doit être lisible de loin et par toute
la classe. Les créations sont ensuite présentées et pour chacune d’elles, le groupe
se demande s’il s’agit ou pas d’une création mathématique, c’est-à-dire pouvant
servir de support à une activité mathématique. Cette étape renvoie à ce dont il a
été question précédemment.
• Étape 1 : choix de créations mathématiques
Régulièrement, une fois par semaine par exemple, un enfant préside le « choix
de créations mathématiques ». La boîte à créations mathématiques est alors
ouverte, chaque auteur vient présenter sa création (sans échange). Le président
demande qui est intéressé par chaque création et note le nombre de voix obte-
nues. Entre trois et six créations mathématiques ayant obtenu le plus de voix sont
retenues. L’enseignant peut s’autoriser à choisir une création pour le potentiel
mathématique qu’elle lui évoque et qui n’a pas été perçu par les enfants. Ces
créations sont soit recopiées au tableau, soit saisies numériquement et imprimées
sur un document.
• Étape 2 : présentation des créations
Les enfants reçoivent toutes les créations mathématiques retenues. Le but de
cette phase est que les élèves réagissent, questionnent, recherchent, etc. On
essaye de comprendre et de faire évoluer la création présentée.
1 – Travail individuel dans le silence : chacun s’intéresse aux créations mathé-
matiques qui l’attirent (10 min).
2 – Échange en équipes : chacun explique aux autres ce qu’il a trouvé (15 min).
3 – Chaque équipe inscrit sur une feuille A3 ce qu’elle a trouvé, sans forcément
s’accorder (5 min).

173
La coopération du point de vue de l’enseignement

4 – Présentation à la classe de ce que les équipes ont trouvé (les présentations


visent à confronter les désaccords ou à multiplier les stratégies de recherches
reconnues valides). L’enseignant participe également à ce travail de présentation
et peut ainsi être amené à apporter des connaissances nouvelles.
• Étape 3 : étude des concepts
« Qu’est-ce que ce travail de mathématique nous a appris aujourd’hui ? »
La classe dégage des lois ou des outils des créations mathématiques étudiées.
Une loi ou un outil est choisi. Une trace écrite est construite coopérativement (titre
– explication – exemples). Cette trace peut être notée dans un cahier mémento
qui peut alors devenir un support d’outils mathématiques pour les enfants.
• Étape 4 : classement des recherches (en fin de processus)
Des catégories sont créées pour classer les recherches mathématiques. Cette
catégorisation évolue au fil de l’année. Elle permet notamment de distinguer les
quatre grands domaines mathématiques : numération, géométrie, mesure, calcul.
Quelques précisions :
• l’emploi de la calculatrice est permis lorsque le but de la recherche est
d’explorer d’autres domaines que celui des techniques opératoires ;
• même si ce n’est pas conseillé pour les raisons données plus haut, la créa-
tion mathématique peut correspondre à un problème posé ou résolu. Dans
ce cas, le premier travail à susciter est une recherche puis une comparaison
d’efficacité des stratégies employées ;
• c’est la récurrence des situations d’étude des créations mathématiques qui
permettra aux enfants de se construire une vision élargie des domaines
mathématiques (répétition des phases 1 à 3). Le respect des programmes de
l’école est une conséquence de la succession de ces « voyages » mathéma-
tiques. Pour suivre les concepts travaillés au regard des repères fournis par
les textes officiels, l’enseignant peut tenir à jour, dans un journal de bord,
l’ensemble des compétences mathématiques qui sont travaillées lors de
chaque séance. Il pourra, le cas échéant, ajuster ce que les enfants
découvrent en complétant les apports par des créations mathématiques qu’il
propose sous la forme qui lui semble la plus pertinente. « Il ne s’agit pas de
nier systématiquement la notion de programme, mais ce dernier sert trop
souvent d’alibi au refus de respecter les intérêts personnels des élèves 8. »
Le programme en mathématiques est bien souvent dépassé collectivement
mais jamais complètement individuellement. Ce qui est plus difficile est que
l’ensemble de ce qui est proposé dans la classe soit intégré par tous ;

8. BARRÉ M., L’aventure documentaire, Éditions ICEM, Nantes, 2002, p. 18.

174
Créations mathématiques

→ ................. → ................. → ...................

[ =
Trouve les bons nombres Création mathématique 3
[ [ à mettre dans chaque
case pour trouver la machine disque
[ = à la fin 521
120 030 = 240 060
= = 360 = 720
[ = 521 4 009 = 8 018

Création mathématique 4
Combien y a-t-il de triangles
la multiplication de lettres

A E H
x A E O
O O O
G I O O
+ A E H O O
= B C G O O

175
La coopération du point de vue de l’enseignement

• les créations mathématiques mettent en avant les procédures de recherche


que les enfants vont engager. Les outils mathématiques sont à l’élève ce que
les outils de menuiserie sont à l’artisan : ils ne sont pas d’emblée à disposi-
tion et ne trouvent leur intérêt que devant une tâche à accomplir. Ainsi,
leur apparition et leur emploi sont une conséquence de l’étude de créations
mathématiques : les outils mathématiques sont d’autant plus utilisés qu’ils
ont été reconnus comme facilitant la résolution de certaines situations ;
• une séance de créations mathématiques est chaque fois une aventure : on
ignore ce qui va ressortir de la boîte aux créations mathématiques et ce que
les enfants vont en faire lors des phases de réflexion.

L’approche « création mathématique » 9

• Étape 0 : même procédure que pour la première approche


• Étape 1 : rédaction individuelle des créations
Chaque enfant est conduit, individuellement, à devenir l’auteur d’une création
qu’il sera par la suite amené à faire évoluer jusqu’à sa diffusion. Pour cela, il
peut utiliser comme déclencheur une idée, une forme de création mathématique
existante, voire à se saisir d’une idée apportée par un pair ou l’enseignant.
• Étape 2 : échanges de remarques
Toujours individuellement, mais cette fois-ci en ayant la possibilité d’échanger
avec les voisins et avec l’enseignant, chaque enfant fait part de ses recherches et
demande des avis. Ceux-ci peuvent concerner la forme de la création, son degré
de difficulté, son caractère nouveau, la présentation… C’est surtout à ce niveau
qu’interviennent les habitudes coopératives des élèves. Il est indispensable que
cette étape se fasse dans des conditions de calme dans le groupe afin de per-
mettre de la concentration à ceux qui effectuent leurs recherches.
• Étape 3 : présentations collectives
Pour chaque séance, l’enseignant choisit quelques créations mathématiques
que les auteurs vont pouvoir présenter à la classe. Ces créations sont isolées pour
leur qualité, parce qu’elles peuvent donner quelques idées, parce qu’elles sont
terminées ou parce que l’enseignant ne voit plus forcément ce qu’il peut y appor-
ter et compte pour cela sur la force créatrice du groupe. La consigne donnée aux
auditeurs est alors d’entrer dans la création, d’effectuer les recherches qui y sont
associées, de donner leur avis et de formuler des conseils à l’auteur pour qu’il
puisse, si nécessaire, faire évoluer son travail.

9. Approche construite à partir des travaux de Danielle et Marcel THOREL, Sylvain HANNEBIQUE,
Le Nouvel Éducateur, no 184, 2007, p. 12-19.

176
Créations mathématiques

• Étape 4 : finalisation et diffusion de la création mathématique


Une fois que la création est considérée comme achevée, son auteur la finalise
en la mettant au propre sur une affiche, de type feuille A3. Ce support pourra
alors devenir source d’affichage ou de diffusion via le journal de classe, les cahiers
de travail ou la correspondance.
• Étape 5 : étude des concepts et classement des recherches
Identique aux étapes 3 et 4 de la première approche.
Quelques précisions, en plus de celles valables pour l’approche 1 :
– une création doit comporter le nom de l’auteur et un titre ;
– pour l’exploitation en collectif (recherche de pistes qu’on note au fur et à
mesure…), l’enseignant agrandit la création à la photocopieuse en A3 (pour
l’affichage au tableau mais aussi pour la mémoire de la classe). Il demande aux
élèves de la classe leurs idées qu’il note au tableau. Il éveille leur curiosité. C’est
seulement à la fin qu’il demandera à l’auteur son intention. Il photocopie alors
la création en A4, les élèves la collent dans leur cahier de mathématiques ;
– les recherches et brouillons sont conservés, ils ne sont pas gommés. Ils sont
réalisés sur des feuilles successives scotchées entre elles ;
– il est difficile de mener ce travail avec l’ensemble des élèves. Il est donc
souhaitable de scinder la classe en deux groupes. Pendant que certains
travaillent leurs créations avec l’enseignant, les autres effectuent d’autres
travaux mathématiques, par exemple à partir de fichiers autocorrectifs. Les
groupes permutent lors de la séance qui suit.

Autres exemples de « créations mathématiques »

Au départ En cours de recherche Au final

200
3 8 = 24
Rihab – CM1 Les 3 machines
Création mathématique 1

18 4 = 72 50 10 = 500
3 8 = 24 60 200 = 260
16 14 = 224 34 10 = 34 80 300 = 380
224 78 = 302 8 1=9 3 2=5
302 10 = 292 9 2=7 50 10 = 40
292 224 302 292 = 60 70 60 = 10 238 220 = 18
72 34 7 7 10 9 24 =

500 260
380

177
La coopération du point de vue de l’enseignement

Au départ En cours de recherche Au final


Yasmina – CM2 L’étoile du Maroc
Création mathématique 2

3 – J’ai recommencé trois fois pour que je réussisse l’étoile du Maroc.


C’était un peu dur mais ce n’est pas grave.
Victor – CE2 La fleur mathématique
Création mathématique 1

3 – Avec la règle, tu traces des segments qui passent par le centre.

Deux types d’activités de coopération peuvent diversifier ces deux approches.


Elles contribuent à modifier les représentations que les enfants peuvent tradition-
nellement avoir des problèmes, à avancer l’idée que faire des mathématiques, ce
n’est pas seulement calculer des opérations. On parle ici de défis et de rallyes
mathématiques.
Les défis mathématiques correspondent à des énigmes que l’enseignant pro-
pose aux enfants. À charge des élèves ou des équipes d’engager des recherches qui
aboutiront ou pas. Le but est de trouver des solutions à partir des outils mathéma-
tiques dont on dispose. Ces recherches peuvent se dérouler dans un climat soit de
coopération collective (la classe entière se mobilise pour trouver des solutions), soit
de coopération à l’intérieur de chaque équipe avec une émulation interéquipes.
Pour les rallyes mathématiques, ce sont les enfants qui établissent les énigmes
mathématiques et qui les soumettent aux autres enfants ou équipes. Ces rallyes
peuvent s’organiser entre classes.

178
Créations mathématiques

1 – Fabrication des énigmes (avec solutions par les auteurs).


2 – Recherches de stratégies de validation de l’énigme et de la solution.
3 – Communication aux correspondants.
À l’intérieur de la classe, on peut envisager que chaque équipe crée une
énigme puis la soumette à la réflexion des autres équipes avant de valider ou
pas les solutions fournies. S’engage alors un débat entre les concepteurs et les
chercheurs sur la pertinence de l’énoncé et la réponse attendue. Dans tous les
cas, c’est l’enseignant qui fournit le matériau d’élaboration des énigmes (cahiers,
cartes, annuaires, cubes, etc.).
Pour terminer, nous reproduisons les conseils formulés par Monique Quertier
au sujet de l’organisation des situations de créations mathématiques à l’école
élémentaire 10 :
– travailler avec la moitié de la classe ;
– faire des créations mathématiques tous les jours ;
– veiller à une bonne organisation matérielle de la classe ;
– ne pas violer la création d’un enfant ;
– traiter les créations de tous les enfants du groupe ;
– apprendre à se taire lors des séances ;
– se tranquilliser, se rassurer par des garde-fous ;
– conserver des traces du travail des enfants.

10. QUERTIER M., « Vingt ans de pratiques en méthode naturelle de mathématiques », in Le


Nouvel Éducateur, no 184, 2007, p. 22.

179
7
Recherches documentaires,
conférences d’enfants et sorties

À TRAVERS L’ENSEMBLE DES INSTITUTIONS QUI CONSTITUENT LE SYSTÈME


« classe coopérative » s’établit une culture de classe qui tend à faire de
l’environnement des enfants leur milieu de vie. Or, l’école n’a pas que pour fonc-
tion de permettre de s’épanouir dans un espace qui convient, avec des codes que
l’on maîtrise. Elle conduit également à ce que chacun soit en mesure de pouvoir
rencontrer et appréhender les espaces voisins, voire les espaces lointains. C’est à
partir de ces échanges que la culture de classe s’enrichira et invitera à rompre
avec les quotidiens. Par leur caractère dynamique et authentique, les recherches
documentaires, les conférences d’enfants (ou exposés) et les sorties scolaires
interviennent dans cette logique et contribuent à ces ouvertures.

Une alternative aux manuels scolaires

La recherche documentaire est un fondement de la classe coopérative. Prenant


en compte l’idée que les classes regroupent des enfants forcément différents,
l’enseignant accepte leur caractère hétérogène. Il se refuse donc d’imposer des
modalités de travail qui correspondent à un enchaînement d’activités collectives
et uniformes. Les manuels, s’ils sont utilisés pour permettre à une classe d’évoluer
selon un même rythme, n’ont pas forcément leur place. Or s’arrêter à cette inten-
tion ne suffit pas si l’on souhaite que les enfants puissent se construire un réseau
de connaissances émancipatrices. L’offre de rencontre aux savoirs se doit d’être
au moins aussi importante qu’ailleurs. C’est pour cette raison que l’abandon du
manuel implique d’autres techniques de travail. Permettre au même moment à un
certain nombre d’élèves de travailler sur des sujets différents implique le maxi-
mum d’autonomie. La recherche documentaire représente donc l’activité que déve-
loppent les élèves pour se mettre en relation avec les savoirs, dans une logique
dynamique où, au lieu de recevoir des réponses à des questions qu’ils ne se
posaient pas, vont chercher des réponses à des questions qui les motivent. En
même temps, en plus d’apprendre principalement un ensemble de connaissances
déclaratives, correspondant à des éléments précis de savoirs (les capitales, des

181
La coopération du point de vue de l’enseignement

dates historiques, des définitions), les enfants sont amenés à développer de


concert des compétences procédurales, inhérentes à des réflexes de chercheurs,
leur permettant de trouver aisément des éléments de réponses à toute question.
C’est ici la curiosité naturelle des enfants qui est exploitée afin, d’une part, qu’elle
puisse être entretenue et, d’autre part, qu’elle serve d’outil pour rencontrer du
savoir et développer des connaissances.
Il n’est pas interdit aux enseignants d’apporter leurs incitations, leur effacement ne
favoriserait que le libre jeu des conditionnements extérieurs. Il a donc tout intérêt à
participer au « Quoi de neuf ? » lorsque les informations entrent dans la classe, à com-
pléter régulièrement les ressources documentaires, notamment en les multipliant et
en les diversifiant, le manuel pouvant alors servir de sources parmi d’autres, d’aider
de manière formelle les enfants dans leurs recherches, voire même de présenter eux-
mêmes un exposé. Il est normal d’aider les enfants dans leurs recherches, mais il ne
s’agit pas de faire du recours à un support documentaire un nouvel exercice scolaire,
plutôt de développer le sens que cela revêt dans la quête d’informations. Bibliothé-
caires et documentalistes discernent facilement un enfant qui vient chercher de la
documentation par motivation personnelle d’un autre qui doit étudier un sujet pour
l’école. Le premier arrive avec des questions sur ce qu’il souhaite connaître, le second
cherche essentiellement à rapporter quelque chose pour répondre à une obligation.
L’enseignant peut aider les enfants qui ne bénéficient justement pas de cette motiva-
tion, à cerner l’objet d’une recherche, à s’orienter dans le choix de documents, à définir
leurs objectifs : réaliser un dossier ou un album, des panneaux d’affichage, un diapo-
rama informatique, un montage audiovisuel, un exposé, un article pour le journal… Il
peut également présenter des démarches pour apprendre à lire sans s’hypnotiser et à
effectuer des synthèses parmi plusieurs ressources. Pour conduire les enfants à
dépasser les réponses purement verbales, il peut outre le recours aux documents, les
inciter à observer et à expérimenter.
Une autre manière d’inciter les enfants à la recherche documentaire est de les
inviter à contribuer à l’écriture de certaines ressources. Parmi elles, la revue pour
enfants Bibliothèque de travail (BT). Considérée par Jean Vial comme « la plus
importante aventure éducative depuis la grande encyclopédie de Diderot 1 », elle
fournit aux élèves une documentation correspondant à leurs besoins. Chaque BT
se présente selon la même forme : un reportage court de vint-quatre pages suivi
d’une partie magazine, un découpage en séquences courtes, une alternance
d’écriture entre des auteurs spécialistes et les classes qui ont accepté de tester
les revues en cours de construction.

« À l’expérimentation, les jeunes lecteurs signalent tout ce qui leur est incompréhensible.
Parfois, en fonction de leurs expériences personnelles, les classes lectrices et les enseignants

1. BARRÉ M., L’aventure documentaire, Éditions ICEM, Nantes, 2002, p. 26.

182
Recherches documentaires, conférences d’enfants et sorties

proposent d’autres approches du sujet. Leur questionnement amènera les auteurs à appro-
fondir, à préciser 2. »

Actuellement, en plus des supports papier qu’il est toujours possible de se


procurer (J Magazine pour les enfants entre 4 et 7 ans, BTJ pour ceux entre 7 et
11 ans), les auteurs des BT numérisent l’ensemble de la collection, ce qui permet
de doubler les formes de mises à disposition auprès des élèves et de les inciter
à utiliser l’informatique pour effectuer leurs travaux de recherche.

Trois phases pour la création des conférences d’enfants

Pour la réalisation d’un exposé, autrement appelé conférence d’enfant, un pro-


tocole peut être introduit par l’enseignant dans la classe. Celui-ci peut se décom-
poser en trois grandes parties : la préparation de la recherche, la recherche
documentaire et la présentation de l’exposé.
• La préparation de la recherche correspond à la phase où les enfants, seuls ou en
paires, déterminent le thème de leurs travaux ainsi que les principaux axes vers
lesquels ils vont rechercher de l’information. L’essentiel est que l’exposé puisse
apporter quelque chose aux camarades. Il est conseillé aux futurs auteurs de
choisir un sujet qui les intéresse, soit à partir de questions qu’ils se posent, soit
à la suite d’une présentation lors d’un « Quoi de neuf ? » ou après une sortie
enquête, soit à partir d’une liste de thèmes possibles pour les exposés. Une fois
le sujet déterminé, il leur est demandé d’écrire au brouillon tout ce qu’ils savent
sur ce sujet (un petit texte expliquant ce qui les a motivés) et de noter toutes les
questions qu’ils se posent ou qu’ils pensent être en mesure de combler. Ces trois
paragraphes doivent pouvoir être rédigés sans l’aide d’une documentation. Cet
embryon de projet fait ensuite l’objet d’une proposition en conseil. S’il est
accepté, ce qui est généralement le cas sauf lorsque cela a déjà fait l’objet de
plusieurs recherches, les auteurs de l’exposé demandent à leurs camarades à
quelles questions ils souhaiteraient trouver une réponse. Ils complètent alors
leur liste initiale qui peut alors regrouper une dizaine de points à traiter. Le plan
de l’exposé se construit essentiellement autour de ces questions. Un autre motif
de refus d’exposé lors d’un conseil peut être de n’avoir pas encore terminé une
recherche sur laquelle on s’était engagé précédemment. Il peut être proposé à
ces enfants une aide méthodologique à la collecte d’informations ou à l’organisa-
tion matérielle de la présentation. On peut solliciter à tout moment l’aide d’un
camarade ou celle de l’enseignant. Il serait dommage de priver la recherche des
enrichissements que peut apporter la structure coopérative de la classe.
• La deuxième étape est celle qui voit la recherche documentaire proprement dite
intervenir. Les enfants sélectionnent de la documentation, soit dans la classe à

2. Ibidem, p. 33.

183
La coopération du point de vue de l’enseignement

travers des livres, des ressources numériques ou d’anciens exposés, soit dans la
BCD, soit sur Internet et même, si c’est possible, à la maison ou à la médiathèque
du quartier ou du village. À partir des informations trouvées, les auteurs rédigent
leur exposé en suivant le plan déterminé par la liste de questions. Ils notent les
ouvrages, banques de données, sites Internet ou personnes ressources utilisés
pour bénéficier de ces informations. Chaque mot employé doit être connu et sus-
ceptible d’être expliqué aux autres enfants. À la fin de l’exposé, une série de
questions doit être prévue pour les élèves de la classe. Cela permettra de déve-
lopper et de mesurer l’attention des enfants auditeurs. À ce stade, le travail fait
l’objet d’une relecture par l’enseignant. Après son accord et d’éventuels correc-
tions ou ajouts, les auteurs recopient leur texte sur l’ordinateur. Des illustrations
sont choisies, scannées ou importées, et intégrées à l’exposé. Deux formes géné-
rales sont possibles pour les présentations : l’affiche ou le diaporama informa-
tique. Une nouvelle fois, les compétences techniques des membres de la classe
peuvent être sollicitées. En plus de ce support visuel et collectif, les auteurs pré-
parent une fiche enfant sur laquelle se trouve l’essentiel de leur travail en
résumé. Ce document servira d’aide pour retenir les informations énoncées.
Lorsque l’exposé est considéré comme terminé par l’enseignant, c’est-à-dire
lorsque l’affiche ou le diaporama, les questions de fin et la fiche enfant sont ache-
vés, les auteurs l’annoncent au « Quoi de neuf ? » ou en conseil afin de détermi-
ner un moment dans l’emploi du temps pour la présentation.
• La troisième phase est celle de la présentation à la classe, au moment prévu
à cet effet. La fiche enfant aura au préalable été photocopiée en autant
d’exemplaires qu’il y a d’enfants. Pour cette présentation, il est demandé de
parler fort et lentement, d’être bref en évitant les longs monologues, de
répondre aux questions qui ont été posées, d’éviter de lire et d’utiliser des
phrases courtes. À la fin de chaque chapitre, les conférenciers demandent
s’il y a des questions ou des commentaires, y répondent s’ils sont en mesure
de le faire, annoncent leur incapacité si c’est le cas. Il vaut mieux expliquer
qu’on ne sait pas plutôt que d’inventer des réponses. C’est pour cela qu’au
cours de l’exposé, les auteurs veillent à présenter les sources documentaires
qu’ils ont utilisées. À la fin de l’exposé, les auditeurs doivent répondre aux
questions prévues par les auteurs. Il est important que les réponses aient
été données au cours de l’exposé, pas nécessairement sur la fiche enfant.
Les réponses à ces questions sont individuelles. Les auteurs récupèrent
ensuite les copies, les corrigent et portent une note sur dix. Quant aux audi-
teurs, en fin d’exposé et à titre d’évaluation, avec leurs mains levées, ils
attribuent une note au travail de leurs camarades à partir des critères sui-
vants : présentation, contenu et support. La moyenne de ces avis peut consti-
tuer un nombre de points que l’on peut attribuer à l’exposé.

184
Recherches documentaires, conférences d’enfants et sorties

Quelques thèmes d’exposés possibles


Histoire Géographie
Histoire de l’école Les climats du monde
Histoire de l’écriture La terre en danger
Histoire de la ville, du village ou du quartier La protection de l’environnement
Histoire du département ou de la région Le recyclage des déchets
La préhistoire Les espèces en danger
L’évolution de l’Homme La pollution de l’eau
L’art pariétal L’exploration de l’espace
La vie pendant la préhistoire La fusée Ariane
La chasse Le cirque
Les Gaulois, les Romains La forêt
Vercingétorix et Jules César La faim dans le monde
Le Moyen Âge L’unité de l’Europe
Les Vikings Notre région
Charlemagne Les rivières et fleuves de notre département
Les chevaliers Les fleuves français
Jeanne d’Arc Les montagnes françaises
Les châteaux forts Les montagnes du monde
Le temps des seigneurs L’euro
Marco Polo Enfants du monde
La guerre de Cent Ans La barrière des langues
La Renaissance
Léonard de Vinci Éducation civique
Christophe Colomb et la découverte de Les droits de l’homme et les droits de l’enfant
l’Amérique Pour un monde solidaire
L’invention de l’imprimerie Le racisme
François Ier Le maire
La monarchie absolue Le conseil général
Les guerres de Religion au XVIe siècle Le député
Henri IV Un métier
Les paysans au XVIIe siècle
L’enfant au XVIIe siècle Sciences
Le commerce des esclaves La digestion
Vivre sous Louis XIV La circulation du sang
L’Encyclopédie au XVIIIe siècle Les roches
La Révolution française Le papier
Louis XVI et la fin de la royauté La lumière
La prise de la Bastille Les aliments
Les temps modernes Le pétrole
Napoléon Bonaparte Le charbon
La révolution industrielle La respiration
Les métiers d’autrefois Les dents
Les débuts de l’automobile Le sommeil
Histoire du chemin de fer Les cinq sens
Les dirigeables Les effets de la cigarette
Un ouvrier vers 1860 Les plantes
L’école de Jules Ferry La forêt
La vie à la campagne au XIXe siècle Le miel
Les débuts de l’aviation L’informatique
L’invention du cinéma Les fossiles
La Première Guerre mondiale La dérive des continents
La Seconde Guerre mondiale Les volcans
La Résistance Les tremblements de terre
La déportation des juifs Le cycle de l’eau
Charles de Gaulle Les nuages
La conquête de l’espace Pourquoi le ciel est-il bleu ?
La construction de l’Union européenne Le vent
Les éclairs – le tonnerre

185
La coopération du point de vue de l’enseignement

La sortie enquête : un futur antérieur


Les « Quoi de neuf ? » et divers moments de présentations peuvent s’avérer
pauvres en sollicitations, a fortiori en zone d’éducation prioritaire. Comptes rendus
d’entraînements de foot, d’émissions de TV populaires, de jeux de rue, de fêtes
diverses… ne constituent pas des supports suffisamment riches pour engager les
enfants vers des projets d’exploitation. L’enseignant se doit alors de proposer des
activités qui enrichissent ces temps de partage et d’expression, ou de modifier la
structure de classe afin qu’elle devienne un espace de développement cognitif
plus large. La mise à disposition d’un centre documentaire de classe important et
l’organisation de sorties scolaires constituent deux éléments allant dans le sens
de cet enrichissement.
En son temps et pour des raisons à la fois de santé et pédagogiques, C. Freinet
organisait des promenades quotidiennes. À son grand étonnement, l’effet récréatif
passé, les enfants s’étaient engagés dans des recherches fines qui ont eu pour
conséquence une exploitation de données recueillies dans la classe au service de
travaux scolaires liés à la vie.

« Freinet avait pris la décision d’amener chaque après-midi ses gamins dans la nature.
La promenade, c’était le moment de la journée le plus attendu par les enfants. Elle se
faisait l’après-midi, quand déjà l’effort de la matinée avait entamé la résistance du maître
malade et des élèves les plus instables. Chaque enfant prenait son crayon, son ardoise, et
la petite troupe s’en allait dans les environs immédiats de l’école, le long du sentier
serpentant sous les oliviers, vers le calme du cimetière, dans la colline ou là-haut, sur le
tertre fleuri qui dominait le village. Freinet restait attentif à toutes les remarques des
enfants plus par curiosité humaine que par souci pédagogique et en fin de compte il était
facile de voir que tout le monde tirait de cette sortie en plein air, sous le beau ciel du Midi,
une impression d’euphorie qui disposait à la confiance et ouvrait la compréhension 3. »

C’était en 1924. Pourquoi ne serait-ce pas encore valable de nos jours ?


Une sortie enquête est une sortie en dehors de l’école dont le but est de
rapporter des objets, des sons, des odeurs, des sensations, des images, toutes
sortes d’éléments qui vont pouvoir faire l’objet d’une exploitation en classe. Même
lorsque les groupes se rendent dans des endroits voisins de l’école, très bien
connus de tous, on retrouve chaque fois cette impression de découverte. Les
enfants se dispersent et des trouvailles inédites viennent compléter ce qu’ils ont
déjà apporté en classe. De retour à l’école, l’enseignant propose à chaque enfant
de se donner un projet : écrire un article pour le journal, faire un travail d’arts
visuels à partir d’un objet rapporté, préparer un exposé sur un animal rencontré,
essayer de résoudre une énigme survenue lors de la sortie, concevoir une création
mathématique, réaliser un montage mécanique et bien d’autres encore.

3. FREINET C., Naissance d’une pédagogie populaire, Maspéro, Paris, 1971, p. 24.

186
Recherches documentaires, conférences d’enfants et sorties

« Complémentaire à toute recherche, la documentation ne peut remplacer la confronta-


tion avec la réalité, comme l’école le souhaite trop souvent. Certes, la réalité est difficile
à appréhender par sa complexité, par l’impossibilité où l’on est de se loger sagement dans
un cadre horaire, dans une discipline, et pourtant le contact de la réalité possède une
charge émotionnelle que n’aura aucun moyen de retransmission ou de transcription 4. »

Au début, certains peuvent proposer spontanément leur projet, les enfants


qui n’ont pas d’idée précise peuvent s’en voir suggérer par des camarades ou
l’enseignant. Beaucoup de ces projets nécessitent le recours à des sources docu-
mentaires, pour identifier, vérifier ou compléter ce qui a fait l’objet d’une décou-
verte lors de la sortie. Les enfants se tournent donc vers les encyclopédies,
dictionnaires et outils informatiques de l’école afin de tenter de trouver une
réponse à leurs besoins. Lorsqu’on obtient un texte qui correspond à ce que l’on
cherche, il ne s’agit pas de le recopier. Le risque est alors trop grand, d’abord de
ne pas profiter de cette occasion pour apprendre, ensuite de passer à côté de
mots de vocabulaire, d’expression ou de formes écrites que l’on comprend mal et
que l’on pourra difficilement expliquer. Les enfants doivent donc :
– choisir les phrases qui répondent à la recherche ;
– lire le texte, bien le comprendre, rechercher le sens de certains mots si
nécessaire ;
– fermer le livre ou la page informatique puis écrire leur réponse à partir de
ce qu’ils ont compris ;
– ouvrir à nouveau la source documentaire utilisée et comparer son écrit à ce
qui est expliqué ;
– noter les références ;
– présenter leur travail à un camarade qui pourra interroger sur la compréhen-
sion de ce qui a été écrit. Modifier si besoin.
En aval, une telle sortie conduit à la réalisation de divers projets. En amont, il
ne s’agit pas de préparer les sorties pour les élèves, ce serait les priver de plu-
sieurs occasions d’apprendre. L’organisation d’une sortie est en effet une opportu-
nité de susciter de nouvelles activités, à forte densité intellectuelle : les enfants
écrivent, calculent, prévoient, envisagent des possibles, font intervenir les réseaux
de partenaires de la classe, l’ensemble dans un contexte d’engagements authen-
tiques et responsabilisés. Voici page suivante un tableau que les enfants peuvent
utiliser comme support pour penser un projet de sortie 5.

« Les leçons de choses en plein air étaient toujours l’occasion de découvertes passionnantes et
chaque élève, en apportant ses brins de connaissances, contribuait à bâtir une leçon bien
équilibrée et très vivante. Les insectes et les petits animaux n’étaient pas absents de ces

4. BARRÉ M., L’aventure documentaire, Éditions ICEM, Nantes, 2002, p. 90.


5. CONNAC S., JOFFRE E., TIBÉRI D., Fichier d’incitation à la coopération et à la citoyenneté,
Éditions ICEM, Nantes, 2008, p. 70.

187
La coopération du point de vue de l’enseignement

Support pour un projet de sortie

Le projet Le(s) responsable(s) :


Qu’est-ce que nous apprendrons? Ce que nous savons déjà :

Pour faire quelle activité?

Le lieu À quel endroit?


Dans quelle ville? Adresse : Téléphone : Mail :

Le groupe Nombre d’enfants : Contacts :


Nom des accompagnateurs :

Le temps Quel jour?


Combien de temps? Heure de départ : Heure d’arrivée :

Les déplacements Par où passe-t-on?


À pied Bus de ville Autocar Autre :

Le budget Transport Activité Autre


Enfants
Adultes

Matériel Habits Alimentation

Quelles autorisations faut-il demander?

Qui écrit le mot pour les familles?

188
Recherches documentaires, conférences d’enfants et sorties

discussions. Nous en apportions souvent en classe et le maître savait attirer notre attention sur
le rôle qu’ils jouaient dans la nature. Un hiatus se produisait au retour dans la classe, ajoute
Freinet. Après les sorties, on écrivait un petit compte rendu collectif mais on devait revenir bien
vite aux exercices traditionnels des manuels, sans aucun rapport avec ce vécu. Il aurait fallu
d’une part donner à chaque enfant un exemplaire lisible de ces textes, mémoire vivante de la
classe (la polycopie donnait des résultats trop pâles), d’autre part proposer des documents et
des exercices liés au sujet qui venait de susciter l’enthousiasme 6. »

C’est ainsi que l’aventure documentaire a débuté, avec dans un premier temps
l’introduction de l’imprimerie dans la classe et, dans un second, la longue entreprise
de rédaction des Bibliothèque de travail, la revue enfantine à visée encyclopédique.
Grâce à l’ensemble des ressources qui sont actuellement à notre disposition, nous
n’avons plus à engager cette aventure. Il nous reste cependant à accepter d’ouvrir
la porte des classes pour permettre aux enfants de penser des projets de sorties,
de les conduire et d’en exploiter les apports en lien avec un travail de recherche
documentaire. Voici un exemple d’exposé émanant d’une telle sortie.

Exemple d’exposé
La cité de Carcassonne
Par Wafâa et Aïssam

→ Pourquoi a-t-on choisi le nom de Carcassonne ?


Je vais vous raconter la légende de Dame Carcas. Simon de Montfort avait encerclé Car-
cassonne, tout le monde à l’intérieur allait mourir de faim. Dame Carcas a eu alors une
idée : il leur restait un petit peu de blé et un cochon. Ils l’ont gavé de blé et ont ouvert
une petite porte pour le faire sortir du château. Comme le cochon était gros, Simon de
Montfort a pensé qu’ils avaient à manger dans le château. Alors il est parti.

→ Pourquoi Carcassonne s’écrit-il avec 2 « n » ?


Carcassonne s’écrit avec 2 « n » parce qu’au Moyen Âge, il n’y avait que les moines
qui savaient écrire. Alors, à l’époque, pour savoir combien ils devaient gagner, ils
comptaient les lettres. Les moines voulaient beaucoup d’argent, c’est pour ça qu’ils
ont rajouté un « n ».

→ Qui a construit la cité de Carcassonne ?


Eugène Viollet-le-Duc est un ancien architecte. Il a restauré le château au XIXe siècle
à cause des gens qui prenaient ses pierres pour construire leur maison. Il est né
en 1814 et mort en 1874. Ce monumental chef-d’oeuvre d’architecture militaire est
depuis 1997, inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Le véritable
château avait été construit bien avant pendant plusieurs siècles.

6. BARRÉ M., Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps, tome 1, Édition PEMF, Mouans-
Sartout, 1995, p. 31.

189
La coopération du point de vue de l’enseignement

→ Quels sont les mots importants des châteaux forts ?

Pont-levis : il permet aux chevaliers de passer quand il était abaissé, mais quand
il est monté, personne ne peut passer.
Herse : c’est une grille mobile avec des pointes à l’entrée des châteaux. Quand il
y avait des ennemis, on la fermait. En fait, il y en avait deux, comme ça, on pouvait
enfermer les ennemis et leur jeter de l’huile bouillante d’en haut.
Hourd : construction en bois des fortifications placée au sommet d’une tour ou
d’un mur.
Créneaux : c’est un espace qu’il y a en haut d’un rempart pour que les chevaliers
puissent attaquer.
Donjon : la tour principale du château, l’endroit où vivent le seigneur et sa famille.
Chapelle : lieu de prière pour les chrétiens.
Mâchicoulis : ouvertures en haut des tours et aussi dans les chemins de ronde.
Ceux qui défendent le château s’en servent pour jeter des choses comme de l’huile
ou de l’eau bouillante et des pierres.
Lices : c’est ce qui se trouve entre deux remparts. Autrefois, c’est l’endroit où les cheva-
liers se battaient contre leurs ennemis. Les lices de Carcassonne mesurent 1,5 km.

→ À quoi sert une tour de guet ?

À Carcassonne, une guide nous a montré la tour de guet. Elle sert à guetter les
ennemis.
Cette tour est la plus haute du château. Grâce à la hauteur de la tour, les chevaliers
peuvent voir très loin.

→ Comment faisait-on pour devenir chevalier ?

Un futur chevalier est d’abord un chrétien : sa


mère s’occupe de son instruction religieuse en lui
montrant des images saintes. À 5 ou 6 ans, il est
pris en charge par un chapelain qui lui apprend
à lire, à écrire, à compter, etc. Vers 10 ans, la
plupart des garçons partent chez un ami de leur
père ou chez un oncle plus puissant. Pour être
chevalier, il faut que celui qui l’a entraîné lui mette deux claques. Ensuite, il le bénit
avec une épée. Ça s’appelle l’adoubement.

→ Comment mangeait-on au Moyen Âge ?

Au Moyen Âge, on mangeait sur des tranchoirs. Un tranchoir, c’est une tranche de
pain. Les couverts étaient un pic, une cuillère et un couteau. Il y avait un tranchoir
pour deux personnes, même pour le roi.
Nous avons trouvé les informations en écoutant la guide de Carcassonne, dans la
BTJ no 480, « Les châteaux forts », et sur le site Internet www.carcassonne.culture.fr.

190
8
Discussions à visées démocratique
et philosophique

L A PLUS GRANDE FORCE DE LA CLASSE COOPÉRATIVE EST INDÉNIABLEMENT


sa capacité à accueillir le vivant, à s’y appuyer et à le traiter de manière que
les événements de la vie quotidienne des enfants et de l’école deviennent des
sources d’apprentissages et d’émancipation. On a donc droit à toutes sortes de
particules de vie : des bogues de châtaignes à l’éclipse annulaire de soleil en
passant par les incroyables parties de foot et les rêves les plus fous.
Certains de ces événements sont les questions qu’apportent les enfants.
Quelques-unes concernent la vie sociale de la classe (« Est-ce que j’ai le droit
d’apporter mes gerbilles ? Est-ce qu’on peut aller à la patinoire ? Je n’arrive pas à
réussir cette fiche, quelqu’un peut-il m’aider ? »). Conseils de coopérative et réu-
nions sont les principales institutions de la classe qui peuvent apporter des
réponses. D’autres convoquent le scientifique et conduisent à des recherches,
manipulations et présentations (Qu’est-ce qu’une bactérie ? Comment fonctionne
le moteur à explosion ?). Généralement, ces questions peuvent être résolues par
des encyclopédies. En dignes représentants de l’espèce humaine, les enfants
arrivent aussi avec des questions différentes, auxquelles on peut difficilement
apporter une réponse unique ; c’est ce que l’on appelle les questions philoso-
phiques. Il serait possible de renvoyer le questionnement à des recherches person-
nelles motivées par une présentation à la classe, mais ce serait risquer de favoriser
les idées premières, les apparences, les préjugés et surtout interdire aux enfants
de mesurer toute la complexité de la pensée. On pourrait également donner pour
réponse sa propre vision du monde, mais ce serait faire de nos représentations
une universalité et interdire toute la richesse présente en chaque enfant au sein
de la communauté que forme la classe.
Face à de tels événements, l’écoute de l’enseignant peut prendre plusieurs
formes. Il peut proposer une écoute pédagogique, c’est-à-dire orienter les enfants
vers des activités qui vont accroître leur capital connaissances/compétences.
L’enseignant peut également proposer une écoute psychologique dont le principe
est de permettre un écho aux préoccupations personnelles par l’intermédiaire d’un
agir empathique. C’est en même temps la moindre des humanités et la plus

191
La coopération du point de vue de l’enseignement

instable des tâches. L’enseignant peut enfin proposer une écoute philosophique.
La visée n’est plus de susciter de la cognition ni de l’aide, mais plutôt de permettre
l’élaboration d’une pensée personnelle.

De la coopération à la philosophie

Dans le cadre de la classe, quels sont donc les repères sur lesquels l’ensei-
gnant peut s’appuyer pour permettre ces « penser par soi-même », ce que l’on
nomme aussi le philosopher ? Je propose ici à l’étude trois clés pour l’organisation
de discussions à visées démocratique et philosophique (DVDP) avec des enfants.

S’appuyer sur une communauté de recherche 1


Dans un premier temps, il semble important de disposer d’une communauté
de recherche qui permette un « habitus démocratique ». Plusieurs raisons tendent
à préférer le travail philosophique sous forme de discussion plutôt que par entre-
tien. Une discussion fait de chaque participant un acteur, ce qui l’invite à profiter
intellectuellement des perturbations que cela engendre. La part de l’enseignant
est réduite et sa version de la vérité n’a pas plus d’importance que celle d’un
enfant qui parviendrait à avancer des arguments. Face à une interrogation d’ordre
philosophique, la vérité n’appartient à personne mais peut être entraperçue coo-
pérativement par confrontations de représentations et juxtapositions d’argumenta-
tions.
Cela correspond à une communauté de discussion dont les règles de fonction-
nement sont celles de la démocratie : chacun a un droit équivalent à la parole,
on écoute celui qui s’exprime, on s’appuie sur ce qui vient de se dire en évitant
de le répéter. C’est en quelque sorte ce que Jürgen Habermas appelle l’agir com-
municationnel :

« On cherche d’abord à s’entendre avec d’autres, pour interpréter ensemble des situations,
et s’accorder mutuellement sur des plans d’action. […] L’agir communicationnel, c’est la
coordination consensuelle des plans d’action des parties prenantes individuelles, laquelle
rend possible le procès d’intercompréhension 2. »

Cet agir communicationnel s’appuie sur plusieurs présuppositions :


– nous pouvons nous comprendre et nous pouvons partager un même
monde ;

1. Concept apporté par LIPMAN M., À l’école de la pensée, De Boeck Université, Bruxelles, 1995.
2. HABERMAS J., Théorie de l’agir communicationnel, tome I, coll. « L’Espace du politique »,
Fayard, Paris, 1987.

192
Discussions à visées démocratique et philosophique

– nous sommes sincères et nous ne trichons pas ;


– nous nous respectons mutuellement, donc nous nous écoutons ;
– nous cherchons à nous entendre au titre de ce que nous acceptons pour
valable, c’est-à-dire exact, pertinent, correct, vrai. Cela signifie que nous
nous situons sous la loi de l’argument meilleur en attendant un meilleur,
sachant qu’il n’y a pas d’argument définitivement meilleur ;
– les partenaires sont égaux quant au droit de s’exprimer ;
– les partenaires disposent de chances égales de faire valoir a priori leurs
points de vue face aux autres ;
– l’espace de discussion est autonome, c’est-à-dire qu’il n’est pas soumis à
des impératifs ou des contraintes externes autres que la contrainte non
contraignante de l’argument ;
– la vérité n’est pas détenue en certains mais elle est engagée entre tous.

Introduire des exigences intellectuelles du philosopher


Le caractère philosophique des discussions dont il est ici question se veut la
résultante d’un travail spécifiquement engagé pour tendre vers le philosophique,
si tant est que cela puisse être possible avec des enfants et sans aucune certitude
de l’atteindre. C’est d’ailleurs pour cela que nous préférons employer l’appellation
de « discussion à visées démocratique et philosophique 3 » (DVDP) pour ces pra-
tiques. La volonté de faire du philosophique, le fait d’invoquer de grands philo-
sophes ou même de s’interroger sur des questions existentielles ne suffisent pas
pour permettre à des enfants d’entrer dans le philosopher. Des exigences intellec-
tuelles particulières sont requises. Qu’est-ce qui caractérise donc le philoso-
phique ? Le problème, c’est que les philosophes, même s’ils ont abondamment
produit sur le sujet, ne sont pas encore parvenus à s’entendre sur ce qui fonde
leur discipline. Il est donc impossible de définir précisément la philosophie.
Dans un souci d’optimisation de son enseignement, la didactique de la philoso-
phie propose toutefois un cadre de référence par l’intermédiaire des travaux de
M. Tozzi 4. L’animateur de la discussion a pour responsabilité d’aider les enfants
à recourir à diverses exigences intellectuelles caractéristiques du philosopher :
argumenter ses positions, problématiser les certitudes et conceptualiser les
notions employées. Ceci constitue une matrice didactique à partir de laquelle on
peut présenter aux enfants comment, en les combinant, ils peuvent faire grandir
une pensée qui leur appartient et, au bout d’un moment, entrer dans une réflexion
proprement philosophique.

3. Terme lui-même emprunté aux recherches de J.-C. PETTIER.


4. TOZZI M., Penser par soi-même, Chronique sociale, Lyon, 1996.

193
La coopération du point de vue de l’enseignement

Schéma des exigences intellectuelles du philosopher

Exigences intellectuelles
Conceptualiser

Philosopher

Problématiser Argumenter

• Conceptualiser, c’est tenter de définir les termes que l’on utilise ou auxquels
on se réfère afin d’en préciser le ou les sens et de minimiser les écarts
d’interprétation. Il s’agit de définir les mots qui expriment les notions, d’en
repérer les champs d’application et de tenter de faire ce qu’on appelle des
« distinctions conceptuelles », c’est-à-dire rechercher en quoi certains mots
sont ou ne sont pas des synonymes (par exemple, ami/copain, savoir/
connaître, racisme/égoïsme). Avec des enfants, nous expliquons qu’il s’agit
de demander ou de donner des définitions aux mots importants que l’on
emploie dans la discussion.

Thaleb 5: Moi je ne pense pas qu’il n’a pas eu de courage parce qu’il y est déjà allé
pour essayer de le tuer donc il ne faut pas dire qu’il n’a pas de courage.
Enseignant : Beaucoup d’enfants utilisent le mot courage ; ça serait bien qu’on essaie
de donner une définition à ce mot.
Mennana : Courage, je vais donner une définition ou un exemple. Ça veut dire en fait
quand le maître nous dit : « courez, courez » pour s’entraîner pour le cross du collège
et ben on a du courage pour courir.
Thaleb : Pour moi je ne suis pas d’accord avec Mennana. Par exemple quand on va
te dire d’attraper quelque chose que t’aimes pas, par exemple un serpent, si on te
dit de le tuer et tu le tues, alors ça c’est du courage.
Nesrine : En fait le courage, c’est quand on a peur de quelque chose et ben on le fait.
Thaleb : C’est comme quelque chose qu’on pouvait ne pas faire et qu’on arrive à le faire.
Mouaâd : Moi je veux dire que courage ça veut dire si on a peur, il faut avoir le
courage d’y aller.
Ridoine : Courage ça veut dire t’as eu la force de ne pas le tuer.

5. Script de la DVDP « Yacouba a-t-il été courageux ? » – classe de cycle III – École A. Balard,
2003, extraits.

194
Discussions à visées démocratique et philosophique

Thaleb : Je redis ce qu’a dit Ridoine, c’est comme si on a la force d’y aller alors qu’on
ne peut pas y aller qu’on a un peu peur donc courage ça veut dire qu’on a la force
d’y aller et de le faire.
Enseignant : Donc la définition qu’on a trouvée du courage, ce serait la force de faire
quelque chose qui nous fait peur.

• Problématiser, c’est rechercher et formuler ce qui crée le doute dans les


affirmations développées. C’est rendre problématique par le soupçon et le
doute en interrogeant les évidences, en mettant en question les validités.
C’est se demander si ce qui est dit est vrai. Avec des enfants, problématiser
correspondra à poser ou se poser des questions.
Khadija 6: Moi je veux dire si lui il a réussi à se libérer il pouvait libérer les
autres. Pourquoi tu dis qu’il n’a pas pu ?
Hayat : Je voulais poser une question moi aussi, pourquoi l’homme qui s’est
libéré, pourquoi il n’est pas resté avec ses amis puisqu’ils étaient depuis l’enfance
avec lui ?
• Argumenter, c’est expliciter, par la raison, ce qui prouve la véracité ou
l’inexactitude des thèses défendues ou apportées, rechercher l’universalité.
Nous expliquons aux enfants cette exigence intellectuelle en demandant de
dire pourquoi on pense ce que l’on dit et d’indiquer les raisons qui nous font
penser qu’on est dans le vrai.

Nabil 7: Je veux dire qu’en fait, la moralité, c’est pour dire que les hommes sont bêtes
parce qu’ils ont préféré rester dans la grotte alors qu’ils auraient pu au moins essayer
de découvrir la vérité. Ils auraient dû demander d’aller voir parce qu’on ne sait jamais
peut-être qu’il disait la vérité. C’est peut-être ça la moralité de l’histoire.
Jérémy : Moi je veux dire mais si il serait resté avec ses copains et bien, il se serait
ennuyé, il aurait rien fait, il aurait discuté, il l’aurait pas cru, il aurait dû rester dans
son coin tout seul.

L’exercice du philosopher ne peut être introduit que par l’adulte présent, mais
dans un contexte coopératif, les enfants les plus à l’aise deviennent rapidement
des supports à partir desquels l’ensemble de la classe va pouvoir évoluer vers
davantage de maîtrise réflexive. Ceci est possible à travers l’écoute de ce qui peut
se dire lors des discussions, mais aussi de ce qui est souligné par des observa-
teurs qui formulent quelques conseils pour les discussions à venir.

6. Script de la DVDP « L’allégorie de la caverne de Platon » – classe de cycle III – École A. Balard,
2002, extraits.
7. Ibidem.

195
La coopération du point de vue de l’enseignement

Permettre le tâtonnement expérimental


avant de tenter de philosopher
On le sait, le travail philosophique est à la fois humain et complexe. Il ne
s’agit pas d’appliquer mécaniquement quelques supports didactiques pour que
l’alchimie de l’acte d’apprendre s’active et pour que de simples échanges verbaux
constituent de la philosophie. Pourtant, il n’est pas question ici d’une tâche impos-
sible : des enfants se sont déjà montrés, avant leur entrée au collège, auteurs et
acteurs de pensées réflexives personnelles. Les diverses actions de praticiens-
chercheurs ont montré la pertinence de la communauté de recherche et de la
matrice didactique du philosopher. Elles permettent d’isoler un stade de dévelop-
pement de cette communauté discursive à partir duquel il semblait plus opportun
d’introduire du philosophique. C’est ce que nous avons appelé la zone de dialo-
gisme philosophique. Elle caractérise le stade à partir duquel un animateur de
DVDP peut susciter de manière formelle le caractère proprement philosophique
des échanges.
Cette zone semble atteinte lorsque les enfants réunis en communauté :
– savent partager démocratiquement la parole ;
– se sont coopérativement réunis autour d’une problématique qui fait sens ;
– discutent par l’intermédiaire d’interactions dynamiques (la discussion n’est
pas un ping-pong entre quelques participants ni un question-réponse avec
l’adulte) ;
– sont en mesure de mettre en doute la parole de l’adulte ;
– reconnaissent que chacun dispose d’une part de vérité et que la discussion
sera l’occasion de coordonner les apports de chacun ;
– font clairement la distinction entre des échanges factuels et des préoccupa-
tions philosophiques de nature universelle.
Pour que des discussions entrent dans cette zone, les communautés doivent
exister depuis plusieurs mois et la pratique de discussions doit être récurrente et
régulière. À ce moment-là, il semble possible et opportun d’introduire du philoso-
phique pour permettre aux enfants d’enrichir leur potentiel réflexif. Le recours à
ces exigences proprement philosophiques est ici considéré comme une sollicita-
tion intellectuelle visant l’enrichissement par la complexification de l’activité
mentale.
En revanche, pratiquer cette introduction rapidement risque de donner un
rythme d’activité inaccessible pour certains, de rendre artificielle la discussion,
en voyant des enfants user mécaniquement de questionnements ou recherches
conceptuelles, et surtout, de faire de l’activité plus une attente de produit pour
l’enseignant qu’une sollicitation intellectuelle. L’essentiel n’est pas de voir sa
classe pouvoir justifier un niveau réflexif certain par l’intermédiaire des enfants

196
Discussions à visées démocratique et philosophique

les plus compétents. Au contraire, il s’agit d’avoir permis à chacun des enfants de
faire évoluer sa propre pensée par la compréhension des autres points de vue et
la confrontation des argumentations. Les DVDP se veulent plus un champ
d’expression et d’expérimentation de sa propre pensée qu’un champ d’excellence.

Un dispositif coopératif comme tremplin au philosopher

Au sein des classes coopératives, un certain nombre de lieux de parole et


d’exercice de la vie démocratique existent (conseil de coopérative, Quoi de neuf ?,
bilans météo…). Ainsi, il est donc possible de s’appuyer sur les habitus démocra-
tiques qui en émergent pour amorcer les discussions à visées démocratique et
philosophique : les élèves ont déjà pu développer des compétences relatives à la
prise de parole, à l’écoute du camarade, au respect des règles et des fonctions
des discussions.
En tant qu’adulte, le second souci est de ne pas faire prévaloir de manière
systématique notre présence et notre pouvoir. L’enfant est en effet considéré
comme un potentiel médiateur dans ses apprentissages et dans ceux de ses cama-
rades. Il est alors apparu intéressant de se pencher sur les travaux menés par
A. Delsol autour de la constitution d’un dispositif pédagogique au service des
DVDP 8.

Dispositif de discussion à visées démocratique et philosophique

Plusieurs fonctions sont déterminées pour chaque discussion. La discussion


est animée dans sa forme démocratique par un président de séance dont le rôle

8. DELSOL A., Un atelier de philosophie à l’école primaire, Diotime l’Agora no 8, CRDP Montpellier,
décembre 2000.

197
La coopération du point de vue de l’enseignement

est d’organiser le groupe, de distribuer la parole, de tenir compte du temps qui


passe, de rappeler les règles et de nommer les éventuels gêneurs.
Des enfants sont en charge de la fonction de reformulation. Ils notent les
principales idées et répètent à leur façon ce qui vient d’être dit. C’est une fonction
qui vise à « souligner » les idées émises par les discutants (ceux qui sont amenés
à participer au débat sans occuper une fonction précise) et qui aide à structurer
l’avancée de la discussion. Pour cela, les reformulateurs sont aidés d’un synthéti-
seur qui, à la moitié et à la fin de la discussion, fait le point sur les principales
idées qui ont été explorées par le groupe. Enfin, pour permettre un regard réflexif
sur les engagements de chacun et pour réduire le nombre de discutants dans une
classe, il est possible d’envisager la création d’observateurs (de président, de
reformulateurs et de discutants). Ceux-ci ne participent pas aux échanges et se
centrent sur des éléments d’aides qui pourraient parfaire l’engagement de ceux
qu’ils ont observés. La séance suivante, sur le même thème, les discutants
occupent les fonctions de la reformulation et inversement.
Dans un tel dispositif, l’adulte devient un animateur garant de la philosophicité
des échanges, veille par exemple à ce que les enfants aient recours aux processus
intellectuels du philosopher. Sous réserve que sa pensée n’altère pas trop celle
des enfants, il peut même envisager d’enrichir la discussion par des interventions
personnelles. À noter que cette conception du dispositif rompt avec d’autres
conceptions pédagogiques qui confèrent à l’enseignant une place plus prégnante,
un pouvoir de guidage des échanges plus conséquent. C’est à lui qu’incombent
les fonctions de présidence, de reformulation et de synthèse. On obtient alors des
effets « philosophiques » plus rapides et plus remarquables mais avec le doute
qu’ils soient trop fortement dépendants de la présence d’un adulte.
Dans certaines classes, les sujets sont issus de ce qu’elles nomment « la boîte
à questions ». L’un d’eux est spécifiquement retenu puis est exploré au sein de
la communauté de recherche. Dans d’autres classes, c’est la découverte d’œuvres
littéraires qui conduit les enfants à émettre des questions que les DVDP peuvent
accompagner. Certaines classes s’appuient sur des questions extérieures au
groupe, souvent proposées par l’enseignant qui contribue à enrichir le milieu de
vie. Enfin, il arrive aussi que les questions soient issues indistinctement de l’une
de ces trois alternatives. Les questions sont retenues soit à partir d’un choix lors
du conseil coopératif, soit parce qu’elles se font l’écho des questions précédem-
ment explorées.
Au sujet de la fréquence des DVDP et de la durée d’étude des thèmes, le plus
souvent, une question est étudiée sur deux séances, à raison d’une par semaine.
Il peut arriver que par l’apparition de nouvelles questions, cela donne lieu à des
parcours réflexifs qui s’étalent sur plusieurs mois. Le recours à des documents
d’accompagnement est parfois souhaitable. Certains les utilisent régulièrement (à

198
Discussions à visées démocratique et philosophique

partir de supports de philosophie pour enfants tels que les philo-fables ou les
goûters philo) et d’autres s’en passent, au moins au début, pour laisser émerger
les représentations des enfants. Il n’y a pas de règle fixe de fonctionnement,
c’est justement la diversité des pratiques qui contribue à la richesse du moment
philosophique.
Lors des discussions, l’enseignant occupe la fonction d’animateur qui consiste
à guider dans le recours aux exigences intellectuelles du philosopher. L’essentiel
de ses interventions est donc de cette nature. Mais cela ne le contraint pas à
occuper une fonction mécanisée qui tendrait à faire de ces enfants des sophistes.
L’enseignant essaie d’intervenir le moins possible de manière à laisser les enfants
entrer dans des démarches d’engagements personnels. Certains enseignants
pensent même que du fait de cette classe coopérative où les enfants n’idéalisent
pas la fonction de l’enseignant, celui-ci peut s’autoriser à dire ce qu’il pense de
manière non pas à orienter le débat mais plutôt à l’éclairer depuis son statut
d’adulte.
Ainsi donc, tout comme en philosophie il n’y a pas de vérité absolue, il ne
peut y avoir de dogme pédagogique en matière de conduite de DVDP. Au contraire,
c’est la souplesse des dispositifs qui incitera chacun des enfants à faire de ces
moments de réelles situations d’apprentissage durable.

DVDP et classes coopératives

Lorsque nous avons été amenés à conduire une recherche sur l’introduction
de DVDP dans des classes coopératives 9, nous nous sommes demandé pour
quelles raisons l’émergence de la philosophie à l’école était si récente et pourquoi
Freinet, Oury et les autres n’y avaient pas pensé plus tôt. L’une des réponses
apportées est que la classe coopérative serait par définition philosophique, il n’y
a pas besoin d’un moment spécialement prévu à cet effet. Et pour cause ! Quoi
de plus philosophique que de voir des enfants s’interroger sur le monde, de
l’appréhender par l’intermédiaire de questions réitérées ? Quoi de plus philoso-
phique aussi de considérer l’enfant comme « étant de même nature que nous » ?
Quoi de plus philosophique enfin que d’interroger le monde à partir de la naïveté
propre à l’enfant, qui est la résultante de l’introduction du vivant dans la classe ?
Nous adhérons à cette idée que la classe coopérative serait philosophique par
essence.
Mais avec les DVDP, ce n’est pas de cette philosophie dont il est question, en
tout cas dans sa visée. Il ne s’agit pas de développer des attitudes philosophiques

9. CONNAC S., Discussions à visée philosophique et classes coopératives en ZEP, thèse de docto-
rat en sciences de l’éducation, université Paul Valéry, Montpellier, juin 2004.

199
La coopération du point de vue de l’enseignement

ni de créer des espaces philosophiques, mais plutôt de s’appuyer sur le geste


mental du philosopher pour enrichir le milieu de vie qu’est la classe, au même
titre d’ailleurs que la correspondance et les BT concernant l’ouverture culturelle.
Nous avons vu que ces exigences intellectuelles étaient au service non pas d’un
produit philosophique mais plutôt de l’émancipation d’une pensée propre à
chacun. Or, il est évident que la rigueur spécifiquement philosophique ne peut être
le fruit d’une évolution naturelle de la vie des classes. La médiation de l’adulte
est nécessaire, mais sous certaines conditions et dans le contexte d’un subtil
équilibre entre retrait et intervention.
Le « Quoi de neuf ? », les conseils coopératifs et les autres espaces de parole
ne sont pas adaptés pour devenir en plus des lieux de DVDP. Ils ont chacun leur
spécificité et apportent aux besoins des enfants des réponses précises. Nous
avons travaillé l’hypothèse qu’il est possible de considérer la DVDP comme une
institution originale de la classe coopérative, en lien très étroit avec toutes les
autres. Le « Quoi de neuf ? » et la boîte à questions semblent être les lieux de la
classe les plus appropriés pour qu’émergent les questions traitées lors des DVDP.
Les conseils et réunions sont les institutions qui vont organiser des DVDP et voir
naître des questionnements, notamment lorsqu’il s’agit de décider des orienta-
tions éthiques et politiques de la vie du groupe.
En revanche, il apparaît clairement que la classe coopérative facilite grande-
ment l’introduction de DVDP. En effet, disposant de divers espaces d’expression,
de coopération et d’activités authentiques, les enfants n’ont pas à dépasser le
prérequis démocratique que sous-tend la pratique de la discussion. Pour entrer
dans la dynamique créatrice des grands penseurs de l’humanité, il ne leur reste
donc plus qu’à s’essayer aux rigueurs intellectuelles du philosopher et, pourquoi
pas, dans quelques années, participer à leur tour aux grandes quêtes philoso-
phiques.

Montasser 10 (CE1) : J’ai appris des choses sur le thème, j’ai appris ce que veut dire
immortel.

Ayoub A. (CE2) : Cette année, j’ai appris beaucoup de choses sur les thèmes qu’on a
faits, sur le livre que nous avait lu la maîtresse, L’agneau qui ne voulait pas être un
mouton, j’ai appris beaucoup de choses, j’ai appris que dans la vie y faut être malin,
comme l’agneau.

Nabil (CM2) : Moi je dis que l’année dernière j’avais jamais fait de DVDP et grâce à
elles, maintenant, quand on parle d’un sujet, je vois la vie d’un autre côté. J’ai besoin
de plus d’échanges pour me faire des idées sur des choses.

10. Script de la discussion « Quel bilan pouvons-nous faire après une année de DVDP hebdoma-
daires ? » – classe unique de Mireille Laporte Davin, 27 juin 2008, extraits.

200
Discussions à visées démocratique et philosophique

Hamza (CM1) : J’apprends des choses sur la vie, des choses qui pourront m’être utiles
quand je serai grand. Il y a des questions que je me pose et quand on fait des maths
ou du français on ne peut pas y répondre, pendant les DVDP, oui.

Soufiane (CM1) : Je pense qu’on apprend par tout le monde. Par exemple, j’apprends
à Nabil, Nabil apprend à Ayoub, on fait tourner nos idées comme ça. Quand je dis
une chose, j’apprends à toute la classe. Quand quelqu’un dit une chose, il apprend à
toute la classe, on n’apprend pas qu’à une personne.

201
Quatrième partie

La coopération du
point de vue des
relations

A vec des enfants en école primaire, il apparaît plus opportun de concevoir


l’éducation à la citoyenneté par la considération des réalités mitoyennes. Le
mitoyen est ce qui se trouve entre deux éléments, ce qui navigue à leurs limites
voire ce qui les constitue. À l’école, le mitoyen est celui avec lequel nous sommes
amenés à échanger, celui que l’on doit considérer parce qu’il fait partie d’un milieu
que l’on partage, avec qui nous constituons un même environnement. Dans les
classes coopératives, parce que coopérer passe par la parole, le déplacement, la
rencontre, la réciprocité, les relations sont exacerbées. Les mitoyens sont nom-
breux, fluctuants, potentiellement tous les acteurs de la classe. Pour devenir
citoyens, les enfants doivent donc se construire des attitudes mitoyennes, c’est-
à-dire intervenant dans les relations avec leurs pairs et les adultes de l’école. En
ce sens, la mitoyenneté se veut une étape vers la citoyenneté, cette dernière
étant bien plus large que la seule recherche d’évolution des schémas de relations
interpersonnelles. À l’école, avant de vouloir travailler la citoyenneté, il convien-
drait donc de susciter d’abord la mitoyenneté, le fait de s’intéresser à ses voisins,
camarades et proches dans une optique coopérative 11. Le conseil et la réunion
représentent deux institutions de la classe coopérative en charge de faire vivre
cette mitoyenneté, de permettre aux enfants et à leur enseignant de se regrouper

11. LAFFITTE R., « L’école et la loi : une non-évidence » (conférence), 18 mai 2005, Sète.

203
La coopération du point de vue des relations

afin que, de manière démocratique, les préoccupations collectives puissent être


débattues et que les conditions d’exercice des libertés individuelles puissent faire
l’objet d’un certain nombre de prises de décisions nécessaires pour agir.
Mais ce ne sont pas les seules. D’autres espaces d’expression existent. De
manière plus large, d’autres institutions sont à disposition des enfants pour que
les libertés qui leur sont offertes ne deviennent pas l’occasion de développer de
l’angoisse, parce qu’il est toujours plus difficile d’échanger avec d’autres que de
rester dans son coin. « Quoi de neuf ? », messages clairs, ceintures de comporte-
ment, équipes de travail, monnaie intérieure et autres sont des exemples de ces
institutions. Elles se veulent chacune des tiers médiateurs dans la relation afin que
conflits et transferts parasitent moins les échanges. Parce qu’elles se présentent
la plupart du temps sous une forme symbolique, les projections que reçoivent ces
institutions ne font pas l’objet de phénomènes de réaction et permettent alors
une rencontre douce avec les principes de réalité. C’est ainsi que peuvent émerger
plus sereinement les situations de coopération et les apprentissages qui en
émanent.

204
1
Quelques espaces de parole
et d’expression

I L EST POSSIBLE D’ÉCRIRE QUE, POUR DIVERSES RAISONS, LES ESPACES DE


parole d’une classe coopérative apportent au groupe de « sacrées » situations.
Sacrées parce que :
– Sécurisées et protégées : on a le droit de se tromper, il est interdit de se
moquer ;
– Aptes à développer des apprentissages, aussi bien dans le champ des apti-
tudes langagières que dans celui des connaissances déclaratives ;
– Coopératives : la richesse des moments naît de la rencontre et de l’exploita-
tion des différences ;
– Réflexives : ce qui se dit importe moins que ce qui se pense ;
– d’Expressions : les modalités peuvent être diverses ;
– d’Ecoute démocratique : chacun a un droit égal à la parole ;
– de Surprises et d’aventure : ce qui se dit ne dépend pas de ce qu’apporte
l’enseignant et tend à modifier ce qui était prévu dans la classe.

Le « Quoi de neuf ? »

Le « Quoi de neuf ? » (QDN) a souvent pour objectif avoué de « laisser les


élèves s’exprimer », afin « qu’ils soient plus attentifs » jusqu’à la fin de la demi-
journée ou de la journée de classe. Reconnaissant le besoin de l’enfant de commu-
niquer avec ses camarades, on lui réserve donc une plage horaire pour ce faire,
généralement en début de matinée. Exposés de nouvelles, informations données
au groupe-classe, telles sont en effet les faces visibles du QDN. Mais ce ne sont
pas les seules intentions pédagogiques de ce moment de parole. Il est possible
de le rendre bien plus intense en apprentissages.
Plusieurs questions se posent avant de mettre en place un QDN au sein d’une
classe : quel intérêt présente-t-il, pour les élèves et pour les enseignants ? Peut-
on attendre de tous les élèves qu’ils participent à ces moments de langage ?

205
La coopération du point de vue des relations

Quelle forme est-il envisageable de lui donner ? En quoi cette activité répond-elle
aux demandes de l’institution scolaire et, en d’autres termes, permet-elle d’aider
les élèves à acquérir certaines des compétences visées en fin de cycles II et III ?
Les enseignants qui instituent un QDN parlent de son effet positif sur le « climat »
de la classe. Compte tenu de la forme qui lui est donnée dans les classes coopéra-
tives, il peut en effet jouer le rôle d’un régulateur d’échanges :

– les enfants y sont amenés à échanger avec l’ensemble du groupe et non


plus seulement avec l’adulte ;
– tout peut y être dit : l’essentiel des propos est transcrit sur le cahier du
QDN par un secrétaire-élève ou par l’enseignant, quand les enfants ne sont
pas encore en mesure de le faire ;
– la parole de chacun des élèves y a la même valeur : chacun peut s’inscrire
au QDN et un président de séance est chargé de régler les tours de parole ;
– les enfants qui n’ont pas eu la parole, alors qu’ils s’étaient inscrits, verront
simplement le moment de la prise de parole différé au QDN suivant. En
aucune façon, une parole ne sera purement et simplement rejetée par
manque de temps.

En outre, l’enseignant n’apparaît plus comme le seul détenteur du pouvoir et


du savoir, il les partage avec ses élèves dans cet espace-temps particulier. Il n’est
plus la première personne à qui l’on peut confier, en lui en réservant la primeur,
des informations perçues comme étonnantes ou importantes. De manière plus
générale, un élève est « envoyé » aux différentes institutions dès lors que les
propos qu’il tient doivent être adressés à un référent d’équipe, un président du
jour, au conseil, etc. Si l’on souhaite que la structure coopérative de la classe
devienne légitime et ait à se prononcer sur de véritables questions, encore faut-il
que l’enseignant joue le jeu en ne résolvant pas de manière systématique les
problématiques qui lui sont présentées.

Néanmoins, ce ne sont pas les seuls apports du QDN dans la vie des élèves.
Ainsi que d’autres institutions, il structure le temps, contribue à la construction
de ce concept chez l’enfant : l’enseignant y renvoie l’élève (« Tu en parleras au
QDN… »), le QDN est repérable sur l’emploi du temps affiché en classe, l’enfant
apprend progressivement à différer sa prise de parole en fonction des propos qu’il
compte tenir ; ce qui est dit, est écrit, ce qui permet de s’en rappeler.

De plus, le QDN se veut une institution au travers de laquelle du travail scolaire


peut être engagé, dans une logique où ce sont les enfants qui s’emparent d’un
projet, qui l’élaborent, le font vivre et en dressent un bilan. Contrairement aux
situations d’enseignement où l’enseignant apporte une consigne que les élèves
doivent tenter de respecter, nous sommes ici en présence d’un déclencheur

206
Quelques espaces de parole et d’expression

d’activités autonomes et vivantes. Voici une liste non exhaustive d’évolutions pos-
sibles du QDN pour le développement d’apprentissages autres que langagiers :
– le titre de son intervention : au moment de l’inscription au QDN, générale-
ment sur le tableau, il peut être demandé aux enfants d’en écrire le titre.
Cela leur demande, d’une part, de penser une synthèse de ce qu’ils ont à
présenter et, d’autre part, pour les plus petits, d’écrire sans erreur les
quelques mots correspondant à leur intervention. Ces titres, éventuellement
corrigés par l’enseignant, à disposition de tous puisque sur le tableau,
peuvent à leur tour devenir des supports de lecture et d’orthographe pour
tous les autres enfants de la classe ;
– la nature des présentations : le QDN est traditionnellement le lieu de présen-
tation de faits de vie ou d’objets. Il peut aussi être enrichi par d’autres
formes d’interventions, au début induites par l’enseignant. On peut donc
assister à des lectures d’albums ou d’articles, des récitations de poèmes,
des présentations de faits d’actualité, des comptes rendus d’ateliers… en
somme tout ce qui peut faire l’objet d’une intervention volontaire de la part
d’un enfant devant ses camarades ;
– l’exploitation de ce qui est présenté : au terme de chaque exposé, il peut
s’avérer opportun d’ajouter aux maîtres-mots du QDN énoncés par le prési-
dent cette ouverture : « Qui veut faire un projet à partir de ce qui a été dit ? »
La plupart du temps, quelques enfants sont intéressés pour poursuivre ce
qui vient de se dire en réalisant un projet à court ou à moyen terme. Ces
projets peuvent se traduire par une phrase du jour, une présentation à
d’autres classes, l’organisation d’une sortie pédagogique, une recherche
documentaire pouvant aboutir à une conférence d’enfant, etc. Chaque projet
nouvellement accepté fait l’objet d’une inscription sur le plan de travail
mural et revêt un caractère prioritaire sur les autres activités de classe, afin
que les enfants puissent compter sur l’élan initial qui les a poussés à enga-
ger ce projet ;
– la participation de l’enseignant : faisant partie du groupe, il peut aussi
s’inscrire pour une présentation et demander la parole pour intervenir en
réaction à ce qu’un enfant vient de dire. Généralement, ses interventions
visent à élargir la culture commune de la classe, en apportant un texte, une
chanson, un objet, une vidéo que les enfants ont peu de chance de découvrir
par l’intermédiaire de ce qu’ils rencontrent avec leurs familles. En veillant à
trouver un juste équilibre pour ne pas casser l’élan naturel des présenta-
tions, il peut se permettre de rectifier certaines erreurs d’expression, au
même titre qu’il modifie les erreurs d’orthographe portées à la vue de tous :
« Vous faisez », « Vous disez », « Il faut qu’il est », « Le plus bon »… Il peut
aussi essayer de faire évoluer certaines mauvaises habitudes langagières
que les enfants emploient pour s’exprimer, notamment les utilisations

207
La coopération du point de vue des relations

d’« après » pour structurer les discours ou les intonations ritualisées qui,
progressivement, déforment la plupart des interventions.
Riche de cette armature pédagogique, le QDN permet donc d’installer un cadre
particulièrement « contenant » pour l’enfant et pour l’enseignant. De par la forme
qui est donnée à cette institution, l’enfant prend également conscience de cer-
taines nécessités liées à la vie du groupe. En effet, quelques règles de fonctionne-
ment sont systématiquement rappelées : « Je demande la parole », « J’écoute celui
qui parle », « Je ne me moque pas ». Elles permettent d’aller, sans risque, vers la
prise de parole, vers le dialogue avec d’autres et d’oser s’exprimer, donc d’être
reconnu, d’exister au sein du groupe. Le QDN permet de libérer la parole en
s’entraînant en même temps à l’écoute de l’autre.
Il est parfois question d’attribuer à ce qui se dit lors d’un QDN un caractère
de secret en demandant aux membres de la classe de ne pas le faire sortir du
groupe. Bien que comprenant l’intérêt thérapeutique qu’une telle vigilance peut
avoir, nous en contestons l’usage qui est parfois fait au sein de certaines classes :
malaise d’enfants qui ne peuvent plus partager ce qu’ils ont entendu, difficultés
à présenter des « secrets » lors du QDN, sentiment d’exclusion par les familles,
image d’un enseignant qui manipulerait les enfants, etc. L’école gagne à s’ouvrir
sur l’extérieur et, à ce titre, devrait faire tomber plusieurs barrières qu’elle entre-
tient avec lui. Au lieu de parler de secret, nous préférons une certaine confidentia-
lité dans ce qui se partage, dans la mesure où l’enfant qui présente une situation
qui lui est personnelle explique ne pas souhaiter la voir étalée publiquement.
L’approche la plus appropriée pour s’entendre sur cette éthique de classe semble
être d’en discuter en début d’année, de manière que chacun sache quoi faire avec
ce qu’il reçoit ou donne au QDN.
Il en va de même pour l’enseignant qui, parce que le QDN est d’abord un
espace de libre expression, peut être amené à prendre connaissance en même
temps que les élèves, de faits de vie particulièrement sensibles et difficiles à
entendre. En fonction de la nature de ce qui se dit, il doit intervenir, par une
parole devant le groupe entier, souvent accompagnée par un suivi de l’enfant qui
en est l’auteur. Ce qui fait l’objet d’une telle attention concerne généralement des
histoires de décès d’animaux de compagnie, voire de proches, et quelquefois des
faits de violence vécus par l’enfant dans son contexte familial. Des partenaires
sont à disposition, ce serait une faute professionnelle de ne pas les solliciter.
Lorsque les enfants sont assurés dès le début de notre écoute et de notre soutien
en cas de problème de vie important, ils savent se servir du QDN pour communi-
quer dans cet espace sécurisé.
Les échanges sont régulés par un président de séance. Cela fait partie de ses
attributions de rappeler et de faire vivre les règles du QDN. Choisi sur la base du
volontariat, il n’est pas nécessairement reconnu comme compétent dans un

208
Quelques espaces de parole et d’expression

domaine précis mais accepte cette responsabilité en faisant preuve de sérieux


pour être garant des règles de fonctionnement. Pour cela, il est aidé par une liste
de maîtres-mots, toujours les mêmes selon les QDN et les présidents.
Un secrétaire, choisi lui aussi sur la base du volontariat, est chargé de recopier
les inscriptions (qui veut parler au QDN doit s’inscrire), de prendre quelques notes
sur le cahier de QDN, afin de conserver une trace des thèmes d’intervention de
chacun, de rappeler que le temps passe et d’indiquer lorsqu’il ne reste plus que
5 minutes à l’horaire habituel. La durée d’un QDN peut être d’environ 20 minutes ;
10 minutes supplémentaires peuvent être accordées selon les éventuelles
urgences qui apparaîtront dans le groupe.

Président : Le « Quoi de neuf ? » est ouvert. Je serai le président.

Ouverture On demande la parole, on ne se moque pas, on écoute celui qui parle, je


donnerai la parole en priorité à ceux qui ont le moins parlé, les « gêneurs » deux
fois ne pourront plus donner leur avis.

Président : Le secrétaire va nous donner la liste des enfants qui souhaitent parler
Ordre du jour aujourd’hui et le titre de leur intervention.
Le secrétaire lit le prénom des inscrits et le titre qu’ils ont choisi.

Président : « Je donne la parole à… »


Pour chaque
À la fin de l’intervention « Qui veut poser une question ? »
intervention
« Qui veut faire un projet à partir de ce qui a été dit ? »

Président : Qui sera président la prochaine fois ? (il choisit).


Fin Le « Quoi de neuf ? » est terminé.
Prise de température de la présidence.

Quand le QDN prend fin, la « prestation » du président de séance est évaluée


par l’ensemble du groupe-classe. Sont pris en compte les avis que les élèves sont
en mesure de justifier et d’argumenter. Précisons ici que c’est bien le président
de séance, et non l’élève, qui est critiqué, positivement ou négativement. C’est
donc à l’enseignant de veiller à ce que ce soit la fonction qui fasse l’objet des
attentions et non la personne qui a accepté d’en prendre la responsabilité. Les
visées de ce court moment métaréflexif sont d’abord d’apporter un retour pour
l’enfant qui a accepté cette fonction, avec un souci d’évaluation éducative, ensuite
de contribuer à enrichir le sens commun du groupe en établissant progressivement
les gestes et attitudes qui sont attendus et ceux qui ne le sont pas. De manière
plus générale, le QDN, qui permet d’apprendre à oser parler devant les autres,
est un bon entraînement pour chacun, à la prise de parole durant d’autres
moments de classe, notamment le conseil.

209
La coopération du point de vue des relations

Script d’un « Quoi de neuf ? »


Classe de cycle III Durée : 15’
Nbre part. : 22 Présidente : Chris Secrétaire : Virginie
Présidente : Taisez-vous. Hamza va t’asseoir. Le « Quoi de neuf ? » va commencer. Le
« Quoi de neuf ? » est ouvert. Je serai la présidente. On demande la parole, on ne se
moque pas on écoute celui qui parle et je donnerai la parole en priorité à ceux qui
ont le moins parlé. Les « gêneurs » deux fois n’auront plus droit à la parole. Jérémy,
la campagne.
Jérémy : Alors, c’était dimanche je suis allé à la campagne avec ma mère, ma sœur
et mon petit cousin et eux ils n’y étaient jamais allés alors nous et mon oncle et mon
parrain on leur a montré la route. Sur le chemin il y avait plein de pierres alors on se
secouait de tous les côtés ensuite on est partis dans le terrain j’ai montré à ma sœur
la cabane qu’on avait faite à Loïc. Ils avaient peur de monter, ils avaient peur que la
cabane tombe de l’arbre. Alors on est allés au terrain de cross et je leur ai montré
une voiture qui avait coulé dans l’eau mais qu’on voyait encore. Puis on est monté
dessus et on a joué à la guerre avec des boules de terre. Vers midi, on a mangé et
après on s’est amusé au ballon et voilà.
Virginie : Juste je voulais dire Jérémy c’était pas à la campagne c’était dans la garrigue.
Mouaâd : Oui Jérémy, arrête de parler de la campagne un petit peu, t’arrêtes pas de
parler de la campagne.
Jérémy : Tu veux que je te dise que je suis allé à Marseille, c’est pas vrai.
Enseignant : Est-ce que quelqu’un connaît la différence entre la campagne et la gar-
rigue ?
Anaïs : Moi je crois que la garrigue c’est avec de petits arbres.
Jérémy : Je peux faire un dessin de ce que j’ai vu et après je pourrai faire un exposé
sur la garrigue.
Jalal : Oui moi ça m’intéresse aussi et je propose de la faire avec toi.
Présidente : Sofia tu peux noter sur le plan de travail ?
Jérémy : Oui, mais on doit écrire les questions.
Présidente : On n’a pas le temps, tu les demanderas au conseil. Virginie, c’est toi.
Secrétaire : Ichem, la balle.
Ichem : C’était je ne me rappelle plus quel jour, je suis sorti de chez moi avec ma
petite balle pour jouer aux quatre pierres et ensuite Guillaume a sorti son chien il a
dit « t’as une balle ? » Je lui ai dit oui je l’ai ramenée. Ensuite on a commencé à lui
lancer la balle et il a commencé à courir. Des fois il l’attrapait avec la gueule il sautait
et tout et il nous ramenait la balle mais au bout d’un moment, ma balle je l’ai perdue.
Son chien ne l’a pas rapportée et on ne l’a pas retrouvée.
Hamza : Pourquoi le chien il sautait partout ?
Ichem : Pour attraper la balle il voulait jouer.
Mennana : Et la balle il ne l’a pas écrasée ? Elle n’était pas remplie de bave ?
Ichem : Pas beaucoup.
Virginie : Et si tu l’aurais retrouvée tu l’aurais prise ou tu l’aurais donnée à Guillaume
pour son chien ?
Enseignant : Si tu l’avais retrouvée.

210
Quelques espaces de parole et d’expression

Ichem : Je lui avais déjà donnée mais après elle s’est perdue.
Arslan : Il l’a mangée moi je crois parce que tu as dit qu’elle était petite.
Enseignant : C’est quoi ce jeu des quatre pierres ?
Ichem : En fait tu dois poser une pierre ensuite quand le chasseur touche quelqu’un
tu dois courir et tu dois mettre quatre pierres par-dessus. Mais si tu les fais tomber
tu dois courir et le chasseur ne doit pas te toucher avec la balle. Si tout le monde se
fait toucher et ben le chasseur a gagné et si quelqu’un met les quatre pierres en
place et c’est nous qui avons gagné.
Guillaume : Oui mais t’as pas dit que le chasseur ne devait pas rester à côté des
pierres.
Présidente : Qui veut faire un projet à partir de ce qui a été dit ?
Ichem : Moi je veux bien écrire les règles du jeu des quatre pierres. On pourra les
envoyer aux correspondants.
Présidente : Bon d’accord. Sofia tu le notes sur le plan de travail mural. « Le Quoi de
neuf ? » est terminé. Prise de température de la présidence.

Le bilan météo

Le bilan météo prend la même forme que le QDN. Il consiste à mettre à disposi-
tion des enfants un espace de libre parole, cette fois-ci en fin de journée, afin
d’en dresser le bilan et d’envisager la journée de travail à venir. Son principe n’est
pas d’énoncer les faits retenus par chaque enfant, mais plutôt de permettre que
chacun s’exprime sur ce que la journée lui a permis d’apprendre, la qualité de
son travail, les difficultés qu’il a éventuellement rencontrées ainsi que les aides
qu’il sollicite auprès du groupe.
Pour disposer d’une image globale de la satisfaction du groupe, un bilan météo
gagne à débuter par une prise de température de la journée. Individuellement,
chaque enfant manifeste par des gestes distinctifs l’état de son contentement
quant à ce qu’il a pu vivre. S’il trouve qu’il a passé une bonne journée et qu’il a
bien appris, il pourra lever la main, les doigts vers le haut, en forme de soleil. S’il
pense au contraire avoir été dérangé, ne pas être parvenu à terminer son travail
pour au final ne rien apprendre, il pourra lever la main, les doigts vers le bas,
pour signifier la pluie. Pour un ressenti intermédiaire, il formera un nuage avec
son poing. Le président note au tableau la somme des soleils, puis celle des
nuages et celle des pluies. Pour terminer sur des impressions positives, on peut lui
conseiller de débuter la distribution de parole par les enfants qui sont mécontents.
Au cours des prises de parole, il peut arriver que certains témoignent de diffi-
cultés pour travailler et apprendre. Si ce n’est pas proposé par un autre enfant,
l’enseignant intervient et organise une forme d’aide pour le lendemain. Cette aide
peut prendre la forme d’une intervention lors d’un conseil s’il s’agit d’un problème
lié à l’organisation de la vie du groupe ou la forme d’un tutorat valable jusqu’à

211
La coopération du point de vue des relations

ce que la difficulté soit dépassée. Le plan de travail mural sert alors de conserva-
tion de la mémoire de ce qui s’établit en bilan météo.
Ce moment de parole peut aussi être l’occasion de tenter de résoudre certains
conflits nés entre des membres de la classe. Plutôt que d’essayer d’y trouver une
réponse immédiate, il est possible de profiter des règles d’écoute pour formuler
un message clair à destination de celui qui semble nous avoir dérangés. À charge
ensuite de celui qui le reçoit de se manifester pour apporter une réparation qui
pourra compenser le préjudice. Afin que ces communications n’aient pas pour
effet de médiatiser uniquement ce qui dysfonctionne au sein du groupe, l’ensei-
gnant peut rappeler que le message clair peut aussi se faire de manière positive,
pour signifier un remerciement ou une félicitation. Il peut même s’autoriser à en
formuler quelques-uns, dans les deux sens d’ailleurs.
Pour clôturer le bilan météo, le président de séance peut dire ce qu’il a vécu
et ce qu’il pense de sa prise de fonction. Il peut ensuite lancer une température
de sa présidence, surtout s’il s’agit d’un président du jour. Il peut ensuite passer
au choix de son successeur. Un tel moment de bilan se veut un intermédiaire
entre l’école et la famille et permet aux enfants de franchir cette étape en ayant
pu faire part d’émotions fortes gagnant à être communiquées et en rendant
conscients un certain nombre d’apprentissages, véritables fruits de la journée de
travail.

Script d’un bilan météo


Classe unique Durée : 5’ Nbre part. : 24 Président : Ilyasse
Président : Je vais commencer le bilan météo. Myriam, tu peux écrire les devoirs. Le
bilan météo est ouvert. Je serai le président. On demande la parole, on ne se moque
pas, on écoute celui qui parle et je donnerai la parole en priorité à ceux qui ont le
moins parlé. Les « gêneurs » deux fois n’auront plus droit à la parole. Prise de tempé-
rature de la journée. Alors, 15 soleils, 6 nuages et 2 pluies. Les pluies, qui veut parler ?
Karim : Moi je trouve que la classe s’est mal passée parce qu’il y avait trop de bruit.
Je n’ai même pas pu travailler et je n’ai pas besoin d’aide. En plus, j’ai eu un problème
avec Mike.
Président : Les nuages…
Maria : Je trouve que c’était moyen parce que ce matin j’ai pu travailler et j’ai appris
à me servir d’un rapporteur. Cet après-midi, je ne suis pas arrivée à terminer mon
exposé parce que je ne sais pas faire le diaporama. J’ai besoin que quelqu’un me
montre comment on fait.
Président : Qui se propose ?
Aïssam : Moi je veux bien.
Président : Sana, tu dois marquer sur le plan de travail mural qu’Aïssam va aider
Maria. Qui d’autre ?
Myriam : J’ai fait nuage parce que je n’ai pas terminé mon plan de travail. J’ai appris
que le Groenland appartenait au Danemark même si c’est sur un autre continent. Je
n’ai pas besoin d’aide.

212
Quelques espaces de parole et d’expression

Président : Les soleils ?


Nourhane : Je trouve que ça s’est très bien passé, j’ai beaucoup travaillé et j’ai même
passé une ceinture. J’espère que le maître la corrigera rapidement. J’ai besoin d’aide
pour les suffixes et les préfixes.
Marie : C’est trop dur ça, personne n’y arrive.
Enseignant : Tu n’auras qu’à poser ton passeport demain dès que tu arrives et je
t’aiderai.
Ilyasse : Oui mais moi aussi je comprends rien.
Yanis : Moi aussi.
Enseignant : Alors je donne rendez-vous demain à 10 h 00 pour un groupe de travail
sur les préfixes et les suffixes. Sana, il faut que tu le notes sur le plan de travail
mural.
Yassine : Je veux faire un message clair à Ilyasse. Ce matin, pendant le calcul mental,
tu m’as prêté un stylo parce que j’avais mangé le mien. Ça m’a fait plaisir parce que
si tu ne l’avais pas fait, je n’aurais pas pu terminer mes calculs.
Mouad : Moi je trouve que c’était bien aujourd’hui parce qu’on a fait lutte et j’ai bien
travaillé.
Aïssam : J’ai fait soleil parce que je trouve que la journée s’est bien passée. J’ai appris
des choses sur la Première Guerre mondiale et je n’ai pas besoin d’aide.
Latifa : Moi je trouve que la journée s’est bien passée, j’ai appris beaucoup de choses
et je suis arrivée à finir mon livre. Demain je vais en prendre un autre.
Président : Le bilan météo est terminé. Prise de température de la présidence.

213
2
Un autre espace d’expression :
les conseils coopératifs

« En devenant législateur et souverain,


l’enfant prend conscience de la raison d’être des lois.
La règle devient pour lui condition nécessaire de l’entente. »
Jean PIAGET 1

Œil, cerveau, rein et cœur du groupe

Le conseil de coopérative réunit les élèves et l’enseignant, généralement une


fois par semaine. Il vise la régulation de la vie de la classe, la construction du
cadre législatif du groupe et l’organisation des projets. Il permet à chacun de
s’exprimer sur le déroulement des journées, d’aborder ce qui dysfonctionne, de
reconnaître ce qui permet de travailler sereinement et de faire d’éventuelles propo-
sitions de modifications.
Les premières formes de conseil semblent être apparues en même temps que
les hommes ont eu besoin de se réunir pour devenir plus forts. Lorsqu’en – 40 000
les chasseurs devaient s’unir pour tuer le mammouth, des formes primaires de
conseil étaient forcées d’exister. Les expériences de communautés d’enfants sont
bien plus récentes. Elles sont à l’initiative de pédagogues européens qui cher-
chaient à manifester, à travers ces rencontres, un profond respect des enfants et
des jeunes, une considération totale de leurs droits, une confiance à participer
individuellement et collectivement à l’auto-organisation de leur école, la nécessité
de remettre en cause le rapport autoritaire adultes/enfants afin de favoriser l’auto-
nomie de la collectivité enfantine. Les premières mises en place sont apparues à
la fin du XIXe siècle, notamment à l’École nouvelle de Bédanes, en 1892, en Angle-
terre. Elles ont été suivies par les expériences de Paul Geheed, de Pistrak, de
Hajduhadhaza, de Korszak, de Neill, puis de Freinet et de bien d’autres depuis. Le
mot conseil semble provenir de la langue juridique qui désigne successivement
l’endroit où l’on délibère, la consultation, la délibération, le dessein mûri, réfléchi,
le bon avis, la sagesse, la prévoyance. « Le fait de donner la parole aux enfants,

1. In LACAN F., Le jugement moral chez l’enfant, Paris, 1932.

215
La coopération du point de vue des relations

de les écouter, de les faire participer aux décisions sur les affaires qui les
concernent suscite leur responsabilisation et leur engagement dans la réalisation
des projets collectifs et la résolution des problèmes liés à la vie collective 2. » On
pourrait ajouter que la multiplication de ces expériences contribue fortement à
l’affirmation de leur personnalité. Vivre en tant qu’auteur et acteur des situations
stimulantes et authentiques permet de se sentir exister et ainsi de se voir de plus
en plus en conscience d’avoir une prise sur ce que l’on fait, ce que l’on dit et ce
que l’on pense. Dans ce cadre-là, ce qui se construit l’est durablement et devient
le support à partir duquel d’autres constructions vont pouvoir s’enchaîner.
Pour que tout cela soit possible, il est nécessaire de disposer d’une structure
en mesure de pouvoir accueillir les implications de chacun. Jean Le Gal propose
une matrice de repères pour l’introduction de tels conseils :
– le processus de changement doit être soutenu et accompagné, l’autonomie
et la responsabilisation sont deux qualités qui s’apprennent ;
– la mise en place du conseil doit répondre à un besoin, être préparée avec
attention et menée avec prudence par un enseignant qui sait où il souhaite
aller ;
– la place respective des différents partenaires, adulte et enfant, doit être
précisée ;
– les sujets traités doivent être importants pour la communauté ;
– les réunions doivent être suffisamment fréquentes pour traiter des proposi-
tions et des problèmes ;
– le conseil doit être efficace pour être crédible et permettre à chacun de s’y
investir ;
– les décisions doivent être connues de tous, sérieusement appliquées et se
traduire par des faits ;
– la liberté de chacun doit être respectée, le conseil n’a pas à se substituer
aux consciences.
Toute personne présente lors d’un conseil s’exprime donc à titre individuel.
Pendant les phases de décision, chacun dispose d’une voix égale aux autres, qu’il
soit élève ou enseignant. Celui-ci est un participant comme les autres, ce qui ne
l’empêche pas d’exister, de garantir et de protéger, par sa présence, la validité de
cette institution. C’est par lui que la structure de classe est apparue, c’est par
l’intermédiaire de son suivi qu’elle évolue. Éventuellement, en cas de risque ou
de non-respect d’une loi, il saura user de son « droit de veto » qui lui permet si
nécessaire de refuser une orientation prise par le conseil et d’en demander une

2. LE GAL J., Les droits de l’enfant à l’école, pour une éducation à la citoyenneté, De Boeck et
Belin, Bruxelles, 2002, p. 151.

216
Un autre espace d’expression : les conseils coopératifs

plus adaptée. Il peut également faire acte d’éducation en se permettant des paren-
thèses pédagogiques consistant à faire remarquer des situations relevant de l’édu-
cation civique (mise en place par exemple d’une procédure visant à respecter
autrui et s’avérant respectée).
Le conseil de coopérative est une institution consultative, propositionnelle et
décisionnelle. Consultatif, il permet une certaine évaluation de ce qui se vit dans
la classe en ce qui concerne le fonctionnement du dispositif coopératif et les
diverses relations qui s’y créent. Propositionnel, il permet à chaque participant
d’émettre des suggestions d’organisation ou de réorganisation. Celles-ci sont sou-
mises à l’échange avant de pouvoir être traduites en décision, soit par consente-
ment mutuel, soit par report de la décision au prochain conseil (quand c’est
possible), soit par tirage au sort, soit par majorité à un vote collectif (la plus
problématique des modalités de décision). Décisionnel, il tend à ce que les déci-
sions prises par le groupe soient directement applicables et appliquées dans la
classe. Le conseil peut envisager la création de métiers ou la réorganisation d’une
partie de la structure.
Fernand Oury présente le conseil coopératif sous cinq approches 3:
• Le conseil comme œil du groupe : les comportements de chacun appa-
raissent aux yeux de tous. Lors d’un conseil, on peut difficilement mentir et
donc se mentir.
• Le conseil comme cerveau du groupe : les analyses de fonctionnement et
les décisions collectives lui appartiennent. Les problèmes apparaissent sous
forme de conflits qui deviennent sources de résolution par de la réflexion
coopérative.
• Le conseil comme réunion d’épuration : « J’ai un problème » évite bon
nombre de coups de pied ou d’insultes. Le conseil apporte une alternative
équitable à la violence, qui passe par la parole et la recherche d’une solution
non violente sans gagnant ni perdant.
• Le conseil comme cœur du groupe : les moments de langage sont créateurs
de nouveaux dynamismes. C’est par lui que la plupart des informations
entrent, sont communiquées et font l’objet d’élaboration de projets.
• Le conseil comme instance évolutive à l’image de la classe. Trois étapes
d’évolution se font jour :
1. Silence, les enfants parlent peu et osent peu s’engager ;
2. Tumulte, ils testent la solidité de cette institution avant de pouvoir y accor-
der une pleine confiance ;

3. VASQUEZ A., OURY F., Vers une pédagogie institutionnelle?, Matrice, Vigneux, 1967, p. 81.

217
La coopération du point de vue des relations

3. Langage. Ce n’est qu’à partir de cette troisième étape que le conseil prend
sa réelle valeur, que ce qui se dit construit réellement la classe et les per-
sonnalités.
Pourtant, trois dérives risquent de faire perdre au conseil sa capacité à fédérer
les individualités derrière l’idée de coopération.
• La dérive démagogique : elle concerne l’adulte responsable du groupe qui
pourrait, consciemment ou pas, user du conseil pour faire valider ses propres
opinions, ses volontés personnelles. Les membres du conseil, aveuglés par
le leurre de la parole libérée, ne seraient amenés à n’opter que pour les
idées de l’adulte, ne les considérant pour diverses raisons que comme les
seules alternatives équitables. Le conseil deviendrait alors le lieu d’expres-
sion du pouvoir des pensées d’un adulte manipulateur et perdrait toutes ses
vertus éducatives. Lui seul est en mesure d’estomper les risques de cette
dérive démagogique, en commençant par attribuer au conseil un réel pouvoir
de résolution. Cela passe souvent par un réflexe pédagogique pris par les
enseignants, à savoir celui de ne pas décider à la place du conseil, mais de
lui renvoyer tout ce qui peut faire l’objet d’un échange et d’une gestion
coopérative. Plutôt que de facilement répondre à des questions d’enfants
comme « Est-ce que je peux aller faire de l’ordinateur ? », y joindre un renvoi
du type « Parles-en au conseil ! 4 ». Les sujets d’échanges correspondent à
des problématiques partagées et motivées par le réel.
• La dérive judiciaire : tomber dans cette dérive correspond à participer à des
conseils où seules des critiques sont abordées et des sanctions sont posées.
Le conseil devient plus un tribunal qu’un lieu où s’exprime la coopération.
Plaignants et accusés ne se contentent rapidement plus des décisions du
conseil qui est alors déconsidéré en tant que cœur du groupe. Souvent, c’est
vers l’adulte que les enfants se tournent en lui demandant de redevenir un
maître. Pour tenter d’estomper cette dérive, il est possible de réduire les
critiques et d’optimiser la place des propositions, des félicitations et des
remerciements. Plutôt que de mettre sur le devant du conseil ce qui pose
problème, l’enseignant peut faire en sorte que conseils et réunions soient
des moments de promotion de ce qui fonctionne dans la classe et de valori-
sation de ceux qui en sont les auteurs. C’est justement ce basculement qui

4. « “Si vous n’êtes pas d’accord, vous pouvez en parler au conseil.” Antoine n’est pas d’accord.
“Tu en parleras au conseil.” Je reparle encore du conseil à propos du tableau. Cette fois, Christine
explose: “Mais qui c’est l’conseil?” J’interromps la discussion par un “Vous le verrez au conseil”
qui met un point final. Mais toute la journée, ils reviennent à la charge: “Qui c’est le conseil?”
“C’est tous les maîtres?” “Mais non, c’est Christine!” “C’est le directeur.” “C’est vous le conseil?”
“C’est vous le concert?” “Alors, c’est qui?” », in POCHET C., OURY F., Qui c’est l’conseil?, Matrice,
Vigneux, 1978, p. 17.

218
Un autre espace d’expression : les conseils coopératifs

conduira à une meilleure qualité des relations et donc à un net amoindrisse-


ment des réclamations de sanctions. Des outils comme le journal mural ou
les messages clairs peuvent conduire à un tel résultat.
• La dérive psychosociologique : lorsque c’est uniquement la parole des lea-
ders du groupe qui émerge ou que seules leurs opinions conduisent aux
décisions posées par le conseil, celui-ci ne fonctionne plus puisque l’échange
démocratique opère moins. Il ne faudrait pas, parce que l’enseignant accorde
la vacance d’une part de son pouvoir de décision, que cela devienne une
raison pour que les plus forts du groupe s’en emparent. Ce n’est pas parce
que l’adulte responsable du groupe doit tempérer ses interventions qu’il lui
est interdit de faire part de son expérience et de faire valoir au moment
opportun son statut. Contre cette dérive, des outils comme les ceintures de
comportement ou les maîtres-mots du conseil (et en particulier la possibilité
de nommer « gêneur » un membre du conseil qui entrave son bon fonction-
nement) peuvent être employés.
La mise en place d’un conseil de coopérative dans un groupe correspond sou-
vent à la recherche d’un équilibre très instable. Naturellement, le conseil peut
tomber dans l’une de ces trois dérives. Le contraire serait suspicieux. Si l’adulte
est garant du bon fonctionnement général des conseils, il doit d’abord conserver
suffisamment de recul lui permettant de pouvoir, quand il le faut, intervenir et
tenter de rétablir la stabilité. Tout comme l’adulte, l’enfant semble avoir le même
besoin d’appropriation de l’idée de conseil. Lorsque cette vigilance s’avère trop
ténue, cela débouche sur un climat anxiogène où plus personne n’ose s’exprimer
librement lors de ces moments de parole.

Proposer, discuter et prendre des décisions

« Le conseil est une institution de base de la classe coopérative évoluant vers l’autogestion.
Les enfants y établissent leurs lois, règlent les conflits, examinent les propositions concer-
nant les activités et les relations au sein du groupe, mettent au point leur plan de travail
pour la semaine, discutent de leurs réalisations 5. »

Un conseil de coopérative peut durer environ une heure. Ses principes de libre
expression, justice et démocratie, en font une institution centrale et le véritable
moteur du fonctionnement d’une classe coopérative. « C’est simple : à un moment
donné, la classe cesse ; on parle ensemble de ce qui se passe, pour le changer,
puis on décide 6 … » En amont des conseils, les enfants préparent l’ordre du jour

5. LE GAL J., Le conseil dans la classe, Éditions ICEM, Nantes, 2007, p. 13.
6. OURY F., VASQUEZ A., De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle, Maspéro,
Vigneux, 1971, p. 464.

219
La coopération du point de vue des relations

en s’inscrivant sur un journal mural,


autrement appelé « Frigo » en raison de Frigo pour le 25 janvier
sa capacité à conserver les informations
qu’on y dépose. Ce Frigo deviendra le
document support à partir duquel le Marie : Solenne et clé
Latifa : ma tutrice
président de séance distribuera la
Yassine : je demande mon permis
parole et fera avancer le conseil. Le de circulation
journal mural de Freinet comprenait Rihab : j’ai un problème avec Adil
quatre colonnes : je critique, je félicite, Wanessa : le rang
Jawad : je veux changer de métier
je voudrais, j’ai réalisé.
+ mon tuteur
Lors de certains conseils, les discus- Solenne : film
sions peuvent tourner en rond : un pre- Sylvain : code sons et passeport
mier donne son avis, un second raconte Myriam : exposé sur
sa petite histoire, un troisième aborde la Révolution française
Wafâa : la sortie
un autre sujet, le conseil passe et chez les pompiers
aucune décision n’est prise. Pour éviter Nourhane : je demande ma ceinture
cela, le président de séance peut verte de comportement
s’appuyer sur la démarche proposée
par Dominique Tibéri 7:
– proposer : pour chaque problème soulevé, après qu’il a été compris, le
président de séance peut demander de faire des propositions visant à le
résoudre ;
– discuter : dans le cas où plusieurs propositions subsistent, il peut les faire
discuter pour repérer les avantages et les inconvénients de chaque propo-
sition ;
– décider : il peut rappeler chaque proposition et faire choisir par la classe
une solution – soit par consentement mutuel, soit par report de la décision
au prochain conseil (quand c’est possible), soit par tirage au sort, soit par
majorité à un vote collectif (la plus problématique des modalités de décision
parce qu’elle crée du clivage au sein des groupes et exclut les minorités)…;
– appliquer : il doit enfin rappeler comment cette décision va être appliquée
par la classe (élaboration d’une nouvelle règle, écriture d’une lettre, sanc-
tion, changement d’organisation…)
À elle seule, la phase de vote soulève un certain nombre d’interrogations. Par
essence, la classe coopérative se veut un espace démocratique, elle postule pour
une égalité dans l’accès à la parole. De plus, elle est le théâtre de constructions
de projets collectifs, d’organisations de la classe, de choix divers et variés entre
plusieurs propositions qui ne s’allient pas forcément. Conseils et réunions sont

7. TIBÉRI D., Citoyen en classe Freinet, journal de bord d’une classe coopérative, L’Harmattan,
Paris, 2005, p. 51.

220
Un autre espace d’expression : les conseils coopératifs

les institutions où les décisions se prennent. Alors, comment s’y prend-on pour
choisir, pour décider, sans flouer la parole confiée, sans donner la seule impres-
sion de cette confiance alors qu’au final, ce sont toujours les mêmes qui imposent
leur loi ?
On discute, on cherche le consensus, mais parfois, c’est un peu long. On
installe la petite règle qui explique que si personne n’est contre, c’est adopté,
mais il arrive souvent qu’un enfant ne soit pas d’accord. On multiplie les possibles,
mais ce n’est pas toujours très efficace si l’on veut aussi réunir un groupe autour
d’une réalisation collective. On introduit des discussions à visée philosophique,
parce que le propre de la philosophie, c’est justement de permettre que coexistent
plusieurs réponses à une même question. Mais pour organiser la classe, pour
donner vie aux projets, ce sera difficile d’y trouver des réponses opératoires. On
reporte au prochain conseil, afin de laisser du temps passer, les passions couler,
mais il n’est pas toujours possible et propice d’attendre. Parfois, on vote, afin de
départager entre deux ou plusieurs voies qui ne s’accordent pas. Le problème
alors, c’est que l’on favorise de la sorte la majorité, au détriment des autres, qui
d’ailleurs, n’ont pas forcément tort.
Dans le contexte démocratique de la classe coopérative, plutôt que d’accorder
une seule voix à chacun des membres du groupe, il est possible de lui permettre
de voter chaque fois que la proposition lui convient. Potentiellement, chacun dis-
pose d’autant de voix que de propositions à confronter. Quelques exemples :
– choix de texte du samedi : 17 textes sont soumis à une classe de 23 élèves.
« Le chat » obtient 16 voix, « Ma sœur Émilie » 17, « Les catcheurs » 8,
« Merci Mamadou » 14, et ainsi de suite… Au final, le texte de référence sera
« Ma sœur Émilie » ;
– réunion du mardi : Mouad propose que cet après-midi on fasse une thèque.
Wanessa propose au contraire une partie d’Incollables. Quant à Amel, elle
propose de répéter les chants pour la chorale. Aujourd’hui, on ne peut pas
faire autre chose que de choisir. Alors, on vote. La thèque fédère 20 voix,
les Incollables 17 et la chorale 21. Ce mardi après-midi, ce sera donc chorale ;
– conseil : Marina souhaite pouvoir manger en classe. Quasiment tout le
monde est d’accord pour dire que ce n’est pas possible pour des raisons de
propreté, mais il est proposé de manger dans la cour pendant les récréations
et d’obtenir le droit de boire en classe en cas de grosse chaleur. Le président
organise un vote : pour le droit de manger en classe, 1 voix ; pour aller
manger dans la cour, 12 ; enfin, pour le droit de boire en classe quand il fait
trop chaud, 21 voix.
Qu’est-ce que cela change ? Presque tout en fait, surtout ce qui ne se voit pas
et qui, la plupart du temps, empoisonne le climat d’une classe. Les filles votent aussi
pour des garçons, on ne vote plus que pour son copain, ou sa copine, personne ne

221
La coopération du point de vue des relations

se retrouve seul à voter pour sa proposition pour au final retirer sa voix, de manière
à ne pas paraître ridicule une seconde fois, on ne vérifie plus qui a voté et qui le
peut encore, on n’exclut plus indirectement ceux qui n’ont pas bien écouté, et sur-
tout, ce qui est choisi n’est ni le meilleur, ni le plus amusant, ni le mieux présenté
ou ce qui provient toujours du même, c’est juste ce qui intéresse le plus d’enfants,
ce qui convient au plus grand nombre… Le tout en ayant réellement accordé une
même importance à l’avis de chaque enfant. Voici peut-être une autre façon de faire
de la philosophie avec des enfants ! En tout cas, une ouverture pédagogique pour
faire avancer la problématique du choix lors des conseils.
Réunions et conseils prennent une même forme de déroulement. Ils sont
animés par un président de séance qui se réfère à une liste de maîtres-mots
utilisés pour tous les conseils, quel que soit l’enfant qui assure la présidence.
Cela permet à ceux-ci de tourner dans la prise en responsabilité de cette fonction,
sans avoir à trop changer les habitudes démocratiques prises par la classe.

Fiche des maîtres-mots utilisés par le président


de séance d’un conseil de coopérative

Président : « Le conseil est ouvert. On ne se moque pas, on écoute celui qui


parle, on demande la parole, la priorité sera donnée à ceux qui ont le moins
Introduction
parlé, les “gêneurs” trois fois ne pourront ni parler ni participer aux décisions.
Qui veut être secrétaire de séance ? »

Président : « Prise de température de la semaine. »


Bilan de la
Les personnes satisfaites font un soleil (doigts écartés), les peu satisfaites un
semaine
nuage (poing fermé) et les autres la pluie (main vers le bas).

Président : « Les décisions du dernier conseil. »


Décisions
Le secrétaire relit les dernières décisions.
du dernier conseil
Président : « C’est fait » ou « Ce n’est pas fait ».

Le président lit les problèmes du Frigo. Il peut laisser 5 minutes pour que chacun
tente de résoudre les problèmes sans le conseil, avec des messages clairs.
Président : « La parole est à… » La personne appelée formule son problème.
Problèmes
En cas d’accord trouvé, le président passe. Sinon, le conseil prend une déci-
sion. Quand les problèmes sont des détails, le président peut dire « tas de
sable » et passer.

Président : « Qu’est-ce que vous avez à dire pour que la classe fonctionne
Propositions mieux ? »
Le président distribue la parole et organise une prise de décision si nécessaire.

Président : « Qui souhaite changer de ceinture de comportement ? »


Les permis et les
Le président distribue la parole à tour de rôle. À la fin, la ceinture noire décide
ceintures de
en fonction des avis donnés et des critères de la grille de ceinture de compor-
comportement
tement.

222
Un autre espace d’expression : les conseils coopératifs

Félicitations et
Président : « Qui a des félicitations ou des remerciements ? »
remerciements

Président : « On relit les décisions d’aujourd’hui. »


Le secrétaire relit ce qui est inscrit sur le cahier de conseil.
Fin du conseil
Président : « Qui sera président la prochaine fois ?… Le conseil est terminé.
Prise de température de la présidence… »

Président : « Untel, gêneur 1 fois » – « Untel, gêneur 2 fois » – « Untel, tu ne


Les gêneurs
peux plus parler ».

Conseil ou réunion ?

Dans les classes coopératives, le conseil peut prendre deux formes, qui pré-
sentent chacune des intentions pédagogiques différentes : la réunion et le conseil.
Voici une partie du script d’une réunion choisie au hasard. Elle s’est déroulée
courant novembre pendant une demi-heure. Sonia, présidente du jour, et donc en
particulier de cette réunion, a pour fonction le rappel des règles inhérentes aux
moments de parole, la gestion du temps, la distribution de la parole et le souci
de voir les règles démocratiques respectées. N’importe quel enfant peut accéder
à cette fonction à condition qu’il en accepte la responsabilité et qu’il ait été estimé
capable de l’assumer avec sérieux. Ismaël, secrétaire, doit relire les décisions
prises lors de la précédente réunion, noter celles prises ce jour et les rappeler
avant de se quitter. Le cahier de conseil ne sert qu’à noter les météos, le prénom
des enfants qui occupent une fonction ainsi que les décisions qui ont été prises,
éventuellement les félicitations et les remerciements. Pour devenir secrétaire, il
suffit d’être suffisamment autonome en écriture.

Script d’une réunion

Classe unique Durée : 25’


Nombre de participant : 21 Présidente : Sonia Secrétaire : Ismaël
Présidente : La réunion est ouverte. Je serai la présidente. On ne se moque pas, on
écoute celui qui parle, on demande la parole, je la donnerai en priorité à ceux qui ont
le moins parlé. Les « gêneurs » trois fois ne pourront plus parler. Le secrétaire est
Ismaël. On va faire le bilan d’hier. Qui fait soleil pour hier ? Un deux trois quatre cinq
six sept ; sept soleils. Qui fait nuage ? Un deux trois quatre cinq six ; six nuages. Et
qui fait pluie ? Un deux trois quatre ; quatre. Ensuite on va relire les décisions d’hier.
Secrétaire : Samir présentera son exposé sur les cochons d’Inde. On fera Futé 2 lundi
14 novembre, après la récréation de l’après-midi. On doit terminer aujourd’hui le tra-
vail sur l’armistice. Celui qui veut proposer une bataille d’eau le fera en été. Cet après-
midi, le président du jour sera Rihab.

223
La coopération du point de vue des relations

Présidente : On passe maintenant à Smaaïl.


Smaaïl : C’est la BTJ sur les coquillages. Ils sont là les différents coquillages. Il y a
les coquillages univalves et les coquillages bivalves. Les coquillages univalves, c’est
ceux qui se ferment pas comme ceux-là ils ont une seule coque et les coquillages
bivalves, c’est ceux qui se ferment comme ceux-là, le couteau par exemple. Et ici on
voit un bivalve qui s’appelle le pétoncle. Ici ces coquillages, on les trouve dans les
mers chaudes et les tropiques. Et ces coquillages-là, ce sont des bénitiers, ils peuvent
mesurer 1 mètre et ils pèsent 250 kg.
Jalal : Ça peut manger un être humain ?
Smaaïl : Je sais pas, c’est pas marqué mais les coquillages ne mangent pas les
humains. Après ici un coquillage carnivore, il est en train de manger un poisson.
Wanessa : Qu’est-ce que ça veut dire carnivore ?
Smaaïl : C’est comme une plante carnivore, elle mange de la viande mais lui il mange
des poissons.
Jalal : Carnivore, c’est il mange de la viande et herbivore, il mange que de l’herbe.
Ismaël : Tu vas faire un exposé ?
Smaaïl : Non je ne crois pas, je voulais juste vous présenter la BTJ. Ici, on voit
comment ils s’enfoncent dans le sable.
Smaaïl : Ici, il y a un plat avec des huîtres et là ce sont des coquillages en bijoux.
C’est bon, nous en avions goûté aux Aresquiers.
Thierry : Est-ce que je pourrais avoir la BTJ moi aussi ?
Présidente : Qui veut l’avoir ? Bon Thierry. Smaaïl tu notes sur le plan de travail mural
que tu donnes la BTJ à Thierry. Wafâa tu as la parole.
Wafâa : Je propose qu’on mette le Frigo sur une feuille parce qu’à chaque fois il y en
a qui effacent ce qu’on a écrit.
Sofia : Qui est le responsable du Frigo ? Et ben normalement ce n’est pas à elle de
proposer, c’est à toi de le faire et je propose qu’on fasse comme elle a dit qu’on le
mette derrière la porte et qu’ensuite c’est toi qui le donnes au président quand ça
sera le conseil.
Sanae : Oui mais il faudra mettre un stylo, je propose de m’en occuper mais je n’ai
pas de stylo.
Thierry : Je t’en donnerai un.
Présidente : C’est bon, les deux dernières personnes, heu non, c’est bon on décide.
Qui est contre pour qu’on le fasse sur une feuille ? Personne… donc Ismaël tu notes
que le Frigo sera sur une feuille derrière la porte. Samir ?
Samir : Oui, moi je dois m’occuper des ingrédients du gâteau aux pommes mais pour
l’instant, il n’y a que Yasmina qui a apporté les œufs.
Jalal : Moi j’ai le sucre dans mon sac.
Présidente : Voilà donc c’est bon.
On passe aux félicitations et remerciements.
Yasmina : Moi, je remercie Rihab et Wanessa parce qu’elles m’ont aidé pour ma
lecture.
Enseignant : Moi, je félicite ceux qui ont participé au toilettage de texte hier parce
qu’ils ont beaucoup cherché même ceux du groupe de lecture.
Thierry : Je veux remercier Hicham parce qu’il veut apporter un ballon.

224
Un autre espace d’expression : les conseils coopératifs

Présidente : Relecture des décisions.


Secrétaire : Mardi 8 novembre bilan d’hier 7 soleils 6 nuages et 4 pluies. On mettra
le Frigo derrière la porte. Thierry a pris la BTJ sur les coquillages. Samir demande les
ingrédients pour le gâteau aux pommes.
Présidente : La réunion est terminée.
Prise de température de la présidence.

Cet extrait montre un exemple d’auto-organisation du groupe autour de la


question du « Frigo ». À partir d’une structure initiale, divers besoins ou mauvais
fonctionnements apparaissent. La réunion devient alors le lieu à partir duquel des
modifications de la structure vont pouvoir opérer. Ces modifications sont le fruit de
propositions de membres de la classe ou d’apparition d’informations qui forcent
à l’organisation.
Le traitement de l’information par la réunion se traduit par une inscription
des décisions prises sur le cahier de conseil lorsqu’il s’agit de points relatifs à
l’organisation générale ou sur le plan de travail mural lorsqu’il s’agit d’une informa-
tion prise par un ou deux enfants seulement. C’est notamment le cas dans le script
avec ce que devient la BTJ sur les coquillages. Cette mémorisation des engage-
ments a pour visées leur rappel auprès des enfants qui les ont pris et leur suivi
jusqu’à leur traitement et l’éventuelle construction de langages. Comme le conseil,
les réunions font l’objet d’une limitation dans le temps, ce qui conduit à une
recherche d’efficacité : chacun devient peu à peu soucieux de la rentabilité de la
réunion. Les présences de chacun sont contractuelles. Cela signifie que si les
enfants décident de participer, ils s’engagent alors à respecter les règles du groupe
(notamment celle qui consiste à rester jusqu’à la fin), ce qui permet de prendre
part aux décisions. En revanche, si un enfant décide de ne pas y participer, il
s’engage à accepter les décisions prises, même celles qui ne lui conviennent pas.
À défaut de pouvoir permettre d’assister à la tenue d’un conseil, le mieux pour
en présenter le déroulement est certainement de proposer d’en suivre l’évolution.
Voici donc la retranscription complète de ce qui s’est dit lors d’un conseil coopéra-
tif d’une classe de cycle III, courant février. On pourra y suivre l’enchaînement :
– ouverture du conseil ;
– relecture des décisions du précédent conseil ;
– problèmes et propositions ;
– permis de circulation ;
– ceinture de comportement ;
– métiers ;
– félicitations et remerciements ;
– relecture des décisions prises ;
– clôture du conseil.

225
La coopération du point de vue des relations

Script d’un conseil coopératif


Classe de cycle III Durée : 35’
Nbre part. : 26 Présidente : Nathalie Secrétaire : Samia
Présidente Attention, je vais commencer. Le conseil est ouvert. Je serai la présidente
et je rappelle les règles du conseil. On ne se moque pas, on écoute celui qui parle,
on demande la parole et je la donnerai d’abord à ceux qui ne parlent pas beaucoup.
Les « gêneurs » trois fois ne pourront plus participer. On passe à la prise de tempéra-
ture de la semaine. Les soleils d’abord : seize. Les nuages : huit. Les pluies : une.
C’est bon alors. On note : seize soleils, huit nuages et une pluie. Quelles sont les
décisions du dernier conseil ?
Secrétaire : Un soleil d’amende en cas d’insulte dans la classe ou dans la cour. Adrien
doit se calmer sinon il perdra son métier. On organise un atelier musique dans la salle
d’arts plastiques si personne n’y est. Amanda a un avertissement du conseil pour
qu’elle arrête de donner des calottes. Freddy n’est plus référent d’équipe et il laisse
sa place à Marina. Si quelqu’un s’engage dans un métier et qu’il ne le fait pas, la
prochaine fois qu’il demande quelque chose, il ne sera pas prioritaire. On peut rester
dans la classe pendant les récréations si on a son permis de circulation. Les autres
enfants doivent aller dans la cour. Faire une lettre à la directrice pour cause de pro-
blèmes avec les voisins qui jettent des déchets dans la cour. Florian prend la place
de Yoan pour ouvrir et fermer la porte.
Présidente : Alors, est-ce que c’est fait ou ce n’est pas fait ?
David : Le soleil d’amende pour les insultes ça marche parce qu’on n’en entend plus.
Présidente : D’accord. Et le reste ?… Rien ?… C’est bon, on passe. Samia, lis-nous le
Frigo.
Secrétaire : Adrien crie dans les oreilles, Laetitia fait mal son métier, Marie propose
que l’on puisse manger en classe, je veux être à côté de… non, c’est barré, Pierrick
et Sylvain demandent leur permis de circulation. J’ai envie que Marina soit à côté de
moi – Pauline.
Présidente : Alors, qui a des propositions pour Adrien crie dans les oreilles ? (Silence)
On efface.
Présidente : Laetitia fait mal son métier.
Clément : Et elle fait quoi d’abord ?
Présidente : Clément, gêneur une fois.
Sylvain : Eh ben, la dernière fois, quand on est allés au centre ville, j’étais avec
Pierrick et des fois, quand il y avait une voiture, elle nous a poussés comme ça et j’ai
failli me faire écraser.
Amanda : Elle ne le fait pas mal, parce que quand on est sur la route, elle nous dit
d’aller sur le trottoir pour pas qu’on se fasse renverser.
Pauline : Elle a raison parce que Sylvain, il ne nous écoute pas. Moi, je fais le métier
avec elle et puis il ne nous écoute pas et il se met sur la route.
Pierrick : Moi aussi, c’est arrivé qu’elle me pousse et qu’elle m’engueule. Moi je dis
qu’elle devrait changer de métier.
Enseignant : Qu’elle me gronde ou qu’elle me dise de me tenir correctement.
Présidente : Est-ce qu’il y a des propositions ?

226
Un autre espace d’expression : les conseils coopératifs

Sylvain : Je propose qu’elle se calme.


Malvina : Eh bien, si elle recommence, on lui enlève son métier.
Laetitia : Je veux dire qu’il y en a plusieurs qui ne m’écoutent pas, alors je suis obligée
de les pousser parce que sinon ils marchent sur la route.
Sylvain : Oui mais toi aussi tu marches sur la route des fois.
Laetitia : Ben je suis obligée si il y en a qui descendent du trottoir, surtout toi
d’ailleurs. Je propose que tu aies un avertissement du conseil parce que tu fais
n’importe quoi pendant les sorties.
Présidente : Bon on va décider. Il y a qu’elle se calme ou que, si elle continue, on lui
enlève son métier, ou que Sylvain a un avertissement.
Présidente : On va décider qui pense pour qu’elle se calme ?… (sept doigts se lèvent)
pour que si elle continue on lui enlève son métier ?… (vingt-et-un doigts se lèvent) et
que Sylvain a un avertissement ?… (deux doigts se lèvent). Bon, donc on écrit que si
Laetitia continue à mal faire son métier, on lui enlève.
Secrétaire : Marie propose que l’on puisse manger en classe.
Marie : Oui, je propose que l’on puisse manger parce que, quand on a le permis de
circulation, on ne peut pas manger en classe.
Charline : Oui, c’est vrai mais on peut aussi aller dans la cour et revenir quand on a
fini.
Laetitia : Moi je trouve que ça serait mieux si on pouvait manger même pendant la
classe.
Yoan : Tu dis n’importe quoi Laetitia, ça se voit que ce n’est pas toi qui ranges la
classe. Déjà que des fois, c’est la pagaille alors si en plus on trouve des morceaux
de gâteau ou des trucs comme ça un peu partout…
Présidente : Qui a des propositions ?
Amanda : Je propose qu’on reste comme ça, qu’on mange dans la cour.
Florian : Moi je pense que ce serait mieux si on pouvait boire quand il fait chaud
dans la classe.
Enseignant : Je trouve que c’est une bonne idée, bien meilleure que celle de Marie
qui ne doit pas souvent faire le ménage chez elle je pense…
Laetitia : Moi je propose que ceux qui mangent rangent la classe.
Présidente : Bon, on décide. Il y a qu’on mange dans la cour, qu’on puisse boire dans
la classe quand il fait chaud ou que ceux qui mangent nettoient la classe… Pour la
une, douze. Pour boire quand il fait chaud, dix-huit et pour manger et nettoyer, une.
Donc tu notes que, quand il fera chaud, on pourra boire en classe. On passe à Pierrick
qui demande son permis de circulation.
Pierrick : Oui je demande mon permis parce que je l’ai perdu il y a deux semaines.
Enseignant : Je crois Pierrick que tu dois expliquer pourquoi tu l’as perdu et qu’est-
ce que tu comptes faire.
Pierrick : Ben je l’ai perdu parce que j’ai couru dans les couloirs et monsieur Michel
m’a vu et il m’a pris mon permis. J’ai compris et je ne le referai plus.
Yoan : Alors ça, ça m’étonnerait, ça fait trois fois que tu le perds pour les mêmes
raisons.
Pierrick : Oui mais là je vais faire vraiment attention.
Charline : Et qu’est-ce qui nous prouve que cette fois-ci tu feras attention ?

227
La coopération du point de vue des relations

Pierrick : Eh ben, si je le perds encore, je le demanderai plus jamais de l’année.


Présidente : Bon, on décide. Qui pense pour que Pierrick récupère son permis ? Trois,
ce n’est pas assez. Pierrick tu devras le demander une autre fois. Sylvain, à toi.
Sylvain : Moi aussi je demande mon permis parce que j’avais oublié qu’on ne devait
pas manger en classe et le maître me l’a pris.
Abdel : Ça fait combien de fois que tu le perds ?
Sylvain : C’est la première fois et j’ai attendu les deux semaines pour le récupérer.
Élodie : Oui mais tu es un grand et c’est pas normal que tu fasses n’importe quoi
devant des plus petits. Tu le savais qu’il ne fallait pas manger.
Clément : C’est vrai mais toi aussi Élodie des fois tu ne respectes pas des règles et
t’es grande.
Sylvain : En fait, j’avais très faim et comme je discutais avec Karim de l’ordinateur, je
n’y ai plus pensé.
Présidente : Qui est pour que Sylvain récupère son permis ? (Dix-huit doigts se lèvent.)
Bon, Sylvain récupère son permis. On passe aux ceintures de comportement.
Élodie : Moi je suis ceinture verte et je demande ma ceinture bleue. Je trouve que j’ai
rendu beaucoup de services à la classe et que je m’occupe bien de Yoan.
Présidente : Qui veut donner son avis ?
Florian : Moi je suis bleu et je pense qu’Élodie peut devenir bleue à l’essai parce
qu’elle fait des efforts. Mais il faudra qu’elle arrête de faire du bruit parce que, des
fois, elle me dérange.
Yoan : Moi je trouve qu’elle fait bien tutrice et je pense qu’elle peut devenir bleue.
Marina : Je suis d’accord et, avec Florian, elle fait bien présidente du jour. Quand je
vais la voir, elle m’aide toujours.
Enseignant : Je suis d’accord avec ce qui vient d’être dit. Je trouve qu’Élodie rend de
nombreux services à la classe et que c’est une bonne présidente. Je suis d’accord
pour qu’elle devienne bleue en comportement pendant quinze jours.
Présidente : D’accord, on note. William tu as la parole.
William : Moi, je suis en jaune et je voudrais passer en orange.
Présidente : Tu ne nous as pas dit pourquoi.
William : Ben avant je faisais trop de bruit et maintenant je n’en fais plus.
Abdel : Ça, c’est n’importe quoi, t’arrêtes même pas de te faire remarquer tellement
tu gênes. Je sais même pas comment t’as eu ta ceinture jaune.
Amanda : D’accord, mais je trouve qu’il nous dérange un peu moins.
Enseignant : Je suis d’accord avec toi Amanda, mais il demande sa ceinture orange
et pour l’avoir, il ne faut plus déranger la classe. Alors moi je ne suis pas d’accord et
je dis qu’il faut qu’il reste en jaune en faisant d’autres efforts.
Présidente : On note que William reste en jaune. Bon, c’est fini pour les ceintures, on
passe aux métiers.
Christelle : Moi, je propose qu’avec ma ceinture marron, je m’occupe des gerbilles de
la classe.
Clément : Ouais, moi je veux le faire !
Présidente : Clément, gêneur deux fois, tu ne peux plus participer.
Laetitia : C’est normal que ce soit Christelle parce qu’elle l’a demandé.

228
Un autre espace d’expression : les conseils coopératifs

Présidente : Bon, on décide pour que Christelle s’occupe des gerbilles… La majorité.
On note.
Abdel : Je voudrais aider Pierrick à porter le matériel de sport.
Présidente : Pierrick es-tu d’accord ?… Très bien, on note. On passe aux félicitations
et remerciements. Pauline ?
Pauline : Je remercie Samantha d’avoir très bien organisé la sortie au musée.
William : Je voudrais remercier Karim parce qu’il m’aide toujours quand je lui demande
des trucs.
Christelle : Je félicite Samia parce que ses gâteaux arabes étaient très bons. En plus,
j’en avais jamais goûté.
Enseignant : Je félicite Adrien parce qu’il a réussi sa ceinture verte de grammaire et
c’est le premier à l’avoir fait.
Présidente : Bon, le conseil se termine. On passe aux relectures des décisions.
Secrétaire : Je relie les décisions du conseil. Si Laetitia continue de mal faire son
métier, on lui enlève. On aura le droit de boire en classe quand il fera chaud. Pierrick
n’a pas son permis de circulation. Sylvain a obtenu son permis. Élodie devient bleue
en comportement à l’essai. William reste jaune. Christelle prend le métier gerbilles.
Samia écrit la date. Florian s’occupe du tableau. Yoan prend le métier de Pierrick.
Abdel aidera Pierrick pour le matériel de sport. Pauline remercie Samantha. William
remercie Karim. Christelle félicite Samia. Le maître félicite Adrien.
Présidente : Le conseil est terminé. Prise de température de la présidence ?
Élodie : Prise de température de la présidence.
(Quatre orages, trois nuages et quatorze soleils.)

On peut noter les distinctions faites avec le conseil de coopérative dont la


portée concerne plus la vie sociale et symbolique de chacun que le traitement
des événements et des informations reçues. Cette distinction apparaît comme
opportune parce qu’elle permet à la réunion d’exister sans être parasitée par ce
qui fonde le conseil (et inversement) : à juste titre, les enfants accordent de
l’importance pour la considération de leurs petits soucis et à la reconnaissance
des attitudes responsables qu’ils deviennent progressivement en mesure de mani-
fester. Il est attendu que la reconnaissance et l’écoute des compétences liées à
la mitoyenneté se mettent progressivement au service du traitement des informa-
tions émises lors des réunions.
Que ce soit conseil ou réunion, les visées de ces deux moments sont l’organi-
sation de la structure de classe, la régulation des éléments de vie qui y évoluent
et la stabilisation d’une culture construite.
En maternelle, le conseil peut prendre une forme qui ressemble à celle-ci, avec
quelques aménagements. C’est généralement l’enseignant qui assure la fonction
de président de séance. Avec l’aide du secrétaire, il colle les étiquettes-noms des
élèves souhaitant s’exprimer sous chaque logo au tableau.

229
La coopération du point de vue des relations

Exemples de pictogrammes utilisés pour un conseil

« Je félicite… parce que… » « J’ai un problème… parce « Je propose… parce que… »


« Je suis content… parce que… » « Je ne suis pas « J’aimerais/J’ai envie/J’ai
que… » content… parce que… » l’idée de… parce que… »

Une fois les inscriptions closes, le président appelle dans l’ordre des colonnes,
selon l’ordre d’inscription et met une croix à côté du prénom une fois que l’enfant
s’est exprimé. Le déroulement du conseil peut être le même, en veillant à ce qu’il
ne dure pas trop longtemps.
La classe coopérative se caractérise comme un système vivant dont le moteur
est l’ensemble des activités de classe moments collectifs, situations d’entraides,
organisation de groupes de besoin, phénomènes de dissipation engendrés par
l’activité des enfants… Or, cette dissipation et le caractère imprévu des échanges
peuvent naturellement induire des effets parasites d’hégémonie d’enfants sur
d’autres ou de troubles entravant le déroulement des activités de chacun (bruit,
encombrements, problèmes de rangement…). Ces perturbations sont d’autant plus
importantes que l’espace dont disposent les enfants peut être restreint. La réunion
et le conseil apparaissent comme les éléments de la structure à partir desquels
s’établit la loi première, celle sans qui toutes les autres ne pourraient pas être
discutées. Cette loi permet à chacun d’être considéré dans son groupe d’apparte-
nance comme un être singulier accepté et respecté, de disposer des diverses
informations traversant l’espace de la classe, de s’orienter vers divers pôles d’acti-
vités et de pouvoir compter sur un espace attribuant un véritable sens à la com-
munication. C’est à ce titre que réunions et conseils peuvent être considérés
comme les clés de voûte de la classe coopérative.

« Les visiteurs ont toujours été impressionnés par la réunion. Un vieux journaliste me
disait tout ému : “J’ai l’impression de revivre mes conférences de rédaction !” Il n’y avait
pas besoin de leader, de donneur de paroles. Très souvent les circonstances faisaient que
je ne pouvais moi-même y assister, sans que cela ne pose de problèmes ou ne perturbe.
La réunion était intégrée par tous comme l’indispensable moment où le groupe se resserre,
se perçoit, se structure, s’organise 8. »

8. COLLOT B., Une école du 3e type ou la pédagogie de la mouche, L’Harmattan, Paris, 2002,
p. 97.

230
3
Contrats de vie, sanctions
et réparations

« Il y a un certain nombre d’établissements où on ne réfléchit pas avant de taper.


Il y en a quelques-uns où on tape d’abord et on réfléchit ensuite et il y en a
d’autres que je ne citerai pas où l’on tape et où l’on ne réfléchit pas. Réfléchir
avant de taper, c’est le fondement de la société civile. C’est une loi au sens où
elle n’est pas discutable. Je ne peux pas discuter de cette loi parce que cette loi-
là est la condition qui permet de discuter de toutes les autres. »
Philippe MEIRIEU 1

Coopérer, oui, mais avec des règles…

Dans le commun des écoles, nous n’avons plus affaire à des écoles casernes
telles qu’elles ont été décrites par F. Oury et J. Pain 2. Nous avons plutôt affaire à
une image inversée. La société est entrée dans une culture de l’immédiateté et
du comblant, du tout, tout de suite. Bien évidemment, l’école n’échappe pas à
ces mouvances et s’en voit touchée de front. C’est l’ébranlement de la notion de
limite qui est en jeu. De fait, une carence de la loi se fait ressentir. L’école a
abandonné les punitions humiliantes (coups, bonnets, coins, pensums, etc.) mais
en même temps s’est aperçue qu’elle ne disposait pas d’autre chose. Face à une
classe, il ne reste généralement plus que le pouvoir de séduction de l’enseignant
et les leçons de morale. On ne s’est jamais bien posé le problème des sanctions
qui en sont réduites à l’acte de punition comme échec éducatif. La notion de loi
ne peut donc être appréhendée. Elle ressort de la non-évidence 3.
Lorsqu’un enfant ne respecte pas des règles, c’est d’abord dans son vécu que
l’on risque de trouver une absence de référence à la loi. Il ne s’agit pas de punir
mais plutôt de réagir à un appel qui s’est manifesté par un acte, un mot, un
comportement, un échec, une réussite par un moyen symbolique, une sanction. Il
s’agit de dépasser le cadre de la morale et de le placer au niveau symbolique.

1. MEIRIEU Ph., Éduquer: la loi fondatrice, CAFA de Lyon, www.meirieu.com/VIDEO/audiovi-


sueliste.htm.
2. OURY F., PAIN J., Chronique de l’école caserne, Matrice, Vigneux, 1972.
3. LAFFITTE R., « L’école et la loi: une non-évidence », conférence du 18 mai 2005, Sète.

231
La coopération du point de vue des relations

Les enfants agités semblent appeler quelque chose qui les arrête, qui stoppe leurs
errances. Il ne s’agit pas de trouver un équilibre entre laxisme et rigorisme, mais
plutôt de permettre à l’enfant de disposer d’une limite symbolique entre soi et
son environnement. C’est dans cette logique qu’intervient le contrat de vie.
Nous préférons utiliser ce terme plutôt que celui de règlement de classe dans
la mesure où les enjeux de ce travail résident moins dans l’application de règles
et lois que dans un esprit de cogestion que les enseignants sauront susciter
auprès de leurs élèves. De plus, la création de ce contrat implique tacitement cet
engagement mutuel de se donner les moyens d’élaborer en commun les règles
qui régiront les actions de chacun (enfants et adultes) en échange d’engagements
volontaires et solidaires.
Voici une proposition de protocole d’élaboration d’un tel contrat de vie. Il est
composé de cinq parties. Il s’appuie sur l’idée que les lois et les règles ne sont
pas toutes de même nature, que certaines d’entre elles sont immuables alors que
d’autres peuvent être changées, que le non-respect de certaines peut conduire à
des sanctions, ce qui serait pour d’autres pédagogiquement inopportun 4. Ces
règles se déclinent en trois niveaux : les lois, les règles de vie et les codes de
conduite.
• Le niveau des lois correspond à ce qui est immuable, ce qui ne peut être
changé et qui est à la base de tout. Ces lois sont supérieures aux personnes,
sans elles, rien n’est possible. Elles relèvent de l’universel, de la démocratie
et de l’humain. Au début, ce sont les enseignants qui apportent ces éléments
de lois, on ne les discute plus. Lorsqu’on parle de loi à l’école, il ne s’agit
pas de la loi juridique qui correspond à des codes issus de discussions mais
plutôt à une loi symbolique qui est non discutable puisque c’est celle qui
permet à l’humanité de se vivre, c’est celle qui permet aux autres d’advenir.
• Le niveau des règles de vie, c’est celui du règlement. Les règles de vie disent
ce qui est interdit, ce qui est autorisé et les sanctions que l’on encourt
lorsque c’est interdit. Les règles de vie sont proposées, discutées et décidées
en conseil et peuvent à tout moment faire l’objet d’une modification en fonc-
tion des demandes d’adaptation de la classe. Elles correspondent au
contexte dans lequel le groupe-classe se trouve. Les règles sont au service
du vivre ensemble et peuvent donc être modifiées.
• Le niveau des codes de conduite porte sur la politesse et s’intéresse à des
questions plus pratiques : est-ce qu’on se dit bonjour et au revoir ? Qui dit
bonjour le premier ? Quelles sont les formules de politesse que l’on utilise ?

4. Cette typologie est issue d’une présentation de pratiques par Aline PEIGNAULT, principal du
collège du Haut-Mesnil à Montrouge lors du colloque « Construire la loi à l’école », université
d’été, 7-10 juillet 1997, Clermont-Ferrand.

232
Contrats de vie, sanctions et réparations

Qu’est-ce qu’on fait quand on arrive en retard ? Peut-on mâcher du chewing-


gum ? Peut-on boire ou manger ? Peut-on rendre un travail en retard ?
Règles de vie et codes de conduite n’ont de valeur éducative que s’ils font
l’objet d’une construction avec les enfants, dans une optique de délimitation opti-
male entre ce qui est de l’ordre des libertés individuelles et ce qui concerne la
vie collective. Il est donc important qu’ils s’établissent initialement à partir des
projets de chacun, des besoins premiers qui apparaissent comme des évidences
puis qu’ils évoluent en fonction de l’histoire du groupe et des formes de travail
qu’il se donne. Lois, règles de vie et codes de conduite sont affichés à la vue de
tous afin que chacun puisse connaître et se rappeler ce qui guide les comporte-
ments de chacun. Les sanctions sont aussi posées de manière à permettre les
éclaircissements en cas de besoin. Elles sont à égale mesure valables pour les
enfants et pour les adultes, la différence de statut ne pouvant justifier une préten-
due transcendance.

Tableau des lois, règles de vie et codes de conduite

Les sanctions
Modifiables Non modifiables
Avec Sans
Lois √ √
Règles de vie √ √
Codes de conduite √ √

Les adultes déterminent les lois


La première étape de ce protocole sera pour les adultes de déterminer les lois
qu’ils ont estimées immuables. Celles-ci font l’objet d’une présentation mais en
aucun cas d’une négociation. Elles correspondent à ce qui est de l’ordre du respect
et de la sécurité des personnes et des lieux. Elles constituent les conditions à
partir desquelles le fonctionnement démocratique devient possible. Voici à titre
d’exemple un ensemble de lois pour une classe coopérative :
– nous sommes dans la classe pour travailler ;
– chacun a le droit d’être tranquille dans son corps, dans son cœur et dans
ses affaires : on ne se bat pas, on s’explique – on ne se moque pas – on ne
prend pas les affaires des autres sans autorisation ;
– l’enseignant n’appartient à personne mais travaille avec tout le monde ;
– nous devons aider celui ou celle qui ne sait pas ou qui a des difficultés.
5
Voici un second corpus de lois, celui proposé par Bernard Defrance et repris
par Bruce Demaugé-Bost dans sa classe 6.

5. DEFRANCE B., « La construction de la loi à l’école », in Journal du Droit des Jeunes, no 147,
septembre 1995.
6. Voir : http://bdemauge.free.fr/

233
La coopération du point de vue des relations

Liste des principes élémentaires

Liste des principes élémentaires qui ne se discutent pas puisqu’ils sont ce qui
permet qu’il y ait du droit et donc de la discussion :

1. La loi est la même pour tous.


2. Nul n’est censé ignorer la loi à partir de la majorité civique.
3. Nul ne peut être mis en cause pour un acte dont il n’est pas l’auteur ou le
complice.
4. Nul ne peut être mis en cause pour un comportement qui ne porte tort qu’à lui-
même.
5. Toute infraction entraîne punition et réparation.
6. Un mineur est déjà sujet de droit, mais pas encore citoyen.
7. Pour une même infraction, un mineur est moins lourdement puni qu’un majeur.
8. Nul ne peut se faire justice à soi-même.
9. Nul ne peut être juge et partie.
10. Le citoyen obéit à la loi parce qu’il la fait avec les autres citoyens.
11. L’interdit de la violence ne se discute pas démocratiquement puisqu’il permet
la discussion démocratique.
12. L’usage de la force n’est légitime que dans deux cas : l’urgence, c’est-à-dire la
légitime défense ou l’assistance à personne en danger, et après épuisement de
toutes les voies de droit pour rétablir le droit.

Les décisions seront plus sévères pour :


• toute atteinte à la sécurité des personnes ;
• un mensonge lors du règlement d’une infraction ;
• de la préméditation (lorsqu’une infraction a été programmée) ;
• avoir été plusieurs pour commettre l’infraction.

Les décisions pourront être assouplies pour :


• l’inconscience de la réalité d’une infraction ;
• la force majeure ;
• la légitime défense.

Les enfants proposent des règles


Une fois ces lois identifiées, communiquées et comprises, la consigne de tra-
vail initialement donnée pourrait être : « Quelles sont les règles que nous pouvons
nous donner pour permettre à chacun de nous d’agir de telle manière que la
liberté des uns n’entrave pas la liberté des autres et afin d’effectuer le travail pour
lequel nous sommes réunis ? »
Certainement par petits groupes, les enfants émettent des avis qui sont
ensuite discutés collectivement. Dans cette étape, sont admises les règles qui font
l’unanimité, sont reportées celles qui sont minoritaires et débattues celles pour

234
Contrats de vie, sanctions et réparations

lesquelles il y a avis divergents. Si la discussion n’aboutit pas à un consensus,


l’enseignant peut opter pour un report des échanges ou pour un tirage au sort si
le temps n’a pas fait son effet.
Sous des régimes dictatoriaux comme le régime nazi, il y avait tellement
d’interdits qu’il était plus facile d’énoncer ses droits. Dans des sociétés plus huma-
nistes comme la nôtre, les lois peuvent donc difficilement correspondre à des
interdits. Refuser d’obéir à des règles que l’on estime injustes par exemple peut
être un signe de bonne santé mentale, à la différence de les accepter pacifique-
ment, ce qui correspondrait plutôt à de l’aliénation. C’est pour cela qu’il est inté-
ressant de rechercher avec les enfants, lorsqu’elles sont possibles, des
formulations positives, sous forme de droits.

Les règles émises par les enfants sont ensuite classées en lois,
règles de vie et codes de conduite
Est de l’ordre de la loi ce qui correspond à ce qui a été présenté au départ
par les adultes et qui peut préciser les termes employés. Devient règle de vie ce
qui peut changer en cas de besoin et qui est relatif au milieu de vie de la classe
mais qui, en cas de non-respect, peut induire une sanction. Deviennent constitutifs
du code de conduite les énoncés pouvant être modifiés par le conseil et ne néces-
sitant pas la médiation de la sanction. Par exemple, une proposition comme « On
n’a pas le droit de voler » correspond au degré des lois, « On doit enlever sa
capuche, sa casquette, son chapeau ou son bonnet avant d’entrer en classe » à
celui du code de conduite et « On se sert du passeport pour demander de l’aide
à quelqu’un qui travaille » peut devenir une règle de vie.

Une sanction qui réhabilite, une réparation qui reconstruit


Réflexion autour de la sanction
Le travail sur le contrat de vie se poursuit par une réflexion autour de la
sanction. Trois questions peuvent alors être posées au groupe :
– quel est l’intérêt d’une sanction (à quoi sert-elle) ? Ce qui en découlera fixera
son cadre ;
– que fait-on en cas de non-respect de notre contrat ? On s’intéressera ici à la
nature de la sanction ainsi qu’à celles que l’on ne pourra pas utiliser car
interdites ou contraires à ce que l’on recherche ;
– que fait-on lorsqu’un comportement positif est manifesté, lorsqu’une aide
est apportée à quelqu’un, lorsqu’un service est rendu ?
Les remarques positives correspondent à la manifestation et à la reconnais-
sance d’un comportement faisant progresser le groupe. Elles s’appuient sur du

235
La coopération du point de vue des relations

temps accordé pour une aide, une proposition particulièrement facilitatrice lors
d’un conseil, le prêt d’un matériel, un réconfort apporté, une assiduité particulière-
ment intense dans une tâche, un service rendu au groupe, la prise en charge
d’une responsabilité que personne ne souhaitait accepter, un effort personnel
important, la réussite à une épreuve qui jusque-là résistait… Elles peuvent être
distribuées en fin de journée ou par l’intermédiaire de l’enfant ou de l’adulte qui
a pu observer le comportement aidant. Pour souligner le crédit qu’on lui attribue,
il est possible de faire qu’une remarque positive ait le pouvoir d’annihiler une
gêne. Ainsi, on reconnaît les comportements dérangeants et on valorise ceux qui
vont dans le sens des évolutions. On s’efforce de ne pas seulement médiatiser ce
qui crée des problèmes. Pour les enfants en situation personnelle sensible et
créant des difficultés auprès des personnes qu’ils côtoient, c’est l’occasion de se
sentir exister aux yeux du groupe autrement que par leurs errements. Cette atten-
tion accordée est d’autant plus importante lorsque l’on reconnaît que dans des
phases de doute et d’inconfort, il arrive que l’on préfère disposer d’une image de
soi négative plutôt que de renvoyer de la neutralité et avoir l’impression de ne pas
être reconnu par ses pairs. Au cours de la phase d’introduction de ces remarques
positives, l’enseignant devra aider les enfants à dépasser quelques dérives tenta-
trices, comme celles de se les échanger gratuitement (tu m’en mets une, je t’en
mets une), de n’en accorder qu’aux copains, qu’aux plus forts, et de n’avoir pour
seule motivation à les demander que de compenser un nombre de gênes trop
élevé.
Eirick Prairat 7 entend la sanction comme le moyen destiné à assurer le respect
de l’exécution effective d’un droit ou d’une obligation. Il propose une matrice de
fins poursuivies par la sanction telle que nous l’entendons :
• La sanction vise à réconcilier un sujet divisé. Freud a avancé l’idée que l’on
peut en certaines circonstances être travaillé par le sentiment d’un « besoin
de punition ». Après une action répréhensible, l’enfant peut par exemple se
priver de dessert ou bien briser involontairement l’un de ses jouets préférés
pour tenter de se délivrer de la culpabilité qui le submerge. « Le châtiment
que la loi réserve lui semble un purgatoire par rapport à l’enfer des forces
inconscientes de son être moral. » La sanction vise à réconcilier le fautif avec
lui-même.
• La sanction est là pour aider à un moment donné un sujet singulier à adve-
nir. Elle est un moyen de promouvoir l’émergence de la liberté en imputant
à un sujet les conséquences de ses actes. Sanctionner est bien attribuer à
l’autre la responsabilité de ses actes. Cela contribue à l’éducation de l’enfant
en créant chez lui progressivement cette capacité d’imputation par laquelle

7. PRAIRAT E., La sanction. Petites méditations à l’usage des éducateurs, L’Harmattan, Paris,
1997, p. 122-130.

236
Contrats de vie, sanctions et réparations

sa liberté se construit. Il importe de toujours rétablir les limites, de reformu-


ler chaque fois les interdits structurants. Même si on renonce à toute rétor-
sion, ne faisons pas silence sur ce qui s’est passé. Le problème est moins la
transgression en elle-même que l’ignorance de la transgression.
• La sanction vise à réhabiliter l’instance de la loi qui est garante du vivre
ensemble. Elle vise à rappeler sa primauté et non la prééminence du maître.
La punition d’un enfant survient souvent comme la nécessité pour l’adulte
de récupérer narcissiquement son emprise et sa violence sur l’enfant. Or une
sanction éducative ne peut être utilisée comme une stratégie de réactivation
du pouvoir magistral, elle ne peut que réaffirmer la centralité de la loi. La
sanction rappelle que les lois que nous nous sommes données ne peuvent
être impunément violées et/ou ignorées. Si cette loi n’est pas réaffirmée
nettement, on court le risque de voir le groupe se détériorer rapidement en
un magma : béton bloqué par les inhibitions, soupe à l’anxiété avec agressi-
vité, régressions, voire passages à l’acte incontrôlables.
Plusieurs formes de sanctions sont interdites par les textes qui régissent notre
système éducatif :
• L’irrégularité d’une sanction collective : un élève est sanctionné pour des
faits qu’il a effectivement commis, toute sanction est individuelle. C’est pour-
quoi un groupe d’élèves au sein duquel se trouve celui ou celle qui est
l’auteur véritable de l’acte répréhensible ne peut être sanctionné en lieu et
place du fautif 8.
• Châtiments corporels et privations de récréation : tout châtiment corporel
est strictement interdit. Un élève ne peut être privé de la totalité de la récréa-
tion à titre de punition. Il est permis d’isoler de ses camarades, momentané-
ment et sous surveillance, un enfant difficile ou dont le comportement peut
être dangereux pour lui-même ou pour les autres 9.
• L’interdiction des pensums (lignes à copier) : la circulaire du 15 juillet 1890
indique qu’il s’agit de proscrire absolument les punitions quotidiennes multi-
pliées, piquets, pensums, privations de récréation et de repos, punitions qui
ne sont qu’afflictives, nuisent au travail et à la santé de l’élève, le mettent
en posture de guerre en face de ses maîtres et l’irritent sans le corriger. Les
circulaires du 11 juillet 2000 rappellent encore une fois l’interdiction des
lignes à copier, des punitions collectives et de la sanction par une note (sou-
vent le zéro) d’un comportement.

8. Décret no 85-924 du 30 août 1985 modifié par le décret no 2000-620 du 5 juillet 2000.
9. Circulaire no 91-124 du 6 juin 1991.

237
La coopération du point de vue des relations

Repères pour les sanctions

Pour éviter que les enfants ne tombent dans la dérive de dresser un ensemble de
punitions inappropriées et avilissantes, voici quelques repères qui guident l’action
pédagogique en termes d’élaboration d’un système de sanctions :

• la sanction s’adresse à une personne, sont refusées toutes les procédures visant
à sanctionner un collectif ;
• la sanction porte sur des actes ou sur des faits, et non sur des intentions, ou
pire, des supposés d’attitudes ;
• la sanction s’accompagne d’une procédure réparatrice qui, à destination de la
victime, consiste à faire preuve de la compréhension de son erreur ;
• lorsqu’elle s’intéresse à une erreur, la sanction correspond à la privation de l’exer-
cice d’un droit, si possible celui lié à la transgression. Lorsqu’elle concerne le
domaine des relations interpersonnelles, faute de pouvoir toucher au droit
d’échanger, la sanction peut être d’ordre symbolique. Lorsqu’elle dépend d’une
réussite, elle tend à faire augmenter les espaces de libertés ou à compenser les
erreurs ;
• l’enfant est en phase d’apprentissage, il peut donc revendiquer un droit à l’erreur,
dans la mesure où il accepte de la corriger, faute de quoi elle deviendrait une
faute 10.

La sanction éducative intervient donc lorsqu’il y a mise à l’épreuve d’une limite


ou d’une règle, tant des points de vue négatifs que positifs. Elle ne vise qu’au
rappel et à l’existence de cette limite. Une sanction éducative ne peut pas être
humiliante si sa visée est de permettre à celui qui serait à la source de l’erreur
de prendre conscience de son écart, de situer les limites du franchissement et
d’envisager des procédures pour ne plus le reproduire. Par exemple, si un enfant
s’amuse à taper sur la tête d’un plus petit et que ça l’amuse, une sanction pourrait
être de lui demander d’engager une démarche auprès de ce camarade pour
s’expliquer et échanger. Pour du matériel de classe non rangé, de le ranger. Pour
de graves problèmes de politesse lors d’une sortie, de se voir privé de la pro-
chaine. Pour avoir jeté négligemment des déchets dans la cour, de les ramasser et
d’en mettre à la poubelle quelques-uns de plus. À noter que la sanction éducative
n’intervient pas qu’en cas de problème mais aussi, à égale proportion, en cas de
réussite, sous forme de remerciements ou de félicitations lors du conseil et, nous
l’avons vu, par l’intermédiaire des remarques positives.

10. « Une erreur ne devient une faute que lorsqu’on refuse de la corriger », J.-F. KENNEDY lors
de son dernier discours le 22 novembre 1963.

238
Contrats de vie, sanctions et réparations

Ce qui est bien différent pour la punition dont le principe est généralement
d’accroître la dissymétrie entre deux personnes par la force et la coercition. Avec
la punition, on peut faire mal, blesser, humilier, rabaisser, etc. Ce qui fait penser
qu’elle n’a pas sa place en éducation. Une punition pour des coups donnés serait
des coups reçus ou une privation de dessert. Une punition pour le matériel non
rangé pourrait être de ranger tous les casiers des enfants de la classe. L’incohé-
rence alors créée serait qu’au lieu d’être conduit à reconnaître la limite d’une loi
ou d’une règle, cet enfant serait plutôt engagé à se voir rabaissé, à être la cible
d’une injustice ou même à ressentir de l’aversion envers celui qui l’oblige à mani-
fester une telle soumission.
La réparation éducative a un tout autre objectif que la sanction. Elle a pour
but de rétablir une relation altérée par une souffrance commise de l’un sur l’autre.
Elle tend à recréer du lien et de l’amitié. Elle s’appuie sur le double principe
d’accorder à la victime du soulagement et de permettre au « persécuteur » de
l’apaisement, du rachat, un pardon. En ce sens, il semble que la nature de la
réparation n’appartient qu’aux protagonistes du conflit. Ce serait contraire à cette
idée que de l’imposer ou plus, d’en imposer la forme, par exemple avec le récur-
rent « va t’excuser ! ». C’est donc à celui qui se reconnaît en erreur de faire la
démarche de proposer lui-même une réparation et à la « victime » de l’accepter
ou pas. Maryse Vaillant 11 semble celle qui a le plus développé ce concept. Elle
l’entend comme un dispositif pédagogique qui vise à permettre au persécuteur
de s’acquitter auprès de sa victime, de son groupe d’appartenance et de lui-même
de l’acte déviant dont il a été l’auteur. La réparation éducative consiste à faire
don de soi pour manifester une compréhension des souffrances provoquées. Elle
donne l’occasion de réparer et de se laisser réparer. Elle peut correspondre à la
conséquence d’un message clair entendu et accepté. Elle est la sincère reconnais-
sance de l’acte commis. La réparation éducative ne fonctionne que dans la mesure
où elle est sincère et honnête. Elle gagne en qualité lorsqu’elle est connue et
utilisée par et pour un maximum de membres du groupe. Dans l’idéal, une répara-
tion provient de la personne qui a causé la souffrance : plus la réparation est
imposée par un tiers, plus elle perd en sincérité et honnêteté. Pour l’histoire des
coups sur la tête, le premier enfant peut proposer d’aller voir le second pour
passer un moment à jouer avec lui, lui donner un dessin personnel, s’excuser.
Dans le cas du matériel mis en désordre, le « rangeur fou » peut proposer d’appor-
ter des biscuits aux enfants de la classe ou d’aider ceux qui en ont besoin à
remettre de l’ordre dans leurs affaires. Contrairement à la sanction, une réparation
n’a pas forcément de lien avec l’acte incident et provient essentiellement d’un
engagement volontaire de vouloir s’acquitter de ce qui fait poids. L’action de

11. VAILLANT M., De la dette au don. La réparation pénale à l’égard des mineurs, ESF Sciences
humaines, Paris, 1994.

239
La coopération du point de vue des relations

l’enseignant se résume à introduire l’existence et les vertus de la réparation. Le


reste ne le regarde plus. Il peut arriver qu’une réparation rapide et volontaire
manifeste une réelle prise de conscience de son erreur. Dans ces conditions, la
réparation peut remplacer la sanction, le rappel de la loi ayant été entendu. Elle
intervient alors en complément, voire en substitution de la sanction.
Il n’apparaît donc pas souhaitable que l’enseignant, une fois la sanction posée,
impose une réparation. Mais c’est de sa responsabilité d’y préparer les enfants et
de mettre en place une courte formation. Ce support vise à permettre aux enfants
de situer les domaines de recours et de pertinence de la réparation éducative,
puis d’en penser l’usage, notamment en en diversifiant les formes.

Formation à la réparation
Khalid a 10 ans. Hier soir, il est sorti pour faire de la trottinette dans le quartier. Au
coin d’une rue, il a rencontré Driss, un copain de classe, en train d’essayer pour la
première fois sa trottinette. Malheureusement, il s’est écroulé comme un débutant
devant Khalid qui s’est éloigné en rigolant. Ce matin, Khalid a raconté tout fort en
classe comment Driss « s’est gamélé sur le trottoir » et combien il est « nul en trotti-
nette ». Devant les rires et les moqueries de beaucoup, Driss est sorti de la classe
pour pleurer.

→ Étape 1 : questionnement
1 – Pourquoi Driss est-il sorti en pleurant ?
2 – Pourquoi Khalid s’est-il moqué de Driss devant tout le monde ?
3 – Que ressent Driss dans son cœur ?
4 – Que ressent Khalid dans son cœur quand il voit Driss pleurer ?
5 – Que peut faire Driss pour aller mieux ?
6 – Que peut faire le conseil de classe ?
7 – Comment Khalid peut-il consoler Driss ?
8 – Que peut faire Khalid pour aller mieux dans son cœur ?

→ Étape 2 : présentation de la réparation


À partir des réponses à la question 4, faire ressortir que, lorsqu’on se rend compte
que l’on provoque une souffrance, on devient soi-même triste.
À partir des réponses à la question 8, présenter la réparation : « Quand Khalid fait
quelque chose venant de lui pour aider Driss à ne plus être triste, il lui propose une
réparation. Khalid montre ainsi à Driss qu’il demande des excuses sincères. En faisant
une réparation, Khalid réconforte Driss et se soulage de la peine qu’il a causée. »
Échanges pour améliorer la compréhension de l’idée de réparation.

→ Étape 3 : entraînement aux réparations


Consigne : Pour chaque situation, trouve une réparation que Khalid pourrait proposer
à Driss.
Situation 1 : Khalid a perdu le ballon que Driss lui avait prêté.
Situation 2 : Khalid a poussé Driss dans les escaliers.

240
Contrats de vie, sanctions et réparations

Situation 3 : Khalid a menacé Driss de le « taper à la sortie » s’il ne lui donnait pas
son goûter.
Situation 4 : Khalid a enfermé Driss dans les toilettes.
Situation 5 : Khalid a traité la famille de Driss de « faces de rats ».

Les sanctions à l’école coopérative Antoine Balard de Montpellier


Extrait du règlement intérieur

Ne sont pas considérées comme des sanctions éducatives les pensums (lignes
répétées et dénuées de sens), les violences physiques, les insultes, les humiliations,
les privations complètes de temps de récréation, les privations d’activités spor-
tives internes à l’école.
Les sanctions peuvent prendre la forme de (par ordre d’importance) :
– avertissements ;
– réparation naturelle (réparer ce qui a été cassé, par exemple) ;
– amendes (avec la monnaie de classe) ;
– privations momentanées de droits (parole, déplacement, permis, etc.) ;
– isolements momentanés dans la classe ;
– privations de sorties extraordinaires ;
– demandes d’intervention des familles ou responsables légaux ;
– isolements momentanés dans une autre classe ;
– rester à proximité immédiate des maîtres (cour, BCD, bureau…) 12.
Ces sanctions peuvent être complétées voire remplacées par des réparations
acceptées.
Les mesures positives d’encouragement :
Il y a lieu de mettre en valeur des actions dans lesquelles les élèves ont pu faire
preuve de civisme, d’implication dans le domaine de la citoyenneté et de la vie
de l’école. Ces actions font aussi appel à des sanctions positives les permis de
circulation libre et responsable, l’obtention de ceintures, les métiers et responsa-
bilités, la monnaie intérieure (dans certaines classes), les remarques positives, les
félicitations et remerciements lors des conseils…

À la fin de cette phase, le groupe fait correspondre à chaque item du contrat


de vie (pour lois et règles de vie) un ou plusieurs exemples de sanctions.

Conclure le contrat de vie


Le travail d’élaboration du contrat de vie peut se terminer par la signature de
chaque membre du groupe (enfants et adultes). Cette signature ne symbolise pas
l’engagement d’un total respect de ce contrat mais plutôt que l’on a compris et

12. Les privations de récréations ne peuvent dépasser la moitié du temps prévu.

241
La coopération du point de vue des relations

que l’on est d’accord avec ce qui a été établi. Il s’agit ici d’une volonté de fournir
des efforts allant dans le sens de la réflexion engagée.
Voici un exemple de contrat de vie tel qu’il se présente à ce stade de dévelop-
pement.

CONTRAT DE VIE DE CLASSE

Lois
1 – On vient à l’école pour travailler et apprendre.
2 – Chacun a le droit d’être tranquille dans son corps (respecter les parties
intimes, ne pas se bagarrer), son cœur (ne pas se moquer, insulter) et ses
affaires (ne pas voler, prendre sans autorisation).
3 – Notre enseignant appartient et travaille avec tout le monde.
4 – Nous devons aider celui ou celle qui ne sait pas ou qui a des difficultés.
Règles de vie
1 – On a le droit de manger dans la cour et à la maison.
2 – On a le droit de boire en classe.
3 – On respecte le code de sons (vert on parle normalement – orange on
chuchote – rouge silence – blanc on demande la parole au président).
4 – On ne court pas dans le bâtiment de l’école.
5 – On parle gentiment.
6 – On fait attention et on range le matériel.
7 –…
8 –…
Code de conduite
1 – Dire bonjour, merci, au revoir, s’il te plaît, pardon.
2 – Être agréable avec tout le monde.
3 – Ne pas chanter en classe.
4 – Ranger sa chaise avant de quitter la classe.
5 – Ne pas se balancer sur les chaises.
6 – Être propre.
7 – Ne pas accuser sans preuve.
Les sanctions
Elles servent à se calmer, ne plus recommencer, comprendre son erreur.
Les sanctions interdites :
– taper et faire mal ;
– cracher ou salir quelqu’un ;
– enfermer ;
– insulter ;
– donner des lignes à recopier ;
– priver de toute la récréation.

242
Contrats de vie, sanctions et réparations

Comme sanctions :
– un avertissement ;
– une gêne ;
– une remarque positive ;
– une amende ;
– perdre un droit (de parole, de déplacement…) ;
– priver d’une activité ;
– priver d’une partie de récréation ;
– priver d’une sortie ;
– ceinture dorée.

Selon les ceintures de comportement

Blanc Jaune Orange Vert Bleu Marron

3 gênes – 2 gênes – 1 gêne – 1 gêne – 1 gêne – 1 gêne –


1 amende 1 amende 1 amende 2 amendes 3 amendes 4 amendes

1 loi non respectée →2 gênes


1 règle de vie non respectée →1 gêne
Chaque semaine, 2 gênes sont tolérées pour chacun.
Une remarque positive annule 1 gêne.

Toutefois, ce n’est pas parce que les enfants auront participé, proposé, voire
signé ce contrat de vie que la tâche des enseignants se termine quant à l’appren-
tissage de la loi et au suivi du contrat. Au contraire, on pourrait dire qu’elle débute
ici, dans le sens où il va importer, non plus seulement d’expliquer ces règles, mais
surtout de les rappeler et de les faire vivre. On ne peut pas demander à des
enfants de comprendre et d’appliquer un règlement qui se veut toujours coercitif
sans leur laisser un temps d’adaptation et de travail personnel. C’est tout l’intérêt
des apprentissages. De plus, ce n’est pas parce qu’on est amené à répéter ce qui
a été posé collectivement que ce contrat peut être considéré comme caduc : au
contraire, il existe de fait et est en cours de construction et d’auto-acceptation.
De ce fait, établir un contrat de vie avec des enfants, c’est également s’interro-
ger sur la façon dont il va être mis en pratique et comment le groupe le reconnaîtra
comme un outil au centre de sa vie. La structure la plus adaptée pour permettre
à un groupe de vivre et de faire évoluer ce contrat de vie semble être le conseil
coopératif, tel qu’il vient d’être présenté dans le chapitre précédent.

243
4
Prendre des responsabilités
au sein de la coopérative

« L’enfant ne s’intègre au groupe que lorsqu’il s’y sent nécessaire.


C’est sa fonction qui le fait reconnaître par les autres. »
René LAFFITTE 1

Prendre la responsabilité d’un métier


À travers les métiers, la classe se trouve partagée en nombreux secteurs de
responsabilités, qui vont permettre à chaque enfant de se situer par rapport aux
autres. On obtient ici une organisation qui vise au partage des responsabilités,
chaque métier permettant à un enfant de faire l’expérience d’un espace social. Le
métier confère en effet à l’élève, non seulement un rôle au sein du groupe, mais
également un statut. Ce statut lui permet d’être reconnu dans le groupe alors que
le rôle lui renvoie ce que chacun est en droit d’attendre de lui. C’est ce qui le
différencie déjà du traditionnel service qui correspond généralement à des tâches
que les enfants se voient à tour de rôle attribuées pour le fonctionnement de la
classe. Avec les services, le degré d’implication est souvent faible, les enfants
estimant qu’ils correspondent à des tâches, parfois gratifiantes, parfois ingrates,
mises à disposition et distribuées par l’enseignant.
Les métiers ou responsabilités correspondent à des fonctions nécessaires à la
vie coopérative de la classe que l’enseignant ne peut assurer seul. On s’appuie
sur les apports pédagogiques de J. Dewey (c’est en faisant que nous apprenons)
et d’A. Makarenko (« Je voudrais, chers camarades, que vous vous accordiez une
mutuelle confiance, que vous croyiez que chaque homme que vous rencontrez
recèle en lui des trésors de possibilités, de talents endormis, de pensées origi-
nales, que chaque être a une grande valeur 2 »). L’ensemble des comportements

1. In Une journée dans une classe coopérative, le désir retrouvé, Matrice, Paris, 1985, p. 128.
2. Cité par LAPLACE, C., Pratiquer les conseils d’élèves et les assemblées de classes, Chronique
Sociale, Lyon, 2008, p. 18.

245
La coopération du point de vue des relations

que les enfants développent en s’engageant dans leur métier sont autant de solli-
citations qui contribuent à leur enrichissement affectif et cognitif. En d’autres
termes, il se pourrait bien que le rangement des fichiers de mathématiques aide
certains enfants à améliorer leur orthographe, par exemple. Nous avons déjà pu
voir que la disponibilité aux apprentissages du cerveau dépend en grande partie
de la densité du maillage neuronal, essentiellement bâti par l’intermédiaire des
expériences qu’il a pu développer de manière active.
C’est souvent lors du premier conseil que sont pris en charge les premiers
métiers, jusque-là exercés par le maître depuis son arrivée dans la classe. Mais la
classe coopérative commence réellement à prendre forme et les métiers à acquérir
du sens lorsque les élèves en proposent la création et demandent eux-mêmes au
conseil de les exercer. En début d’année, point de liste, ou alors une très minimale
de deux ou trois métiers nécessaires au démarrage, par exemple facteur, respon-
sable des classeurs, des textes à taper… L’enseignant se garde de tout faire dans
la classe, ce qui engendre la libération d’espaces en même temps que quelques
dysfonctionnements. Avec l’ouverture d’espaces et de lieux d’expression et de
coopération, des résistances surgissent et du fait qu’un certain ordre est néces-
saire si l’on ne veut pas que la classe devienne un milieu invivable parce qu’inor-
ganisé, la proposition de métiers par les enfants apparaît comme une véritable
piste en mesure d’améliorer les interactions et les interrelations dans la classe.
Chaque enfant est en mesure de trouver un métier qui correspond à ce qu’il est
capable de réaliser. Ces responsabilités sont en lien avec des besoins qui émanent
de la vie coopérative de la classe et permettent aux enfants qui les acceptent de
participer à leur développement.
Progressivement, un tableau se construit (les fiches en T ou des étiquettes
qui se déplacent s’avèrent pratiques parce qu’elles facilitent les modifications).
Lorsqu’un nouveau métier est proposé, le conseil s’interroge sur son utilité, déli-
mite la nature de ses fonctions puis recherche des volontaires. Généralement, les
prioritaires sont ceux qui n’en possèdent pas encore un, sauf lorsque la responsa-
bilité correspond à une compétence spécifique, maîtrisable par quelques-uns seu-
lement. Au bout de quelques semaines, chacun parvient à obtenir un métier
auquel il a pensé ou qu’on lui a proposé. Il peut disposer, par l’intermédiaire de
ce tableau et des responsabilités qui y correspondent, d’une place reconnue, utile
et respectée dans la classe. « On ne prend pas le métier d’un autre sans lui en
avoir parlé », est une des règles de vie qui peut être partagée dans le groupe.
Généralement, un enfant qui possède un métier en est titulaire jusqu’à ce qu’il
n’en veuille plus ou jusqu’à ce que le conseil estime qu’il ne le fait pas correcte-
ment. C’est la grande différence avec les services, qui « tournent » selon des
périodes définies par l’enseignants mais qui privent les enfants d’exercer et de
développer de la responsabilité.

246
Prendre des responsabilités au sein de la coopérative

Liste indicative de responsabilités utiles en classes coopératives 3

Aider à taper les textes Ouvrir et tirer les rideaux


Aider au rangement des casiers Ouvrir les messages Internet
Allumer et éteindre les ordinateurs Photocopier
Changer le code des sons Photographier
Conduire le rang Poster le courrier
Défendre les enfants qui sont critiqués Ranger le matériel de mathématiques
Descendre les chaises des tables Ranger le matériel de sciences
Distribuer et vérifier le rangement Ranger les armoires
des cahiers Ranger les fichiers
Distribuer le courrier dans la classe Récolter les articles pour le journal
Distribuer le matériel à prêter Récolter les textes écrits
Distribuer les coloriages magiques Récupérer les piles usagées
Distribuer les dictionnaires Regrouper les lettres pour les
Distribuer les documents correspondants

Distribuer les fiches de suivi Remplacer ceux qui sont absents


Répondre au téléphone
Distribuer les jeux
Répondre aux personnes qui toquent
Distribuer les plans de travail
à la porte
Éclairer la classe
S’occuper d’afficher dans la classe
Écrire la date
S’occuper de la banque de la classe
Écrire sur le plan de travail mural
S’occuper des animaux de la classe
Effacer le tableau
S’occuper des fichiers
Être responsable des clés de la classe
S’occuper des plantes de la classe
Faire l’appel
S’occuper du journal mural
Faire passer la poubelle
S’occuper du matériel d’arts plastiques
Gérer la bibliothèque de classe S’occuper du matériel de sport
Installer le vidéoprojecteur S’occuper du recyclage du papier
Mettre les chaises en cercle Transmettre les informations
Organiser le tableau des tuteurs dans les autres classes
… …

3. CONNAC S., JOFFRE E., TIBÉRI D., Fichier d’incitation à la coopération et à la citoyenneté,
Éditions ICEM, Nantes, 2008, p. 44.

247
La coopération du point de vue des relations

Une fois que tous ceux qui le souhaitent disposent d’une responsabilité, le
principe est que personne ne peut se la voir retirer s’il n’en a pas formulé la
demande. Ceci ne vaut pas lorsque le conseil en a décidé autrement en raison
d’une constatation d’un très mauvais fonctionnement et d’une difficulté manifes-
tée à assumer la fonction. C’est le cas avec un enfant qui n’arrive pas à ranger
correctement les fiches dans les classeurs en raison de la complexité du codage
ou avec un autre qui oublie trop souvent de noter les inscrits à la cantine sur le
cahier prévu à cet effet. Lorsqu’il souhaite céder sa responsabilité, il le précise
lors du conseil et peut en choisir un nouveau parmi ceux dont d’autres enfants
ne veulent plus. Tout enfant peut donc être amené à abandonner un métier si
celui-ci lui apparaît comme trop difficile (lorsque le rôle dépasse la compétence),
ou trop contraignant (lorsque le rôle parasite grandement le travail scolaire), ou à
échanger un métier contre un autre exercé par un camarade.
Certains métiers sont fortement plébiscités parce qu’ils confèrent un statut
envié dans la classe (informaticien ou responsable des photocopies par exemple)
ou parce qu’ils permettent d’obtenir une place importante dans le groupe (respon-
sable des classeurs, chargé de l’appel, écrivain de la date, etc.). D’autres métiers
apparaissent puis disparaissent parce qu’ils se sont avérés caducs, notamment
ceux liés à des projets ponctuels ou peu mobilisateurs. Si plus personne n’y fait
référence, il n’y a plus de raison de se forcer à faire vivre un métier, la décision
de le faire disparaître peut donc être prise lors d’un conseil. La responsabilité
du rang que l’on rencontre fréquemment dans les écoles peut soulever certains
problèmes : au lieu d’aider les enfants à se déplacer sans souci en rang, un tel
métier est propice à des antagonismes qui parasitent la vie du groupe. Ce type
de difficultés peut donc faire l’objet de discussions en conseil, des essais peuvent
être tentés et des décisions prises en fonction des effets.
Il peut également arriver qu’apparaisse une demande de rétribution des
métiers sous forme de monnaie intérieure. Or, peut s’ouvrir un débat sur le fait
que, contrairement aux travaux scolaires, les métiers correspondent à un engage-
ment volontaire qui consiste à rendre service à l’entreprise coopérative de la
classe. À ce titre, nul n’est contraint d’y participer, même s’il doit en assumer
certaines conséquences. C’est pourquoi nous défendons l’idée que ces métiers
pédagogiques ne gagnent pas à être payés par une monnaie intérieure. Dans les
faits, cette modification n’empêche pas les enfants de trouver leur place dans le
groupe grâce à leur métier (« C’est mon métier et t’as pas le droit de le faire à ma
place ! »).
Des phénomènes inconscients apparaissent dans la classe, notamment par ces
métiers. Le transfert est une attitude inconsciente qui consiste à projeter sur autrui
des objets d’amour (transfert positif) ou de haine (transfert négatif) qui ne lui
appartiennent pas. Ce peut être le cas lorsque Thomas passe ses récréations dans

248
Prendre des responsabilités au sein de la coopérative

les jupes de l’assistante d’éducation parce qu’elle lui rappelle par la douceur de
sa voix sa maman. Ce peut être aussi le cas lorsque Lucie s’approprie toutes les
manières de langage de Thélia parce qu’elle voit en elle une part de son idéal.
Pour la personne susceptible d’être la cible d’un transfert, un contre-transfert est
une attitude inconsciente visant à y réagir soit par la mise en place de stratégies
de protection (afin de ne pas le subir), soit par l’acceptation des élans affectifs. Il
s’agit d’une réaction transférentielle antérieure ou postérieure aux transferts. Il y
a contre-transfert lorsqu’en tant qu’enseignant, je m’en prends à un enfant
lorsqu’il se manifeste dans la classe parce que je reconnais en lui des traits de
personnalité d’un autre élève, la plupart du temps ancien. Il peut y avoir égale-
ment contre-transfert lorsque, toujours en tant qu’enseignant, j’évite d’entrer dans
une trop forte relation avec mes élèves parce que je me méfie des éventuelles
conséquences.
La classe coopérative se veut un espace de libération des authenticités. De ce
fait et parce que « les enfants ne laissent pas leur inconscient au portemanteau »,
chacun devient un potentiel auteur de transferts. Un certain nombre d’entre eux
prennent pour objet l’adulte de la classe. Si ces transferts de l’enfant sur l’ensei-
gnant ne sont pas analysés puis régulés, ils maintiennent l’enfant dans une situa-
tion de dépendance qui le conduit à une moindre affirmation de soi. Ce traitement
du transfert peut notamment se produire lorsqu’un enfant occupe une place dans
la classe.

« Pour maîtriser les transferts, l’enseignant s’efforce de fournir à l’enfant le moyen d’accé-
der à d’autres relations d’objet, de s’investir dans des activités qui y correspondent. Le
plus aisé est d’utiliser la médiation du groupe, qui agit selon des consignes, selon la loi
fixée pour tous 4. »

Comme d’autres outils et institutions des pédagogies coopératives, les métiers


se veulent des supports aux engagements, des vecteurs de coopération mais aussi
des instruments de médiation. À travers eux peut se manifester l’expression de
transferts, par exemple lorsque Abdelkarim tient absolument à devenir l’informati-
cien de la classe alors que jusque-là c’était son frère Mohamed qui en était titu-
laire. Les métiers peuvent également être un intermédiaire dans la relation
pédagogique, un support à partir duquel enfants et adultes vont pouvoir se ren-
contrer, notamment lorsqu’il va s’agir d’épurer un contre-transfert d’enseignant.
Enfin, cet adulte n’est plus la principale cible des transferts d’enfants puisqu’il ne
représente plus à lui seul l’exercice des pouvoirs. Rien d’étonnant alors à ce que
certains transferts opèrent par exemple sur le trésorier de la classe ou le respon-
sable des textes libres.

4. POSTIC M., La relation éducative, PUF, Paris, 1979, p. 240.

249
La coopération du point de vue des relations

Prendre la responsabilité de président du jour

« “Je propose que, chaque jour, un enfant de la classe soit président du jour, à son tour.”
Au conseil, chacun attend de connaître ce que peut être ce mystérieux président du jour.
J’explique, comme ils l’ont constaté, que je ne suis pas toujours disponible pour répondre
à leurs demandes pendant les activités personnelles. Nous avons déjà des responsables
d’équipes et d’ateliers, je propose un responsable nouveau, le président du jour qui pour-
rait voir ce dont chacun a besoin aux ateliers, dans une équipe, faire respecter les règles 5. »

Il se trouve que la vie coopérative de la classe s’appuie sur une série d’élé-
ments du contrat de vie de classe qui garantissent la sécurité, le respect et la
mise en confiance de chacun. Il apparaît judicieux de penser que c’est à l’adulte
de la classe qu’incombe cette fonction de rappel de la règle. Le plus souvent, cela
évite contestations, interprétations et indulgences pour les copains mais pas pour
les mal-aimés. Et pourtant… L’enseignant de la classe est une personne tout aussi
faillible que n’importe quel enfant et l’on sait combien les erreurs d’interprétation
de l’adulte peuvent engendrer des sentiments d’injustice, sentiments particulière-
ment importants au cours de l’enfance.
Le plus souvent, tout du moins pour les enfants les moins autonomes, l’ensei-
gnant est le principal référent pour les problèmes rencontrés. On imagine mal
comment un élève ne reconnaissant pas les verbes ou se trouvant devant un
problème informatique insoluble pour lui va bien pouvoir poursuivre son activité
sans l’aide de l’adulte. Pendant les moments de travaux personnels, il est donc
utile que l’enseignant puisse se rendre disponible pour aider à l’évolution des
activités dans lesquelles les enfants se sont engagés. Dénués d’ubiquité, les
enseignants se trouvent souvent en train de gérer deux types de demandes, pas
toujours compatibles : celles qui relèvent du respect des petites règles du fonc-
tionnement coopératif et celles qui concernent les activités et des apprentissages
en cours.
Une solution pourrait être de réduire la part de liberté des enfants dans la
classe mais on voit bien combien celle-ci s’avère nécessaire pour contribuer plei-
nement à l’exercice de la coopération et à l’aboutissement des projets de chacun.
Une autre pourrait être la fonction de « président du jour ». Dans la classe
cohabitent au moins deux fonctions : celle d’élève et celle d’enseignant. On pour-
rait ajouter au niveau d’une école les fonctions de direction, de parent, de moni-
teur sportif, d’assistant d’éducation, d’inspecteur de l’Éducation nationale…
Chacune de ces fonctions se décline en différents rôles, associés à des tâches
particulières. Du fait qu’un président du jour se voit confier un ensemble de

5. LE GAL J., Le maître qui apprenait aux enfants à grandir, Les Éditions libertaires, Toulouse,
2007, p. 51.

250
Prendre des responsabilités au sein de la coopérative

tâches, on peut donc difficilement utiliser le terme de métier pour le qualifier.


C’est pour cela que l’on emploiera ce terme de nouvelle fonction de la classe
coopérative. Elle est apparue en pédagogie par l’intermédiaire des expériences de
Pistrak et Makarenko :

« Chaque enfant est président de jour à son tour. En dehors des équipes fixes, il se crée
des équipes occasionnelles. Le chef de ces équipes ne peut être un enfant qui est déjà le
chef d’une équipe fixe… Ainsi s’était formée à la colonie, une chaîne très compliquée
d’interdépendance qui ne permettait à aucun colon de se détacher de la collectivité pour
la dominer 6. »

À la fin du bilan météo de journée, le président du jour choisit parmi les


enfants volontaires celui qui va lui succéder, de préférence parmi ceux ayant le
moins dérangé au cours de la journée et possédant le brevet de président du jour.
Cela peut se faire selon son libre arbitre, selon une règle établie en conseil, par
exemple obligeant d’alterner garçons-filles pour chaque changement. Le lende-
main, son prénom est écrit sur une affichette prévue à cet effet. Il préside tous
les moments de réunion de la journée : « Quoi de neuf ? », réunion, conseil, choix
de textes, présentations, discussion à visée philosophique s’il y en a, bilan météo.
Quand il le juge nécessaire, il s’occupe aussi de modifier le « code des sons dans
la classe », celui qui permet de travailler dans un calme relatif permettant les
concentrations. Il peut éventuellement noter sur une feuille les gênes provoquées
par certains ainsi que les remarques positives. Pour celles-ci, les enfants vont le
voir au cours de la journée lorsqu’ils l’estiment nécessaire, ou attendent le bilan
météo du soir pour en faire part.
Le soir, après ce bilan de journée et avant le choix du prochain président,
chacun est amené à donner son avis sur la manière dont le président du jour a
investi cette fonction : a-t-il rappelé les règles quand il le fallait ou s’est-il contenté
de vaquer à ses activités ? A-t-il pu aider les enfants qui en avaient besoin ou ne
s’est-il intéressé qu’à ses copains ? A-t-il crié pour se faire respecter ou s’est-il
référé aux institutions de la classe ?… C’est souvent lors de cette discussion
qu’une sorte de déontologie du président du jour apparaît et se construit. Il est
alors possible d’introduire, dans la classe, des concepts comme l’abus de pouvoir,
le délit d’initié ou le copinage, de faire réfléchir sur la cohérence entre ce que l’on
dit et ce que l’on fait, notamment concernant l’entretien du calme dans la classe.
Les quelques enfants qui, à plusieurs reprises, ne tiennent pas compte de ce qui
se dit lors de ces bilans peuvent se retrouver en porte-à-faux lorsqu’il est question
de s’en expliquer. Cela conduit à ce que, pour un temps, ils ne se proposent plus
ou ne soient pas forcément choisis pour reprendre cette fonction.

6. MAKARENKO A.S., Poème pédagogique, Moscou, Éditions en langue française, 1959.

251
La coopération du point de vue des relations

Feuille du président du jour

Dates : du … …/… …/20. au … …/… … / 20..

Présidents

Ceintures Prénoms L M J V Conseil > 0* Total

Blanc Abdellah

Jaune Adil

Bleu Aïssam

Vert Wanessa

Orange Yasmina

Jaune Yassine

* Remarques positives.

Pour introduire cette fonction de président du jour, il convient d’en faire un


élément de culture de classe. Pour cela, l’enseignant peut organiser une séance
de formation collective, où sont débattus les droits et obligations du président,
ce qu’il peut et doit faire, les décisions qu’il n’est pas en mesure de prendre, les
conduites à tenir dans diverses situations. Ce sera ainsi l’occasion d’aborder les
problématiques comme la posture du président qui pourra difficilement assumer
sa fonction s’il ne manifeste du sérieux et des attitudes responsables devant ses
camarades. Cette formation peut se terminer par le passage du brevet de prési-
dent du jour, qui permettra de déterminer les enfants pouvant être choisis. Pour
compléter cette formation initiale, l’enseignant peut mettre à disposition des prési-
dents successifs une fiche outil leur rappelant la plupart des éléments à prendre
en compte. Voici celle proposée par Étienne Briquet :

252
Prendre des responsabilités au sein de la coopérative

Fiche outil
pour présider une journée

Tu peux te faire aider par un grand ou par quelqu’un qui a déjà présidé la journée.
Au début de la journée, il te faut lire l’emploi du temps pour savoir quand annoncer
les activités et la couleur du code des sons qui correspond.

Chaque fois qu’une activité change, tu l’annonces clairement pour que tout le
monde t’entende bien. Voici des exemples de ce que tu peux dire :

– La classe commence
– C’est l’heure de la réunion
– C’est la récré
– C’est l’heure des ateliers
– C’est l’heure du bilan
– C’est l’heure de l’étude
– La classe est terminée
– …

C’est toi qui vas également présider le « Quoi de neuf ? », la réunion, le conseil et
le bilan.

Si un enfant parle trop fort ou chahute, approche-toi de lui pour lui demander
simplement de faire attention. S’il continue, alors tu peux lui mettre une gêne en le
disant tout haut untel, gêneur ! Tu notes ensuite la gêne sur la feuille du président.

À la fin du bilan de la journée, tu notes au tableau tous ceux qui veulent être
président pour le lendemain (il faut au moins une ceinture jaune et avoir son brevet)
et tu fais décider.

Important à retenir

– Il faut que tu fasses attention à l’heure.


– N’oublie pas ton travail tu peux présider de ta place.

Il va de pair avec cette fonction que parfois rien ne tourne comme il le faudrait.
Mais qu’importe ? Dans ces cas, en tant qu’enseignant, il est envisageable de
demander à reprendre l’animation de la classe au détriment de notre disponibilité.
« Je reprends la présidence pour remettre un peu d’ordre dans la classe, mais je
suis moins disponible pour vous aider. » La plupart du temps, ce n’est que tempo-
raire. Le président du jour ne remplace pas l’enseignant et, à ce titre, n’est pas
tenté de jouer au petit chef. Cela correspond plutôt à la fonction d’animation de
la journée, investie pour se retrouver en situations de responsabilités et rendre
service à la coopérative, notamment en facilitant l’accès à l’enseignant comme
ressource aux apprentissages.

253
La coopération du point de vue des relations

Certains enfants ne souhaitent plus être président parce qu’ils se sont aperçus
que cela entravait la portée de leur travail. D’autres ne se donnent plus le droit
de le devenir parce qu’ils ne sont pas arrivés plusieurs fois à rappeler certaines
règles auprès de leurs copains ou ont beaucoup de mal à s’interdire de faire le
petit chef dans la classe. Certains, en revanche, ont pu disposer d’une place qui
a montré une facette positive de leur personne, qui a pu contribuer à les faire
sortir d’une réserve personnelle nocive à leur engagement dans diverses activités
ou divers lieux de parole et de décision. D’autres enfin arrivent très bien à concilier
la présidence de la classe et la gestion des projets qu’ils souhaitent mener.
L’enseignant peut alors adopter le réflexe de ne plus s’occuper de ce qui est du
ressort du fonctionnement de la classe et de renvoyer au président du jour ou au
conseil toutes les demandes lui étant adressées à ce sujet. Les enfants présidents
du jour savent toutefois qu’il peut à tout moment les aider ou répondre à leurs
demandes. Voici donc une nouvelle institution coopérative dans la classe, au ser-
vice du développement des activités, qui se trouve être le terrain de plusieurs
apprentissages, dont la principale caractéristique est son humanité, avec toutes
les surprises et aventures que cela peut engendrer.

Exemple de brevet de président du jour

Brevet de président du jour

Nom ................... Prénom ...................


Date ....................................................................................................

1 – Un bon président du jour, c’est quelqu’un qui :


□ travaille sans s’occuper des autres.
□ sait s’occuper de la classe et faire son travail.
□ rend des services à ses copains et copines uniquement.
□ s’occupe très bien des autres et n’est pas obligé de faire son travail.
2 – Pour devenir président du jour, il faut :
□ avoir beaucoup d’amis.
□ savoir crier fort.
□ être sérieux et avoir été choisi.
□ être le plus fort à la course.
3 – Lorsqu’on n’arrive plus à présider, on peut :
□ distribuer de nombreuses gênes.
□ crier très fort pour se faire entendre.
□ s’asseoir et attendre que la journée se termine.
□ demander de l’aide à l’enseignant.

254
Prendre des responsabilités au sein de la coopérative

4 – Lorsqu’un enfant ne nous respecte plus :


□ on en parle à l’enseignant ou au conseil.
□ on ne fait rien, c’est son problème.
□ on lui règle son compte pendant la récréation.
□ on lui met trois fois plus de gênes.
5 – Pour choisir un président du jour, on prend :
□ son meilleur copain ou sa meilleure copine.
□ celui qui nous choisira la prochaine fois.
□ celui qui semble le plus sérieux et qui a son brevet.
□ le plus costaud de la classe.
6 – Lorsqu’un enfant parle trop fort dans la classe :
□ on lui met des gênes sans le prévenir.
□ on se concentre encore plus sur son travail.
□ on lui demande de chuchoter en parlant à voix haute.
□ on lui demande de chuchoter en chuchotant.
7 – Le président peut mettre des gênes de comportement :
□ quand il en a envie.
□ après avoir prévenu.
□ à personne.
□ aux enfants qu’il n’aime pas trop.
8 – Lors du bilan de la journée, le président :
□ ne parle pas.
□ n’a pas besoin d’écouter l’avis des autres.
□ règle ses comptes avec les gêneurs.
□ donne la parole et donne son avis.
9 – Pour un enfant, être président du jour, ça sert à :
□ se préparer à devenir président de la République.
□ rien.
□ aider le maître ou la maîtresse.
□ prendre des responsabilités.

255
La coopération du point de vue des relations

10 – Pour la classe, un président du jour, ça sert à :


□ pas grand-chose.
□ permettre à chacun de faire son travail tranquillement.
□ voir ce que c’est qu’un chef.
□ donner de l’importance aux plus forts.

Validation
→ Nombre de bonnes réponses
Nombre d’erreurs
→ Brevet de président du jour validé
oui □ non □ Signature de l’enseignant

Prendre la responsabilité d’une équipe ou d’un groupe

Lorsque les classes sont organisées autour d’équipes de travail, ce qui n’est
pas la seule organisation possible, une autre fonction intervient auprès des
enfants et de l’enseignant : le référent d’équipe. Elle consiste à mettre à disposi-
tion ses compétences et une part de son temps pour permettre à ses coéquipiers
de s’engager dans leur travail et les tâches qui sont relatives à l’activité de
l’équipe. À la différence des groupes, les équipes se veulent durables et organi-
sées autour de la réalisation d’un projet d’activité ou de vie commune. C’est parce
que l’on s’appuie sur l’idée que l’on apprend mieux en pouvant compter sur des
interrelations et les confrontations que ces équipes existent. Elles deviennent les
premières cellules de travail des enfants dans la classe. Avant d’aller solliciter
l’enseignant ou un autre enfant, on s’efforce de chercher au sein de son équipe
si des réponses existent. Cette conception du travail défendue ici ne tend pas à
susciter de la compétition entre les équipes, il s’agit au contraire de faciliter
l’entraide afin que les travaux de chacun progressent sereinement. Si plusieurs
équipes cohabitent, c’est d’abord parce que le petit nombre d’équipiers rendra
les relations plus aisées.
Plusieurs stratégies pédagogiques peuvent être envisagées pour permettre à
des enfants de vivre sereinement dans une équipe de travail :
– demander la désignation d’un référent d’équipe. Sa fonction est de per-
mettre à l’équipe de vivre le mieux possible, de se mettre à disposition des
équipiers pour apporter de l’aide, de distribuer la parole pour que chacun
puisse être entendu… ;
– organiser une formation collective des référents d’équipe et permettre à
ceux qui sont intéressés de passer le brevet de référent ;

256
Prendre des responsabilités au sein de la coopérative

– déterminer une durée de vie des équipes limitée (plusieurs semaines, une
période…). Chaque personne est alors en mesure d’estimer cette limite pour
relativiser un certain nombre de difficultés rencontrées. Les équipes peuvent
être constituées par l’enseignant, par exemple à l’aide du sociogramme
exprès proposé par F. Oury 7 ou par affinité de projet ;
– construire avec les enfants une « charte du travail en équipe » qui planifie
les droits et obligations des référents d’équipe et des équipiers ;

Le référent d’équipe 8
Droits Obligations
Chuchoter en code rouge Aider ses équipiers
Participer aux réunions de référents Respecter le règlement de classe
Demander de l’aide à l’enseignant Rappeler le règlement de classe
Mettre des gênes et des remarques positives Travailler
Demander à faire sortir de l’équipe les gêneurs Montrer le bon exemple
Autoriser à aller aux toilettes Distribuer la parole
S’occuper du Frigo
L’équipier
Droits Obligations
Répondre à son référent en code rouge Respecter son référent
Demander de l’aide Respecter ses coéquipiers
Participer aux activités de l’équipe Travailler
Parler de ce que l’on vie en équipe au conseil si Donner son avis
nécessaire Mettre de la bonne volonté
Utiliser le Frigo de son équipe
Demander à s’isoler

– pour les équipes qui manifestent des difficultés, leur proposer, en tant
qu’enseignant, une aide consistant à s’y rendre pendant un moment. Il s’agit
alors d’observer ce qui se passe pour proposer des solutions, ou de se
mettre dans la peau du référent pour créer un modèle de départ ;
– tous les enfants ne sont pas en mesure ou ne souhaitent pas à tout moment
de coopérer en équipe. Aussi, il peut arriver que certains d’entre eux se
retrouvent seuls, le temps qu’ils se reconnaissent capables d’accepter le
contrat moral qui lie chaque équipe ;
– adopter une posture d’enseignant qui vise à médiatiser davantage ce qui
fonctionne que ce qui pose problème, à valoriser les réussites plutôt qu’à
sanctionner les échecs.
Le référent d’équipe est l’enfant qui s’est proposé et qui a été choisi pour
aider les coéquipiers à travailler aisément. On notera que nous n’utilisons pas le

7. « Il s’agit pour nous d’obtenir rapidement une image plus ou moins fidèle qui nous permettra
de vérifier nos hypothèses en ce qui concerne les sous-groupes, les constellations. Mais surtout,
il s’agit d’obtenir un élément complémentaire qui aidera le groupe à désigner les responsables
et à constituer les équipes », in VASQUEZ A., OURY F., De la classe coopérative à la pédagogie
institutionnelle, Maspéro, Vigneux, 1971, p. 516.
8. Charte construite par une classe de cycle III et votée au conseil en novembre.

257
La coopération du point de vue des relations

terme de « chef d’équipe » tant commander, imposer et ordonner n’est pas l’objet
de cette fonction. Lors de la phase de formation à cette fonction, les enfants
peuvent être amenés à construire un profil de poste. Celui-ci peut ensuite être
conduit à évoluer au fil de l’année. En voici un à titre d’exemple :

Qu’est-ce qu’un référent d’équipe ?

• Il fait partie d’une équipe et ne s’occupe que d’elle.


• Il a suivi la formation et a réussi le brevet de référent d’équipe.
• Il est accepté comme référent par ses équipiers.
• Il est capable de reformuler les consignes.
• S’il s’agit d’un travail d’équipe, il répartit équitablement les tâches.
• Il distribue la parole lorsqu’il faut réfléchir à plusieurs.
• Il est responsable du matériel de l’équipe.
• Il peut donner des gênes aux enfants qui dérangent le travail de l’équipe ou de
la classe et des remarques positives à ceux qui ont fait des efforts ou rendu un
service.
• Il inscrit les enfants au « Quoi de neuf ? » s’ils ne savent pas le faire.
• Il peut être remplacé par décision du conseil si lui ou l’ensemble de l’équipe le
souhaite.
• Il remet en question sa fonction à la fin de chaque période.

Au terme des situations d’entraînement qui auront vu une série de situations faire
l’objet de discussions, jeux de rôle, improvisations… les enfants qui le souhaitent
peuvent passer le brevet de référent d’équipe. S’ils l’obtiennent, ils pourront alors
demander à être choisis comme tels lorsqu’ils intégreront une équipe.

258
Prendre des responsabilités au sein de la coopérative

Exemple de brevet de référent d’équipe

Brevet de référent d’équipe

Nom ................... Prénom ...................


Date ....................................................................................................

1 – Un référent d’équipe, ça sert à :


□ distribuer des sanctions.
□ donner des punitions.
□ dénoncer à un adulte ceux qui ne travaillent pas.
□ aider les enfants qui sont dans son équipe.
2 – Un référent d’équipe, c’est quelqu’un qui :
□ commande les autres.
□ est le meilleur élève du groupe.
□ aide ses coéquipiers à travailler.
□ s’entraîne à devenir le maître ou la maîtresse de la classe.
3 – Une équipe travaille correctement quand :
□ tout le monde se tait.
□ chacun travaille tout seul.
□ ceux qui ont des difficultés se font aider par un autre.
□ elle discute des jeux qu’on peut faire dans la cour.
4 – Si un référent d’équipe ne respecte pas les règles de la classe, on :
□ le tape pour qu’il arrête.
□ lui dit calmement de s’arrêter pour qu’il comprenne.
□ le laisse faire parce que c’est le chef.
□ le critique au conseil.
5 – Quand un coéquipier n’arrête pas de déranger toute l’équipe, on :
□ en parle au conseil et on cherche une solution.
□ le laisse faire parce que c’est marrant ce qu’il dit.
□ l’insulte pendant la récréation pour qu’il s’arrête.
□ l’exclut de suite de l’équipe.
6 – Pour choisir les référents d’équipe :
□ on les tire au sort (on les choisit au hasard).
□ c’est l’adulte de la classe qui les choisit.
□ ils sont élus à partir du sérieux de leur comportement.
□ on choisit les plus râleurs, comme ça ils se tairont.

259
La coopération du point de vue des relations

7 – Un référent d’équipe a le droit de :


□ faire la même chose que ses équipiers.
□ enlever les gênes si on lui fait plaisir.
□ faire travailler ses coéquipiers à sa place.
□ taper, insulter ou crier sur ses équipiers pour qu’ils l’écoutent.
8 – Pour devenir référent d’équipe, il faut :
□ être le plus intelligent de l’équipe.
□ être copain avec le maître ou la maîtresse.
□ savoir être un bon coéquipier.
□ avoir beaucoup de connaissances.

Validation
→ Nombre de bonnes réponses
Nombre d’erreurs
→ Brevet de président du jour validé
oui □ non □ Signature de l’enseignant

En complément des équipes, qui existent sur un temps long, pour donner la
possibilité aux enfants de participer à une cellule de coopération plus réduite,
notamment pour faire vivre des projets, une classe coopérative favorise du travail
en groupe.
L’objectif pédagogique d’un petit groupe de travail est spécifique : celui de
favoriser la confrontation des avis (susciter du conflit sociocognitif). Ces diver-
gences d’opinions sont utiles pour apprendre parce qu’elles sont sources de
doutes et d’incertitudes (du conflit cognitif), ce qui donne vie à du questionne-
ment. Ainsi, lorsque l’on est parvenu en tant qu’enseignant à faire émerger le
désir d’apprendre, il devient opportun de répondre aux questions que les élèves
se posent par une exposition formelle aux savoirs scolaires. Cela facilite chez eux
un « effet euréka » typique des premières compréhensions.
C’est pour cela que la constitution des groupes est surtout utile lors de
séances collectives où l’enseignant aborde avec les enfants de nouvelles notions
scolaires. Pour cela, il utilise des situations-problèmes adaptées, laisse d’abord
les enfants réfléchir seul, puis compose les groupes avec ceux qui sont volontaires
pour ne plus rester seuls. Les systèmes de tirage au sort et de regroupements
aléatoires semblent alors les moins problématiques.
Après 5-10 minutes de travail en petit groupe, l’enseignant collecte au tableau
toutes les idées différentes, ce qui participe aussi à susciter de l’incertitude. Puis

260
Prendre des responsabilités au sein de la coopérative

il stabilise les savoirs, rédige une trace écrite que les enfants notent et termine
cette séance par un exercice immédiat de mise en œuvre, corrigé rapidement pour
que chacun dispose d’un retour sur compréhension (une rétroaction).
Ainsi, alors qu’une équipe consiste à vivre longtemps pour essayer de se
mettre d’accord, un groupe est temporaire, rapide et chercher à susciter des
désaccords, parce qu’il vise surtout les compréhensions individuelles.

261
5
La prévention des violences

D ANS UN CERTAIN NOMBRE D’ÉCOLES, IL A ÉTÉ CHOISI DE PERMETTRE AUX


enfants d’évoluer sans que les adultes soient des tuteurs. Les enfants
peuvent s’engager et, dans l’action, par échecs et réussites, se former leur colonne
vertébrale de futur citoyen, de futur adulte. En somme, beaucoup de fonctions
traditionnellement occupées par des adultes le sont par des élèves. Au sein de
nombreuses cours d’écoles primaires, les élèves se chamaillent et quand rien n’est
fait, la seule solution qui se présente à eux reste la violence, ce qui, au passage,
peut valoir à certains égards la fuite ou la soumission. Si les adultes n’apportent
pas une culture du recours non violent pour le traitement des conflits, on ne peut
pas attendre que cela provienne des enfants. Il n’est donc pas étonnant de consta-
ter que des enfants apprennent à devenir violents à l’école, simplement parce que
cela correspond à la solution la plus immédiate pour régler ses différends et
exister dans son groupe d’appartenance.
C’est pour prévenir les conflits plutôt qu’avoir à gérer les violences qui peuvent
en émaner que nous présentons les dispositifs pédagogiques qui suivent. Qu’en
est-il du côté des concepts mobilisés ?
• La violence peut être objective lorsqu’elle détruit physiquement ou psycholo-
giquement des personnes, mais aussi symbolique lorsqu’elle attaque les
liens entre les individus. Il y a violence quand, dans une situation d’interac-
tion, un ou plusieurs acteurs agissent de manière directe ou indirecte,
massée ou distribuée, en portant atteinte à un ou plusieurs autres à des
degrés variables soit dans leur intégrité physique, soit dans leur intégrité
morale, soit dans leurs possessions, soit dans leurs participations symbo-
liques et culturelles. La violence n’est pas une série de faits observables
extérieurement, elle est d’abord une violence ressentie. Elle peut n’être res-
sentie comme telle que par celui qui en souffre (Éric Debarbieux – 2001). Il
faut distinguer la violence objective de la violence d’attitude. La violence
objective correspond aux agressions, aux atteintes corporelles contre les per-
sonnes et les biens, les faits et les gestes considérés comme délinquants car
contraires à la loi. La violence d’attitude est de l’ordre des brimades, des
attitudes d’exclusion, de refus ou d’inertie. Elle est aussi faite d’incivilités,

263
La coopération du point de vue des relations

d’agressions verbales ; c’est elle qui parasite le climat et qui est souvent à
la racine des phénomènes de violence plus radicale.
• Les incivilités correspondent à un manque de politesse, un non-respect des
bienséances. C’est un ensemble de petits désordres de la vie quotidienne.
Elles correspondent à des écarts par rapport à la norme sociale.
• L’agressivité s’exprime sous forme d’énergie vitale, de force mais aussi de
pulsions. Elle fournit la combativité, le dynamisme pour grandir, penser, agir,
se nourrir et alerte de l’état de tension interne.
Agressivité
La violence n’est qu’une forme objective que peut
prendre l’agressivité. L’agressivité ressentie
signale un état de malaise, de déplaisir face à
une situation désagréable. Elle peut être utilisée
Combativité Violence
par l’individu qui la transforme en dynamisme
pour modifier la situation. En revanche, si cet
individu ne détecte pas la tension ou ne sait pas
la métamorphoser en énergie positive, l’agressi-
vité se libérera plus ou moins violemment afin que l’organisme retrouve son
niveau de tension moindre.
• Un conflit peut s’entendre comme une opposition matérielle ou morale. Il
apparaît lorsque plusieurs personnes ne sont pas d’accord. Un conflit non
réglé peut provoquer de la violence.

Des messages clairs pour régler ses conflits

« Après quelques mois, j’ai constaté que l’utilisation du message clair restait une pratique
de quelques enfants seulement, mais les enfants n’ont que 8, 9 et 10 ans ! Par ailleurs,
les modèles d’adultes qui utilisent cette forme dans la communication interpersonnelle ne
pleuvent pas. Quand je vois les enfants intégrer les messages clairs dans leur vie quoti-
dienne, j’ose espérer qu’ils garderont cette habileté jusqu’à l’âge adulte, dans l’espoir que
leurs relations soient plus harmonieuses 1. »

Du moment où les enfants ont quelques libertés, ils en viennent naturellement


à rencontrer des différends avec leurs copains et copines. Ces petites histoires
naissent dans la classe, dans la cour ou même proviennent de sombres jeux mal
achevés en dehors de l’école. Au début, lorsque rien de précis n’est mis en place,
tout ceci peut se terminer par des insultes, des coups, les plus forts qui emportent
le morceau, des enseignants de service heureux de voir la récréation se terminer
et des parents qui viennent à la sortie de l’école régler « à leur façon » ce qui est
resté en suspens.

1. JASMIN D., Le conseil de coopération, Éditions de la Chenelière, Montréal, 1993, p. 70.

264
La prévention des violences

Le souci est alors de permettre aux enfants de sortir de ces petites querelles
par eux-mêmes, de manière qu’ils développent des aptitudes pouvant aussi être
employées dans d’autres lieux et d’autres moments que ceux de l’école. Il s’agit
également d’évacuer la notion même de victoire ou de vainqueur dans un conflit
et de susciter la satisfaction d’aboutir à un authentique compromis où chacun
peut trouver une place lui permettant de ne pas entrer dans la spirale de la
violence. Les travaux de Danielle Jasmin conduisent vers ce qu’elle appelle les
« messages clairs 2 ». Un message clair est une petite formulation verbale entre
deux personnes en conflit : une victime, qui se reconnaît comme ayant subi une
souffrance, et un persécuteur identifié par la victime comme étant la source de ce
malaise. Il part du principe que si l’on souhaite sortir d’un problème relationnel,
il vaut mieux s’attacher aux solutions qu’aux raisons qui en sont la cause. Ainsi,
un message clair ne conduira pas des enfants à rechercher le pourquoi de ce qui
les oppose. En revanche, il préférera orienter leur discussion vers des idées qui
pourraient résoudre le différend.
De manière précise, ce message clair s’énonce ainsi :
1. « Ce que tu m’as fait m’a fait souffrir et je vais te faire un message clair. »
2. « Quand tu… » La victime explique ce qui s’est passé.
3. « Ça m’a… » Elle exprime avec des mots les émotions qu’elle a ressenties.
4. « Est-ce que tu as compris ? » La victime demande au persécuteur si le
message était bien clair et, par là même, s’il est d’accord pour ne plus
recommencer voire s’excuser.
Un message clair se veut donc une rencontre non violente entre deux per-
sonnes en conflit qui vont être amenées à se dire d’abord ce qui, dans les faits,
a été la cause de la souffrance et ensuite les sentiments que ces faits ont produits
(« ce que ça fait dans les cœurs »). Il est possible de renforcer les messages clairs
en ajoutant une phase d’énoncé du besoin altéré et une autre formulant une
demande de réparation 3.
Lorsque celui qui est identifié comme le persécuteur accepte le message clair
(« Oui, j’ai compris », « Je m’excuse », « Je n’aurais pas dû te faire ça »…), le conflit
est très souvent résolu et rapidement oublié. Lorsqu’en revanche, ce persécuteur
refuse le message clair (« Je ne suis pas d’accord », « Oui, mais toi tu m’avais fait
ça », moqueries, rires…), la victime est alors en droit de déposer un problème au
conseil, ou même de solliciter un adulte pour tenter de régler le problème.

2. Ibidem.
3. Voir au sujet de la communication non violente, ROSENBERG MARSHALL B., Les mots sont des
fenêtres, Syros, 1999.

265
La coopération du point de vue des relations

Dans les faits, même si cela s’adresse à des enfants initiés, environ trois quarts
des conflits peuvent être résolus à travers ces messages clairs. Ces réussites
tiennent à deux facteurs. Pour la victime, c’est l’occasion de voir sa souffrance
prise en compte et donc de se sentir soulagée d’avoir pu honnêtement exprimer
ce qui lui faisait mal. Pour le persécuteur, c’est un moment important : d’une part,
parce qu’il va avoir la possibilité de prendre conscience que l’une de ses attitudes
a pu entraîner une souffrance et, d’autre part, parce qu’il va pouvoir marquer son
regret. À l’inverse, lorsqu’un message clair n’aboutit pas positivement, sa tentative
permet au moins de situer les échanges dans la parole qui devient alors un tiers
médiateur sur lequel les enfants peuvent s’appuyer en lieu et place des agressions
physiques.
Une des principales conditions pour qu’un message clair puisse être utilisé
efficacement est qu’il s’adresse à des enfants sensibilisés. Il est donc indispen-
sable d’organiser de petites formations. Elles consistent à ce que chacun découvre
d’abord ce qu’est le message clair (le plus souvent une simple démonstration
suffit), sache ensuite dans quelles situations il peut être employé (ni pour des
« tas de sables 4 », ni pour des problèmes importants) et enfin en maîtrise la
formulation (la double acception « ce qui s’est passé – les émotions ressenties »).
Il est donc indispensable que les enfants disposent d’un vocabulaire de base pour
exprimer leurs émotions, c’est pour cela qu’un travail spécifique en amont est
souvent nécessaire. Concernant la formulation du message clair, les jeux de rôles
et théâtres forums permettent aux enfants de s’investir pour s’essayer de manière
fictive à la démarche. À la suite de cette courte séance, certains enfants parmi les
plus compétents peuvent devenir des « maîtres-messages-clairs » au service de
ceux qui n’y parviennent pas encore par eux-mêmes.
Ces messages clairs se déroulent sans la présence de l’adulte et, en fonction
de ce qui se décide dans chaque classe, notamment à travers le conseil, ils
peuvent se faire pendant les récréations ou lors des moments de classe, dans le
couloir. C’est au terme du message clair que celui qui l’a énoncé détermine si le
différend est réglé ou pas. Si l’enfant à qui il s’adressait rigole, se moque de lui,
ne le respecte pas, recommence ce qui lui est reproché ou même conteste les
faits, utilise le fréquent « oui mais toi… », la situation s’arrête et se poursuit géné-
ralement par un problème déposé dans le journal mural de la classe, ce qui don-
nera lieu à une prise de parole lors du prochain conseil.
Il arrive aussi que quelques enfants viennent nous faire un message clair ou
même, qu’à notre tour, nous en fassions un à quelqu’un à la suite d’un problème
relationnel. Quand on n’y est pas habitué, ce sont des situations assez particu-
lières à vivre mais qui permettent aux enfants d’entrer dans une relation de res-
pect mutuel et de coopération.

4. Des petites histoires pouvant être réglées sans l’aide d’une autre personne ou du conseil.

266
La prévention des violences

dépité
bouleversé désespéré contrarié démoralisé
attristé furieux fâché écœuré horrifié fâché
déçu démuni mécontent amer détaché Dégoût anéanti
Tristesse excédé énervé aigri dégoûté fatigué
blessé abattu triste malheureux agacé Colère à bout désemparé
chagriné de mauvaise humeur
désolé affligé las accablé irrité consterné vexé
déprimé exaspéré en colère fragile
agité ulcéré effrayé
coupable alarmé crispé terrifié méfiant
ennuyé honteux anxieux Peur apeuré
abaissé confus DES MOTS POUR DIRE SES ÉMOTIONS craintif inquiet insatisfait
gêné jaloux angoissé atterré
défait Honte humilié choqué déstabilisé
bouleversé
déchu indigne dégradé désorienté
stimulé électrisé
secoué embar-
émerveillé ébahi
rassé léger
fasciné ébloui effaré
abasourdi captivé vivifié vivant
Surprise excité rassuré libre
de bonne humeur
amusé sidéré sceptique encouragé reconnaissant
remonté admiratif réjoui
intrigué détendu attendri passionné rassasié enchanté
revigoré joyeux content
enthousiaste Joie confiant intéressé amusé Amour
serein satisfait étonné hilare ému optimiste paisible béat
impatient apaisé surpris touché comblé ému aux anges
calme enjoué stupéfait curieux en effervescence charmé
gai délivré heureux soulagé amoureux ravi
décontracté bien disposé en sécurité
submergé de joie
égayé

Compte rendu de messages clairs enregistrés


Message clair 1 :
Jérémy – « Je veux te faire un message clair. (Les deux enfants se lèvent et vont dans
le couloir). Ce que tu m’as fait m’a fait souffrir, je vais te faire un message clair. Tout
à l’heure, tu m’as demandé de t’aider pour la fiche de géométrie et j’ai dit oui. Mais
maintenant tu fais que rigoler et t’écoutes pas ce que je te dis. Moi ça me met en
colère et j’ai envie que tu t’arrêtes parce que j’ai autre chose à faire et je crois que
tu te moques de moi. As-tu compris ? »
Ridoine – « Oui, j’ai compris. »
Message clair 2 :
Mennana – (En remontant de la récréation) « Ce que tu m’as fait m’a fait souffrir. Je
vais te faire un message clair. C’était pendant la récréation, t’arrêtais pas de me dire
Mezzaza, Mezzaza et moi ça m’énerve. Je t’ai demandé d’arrêter mais tu continuais.
Moi ça me donne envie de me moquer de toi aussi et de te dire un autre surnom et
ça me fait de la peine parce que mon prénom, c’est Mennana et c’est ma maman qui
l’a choisi. As-tu compris ? »
Thaleb – « Oh la la ! Et toi t’as vu ce que t’as fait ? Tu dis à toutes les autres que
j’aime Fatima et c’est pas vrai alors là je crois que tu ferais mieux de te taire là ! »
Mennana – « Ça, c’est n’importe quoi et j’en parle au conseil. »

267
La coopération du point de vue des relations

« À quoi te servent les messages clairs ? »

« Moi, ça me sert parce que j’arrive à régler mes petits problèmes. » (Chris – 9 ans)
« Pour moi, un message clair sert à régler un problème qui n’est pas très dangereux.
Ça sert aussi à ne pas passer par le conseil et donc à ne pas se servir des sanc-
tions. »
(Arslan – 9 ans)
« Le message clair sert à régler les conflits. Quand deux élèves créent un conflit,
au lieu de passer à la violence physique ou morale, ils font un message clair. Les
élèves qui n’y arrivent pas appellent un maître-message-clair puis essayent de
régler le conflit. » (Thaleb – 10 ans)
« Ça sert à régler les problèmes sans les maîtres. On apprend à trouver des solu-
tions tout seul. » (Ichem – 8 ans)
« Un message clair sert à régler les problèmes en parlant. Au lieu de se battre, on
dit ce qu’on a dans le coeur au moment de la dispute. » (Mennana – 10 ans)
« Les messages clairs servent à régler des problèmes, à se sentir bien dans son
cœur et à ne plus recommencer. » (Jérémy – 9 ans)
« Pour moi, les messages clairs m’aident à régler les problèmes pour que ça se
passe mieux. » (Fatima – 9 ans)

Exemple de fiche d’entraînement aux messages clairs

Question 1 : que faut-il choisir pour chacune des situations suivantes ?


1. Ne rien faire.
2. Faire un message clair.
3. En parler au conseil.
4. Prévenir tout de suite un adulte.

Situations :
□ Mon métier, c’est responsable du rang, et un élève ne m’écoute jamais.
□ Plusieurs enfants me menacent.
□ Plusieurs enfants me rackettent.
□ Plusieurs enfants ne veulent pas que je joue avec eux.
□ Quelqu’un embête ma petite sœur et elle me le dit.
□ Un adulte entre dans l’école et frappe un enfant.
□ Un élève rigole avec un autre.
□ Un enfant apporte à l’école un objet très dangereux.
□ Un enfant fouille dans mon cartable et prend ma calculette.

268
La prévention des violences

□ Un enfant insulte violemment ma famille.


□ Un enfant me bouscule et ne s’excuse pas.
□ Un enfant me bouscule sans faire exprès et s’excuse.
□ Un enfant me demande du goûter pour la 10e fois.
□ Un enfant me demande du goûter.
□ Un enfant me dit un diminutif (ex. « Tom » si je m’appelle Thomas)
□ Un enfant me gêne pour travailler.
□ Un enfant m’appelle par mon surnom.
□ Un enfant me raconte une blague.
□ Un enfant menace un petit et je le vois.
□ Un enfant n’arrête pas de m’embêter.
□ Un enfant s’amuse à pousser d’autres enfants dans les escaliers.
□ Un enfant se moque de moi après que je lui ai fait plusieurs messages clairs.
□ Un enfant se moque de moi.
□ Un enfant tombe, pleure beaucoup et semble avoir très mal.

Question 2 : quel est le message clair qui convient à ces situations ?


□ Un enfant me parle et me donne un surnom.
□ Un enfant se moque de moi.
□ Un enfant n’arrête pas de m’embêter.
□ Plusieurs enfants ne veulent pas que je joue avec eux.
□ Un enfant me demande une nouvelle fois du goûter et je n’en ai presque plus.
□ Un enfant me bouscule et ne s’excuse pas.
□ Un enfant me gêne pour travailler.
□ Un enfant se moque de ma famille.

Des enfants médiateurs pour les cours de récréation

Il est possible de renforcer la pratique des messages clairs en préparant les


élèves à la médiation, une nouvelle voie à forte concentration éducative pour
traiter les conflits autres que par la sanction. Il ne s’agit pas de proposer des
médiations en tant qu’adulte aux enfants, mais bien de permettre à des élèves
d’en effectuer eux-mêmes. Il est en effet question de confier à des enfants des
stratégies pour fluidifier les relations, pacifier les échanges et les rencontres afin,
d’une part, de leur apporter un terrain d’exercice éducatif et émancipateur et,
d’autre part, d’alléger la tâche de surveillance des enseignants pour les rendre
plus disponibles aux questions d’apprentissages et de didactique. Le rôle du
médiateur consiste simplement à proposer une tentative de désamorçage des
tensions avant que celles-ci ne deviennent trop fortes et ne se transforment en
faits de violence. Le médiateur doit être sollicité de manière responsable au
moment où l’on sent que si rien ne se passe, un coup ou une insulte risquent de

269
La coopération du point de vue des relations

surgir. Grâce à la médiation, la victime se sent écoutée et respectée. Le persécu-


teur est également entendu et a la possibilité de proposer une réparation compen-
sant l’offense. Une médiation réussie permet un retour à la normale. Une
médiation qui échoue renvoie la situation aux enseignants qui activent leur fonc-
tion de rappel de la loi et éventuellement font intervenir une sanction. Un média-
teur doit être dans la cour un enfant comme les autres, mais reconnu par ses
pairs comme en mesure de les aider si nécessaire. Les enseignants sont toujours
présents mais n’interviennent qu’après le travail des médiateurs.
On appelle médiation par les pairs le processus qui permet, lors d’un conflit,
l’intervention de jeunes de même statut mais extérieurs et formés, pour dépasser
le rapport de force et trouver une solution sans perdant ni gagnant.

Qu’est-ce qu’un médiateur ? 5

C’est un passeur qui va aider à recréer des liens, rétablir une communication coupée
en redonnant confiance, en introduisant du temps et de l’espace entre deux per-
sonnes en conflit.

Il ne prend pas parti, il ne juge pas, mais il aide à trouver une solution aux diffi-
cultés.

Il n’oblige personne à venir le voir, mais propose son aide dans un esprit de respect
mutuel.

Il est là pour écouter il s’intéresse aux problèmes, donne son attention et son temps
et demande en échange de la bonne volonté.

Il ne rapporte pas ce qui lui est dit il est discret et a droit à toutes les confiances.

Il fait le maximum pour aider mais ne peut pas forcément trouver une réponse à
tous les problèmes. Il n’est pas magicien, ne pas lui demander l’impossible. La
véritable solution est entre les mains des personnes qui sont en opposition.

Il semble que seuls des élèves de cycle III soient en mesure de devenir média-
teurs, tout du moins au regard de ce que nous entendons par médiation. Au
début de la campagne de recrutement, des publicités sont affichées, un appel à
candidature est lancé. Parmi les volontaires, on ne retient qu’un nombre d’enfants
équivalent à ce que la formation peut supporter. Ceux-ci manifestent le désir de
devenir médiateurs et pour cela, de recevoir une formation sanctionnée par un
brevet. À noter que, pour la plupart d’entre eux, ces élèves ne sont ni les meilleurs

5. DIAZ B., LIATARD-DULAC B., Contre violence et mal-être – La médiation par les élèves, Nathan
pédagogie, Paris, 1998, p. 63.

270
La prévention des violences

des classes, ni « les plus sages » ; ce sont souvent des enfants en mal avec la
gestion de leurs propres conflits ou d’autres qui ont l’habitude de rendre des
services à l’école pour son bon fonctionnement. La formation est pensée sur qua-
torze séances de trois quarts d’heure chacune, par exemple sur les temps d’aide
individualisée ou d’accompagnement éducatif.

RÉSUMÉ POUR LA REFORMULATION DES MESSAGES CLAIRS

MESSAGES CLAIRS
1 – « Quand tu… » : on explique ce qui s’est passé
2 – « Ça m’a fait… » ou « Ça m’a rendu… » : on décrit ses
sentiments, ce que ça fait dans le cœur

REFORMULATION
1 – « Si j’ai bien compris… » : on répète avec ses mots ce qu’on
a compris
2 – « Est-ce que c’est ça ? »
3 – Si ce n’est pas ça, on demande une nouvelle explication et
on refait la reformulation (jusqu’à ce que cela soit bon)

Résumé pour la reformulation et les messages clairs

Dans les faits, les médiations gagnent à se dérouler à l’abri du regard des
autres enfants de l’école, le mieux est de réserver une salle à cet effet. Les ensei-
gnants n’assistent pas aux médiations, confidentialité oblige, mais ils ne sont
jamais très loin et peuvent être sollicités à tout moment par les médiateurs si les
choses se passent mal. Tous les enfants médiateurs de l’école ne sont pas de
service de médiation en permanence. Afin de leur permettre aussi de profiter
pleinement de leurs temps de pause, il est possible de leur organiser un tableau
de services par roulements. Pour chaque médiation, deux médiateurs sont pré-
sents : ils se font face, comme les enfants en conflit. Un médiateur A anime
les échanges au regard du processus de médiation qu’ils ont découvert lors des
formations, un médiateur B est chargé des reformulations. En fin de médiation,
une fois trouvée une solution convenant à tous les partenaires, celle-ci est notée
sur un cahier, seule trace de la résolution du conflit.
Au final, la plupart des enfants participant aux formations deviennent média-
teurs, quelques-uns choisissant d’abandonner la formation en cours de route.
Aux premiers temps de présence des enfants médiateurs, on rencontre quelques
difficultés liées au fait que la plupart des élèves de l’école, désireux de savoir
exactement de quoi il s’agit, n’hésitent pas à simuler des conflits pour avoir affaire

271
La coopération du point de vue des relations

à des médiateurs. Mais au bout de quelques semaines, les effets commencent


généralement à se faire sentir, par la baisse des demandes de médiation et surtout
par la quasi-disparition des situations de violence dans l’école. En fin d’année,
une « fête des médiateurs » peut être organisée où, en présence par exemple
d’officiels et de médias locaux, les enseignants soulignent aux yeux des enfants
la force de l’engagement citoyen dont ils font preuve en tentant de résoudre leurs
problèmes de cette manière.

Comment faire une médiation ?


Processus utilisé par les enfants médiateurs

1 – On propose la médiation
« Est-ce que vous voulez qu’on vous aide ? »

2 – On conduit les personnes concernées à l’écart


Tout le monde s’assoit en cercle.
Le médiateur A est l’animateur de la médiation.
Le médiateur B est le reformulateur de la médiation.
3 – On explique la médiation
Les médiateurs présentent le contrat « Nous sommes d’accord pour vous proposer
la médiation à condition que vous nous aidiez :

– mettre de la bonne volonté à trouver une solution ;


– ne pas interrompre – chacun parle à son tour et l’autre écoute ;
– ne pas insulter ;
– ne pas se battre physiquement ;
– être aussi honnête que possible ;
– ne pas répéter dehors ce qui sera dit.

Acceptez-vous ce contrat ? »

4 – Premier message clair


Message clair du premier demandeur. Le second écoute.

5 – Reformulation du premier message clair

6 – Second message clair


Message clair du second demandeur. Le premier écoute.

7 – Reformulation du second message clair

8 – On recherche des solutions


« Qu’est-ce qu’on peut faire pour que ça se passe mieux ? »

272
La prévention des violences

9 – On discute et on recherche un accord

10 – Conclusion de la médiation
Le médiateur B reformule la solution trouvée. Le médiateur A demande si cela
convient à tout le monde. Le médiateur B inscrit la solution sur le contrat de
médiation.

11 – Fin de la médiation
Les demandeurs et les médiateurs signent le contrat de médiation.
Les médiateurs proposent aux demandeurs de se serrer la main.
Le contrat de médiation est conservé dans le cahier de médiation.

Plan de formation à la médiation par les pairs 6

Dans un premier temps, cette formation les conduit vers une découverte de
l’idée de non-violence, notamment à partir de l’étude de personnages comme
Gandhi ou Martin Luther King. Au départ, rien n’est gagné parce que beaucoup
disent que la seule manière de répondre correctement à la violence est la violence,
histoire de ne pas perdre la face. Une fois l’alternative non violente comprise, de
nombreux participants l’envisagent comme une solution équitable pour la résolu-
tion des conflits. Cela permet d’entrer dans la seconde partie de la formation :
l’entraînement aux techniques de médiation – les messages clairs, les reformula-
tions et les recherches de consensus. Faire une médiation, dans une écoute
mutuelle, c’est d’abord décrire correctement la situation, ensuite exprimer les sen-
timents éprouvés et enfin tenter de trouver dans la coopération un consensus où
personne n’est perdant mais où tout le monde est gagnant. Les enfants
s’entraînent à ces techniques, par l’intermédiaire de jeux de rôles qui les mettent
alternativement et de manière fictive dans la peau de la victime, du persécuteur
ou du médiateur.

Première partie : devenir médiateur


Objectifs : définir et comprendre les violences, s’interroger sur ses propres violences,
comprendre la fonction de médiateur.
– Séance 1 :
Étape 1 : présentation des personnes (10’).
Jeu de reconnaissance corporelle. Consigne : « Les yeux fermés, essaye de découvrir
qui est en face de toi en lui touchant le visage. »

6. CONNAC S., La formation d’enfants médiateurs – L’exercice de la non-violence au service de


la coopération à l’école, ICEM34, 2004.

273
La coopération du point de vue des relations

Étape 2 : présentation de la formation (5’).


Objet de la formation – Méthodes utilisées – Critères de présence – Brevet de
médiateur.
Étape 3 : émergence des représentations : description de situations violentes (10’).
Consigne : « Écris ou dessine une situation où tu as vu ou entendu de la violence. »
Étape 4 : exploitation des représentations (15’).
Consigne : « Quelle violence voit-on dans cette situation ? »
– Séance 2 :
Étape 1 : les fondements de la lutte contre la violence : doit-on interdire la violence ?
Débat (20’). Consigne : « Qui a quelque chose à dire ? » Voir fiche des maîtres-mots
de la présidence.
Étape 2 : un exemple : Martin Luther King contre l’oppression des noirs aux États-
Unis d’Amérique. Présentation de la vie, de l’œuvre de paix de cet homme et de sa
conception de la non-violence à partir de la bande dessinée Martin Luther King et
d’un extrait du livre La non-violence expliquée à mes filles de Jacques Sémelin.
Lecture individuelle (5’) + lecture collective des adultes (5’) + réactions (10’).
– Séance 3 :
Étape 1 : définition des concepts de « conflit » et « violence ».
a – Brainstorming sur les mots « violence » et « conflit ».
Consigne : « Dites tout ce qui vous passe par la tête lorsqu’on vous dit ce mot. »
b – Recherche en petits groupes.
Consigne : « Donnez une définition de ces deux mots. »
c – Synthèse des définitions et élaboration des définitions communes.
Étape 2 les solutions « naturelles » face à la violence : fuir, se rabaisser, être violent
ou rechercher de l’aide, à partir des situations initiales données. Présentation et
échanges.
– Séance 4 :
Étape 1 : étude d’une situation de conflit Sauveur
(voir document). Lecture, consignes 1 et
2. Travail individuel, en petit groupe puis Médiateur
collectivement.
Étape 2 : présentation du triangle du
conflit, puis des positions de victime, Victime Persécuteur
persécuteur et sauveur.
Étape 3 : consignes 3, 4 et 5. Travail individuel, en petit groupe puis collectivement.
Étape 4 : reprise de la situation avec l’alternative d’une médiation. La scène est pré-
sentée théâtralement par les adultes.
Étape 5 : exploitation de la saynète.
Consigne : « Que nous apprend ce que vous venez de voir sur ce que doit faire un
médiateur ? »
Étape 6 : présentation de la fonction de médiateur.
Voir document : « Qu’est-ce qu’un médiateur ? »

274
La prévention des violences

Deuxième partie : les techniques de la médiation


Objectifs : reformuler oralement l’énoncé d’une situation, énoncer un message clair
et savoir l’expliquer, connaître le processus de la médiation
– Séance 5 :
Étape 1 : la déformation de l’information dans la reformulation.
Consigne : 4 élèves sortent de la pièce et 1 écoute une histoire racontée. Il devra à
son tour la raconter à un enfant qui se trouvait dehors et ainsi de suite jusqu’au
dernier.
Récit : « Marco est un chasseur d’ours. Il en cherche un depuis 5 heures. Derrière un
arbre rouge, il aperçoit un ours blanc. Il prend son fusil de la main gauche et tient
ses jumelles de la main droite. Il tire mais la balle touche le tronc. L’ours s’enfuit et
Marco est furieux. »
Étape 2 : la reformulation : qu’est-ce que c’est et à quoi ça sert ?
En fonction de ce qui vient de se passer, expliquer que la reformulation consiste à
répéter avec ses mots ce que l’on a compris de ce que vient de dire l’autre, jusqu’à
ce que ce dernier se reconnaisse dans ce qu’il a vécu. La reformulation sert à ce que
l’autre se sente entendu par un tiers.
Étape 3 : entraînement à la reformulation.
Consigne : « Reformulez les situations que je vous énonce. »
En petits groupes, les enfants reformulent les situations énoncées par un adulte avant
d’en faire une analyse.
– Séance 6 :
Étape 1 : le message clair : qu’est-ce que c’est et à quoi ça sert ?
Présentation d’un message clair qui correspond à une agression.
Consigne : « À quoi sert un message clair pour la victime et le persécuteur ? »
Éléments de réponses : pour la victime, le message clair sert à la soulager et à faire
la paix. Pour le persécuteur, il sert à comprendre la portée de ses actes (en quoi les
actes ont été source de souffrances) et à faire la paix.
Étape 2 : le processus du message clair.
a – Description de l’agression (on explique ce qui s’est passé : « Quand tu… »).
b – Expression des émotions (on décrit ses sentiments, ce que ça fait dans le cœur :
« Ça m’a fait… » ou « Ça m’a rendu… »).
Étape 3 : entraînement aux messages clairs.
À partir de situations précises, formuler un message clair (voir les situations dans le
document « Entraînement aux messages clairs »).
– Séance 7 :
Étape 1 : construction du puzzle.
Consigne : « Découpez puis mettez dans l’ordre les onze étapes suivantes d’une
médiation » (voir document : « Processus de la médiation »).
Étape 2 : présentation des productions. Les groupes comparent leurs classements
puis recherchent celui qui semble le plus cohérent.
Étape 3 (si nécessaire) : présentation et explication du processus de médiation (voir
le document sur le processus de la médiation).

275
La coopération du point de vue des relations

Troisième partie : l’entraînement à la médiation


Objectifs : effectuer des médiations fictives, clarifier les rôles des deux médiateurs,
s’exercer.
Toutes les séances de cette partie consistent à effectuer des jeux de rôles et à analy-
ser l’action des enfants qui y ont participé. Le jeu de rôle est une technique d’anima-
tion qui permet aux personnes de s’exercer physiquement à des situations données,
de s’essayer, afin que le groupe dans son entier puisse ensuite en faire une analyse
voire une évaluation. À chaque séance et après avoir présenté succinctement ce dont
il sera question, les enfants sont répartis en petits groupes. Une moyenne de trois
études de cas est abordée par séance (voir le document « Études de cas »). Pour
chacune, il y a quatre acteurs : le médiateur A et le médiateur B ainsi que les deux
personnages en conflit. Une fois que les rôles sont distribués et qu’ils sont tous bien
compris, les acteurs commencent leur saynète. Les médiateurs interviennent quand
ils le souhaitent. On ne joue pas toute la médiation, mais on arrête le jeu de rôle au
moment visé pour la séance. Par exemple à la séance 9, les acteurs arrêteront la
médiation une fois les messages clairs reformulés. La suite consiste en une analyse
de ce qui vient d’être vécu d’abord par les enfants et ensuite par l’adulte présent.
– Séance 8 :
Étape 1 : la proposition de la médiation.
Étape 2 : l’organisation de la médiation.
– Séance 9 :
Étape 1 : les messages clairs.
Étape 2 : les reformulations.
– Séance 10 :
Étape 1 : la recherche de solutions et la conclusion.
Étape 2 : organisation de l’expérience pratique – choix des médiateurs-tuteurs.
Coupure de 5 semaines pour l’expérience pratique.
– Séance 11 : compte rendu et analyse des expériences pratiques – déontologie du
médiateur.
– Séance 12 : entraînements à la médiation – études de cas par la simulation.
– Séance 13 : entraînements à la médiation – études de cas par la simulation.
Quatrième partie : évaluation de la formation et épreuve du « brevet de médiateur »
Objectifs : évaluer la formation de médiateur, évaluer les aptitudes des candidats à
la médiation.
– Séance 14 : À la fin de la médiation, seuls pourront devenir médiateurs les enfants
qui auront rempli les critères suivants :
–accepter de devenir médiateur ;
–avoir participé à l’ensemble de la formation ;
–penser qu’il est possible de régler les conflits autrement que par la violence ;
–savoir écouter puis reformuler une situation décrite par quelqu’un ;
–savoir énoncer les différentes étapes de la médiation.

276
La prévention des violences

Une situation de conflit

Moment 1 :
Jerry, 8 ans, et Tom, 8 ans et demi, sont des élèves de l’école. Ils sont en récréation.
Hier, Tom a donné un peu de son goûter à Jerry. Aujourd’hui, Jerry en demande une
nouvelle fois, mais Tom ne veut plus lui en donner. Jerry lui répond en lui disant
« T’es qu’un radin ! » Tom se met à pleurer.
Moment 2 :
Anita, la grande sœur de Tom, s’approche et menace Jerry : « Si tu recommences à
lui demander du goûter, je te mets une gifle ! »
Moment 3 :
Romuald, le grand frère de Jerry, arrive derrière Anita et lui donne un violent coup
de pied. Anita se retourne et envoie un coup de poing dans la figure de Romuald.
Tom et Jerry se jettent l’un sur l’autre et se frappent.

– Consigne 1 : explique quel est le conflit.


– Consigne 2 : y a-t-il de la violence ? Où ? Pourquoi ?
– Consigne 3 : dans le moment 1, qui est victime et qui est persécuteur ? Pourquoi ?
– Consigne 4 : dans le moment 2, qui est sauveur ? Pourquoi ?
– Consigne 5 : dans le moment 3, quelle est la place de Romuald : victime, persécu-
teur ou sauveur ? Pourquoi ?

Études de cas utilisées pour la formation des enfants médiateurs

Situation Personnage 1 (persécuteur) Personnage 2 (victime)

1. Bagarre dans la cour à Thomas a 10 ans. Il vient de Maxime a 9 ans. Thomas vient
cause d’un vol de billes voler les billes de Maxime et il de lui voler 4 billes et il se bat
se bat avec lui parce qu’il ne avec lui pour les récupérer.
veut pas les lui rendre.

2. Insultes sur les parents Claude, en colère contre Dominique, un copain de


Dominique, le traite de « fils Claude, se dispute avec lui
de pute ». parce qu’il s’est fait traiter de
« fils de pute ».

3. Regards interdits sous les Jack, pour s’amuser, escalade John est en train d’uriner dans
portes des toilettes les murs des toilettes pour les toilettes et il s’aperçoit que
regarder John en train d’uriner. Jack le regarde par-dessus le
mur.

4. Bagarre à cause des jours Mariam grimpe sur le château Nisrine hurle sur Mariam
de château alors que ce n’est pas son jour. (« Dégage de là ! ») pour
Elle se fait « sortir » par qu’elle descende du château
Nisrine qui lui dit : « Dégage alors que ce n’est pas son jour.
de là ! »

277
La coopération du point de vue des relations

Situation Personnage 1 (persécuteur) Personnage 2 (victime)

5. Bagarre à cause d’un Mohamed s’amuse à prendre Fatima ne supporte plus que
chapeau le chapeau de Fatima et à le Mohamed s’amuse avec son
lancer comme un frisbee. Il se chapeau. Elle se jette sur lui et
fait taper par Fatima qui en a le frappe en lui donnant des
marre. coups de poing.

6. Bousculade dans les En descendant les escaliers, Nicolas menace de taper


escaliers Sofiane bouscule un CP et le Sofiane parce qu’il a bousculé
fait tomber. Nicolas, le grand son petit frère dans les
frère du CP, vient le voir et le escaliers.
menace.

7. Menaces à la sortie Karim demande des billes à Driss a perdu des billes en
Driss en pensant qu’il les lui a jouant contre Karim. Il refuse
volées. Driss ne veut pas. de les lui donner mais il se fait
Karim le menace de le frapper menacer à la sortie.
à la sortie.

8. Perte d’un ballon Aïssa se jette sur David pour le David, en jouant au foot, sans
taper parce que David a quillé faire exprès, a quillé le ballon
son ballon sur le toit de d’Aïssa sur le toit de l’école.
l’école. Aïssa veut le taper.

Face à une situation « crisique » – la gestion des faits de violence

Les pratiques des messages clairs et de la médiation sont des dispositifs claire-
ment préventifs, ils tendent à régler les conflits en amont des violences. La réalité
des classes, surtout lorsque leur culture ne s’est pas suffisamment construite,
s’avère parfois peu propice à de telles issues non violentes. Des enfants et des
jeunes peuvent rapidement en venir aux mains pour tenter de résoudre par la
force une difficulté. Pour les autres, la fuite ou la soumission peuvent représenter
les seules sorties possibles. L’enseignant, au milieu de ces contextes extrêmement
sensibles, doit intervenir, même si objectivement, peu de solutions se présentent
à lui. C’est ce que l’on appelle des situations crisiques, la rencontre de conditions
qui font que tout ce que l’on pensait d’humaniste en termes d’éducation ne
semble plus pouvoir se justifier ni même parvenir à contribuer au rétablissement
de la sérénité entre les personnes. Pourtant, notre statut nous oblige à intervenir.
Mais comment ? Dans quelle direction ? Avec quelles intentions et quels risques ?
De manière générale, ni l’escalade de la violence, ni la démission de l’adulte ne
sont des réponses à l’acte violent. Au contraire, elles le subliment et interdisent
encore plus des sorties positives du conflit. De même, ne rien faire après l’acte
violent, c’est donner l’impression à l’enfant ou au jeune qu’il est un roi coupable,
ce qui risque d’avoir des conséquences importantes sur la durée.
C’est pour cela que l’on peut tenter de faire en sorte que la réponse se fasse
dans l’éducation quotidienne, qu’elle se traduise par des faits, pas seulement des

278
La prévention des violences

intentions ou des mots. Il est donc possible de donner une réponse de fond, relative
au sens de ce qui s’est produit et, en même temps, une réponse à l’acte lui-même.
De manière générale, si la relation se passe dans le respect de l’autre, le conflit a
de grandes chances d’être apaisé. « Je comprends, j’essaye de comprendre pourquoi
tu as fait ça mais je ne peux pas accepter comment tu l’as fait 7. »
Pour répondre à l’acte violent, trois pistes sont possibles :
– savons-nous accepter les actes non gravement destructeurs et laisser passer
les infractions qui ne sont pas de la violence ? Il y a des actes où l’on n’a
pas à intervenir ;
– sans démagogie, valoriser l’acte sociable, ne pas pointer que le négatif mais
plutôt et surtout ce que l’on trouve positif, attitude qui dépasse le cadre de
la situation crisique et correspond à des gestes professionnels à montrer
quels que soient les moments de vie ;
– quand nous sommes persuadés qu’il y a destruction, désapprouver le com-
portement, notamment en pensant et en justifiant le « non » à partir du droit
à la vie des autres. Il doit donc logiquement être suivi d’une demande de
dédommagement ou de compensation. Les actes les plus évidents ne sont
pas toujours les plus violents. Il est souvent extrêmement difficile de parve-
nir à distinguer la victime d’un persécuteur tant les causes du conflit peuvent
être imbriquées.
Faire face à une situation crisique s’avère donc une tâche extrêmement com-
plexe à gérer. Nous proposons ici une procédure qui tend à aller dans ce sens et
qui se décompose en trois étapes distinctes, présentées sous forme de matrice
de gestion des faits de violence : le DTR.

D comme déconnecter
Lorsqu’un fait de violence se produit, il se manifeste généralement à l’encontre
de quelqu’un ou de ses biens. La stratégie de déconnexion consiste à mettre
du temps et de l’espace entre les deux personnes en opposition : éloigner les
protagonistes et attendre quelques heures avant de tenter une résolution du
conflit. Dans le feu de l’action, pressé par la tension des émotions, il sera difficile
pour tout le monde de changer de polarité en basculant d’une logique d’immédia-
teté et de pulsion à une autre plus prospective, rationnelle et raisonnée. En évitant
autant que possible tout contact physique, on peut, dans un premier temps,
demander à cet enfant (ou à ces enfants) de se rendre dans un lieu calme à
l’intérieur de la classe. Si cela ne suffit pas, généralement parce que la proximité
des camarades interdit la décompression, on peut accompagner ce ou ces enfants

7. HAYEZ J.-Y., La destructivité chez l’enfant et l’adolescent, 2e édition, Dunod, Paris, 2007.

279
La coopération du point de vue des relations

dans une autre classe, sous la surveillance d’un collègue. Généralement, renvoyer
un jeune pour des actes violents inacceptables, c’est risquer de lui faire com-
prendre que pour qu’il ait la paix, il faut qu’il soit infernal. Il ne s’agit pas ici d’une
exclusion, mais plutôt d’un retrait momentané en vue d’une meilleure tentative
de résolution du conflit. Les émotions ne sont pas niées, au contraire, elles sont
entendues et travaillées de manière qu’elles n’entraînent pas de conséquences
encore plus graves.

T comme transmettre
Dans le cas où l’on est la cible des violences, où l’agresseur s’en prend directe-
ment à soi, il est rare que l’on puisse être ipso facto en mesure de faire preuve
de recul. Plutôt que d’essayer de trouver seul des solutions pas directement acces-
sibles, il vaut mieux passer la main en faisant appel à un collègue ou un parte-
naire. L’idée n’est pas de placer au même niveau victime et persécuteur, mais
plutôt d’éviter que l’opposition ne s’aggrave et de créer des intervalles. De plus,
le tiers sollicité sera plus à même d’engager les procédures de reconnaissance de
la situation, du fait de son statut d’intervenant extérieur. En particulier, il saura
reconnaître le moment où la communication est redevenue possible et pourquoi
pas, laisser le problème se régler entre les protagonistes. Pendant la période de
retrait, il est possible d’amorcer la phase de reconstruction en demandant à se
pencher sur ce qui s’est passé par l’intermédiaire d’une fiche de résolution de
problème telle que celle proposée.

Modèle de la fiche de RP

Fiche de résolution de problème

Nom : ............... Prénom :........... Date :.............

1 – Explique ce qui s’est passé :


..............................................................................
..............................................................................
..............................................................................

2 – Que demandes-tu pour résoudre ce problème?


..............................................................................
..............................................................................
..............................................................................

3 – Que proposes-tu?
..............................................................................
..............................................................................
..............................................................................

280
La prévention des violences

R comme reconstruire
Une fois les esprits calmés et le désir retrouvé de sortir du conflit, la phase
de reconstruction peut intervenir. Si l’on est soi-même englué dans l’opposition,
la présence du tiers sollicité peut s’avérer utile. Sinon, on peut soi-même se char-
ger de cette fonction médiatrice, ou la confier à un enfant qui s’en est montré
capable. Il s’agit de permettre à chacun de reconnaître le statut d’erreur de ses
agissements, puis de rechercher une solution qui convienne aux deux parties.
Parmi les solutions possibles, les réparations peuvent s’avérer pertinentes. Les
sanctions ont pour but de rappeler l’existence des lois et des règles de vie. La
conclusion de la gestion du conflit peut donc se traduire par un geste de répara-
tion et une forme de sanction. En même temps, toute réparation, par son caractère
volontaire et sincère, peut se substituer à une sanction si l’on perçoit l’inutilité
d’un rappel à la loi. Il est intéressant que cette phase de reconstruction, si elle
s’achève correctement, se termine par un geste physique entre les deux personnes
en opposition, par exemple une poignée de main.

281
6
Le développement des motivations

U NE ÉTUDE RÉCENTE A PU METTRE EN AVANT LE DÉFICIT DES ÉLÈVES FRAN-


çais en matière de motivation scolaire. « L’ampleur de l’altération du goût
pour l’école est à souligner : la France se situe parmi les dix pays dans lesquels
cette dégradation est la plus nette. Pour ce qui concerne l’appréciation des perfor-
mances scolaires, notre pays se situe parmi les cinq où cette auto-appréciation
est la plus mauvaise. […] Les jeunes Français se caractérisent par leur rejet de
l’école. À 11 ans, 41 % des filles et 29 % des garçons aiment l’école. À 13 ans, ils
ne sont plus que 19 et 10 %, à 15 ans, ils sont 13 et 11 % 1. » La question de la
motivation apparaît comme au centre des problématiques éducatives, certaine-
ment au cœur de celles relatives aux apprentissages. La classe coopérative y
répond en introduisant des institutions qui se veulent des soutiens intermédiaires
au développement de motivations durables et motrices. Les ceintures de compor-
tement et la monnaie intérieure en sont deux exemples.

Motivations et institutions

Selon les théories humanistes de la motivation (Deci et Ryan 2 – Vallerand et


Thill 3), on dénombre trois types de besoins fondamentaux : les besoins d’autodé-
termination (se sentir la principale cause de son comportement), les besoins de
compétence (interagir efficacement avec l’environnement) et les besoins d’appar-
tenance sociale. Ces besoins sont à la source de trois orientations motivation-
nelles 4:
• Les motivations intrinsèques : l’activité est pratiquée pour le plaisir qu’elle
procure. L’apprenant trouve de la satisfaction à agir en fonction de ses
propres attentes et des objectifs qu’il s’est fixés, ce qui crée une aspiration
qui le mobilise et soutient son activité d’apprentissage. La personne est en

1. La santé des élèves de 11 à 15 ans en France, INPES, août 2006.


2. DECI E.L., RYAN R.M., Intrinsic Motivation and Self-Determinationin Human Behavior, Plenum
Press, New York, 1985.
3. VALLERAND R.J., THILL E., Introduction à la psychologie de la motivation, Vigot, Québec, 1993.
4. GUERRIEN A., Motivation et attention, congrès de l’ICEM, Talence, août 2002.

283
La coopération du point de vue des relations

accord avec ses buts. Elle est intrinsèquement motivée lorsqu’elle effectue
des activités volontairement, sans attendre de récompense ni chercher à
éviter un quelconque sentiment de culpabilité. La curiosité, l’appartenance
sociale (entretenir avec autrui des relations sociales satisfaisantes et enri-
chissantes), l’autodétermination (se percevoir comme la cause principale de
son comportement) et le sentiment de compétence (se sentir capable de
réussir), sont les quatre principaux facteurs de développement de la motiva-
tion intrinsèque. Tout ce qui est ressenti comme pression, contrainte,
contrôle, la fait baisser, tout comme les situations de compétition, de temps
imposé, de surveillance qui la diminuent à égale mesure.
• Les motivations extrinsèques : l’activité est pratiquée par pression extérieure
– pour obtenir quelque chose de plaisant ou éviter quelque chose de déplai-
sant. Ces motivations sont provoquées par des stimulations extérieures à
l’apprenant recevoir une récompense, éviter de se sentir coupable, gagner
l’approbation en sont exemples.
• L’amotivation : absence de toute motivation – une résignation apprise. Les
pédagogies coopératives seraient génératrices de motivations intrinsèques.
Concernant les besoins d’autodétermination, ils seraient en grande partie
assouvis par l’exercice de la créativité, de l’expression libre, des recherches
documentaires autonomes ainsi que des possibilités de choix. Les besoins
de compétence se verraient remplis par l’intermédiaire des dispositifs de
personnalisation du travail, la connaissance du sens et du but des activités.
Enfin, les besoins d’appartenance sociale seraient comblés lors des situa-
tions de coopération entre élèves, les divers moyens relationnels employés :
le journal, les correspondances, les voyages échanges…
Pour Jean Archambault et Roch Chouinard 5, récompenser les efforts des élèves
pour apprendre, a été redynamisé par l’arrivée du béhaviorisme qui pose que le
comportement est motivé par des renforcements. Le problème est que, souvent,
les comportements et les situations sont mal définis, les renforçateurs trop éloi-
gnés des comportements pour avoir un effet quelconque. Plusieurs chercheurs
ont émis des doutes sur la pertinence d’utilisation des récompenses pour motiver
les élèves. Il s’avère même que l’octroi de récompenses peut avoir des effets
négatifs sur la motivation intrinsèque. Celle-ci correspond à l’exercice d’une acti-
vité pour la satisfaction et le plaisir qu’on y trouve et non pour l’atteinte d’un
résultat externe. Lorsqu’une récompense extrinsèque est associée à une activité
pour laquelle l’apprenant est déjà motivé intrinsèquement, la raison intrinsèque
est occultée par la récompense.

5. « Doit-on récompenser les élèves pour les motiver à apprendre ? », in GALAND B., BOUGEOIS
E., (Se) Motiver à apprendre, PUF, Paris, 2006, p. 135-144.

284
Le développement des motivations

Les récompenses nuisent donc peu à la motivation intrinsèque lorsque celle-


ci est inexistante ou peu élevée. Lorsqu’elles sont annoncées par l’enseignant
ou utilisées pour contrôler les élèves, elles affectent négativement la motivation
intrinsèque. Offrir des récompenses pour inciter à effectuer une tâche scolaire
peut donc apparaître comme une pratique pédagogique contre-productive. Cela
peut être utile pour faire plaisir, créer un climat de classe agréable ou souligner
des progrès.
Quelles sont les institutions de la classe ou de l’école en mesure de conduire
progressivement chaque élève vers le développement de motivations intrin-
sèques ? Les observations empiriques dans ces domaines ont pu montrer que,
pour les enfants les plus petits (ceux qui rencontrent le plus de difficultés à faire
preuve de responsabilité dans leurs attitudes et leurs apprentissages), la motiva-
tion semble plus difficile à développer, elle apparaît comme en totale construction.
Les enfants qui savent recevoir une récompense promise s’avèrent moins motivés
une fois l’activité terminée. Le caractère extérieur de cette récompense annihile
toute volonté de dépassement personnel. En même temps, plus les enfants évo-
luent dans la classe, plus ils s’entraident de manière authentique et vivante. Les
motivations extrinsèques risquent donc d’aller à l’encontre de cet élan.
La monnaie intérieure, les ceintures et autres constituent chacun des éléments
de motivations extrinsèques. Dans quelle mesure ces institutions peuvent-elles
avoir un impact sur la motivation intrinsèque des enfants ? Quels que soient les
dispositifs mis en place, on se trouve dans le registre de la quête motivationnelle.
Qu’apportent donc ces deux outils dans ce domaine ? En quoi la monnaie et les
ceintures peuvent-elles devenir une récompense et en quoi ne le sont-elles pas ?
Plus largement, comment arriver à un système sans récompense ? Comment déve-
lopper les motivations intrinsèques si on ne les met pas en situation de ressentir
leurs besoins ?

Des ceintures pour symboliser le comportement responsable

« Les ceintures de comportement, comme la monnaie intérieure, furent depuis les années
1950-1960, les institutions les plus décriées par le petit monde des divers courants de
pédagogies nouvelles. Elles provoquaient des réactions souvent passionnées, qui envahis-
saient très vite toute discussion au sujet de la PI. Aujourd’hui encore 6… »

À l’image de ce qui a pu être développé dans un chapitre précédent autour


des évaluations par les ceintures, il est possible d’envisager la symbolisation des

6. LAFFITTE R. et al., Essais de pédagogie institutionnelle, Champ social éditions, Nîmes, 2006,
p. 242.

285
La coopération du point de vue des relations

attitudes responsables par ce que l’on nomme des ceintures de comportement


responsable.

« Toute institution est une réponse à un besoin vécu. Quel que soit le domaine, une
organisation rudimentaire adaptée aux besoins réels du maître, de la classe et du moment
est plus opératoire qu’un système complexe, plaqué arbitrairement, qui encombre et para-
lyse la classe qui démarre 7. »

Introduites en pédagogie par l’intermédiaire des travaux de la pédagogie insti-


tutionnelle, les ceintures de comportement tendent à faire correspondre à chaque
couleur un degré général de maîtrise de ses propres comportements au sein d’une
classe coopérative. À partir de cette symbolisation, les enfants deviennent
capables de mesurer leurs progrès, voient leurs efforts sanctionnés par une plus
grande confiance accordée et une augmentation de leurs espaces de liberté dans
la classe. Ils peuvent prendre plusieurs responsabilités, dont celles relatives à
l’aide apportée aux camarades plus petits pour grandir à leur tour.
Les ceintures sont un outil, nous pourrions aussi dire un artifice, pensé dans
un esprit éducatif et pour des visées pédagogiques précises. Il s’agit de faire en
sorte que chacun :
– connaisse et soit reconnu dans son niveau de maîtrise, dispose d’un statut
dans la classe symbolisé par la couleur de sa ceinture ;
– sache avec précision quels efforts et quel travail il doit fournir pour « gran-
dir », c’est-à-dire obtenir une ceinture supérieure (on dit « plus foncée ») –
connaisse ce qu’on attend de lui 8;
– lorsqu’il se reconnaît trop de difficultés face à un problème qu’il doit
résoudre, s’appuie sur les compétences de ses pairs matérialisées par des
gommettes de couleurs affichées sur un tableau de ceintures ;
– propose son aide aux enfants plus « petits », qui ont une ceinture « plus
claire », et ainsi les incite à grandir.
L’institution ceinture se présente alors comme au service des élèves mais ne
constitue pas une fin en soi.

« Sur le plan du comportement comme sur le plan scolaire, il serait injuste et nocif
d’exiger la même chose de tous les élèves. Si l’attitude générale du groupe vis-à-vis de
chacun est précisée, le petit Florent pourra, sans provoquer de réactions, se promener

7. LAFFITTE R., Mémento de la pédagogie institutionnelle, Matrice, Paris, 1999, p. 210.


8. Nous appellerons « évolution » ce que peut devenir l’apprenant en fonction de ce que la
classe, les adultes de l’école, la société attend de lui, i.e. le niveau de maîtrise supérieur à celui
qu’il détient, celui qui selon Vygotski entrerait dans la zone proximale de développement (VYGOT-
SKI L., Pensée et langage, Éditions Sociales/Messidor, Paris, 1985, p. 387). L’« évolution » d’un
orange en comportement est un vert.

286
Le développement des motivations

dans la classe, jouer avec l’eau, parler à la tourterelle, perdre de l’argent, dessiner au
tableau quand il en a envie, comme un petit bonhomme de 4, 5 ans. Il est “blanc”. Il
est inutile pour le moment qu’il demande à diriger une équipe, qu’il se propose pour
aller à la gare ou pour tenir les comptes. Il participe aux sorties enquêtes… s’il accepte
d’obéir à un “bleu” qui le prend en charge. Ainsi pouvons-nous en toute sécurité aller
visiter les écluses… Un “vert” circule dans l’école et va porter des textes imprimés com-
mandés par le cours élémentaire. Un groupe de “bleus” va proposer à la maternelle
voisine un spectacle de marionnette. Le maître est tranquille avec ceux-là, rien de fâcheux
ne peut arriver 9. »

La réalisation des visées présentées ci-dessus n’est possible que lorsqu’une


série de prérequis déontologiques est respectée.
• Une ceinture obtenue ne peut plus être retirée : ce n’est pas une « carotte »
et les éventuelles régressions sont acceptées mais sont considérées comme
momentanées. C’est pour cela que le processus d’attribution pourrait être le
suivant : lors d’un conseil coopératif, l’enfant qui souhaite changer de cein-
ture en fait la demande. Si le conseil donne son accord en même temps que
l’enseignant, alors cet enfant entre dans une période d’essai de 2 semaines
au cours desquelles il accepte une mise à l’épreuve au regard du nouveau
statut qu’il souhaite obtenir. Au terme de cette phase, l’attribution de la
ceinture fait l’objet d’un nouvel examen. Il peut conduire à un retour à la
ceinture précédente ou à l’obtention de la nouvelle. Si c’est le cas, la couleur
en comportement est changée sur le tableau des ceintures « Je grandis ».
• Les ceintures de comportement sont attribuées lors des conseils coopératifs
de classe. Une dérive serait que cette responsabilité soit confiée aux enfants,
ce qui engendrerait tout naturellement des phénomènes de copinage et
d’exclusion. C’est l’enseignant, avec éventuellement les enfants ayant obtenu
les ceintures les plus foncées en comportement, qui décide de ces attribu-
tions au regard d’un avis formulé par le conseil. Après une demande de
conseil, tous les camarades qui ont une opinion la formulent, ce qui donne
un avis global à partir duquel la décision est prise. Il va de soi que l’avis des
enfants ayant déjà obtenu la ceinture en cours de demande est plus crédible
que celui des plus petits dans la classe. Il arrive pourtant que certains faits
rapportés par des enfants reconnus comme petits et ayant échappé à l’atten-
tion de la classe viennent, par l’écoute de l’enseignant, modifier complète-
ment sa décision.
• Être « vert » ne doit pas signifier que l’on est « plus fort que les orange » :
l’attribution d’une ceinture n’implique pas une augmentation du pouvoir dans
la classe ni une diminution de celui des autres mais simplement un niveau de

9. VASQUEZ A., OURY F., De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle, Maspéro,


Vigneux, 1971, p. 414.

287
La coopération du point de vue des relations

responsabilité plus important. Cette élévation du niveau de responsabilité se


traduit par une augmentation des espaces de liberté, par une plus grande
confiance accordée, par des attentes plus fortes en matière de comportement
manifesté. C’est pour cela que le processus d’attribution de la ceinture gagne
à se conclure par une acceptation du changement par l’enfant lui-même : son
statut change, ses marges d’action seront plus larges, mais en même temps,
la tolérance de ses éventuels écarts deviendra plus sévère.
• La quête des ceintures est une affaire de défi face à soi-même et non pas
de compétition dans le groupe-classe. Chacun doit avoir le droit, à l’école,
de travailler à partir de ce qu’il est, comptant uniquement les efforts qu’il
fournit et les évolutions qui en découlent. Ainsi, un « vert » est attiré par la
ceinture bleue mais se doit en même temps de mettre à disposition des plus
petits ce qu’il représente et ce qu’il sait.
• Il peut arriver, dans certains contextes et particulièrement en début d’année,
qu’il n’y ait que de « petites ceintures » (blanches, jaunes, orange). Le
groupe est alors constitué d’enfants qui parasitent souvent la vie du groupe
et le travail de chacun et/ou, au mieux, n’étant que « sages », se contentent
de ne pas se faire remarquer sans manifester le souci de leurs camarades et
sans trop apporter au groupe. Le problème est alors que la richesse des
échanges et de l’entraide a du mal à voir le jour ; la classe ne peut pas
encore s’appuyer sur des enfants en mesure d’aider le groupe à évoluer.
René Laffitte parle régulièrement d’« effet yaourt » 10. Cette stratégie consiste
à permettre à quelques enfants orange de devenir verts sans forcément avoir
pu le manifester réellement jusque-là. Ils obtiennent alors une ceinture « vert
clair » ainsi que les libertés et responsabilités qui y sont associées. Un nou-
veau statut entre dans la classe. Un peu comme la présure est nécessaire
pour la fabrication du yaourt, l’introduction d’une première ceinture verte
dans une classe incite d’autres enfants à le devenir, de manière plus certaine
cette fois-ci. Une dynamique d’évolution est amorcée dans la classe, plus
orientée vers le développement d’attitudes responsables et coopératives que
vers la primauté des préoccupations individuelles.

Représentation du comportement et de l’attitude

Partie
Comporte me nt observable
Attitude

Partie
non observable

288
Le développement des motivations

• La décomposition en échelons proposée par le tableau des ceintures de com-


portement est davantage une indication qu’une ordonnance. D’abord parce
que ce qui est observé ne correspond pas à ce qui se construit. Le comporte-
ment n’étant que la partie accessible des attitudes, le visible ne constitue
qu’une représentation erronée du réel. Ensuite parce qu’il serait très risqué de
conférer aux critères d’obtention des ceintures une vertu logico-mathématique
qui consisterait à ne les attribuer qu’à la condition exclusive de la parfaite
maîtrise de toutes les compétences demandées. Sont ici pointées du doigt les
dérives du comportementalisme. C’est pourquoi, il est plutôt opportun d’attri-
buer les ceintures sur une impression générale dépassant le seul énoncé des
repères qui la constituent, c’est-à-dire à partir d’un niveau de maîtrise global
évalué en fonction des critères énoncés dans les tableaux. « Le plus important
est peut-être ce qui ne peut s’inscrire dans la liste des critères 10. » Ces critères
gagneraient d’ailleurs à être appelés des indicateurs puisqu’il s’agit moins ici
de « critérier » que d’indiquer. C’est pourquoi un « bleu » qui bloque sur un
seul indicateur n’est plus un « vert ». Alors peu importe l’indicateur, sachant
que cet enfant aura toutes les chances de maîtriser la compétence qui y corres-
pond en tentant celles qui lui sont supérieures.

« Jugés, classés, comparés depuis l’enfance, les adultes que nous sommes censés être ne
comprennent pas d’emblée qu’il ne s’agit pas ici de définir un hypothétique développement
de la personne. Pas question non plus de s’occuper de la “personnalité”. Il s’agit seulement
de matérialiser la position provisoire de chacun par rapport aux exigences de la mini-
société coopérative 11. »

Il convient mieux de conserver à l’esprit des définitions larges de chaque cou-


leur de comportement. La globalité du concept fournit une série de frontières qui
vont justement permettre d’estimer et de faire estimer si les évolutions d’attitudes
correspondent ou pas à un changement de statut dans la classe. Voici donc un
exemple de définition des couleurs de ceintures de comportement :
– blanc en comportement dérange le travail des enfants de la classe ;
– jaune en comportement fait des efforts pour effectuer son travail sans déran-
ger les autres ;
– orange en comportement ne dérange pas la classe mais ne se soucie pas
du groupe ;
– vert en comportement rend des services à la classe ;
– bleu en comportement pense aux intérêts de la classe avant de penser aux
siens ;

10. LAFFITTE R., Une journée en classe coopérative, le désir retrouvé, Matrice, Vigneux, 1985,
p. 79.
11. Ibidem, p. 74.

289
La coopération du point de vue des relations

– marron en comportement est en mesure d’être référent pour le fonctionne-


ment de la classe.
Les repères fournis dans la grille des ceintures de comportement ne sont que
des indicateurs de comportement. Ils ne tendent nullement à définir des compor-
tements mais des statuts.

« Les ceintures de comportement constituent souvent une réponse à la question, rarement


formulée mais légitime, que pose souvent l’enfant (et l’adolescent) à travers certains
comportements : pour qui me prenez-vous ? Autrement dit : quel statut m’accordez-vous
et quel rôle suis-je censé jouer 12? »

L’attribution d’une ceinture correspond donc à la manifestation globale d’une


attitude responsable dans la classe. Ci-dessous, un exemple de tableau de ceintures
de comportement avec pour chaque couleur une série d’indicateurs proposés.

Ce que je dois faire


Blanc Respecte quelques décisions.
Tient parfois compte des avis.

Jaune A un métier.
Essaie de travailler sans gêner.
Respecte les horaires et le rang.
Ne pose pas de problème lors des sorties.
Lève le doigt et attend pour parler.
Est poli avec les autres.

Orange Travaille sans gêner.


Range correctement ses affaires.
Au lieu de se plaindre, râler et crier, en parle et propose au conseil.
Respecte les décisions du conseil.
Respecte le feu des sons.
Présente correctement ses cahiers.

Vert Sait travailler seul sans histoire.


Ne change pas en l’absence de l’enseignant.
Reconnaît ses erreurs.
Fait correctement son métier.
Sait aider des enfants.
Est tuteur d’un petit.
Demande de l’aide quand il ne comprend pas.

12. LAFFITTE R. et al., Essais de pédagogie institutionnelle, Champ social éditions, Nîmes, 2006,
p. 240.

290
Le développement des motivations

Ce que je dois faire

Bleu Sait rendre des services à la classe.


Propose de bonnes idées au conseil.
Est un bon président du jour.
Règle les petits problèmes seul.

Marron Circule dans l’école sans incident.


Sait éviter les histoires et les accidents.
Sait séparer deux combattants.
En cas de nécessité, transgresse les règles de la classe.

Au sujet des périodes de régressions, nous avons expliqué en quoi elles ne


pouvaient correspondre à un retrait de la ceinture de comportement obtenue pré-
cédemment. Toutefois, cela ne signifie pas que les enfants dans de telles dyna-
miques ne puissent plus compter sur la fonction médiatrice de l’outil ceinture.
Dans ces cas-là, il est possible d’introduire deux nouvelles couleurs.
La ceinture dorée est celle du statut de grand gêneur. Elle est attribuée lorsque
la cohabitation au sein de la classe devient trop difficile. Beaucoup de perturba-
tions, de gênes, de provocations parfois, pas de travail ou trop peu, de l’anxiété
aussi peut-être dans un contexte trop ouvert, guident les journées de cet élève.
La ceinture dorée permet de faire une pause dans sa vie de groupe, de souffler
et de laisser souffler les autres. Les déplacements, générateurs de troubles, sont
suspendus. L’enseignant prépare le travail au maximum pour les éviter. Cela cor-
respond donc à un niveau d’autonomie zéro, cela ne signifiant pas qu’il y a exclu-
sion et arrêt des exigences scolaires.
La ceinture rouge est celle du statut d’enfant violent, voire dangereux, pour lui
ou pour les autres. C’est la dernière extrémité de la classe coopérative. L’ensei-
gnant, dans le cadre de la classe et en lien avec les éventuelles démarches de
signalement éducatif, se doit de faire preuve de protection pour cet enfant et ses
camarades. Cet élève se retrouve donc seul à une table et n’a plus le droit de se
déplacer librement en classe à moins d’en avoir obtenu l’autorisation. Lors des
sorties de classe, il reste à proximité de l’enseignant afin que celui-ci puisse préve-
nir l’émergence de nouveaux conflits.

« Proposée par un enfant ou pas, décidée par l’adulte qui s’en explique et entend l’avis
du groupe au conseil, elle est définie et limitée dans le temps et dans l’espace. Signalée
sur le tableau des ceintures par une punaise ou une gommette de couleur comme les
autres ceintures, c’est un statut d’isolement important. Les possibilités de déplacement
comme la participation à la vie habituelle de la classe sont limitées. Rien ne se fait sans
l’autorisation de l’adulte 13. »

13. LAFFITTE R. et al., Essais de pédagogie institutionnelle, Champ social éditions, Nîmes, 2006,
p. 248.

291
La coopération du point de vue des relations

Les enfants qui sont devenus dorés ou rouges en comportement peuvent récu-
pérer leur ceinture habituelle en en faisant la demande lors des conseils et en
expliquant ce qu’ils comptent faire pour que les choses se passent mieux.
Le caractère institutionnel et médiateur de la ceinture intervient lorsque cer-
tains enfants demandent à exercer certaines responsabilités ou à bénéficier de
quelques libertés dont ils ne peuvent pas jouir. Du fait que les ceintures sont
attribuées individuellement, au regard de critères collectivement connus et acces-
sibles à tous, les demandes de changement de couleur dépendent moins du désir
d’être le plus fort de la classe que de celui de se voir grandir et d’endosser la
responsabilité qui y est associée. Le lien constant entre obtention de libertés plus
étendues et manifestation de plus grandes responsabilités induit un rapport aux
ceintures plus conscientisé. Ainsi donc, dans cet esprit, c’est bien le dépassement
personnel qui est visé et non d’éventuelles récompenses qui motiveraient les
changements. Il n’est donc pas anodin de participer à des échanges lors de
conseils où des enfants, au terme de la période d’essai de la ceinture, expliquent
sereinement qu’ils ne se sentent pas encore assez grands pour devenir de la
couleur demandée et qu’ils préféreraient encore quelque temps rester avec leur
ceinture précédente.

Une monnaie comme béquille aux motivations

Notre objectif est ici de présenter sous deux aspects l’outil pédagogique que
l’on nomme monnaie intérieure. Il s’agit d’abord d’esquisser les intentions éduca-
tives pour lesquelles il a été pensé. Ensuite, nous proposerons une approche
pratique à partir d’éléments de réponses à diverses questions. Il se trouve que
les débats entre enseignants sur cette question sont souvent stériles parce qu’ils
créent des affrontements exclusifs. Notre but n’est pas de convaincre mais d’expli-
quer les raisons pédagogiques de cet emploi. Comme pour les ceintures de com-
portement, un usage plaqué de la monnaie intérieure s’avérerait particulièrement
périlleux et risquerait de perdre tout le sens de cet outil.
« L’école et le fric » : cette rencontre qui contente certains mais qui en insatis-
fait beaucoup d’autres. Ces derniers sont le plus souvent parents et enseignants
qui ne souhaitent pas que leurs enfants sombrent dans un enfermement les liant
à l’argent. La seconde raison importante qui fonde la réticence de l’argent à l’école
est le lien de dépendance que certains adultes ont à l’argent. « Le dieu argent ne
risque-t-il pas de s’accoutumer à ces enfants comme il l’a fait pour moi ? » En fait,
répondre à cette question correspond à envisager deux voies possibles. La pre-
mière serait d’attribuer aux enfants les plus habiles des droits économiques qui
les rendraient supérieurs aux autres et qui en outre leur permettraient d’accroître
ce statut plus facilement que sans ressources. La seconde fait référence à son

292
Le développement des motivations

propre rapport à l’argent et à la conception philosophique qu’on lui attribue :


« Qu’est-ce que l’argent ? », « Quelle importance lui accordons-nous ? », « À quoi
sert-il ? »… Il paraît tout à fait évident que la plupart de ceux qui se reconnaissent
en délicatesse avec l’argent risquent fort de transférer sur leurs élèves des senti-
ments congruents. C’est une sorte de lemme de l’effet Pygmalion…
Certains enseignants ont pris pour partie d’employer dans leur classe, comme
outil pédagogique et éducatif, une monnaie dite intérieure, ce qui signifie qu’elle
n’a cours que pendant les heures de classe et généralement à l’intérieur du lieu
de vie de groupe. À la lecture de ce qui précède, cette réalité ne peut qu’étonner.
Il convient donc d’en préciser les intentions éducatives et d’en indiquer le champ
d’emploi. Il est possible de répertorier quelques visées relatives à la monnaie
intérieure. Elles ne sont pas ici présentées de manière hiérarchisée. Globalement,
on peut postuler que la monnaie, comme souvent toute autre institution pédago-
gique, se veut un instrument de médiation entre divers acteurs humains (enfants
et adultes), matériels (outils divers) ou immatériels (les symboles et relations).
C’est une sorte de trait d’union facilitant la rencontre entre deux entités en
relation.
• Une première intention s’attache aux enfants qui ont du mal à considérer
le travail à l’école comme une activité susceptible de leur apporter, de les
faire grandir et de les aider pour leur avenir. Le travail scolaire est souvent
motivé par une foule d’objets, rarement centrés sur leur propre épanouisse-
ment, plutôt orienté vers des congratulations ou une reconnaissance identi-
taire. Ainsi, payer un enfant pour son travail, c’est lui indiquer un sens aux
efforts qu’on lui demande. S’engager dans cette voie ne se fait donc pas
pour être estimé, gagner quelque chose ou se faire valoir, mais plutôt pour
obtenir un produit symbolisant le fruit de ses véritables engagements. En
tant qu’enfant, je suis amené à travailler pour moi-même, même si le fruit
de mes efforts sera matérialisé par un bout de monnaie sans valeur en
dehors de la classe. Pour beaucoup, c’est la possibilité de se convaincre de
leurs propres capacités. L’ultime visée pour l’éducateur reste le transfert des
intérêts vers d’autres lieux de désirs, cette fois-ci centrés sur la réalisation de
soi et la certitude d’un travail conduisant vers un aboutissement personnel
optimisé. Dans les faits, la monnaie est donc un passage intermédiaire
permis aux élèves qui débutent d’un « j’ignore à quoi sert l’école » pour
aboutir à un « je travaille pour préparer mon avenir sinon d’adulte, d’écolier,
de collégien et de lycéen ». L’un des principaux piliers d’un usage pédago-
gique de cet outil est que le travail payé ne correspond pas forcément à un
travail réussi. Sinon, cela consisterait à favoriser seulement les bons élèves.
Il importe plutôt de s’attacher aux efforts fournis, parfois difficiles à repérer
par un regard extérieur, mais clairement identifiables par les enseignants qui
côtoient leurs élèves au quotidien.

293
La coopération du point de vue des relations

• La deuxième intention visée par les enseignants qui se réfèrent à une mon-
naie intérieure concerne leur engagement pour la promotion et le respect
de valeurs coopératives. Ils souhaitent que les enfants rencontrés dans leurs
classes soient capables d’apprendre par l’entraide et à leur tour de proposer
leurs compétences. Ils travaillent pour que les enfants deviennent des
adultes moins centrés sur leurs propres intérêts, qu’ils soient en mesure
d’estimer ceux des personnes avec qui ils vont interagir. Dans les classes,
cela se traduit par la possibilité donnée aux élèves de s’aider lors de
moments prévus à cet effet, par de plus grandes libertés de déplacement,
de parole et de champs d’action. Les problèmes sont alors que la classe se
transforme en une forme de « ruche » dans laquelle beaucoup de relations
se créent et de nombreuses situations échappent au contrôle de l’ensei-
gnant. On ne peut pas compter sur le caractère inné du sens des relations
chez les enfants. On ne peut pas attendre d’emblée d’eux qu’ils soient en
mesure de régler tous leurs petits conflits, qu’ils sachent réguler leurs
propres libertés, en particulier celle de la parole et de son intensité. C’est
de la responsabilité des enseignants de les y préparer. C’est pourquoi, des
instruments de médiation s’imposent si l’on ne souhaite pas que la classe
devienne un lieu où il devient impossible de travailler. Ainsi peut intervenir
la monnaie intérieure, en complément d’abord d’un règlement de classe qui
fixe les droits et obligations de chacun et ensuite de valeurs suscitées par
l’enseignant, et qui permettent les libertés et l’entraide. Avec l’argent gagné
par le travail scolaire, chacun peut participer à un marché pour vendre et
acheter. Cela permet aussi au conseil de bénéficier d’un instrument de sanc-
tion clair, qui évite les longs et interminables débats autour des décisions à
prendre. Cela confère à l’enseignant un outil extérieur à sa propre personne
et donc intervenant comme médiation entre lui et ses élèves. Il dispose d’un
outil de rappel de la loi qui ne tombe pas dans les travers des pensums,
privations de récréations, excuses sans effet ou punitions humiliantes ; qui
plus est, une fois la sanction payée, les amendes permettent un effacement
de l’erreur commise, sans pour autant interdire l’éventuelle réparation.
• La troisième intention portée par l’instrument monnaie intérieure est ce que
R. Laffitte nomme « la paye thérapeutique 14 ». Il s’agit d’une pratique occa-
sionnelle dont le but est de souligner un effort particulièrement important
entrepris par un enfant en difficulté dans un domaine. Un peu comme une
sorte de dérogation aux modalités des payes communes, l’enseignant ou le
conseil peuvent décider de féliciter et encourager à poursuivre un enfant qui
manifesterait un effort reconnu comme difficile pour lui. Il s’agit d’une paye
extraordinaire, dont le but n’est pas de s’étendre à toute la classe, mais

14. LAFFITTE R., Mémento de la pédagogie Institutionnelle, Matrice, Paris, 1999, p. 248.

294
Le développement des motivations

simplement de montrer par une reconnaissance positive ponctuelle que,


malgré les peurs et les réticences d’un enfant, les évolutions sont possibles
et les apprentissages envisageables. Diverses monographies ont montré
l’importance de cette paye thérapeutique pour aider certains enfants à se
libérer de zones de stagnations importantes. Il peut s’agir de difficultés com-
portementales comme apprendre à se référer au conseil plutôt que de taper,
ou disciplinaires comme celles relatives aux pratiques sportives ou aux tra-
vaux en apprentissage de la langue.
• La quatrième intention intervient en lien avec les thèses sur la dérive capita-
liste d’un tel système. C’est justement parce qu’il y a des risques à user de
l’argent qu’il est possible de préparer les enfants à son emploi. C’est un peu
comme si, sous prétexte des dangers de la circulation automobile, on interdi-
rait aux enfants de se voir offrir de petites voitures ou de faire un tour
d’autotamponneuses dans les foires. Ce n’est pas parce que des adultes
vivent difficilement le recours récurrent à l’argent, qu’il suffit de les soustraire
à ce système d’échanges et ne pas les initier à ce qu’ils rencontreront, quoi
qu’il en soit. Au départ, l’argent intervient en substitution au système de
troc, son principal avantage résidant dans la simplification des échanges
qu’il permet 15. Avec l’argent, les relations sociales sont plus directes et les
interrelations facilitées. Alors qu’en tant qu’adultes, nous pouvons difficile-
ment nous en passer dans nos relations sociales, pourquoi en interdirions-
nous l’accès aux enfants ? Comme pour beaucoup d’autres domaines, tout
espace de liberté suscite des dérives. Cela ne veut pas dire pour autant que
l’argent en tant que tel est un système qu’il faille bannir des sociétés
humaines. Ces dérives sont une raison supplémentaire pour se servir de
l’école et préparer les enfants à comprendre la nature de la monnaie, à saisir
les raisons de son existence, à situer ses zones de mauvais emploi pour
enfin les aider à s’y référer sans pour autant en devenir dépendants. Ainsi,
le conseil ou d’autres lieux de vie de classe pourront permettre d’échanger
sur des situations où l’argent intervient. Les classes qui pratiquent des dis-
cussions à visée philosophique usent souvent de ce thème comme support
aux débats. C’est alors l’occasion pour l’enseignant de s’apercevoir que les
enfants ne donnent à l’argent que l’importance qui lui correspond, à savoir
un instrument facilitant les échanges humains.
Cette technique n’est pas un outil spécifique à la PI puisqu’elle est apparue
pour la première fois par l’intermédiaire de Roger Lallemand en 1929, un compa-
gnon de Freinet, et pour la seconde dans un article du Nouvel Éducateur de
novembre 1955. Pour Roger Lallemand, la monnaie intérieure était une façon réelle
d’enrichir la caisse commune de la coopérative, sans exiger une cotisation. Chaque

15. MAUSS M., Essai sur le don, Sociologie et anthropologie, PUF, Paris, 1968.

295
La coopération du point de vue des relations

enfant pouvait contribuer par des récoltes, des objets fabriqués, à développer sa
participation aux recettes de la coopérative. Cet outil a été repris plus tard par les
travaux de René Laffitte :

« Pendant des années, j’ai fait la classe sans monnaie intérieure. Ce qui n’empêchait pas
la classe de marcher. Simplement, je n’y avais pas pensé. […] J’ai donc décidé d’expéri-
menter cette monnaie intérieure qui, sans grands risques, devait permettre aux enfants de
faire des expériences sociales et d’acquérir une certaine maîtrise de cet argent-pouvoir 16. »

Même si ce n’est pas la plus sensible des techniques coopératives, il est impor-
tant d’indiquer qu’un usage de la monnaie, sans les valeurs qui s’y réfèrent, peut
induire certains risques, notamment celui d’en faire un outil plus de perversion
que d’éducation. Il convient donc à tout enseignant qui souhaite en enrichir sa
structure de classe de s’intéresser à ses fondements, à l’esprit qui a conduit ses
concepteurs à la développer dans le champ pédagogique et d’être éclairé par
diverses mises en pratique. Voici la présentation d’un dispositif de classe relatif à
la monnaie intérieure. Il se veut une sorte d’exemple qui ne soit pas un modèle
et à partir duquel des conceptions pourront s’élaborer. N’oublions pas que la
monnaie intérieure dont il est ici question entre en interaction avec tous les autres
outils de la classe coopérative, qu’elle se pense de manière systémique au cœur
d’une structure. Elle ne constitue donc en aucun cas une fin en soi, juste un
élément supplémentaire pour tenter d’atteindre les intentions éducatives présen-
tées précédemment.

Concrètement, comment se présente


cette monnaie intérieure ?
Il s’agit de petits billets de papier ou de carton. On utilise une unité de départ
(le point, le bal, le tissou, le soleil…) et l’on fabrique des billets de diverses
valeurs : le décapoint, l’hectobal, le soleil… Chaque enfant s’est vu conseiller de
se fabriquer un porte-monnaie dans lequel il range la monnaie qu’il reçoit à
chaque paye. Souvent et après des histoires de pertes, de disparitions ou de vols,
les conseils décident de la création d’une banque. Un métier banquier fait alors
l’objet d’une création lors d’un conseil, ce qui permet à chaque enfant de déposer
et de retirer les sommes d’argent qu’il souhaite.

Qu’est-ce qui est payé ?


Il y a autant de réponses à cette question qu’il y a de classes qui emploient
la monnaie. En fait, cela dépend de l’importance que l’enseignant veut y accorder

16. LAFFITTE R., Une journée en classe coopérative, le désir retrouvé, Matrice, Vigneux, 1985,
p. 83.

296
Le développement des motivations

et de l’étape de vie de la classe. En effet, ce qui est payé en début d’année est
souvent différent de ce qui l’est en fin : les conseils, par les jeux des propositions,
ont pouvoir de modifier les montants et les domaines de paye. Pour illustrer cette
réalité, voici un classement qui indique ce qui est payé en début d’année, ce qui
peut le devenir par décision du conseil et ce qui n’est jamais payé :
– ce qui peut être payé en début d’année : les travaux scolaires, les gros
efforts ;
– ce qui peut devenir source de salaire : les ceintures, les brevets, les articles
pour le journal scolaire, la qualité d’un travail d’équipe, les exposés… ;
– ce qui n’est jamais payé : tout travail qui ne demande pas à être payé, les
dons à la classe, les métiers, ce qui est payé de retour : les lettres aux
correspondants, la plupart des travaux d’atelier, l’art et le jeu : ce qu’on fait
pour son plaisir…

Comment sont calculés les divers montants de salaire ?


Une fois de plus, il n’y a pas de règle. Nous prendrons « l’étoile » comme
unité. De manière générale, ce qui est payé correspond à la peine que l’on s’est
donnée pour produire, à l’effort fourni. Ce n’est en aucun cas la réussite qui fixe
le salaire, ce qui ne favoriserait que les bons élèves. C’est bien sûr l’adulte de la
classe qui se fixe ses propres critères. Ceux-ci, de toute manière, ne peuvent être
les mêmes pour toute une classe puisqu’ils tiennent compte du niveau initial et
de l’évolution de chaque enfant :
– les travaux sur fiche, les articles et les exercices d’évaluation sont payés 2
étoiles. Un travail non rendu n’est pas payé. Un travail non soigné, c’est-à-
dire sans réels efforts ni application, est payé 1 étoile ;
– une ceinture en mathématiques ou en français, dans la mesure où les efforts
pour répondre aux exercices sont conséquents, est payée 10 étoiles ;
– les exposés sont payés au maximum 10 étoiles.

Comment sont payés les efforts des enfants ?


En fin de semaine, chaque enfant est amené à faire le bilan de son plan de
travail. Il relève alors tous les travaux réalisés, comptabilise l’ensemble des
salaires gagnés sur les fiches, les articles ou les cahiers (notés par l’enseignant
lors des corrections), rajoute les éventuels salaires annexes (métiers, fonctions…)
et enlève les amendes reçues. Sur une partie du plan de travail « bulletin de
salaire », il note ce qu’il doit gagner. Après la vérification de l’enseignant et sa
validation, il se rend auprès du responsable des payes (un métier) pour recevoir
son argent.

297
La coopération du point de vue des relations

Que font les enfants de cet argent ?


Dans la classe, l’argent sert tout d’abord à acheter lors du marché de classe,
qui se déroule une fois par semaine et qui regroupe des vendeurs de petits objets
fabriqués ou apportés de la maison avec l’autorisation des parents. Ensuite, cet
argent est employé pour payer ses amendes et ainsi s’acquitter aux yeux du
groupe d’un non-respect du règlement de classe. Cette monnaie est également
utilisée pour remplacer du matériel de classe (stylo, règle, gomme…) perdu ou
endommagé. En début d’année, un ensemble complet est distribué à chacun, mais
s’il arrive que l’un des enfants en abîme une partie, il doit s’en acheter un nou-
veau. Notons que ce n’est pas le cas par exemple pour un stylo terminé ou un
cahier rempli. La monnaie peut enfin servir si la classe effectue une sortie scolaire
pour l’achat de souvenirs, de cartes postales, de timbres… C’est alors la coopéra-
tive qui paye en euros les objets achetés, ce qui permet aux enfants de se servir
une nouvelle fois de leur argent.
Notons qu’indirectement, cette monnaie qui circule dans la classe est un sup-
port très favorable aux explorations mathématiques. Souvent, les enfants ren-
contrent des situations particulières qu’ils relatent à travers notamment les
créations mathématiques. Dans les petites classes, la monnaie sert également
d’outil de travail sur les nombres. Il arrive quelquefois que des enfants décident
de s’associer. L’expérience a montré que cela se terminait souvent mal. C’est
pourquoi certains conseils l’interdisent, alors que d’autres enseignants permettent
les associations et s’en servent comme support à des discussions.

Et ceux qui n’ont plus d’argent ?


En début d’année, parce qu’ils ont tout dépensé au marché, parce qu’ils n’ont
presque pas travaillé ou parce qu’ils ont eu beaucoup trop d’amendes, il arrive
que certains enfants se retrouvent sans argent. S’ils ont à acheter des petites
fournitures ou à payer des amendes, plusieurs possibilités sont alors envisa-
geables :
– en discuter au conseil et prendre une décision. Le principe n’est en aucun
cas de chercher une nouvelle sanction puisqu’elle a déjà été formulée sous
forme d’amende. Pas de double peine ;
– proposer des travaux utiles à toute la classe, travaux qui seront payés ;
– ne rien faire sur le moment et patienter jusqu’à la semaine suivante.
Il ne sert à rien de comptabiliser les points de dettes et de les accumuler au
fil des semaines. Il convient plutôt de repartir de zéro.

Comment les enfants s’approprient-ils cette monnaie ?


Nous avons pu repérer divers types de relation à la monnaie dans une classe
coopérative. Certains enfants n’y confèrent aucune valeur, ils disent que ce n’est

298
Le développement des motivations

pas de l’argent vrai et que « c’est pour les gamins. » D’autres en comprennent
très rapidement le fonctionnement et s’y investissent avec sérieux. Enfants et
enseignant s’y réfèrent naturellement, au même degré que pour toutes les autres
institutions de la classe. La monnaie s’avère souvent être un véritable tremplin
aux désirs d’apprendre, tout du moins lors des démarrages et ponctuellement.
Certains enfants bloqués dans l’attente et l’inactivité scolaire, dans la passivité et
le paraître, peuvent trouver dans cet outil une source d’investissement qui conduit
à la mise en route des efforts. Plus tard, d’autres supports sont nécessaires, notre
propos est ici d’indiquer que la monnaie a une faculté de déclencheur.
Enfin, nous avons pu observer des enfants qui avaient choisi de ne plus se
servir de la monnaie, ou juste pour bénéficier du « minimum vital » : s’acheter les
fournitures nécessaires ou de petits objets du marché. Ces enfants en ont compris
l’intérêt et se sont rendu compte qu’il était en fait ailleurs : dans les apprentis-
sages scolaires. C’est en somme la visée finale recherchée par cet outil, par toute
institution en général : prendre conscience de sa relativité, s’en défaire et conduire
à une autonomie dans son travail ; être arrivé à comprendre que les efforts ne
serviraient ni aux parents, ni aux copains, ni à l’enseignant mais bien à soi-même
pour son devenir.

La monnaie dans les classes uniques


de l’école Antoine Balard

Le « bal » est l’unité de monnaie intérieure de l’école. Il a pour visée pédagogique


la symbolisation des échanges dans la classe en mettant en valeur les efforts four-
nis par les enfants. Pour certains d’entre eux, à moyen terme, cela les invite à
s’engager dans les tâches scolaires pour progressivement enclencher une spirale
de la réussite et par la suite apprendre à se défaire de la monnaie en travaillant
pour le plaisir de savoir. Pour la plupart, en particulier les grands, « gagner de
l’argent de classe » ne doit plus être une fin du travail.

De manière générale, ce qui est rétribué correspond à un effort effectif de travail


et non à la réussite d’un exercice ni à de la compréhension.

– Un exercice effectué est payé 2 bals, 1 seul si c’est « bâclé », 0 si ce n’est pas
fait.
– Une fiche PIDAPI (entraînements et test) est payée 5 bals.
– Une préceinture est payée 5 bals.
– Une ceinture est payée 10 bals.
– Un exposé est payé 10 bals.

299
La coopération du point de vue des relations

Des bonus peuvent être attribués lorsque l’effort est particulièrement remarquable
ou lorsque le plan de travail est achevé.
Le calcul des amendes est fait selon les ceintures de comportement

– on fait le total des remarques négatives puis on en enlève 2 ;


– on soustrait les remarques positives (services rendus à la classe). Les tuteurs
bénéficient de 5 remarques positives par semaine ;
– les enfants qui n’ont pas eu de gênes ont un bonus de + 3 bals ;
– pour les ceintures blanches 3 remarques = 1 bal d’amende ;
– pour les ceintures jaunes 2 remarques = 1 bal d’amende ;
– pour les ceintures orange 1 remarque = 1 bal d’amende ;
– pour les ceintures vertes 1 remarque = 2 bals d’amende ;
– pour les ceintures bleues ou marron 1 remarque = 3 bals d’amende.

La monnaie de classe est utilisée pour

– participer au marché de classe (en fin de semaine) ;


– payer ses amendes ;
– acheter le matériel de classe perdu ou détérioré (les stylos terminés sont rem-
placés).

Prix de la papeterie
Stylo → 5 bals
Crayon à papier → 5 bals
Colle → 10 bals
Gomme → 10 bals
Règle → 10 bals
Effaceur → 20 bals
Plan de travail → 10 bals
Passeport → 5 bals

300
7
La coopération au sein d’une école

A U NIVEAU D’UN ÉTABLISSEMENT, IL EST TOUT AUTANT NÉCESSAIRE QU’AU


niveau d’une classe de penser une organisation des relations qui suscite la
coopération et apporte aux enfants des institutions médiatrices lorsque des conflits
apparaissent. Le principe reste toujours de proposer des alternatives équitables à la
violence de manière que chacun dispose à tout moment d’outils pour tenter de
résoudre ses différends sans avoir à enfreindre une règle. Ces organisations
concernent généralement les temps d’interclasses, comme les entrées et sorties, les
temps de récréations et les rencontres dans les espaces communs que sont les cou-
loirs, la BCD et la salle informatique. Plusieurs institutions issues des pédagogies
coopératives peuvent permettre, au niveau d’une école, l’établissement d’un climat
de sérénité identique à celui qu’il est possible d’obtenir au sein d’une classe.

Les conseils d’élèves d’école

À l’échelle de l’école, un conseil peut être créé. Parce que sa vocation est de fédérer
l’ensemble des dynamiques des classes, nous pouvons appeler ce conseil d’élèves
d’école « conseil de coordination ». À l’image du fonctionnement démocratique de
notre société, il se veut un lieu d’échange consensuel autour de la vie de l’école. Son
but est de permettre une gestion partagée de ce qui unit enfants et adultes.

« Ces conseils abordent le plus souvent des sujets qui concernent l’organisation de la vie
scolaire et périscolaire (aménagement des espaces, organisation des activités, élaboration
et gestion de projets collectifs ou d’événements de l’école), des aspects directement liés à la
vie collective (règles de vie, sanctions) et de l’organisation institutionnelle du conseil lui-
même 1. »

Ce conseil n’est pas en mesure de prendre tout type de décision. C’est pour
cela qu’il convient de déterminer, en équipe d’adultes, les champs d’action du
conseil de coordination et ceux du conseil des maîtres, avant de les communiquer
aux enfants. Le conseil de coordination pourra par exemple statuer sur le règle-
ment de cour, les recours au permis à points, l’animation de la vie de l’école, la

1. LE GAL J., Les droits de l’enfant à l’école, De Boeck et Belin, Bruxelles, 2002.

301
La coopération du point de vue des relations

constitution du bureau de la coopérative d’école, la gestion du budget « conseil


de coordination » de la coopérative d’école, les situations problématiques entre
classes, les relations avec les enfants des autres écoles, la régulation des enfants
médiateurs, la validation des réparations envers l’école, l’organisation des cré-
neaux d’activités dans la cour… Le conseil des maîtres conserve la souveraineté
pour d’autres domaines tels que les relations au sein de l’équipe d’adultes, la vie
du conseil de coordination, le projet d’école ou les problèmes liés à un enfant.
Ce conseil de coordination est constitué de délégués : un enfant par classe, éven-
tuellement deux pour les classes des plus jeunes, un enseignant par cycle, un délégué
des assistants d’éducation s’il y en a, ainsi qu’un délégué du personnel d’entretien.
Plusieurs repères peuvent être donnés aux enfants pour devenir délégués au conseil
de coordination : ils doivent appartenir à une classe de l’école, être intéressé par ce
que fait un délégué au conseil, se sentir capables de représenter leur classe et de
donner leur avis et des idées sur ce qui se passe à l’école, s’engager à faire preuve de
sérieux et d’assiduité. Les délégués peuvent alors être choisis de diverses manières.
Cela peut être à tour de rôle, ou par tirage au sort. Cela peut aussi dépendre d’une
élection avec campagne électorale. Chaque candidat peut alors envisager de réaliser
une affiche qui donne envie aux électeurs de voter pour lui, faire un discours devant la
classe où il explique comment il compte représenter la classe au conseil de coordina-
tion, réaliser les bulletins de vote ainsi que des tracts, les diffuser… Les rôles d’un délé-
gué de classe au conseil de coordination sont de participer à tous les conseils de
coordination ou de se faire remplacer par un suppléant, de demander aux élèves de
sa classe ce qu’ils souhaitent proposer ou aborder comme problèmes au conseil de
coordination, de remettre au président du conseil les problèmes et les propositions au
moins une semaine avant la réunion ; après le conseil, d’expliquer à la classe ce qui
s’y est passé et ce qui a été décidé, demander de l’aide à un enseignant s’il a des
difficultés dans cette fonction de délégué.
Le conseil peut se réunir pendant les heures de classe chaque fois que le
besoin s’en fait sentir, par exemple une fois par mois. Il est animé par un président
et fonctionne comme tout conseil d’enfants (voir le chapitre sur les conseils,
p. 213) : on ne se moque pas, on lève le doigt pour demander la parole, on écoute
celui qui parle et sa voix est la même que celle des autres délégués lorsque le
président organise des décisions. En fait, ce conseil est plus un lieu de concerta-
tion et de négociation qu’un espace de réflexion. Les véritables propositions sont
émises dans chacune des classes, lorsque chaque délégué demande à ses copains
et copines ce qu’ils proposent pour que la vie à l’école progresse. Dans chaque
classe, les conseils où des élèves émettent des propositions de projets ou sou-
lèvent des problèmes rencontrés. Afin d’aider le conseil de coordination à ne pas
perdre trop de temps en discussions, il est préférable de préparer les interventions
du délégué. Il pourra à cet effet s’attacher à utiliser des fiches projets et des
fiches problèmes telles que celles-ci.

302
La coopération au sein d’une école

Exemple de fiche problème et de fiche projet

Fiche problème Classe Délégué

Problème rencontré Qui est concerné

Les solutions que l’on propose. (Cocher la solution préférée.)


□ .......................................................................................................................................................
□ .......................................................................................................................................................

Fiche projet Classe Délégué

Titre du projet

Pourquoi ce projet ? Qui est concerné ?

Comment peut-il être réalisé ?

Dans quel lieu ? À quel moment ? Quels moyens faut-il ?

Quand le prépare-t-on ? Qui s’occupe de la préparation ?

Tous types de sujets y sont abordés : le foot dans la cour, le déplacement


dans les couloirs, les propositions de ventes de goûters pendant les récréations…
et tout ce qui concerne la coopérative de l’école. Pour aider les enfants à com-
prendre l’importance de la préparation des projets avant de les présenter en
conseil, des formations de délégués peuvent être organisées. Il s’agit de préparer
des enfants volontaires à la fonction de délégué de leur classe au conseil de
coordination. Au terme de ce travail, ils devront s’être montrés capables de refor-
muler un avis pour rester fidèles aux idées confiées par les camarades, de prendre
des notes et de les relire, de faire un compte rendu succinct et juste, de prendre
la parole en réunion, de représenter leur classe en ne parlant pas en leur nom,
de témoigner des avis proposés, de rendre des comptes et de tenir leurs engage-
ments de délégués. Il pourra aussi être question de la présidence d’un conseil :
distribuer la parole, tenir compte du temps, respecter l’ordre du jour, gérer les
prises de décision, rappeler et faire vivre les règles de fonctionnement du conseil.
Cette formation peut être scindée en plusieurs étapes.
• Étape 1 : exercices de reformulation à partir d’un énoncé de type narratif
d’un enfant. Un seul devant tous puis deux par deux.
• Étape 2 : à partir d’une liste de propositions, s’entraîner à la prise de notes
et à leur relecture.

303
La coopération du point de vue des relations

Propositions : « Je propose d’organiser un tournoi de foot », « Nous proposons


que le permis à points soit plus sévère », « On voudrait que le château soit pour
tout le monde tout le temps », « Et si on faisait tous une danse pour la fin
d’année ? », « Je remercie la classe des CP parce qu’ils m’ont donné du goûter »,
« Il y a beaucoup trop de problèmes dans la cour ! »
• Étape 3 : ne noter que les propositions ou les problèmes soulevés et remplir
les fiches de préparation de conseil.
Situation proposée : « La classe propose de vendre à ceux qui le veulent,
pendant les récréations, des gâteaux. Ça permettra à notre coopérative d’avoir de
l’argent. C’est notre classe qui s’occupe de tout. On vendrait les gâteaux dans la
salle chaussette et on s’occupe de tout le reste. »
• Étape 4 : établissement d’une charte de membre de conseil.
Consigne 1 : « Que doit faire un délégué au conseil de coordination pour repré-
senter sa classe ? »
Consigne 2 : « Que doit faire un délégué s’il veut prendre la parole pendant
un conseil de coordination ? »
• Étape 5 : études de cas pour la présidence d’un conseil.
Cas 1 : « Plusieurs enfants lèvent la main pour parler. Qu’est-ce que je fais ? »
Cas 2 : « Un délégué n’arrête pas de rigoler avec son voisin. Que fait le pré-
sident ? »
Cas 3 : « Un délégué de CP n’arrive pas à expliquer ce qu’il veut dire. Que
faire ? »
Cas 4 : « Pour un projet de théâtre dans l’école, un délégué propose qu’on le
fasse pendant les récréations, un autre ne veut pas le faire et un dernier propose
que ce soit sa classe qui l’organise. Que fait le président ? »
Cas 5 : « Les délégués des CP ne semblent pas comprendre ce qui se dit. Que
faire ? »
Pour se mettre en adéquation avec les statuts de l’OCCE relatifs à la création
des coopératives scolaires, trois délégués sont chaque année élus pour constituer
le bureau de la coopérative. Si leur présence est nécessaire parce qu’il sera ques-
tion d’un élément relatif à la coopérative d’école, faire du conseil de coordination
le conseil de coopérative de l’école peut s’avérer pertinent.
Les délégués de classe ne sont pas des représentants et, à ce titre, ne peuvent
pas voter individuellement sans avoir sollicité l’avis de leur classe. C’est pour cette
raison que des échanges sont nécessaires entre ce qui se construit au sein du
conseil de coordination et ce qu’en pensent les enfants dans les classes. L’instru-
ment de communication de ces informations peut être le compte rendu du conseil

304
La coopération au sein d’une école

qui propose de classer ce qui fait l’objet de discussions lors du conseil en trois
rubriques : décisions prises (parce qu’elles ont déjà été discutées en classe),
décisions à prendre (à faire décider dans les classes) et propositions à faire discu-
ter en classe lorsqu’un projet est présenté pour la première fois et concerne l’école
entière. Il peut prendre cette forme :

Exemple de compte rendu de conseil


Compte rendu du conseil de coordination

Date :
Président Secrétaire :
Enfants délégués :
Classes non représentées :
Température de l’école :
Soleil
Nuage :
Pluie :
Température de la présidence :
Soleil
Nuage :
Pluie :

Décisions prises Décisions à prendre Propositions à discuter en


classe

Prochain conseil le ……………… Le président sera ………………

Le règlement de cour et les permis à points

Lors des premières réunions des conseils de coordination, les délégués abordent
fréquemment les petits conflits qui naissent dans la cour parce que certains ne
respectent pas forcément les autres. L’absence ou l’inadaptation d’un règlement de
cour peut être soulevé comme un manque à combler. Pour y pallier, le conseil peut
se proposer pour devenir l’instance de l’école par laquelle ce règlement verra le
jour. Cette élaboration peut se penser selon trois repères : les droits que tout enfant
de la cour peut revendiquer afin de profiter pleinement de son temps de pause –
des exemples de comportements contraires fréquemment rencontrés dans l’école

305
La coopération du point de vue des relations

ou particulièrement craints –, le nombre de points que l’on peut se voir retirer en


cas de manifestation de ces comportements contraires. Il est possible d’ajouter à
ce règlement de cour une liste de services que l’on peut rendre à l’école (arbitrer le
match de foot des petits, sortir le matériel, sonner…).

Exemple de règlement de cour


Droits Comportements contraires Points retirés
Jouer sur le terrain Traverser le terrain pendant un match 1
Jouer en dehors des limites du terrain 1
Ne pas respecter l’arbitrage 2
Empêcher une partie de se dérouler
2
normalement
Jouer tranquillement Ne pas faire attention et bousculer les autres 1
Déranger un jeu – empêcher de jouer 1
Jouer avec la sonnerie 2
Déclencher l’alarme 3
Jeter des cailloux, de la terre, des objets 3
Se battre, frapper 3
Être en sécurité Sortir de l’école 3
Grimper sur le grillage 3
Aller jouer dans les cours des autres écoles 2
Être respecté Insulter 3
Salir les vêtements 1
Se moquer 2
Menacer 3
Répondre à un adulte 3
Toucher ce qui est intime 3
Goûter tranquillement Ennuyer un camarade pour avoir son goûter 2
et sainement Goûter dans les couloirs 1
Racketter 3
Écraser le goûter des autres 2
Utiliser les toilettes Jouer dans les toilettes 1
Jeter des papiers dans les toilettes 2
Empêcher quelqu’un de sortir des toilettes 2
Regarder sous les portes ou par-dessus 3
Boucher les toilettes 3
Uriner autre part que dans les toilettes 3
Se balancer sur les portes des toilettes 2
Vivre dans un endroit Jeter des détritus ailleurs que dans les
2
propre poubelles
Cracher au sol 1
Mettre des saletés dans les autres cours 2
Écrire sur les murs 2

306
La coopération au sein d’une école

Une fois ce règlement établi, c’est-à-dire produit à partir de plusieurs échanges


entre conseils de classes, conseils des maîtres et conseil de coordination, il peut
entrer en vigueur. Pour le faire vivre sans avoir à prononcer des punitions telles
que des privations de récréation, on peut en même temps y adjoindre les permis
à points. Si un enfant, ou un adulte, est vu en train d’avoir un « comportement
contraire », il peut perdre des points (ce qui arrive peu puisque généralement, il
y a retrait quand il y a refus de réparation). Pour gagner des points, c’est la même
chose, il suffit de manifester un service rendu. Toutes les personnes présentes
dans l’école ont un permis et y sont soumises de la même manière.

Exemples de services à rendre à l’école

Liste des services et points correspondants

Tailler les crayons d’une classe (3 points)


Ranger le matériel de sport dans le local (2 points)
Ranger et nettoyer le matériel de peinture (2 points)
Ranger les vêtements trouvés (1 points)
Ranger la BCD (2 points)
Inscrire les petits sur les tableaux d’atelier (3 points)
Aider Untel quand il en aura besoin (2 points)
Dire de ramasser les papiers à ceux qui les font tomber (3 points)

Ces permis existent pour permettre aux enfants de vivre leurs relations sans
une tutelle continue des enseignants et profiter de ces situations pour apprendre
à interagir avec d’autres sans se rendre dépendants d’adultes. Leur but est de
symboliser par des points le respect des règles de cour tout en sanctionnant, si
nécessaire, les enfants ou adultes qui ne les respecteraient pas. Ils sont diverse-
ment utilisés dans les établissements scolaires, du premier et du second degré.
Comme tout outil pédagogique, il est possible d’en faire de multiples usages, de
les utiliser à des fins émancipatrices ou pour domestiquer les groupes avec qui
l’on travaille. Qu’il y ait deux poids et deux mesures entre les enfants et les
adultes, qu’une pression importante s’exerce sur les familles dont les enfants ont
perdu des points, qu’on ne parle que de retrait de points sans jamais valoriser ce
qui fonctionne, constituent autant d’éléments qui ne font pas du permis à point
un instrument d’éducation. En même temps, ils ne correspondent pas à des
contrats parce qu’il n’y a pas d’engagement mutuel pour permettre l’exercice
d’une liberté. En revanche, ce peut être un outil assez pertinent pour à la fois
rappeler l’existence des règles de vie dans la cour et mettre à disposition un
support de médiation en cas de différend. En plus, cela évite le pire, à savoir
qu’un enfant se fasse agresser par un autre en ayant comme seule alternative

307
La coopération du point de vue des relations

celle de devenir agresseur à son tour parce que rien d’autre n’est possible pour
« garder la face » ou de voir les règles de récréation modifiées en fonction de la
personnalité des enseignants de service. A priori, dans les écoles se trouvant en
zone sensible mais également dans toutes les autres, l’école se doit d’être un lieu
où les relations sociales ne sont pas guidées par la loi des plus forts mais plutôt
par celles qui protègent tout le monde, y compris les plus petits et les plus faibles.

Signature Signature Points


Date Explication
élève adulte restants

Début d’année 12

Le permis à points équivaut au permis de conduire des automobilistes. Chacun


dispose d’un capital de points pour circuler et lorsqu’une infraction est commise,
des points peuvent être retirés. Pour en récupérer, il faut attendre un certain délai
ou effectuer des stages de sensibilisation à la prévention routière. C’est simple-
ment avec cette idée que les permis de cour peuvent être présentés aux conseils
de classe et de coordination. Lorsque le principe est majoritairement accepté, il
ne reste plus qu’à pondérer les comportements contraires : – 1 point pour une
petite infraction, – 2 pour une infraction plus importante, – 3 pour un comporte-
ment contraire grave.
Enfants et adultes reçoivent chacun leur permis à points. Les documents sont
regroupés dans une boîte qui est descendue à chaque récréation – cela peut faire
l’objet d’un service rendu à l’école. Les enseignants expliquent régulièrement que
pour récupérer des points, il suffit de rendre service à l’école. Ce sont exclusive-
ment les adultes qui retirent ou ajoutent des points sur les permis. Pour les
retraits, les enfants peuvent exprimer un désaccord en demandant au conseil de
coordination d’examiner à nouveau la situation. Dans les faits, ce type de recours
n’intervient quasiment jamais.
L’introduction d’un tel outil ne se fait généralement pas sans résistances. C’est
pourquoi le conseil peut élaborer progressivement un second document intitulé
« code de fonctionnement du permis » où il est précisé comment et pourquoi ce
permis existe et doit être utilisé.

308
La coopération au sein d’une école

Code de fonctionnement du permis à points


(exemple)

Article 1
Le permis à points est fait pour que tous les enfants de l’école puissent s’amuser
et se détendre pendant les récréations. Personne n’a le droit de faire souffrir un
enfant.
Le règlement de l’école concerne aussi les adultes.
Article 2
Le permis de l’école ne doit pas servir dans les classes.
Article 3
Un enfant à qui il manque des points peut en récupérer en rendant service à l’école.
Pour cela, il doit en discuter avec un adulte. Ces activités se font pendant les
récréations.
Au bout de deux mois sans avoir perdu de points, on récupère tous ses points.
Article 4
En fin d’année, un diplôme de bon citoyen est distribué à tous les enfants qui ont
12 points sur leur permis.
Article 5
Le but du permis, ce n’est pas de dénoncer, c’est de se protéger. Ce sont les enfants
à qui on a fait quelque chose qui doivent se plaindre : ce ne sont pas les copains
ou les copines, sauf lorsqu’il y a eu un accident. Il est important de venir avec un
témoin.
Article 6
On ne peut pas avoir plus de 12 points sur son permis. Le retrait maximum est de
3 points.
Article 7
Les enfants qui ont 4 ou 5 points reçoivent de leur délégué un avertissement du
conseil.
Article 8
Quand on n’a plus de point sur son permis, on doit participer à un conseil de
permis à points. S’y trouvent des enseignants et le délégué de sa classe.
Article 9

309
La coopération du point de vue des relations

Petit à petit, il est possible d’observer les enfants s’approprier le fonctionne-


ment de ce règlement et de ces permis, et de voir les relations dans la cour
devenir beaucoup moins tendues. Au lieu de rendre le coup ou l’insulte qu’il vient
de recevoir, chaque élève peut alors décider de prévenir un adulte pour un retrait
de points. Les enfants interrogés sur ce sujet expriment dans leur grande majorité
un sentiment de sécurité et de justice face à ce permis. Les plus jeunes se sentent
protégés des plus grands, ils expliquent même apprécier recevoir leur aide. Tous
disent que le permis les aide à contrôler ce qui se passe en eux quand ils res-
sentent l’envie d’être violents. La combinaison permis de cour/permis à points
devient alors un outil leur permettant de faire face à la violence par de la non-
violence et un recours de confiance à la loi.

Si l’on souhaite compléter l’emploi de ces permis par un outil pédagogique


intervenant en amont des infractions, il est alors possible d’envisager la médiation
par les pairs. Lorsque des enfants médiateurs sont présents dans une cour, les
permis n’interviennent qu’après avoir tenté de trouver une sortie de conflit conve-
nant aux deux parties en conflit. En même temps, ces permis rassurent les média-
teurs puisqu’ils disposent à leur tour d’un support leur permettant de stopper les
médiations lorsque celles-ci n’aboutissent pas ou ne se déroulent pas dans des
conditions d’écoute favorables.

Des permis de circulation libre et responsable

À l’image de ces institutions d’école (règlement de cour, permis à points, enfants


médiateurs), il est possible d’aboutir à un dispositif d’outils pédagogiques visant à
s’intéresser aux comportements contraires pouvant survenir pendant les temps de
récréation. Les gros problèmes de comportement qui, jusque-là, pouvaient gangre-
ner les récréations et leurs retours, sont en mesure de quasiment disparaître. Cepen-
dant, le fait de ne porter attention justement qu’aux enfants ayant bousculé, insulté,
tapé, voire volé, n’accorde aucune espèce d’importance et de reconnaissance à tous
les autres, en particulier à tous ceux qui, à l’inverse des premiers, jouent, aident,
expliquent, partagent, soutiennent et encouragent. La seconde grande étape des
réflexions d’une équipe pédagogique peut être de s’attacher au quotidien de ces
enfants-là, afin qu’ils puissent bénéficier à leur tour de l’estrade médiatique
apportée par le fonctionnement de l’école et ses outils relationnels. Stratégique-
ment, cela peut avoir pour effet d’inverser les considérations, de donner plus
d’importance à ce qui marche dans l’école plutôt qu’à ce qui crée des problèmes.
C’est ainsi que l’on peut envisager les permis de libre circulation. Avec ce nouvel
outil, il s’agit de permettre aux enfants qui le possèdent de disposer d’espaces de
libertés plus étendus ainsi que de champs de responsabilités plus larges. C’est la
raison pour laquelle, à l’instar de ce qui s’était développé dans l’école Ange Guépin

310
La coopération au sein d’une école

de Nantes (Loire-Atlantique) et dans celle de Saint-Sorlin-en-Bugey (Ain), il semble


préférable d’appeler ce permis le « Permis de circulation libre et responsable »
(PCLR). L’ouvrage de Jean Le Gal sur les droits de l’enfant à l’école apporte égale-
ment plusieurs informations aidant à leur introduction 2.

Exemple de permis de circulation

Dans l’esprit, tous les enfants de l’école en reçoivent un en début d’année et


peuvent se le voir retiré en cas d’écart de comportement. Dans les faits, les attri-
butions peuvent être laissées au libre arbitre de chaque enseignant dans sa classe
et du conseil de coopérative. Quoi qu’il en soit, tous les enfants de l’école qui le
veulent peuvent obtenir ce PCLR. Ils font part de leur demande au conseil de leur
classe et c’est à leur enseignant de décider en fonction de ce qui s’y dira. Celui-
ci peut proposer que le choix se fasse sur vote.

Posséder ce permis, c’est obtenir de nouveaux droits et aussi s’engager à


respecter quelques obligations. Certaines valent pour l’école entière et font l’objet
d’un consensus entre toutes les classes, d’autres sont spécifiques à chaque
groupe et sont discutées en conseil.

Droits et obligations relatifs au permis


Droits Obligations
– Rester silencieux (ne pas crier)
– S’inscrire en BCD – Rester calme
et en salle informatique (ne pas courir dans les couloirs et ne pas bousculer)
Pour l’école

– Descendre en récréation – Rester dans les zones de CLR


et remonter de la cour (ne pas « se balader » dans l’école)
– Aller aux toilettes – Respecter les personnes et le matériel
– Rester dans sa classe (ne pas insulter, taper, se moquer, menacer…
pendant les récréations ne pas abîmer le matériel de l’école)
– Goûter dans la cour (ne pas manger à l’intérieur)
Pour la classe

– Aller travailler dans une autre classe – Ne pas déranger les autres enfants
– Aller en salle d’arts plastiques – Faire son travail
ou en BCD – Déplacer sa fiche en T

2. LE GAL J., Les droits de l’enfant à l’école, pour une éducation à la citoyenneté, De Boeck et
Belin, Bruxelles, 2002.

311
La coopération du point de vue des relations

Un enfant qui ne respecte pas l’une des obligations de ce permis peut le


perdre. Le permis peut être retiré par n’importe quel adulte de l’école. Les ensei-
gnants peuvent s’accorder pour que le délai de retrait soit d’une semaine au
minimum. Pour récupérer son permis, il est alors nécessaire que l’élève en formule
la demande au conseil de classe de la semaine suivante.
Les enfants qui n’ont pas le permis se rendent obligatoirement dans la cour
pour leur récréation et vivent ce temps de détente comme tous les autres petits
élèves français. Dans la cour, en BCD et en salle informatique, des adultes seront
toujours présents.

En tant qu’enseignant, il est possible d’introduire ces permis à partir du


moment où leur présentation a été introduite dans le projet d’école et le règlement
intérieur, a été acceptée par le conseil d’école et que les conditions d’attribution
et d’exercice de la circulation ont été clairement définies, affichées, datées et
signées. Cette « autorisation juridique » apparaît comme possible au regard de la
loi du 5 avril 1937. Celle-ci stipule que le juge administratif est compétent lorsque
« le dommage résulte d’une mauvaise organisation ou d’un fonctionnement défec-
tueux du service public de l’enseignement ». La circulaire no 96-248 du 25 octobre
1996 concernant la surveillance des élèves précise à son tour :

« L’établissement scolaire, de par sa mission de formation et d’éducation, contribue à


l’apprentissage de la responsabilité par les élèves. Les modalités de surveillance des élèves
doivent tendre à la mise en place de conditions de vie collective satisfaisantes. Elles parti-
cipent au projet global de formation de l’établissement. Il importe que les modalités de
la surveillance se traduisent sous la forme de règles simples et précises, dont la justification
puisse être facilement perçue par les intéressés, et qui prennent en compte l’objectif que
les élèves assurent eux-mêmes, progressivement, la prise en charge de certaines de leurs
activités. Ces règles seront retracées de manière claire et exhaustive par le règlement
intérieur de l’établissement. […] Quant à la mise en œuvre des règles retenues, elle
requiert la vigilance de l’ensemble des personnels, et tout particulièrement celle des ensei-
gnants. »

La responsabilité pénale de l’enseignant ne pourrait donc être engagée si


l’organisation des surveillances a été pensée en tenant compte de l’environnement
et de ses conditions et si, dans le cadre de cette organisation, chacun a respecté
ce qui était prévu.

Avec un tel permis de circulation libre et responsable, les enfants sont donc
en mesure de se rendre aux toilettes pendant les temps de classe, monter et
descendre de récréation sans « faire le rang », poursuivre une activité en classe
pendant les récréations, se rendre en BCD, salle informatique… en somme circuler
selon des modalités pensées et prévues selon les contextes. Il existe pour que
les enfants de l’école puissent mieux vivre leurs journées, possèdent plus de

312
La coopération au sein d’une école

libertés et en profitent pour développer des apprentissages vrais et autonomes.


Il leur est expliqué qu’il ne fonctionnera que si tout le monde met de la bonne
volonté à respecter la vie de l’école et les personnes qui la composent.
Après plusieurs années de fonctionnement, ce permis se présente comme un
outil d’éducation fort, médiatisant davantage les attitudes responsables que les
incivilités et les violences. En même temps, il étend les espaces de mobilité des
enfants dans les classes et dans l’école, ce qui a pour intérêt de disposer de lieux
de travail plus vastes et donc moins soumis à la contrainte d’exiguïté des locaux.
Tous les espaces de liberté que les enfants sont alors en mesure d’investir sont
autant d’occasions pour l’enseignant de contribuer à l’établissement d’un climat
de sérénité dans la classe, ce qui induit directement de meilleures conditions pour
apprendre.

Ce qu’en disent certains enfants


Qu’est-ce que tu penses du permis de circulation libre et responsable ?
– Je dis qu’il est bien parce que nous pouvons nous déplacer dans l’école, rester
dans la classe et aussi aller dans la salle informatique (Hamza).
– C’est bien parce que ça fait changer de comportement. Avant j’avais souvent envie
de faire des bagarres et maintenant, j’ai moins envie (Virginie).
– C’est bien parce que avec le PCLR on peut lire des livres pendant les récréations
(Raouïa).
– Je pense que tout est intéressant sauf que quand tu fais une bêtise, on te le retire
(Hatem).
– Je pense que ça sert beaucoup car il faut faire attention à son comportement quand
tu vis avec d’autres personnes (Wanessa).
– Je pense que c’est important parce que si quelqu’un s’ennuie et qu’il ne veut pas
aller en récréation, il peut rester en classe. Ce qui n’est pas bien, c’est qu’on doit
respecter des règles mais ce qui est bien c’est qu’on est libre à l’école (Ahmed).
– Dans la cour on est beaucoup et ceux qui veulent rester en classe laissent de la
place à ceux qui sont dans la cour, surtout aux plus petits (Jalal).
Qu’est-ce que le permis vous a appris ?
– J’ai appris à ne plus courir dans les couloirs (Virginie).
– …À changer mon comportement en classe parce que je ne crie plus (Jalal).
– Avec les enseignants pour montrer qu’ils peuvent avoir confiance en moi (Raouïa).
– Pour apprendre à ne pas gaspiller les droits que l’on a obtenus (Ichem).
– Je l’ai perdu une fois et j’ai compris qu’il ne fallait pas abuser des droits qu’on nous
donne (Mouaâd).

La coopération entre adultes : les directions collégiales

Ce qui peut devenir valable et évident pour des enfants inscrits dans des
classes coopératives ne l’est pas forcément pour leurs enseignants. La difficulté

313
La coopération du point de vue des relations

est de parvenir à dépasser une série de barrières personnelles provenant d’une


tradition pédagogique française étrangère à ces fonctionnements. Il apparaît donc
essentiel au début de ces aventures éducatives de se mettre autour d’une table,
de faire la liste des attentes, appréhensions et compétences de chacun, d’organi-
ser des stratégies de démarrage et des situations de régulation. C’est par ce travail
entre adultes que la coopération des enfants prend forme, par son intermédiaire
que de nouveaux besoins peuvent apparaître, que des évolutions peuvent complé-
ter les projets qui se construisent. Il devient alors évident qu’une cohérence est
à trouver entre ce qui est demandé au niveau des enfants dans l’école et la façon
dont s’organise l’équipe d’adultes. D’où la nécessité de pratiques coopératives
entre enseignants.
Celles-ci peuvent prendre plusieurs formes : ouverture des classes et circula-
tion des élèves, structure de communication entre enseignants afin que les infor-
mations se propagent de manière fluide, organisation coopérative des réunions
d’adultes, tutorat entre les enseignants anciennement présents sur l’école et ceux
qui viennent d’y être nommés… et direction collégiale.
Une direction collégiale se veut un fonctionnement visant à répartir entre plu-
sieurs personnes constituant une équipe de collégialité les tâches correspondant
à la direction d’une école. Elle constitue une alternative aux organisations conven-
tionnelles qui voient une même personne assumer l’ensemble de la fonction de
direction. Les diverses expériences de fonctionnement par collégialité ont pu prou-
ver que ce partage des responsabilités conduisait à une modification des investis-
sements de chacun et du climat au sein de l’équipe enseignante. Tout
professionnel sait qu’il est bien plus agréable et motivant de se retrouver dans
un groupe de travail où règne l’entente que dans un collectif animé par rumeurs
et non-dits. Cette convivialité dans le partenariat pourrait même être considérée
comme un facteur premier de l’efficacité des pratiques enseignantes. Ce n’est
donc plus le charisme d’un directeur qui fonde la cohésion d’un groupe d’ensei-
gnants, mais plutôt la cohérence d’une équipe autour du projet d’école qu’elle
développe.
Les fonctionnements en direction collégiale font l’objet d’un travail de réflexion
et d’une insertion dans un axe du projet de l’école. Celui-ci mérite alors d’être
présenté lors d’un conseil d’école, adressé à l’inspecteur de circonscription puis
validé. Il est ainsi bien entendu avec l’IEN que dans l’organisation de cette collé-
gialité, une seule et même personne est son référent, à savoir celle ayant obtenu
ce poste. Pour l’Éducation nationale, il n’y a qu’un seul titulaire de la direction.
Quelques rencontres avec tous les enseignants de l’école s’avèrent nécessaires
pour établir les modalités d’organisation d’une direction collégiale. Ce travail peut
être éclairé par des expériences menées par diverses équipes d’écoles Freinet

314
La coopération au sein d’une école

dont les témoignages sont précieux 3. Voici comment, dans les faits, il est possible
de l’envisager :
• le titulaire du poste prend la fonction de directeur de l’école. Les enseignants
qui ont souhaité participer l’accompagnent dans l’équipe de direction collé-
giale. D’autres collègues ont également la possibilité de ne pas prendre part
à ce travail ;
• les décharges de direction sont réparties équitablement entre les classes des
enseignants faisant partie de la direction collégiale. Il est aussi possible que
le poste de décharge de direction soit attribué à une classe, l’enseignant de
cette classe étant celui qui remplace ses collègues pour assurer les temps
de décharge ;
• l’équipe se réunit une fois par semaine. Un cahier de communication assure
le transfert d’informations entre ses membres ;
• pour éviter une rupture entre l’équipe de collégialité et les autres membres
de l’équipe d’adultes, plusieurs idées peuvent être pensées :
– un compte rendu des réunions de collégialité à envoyer à tous les adultes
de l’école,
– sans être obligatoires, ces réunions sont ouvertes à tous,
– les décisions hors urgence sont prises en conseil des maîtres,
– les fonctions de la collégialité sont proposées à tous.
Lorsqu’un membre de la collégiale est déchargé de sa classe (une demi-jour-
née par semaine), il est à disposition de l’école. Il est alors amené à accueillir les
parents, à recevoir les visiteurs, à répondre au téléphone, à effectuer divers tra-
vaux administratifs, à se mettre à l’écoute des enfants et adultes de l’école, à
organiser les divers projets pédagogiques en cours. Il ne peut pas prendre de
décisions engageant toute l’école mais transmet les informations soit aux collè-
gues intéressés soit au conseil des maîtres.
En fonction de leur nature, les décisions sont prises lors des conseils des
maîtres, d’école ou de coordination (conseils d’élèves de l’école). Si diverses pro-
positions s’affrontent, c’est une majorité qui détermine le choix sauf lorsqu’il est
indiqué qu’une loi risque d’être franchie, auquel cas le titulaire du poste fait res-
pecter la loi. Pour la question de l’indemnité de direction, il semble logique qu’elle
revienne de droit à la personne titulaire du poste en raison des réunions adminis-
tratives auxquelles elle est tenue d’assister sur son temps personnel (Éducation
nationale et mairie).

3. « Travailler en équipe », Le Nouvel Éducateur, no 127, mars 2001, p. 6-28.

315
La coopération du point de vue des relations

Exemple de répartition des tâches dans la direction collégiale

Tâches Référents

Relations avec les services municipaux Enseignant 2

Relations avec les parents et les parents Gestion personnelle validée par le titulaire
délégués

Relations avec les institutionnels Titulaire du poste

Gestion des documents administratifs Enseignant 3

Gestion des inscriptions Titulaire du poste

Relations avec l’équipe des assistants Titulaire du poste


d’éducation

Relations avec l’équipe technique (personnel de Enseignant 2


service et d’entretien)

Sécurité de l’école Enseignant 4

Traitement et suivi des commandes Enseignant 5

Suivi de la coopérative d’école Enseignant 3

Suivi des projets éducatifs et pédagogiques Enseignant 2


d’école

Gestion du courrier reçu et à envoyer Titulaire du poste

Gestion du courrier Internet Enseignant 6

Gestion du décompte des heures d’étude Enseignant 6

Relations avec les personnes extérieures Enseignant 2


(stagiaires, IUFM, visiteurs…)

Gestion des postes informatiques Enseignant 4

Gestion de la BCD : garant du fonctionnement Enseignant 5


et commandes

Gestion de l’occupation des salles ou zones Enseignant 5


d’activités

Suivi des médiateurs de cour et du permis à Enseignant 3


points

Suivi du permis de circulation Enseignant 4

Suivi du conseil de coordination Enseignant 2

Animation du conseil d’école À tour de rôle

Animation du conseil de cycle À tour de rôle

Animation de l’équipe d’enseignants et/ou de la À tour de rôle


direction collégiale (présidence du conseil,
écoute…)

316
La coopération au sein d’une école

Ce fonctionnement collégial peut être évalué à partir de différents critères,


étudiés du point de vue individuel et du point de vue collectif : respect des respon-
sabilités partagées, aboutissement du projet, cohérence et cohésion de l’équipe,
implication de chacun, prise en compte des impératifs du contexte, souci de l’évo-
lution des enfants, communications avec les parents, les partenaires, l’extérieur,
etc. L’amorce de cette collégialité peut entraîner quelques erreurs au départ, par
exemple sous forme de financements partiellement obtenus ou d’errances dans
la répartition des tâches. Cela semble très humain que de tâtonner de la sorte,
mais c’est aussi le prix des apprentissages. Pourtant, une direction collégiale
semble apporter beaucoup à une équipe et à une école :
– une responsabilisation de tous les membres d’une équipe d’adultes équita-
blement impliqués dans la mise en place et le suivi du projet d’école ;
– un partage des responsabilités adapté aux engagements possibles par
chacun et dégageant une unique personne des tâches les moins
attrayantes ;
– un renforcement du conseil d’équipe qui prend tout son sens puisque c’est
l’instance à travers laquelle la politique de l’école se construit par le truche-
ment de propositions, négociations, adaptations ;
– une qualité de relations basées sur le partenariat, la confiance et l’entraide,
les enjeux de groupe n’étant plus sous la tutelle d’un fonctionnement pyra-
midal favorisant l’émergence de situations infantilisantes et hiérarchiques ;
– des apprentissages vrais et vivants autour de la gestion d’un projet humain.
Les adultes sont inscrits dans une aventure qui les voit contribuer effective-
ment à la réalisation d’un projet éducatif et qui leur permet une formation
professionnelle basée sur des actes et non des mots et bâtie sur l’ouverture
et la coopération ;
– une optimisation de la qualité du projet d’école et des projets de
classe puisqu’il n’est plus question de s’y engager de manière isolée mais
avec le possible soutien de pairs partageant des visées communes ;
– une plus grande adéquation entre les dispositifs et les personnes ;
– une toujours possible perfectibilité du projet coconstruit et une remise en
question perpétuelle des éventuelles hypothèses étudiées et des choix
effectués.
Plusieurs repères changent par rapport à ce qui peut se faire dans le commun
des écoles. Même s’ils ne sont pas très conséquents, des efforts sont mobilisés.
Ils se traduisent par la participation à des réunions régulières, le fait de ne pouvoir
obtenir une réponse à une demande sur-le-champ, l’obligation parfois inconfor-
table de se positionner, le don de quelques heures supplémentaires à l’école et
une organisation de la décharge de direction sur plusieurs classes. D’un point de
vue fonctionnel, tout cela n’est possible que si un certain nombre de conditions
sont respectées :

317
La coopération du point de vue des relations

– entière acceptation du titulaire du poste de direction ;


– entière acceptation des personnes entrant dans la collégialité ;
– tolérance des responsables institutionnels ;
– mise en route d’un dispositif de vie de la collégialité.
Or, ce n’est pas en termes d’énergie dépensée que se joue cette collégialité,
bien au contraire. Elle implique plutôt un travail à plusieurs avec tout le caractère
humain que cela peut engendrer, en particulier l’émergence de conflits. Les divers
vécus peuvent montrer combien il est crucial de disposer d’instances de régulation
permettant à des oppositions de s’exprimer et de se gérer, non pas par le renonce-
ment des affirmations, mais plutôt par la possibilité donnée par tous et à chacun
de sortir de ces situations vainqueur et grandi. L’intention n’est pas de créer un
théâtre d’affrontements mais de permettre à tous les acteurs de vivre en toute
sérénité leur engagement, sans être habités par la peur de ce qui sera dit une
fois parti ou par l’angoisse de manifestations violentes.
Si notre intention de pédagogue est de favoriser le travail en équipe, de pro-
mouvoir d’autres modes de vie que la compétition, de lutter contre l’individua-
lisme et si l’on pense que la personne se construit par l’action, tout conduit à
donner du sens aux engagements personnels. La direction collégiale se présente
donc comme une alternative au moins équitable pour un travail en équipe visant
d’abord la concertation, parfois l’affrontement, souvent la négociation et au final
la coopération.
Il semble à la fois surprenant et dommageable que cette confiance en l’humain
ne soit pas apparue plus tôt dans la tradition scolaire. Outre le fait qu’elle ne perd
rien si on la compare à des fonctionnements avec pivot, il apparaît nettement
qu’elle rapporte, surtout par l’émancipation des acteurs qui en profitent et qui,
de fait, sont conduits à montrer et donner le meilleur d’eux-mêmes. C’est une fois
de plus, tout l’intérêt de la coopération.

318
Conclusion

La complexité pourrait être ce qui caractérise le mieux la classe coopérative.


Nous avons pu faire part d’une rencontre avec des savoirs complexes ainsi que
de la prise en compte de la complexité des réseaux de relations. Globalement,
c’est face à la complexité d’un fonctionnement que l’on se retrouve. Pour l’ensei-
gnant et pour les élèves, elle vise à faciliter les émancipations et à générer des
apprentissages. Pour un observateur extérieur, elle pourrait au contraire être
vécue comme une difficulté, tellement est importante la phase d’évolution du
dispositif. Parents, visiteurs et inspecteurs font partie de ces observateurs ponc-
tuels. Afin justement d’entrevoir les relations systémiques entretenues par chacun
des éléments de la structure, le mieux serait de prévoir un temps d’observation
conséquent dans la classe. Le problème est que cela ne s’avère pas souvent
possible. De plus, les enfants ne sont pas tous prêts pour laisser entrer un
membre de leur famille dans un espace qu’ils peuvent considérer comme apparte-
nant à leur sphère privée.
Un classeur du visiteur peut être mis à disposition qui regroupe différents
documents présentant tout ou partie de la classe coopérative. Il invite alors à aller
plus loin que la seule observation, pose les fondements et les choix pédagogiques
de la classe. Il s’adresse à tous ceux qui entrent dans la classe sans en connaître
l’histoire et le fonctionnement. Il peut apporter une partie des étayages présentés
dans cet ouvrage ainsi que des traces des principales étapes empruntées pour
aboutir au dispositif du moment.
Le système traditionnel des inspections semble peu adapté aux classes coopé-
ratives. Du temps est nécessaire pour appréhender l’architecture ainsi que les
évolutions de la structure, et estimer en quoi l’expression du vivant contribue à
développer les apprentissages scolaires. Il serait alors intéressant de préciser ce
que l’on attend d’une inspection : quelles sont les demandes de l’enseignant ?
Sur quels domaines peut-il y avoir du conseil ? Qu’est-ce qui peut être exploité
pour mesurer les progrès des élèves ?
En conséquence, que peut-on montrer de la classe coopérative pour que ces
observateurs extérieurs puissent s’en faire une image fidèle ? Quels sont les élé-
ments que l’on gagne à médiatiser parce qu’ils constituent des piliers du fonction-
nement et quels sont ceux qu’il convient plutôt d’éviter parce qu’ils ne sont que
ponctuels et temporaires ?

319
Apprendre avec les pédagogies coopératives

Pour tendre vers l’équilibre de la présentation de la classe, il s’agirait de cibler


la force des choix de la classe coopérative, notamment en indiquant que chaque
enfant dispose de diverses libertés (parole, déplacement, toilettes, choix…), que
la construction de la loi dans la classe se fait de manière progressive en veillant
à assurer la sécurité et le bien-être de tous, que les évaluations se veulent forma-
trices, c’est-à-dire au service des apprentissages des enfants et sans volonté
d’inscrire leurs engagements dans la compétition, que différents dispositifs péda-
gogiques sont proposés aux enfants de manière que leur travail corresponde à ce
qu’ils sont capables d’engager, et que ces dispositions s’appuient sur les compé-
tences et connaissances ciblées par les programmes de l’école.
La place de l’enseignant d’une classe coopérative fait aussi l’objet d’interroga-
tions. Il manifeste un effacement relatif de manière à laisser une place importante
aux enfants. Ceux-ci disposent alors de véritables espaces de liberté pour s’enga-
ger de manière authentique et vivante. Pour autant, son rôle se décline de plu-
sieurs manières. L’enseignant :
– n’assure plus seul la distribution de l’information, il est accompagné pour
cela par ce qu’apportent les enfants ;
– organise le milieu de telle façon que l’environnement proche de l’enfant
soit le plus riche possible, c’est-à-dire producteur d’un nombre important
d’informations ;
– met en place un embryon de la structure, une institution zéro de classe ;
– permet à cette structure de se construire et d’évoluer, notamment par l’inter-
médiaire du conseil ;
– intervient lorsque le fonctionnement démocratique des échanges ou la sécu-
rité des enfants est en danger ;
– fait vivre un emploi du temps qui équilibre les moments collectifs et les
temps personnels ;
– consacre et anime les temps collectifs pour la structuration du groupe et
l’entrée des enfants dans les nouvelles notions scolaires à aborder par
l’école (avec recours à du travail en groupe) ;
– se rend auprès des enfants pour les aider, notamment pour entrer dans les
activités et mener à terme leurs projets ; permet aux enfants de s’en sortir
de manière autonome, ou intervient et garantit l’écoute et la sécurité de
chacun ;
– se rend auprès des enfants qui avancent, afin de les encourager à poursuivre
leurs progressions ;
– évalue le travail produit par les élèves pour qu’ils puissent mesurer l’écart
entre ce qu’ils sont en mesure de réussir et ce qu’il leur reste à travailler ;
– contribue à l’autostructuration de la classe et aide à dénouer des blo-
cages que le groupe peut rencontrer ;

320
Conclusion

– participe au témoignage du monde adulte et enrichit ainsi la classe de son


expérience ;
– a le souci des familles et fait en sorte que les innovations pédagogiques
deviennent plus des sources d’ouverture et de confiance que des prétextes
à angoisses et reproches. Cela peut se travailler par une force d’amabilité
et d’invitations à participer et à échanger ;
– travaille avec d’autres enseignants, afin d’entretenir la nécessaire vision
large lui permettant de prendre du recul par rapport à l’enchevêtrement des
événements survenant dans sa classe.
Cette fonction reste très volatile, instable et infiniment difficile à préciser.
Quand faut-il intervenir, voire prendre le leadership, et quand faut-il s’effacer et
laisser les choses évoluer d’elles-mêmes ? Ces questions sont à résoudre à tout
moment et ne peuvent faire l’objet de réponses extérieures au contexte.
De manière plus large, ce sont des choix éducatifs et des principes généraux
du fonctionnement de la classe qu’il est possible d’avancer.

1. C’est dans l’activité que les enfants apprennent


Cette activité se veut au cœur de la structure. Elle prend la forme du travail.
Les situations de passivité intellectuelle et d’ennui des enfants sont évitées autant
que possible par la personnalisation des apprentissages et la variété des sollicita-
tions.

2. Les tensions, les souffrances et les émotions désagréables


entravent les apprentissages
La préservation de la sécurité physique et émotionnelle est une condition
préalable à toutes les organisations. Des espaces, du temps et des outils sont
réservés pour que les conflits puissent être exprimés, entendus et réglés, afin que
s’établisse un climat de sérénité dans le travail. Les institutions de la classe sont
les repères de la vie scolaire et collective. Les enfants reconnus comme « petits »
peuvent s’y appuyer plus fortement que ceux ayant manifesté des attitudes res-
ponsables et autonomes.

3. On retient mieux les réponses aux questions que l’on se pose


que celles aux questions que l’on ne se pose pas encore
Les situations de transmission s’appuient d’abord sur ce que les enfants
apportent (notamment pour les mettre à l’épreuve et les confronter au réel). Plu-
sieurs occasions sont alors offertes pour aiguiser leur curiosité (correspondance
multiclasse, ateliers permanents, sorties, littérature de jeunesse, discussions à
visée philosophique, recherches documentaires…), ce qui motive le travail et donc
l’entrée dans les savoirs ainsi que la construction de connaissances.

321
Apprendre avec les pédagogies coopératives

4. La maturité cognitive des enfants et la complexité


de leur structure neuronale permettent une acquisition durable des savoirs
La construction des langages vise à développer cette maturité et à enrichir
cette structure, ce qui permet alors la fixation des apprentissages. Plus on fait,
plus on apprend et plus on se rend disponible à de nouveaux apprentissages. Ce
sont les expériences authentiques et vivantes conduites par l’enfant qui détermi-
nent l’enrichissement du cerveau.

5. Les situations d’entraide constituent


de réelles opportunités d’apprentissages
En coopérant, les enfants qui imitent apprennent autant que ceux qui
montrent. Les premiers découvrent, les seconds renforcent. La variété des aides
permet à chacun de se trouver dans sa zone proximale de développement. La
diversité des activités invite chacun à occuper réciproquement les fonctions de
tuteur et de tutoré.

6. L’ouverture sur la vie et sur le monde permet de donner du sens


à ce que l’on apprend à l’école
Les occasions de communiquer son travail avec l’extérieur deviennent des
sources pour engager de nouveaux projets. L’école n’est plus un laboratoire où le
monde est disséqué, elle se veut un terrain d’essai fidèle à la complexité du
vivant.
Nous voici donc à l’issue de cet ouvrage. Il a tenté d’être à la fois dense et
succinct, théorique et pratique, à destination d’enseignants expérimentés et
d’autres qui le sont moins. Il affirme qu’au sein d’une classe coopérative, les
institutions sont imbriquées les unes avec les autres. En même temps, il propose
certaines bases pour débuter et répond en partie au problème du démarrage.
N’est-il pas vain de vouloir engager une telle machinerie pédagogique ? Par où
commencer ? Notre propos a été plusieurs fois d’insister sur le processus d’auto-
organisation qu’il est possible d’initier dans une classe. Celui-ci associe élèves et
enseignant dans une construction cogérée de leur espace de travail et, ainsi,
donne la possibilité d’en faire autant de situations pour apprendre. En début
d’année, on pourra par exemple débuter par la tenue d’un « Quoi de neuf ? », ce
qui devrait permettre d’alimenter les premiers plans de travail. Le reste des jour-
nées peut être réservé à ce que l’enseignant sait déjà faire, quitte à ce que cela
ne corresponde pas encore à son projet. Au bout d’une semaine, l’élan coopératif
s’étant enclenché à travers les espaces libérés, le conseil devient légitime pour
organiser la vie collective, notamment en introduisant des responsabilités. C’est
de cette manière que, progressivement, d’autres outils peuvent entrer dans la
classe en répondant à des besoins scolaires ou de vie coopérative. Chaque outil

322
Conclusion

est un possible que l’enseignant pourra faire intervenir si nécessaire, afin qu’à
terme, une structure de classe inédite et originale puisse prendre forme. Enfants
et adultes disposeront alors d’instruments de médiation leur permettant de vivre
sereinement leurs journées et de se concentrer au mieux sur les tâches scolaires
qui justifient leur rencontre. Des étapes essentielles pour apprendre…

323
Glossaire

Apprendre : modification permanente et continue de la personne induite par de


la circulation d’informations. Elle a comme caractéristique son imprévisibilité aussi
bien quant à ce qui la déclenche que quant au déroulement du processus.
« L’apprentissage peut être grossièrement défini comme le processus par lequel
un être vivant enregistre des éléments de son environnement extérieur, des infor-
mations, qui modifieront son comportement ultérieur. La mémoire proprement dite
sera alors l’ensemble de ces éléments enregistrés dans le système nerveux 1. »
Pour apprendre, on doit donc combiner plusieurs activités intellectuelles : être
attentif, comprendre, mémoriser et transférer dans des situations inédites et com-
plexes.

Bilan météo : bilan de journée et demandes d’aide. En fin de journée, l’enfant


président du jour réunit toute la classe et après une prise de température de la
journée, donne la parole à ceux qui souhaitent s’exprimer. C’est l’occasion d’abor-
der ce que l’on a appris, les difficultés rencontrées et de formuler les éventuelles
demandes d’aide pour le lendemain.
Boîte aux lettres : espace permettant une correction rapide des travaux des élèves
sans que ceux-ci soient bloqués dans leurs activités. Lorsqu’une production termi-
née demande une correction par l’adulte, son auteur la dépose dans la partie « à
corriger » de la boîte aux lettres, puis attend que le facteur de la classe la lui
rende annotée par l’enseignant. Celui-ci profite des petits moments d’attente de
la journée pour corriger ces travaux et les déposer dans la seconde partie de la
boîte aux lettres, le casier « documents corrigés ».
Boîte à questions : la boîte à questions sert à collecter les demandes, propositions
et questions utiles pour l’organisation d’un échange ou d’une discussion. « Pour-
quoi les dinosaures ont-ils disparu ? » ou « Comment naissent les bébés ? » Il
s’agit également du nom d’un moment de classe, pouvant aussi s’appeler « Je

1. « Plasticité du cerveau: notre principal atout », in Le journal du CNRS, no 174-175, juillet-août


2004, p. 19-20.

325
Apprendre avec les pédagogies coopératives

voudrais savoir… », où les croyances, les convictions individuelles, etc., sont


confrontées à celles des autres sans intervention, pesante et bien souvent inutile,
de l’adulte.
Brevet : lorsqu’un enfant connaît ou sait faire quelque chose et qu’il est capable
de l’expliquer à d’autres, il obtient un brevet. On peut donc lui demander de
l’aide sur cette connaissance. Le brevet correspond aussi à l’évaluation de cette
compétence.

Ceintures : outil d’évaluation symbolisant les degrés d’acquisition de chaque


élève. Matérialisées par une gommette de couleur, elles constituent des supports
aux apprentissages et aux situations de coopération entre élèves. Les ceintures
symbolisent des niveaux de maîtrise. Comme au judo, leur graduation est matéria-
lisée par des couleurs (rose, blanc, jaune, orange, vert, bleu, marron, noir). Après
entraînement, un élève essaie de s’élever à la ceinture supérieure, soit en passant
les brevets correspondants (ceintures disciplinaires), soit en le demandant au
conseil (ceintures de comportement). Une fois obtenue, une ceinture ne peut plus
être enlevée. Un « grand en ceinture » se doit d’être un exemple pour les plus
petits, notamment en acceptant de l’aider si nécessaire. Inversement, les petits
peuvent solliciter les grands en cas de difficulté et sont toujours prioritaires
lorsqu’il faut faire des choix ou donner son avis. Les résultats sont inscrits sur un
tableau affiché au mur, visible par tous (tableau « Je grandis »). Ne sont inscrites
que les réussites, pas les échecs.
Choix de textes : régulièrement, une présentation des textes libres (structurée par
des rôles (président de séance, secrétaire…), se fait devant la classe. Chaque
auteur lit son texte et répond aux questions des autres. Selon des modalités
variables, un texte est choisi puis mis au point (toilettage, chasse aux mots) par
la classe avant de paraître dans le journal et/ou d’être envoyé aux correspondants,
après accord de l’auteur. Le choix doit se porter sur l’intérêt des textes présentés :
« Qui est intéressé par ce texte ? »
Code des sons : panneau visible par tous, visant une alternance de moments de
calme et d’autres d’échanges, en fonction des activités qui se déroulent dans la
journée. L’enfant responsable du codage modifie le curseur selon les moments de
travail et le niveau sonore : rouge = travail individuel, on ne parle pas – orange
= travail ordinaire, on chuchote – vert = on parle normalement, sans crier – blanc
= temps collectif, on demande la parole au président.
Conseil de coopérative : réunion démocratique cherchant à organiser la vie du
groupe. C’est l’occasion de faire l’état des lieux des projets personnels ou collec-
tifs, d’aborder les propositions, les problèmes, les félicitations mais aussi tout ce

326
Glossaire

qui concerne le symbolique dans la classe (permis, ceintures, responsabilités…).


C’est la clé de voûte de la classe coopérative. En partie ritualisé par des maîtres-
mots, le conseil laisse une entière liberté d’expression aux membres de la classe,
évite de se transformer en tribunal ou en « dînette pédagogique ».
Coopération : situations d’échange où des individus ont la possibilité d’apprendre
et d’agir par et dans la rencontre éducative. La coopération regroupe les situations
d’aide, d’entraide, de tutorat, de travail en groupe, de travail en équipe, les
conseils coopératifs, les marchés de connaissances, les jeux coopératifs… Elle tend
à permettre des apprentissages à celui qui bénéficie des informations mais égale-
ment à celui qui les délivre par un processus de mobilisation/réadaptation de ses
connaissances.
Coopérative : les coopératives scolaires sont des sociétés d’élèves, gérées par eux
avec l’aide du maître, en vue d’activités communes. Elles sont animées par un
bureau d’enfants, composé d’un président de coopérative, d’un secrétaire et d’un
trésorier. Les décisions relatives à la coopérative se prennent lors des conseils.
Correspondance scolaire : chaque élève correspond avec un ou plusieurs enfants.
La classe lui permet collectivement et individuellement de communiquer libre-
ment. Cette forme de texte libre appartient totalement à l’auteur et n’est pas
forcément soumise à relecture d’un tiers, excepté celle de l’enseignant. La corres-
pondance peut donner naissance à divers projets de rapprochements dans les-
quels les élèves sont entièrement acteurs.
Créations mathématiques : textes libres visant à engager de l’expression et de la
recherche personnelle en mathématiques. À partir de points, de chiffres, de lettres,
de segments, de courbes… et avec l’aide de crayons, règles, compas, balances,
équerre, etc., chaque enfant propose une création personnelle qui, par l’intermé-
diaire d’outils mathématiques, de rigueur de présentation mais aussi de l’avis des
camarades et de l’enseignant, va être en mesure de progressivement évoluer. Au
terme du processus de création, ces textes libres mathématiques font l’objet d’une
diffusion.

Différencier : mettre en œuvre un ensemble diversifié de moyens, de procédures


d’enseignement et d’apprentissage pour que des élèves différents puissent
atteindre, par des voies variées, des objectifs et des savoirs communs.
Discussion à visées démocratique et philosophique : situation d’échanges démo-
cratiques où le recours aux exigences intellectuelles du philosopher devient le
support à la construction des pensées personnelles. Les exigences intellectuelles,
à articuler dans la pensée, sont les suivantes : argumenter ses affirmations, pro-
blématiser ce qui est défendu, conceptualiser les notions employées.

327
Apprendre avec les pédagogies coopératives

Entraide : forme que peut prendre la coopération où des personnes réunies en


réseau mettent à disposition et profitent mutuellement de leurs compétences pour
réaliser des projets et développer des apprentissages.
Équipe : les équipes sont une cellule de coopération tournées vers la réalisation
d’un projet commun. Ainsi, pour un travail précis, un enfant peut rapidement
bénéficier d’une aide apportée par un équipier. En échange, il se met à disposition
d’aides éventuelles demandées. Ces équipes sont animées par un référent. Ce
sont des entités de travail durables, contrairement aux groupes qui sont constitués
aléatoirement par l’enseignant pour susciter rapidement la confrontation des avis
dans l’étude de situations-problèmes.
Expression libre : l’expression libre s’attache à trouver les techniques de travail
et les outils, les modes d’organisation de la classe, qui permettent de faire rimer
éducation et épanouissement pour chaque enfant. Cette liberté peut s’exprimer
graphiquement, oralement, corporellement, à partir de sons…

Fichier : lors des moments de travail personnel, les élèves travaillent, à hauteur
de leurs aptitudes, sur des fichiers de tous niveaux selon leurs capacités (voir
ceintures) : mathématiques, français, orthographe, opérations, technologie, lec-
ture… Certains de ces fichiers sont fournis par les PEMF mais aussi par PIDAPI. La
plupart du temps, l’essentiel de ces fichiers est autocorrectif, ce qui permet un
exercice du travail autonome.

Gêne : une gêne correspond à une remarque signifiant un dérangement dans la


classe, généralement lié à un non-respect des règles de fonctionnement ou des
lois du groupe.

Individualiser : permettre à l’élève d’apprendre seul, à son propre rythme et éven-


tuellement selon un parcours diversifié, des contenus d’enseignement. Adapter sa
pratique aux caractéristiques des individus auxquels on s’adresse.
Institution : instrument de médiation entre les divers acteurs d’une classe coopé-
rative, support à la symbolique des échanges. Organisation humaine, matérielle,
temporelle, spatiale et organisationnelle suscitant les engagements et créant de
la symbolique dans les relations. Nous entendons par symbolique tous les codes
sociaux pouvant être utilisés par le groupe ou ses partenaires. Ces symboles

328
Glossaire

internes permettent à chacun un fonctionnement optimisé de son réseau de rela-


tions.

Journal mural (ou Frigo) : généralement sous forme d’affiche, le journal mural est
le document de préparation du conseil sur lequel les membres de la coopérative
peuvent écrire. Il réunit les demandes d’intervention et constitue l’ordre du jour :
demandes, problèmes, propositions, annonces, présentations, félicitations, remer-
ciements. Il est parfois appelé « frigo » parce qu’il a la faculté de conserver les
informations jusqu’au conseil.
Journal scolaire : de classe ou d’école, le journal scolaire est un périodique réalisé
entièrement par les enfants. L’équipe de rédaction est nommée par le conseil à
travers des métiers. Les articles peuvent être issus de textes libres d’enfants,
peuvent être le fruit de leurs recherches, etc. Ils sont retravaillés avant publication.
Le journal scolaire est diffusé à l’extérieur de la classe, socialisant ainsi les écrits.
Il peut aussi faire l’objet de ventes, ce qui tend à alimenter la coopérative.

Langage : outil neurocognitif permettant la communication, s’y développant et


visant le traitement de l’information. Un langage se constitue dès lors que la
personne a traité un nombre suffisant d’informations et les a intégrées. Les diffé-
rents langages sont définis par les verbes : parler, marcher, courir, chanter, bricoler,
dessiner, danser, sauter, mathématiser, calculer, etc. « Les langages sont avant
tout les outils cognitifs qui permettent d’appréhender par les sens des informa-
tions, de les interpréter, de produire une représentation du monde dans lequel on
vit, de s’y adapter, d’y exister, d’y évoluer, de le modifier. Ces outils étant avant
tout des outils cérébraux qui se traduisent par des connexions neuronales de plus
en plus complexes 2. »
Loi : ce qui fait le fond de notre humanité, à savoir les interdits majeurs, interdit
du meurtre, de l’inceste, de la violence, du parasitage, ce qui fonde les relations
dans la classe et qui n’est pas directement négociable, ce qui fonde aussi la
distance entre le maître et les élèves. L’inter-dire de la loi est considéré comme la
condition de l’émergence de la parole. En classe, cette loi s’exprime par :
–chacun a le droit d’être tranquille dans son cœur, son corps et ses affaires ;
–le maître (la maîtresse) appartient à tout le monde ;
–la classe est un lieu réservé au travail et aux apprentissages.

2. COLLOT B., Du taylorisme scolaire à un système éducatif vivant, Éditions Odilon, 2004, p. 46.

329
Apprendre avec les pédagogies coopératives

Maîtres-mots : les différentes séquences de la journée sont ritualisées, ce qui


donne une référence commune, des repères pour ce que l’on dit, ce que l’on fait.
Un recours partagé aux maîtres-mots permet à tous les enfants d’occuper toutes
les fonctions relatives à la vie coopérative de la classe sans que cela modifie
profondément les habitudes prises. Les maîtres-mots sont donc des phrases
rituelles, utilisées par les présidents de séances et qui tendent à constituer l’habi-
tus démocratique de la classe. Par exemple : « Le conseil est ouvert », dit par le
président. Cela signifie qu’on fait silence, qu’on écoute celui qui parle, qu’on
attend son tour pour prendre la parole. Celui qui enfreint ces règles est déclaré
« gêneur » et encourt un avertissement.
Marché de classe : périodiquement, la classe organise son marché au cours
duquel les élèves vendent et achètent en monnaie intérieure de petits objets ou
des créations personnelles. Ce sont les élèves qui fixent les prix et organisent
leurs boutiques. Le marché est aussi l’occasion pour les élèves de se procurer les
fournitures scolaires qu’ils ont abîmées ou perdues.
Médiation : recherche d’une solution, sans gagnant ni perdant, entre deux per-
sonnes en conflit, menée par un médiateur. Le processus de médiation s’appuie
sur l’énoncé successif de messages clairs reformulés.
Message clair : un message clair est une petite formulation verbale entre deux
personnes en conflit. Il s’agit d’un mode de résolution des conflits basé sur
l’énoncé des faits et l’explicitation des émotions. De manière précise, ce message
clair s’énonce ainsi :
1 – « Ce que tu m’as fait m’a fait souffrir et je vais te faire un message clair. »
2 – « Quand tu… » La victime explique ce qui s’est passé.
3 – « Ça m’a… » Elle exprime avec des mots les émotions qu’elle a ressenties.
4 – « Est-ce que tu as compris ? »
Ces messages clairs se déroulent sans la présence de l’adulte et peuvent être
émis pendant les récréations ou lors des moments de classe, dans le couloir. Un
message clair non résolu donne le droit d’en parler lors du conseil.
Métiers : responsabilités attribuées par le conseil à un ou plusieurs enfants qui
les acceptent. Elles correspondent à un besoin apparent de la vie coopérative et
font l’objet d’une présentation sur des fiches de métiers à disposition continue
des élèves. Chaque métier correspond à des tâches utiles à la vie de la classe :
portier, bibliothécaire, effaceur de tableau… Un titulaire de métier ne peut
être dépossédé de sa responsabilité sans l’avis du conseil. Personne d’autre dans
la classe ne peut réaliser les tâches à sa place sauf avec son accord. Inversement,

330
Glossaire

le conseil peut décider d’une suspension temporaire ou définitive de l’attribution


de cette responsabilité. À travers son métier, l’élève s’inscrit en tant que personne
dans la classe : il devient un maillon essentiel de la chaîne collective.
Monnaie intérieure : la monnaie intérieure vise à faciliter les échanges au sein de
la classe. Les élèves en gagnent par leur travail et la dépensent en payant leurs
amendes et en achetant leur matériel. Il s’agit d’une vraie monnaie dont la validité
se limite à la classe. Le tissou est par exemple l’unité de monnaie intérieure. Il
peut être quantifié en décitissous, décatissous, etc. Sont rémunérés les efforts
fournis, les « comportements aidants », selon une échelle réfléchie par le conseil
de coopérative. À l’inverse et suite à une infraction aux lois ou aux règles de vie,
des amendes peuvent être donnée par le maître ou le conseil, toujours suivant
une grille de référence. Achats et ventes d’objets sont aussi sources « d’échanges
financiers », entre autres lors du marché de classe.

Outil : instrument pédagogique au service de l’élève ou de l’enseignant. Quand il


est utilisé par un élève, il devient un support d’activités dont le guidage se substi-
tue à celui de l’enseignant. L’outil intervient également en pédagogie coopérative
comme un tiers médiateur dans la relation éducative.

Passeport : document propre à chaque élève lui permettant de solliciter l’aide


d’un tiers sans le perturber dans son travail et sans l’empêcher de poursuivre le
sien.
Permis de circulation : organisation pédagogique visant à assurer une libre circula-
tion des enfants dans l’école, notamment pour se rendre aux toilettes, ou mener
des projets en bibliothèque ou en salle informatique. À partir d’un document qui
fixe les droits et les obligations de chacun, les enfants demandent ce permis lors
des conseils et peuvent se le voir retirer par un adulte de l’école en cas d’infraction
aux règles de libre circulation.
Personnaliser : permettre aux élèves de s’approprier des contenus d’enseigne-
ment de manière autonome, dans un contexte coopératif, à partir d’une structure
de classe fournissant divers ressources et supports et selon un équilibre entre
des moments collectifs et des situations personnelles.
Plan de travail : support aux activités personnalisées dans la classe, à destination
de chaque élève, le plan de travail est un document à partir duquel élève et
enseignant s’entendent sur un parcours d’apprentissages résultant de la combi-
naison entre les choix de l’élève, ses capacités, les ressources de la classe, les
obligations scolaires définies par l’enseignant. En fin de semaine, un bilan est
effectué avec l’enseignant ; il détermine en partie le plan de travail suivant.

331
Apprendre avec les pédagogies coopératives

Portfolio (ou boîte à outils) : document support au travail des élèves qui leur est
constamment accessible et qui regroupe un ensemble de fiches outils (lecture,
orthographe, conjugaison, géométrie, géographie…), une série de guides pour la
classe (les maîtres-mots, une liste de mots pour dire ses émotions…), les référents
d’évaluations (les brevets, les grilles de ceintures…), ainsi que tout document que
l’enfant aura construit ou choisi pour qu’il devienne une aide à son travail.
Président du jour : le président du jour conduit la classe pour une journée.
L’enfant qui en est chargé préside les temps d’échanges collectifs, rappelle les
lois et les règles de vie de classe, répond aux petites questions d’organisation de
la journée et a la possibilité, après les avoir prévenus, d’avertir les enfants
gêneurs. Inversement, il est en mesure de reconnaître les comportements aidants
et peut distribuer des remarques positives. En fin de journée, il lance une prise
de température de la présidence afin d’évaluer sa propre action et désigne le
prochain président à partir des modalités choisies en conseil.
Prise de température : le président « prend la température » de la satisfaction de
la classe. Pour cela, il soumet une question de la forme : « Que pensez-vous
de… ? » Les élèves se réfèrent à un code : les satisfaits ouvrent une main telle un
soleil, ceux moins satisfaits ferment le poing tel un nuage et les autres insatisfaits
montrent une main baissée signe de pluie. Une prise de température est silen-
cieuse mais peut donner lieu à quelques réactions, explications et échanges.

« Quoi de neuf ? » : regroupement collectif régulier qui permet aux élèves de


communiquer avec l’ensemble du groupe sur un sujet de leur choix. Les enfants
témoignent d’un événement, présentent un objet, expliquent une information,
commentent un fait d’actualité… Un « Quoi de neuf ? » est animé par un président
et par un secrétaire de séance. L’élève orateur intervient puis laisse la place aux
éventuelles questions. Ce qui se dit et ce qui se montre au « Quoi de neuf ? »
peut faire l’objet d’un projet personnel choisi par un ou plusieurs enfants de la
classe.

Référent d’équipe : le référent d’une petite équipe de travail est un enfant volon-
taire et accepté comme tel par ses coéquipiers. Il facilite le travail de chacun, en
gérant les éventuels problèmes qui se présentent au groupe, et/ou soutient les
élèves qui rencontrent de petites difficultés. En plus de son travail, il sait se mettre
à disposition des enfants qui ont besoin d’aide et participe aux actions néces-
saires dans la réalisation des projets communs.
Règles de vie : les règles de vie régissent les interactions de la classe. Elles sont
établies par et pour les élèves lors du conseil de coopérative à partir du suffrage

332
Glossaire

des membres présents. Ces règles organisent le détail des relations et des condi-
tions de travail. Exemple : « On n’est pas plus de 4 à la bibliothèque. » Ces règles
sont circonstancielles et contingentes. Contrairement à la loi, elles sont adaptables
même si l’adulte conserve un droit de veto. Une règle de vie non respectée peut
entraîner une amende ou un acte précis de réparation.
Remarque positive (ou « aidant ») : une remarque positive est attribuée lorsque
le comportement manifesté est positif, va dans le sens de l’évolution du groupe,
d’un service rendu ou de l’aide à un camarade. Elle peut avoir pour effet d’annihi-
ler une gêne dans le décompte d’une journée.

Sanctions : si, dans la classe coopérative, les punitions tendent à disparaître en


raison de leur caractère humiliant, la notion de sanction demeure logiquement :
il ne peut y avoir de règles de vie communes sans sanction. Le conseil décide des
règles de vie et des sanctions. Ces sanctions peuvent se traduire par un avertisse-
ment, une exclusion temporaire d’une activité, une amende en monnaie intérieure,
quand cela est possible la réparation d’un préjudice subi, une ceinture dorée :
isolement d’un élève en difficulté passagère, mais jamais en dehors de la classe.
La sanction permet à l’élève de connaître les limites, d’y buter, mais aussi de
pouvoir être réintroduit dans la communauté de la classe.
Sortie enquête : la sortie enquête est préparée : que va-t-on voir ? Qu’est-ce qu’on
peut apprendre ? Quel matériel emporter ? Quelles questions poser et se poser ?
Puis, on désigne les différents responsables, on rappelle les exigences de compor-
tement et les règles de sécurité. Au retour, rédaction : réponses aux questions,
complément d’information et confection d’un album.
Structure : « Ensemble des dispositions et dispositifs et la manière dont ils seront
agencés qui va permettre la circulation de l’information et les interactions dans
un ensemble donné. Le maître avec ses comportements est un élément de la
structure, comme l’imprimante, la disposition d’un meuble, un téléphone et la
façon d’y accéder, l’institutionnalisation d’une réunion, l’installation d’un aqua-
rium à tel endroit, les règles explicites et surtout les règles implicites. Les enfants
font partie de l’environnement et sont à la fois les principaux nœuds de la commu-
nication, donc éléments même de la structure. […] Il est évident que cette structure
sera elle-même infiniment complexe et en constante évolution 3. »

3. COLLOT B., Une école du 3e type ou la pédagogie de la mouche, L’Harmattan, Paris, 2002,
p. 76.

333
Apprendre avec les pédagogies coopératives

Tâtonnement expérimental : le tâtonnement expérimental est à la base des


méthodes naturelles d’apprentissage. Même si certaines similitudes avec l’expé-
rience scientifique sont apparentes, il se définit comme un processus naturel
d’apprentissages personnalisés, d’action et de pensées, chez l’enfant comme chez
l’adulte qui, s’exerçant dans tous les domaines d’activité, mobilise les divers pro-
cessus cognitifs et opérations mentales habituellement mis en œuvre dans le
fonctionnement naturel de l’intelligence humaine.
Texte libre : les élèves ont constamment la possibilité de rédiger des textes libres
qu’ils déposent dans une « boîte à textes ». Régulièrement, ils sont lus à
l’ensemble de la classe puis retenus par les élèves et le maître en fonction de
l’intérêt qu’ils suscitent. Le ou les textes ainsi choisis sont alors travaillés par
l’ensemble de la classe, ou individuellement, avec l’aide du maître, de manière à
en optimiser la qualité en vue de leur diffusion à l’extérieur de la classe. L’auteur
reste toujours maître de son texte et des éventuelles modifications que celui-ci
est susceptible de recevoir.
Tutorat : forme que peut prendre la coopération où une personne accepte de
répondre à une demande d’aide formelle auprès d’une autre personne. Le tutorat
se prolonge jusqu’à ce que la difficulté soit résolue ou jusqu’à l’organisation d’un
nouveau partenariat. Contrairement au monitorat qui nécessite de l’expertise, tous
les élèves formés et volontaires peuvent devenir des tuteurs au sein d’une classe.

334
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Déjà parus dans la collection Pédagogies

À QUOI SERVENT LES SCIENCES COMMENT IMPLIQUER L’ÉLÈVE


DE L’ÉDUCATION ? DANS SES APPRENTISSAGES
Sous la direction de Béatrice Mabilon- Charles Hadji
Bonfils et Christine Delory-Momberger
CONCEVOIR UN PROJET
ANTHOLOGIE DES TEXTES CLÉS DE FORMATION
EN PÉDAGOGIE Compétences, objectifs, affectivités,
Des idées pour enseigner instructional design
Danielle Alexandre
Alain Rieunier
APPRENDRE À PENSER, PARLER,
CONSTRUIRE DES SITUATIONS
LIRE, ÉCRIRE
Acquisition du langage oral et écrit POUR APPRENDRE
Laurence Lentin Vers une pédagogie de l’étayage
Laurent Lescouarch
APPRENDRE AVEC LES
PÉDAGOGIES COOPÉRATIVES DÉFIS ET RICHESSES DES CLASSES
Démarches et outils pour l’école MULTILINGUES
Sylvain Connac Construire des ponts entre les cultures
Nathalie Auger et Emmanuelle Le Pichon-
APPRENDRE… Vorstman
OUI, MAIS COMMENT ?
Philippe Meirieu DES ENSEIGNANTS
QUI APPRENNENT,
L’AUTORITÉ ÉDUCATIVE
CE SONT DES ÉLÈVES
DANS LA CLASSE
QUI RÉUSSISSENT
Douze situations pour apprendre à
Le développement professionnel des
l’exercer
Bruno Robbes enseignants
François Muller
LES BLESSURES DE L’ÉCOLE
Harcèlement, chahut, sexting : prévenir et DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES
traiter les situations AUTONOMES ?
Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier Coordonné par Olivier Maulini et Laetitia
Progin
CES GESTES QUI PARLENT
L’analyse de la pratique enseignante DÉVELOPPER LA PRATIQUE
Jean Duvillard RÉFLEXIVE DANS LE MÉTIER
D’ENSEIGNANT
LE CHOIX D’ÉDUQUER
Professionnalisation et raison pédagogique
Éthique et pédagogie
Philippe Perrenoud
Philippe Meirieu

LA CLASSE MULTI ÂGE D’HIER DEVENIR AUTONOME


À AUJOURD’HUI Apprendre à se diriger soi-même
Sylvie Jouan Philippe Foray

LES COMPÉTENCES DICTIONNAIRE DE LA PÉDAGOGIE


TRANSVERSALES EN QUESTION FREINET
Bernard Rey ICEM-Pédagogie Freinet

343
Apprendre avec les pédagogies coopératives

DICTIONNAIRE DE PHILOSOPHIE ENSEIGNER POUR ÉMANCIPER,


DE L’EDUCATION ÉMANCIPER POUR APPRENDRE
Alain Kerlan et Bérengère Kolly (coord.) Jacques Cornet, Noëlle De Smet

DIX NOUVELLES COMPÉTENCES ENSEIGNER, SCÉNARIO POUR


POUR ENSEIGNER UN MÉTIER NOUVEAU
Invitation au voyage Philippe Meirieu
Philippe Perrenoud
ENSEIGNER SANS EXCLURE
ÉCOLE, LA GRANDE
TRANSFORMATION La pédagogie du colibri
François Muller et Romuald Normand Sylvain Connac

L’ÉCOLE, MODE D’EMPLOI ENSEIGNER, UN MÉTIER


Des « méthodes actives » à la pédagogie SOUS CONTRÔLE ?
différenciée Coordonné par Olivier Maulini et Monica
Philippe Meirieu Gather Thurler

L’ÉCOLE POUR APPRENDRE FAIRE L’ÉCOLE, FAIRE LA CLASSE


Jean-Pierre Astolfi Précis de pédagogie
Philippe Meirieu
ÉDUCATION ET FORMATION :
NOUVELLES QUESTIONS,
FAIRE LA CLASSE
NOUVEAUX MÉTIERS
À L’ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE
Sous la direction de Jean-Pierre Astolfi
Tout ce qu’il faut savoir pour débuter
ÉLÈVES ET PROFESSEURS : dans le métier
RÉUSSIR ENSEMBLE Bernard Rey
Outils pour les professeurs principaux et
les équipes pédagogiques FAIRE TRAVAILLER LES ÉLÈVES
Jean-Luc Guillaumé À L’ÉCOLE
Sylvain Grandserre et Laurent Lescouarch
ENCYCLOPÉDIE DE L’ÉVALUATION
EN FORMATION LA FINLANDE : UN MODÈLE
ET EN ÉDUCATION ÉDUCATIF POUR LA FRANCE ?
André de Peretti, Jean Boniface et Jean- Paul Robert
André Legrand
FORMER LES ENSEIGNANTS
ENSEIGNANTS ET ELEVES
Pour un développement professionnel
EN SOUFFRANCE
fondé sur les pratiques de classe
Guide pratique pour des partenariats
Luc Ria
entre École et pédopsychiatrie
Nicole Catheline avec la collaboration de
Sylvie Dieumegarde, Yves Gervais et LES GESTES PROFESSIONNELS
Marie-Thérèse Roux DANS LA CLASSE
Éthique et pratiques pour les temps qui
L’ENFANT PHILOSOPHE, viennent
AVENIR DE L’HUMANITÉ Dominique Bucheton
Ateliers AGSAS de réflexion sur la
condition humaine (ARCH) HARCÈLEMENT ET
Jacques Lévine avec la collaboration CYBERHARCÈLEMENT À L’ÉCOLE
de Geneviève Chambard, Michèle Sillam Une souffrance scolaire 2.0
et Daniel Gostain Jean-Pierre Bellon et Bertrand Gardette

344
Collection Pédagogies

HARCÈLEMENT SCOLAIRE : OSER LES PÉDAGOGIES


LE VAINCRE, C’EST POSSIBLE NUMÉRIQUES À L’ÉCOLE
La méthode de la préoccupation partagée Enjeux et exemples pratiques
Jean-Pierre Bellon et Bertrand Gardette Denis Cristol

INNOVER AU COEUR OSEZ LES PÉDAGOGIES


DE L’ÉTABLISSEMENT SCOLAIRE COOPÉRATIVES
Monica Gather Thurler AU COLLÈGE ET AU LYCÉE
Guillaume Caron, Laurent Fillion, Céline
L’INSTANT D’APPRENDRE Scy et Yasmine Vasseur
Une approche dynamique de l’échec
scolaire OÙ VONT LES PÉDAGOGUES ?
Emmanuelle Plantevin-Yanni Sous la direction de Jean Rakovitch
JE EST UN AUTRE
LA PÉDAGOGIE À L’ÉCOLE
Pour un dialogue pédagogie-psychanalyse
DES DIFFÉRENCES
Jacques Lévine et Jeanne Moll
Fragments d’une sociologie de l’échec
JOURNAL D’UNE ENSEIGNANTE Philippe Perrenoud
Rencontre avec des penseurs de
l’éducation PÉDAGOGIE ALTERNATIVE
Gérard Morin et Daniel Olivier-Lamesle EN FORMATION D’ADULTES
Éducation pour tous et justice sociale
LIRE OU DÉCHIFFRER Rémi Casanova et Sébastien Pesce
L’apprentissage de la lecture en question
Éveline Charmeux PÉDAGOGIE DE L’ACTIVITÉ,
POUR UNE NOUVELLE
MARIA MONTESSORI ET CÉLESTIN CLASSE INVERSÉE
FREINET : VOIX ET VOIES Alain Taurisson et Claire Herviou
POUR NOTRE ÉCOLE
Bérengère Kolly et Henri-Louis Go PÉDAGOGIE : DICTIONNAIRE
DES CONCEPTS CLÉS
MÉTIER D’ÉLÈVE ET SENS Apprentissage, formation et psychologie
DU TRAVAIL SCOLAIRE cognitive.
Philippe Perrenoud Françoise Raynal et Alain Rieunier
LES MICROLYCÉES
PÉDAGOGIE, DES LIEUX
Nathalie Broux et Eric de Saint-Denis
COMMUNS AUX CONCEPTS CLÉS
MILLE ET UNE PROPOSITIONS Philippe Meirieu
PÉDAGOGIQUES
Pour animer son cours et innover en PÉDAGOGIE DIFFÉRENCIÉE :
classe DES INTENTIONS À L’ACTION
André de Peretti et François Muller Philippe Perrenoud

LES OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES LA PÉDAGOGIE ENTRE LE DIRE


EN FORMATION INITIALE ET LE FAIRE
ET EN FORMATION CONTINUE Le courage des commencements
Daniel Hameline Philippe Meirieu

L’ORGANISATION DU TRAVAIL, LA PÉDAGOGIE : UNE


CLÉ DE TOUTE PÉDAGOGIE ENCYCLOPÉDIE POUR
DIFFÉRENCIÉE AUJOURD’HUI
Philippe Perrenoud Sous la direction de Jean Houssaye

345
Apprendre avec les pédagogies coopératives

PÉDAGOGUES QUESTIONNER POUR ENSEIGNER


DE L’EXTRÊME ET POUR APPRENDRE
Rémi Casanova et Sébastien Pesce Le rapport au savoir dans la classe
Olivier Maulini
LA PERSONNALISATION
DES APPRENTISSAGES RÉCONCILIER LES ENFANTS
Agir face à l’hétérogénéité, à l’école et au AVEC L’ÉCRITURE
collège Éveline Charmeux
Sylvain Connac
REPENSER L’ÉCHEC
ET LA RÉUSSITE SCOLAIRE
POUR UN ENSEIGNEMENT
Vers une clinique des apprentissages
DE L’ÉCRIT
Jean-Sébastien Morvan
Faire écrire des textes en classe
Luc Baptiste
RÉUSSIR L’ÉCOLE DU SOCLE
Francis Blanquart et Céline Walkowiak
PRÉLUDES À UNE PÉDAGOGIE
MAJEURE LES RUSES ÉDUCATIVES
Écrits sur l’école (1974-2009) Cent stratégies pour mobiliser les élèves
Daniel Hameline Yves Guégan

PREMIERS PÉDAGOGUES : LA SAVEUR DES SAVOIRS


DE L’ANTIQUITÉ Disciplines et plaisir d’apprendre
À LA RENAISSANCE Jean-Pierre Astolfi
Sous la direction de Jean Houssaye
S’ENGAGER DANS LA RECHERCHE
PRÉPARER UN COURS EN SCIENCES HUMAINES
Tome 1 : Applications pratiques ET SOCIALES
Alain Rieunier Le champ de l’éducation
Augustin Mutuale, Guy Berger
PRÉPARER UN COURS
Tome 2 : Les stratégies pédagogiques SOCLE COMMUN ET
efficaces COMPÉTENCES
Alain Rieunier Pratiques pour le collège
Annie Di Martino et Anne-Marie Sanchez
PRÉVENIR LES SOUFFRANCES
STIMULER LA MÉMOIRE
D’ÉCOLE
ET LA MOTIVATION DES ÉLÈVES
Pratique du Soutien au Soutien
Une méthode pour mieux apprendre
Jacques Lévine et Jeanne Moll
Jean-Philippe Abgrall
QUAND L’ÉCOLE PRÉTEND UN TEMPS POUR APPRENDRE
PRÉPARER À LA VIE… Annick Delachanal Perriollat
Développer des compétences ou enseigner
d’autres savoirs ? LE TRAVAIL COLLABORATIF
Philippe Perrenoud DES ENSEIGNANTS POURQUOI ?
COMMENT ?
QUELLE POSTURE ENSEIGNANTE Travailler en équipe pour plus d’efficacité
POUR UNE RELATION Jean-Claude Meyer
EDUCATIVE APAISÉE ?
Faire face aux situations difficiles LE TRIANGLE PÉDAGOGIQUE
Jean Duvillard Jean Houssaye

346
Collection Pédagogies

UN JOURNAL SCOLAIRE VIVRE LES DISCIPLINES


POUR RÉUSSIR (À) L’ÉCOLE SCOLAIRES
Vers une pédagogie du chef d’œuvre Vécu disciplinaires et décrochage à l’école
Jean-Pierre Marcadier Sous la direction d’Yves Reuter

Voir la liste complète de la collection sur www.esf-scienceshumaines.fr

347
Achevé d'imprimer en décembre 2021
par Evoluprint, 31150 Bruguières, France

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