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DUPRE Blandine
Je tiens à remercier ma directrice de mémoire Sylvie Pérez pour sa disponibilité, ses conseils et ses
encouragements.
Je remercie également les enseignants qui ont accepté généreusement de m’accorder du temps pour
participer au recueil de données.
Je n’oublie pas mes proches qui m’ont soutenue durant toute cette année.
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RESUME
L’école est un lieu de rencontre entre des élèves aux profils différents. Elle peut aussi être le lieu de
tensions entre les élèves. Dans ce contexte, comment l’enseignant peut-il déceler et gérer les crises en
milieu scolaire ? Cette recherche, basée sur le cadre théorique du cours d’action de Theureau, s’appuie
sur des entretiens semi-directifs, des entretiens d’explicitation à partir de situations réelles de crise
touchant aussi bien le premier que le second degré et sur des notes ethnographiques. Les résultats de
cette recherche soulignent qu’il est déterminant pour l’enseignant d’avoir une connaissance fine de ses
élèves, d’être sensibilisé aux facteurs annonciateurs de la crise ainsi qu’aux solutions à envisager pour
apporter une réponse adaptée.
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ABSTRACT
The school is a meeting place between students with different profiles. It can also be the place of
tension between students. In this context, how can the teacher detect and manage crises in a school
environment? This research, based on the theoretical framework of Theureau's course of action, is
based on semi-directive interviews, explicitation interviews based on real crisis situations affecting
both first and second degree and on ethnographic notes. The results of this research underline that it is
crucial for the teacher to have a detailed knowledge of his students, to be aware of the factors
announcing the crisis as well as the solutions to be considered to provide an appropriate response.
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SOMMAIRE
Introduction .......................................................................................................................................................... 5
Bibliographie ....................................................................................................................................................... 44
Annexes................................................................................................................................................................ 46
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Introduction
Malgré les évolutions qu'a subies l'Ecole, elle est et reste avant tout un lieu d’apprentissage tant sur le
plan des savoirs disciplinaires que sur celui relatif aux compétences sociales. D’après la loi n°2019-
791, « l'École inclusive vise à assurer une scolarisation de qualité pour tous les élèves de la
maternelle au lycée par la prise en compte de leurs singularités et de leurs besoins éducatifs
particuliers. » C'est donc le lieu où se côtoient les élèves aux profils différents et en cela l'école peut
être aussi le théâtre de tensions, de conflits voire de situation de crise. Les élèves à besoins éducatifs
particuliers, qui ont un rapport au savoir qui est très souvent douloureux vont devoir accepter de
coexister avec d’autres élèves ce qui risque d’exacerber ce sentiment de différence et conduire
parfois à des crises qui peuvent aller jusqu’à mettre à mal le fonctionnement de la classe. C’est sur ce
point que nous souhaiterions faire porter notre réflexion. J'enseigne actuellement en ULIS école,
dispositif qui accueille des élèves d'âge différents, et je suis confrontée à gérer des crises qui ont un
impact notoire sur le fonctionnement du dispositif. Or, le but est de permettre à tous de progresser et
de se sentir en sécurité, comment le faire si nous sommes confrontés sans cesse ou de plus en plus
fréquemment à des crises. J’ai donc jugé nécessaire de m’interroger sur ce phénomène afin d’en
comprendre de manière plus précise les mécanismes et pouvoir ainsi trouver les attitudes à adopter et
les gestes à poser pour agir de manière efficace. Dans le cadre de ce mémoire, nous centrerons notre
réflexion sur la genèse des crises et sur leur gestion. Aussi, nous nous attacherons à définir ce que
l'on entend par élève à besoin éducatif particulier avant d'essayer de comprendre en quoi les EBEP
peuvent être davantage concernés par les crises. Ensuite nous expliciterons le terme de crise puis
nous analyserons les phases de la crise et les moyens d'intervention. Qui dit crise dit nécessairement
moment intense en émotions, aussi nous verrons ce qui se joue d'un point de vue émotionnel avant de
nous intéresser au climat de classe qui va s'en trouver impacté. Dans une seconde partie, nous
mettrons à l'épreuve du terrain ce que nous viendrons de présenter.
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1. Cadre conceptuel et institutionnel
1.1 Les élèves à besoins éducatifs particuliers
On peut donc distinguer les élèves ayant des besoins résultant d’une déficience, qu'elle soit motrice,
sensorielle ou neurologique ; des élèves ayant des besoins dus à une difficulté d’apprentissage,
parmi lesquels ceux ayant un trouble du comportement et troubles affectifs et ceux ayant des
besoins dus à des difficultés socio-économiques ou culturelles. En d'autres termes, les EBEP
regroupent donc les élèves atteints de handicap : physique, sensoriel, mental ; les élèves malades,
les élèves en grandes difficultés d'apprentissage ou d'adaptation (troubles du comportement,
TDA/TDAH, "dys"...) ; les élèves allophones nouvellement arrivés en France (EANA) et les enfants
du voyage (EFIV) ; les élèves à Haut Potentiel (EHP), les enfants en situation familiale ou sociale
difficile, les élèves décrocheurs ; les élèves en milieu carcéral.
Le point commun à tous ces élèves c'est qu'ils ont le plus souvent un mauvais vécu sur
l'école, un passé parfois douloureux qui fait ressortir de l'anxiété, trop de frustration. Parmi les
différents profils cités ci-dessus, nous avons évoqué les élèves ayant des troubles du comportement.
Mais en quoi ces élèves ayant des troubles du comportement sont-ils plus sujets à entrer en crise ?
Qu'entend-on par trouble de comportement ? Rachel Gasparini (2021, p113) définit les troubles de
comportement comme :
la manifestation d’un enfant qui perturbe gravement et de manière répétée le cadre scolaire
(agressions physiques et verbales d’autres enfants ou d’adultes, conduites dangereuses pour soi
et pour autrui, destructions matérielles)
De la même façon, les élèves ayant un trouble de l'attention avec hyperactivité présentent des
difficultés dans leurs relations avec les autres, leur seuil de frustration est très bas et ils se
caractérisent par une impulsivité. A cela s'ajouterait ce que Barry (2016) appelle "précarité
émotionnelle".
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Ce sont des élèves qui présentent, ponctuellement ou durablement, des difficultés psychologiques
importantes et une réelle souffrance psychique dont l’expression se traduit par des comportements
et des conduites qui perturbent gravement leur socialisation et l’accès aux apprentissages. Il serait
réducteur, voire dangereux, de tenter une définition exhaustive tant la palette de comportements est
large et diverse. Ainsi, les émotions impacteraient également les apprentissages, comme l'expliquent
Gobin et al. (2021, p 254)
Un lien particulier existe entre la régulation émotionnelle et les difficultés scolaires. En effet, les
enfants qui ont du mal à gérer leurs émotions risquent d'être envahis par elles. La surcharge
émotionnelle jouera alors comme une tâche ajoutée et conduira à une surcharge cognitive
impactant la qualité du travail.
Cette difficulté à percevoir ses propres émotions ainsi que celles des autres va faire obstacle aux
interactions sociales et générer très certainement des conflits qui vont pouvoir aller jusqu'à la crise.
Mais qu'entend-on par crise ? C'est ce que nous allons tenter de définir.
1.2 La crise
1.2.1 Définition
Ce terme vient du grec krisis qui a d'après l'Académie Française, "d'abord le sens d'action [...] et
celui d'accident d'ordre médical, brusque et inattendu. " Le sens qui prévaut de nos jours est celui
qui renvoie à un évènement inattendu qui vient troubler une situation jusqu'alors paisible." Ce terme
revêt différentes réalités suivant le contexte dans lequel il est employé. Ainsi, on pourra parler de
crise du logement ; dans ce cas la crise sera entendue comme un manque ; mais on pourra
également parler de crise cardiaque, ici la crise sera vue sous l'angle médical en tant que la
manifestation d'une maladie ; enfin on pourra également parler de crise économique, la crise étant
envisagée comme une période de rupture. C'est plutôt sur cet aspect de rupture que nous
envisagerons la crise. Nous nous intéresserons plus particulièrement à l'élève en crise.
Selon CAP école inclusive, un élève est en crise quand :
Il ne parvient plus à maintenir un équilibre entre ses besoins et les contraintes du milieu, l’élève
peut en venir à un comportement inadapté envers lui-même ou les autres. Dans certains cas, il
peut ne plus avoir la possibilité de s’exprimer avec des mots et en venir à des paroles, des gestes
agressifs voire à la fuite. Il ne répond plus à l’échange verbal, il prend à partie l’adulte par des
paroles ou des actes.
Telle qu'elle a été décrite précédemment, cette crise renvoie à ce qu'appellent Gaudreau et Duchaine
(2020, p. 256) "la crise associée à une détresse psychologique". Dans ce type de crise, la personne
passe d'un "état d'équilibre" à un état de vulnérabilité "puis de "crise". Toutes les crises ne se
ressemblent pas mais plusieurs auteurs s'accordent pour affirmer qu'il existe plusieurs types de
crises : la crise psychosociale qui se caractérise par de fortes émotions, réactions et comportements.
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(Gaudreau, 2020, p 257) ; la crise psychotraumatique qui fait référence à une menace, une peur et la
crise psychopathologique pour les personnes qui sont très vulnérables. Malgré toutes ces
distinctions, les crises présentent des points communs, c'est ce que nous allons tenter de montrer.
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avaient proposé des protocoles d'intervention en cas de crise. Les équipes préconisent la mise en
place de protocole de gestion de crise où il est clairement spécifié de définir qui prend en charge
l'enfant en crise et qui prend en charge le reste du groupe. Dans quel lieu l'enfant en crise est-il pris
en charge ? A quel moment intervient la tierce personne ? Qui la prévient ?
Arrive ensuite la "phase du sommet" qui se caractérise par "la désorganisation de l'élève".
Cela va se manifester entre-autre par des excès de colère ou encore des destructions matérielles. La
priorité sera donc la sécurité d'une part de l'élève et celle des autres élèves. S'il y a mise en danger,
c'est lors de cette phase qu'il sera peut-être envisagé de contenir physiquement l'élève. Si on est
contraint d'y parvenir, la rédaction d'un rapport d'incident grave sera nécessairement à réaliser. Il
sera également important d'utiliser toujours les mêmes mots et veiller à juger l'action et non la
personne. A cela s'ajoutera bien entendu l'attitude déterminante de l'enseignant qui devra maîtriser
ses émotions et ne pas entrer dans la "colère". La crise se poursuit par la phase de "décompression"
qui se caractérise par une "diminution de l'anxiété et de l'agitation" de l'élève. Notre rôle est ici de
"rétablir le lien avec l'élève".
La crise prend fin avec la phase "de récupération" au cours de laquelle il s'agit de revenir sur
ce qui s'est passé et d'amener l'élève à "assumer de manière responsable les conséquences liées à ses
actes. " (Gaudreau, 2020, p 266) Autrement dit, il s'agira de définir les gestes à réaliser pour faire
une réparation et il faudra également renforcer les comportements positifs. Ce retour est d'autant
plus important qu'il permet également aux autres élèves de s'exprimer, de dire ce qu'ils ont ressenti
et de donner leur propre interprétation des faits. En parallèle, il est indispensable de mener une
réflexion sur la situation en prenant soin de décrire le précisément possible les faits, ensuite le nom
des protagonistes, le moment et le lieu où s’est produite la crise et les raisons pour lesquelles les
faits se sont produits.
Nous comprenons ici combien la crise va avoir irrémédiablement des conséquences sur l'état
émotionnel des élèves. C'est ce que nous allons tenter de montrer dès à présent.
1.3.1 Définition
Le mot "émotion" vient de "émouvoir" et du latin ex-movere. Le préfixe ex signifie au - dehors et le
verbe movere "bouger, mettre en mouvement" autrement dit les émotions c'est ce qui nous remue,
ce qui nous touche. Cette définition est quelque peu réductrice puisqu’elle ne fait allusion qu’à la
sphère intime, propre à soi. Or, l’émotion, comme le dit Cuisinier (2016, p10), est un « phénomène
éminemment intime, parce qu’intérieur et subjectif, mais aussi social, parce que contagieux et
partageable. » Par conséquent, ce concept reste difficile à définir. Visioli et al (2015, p202) en ont
donné plusieurs raisons :
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Ces difficultés proviennent non seulement de la confusion entre les acceptions de sens commun,
de la proximité avec d’autres concepts (affect, humeur, sentiment…), mais également de la
diversité des cadres théoriques guidant les recherches sur les émotions (notamment
béhavioristes, cognitivistes, psychanalytiques et biologiques) dont les éclairages spécifiques
accentuent l’impression d’un impossible accord.
Nous allons donc aborder les différentes notions qu’induisent les émotions avant d’en venir aux
différentes approches. Visioli et al. (2015, p202) évoquent les « trois débats » que soulève ce
concept. Le premier consiste à se demander si les émotions relèveraient de la sphère individuelle ou
collective. Ils s'attachent à montrer l'importance de la dimension sociale des émotions, ils parlent
d'une "conception communicationnelle de l'émotion". Pour cela, ils font référence à Livet,
Manstead, Fisher, Mesquita, Ellworth et Rimé pour parler de « l'aspect social des émotions » (2015,
p 217). Le second débat s’articule, d’après Visioli et al. (2015, p 203), autour des « relations entre
émotion, corps et cognition » pour déterminer quelle est la source de l'émotion. Pour pouvoir y
répondre, ils s’appuient d’une part sur la théorie de James et Lange (2015, p203) selon laquelle "la
perception des perturbations viscérales et physiologiques " serait à l'origine de l'émotion et d’autre
part sur l’idée de Cannon selon laquelle ce seraient les "processus cognitifs " qui seraient la source
de l’émotion. Le dernier débat soulevé porte sur "l'expression des émotions, entre universalité et
modelage" (2015, p203) autrement dit sont-elles innées ou bien sont-elles le résultat d'un
apprentissage qui diffère selon les cultures ?
Visioli et al. (2015, p208) présentent des approches différentes des émotions :
- Elles (Les approches cognitivistes) s’intéressent à la mise en évidence du sentiment subjectif
sans investiguer les émotions d’un point de vue corporel, observable et social, éludant
finalement l’interaction réelle avec les élèves.
- L'approche sociale des émotions souligne l'importance des interactions entre les individus et
permet d’appréhender les émotions comme une "composante inter-individuelle et sociale. » C'est
dans ce cadre qu'apparaît la "contagion émotionnelle" au sens où l'émotion ressentie par une
personne est transférable à une autre.
De plus, il convient de souligner, comme l'a montré Cuisinier (2016, p10), que
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[…] L'émotion n'est pas déclenchée automatiquement par une situation donnée. Elle résulte, au
contraire, de la façon dont l'individu perçoit cette situation, à ce moment-là. L’émotion conjugue
ainsi, désirs, croyances, connaissances et histoire personnelle.
Malgré toutes ces divergences, les émotions sont définies par Visioli et al. (2015) comme
un phénomène (ou processus) multi componentiels, c’est-à-dire composé de plusieurs éléments
interdépendants : (a) des comportements expressifs [...] ; (b) des évaluations cognitives ; (c) des
réactions physiologiques [...] ; (d) des tendances à l’action [...] ; (e) une expérience subjective
[...] c’est-à-dire ce qu’on pense ou dit ressentir.
Les émotions tiennent une place importante dans les programmes dans la mesure où elles sont déjà
présentes dans le socle commun des compétences publié dans le BO n°17 du 23 avril 2015. Ainsi on
relève dans le domaine 3 concernant la formation de la personne et du citoyen et plus précisément
dans la partie intitulée Expression de la sensibilité et des opinions, respect des autres « L'élève
exprime ses sentiments et ses émotions en utilisant un vocabulaire précis. » Dans le domaine 5
relatif aux représentations du monde et de l'activité humaine, il est mentionné dans la rubrique
Invention, élaboration, production : « Il développe son jugement, son goût, sa sensibilité, ses
émotions esthétiques. »
Dès la maternelle, il est nécessaire de fournir aux élèves des occasions permettant « d’éprouver des
émotions ». (BOENJS n°25, 2021) L’accent est mis notamment sur les activités artistiques relevant
des arts du spectacle vivant.
Les enfants apprennent à mettre des mots sur leurs émotions, leurs sentiments, leurs
impressions, et peu à peu, à exprimer leurs intentions et évoquer leurs réalisations comme celles
des autres.
Ensuite, aux cycles 2 et 3, les élèves sont non seulement amenés à exprimer leurs émotions mais
aussi à les réguler et les partager.
L’expression de leurs sentiments et de leurs émotions, leur régulation, la confrontation de leurs
perceptions à celles des autres s’appuient également sur l’ensemble des activités artistiques, sur
l’enseignement du français et de l’éducation physique et sportive. (BO n°31, 2020, p6)
Identifier et partager des émotions, des sentiments dans des situations et à propos d’objets
diversifiés.
Identifier et exprimer en les régulant ses émotions et ses sentiments.
Connaître le vocabulaire des sentiments et des émotions abordés en situation d’enseignement.
Connaissance et reconnaissance des émotions de base (peur, colère, tristesse, joie). (p43)
Partager et réguler des émotions, des sentiments dans des situations et à propos d’objets
diversifiés, mobiliser le vocabulaire adapté à leur expression. (p 62)
Ainsi, comme en témoignent les textes officiels, l'école doit non seulement amener les
élèves à acquérir des savoirs disciplinaires mais elle doit veiller également à apprendre aux élèves à
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vivre ensemble. Ces objectifs étant fixés pour l'Ecole, cela signifie donc que l'élève est accepté et
reconnu avant tout comme un être pourvu d'émotions qui peuvent interférer dans ses apprentissages
d'où l'importance ou la nécessité d'amener les élèves à réguler leurs émotions. Cependant, aucune
précision n’est donnée ni sur les procédures à mettre en œuvre pour y parvenir, ni sur la part
accordée à la gestion de ces émotions dans la formation des futurs enseignants. Pourtant, c'est une
compétence ô combien déterminante comme l'affirme Darnon (2019, pp. 40-41)
[...] réguler ses émotions, qu'elles soient positives ou négatives, est une compétence
extrêmement importante et utile pour la vie sociale. Les élèves ayant des difficultés à réguler
leurs émotions peuvent donc également avoir des difficultés à se concentrer et à établir des
relations positives avec les autres.
Comme le souligne Cuisinier (2016, p14), la régulation émotionnelle est avant tout un
phénomène complexe qui nécessite la prise en considération de plusieurs données.
Réguler l’émotion mobilise des processus complexes d’identification du ressenti (savoir ce que
l’on ressent), de contrôle de l’attention et d’inhibition (orienter pensées et actions dans un sens
donné ; s’empêcher de penser ou de faire quelque chose, etc.) ainsi que des connaissances sur le
contexte social, les codes d’expression et de conduite. La régulation émotionnelle, c’est-à-dire
le maintien ou l’inflexion intentionnelle de l’émotion dans son intensité ou sa nature, semble
dans un premier temps dépendre fortement de l’entourage.
De cette définition ressort deux formes de contrôle qui correspondent à deux temps
différents. Il convient d'ajouter ici que les méthodes de régulation ne sont possibles qu'à partir d'un
certain âge dans la mesure où elles mettent en jeu les compétences exécutives. Cet élément
permettra peut-être d'expliquer en partie pourquoi la régulation émotionnelle ne se produit pas chez
certains élèves. Mais concrètement, comment permettre cette régulation ? Gobin et al. (2021, p 275)
proposent de reconnaître l'émotion.
Ainsi, quand un élève est en crise, il est important de lui spécifier qu'il n'est pas bien, ou qu'il est en
colère, en revanche il faut bien lui spécifier que cela ne lui permet pas d'avoir cette attitude. Nous
rejoignons ici les propos de Massé (2006, p170). Celle-ci affirme que la gestion de la crise doit être
réalisée jusqu’au bout pour faire prendre conscience aux élèves que cette situation n’est pas
acceptable et que des mesures vont être prises en ce sens.
Assister à la désorganisation d’un élève en crise constitue souvent une expérience troublante
pour les témoins de la scène. Chacun a sa propre interprétation des faits selon sa situation dans
la classe ou son lien avec l’élève qui a perdu le contrôle. Omettre de revenir sur la situation avec
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les élèves peut alimenter les sentiments de crainte et d’insécurité vécus par les élèves témoins.
Avant de n’attendre que la crise arrive, il convient donc d’essayer de travailler sur la régulation des
émotions. L’un des procédés qui a été éprouvé serait que l’enseignant démontre à ses élèves qui est
lui-même capable de gérer ses émotions, c’est ce qu’a fait Darnon (2019, p42)
C'est la raison pour laquelle savoir réguler ses propres émotions est une compétence
extrêmement utile lorsqu'on enseigne. L'enseignant, tout comme d'autres acteurs de l'éducation,
sert souvent de "modèle" pour les élèves.
De plus, selon Gueguen (2018), l’enseignant doit établir une relation "proche, chaleureuse,
empathique, soutenante et encourageante » avec les élèves. Si effectivement, l'enseignant arrive
avec un air enjoué, les élèves vont s'inscrire dans cette dynamique-là, alors que si déjà dans son
attitude et dans les premières paroles adressées à ces élèves, l'enseignant laisse transparaître une
certaine lassitude et un certain agacement, les élèves ne seront pas accueillis dans cette
bienveillance qui est primordiale pour sécuriser les élèves. Il est capital que l'enseignant soit
avenant avec ces élèves. Sa posture, les premiers mots destinés aux élèves construisent la relation à
l'élève qui comme nous allons tenter de le montrer sont des moments et des facteurs clés qui ont des
répercussions sur le climat de classe.
En cela, il semble essentiel de considérer l'impact de ces aspects émotionnels pour mieux
appréhender les situations d'apprentissage et promouvoir la mise en place d'un climat
émotionnel stable et serein. (Gobin et al., 2021, p305)
D'une part, selon la théorie de l'apprentissage social (Bandura,1977), lorsque les élèves
observent les émotions de leurs enseignants, ils les identifient comme étant les émotions
appropriées dans la salle de classe, et sont ainsi plus enclins à les reproduire, en les intégrant
comme une norme sociale et comportementale dans le contexte scolaire. ( p 368 )
Comme le dit Favre (2020, p15), l'enseignant est considéré comme un "synchroniseur
émotionnel" pour les élèves et l'ambiance de la classe sera meilleure s'il peut se présenter comme
une personne qui, en tant qu'adulte, accorde une place à l'émotion...sans lui laisser toute la place. "
En d'autres termes, nous prenons conscience ici que nous sommes des êtres doués d'une
raison mais aussi remplis d'émotions.
1.4.1 Définition
Le mot climat fait référence aux conditions météorologiques qui peuvent se traduire par des
expressions comme temps variable, anticyclone ... autrement dit le climat scolaire renverrait lui
aussi à l'idée qu'à l'école nous assisterions à une alternance de périodes d'accalmie et de périodes
d'agitation. Qu’en est-il dans les textes ? La circulaire n° 2016-045 du 29-3-2016 définit le climat
scolaire de la manière suivante :
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Le climat scolaire reflète en effet le jugement qu'ont les parents, les personnels et les élèves de
leur expérience, en partie subjective, de la vie et du travail au sein de l'École.
D'après cette définition, tout se joue au niveau de l'école. Or, Veltcheff (2015, p34) affirme que « ce
qui se passe dans la classe est surdéterminant, le climat de classe façonne le climat scolaire ». C’est
cette focale sur ce qui se passe en classe qui a été également soulignée par Canvel et al. (2018). Ces
derniers ont démontré que le fait d’aborder la notion de climat "dans le cadre ordinaire de la classe"
permet d'analyser d'une part les "contenus d'apprentissage", d'autre part les "démarches
d'enseignement" et enfin "la relation pédagogique" dans le but de trouver des moyens pour les faire
évoluer vers un bon climat scolaire. Pour eux, il s’agit non seulement de sécuriser l’approche du
contenu pour que les élèves acceptent de prendre le risque de se confronter à un nouvel
apprentissage mais aussi d’amener l’élève à développer les "compétences psychosociales". Enfin,
pour améliorer les démarches d'enseignements, ils expliquent qu'il est indispensable de rendre
l'élève acteur de son apprentissage en ayant recours à la coopération ou de considérer l'élève partie
prenante des projets de classe.
Cette distinction tend à se rapprocher des trois dimensions qu'ont explicité Baudoin et
Galand (2018, p20) : le "climat relationnel", le "climat de sécurité" et le "climat d'apprentissage".
Le climat relationnel fait référence d'une part à la "qualité des relations entre les élèves" et d'autre
part à la "qualité des relations entre élèves et enseignants". Le climat relationnel sera donc positif si
l’enseignant fait preuve de "soutien social" c'est-à-dire s'il montre de l’intérêt à ses élèves, s’il les
respecte, s’il est à leur écoute autrement dit s'il les prend en considération. De plus, le fait de leur
permettre de donner leur avis ou encore de participer aux "prises de décisions" s'avère très favorable
au climat de classe. Les relations entre élèves, quant à elles, seront aussi positives s'ils ont le
sentiment qu'ils peuvent se faire confiance et qu'ils considèrent qu'ils sont traités sur un même pied
d’égalité sans quoi cela peut générer de la colère et être source de conflits.
Le climat de sécurité fait référence à l'idée que "l’environnement scolaire constitue un
espace sûr et serein » (p 22) dans lequel des règles sont non seulement clairement définies mais
également appliquées pour tous les élèves sans aucune distinction. Baudoin et Galand (pp 22-23)
ont ajouté que "le climat de sécurité est également affecté par le fait d'être confronté à la violence"
et que « le fait d’être exposé à des situations de violence affecte également le bien-être de
l’ensemble des élèves. »
Quant au climat d'apprentissage, il renvoie à "la perception partagée de la conception de
apprentissages scolaires." (p 24) d'une part le fait d'avoir le calme dans la classe serait bénéfique et
d’autre part le fait de les rendre autonome et acteur de leur apprentissage. Mais qu’en est-il dans les
faits ?
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1.4.2 Et dans les faits ?
Le climat scolaire est devenu une des priorités de l’Education Nationale depuis plusieurs
années face à la montée de la violence, volonté qui a été clairement affichée avec la loi n° 2013-595
du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'École de la République
qui, dans son rapport annexé, fait de l'amélioration du climat scolaire une priorité « pour refonder
une École sereine et citoyenne ».
Dans les faits, cela s’est traduit par la publication d’un guide sur le climat scolaire par le
ministère de l'Education Nationale où sont évoqués les facteurs à risques en d'autres termes les
facteurs conduisant à la "dégradation" du climat scolaire. Parmi eux sont signalés "la non prise en
compte des émotions" (p. 8) ainsi que "Absence d’analyse et d’élaboration après les situations de
crise" (p. 9) A cela s'ajoute une mesure macroéconomique avec la création de groupes académiques
sur le climat scolaire. Des formateurs « climat scolaire » pour mesurer les effets produits par les
groupes académiques aux différentes échelles du système éducatif : échelle nationale, académique,
échelle des écoles. Pour agir sur le climat scolaire, ils proposent aux équipes de se questionner sur
trois points : qu'est-ce qui contribue à améliorer le climat scolaire positif, ensuite ce qui est déjà mis
en place au sein de l'école et ce qui est à envisager pour une amélioration. Ils posent le cadre et
montrent l'importance de faire porter cette réflexion tant à "l'échelle des écoles" qu'à une "échelle de
la classe".
Parmi les sept facteurs déterminants du climat scolaire qui sont développés dans ce guide,
les stratégies pédagogiques favorables à l’engagement et à la motivation des élèves, notamment un
travail sur l’empathie, constituent un facteur protecteur puissant. De plus, comme le montre
Debarbieux, (2015,p14) « la qualité des apprentissages agit sur le climat scolaire qui agit sur les
apprentissages. » Prenons à présent l’exemple du bruit qu’une crise peut engendrer. Pour illustrer
notre propos, nous nous appuierons sur les études scientifiques réalisées sur l'environnement sonore
scolaire qui ont été cités par Habellion (p 59). Elles ont montré que le bruit conduit à une
baisse de la participation des élèves et une augmentation de l'inattention chronique, de la
fatigue, de l'agressivité et de l'agitation psychomotrice. Il s'ensuit inévitablement une
dégradation du climat scolaire due à une sensibilité exacerbée qui engendre de l'intolérance,
donc des conflits.
Dans notre étude, nous nous attacherons d'une part à déterminer l'impact éventuel que peut avoir le
lieu dans lequel va se dérouler la crise et d'autre part à décrire le plus précisément possible le
déroulé des actions en distinguant trois phases : avant, pendant et après la crise. L'étude
microscopique va ainsi dans le cadre de notre étude prendre tout son sens puisqu'il va s'agir de
repérer les signes éventuels les plus infimes qui seraient susceptibles d'être pointés comme des
facteurs annonciateurs de la crise.
La manifestation de cette crise va se traduire par des gestes ou encore des mots. Nous
touchons du doigt ici une autre caractéristique de l'action : elle est incarnée c'est-à-dire que toute
action passe par le corps, autrement dit le ressenti, les émotions vont se manifester avant toute chose
par notre corps. En citant Merleau-Ponty, Rix-Lièvre (2010, p35) explique clairement cette notion
[...] les propositions de Merleau-Ponty nous permettent de considérer que « le comportement
n’a pas seulement une signification, il est lui-même signification » (Merleau-Ponty, 1942, p.
133). La signification « se forme et s’exprime dans ce qui est fait effectivement » (Quéré, 1998,
p. 156). À la fois, la signification se construit au cours même d’un être au monde, à la fois c’est
dans sa réalisation corporelle que la signification se rend visible et existe ; les réalisations
corporelles sont les « vêtements naturels » de la signification (Merleau-Ponty, 1942, p. 203).
Ainsi, signification et manifestation corporelle ne sont pas deux entités séparées et aucune
antériorité ne peut être postulée entre elles.
Pour notre part, il s'agira de faire porter l'accent sur les gestes et les mimiques qui pourront laisser
présager telle orientation de l'action ou telle autre ainsi que la traduction de ses émotions qui va
nécessairement passée par l'expression de notre corps.
A cette caractéristique s'ajoute celle qui renvoie à l'idée que toute activité humaine est
distribuée et interactive. Selon Gal-Petit-Faux et Vors, (2008, p125)
Le troisième postulat consiste à envisager toute activité comme étant à la fois individuelle et
sociale, l'individu étant pris dans des interactions avec autrui et dans une culture. L’activité
collective est alors à étudier selon ces deux angles, individuel et social : d’une part, elle est
16
regardée en tant qu’expérience individuelle subjective ; d’autre part, elle est appréhendée en tant
qu’expérience individuelle-sociale, au sens où autrui appartient à la conscience préréflexive de
l’acteur selon une acception phénoménologique (Theureau, 2006)
En d'autres termes, elle peut être définie à la fois comme individuelle et sociale. Individuelle au
sens où l'acteur est avant tout un individu avec des valeurs ainsi qu'une certaine culture ; et sociale
dans la mesure où l'acteur évolue en côtoyant d'autres personnes. Son attitude va être déterminée
d'une part par ce qui lui est propre et d'autre part en réaction à ce qu'il se produit chez l'autre
personne. Ce sont ces interactions qui vont plus particulièrement nous intéresser. Ainsi, le regard
que nous allons porter sur les acteurs et notamment sur les réponses qu'ils vont apporter dans le
cadre des crises.
En d'autres termes, selon le principe de l'"enaction", l'activité ne se limite pas à ce qu'est l'acteur
mais également est à interpréter en prenant en compte les "interactions asymétriques" entre l'acteur
et son environnement. Nous verrons dans notre étude combien la prise en compte de toutes ces
informations permet de mieux appréhender les mécanismes de la crise même si elles ne sauraient
être suffisantes. En effet, l'observation extérieure ne dévoile qu'une partie des raisons puisque c'est
l'interprétation que nous nous en faisons qui prime en tant que telle comme l'a montré Theureau
(2010, p 291) :
Cette asymétrie des interactions entre cet acteur et cet environnement et ce caractère
anticipateur de l’organisation interne de l’acteur à chaque instant ont une conséquence
épistémologique redoutable : il est alors a priori impossible de connaître l’activité (je cesserai de
la qualifier de « cognitive » afin d’alléger le propos) d’un acteur de l’extérieur, c’est-à-dire à
partir de données d’observation et enregistrement de son comportement.
Or, pour pouvoir accéder à la connaissance de l'activité dans son intégralité, nous devons aller au-
delà de ce qui est observable et pour ce faire recourir au second postulat énoncé par Theureau
(2010, p291) qui est celui de la "conscience préréflexive".
Selon l’hypothèse de la conscience préréflexive : (1) un acteur humain peut à chaque instant,
moyennant la réunion de conditions favorables, montrer, mimer, simuler, raconter et commenter
son activité – ses éléments comme son organisation temporelle complexe – à un observateur-
interlocuteur ; (2) cette possibilité de monstrations, mimes, simulations, récits et commentaires
constitue un effet de surface des interactions asymétriques entre cet acteur humain et son
17
environnement et de leur organisation temporelle complexe ; (3) cet effet de surface est
constitutif, c’est-à-dire que sa transformation par une prise de conscience à un instant donné
transforme l’activité qui suit cet instant selon laquelle l'acteur va commenter son action en
situation.
En d'autres termes/autrement dit, l'activité doit donc répondre à trois exigences, elle doit être
"montrable, racontable et commentable" ce qui suppose de différer l'action pour que l'acteur puisse
la revivre.
18
2.2.2 Recueil des données :
Le recueil de données s'est effectué de trois manières différentes mais en prenant toujours
appui sur le point de vue propre des acteurs que ce soit aussi bien leur vision générale de situations
relatives à une crise que leur retour sur une situation réellement vécue, appréhendée du point de vue
des acteurs.
Nous avons fait le choix de mener des entretiens semi-directifs (cf annexes 1 et 5) dont le
but est d'avoir des éléments de réponse sur les façons d'anticiper et de gérer la crise. Ces entretiens
ont été menés auprès de collègues intervenant à différents moments de la scolarité des élèves : deux
enseignants ayant un dispositif ULIS école, un enseignant dans un dispositif ULIS collège, un dans
un dispositif ULIS lycée et une enseignante en SEGPA. Ces entretiens ont été effectués de
novembre à mars 2022. Il s'agissait de questions factuelles, l'idée étant de recouper les réponses et
de voir si nous trouvions des similitudes et des divergences en vue dans un premier temps de
dégager des invariants puis de les confronter à des situations réelles en se plaçant du côté de l'acteur.
Comme nous venons de le spécifier, le recueil de "conceptions" ou encore de
"représentations" sur la genèse et la gestion de crises est certes nécessaire mais ne saurait être en
aucun cas un élément suffisant pour comprendre ces phénomènes. C'est pourquoi, nous avons mené
en parallèle des entretiens d'explicitation à partir de situations réelles dont nous avons pris soin de
détailler précédemment les participants et le contexte. Comme l'explique Vermersch (1991, p. 63),
l'objectif de ces entretiens est de "guider le sujet dans la verbalisation précise du déroulement de sa
conduite, c'est-à-dire la suite de ses actions matérielles et/ou mentale." Cela suppose un cadre très
clairement défini où "le sujet n'est pas laissé libre de raconter tout ce qui lui vient à l'esprit, mais est
guidé vers un objectif précis." (1991, p64) Ici nous pointons une des difficultés de l'entretien
d'explicitation, amener le sujet à expliciter ses choix sans induire les réponses attendues, formuler
des questions suffisamment précises mais qui ne soient pas fermées. Le premier entretien était
relatif à une crise qui aurait été déclenchée, d'après les propos recueillis, par un autre élève qui
n'avançait pas suffisamment vite et qui mettait le groupe en retard. Le second entretien portait sur
une crise faite toujours avec ce même élève qui aurait perçu le moment de récréation comme un
mauvais moment car il aurait eu froid. Nous avons fait le choix de présenter deux crises faites par le
même élève parce que les contextes sont différents et les réponses apportées également. De plus,
elles se sont produites à deux moments différents dans l'année ce qui était l'occasion de voir si cela
avait des répercussions sur les réponses apportées par les protagonistes. Le troisième entretien se
rapportait à une situation de crise générée par le fait de confisquer un bien en l'occurrence le
téléphone portable d'un élève.
Par ailleurs, nous avons fait le choix de partir également de notes ethnographiques pour
permettre de prendre la place de l'acteur et de se rendre compte de ce qui se joue pour nous quand
19
nous vivons réellement la situation, mais également parce que cela nous permettra de confronter les
approches et les réponses données par un enseignant spécialisé expérimenté et celles d'un
enseignant qui prépare le CAPPEI. Tel un anthropologue qui "consigne systématiquement ce qu'il
voit et ce qu'il entend" dans un carnet de terrain (1995, p4), j'ai pris des notes écrites sur ce qui
s'était passé, une fois la crise passée, car c'est à ce moment seulement que l'on peut relater ce qui
s'est passé, puisque dans l'action, c'est impossible. Le caractère imprévisible des crises et la violence
qu'elles engendrent ne m'ont permis que de recourir à des écrits postérieurs à l'action. Aussi, il a été
difficile de tout mentionner tout en veillant à rester au plus près de l'action. Mais ces écrits vont être
déterminants car comme l'explique Sardan, (1995, p4) : "seul ce qui y est écrit existera
ultérieurement comme données, fera fonction de corpus, et pourra être ensuite dépouillé, traité,
restitué." et permettra en somme de faire une analyse fine.
20
Tableau : 1 : Réponses obtenues à la suite des entretiens semi-directifs
PE ULIS école PE ULIS école ULIS collège SEGPA ULIS Lycée
définition c'est un élève un enfant qui se C'est quelque une rupture de la crise est une
d'une crise en qui sort du bloque, qui se chose de communication rupture de
milieu cadre, qu'on renferme violent, il y a , de la violence communication
scolaire n'arrive pas à complètement une émotion qui verbale pas et des
contrôler + apparaît qui seulement apprentissages
impact sur la n'était pas physique.
vie de classe prévue qui fait
que ce que l'on
avait prévu, on
ne peut pas le
faire, il y a une
rupture
qu'est-ce qui - l'angoisse - la frustration - frustration - l'injustice - une tension
peut provoquer - la fatigue - la contrainte - l'injustice - les insultes, entre deux pairs
une crise ? - la frustration - une insulte, - la violence, provocation - un détail
- la peur provocation les cris - difficulté -l'incompréhen-
- le bruit - l'inhibition dans le travail sion
- la provocation - contrainte
d'un camarade
signes - dans le - le regard fermé - refus de parler
annonciateurs regard, qui fixe - refus de parler
de la crise droit devant, - l'attitude
droit ses pieds,
un regard qui
ne cille pas
- un corps qui
se raidit, une
bouche qui se
serre, un corps
en tension, un
corps qui se
renferme sur
lui-même
Comment essayer d'isoler - lui laisser un on va vers la - isoler un
procédez-vous l'enfant des espace de parole crise je vais élève pour
pour gérer au autres élèves, - l'envoyer à verbaliser, je l’apaiser
mieux les - le calmer l'infirmerie vois que cela ne - le calme de
l’adulte et la
parole pour
faire
descendre la
pression
21
crises? - passer le relais va pas, je te par la parole,
si besoin, le laisse, je ne l'aider à
contenir si pars pas en formuler ses
besoins discussion, émotions,
- l'informer l'idéal c'est de trouver ce qui
qu'on va appeler le sortir, je te s'est passé
le directeur. laisse 5
minutes. C'est
de l'envoyer
dehors.
en crise, je
diffère la
communication
, j'attends qu'il
se calme.;
envoyer en vie
scolaire ou
infirmière
Y-a-t-il un Non - l'envoyer à Non oui
protocole de l'infirmerie ou souvent envoyé vie scolaire.,
gestion de en vie scolaire en vie scolaire puis les parents
crise? ou infirmerie et directeur
Gardez-vous pour l'ESS - courrier pour le rapport dans le cahier
une trace écrite chef d'incident de suivi de
? d’établissement l'élève et si
et un écrit pour entorse grave
le dossier de alors un
l’élève pour rapport est
l’ESS rédigé.
Informez-vous adultes qui famille, CPE, La directrice, équipe d'ULIS
certaines travaillent avec les CPE et le - rapport
AS, Infirmière,
personnes de moi: AESH et professeur d'incident au
ce qui s'est ATSEM et direction du principal CPE, cheffe
produit ? les parents, le collège si cela d'établissement
directeur relève du - parents ou
règlement. éducateurs si
SESSAD
Selon vous, oui ils ont une oui une Oui, non, selon la
peut-on dire sensibilité plus difficulté à difficulté de pathologie
que les EBEP grande analyser une compréhension,
sont plus sujets complexité des , des parcours
aux crises? choses, déficit de vie
Pourquoi ? du traitement de compliqués, :
l'info; ils sensibilité
perçoivent accrue,
l'environnement difficulté à
avec une grille s'exprimer,
simpliste manque de
compétences
psychosociales
22
Lors de la réalisation de ce tableau, nous avons fait le choix d'organiser les questions selon deux
axes :
- des questions relatives à la définition de la crise, à ce qui peut provoquer une crise avant d'évoquer
les signes annonciateurs ainsi que la gestion de la crise
- des questions renvoyant à des procédés plus "institutionnalisés" dans la mesure où cela concerne
la mise en place de protocoles, de traces écrites et la diffusion de l'information.
A la suite de cela, nous avons surligné les réponses récurrentes en vue de dégager d'éventuelles
constantes que nous évoquerons dans la partie résultat.
Dans un second temps, nous avons procédé à l'analyse minutieuse de chaque entretien
individuel d'explicitation ce qui nous a permis de mettre en exergue trois points essentiels : des
représentations sociales des enseignants liées à la crise, les éléments déclencheurs de la crise et
l'activité des enseignants pour gérer la crise.
Dans un dernier temps, nous avons repris toutes les notes ethnographiques pour sélectionner
les passages nous semblant pertinents pour notre objet d'étude.
3 Résultats et discussion
3.1 La genèse des crises
Nous essaierons d'abord de définir la crise avant d'évoquer les facteurs déclencheurs ainsi que
les signes avant-coureurs en nous appuyant sur les situations de crise figurant en annexes 6 à 8 ainsi
que sur les entretiens semi-directifs (annexes 1 à 5) et le tableau élaboré pour le traitement des
données.
L'élève en crise n'est donc plus en capacité d'échanger, il manifeste sa colère par de la violence
physique, il est "hors de lui ", comme dans un autre état. Cette description renvoie à la définition
donnée par la Mission Départementale Climat scolaire 34 (annexe 10)
Pendant une crise, l'enfant n'est pas conscient de ses actes. Il peut être violent, il semble hors de
23
lui
Nous voyons clairement qu'il s'est opéré un net changement entre le moment où cet élève était en
rang et le moment où il se roule par terre. D'ailleurs, lors des entretiens semi-directifs, trois
enseignants interrogés sur cinq ont employé le terme de "rupture" pour définir la crise.
Deux d'entre eux apportent une précision supplémentaire en indiquant qu'il s'agit d'une rupture de
communication. Ils appréhendent la crise comme un moment où il ne peut plus y avoir d'échanges
tant sur le plan verbal que sur le plan non verbal. Qui dit rupture dit changement, en l'occurrence le
passage d'un état à un autre. De plus, comme l'indiquent l'enseignant en ULIS école et celui en
ULIS collège, l'élève sort du cadre et la crise c'est quelque chose de violent ce qui nécessite donc
une prise en charge. Des protocoles de gestion d'élève en crise ont d'ailleurs été mis en place
comme celui élaboré par la Mission Départementale climat scolaire 34. Revenons à présent aux
facteurs qui ont déclenché cette crise.
Je m'approche, je vois un téléphone à la main, je lui dis :" le téléphone est interdit dans la
cour" et un AED lui confisque le portable.
Dans cette situation, le motif de la crise est clairement visible : la suppression du téléphone
portable. L'élève se voit donc privé de quelque chose ce qui renvoie donc à une situation de
frustration. Nous pointons du doigt ici l'un des facteurs principaux permettant d'expliquer la
situation de crise. De fait, lors des entretiens semi-directifs, trois enseignants sur cinq l'ont citée en
premier.
24
Tableau 3 : qu'est-ce qui peut provoquer une crise ?
Enseignant Enseignante Enseignant Enseignant Enseignant en
en ULIS école en ULIS école en ULIS collège en SEGPA ULIS Lycée
- l'angoisse - la frustration - frustration - l'injustice - un détail
- la fatigue - la contrainte - l'injustice - les insultes, -l'incompréhen-
- la frustration - une insulte, - la violence, les provocation sion
- la peur provocation cris - difficulté dans
- le bruit - l'inhibition le travail
- la provocation d'un - contrainte
camarade
Le terme de provocation est également cité à trois reprises, les termes d’injustice et d’insulte
apparaissent quant à eux deux fois. Deux enseignants évoquent également la possibilité d'une peur,
d'une angoisse et d'une difficulté dans le travail.
De ces résultats, nous pouvons en conclure qu'il y a deux types de facteurs :
- des facteurs que nous pourrions qualifier de relationnels dans la mesure où la crise impliquerait
plusieurs personnes, elle serait le résultat d'un problème opposant plusieurs acteurs. De fait, il ne
peut y avoir provocation que s'il y a nécessairement la présence d'une autre personne, il y a donc au
moins deux personnes concernées. De plus, il s'agit d'un acte volontaire d'un des acteurs et on
s'attend à une réponse qui peut se traduire par des propos, des gestes ou une absence de réaction.
Quant au terme de frustration, cela fait référence à un état qui traduit un manque, une impossibilité
de satisfaire un désir. La frustration suppose également de manière implicite la présence d'une autre
personne qui a répondu négativement à une demande formulée par l’élève en crise. Le désir n'est
donc pas comblé autrement dit l'acteur n'a pas obtenu ce qu'il voulait, ce qu'il demandait.
- des facteurs inhérents à une activité proposée lorsque les enseignants parlent d'angoisse, de
difficulté, ils appréhendent alors la crise non pas comme un phénomène social mais comme une
situation dans laquelle un élève se trouve en difficulté face à la réalisation d'une tâche. Le support
proposé par l'enseignant nécessite de la part de l'apprenant une prise de risques car il s'agit d'une
situation inconnue. Une enseignante affirme d'ailleurs qu'elle peut décider de provoquer la crise
"je provoque la crise pour lui montrer qu'il peut se confronter à un apprentissage nouveau".
Ici c'est le cheminement de l'acte d'apprendre qui permet d'expliquer que l'élève peut être en crise.
En effet, l'acte d'apprendre suppose une prise de risques, une part de déstabilisation, accepter de ne
pas savoir pour ensuite en savoir davantage. C'est l'image négative qui est renvoyée aux élèves
selon laquelle ils sont en échec face à l'activité. Nous prenons conscience que l'enseignant doit donc
veiller à l'accessibilité de la tâche pour tous. L'enseignant en ULIS lycée a parlé de détail, peut être
faisait-il référence à un changement aussi bien dans l’espace classe comme un changement de table,
un affichage particulier ou encore dans le déroulement de la journée de l'élève ; auquel cas cela se
25
rapprocherait d’un changement dans ce qui était instauré jusqu’à ce jour, autrement dit une rupture
avec la « routine ». Ainsi, pour certains élèves, tout changement même minime peut les insécuriser
et il est absolument indispensable de leur en parler au préalable pour éviter toute angoisse.
A ces deux types de facteurs s’ajoute également une autre raison en lien avec une
caractéristique plus spécifique aux EBEP mais pas seulement. Pour étayer notre propos, nous allons
nous appuyer sur la situation de crise relatée par l'enseignante en ULIS école concernant une sortie
organisée pour aller au Corum. ( annexe 6) Les élèves sont en rang, ils s'apprêtent à partir, et là,
l'élève, excédé parce que cela ne va pas assez vite, donne une gifle à un autre.
Lors du départ, ils étaient en rang et un enfant retardait le départ, il lui a mis une grosse gifle.
Il était excédé parce que cela traînait.
Dans ce cas, l'élève est entré en crise parce qu'un de ses camarades refusait d'avancer ou n'avançait
pas assez vite. Cela renvoie ici à l'interprétation qu'a fait l'élève de la situation à ce moment précis.
Selon lui, il y avait un dysfonctionnement, il voulait partir prendre le tram avec sa classe mais il y
avait un obstacle en l'occurrence un élève qui refusait d'avancer suffisamment vite pour s'y rendre.
Ne pouvant plus supporter cette situation, il a alors tapé son camarade au lieu de lui signifier
verbalement qu’il était nécessaire d’avancer. Sa réaction témoigne de son impulsivité qui est
également l’une des caractéristiques de certains élèves à besoin particulier. D'après les propos de
l'enseignante, "un enfant retardait le départ", nous pouvons émettre l'hypothèse que cela n'était pas
si important que cela puisqu'elle n'est pas intervenue pour signifier à l'élève qui semblait faire
obstacle qu'il gênait le groupe-classe à moins qu'elle n'en ait pas eu le temps. Nous pouvons donc
affirmer que l'élève qui a tapé n'a pas interprété la situation correctement. Il semblerait qu'il se soit
placé de son point de vue. De plus, sa réaction ou plutôt la réponse qu'il a apportée n'a pas été
adéquate. Est-ce son mode de communication ? Il a surtout été très difficile pour lui d'admettre qu'il
avait tort. Il ne comprend pas qu'on lui reproche d'avoir tapé alors que selon lui c'était son camarade
qui les empêchait d'avancer. Ce défaut d'interprétation de la situation est d'ailleurs une réponse qui a
été formulée à deux reprises dans les entretiens semi-directifs pour expliquer pourquoi les
enseignants interrogés pensent que les EBEP sont plus sujets aux crises que les autres.
26
Tableau 4 : peut-on dire que les EBEP sont plus sujets aux crises?Pourquoi ?
Enseignant Enseignante Enseignant Enseignant Enseignant en
en ULIS école en ULIS en ULIS en SEGPA ULIS Lycée
école collège
oui ils ont une oui une difficulté à oui difficulté non, selon la
sensibilité plus analyser une de pathologie
accrue complexité des compréhension, ils
choses, déficit du ne comprennent pas
traitement de , des parcours
l'info; de vie compliqués,
ils perçoivent : sensibilité
l'environnement accrue,
avec une grille difficulté à
simpliste s'exprimer,
manque de
compétences
psychosocial
es
Un enseignant parle d'une "difficulté à analyser une complexité des choses", un autre d'une
"difficulté de compréhension". Un enseignant déclare "ils perçoivent l'environnement avec une
grille simpliste". De cette interprétation simpliste nous pouvons être tentés de dire que la réponse va
être également simpliste et renvoyer à l'état primaire autrement dit par des gestes comme "taper »
qui sont en lien avec la pulsion.
Cependant, les éléments déclencheurs de la crise ne sont pas toujours aussi clairement
compréhensibles pour un chercheur. C'est ce que nous allons essayer de montrer en analysant la
situation de l'élève scolarisé en ULIS école qui se met à crier :
"je n'en peux plus, c'est trop dur" "je ne vais pas y arriver"
Dans ce cas, c'est le fait d'aller en récréation qui est le facteur déclencheur. D'un point de vue
extérieur, nous pouvons nous interroger : pourquoi un élève ne voudrait-il pas aller en récréation ?
Cela semble plutôt surprenant dans la mesure où la récréation est un moment où les élèves peuvent
se détendre. Ce sont les remarques de l'enseignante qui vont nous permettre de comprendre que ce
27
n'est pas la récréation en elle-même qui est le problème mais c'est la perspective d'avoir froid qui va
expliquer le désarroi de l’élève. L'enseignante évoque des éléments très précis :
A ton avis, qu'est-ce qui fait qu'il ne voulait pas la récré ?
Enseignante : C'est parce qu'il a froid à la récréation. Au moment de la récré, je pense qu’il se
dit qu’il a eu trop froid le matin et les jours précédents, il restait sous le préau et il a eu trop
froid. En classe, il s'est mis au travail. Je pense que cela a réactivé cette peur d’avoir froid."
C'est donc le fait d'avoir observé que les jours précédents l'élève avait eu froid sous le préau et qu'il
n'était pas bien qui lui a permis d'émettre l'hypothèse que c'est la peur d'avoir froid. Cela renvoie
donc à une insatisfaction des besoins physiologiques. L'élève a peur d'aller en récréation car cela
fait écho à ce qu'il vit, à ce qu'il endure depuis plusieurs jours : le froid. Or sans cette observation
fine, l'enseignante ne pourrait pas comprendre ce qui s'est joué à ce moment précis. Cela explique
par ailleurs sa réaction.
Je les fais descendre en récréation et je garde l’autre enfant qui s’effondre dans mes bras et qui
continue à crier « j’en peux plus, c’est trop dur. Il vient poser la tête sur mon épaule et là il
relâche le poids et il se met à crier. Il reste au calme et l’état de crise passe.
L'idée de penser qu'il va se retrouver une nouvelle fois dans le froid lui apparaît réellement
insupportable.
A ces facteurs déclencheurs s'ajoutent des signes moins perceptibles que nous allons évoquer à
présent.
Pour évoquer ces signes, je souhaiterais prendre appui sur mon expérience personnelle en ULIS
"Quand j'ai ouvert le portail aux élèves, je leur ai dit bonjour individuellement. Et là
j'ai relevé que Léa ne m'avait pas répondu. Je me suis approchée, je l'ai regardée dans
les yeux puis je lui ai dit :
"ça va ? "
Elle ne m'a pas répondu. Nous sommes alors entrées en classe avec son camarade.
Elle a posé ses affaires. J'ai essayé de faire comme si de rien n'était et j'ai fait comme
d'habitude.
"Nous allons aller nous laver les mains. "
Elle a accepté.
"Venez, nous allons mettre la date."
Elle s'est alors mis à parler, à vouloir diriger. "c'est moi qui mets la date. C'est moi qui
vais chercher..."
Cela s'accompagnait d'une grande agitation où elle passait d'un endroit à l'autre.
28
De cette description, nous notons d'abord un refus d'entrer en communication verbale et ensuite un
besoin irrépressible de s'exprimer et une forte agitation. L'attitude de départ de l'élève montre
qu'elle n'a pas forcément envie de parler, elle est plutôt fermée. Puis elle change radicalement
d'attitude et a besoin de s'exprimer, d'occuper l'espace physiquement et par la parole. Elle parle
d'ailleurs très rapidement, elle coupe également la parole. Derrière ces détails sont en jeu des
émotions qu'il est capital de déceler pour comprendre l'état d'esprit dans lequel l'élève arrive en
classe. Une enseignante interrogée l'a d'ailleurs dit :
En effet, l'élève arrive en classe avec son vécu personnel, ses émotions du moment. Il sera plus ou
moins disponible pour apprendre et il est capital que l'enseignant prenne en compte ces éléments
pour organiser le reste de la journée de manière à ce que le climat de classe soit serein. Les propos
de l'enseignante convergent avec ceux de Cuisinier qui explique que l'émotion est le résultat de
plusieurs composantes dont l'histoire personnelle. De plus, l’émotion est propre à chacun, elle
renvoie donc à la sphère privée et intime. Accepter d’exprimer ce que l’on ressent c’est en quelque
sorte accepter de dévoiler une partie de soi, autrement dit donner à voir une partie de soi. Ici, nous
abordons le problème de l’espace de chacun. Nous pouvons établir un parallèle avec l’espace que
l’on ne doit pas franchir ; ainsi certains élèves ne supportent pas l’idée que l’on vienne sur leur
espace, qu’on se rapproche trop d’eux, ici c’est donc un peu la même chose : jusqu’où peut-on
amener l’élève à exprimer ce qu’il ressent. Cela peut expliquer pourquoi il est difficile d'amener les
élèves à exprimer ce qu'ils ressentent et surtout à comprendre l'interprétation qu'ils peuvent donner
à tel ou tel propos ou geste. Cependant, les textes officiels mettent en exergue la nécessité
d'apprendre à réguler ses émotions. Et là, l'enseignant a, comme l'explique Darnon, tout son rôle à
jouer. Il lui revient de mettre des mots sur ce qui se passe.
Nous relevons ici le besoin de se déplacer et de changer d'activité d'une part et de se manifester par
des bruits d'autre part. Ainsi, le fait qu'un élève aille d'un espace à un autre peut effectivement être
interprété comme un signe de mal-être. Cela peut aussi être interprété comme une façon d’attirer
l’attention.
29
A ces signes annonciateurs, il convient d'ajouter les signes physiques autrement dit l’attitude
de l’élève à travers les mimiques ou autres dont parle l'enseignante en SEGPA. Voici ce qu’elle a
relevé chez l'élève à qui le téléphone portable a été confisqué :
"Il avait le visage serré, les dents tendues, le bas du visage tendu, la tête baissée, dans sa
manière de bouger, à sa façon de parler. Il jouait avec son stylo, il triturait le capuchon de son
stylo jusqu'à ce que ça casse. J'étais à deux doigts de l'envoyer en vie scolaire."
Tous ces signes montrent qu'il est sur le point "d'exploser", la moindre remarque et la crise peut
aller crescendo. Ses propos permettent de mettre en évidence que la connaissance que l'enseignant a
de chacun de ses élèves va être déterminante pour anticiper, éviter voire gérer au mieux les crises.
Ainsi, comme nous le verrons dans la partie relative à la gestion de la crise, l’enseignante va choisir
d’intervenir d’une certaine façon qu’elle prendra soin de nous expliquer. Elle justifiera sa manière
d’agir ainsi à ce moment donné avec cet élève-là pour les raisons qu’elle évoquera.
30
Cela renvoie à la pyramide de Maslow adaptée à l’enseignement dont parlent Michel et Ramond.
(2020, p83). Cette pyramide fait apparaître cinq catégories de besoins : besoins physiologiques,
besoins de sécurité, besoins d’appartenance, besoins d’estime et besoins de s’accomplir. Selon
Maslow, on ne peut atteindre le dernier besoin situé au sommet de la pyramide sans avoir satisfait
les autres besoins. Dans notre cas, il s’agissait d’un besoin physiologique. Or, il n'est pas aisé de
percevoir ces besoins internes s'ils ne sont pas exprimés verbalement par l'élève. Il faudra alors
être attentif aux expressions corporelles qui vont traduire ce mal-être. Nous reprendrons ici la
définition donnée par Merleau Ponty cité par Rix-Lièvre (2010) "les réalisations corporelles sont
les "vêtements naturels" de la signification". Par ailleurs, les facteurs externes semblent être plus
facilement perceptibles. Cependant, il convient de nuancer notre propos. Gaudreau et Duchaine,
pour leur part, quand elles évoquent les facteurs externes, font référence aux conditions liées
aussi bien à l’environnement qu’aux interactions avec les autres ou encore à une tâche. (p 260)
Or, dans notre étude, nous n'avons pas eu de crise liée à une tâche scolaire ce qui ne signifie en
aucune façon que cela ne se produise pas. Bien au contraire, c'est une raison qui a été évoquée par
une enseignante qui a d'ailleurs soulignée que c'est elle qui choisissait de provoquer la crise en lui
proposant cette tâche-là. Il semblerait toutefois que cette crise, puisqu'elle est voulue par
l'enseignante, soit "contrôlée" au sens où c'est un choix. Ce facteur nous amène à évoquer la peur
d'apprendre que manifestent certains élèves. A ce sujet, Boimare (p 23), explique que
Apprendre ce n'est pas seulement mettre en jeu son intelligence et sa mémoire, comme nous
aurions nous-mêmes tendance à le penser un peu vite, mais c'est aussi être sollicité dans toute une
organisation psychique et personnelle.
Ces propos permettent de mettre en évidence l’importance de la sphère émotionnelle tout comme le
souligne de manière très explicite Favre (2020, p42) :
L'apprentissage n'est pas possible sans que ne se produise une déstabilisation cognitive et affective,
sachant que cognition et émotion ne sont pas dissociables.
Même si les facteurs externes peuvent sembler être en jeu le plus fréquemment dans la mesure où
l'école est un lieu de rencontres et donc en quelque sorte de "confrontation", rien ne permet
d'attester qu'ils soient plus fréquents et l'étude réalisée ici ne nous permet pas de l'affirmer bien que
sur trois situations de crise, deux relèvent de facteurs externes. Par ailleurs, l'auto-confrontation ne
m'a pas permis d'amener des éléments de réponse nouveaux. En revanche, le fait de penser que les
facteurs annonciateurs de la crise soient plutôt externes peut s'expliquer par les caractéristiques des
élèves à besoins éducatifs particuliers. De fait, ils font preuve de « précarité émotionnelle » (Barry)
Leur compréhension de la situation est le plus souvent trop simpliste, épurée tout comme leur
réponse.
Nous voyons ici combien le contexte est déterminant pour pouvoir interpréter la crise. Nous
pouvons donc formuler un premier élément de réponse. L'enseignant doit donc être vigilant d'une
31
part au support et à la tâche proposés en veillant plus particulièrement à rendre accessible à tous le
travail proposé, d'autre part aux modalités de travail choisies et enfin au changement qui peuvent
intervenir de manière fortuite et avoir un impact sur les élèves. En d'autres termes, la manière
d'amener les savoirs, les interactions avec les pairs et l'environnement doivent être prises en compte
au même titre.
C'est par une observation fine de chaque situation que l'enseignant va pouvoir déceler des
éléments clés pour comprendre ce qui s'est passé à ce moment-là. C'est en reconstituant le cours de
son action qu'il va pouvoir comprendre davantage quel a été l'élément déclencheur. De son
évaluation précise de la situation va dépendre la réponse apportée. C'est ce que nous allons tenter de
montrer à présent.
Nous allons à présent aborder la façon dont les enseignants s’y prennent pour gérer au mieux une
crise.
Là je vois les regards interrogateurs des copains, je leur fais un signe pour les apaiser, les
rassurer et leur dire que ce n’est pas grave, je les fais tranquillement sortir.
Moi, je reste calme pour ne pas insuffler de panique.
Ce qui ressort de l'attitude adoptée par l'enseignante c'est son calme, elle l'énonce clairement à
plusieurs reprises en utilisant les termes "apaiser", "rassurer, "tranquillement", "calme", pas insuffler
de panique". Par ces actions, l'enseignante cherche à apporter de la sérénité. Par sa réaction, elle
démontre à ces élèves et à l'élève qui est en crise qu'elle maîtrise la situation. Elle cherche à
restaurer le « climat de sécurité » dont parlent Baudoin et Galand. De fait, l’espace classe est censé
être un endroit où on est en sécurité mais lorsque l’élève se met à secouer les tables et à crier, ce
climat est mis à mal. Elle cherche donc à rassurer les élèves, à sécuriser le groupe-classe comme
c’est clairement indiqué dans le protocole pour gérer un élève en crise. Aucun de ses gestes ne se
fait dans la précipitation, et pourtant elle est à l'affût du moindre geste de l'élève en crise mais elle
ne laisse rien transparaître.
Mon regard est braqué sur l'élève et le danger qu’il pourrait représenter pour les autres. Je
regarde le matériel qui est à la portée de l'élève.
Les élèves sont en confiance, ils ne manifestent pas d'agitation ni ne posent de questions.
32
A la question
Qu'est-ce qui fait qu'ils ne crient pas ?
L'enseignante précise :
Ils ont l'habitude, on a instauré des codes, ce n'est pas la première fois qu'ils le voient en
crise.
Nous pouvons donc en déduire que les élèves sont préparés à ce genre de situation, que ce n'est pas
la première fois qu'ils y sont confrontés et qu'ils sont préparés à ces crises tout comme ils le seraient
pour un exercice d'évacuation. Cela suppose donc qu'il y a eu au préalable tout un travail réalisé
autour de gestes et d'une certaine codification. Tout ce travail permet par conséquent que les élèves
gardent leur calme et ne perdent pas leurs repères. Tout se passe comme si cela était prévu ; elle
explique d'ailleurs que ce n'est pas la première fois. Ils savent donc ce qu'ils ont à faire même si cela
n'enlève en rien les émotions que peuvent ressentir à ce moment-là les autres élèves.
L’enseignante précise que, pour ramener le calme, elle a très souvent recours à la gestuelle.
L'élève qui a son bureau à côté de lui, change de place. Les autres enfants sont surpris, ils ne
disent rien, ils ne bougent pas et ils attendent la consigne donnée par des gestes, la consigne
qui va dire la bouche reste fermée, la consigne gestuelle qui leur demande d'aller en
récréation.
Comment l'élève sait - elle qu'il faut qu'elle change de place à ce moment précis ?
Elle m'a regardé et j'ai fait un signe à la petite pour qu'elle change de place.
La communication non verbale semble être une solution envisagée en tant que telle au moment de la
crise. Ici, nous pouvons faire le parallèle avec l'importance de l'enseignant qui doit garder son calme
et montrer qu'il ne rentre pas dans le jeu de l'élève. Cependant, elle explique également que si elle
privilégie la communication non verbale lors de la crise, en revanche, elle fait également un retour
sur ce qui s'est produit pour dédramatiser ce qui s'est produit.
33
Tu as dit que tu leur faisais un signe aux élèves pour qu'ils aillent en récréation, tu
es où à ce moment-là ?
Quand j’invite les enfants à sortir, je suis debout comme si je m’interposais entre
l’enfant qui crie et les autres qui se déplacent vers le couloir.
Dans le premier cas, elle est intervenue immédiatement alors que dans le second, elle est restée
"impassible". D'un point de vue extérieur, nous pourrions nous demander pourquoi elle ne dit rien à
l'élève dans la seconde situation alors qu'il est en train d'enfreindre les règles.
L'élève se lève, il pousse des cris : " je ne vais pas y arriver. " Il va secouer les tables de la
classe comme s’il voulait les renverser.
Il serait ici légitime de s'interroger et de se demander pourquoi l'enseignante fait le choix de ne pas
intervenir. L'élève est en colère ce qu'il manifeste par des cris et par des gestes assez forts dans la
mesure où il serait prêt à soulever le bureau mais il est trop lourd. La simple observation ne permet
pas de comprendre le choix stratégique de l'enseignante, nous pourrions d'ailleurs supposer qu'elle
subit la situation et bien au contraire, l'entretien d'explicitation va permettre de comprendre sa
réaction.
"Avec cet enfant, je vais dans son sens. C'est un enfant qui peut faire beaucoup de crises, j'ai
appris à le connaître et je sais comment réagir. Dans cette situation, je pourrais lui dire : tu n'as
pas le droit de faire cela mais je ne le fais pas, je sais que cela peut dégénérer. Il a un seuil de
sensibilité hyper bas."
Elle dit clairement qu'elle a appris à le connaitre et qu'elle a compris son mode de fonctionnement.
Elle explique de manière très significative que, si elle intervient, la crise va prendre encore plus
d'ampleur. Elle énonce d'ailleurs une des particularités de l'élève : son seuil de sensibilité. Nous
retrouvons ici un élément qui avait été également avancé par deux enseignants sur cinq lors des
entretiens semi-directifs pour caractériser les EBEP et répondre à la question : les EBEP sont-ils
plus sujets aux crises ? Or cette connaissance aussi précise résulte d'observations fines effectuées
depuis le début de l'année. Nous pouvons ici souligner l'expertise de l'enseignante concernant les
besoins éducatifs particuliers des élèves telle qu'elle est définie parmi les spécificités de l'enseignant
spécialisé. Nous voyons ici que le regard d'un enseignant spécialisé a joué tout son rôle tant dans
l'analyse du comportement de l'élève que dans la réponse apportée. L'enseignante spécialisée
explique donc qu'elle fait le choix de ne pas intervenir pour ne pas exacerber la crise et souligne que
lors de la première situation, c'est ce qui s'est passé.
Qu'est-ce qui fait qu'il se roule par terre et que cela prend des proportions importantes ?
34
« En refusant qu'il vienne avec nous, j’aggrave la crise, son état de colère et de désarroi, c’est
insupportable pour lui, il est excédé. "
Cependant, il semble important d'ajouter que la crise ne s'est pas manifestée de la même façon
et qu’elle n’a pas eu les mêmes conséquences.
Situation 1 : Lors du départ, ils étaient en rang et un enfant retardait le départ, il lui a mis une
grosse gifle. Il se met à hurler. Il est très en colère, il tape, il hurle, il crie, il fait des gestes
violents. Il se roule par terre, on le contient physiquement.
Situation 2 : l'élève se lève, il pousse des cris : " je ne vais pas y arriver. " Il va secouer les
tables de la classe comme s’il voulait les renverser mais il ne peut pas car elles sont attachées.
Il s'agit bien de prendre en compte la situation à un moment donné dans un contexte donné. Dans
cette situation-là, il y a eu atteinte physique envers un autre camarade ce qui nécessitait
l'intervention de l'adulte. Dans la première situation, l'intervention de l'enseignante est immédiate.
Cela peut s'expliquer par la gravité de la situation. En effet, il s'agit d'une atteinte à autrui, il y a eu
un geste violent à l'égard d'un camarade alors que dans l'autre situation, aucune personne n'a été
impactée corporellement. Par ailleurs, lors de l'entretien d'explicitation pour la seconde situation,
l'enseignante a précisé
Je lui laisse taper les tables car il ne met pas en danger les autres. Je fais ce choix. Par contre,
s’il fait mal à quelqu’un c'est un carton rouge car aucune violence envers quiconque.
Ses propos permettent de mettre en évidence que sa décision est très réfléchie. Elle montre qu’elle a
délibérément fait ce choix et le justifie de manière très explicite : « il ne met pas en danger les
autres ». Nous voyons très bien que ce qui est le plus important c’est la sécurité. Elle sait que le
laisser taper les tables lui permet très certainement d’exprimer son mal être mais ne porte pas
préjudice aux autres. C’est donc d’une part le contexte et les faits et d’autre part la connaissance que
l’enseignante a de chacun de ses élèves va être déterminante pour anticiper, éviter voire gérer au
mieux les crises. La manière d'agir avec tel élève ne sera pas nécessairement la même avec tel
autre ; de même façon, avec un même élève, la réaction peut être différente. Les facteurs externes
sont aussi déterminants dans la réaction et la réponse apportée à l'élève. Ici nous pointons ce qui
touche à la loi proprement dite.
L'enseignant doit faire donc preuve de bienveillance mais doit rester objectif par rapport à la
situation ce qui l'amènera à adopter telle ou telle conduite. Si nous revenons aux deux situations
évoquées précédemment en ULIS école (annexes 6 et 7). Dans les deux cas, l’élève crie mais dans
la situation 1, on relève des actes violents. Dans cette situation-là, l'urgence était de mettre les autres
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élèves en sécurité dans la mesure où l'élève était hors de lui. L’enseignante explique également qu’il
est nécessaire de contenir l’élève. Comme cela est clairement spécifié dans le protocole de gestion
de crise (annexe 10)
L’élève est désorganisé, il n’est pas conscient de ses actes.
Dans une telle situation, la priorité est la sécurité, aussi bien celle des autres élèves que celle de
l’élève qui est en crise.
Non seulement l’enseignant doit très bien connaître ses élèves, il doit également analyser
rapidement la situation afin de saisir l’ampleur de la crise et pouvoir agir en conséquence.
"Il s'installe et il me parle mal, sèchement : "moi je travaille pas c'est mort. Je suis nickel en
cours, c'est à cause de vous."
Enseignante: " On t'a pris ton portable, ce n'est pas à cause de moi, c'est à cause de toi, c'est
toi qui l'as sorti, moi c'est mon travail de poser et faire respecter des règles."
L'enseignante montre, par son attitude, qu'il est nécessaire de resituer les faits dans leur contexte et
il est important de faire comprendre à l'élève que ce n'est pas elle qui a enfreint le règlement. Elle
rappelle ici clairement et avec fermeté les faits mais elle ne lui fait aucune remontrance sur le fait
qu'il ne veut pas travailler.
Il n'a pas travaillé de l'heure. J'ai laissé faire. Je ne l'ai pas obligé à travailler
D'un point de vue extérieur, est-il légitime d'accepter qu'un élève ne travaille pas dans le cours ? Le
langage utilisé par l'élève est-il acceptable ? Comment intervenir sans nuire au climat de classe ?
C'est bien le contexte qui permet de comprendre les choix opérés. Dans ce contexte, est-il
réellement judicieux de pousser l'élève à bout au point de l'exclure ? Quelles répercussions cela
aura-t-il sur le climat de classe ? L'enseignante doit opérer des choix en prenant en compte les
différents paramètres de la situation autrement dit doit prendre en considération cet élève mais aussi
les autres élèves. Même s'il ne participe pas activement au cours, il est présent, il entend ce qui se
dit. Elle ne veut pas le pousser dans ses retranchements, elle sait qu'il n'est pas disposé à travailler et
que si elle le pousse, elle va être obligée de l'exclure. Elle met des mots sur les émotions qu'elle
ressent ainsi que celles que ressent l'élève et les conséquences que cela a tout de suite. Elle met en
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lumière ce qui se joue en elle et pour l'élève. Elle rend donc explicite la situation pour l'élève ainsi
que pour les autres élèves.
"Il n'a pas travaillé de l'heure. J'ai laissé faire. Je ne l'ai pas obligé à travailler, et j'ai dit :
"c'est pas le moment d'en parler, toi tu es énervé et moi aussi je ne suis pas prête à en parler
maintenant."
Elle fait preuve de franchise envers l'élève, elle fait état de choses telles qu'elles sont et elle finit ses
propos en lui "tendant une perche"
"Quand je serai un peu plus tranquille et toi un peu plus apaisé, on pourra en reparler. A la fin
du cours, tu pourras rester pour en parler."
Elle n'est pas fermée, elle fait clairement comprendre à l'élève qu'il pourra venir la voir pour en
parler après. Elle fait le choix de différer la discussion parce qu'elle juge que ni elle ni l'élève ne
sont en capacité d'échanger calmement et que par conséquent la discussion ne sera pas constructive
bien au contraire, cela ne fera que renforcer les tensions. Elle tient un discours que nous pourrions
qualifier de "transparent" ce qui contribue à instaurer un climat de classe plutôt favorable.
Finalement par son action, l'élève est resté jusqu'à la fin du cours. Ses choix ont montré qu'elle a
maîtrisé la situation du début à la fin.
Affronter directement l'élève est également une autre posture que peut adopter l'enseignant
mais cela risque ne pas avoir l'effet escompté et de renforcer la crise.
De même, quand Léo ne voulait pas faire son travail, j'ai essayé de le contraindre et le résultat
a été qu'il fasse du bruit et gène la classe.
Un autre jour, j'ai essayé de lui proposer de faire l'illustration de son histoire et ensuite d'écrire
son histoire pour l'aider à entrer dans l'activité. Il a alors accepté.
Arthur a commencé à aller d'une activité à l'autre et à manifester son impatience. Il s'est mis à
faire des bruits.
J'ai alors dit : Ah, la directrice a besoin des photos et des paiements. Il faudrait les lui porter,
est-ce que tu voudrais bien Arthur les lui porter ?
Il était plus ou moins d'accord puis j'ai ajouté :
C'est urgent. Si tu ne veux pas y aller, je peux demander à quelqu'un d'autre.
37
Il a alors accepté.
Cependant, cela semble n'être qu'une alternative de courte durée. Le plus important reste la
satisfaction des besoins des élèves. Or, tant que la communication n'aura pas été établie pour
permettre de comprendre ce qui ne va pas, la situation ne sera pas complètement résolue et cela
risque de n'être qu'un simple sursis.
Face à l'appréciation de la situation, l'enseignant doit faire des choix. Prenons l'exemple de
mon élève qui a tapé des élèves de la classe et qui crie de plus en plus fort.
"Elle crie de plus en plus fort. Là je lui dis "Tu ne peux pas crier en classe, comme tu ne t’arrêtes pas, tu ne
peux pas rester dans la classe. Tu vas te lever et sortir avec Cécile."
Elève : "non !"
Elle se roule par terre. Aidée de Cécile, je la conduis à l'extérieur de la classe.
Dehors, elle crie encore plus fort au point de déranger toutes les classes et elle se met à courir dans la
cour."
Cette situation avait atteint la "phase du sommet" décrit par Gaudreau. Aussi, j'ai fait le choix
d'isoler l'élève pour protéger les autres élèves. Mon intention était de permettre au reste de la classe
de pouvoir travailler et je pensais qu'en l'isolant, l'élève pourrait se calmer. Or rien de tel ne s'est
produit puisqu'une fois dehors, elle s'est mise à crier encore plus fort. Peut-être que le fait de l'isoler
à l'extérieur n'était pas l'endroit le plus adapté mais il était sur l'instant le seul disponible. De fait,
l'extérieur c'est ouvert donc ce n'est pas contenant mais je n'avais pas d'autres choix. Le fait d'avoir
une salle à côté de la classe aurait été de toute évidence plus adapté mais il faut faire avec les
réalités du terrain. Après plusieurs tentatives, j'ai changé de stratégies : j'ai décidé de prendre le relai
en allant moi-même dehors et en utilisant un subterfuge pour détourner son attention. Après avoir
dit non, elle a finalement accepté de montrer ce qu'elle savait faire avec ce cerceau. Mon intention
était de détourner son attention et de m'appuyer sur un élément positif, ce qu'elle savait faire. Je lui
ai proposé de prendre ma place et de m'apprendre à utiliser le cerceau, c'était un changement de
statut d'autant plus important à ses yeux qu'elle manifeste un besoin récurrent de diriger les autres
personnes. Nous voyons ici combien l'enseignant doit conjuguer avec plusieurs paramètres de la
situation et doit faire preuve d'inventivité. Cette situation permet également d'aborder un point
relatif à la personne relais.
38
3.2.5 Passer le relais
Le rôle de personne relais revêt toute son importance ici.
En effet, quand l'élève est en crise, plusieurs enseignants interrogés ont évoqué en première
intention le besoin d'isoler l'élève. Or, pour pouvoir le faire, il faut disposer d’un lieu et d’une
personne qui puisse prendre le relais. Nous pointons ici une différence entre le premier et le second
degré qui est ressorti lors des entretiens. Tandis que dans le second degré, les enseignants peuvent
faire appel au conseiller principal d'éducation ou encore à l'infirmière, dans le premier degré cela
reste le point un peu plus épineux. Le plus souvent c'est au directeur ou à la directrice que cela
revient mais encore faut-il que ce dernier n'ait pas une classe et soit disponible à ce moment-là. De
plus, quand nous avons interrogé les enseignants sur l’existence d’un protocole gestion de crise,
quatre enseignants ont expliqué qu'il n'y avait pas de protocole clairement instauré comme le
précise l'enseignant en ULIS école.
Non mais en conseil des maîtres, on s'était dit qu'il fallait qu'il y ait toujours une personne de
disponible quand on a un potentiel élève en crise. Ce serait un élève de la classe qui devrait aller
chercher un autre adulte.
Cela laisse supposer que c'est à l'équipe pédagogique de s’organiser pour mettre en place un
protocole. La réponse apportée montre que c'est un élément un peu flou qui nécessiterait d'être
défini avec plus de précisions : qui fait quoi ? quelle est la personne ressource ? Il faudrait ensuite
voir dans quelle mesure cela permettrait de gérer la crise de manière plus sereine.
39
3.2.6 Et après ?
Cela nous amène à évoquer ce qui se passe une fois la crise passée. Ce qui est ressorti de nos
entretiens c'est que dans le second degré quand la crise a été très importante, un rapport d'incident
peut être rédigé. En ce qui concerne les enseignants ayant un dispositif ULIS, il est apparu
indispensable de garder une trace écrite dont il sera fait mention lors de l'équipe de suivi de
scolarisation. Néanmoins, il y a un consensus sur le fait qu'il y ait une information faite aux
familles, aux équipes ainsi qu'au directeur ou chef d'établissement. L'enseignant ULIS collège va
plus loin en affirmant
L'information doit circuler dans l'équipe, chacun à son niveau est détenteur d'informations et la
connaissance d'une crise peut éclairer un peu mieux le profil et contexte d'évolution de l'élève.
En d'autres termes, nous pouvons voir ici que c'est l'équipe qui prime ; d'ailleurs l'enseignant d'un
dispositif ULIS est un coordonnateur ce qui suppose qu'il coordonne les actions, il travaille en
partenariat, il n'est pas seul. Il est très important de mettre l'accent sur la complémentarité de
l'équipe, les différents éclairages qui peuvent être apportés pour comprendre davantage une
situation.
40
et qui va faire preuve également d’empathie. C’est d’ailleurs une des trois habiletés citées par
Beaumont et Sanfaçon dont doit faire preuve un enseignant pour gérer au mieux la crise.
De fait, nous avons très bien perçu dans notre travail l’importance d’être à l’écoute de l’élève
et de lui monter que l’on a compris ce qui se passait pour lui. Autrement dit, l’enseignant montre en
quelque sorte qu’il prend en considération l’élève à part entière, il tient compte de ce qu’il ressent.
Selon Beaumont et Sanfaçon, cette attitude empathique permet à l’élève de « consolider la relation
qu’il entretient avec son enseignant » (2006, p 164) Cela ne signifie en aucun cas que l’enseignant
accepte ou tolère son attitude mais bien que l’enseignant a perçu le mal être de l’élève en crise et
qu’il va lui proposer des solutions pour se sentir mieux. Cependant, ces deux auteurs précisent que
l’intervenant doit respecter « l’espace personnel de l’élève » (2006, p 165) Nous percevons ici toute
la subtilité du rôle de l’enseignant qui doit agir tout en veillant à ne pas exacerber la crise ; ses
paroles et ses gestes doivent être réfléchis. Or, pendant la crise, l’enseignant peut-il réussir à tout
contrôler, à peser le poids de ses mots.
Dans notre étude, nous avons vu que la parole de l’enseignant ainsi que les propos qu’il
emploie pour rendre la situation la plus explicite possible aux yeux de l’élève en crise ont un impact
considérable sur la réaction de l’élève. Pour deux situations évoquées, c’est la verbalisation par
l’adulte de la situation qui a permis aux deux élèves de se sentir écoutés et vraisemblablement
compris en partie ce qui a permis à la situation de ne pas se détériorer. Beaumont et Sanfaçon
(2005, p163), quand ils évoquent les habiletés dont doit faire preuve l’enseignant pour gérer au
mieux la crise, parlent à juste titre « d’ authenticité ». En d’autres termes, nous pourrions parler de
transparence dans l’évocation des faits. Non seulement l’enseignant doit très bien connaître ses
élèves, il doit également analyser rapidement la situation afin de saisir l’ampleur de la crise et
pouvoir agir en conséquence.
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Conclusion et perspectives
Cette année, le dispositif ULIS école dans lequel j’ai travaillé, accueillait des élèves aux profils
différents. Pour certains d’entre eux, la relation aux autres ainsi que le rapport aux règles étaient
difficiles. Aussi, dès les premiers mois, j’ai été confrontée à plusieurs reprises à des crises ce qui m’a
amené à m’interroger sur ce phénomène. J’ai alors choisi de faire porter mon objet d’étude sur la
genèse et la gestion des crises.
L’élaboration de ce mémoire m’a permis de prendre le temps d’analyser le phénomène de
crise. Cette recherche a montré que, pour déceler et gérer la crise, l’enseignant doit non seulement
avoir une connaissance fine de chacun de ses élèves mais aussi faire preuve d’empathie et d’une
écoute attentive à leur égard. Il doit tenir compte des émotions ressenties par ceux-ci et montrer ainsi à
l’élève qu’il occupe une place à part entière et qu’il existe en tant que tel ce qui contribue à la
construction d’une relation de confiance indispensable entre l’élève et l’enseignant.
Dans le cadre de cette recherche, ma posture professionnelle a également évolué au cours de
cette année. J’ai réalisé qu’il n’était pas suffisant de répondre aux sollicitations des élèves dans la
mesure où plusieurs d’entre eux ne viennent pas vous voir spontanément. J’ai donc choisi de leur
proposer l’opportunité d’exprimer ce qu’ils ressentent en instaurant de véritables moments
d’expression de leurs émotions et ce dès leur arrivée en classe. Je dirai même dès leur arrivée à l’école.
Ainsi, je prends le temps de les accueillir ce qui me permet de voir dans quel état d’esprit ils sont.
Par ailleurs, j’ai pris véritablement conscience qu’il est indispensable d’ajuster mon action en
fonction de ce que j’observe. Ainsi, l’enseignant doit accepter de différer les activités prévues si
l’élève n’est pas disponible pour l’instant. En d’autres termes, il peut agir de manière détournée en
acceptant de proposer une activité axée sur les centres d’intérêt de l’élève pour ensuite réaliser ce qu’il
avait prévue.
Cela étant, même si ce mémoire a permis de mettre en lumière certains procédés pour détecter
et faire face à la crise, il n’en reste pas moins que chaque situation est singulière puisque déterminée
dans un contexte particulier qui résulte de plusieurs paramètres donnés. Comme nous l’avons vu, il
s’agit de prendre en compte le moment et l’endroit où se réalise l’action mais aussi les personnes avec
lesquelles l’élève se trouve. Il est vrai que des protocoles de gestion d’élève en crise ont été clairement
définis, cependant, il n’y a pas de généralité et, ce qui a permis d’apaiser tel élève ne fonctionnera
peut-être pas pour tel autre. La crise est parfois même inévitable, l’important sera alors de veiller à la
sécurité de l’élève ainsi qu’à celle de ses camarades.
Enfin, la connaissance de l’élève ne doit pas se limiter à une connaissance des savoirs
disciplinaires c’est à-dire à ce qu’il sait faire ce qui se traduit le plus souvent par des évaluations
« papier » mais doit également prendre en compte son rapport aux autres autrement dit ses
42
compétences psychosociales ainsi que son rapport au savoir. C’est d’ailleurs sur ce dernier point qu’il
serait intéressant de prolonger notre étude en analysant dans quelle mesure les crises liées au savoir
permettraient à l’élève de progresser.
43
Bibliographie
Ouvrages :
Favre, D (2020), Cessons de motiver les élèves : 20 clés pour favoriser l’apprentissage, Dunod.
Gaudreau, N.(2020), Les conduites agressives à l'école: comprendre pour mieux intervenir, Presses de
l'Université du Québec.
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Massé L., Desbiens N, Lanaris C (2006), Les troubles du comportement à l'école : Prévention,
évaluation et intervention, Chenelière Education
Michel, A. et Ramond ,F.,(2020) Enseigner en ULIS -école : les clés de l’école inclusive, Retz, p83
Articles :
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Gal-Petitfaux, N et Vors, O., 2008, Education et francophonie, vol.36, n°2, p 118- 139.
Meirieu,P. ; De Baecque , A; Illouz, E; Cabanas, E., (2019), Les émotions à l'école. Diversité n°195
44
Rix-Lièvre, G.,(2010), Revue d’anthropologie des connaissances, Vol 4, n°2, pp 358- 379.
Theureau, J., (2010), Revue d’anthropologie des connaissances, Vol 4, n°2, pp 287 - 322.
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Carrefours de l’éducation, n°40, pp 201-230.
Textes officiels :
« Améliorer le climat scolaire pour une école sereine et citoyenne : généralisation et structuration des
groupes académiques » Circulaire n°016-045 du 29-3-2016
https://www.education.gouv.fr/bo/16/Hebdo13/MENE1607984C.htm
Ecole inclusive
https://eduscol.education.fr/1137/ecole-inclusive
Ministère de l’éducation nationale (Dgesco/DMPLVMS), Guide Agir sur le climat scolaire à l’école
primaire
Mission Départementale Climat scolaire 34, Académie Montpellier, Protocole de gestion d’un élève
en crise
45
Annexes
46
Annexe 1 :
2. A votre avis, qu'est-ce qui peut provoquer "une crise" chez un élève ?
- de l'angoisse
- de la fatigue
- de la frustration
- de la peur
- du bruit
- de la provocation d'un camarade
4.Comment procédez-vous pour gérer au mieux les crises ? Que faites-vous en premier ? Que
faites-vous ensuite ? Si cela ne fonctionne pas, quels sont vos différents recours ?
- Essayer d'isoler l'enfant des autres élèves, de le calmer par les mots, d'essayer de trouver quelque
chose qui va l'apaiser : un renforçateur, un coin de la cour, du matériel, s'assurer que les autres soient
en sécurité.
- Dans un second temps le contact, cela dépend des élèves, ceux qui veulent être « cocoonés » et ceux
qui ne veulent pas qu'on les touche.
- Chercher et trouver une personne qui peut prendre le relais suivant le niveau de la crise, s'il y a
danger physique, le contenir.
- L'informer qu'on va appeler le directeur, ses parents, les pompiers.
5. Dans votre établissement/école, y -a-t-il un protocole de gestion de crise ? Si oui, quel est ce
protocole ?
Non mais en conseil des maîtres, on s'était dit qu'il y ait toujours une personne de disponible quand on
a un potentiel élève en crise. Ce serait un élève de la classe qui devrait aller chercher un autre adulte.
6. Gardez-vous une trace écrite de ce qui s'est produit ? Si oui, quel type de trace écrite ?
Pas tout le temps, je décris le déroulement de la crise, comment s'est arrivé, pourquoi et ce qu'il a fait.
C'est important pour l'ESS.
7. Informez-vous certaines personnes de ce qui s'est produit avec cet élève ? Si oui, lesquelles ?
Oui, d'abord les adultes qui travaillent avec moi (ATSEM, AESH, Enseignante avec qui je fais des
échanges) en premier, la direction et les parents.
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Si cela a une incidence sur la vie collective (en récré), dans la salle des maîtres pour les autres
personnes.
10.Selon vous, peut-on dire que les EBEP sont plus sujets aux crises ? Pourquoi ?
Oui, ils ont une sensibilité plus grande - TSL
11.Est ce que les crises se produisent rarement, parfois, souvent ou toujours avec les mêmes
élèves ?
Comment définiriez-vous chacun des élèves avec lesquels se produisent des crises ?
- élève avec un retard mental, élèves avec des troubles du comportement : impulsivité et difficulté à
gérer la frustration
48
Annexe 2 :
Entretien semi-directif sur la genèse et gestion de crise avec une enseignante spécialisée exerçant
dans un dispositif ULIS école
2. A votre avis, qu'est-ce qui peut provoquer "une crise" chez un élève ?
- de la frustration
- de le contraindre, lui demander de faire quelque chose qu'il n'a pas envie de faire à ce moment-
là. Il veut faire un dessin
- une insulte, une provocation, un conflit entre élèves.
4.Comment faites-vous pour réussir à ne pas être confronté à une crise? Comment percevez-
vous que cela peut se transformer en crise ? Et que faites-vous à ce moment-là ?
Pour réussir à ne pas être confronté à la crise, je ne frustre pas l'élève, je lui dis oui. Je fais
comme si tu n'avais rien vu.
Ce n'est pas possible de gérer la situation sans provoquer une crise.
5. Dans votre établissement/école, y -a-t-il un protocole de gestion de crise ? Si oui, quel est ce protocole ?
non
49
Annexe 3 :
2. A votre avis, qu'est-ce qui peut provoquer "une crise" chez un élève ?
- de la frustration
- de l'injustice qui va se traduire par l'exubérance, la violence, les cris, par l'inhibition
- de la violence, cris
- des inhibitions
5.Comment procédez-vous pour gérer au mieux les crises ? Que faites-vous en premier ? Que
faites-vous ensuite ? Si cela ne fonctionne pas, quels sont vos différents recours ?
Il s'agit de créer un espace de parole ; tout le temps, il y a trois lieux dans la classe pour en parler :
libérer la parole. On va respecter cela, je vous demande d'être calme et de le laisser tranquille. Je
construis en sa présence vers le groupe, je préviens le groupe que l'interaction avec tel élève ...cela
désamorce, on a mis en mot une situation éducative : sachez adapter votre situation avec le groupe,
c'est pour l’élève et le groupe, le vivre ensemble, autant régler la crise. Je vous demande de le laisser
tranquille, je l'accueille avec son énergie et je préviens le groupe, par respect pour son énergie, de le
laisser tranquille, je lui montre que j'accepte son état, il ne souhaite pas en parler, c'est son droit, je
construis en sa présence l'objectif c'est de mettre en mot, je préviens le groupe que cet élève n'est pas
isolé, n'a pas envie aujourd'hui, je préviens le groupe, adapter votre comportement et on respecte.
Sachez vous adapter.
6. Dans votre établissement/école, y -a-t-il un protocole de gestion de crise ? Si oui, quel est ce
protocole ?
On va voir l'infirmière ou on l'envoie à l'infirmerie ou à la vie scolaire, espace de parole. Si l'élève ne
veut pas venir alors c'est l'infirmière qui viendra le chercher. On est une équipe.
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7. Gardez-vous une trace écrite de ce qui s'est produit ? Si oui, quel type de trace écrite ?
Je fais un courrier pour le chef d'établissement s'il y a une assistante sociale, infirmière
Dans le dossier de l'élève, lors des ESS, l'incident est mentionné.
Une situation de crise se gère en équipe : importance d'écrire
La trace écrite permettra d'appuyer une orientation.
8. Informez-vous certaines personnes de ce qui s'est produit avec cet élève ? Si oui, lesquelles ?
Oui bien sûr car l'information doit circuler dans l'équipe, chacun à son niveau est détenteur
d'informations et la connaissance d'une crise peut éclairer un peu mieux le profil et contexte
d'évolution de l'élève.
Personnes informées : famille, CPE, AS, Infirmière. Si cela relève du règlement intérieur : la direction
du collège.
11.Selon vous, peut-on dire que les EBEP sont plus sujets aux crises ? Pourquoi ?
Par définition, oui, de façon générale, il y a quelque chose de commun aux EBEP, c'est une difficulté à
analyser une complexité des choses, on répond de façon primaire parce que l'on analyse de façon
primaire l'environnement, manque de nuance, manque d'interprétation, manque d'implicite : il m'a dit
ça donc il va faire ça. Ils ne sont pas dans l'humour. C'est la façon de traiter l'information recueillie
dans l'environnement complexe par définition ils la traitent de manière simple, avec une réponse
simple comme insulte, repli sur soi, la violence est un déficit du traitement de l’information, on n'est
pas violent parce qu'on a des pulsions de violence, c'est comment je réagis à mon environnement, il
dépend de comment on l'interprète ; ils perçoivent l'environnement avec une grille simpliste en général
et donc avec une réponse simpliste. Dans les réponses primaires simplistes, il y a le rejet, la violence,
l'inhibition.
12.Est ce que les crises se produisent rarement, parfois, souvent ou toujours avec les mêmes
élèves ? Comment définiriez-vous chacun des élèves avec lesquels se produisent des crises ?
- élève avec un retard mental, élèves avec des troubles du comportement : impulsivité et difficulté à
gérer la frustration
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Annexe 4 :
Entretien semi-directif sur la genèse et la gestion de crise avec une enseignante spécialisée
exerçant en SEGPA
2. A votre avis, qu'est-ce qui peut provoquer "une crise" chez un élève ?
- un sentiment d'injustice, avec incompréhension
- quand cela vient des autres élèves, les insultes
- la difficulté même dans le travail, quelque chose qui les met à une grande difficulté
- la contrainte quand on les contraint à faire quelque chose car c'est interdit, pas de portable ;
incompréhension de la règle, de la contrainte
4.Comment faites-vous pour réussir à ne pas être confronté à une crise ? Comment percevez-
vous que cela peut se transformer en crise ? Et que faites-vous à ce moment-là ?
Cas : si l'élève va vers la crise
Selon les élèves, je vais verbaliser, je vois que cela ne va pas, je te laisse, je ne pars pas en discussion,
l'idéal c'est de le sortir, je te laisse 5 minutes. C'est de l'envoyer dehors.
5. Dans votre établissement/école, y -a-t-il un protocole de gestion de crise ? Si oui, quel est ce
protocole ?
Non. Rapport d'incident dès qu'il se passe quelque chose d'anormal, clairement défini.
6. Gardez-vous une trace écrite de ce qui s'est produit ? Si oui, quel type de trace écrite ?
Rapport d'incident, propre à l'établissement
Il faut être factuel, il ne faut pas exprimer son ressenti, suite à cela j'ai eu peur.
7. Informez-vous certaines personnes de ce qui s'est produit avec cet élève ? Si oui, lesquelles ?
La directrice, les CPE et prof principal.
8. A votre avis, quelles émotions pouvez éprouver pendant et après la gestion de la crise ?
Pendant la crise, j'ai l'impression que je n'ai rien. Quand l'élève est en crise, je réagis rapidement, je ne
réfléchis pas trop. Je gère mieux.
Après la crise, j'ai des tremblements, j'ai du mal à me poser, je les mets sur un travail, j'ai besoin de
temps, je verbalise beaucoup, là cela ne va pas, j'ai besoin de calme. C'est la tension qui a besoin de
sortir, un état de tensions. Ce n'est pas de la peur, ni de l'énervement.
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9.Comment gérez - vous le reste de la classe pendant et après la gestion de crise ?
Ils s'éloignent de la crise ; ils restent à distance d'où la vie scolaire.
Après la gestion de crise, je verbalise d'autant qu'avec des élèves qui ont du mal à nommer les
émotions, de voir le faire, cela leur apprend les choses. Voilà ce qui se passe dans mon corps, j'ai eu
peur pour vous, on peut verbaliser pour vous.
Tu étais en colère contre moi, est-ce que tu es encore en colère ?
Est-ce que tu as compris pourquoi tu étais en colère ?
Il faut qu'il ressente que tu es en colère. Tu veux qu'on en reparle, moi aussi j'étais en colère contre toi
parce que ton travail d'élève c'est de travailler et mon travail c'est de te faire travailler.
Confusion des émotions : méchanceté et colère on est méchant si on veut du mal/ colère.
10.Selon vous, peut-on dire que les EBEP sont plus sujets aux crises ? Pourquoi ?
Oui parce que mauvaise compréhension, difficulté de compréhension.
Ils ont des parcours de vie particuliers : sensibilité de certains, une misère sociale, grosse difficulté
familiale. Ils ont vécu beaucoup de choses, passage devant le juge, séparations.
Ils ont des problèmes éducatifs : des parents qui n'investissent pas l'école.
Cela jaillit en classe.
Les symptômes du TDAH
Pauvreté du lexique : des élèves qui ne parlent pas bien, qui n'expriment pas bien leurs émotions, ils ne
savent pas quand est-ce que cela monte, difficulté à s'exprimer
11.Est ce que les crises se produisent rarement, parfois, souvent ou toujours avec les mêmes
élèves ? souvent
Comment définiriez-vous chacun des élèves avec lesquels se produisent des crises ?
Ce sont des élèves qui sont en difficulté dans leur comportement avec les autres, qui n'ont pas les
compétences psychosociales.
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Annexe 5 :
Entretien semi-directif sur la genèse et la gestion de crise avec un enseignant spécialisé en poste
en ULIS lycée
2. A votre avis, qu'est-ce qui peut provoquer "une crise" chez un élève ?
Parfois une tension entre deux pairs, passagère ou dans la durée.
Mais le plus souvent un détail, comme une parole mal comprise, une remarque du professeur. L'élève
voit là une sorte d’agression. C’est souvent l'incompréhension, une amplification d’un problème
mineur.
4.Comment faites-vous pour réussir à ne pas être confronté à une crise ? Comment percevez-
vous que cela peut se transformer en crise ? Et que faites-vous à ce moment-là ?
Par le calme, en isolant un élève, j'essaie de l’apaiser.
Je prends l'élève à part, en ULIS.
Au pic de la crise, le calme de l’adulte, l’isolement et la parole permettent de faire descendre la
pression.
C’est alors qu’on peut aider le jeune à formuler ses émotions, essayer de retrouver la réalité de ce qui
s'est passé, réfléchir aux solutions.
5. Dans votre établissement/école, y-a-t-il un protocole de gestion de crise ? Si oui, quel est ce
protocole ?
Oui.
Quand il y a un prof, intervention de la vie scolaire. Si pas calmé, les parents sont appelés, exclusion
directe.
Le directeur c'est l'extrême limite
6. Gardez-vous une trace écrite de ce qui s'est produit ? Si oui, quel type de trace écrite ?
Quand il y a une entorse grave au règlement intérieur, un rapport est rédigé, qui va dans le dossier de
l’élève.
Pour les élèves de l’ULIS tout est consigné dans le cahier de suivi de l'élève.
7. Informez-vous certaines personnes de ce qui s'est produit avec cet élève ? Si oui, lesquelles ?
La directrice, les CPE et profs principal,
Mon équipe d'Ulis.
Si besoin, je fais un rapport d'incident au CPE, à la cheffe d'établissement
-aux parents ou éducateurs quand le jeune bénéficie d’un SESSAD
8. A votre avis, quelles émotions pourriez éprouver pendant et après la gestion de la crise?
J’essaie de ne pas me laisser envahir par l'émotion, mais je n’y arrive pas toujours. Je peux ressentir
de la colère, de la crainte d’être dépassé par la situation, éventuellement être blessé par des propos
insultants. Mais quoi qu’il en soit c’est toujours un moment difficile à gérer émotionnellement, surtout
après. Car l’enseignant est le plus souvent seul avec son ressenti de l’épisode.
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Je demande l’aide d’un collègue pour assurer la surveillance, ou un autre personnel (AED, CPE...)
10.Selon vous, peut-on dire que les EBEP sont plus sujets aux crises ? Pourquoi ?
Non, parce que cela dépend de leur pathologie.
12.Est ce que les crises se produisent rarement, parfois, souvent ou toujours avec les mêmes
élèves ?
Comment définiriez-vous chacun des élèves avec lesquels se produisent des crises ?
Toujours.
TDAH, élèves en milieu socio-éducatif qui n'ont pas le code ni le langage, élève d’une famille à
problèmes sur le plan éducatif.
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Annexe 6 :
Nous devions nous rendre au Corum. Lors du départ, ils étaient en rang et un enfant retardait le départ,
il lui a mis une grosse gifle. Il était excédé parce que cela traînait.
Elève : « C’est pas moi, j’ai rien fait, j’y suis pour rien, c’est pas de ma faute »
Enseignante : « Tu l’as frappé, c’est interdit, tu n’as pas le droit de le faire. » Il se met à hurler. Je me
suis interposée et je lui ai dit : « on doit partir, je n’ai plus le temps, je dois prendre une décision,
j’emmène le groupe mais je ne t’emmène pas parce que tu es violent, tu restes là avec l’AVS et
j'appelle la directrice. »
Il est très en colère, il tape, il hurle, il crie, il fait des gestes violents. Il se roule par terre, la directrice
appelle sa maman car on le contient physiquement.
Qu'est-ce qui fait qu'il se roule par terre et que cela prend des proportions importantes ?
Enseignante : « En refusant qu'il vienne avec nous, j’aggrave la crise, son état de colère et de désarroi,
c’est insupportable pour lui, il est excédé. "
Enseignante : « Je m’interpose pour faire barrage, ils vont se regrouper dans un coin du préau, une fois
que la directrice et qu’un animateur le garde. Il se roule par terre, il tape par terre. »
Enseignante : D’abord il est en état de crise, il est hors de question que je gère cela. Je trouve que
l’enfant n’est pas sortable. Je trouve qu’il doit être sanctionné pour ce qu’il a fait et je veux
absolument marquer le coup.
L’enfant qui a été giflé c’est un enfant qui se fait beaucoup remarquer, il vient me voir et me dit :
« C’est pas grave maîtresse, c’est pas grave, il ne m’a pas fait mal », d'autres élèves ont demandé :
avec qui il va aller ? d'autres élèves n'ont rien dit.
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Annexe 7 :
Lieu : en classe
Enseignante : " L'élève se lève, il pousse des cris : " je ne vais pas y arriver. " Il va secouer les tables
de la classe comme s’il voulait les renverser mais il ne peut pas car elles sont attachées. Là je vois les
regards interrogateurs des copains, je leur fais un signe pour les apaiser, les rassurer et leur dire que ce
n’est pas grave, je les fais tranquillement sortir. Je les fais descendre en récréation et je garde l’autre
enfant qui s’effondre dans mes bras et qui continue à crier « j’en peux plus, c’est trop dur. Il vient
poser la tête sur mon épaule et là il relâche le poids et il se met à crier. Il reste au calme et l’état de
crise passe.
Enseignante : "Il s’est mis à crier quand le timer a sonné et qu'il a vu que le temps était écoulé."
Enseignante : C'est parce qu'il a froid à la récréation. Au moment de la récré, je pense qu’il se dit qu’il
a eu trop froid le matin et les jours précédents, il restait sous le préau et il a eu trop froid. En classe, il
s'est mis au travail. Je pense que cela a réactivé cette peur d’avoir froid."
Quand il crie "je n'en peux plus," pourrais-tu me dire où tu es et où sont les élèves ?
Enseignante : "Tous les élèves sont assis à leur place et je suis assise à mon bureau".
Que fais-tu et que font-ils quand il se met à crier et à secouer son bureau ?
Enseignante : "L'élève qui a son bureau à côté de lui, change de place. Les autres enfants sont surpris,
ils ne disent rien, ils ne bougent pas et ils attendent la consigne donnée par des gestes, la consigne qui
va dire la bouche reste fermée, la consigne gestuelle qui leur demande d'aller en récréation. Moi, je
reste calme pour ne pas insuffler de panique, je reste à mon bureau."
Enseignante : "Ils ont l'habitude, on a instauré des codes, ce n'est pas la première fois qu'ils le voient
en crise. »
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Comment l'élève sait- elle qu'il faut qu'elle change de place à ce moment précis ?
Enseignante : "Elle m'a regardée et j'ai fait un signe à la petite pour qu'elle change de place."
Tu as dit que tu leur faisais un signe aux élèves pour qu'ils aillent en récréation, tu es où à ce moment-
là ?
Enseignante : Quand j’invite les enfants à sortir, je suis debout comme si je m’interposais entre
l’enfant qui crie et les autres qui se déplacent vers le couloir.
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ANNEXE 8 :
Cet exemple s'est produit au moment où l'enseignante va chercher son groupe classe sous le préau.
Enseignante : Cela sonne, j'arrive dans les premières dans les profs, je vois la bagarre. J'interviens, les
élèves sont séparés et un élève est pris en charge par un AED qui l'emmène en vie scolaire. Je vois un
élève en 4ème, son portable à la main entouré d'autres élèves, ils sont en train de regarder quelque
chose et ils rigolent.
Enseignante : Je m'approche, je vois un téléphone à la main, je lui dis :"le téléphone est interdit dans la
cour "et un AED lui confisque le portable. "Je monte avec la classe, avec un des deux qui s'est bagarré,
un peu énervé, la classe qui est sur les nerfs car il vient d'y avoir une bagarre assez violente et l'élève à
qui on a confisqué le portable. Il s'installe et il me parle mal, sèchement : "moi je travaille pas c'est
mort. "" je suis nickel en cours", "c'est à cause de vous"
Enseignante : "On t'a pris ton portable, ce n'est pas à cause de moi, c'est à cause de toi, c'est toi qui l'as
sorti, moi c'est mon travail de poser et faire respecter des règles." Il était très tendu (des regards) sans
parole il n'a pas travaillé de l'heure. J'ai laissé faire et moi j'étais énervée. Je ne l'ai pas obligé à
travailler, et j'ai dit :"c'est pas le moment d'en parler, toi tu es énervé et moi aussi je ne suis pas prête à
en parler maintenant, je pense que tu as filmé même si tu me dis que ce n'est pas vrai, de toute façon,
le portable est interdit, quand je serai un peu plus tranquille et toi un peu plus apaisé, on pourra en
reparler. A la fin du cours, tu pourras rester pour en parler." A la fin du cours, il n'est pas resté et la
fois d'après il est revenu normalement.
Quels sont les signes qui pouvaient montrer qu'il s'agissait d'une crise?
Enseignante : Il avait le visage serré, les dents tendues, le bas du visage tendu, la tête baissée , dans sa
manière de bouger, à sa façon de parler. Il jouait avec son stylo, il triturait le capuchon de son stylo
jusqu'à ce que ça casse. J'étais à deux doigts de l'envoyer en vie scolaire.
Les autres élèves : "madame il fait rien, il est énervé, il n'est pas en état de travailler"
Comment te sentais-tu ?
Enseignante : Après une bagarre, c'est assez violent, j'ai besoin de souffler.
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ANNEXE 9 : Notes ethnographiques
Situation 1 : en classe
De même, quand Léo ne voulait pas faire son travail, j'ai essayé de le contraindre et le résultat
a été qu'il fasse du bruit et gène la classe.
Un autre jour, j'ai essayé de lui proposer de faire l'illustration de son histoire et ensuite d'écrire son
histoire pour l'aider à entrer dans l'activité. Il a alors accepté.
Quand j'ai ouvert le portail aux élèves, je leur ai dit bonjour individuellement. Et là j'ai relevé
que Léa ne m'avait pas répondu. Je me suis approchée, je l'ai regardée dans les yeux puis je lui
ai dit :
"ça va ? "
Elle ne m'a pas répondu. Nous sommes alors entrées en classe avec son camarade. Elle a
posé ses affaires. J'ai essayé de faire comme si de rien n'était et j'ai fait comme d'habitude.
"Nous allons aller nous laver les mains. "
Elle a accepté.
"Venez, nous allons mettre la date."
Elle s'est alors mise à parler, à vouloir diriger. "c'est moi qui mets la date. C'est moi qui vais
chercher..."
Cela s'accompagnait d'une grande agitation où elle passait d'un endroit à l'autre.
Situation 3 : en classe
Arthur était sur l'ordinateur avec Sami. Puis nous avons collé les mots des élèves. Revenez à
votre place.
A ce moment-là, Arthur a commencé à manifester un certain mal-être. Il a commencé à aller
d'une activité à l'autre et à manifester son impatience. Il s'est mis à faire des bruits.
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ANNEXE 10 : Protocole de gestion de crise
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