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MASTER MEEF

« Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation »


Parcours « Education et Pédagogie Adaptée aux Besoins Educatifs Particuliers »
Mémoire de 2ème année
Année universitaire 2021 - 2022

DU PRESCRIT AU REEL :
L’insécurité émotionnelle
des enseignants face à l’inclusion des
élèves à besoins éducatifs particuliers.
L’exemple d’un dispositif ULIS TSA.

Safia SAAKOVIDI

Directeur du mémoire : Sylvie PEREZ


Assesseur : Laure ROS

Soutenu le 05 juillet 2022


1
REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué à la rédaction de

ce mémoire, de près comme de loin.

Je voudrais dans un premier temps transmettre toute ma gratitude à mon

directeur de mémoire, Sylvie PEREZ, pour son temps et son écoute, car il y a

de cela quelques mois elle m’aura permis de me lancer dans l’écriture et ainsi

de découvrir le sujet qui a guidé toute cette étude.

Je tiens également à exprimer toute ma reconnaissance et toute ma

sympathie à l’équipe pédagogique de la formation CAPPEI (Certificat aux

Aptitudes Professionnelles et Pédagogiques de l’Ecole Inclusive) ainsi qu’à

mes « compagnons de guerre », mes collègues de formation ! Je ressors de

cette année, riche de merveilleuses rencontres et profondément bouleversée

dans ma pratique professionnelle.

Enfin je tiens à remercier amoureusement ma famille pour leur patience et

leur soutien inestimable, et tout spécialement mon époux et mes enfants pour

qui je n’ai pas pu être aussi présente que je l’aurai voulu en cette année de

reprise d’étude.

2
RÉSUMÉ
Depuis près de 15 ans, l’éducation nationale est confrontée à un
bouleversement majeur : passer d’une vision intégrationniste à une vision
inclusive. Ce changement majeur de paradigme impacte terriblement et
profondément les professeurs des écoles dans leur posture enseignante,
dans leur pratique de classe quotidienne et surtout dans leur rapport aux
élèves. Cette métamorphose prescrite et donc imposée, provoque des
émotions controversées chez ces acteurs principaux du système scolaire
notamment lorsqu’il s’agit d’inclure des élèves porteurs de Troubles du
Spectre Autistique (TSA). Cette étude menée en situation et au plus près de
l’action, cherche ainsi à révéler les ressentis de ces enseignants, leurs
sentiments, leurs émotions aussi subjectives soient-elles, afin de tenter de
comprendre ce qui se joue au sein de l’école inclusive. Nous mettrons ainsi en
avant ce lourd ressenti d’incompréhension face aux injonctions ministérielles,
ce sentiment d’incompétence et d’illégitimité ressenti par le corps enseignant
ainsi que l’émotion de peur que provoque l’autisme.

ABSTRACT
For nearly 15 years, national education has been facing a major upheaval:
moving from an integrationist vision to an inclusive vision. This major
paradigm shift has a terrible and profound impact on school teachers in their
teaching position, in their daily classroom practice and especially in their
relationship with students. This prescribed and therefore imposed
metamorphosis provokes controversial emotions among these main actors in
the school system, particularly when it comes to including students with
Autism Spectrum Disorders (ASD). This study, carried out in situation and as
close as possible to the action, seeks to reveal the feelings of these teachers,
their feelings, their emotions, however subjective they may be, in order to try
to understand what is at stake within the school inclusive. We will thus
highlight this heavy feeling of incomprehension in the face of ministerial
injunctions, this feeling of incompetence and illegitimacy felt by the teaching
staff as well as the emotion of fear that autism causes.

3
Table des matières

Introduction …………………………………………………………………………. 6

1. Le contexte d’exercice professionnel ………………………...………….. 8

1.1 Enseignant ordinaire versus enseignant spécialisé ……………….. 8

1.2 La découverte d’un dispositif très spécifique ……………..………. 10

1.3 Une redoutable réalité ………………………………………………...12

2. Objet d‘étude et questionnements professionnels ……………………. 14

2.1 Qu’est-ce que l’école inclusive ? ………………….………………… 15

2.2 Qu’est-ce que les EBEP ? ………………………..………………….. 16

2.3 Comment pourrais-je y arriver ? ………………..…………………… 18

3. Cadre institutionnel et dispositif ………………………………………… 19

3.1 Évolutions successives du dispositif au regard du législatif ….…. 19


3.2 De l’intégration à l’inclusion : données historiques ………………. 21

3.3 Troubles du spectre autistique ………………………………………24

3.4 De l’individuel au collectif …………………………………………… 27

4. Cadre conceptuel ………………………………………………………… 29

4.1 Les besoins de « sécurisation » ……………………………………. 29

4.2 Les besoins de régulation ..………………………………….……… 32

5. Cadre théorique et méthodologique ……………………………………. 35

5.1 Les théories de l’activité …………………………………….……….. 35

5.2 Méthodologie de l’étude et recueil de données .….…….…..…….. 39

5.3 Traitement des données et ébauche de résultats ..…….…….…… 44

5.3.1 Analyse des questionnaires papiers ..…………………………. 44

5.3.2 Analyse des questionnaires en ligne ….…….….…......……… 48

5.3.3 Analyse et confrontation des entretiens ……………….……... 53

4
6. Résultats et discussion ………………………………………………….. 56

6.1 Injonctions institutionnelles ……….………….……………………… 56

6.2 Pas le même métier …………….…………….……………………… 59

6.3 Peur des TSA ………………………………….……………………… 62

Conclusion ……………………………………………………………...………… 65

Bibliographie ……………………………………………………………………… 67

Annexes …………………………………………………………………………... 72
➢ A1 : 23 questionnaires des 3 cohortes d’enseignants …………………. 73
- cohorte 1 ……………………………………………………….. 73
- cohorte 2 ……………………………………………………….. 83
- cohorte 3 ……………………………………………………….. 97
➢ A2 : Synthèse des 7 questionnaires numériques enseignants école de La
Gazelle ………………………………………………….…………………. 119
➢ A3 : Retranscription intégrale de l’entretien semi-dirigé de la
remplaçante
……………………………………………………...……………………….. 127
➢ A4 : Retranscription intégrale de l’entretien d’auto-explicitation de la
titulaire
…………………………………….…………………….……… .…………..137

5
INTRODUCTION

Depuis plusieurs années, notamment depuis la loi du 02 février 2005, le

système scolaire se voit confronté à un véritable bouleversement : s’adapter

aux besoins de tous les élèves, notamment ceux en situation de handicap qui

pouvaient jusqu’à alors être privés d’école. Il s’agit ainsi de permettre à ces

enfants porteurs de handicap d’accéder à l’école et donc aux apprentissages

comme tout enfant dit ordinaire. Effectivement la loi de 2005, confortée par la

loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la

République du 08 juillet 2013, impose cette réelle injonction aux enseignants,

aussi éthiquement louable soit-elle, inclure des enfants qui jusque-là n’étaient

pas considérés comme potentiellement élèves :

« Le service public d’éducation reconnaît que tous les enfants


partagent la capacité d’apprendre et de progresser. Il veille à l’inclusion
scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction. »

C’est ce nécessaire changement de paradigme qui a terriblement impacté les

pratiques quotidiennes de l’école, imposant un profond bouleversement dans

la relation aux élèves et à la classe, un changement de posture enseignante

qui provoque des émotions controversées.

Pourtant les enseignants semblent théoriquement plutôt favorables à

« l’inclusion scolaire ». Sauf qu’en pratique, certains dispositifs semblent

mettre à mal toutes bonnes volontés : c’est le cas pour le dispositif ULIS que

je coordonne depuis 2 ans. Ainsi, cette unité localisée pour l’inclusion scolaire,

qui est en place depuis 15 ans, ne semble ni réellement inclusive, ni

véritablement bienveillante pour tous les acteurs du système…

6
En effet, ce dispositif provoque du stress, de l’angoisse, de l’anxiété.

Autrement dit, il engendre un florilège d’émotions négatives chez les

professeurs des écoles de cette école. En s’appuyant sur les théories de

l’activité, ce mémoire tente humblement de cerner ce qui créé cette insécurité

émotionnelle chez les enseignants.

Pourquoi cet écart entre le prescrit et le réel ? Que se joue-t-il ? Que ressent

un professeur des écoles lorsqu’il doit « inclure » un élève à besoins éducatifs

particuliers ? Que provoquent les troubles du spectre autistique chez mes

collègues ?

C’est donc en recueillant les émotions et les ressentis des acteurs du terrain

que cette recherche s’est construite, au plus près de ceux qui vivent

quotidiennement l’école inclusive.

Pour présenter notre étude, nous expliciterons dans un premier temps, le

contexte singulier du dispositif ULIS TSA qui engendre notre objet d’étude

ainsi que nos nombreux questionnements professionnels. Nous exposerons

par la suite les cadres institutionnels et conceptuels qui orientent notre sujet.

Puis, nous traiterons et analyserons toutes les données recueillies pour ce

mémoire au regard de la méthodologie des théories de l’activité qui a été

notre ligne directrice pour toute cette étude. Et enfin nous mettrons en avant

trois axes de résultats qui viendront éprouver quelques réponses à nos

interrogations.

7
1. Le contexte d’exercice professionnel
L’étude décrite dans ce mémoire prend sa source dans un contexte

professionnel particulier, singulier, fondement d’une formidable et à la fois

instable aventure humaine. Il nous a paru donc essentiel de l’expliciter en

amont, comme cadre de l’activité explorée.

1.1 Enseignant ordinaire versus enseignant spécialisé

Je me suis reconvertie dans l’enseignement en 2015. Originaire du monde de

l’éducation spécialisée, ma reconversion était essentiellement orientée vers

les dispositifs d’enseignements spécialisés et surtout dirigée vers ces élèves à

besoins éducatifs particuliers pour qui apprendre ne va pas de soi.

La fatalité des mutations enseignantes a fait que j’ai changé de poste chaque

année depuis cette date. Non par choix, mais l’éducation nationale a décidé

que sans le Certificat d’Aptitude aux Pratiques Professionnelles de l’Ecole

Inclusive (CAPPEI) mon titre de professeur des écoles ne suffisait pas pour

être titulaire des postes que j’obtenais, au même titre que les autres

professeurs, lors des mutations interacadémiques. Ainsi, sans cette

certification, j’étais donc soumise chaque année à cette loterie hasardeuse

que l’on appelle communément le « mouvement enseignant ». C’est donc

cette agitation professionnelle qui m’a conduite a enseigné tour à tour, dans le

premier ou le second degré, en maternelle ou en élémentaire, en réseau

d’éducation prioritaire renforcé ou non, en classes dites ordinaires ou sur des

dispositifs spécialisés.

8
J’ai, de fait, rencontré un très grand nombre de collègues sur ces sept

dernières années. Et pour une très grande majorité de ces derniers, pour ne

pas dire la totalité de mes collègues professeurs des écoles enseignant dans

des classes ordinaires, ce ressenti d’angoisses à l’idée de se retrouver face à

ces élèves si particuliers persistait, me renvoyant un sentiment

d’incompréhension et d’admiration face à mon choix de leur enseigner : « je

ne sais pas comment tu fais ! Moi je ne pourrai pas… ». Déjà, lors de ma

formation de professeurs des écoles à l’Institut National Supérieur du

Professorat et de l’Education (INSPE), j’ai ressenti cette appréhension de mes

collègues, à la limite de la peur panique, à l’idée d’enseigner dans des classes

spécialisées. Comme si enseigner à des enfants en difficultés, au sein de

dispositifs spécialisés, revenait à quitter cette place enseignante fantasmée, à

quitter cet idéal de l’apprenant à qui la transmission de savoirs descendantes

semble suffire.

Cette incompréhension est arrivée à son paroxysme lorsque j’ai intégré, de

manière quelque peu hasardeuse, l’école de La Gazelle, en tant que

coordinatrice de l’Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire (ULIS) pour des

enfants porteurs de Troubles du Spectre de l’Autisme (TSA).

En effet, alors qu’en juin 2020 je visitais ma nouvelle affectation pour la

rentrée suivante, je rencontrais l’inspectrice. Celle-ci venant informer de vive

voix ma collègue et moi-même, que la place de coordonnateur Ulis TSA de

l’école de La Gazelle à Nîmes venait de se libérer. L’inspectrice semblait très

inquiète, car elle craignait de ne trouver personne pour ce poste d’enseignant

si particulier et venait ainsi tenter de « persuader » quelqu’un de prendre ce

9
poste. Une discussion s’engagea alors, dans laquelle ma collègue expliquait

sa méconnaissance des troubles du spectre de l’autisme et son inquiétude à

l’idée d’intégrer ce type de poste. De mon côté j’énonçais ce que j’en

connaissais : les troubles, le fonctionnement, les soins, les partenaires…

m’embarquant peu à peu dans l’aventure. Je décidais donc d’accepter ce

nouveau challenge en renonçant au poste précédemment obtenu lors des

mutations officielles, au grand bonheur de mon inspectrice à qui je semblais

enlever une sacrée épine du pied.

1.2. La découverte d’un dispositif très spécifique

Vint alors la rentrée scolaire de septembre 2020, à laquelle je me heurte, telle

une voiture percutant un platane, lancée à 120 kilomètres heure… Pourtant, je

connais ce qu’est une rentrée : c’est ma sixième. Pourtant, je connais le

monde de l’autisme : je suis éducatrice de formation. Pourtant, je connais le

travail d’un coordinateur Ulis : c’est mon cinquième dispositif depuis ma

reconversion. Mais malgré toutes mes croyances et certitudes, la rentrée

2020, fut l’un des moments les plus difficiles de ma carrière professionnelle.

Je découvre que ce dispositif accompagne huit enfants avec des profils

autistiques très différents. Je n’ai que très peu d’informations sur ces enfants

et leurs troubles : chaque élève semble avoir une scolarité partagée avec des

temps de scolarisation différents ; ils semblent tous avoir un emploi du temps

spécifique avec des prises en charge extérieures hebdomadaires

conséquentes ; chaque élève semble avoir au minimum deux, voire trois

professionnels dans son environnement direct, avec pour certains sept, voire
10
huit professionnels qui les accompagnent ! Ainsi, après un rapide état des

lieux, je dénombre près d’une cinquantaine de partenaires, sans compter les

familles qui sont évidemment les premiers à prendre en compte et à rassurer.

Je prends également conscience très rapidement de mon rôle de chef de

service, et me voilà propulsée en quelques secondes à la tête d’une équipe

de sept personnes. Ce dispositif est en effet doté de deux Accompagnantes

d’Elèves en Situation de Handicap appelées communément AESH collectives

(AESH-Co). Ces deux personnes sont à temps plein sur le dispositif et selon

le ministère :

« Participe(nt), sous la responsabilité pédagogique de l’enseignant

coordonnateur de l’ULIS, à l’encadrement et à l’animation des actions

éducatives conçues dans le cadre de l’ULIS… (elles) accompagnent

les élèves de l’ULIS lors des temps d’inclusion dans les classes de

l’établissement. »1

Ces deux personnes sont sur ce poste depuis l’année dernière et me

semblent inquiètes, elles aussi, perplexes ou du moins dans l’expectative à

l’idée de mon arrivée.

Par ailleurs quatre élèves du dispositif sont également accompagnés

individuellement par des AESH-i. Cet accompagnement est selon le ministère,

décidé par la CDAPH2 pour :

1
Circulaire n° 2015-129 du 21-8-2015
2
Commission Départementale de l’Autonomie et des Personnes Handicapées
11
« Répondre aux besoins d’un élève qui requiert une attention soutenue

et continue.... (quand) l'aide mutualisée ne permet pas de répondre aux

besoins d'accompagnement de l'élève ». 3

Ces quatre personnes sont toutes primo-accédantes sur ce poste et semblent

aussi perdues que moi dans leurs prises de fonction.

Je découvre enfin un établissement sclérosé, des collègues asphyxiés et une

directrice qui administre l’école inclusive à l’instar d’un fléau. Je me sens alors

face à mes collègues, tel un héraut d’armes du Moyen-Age, porteuse d’un

message belliqueux imposé directement par le ministère :

- Organiser et adapter l’enseignement des élèves en situation de handicap

intégrés dans l’Ulis, en articulation avec toutes les classes, afin que « chaque

élève reçoive une éducation adaptée à ses caractéristiques personnelles » 4.

1.3 Une redoutable réalité


La découverte du dispositif fut un véritable moment de doutes et d’angoisses

quant à ma posture enseignante. Au-delà, et surtout au préalable de mes

compétences d’enseignement classique et spécialisée, j’ai dû déployer des

compétences relationnelles et communicationnelles primordiales et

déterminantes si je voulais répondre un tant soit peu à la commande

institutionnelle :

3
Circulaire n° 2017-084 du 3-5-2017
4 Frangieh, B. & Weisser, M. (2013). Former les enseignants à la pratique de l'inclusion
scolaire : Le cas des élèves présentant une déficience intellectuelle légère. Recherche &
formation, 73, p.10
12
- Il m’a fallu tenter de créer une véritable relation de confiance avec les

familles afin qu’elles se sentent tout simplement autorisées à me laisser

leur enfant ;

- il m’a fallu tenter de rentrer en relation avec mes élèves afin de

pouvoir un tant soit peu interagir avec eux ;

- il m’a fallu tenter d’impulser un travail d’équipe avec toutes les AESH

du dispositif qui n’avaient pour la majorité jamais travailler en équipe ;

- il m’a fallu tenter d’encourager un travail de coordination avec les

nombreux partenaires de ce système au combien complexe ;

- et surtout il m’a fallu tenter d’insuffler un travail de coopération avec

tous mes collègues enseignants pour tenter d’envisager

d’hypothétiques inclusions qui répondraient à l’injonction ministérielle

que sous-entend mon poste.

J’ai littéralement passée, toute la première période de l’année scolaire, en

apnée… Construire, déconstruire et reconstruire des emplois du temps un

tant soit peu adaptés aux problématiques de mes élèves, prendre contact

avec tous ces professionnels qui semblaient si essentiels à la prise en compte

globale des troubles et des besoins, comprendre le fonctionnement de mes

collègues et de cette nouvelle école, créer une dynamique de groupe avec

mon équipe... etc.

Je me suis religieusement efforcée de comprendre ce qu’on attendait de moi

et de sécuriser tout le monde autour de moi : enfants, parents, collègues,

partenaires... Comme si mon rôle n’était plus d’enseigner mais de permettre à

13
cet enseignement d’avoir lieu ; comme si je n’étais plus professeur des écoles

mais architecte de l’éducation inclusive pour des élèves qui ne semblaient pas

être les bienvenus à l’école.

Néanmoins, mon expérience depuis 2015 m’amène à penser que ces

sentiments d’inconfort et d’angoisse ressentis par mes collègues sont certes

exacerbées sur ce dispositif si particulier qu’est une ULIS TSA mais tout de

même assez global quelle qu’en soit le profil des élèves accompagnés. Je me

suis donc questionnée sur les émotions que peuvent ressentir un enseignant

face à cette injonction du système éducatif français : Est-ce l’école inclusive

qui détermine cette insécurité commune qui semble nous opposer ? Dans ce

contexte d’école inclusive où chaque enseignant est susceptible d’accueillir et

d’accompagner des enfants porteurs de handicap ressentent-

ils essentiellement du négatif ?

2. Objet d’étude et questionnements professionnels

Nous cherchons avec ce mémoire à comprendre ce qui se joue

intrinsèquement dans l’activité des enseignants confrontés au challenge de

l’école inclusive face à des élèves porteurs de TSA. Notre objectif étant donc

de relater et d’analyser ces ressentis du point de vue des participants, ce

qu’ils ressentent, pourquoi ils le ressentent et ce que cela induit d’un point de

vue de leurs gestes et de leurs postures professionnelles. Par conséquent

traiter cet objet d’étude a soulevé de nombreux questionnements

professionnels dont nous allons tenter de rendre compte ci-dessous.

14
2.1. Qu’est-ce que l’école inclusive ?

Le principe de l'école inclusive est inscrit dans le code de l'éducation dès son

premier article :

"Le service public de l'éducation [...] reconnaît que tous les enfants

partagent la capacité d'apprendre et de progresser. Il veille à la

scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction."5

C’est donc dans ce cadre que l'école et donc les enseignants doivent user de

tous les moyens de compensation, d'adaptation et d'accompagnement pour

assurer une scolarisation de qualité à tous les élèves en essayant de prendre

en compte leurs singularités, qu'ils soient reconnus comme porteurs de

handicap ou qu’ils soient en difficulté scolaire pour diverses raisons.

Cette définition que nous offre le législateur devrait donc suffire au corps

enseignant pour savoir comment agir avec tous les élèves aussi singuliers

soient-il.

Cependant la réalité semble être toute autre, et je le résumerai ici par les

verbatims de certains de mes collègues rencontrés au fil des ans :

- « Comment me positionner en tant qu’enseignant avec une hétérogénéité

aussi importante ? » ;

- « Comment puis-je faire concrètement ? » ;

- « De quelles adaptations parle-t-on exactement ? » ;

5
Article L111-1 du code de l’éducation, 26/08/2021.
15
- « Je ne peux pas faire classe en me penchant individuellement sur

chacun ! » ;

- « Ne serait-ce pas à l’enfant de s‘adapter au reste de la classe ? »

- etc...

Autant de questions, réactions qui soulèvent l’ampleur du problème ainsi que

le ressenti de la plupart des enseignants face à cette injonction.

2.2 Qu’est-ce que les EBEP ?

La définition d’Elèves à Besoins Educatifs Particuliers (EBEP) est récente. En

effet ce n’est que depuis quelques années que la compréhension du

handicap, en France comme ailleurs, nous apparait sous l’œil nouveau des

besoins plutôt que sous le paradigme nosologique avec sa seule prise en

compte des déficiences médicalement reconnues. Dans le milieu scolaire,

cela s’est soldé par une approche éducative par « besoins éducatifs

particuliers » centrée sur les apprentissages et les progrès de l’élève. Mais

concrètement cela suffit-il pour que le phénomène d’étiquetage des élèves

« pas tout à fait comme les autres » prenne fin ?

Nous sommes vraisemblablement encore très loin de l’approche souhaitée :

identifier les barrières à l’apprentissage afin de mettre en œuvre les solutions

pédagogiques qui semblent les plus adaptées, dans l’objectif commun de

lever ces barrières et ainsi de permettre l’accessibilité à tous sans faire de la

dentelle pédagogique ou de l’accompagnement individuel.

16
Le problème semble être que les EBEP sont vus essentiellement sous la

focale de leurs difficultés et de leurs problèmes. Ils sont un problème avant

d’être un élève et les enseignants se disent incapables de les aider ou non

spécialistes, car non formés à ces problèmes reconnus et identifiés

médicalement :

- « Qu’a-t-il celui-là exactement ? » ;

- « Existe-t-il un manuel pour les ‘dys’ et autres troubles

neurodéveloppementaux ? » ;

- « Je n’ai jamais été formé à l’autisme ! » ;

- « Heureusement maintenant il a son AESH, je n’ai plus à m’en charger ».

- « 2 AESH au sein d’une classe c’est trop compliqué à gérer, je ne peux pas

me centrer sur l’essentiel » ;

- « je ne peux pas organiser ma classe lorsque cet enfant est présent, il

perturbe les apprentissages avec tous ses troubles » … etc.

Mickael Jury, maître de conférences à l’Université de Clermont Auvergne,

indique dans une dernière étude6 auprès de mille enseignants, que plus de la

moitié n’auraient jamais eu de contenu de formation sur l’accompagnement

des élèves BEP. Or il démontre dans cette étude, et sans surprise, que les

professeurs formés se sentent plus compétents et moins épuisés.

6
Mickaël Jury, Anne-Laure Perrin, Odile Rohmer, Caroline Desombre. Attitudes Toward
Inclusive Education: An Exploration of the Interaction Between Teachers’ Status and
Students’ Type of Disability Within the French Context. Frontiers in Education , Frontiers,
2021, 6.
17
2.3 Comment pourrais-je y arriver ?

De facto, cette vision de l’école inclusive et des élèves à besoins éducatifs

particuliers influent sur les attitudes des enseignants et sur leurs émotions.

« Comment pourrais-je y arriver ? », semble être le questionnement premier

face à des ressentis et des émotions aussi négatives.

Or selon les travaux sur les émotions du psychologue Albert Bandura (2003)7,

il semble que le sentiment d’auto efficacité personnel, se base sur les

compétences que l’on a de soi-même. Sans ce sentiment d’efficacité, cette

sensation de capabilité, ce ressenti positif, nous sommes incapables de nous

engager dans l’action. C’est effectivement ce regard sur nous-même qui nous

permet de nous enrôler ou non dans la tâche à réaliser.

Ainsi au même titre qu’un élève en train d’apprendre, les enseignants

semblent se retrouver confrontés à ce sentiment destructeur décrit par Daniel

Favre8 dans sa courbe des apprentissages, et ne semblent pas en capacité

de la remonter ! Cette déstabilisation cognitive et affective « engendre une

frustration en motivation de sécurisation » durant laquelle une période de

vulnérabilité intense se fait sentir. Or cette période de fragilité peut affaiblir

l’acteur lui-même et ainsi devenir lui-même affaiblissant pour le système.

Ce sont ces émotions dont fait état ce mémoire.

7Carré, P. (2018). Albert Bandura et l’auto-efficacité. Dans : Martine Fournier éd., Les Grands
Penseurs de l'éducation (pp. 139-142). Auxerre: Éditions Sciences Humaines.
8 Daniel Favre, Cessons de démotiver les élèves, Dunod, Paris, 2010, p.47.
18
3. Cadre institutionnel et dispositif
Il nous faut maintenant rentrer plus en détail dans l’explicitation de ce qu’est le

dispositif ULIS TSA que je coordonne, afin de mieux cerner sa singularité.

3.1 Evolutions successives du dispositif au regard du législatif

C’est suite à la promulgation de la loi pour l’égalité des droits et des chances,

la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11/02/2005

qu’apparaît le droit d’inscrire à l’école tout enfant présentant un handicap.

L’école de La Gazelle à Nîmes, répond alors à cette ouverture vers l’école

inclusive, en créant une Classe d’intégration spécialisée sous convention du

SESSAD9 Passerelles, service médico-social de l’institut Médico-Educatif

(IME) Le Bosquet à Nîmes.

Cette classe accueille à ces débuts, un seul élève présentant des troubles du

spectre autistique. Sa présence au sein d’une classe spéciale intégrée dans

une école ordinaire suffisant à répondre à la loi.

Suite au décret d’application de juillet 2009, cette CLasse d’Intégration

Spécialisée (CLIS) devient une CLasse pour l’Inclusion Scolaire (CLIS) afin de

tenter un système moins ségrégationniste. 3 élèves fréquentent alors cette

CLIS pour lesquels l’enseignant de l’époque tente d’établir autant que faire se

peut, des ponts, des passerelles entre l’ordinaire et le spécialisé.

9 Service d’Education Spéciale et de Soins A Domicile.


19
Huit ans plus tard, la loi dite « de refondation de l'école » pose les fondements

de l’école inclusive d’aujourd’hui :

« En veillant à l’inclusion scolaire de tous les enfants sans distinction, le

service public reconnaît que tous les enfants partagent la capacité

d'apprendre et de progresser »10.

Le nombre d’élèves accueillis au sein du dispositif augmente encore. 6 élèves

y sont quotidiennement accompagnés. Il s’agit alors pour l’enseignant de

focaliser sur l’accessibilité du système scolaire et sur l’adaptabilité de

l’enseignement proposé.

Dans la logique de la loi de refondation, une circulaire en 2015, impulse la

transformation des CLIS en Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire (ULIS).

L'enseignant d'ULIS devient ainsi coordonnateur et devient également

personne dite « ressource » pour l’école. La classe devient alors dispositif et

atteint un effectif de 8 élèves. Mais ce changement de paradigme n’est que

littéral, et rien, ou presque, n’évolue en pratique. La notion d’intégration

récusée depuis près de 6 ans est encore pleine et entière dans les mentalités.

Dernièrement, la loi pour l’école de la confiance du 26 juillet 2019, cherche à

inverser le processus : les élèves en situation de handicap sont alors censés

être inscrits dans une classe ordinaire, leur classe de référence :

« Afin d’acquérir des compétences sociales et scolaires, même lorsque

leurs acquis sont très réduits »11.

10 Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école


de la République, 2013, sect. 2/I-1
20
Les regroupements en ULIS doivent alors se réaliser ponctuellement en

fonction des besoins des élèves.

Malheureusement la réalité est encore une fois très différente. Lorsque je

prends mes fonctions sur ce dispositif en septembre 2020, les élèves

accompagnés par le dispositif Ulis sont en fait « les élèves de l’Ulis » ou plus

simplement « les Ulis » comme les appellent mes collègues. Très peu de

ponts sont existants entre les classes ordinaires et le dispositif. Les élèves ne

font pas partis des listes des classes dites de références, puisqu’une fois

inscrits dans l’école, suite à la notification de la MDPH, la directrice les raye

littéralement des listes d’appel. Cette démarche ayant pour conséquence des

« inclusions » compliquées, difficiles, voire impossible à mettre en place.

Le système inclusif voulu par le législateur semble encore pleinement entravé

de l’omniprésence psychique du système intégratif : « les Ulis » sont différents

et ne semblent n’avoir rien à faire au milieu des enfants « normaux ».

3.2 De l’intégration à l’inclusion : données historiques


Pourtant, la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la

participation et la citoyenneté des personnes handicapées instaure une

politique de l’éducation inclusive, c’est à dire la scolarisation pour tous dans

l’école ordinaire. La nouvelle professionnalité des enseignants s’inscrivant

alors comme :

11 loi pour l’école de la confiance du 26 juillet 2019 Ministère de l’Education nationale, 2015, sect.1
21
« Enseigner efficacement dans des classes hétérogènes composées

d’élèves issus de différents milieux socioculturels avec un large éventail

de capacités et de besoins, y compris les besoins de l’enseignement

spécialisé », comme le recommande l’Union Européenne dès 2007

d’après Mazereau (2009)12.

Toutefois si le concept d’inclusion est bien ancré dans certains pays (Kron et

Plaisance, 2012, cité dans Benoit, 2014), la réalité en France est tout autre. Il

faut par exemple huit ans pour que ce principe soit repris dans une loi

spécifique à l’école : la loi dite « de refondation » de 2013.

Hervé Benoit (2014), démontre que la gestion des élèves différents, par

l’exclusion ou la séparation dans des parcours spécialisés, est une procédure

qui creuse les écarts au lieu de les réduire, même si elle permet de les gérer.

Là où l’intégration, paradigme existant entre 1975 et 2005, demande à l’élève

handicapé de s’adapter à son environnement sous peine d’exclusion, le

paradigme d’inclusion, à l’inverse, suppose que l’école prenne en compte les

besoins éducatifs particuliers des élèves et y réponde en termes de

différenciation pédagogique. L’école n’est plus vue comme une « micro-

société » à laquelle l’élève doit s’adapter mais bien une communauté diverse

de personnes qui en fait toute sa richesse :

« Dès lors, l’inclusion impose à l’école de se considérer, non plus

exclusivement comme un lieu de transmission des savoirs, mais

12 Mazereau, P. (2009). La formation des enseignants et la scolarisation des élèves


handicapés, perspectives européennes : état des lieux et questionnements. Les Sciences de
l'éducation - Pour l'Ère nouvelle, 42, 13-32.
22
également comme une microsociété où la diversité devient un élément

déterminant de son organisation et de son fonctionnement » 13.

Cette nouvelle vision de l’école soutenue par Mazereau (2014) implique que

le système éducatif ne peut plus s’écrire sur la base de la normativité scolaire.

En effet pour Mazereau, l’éthique de l’inclusion semble acceptée par les

professionnels, mais la loi de 2005 se heurte au maintien de la vision

antérieure qui veut que la classe ordinaire soit un lieu d’apprentissage

homogène pour tous les élèves. Il démontre ainsi que :

« Le fonctionnement intégratif avait pour effet de maintenir la classe

ordinaire comme horizon d’atteinte pour l’élève handicapé sans que

celle-ci ne fasse l’objet d’adaptations pédagogiques autres que

marginales »14 (Mazereau, 2014, p. 24).

Ces divergences perturbent les enseignants qui éthiquement semblent y

croire mais professionnellement ne parviennent pas à contester la fonction

normative de l’école, les laissant dans une impossibilité d’agir et dans un

ressenti négatif.

En 1975 déjà, la loi d’orientation n°75-534 du 30 juin, en faveur des

personnes handicapées, marquait une avancée en matière de prise en

compte du handicap, malgré son empreinte qui apparaît aujourd’hui comme

discriminatoire. Le paradigme d’intégration apparaît peu à peu entre 1975 et

2005, tentant de récuser cette vision ségrégationniste marquée par la loi de


13 Claire de Saint Martin, « Les élèves des classes spécialisées de l’école élémentaire, entre
intégration et inclusion », Recherches & éducations, 14 | 2015, 93-105.
14Mazereau, P. (2014). Inclusion scolaire et nouvel ordre des savoirs : vers des
professionnalités enrichies. La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation, 65, 21-30.
23
1975. Puis à partir de 2005 l’inclusion tente de s’imposer afin de changer les

mentalités. Pour Thomazet (2008), c’est entre les deux premières périodes

(1975 - 2005) que se situe l’empêchement psychologique. Il soutient que c’est

à ce moment-là que le grand-écart aurait dû être réalisé pour les enseignants

en termes de nécessité de modifications de pratiques. Car une fois l’apparition

de l’inclusion scolaire, il était déjà trop tard pour agir et pour trouver un autre

rapport à la norme qui permettrait le changement.

De fait en 2015, lorsque s’est opéré la véritable modification de paradigme,

les élèves handicapés étaient déjà perçus, comme « les autres apprenants,

dans leur singularité au sein de la diversité des élèves » 15 (H. Benoit, 2014).

La circulaire du 21 août 2015 qui rappelle que la Commission Départementale

et de l’Autonomie des Personnes Handicapées (CDAPH) peut orienter en

ULIS des élèves susceptibles de poursuivre des apprentissages adaptés,

« même lorsque leurs acquis sont très réduits » 16 ne suffira pas à enrayer les

mentalités malgré qu’elle traduise l’intention du ministère de favoriser

l’inclusion scolaire.

3.3. Troubles du spectre autistique


La scolarisation des élèves avec des troubles autistiques est récente en

France. Ce n’est que depuis une trentaine d’années qu’une scolarisation en

milieu ordinaire dans des classes dites intégrées est envisagée. Ainsi c’est

15Benoit, H. (2014). Les dispositifs inclusifs : freins ou leviers pour l'évolution des pratiques.
La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation, 65, 189-204.
16Circulaire n° 2015-129 du 21 août 2015 du Ministère de l‘Education Nationale, relative à la
scolarisation des élèves en situation de handicap.
24
dans les années 1980, que cette question se pose, impulsée sous la pression

d’associations de parents qui veulent se détacher de la catégorisation

inadéquate de la psychose. En effet cette confusion française, due

principalement à l’hégémonie de la psychanalyse, relègue la scolarisation

comme secondaire voire inutile. Alors qu’aux Etats Unis nait un programme

d’enseignement, la méthode TEACCH17, mené par Eric Schopler.

Ce n’est qu’en 1995 que la circulaire Veil décrète l’autisme comme priorité

nationale en instituant des comités techniques chargés d’établir un état des

lieux sur le territoire. De plus la loi Chossy en 1996 fait enfin sortir l’autisme

des maladies mentales en le considérant comme un handicap. A cette époque

l’autisme est qualifié de Troubles Envahissant du Développement (TED) et

même si les prises en charge se font naturellement vers le secteur médico-

social des classes intégrées pour enfants autistes voient le jour dans des

écoles volontaires avant même que soient créer des structures spécialisées.

Ces ouvertures de classes sont le sujet de vives critiques et de vives

interrogations, mais l’évaluation orchestrée par le gouvernement est

concluante.

Malgré le fait que près de 30 ans se soient écoulés depuis les premières

classes intégrées, ainsi que l’enchaînement des divers « plan autisme » par

les gouvernements successifs, l’autisme à l’école n’est toujours pas une

évidence. Ainsi près de 80% d’enfants avec des troubles autistiques ne sont

pas scolarisés. Et ceux qui sont scolarisés n’ont pour la plupart accès à l’école

17 Treatment and Education of Autistic and related Comunication handicapped CHildren,


traitement et éducation des enfants autistes ou atteints de troubles de la communication
associés.
25
que quelques heures par semaine. Il semble donc qu’en 2022 l’autisme fasse

peur à l’éducation nationale…

Effectivement, Mickaël Jury, maître de conférences en psychologie à

l’université de Clermont Ferrand, démontre dans ses travaux, en collaboration

avec A. Perrin, O. Rohmer et C. Desombre, que les enseignants sont plus

globalement défavorables à l’inclusion des élèves porteurs de Troubles du

Spectre Autistiques par rapport aux élèves présentant un autre handicap

comme une déficience intellectuelle ou une déficience motrice par exemple.

Cette étude18 précise que cette méfiance viendrait du fait que les enseignants

pensent que cet handicap nuit à la conduite de leur classe.

Dans une même logique, une enquête réalisée sur internet par la société

Harris interactive19 du 17 au 19 aout 2021 auprès d’un échantillon de 1001

personnes représentatives de la population française âgée de 18 ans et plus,

fait le même constat : les élèves porteurs d’autisme, en comparaison à

d’autres types d’handicap, viendraient perturber le maintien de l’attention des

autres élèves en classe et donc gêneraient l’organisation des activités de

classe.

Il est vrai que ces craintes sont explicitement confortées par l’éducation

nationale elle-même notamment dans la circulaire du 08 mars 2005, relative à

la politique de prise en charge des personnes atteintes d’autisme et de


18Mickaël Jury, Anne-Laure Perrin, Odile Rohmer, Caroline Desombre, Attitudes Toward
Inclusive Education: An Exploration of the Interaction Between Teachers’ Status and
Students’ Type of Disability Within the French Context. Frontiers in Education, Frontiers,
2021, 6, 10.3389/feduc.2021.655356.hal-03220073
19 https://harris-interactive.fr/opinion_polls/les-francais-et-la-scolarisation-des-eleves-en-
situation-de-handicap-2/

26
troubles envahissants du développement qui soulève la grande difficulté pour

des enfants TSA de se conformer à la règle sociale de l’école :

« Les manifestations de ce syndrome sont en effet particulièrement

difficile à concilier avec l’exercice de l’enseignement qui s’effectue dans

un cadre collectif et qui repose, pour une large part, sur les interactions

que nouent les élèves au sein de la classe. »20

Cette circulaire s’appuie sur les difficultés inhérentes aux troubles autistiques,

explicitées dans la dernière édition du DSM-V21 de février 2015. Ce manuel

diagnostique et statistique des troubles mentaux et des troubles

psychiatriques, présente ce trouble comme neurodéveloppemental, se

caractérisant par des difficultés dans les interactions sociales et la

communication, auxquelles s’ajoutent des comportements et intérêts à

caractère restreint, répétitif et stéréotypé perturbant gravement les

apprentissages précoces et l’ensemble du développement de l’enfant.

3.4 De l’individuel au collectif :


Un autre changement majeur de paradigme s’opère en 2015, mais cette fois

du prisme de l’enseignant spécialisé. En effet ce dernier change de statut : il

devient coordonnateur d’un dispositif et n’est plus « simplement » professeur.

Il se voit ainsi bousculer par une triple injonction :

20 Circulaire du 08/03/2005 – II3-1 b


21DSM-5, dernière et cinquième édition du Manuel Diagnostique et Statistique des troubles
mentaux, et des troubles psychiatriques (Diagnostic and Statistical Manual of Mental
Disorders), 02/2015.
27
- Mettre en place, dans toute la mesure du possible, des temps

« d’inclusions » individuelles dans les classes ordinaires, tout en

veillant à ce que les élèves y reçoivent l’enseignement qui leur

convient.

- Assurer l’enseignement lors des « regroupements » d’élèves sur le

dispositif.

- Conseiller la communauté éducative en qualité de personne ressource.

La circulaire n° 2017-026 du 14 févier 2017, relative au Certificat d’Aptitude

Professionnelle aux Pratiques de l’Education Inclusive (CAPPEI) précisera les

fonctions des enseignants spécialisés, confirmant ainsi le changement

impulsé depuis 2015. Ce nouveau statut entrainant de facto de nouvelles

missions, impliquant inexorablement de nouvelles responsabilités.

L’enseignant n'apporte plus qu’une aide aux apprenants, il devient également

une aide directe (ou indirecte) aux autres enseignants et à l’ensemble des

acteurs de la communauté éducative afin de porter le message de l’école

inclusive.

Ce pluriel sacerdoce introduit de nombreuses injonctions notamment en

imposant aux enseignants de travailler dans un nécessaire collectif de partage

de connaissances. L’enseignant coordonnateur se voit obligé de développer

des compétences de partenariat qui n’ont rien d’évident à mettre en œuvre. Il

s’agit de développer un espace d’inter-métiers où l’enseignant doit non

seulement travailler collectivement mais également construire et faire vivre

des espaces collectifs de travail (Thomazet et Mérini, 2014). La logique de

28
l’individualisation fondé sur le modèle médical du handicap et sur un modèle

psychopédagogique de l’enseignement (Meirieu, 2010)22 se voit alors

profondément bouleversée.

L’enseignant coordonnateur doit prendre en compte l’individualité de ses

élèves pour les inscrire dans un collectif dans lequel ils sont de facto exclus,

et il doit collaborer avec les collègues et les partenaires avec lesquels il faut

« construire une culture d’équipe » et « parler la même langue » afin de tenter

de devenir une ressource commune pour le développement de l’activité23.

Tout ceci entrainant une évidente et complexe métamorphose du métier ainsi

qu’une inextricable insécurité ressentie par tous les acteurs de ce système.

4. Cadre conceptuel
La revue de littérature qui suit cherche à apporter un socle solide à la fois

neuroscientifique, psychologique et pédagogique à l’étude menée dans ce

mémoire en développant le caractère complexe, exigeant voire même parfois

impossible de ce métier. Pour ce faire nous faisons le choix de partir des

besoins.

4.1 Les besoins de « sécurisations »

22
https://www.meirieu.com/ARTICLES/ETRE_ENSEIGNANT_AUJOURD4HUI.pdf
23Flavier, E. & Moussay, S. (2014). Répondre au décrochage scolaire: Expériences de
terrain. De Boeck Supérieur. p. 115
29
De façon générale, l’enseignement est de plus en plus perçu comme un

travail complexe, un travail plus exigeant et plus difficile, entrainant une

insécurité grandissante, un sentiment de menace extrinsèque vécue

intrinsèquement.

Selon la neuropsychologie, le cerveau explore continuellement

l’environnement intérieur et extérieur afin d’évaluer tous les signes de

dangers. S’il détecte un potentiel risque, il déclenche alors un processus

physiologique de stress obligeant l’organisme à se modifier pour résister.

C’est grâce à cette aptitude que nos ancêtres ont pu survivre à l’attaque de

bêtes sauvages ou de tribus hostiles.

Maslow définit en 1970, une représentation pyramidale des besoins. Il défend

alors que les besoins de sécurité succèdent directement aux besoins primitifs

et qu’ils sont tous deux la base d’un épanouissement personnel optimum.

Malgré un système pyramidal qui peut être éminemment critiqué par l’absence

de données scientifiques quantifiables, Maslow nous démontre avec ce

modèle que les besoins physiologiques directement liés à nos besoins

primaires de survie, ainsi que les besoins de sécurité liés au besoin de vivre

dans un environnement stable et prévisible sans anxiété ni crise, sont

primordiaux pour se construire pleinement en tant qu’être épanoui.

Les besoins élémentaires doivent donc être satisfaits pour parvenir à un état

de non vigilance anxieuse où il semble alors possible d’éprouver un sentiment

de sécurité intérieure suffisant.

30
Dans cette logique il semble fondamental de comprendre comment parvenir à

cet état de « sécurisation » défendu par D. Favre (2016)24.

En effet Favre a établi un modèle qui suppose deux systèmes de motivations

complémentaires qui se relaient au cours du développement d’un être

humain. Le premier système (SM1) est associé à la satisfaction de besoins

biologiques et psychologiques essentiels : les besoins primaires. Ce système

forge la confiance en soi et devient le moteur de l’individu. Il se manifeste à

nous par « le plaisir que nous avons à réaliser des tâches déjà maitrisées, à

retrouver des situations connues, des personnes qui nous procurent de

l'affection ou une reconnaissance dans notre environnement socio-familial ou

professionnel » (Favre, 2020). Ce fonctionnement s’apparente à la notion de

plaisir établie par Freud. Cette notion est fondée elle aussi sur le soulagement

d'une tension, cherchant à rééquilibrer l'homéostasie du sujet. Ce système

précède la motivation d’innovation (SM2) c’est-à-dire le besoin de nouveauté,

le besoin de s’épanouir, de prendre des risques, d’oser l’incertitude. Ce

système motive l’exploration et la rencontre avec des autres différents de soi.

Ces deux systèmes (SM1 et SM2) sont complémentaires : c’est lorsque l’on

se sent en sécurité qu’on peut prendre le risque de la nouveauté, de

l’apprentissage.

« C’est le SM2 qui nous motive, rend agréable et attirant le gain

d’autonomie et le fait de se réaliser comme un sujet qui peut

s’autoréguler, décider, apprendre, explorer, aimer des êtres qui

24 FAVRE, D., (2020) Cessons de démotiver les élèves, 18 clés pour favoriser
l’apprentissage, Paris, Dunod.
31
diffèrent de nous dans une “relation de sujet à sujet” et cela tout au

long de la vie ».25

Cependant il arrive que parfois le SM1 soit mis à mal et se retrouve dans une

boucle de dépendance. Favre appelle cela le SM1p ou la « motivation

d’addiction ». Ce système parasite le SM1 et nous éloigne du SM2. Il bloque

le développement psychique du sujet qui ressent une insécurité

physiologique : il ne peut plus réguler ses besoins homéostasiques, il ne

régule plus les tensions, les émotions. Cette recherche permanente d'équilibre

peut devenir inefficace et aboutir à l'inertie.

Dans ce mémoire nous faisons le constat que les injonctions de l’école

inclusive mettent les équipes éducatives dans une posture de SM1p, avec des

enseignants qui cherchent constamment à réguler leurs besoins

homéostasiques.

4.2 Les besoins de régulation

Pour réguler l’équilibre interne, il faudrait pouvoir contrôler ses besoins,

dompter ses émotions étant donné que les émotions, la cognition et l’action

sont intégralement connectées (Andy Hargreaves (2000). Par conséquent

pour que l’enseignant puisse réguler ses émotions il va lui falloir agir sur sa

régulation interne (auto-régulation) mais également sa régulation externe

(hétéro-régulation).

25 FAVRE, D., (2020) Cessons de démotiver les élèves, 18 clés pour favoriser
l’apprentissage, Paris, Dunod.
32
En effet, là où l’autorégulation va permettre de maîtriser ses pensées, ses

comportements et ses émotions pour se lancer dans des expériences

nouvelles, l’hétéro-régulation va permettre un étayage, une médiation sociale,

une régulation inter-psychique (NaderGrosbois, 2007). Selon le chercheur

canadien Shanker (2013)26, l’autorégulation correspond au niveau d’efficacité

avec lequel une personne réagit aux facteurs stress et parvient ensuite à

revenir à un état de sérénité où il peut se concentrer et rester alerte. Ce

concept se traduit par l'intervention de facteurs de régulation externe. C’est à

dire les régulations liées aux interactions avec l'environnement, où dans la

situation qui nous concerne, en particulier avec les autres acteurs de la

situation éducative, les autres enseignants et les élèves.

Ce besoin de régulation semble essentiel dans une situation où les besoins

primaires et les besoins de « sécurisation » ne sont pas réconfortés. Ainsi il

est essentiel de chercher à réguler toutes ces émotions ressenties

vigoureusement qui nous envahissent si l’on veut être en capacité

d’enseigner.

Nous pouvons rattacher les émotions chez les enseignants aux relations dans

lesquelles ils sont impliqués quotidiennement. Sutton et Wheatley (2003),

définissent ces interactions avec les différents types de personnes (collègues,

hiérarchie, parents ou élèves) comme faisant partie intégrante de leur

quotidien et comme étant source d’émotions tant positives que négatives.

Selon les recherches de Sutton, ce sont les interactions avec les apprenants

26Shanker, S. (2013). Calm, alert, and learning: Classroom strategies for self-regulation.
Toronto, ON : Pearson.
33
qui peuvent induire les émotions les plus intenses (Sutton & Wheatley, 2003)

alors que l’anxiété émerge de situations dans lesquelles l’enseignant se sent

menacé ou a l’impression qu’il n’est pas à la hauteur.

Par ailleurs les émotions négatives semblent davantage présentes chez les

néo-enseignants, c’est-à-dire des enseignants entrant dans le métier et

jusqu’à cinq ou sept ans d’expérience (Ria, 2009 ; Ria & Chalies, 2003 ; Ria &

Récopé, 2005).

Un certain nombre de travaux, ceux de J. Gross (1998), Sutton (2004),

Hülsheger et al. (2010), Taxer et Frenzel (2015) ou encore Jiang et al

(2016)27, démontrent l’impact des émotions du quotidien des enseignants tant

sur eux-mêmes, motivation à enseigner et bien-être par exemple, que sur les

élèves. Conscients de leurs émotions, les enseignants essaient de les réguler,

dans la mesure du possible, afin de favoriser une démonstration des émotions

appropriées, mais également d’émotions adéquates en termes d’intensité.

Ces études révèlent que lorsque les enseignants accumulent des émotions

négatives, cela peut avoir un impact sur leur qualité de vie et que pour cela il

faudrait être capable de les réguler.

Mais qu’est-ce que la régulation émotionnelle et comment y parvenir ? Gross

(1998), la définit comme un processus faisant partie intégrante de la

production d’émotions. L’individu influence ainsi ce qu’il ressent et ce qu’il

exprime de manière automatique ou contrôlée, de manière consciente ou

inconsciente (Gross et al. 1998). C’est donc bien une idée de réglage,

27Visioli, J., Petiot, O. & Ria, L. (2015). Vers une conception sociale des émotions des
enseignants ?. Carrefours de l'éducation, 40, 201-230. https://doi.org/10.3917/cdle.040.0201
34
d’ajustement et de contrôle (Scallon, 2000). Allal (2007)28 propose de définir la

régulation des apprentissages comme une succession d'opérations visant à

fixer un but, contrôler sa progression vers ce but fixé, assurer un feedback,

pour enfin confirmer la trajectoire de l'action ou la réorienter. Nous pouvons

donc définir cette régulation comme un processus par lequel une personne

modifie l’expérience et l’expression émotionnelle ainsi que les situations qui

suscitent de telles émotions afin d'améliorer le bien-être ou de mieux répondre

aux exigences de l'environnement.

Apparaît ici encore une piste de réflexion pour notre étude : les enseignants

sont-ils capables de réguler leurs émotions face à des élèves à besoins

éducatifs particuliers et notamment des enfants porteurs de TSA ?

5. Cadre théorique et méthodologique


Le cadre conceptuel est désormais dressé avec les notions clefs définissant

les processus cognitifs à l’œuvre dans ce mémoire. Nous allons maintenant

poser son cadre théorique ainsi qu’expliciter la méthodologie de cette étude.

5.1. Les théories de l’activité


Il s’agit ainsi dans ce mémoire d’adopter le point de vue des acteurs, c’est-à-

dire de mes collègues enseignants et moi-même, et non pas le point de vue

institutionnel, sociologique ou autre. C’est une approche de l’analyse de

l’activité professionnelle de Jacques Theureau issue de la recherche en

28
ibidem
35
anthropologie et sur l’ergonomie du travail ici transposée à l’éducation. Il s’agit

de tenter de décrire l’intérieur du système dynamique de l’école au regard des

ressentis et des interactions des acteurs à l’aide de données empiriques

relevées au fil du temps directement sur l’action et plus précisément celles du

cours d’action et du cours d’expérience.

Selon la définition de Theureau et Jeffroy (1994), le cours d’action est :

« L’activité d’un acteur déterminé, engagé dans un environnement

physique et social déterminé, activité qui est significative pour ce

dernier, c’est-à-dire montrable, racontable et commentable par lui à tout

instant de son déroulement à un observateur-interlocuteur. » 29

L’activité dite « significative » constitue donc un niveau d’organisation, assez

autonome au regard d’autres niveaux d’analyse de l’activité, et peut ainsi

engendrer des observations, des descriptions et des explications relativement

valides et utiles (Theureau 1992).

C’est donc un système dynamique dans son organisation propre ou

« organisation intrinsèque » puisqu’il s’agit du point de vue de l’acteur. Mais

c’est également un système dynamique dans ses « contraintes extrinsèques »

puisque l’acteur interagit dans un environnement structuré et délimité. Enfin

c’est un système dynamique dans ses « effets extrinsèques » puisque des

transformations et des modifications ont lieu dans cet environnement suite à

cette action.

THEUREAU J., JEFFROY F. (1994). – Ergonomie des situations informatisées, Toulouse,


29

Octares, p.19.
36
Le cours d’expérience se situe au premier niveau du système dynamique du

cours d’action. En effet Theureau part du postulat que ce qui est « montrable,

racontable et commentable à un instant donné »30 et dépasse aisément

l’organisation propre de l’action liée à l’affirmation par l’acteur de son point de

vue. Autrement dit, c’est la compréhension du vécu ou « conscience pré

réflexive » de l’acteur à un instant « t », qui dépasse largement l’aptitude

naturelle et candide de l’acteur à décrire et ressentir l’action à un moment

précis.

L’activité humaine peut ainsi être modélisée par un enchaînement d’unités

discrètes d’activité significative de son point de vue. Chacune de ces unités

est composées de six éléments :

• L’engagement de l’acteur dans la situation, lié aux préoccupations de

l’acteur ;

• L’actualité potentielle, liée aux attentes de l’acteur relative à la situation

dynamique dans laquelle il est engagé ;

• Le référentiel, lié à la culture de l’acteur qu’il mobilise dans l’action à un

moment donné ;

• Le ‘representamen’, c’est-à-dire ce qui fait signe pour l’acteur dans la

situation ;

• La fraction d’activité préréflexive, c’est-à-dire ce que fait, pense ou

ressent l’acteur à l’instant « t » ;

30THEUREAU J. (2002). – Cours d’expérience, cours d’action, cours d’interaction : essai de


précision des objets théoriques d’étude de l’activité individuelle-sociale, Actes des Journées
Act’ing, Nouan-Le-Fuzelier.
37
• L’interprétant, c’est-à-dire l’hypothèse d’un nouvel apprentissage sous-

jacent à l’activité.

Nous sommes donc convaincus à ce stade que l’action ne peut être étudiée

séparément de l’environnement dans lequel elle s’enracine et dont elle le

marque. Nous avons également vu que Theureau définit le cours d’action

comme des réductions de phénomènes relatifs à l’activité humaine et qu’il

définit ainsi l’activité comme inséparable de la situation dans laquelle elle

prend forme. De même, le neurobiologiste chilien Varela31 (1989) précise que

l’activité résulte d’un effort d’adaptation à un environnement qui offre à l’acteur

des ressources pour agir. L’environnement est stable et c’est l’acteur qui

interagit avec les éléments perturbateurs de la dynamique propre de son

activité. L’activité est donc une construction de signification dans laquelle les

acteurs sont en permanence engagés. Elle est en constante dynamique entre

les connaissances propres du sujet et ce que l’environnement lui renvoie.

Ainsi nous allons avec ce mémoire observer, décrire et expliquer les ressentis

des enseignants en tant qu’acteurs principaux de l’éducation nationale, dans

cet environnement structuré et délimité qu’est l’école malmenée par les

injonctions ministérielle d’inclusion. L’étude de ces émotions s’inscrit dans

l’approche située qui met en avant la « situativité » des mécanismes

psychologiques au sens que les émotions des acteurs sont indissociables des

situations vécues mais qu’elles peuvent être observables, descriptibles et

explicables.

31 VARELA F. (1989). – Autonomie et connaissance. Essai sur le vivant, Paris, Seuil.


38
5.2. Méthodologie de l’étude et recueil de données

Nous faisons donc le choix d’une méthode inspirée de l’anthropologie et de la

sociologie pour tenter d’adopter une posture ethnographique. Dans cette

démarche qui se veut qualitative ma place est prépondérante puisque je suis

l’instigatrice du projet, l’observatrice de l’action et son rapporteur.

Pour cela, mon point départ est moi-même ! En effet, même si cela peut

laisser à penser un caractère quelque peu narcissique, je ne peux faire

abstraction de mes propres émotions et de mes ressentis tels que je les ai

décrits dans la première partie de ce mémoire. Ce bouillonnement émotionnel

éprouvé à mon arrivée sur ce dispositif si particulier n’a pas été recueilli

scientifiquement et je ne peux donc pas en rendre compte objectivement à

l’aide de notes ethnographiques par exemple. Cependant en tant

qu’observateur direct ainsi qu’en tant que participant à l’action étudiée, j’ai

tenté d’en rendre compte en réalisant un entretien d’auto-explicitation. Pour

mener cet entretien je me suis installée seule, devant mon questionnaire,

accompagnée de mon téléphone portable faisant office d’enregistreur audio.

Je me suis posée les questions une à une, comme si une autre personne

m’interrogeait. Une fois l’enregistrement terminé, j’ai retranscrit fidèlement par

écrit tout mes verbatims en tentant de transposer chaque silence, chaque

hésitation afin d’être le plus conforme possible aux sensations éprouvées,

même si ces dernières ne seront pas toujours retranscrites.

J’ai ensuite tenté d’analyser les ressentis et les émotions de trois cohortes

d’enseignants en m’appuyant sur un questionnaire construit par moi-même

dans le but d’étayer ma propre argumentation pour ce mémoire. Ces


39
questionnaires ont été transmis en version papier directement dans les écoles

et recueillis sur la base du volontariat entre le mois d’avril et le mois de mai de

l’année 2022. Ces questionnaires étaient bien entendu anonymes afin de

laisser un maximum de liberté et d’expression à chacun. Une fois les

questionnaires récupérés j’ai tenté d’en faire une analyse objective.

Chaque cohorte se distinguait par les profils des élèves accompagnés

quotidiennement. J’ai ainsi recueilli :

• 5 questionnaires de collègues professeurs des écoles issus d’une école

primaire de centre-ville de Nîmes, au sein d’un quartier populaire.

• 7 questionnaires de collègues professeurs des écoles issus d’une école

primaire en périphérie de la ville de Nîmes, située en zone d’éducation

prioritaire renforcée (REP+).

• 11 questionnaires d’enseignants spécialisés (ou en cours de

spécialisation) issus de toutes sortes de dispositifs spécialisés. Il

s’agissait de collègues issus de la promotion d’enseignants inscrits en

formation CAPPEI session 2022.

Ces questionnaires étaient construits sous la forme de 10 questions dont 8

étaient à choix multiples et 2 à réponses ouvertes.

J’ai par la suite voulu affiner cette analyse émotionnelle et subjective des

enseignants professeurs des écoles face à l’école inclusive au travers de

l’étude d’un questionnaire transmis à l’équipe pédagogique de ma propre

école. Mon objectif étant, avec cette cohorte d’enseignants, de tenter de

comprendre ce qui se joue au sein de ma propre école disposant d’un

dispositif ULIS TSA. Ce questionnaire anonyme a été adressé par voie


40
numérique à l’aide de la plateforme Google forms. Les réponses ont été

recueillies entre le mois de mai et le mois de juin 2022. 7 collègues sur 9 y ont

contribué. Il se composait de 19 questions : 12 étaient à choix multiples, 5

demandaient d’exprimer une échelle de difficultés et 2 demandaient une

réponse ouverte. Après plusieurs semaines de mise à disposition en ligne et

voyant que le nombre de réponses ne bougeaient plus, j’en ai fait une

analyse.

Une fois les 2 analyses en main j’ai confronté les réponses trouvées en

tentant de faire ressurgir les points communs et les différences.

Pour finir, j’ai recueilli la parole, les ressentis et les émotions de ma

remplaçante à l’année sur le dispositif lors de mes départs en formation

CAPPEI32. En effet lorsque je suis acceptée en formation CAPPEI à la

rentrée de septembre 2021, j’apprends que je serai absente 12 semaines

durant l’année scolaire, autrement dit que je serai absente 1/3 du temps et

que cette personne nommée sur mon remplacement ne connait rien à

l’autisme, ni au fonctionnement d’un dispositif ULIS. Il m’a de fait paru

pertinent que cette enseignante puisse faire état de ses ressentis.

Ce recueil s’est fait lors d’un entretien que l’on pourrait caractériser de semi-

dirigé et d’auto-explicitation à la fois. En effet, j’ai fait le choix de transmettre

mes questions par écrit à ma remplaçante afin qu’elle puisse s’auto-

enregistrer. Ce choix a été motivé par le caractère très réservé de cette

dernière, m’ayant verbalisé son appréhension à être interrogé par moi-même

ou par quiconque. Une fois enregistré cette dernière m’a envoyé le fichier et

32 Certificat d’Aptitude Professionnel aux Pratiques de l’Ecole Inclusive (CAPPEI)


41
j’ai pu retranscrire par écrit ses verbatims en tentant de rétablir le plus

fidèlement possible ses émotions. Les questions étaient orientées sur

plusieurs périodes : avant le remplacement, pendant le remplacement et

après le remplacement. Chaque partie se composait de 7 à 10 questions et

chacune d’elles ont été, de même que tout le reste, construites et dirigées par

mes soins pour étayer ce mémoire.

Le fil rouge de toute cette méthodologie a été de tenter de décrire les

émotions des enseignants. Pour cela j’ai utilisé les théories psycho-

évolutionniste des émotions de Plutchik33 qui cherche à classifier les émotions

générales et complémentaires en établissant « une roue des émotions » :

33 PLUTCHIK, the emotions, 1991.


42
Plutchik considère qu’il y a huit émotions de base ou fondamentales :

- La joie - La confiance - La peur

- La surprise - La tristesse - Le dégoût

- La colère - L’anticipation

Ces huit émotions de base peuvent s’exprimer à divers degrés d’intensité,

symbolisés par la concentration de couleur de fond. Plusieurs d’entre elles

peuvent se combiner aux autres pour former des émotions différentes

représentées sur fond blanc.

Chacune de ces émotions a également une fonction respective :

- La protection - La destruction - La reproduction

- La réintégration - L’incorporation - Le rejet

- L’exploration - L’orientation

Et chacune d’elles fonctionnent par ailleurs en paires opposées :

- La joie – la tristesse

- La peur – la colère

- Le dégoût – la confiance

- La surprise – l’anticipation

Plutchik a alors défini des dyades sur lesquelles nous nous sommes

largement appuyées pour élaborer les résultats de notre étude.

43
5.3. Traitement des données et ébauche de résultats

5.3.1 Analyse des questionnaires papiers :

Pour comprendre le contexte d’enseignement des professeurs interrogés, j’ai

dans un premier temps cherché à connaître leur ancienneté dans leur fonction

professionnelle. Il apparaît ainsi que près de 75% des participants à l’étude

ont plus de 10 ans de service au sein de l’éducation nationale.

Nous pouvons donc en conclure que ce sont des professeurs chevronnés qui

ont passé les années de doutes et d’angoisses véhiculés par le fait d’être néo-

enseignants tel que Ria34 le défini dans ses études respectives.

Il m’a paru également intéressant de connaître dans quel cycle ou quel niveau

ces enseignants professaient :

C’est évidemment sans grande surprise que nous avons trouvé une majorité

d’enseignants du premier degré et étonnamment un échantillon assez

équilibré de cycle 3, cycle 2 et ASH35. Le cycle 1 est inexistant car je n’ai pas

34 Ria et Chalies 2003, Ria et Récopé 2005, Ria 2009.


35 Cycle 2 : CP, CE1, CE2
Cycle 3 : CM1, CM2, 6ème
ASH : Adaptation scolaire et scolarisation des élèves handicapés.
44
cherché à recueillir l’avis des professeurs des écoles maternelles. En effet au

cycle 1 les élèves concernés sont souvent encore en cours de diagnostics et

de fait totalement « intégrés » dans les classes ordinaires.

Dans la première partie de mon questionnaire j’ai cherché à connaître le

ressentis des professeurs des écoles vis-à-vis de leur métier : « aimez-vous

enseigner ? ». A cette question, tous les collègues sans exception répondent

par l’affirmative ! Néanmoins cette unanime réponse positive se traduit par

des émotions différentes selon les cohortes étudiées.

Ainsi chez les collègues de l‘élémentaire dit

classique, c’est un sentiment de confiance qui est

majoritaire avec à parts égales des ressentis de

joie, de surprise, d’anticipation ainsi qu’un peu de

peur.

Chez les collègues de zone d’éducation prioritaire

les ressentis de joie, de confiance et d’anticipation

sont plus nuancées mais toujours présentes. Par

contre la peur laisse place à la colère.

Chez les enseignants spécialisés, de même que

pour les 2 autres cohortes, la joie, l’anticipation et la

confiance sont toujours centrales. Cette fois la peur

45
et la colère, qui ont été citées séparément dans les 2 autres cohortes

apparaissent ensemble. Enfin le sentiment de surprise émerge également ici.

D’après Plutchik les trois émotions les plus citées pour cette question font

référence à l’amour du métier, à la vision optimiste qu’il déclenche et au

ravissement qu’il éveille. Dans la même logique, les sentiments négatifs de

tristesse, de dégoût ne sont jamais évoqués. Ce que l’on peut aisément

rattachés à l’idée de Ria, qu’un enseignant chevronné, autrement dit un

enseignant qui enseigne depuis plus de 7 ans, ne ressent plus d’émotions

négatives vis-à-vis de l’enseignement, si ce n’est un peu d’anxiété légitime à

chaque rentrée.

Dans la deuxième partie du questionnaire j’ai cherché à connaître les

émotions de ces mêmes enseignants vis-à-vis de l’école inclusive.

De fait la première question visait à savoir si l’école inclusive leur semblait

bienveillant pour eux-mêmes. De nouveau à cette question une réponse quasi

unanime, mais cette fois négative : 100% de non chez les collègues de la

cohorte élémentaire, 72% de non pour la cohorte REP+ avec le reste qui est

mitigé (« ça dépend ») et près de 82% de non pour la cohorte ASH avec un

seul oui et quelques mitigés également. L’une des explications semble venir

du manque de soutien de la hiérarchie. En effet comme on peut le voir sur les

graphiques suivants, toutes les cohortes semblent se sentir soutenues par

leur équipe pédagogique alors que ce ressenti semble plutôt mitigé quant au

soutien des familles :

46
A contrario, en ce qui concerne le

soutien par les supérieurs, la

réponse est assez claire :

Ce graphique illustre la réponse négativement unanime toutes cohortes

confondues, à la question « la volonté institutionnelle est-elle adaptée à la

réalité du terrain ? ». Ceci venant corroborer le fait que l’école inclusive serait

vécue comme une violente injonction ministérielle sans soutien pour la mettre

en pratique.

Très logiquement nous pouvons observer de réelles et importantes

différences émotionnelles entre les premières émotions citées sur le fait

d’enseigner et celles ressenties et donc citées pour l’école inclusive :

47
Ainsi ce sont les émotions de colère et tristesse qui sont les plus citées. Pour

Plutchik ces émotions traduisent le mépris, l’agressivité, les remords et le

désappointement. Les enseignants de l’école élémentaire classique ne citent

jamais d’émotions positives à l’égard de l’école inclusive. Chez ceux des

zones prioritaires renforcées ainsi que les enseignants spécialisés, la joie est

tout de même évoquée mais associée au dégoût qui représente tout de même

pour Plutchik un sentiment fort de morbidité.

5.3.2 Analyse du questionnaire en ligne :


Comme pour les premières cohortes j’ai tout d’abord cherché à connaître

l’ancienneté de mes collègues et leur cycle, ou niveau d’affectation.

Il apparaît une bonne

majorité (57,2%),

d’enseignants de plus de 7

ans de service.

C’est majoritairement

des collègues de

cycle 2 qui ont

souhaité répondre au

questionnaire.

48
Dans la suite du questionnaire j’ai souhaité cibler le ressenti de mes collègues

face à l’accueil d’enfants TSA au sein de leur classe étant donné la présence

d'un dispositif ULIS TSA au sein de leur école depuis plus de 15 ans.

Ainsi 100% des enseignants ont répondu avoir déjà accueilli dans leur classe

des enfants présentant ce trouble. Cet accueil pouvant être sous plusieurs

formes :

• Sur des temps dits « d’inclusion scolaire ». Ce terme concerne les

enfants accompagnés par le dispositif ULIS TSA. Nous devrions, au

regard du législateur, nommer ces temps « regroupement au sein des

classes de référence » étant donné que ces enfants accompagnés par

le dispositif ULIS TSA sont censés être inscrits dans une classe

ordinaire et ne venir qu’à certains moments sur le dispositif. La réalité

décrite plus haut dans ce mémoire est éminemment différente, voire

complètement inversée, d’où le terme d’inclusion pour parler de ces

temps en classe ordinaire.

• Ou tout au long de l’année scolaire sans accompagnement de la part

du dispositif ULIS TSA.

Excepté pour un seul élève, la majorité de ces enfants étaient

accompagnés d’une aide humaine lorsqu’ils étaient en classe ordinaire.

Pour les trois quarts, il s’agissait d’une notification pour une aide humaine

individuelle alors que pour les autres le PIAL 36 mettait à disposition, dans

la mesure du possible, une aide humaine mutualisée.

36 Pôle Inclusif d’Accompagnement Localisée.


49
Les enseignants participants à l’étude reconnaissent à l’unanimité leur

difficulté face à l’accompagnement de ces élèves au quotidien dans leur

classe :

Ainsi près de 75% reconnaissent être en grande, voire très grande difficulté.

Néanmoins 100% des enseignants se sentent capables d’accueillir un nouvel

enfant TSA dans leur classe ; mais la plupart éprouve le besoin d’être

accompagné pour apporter de l’aide à cet enfant. Je tiens à préciser ma

surprise quant à cette réponse quasi unanime, étant donné mes difficultés au

quotidien dans cette école sur ces deux ans, à « inclure » dans des classes

ordinaires les élèves accompagnés par le dispositif ! Et pour illustrer mon

étonnement je transcrirais ici quelques commentaires relevés dans les

questionnaires, notamment à la question 9 qui demandait une réponse

ouverte :

- « Difficulté car nécessité d’anticiper et d’organiser »,

- « Surcharge de travail incontestable »,

- « Pas toujours évident et simple car il faut adapter l’emploi du

temps, gérer les imprévus »,

50
- « Les besoins ne sont pas toujours clairement identifiés par les

professionnels car peu de communication »

- « Très difficile »,

- « L’implication des familles problématiques »,

- « Il faut être encore plus précis et orientés »,

- « Hyper complexe ».

Apparaît donc ici plus nettement l’idée d’obstacles, de difficultés qui semblent

infranchissables pour ces professeurs des écoles.

J’ai donc voulu savoir s’il s’agissait d’un manque de formation. Et clairement,

100% des enseignants répondent qu’ils ne se sentent pas suffisamment

formés sur le handicap en général, ainsi que sur le TSA, au sortir de leur

formation initiale. De surcroît, il apparaît que la formation continue ne semble

pas non plus répondre à ce manque.

Pourtant la majorité de mes collègues, près de 72%, déclare avoir déjà mis en

place au sein de leur classe des aménagements ou des adaptations pour ces

enfants. Il semble donc être déjà au fait de ce qu’il faudrait faire au sein de

leur classe pour que cet accueil se passe au mieux.

La dernière partie du questionnaire venait interroger les émotions des

enseignants quant à l’accueil d’enfants en situation de handicap au sein de

leur classe. Pour cela j’ai tenu à différencier l’accueil d’enfants TSA et l’accueil

51
d’enfants porteurs d’autres troubles, étant donné les difficultés

supplémentaires que semblent déclencher les troubles autistiques37.

Pour les émotions ressentis face à l’accueil d’un enfant en situation de

handicap au sein de la classe, trois émotions fondamentales ressortent : la

peur, la joie et l’anticipation ; auxquelles se rajoutent de la tristesse et de

surprise :

D’après Plutchik, ces associations engendrent quelques ressentis positifs, tels

que l’optimisme ou encore le ravissement. Cependant pour la plupart des

combinaisons il s’agit de ressentis hautement négatif, tels que : la crainte,

l’anxiété, le désappointement, le pessimisme ou encore le désespoir !

En ce qui concerne les émotions ressenties face à l’accueil d’enfants TSA les

résultats sont encore plus probants :

37Mickaël Jury, Anne-Laure Perrin, Odile Rohmer, Caroline Desombre, Attitudes Toward
Inclusive Education: An Exploration of the Interaction Between Teachers’ Status and
Students’ Type of Disability Within the French Context. Frontiers in Education, Frontiers,
2021, 6, 10.3389/feduc.2021.655356.hal-03220073
37 https://harris-interactive.fr/opinion_polls/les-francais-et-la-scolarisation-des-eleves-en-
situation-de-handicap-2/

52
Ainsi la peur est toujours au cœur du sujet, ainsi que l’anticipation. Cette

combinaison semble pour Plutchik, révélatrice d’une forte anxiété. Viennent

ensuite la colère, la tristesse, associée à la joie et la surprise. Ces

associations révèlent ainsi de fortes émotions négatives, telles que de

l’agressivité, un important pessimisme et de l’indignation. Néanmoins une

certaine sensation « d’envie » semble également apparaître.

5.3.3 Analyse et confrontation des entretiens

Je vais ici tenter de comparer et d’analyser les deux entretiens d’explicitation

afin d’en exposer les points communs et les différences. Pour cela je parlerai

« des deux enseignantes » comme s’il s’agissait de personnes inconnues en

les nommant respectivement « la titulaire » et « la remplaçante ».

• Relevés des différences notables :

Les émotions ressenties sont très différentes face à l’amour de leur métier.

L’enseignante remplaçante est plutôt sur une dynamique positive d’amour et

de soumission, là où la titulaire est déjà sur une vision plus nuancée, oscillant

entre une vision optimiste et pessimiste de son métier tout en étant dans un

ravissement vis-à-vis de celui-ci.


53
Malgré quelques expériences dans les dispositifs de l’école inclusive, la

remplaçante est novice en la matière comparée à la titulaire. La remplaçante

n’a par ailleurs jamais fait le choix d’intégrer ce type de dispositif.

En ce qui concerne l’autisme, la titulaire avait déjà été confronté à ce type de

profils alors que la remplaçante pas vraiment. Il en résulte des émotions

quelques peu différentes puisque la titulaire se sent plutôt dans une émotion

de soumission face à sa future mission, là où la remplaçante ressent une

certaine crainte vis-à-vis de celle-ci.

La remplaçante semble s’être sentie constamment soutenue, épaulée, aidée

par la titulaire de la classe, qui avait pour sa part, ressentie énormément de

solitude et de mal-être face à sa mission.

La remplaçante semble avoir clairement bien vécue son année, ce qui n’est

clairement pas le cas pour la titulaire. Cette dernière évoque de fortes

émotions de colère et de dégoût, alors que la remplaçante mentionne tout de

même une expérience positive qui lui a procuré beaucoup de joie.

Néanmoins la colère et la tristesse sont également présentes chez la

remplaçante à l’issue de l’expérience.

• Relevés des points communs remarquables :

Il s’agit de deux enseignantes ayant une ancienneté de service identique de 7

ans. Donc au sens de Ria, il semble qu’elles soient toutes deux à la fin de la

période d’angoisse provoquée par l’inexpérimentation et le début du sentiment

de compétences. Elles semblent toutes deux en difficulté pour répondre à

cette question et indiquer leurs compétences ou incompétences en la matière

54
d’enseignement. Leurs réponses sur le fait d’être novice ou chevronnée, sont

de fait assez nuancées. Elles ont par ailleurs toutes deux beaucoup

enseignées en zones d’éducation prioritaires.

Le poste en Ulis TSA leur est « proposé » par hasard et la décision d’y

accéder a été vécue par elles deux comme une perspective stressante,

déroutante voire effrayante. Ainsi ce non-choix semble avoir suscité de vives

émotions de peur. A cette peur s’est rajoutée de la colère pour la remplaçante

essentiellement. Malgré ce, toutes deux semblent guider par l’envie d’essayer,

comme s’il s’agissait d’un challenge auquel elles souhaitaient se confronter.

L’une des ressemblances assez flagrantes chez les deux enseignantes, vient

du ressenti d’abandon par l’inspection et la direction, durant toute l’année

scolaire. Il en ressort même pour la titulaire un sentiment d’aigreur vis-à-vis de

cette hiérarchie qui semble avoir contribué à son renoncement. C’est d’ailleurs

cela qui est cité chez les deux enseignantes en exemple premier d’émotions

négatives : la relation à l’institution. Ainsi ce paradigme institutionnel trop lourd

à gérer, cette « gestion du personnel », cette coordination semblent être les

raisons pour les deux enseignantes de toutes les émotions vécues

négativement sur l’année. Semble apparaître ici les raisons, identiques chez

l’une comme chez l’autre, du refus de reprendre la responsabilité de ce type

de poste, malgré la joie ressentie auprès des élèves et de leur famille.

Effectivement, ce qui est cité en exemple premier d’émotions positives chez

les deux enseignantes c’est évidemment la relation aux enfants, aux élèves.

55
6. Résultats et discussion
Suite au recueil et au traitement des données utilisées pour cette étude, se

dessinent plusieurs axes de résultats que nous tenterons d’expliciter ici en les

illustrant par les concepts littéraires et institutionnels énoncés précédemment.

6.1 Injonctions institutionnelles !

Ce qui ressort en premier lieu de toutes ces données, semble être un

sentiment d’incompréhension face aux injonctions institutionnelles que

représentent l’école inclusive. Effectivement depuis plusieurs années le

législateur impose, ordonne à la société et de surcroît à l’école, de

bouleverser ses habitudes ébranlant parfois les idéologies et l’opinion

publique. Les enseignants semblent ainsi porteurs individuellement d’un

changement de mentalités chimériques et perçoivent alors un sentiment

d’injustice face à une société imparfaite et inégalitaire qui exige que l’école

puisse réaliser ce qu’elle-même ne parvient pas ni à faire ni à garantir.

Il en résulte par conséquent une concentration d’émotions très négatives vis-

à-vis de l’institution : peur, colère, tristesse, contrariété, désappointement,

appréhension, dégoût, etc., font parties intégrantes du quotidien des

enseignants.

Le prolongement direct de ces obscures émotions, semble être un fort

sentiment d’anxiété. Or ce trouble émotionnel traduisant un imposant

sentiment d’insécurité, fait émerger, selon Sutton et Wheatley (2003), des

situations dans lesquelles l’enseignant se sent véritablement mis en péril,

menacé, ou tout simplement l’impression de ne pas être à la hauteur. Par

56
ailleurs ce sentiment d’infériorité est d’autant plus fort s’il s’agit d’enseignant

novice avec moins de 7 ans d’ancienneté, des néo-enseignants comme les

appelle Ria (2009) :

Exemple n°1 de justifications d’une enseignante au sein de son questionnaire.

Apparaît très clairement le fait que celle-ci se sent « démunie ».

Comme le défini le dictionnaire du CNRTL38 une injonction est « un ordre, un

commandement précis, non discutable, qui doit être obligatoirement exécuté

et qui est souvent accompagné de menaces ou de sanctions ». Cette

définition révèle nettement le caractère inhospitalier voire désobligeant d’une

telle demande : « ordre », « commandement », « non discutable »,

« obligatoirement exécuté », « menaces », « sanctions », autant de mots de

vocabulaire qui provoquent intelligiblement des ressentiments éminemment

négatifs et qui semblent incompatibles avec le terrain, la réalité :

Exemple n°2 de justifications d’un enseignant au sein de son questionnaire.


38 Dictionnaire du CNRTL. Consulté le 20 septembre 2018 :

<http://www.cnrtl.fr/definition/injonction>

57
Ainsi dans ce contexte, on peut légitimement se demander comment des

enseignants n’ayant pas choisi d’être sur des dispositifs de l’école inclusive,

comme ce fut le cas pour ma remplaçante, peuvent-ils accepter ce type de

poste, en suivre ces commandements, vivre positivement cette nomination et

mener à bien leur mission ?

Exemple n°3 de justifications d’un enseignant dans son questionnaire.

Apparaît nettement le sentiment de désappointement, de désarroi.

Dans la même logique, comment des enseignants chevronnés en poste

depuis plus de 20 ans, voire plus, qui ont vu défiler les ministères, les lois et

les circulaires énoncées dans la troisième partie de ce mémoire, peuvent ils

être dans le « bon » paradigme voulu par le législateur ? En effet lors de mes

diverses confrontations avec mes collègues chevronnés, il apparaît une

certaine lassitude quant à la succession de ces ribambelles de textes. A cette

lassitude se rajoute pour beaucoup une incohérence, une incompréhension

de ce qu’ils doivent faire. Par exemple, lorsque mes collègues parlent

« d’inclusion », paradigme apparut en 2015, ils parlent en fait « d’intégration »,

paradigme créé en 1975, et de fait, les attentes de l’institution ne

correspondent pas à leurs propres attentes. Ce que les enseignants semblent

résumer par « La réalité, notre réalité, celle du terrain est trop éloignée des

textes » :

58
Exemple n°4 de justifications d’un enseignant dans son questionnaire.

Exemple n°5 de justifications d’un enseignant dans son questionnaire.

On peut ressentir ici dans les exemples 4 et 5, cette colère face aux décisions

gouvernementales, citées précédemment.

6.2 Pas le même métier

Cette étude révèle également une deuxième incompréhension, intrinsèque à

l’école, puisqu’il s’agit d’une affaire de légitimité entre enseignant.

- « Nous ne faisons pas le même métier » ;

- « Je ne sais pas comment tu fais, moi je ne sais pas faire ça et de toute

façon je ne pourrai pas ! »

59
J’ai entendu ces phrases un nombre incalculable de fois durant mes 7 années

de service au sein de l’éducation nationale. Comme si nous ne faisions pas

partie du même corps de métier ; comme si nous n’avions pas eu la même

formation ; comme si j’étais différente au même titre que mes élèves sont

différents ; comme si nous ne parlions pas le même langage…. Pourtant nous

sommes TOUS des professeurs des écoles avec le même diplôme et les

mêmes études...

Se pose ici une inquiétante représentation de l’imaginaire collectif sur le

métier d’enseignant, soi-disant : « le plus beau métier du monde ». Cette

idéalisation suscitant, plus ou moins consciemment, que l’enseignant lui-

même devrait-être parfait, ou en tout cas qu’il devrait réussir à faire ce pour

quoi il s ‘est engagé. Sauf qu’aujourd’hui, l’enseignant se retrouve dans des

situations de plus en plus complexes : il lui faut enseigner à un public de plus

en plus hétérogène en ayant la maîtrise des savoirs, des différents profils

d’élèves ainsi que des divers troubles diagnostiqués ou non. Tout ceci

éprouve logiquement ce système idéal. L’enseignant se retrouve alors dans

un inextricable système dans lequel il ne se sent ni efficace, ni légitime. En

effet, comme défini précédemment, Albert Bandura (2003) explique que le

sentiment d’auto-efficacité personnel se base sur les compétences que l’on a

de soi-même. Sans ce sentiment d’efficacité ou cette sensation de

« capabilité », nous sommes incapables de nous engager dans quoi que ce

soit. De fait, nous abandonnons ; et ceci pour ne pas ressentir ce sentiment

destructeur défini par Daniel Favre (2010) dans lequel l’insécurité prend toute

la place. Ainsi, les enseignants face à cet idéal déchu, ne parviennent plus à

reconnaître la réalité de leur métier, leur idéal ; ils glissent peu à peu vers ce

60
sentiment d’inconfort et d’incompétence, engendrant une impossibilité à

s’enrôler dans la tâche et à faire évoluer leur pratique.

Dans le même sens, ce qui ressort des deux entretiens d’explicitation, c’est

cette éminente complexité que représente le travail de coordination. En effet,

cette organisation ne fait pas partie de la représentation enseignante, ni de

l’idéal enseignant. Comme explicité dans la troisième partie de ce mémoire

(partie 3.4), un changement majeur s’est opéré en 2015 pour l’enseignant en

poste sur des dispositifs de l’école inclusive : il devient coordonnateur. Ceci

impose donc aux enseignants de quitter leur posture individuelle dans leur

classe, pour travailler dans un nécessaire collectif de partages de

connaissances et d’informations. Il est obligé de travailler en équipe

pluridisciplinaire, avec les responsables légaux, l’équipe pédagogique

enseignantes, les aides humaines collectives ou individuelles, les partenaires

extérieurs, la direction, l’inspection...etc. C‘est d’ailleurs ce que relève la

remplaçante comme difficulté majeure :

« - C’est vraiment ce qui a été le plus dur pour moi : cette gestion du

personnel bien plus que la gestion du handicap des enfants

contrairement à ce que j’aurai pu penser avant le remplacement. »

Extrait n°1, verbatims F. Bourdiol.

Ce travail de coordination prend en effet une place conséquente si l’on veut

gérer de manière cohérente et organisée, pour faciliter l’inclusion de l’enfant,

tout en développant son autonomie. En effet de mon côté je dénombre près

d’une centaine de partenaires à contacter régulièrement pour accompagner

les 8 élèves du dispositif. C’est ainsi ce « nécessaire collectif » qui incitera la

61
remplaçante à ne pas postuler sur ce type de poste alors qu’elle y a passé de

bons moments :

« - Je n’ai à l’heure actuelle pas envie d’enseigner en ULIS TSA. Il y a

certes des points qui m’ont plu et j ‘ai passé de bons moments avec les

enfants, il y a dans ce dispositif des choses qui me correspondent plus

au final que dans une classe ordinaire. Cependant (…) la coordination

nécessaire (...) est un gros point négatif (…). Cela peut devenir un

poids, être épuisant et de ce fait gâcher complètement le travail du

quotidien auprès des enfants (…). Je ne suis pas prête pour l’instant,

peut-être que je le serai un jour quand j’aurai plus de maturité (…) »

Extrait n°2, verbatims F. Bourdiol.

6.3 Peur des TSA


Au même titre que le modèle idéal du métier enseignant semble être

bouleversé, le modèle idéal de l’élève incarné dans l’enfant autonome,

capable d’apprendre sans aucune difficulté par la seule transmission frontale

de l’adulte, se voit aujourd’hui mise à mal par une école qui scolarise chaque

année de plus en plus d’enfants en situation de handicap.

Ainsi ce qui ressort de cette étude c’est des enseignants qui revendique être

empêchés de faire leur métier avec ces enfants dits à besoins éducatifs

particuliers.

- « Comment faire notre métier si nous sommes empêchés ? »

- « Je ne connais rien à l’autisme ! Je ne suis pas formée ! »

62
En effet un problème de connaissances et donc de formations semble existant

et presque tous les enseignants interrogés soulèvent cette difficulté :

Surtout en ce qui concerne l’autisme puisque même la circulaire du 08 mars

2005, relative à la politique de prise en charge des personnes atteintes

d’autisme et de Troubles Envahissants du Développement (TED) reconnaît la

grande difficulté pour l’école d’accueillir des enfants TSA qui ne peuvent pas

se conformer, ou très difficilement, aux codes de l’école :

« Les manifestations de ce syndrome sont en effet particulièrement

difficiles à concilier avec l’exercice de l’enseignement qui s’effectue

63
toujours dans un cadre collectif et qui repose, pour une large part, sur

les interactions que nouent les élèves au sein de la classe. »

Extrait de la circulaire du 08/03/2005 (-II3-1 b)

La résultante de cette non connaissance des troubles autistiques dû à un

manque incontestable de formation, ajouté au sentiment d’incompétence

décrit précédemment engendre « un acteur affaibli » comme le nomme Daniel

Favre (2010) qui devient lui-même affaiblissant pour le système puisque les

besoins élémentaires ne sont pas satisfaits.

Ainsi il semble que face à l’autisme, le besoin de sécurisation qui permet aux

enseignants de prendre plaisir à faire ce qu’ils doivent faire en ayant

confiance en eux est mis à mal. Le moteur de l’individu qui semble être la

base de l’épanouissement personnel optimum ne fonctionne plus : la peur

prend le dessus. Les enseignants semblent se retrouver dans un

environnement instable et imprévisible propice aux situations de crises, aux

angoisses et au dépérissement. C’est ce que Daniel Favre nomme le

SM1p où l’enseignant se retrouve bloqué dans une boucle de dépendance qui

empêche littéralement son développement psychique. Il ressent une

insécurité physiologique et ne peut plus réguler ses besoins, ses tensions, ses

émotions, entraînant ainsi un sentiment d’inefficacité et d’inertie où l’auto-

régulation est impossible et où l’épanouissement dans son travail semble

inaccessible.

64
CONCLUSION
Ce mémoire tentait de cerner ce qui engendre une véritable insécurité

émotionnelle chez les professeurs des écoles lorsqu’il est question d’inclure

des élèves à besoins éducatifs particuliers au sein de leur classe et

notamment lorsqu’il s’agit d’enfants porteurs de troubles autistiques. Il

s’agissait ainsi de comprendre quelles sont les raisons de ce pesant écart

existant entre le prescrit et le réel, de comprendre ce qu’il se joue pour ces

enseignants, de mesurer les émotions ressenties.

Cette étude révèle donc cette complexe et délicate mission qu’est l’école

inclusive, provoquant ce douloureux sentiment d’incompréhension entre les

personnes de terrain et le législateur. En effet ces injonctions ministérielles qui

se succèdent d’années en années semblent influer négativement sur les

émotions des enseignants, provoquant un large spectre d’anxiété et de stress.

Or ces ressenties négatifs engendrent au quotidien un sentiment d’inefficacité

et d’incompétences qui se traduit par une forte inertie des acteurs du système.

Les enseignants qui ne reconnaissent plus leur métier idéal, se retrouvent

alors dans un inextricable système dans lequel ils ne se sentent ni efficaces,

ni légitimes.

Cette étude révèle également ce sentiment d’incompétences ressenties face à

la méconnaissance des troubles et notamment des troubles du spectre

autistique. En effet ces enfants « différents » viennent bouleverser l’image

idéale que les enseignants ont d’un élève, et ce chamboulement émotionnel

vient encore une fois provoquer un état d’angoisse et de peur engendrant un

65
douloureux ressenti d’insécurité où l’épanouissement personnel semble

impossible.

Mais alors comment faire pour que cette école inclusive réalise enfin ce

pourquoi le législateur l’a pensé et qui fait pourtant consensus : une école, et

au-delà, une société, accessible à tous ? Comment faire pour que les acteurs

de l’école inclusive se sentent légitimes et compétents pour la porter ? Qu’est-

ce qui pourrait permettre d’inverser ces sentiments négatifs en ressentis

positifs ? Il est évidemment difficile de répondre à cette question, mais en

prenant un recul historique, au vu de l’échelle du temps entre l’élaboration de

l’école inclusive et la création de l’école obligatoire, il semble que l’histoire

amérindienne de la légende du colibri pourrait être une réponse adaptée ou

du moins intéressante :

« Si là où je me trouve, je fais ma part, alors j’agis et je fais la

différence à mon échelle. »

66
BIBLIOGRAPHIE

Législatif :

✓ Loi d’orientation n°75-534 du 30 juin ;

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charge des personnes atteintes d’autisme et de Troubles Envahissants du

Développement ;

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élèves en situation de handicap ;

✓ Circulaire n°2017-026 du 14 févier 2017, relative au Certificat d’Aptitude

Professionnelle aux Pratiques de l’Education Inclusive (CAPPEI) ;

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des AESH ;

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✓ https://harris-interactive.fr/opinion_polls/les-francais-et-la-scolarisation-
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✓ Dictionnaire du CNRTL. Consulté le 20 septembre 2018 :

http://www.cnrtl.fr/definition/injonction

✓ https://autismediffusion.com

✓ https://proaidautisme.org/nos-formations/

71
ANNEXES

1. 23 questionnaires des 3 cohortes d’enseignants ……………….. 73

2. Synthèse des 7 questionnaires numériques des enseignants de


l’école de La Gazelle ………………………………………...……..119

3. Retranscription intégrale de l’entretien semi-dirigé de la


remplaçante ……………………………………………………….. 127

4. Retranscription intégrale de l’entretien d’auto-explicitation de la


titulaire …………………………………….…………… .…………..137

72
ANNEXE 1 :

A. Cohorte 1 : 5 questionnaires enseignants élémentaires

73
74
75
76
77
78
79
80
81
82
B. Cohorte 2 : 7 questionnaires enseignants élémentaires
zones d’éducation prioritaire

83
84
85
86
87
88
89
90
91
92
93
94
95
96
C. Cohorte 3 : 11 questionnaires enseignants ou en
formation

97
98
99
100
101
102
103
104
105
106
107
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109
110
111
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113
114
115
116
117
118
ANNEXE 2 :

Résumé des 7 questionnaires numériques

des enseignants de l’école de La Gazelle

119
120
121
122
123
124
125
126
ANNEXE 3 :

Retranscription intégrale

Entretien semi-dirigé

Présentation :

Peux-tu te présenter succinctement ?

Je m’appelle Fleur Bourdiol, j’ai 35 ans ;

Depuis quand enseignes-tu ?

J’enseigne depuis 7 ans.

Quel type de poste occupes-tu ?

Actuellement j’ai un poste de remplaçante, donc titulaire remplaçante depuis


euh, depuis 5 ans ; Les 2 premières années donc mon année de stage j’ai eu
une classe de CE2, en REP, REP+ même d’ailleurs et euh l’année d’après
donc ma deuxième année j’étais à mi-temps, j’étais aussi en REP j’avais des
CE2-CM1 et des CE2.

Tout ça en île de France, je suis remplaçante depuis, depuis 5 ans depuis que
je suis revenu dans la région.

Sur quelles clases as-tu enseigné ?

Un peu toutes, toutes les classes tous les niveaux de la petite section
jusqu’en SEGPA au collège, SEGPA ça été quand même assez long l’année
dernière j’y suis restée 2 mois et demi à peu près mais bon comme c’était en
fin d’année il n’y avait plus vraiment beaucoup d’heures de cours et et voilà et
euh j’ai surtout fait de la maternelle en fait si je fais le bilan depuis, depuis 5
ans ça était surtout des postes en maternelle que j’ai eu.

Te considères-tu comme une enseignante novice ou chevronnée ?

Novice ou chevronnée c’est euh compliquée comme question, ni l’un ni l’autre


je dirais, euh je suis pas novice parce que j’ai quand même vu pas mal de

127
choses mais après, euh, étant remplaçante j’ai jamais approfondie non plus
chacun des niveaux dans lesquels j’ai été donc euh voilà mais euh et euh
chevronnée non pas du tout j’ai encore tellement de choses à, à apprendre.

Aimes-tu enseigner ?

Euh question compliquée je disons que non du fait que je sois remplaçante je
pense que c’est un peu biaisé euh il faut que je euh rentre dans les clous à
peu près des titulaires que je remplace ou du moins au début pour que les
enfants ne soient pas trop perturbés donc bon ça me demande une certaine
adaptation et un temps d’adaptation aussi avec les enfants, le temps où ils me
testent euh donc j’ai plutôt l’impression de faire la police la plupart du temps
que d’enseigner mais sur les temps d’enseignement oui euh j’aime, j’aime ça.

Quelles émotions te procures l’enseignement en général :

Du coup j’ai regardé un peu ta ton


étoile là donc je dirais de
l’appréhension, du fait toujours de mon
de mon statut de remplaçante je sais
jamais vraimet sur quoi je vais tomber
et euh en ce qui concerne les parents
les élèves les locaux etc donc ça
amène quand même une petite
incertitude du fait de l’appréhension
que je peux ressentir, après une fois que je suis en place dans la classe y a
plus de y a plus vraiment d’appréhension mais tout dépend évidemment des
élèves des profils qu’il ya dans la classe il peut y avoir quand même des
appréhesion pour savoir dans quel état peuvent être les enfants dans quel
état on peut les trouver si ça va pas dégénérer quelque chose comme ça et
ça c’est pas que en ULIS TSA.

Deuxième émotion je pourrais dire la joie quand même quand vraiment la


classe tourne bien euh c’est très plaisant de voir les évolutions que peuvent
avoir les enfants en fonction de ce qu’on a pu mettre en place etc ça a un côté
quand même assez joyeux et puis euh comment dire c’est assez satisfaisant.

128
Il y a aussi beaucoup de frustration pour ma part euh toujours pareil du fait de
mon statut en fait je vois pas vraiment l’évolution dans ce que je peux mettre
en place je reste pas rès longtemps dans les classes et de la frustration aussi
euh alors comment expliquer quand euh dans une classe ordinaire quand
eud quand il y a des enfants qui posent qui posent problème qui perturbent la
classe je passe bo j’ai l’impressio de passer beaucoup de temps avec eux et
très peu de temps avec les autres qui en ont besoin et eux ça génère en moi
beaucoup beaucoup de frustration de pas pouvoir contenter euh ben en fait ni
l’enfant qui perturbe ni les autres enfants donc eux c’est assez déroutant et
euh assez dérangeant pour moi pour ma vision du métier. Au final j’ai
l’impression de survoler un peu un peu tout ça et personne n’y trouve
vraiment son compte en fait ni les enfants qui qui sont dans l’attente
d’apprentissage et tout ça ni l’enfant qui qui est mal parce qu’il est à l’école et
qu’il est pas bien accompagné et ni moi qui en fait euh ne peut accompagner
ni les uns ni les autres.

De ce fait pour ne pas trop souffrir de ça euh je pense que je peux utiliser
aussi le terme résigation de ton étoile parcequ’en fait pour me protéger de tout
ça je prends beaucoup de recul maintenant et je pense que ça s’apparente
beaucoup à de la résignation.

Avant le remplacement en ULIS TSA :

Avant d’intégrer ce remplacement, avais-tu déjà enseigné sur un


dispositif de l’école inclusive ? Si oui lesquels ? Dans tous les cas (oui
ou non) était-ce un choix de ta part ?

Oui j’avais déjà fait des remplacements en école inclusive mais jamais plus de
2 jours pour ULIS, ULIS école, euh et en fait les parents les avait très peu
scolarisés sachant que c’était une remplaçante et euh j’ai fait aussi 2 mois de
SEGPA dans un collège à Beaucaire je sais pas si c’est considéré comme
école inclusive la SEGPA mais je pense que oui et non à chaque fois ce
n‘était pas du tout un choix de ma part !

129
Que connaissais-tu de l’école inclusive auparavant ? Que pouvais-tu en
dire ? Quelles émotions te procurait-elle ?

Pas grand-chose ! On nous en parle très peu lors de notre formation donc en
fait avant d’être envoyée en ULIS je n‘avais jamais entendu parlé de ces
classes-là, au niveau du fonctionnement des élèves, qui peuvent être reçus,
tout ça, je ne savais rien… euh du coup je ne pourrais pas en dire grand-
chose et les émotions que ça procure c’était plutôt de l’appréhension,
beaucoup d’appréhension parce que c’est des élèves qu’il faut forcément
connaître, euh connaître, il faut qu’ils nous connaissent aussi pour que ça se
passe bien niveau relationnel et niveau fonctionnement d’autant que là j’ai su
que j’allais faire un remplacement en ULIS TSA donc avec des enfants
atteints d’autisme.

Connaissais-tu les Troubles du Spectre de l’Autisme ? Quelles


émotions suscitait ce trouble chez toi ?

Donc c’est un trouble que je connaissais pas, pas du tout. Oui je ne


connaissais rien du tout à l’autisme. J’en avais entendu parlé, je sais que
j’avais eu des élèves atteints de ces troubles là mais euh mais je savais aussi
que c’est hyper large comme euh comme euh comme pathologie du coup euh
voilà c’était beaucoup d’anxiété à savoir comment j’allais m’adapter moi je
voyais surtout le côté les enfants atteints d’autisme font des crises euh c’était
surtout cet aspect-là à savoir comment je vais gérer gérer ces crises là je sais
aussi qu’ils ont besoin de beaucoup de stabilité etc et moi forcément
j’apportais de l’instabilité donc voilà je savais que j’allais m’exposer à pas mal
de difficultés.

Les émotions c’était plus des euh ‘fin c’était que des émotions négatives en
fait, de l’anxiété, de l’appréhension, euh de l’insécurité, donc voilà c’était
vraiment que du négatif surtout sans aucune formation là-dessus quoi.

Le remplacement :

Comment es-tu arrivée sur ce remplacement ?

130
Je suis arrivée comme n’importe quel autre remplacement lambda, donc j’ai
reçu une euh un ordre d’affectation me disant que … que…. Avec toutes les
dates etc et sans aucune précision sans que l’on m’ait contacté au préalable
euh voilà !

Avais-tu déjà émis le souhait d’enseigner sur ce type de dispositif ?

Non, jamais mais après je suppose que comme les autres fois où j’ai pu être
en remplacement en école inclusive ça s’est relativement bien passé euh je
me dis que, qui, ce sont peut-être dit, que ça pouvait correspondre et qu’il
fallait tenter !

Ah si je me souviens d’un truc en fait, j’ai jamais émis le souhait d’enseigner


sur ce type de dispositif par contre j’avais eu mon, mon, mon truc de carrière
là, mon entretien de carrière l’année d’avant et donc avec l’inspectrice j’avais
par contre pas mal parlé du fait que j’avais du mal à gérer les enfants euh
atteints de troubles dans la classe et que ça me euh dérangeais beaucoup ça
me frustrais beaucoup de ne pas pouvoir les aider et que du coup ça
pénalisait aussi les autres enfants donc euh on avait discuté un peu de ça
donc je sais pas, peut-être que l’inspectrice s’est dit que je pouvais avoir le
profil et que moi j’étais sensible à ce euh genre de public !

Comment as-tu réagi quand tu as su qu’il s’agissait d’une ULIS TSA ?

Quand j’ai appris que, qu’il s’agissait d’une ULIS TSA ça été la catastrophe
(rire), beaucoup de panique surtout ben qu’c’est, que je l’ai appris la veille de
la rentrée après le remplacement arrivait pas tout de suite mais euh, mais
voilà quand même beaucoup de panique euh, car je ne connaissais rien du
tout au dispositif je ne connaissais rien du tout euh aux enfants, euh, voilà je
savais même pas du tout qu’il y avait d’autres personnes euh donc des AESH
dans la classe fin voilà tout ça je, c’était l’inconnu euh c’était vraiment
l’inconnu donc ça m’a apporté beaucoup euh de peur et aussi beaucoup
d’énervement en fait qu’on me qu’on m’envoie sur un dispositif comme ça
alors sans me prévenir avant et sans que l’on me forme.

Qu’as-tu ressenti comme émotions : de la peur ? de la colère ? de la


joie ? de la tristesse ? de la confiance ? du dégoût ? de l’anticipation ?

131
de la surprise ? (Tu peux en citer plusieurs voire d’autres sur la roue ci-
dessus).

Donc oui de la peur et de la colère aussi !

As-tu pensé à refuser ce remplacement ?

Oui, mais j’ai été très vite contacté par la titulaire de la classe et c’est
d’ailleurs elle qui m’a appris, la nouvelle et euh du coup le feeling est passé et
elle m’a beaucoup rassuré donc euh je me suis dit que j’allais essayer au pire
selon que ça se passait mal j’en parlerais plus tard mais qu’il fallait au moins
que j’essaye.

T’es-tu sentie épaulée/aidée durant ce remplacement ? Pourquoi ?

Oui beaucoup par la titulaire de la classe, par les AESH du dispositif donc les
AESH co. Il y a constamment eu un lien avec euh la titulaire même quand elle
était en formation je savais que dès que j’avais une question elle me
répondrait ‘fin sur les prises de décisions concernant les enfants concernant
les parents ‘fin sur vraiment tout, tout le travail était prêt, avant chaque euh
chaque remplacement on se contactait pour que, pour faire le point, à la fin
des remplacements aussi, ‘fin c’était vraiment euh c’était vraiment très
rassurant.

Elle a même accepté que je vienne euh voir euh, ‘fin rencontrer, la rencontrer
et rencontrer les AESH euh une après-midi donc pour qu’on discute pour
qu’elle m’explique un petit peu donc en fait avant même de, d’effectuer le
premier remplacement j’étais déjà venue dans le dispositif et j’avais déjà vu
les locaux et rencontrée les personnes avec qui j’allais travailler donc euh ça
aussi ça a eu un côté très très rassurant.

Et du coup c’est tout ça qui a contribué au fait que, que je n’ai pas eu envie de
de refuser le remplacement par la suite parce que, parce que, je m’y suis
sentie bien grâce à tous les tous les euh, ah non pas tous les adultes, mais
(rire) grâce à, aux AESH co et à la titulaire de la classe parce que c’était
vraiment un soutien et un appui et vraiment je ne me suis jamais sentie
abandonnée.

132
Ah et j’ai oublié d’ailleurs dans les soutiens etc quand même les parents car
ils ont joué quand même un rôle assez importants et il y avait vraiment
beaucoup de lien avec eux, c’est le premier remplacement où vraiment j’ai un,
une relation comme ça avec les parents du fait forcement de leur enfant mais
euh mais c’était très plaisant aussi cet aspect-là pouvoir échanger et puis
savoir que qu’on pouvait toujours s’arranger avec eux en fait et euh ça un côté
quand même euh ça enlève un certain poids.

T’es-tu sentie perdue/abandonnée ? Pourquoi ?

Je ne me suis jamais sentie abandonnée par ELLES ! Mais euh par contre
euh … tout le côté euh … comment dire direction d’école, inspection etc …
euh là c’était quand même beaucoup moins … beaucoup moins… cool ! Et
encore je pense que j’ai été épargné du fait que je sois remplaçante, euh mais
bon pas vraiment de soutien de la part de la direction quand euh des AESH
étaient en arrêt, donc elle n‘étaient pas remplacées et on ne mettait pas à
disposition celles étant sur l’école. Donc c’est plus ce côté gestion des AESH
en fait qui a été difficile à gérer et les moments où je me suis sentie perdue
c’est quand euh j’apprenais qu’une AESH allait être absente notamment les
AESH individuelles et donc perdue parce que euh je ne savais pas comment
réorganiser le dispositif pour euh pour que tout le monde soit à peu près
contenté ; car je vais que je ne pouvais pas compter sur le sur le, l’aspect
direction d’école.

L’après :

Maintenant que ce remplacement est terminé que peux-tu en dire ?

Du coup ce que je peux en dire maintenant c’est que euh finalement malgré
toutes mes appréhensions c’était une expérience plutôt positive parce que je
me suis sentie bien dans l’équipe, euh, bien avec les enfants, euh toutes les
appréhensions que je pouvais avoir en fait était gommées par euh ben par le
fait que je me sois sentie vraiment soutenue et épaulée durant les jours
passés dans le dispositif donc le bilan est plutôt positif.

133
Que ressens-tu comme émotions maintenant : de la peur ? de la colère ?
de la joie ? de la tristesse ? de la confiance ? du dégoût ? de
l’anticipation ? de la surprise ? (Tu peux en citer plusieurs ou d’autres
qui te semblent plus à propos).

Du coup si je dois décrire par des émotions maintenant, alors je dirais, de la


colère quand même toujours parce que ça a confirmé que euh qui y a quand
même très peu de soutien euh des personnes euh au-dessus entre guillemets
et que ça nécessite quand même ‘fin ce genre de dispositif nécessite quand
même beaucoup de coordination et euh contre tout le monde et euh y a des
endroits quand même où ça coince donc euh ça je m’en doutais et puis on le
voit quand même un peu tous les jours même quand c’est pas en école
inclusive mais donc voilà ça été confirmé et ça voilà c’est plutôt de la colère et
du, pas du dégoût parce que c’est trop fort et qu’il faut réussir à se détacher
de tout ça mais euh, mais voilà c’est quand même un peu de colère et de
déception.

Mais comme autre émotion je dirais quand même de la joie car l’expérience a
été euh, a été positive, j’ai appris beaucoup de choses, j’ai rencontré des
personnes très euh très positives aussi et euh et voilà ça m’a quand même
beaucoup apporté c’était très enrichissant dans la vie de tous les jours et puis
même pour mes autres remplacements quand je suis face à des enfants
atteints de troubles autistiques euh ben je sais un peu plus m’adapter prendre
du recul et essayer de voir ce qui peut être fait avec eux.

Et comme autres émotions je pourrais aussi dire de la tristesse de plus


travailler avec les personnes que j’ai pu rencontrer et euh et aussi de ne pas
pouvoir voir les enfants évoluer euh car euh car je, je ‘fin c’est, ils sont
tellement un petit nombre en fait on passe beaucoup beaucoup de temps
avec eux on s’implique beaucoup au quotidien auprès d’eux et euh et ensuite
c’est quand même un déchirement c’est quand même un petit peu fort comme
terme mais euh ça fait un petit quelque chose de plus les côtoyer surout de,
de ne pas savoir ce qu’ils vont devenir, comment ils vont évoluer etc.

134
Si tu devais décrire, par des exemples des émotions négatives
ressenties durant ce remplacement, quels seraient-ils ?

Alors, par exemple, lorsque plusieurs AESH individuelles étaient absentes et


que l’on ne m’a mis à disposition aucune AESH de l’école, alors qu’à l’inverse
dès qu’il manquait une AESH de l’école on s’empressait de prendre une
AESH co de l’ULIS ! Du coup je ressentais un sentiment d’abandon et
d’injustice parce que c’était aussi et surtout les enfants qui en subissaient les
conséquences : plus d’inclusion ou inclusion dans de mauvaises conditions,
trop d’élèves en même temps dans le dispositif donc peu de temps à
consacrer à chacun, ce qui a entraîné chez certains un sentiment d’insécurité
et donc d’agitation et de mal-être. C’est vraiment ce qui a été le plus dur pour
moi : cette gestion du « personnel » bien plus que la gestion du handicap des
enfants contrairement à ce que j’aurais pu penser avant le remplacement.

Par contre je pense que j’ai oublié pas mal de choses, donc difficile de me
souvenir d’exemples concrets…

Si tu devais décrire, par des exemples, des émotions positives


ressenties durant ce remplacement, quels seraient-ils ?

Par exemple, quand Inès arrive, que tu ne l’as pas vu depuis plusieurs jours et
qu’elle te fonce dessus pour te faire un câlin, c’est gratifiant et tu sens que tu
as une valeur auprès d’eux, que tu n’es pas là pour rien !

Mais aussi tous les petits progrès du quotidien des enfants suscitent
également des émotions positives : quand Ayman réussit à déchiffrer des
mots, quand Kenza formule une question sans agressivité (rire).

Et le fait d’avoir un lien constant avec les parents, chose que l’on n’a jamais
en classe ordinaire du moins pas de façon aussi présente. Il y a un échange
quotidien avec eux et sain, tout le monde va dans le même sens et c’est très
plaisant.

135
Souhaiterais tu enseigner en Ulis TSA maintenant que tu as une
expérience de 12 semaines ? Sur d‘autres dispositifs de l’école
inclusive ? Dans tous les cas pourquoi ?

Je n’ai à l’heure actuelle, pas envie d’enseigner en ULIS TSA. Il y a certes des
points qui m’ont plus et j’ai passé de bons moments avec ces enfants, il y a
dans ce dispositif, des choses qui me correspondent plus au final que dans
une classe ordinaire. Cependant je trouve qu’il y a quand même une grosse
part d’aléatoire ! C’est inquiétant ! Notamment concernant les AESH, il faut
vraiment qu’il y ait une osmose et si ce n’est pas le cas le travail et le
quotidien peuvent vraiment s’en ressentir et le plaisir que j’ai pu prendre lors
de ces remplacements pourrait vraiment ne plus exister !

De plus la coordination nécessaire avec les enseignants de l’école, la


direction et la hiérarchie est un gros point négatif car il suffit que cela ne
fonctionne pas pour que tout devienne vraiment compliqué et pesant… Cela
peut devenir un poids, être épuisant et de ce fait gâcher complètement le
travail du quotidien auprès des enfants.

Mais je ne dis pas que je n’aurai jamais envie d’enseigner en ULIS TSA car il
est ressorti aussi beaucoup de satisfaction, je ne suis pas prête pour l’instant,
peut-être que je le serai un jour quand j’aurai plus de maturité et si j’arrive à
prendre du recul.

Enseigner dans un autre dispositif de l’école inclusive ne m’attire pas non


plus…

136
ANNEXE 4 :

Retranscription intégrale

Entretien d’auto-explicitation

Présentation :

Est-ce que je peux me présenter succinctement ?

Oui, je m’appelle Safia Saakovidi, j’ai tout juste 40 ans ;

Depuis quand j’enseigne ?

J’enseigne depuis maintenant 2015, donc ça fait 7 ans.

Quel type de poste j’occupe ?

Alors actuellement je suis sur un poste, euh, je suis coordinatrice ULIS TSA à
l’école de la Gazelle, c’est ma deuxième année. J’ai intégré le dispositif en
septembre 2020, euh voilà.

Sur quelles clases ai-je enseigné ?

Alors j’ai enseigné, mon année de PES, donc juste après avoir passé le
concours, j’ai enseigné en maternelle principalement, sur des classes de
petite section et de grande section dans des zones d’éducation prioritaires
renforcées. Puis ensuite j’ai tout de suite intégré de l’enseignement spécialisé,
euh j’ai fait plusieurs types de postes sur de l’enseignement spécialisé, j’ai
enseigné en ULIS collège en REP+ également, j’ai enseigné en ULIS
élémentaire avec troubles des fonctions cognitives, j’ai eu plusieurs postes
principalement en REP+ ou en REP, et donc depuis 2 ans je suis sur un poste
d’ULIS TSA comme je l’ai dit tout à l’heure. Et j’ai également fait euh une
année enCM2 sur une école élémentaire en REP+ c’était à mon retour de
congé parental donc j’ai fait que quelques mois puisque je suis revenue en
milieu d’année.

Me considère-je comme une enseignante novice ou chevronnée ?

137
Hé bien je dirais que quand même là depuis euh, aujourd’hui je me considère
comme une enseignante chevronnée pour certaines choses surtout depuis
cette année où j’ai quand même acquis euh un certain nombre de
compétences euh en la matière, par rapport à l’école inclusive hein euh tout
ce qui est troubles je commence à bien, bien maitriser le sujet, donc oui je
dirais que oui, chevronnée. Après y a plein de postes que je n’ai pas fait, (rire)
dans l’ordinaire principalement même si j’ai enseigné quand même quelques
années en ordinaire, je n’ai pas fait toutes les classes. Donc par exemple je
me considère novice en ce qui concerne le programme (rire) que je suis
obligé de revoir à chaque fois que j’ai un enfant, un élève que je pars de ses
besoins, je suis obligée d’aller chercher dans les programmes exactement là
où il en est, ça par exemple je me considère comme novice, je ne sais pas le
programme de CE2 par exemple ! Mais dans tout le reste, oui je pense que je
suis une enseignante chevronnée.

Est-ce que j’aime enseigner ?

Oui clairement j’adore, (rire) c’est pour ça que je me suis reconvertie à la base
je suis pas une enseignante je suis une éducatrice euh ce que j’aime dans
l’enseignement c’est la transmission de pouvoir, pouvoir prendre l’enfant tel
qu’il est et l’emmener juste à la marche au-dessus et avancer petit à petit, oui
ça c’est quelque chose que j’apprécie tout particulièrement. Après j’aimais
aussi ça en tan t qu’éducatrice donc c’est pas propre à l’enseignement c’est
vraiment propre au rapport aux enfants à pouvoir les faire évoluer à voir euh
juste euh un peu plus loin que ce qu’ils ne sont, que ce qu’ils n’ont acquis
pour le moment que ce soit dans l’enseignement comme dans le
comportemental, dans l’éducation du coup. Après si je devais enseigner en
ordinaire je dirais que non je n’aime pas enseigner parce que j’aime enseigner
dans le spécialisé, il me semble qu’enseigner dans l’ordinaire c’est trop
contraignant pour moi.

Quelles émotions me procure l’enseignement en général :

Alors j’ai du mal à répondre à cette question sur l’enseignement « en


général » parce que c’est vrai que dans mon parcours j’ai fait beaucoup
d’enseignement spécialisé donc je vais plutôt répondre sur cet enseignement-
138
là, euh pour moi enseigner ça me procure beaucoup de surprise parce que je
cherche à connaître l’enfant tel qu’il est et comme je l’ai dit tout à l’heure à le
faire évoluer juste sur la marche du dessus, donc c’est beaucoup de surprise,
beaucoup d’anticipation, parce que dans mon métier d’enseignant spécialisé il
faut pouvoir anticiper toutes crises, tout problème, tout trouble, pour ne pas
euh pour ne pas en rajouter, rajouter de la difficulté, et puis ça me provoque
aussi beaucoup de joie parce que souvent ce sont des, des réussites qu’on a
en face de nous y a peu de moment peu de moment où on peut ressentir de
la, euh, de la tristesse, il y en a souvent quand les élèves n’ont pas la bonne
notification ou n’ont pas l’aide qu’on aimerait qu’ils aient, euh et puis parfois
de la colère, beaucoup de colère face à l’institution, aux problèmes
institutionnels, face à cette maltraitance institutionnelle.

Avant le poste en ULIS TSA :

Avant d’intégrer ce poste, avais-je déjà enseigné sur un dispositif de


l’école inclusive ? Si oui lesquels ? Dans tous les cas (oui ou non) était-
ce un choix de ma part ?

Ben ça j’ai déjà répondu tout à l’heure, euh oui j’avais déjà fait des dispositifs
de l’école inclusive, principalement sur des postes d’ULIS TFC que ce soit en
élémentaire ou en collège, euh c’était bien sur un choix de ma part puisque
ma reconversion dans l’enseignement était pour enseigner sur du spécialisé
essentiellement.

Qu’est-ce que je connaissais de l’école inclusive auparavant ? Que


pouvais-je en dire ? Quelles émotions me procurait-elle ?

J’en connaissais déjà pas mal puisque j’avais déjà été sur plusieurs postes de
coordination. Mais clairement je crois que j’ai oublié ce que je savais avant
parce que ce poste-là, en ULIS TSA m’a profondément chamboulé, m’a
profondément changé, c’est un poste très particulier euh qui m’a demandé
d’acquérir des compétences euh folles (rire), des compétences, euh, il a fallu
que je m’adapte tellement vite, que je change ma façon de voir les choses sur
tout, sur TOUT ! La coordination, le travail avec les collègues, être chef de

139
service par rapport à toutes les AVS, les AESH que je coordonne, le rapport
aux partenaires et bien sûr le rapport aux enfants. Les enfants TSA je n’avais
jamais travaillé avec eux dans une école et c’est quand même extrêmement
particulier car il y a vraiment un rapport très particulier très très différent euh
c’est un trouble très différent, qu’il faut pouvoir vraiment appréhender pour
euh ben pour travailler avec eux.

Je ne connaissais pas non plus avant d’intégrer ce poste, je ne connaissais


pas les problèmes liés euh à l’institution. Je ne m’étais jamais confronté à des
problèmes avec la direction, avec la hiérarchie, ça c’est quelque chose que
j’ai appris sur ces deux ans en ULIS TSA.

J’avais déjà été confronté par contre aux problèmes des collègues qui ne
veulent pas inclure, qui ne veulent pas prendre d’enfants présentant des TSA
dans leur classe, ça oui, mais par contre c’est vrai qu’en ULIS TSA ces
problèmes sont exacerbés.

Donc je dirais que, quelles émotions me procuraient le travail dans l’école


inclusive, dans les dispositifs de l’école inclusive auparavant, je dirais que, je
pense que je serai vraiment sur de la confiance, j’avais de la joie, je l’ai dis
tout à l’heure, mais j’avais confiance en ce que je faisais confiance dans les
dispositifs, euh je pensais que l’école inclusive euh existait et j’étais confiante
dans l’intérêt de ces dispositifs-là. Ce n’est plus le cas aujourd’hui…

Connaissais-je les Troubles du Spectre de l’Autisme ? Quelles


émotions suscitait ce trouble chez moi ?

Alors je connaissais dans d’autres sphères, c’est à dire que quand j’étais
éducatrice j’ai déjà travaillé avec des enfants présentant des troubles du
spectre de l‘autisme sur notamment des séjours adaptés, euh, j’ai déjà
travaillé en IME avec des enfants avec des TSA mais c’était toujours noyé
dans la masse, c’est-à-dire que j’ai travaillé avec un enfant TSA par exemple
et tous les autres enfants qui n’étaient pas TSA ; euh, j’ai eu aussi dans les
différents dispositifs sur lesquels j’ai enseigné, pareil un enfant TSA sur le
reste du groupe, euh, donc ce n’était pas en fait représentatif des TSA
puisqu’on parle de spectre c’est quand même, d’un enfant à l’autre, d’un

140
enfant TSA à l’autre c’est quand même très très différent. Aujourd’hui je peux
dire que j’y connaissais pas grand chose, je connaissais les grandes lignes je
savais que j’étais en capacité d’appréhender un enfant TSA, que j’étais en
capacité de supporter, euh, mais je n’y connaissais vraiment pas grand-chose
au regard d’aujourd’hui ce que je peux en dire.

Quelles émotions du coup ça suscitaient chez moi ? Ben pas plus que les
autres en fait, ça n’avait pas plus d’impact qu’un autre trouble ou une autre
déficience.

Le poste :

Comment suis-je arrivée sur ce poste ?

Et bien je suis arrivée comme je le décris dans mon mémoire, au tout début
du mémoire, je suis arrivée un peu par hasard. J’avais obtenu un poste en
ULIS TFC dans une autre école et allant visiter ce, mon nouveau poste nous
apprenons ma collègue, la collègue que j’allais remplacée et moi-même, que
le poste d’ULIS TSA venait de se libérer alors que le mouvement était déjà
passé, et l’inspectrice était très ennuyée parce que ce dispositif étant très
particulier elle avait peur de trouver personne et dans ce cas-là de devoir y
mettre un remplaçant ou une remplaçante qui ne l’a absolument pas voulu.
Donc elle est venue nous parler de ce poste-là, surtout en parler à la
personne à qui je prenais le poste ULIS TFC, parce qu’elle perdait son poste
et qu’elle perdait le spécialisé alors qu’elle ne voulait pas partir du spécialisé.
Donc, voilà l’inspectrice lui en parle, sauf que la collègue à qui je prenais le
poste ne connaissais rien à l’autisme donc à ce moment-là de la discussion
j’ai commencé à expliquer à ma collègue ce qu’était l’autisme enfin le peu que
j’en connaissais et puis petit à petit dans la discussion j’en suis venue à me
dire mais pourquoi pas moi ! Et du coup ma collègue pourrait rester sur le
poste qu’elle avait à ce moment-là. L’inspectrice était assez contente de cette
proposition de ma part. J’ai pris le week-end pour réfléchir parce qu’il a fallu
que j’abandonne, j’étais à 80% à ce moment-là parce que j’avais eu un
troisième enfant donc je souhaitais conserver mon 80% pour une histoire

141
personnelle de vie familiale, et l’inspectrice ne souhaitais pas que ce poste
soit à temps partiel, donc j’ai pris le week-end pour réfléchir en famille à savoir
si j’abandonnais mon temps partiel pour aller sur ce poste d’ULIS TSA qui me
donnait envie parce que c’était un nouveau challenge. J’ai, le lundi matin, dis
oui, donc du coup à partir de ce moment-là j’ai été nommé sur le poste d’ULIS
TSA.

Avais-je déjà émis le souhait d’enseigner sur ce type de dispositif ?

Non ! Je l’avais vu passer sur le mouvement ce poste là mais il me semblait


trop spécifique à mes yeux. Euh, je me sentais bien en ULIS TFC donc je ne
voyais pas l’intérêt de bouger et c’est vrai que je me disais que l’ULIS TSA
c’est quand même un gros, gros challenge.

Comment ai-je réagi quand j’ai su qu’il s’agissait d’une ULIS TSA ?

J’ai bien réagi parce que c’était mon choix mais j’étais assez stressée parce
que je, euhh, je ne savais quand même pas ou est-ce que je mettais les
pieds. Euh j’aime les défis, mais celui-ci me paraissait assez insurmontable !
Donc j’ai tout de suite pris contact avec l’enseignante qui partais et j’ai voulu
aller visiter les lieux et connaître là où j’allais aller en septembre. La visite a
été pas rassurante du tout. J’en suis ressortie euh encore plus stressée,
encore plus anxieuse euh oui euh vraiment j’avais peur, clairement oui j’avais
peur ! Parce que je me disais que je vais jamais y arriver ça me demande une
maitrise, une anticipation que je n’ai pas, une organisation que je n’ai pas et
euh voilà j’ai, j’ai eu très peur…

Qu’ai-je ressenti comme émotions : de la peur ? de la colère ? de la


joie ? de la tristesse ? de la confiance ? du dégoût ? de l’anticipation ?
de la surprise ? (Je peux en citer plusieurs voire d’autres sur la roue ci-
dessus).

Je crois que j’ai répondu dans la question juste avant : de la peur


principalement.

Ai-je pensé à refuser ce poste ?

142
Bien non, puisque de toute façon c’est moi qui aie bien voulu y aller (rire).
Donc je ne pouvais pas le refuser (rire). Et voilà, je l’ai dit, j’aime les défis,
j’aime apprendre, donc je me suis dit que ça allait le faire et que de toute
façon c’était comme ça et que si jamais ça se passait pas bien j’avais un an
pour pouvoir aller ailleurs et l’avantage de notre métier c’es qu’on peut change
de classe chaque année si on le souhaite, euh donc voilà, je me suis dit que,
qui fallait y aller maintenant que j’avais décidé d’y aller !

Me suis-je sentie épaulée/aidée durant ces 2 ans ? Pourquoi ?

Et bien pas du tout ! Pas du tout du tout ! Euh, dès que je suis arrivée, je me
suis sentie mal, j’avais peur clairement ma peur a été réelle, je me suis sentie
seule, euh, je me suis sentie devant quelque chose d’insurmontable, et j’ai
vécu les 3 ou 4 premiers mois constamment en apnée avec la peur de rater,
la peur de ne pas réussir, avec des enfants qui dès qu’on oublie quelque
chose nous le font ressentir en puissance dix mille ! Avec toutes ces AESH, à
cette époque-là, donc l’année dernière, j’avais 6 AESH euh à gérer sur le
service, qui attendaient scrupuleusement que je leur dise quoi faire à la
minute près, tous les partenaires à contacter euh non ça été ça été
extrêmement compliqué, et personne ne m’a dit quoi faire, personne ne m’a
soutenu ! Euh l’école, l’éducation nationale a fait comme si c’était une
évidence comme si je savais, comme si euh, comme SI ! Et malheureusement
c’est un poste qui ne va vraiment pas de soi, et on n’est pas accompagné du
tout par l’éducation nationale. Euh j’ai tenté de demander de l’aide mais il y a
des personnes qui m’ont été envoyées mais qui n’ont pas du tout été
aidantes. Euh j’ai par contre été aidé par le SESSAD avec qui je suis en
convention mais euh pareil c’est compliqué d’être accompagné au quotidien
puisque le SESSAD n a pas le droit d’intervenir tout le temps sur l’école, c’est
très cloisonné, donc euh voilà les seuls qui ont été soutenants c’est quand
même le SESSAD, les éducateurs du SESSAD, la psychologue, la chef de
service un petit peu, parce qu’ils m’appelaient et venaient de temps en temps
sur l’école sur des temps de réunions, de formations euh mais, mais après
toute seule dans la classe à gérer ce qu’il fallait faire avec les enfants et avec
les AESH, je l’ai appris sur le tas et ça pas été facile du tout….

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Me suis-je sentie perdue/abandonnée ? Pourquoi ?

Be oui clairement ! De toute façon je crois que j’ai répondu dans la question
d’avant aussi ! Eu oui (rire) perdue, et abandonnée, (rire), complètement
seule, isolée sur mon île, à essayer de comprendre les fonctionnements et
puis seule dans l’équipe pédagogique, seule face à la direction, seule face à
l’inspection, oui complètement abandonnée.

Les premiers mois ça allait au niveau de la hiérarchie, ils n’étaient pas


présents de toute façon, et puis au fil des mois de plus en plus perdue et de
plus en plus abandonnée, parce que quand j’ai commencé à faire remonter
les problèmes que je rencontrais au sein de mon dispositif euh les situations
euh alarmantes que je pouvais avoir comme élève, et bien euh d’autant plus
abandonnée par la direction et l’inspection qui ce sont clairement retournés
contre moi puisque si j’en comprends euh si je fais un feedback de ce que j’ai
vécu sur ces deux ans je pense que je me rends compte en fait que
l’éducation nationale ne veut pas voir les problèmes, on n’a pas le droit de
faire remonter les problèmes, les problèmes n’existent pas !

L’après :

Maintenant que ce poste est terminé que puis-je en dire ?

Je peux en dire que j’en ai sacrément bavé ! et que ça m’a bien usé, ça m’a
bien bousillé en fait euh je suis épuisée de ces 2 ans en ULIS TSA,
véritablement, euh et d’ailleurs je pars, je ne reste pas sur ce poste, alors que
j’adore travailler avec ces enfants, j’ai tissé des liens très forts avec eux, très
forts avec leurs parents mais c’est pas possible en fait, c’est un poste qui, la
coordination en ULIS TSA est impossible ! L’école inclusive ne veut pas
d’enfants autistes au sein de leurs écoles, l’école inclusive ne met pas les
moyens pour que ça se passe correctement c’est un véritable combat j’ai été
confronté à des personnes malveillantes, des personnes qui n’entendent pas
les difficultés de terrain et euh voilà, le bilan pour moi est très négatif de ce
côté-là. Euh par rapport aux enfants le bilan est très positif par contre ! Sur les
8 élèves que j’ai pu accompagner, sur ces 2 ans, même 9 élèves, euh, le

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résumé c’est un véritable bonheur : je les ai vu grandir, évoluer, sortir de leur
bulle, s’ouvrir aux autres, apprendre, je, je, même ceux qui paraissaient les
plus les plus les plus, les plus autistes, les plus terriblement, sévèrement
atteints par ce trouble qui est quand même très particulier, ils ont pu évoluer !
Donc ça, c’est vraiment quelque chose qui restera graver en moi, quelque
chose de vraiment, de génialissime que je n’ai connu nulle part ailleurs ! En
fait ce poste est est, est aussi gratifiant que, que complexe et difficile…

Qu’est-ce que je ressens comme émotions maintenant : de la peur ? de


la colère ? de la joie ? de la tristesse ? de la confiance ? du dégoût ? de
l’anticipation ? de la surprise ? (Je peux en citer plusieurs ou d’autres
qui te semblent plus à propos).

Alors honnêtement là c’est énormément de colère ! (rire) Beaucoup,


beaucoup, beaucoup de colère ! Euh et de culpabilité. Elle n’est pas citée
dans la, dans les émotions de Plutchik mais c’est colère et culpabilité et
dégoût, et dégoût ! C’est vrai que le dégoût aussi est assez fort !

De la colère face à tout ce que j’ai dit précédemment, face à l’institution, face
à la maltraitance institutionnelle, euh de la colère face, euh, face à cette école
inclusive, j’ai dit que pour moi elle n’existait pas, euh de la, du dégoût fort face
à ça, face aux textes, la différence entre les textes et la réalité, qui euh je
savais que c’était ça l’éducation nationale, comme énormément d’institution
hein y a les textes et puis y a la réalité mais l’écart en ULIS TSA est tellement
énorme, tellement, c’est une aberration, ce système est une aberration euh
donc j’ai énormément de colère et de dégoût…

Et puis beaucoup de culpabilité puisque j’ai pris la décision de partir donc au


regard de mes élèves, au regard de leur famille je le vis pas très bien, ma
décision, je , je ,je, j’ai décidé de partir pour moi, parce que je suis euh je suis
fatiguée et que je pense qu’il n’ait pas bon de rester quelque part où on
ressent trop de colère et de dégoût euh mais euh je culpabilise beaucoup
parce que je les aimes ces élèves, et que je vois que ça fonctionne bien avec
eux donc j’espère de tout cœur que la suivante ou le suivant ça se passerait
aussi bien… Que ça se passera aussi bien surtout quand je vois les parents à
qui j’annonce mon départ les uns après les autres qui ont peur, qui ressentent
145
de la peur face à ce changement d’enseignant, ils ne savent pas si
l’enseignant au regard de tout ce qu’ils ont vécu (rire) historiquement face à
l’école, sera, sera, en capacité de gérer leur enfant et c’est vraiment de la
peur que je lis dans leurs yeux ! D’où ma culpabilité de partir….

Si je devais décrire, par des exemples des émotions négatives


ressenties durant ces 2 ans, quels seraient-ils ?

Alors ben (rire) je crois que j’ai été assez claire sur tout l’enregistrement ! Les
émotions négatives c’est principalement au regard de mon institution, de la
direction, des collègues, de la hiérarchie, voilà tout, tout, tout ce vivier-là qui
m’a fait beaucoup, beaucoup de mal.

L’autre point principal c’est la gestion des AESH qui est extrêmement
compliqué. Elles ont métier qui est difficile, qui parait essentiel aujourd’hui en
France puisque c’est la seule compensation que l’état offre aux enfants avec
troubles, euh à l’école, mais elles sont sous payées, sous formées, c’est euh,
c’est hyper maltraitant pour elle, et le résultat c’est que ce ne sont pas des
personnes qui sont forcément contentes d’être là et qui n’ont pas forcément
envie euh, la résultante c’est que le travail peut être compliqué, la
coordination peut être compliquée. Je dis, elles, parce que j’ai principalement
travaillé avec des femmes, euh donc voilà, cette gestion cette coordination, on
nous apprend pas en tant qu’enseignant à être chef de service, c’est un
métier à part entière, moi qui vient de l’éducation spécialisé, c’est un métier
chef de service, et là clairement sur ce poste j’ai été chef de service et c’est
vraiment des émotions négatives que j’ai pu ressentir face à cette gestion-là.

Autre émotion négative, je dirais un, un élève avec qui je n’ai pas réussi à
tisser des liens. Euh c’est un élève sévèrement autiste avec qui la
communication était impossible, il n’avait aucune communication alternative.
Donc je ne comprenais pas, il ne nous comprenait pas. Donc c’est un enfant
qui est vite rentré en phobie scolaire et qui a été déscolarisé... Donc ça été
assez difficile à vivre parce que je me suis rendue compte de mon incapacité
à l’aider et ça ne m’étais jamais arrivée de ne pas, de ne pas aider un enfant !
On les aide toujours un peu (rire) et là je pense que même le « peu » n’a pas
existé ! Donc ça été assez compliqué pour moi à accepter.
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Si je devais décrire, par des exemples, des émotions positives
ressenties durant ces 2 ans, quels seraient-ils ?

Et bien j’en aurais des millions, des millions à dire ! (rire) Les émotions
positives principalement avec les enfants : quel bonheur de les voir grandir !
De les voir évoluer ! De les voir commencer à parler alors qu’ils ne parlaient
pas ! De les voir euh sortir de cette bulle de la non communication ! De les
voir avoir un regard adressé, de s’adresser à d’autres personnes, d’être
heureux, d’aller ailleurs que sur le dispositif, de demander à aller vers les
autres !

Quel bonheur aussi parfois quand un enseignant dit mais « tiens mais tu veux
que je le prenne ? », « ça serait super qu’ils puissent venir avec moi sur telles
activités ! », alors que ça n’arrive jamais (rire), et que je rame toute l’année
pour avoir de petites inclusions euh, et puis parfois un collègue est surprenant
et se propose de lui-même, je n’en ai rencontré qu’une seule (rire) hein pour
être honnête qui a fait ça !

Et puis j’ai vécu aussi pas mal d’émotions positives avec mes 2 AVS Co, mes
2 AESH Collective, avec qui j’ai pu créer vraiment un, un véritable travail, une
véritable osmose, euh euh, nous avons réussi à nous coordonner, elles se
sont épanouies aussi, (ça c’est leur dire) avec moi ! Et euh des projets, des
envies, des choses à mettre en place quotidiennement, beaucoup d’émotions
positives à ce niveau-là. Je pense que c’est des personnes que je garderai
dans mon entourage même si on va toutes prendre des chemins différents
mais euh c’est fort en fait de, ce sont des moments tellement difficiles que ça
créé des moments assez forts je pense.

Est-ce que souhaiterais réenseigner en Ulis TSA maintenant que j’ai une
expérience ? Sur d‘autres dispositifs de l’école inclusive ? Dans tous les
cas pourquoi ?

Alors je suis pas fermée, pfff, euh, euh, …. de toute façon je me suis
reconvertie dans l’enseignement pour faire du spécialisé donc je resterai dans
le spécialisé, mais là aujourd’hui je pars de l’éducation nationale, j’ai demandé
une disponibilité, une mise à dispo, parce que je n’en peux plus en fait du

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rapport à l’école ! Euh je, ce que j’ai dit précédemment c’est que je pense
aujourd’hui que en fait l’école inclusive n’existe pas ; je n’ai plus confiance en
l’institution. Je ressens beaucoup de colère, face à sa façon de, face à sa
gestion de l’école inclusive euh donc voilà je pars…

L’année prochaine je retourne dans les établissements spécialisés que j’avais


quitté en tant qu’éducatrice euh en venant dans l’école et dans l’éducation
nationale j’avais vraiment cette envie euh de, de, de, permettre à tous les
enfants d’être comme tout un chacun, d’être dans l’ordinaire ! Ben, j’en repars,
je retourne (rire) vers les établissements que je considère quand même
comme ségrégationniste ! Parce que pourquoi enfermer des handicapés
ensemble (rire) mais je repars enseigner dans ces établissements-là parce
que je, je, pour mon salut à moi en tant qu’enseignante j’y serai mieux ! Pour
l’instant en tout cas ! j’ai espoir de n’être qu’un maillon de la chaîne, alors que
j’avais trop de responsabilités en ULIS TSA à mon goût, euh voilà…

Donc enseigner en ULIS TSA dans un futur pourquoi pas, retourner dans les
dispositifs de l’école inclusive je ne sais pas, euh quitter l’éducation nationale
définitivement pourquoi pas aussi, euh, rester dans le spécialisé je ne sais
pas (rire), créer ma propre école… Je ne sais pas… Y a beaucoup de, je, je,
… Ces deux années ont été tellement difficiles qu’aujourd’hui je suis en plein
questionnement sur, sur moi-même et sur ce que j’ai envie de faire donc pour
l’instant je ne sais pas…

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