Vous êtes sur la page 1sur 52

Haute École Robert Schuman

Département pédagogique – Virton


Section Éducateur spécialisé

Un nouveau regard de l'éducateur sur la violence


du jeune placé en institution :
Vers un accompagnement bienveillant

Travail de fin d’études présenté par Alicia BARTOLINI


en vue de l’obtention du diplôme d’éducateur spécialisé
en accompagnement psycho-éducatif

Année académique 2016-2017


Haute École Robert Schuman
Département pédagogique – Virton
Section Éducateur spécialisé

Un nouveau regard de l'éducateur sur la violence


du jeune placé en institution :
Vers un accompagnement bienveillant

Travail de fin d’études présenté par Alicia BARTOLINI


en vue de l’obtention du diplôme d’éducateur spécialisé
en accompagnement psycho-éducatif

Année académique 2016-2017


Remerciements

Parce que la tradition des remerciements est de


rigueur, je m'adresserai à tous ceux qui ont
impacté la réalisation de ce mémoire.

En premier lieu, j'adresse mes remerciements


à ma promotrice Isabelle LAMBERT, dont
l'enseignement, la patience, les conseils et la
disponibilité ont énormément contribué à la
réalisation de ce travail.

Ensuite, je tiens à remercier mon bon ami, ma


mère et son conjoint, ainsi que mes
proches qui ont su m'apporter soutien
inconditionnel et conseils en toutes circonstances.
Je remercie, malgré sa disparition, mon plus
proche ami.

Un grand merci aux différents lieux de stage qui


m'ont accueilli, au sein desquels j'ai pu
m'épanouir et surtout découvrir quelle
éducatrice spécialisée je souhaite devenir.

Et surtout un infini merci aux enfants et


adolescents que j'ai eu la chance d'accompagner
quotidiennement durant ces mois de stage,
qui m'ont inspiré et apprécié dans mon
entièreté.

2
Table des matières
Introduction.......................................................................................................................4
Première partie : Aspects théoriques.................................................................................6
I. Distinction entre violence et agressivité....................................................................6
1. L'agressivité..........................................................................................................6
2. La violence...........................................................................................................8
3. Les différentes manifestations de la violence....................................................10
II. Théories permettant d'aborder la violence..............................................................11
1. La théorie des besoins : Abraham Maslow.........................................................11
III. L'adolescence : à la découverte de soi et du monde..............................................13
Seconde partie : L'accompagnement institutionnel.........................................................16
I. Le lieu de stage : L'institut médico-pédagogique....................................................16
II. Les projets de l’institution concernant l'épanouissement du jeune dans l'unité MIc-
Ados............................................................................................................................17
1. L'humour pour un accompagnement différent...................................................17
2. La musique comme outil d'expression...............................................................17
III. Accompagner le jeune lors d'une situation de violence........................................18
1. Présentation de Quentin.....................................................................................18
2. « Si tu ne te pousses pas, je te rentre dedans » : description d'une situation de
violence..................................................................................................................19
3. Analyse de la situation : l'éducateur et le jeune..................................................20
Troisième partie : Outils et projets..................................................................................22
I. L'adolescent au cœur de l'accompagnement : .........................................................22
1. L'approche centrée sur la personne....................................................................22
2. Le jeune acteur se son projet : situation de Jason..............................................23
II. La communication non-violente.............................................................................25
1. Le respect : situation de Yan et Aurélien............................................................26
III. L'écoute active......................................................................................................28
1. Le son du silence................................................................................................28
IV. L'art comme outil de bienveillance.......................................................................30
1. L'arbre aux souvenirs : situation de stage..........................................................31
2. Au rythme du cœur : situation de stage..............................................................31
Conclusion.......................................................................................................................33
Bibliographie :.................................................................................................................36
Ouvrages et articles :..................................................................................................36
Ressources Internet :..................................................................................................36
Annexes :.........................................................................................................................40
Annexe 1 : Le cercle Polémos....................................................................................42
Annexe 2 : Les idées de Carl Rogers..........................................................................48

3
Introduction

« Je veux rentrer chez moi. Tu vois, les éducateurs d'ici, ils sont tous pareils. Ils
nous rabaissent. Un éducateur, pour moi, c'est sensé aider les gens, les aider à rentrer
chez eux. Ici, ils nous enferment ! Ils décident de notre vie pour nous. J'ai pas mon mot
à dire. C'est pour ça que parfois, je préfère me taire et rester seul. Sinon je leur
cognerais dessus, et ça se retournerait contre moi. Dès qu'on veut s'expliquer avec
eux, c'est toujours pris comme une agression, de toute manière.
Tout ce que je veux, c'est rentrer chez moi. »
- Quentin, 14 ans, I.M.P. « La Providence » d'Etalle

La réalité d'un profond sentiment d'incompréhension et d'insécurité retranscrite


par cette confidence me fait penser qu'il est justifié de se remettre en question. Durant
les différents stages que j'ai effectué, j'ai observé des situations de crises réalisées par
des jeunes, enfants et/ou adolescents. La violence du jeune peut être retrouvée via bien
des éléments. Je l'ai ressentie dans les objets cassés, les portes de chambre enfoncées,
les posters aux murs déchirés ; mais également à travers les cris, les angoisses confiées
lors d'un moment individuel, les différentes précautions des éducateurs afin de prévenir
ce type de comportement. Un simple regard, parfois, les poings qui se referment, la
mâchoire qui se serre. Je me suis sentie concernée par cette violence, ses manifestations,
ses causes, car bien souvent elle est une réponse inadaptée qui cache un mal-être
profond, propre à chaque individu. Cette violence touche au cœur d'une tristesse
immense que l'éducateur ne peut, ne doit ignorer. Les adolescents que j'ai rencontrés,
tous placés en institution, m'ont apporté une perspective différente de la violence dès ma
première année de formation. De manière irrémédiable, j'ai pris conscience que mon
futur métier d'éducateur spécialisé constituait des enjeux auxquels je pense qu'il est
nécessaire être sensibilisé.

Ce qui m'a amené aux questions suivantes : Un épisode de violence peut-il


toujours être évité ? Est-il nécessaire, pour effectuer un accompagnement bienveillant
auprès du jeune, de changer son regard sur la violence ? Comment se traduit la
bienveillance ? Et surtout, quel est l'impact relationnel de l'attitude de l'éducateur face à

4
l'agressivité de l'adolescent ?

Il s'agit surtout ici d'exposer ma propre vision professionnelle en tant que future
éducatrice, non de considérer le fruit de mon expérience comme étant universel et
devant être appliqué à chaque intervenant. Mon parcours, mon opinion, mes valeurs me
sont propres, j'estime qu'il serait dénué de sens que l'on s'y réfère tel un mode d'emploi
relationnel, car comme nous l'indique de manière évidente notre sens commun, il
n'existe aucun modèle qui s'applique à toutes les situations, puisque chaque être humain
est unique. Adopter une telle démarche serait nier cette authenticité et l'individualité de
la personne, ce qui n'est pas le but d'un accompagnement éducatif bienveillant.

En première partie, l'évoquerai les théories qui constituent la source de mes


pensées réfléxives. En seconde partie, je développerai la problématique de
l'accompagnement par un jeune via une situation de violence. En dernière partie,
j'évoquerai avec une pratique de terrain l'utilisation d'outils de bienveillance.

5
Première partie : Aspects théoriques

Dans cette première partie, j'évoquerai les éléments théoriques sur lesquels
s'appuient mon parcours réflexif ainsi que mes différentes analyses de situation. Il s'agit
de considérer les comportements violents sous l'angle de la psychologie humaniste, qui
s'intéresse à l'individu en tant qu'être humain avant toute chose.

I. Distinction entre violence et agressivité

Il est tout d'abord essentiel de s'attarder sur la notion d'agressivité face à celle de
la violence. En effet, ces deux termes se confondent souvent, alors qu'il s'agit de
comportements bien différents. En fonction de l'individu, un comportement agressif
sera parfois perçu comme violent, et inversement. Chacun de nous, avec son vécu et ses
expériences propres, a un rapport différent quant à ces thématiques. Il s'agit
essentiellement d'un abus de langage, mais il se révèle capital dans mon travail car la
différence est bien réelle. Je vais donc établir les définitions de ces termes afin de
démontrer en quoi il est pertinent de se concentrer sur la violence davantage que sur
l'agressivité.

1. L'agressivité

« L’agressivité est une réaction psychophysiologique préméditée ou impulsive


caractérisée par un comportement hostile (d'attaque ou
de défense) dirigé contre une cible considérée comme une menace. » (Définition de
l'AESP1)

D'après cette définition, l'agressivité intervient dans le contexte d'une relation


d'un individu à l'autre. Dans son article « Violence et agressivité : une dinstinction
essentielle », S. Tisseron2 explique que le comportement agressif consiste par une
1 L'Association pour l'Enseignement de la Sémiologie Psychiatrique est une organisation française
ayant pour but de promouvoir et de sensibiliser auprès de différents intervenants médicaux les
enseignements de la Sémiologie Psychiatrique.
2 Psychiatre et psychologue français de profession.

6
reconnaissance de l'autre à lui imposer sa puissance, car cet autre représente une menace
pour son intégrité. Ce lien est un élément essentiel pour l'individu qui adopte un
comportement agressif, il en a besoin et cette domination de l'autre lui apporte une
certaine jouissance. Il est question ici de la démarche d'attaquer son interlocuteur. Il ne
s'agit pas d'un acte qui vise à détruire l'autre, mais plutôt à prendre une position

supérieure par rapport à lui. Dans certaines situations, plus la personne agressée est dans
une position de faiblesse et de soumission, plus l'agresseur va en retirer de la
satisfaction. Il y a donc une reconnaissance des sentiments et émotions de
l'interlocuteur, de sa personnalité, de son individualité, puisque l'agresseur va utiliser
cette ressource afin d'en retirer une jouissance de manière plus ou moins poussée selon
la personne et le degré de domination qu'elle souhaite imposer à l'agressé. Pour arriver à
ses fins, il peut développer plusieurs stratégies, sur le long terme ou sur un instant court,
et s'adapter aux besoins et à la personnalité de l'agressé. Cela peut parfois dévier en un
comportement sadique, où l'agresseur prend plaisir à faire souffrir la personne qui se
soumet à lui.

Toutefois, comme l'indique la définition de l'AESP, il est possible d'adopter un


comportement agressif afin de se défendre. En effet, une personne peut se comporter de
manière agressive non pas dans le but premier de dominer l'autre afin d'en retirer
satisfaction, mais plutôt afin de se protéger et de contrer le sentiment de menace qu'elle
éprouve. L'agressivité en tant que défense est utilisée dans le but de préserver son
intégrité physique et/ou psychique, son bien-être, ce sont ces thématiques qu'elle va
chercher à imposer face à l'autre lorsqu'elle va adopter ce comportement. Il peut y avoir
volonté de dominer l'autre, à la différence qu'il n'y a pas nécessairemnt l'intention de le
faire souffrir uniquement par plaisir. Il s'agit plutôt d'une conséquence d'un sentiment de
colère et/ou de peur, mais l'on retrouve quoiqu'il arrive une volonté de dominer l'autre.

Comme le précise S. Tisseron, l'agressivité peut faire naître la culpabilité chez la


personne qui emploie ce comportement, car la dimension affective et le lien relationnel
sont importants à prendre en considération. La personne est consciente de faire souffrir
autrui, de son intention visant à la soumettre à soi. Elle a conscience de l'individualité de

7
la personne agressée et s'en sert pour arriver à ses fins. Entre l'agressivité utilisée en tant
qu'attaque ou bien en tant que défense, seules les intentions de départ diffèrent, alors
que les méthodes et stratégies employées visant à faire souffrir l'agressé peuvent être
similaires.
Une dispute, par exemple, est un bon exemple où chacun peut adopter un
comportement agressif afin de défendre son opinion ou d'attaquer l'autre sur celle-ci. La
motivation principale de l'agressivité est donc dans la domination de l'autre avec une
intention hostile. Toutefois, celle-ci peut s'opérer dans le respect du cadre établi, qu'il
soit institutionnel ou légal, car la personne a conscience de sa puissance et des limites de
celle-ci. C'est ce qu'explique B. Martel 3 dans son article « L'agressivité, à l'opposé de la
violence ». Concernant l'exemple de la dispute, une telle communication peut très bien
s'effectuer dans le respect d'un cadre institutionnel. L'affrontement physique dépasse
cette notion et peut être parfois davantage considérée comme une situation de violence,
mais il peut tout aussi bien s'agir d'un comportement où il y a la volonté de faire souffrir
l'autre, de lui faire du mal. Tout dépend des individus, de leur vécu, de leurs besoins.

2. La violence

« La violence est l'utilisation intentionnelle de la force physique, de menaces à


l’encontre des autres ou de soi-même, contre un groupe ou une communauté, qui
entraîne ou risque fortement d'entraîner un traumatisme, des dommages
psychologiques, des problèmes de développement ou un décès. » (Définition de
l'OMS4)

À travers cette définition, nous pouvons amener l'idée que la violence est un
comportement conscient et volontaire. En effet, comme le décrit B. Cyrulnik5 dans la
préface du livre La violence des adolescents6, la violence est vécue comme nécessaire à
notre survie. Elle existe pour répondre à une menace. Elle est donc naturelle et propre
3 Gestalt-thérapeute et sexothérapeute.
4 L'Organisation Mondiale de la Santé est une agence appartenant à l'Organisation des Nations Unies
(ONU) spécialisée dans la santé publique.
5 Psychiatre et psychanalyste français.
6 Y. Tyrode & S. Bourcet (2006). La violence des adolescents : Clinique et prévention. Paris : Dunod.

8
au fonctionnement de l'être humain lorsque celui-ci se sent en danger. Dans son
parallèle avec l'agressivité, S. Tisseron évoque la violence comme un acte dénué de
toute considération pour l'être humain victime du comportement violent. Il distingue
deux possibles origines à cette problématique :

– Le sentiment d'impuissance : la personne se sent dépassée, vulnérable et l'acte de


violence est nécessaire à la protection de son intégrité et peut aussi être
l'expression de cette profonde frustration ;
– Le sentiment de toute-puissance : la personne considère qu'elle peut commettre
un fait violent simplement parce qu'elle l'a décidé, elle se sent plus que légitime
dans sa démarche et est prête à tout pour sa survie. Pour elle, « la fin justifie les
moyens ».

Dans ces deux cas de figure, l'autre n'est pas considéré dans sa singularité et son
individualité aux yeux de la personne qui adopte un comportement violent. C'est ce que
S. Tisseron appelle le processus de « Déshumanisation ». La personne fait abstraction
des émotions, du sort de l'autre, et n'a pour objectif que son propre bien-être. Il a joute
que, de ce fait, l'auteur du fait de violence n'éprouve aucune sorte de plaisir à porter
atteinte à l'intégrité physique et/ou psychologique de son interlocuteur, c'est pour lui une
nécessité car la personne face à lui représente un danger.

Contrairement à l'agressivité, ici la personnalité et les besoins de cette personne


ne sont pas pris en compte par l'auteur de violence. La « cible » menaçante devient alors
un élément à détruire. S. Tisseron ajoute que cette destruction est donc sans culpabilité à
partir du moment où la personne décide de faire abstraction des différentes règles
sociales ou inter-personnelles.

9
3. Les différentes manifestations de la violence

Comme évoqué dans le document « La violence a plusieurs visages. Quels sont


les types de violence ? » réalisé par l'AFEAS7, La violence peut s'observer sous
différentes dimensions, nous pouvons ainsi la regrouper en plusieurs catégories :

• La violence explicite : c'est celle qui laisse des traces visibles et qui peut être
clairement identifiée en tant que personne extérieure. Nous pouvons y inclure la
violence physique (les coups, les blessures au corps) ; puis la violence verbale
(les injures, les insultes, les hurlements, les menaces ou encore les critiques et
propos blessants) ;

• La violence implicite : elle n'a pas moins d'impact que la violence explicite, elle
est plus difficilement observable par une personne extérieure car les traces
qu'elle laisse ne sont pas a priori visibles. Nous pouvons évoquer dans cette
thématique la violence psychologique (le harcèlement moral, intimider la
personne, la diminuer moralement et émotionnellement) ; ainsi que la violence
économique (visant à rendre la personne financièrement dépendante de la
volonté d'autrui).

De plus, la problématique de la violence sexuelle peut se retrouver dans les deux


catégories. En effet suivant les situations, elle peut prendre une forme laissant des traces
physique (par exemple le viol) et/ou bien psychologique (comme le harcèlement
sexuel).

La violence commise a rarement des conséquences uniquement d'ordre physique


ou bien uniquement d'ordre psychologique. En effet, si l'on prend l'exemple du viol, il
s'agit en premier lieu d'une violence physique mais qui laisse de profondes séquelles
psychologiques. Inversement, le harcèlement moral étant une violence implicite, il peut
avoir des conséquences visibles, la victime peut par exemple tomber en dépression et
maltraiter son propre corps (comme se sous-alimenter, s'automutiler). C'est pour cela

7 Il s'agit de l'organisation québécoise 'Association Féminine d'Education et d'Action Sociale.

10
qu'il est nécessaire d'appréhender la violence sous toutes ses formes, car lorsque l'on fait
face à une personne psychiquement détruite et présentant des comportements inadaptés,
cela nous permet de ne négliger aucun angle d'accompagnement en tant qu'éducateur
spécialisé.

II. Théories permettant d'aborder la violence

Comme nous l'avons vu lors du précédent point, la violence est une thématique
naturelle où une personne se sentant en danger, et dont l'intégrité serait menacée, va
chercher à détruire cette menace peu importe le moyen utilisé.
Toutefois, un être humain s'intégrant à la société doit canaliser cette violence.
L'éducateur peut l'y aider en comprenant quels mécanismes sont en jeu dans cette
dynamique en exploitant diverses théories. J'exposerai dans les points suivants les
différents éléments théoriques qui me semblent pertinents de garder à l'esprit lors de
l'accompagnement du jeune en situation de violence.

1. La théorie des besoins : Abraham Maslow

Dans son livre Devenir le meilleur de soi-même, A. Maslow (1970) exprime


l'idée suivante :

« Les hommes ont pour caractéristique de désirer sans cesse quelque chose
tout au long de leur existence. Nous devons donc nécessairement analyser les rapports
qu'entretiennent toutes les motivations entre elles, et nous sommes simultanément
confrontés à la nécessité de renoncer à les isoler les unes des autres si nous voulons
parvenir à la compréhension globale de ce que nous recherchons. »

Pour cet auteur, c'est parce que l'être humain possède des besoins inapaisés qu'il
adopte des comportements « inadaptés ». Selon lui, les besoins s'organisent en plusieurs
catégories et sont liés entre eux, voire peuvent être corrélés à d'autres besoins sous-

11
jacents (qui peuvent relever de l'ordre de l'inconscient 8). La vulgarisation de cette
théorie la plus connue est le schéma réalisé sous forme d'une pyramide.

La pyramide des besoins9 (selon la théorie d'A. Maslow)

Ainsi, A.Maslow ajoute dans ce même ouvrage :

« On retiendra ici deux faits primordiaux : tout d'abord, l'être humain n'atteint
jamais la satisfaction sauf de manière relative ou temporairement et, en second lieu,
les désirs paraissent s'ordonner selon une sorte de hiérarchie prépondérante. »

Le principe de cette pyramide est de démontrer les liens qu'entretiennent les


différentes catégories des besoins inapaisés chez l'être humain. Par exemple, si le besoin
de sécurité ne représente pas une base suffisamment solide, les besoins « supérieurs »

8 L'inconscient est une théorie psychanalytique élaborée par S. Freud. Il s'agit d'un état que chaque être
humain possède et qu'il ne peut percevoir de manière consciente. Selon S. Freud, beaucoup de
réponses à nos décisions et nos choix seraient « stockés » dans cet inconscient.
9 Source du schéma : http://asso-franceburnout.fr/burnout-reflexion-sur-les-causes-pyramide-de-
maslow/

12
tels que ceux d'appartenance, d'estime et d'accomplissement seront également fragilisés
et risqueront de s'effondrer à la moindre secousse.
A. Maslow évoque en cela la théorie de la motivation : c'est l'être humain tout
entier, et non pas une seule partie de lui-même, qui est motivé dans la satisfaction de ses
besoins. Selon lui, la frustration d'un besoin non-apaisé a un impact sur tout son
organisme. Il faut donc considéré l'individu dans sa globalité, son entièreté. Les
motivations de l'individu ne sont pas organisables ou listables. Afin d'illustrer cette idée,
il explique :

« L'image correcte n'est pas celle d'un grand nombre de bâtons rangés côte à
côte, mais davantage celle d'un jeu de boîtes gigognes dans lequel une boîte en
contient trois autres, chacune de ces trois boîtes contenant à son tour dix autres boîtes,
et chacune des dix en contenant cinquante autres, etc. »

Il est donc pertinent de prendre conscience que beaucoup de ces motivations


peuvent nous échapper et ne pas nous apparaître de manière claire, mais relèveraient
davantage de l'inconscient. L'origine de ces besoins inapaisés est donc une
problématique complexe.
Mais il est tout aussi essentiel de s'intéresser à cette période de la vie qu'est
l'adolescence, où l'on retrouve plusieurs grandes catégories de besoins communes et
spécifique à ce stade de développement de l'être humain. En tant qu'éducateur
spécialisé, prendre connaissance de ces éléments permet d'intervenir auprès du jeune de
manière adéquate, en l'accompagnant dans ses démarches motivés par ses besoins.

III. L'adolescence : à la découverte de soi et du monde

Nous pouvons observer que l'adolescence apparaît de plus en plus tôt. On


considère aujourd'hui l'adolescence comme étant la période entre 11 ans et 18 ans.
L'adolescent est sujet à de nombreuses transformations au niveau physiologique, mais
également d'un point de vue psychologique. C'est une période de l'existence de l'être
humain où l'on se pose énormément de questions sur sa propre normalité, sur les

13
changements physiques qu'impose la puberté. C'est une phase de découverte : on
apprend sur soi et sur le monde extérieur, on a cette quête de l'identité. Nous nous
intéresserons ici au garçon dans le cadre de ce travail.
L'un des besoins marqués par l'adolescence est celui d'appartenance, notamment
l'identification. Dans l'ouvrage Gérer des adolescents difficiles10, les auteurs expriment
l'idée que le jeune cherche à s'éloigner de sa structure familiale, qu'il ne connaît que trop
bien, afin de s'identifier à une personne extérieure. Ils mettent ainsi en évidence les trois
grandes phases de l'adolescence :

• Première phase : de 12 à 14 ans


L'adolescent se rend compte des transformations corporelles liées à la puberté, il
a encore quelques apprentissages à établir afin d'avoir une attitude plus
« adulte » et il s'en rend compte surtout en observant les filles qui en sont plus
proches. De ce fait, il peut être maladroit et chercher à provoquer l'adulte.

• Seconde phase : de 14 à 16 ans


Le jeune s'ouvre à des groupes d'amis plus larges, qu'il s'agisse d'amitiés de
circonstance ou bien de liens solidement créés. Ces nouveaux groupes sont des
élements de ressource dans sa quête d'identité et d'appartenance. Le regard des
autres est particulièrement important pour le jeune qui traverse cette phase. Il
s'agit d'une période où il va tester énormément de choses, et va notamment
s'intéresser de manière plus sérieuse aux relations sexuelles.

• Troisième phase : dès 16, 17 ans


Après toutes ces expériences, le jeune atteint une phase où il devient de plus en
plus responsable et mesure la conséquence de ses choix et de ses actes. Il a
acquis ses propres valeurs et commence à vivre en accord avec ses convictions
en réfléchissant bien à ses décisions.

10 T. Compernolle, H. Lootens, R. Moggré, T. van Eerden. (2012). Gérer des adolescents difficiles.
Bruxelles: De Boeck.

14
Bien entendu, chaque être humain étant unique avec son vécu propre et ses
aspirations bien à lui, tous les adolescents ne traversent pas de la même manière ce stade
de développement, comme le précisent les auteurs de ce même ouvrage Gérer des
adolescents difficiles :

« Les différentes étapes qui les composent ne doivent pas être considérées
comme une sorte d'horaire auquel l'adolescent doit absolument se conformer. C'est
d'ailleurs la raison pour laquelle on peut observer de grandes différences entre les
adolescents. »

Il faut donc veiller, dans notre approche de la violence chez l'adolescent, à


considérer son stade de développement tout comme son vécu, son propre monde dans
lequel il évolue. C'est ainsi que l'éducateur spécialisé peut, à mon sens, accompagner le
jeune de la manière la plus adéquate possible : en considérant la singularité du jeune
comme élément indispensable à prendre en compte lors d'une intervention, car
l'adolescent est un être humain avant tout.

15
Seconde partie : L'accompagnement institutionnel

Dans cette seconde partie, je vais analyser les différents éléments de ma pratique
de terrain en tant que stagiaire éducatrice spécialisée. Il s'agit en premier lieu de
présenter l'institution, ce qu'elle met en place afin d'assurer l'épanouissement de la
population qu'elle accueille. Puis, dans un second temps, j'évoquerai les situations que
j'ai vécues et qui ont orienté mes interventions au fil de mon stage, en présentant les cas
de trois adolescents, j'analyserai ces différents événements en utilisant la théorie des
besoins. Enfin, j'effectuerai une analyse des propos des différents intervenants et
éducateurs, ainsi que de leurs comportements face à une situation de violence, toujours
en reprenant la théorie d'A. Maslow.

I. Le lieu de stage : L'institut médico-pédagogique

J'ai effectué mon stage de troisième année à l'Institut Médico-Pédagogique


(I.M.P.) d'Etalle, en Belgique. Cette institution se nomme « La Providence ». Il s'agit
d'un service résidentiel fonctionnant également en internat. Sont accueillis des
bénéficiaires âgés de de 3 ans à 18 ans, voire jusque 25 ans avec des logements en
autonomie et semi-autonomie (SAS et Service Résidentiel de Transition). La population
de cet établissement présente des troubles du comportement, pour certains également
des une déficience mentale légère ou modérée. Il peut s'agir d'un placement judiciarisé
ou bien volontaire par la famille. La problématique de décrochage scolaire est répandue
parmi la population.
Durant mon stage, j'ai accompagné quotidiennement l'unité Mic-Ados. Ce
groupe est composé de 10 pré-adolescents et adolescents, âgés entre 10 et 15 ans,
présentant des troubles du comportement . Ce groupe est exclusivement masculin. Y
travaillent 6 éducateurs spécialisés dont un chef d'équipe. Les objectifs travaillés au sein
de cette unité permettent de favoriser la prise d'initiative du jeune afin qu'il puisse
acquérir la meilleure autonomie possible. Par exemple, la gestion du temps (s'organiser
au lever ou au coucher, lors de sorties en extérieur), l'hygiène corporelle, ainsi que la

16
prise de responsabilités dans le milieu de vie. Cela s'observe à travers diverses tâches
quotidiennes comme descendre les poubelles, faire la vaisselle ou encore ranger sa
chambre. L'objectif principal est de créer un cadre de vie sécurisant et convivial afin que
le jeune puisse y développer ses compétences et travailler sur ses besoins. Il est
également acteur de ses projets avec l'accompagnement des éducateurs spécialisés,
notamment à travers la mise en place de plusieurs activités.

II. Les projets de l’institution concernant


l'épanouissement du jeune dans l'unité MIc-Ados

1. L'humour pour un accompagnement différent

Dès mon arrivée dans l'institution, les éducateurs ont souhaité savoir si je n'étais
pas « choquée » de leurs méthodes d'accompagnement. En effet, l'humour est une
thématique très utilisée dans l'I.M.P. où j'ai fait mon stage. Il peut se manifester sous
toutes les formes : sarcasmes, jeux de bagarres, ironie, etc. J'ai trouvé cet élément
intéressant et il a contribué à changer mon regard sur l'accompagnement éducatif. En
effet, les adolescents fonctionnent beaucoup par l'humour, et cela peut être un excellent
moyen de communiquer ses attentes face au jeune et une manière de détourner un
éventuel conflit.

2. La musique comme outil d'expression

Le projet musical de l'I.M.P. porte le nom de « Providence Band ». Grâce à


l'investissement de deux éducateurs passionnés de musique, les jeunes peuvent
bénéficier de cet outil comme méthode d'expression. Cela leur permet de s'ouvrir au
monde de la musique, mais également de travailler plusieurs compétences que l'on peut
retrouver dans n'importe quelle dimension d'un avenir professionnel : rigueur,
discipline, patience, pratique, etc. Comme il s'agit d'un public présentant des troubles du
comportement, je trouve cela particulièrement adapté car cet outil leur permet de
trouver une source de bien-être et de valorisation à travers la maîtrise d'un instrument.
Cela les fait aussi s'initier au travail en équipe et à la cohésion de groupe. Possédant des

17
compétences en musique, j'ai pu discuter avec les éducateurs responsables de ce projet,
ainsi j'ai pu constater son émergence et les objectifs qu'il cherche à atteindre.

III. Accompagner le jeune lors d'une situation de violence

J'ai choisi volontairement d'axer cette partie sur le cas d'un adolescent en
particulier, car il soulève à mon sens plusieurs points qu'il me paraît essentiel à aborder.
En effet, la situation de ce jeune apporte plusieurs éléments qui sont percutants et je
souhaite y diriger ma réflexion.

1. Présentation de Quentin

Quentin est le premier adolescent avec qui j'ai tissé un lien relationnel au début
de mon stage de troisième année. La première fois que j'ai discuté avec lui, il faisait ses
devoirs dans le séjour de l'unité. Je lui ai demandé comment sa journée à l'école s'était
déroulée, il m'a répondu que c'était « fort ennuyeux », et qu'il avait « dormi toute la
journée en cours ». Ma première impression fut la suivante : Quentin semble calme,
mais à l'intérieur de lui, c'est comme si une multitude de questions fusaient à la vitesse
de la lumière. À travers ses réflexions, ses connaissances, j'ai ressenti son intelligence et
son attitude « rebelle », bien que pour moi, il avait surtout l'air « blasé », il se décrivait
lui-même ainsi. Cela ne l'empêchait pas d'avoir de bonnes notes au collège, voire
d'excellents points parfois. J'ai ressenti aussi une très grande sensibilité, dans la mesure
où il est attentif à chaque action de n'importe quel individu, et questionner la pertinence
de cette action, tout comme le fondement de celle-ci.
J'ai remarqué, lors de cette première rencontre, qu'il n'entrait pas beaucoup en
relation avec les autres adolescents. Il n'était pas rejeté, mais il semblait « en retrait ». Il
m'avait révélé que ses seules préoccupations étaient dormir et « jouer aux jeux-vidéos »
chez lui sur son ordinateur. J'ai supposé que le fait de n'entrer que rarement en contact
avec les autres faisait partie de sa personnalité introvertie. En effet, il m'a confiée
préférer le calme et un environnement peu stimulant afin de se sentir bien.

Quentin est un garçon âgé de 14 ans. Il est placé à l'I.M.P. D'Etalle depuis

18
Septembre 2015. Son placement était volontaire, mais est devenu judiciarisé au cours de
mon stage. Ses parents sont divorcés. Son père travaille en tant qu'ingénieur, il vit en
Belgique mais travaille au Luxembourg. Sa mère est femme au foyer et vit au
Luxembourg. Quentin est en visite chez sa mère tous les Mercredis après-midi, et
chaque week-end son père vient le chercher le Vendredi soir, il peut rendre visite à sa
mère s'il le souhaite durant ce même week-end, c'est elle qui le raccompagne à l'I.M.P.
Le dimanche soir.

Le décrochage scolaire de Quentin est la cause de son placement dans


l'institution. En effet, il a eu des problématiques d'absentéisme : il séchait les cours en se
baladant en ville, en rentrant chez son père afin de jouer aux jeux-vidéos ou bien dormir.
Ses parents ont décidé de son placement, bien qu'il parvienne à avoir une moyenne
générale assez bonne, il est une classe au-dessous du cursus standard.

2. « Si tu ne te pousses pas, je te rentre dedans » : description


d'une situation de violence

La situation que je vais décrire s'est déroulée à la fin de mon stage.


J'avais passé une grande partie de la soirée dans la chambre de Quentin, à
discuter avec lui. C'était un Mercredi soir, jour où il était rentré chez lui par un droit de
visite.

J'ai décidé de discuter avec Inès, l'éducatrice travaillant sur le groupe, des
confidences que Quentin m'avait faites plus tôt dans la soirée. Il m'avait raconté que
chaque week-end, il buvait de l'alcool, et ce en compagnie de son frère. Son père,
lorsque cela se produit, part de sa maison pour ne pas avoir à « supporter » les fêtes que
les deux frères donnent le week-end, où ils autorisent également des inconnus à y
participer. Je l'ai expliqué à Inès, qui l'a noté dans le cahier de bord de l'institution.
Parmi d'autres confidences qu'il m'a faites, il m'a dit qu'il n'était pas rentré à
l'heure à l'I.M.P. parce qu'il « avait la flemme » et qu'il n'avait pas envie d'aller chez le
coiffeur avec Inès, qui avait pris rendez-vous pour lui dans l'après-midi. Je lui ai posé
plusieurs questions, et il a fini par me dire qu'il n'appréciait pas Inès.

19
« Je l'aime pas. Elle a un humour de merde. Parfois, je ne lui dis même pas
bonjour, mais je ne le fais pas exprès, tu vois. Elle est rabaissante, elle critique
toujours les jeunes et elle raconte de la merde. C'est elle et la chef éducatrice qui sont
allées dire, un jour, que ma mère était partie de la maison un Samedi alors que j'y étais
en visite. Mais c'est pas vrai : elle s'était juste absentée, elle est revenue dans la
soirée. Ça sert à rien de discuter avec elle de toutes façons. »

C'est en racontant cela à Inès que celle-ci a décidé de « le confronter ». Elle lui a
demandé de s'expliquer sur son problème avec elle. Quentin m'a regardé, à ce moment-
là, en disant « Ah, les stagiaires parlent trop... » avec un sourire embarrassé. Plus Inès
lui demandait des explications, plus il se renfermait sur lui-même. Elle s'est défendue,
en disant qu'elle n'avait jamais mis les pieds chez le juge pour lui, contrairement à la
chef éducatrice. Quentin n'avait pas l'air de la croire, il restait fermé à la discussion.
Inès a demandé à un autre éducateur de participer à cette entrevue. Quentin a
pris cela comme une agression, puisqu'il s'est immédiatement braqué et s'est levé en
disant « Mais si tu veux lui parler à lui, j'ai rien à faire ici moi. ». Il a tenté alors de
sortir du bureau des éducateurs, mais l'homme l'en a empêché en lui barrant la route.
Quentin a poussé de manière brusque l'éducateur, qui lui a renvoyé son geste en le
bousculant à son tour, lui faisant perdre l'équilibre et se retenir au mur. L'adolescent
décide de tout de même tenter de forcer le passag. À ce moment-là, Quentin a déclaré à
l'éducateur « Si tu ne te pousses pas, je te rentre dedans. ». L'éducateur a préféré le
laisser passer et éviter la contention.

3. Analyse de la situation : l'éducateur et le jeune

Concernant cette situation, je pense qu'elle aurait pu être évitée et qu'une toute autre
approche aurait permise à Inès, l'éducatrice, d'avoir une conversation avec Quentin sans
en arriver à un comportement de violence.

Quentin s'est senti menacé par les réflexions d'Inès, et de la même manière, Inès

20
s'est sentie blessée par les propos de Quentin. Elle a souhaité tirer au clair cette histoire,
et en faisant cela, elle s'est heurtée à un mur. Quentin est quelqu'un de calme, c'était la
première fois qu'il agissait ainsi durant tout mon séjour de stage. J'ai eu l'impression que
l'accompagnement de ce jeune n'a pas permis un lien de confiance assez solide.

4. Le discours des éducateurs face à la violence : témoignages

Durant mon stage, j'ai pu recueillir les différents témoignages des éducateurs sur des
situations de violence, qui m'ont permis d'apporter d'autres éléments à ma réflexion sur
l'accompagnement du jeune dans une telle situation.

« Je pense que ça dépend des jeunes, et des éducateurs. Y'en a avec qui tu vas
avoir un rapport de force plus facilement que d'autres. Par exemple, l'un des jeunes
était assez violent avec moi, il entrait facilement en conflit. Dès que je lui faisais une
remarque, il entrait dans l'opposition et dans l'affrontement physique. Un jour, on
faisait une sortie piscine. Dans les douches, il faisait le bazar, il allait déranger les
autres jeunes qui se lavaient. Je n'ai pas réfléchi, je lui ai fait une contention en
l'amenant au sol, je lui ai collé la tête contre le carrelage. Et depuis, il ne m'a plus fait
aucune crise. Je pense qu'il y a des jeunes qui ont besoin de connaître tes limites, et
dès qu'ils les voient, ils ont plus confiance en toi parce qu'ils savent ce qui va te faire
réagir, et c'est sécurisant pour eux. »
- Laure, éducatrice spécialisée à l'I.M.P. « La Providence »

« J'ai subi un harcèlement sexuel de la part d'un jeune. Un soir, je suis entrée
dans sa chambre, et alors que je discutais avec l'autre jeune qui partageait sa
chambre, je me suis tournée vers lui. Il était en train de se masturber pendant que je
lui parlais. J'ai reçu aussi plusieurs messages à contenu pornographique, et des
photos de ses parties génitales sur mon GSM. À partir de ce moment, je ne pouvais
plus le voir, et j'étais sa référente. J'ai donc décidé de passer le relais à mes collègues,
afin qu'ils puissent le suivre et que je prenne mes distances. Pour moi, il était plus un
danger qu'autre chose. Je n'aurais jamais pu me retrouver seule avec lui. Et je pense

21
que cassser le seul lien qu'on avait encore, c'était nécessaire. »
- Inès, éducatrice spécialisée à l'I.M.P. « La Providence »

« Je me souviens de la fois où Guillaume a couru comme un dingue dans la


cour de l'institution. Si je ne m'étais pas jeté sur lui, il se serait volontairement frappé
le crâne contre le mur. Il avait réellement envie de se faire du mal à ce moment-là,
mais j'étais là pour l'en empêcher. »
- Félix, éducateur spécialisé à l'I.M.P. « La Providence »

À travers toutes ces paroles, il m'est apparu alors évident que la notion de
bienveillance s'imposait non seulement pour l'accompagnement du jeune, mais aussi
pour l'éducateur lui-même.

22
Troisième partie : Outils et projets

À travers ces différentes expériences vécues au long du stage, constituant


l'émergence de mes questionnements, ainsi qu'en exploitant la théorie des besoins
expliquée en première partie, j'ai pu revenir sur mes interventions avec un œil nouveau.
J'en suis venue à me poser la question suivante : afin de canaliser des épisodes de
violence, et ce sentiment de menace ressenti par le jeune qui en est l'origine, quelle
méthode d'accompagnement correspondrait le plus avec les valeurs humanistes
auxquelles je reviens toujours, à savoir la théorie des besoins ? C'est alors que j'ai
décidé d'explorer la thématique par laquelle j'aspire à accompagner chaque personne
avec laquelle je pourrais travailler : la bienveillance.

La bienveillance est à mes yeux, autant que la bientraitance, une notion


fondamentale à acquérir en tant que future éducatrice spécialisée. Il s'agit
d'accompagner la personne dans sa quête du bonheur, du bien-être, avec ce qui fait sens
pour elle, même si ses valeurs, convictions ou croyances ne correspondent pas aux
miennes. Parmi les outils humanistes partageant cet objectif, j'ai eu l'occasion d'en
utiliser plusieurs.

I. L'adolescent au cœur de l'accompagnement :

1. L'approche centrée sur la personne

C'est tout d'abord par la théorie de Carl Rogers11 que je retrouve la posture
éducative qu'il convient, à mon sens, d'adopter en tant qu'éducateur spécialisé peu
importe le secteur de travail. L'approche centrée sur la personne considère que la
relation entre l'aidant et le client12 doit avoir une solide base d'authenticité et de
sincérité. Par ailleurs, la notion de « respect inconditionnel » est également mise en

11 Psychologue américain, son travail sur les méthodes d'apprentissage est reconnu pour être novateur
pour l'époque, notamment avec sa théorie de l'approche centrée sur la personne (voir en annexe)
12 C'est un terme employé par C. Rogers afin de désigner le bénéficiaire de l'accompagnement.

23
avant dans cette théorie. Il s'agit d'accepter le vécu de l'autre, ses expériences et les
conséquences de celles-ci. Valoriser les compétences et les aptitudes du client
permettent également un accompagnement où ce dernier est au cœur de l'apprentissage.
Enfin, la dernière dimension essentielle de cette théorie est l'empathie : se mettre à la
place de l'autre, avec son vécu, pour ainsi comprendre ses besoins, ses souhaits.
Toutefois, une totale empathie ne peut exister, car nous gardons toujours notre propre
individualité et nous restons sous l'influence de notre subjectivité.

2. Le jeune acteur se son projet : situation de Jason

Durant mon stage, j'ai accompagné un jeune prénommé Jason. Cet adolescent de
12 ans a intégré l'I.M.P. deux semaines avant mon arrivée. J'ai remarqué qu'il avait
beaucoup de difficultés à poser ses valises, il restait souvent seul à s'occuper dans sa
chambre, n'allait pas beaucoup vers les autres jeunes. Lors de ses retours de week-end, il
refusait d'entrer dans l'établissement, allant jusqu'à donner des coups de pieds et de
poings dans la voiture de sa mère qui l'avait raccompagné. Il est arrivé que l'éducateur
l'attrape par le bras in extremis avant que Jason ne traverse la route très fréquentée en
courant. Pour lui, revenir à l'I.M.P. était source d'angoisse, lié à la séparation avec sa
mère. Il lui faudrait inévitablement du temps avant de réellement prendre ses marques
au sein de l'institution.
Après plusieurs discussions avec Jason et plusieurs jours passés en sa présence,
j'ai appris à le connaître. C'est un garçon curieux de tout, vif d'esprit, qui aime poser
toutes les questions qui lui passent par la tête. Il m'a confié que son loisir préféré était le
dessin. Comme il s'agit d'une compétence artistique que je cultive également, je lui ai
soumis l'idée d'investir sa chambre en réalisant une affiche où il dessinerait ce qui lui
plairait. Il était enthousiasmé par ce projet, je lui ai alors laissé toutes les cartes en main
afin qu'il le réalise. Il s'est procuré lui-même le nécessaire en utilisant la disponibilité du
matériel de dessin de l'unité (crayons de couleur, gomme, feutres, papier, etc.). Il a
décidé lui-même des dessins qu'il souhaitait réaliser, ainsi que de l'organisation de ceux-
ci sur son affiche. Au fil des semaines, j'ai remarqué qu'il prenait de plus en plus ses
marques dans l'institution : il allait davantage vers les autres jeunes, il discutait de
manière beaucoup plus ouverte avec eux et les adultes, il était beaucoup plus souriant. À
ses retours de week-end, lorsque je travaillais le dimanche, il m'a même spontanément

24
demandé de continuer son affiche. J'en ai profité pour lui dire qu'il n'était pas obligé de
me demander la permission, mais il souhaitait réaliser quelque chose d'esthétique et
voyait en moi une ressource pour accomplir cet objectif. Les premiers retours de week-
ends, il pleurait beaucoup au moment du coucher. Un éducateur m'a raconté qu'un soir,
il était allé discuter avec lui.

« - C'est quoi ce que tu as préféré dans ta journée ?


- Dessiner. »

Mon objectif était atteint. Le but de mon intervention était, par le dessin, non
seulement de créer un lien avec le jeune en partageant un loisir commun, mais
également de lui faire prendre conscience que ses passions peuvent être une très bonne
source d'apaisement lorsqu'il se sent angoissé lors de ses retours à l'I.M.P.
Pendant la création de cette affiche, nous nous installions dans le séjour, et tous
les jeunes venaient près de nous à tour de rôle afin de prendre part à notre conversation
et discuter avec nous des dessins que Jason réalisait. Cela a donc permis un échange
entre Jason et les autres adolescents du groupe. Durant les derniers week-end de stage, il
n'avait plus aucun comportement violent, ne criait plus, ne frappait plus les objets.
J'observais bien qu'il était attristé d'être séparé de sa mère, il était assez silencieux lors
de ces ruptures, mais il avait désormais bien pris ses marques dans l'unité et surtout, les
retours à l'institution ne constituaient plus pour lui une menace, un danger qui donnait
lieu à son comportement violent. Il avait en tête beaucoup d'idées de projets de dessin
dont il m'a parlé. Par le fait qu'il entreprenne de lui-même d'autres expériences, j'avais la
confirmation que mon intervention lui avait apporté une autonomie et une ressource
dans laquelle il pouvait puiser. Il m'a verbalisé cette pensée en me déclarant « Même
quand tu seras partie, je continuerai à dessiner et je ferai des trucs encore plus beaux. »

Avec cette expérience, j'ai pu réellement me rendre compte des bienfaits d'un tel
accompagnement. Il m'apparaît essentiel de toujours considérer la personne comme la
principale actrice de sa vie, de ses projets, des objectifs qu'elle se fixe. J'ai appris, à
travers cette intervention, à me positionner en tant que guide et personne ressource pour
le jeune, en prenant en compte son propre monde et ses compétences pour créer un

25
projet qui fasse sens pour lui. Par ailleurs, cette intervention mise en place avec
l'adolescent semble avoir impacté son quotidien de sorte à favoriser son bien-être.

II. La communication non-violente

Il s'agit d'un autre outil que j'ai eu l'occasion d'utiliser plusieurs fois durant mon
stage. En effet, j'ai pu bénéficier de son enseignement au cours de ma formation
d'éducateur spécialisé. La Communication Non-Violente a pour but d'échanger un
message l'un à l'autre en exprimant ses propres ressentis et verbalisant son empathie vis-
à-vis de son interlocuteur. Elle passe, pour cela, par quatre étapes :

– Les observations : on énonce ce que l'on a observé chez le client, ses


comportements, ses décisions de la manirèe la plus précise possible ;
– Les sentiments : il faut réfléchir à la manière la plus neutre d'exposer ses
sentiments à l'autre, ceux qui sont en lien avec son comportement observé ;
– Les besoins : ensuite, on exprime ses besoins à l'autre afin qu'il puisse en
prendre conscience et nous reconnaître en tant qu'individu à part entière, voir
que son comportement nous a interpellé ;
– Les attentes : en dernier lieu, on exprime les attentes que l'on a quant au client,
de façon à s'assurer qu'il les comprenne.

Chacune de ces étapes doit s'effectuer sans jugement. Il faut donc préféré les
phrases du type « J'ai le sentiment que... » ou « Lorsque tu... Je me sens... » aux paroles
portant un jugement. On peut reconnaître celles-ci lorsque l'on commence à qualifier
son interlocuteur « Tu es [...] », « Tu ne fais jamais [... ». Il faut également éviter, par
conséquent, les phrases contenant les mots comme toujours, souvent, jamais, qui sont
utilisés abusivement et ne rendent pas compte d'un positionnement qui assume sa
subjectivité.

26
1. Le respect : situation de Yan et Aurélien

J'ai vécu une situation de stage au sein de l'I.M.P. où j'ai assisté à une dispute
entre deux jeunes de l'unité Mic-Ados, que nous appellerons Yan et Aurélien.
Les deux garçons, âgés tous deux de 12 ans, devaient faire équipe afin de faire la
vaisselle du midi. C'est une tâche que Yan a beaucoup de mal à supporter. Il emploie des
discours comme ceux-ci :
« Ca vous fait bien rire de m'exploiter. Vous n'êtes même pas capables de faire
la vaisselle vous-mêmes ! En plus Aurélien m'a encore laissé tout seul à tout faire ! »

Les deux garçons n'étaient pas en bons termes ce jour-là. En effet, Aurélien avait
commencé à remplir le lave-vaiselle seul, et n'avait pas attendu Yan pour cela. Depuis
plusieurs jours, je ressentais qu'il y avait une tension entre les deux garçons : l'un
provoquait l'autre à se battre à n'importe quel moment de la journée. Il s'agissait du seul
type d'échange qu'ils partageaient.
Yan se retrouvait donc seul à faire l'autre moitié de la tâche consistant à essuyer
les tables et laver un plat. Yan a vécu cela comme une injustice. Il s'est mis en colère,
s'est roulé par terre en hurlant qu'il ne voulait pas faire sa tâche parce qu'Aurélien ne
l'avait pas terminée non plus, et qu'il ne voyait pas pourquoi il devait le faire à sa place.
Pendant cet incident, j'aidais un autre jeune à faire ses devoirs, un éducateur est donc
intervenu en envoyant Yan dans sa chambre de force.
C'est dans la soirée, au moment du coucher, que j'ai eu l'occasion de discuter
avec lui sur son comportement. J'ai établi mes observations avec lui, je lui ai dit que je
l'avais bien vu se mettre dans un état de colère pour une histoire de vaisselle. Je lui ai
exprimé mon incompréhension et ma tristesse de le voir ainsi.

«- Je trouve ça dommage que tu te mettes dans des états pareils pour quelque
chose dont tu pourrais nous parler. Je t'ai vu te rouler par terre, hurler, pleurer, je me
suis sentie mal en te regardant, ça me rend triste que tu exprimes ta colère de cette
manière. Qu'est-ce qui pourrait améliorer la situation, selon toi ?
- J'attends qu'Aurélien me respecte.
- Oui, mais le respect, ça va dans les deux sens. Si tu ne le respectes pas, il ne

27
le fera pas non plus pour toi, et inversement. Penses-tu réellement que cela ne dépende
que de lui ? »

Pendant cette conversation, j'ai regardé son visage qui semblait crispé : j'avais
l'impression qu'il réfléchissait de manière sérieuse à ce qu'il s'était passé dans la journée.
Il avait conscience de l'importance de ses actes, ainsi que de ses conséquences. C'est le
message que j'ai souhaité lui transmettre. Après lui avoir exposé mon point de vue, je lui
ai clairement dit que j'attendais de lui une amélioration de son comportement, à
commencer par une attitude de respect envers Aurélien et les autres jeunes.

Le lendemain, j'ai été agréablement surprise de la démarche de Yan auprès


d'Aurélien. En effet, c'était lors du goûter que les deux garçons se sont croisés pour la
première fois depuis la veille. J'ai observé la scène, se déroulant dans la cuisine, depuis
le séjour. Yan est allé vers Aurélien, et lui a tendu la main en disant « Je m'excuse. Pour
hier et pour les autres fois. » sur un ton sincère qui a été accepté par Aurélien. Les deux
jeunes ont ensuite « fait la paix » en se serrant la main. Ils ont ensuite ri, chahuté comme
s'ils étaient les meilleurs amis du monde.

J'en ai profité pour reprendre sa démarche avec lui. Je suis allée le voir le soir-
même, en lui disant « Ce que tu as fait, c'est respectable. ». Il semblait fier de lui,
souriant, et confiant dans ce qu'il a entrepris.
J'ai apprécié qu'il réfléchisse sur son comportement, je ne l'avais pas observé
faire une telle chose durant mon stage ormis cet événement. Les éducateurs ne
pratiquaient pas ce type de discussion avec lui, du moins pas sur le long terme. Ils
revenaient dessus de manière à ce qu'il « ne recommence pas », mais d'après les
entretiens que j'ai eu avec eux, ils n 'ont pas abordé cette problématique sous l'angle de
la Communication Non-Violente, et disaient simplement à Yan que son attitude était
inacceptable et qu'il fallait qu'il « grandisse ». Mon objectif, en utilisant la
Communication Non-Violente, est de faire comprendre un message au jeune, et l'inciter
à se remettre en question en observant ses propres émotions et ses propres besoins. Yan
a bien accompli cet exercice. Mais la Communication Non-Violente a également pour
but d'effectuer une introspection en tant que professionnel. Je considère ainsi que l'on

28
peut être à l'écoute de ses propres besoins et de ses propres émotions avec cet outil. Il
permet de faire une mise au point, et d'en discuter avec le jeune, et ainsi de cultiver cette
relation de confiance mutuelle.

III. L'écoute active

Il s'agit d'un autre outil de communication développé par C. Rogers. L'écoute


active13 consiste à se mettre en acitivté de totale disponibilité à son interlocuteur afin
que ce dernier apaise son besoin d'être écouté et compris par l'autre. Il n'est pas question
ici de chercher à donner des conseils, ou bien à faire une activité annexe en même
temps, il s'agit d'être ancré dans l'instant présent et faire sentir au client qu'il a de
l'importance pour nous, qu'il peut être soutenu sans être jugé. C'est un apprentissage à
acquérir.

1. Le son du silence

Durant mon stage de troisième année, une situation illustre particulièrement bien
mon apprentissage de l'écoute active..
Guillauem est un garçon de 15 ans, il vit dans l'I.M.P. depuis ses 8 ans. Bien qu'il
ne fasse pas partie de l'unité des Mic-Ados, mais de celle des adolescents plus âgés, j'ai
discuté quelquefois avec lui dans le même esprit. Lors de la situation, il s'agissait d'une
soirée où j'étais descendue dans la cour avec les jeunes de mon groupe. Au moment de
repartir, une dispute éclate entre les plus âgés : un groupe de fille et un groupe de
garçons. J'entends Guillaume hurler « C'est bon, je t'ai pas mal parlé, espèce de
connasse ! ». Les éducateurs présents dans la cour se dirigent vers la mêlée de jeunes
afin de les disperser et d'en envoyer dans leur chambre car il se faisait tard. J'ai vu
Guillaume se détacher du groupe, il avait l'air en colère, il serrait les poings, la
machoire, et marchait avec détermination. Comme j'étais près de la porte de l'institution,
il s'est dirigé vers moi. Il m'a regardé, et m'a dit « Putain, c'est toujours pareil ici ! C'est
elle qui m'a agressé et c'est moi qui prend, je te jure ! ».

J'ai senti, à ce moment-là, qu'il avait ce besoin de se confier sur ce qu'il venait de

13

29
se passer. Guillaume s'est arrêté de marcher en arrivant à mon niveau, et est resté à
regarder le groupe derrière lui pendant de longues secondes. C'est donc naturellement
que je lui ai demandé ce qu'il c'était passé pour qu'il réagisse ainsi.

« Ce qu'il se passe, c'est que cette connasse, Charlotte, elle m'a parlé mal et
après c'est moi qu'on accuse. En plus je sais pourquoi elle fait ça, elle veut se venger
de moi. On est sortis ensemble pendant presque un an, et elle disait qu'elle avait trop
peur que je la quitte, qu'elle était jalouse, alors elle a préféré casser. On s'était remis
ensemble pour deux mois, ça a été une catastrophe. Maintenant elle est avec son
nouveau mec là, un marocain ou je sais pas, bref. Elle est en couple alors qu'il y a pas
deux semaines elle m'envoie des messages sur Facebook en disant que je lui manque,
que si c'était à refaire elle tiendrait le coup plus longtemps. Mais si je lui manquais
vraiment, et si elle voulait vraiment se rermettre avec moi, elle se serat pas mise avec
un autre mec. Je comprendrai jamais les filles, je crois. Heureusement que j'ai promis
à mon père de bien me comporter cette semaine, sinon je te jure que ça serait parti en
live. »

Tout au long de son discours, je l'ai senti assez remonté, mais de plus en plus
apaisé au fur et à mesure qu'il m'expliquait la situation. Son débit de parole ralentissait,
sa voix enrouée devenait plus calme, plus lisse. J'avais un regard extérieur, et je pouvais
lui apporter l'écoute dont il avait besoin. Je considère que peu importe le fait qu'il fasse
partie de l'unité de vie où je travaille ou non, j'ai vu qu'il avait exprimé, par son
comportement non-verbal, et par sa parole, j'ai répondu à ce besoin qu'il manifestait
sans doute un peu de manière inconsciente.
Cet outil de communication lui a permis de s'exprimer à un moment donné, où il
aurait peut-être perdu son sang froid si quelqu'un ne l'avait pas écouté. Il s'agit pour moi
d'une démarche bienveillante que d'écouter l'autre sans chercher à lui apporter des
solutions qui ne sont pas les siennes, sans vouloir en ajouter par le récit d'événements
trouvant leur source dans sa propre vie personnelle. Car l'écoute active c'est aussi
apprendre à se taire, c'est faire du silence une base communicationnelle. Le silence n'est
pas vraiment bien vu dans notre société actuelle, car il est source de malaise parfois, où
l'on ne se ait pas quoi dire pour combler le vide. Or, il est impossible de ne pas

30
communiquer : le non-verbal est extrêmement important lui aussi. Afin d'adopter une
véritable attitude d'écoute, il faut se centrer sur le récit de la personne, lui faire face, la
regarder dans les yeux. Afin tout de même d'effectuer ce que l'on appelle une
« relance », il est nécessaire de manifester sa présence de manière verbale de temps à
autre, par exemple en reformulant avec ses propres mots ce que la personne raconte, en
la questionnant sur ce qui l'a amenée à faire ses choix, à prendre ses décisions.

Cet outil de communication fait prendre conscience à l'adolescent qu'il existe


dans son entièreté à travers les yeux d'une personne extérieure à la situation, et que ce
qu'il a à dire mérite d'être écouté et compris. Il s'agit d'un dialogue où l'éducateur est
simple observateur, mais permet également de ne pas nier les émotions de l'adolescent.
À travers mes questions et son discours, il peut réaliser une introspection et ainsi agir en
prenant en compte ses sentiments. À partir d'une situation où le danger, la menace était
représentée par la jeune fille avec qui il a eu une altercation, il découvre qu'il peut ne
pas répondre à l'appel de la violence simplement en verbalisant ce qu'il a sur la
conscience.

IV. L'art comme outil de bienveillance

Enfin, je ne pourrais conclure ce chapitre sans parler de l'art, plus


particulièrement du dessin et de la musique, comme outils d'expression participant à un
accompagnement bienveillant. J'estime qu'il est pertinent d'en faire mention, car l'art
étant un moyen de s'exprimer, il peut être utilisé comme catalyseur pour initier
l'adolescent autant que l'éducateur à retranscrire sa frustration, ses émotions et la
naissance d'un sentiment de violence en soi, surtout dans une dynamique où l'individu
se sent impuissant. Les compétences artistiques développent également beaucoup de
traits d'aptitude : la concentration, la discipline, la rigueur, la précision, et beaucoup
d'autres. Le fait d'apprendre un instrument est loin d'être une chose facile, il en est de
même pour apprendre à dessiner.
Avec une telle population que des troubles du comportements, qui englobe
plusieurs problématiques très différentes les unes des autres, l'art est un outil à la fois
relationnel mais également d'expression qui entre dans le cadre d'un accompagnement
bienveillant.

31
1. L'arbre aux souvenirs : situation de stage
Durant mon stage, comme expliqué dans la partie de l'approche centrée sur la
personne, j'ai pu participer et réaliser diverses activités artistiques, dont le dessin ou la
peinture.
Les éducateurs, en voyant mon intérêt pour de tels domaines, ont souhaité
m'inclure dans un projet pour les jeunes : celui de peindre un arbre sur l'un des murs
vierges de l'unité de vie des Mic-Ados, afin que chacun des jeunes puisse y inscrire sa
main dessus. J'ai trouvé l'idée pertinente et originale, correspondant au besoin des
adolescents d'appartenir à un groupe, de se construire une identité, cette création a eu
donc pour objectif de travailler sur leur besoin d'appartenance.

J'ai entrepris de dessiner un grand arbre14 avec un hibou au centre. Pendant la


réalisation de ce projet, j'ai inclus plusieurs jeunes : plusieurs m'ont aidé à peindre les
branches, et j'ai insisté auprès d'eux afin qu'ils peignent eux-même leur main sur l'arbre,
en corrélation avec l'approche centrée sur la personne où l'adolescent est au cœur du
projet et en est acteur, non simple spectateur. Cela nous offrait également de véritables
moments relationnels, où je discutais avec les jeunes et où une cohésion pouvait se créer
afin que chacun participe à la création de ce projet artistique.

De plus, la seule main inachevée sur l'arbre appartient à Quentin. Cela me donne
l'idée qu'un tel projet est également utile afin d'entrevoir les motivations de certains
jeunes. Peut-être que Quentin, souhaitant quitter l'I.M.P., n'avait pas le désir d'être
intégré à ce groupe, et cela se retranscrit par une œuvre incomplète qu'il pourrait laisser
derrière lui, malgré sees demandes de la finaliser.
Le dessin, comme la peinture, est donc un excellent outil permettant de travailler
sur les compétences du jeune et sur ses aptitudes, mais également afin d'échanger, de
partager une vision du monde et ainsi donner naissance à des souvenirs.

2. Au rythme du cœur : situation de stage

Une seconde situation de stage est l'utilisation de la musique en tant qu'outil


d'expression et outil relationnel. En effet, je cultive également des aptitudes en chant et
14 Il s'agit de la peinture murale que j'ai exposée en couverture de ce travail.

32
en guitare. Durant ces trois mois d'intégration professionnelle, j'ai eu l'occasion d'aider
deux jeunes à écrire leur propre chanson ainsi qu'à en composer la musique à l'aide de la
guitare. Ils souhaitaient mettre en avant leur ressenti, leurs sentiments. En effet, il
s'agissait d'une chanson personnelle qui retraçait le parcours de leur amitié.
La musique étant un outil familier pour eux grâce à l'activité « Providence
Band » proposée par les éducateurs, ils n'ont pas eu de mal à se rendre compte du travail
nécessaire à l'écriture et à la composition. Ils ont pris cette création au sérieux. J'ai été à
l'écoute de leur volonté, de leurs souhaits, car comme pour Jason avec le dessin, je
souhaite que les adolescents soient acteurs de leur projet, et proposer ma présence
uniquement en tant que personne ressource.

Afin d'organiser mon départ de l'I.M.P., dirant ma dernière semaine de stage, j'ai
utilisé la musique. Avec ma guitare, j'ai pu chanter plusieurs titres qui leur ont plu, cette
ambiance a créé une sorte de bulle dans laquelle chacun partageait un moment
d'expression. Mon but étant de créer un moment convivial avec les jeunes, j'ai demandé
à l'un d'eux qui avait de très bonnes compétences en rythmique de m'accompagner au
djembé, un autre éducateur s'est joint à nous afin de l'aider dans l'appréhension du
tempo. Ainsi, j'ai voulu inclure le jeune pour qui cette expérience pouvait le valoriser
aux yeux des autres et resserrer davantage les liens que j'ai entretenu avec lui.
Le dernier jour de mon stage, j'ai chanté et joué de la guitare avec des jeunes
dans les couloirs de l'.I.M.P., des adolescents d'autres unités se sont joint à nous afin de
partager ce moment convivial avec nous.

La musique est une méthode d'expression douce et complexe. Elle permet aux
jeunes de mettre en avant leurs sentiments, leurs émotions vis-à-vis de leur situation
personnelle et leur vision du monde qui les entoure. Cet outil canalise leurs pensées et
apaise ainsi le tumulte qui les habite. Elle est davantage un refuge dans lequel le jeune
peut s'apaiser, car elle n'est pas autant accessible que le dessin, mais elle permet
d'utiliser également l'écriture de paroles, de textes pouvant retranscrire les émotions de
l'adolescent. Ceci contribue donc inévitablement à contenir la violence du jeune, car il
sait qu'il peut à tout moment revenir vers la musique pour apaise l'angoisse d'une
menace pesant sur lui.

33
Conclusion

À travers ce mémoire, j'ai introduit différentes composantes du courant


humaniste à mon travail de réflexion sur la violence de l'adolescent placé en institution.
J'ai défini les notions d'agressivité et de violence en les distinguant car elles ont chacune
leur sens propre. J'ai développé la théorie des besoins sur laquelle reposent mes
analyses, ainsi qu'un descriptif du profil de l'adolescent selon la psychologie du
développement. Ensuite, j'ai rendu compte de mon parcours tout au long du stage en
évoquant des situations de violence, de la part de l'éducateur ou bien de la part du jeune.
J'ai également introduit différents témoignages et les opinions des professionnels avec
qui j'ai travaillé sur la question de la violence de l'adolescent. De plus, j'ai abordé la
question du lien relationnel entre l'éducateur spécialisé et le jeune, ainsi que l'impact
qu'un comportement violent peut avoir sur celui-ci. Enfin, j'ai développé différents
outils issus du courant humaniste ou bien de ma propre expérience que j'ai appliqué
dans mes interventions auprès des jeunes en illustrant chacun de mes propos avec une
situation vécue en stage.

Mon travail m'a permis d'apporter des éléments de réponse à mon


questionnement de départ. Les résultats positifs de mes interventions me permettent
d'avancer que les outils d'expression et de communication que j'ai utilisés sont adaptés à
la problématique de la violence de l'adolescent placé en institution. La bienveillance
permet donc, en rassurant l'autre, en lui faisant prendre conscience qu'il est avant tout un
être humain, de casser le processus de déshumanisation dans la violence, puisque
l'éducateur face au jeune considère ce dernier comme un individu à part entière avec ses
besoins, ses souhaits, son monde à lui. De ce fait, l'adulte étant une personne référente
pour l'adolescent, celui-ci va intégrer cette attitude éducative et sera moins susceptible
de présenter des comportements violents. De plus, il peut prendre conscience de ses
émotions, les analyser pour ensuite mettre des mots sur ses besoins inapaisés. Par cet
apprentissage, il développera une certaine autonomie qui lui enseignera à gérer les
conflits, qu'ils soient intra-personnels ou inter-personnels, de manière à respecter un
cadre et sans porter atteinte à l'intégrité de qui que ce soit.

34
La méthodologie que j'ai employée était adaptée à mon travail, car je considère
que mes interventions auprès des adolescents placés en institution doivent s'opérer avec
une démarche bienveillante. En revanche, j'estime ne pas avoir suffisamment aborder la
question de la bienveillance envers soi-même, qui est tout aussi importante, bien que j'ai
évoqué ce point dans la seconde partie de ce travail, lorsque j'analyse les besoins des
éducateurs. D'autres pistes auraient été intéressantes à exploiter, par exemple la création
d'un outil sensibilisant à une attitude bienveillante lors des comportements violents des
adolescents. Il aurait également été pertinent d'aborder la question de la violence du
jeune en institution de manière plus poussée afin d'en comprendre la dynamique,
notamment le fait que « la violence engendre la violence », comme la situation décrite
en seconde partie en témoigne. Une autre piste pourrait être exploitée plus en détails :
celle des limites personnelles de chaque éducateur spécialisé, et comment ce dernier
peut les gérer à travers des situations de violence.

Pour conclure, cette dimension de l'appréhension de la violence par une attitude


bienveillante est nécessaire dans l'accompagnement que réalise un éducateur spécialisé
avec le client. Cette population présente des problématiques de troubles du
comportement, il est donc essentiel de s'interroger et de s'informer sur les dynamiques
de la violence afin de comprendre le comportement de l'adolescent. Cependant, cette
démarche me semble tout aussi importante dans la vie quotidienne, à travers nos
différentes relations inter-personnelles. Dans une société où la violence est de plus en
plus banalisée, notamment par les médias, cette thématique peut donner lieu à une
réflexion plus poussée sur notre propre vécu, afin qu'à travers nos expériences plus
personnelles nous appliquions ces valeurs humanistes, dont la bienveillance peut
contribuer à apaiser le sentiment de menace subi par un individu et rendre notre
existence plus agréable.

35
Bibliographie :

Ouvrages et articles :

– Bourcet, S & Tyrode, Y. 2006. La violence des adolescents, clinique et


prévention. 2e édition. Dunod. 216 pp.
– Breton, P. 2004. Argumenter en situation difficile. La Découverte. 137 pp.
– Compernolle, T et al. 2012. Gérer des adolescents difficiles, De Boeck. 136 pp.
– Lehalle, H. 2015. Psychologie des adolescents. Presses universitaires de France.
246 pp.
– Maslow, A. & Nicolaïeff, L. 2013. Devenir le meilleur de soi-même : Besoins
fodnamentaux, motivation et personnalité. Eyrolles. 383 pp.
– Serrano, P. 2008. Comportements agressifs : comment faire face ? Non-violence
actualité. 112 pp.
– Zimring, F. 1994. Carl Rogers (1902-1987). Perspectives : revue trimestrielle
d'éducation comparée. Vol XXIV, n°3/4. pp 429-442. Consultable en ligne :
http://www.ibe.unesco.org/sites/default/files/rogersf.pdf

Ressources Internet :

– Afeas, Association féminine d'éducation et d'action sociale. 2006. La violence a


plusieurs visages. Consultable en ligne : http://www.afeas.qc.ca/wp-
content/uploads/2006/10/Typesviolence.pdf
– Catsuf, Association des Ambulanciers de France. 2015. Gestion de l’agressivité.
Consultable en ligne :
https://www.catsuf.fr/sites/catsuf.fr/files/editeur/fiches/pdf/m017-gestion-
agressivite-v112015-aesp02.pdf
– Hennion-Diop, S. 2009. Attention et bienveillance. Cairn. Consultable en ligne :
https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-dynamiques-2009-2-page-72.htm
– Franche Com. L'écoute bienveillante. Le web pédagogique. Consultable en
ligne : http://lewebpedagogique.com/parade/files/2013/09/l%C3%A9coute-
active.pdf
– Lange, J. 2007. Gestion des conflits pour la prévention de la violence. Soutien et
autonomie. Consultable en ligne :
http://soutien.et.autonomie.free.fr/IMG/pdf/Conflits_contre_VIOLENCE.pdf
– Martel, B. L'agressivité, à l'opposé de la violence. Pedagopsy. Consultable en
ligne: http://pedagopsy.eu/agressivite_violence.html
– Neurolead. Gérer l'agressivité et la violence. Consultable en ligne :
http://www.neurolead.net/docs/fiches/fiche-site-agressivite.pdf
– Phaneuf, M. 2007, 2013. Carl Rogers, l'homme et les idées. Prendre soin.
Consultable en ligne : http://www.prendresoin.org/wp-
content/uploads/2015/10/Carl_Rogers_l-homme_et_les_idees.pdf
– Piazza, O. 2009. Carl Rogers, le développement de la personne, synthèse.
Selfway. Consultable en ligne :
http://www.selfway.fr/files/selfway_synthese_carl_rogers_developpement_perso
nne.pdf
– Rouhier C. 2006. De l'agressivité à la violence. Irénées Consultable en ligne :
http://www.irenees.net/bdf_fiche-analyse-125_fr.html
Annexes :

– Annexe 1 : Le cercle Polémos : une autre manière de comprendre la violence.

– Annexe 2 : Les idées de Carl Rogers


Annexe 1 : Le cercle Polémos
Annexe 2 : Les idées de Carl Rogers

Vous aimerez peut-être aussi