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Cours de Management Interculturel – ENCG Dakhla Pr H.

AMAAZOUL

CHAPITRE 3. MANAGEMENT INTERCULTUREL: SOUBASSEMENTS


ET MODÈLES
1. Soubassements de management interculturel
2. Les travaux fondateurs du management interculturel
3. Les modèles du management interculturel
*****
1. Soubassements de management interculturel
1.1. L’enjeu du management interculturel
Selon Dupriez et Simons (2000)30, l’enjeu du management interculturel est d’intégrer les
valeurs des cultures locales dans l’exercice des différentes fonctions de l’entreprise. Il s’agit
par exemple :
– pour la fonction commerciale : proposer des produits tenant compte des préférences des
consommateurs de chaque pays. Même les produits a priori très standardisés (boisson
Coca-Cola) en tiennent compte. Ainsi, le Coca-Cola light a un goût plus sucré en
Europe qu’aux États-Unis ;
– pour la fonction ressources humaines : prendre en compte les difficultés de
communication entre personnes de cultures différentes. Ainsi, les premières
négociations lors du rapprochement entre Renault et Nissan donnèrent lieu à des
incompréhensions dues aux différences entre les modes de communication en France et
au Japon. Par exemple, il est tacitement autorisé en France de couper la parole lors
d’une réunion, alors qu’il s’agit d’une attitude déplacée au Japon. De même, un silence
dans une réunion est signe de malaise pour des français, là où les japonais y voient
simplement un temps de réflexion.
Une entreprise peut par ailleurs rechercher volontairement à constituer des équipes
managériales composées de membres aux cultures variées. En effet, la diversité des
représentations permet souvent une meilleure réactivité et une plus grande inventivité.
1.2. Définition de management interculturel
Il est aujourd’hui commun de voir évoluer des groupes culturels différents dans une même
entreprise. Aussi, à l’heure de la mondialisation des marchés, les clients et partenaires d’une
entreprise peuvent être de nationalités différentes. Dans ce contexte, il est primordial pour le
manager de proposer des solutions portant une attention particulière à l’interculturalité pour
ajuster les pratiques aux différences culturelles.
«Le management interculturel, discipline ayant émergée il y a une quinzaine d'années, se
définit comme étant une branche des sciences de la gestion qui se fonde sur l'analyse des
différences culturelles; elle consiste essentiellement à animer des équipes formées de person-
nes de plusieurs cultures et à construire des articulations entre elles.» (Chevrier, 2000).
1.3. Typologie du management interculturel
La mondialisation de l’économie et l’internationalisation des échanges implique le
management des relations entre la société-mère et les filiales. Ces principes de management
varient en fonction des choix de la culture d’entreprise des société-mères déterminés par le
degré d’importance accordée aux éléments de centralisation/décentralisation ainsi qu’à la
standardisation et la formalisation des procédures.
La nécessité de répondre à un contexte interculturel permet de faire face aux difficultés
liées à la diversité des attentes et aux caractéristiques de la culture locale (Meier, 2004).

30
DUPRIEZ P. & SIMONS S. (2000), La Résistance Culturelle, De Boeck Université.

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Perlmutter (1969) distingue quatre modèles de pratiques de management dans les


entreprises interculturelles en regard de facteurs environnementaux.
1.3.1. Le modèle ethnocentrique
Ce modèle fortement utilisé dans les années 1960-1970, est basé sur la standardisation des
systèmes de management, établis à partir des intérêts et des objectifs de la société-mère. Les
filiales disposent d’une faible autonomie et les postes de commandement sont tenus par des
cadres expatriés qui transfèrent les valeurs de l’entreprise. Ce modèle de management
privilégie la conformité plutôt que la diversité, instaurant ainsi un système d’autorité unique et
cohérent qui peut s’avérer efficace dans les environnements stables et peu évolutifs.
Toutefois, ce modèle présente des limites lorsque l’environnement requiert une certaine
adaptation spécifique et dans les contextes changeants et complexes où les solutions ne
peuvent être définies au préalable. On trouve ce modèle généralement dans les pays en voie
de développement caractérisés par un personnel peu compétent.
1.3.2. Le modèle polycentrique
Ce modèle s’oppose au modèle ethnocentrique. Il prend en compte la réalité locale et agit
en fonction des différentes cultures des pays. Les filiales des entreprises sont considérées
comme des entités distinctes et bénéficient d’une forte autonomie. Les responsabilités sont
déléguées aux cadres locaux occupant les postes clés. Cependant, ce modèle pose les limites
d’un manque de cohérence interne et l’absence de synergie entre le siège social et sa filiale.
1.3.3. Le modèle régiocentrique
Ce modèle se positionne entre une vision mondiale dans le management des entreprises et
une vision locale. En s’installant dans des espaces proches sur le plan géographique (division
en blocs régionaux) et sur le plan culturel (valeurs et histoires communes), les entreprises
entendent bénéficier d’une économie d’échelle. Dans ce modèle, on cherche la réalisation de
synergies entre pays voisins en favorisant une culture de proximité. Le modèle régiocentrique
présente l’avantage de disposer de firmes supranationales tout en respectant les différences
culturelles. Cependant, les limites se posent en termes de sous-estimation de certaines différ-
ences culturelles comme dans le cas d’une association entre les pays asiatiques connus pour
leur hétérogénéité culturelle comme le Japon et le Vietnam malgré leur proximité géographique.
1.3.4. Le modèle géocentrique
Le modèle géocentrique place l’entreprise dans un système global de prise de décision. Le
siège et la filiale sont inscrits dans un processus alliant intégration mondiale et spécificités
locales. Dans ce type d’entreprises, les cadres sont recrutés en fonctions de leurs compétences
indépendamment de leurs origines culturelles.
Les différents modèles de management interculturel tels que présentés par Perlmutter
(1969), sont fondés à la fois sur les trois principaux critères dans la définition des approches
organisationnelles à savoir : le degré de complexité ; l’autorité et la prise de décision ;
l’évaluation et le contrôle et les relations intra-firmes.

2. Les travaux fondateurs du management interculturel


Selon Christoph BARMEYER (2007), les premiers modèles du management interculturel sont
apparus dans les années 50. Les contacts interculturels sont nés de la croissance du nombre des
travailleurs (et étudiants) Américains ou Européens dans les pays en voie de développement. De
là a émergé la préoccupation par rapport aux diversités culturelles et au management de la
différence. Le management interculturel, discipline relativement récente, s’est développé à partir
des domaines de recherche du management comparé, du comportement organisationnel et de la
communication interculturelle. Les deux axes de la figure 1 montre que le management
interculturel concerne à la fois la pratique et la recherche.

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Figure 1. Développement du management interculturel

Source: BARMEYER Ch. (2007), Management interculturel et styles d'apprentissage: Étudiants et


dirigeants en France, en Allemagne et au Québec, Presses de l'Université Laval, p.45.

Les modèles sont nombreux et les critères de différenciation culturelle divergent d'un
auteur chercheur à un autre. Par contre, dans le cadre de notre cours, on a choisit d'étudier les
modèles les plus populaires. Ces modèles sont: celui de Hall, d'Hofstede et de Trompenaars
et Hampden-Turner. Ces auteurs ont la même approche que l'école culturaliste qui cherche à
examiner les comportements des individus à travers la culture.

2.1. Le modèle de Hall


Edward HALL est un anthropologue américain qui s’intéresse aux relations
interculturelles. Ainsi, il étudie la communication entre représentants de cultures différentes.
Sa méthode est centrée sur l'observation des comportements (Désiré Loth, 2006).
2.1.1. La proxémique
Le concept le plus connu de cet auteur est la proxémique. II fut présenté dans son ouvrage
The silent language publié en 1959. Par définition, «la proxémique précise la distance
physique entre deux locuteurs et le sens attribué à cette distance. Chaque culture propose
ainsi sa proxémique. Si vous la méconnaissez, vous créerez soit un malaise, soit une
frustration» (Philippe Deval, 1993).
Hall étudie la proxémique dans diverses cultures en prenant la culture nord-américaine
comme référence, il évoque également la culture française, allemande, anglaise, arabe et
japonaise. Il n'examine quasiment pas les cultures latines (C.A. Rabasso et F. J. Rabasso, 2007).
La proxémique distingue quatre groupes : distance intime, distance personnelle, distance
sociale et distance publique.

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Tableau 1. Les différents groupes de la proxémique


Les groupes Phase proche Phase éloignée
La distance intime (de 6 à 18 pouces): Moins de 15 cm: distance De 15 à 45 cm: situations
réservée au contact intime avec ses de la relation sexuelle et de d'intimité dans les lieux
amoureux ou ses enfants. Cette distance la lutte. publics.
s’accompagne d’une grande implication
physique et d’un échange sensoriel31.
La distance personnelle (1,5 pieds à 4 De 45 à 75 cm: on peut De 75 à 120 cm: le
pieds) : distance de bulle, créé autour de lui toucher l'autre. La vue est champ visuel permet de
pour s’isoler les autres. Cette distance est parfaite et on peut observer voir tout le corps de
utilisée dans les conversations particulières. les petits détails du visage. l'autre.
La distance sociale (4 pieds à 12 pieds): De 120 cm à 2 m: on traite De 2 à 3,5 m: dans les
Utilisée au cours de l’interaction avec des des questions situations formelles, on
amis et des collègues de travail. impersonnelles dans des ne peut percevoir les
situations informelles. détails du visage.
La distance publique (12 pieds à plus de De 3,5 à 7,5 m : on doit Plus de 7,5 m : cette
25 pieds) : utilisée lorsqu’on parle à des parler à haute voix, le distance est adoptée pour
groupes. La prise de parole est discours est plus formel. les personnages publics32.
hiérarchisée. Ex : la scène du théâtre.
Source: Adapté de HALL E. (1966), La dimension cachée (The Hidden Dimension).

2.1.2. Monochronisme / Polychronisme


Hall ne se limite pas à l'étude de la proxémique, ses études ont donné naissance à deux
conceptions fondamentales de la culture qui orientent les comportements de l'individu. Par ces
conceptions, on distingue: la culture polychronique et la culture monochronique. Dans une
culture monochronique, le temps est perçu et utilisé de manière linéaire, il est une route du passé
vers le futur. Dans une culture polychronique, le temps sait faire preuve d'une certaine souplesse
voire à l'imprévu. La référence au contexte est un autre critère qui peut différencier les deux types
de cultures. «Le contexte désigne l'ensemble des informations explicites ou non qui ont trait à un
évènement et qui sont indissociables de celui-ci» (Désiré Loth, 2006). Le tableau suivant résume,
de façon générale, la différence entre les deux cultures selon les critères de temps et de contexte:
Tableau 2. Les critères de différenciation culturelle selon Hall
Critère \ Culture Monochronique Polychronique
Temps  L’organisation du temps est  L’organisation du temps est
séquentielle ; souple ;
 Chaque tâche est planifiée  Les programmes peuvent être remis
successivement ; en cause ;
 Les détails sont respectés ;  La flexibilité et la réactivité à
 Les individus prennent des mesures l’évènement sont privilégiées ;
pour protéger leur temps, l’espace et  Les individus se protègent peu des
la concentration de leur travail. intrusions extérieures.
Contexte  Forte référence au contexte ;  Faible référence au contexte ;
 L’information est implicite et  L’information est explicite et
informelle. formelle.
Source: Adapté de HALL E. (1966), La dimension cachée (The Hidden Dimension).
En somme, la conception de Hall s'applique, en grande partie, aux relations sociales et publi-
ques, avec de faibles références à la gestion de la diversité culturelle en équipes de travail.

31
À cette distance, la vision est souvent déformée, on peut percevoir la chaleur du corps de l’autre, le rythme de
sa respiration et l’odeur de l’haleine.
32
Au delà de 7,50m, Distance oratoire. Position entre un orateur et un public. Forte implication des prises de
parole dans un dispositif fortement hiérarchisé (meeting, distance avec les grandes personnalités). A cette
distance, la vision corporelle est fondue dans le décor. Théâtralité des postures et de l’élocution.

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2.2. Le modèle de Hofstede


Geert HOFSTEDE est un psychologue néerlandais qui s'est intéressé à l'étude de la culture
et des différences culturelles. «II est le premier intellectuel à étudier les interconnexions entre
les cultures organisationnelles» (C. A. Rabassà et F. J. Rabassà, 2007). Entre 1967 et 1973, il
a mené une étude au sein de la multinationale américaine IBM implantée dans 64 pays avec
72 filiales. La recherche, conduite par Geert HOFSTEDE (1980)33, repose sur l’administration
de plus de 100 000 questionnaires. Les questions portent sur la satisfaction au travail, les
perceptions quant aux attentes de la hiérarchie, les buts personnels en matière de travail, etc.
L’appartenance des répondants à une même entreprise permet de limiter les biais liés aux
particularités des cultures d’entreprise ou de métier et de faire apparaître les différences
nationales (Chevrier, 2013).
Les travaux de Hofstede sont devenus une référence internationale dans la recherche
interculturelle. «Ils constituent le point de départ de ce nouveau champ du management» (Désiré
Loth, 2006). Son approche repose sur une analyse statistique des critères culturels déterminants
dans la GRH. Cette analyse lui a permis de définir quatre critères de différenciation culturelle:
2.2.1. Distance hiérarchique
La distance hiérarchique, quand elle est forte, signifie que le pouvoir est un fait de base de
société, il est exprimé par une autorité de référence. Aussi, il y a un conflit latent entre ceux
qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent. Par contre, une distance faible est exprimée
par une autorité de récompense. Dans une telle culture, la consultation des subordonnées est
familière avec l'absence de signes hiérarchiques.
En d’autres termes, ce critère mesure le degré d’inégalité accepté par les individus face au
pouvoir et à l’autorité. Dans les cultures à faible distance au pouvoir, les relations de travail sont
relativement égalitaires et les supérieurs hiérarchiques facilement accessibles. À l’inverse, dans
les pays marqués par une forte distance au pouvoir, les employés sont soumis à l’autorité de leur
supérieur et les relations sont fortement hiérarchisées. Une grande distance au pouvoir est
valorisée par les pays d’Amérique du Sud et les pays d’Afrique noire tandis que les pays anglo-
saxons, scandinaves et germaniques valorisent une faible distance au pouvoir.
2.2.2. Contrôle de l’incertitude
Selon Hofstede et Bollinger (1987), «l'entreprise combat l'incertitude d'une façon qui lui est
propre selon le groupe d'hommes qui la compose». Le contrôle de l'incertitude signifie la volonté
de se garantir du risque, qui peut se traduire par les éléments suivants (Benoît Théry, 2002) :
 L'inquiétude du futur, la peur du changement et de la différence;
 La préférence pour des structures stables et rigides, et éventuellement pour la gérontocratie;
 Le souci d'établir des procédures claires, précises et détaillées pour éviter les aléas.
En d’autres termes, c’est la manière dont les individus abordent le risque (prise de risque ou
évitement) et le temps (les occidentaux gèrent le temps qui est considéré comme un indicateur
d’efficacité, voire comme un objectif alors qu’en Asie, par exemple, le temps est une variable
qui se place au service de l’objectif et de l’efficacité). Les cultures qui, telles que le Japon, la
Grèce ou le Portugal, cherchent à réduire l’incertitude tendent à multiplier les règles et
règlements, à valoriser le conformisme et la sécurité et à travailler dur. Par contre, les pays
tolérants à l’incertitude, tels que les pays scandinaves et les pays anglo-saxons, contrôlent moins
les comportements et sont plus ouverts à l’initiative personnelle et aux idées nouvelles ;
2.2.3. Individualisme / Collectivisme
Dans une culture individualiste, «les individus, orientés davantage sur la tâche qu'ils doivent
accomplir que sur la relation avec leurs collègues, éprouvent quelques difficultés à travailler de
façon harmonieuse en équipe: chacun se perçoit comme une unité indépendante plutôt que comme

33
HOFSTEDE G. (1980), Culture’s Consequences, Beverly Hills, Sage Publications.

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partie intégrante du groupe. L'esprit de cohésion n'est pas naturel, il faut se construire, puis, en
admettant qu'on y soit parvenu, l'entretenir pour le maintenir» (Sylvie Lainé, 2004). De plus, le
sens individualiste privilégie les intérêts personnels dans les organisations. Il est important de
respecter la vie privée qui doit être séparée de la vie professionnelle (Hofstede et Bollinger, 1987).
Autrement dit, ce critère renvoie au degré d’indépendance et de liberté que peuvent
revendiquer les membres d’une société (il caractérise notamment la forte corrélation entre le
degré d’individualisme et la richesse du pays) – Le bien-être individuel qui guide les entreprises
anglo-saxonnes et le bien-être collectif de l’entreprise nippone, par exemple (notion d’équipe).
Les pays anglo-saxons figurent parmi les plus individualistes tandis que le Guatemala, le
Pakistan, la Colombie et le Venezuela atteignent les plus hauts scores de collectivisme.
2.2.4. Masculinité / Féminité
«Les ressortissants des pays masculins vivent pour travailler, tandis que ceux des pays
féminins, travaillent pour vivre» (Hofstede et Bollinger, 1987). La masculinité signifie une
différenciation des sexes dans les rôles socioprofessionnels alors que la féminité signifie la
priorité accordée à l'harmonie relationnelle, les relations humaines sont importantes. La
masculinité, contrairement à la féminité, se caractérise par ce qui suit (Benoît Théry, 2002) :
˗ L'affirmation de soi, l'absence de pudeur;
˗ L'importance accordée à la réussite, à l'argent et à l’image extérieure;
˗ L'ambition et la volonté de réalisation personnelle.
En d’autres termes, c’est une dimension qui appréhende la différenciation des rôles entre
sexes dans la société. Les cultures masculines établissent une distinction claire entre les rôles
masculins et féminins et admettent la prédominance des rôles masculins, plus orientés vers la
performance économique. Dans les cultures plus féminines, la répartition des rôles est plus
fluide, hommes et femmes sont davantage sur un pied d’égalité et, par conséquent, les valeurs
féminines centrées sur la qualité de vie sont plus accentuées. L’indice de masculinité est plus
élevé au Japon, dans les pays germaniques et au Mexique tandis que les pays scandinaves et
les Pays-Bas ont les scores de féminités les plus élevés.
Les styles de management sont influencés par ces quatre variables culturelles. Geert
HOFSTEDE (1980) croise ainsi les deux premiers critères :
Tableau 3. Les différentes cultures
Distance hiérarchique
Forte Faible
Fort France, pays latins Allemagne, Europe centrale
Contrôle de l’incertitude Pays arabes, Afrique, Grande-Bretagne, pays
Faible
Asie, Inde nordiques

Le champ du management interculturel doit une grande partie de sa reconnaissance à Hofstede


qui a légitimé une vision alternative à l’hypothèse de convergence des cultures qui régnait jusque-
là dans le monde des affaires. Il qualifie lui-même ses travaux de base d’un «changement de
paradigme» qui substitue une vision relativiste à l’universalisme traditionnel de la littérature en
management. La très large audience dont ont joui ses publications est certainement à mettre sur le
compte de l’impressionnant dispositif de recherche qui a entraîné l’adhésion des chercheurs
largement épris de formalisme méthodologique. Hofstede a ainsi légitimé un champ de recherche
en établissant une relation étroite entre des cultures nationales et des formes d’organisation, des
pratiques de management ainsi que des comportements au travail. Trompenaars (1994) et
schwartz (1999) ont notamment modifié le modèle en proposant respectivement sept dimensions34
et sept valeurs35 pour caractériser des sociétés (Chevrier, 2013).
34
Universalisme/particularisme, collectivisme/individualisme, relations neutres/affectives, culture spécifique/
diffuse, accomplissement ou statut, temps séquentiel ou synchronique, soumission à la nature/nature maîtrisée.
35
Conservatisme, autonomie intellectuelle, autonomie affective, hiérarchie, égalitarisme, domination, harmonie.

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2.3. Le modèle de Trompenaars et Hampden-Turner


Trompenaars et Hampden-Turner sont des auteurs chercheurs dans le domaine de
l'interculturel. Pour eux, «il est important de comprendre la culture de ses interlocuteurs car
il s'agit d'un sésame indispensable à une négociation réussie» (Trompenaars et Hampden-
Turner, 2004). Ils ont identifié six caractéristiques clés qui distinguent la culture:
‒ Universalisme / particularisme
‒ Individualisme / collectivisme
‒ Vision d'ensemble / vision de détail
‒ Statut attribué / statut acquis
‒ Motivation exogène / motivation endogène
‒ Conception synchronique du temps / conception séquentiel du temps
2.3.1. Universalisme / particularisme
«L'universalisme recherche l'identique et la ressemblance et il s'efforce d'imposer à tous
les membres d'une classe ou de l'univers les lois de leur destinée commune».
«Le particularisme, par contre, recherche la différence, les formes de distinction uniques
et exceptionnelles qui font d'un objet un phénomène incomparable et à nul autre pareil»
(Trompenaars et Hampden-Turner, 2004).
Il existe une multitude de dissemblances entre l'universalisme et le particularisme. On note
des différences sur le plan religieux, politique et sociétal. Les cultures universalistes cherchent
des absolus sur le plan moral alors que les cultures particularistes se basent sur la
circonstance. Nous résumons la différence entre les deux concepts dans le tableau qui suit:
Tableau 4. La différence entre universalisme et particularisme
Universalisme Particularisme
 La culture accepte et traite tous  La culture célèbre ce qu'un peuple, une situation ou un
les arrivants sur un pied d'égalité ; évènement ont d'unique et d'incomparable ;
 Les personnes détenant un pouvoir  La culture est célèbre pour ses produits d'exception: haute
extraordinaire sont soumises à la couture, gastronomie, etc.
loi comme n'importe quelle  Les personnes ont souvent recours à la force, la coercition,
personne ; l'intimidation, la mystification, la complicité et la
 Stratégie de développement des conspiration ;
compétences de base ;  L'individu doit une fidélité absolue à la famille élargie ;
 Le prix élevé détermine le  Stratégie de la proximité avec le client ;
caractère du produit.
 La qualité du produit et l'écoute du client sont sources de
fidélité.

2.3.2. Individualisme / collectivisme


«Le dilemme entre individualisme et collectivisme est fondamental dans l'entreprise ou
toute culture, quelle qu'elle soit. On ne peut en effet définir l'individualité sans préciser le
groupe ou le contexte social d'où l'individu provient ou se démarque» (Trompenaars et
Hampden-Turner, 2004).
Ces deux concepts ont été évoqués par Hofstede bien avant Trompenaars et Hampden-
Turner. Pour ce, nous retenons les mêmes définitions données ci-haut. Toutefois,
Trompenaars et Hampden-Turner ont identifié d'autres points de différenciation entre culture
individualiste et culture collectiviste.

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Tableau 5. La différence entre individualisme et collectivisme


Individualisme Collectivisme
 La culture est marquée par la culpabilité,  La culture est marquée par la honte, l'individu est
l'individu est responsable de ses péchés ; centre de nombreux regards désapprobateurs de la
 La valeur trouve sa source dans la personne société ;
qui crée, ressent et découvre son  La valeur trouve sa source dans le discours global de
épanouissement personnel ; la société vivante qui nourrit et forme ses membres ;
 L'individu peut augmenter les récompenses  L'individu partage les fruits de la réussite avec le
individuelles comme il peut augmenter ses groupe même que les échecs, y compris ceux qui
pénalités et ses blâmes ; prennent la voie de la criminalité ;
 L'entreprise manifeste une tendance à la  L'entreprise permet aux individus hors pair de
concurrence tous azimuts avec les mobiliser des ressources nombreuses ;
compétiteurs et les clients ;  L'entreprise traite son effectif comme des
 L'entreprise traite son effectif comme des 'technologies maison', donc des ressources qu'elle
'technologies sociales', donc des outils a l'ultime liberté d'user pour atteindre ses fins ;
permettant l'atteinte des objectifs prédéfinis ;  La prise de décision après de longues discussions,
 La prise de décision se fait de façon rapide elle émane d'un accord collectif.
et avisée.

2.3.3. Vision de détail / vision d'ensemble


«Certaines cultures privilégient la précision, le détail et la partie alors que d'autres
préfèrent une approche globale, des modèles généraux, rassemblés en configurations ou en
systèmes permettant une vision d'ensemble» (Trompenaars et Hampden-Turner, 2004).
Les êtres humains n'ont pas la même façon de voir, analyser et juger. Ils peuvent se
concentrer sur le détail et donc insister sur la précision, ou ils peuvent s'orienter vers l'ensemble,
on fouille dans l'historique et cherche les ressemblances pour donner son jugement.
Tableau 6. La différence entre vision de détail et vision d'ensemble
Vision de détail Vision d’ensemble
 La précision contribue grandement à la  L'esthétique et l’harmonie sont bien valorisées ;
clarification du problème ;  Toute rébellion est jugée malséante, être à
 La responsabilité d'un salarié en cas d'erreur l'opposé de ses supérieurs est mise sur le compte
se diffuse au reste de son équipe. Ses de l'ingratitude ;
collègues se sentent fautifs et se reprochent  La hiérarchie régit les relations entre supérieurs et
de ne pas avoir remarqué l'erreur ; les subordonnés ;
 Elle oriente l’attention vers des conséquences  Les changements peuvent être faits avec beaucoup
non immédiates et le besoin d'équilibre. de retard.

2.3.4. Statut acquis / statut attribué


«Le statut acquis (mérité) est le résultat d'une action, en particulier des performances; le
statut attribué (octroyé) est le résultat d'un état déterminé par les origines personnelles»
(Benoît Théry, 2003).
Une culture peut être concentrée sur le statut attribué, donc accorder une grande
importance à l'origine de l'individu et à son statut social. Inversement, elle peut recourir au
statut acquis et octroyer l'intérêt aux personnes faisant preuve de compétences et de qualités
qui les avantagent par rapport à la société. Nous retenons quelques dissimilitudes entre une
culture se basant sur le statut acquis et une autre reposant sur le statut attribué.

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Tableau 7. La différence entre le statut acquis et le statut attribué


Statut acquis Statut attribué
 Il est fondé sur les réalisations ;  Il s'obtient en fonction des origines ;
 Les performances sont appréciées et  Les personnes plus âgées, plus diplômées et
sanctionnées en conséquence ; d'origine sociale plus élevée sont favorisées ;
 Les délégations de pouvoir et les promotions  Le désir d'être différent est largement répandu ;
sont méritées selon l'efficacité de l'individu ;  La volonté de réussir peut donner lieu à des
 L'activité commerciale est fondée sur des exploits dérisoires mettant de côté les
rapports de confiance, d'honnêteté et de loyauté. compétences.

2.3.5. Motivation endogène / motivation exogène


«La société centrée sur la motivation endogène part du principe que l'individu, en son for
intérieur, sait ce qui est vrai, qu'il possède une âme ou un fond de pureté et d'intégrité. La
société de motivation exogène enjoint ses membres à s'inspirer de la nature, avec sa beauté,
sa majesté, sa force, ses saisons et son écologie» (Trompenaars et Hampden-Turner, 2004).
La motivation est la raison qui incite l'individu à poursuivre ses actes et à réussir son
travail. Selon l'étude de Trompenaars et Hampden-Turner, on peut rencontrer des personnes
motivées de l'intérieur, qui, en cas d'interaction avec une culture différente, cherchent à
maîtriser leur angoisse. Si les personnes rencontrées sont plus motivées par l'extérieur, elles
auront une forte capacité à s'adapter et à s'intégrer dans des situations étrangères.
Le tableau ci-dessous présente quelques uns des critères qui permettent de distinguer une
motivation exogène d'une motivation endogène.
Tableau 8. La différence entre la motivation endogène et la motivation exogène
Motivation endogène Motivation exogène
 Elle place la conscience à la barre des affaires  Elle se plait à concevoir l'environnement
sociales et politiques ; qui exerce une forte influence sur les
 Elle peut favoriser une volonté compulsive de réussir occupants ;
à tout prix. La personne habitée par cette volonté n'est  Elle enseigne des disciplines de survie
pas nécessairement originale ni créative, mais elle se qui réduisent l'importance de la violence
sent obligée de l'emporter en toutes circonstances ; et la détourne ;
 La culture mène inévitablement à la conflictualité.  L'individu a le droit de s'opposer à
Chaque adversaire est noble dans la mesure où il se condition de ne pas remettre en question
trouve en désaccord avec l'expérience de l'autre ; ou briser l'idéal social d'harmonie
 L'hypothèse de départ est typique, c'est un objectif de nationale ;
départ par rapport auquel on interprète la  L'hypothèse de départ n'est qu'une
performance. conjecture, une orientation globale.

2.3.6. Temps séquentiel / temps synchronique


«La gestion du temps pourrait être une nouvelle frontière à franchir dans le territoire du
management (...). Il ne s'agit pas seulement de gérer son emploi du temps quotidien mais de
comprendre les séquences et les cercles qui nous entourent» (Trompenaars et Hampden-
Turner, 2004).
Alors que l'auteur Hall s'est penché sur la différence du temps entre les cultures par rapport
au passé, futur et présent, Trompenaars et Hampden-Turner identifient deux orientations de
temps: une séquentielle et une autre synchronique. Dans la première, l'individu aime se limiter
à une chose à la fois et s'énerve des retards occasionnés par les évènements imprévus. La
deuxième orientation, où le temps est cyclique, les individus font plusieurs choses à la fois.
Nous pouvons synthétiser la différence entre ces deux conceptions de temps comme suit:

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Tableau 9. La différence entre le temps séquentiel et le temps synchronique


Temps séquentiel Temps synchronique
 L'individu se retrouve dans une  L'individu s’appuie sur le caractère récurrent du
interminable course contre la montre ; temps et des évènements pour agir ;
 Le raisonnement se fait de façon  Le raisonnement se fait de façon simultanée ;
séquentielle ;  Les personnes âgées stimulent le respect pour leur
 Les personnes âgées inspirent la pitié et sagesse et leur capacité d'intégrer les expériences
sont souvent sous-estimées ; de toute une vie ;
 La culture représente une séquence de  La culture représente une conjonction propice ou
petites unités mesurables. synchronique d'évènements.

En somme, le modèle d'analyse culturelle développé par Trompenaars et Hampden-Turner


établit la différence entre les sociétés mais aussi les différences culturelles à l'intérieur d'une
même société. Ils ont prêté une attention aux immigrés, refugiés et membres de groupes
religieux ou ethniques minoritaires. Dans un entretien avec Fons Trompenaars dans
Intercultures Magazine du juin 2008, l'auteur chercheur confirme que «le rôle des
gestionnaires consiste à relier les points de vue; les points de vue mènent à des dilemmes, et
on résout les dilemmes en les reliant entre eux». Il ajoute, qu’il «faut combiner les facteurs
humains et les facteurs techniques pour parvenir au succès». Pour Trompenaars, insister sur
l'aspect technique seulement mène à l'échec d'où l'importance de la prise en considération de
l'élément culturel dans les rôles du gestionnaire de l'équipe de projet.

3. Les modèles du management interculturel


Selon Rabassó C.A. & Rabassó F.J. (2007)36, 7 grands modèles de management inter-
culturel peuvent être distingués, auxquels il serait possible d’y ajouter d’autres sous modèles.

3.1. Le modèle anglo-saxon


Dans ce modèle, la société est composée de vainqueurs et de vaincus résultat de la
compétitivité (loi de l’offre et de la demande), du besoin d’abondance, d’individualisme et de
valeurs patriotiques. La priorité est donnée au financier au détriment du social.
La communication reconnue est écrite. Le formalisme et la bureaucratie caractérisent le
système de fonctionnement, le temps est l’élément central de la productivité.

3.2. Le modèle latin


Pour comprendre le modèle latin, il faut évoquer le grand contraste entre le rôle
centralisateur de l’État et le comportement rebelle de ses citoyens. La logique du profit et du
bénéfice à tout prix est soumise à des critères sociaux. La notion de succès personnel est liée
au respect des traditions et aux valeurs ancestrales du groupe. Les relations sont de type
paternaliste entre le chef et ses subordonnés. La culture d’entreprise est dominée par la
créativité, un équilibre entre le social et l’économique.

3.3. Le modèle asiatique


La Chine : philosophiquement parlant, le modèle chinois utilise les points forts contre les
faiblesses des autres (stratégie militaire). En entreprise, des objectifs communs doivent être part-
agés de tous au sein d’une même famille. Les qualités essentielles pour un manager chinois sont :

36
RABASSÓ C. A. & RABASSÓ F. J. (2007), Introduction au Management Interculturel : pour une gestion de
la diversité, Ellipses.

34
Cours de Management Interculturel – ENCG Dakhla Pr H. AMAAZOUL

le savoir, la sincérité, l’abnégation, le courage et la fermeté. La structure des organisations chin-


oises est simple et informelle avec un mode de prise de décision intuitif, unilatéral et autoritaire.
Le Japon : les employés sont excessivement loyaux vis-à-vis de leur entreprise dont le
niveau de production est élevé et l’organisation très hiérarchisée. Le système japonais est
extrêmement compétitif, assure la sécurité de l’emploi et fonctionne sur des décisions prises
d’un commun accord entre toutes les personnes consultées.
La Corée : le système de valeurs est binaire, basé sur le yin et le yang et influence
énormément le management. Mais les manifestations individualistes ne peuvent pas être
détachées du groupe. Les groupes se forment sur le principe de la confiance, sont formels ou
informels. Le système de management est caractérisé par des décisions prises au plus haut
niveau, un leadership paternaliste, la recherche de l’harmonie de l’individu dans le groupe, la
flexibilité et la mobilité.

3.4. Le modèle indien


L’Inde pratique une culture dite de «haute distance», avec un mode de management
clairement hiérarchisé. Le pouvoir est très concentré et il établit des relations de dépendance
vis-à-vis du manager. L’organisation est basée sur les castes, donc sur une segmentation
sociale profonde. La culture de l’Inde est complexe et variée ; pourtant le collectivisme est
une caractéristique commune à l’ensemble du peuple indien. Les grandes valeurs de l’Inde
sont : les valeurs spirituelles, cosmiques (la nature humaine), sociales (le groupe) et humaines
(personnelles).

3.5. Le modèle musulman


Quatre niveaux d’existence reflètent le monde musulman : une prise en compte de ses
intérêts personnels, des règles de conduite strictes, la prise de conscience du mal, un esprit en
parfaite harmonie avec les désirs et besoins essentiels. Ces niveaux d’existence ont des
conséquences sur le management et les différents systèmes d’organisation : stratégies adaptées,
mode de récompenses, motivation. Les idéaux de justice et de morale expliquent la pratique
répandue du «marchandage». Toute forme d’incertitude doit être exclue d’un contrat ou d’une
transaction.

3.6. Le modèle africain


Il n’y a pas de modèle unique de management africain et diverses formes de sociétés
coexistent. Certains facteurs communautaires (aides mutuelles) sont des freins à l’évolution de
l’entreprise mais le sens de la solidarité crée de la cohésion sociale et permet souvent d’éviter
les conflits. La parole a une valeur sacrée et, associée à l’hospitalité, offre à l’entreprise des
éléments d’intégration et d’adaptabilité.

3.7. Le modèle slave


Les valeurs slaves se situent entre collectivisme et justice sociale (idéologie socialiste). La
motivation est fondée sur les idéaux de progression collective.
Le mode de fonctionnement des entreprises est autarcique et des économies parallèles et
souterraines se développent. Avec la mort du système socialiste de l’Union soviétique, les
pratiques de management se sont libérées et transformées, bénéficiant de la loi de l’offre et de la
demande, du commerce international. Peu à peu la structure des organisations se démocratise.

35
Cours de Management Interculturel – ENCG Dakhla Pr H. AMAAZOUL

CHAPITRE 4 : PRATIQUES DE MANAGEMENT INTERCULTUREL

I. Conseils pratiques pour un management interculturel efficace


Favoriser le travail d’équipe : Le travail collaboratif et l’esprit d’équipe sont des
éléments importants dans toute organisation. Une mauvaise coopération peut conduire
l’entreprise à l’échec en faisant tomber un projet à l’eau par exemple. Le manager
interculturel doit donc renforcer l’esprit d’équipe pour faire travailler ensemble les membres
avec des cultures différentes. Chaque membre de l’équipe doit se sentir reconnu en tenant
compte des différences entre leur culture respective. La cohésion est la première clé !
Travailler la communication : Un manager d’équipe multiculturelle sait adopter des
modes de communication qui s’adaptent en fonction des cultures de ses collaborateurs. Les
membres de l’équipe qui n’ont pas la même langue que les autres collaborateurs doivent
recevoir un peu plus d’attention de sa part, afin de se sentir intégrés.
Anticiper les conflits de travail : Pour diriger une équipe composée de collaborateurs
d’origine différente, le manager doit être capable de gérer les malentendus multiculturels afin
d’éviter les conflits de travail. Ceci passe par une compréhension des différences entre les
cultures de l’ensemble des membres de l’équipe : mentalités, tabous, éthiques…
Éviter les clichés et les préjugés : C’est un fait, certains managers ont tendance à se
limiter aux stéréotypes les empêchant de percevoir le vrai potentiel d’un représentant d’une
culture étrangère. Ce qui a pour effet de ne pas favoriser les interactions entre les différents
porteurs de culture au sein de l’entreprise.
Comprendre la culture des collaborateurs : Un bon manager interculturel doit
comprendre la culture de l’ensemble des collaborateurs d’origine différente. Ceci lui
permettra d’élaborer des stratégies qui motivent son équipe et de superviser les membres de
manière appropriée.
Maîtriser l’anglais : L’anglais est la langue universelle utilisée dans le cadre des échanges
internationaux. La maîtrise de la langue anglaise est de ce fait indispensable pour une gestion
en environnement international.

II. Études de cas


1. Cas de pratique du management interculturel franco-allemand37
La pratique du management franco-allemand représente un défi quotidien pour des milliers
d'entreprises en Allemagne et en France. Contrairement aux contacts interculturels avec des
membres des cultures lointaines et «exotiques» où les acteurs sont conscients de l’existence
de différences, le risque de la coopération franco-allemande réside justement dans la sous-
estimation des différences culturelles. Dans les coopérations transfrontalières ou
internationales entre des "sociétés voisines", comme la France et l'Allemagne, les différences
de mentalité et de mode de travail du partenaire sont fréquemment négligées. Français et
Allemands ont été socialisés dans des systèmes d’interprétation différents (Geertz, 1973),
systèmes de valeurs et d’orientation de l’action, dans lesquels ils ont été programmés
(Hofstede, 1991) à interpréter et à réagir différemment par rapport à des signes, des situations
ou des problèmes. Dans une relation interculturelle, différents systèmes d’interprétation et
d’orientation s’entrecroisent (Gudykunst et al., 1988) ce qui peut donner lieu à des «incidents
critiques». Ces incidents sont représentatifs de malentendus et de conflits culturels typiques et
répétés se produisant involontairement (Barmeyer, 2004 ; Batcheleder, 1993 ; Müller, 1991)
suite à un comportement mal interprété de l’un ou l’autre des protagonistes.

37
BARMEYER Ch. & DAVOINE E. (2005),"Problèmes interculturels du management franco-allemand :
théories et pratiques", Revue d'Allemagne, Tome 37, n°3, pp. 415-430.

36
Cours de Management Interculturel – ENCG Dakhla Pr H. AMAAZOUL

1.1. Des différences de perception du rôle managérial


Une des premières enquêtes statistiques sur les difficultés dans les interactions
professionnelles franco-allemandes (JPB, 1990) montre que les différences de conception du
rôle managérial sont perçues par les managers comme étant à l’origine d’un grand nombre
d’incidents critiques. Si les managers français et allemands ont en commun de devoir exercer
une fonction de direction ou d’encadrement, cette fonction n’est dans les deux pays ni définie
ni exercée de la même manière. Les notions de cadre et de Führungskraft couvrent en effet
des champs sémantiques différents et correspondent à des réalités organisationnelles et
sociales différentes (Davoine, 2002 ; Hummel, 1992). La notion de cadre, empruntée au
vocabulaire militaire, est certes associée à une fonction organisationnelle (managériale), mais
elle est aussi et surtout associée à un statut, hiérarchique, juridique et même sociologique
(Boltanski, 1982). La sociologue Beate Krais affirme de manière provocante que les cadres
n’existent pas en Allemagne (Krais, 1992), en tout cas pas comme catégorie juridique ou
sociologique. Pour traduire la notion de cadre en allemand, on devra faire appel à d’autres
notions, juridiques comme aussertarifliche Angestellte ou leitende Angestellte, ou
sociologiques comme Angestellte ou Akademiker. Même si de plus en plus les notions de
manager ou de leader ont tendance à s’imposer dans le langage quotidien des organisations
de part et d’autre du Rhin (Eberwein/Tholen, 1990 ; Falcoz, 2002), ces catégories descriptives
continuent de marquer fortement les perceptions.
Dans le modèle allemand de carrière, la phase d’identification de potentiel managérial a
lieu en général dans l’entreprise et correspond à une phase d’apprentissage de métier, la
progression de carrière se fait ensuite relativement lentement, souvent dans la même
entreprise et souvent dans la même fonction. Dans ce modèle de carrière d’«alpiniste» (Bauer,
Bertin-Mourot, 1996, Joly, 1996), l’acquisition de compétences de métier du futur
Führungskraft n’est pas seulement une étape dans la construction d’une identité
professionnelle, elle est aussi une étape dans l’acquisition d’une autorité légitime fondée sur
le Fachwissen (Lawrence, 1989 ; Bauer, Bertin-Mourot, 1996). C’est cette compétence de
métier qui lui donnera accès à un premier poste de Middle management et conditionnera
fortement son comportement et sa perception de rôle vis-à-vis de ses collaborateurs directs
(Stewart et al., 1994 ; Walgenbach, 1994). Dans le modèle français, l’identification du
potentiel se fait le plus souvent à l’extérieur de l’entreprise que le manager sera amené à
diriger (le phénomène des «catapultés») et on constate une plus grande mobilité inter-
entreprises et inter-fonctionnelle dans les parcours professionnels. Pour les diplômés des
Grandes Écoles françaises, la phase d’identification de potentiel se fait clairement à
l’extérieur de l’entreprise, dans un système éducatif qui est caractérisé par une sélection
continue de l’élite scolaire et par une hiérarchie quasi-unique et relativement transparente des
formations dans laquelle l’enseignement professionnel (de métier) est traditionnellement peu
valorisé par rapport à l’enseignement généraliste (Barsoux, Lawrence, 1990 ; Sorge, 1991).
Le diplôme légitime l’appartenance du diplômé au groupe social des cadres et ingénieurs,
élite miroir de l’élite scolaire nationale dans le microcosme de l’entreprise et légitime ainsi
son autorité au sein de ce microcosme (Naulleau, Mendoza, 1993).
Ces spécificités de parcours de carrière des managers en France et en Allemagne auront
des conséquences sur la perception et les pratiques de la relation hiérarchique. La logique
hiérarchique de rang (d’Iribarne, 2003) marquera fortement les relations entre les salariés
français et leur «n+1», tout comme en Allemagne, la logique de métier des identités de travail
marquera la relation des Mitarbeiter allemands (ceux qui travaillent «avec» et non «pour» le
supérieur) à leur supérieur hiérarchique perçu comme un «primus inter pares». En
Allemagne, la distance hiérarchique entre managers et «managés» sera d’autant plus faible
que le système de formation par métier permet d’attribuer dans l’organisation des domaines
de responsabilité et compétences claires à chacun (le terme allemand de Sachbearbeiter est

37
Cours de Management Interculturel – ENCG Dakhla Pr H. AMAAZOUL

tout aussi intraduisible que le terme cadre) et que le système de représentation des intérêts des
salariés (Mitbestimmung) favorise une culture de dialogue et de consensus (Lawrence, 1980 ;
Maurice, 1993 ; Pateau, 1996).
Les déclarations d’une quarantaine de managers français et allemands d’une célèbre
organisation franco-allemande offre une bonne illustration de ces différences de perception du
rôle managérial. Chez les Allemands, le groupe est régulièrement présent (esprit d’équipe,
ambiance, équilibre du groupe, processus du groupe, consensus) et la communication est le
thème qui sera systématiquement récurrent (écoute, feedback, information). Pour les
Français, on constate une prédominance forte des fonctions classiques de l’encadrement
directif suivant une conception d’organisation hiérarchique du pouvoir : donner des objectifs,
diriger, piloter, guider, coordonner et organiser, contrôler et sanctionner. Mais on constate
aussi la fréquence de verbes illustrant un mode de management plus personnalisé : motiver,
encourager, soutenir, entraîner, convaincre…. Hofstede (1991) parle de la conception
française de l’organisation comme d’une «pyramide humaine», marqué par un style de
management à la fois fortement hiérarchique et très personnalisé, voire même parfois
paternaliste comme peut l’être le style de management d’un patron (Kolboom, 1992).
Lorsque Allemands et Français ont été socialisés dans leurs systèmes culturels respectifs,
ils portent avec eux des attentes spécifiques de ce que doivent être des rôles de subordonné et
de supérieur dans une relation hiérarchique et cela mène à des confrontations parfois
difficiles. Les deux cas suivants nous permettent d’analyser ce qui se peut (mal) se passer lors
d’une interaction lorsque le Français ou l’Allemand se trouve dans le rôle du supérieur
hiérarchique ou du subordonné.

Cas 1: Relation managériale – Supérieur français / subordonné allemand


Le Directeur des Ressources Humaines (DRH) allemand d'une entreprise allemande du
secteur aéronautique avec plus de 1000 employés est âgé de 55 ans et a 25 années d'expérience
dans l’entreprise. En suivant des cours de perfectionnement, il a obtenu un diplôme de Sociologie.
A la suite d’une restructuration, le directeur général (DG), son nouveau supérieur hiérarchique est
un Français, âgé de 45 ans et issu d'une Grande École.
Le début de la collaboration se passe plutôt bien, malgré les problèmes de langue. Le
nouveau DG français a souvent recours au DRH allemand pour se faire expliquer le
fonctionnement du système allemand de gestion des ressources humaines avec, en particulier, les
spécificités de la cogestion.
Dans le cadre du processus européen de fusion et pour accélérer l’intégration des différents
systèmes de gestion des ressources humaines, il devient nécessaire de mettre en place de
nouvelles structures d’organisation ainsi qu’une nouvelle politique d’évaluation et de
rémunération des collaborateurs. Le DG français demande au DRH allemand d'élaborer un projet
pour une présentation devant le directoire. Celui-ci se met au travail durant quelques semaines et
prépare un projet particulièrement bien conçu qui peut être mis en œuvre tel quel, sans consulter
une seule fois son supérieur. Quelques jours avant la présentation devant le directoire, il vient voir
son supérieur français, qui ne semble pas du tout satisfait avec ce projet et au contraire fait lui-
même de nombreuses suggestions. Ses reproches restent très vagues pour le DRH allemand. Ce
dernier ne comprend pas et se sent frustré car il a l’impression d’avoir fait un bon travail de
manière autonome. Il se sent maintenant traité comme un enfant par son supérieur français,
presque puni.

Dans le cas 1, le DRH allemand est typiquement un "alpiniste" et un expert (un Fachmann)
qui maîtrise aussi bien son domaine de compétences que les rouages et les processus de
l’entreprise dans laquelle il évolue depuis 25 ans. A ce titre, il se perçoit comme étant le
responsable attitré et légitime du projet de politique d’évaluation et de rémunération qui
tombe dans son domaine de compétences. Sa complète autonomie va contrarier le DG

38
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français qui se perçoit lui comme pilote responsable et légitime du projet, étant à la fois
supérieur hiérarchique et généraliste de haut vol, et donc devant laisser sa marque personnelle
sur un projet aussi important. Sentant son autorité attaquée, le DG français aura probablement
des mots de patron français qui sanctionne et "punit", mots qui seront frustrants et blessants
pour un subordonné allemand qui se sentira lui aussi attaqué dans son autorité et dans son
identité (Barmeyer & Davoine, 2005).

Cas 2 : Relation managériale – Supérieurs allemand / subordonnés français


Un groupe allemand dans l’industrie automobile a racheté une entreprise française et en a
renouvelé l’équipe de direction : les trois postes de direction sont maintenant occupés par des
managers allemands. Ils décident d’organiser des réunions hebdomadaires avec l’encadrement
intermédiaire français, réunions dites de planification stratégique. Les dirigeants allemands
demandent de manière systématique que leurs cadres français leur formulent des propositions sur
la stratégie de l’entreprise ainsi que des propositions d’amélioration de processus. Après plusieurs
semaines, les cadres français se font de plus en plus souvent excusés à ces réunions de
planification stratégique et les résultats sont beaucoup plus minces que ce que les Allemands en
attendaient. L’ambiance de travail dans les services concernés est au plus bas, la productivité
s’effondre et la direction de la maison-mère s’inquiète. Les dirigeants allemands se sentent déçus
et dépassés : les cadres français leur avaient paru tellement brillants et tellement enthousiastes
lors des premières réunions…

Le cas 2 montre que le problème se pose aussi lors d’une inversion des rôles. Dans ce cas,
le mode de management participatif proposé par l’équipe de direction ne fonctionne pas. Au
contraire, l’encadrement intermédiaire français ressentira cette volonté "allemande" de
dialogue et cette demande de participation systématique comme une absence de projet clair et
une incapacité à prendre des décisions stratégiques. Ils vont souffrir d’un manque de
directivité. Dans les deux cas 1 et 2, la relation à venir sera difficile si personne ne vient
clarifier ces malentendus culturellement programmés (Barmeyer & Davoine, 2005).

1.2. Des différences de perception et de gestion du temps


Les différences de conception du temps représentent un deuxième problème majeur perçu
par les protagonistes du management interculturel franco-allemand (JPB, 1990). Hall et Reed-
Hall (1984) ont les premiers mis en évidence plusieurs types de problèmes dans les
interactions interculturelles franco-allemandes qui correspondent pour eux à des différences
de conception du temps. Les Français interrogés vont par exemple souligner le sens du détail,
le caractère exhaustif et structuré de la communication dans les réunions allemandes et vont
critiquer la rigidité ou le manque de réactivité des Allemands. Les Allemands se plaignent du
manque de ponctualité des Français, du télescopage permanent de discussions privées et prof-
essionnelles, et du caractère non structuré de leur journée de leur travail. A ces différences,
Hall et Reed-Hall (1984) associent deux types de systèmes culturels ou deux types culturels
de perception du temps, qu’ils appellent ”monochronique” (M) et ”polychronique” (P). Le
système M est un système dans lequel toute action - et toute interaction - se définit par rapport
à un temps linéaire servant de repère pour la programmation et l’évaluation d’activités. Ce
système sera dit monochronique, parce que le temps linéaire y est le temps dominant, voire le
temps unique, et parce que l’individu ne pourra réaliser qu’une activité à la fois. Par contre, le
système P, caractéristique pour Hall des sociétés traditionnelles et, dans une certaine mesure,
des pays de cultures arabe et latine, ne connait pas cette hégémonie du temps unique des
horloges, et les activités s’y développent en fonction d’autres rythmes, ceux de la nature, ceux
de rencontres ou d’événements, souvent parallèlement. Pour Hall, Français et Allemands se

39
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comportent comme s’ils avaient des perceptions du temps différentes, c’est-à-dire comme si
les Allemands agissaient dans un temps linéaire et les Français dans un temps plus diffus.
Ce modèle connaîtra un franc succès dans les séminaires et les ouvrages sur les
coopérations franco-allemandes. Si on trouve dans la plupart des études menées avec une
approche interactionniste de nombreuses illustrations du ”monochronisme” des Allemands et
du ”polychronisme” des Français, plusieurs critiques peuvent être formulées à l’encontre de
ce modèle bipolaire quelque peu réducteur (Barmeyer, Davoine, 2003 ; Davoine, 2002). Sur le
plan théorique, les deux types culturels de comportements que définit Hall correspondent à
une opposition - classique en anthropologie - entre comportements de sociétés traditionnelles
et comportements de sociétés industrielles. La conception linéaire du temps, liée à une
conception du devenir, du progrès et de l’Histoire semble effectivement être la marque de
toute société industrielle et s’oppose à la représentation cyclique du temps des sociétés
traditionnelles. On peut donc se demander s’il est légitime d’appliquer un tel modèle à la
comparaison de la culture de deux sociétés industrielles, surtout lorsque celle associée au pôle
culturel de ”société traditionnelle” est la patrie de Fayol et du positivisme d’Auguste Comte.
Autre limite du modèle, cette fois sur le plan méthodologique : les incidents critiques collectés
par Hall et les autres chercheurs étudiant les interactions interculturelles sont le produit des
perceptions des protagonistes qui peuvent être influencées par des clichés et stéréotypes
nationaux. Plus les stéréotypes du Français polychronique et de l’Allemand monochronique
sont diffusés, plus le risque est grand d’avoir des protagonistes d’interactions qui chercheront
à retrouver ces clichés dans la réalité de leurs pratiques interculturelles. Il est à ce titre
important de rappeler que les études comparées sur la perception du temps (Usunier, 1991) et
la ponctualité (Bournois, 1993) confirment peu le modèle hallien. Français et Allemands
semblent partager une même conception de ce qu’est la gestion du temps (Davoine, 2002).
Pourtant on constate que dans les interactions franco-allemandes les incidents critiques
relatifs à la ponctualité restent fréquents et le cas 3 est assez typique des problèmes que
rencontrent les maison-mères allemandes avec leurs filiales françaises.

Cas 3 : Respect de l’échéance: organisation hiérarchique


Dans un groupe allemand de la métallurgie, le directeur international des ventes demande pour le
5 avril un rapport d’exercice à l’ensemble de ses douze filiales pays (filiales commerciales), suite
à la mise en place d’un nouveau système d’information. Le jour dit, tous les rapports sont
transmis, y compris les rapports des filiales d’Argentine, d’Espagne, d’Italie et d’Israel. Tous,
sauf celui de la filiale française. Le directeur français de la filiale s’explique au téléphone : le
retard est dû à un problème informatique. Le rapport est livré quelques jours plus tard. Le
trimestre suivant, le directeur allemand constate encore une fois un retard de la filiale française,
cette fois c’est le comptable qui était en congé à un moment inopportun. Là encore, quelques
jours après, le rapport arrive. Au troisième trimestre, le directeur des ventes menace le directeur
français quelques jours avant et reçoit cette fois le rapport dans les temps. Au quatrième trimestre,
il constate de nouveau un retard et reçoit cette fois une autre excuse qu’il juge peu convaincante.

Attribuer ce retard systématique au "polychronisme" est peut-être un peu rapide, d’autant


que l’Argentine, l’Italie ou l’Espagne sont également considérés par Hall comme des pays à
culture P. Ce retard systématique mal excusé révèle néanmoins une relation à l’échéance
différente – en tout cas une conception différente de l’engagement lié à l’échéance et à la
ponctualité – qui peut être constitutive des représentations sociales de la temporalité d’une
culture nationale: l’échéance serait moins "engageante", le retard moins "grave" en France
qu’en Allemagne ou la ponctualité est considérée comme une des classiques "preussiche
sekundäre Tugenden". On peut aussi interpréter ce retard systématique comme un
40
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comportement de "rebellion" plus ou moins consciente vis-à-vis des exigences de la maison-


mère ou comme une volonté de comportement d’exception par rapport à une norme identique
imposée aux filiales de tous les pays. Le temps – le non respect de l’échéance – serait alors
une forme d’expression d’une résistance à ce qu’impose la hiérarchie, voire une forme
d’expression identitaire de l’individu qui veut "son" délai, "son" retard, comme une
reconnaissance d’un droit à l’exception (Barmeyer & Davoine, 2005).

Cas 4 : Respect de l’échéance: organisation virtuelle


Dans le cadre d’un projet européen de recherche et développement, le coordinateur allemand
s’impatiente. Il y a trois mois, il avait demandé aux différents partenaires de livrer leurs rapports
pour le lundi 1er juin, ce qui lui laissait ainsi deux semaines jusqu’au 15 pour faire l’introduction,
harmoniser la présentation et relier le rapport avant de l’envoyer à Bruxelles. Or, le 3 juin, le
rapport du partenaire français manque à l’appel. Après plusieurs relances par mail qui
n’entraînent aucune réaction, le coordinateur allemand décide de le relancer par téléphone. Le
partenaire français, avec lequel il entretient par ailleurs des relations plutôt amicales, se montre
enjoué et compréhensif, il dit avoir eu plusieurs projets à finir en même temps mais il promet de
boucler et d’envoyer son rapport pour le vendredi 5 juin. Le lundi 8, le rapport n’est toujours pas
là. Le coordinateur essaie de le rappeler mais le partenaire français ne répond même plus au
téléphone. Le vendredi 12, l’Allemand est en train de désespérer lorsqu’il reçoit à 11h45 un mail
avec le rapport et les excuses de son collègue français.

Le cas 4 apporte des éléments complémentaires à l’étude des différences de gestion du


temps. Lorsqu’on discute avec les protagonistes du cas après l’incident, on constate trois
types de différences culturelles qui peuvent être à l’origine d’un incident critique.
- Le premier, c’est l’engagement par rapport à l’échéance fixée: connaissant les échéances
de Bruxelles, le Français sait parfaitement qu’une livraison avec retard est tolérable et il
considère qu’il y a une marge de manœuvre, un espace de liberté par rapport à la norme ou à
la loi, espace dans lequel il pourra faire jouer son libre arbitre. La situation est dans une
certaine mesure assimilable à l’exemple classique du piéton français face à un feu rouge qui,
au lieu de s’arrêter jusqu’à ce que le feu passe au vert (respect strict de la loi ou de la norme
établie), va évaluer le danger et prendre une décision d’action en fonction d’une situation
particulière. Un Allemand ou tout individu de culture plus "universaliste" et moins
"particulariste" (Trompenaars, 1993), réagirait de manière plus conforme à ce que demande la
loi ou la norme fixée, indépendamment des particularités de la situation.
- Le deuxième, c’est la communication sur le retard qui va se faire différemment. Alors
même que le Français sait que son retard va dépasser le cadre de la première semaine, il va
donner une date qu’il sait déjà ne pas pouvoir tenir, mais qu’il juge être plus facilement
"acceptable" par son interlocuteur. Il préférera ensuite l’absence de communication (implicite
à l’extrême) à l’explicitation de ses difficultés. De culture de communication plus explicite
(Hall, Reed-Hall, 1984), l’Allemand restera perplexe face à ce silence.
- Enfin, le troisième problème du cas, invisible ici, ce sont les interruptions constantes que
le Français vit dans la programmation de son travail quotidien. En effet, alors qu’il program-
me chaque matin son rapport comme l’activité prioritaire de la journée, plusieurs missions
"urgentes" – attribuées par son supérieur ou ses collègues - vont venir bouleverser son emploi
du temps et retarder la rédaction de son rapport, dont l’urgence est moins visible et plus loint-
aine que celle des gens du bureau d’à côté. Si ces bouleversements de programmation peuvent
être vécus aussi dans un contexte de travail allemand, il semblerait que les managers
allemands soient moins sensibles, moins disponibles et moins réactifs aux urgences des autres
que ne le sont les managers français. Davoine (2002) montre des différences fortement signif-

41
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icatives entre managers français et allemands dans leur perception de l’urgence de l’autre, la
"réactivité à l’autre" plus "française" entraînant ainsi une gestion du temps moins stricte.
1.3. Des différences de style de communication
Hall et Reed-Hall (1984) associent aux modèles M et P deux styles de communiaction
distincts. Le style de communication de la culture allemande sera un style de communication
plus formel, plus explicite et plus centré sur les faits alors que le style de communication de la
culture française sera plus informel, plus implicite et plus personnel. Dans les études sur les
interactions professionnelles franco-allemandes (von Helmolt, Müller-Jacquier, 1991 ; Pateau,
1998a), les Français ayant travaillé en Allemagne s’étonnent du peu de discussion à caractère
privé sur le lieu de travail, comme s’il y avait une claire séparation entre le temps du travail et
le temps du loisirs (séparation que marque la frontière du Feierabend ou du Mahlzeit , notions
difficilement traduisibles en français), entre les rôles sociaux professionnels et les rôles
sociaux privés. Les Français s’étonnent aussi du formalisme du vouvoiement et du "Herr
Müller" ou "Frau Schmidt" chez des gens qui partagent le même bureau depuis vingt ans.

Cas 5 : Formulation de la critique


Comme elle le fait tous les trois mois, la comptable française de la filiale française envoie à son
homologue allemand de la maison mère en Allemagne les chiffres qu'il lui demande. Quelques jours
plus tard, elle reçoit de lui un courrier électronique très bref, rédigé en langue allemande : «Vos
chiffres sont faux. Veuillez les corriger!». La comptable française est étonnée et même un peu
blessée. D’une part, ses chiffres lui semblent exacts et d’autre part, le message allemand lui paraît
fort impoli. Elle décide de ne rien répondre à ce mail et d’ignorer les relances de la maison-mère.

Le cas 5 illustre un problème classique de la communication interculturelle franco-


allemande. La comptable française, habituée à un style indirect, comprend la critique neutre
du comptable allemand comme une critique destructrice, et même comme une attaque
personnelle. Cette interprétation va l'amener à modifier son comportement. De l’autre côté, le
comptable allemand émet son message de façon directe et sachlich (objective, factuelle,
sobre, neutre) comme il en a l'habitude dans son propre contexte. Cette neutralité au service
des faits intrigue les observateurs français depuis toujours.
La Sachlichkeit, cette factualité qui va droit au fait (direkt zur Sache), est au fondement du
style de communication allemand et permet la concentration sur l’objet du travail, mais
n'attribue guère d'attention aux personnes impliquées (Barmeyer, 2000). Le récepteur, en
l’occurrence la comptable française, ressent cette manière de communiquer comme une
impolitesse et même comme un affront. Le style de communication français est en effet plus
indirect et davantage orienté vers la personne (Müller, 1991). La comptable aurait préféré
recevoir un coup de téléphone plutôt qu'un courrier électronique froid et impersonnel.
Le style de communication plus formel des cultures M se traduit aussi par une structuration
plus explicite de la communication en réunion : utilisation plus fréquente et plus systématique
des ordres du jour, procès-verbaux plus fidèles aux choses dites échangées, structuration des
temps de parole entre participants. Pour Hall, la communication des managers allemands
serait aussi plus explicite et plus exhaustive (avec moins de référence à un contexte
d’information supposé connu) que celle des managers français. Argumentant en veillant à
transmettre et à rappeler l’information ou les faits sur lesquels ils s’appuient (la
Gründlichkeit), les Allemands rendront parfois les Français impatients, ces derniers jugeant
inutile le rappel d’information déjà connue ou la description de détails jugés peu importants.
Les Allemands se plaindront eux de Français formulant (trop) rapidement leur
argumentation, en ne faisant référence que de façon implicite à une information supposée
connue. Dans une étude du BILD (Girod de l’Ain, 1991), les ingénieurs français parlent

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Cours de Management Interculturel – ENCG Dakhla Pr H. AMAAZOUL

même de « réunion allemande » pour qualifier les réunions structurées avec un ordre du jour,
réunions dans lesquelles les participants sont préparés et qui aboutissent après un échange
d’informations structurés à une décision. Breuer et de Bartha (1993) opposent ce type de
réunion à ce qu’ils appellent « une réunion française », réunion moins structurée dans laquelle
les participants vont échanger des opinions et développer des relations personnelles jugées
indispensables dans leur système culturel pour une bonne coopération professionnelle.

Cas 6 : Formulation d’opinion et résolution de problème


Le dirigeant allemand d’une filiale allemande d’un grand groupe français de l’industrie
pharmaceutique revient furieux d’une réunion au siège. Trois heures de réunion sur un sujet
stratégique et les points essentiels n’ont pas été abordés. Son collègue suisse germanophone
partage la même frustration. Personne n’a vraiment fait attention aux avertissements qu’ils ont
formulés sur la stratégie de diversification du groupe. Alors que lui et son collègue suisse étaient
les principaux concernés et les plus compétents, les sept dirigeants français présents les ont
constamment interrompus. Pour lui, ils semblaient plus préoccupés à trouver la formulation la
plus brillante qui plaira au président qu’à véritablement trouver des solutions concrètes aux
problèmes qui se posent.

Le cas 6 illustre une situation d’incident critique récurrente et symptomatique de ces


différences de style de communication. Les managers allemands en contexte français sont
souvent gênés par l’habitude plus française d’interrompre l’interlocuteur au milieu de son
argumentation. Alors que l’interruption peut être le signe en contexte français d’une certaine
dynamique de l’échange et marquer l’intérêt et l’envie de réagir au propos de l’interlocuteur,
une telle interruption n’est considérée en contexte allemand que comme un signe
d’impolitesse. Par ailleurs, le cas illustre également la grande importance que revêt la qualité
de la formulation et la maîtrise du français, à l’écrit comme à l’oral, pour les managers
français. Signe d’éducation supérieure et marque de reconnaissance implicite d’un groupe
social, la rhétorique « brillante » des managers français provoque une certaine frustration chez
ce dirigeant allemand, ingénieur chimiste de formation, venu là pour trouver des solutions
concrètes à des problèmes de certification qui ne nécessitent pas de faire appel à des
références littéraires ou aux derniers débats gouvernementaux. Picht (1994) montre que les
différences d’approches de résolution de problème observées dans les situations
professionnelles franco-allemandes reflètent aussi des traditions différentes d’évaluation
académique des performances intellectuelles. Le système scolaire français privilégie en effet
(avec l’exercice de la dissertation) une approche plus synthétique et l’expression d’opinions
personnelles par rapport à un système scolaire et universitaire allemand qui privilégie plutôt
une approche plus analytique et exhaustive des problèmes (avec par exemple l’exercice du
Seminararbeit). On comprendra alors pourquoi hauts fonctionnaires et dirigeants allemands
jugeront superficiels les managers français, formés à valoriser les jugements brillants sur base
d’information incomplète, alors que leurs homologues français critiqueront leur obsession du
détail et leur lenteur inélégante et procédurière (Barmeyer & Davoine, 2005).
1.4. Conclusion
Formulés à des fins pédagogiques de sensibilisation à l’interculturel, ces quelques cas ont
bien sûr quelque chose de caricatural ou d’idéal-typique. Ils n’en sont pas moins des
témoignages de pratiques de l’interculturalité dans le quotidien du management franco-
allemand. Les différences présentées ici n’ont pas la prétention à l’exhaustivité de l’ensemble
des incidents critiques observés (Barmeyer & Davoine, 2005).

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Cours de Management Interculturel – ENCG Dakhla Pr H. AMAAZOUL

2. Success-story en management interculturel : Alliance Renault-Nissan


Voir l’article en PDF partagé :
Christoph Barmeyer, Ulrike Mayrhofer, « Management interculturel et processus d'intégration:
une analyse de l'alliance Renault-Nissan », Management & Avenir 2009/2 (n°22), p.109-131.

3. Cas transversal – Global Chair : une équipe de design multiculturelle


Voir le chapitre d’ouvrage en PDF partagé :
Fabienne Münch et Anne Bartel-Radic (2017), « Cas transversal 1 – Global Chair: une équipe de
design multiculturelle », in Ulrike Mayrhofer (dir.), Management Interculturel. Comprendre et gérer
la diversité culturelle, Vuibert, p.245-260.

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