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Revue internationale de

botanique appliquée et
d'agriculture tropicale

Le problème de l'Eau au Sénégal. Les éléments de sa solution —


Les conséquences à en attendre
G. Brasseur

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Brasseur G. Le problème de l'Eau au Sénégal. Les éléments de sa solution — Les conséquences à en attendre. In: Revue
internationale de botanique appliquée et d'agriculture tropicale, 30ᵉ année, bulletin n°333-334, Juillet-août 1950. pp. 403-418;

doi : https://doi.org/10.3406/jatba.1950.6724

https://www.persee.fr/doc/jatba_0370-5412_1950_num_30_333_6724

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403

Le problème de l'Eau au Sénégal.


Les éléments de sa solution — Les conséquences à en attendre.
Par G, BRASSEUR.
Assistant à l'Institut français d'Afriqu* Noire.

Il n'est pas besoin de souligner ici l'importance de l'eau dans la


vie même du Sénégal. Quand on a vu le paysage quinze jours avant
et quinze jours après l'arrivée des premières pluies, on a pu
toucher du doigt le problème. Les hommes, les bêtes, la terre, tous
avaient soif. Maintenant ils sont apparemment rassasiés et l'on
peut penser que, si cette manne céleste voulait durer, une
rainforest ne tarderait pas à se constituer.
Mais il convient de modérer rapidement l'optimisme que peut
provoquer le retour de l'eau, pour voir de plus près comment se
présentent les données du problème au Sénégal, comme on va le
considérer, entre les latitudes de 16°20 et 13°50.
La première constatation est que la natitre pourvoit assez
médiocrement ce pays en eau. La moyenne annuelle de pluie (600 mm)
sous un climat tempéré serait très acceptable, mais ici même elle
ne correspond pas à une réalité, puisqu'elle recouvre des valeurs
extrêmes bien différentes: les 1000 mm vers la Gambie
représentent une zone favorisée, mais à mesure que l'on remonte vers
le N, les quantités décroissent pour n'être plus que de 300 mm sur
le Sénégal. ,
Cette moyenne annuelle comprend aussi de grandes variations

;
suivant les années pour un lieu considéré. A Saint-Louis — où la
moyenne sur vingt ans est 380 mm — la moyenne des 10 années
où il a le moins plu est de 265 mm, les autres faisant 485 mm, soit
une variabilité de 30 \% ; et l'année la plus sèche (1942) donna
173 mm, la plus humide (1927) 651 mm. Ces gros écarts
s'estompent assez régulièrement à mesure qu'on diminue en latitude.
Les chiffres absolus n'ont d'ailleurs qu'une signification
restreinte. Ce qui importe autant, c'est la répartition des pluies dans
le courant d'une même année, en dehors du retour périodique
d'une saison des pluies après la sécheresse quasi absolue de
décembre à mai inclus. Il n'y a pas plus de régularité dans les dates
d'apparition et de disparition de cette saison que dans la fréquence
des pluies. On sait seulement que la durée de la saison pluvieuse est
cependant d'autant plus longue qu'on va vers le S*, de 3 à 5 mois, et
que le mois d'août est généralement le mieux arrosé. Conséquence
immédiate : le travail de la terre est sous la dépendance étroite de
la date d'arrivée des pluies et de leur plus ou moins bonne
répartition sur la durée du cycle végétatif. Les pluies sont, de plus,
courtes et abondantes et la conséquence s'en retrouve dans la façon
dont l'eau est gardée par le sol.
La massivité de la pluie empêche en effet l'eau de profiter au
maximum des possibilités d'infiltration que lui offre un sol le plus
souvent sableux en surface, donc très perméable. Elle cherche des
— 404 —

possibilités d'écoulement superficiel, ravinant la moindre pente. Cet


écoulement se fait, soit à la mer pour les bassins d'ailleurs étroits
du Sénégal et de la Gambie et pour une très faible bande littorale;
soit, plus généralement, en bassins fermés où apparemment l'eau
non infiltrée semblerait ne pas devoir être perdue puisqu'elle vient
se rassembler dans toute une série de bas-fonds donnant des mares.
Mais c'est ici qu'il convient de faire une seconde constatation qui
fait entrer en jeu le caractère pleinement tropical du pays. La
nature reprend au sol tout ce qu'il n'a pas emmagasiné par la voie
de l'évaporation.

.
Il est difficile d'attribuer une part respective à ces deux actions.
On peut sans doute évaluer globalement à deux mètres la hauteur
d'eau qui serait évaporée pendant un an dans un bassin exposé à
l'air libre, mais on ne peut savoir au juste ce qui se passe pour une
mare de profondeur inégale, diversement abritée, avec des
conditions climatiques mal définies. On constate seulement que la
plupart sont asséchés dès le mois de février. L'évaporation se fait aussi
en profondeur à l'égard des sols imprégnés d'eau, celle-ci remontant
progressivement par capillarité pour être absorbée par l'atmosphère
dans la mesure où un certain couvert végétal ne vient pas
s'interposer. Ainsi, faute de connaître exactement l'importance de l'éva-
poration, il devient hasardeux d'évaluer la quantité d'eau infiltrée.
Pour la région de Dakar, les techniciens estiment que, sur 500 mm
de pluie, 200 seulement sont infiltrés. A défaut de ruissellement
presqu'inexistant au Sénégal, que devient cette eau souterraine?
Une partie de l'eau reste dans la couche des terrains superficiels,
sables quaternaires, qui ont généralement une grande capacité de
rétention (40 %). Ainsi, en creusant à quelques mètres, l'eau
apparaît, susceptible de maintenir en permanence un certain débit, et
qu'on pourra exploiter sommairement. Cette eau s'égoutte
régulièrement et de plus en plus profondément au travers des couches mio-
pliocènes — là où elles existent — qui comprennent sables, grès,
argiles. Elle forme des nappes — ainsi dans le Ferlo et' le Cercle
de Tambacounda — à la rencontre des roches imperméables où il
est possible de l'atteindre en creusant des puits. Les nappes se
succèdent en profondeur au gré de la disposition des couches
imperméables.
Sous le miopliocène se trouve le lutétien. Sa partie supérieure,
formée de calcaires, de lumachelles, d'argiles, comprend différents
niveaux plus ou moins en rapport avec les ondulations décrites par
les couches (Jacquet). Quant au lutétien inférieur il est formé de
sables tous aquifères. Ensuite vient un niveau de marnes
imperméables et les couches de l'éocène inférieur suffisamment riches
elles aussi en eau.
Ces données restent cependant bien imprécises et des aberrations
sont toujours possibles. Ainsi le forage de Kelle (1939) a traversé de
94 à 459 mètres des argiles sans eau et a dû être abandonné.
Certains résultats demeurent énigmatiques. Le forage de Kao-
lack (II) à 234 mètres donne une eau jaillissant à 1 m 50 du sol et
en beaucoup d'autres endroits le niveau statique n'est pas très
éloigné. Les couches semblent inclinées régulièrement d'E en W, si bien
qu'on se demande si la nappe du lutétien inférieur qu'on trouve
Brasseur G. : Carte hydraulique du Sénégal. Pl. XVII.

l
\

300 O
• Forages
Lignes
Limite
Ligne
et d'agriculture.
d'isohyète
deapproximative
profonds
cheminet dont
de
quantité
existants.
fer.de
la réalisation
laannuelle
zone traditionnelle
de.est
pluie
imminente.
en millimètres.
d'élevage
— 406 —

dans le Djoloflf et à TE du Saloum, puisqu'elle reparaît dans le


cercle du Matam, ne serait pas alimentée par les crues du Sénégal.
Les études en cours dans le cercle de Matam ne tarderont pas à"<
nous renseigner.
Quant au fleuve lui-même, son apport au territoire n'est pas négli-
geable,^puisque dans les vingt-cinq milliards de mètres cubes qu'il
draine annuellement, il faut faire la part de l'apport guinéen et
mauritanien. Il constitue, grâce à ses hautes eaux, une richesse
pour les terrains qu'il inonde ou qu'on lui fera inonder, et même
en saison sèche la principale ressource en eau douce des riverains
jusqu'à Podor, limite de la remontée de l'eau de mer pendant les
basses eaux.
Ces conditions exposées, on envisagera les solutions apportées
au problème de l'eau et les conséquences à en attendre.
Comment l'homme s'est-il plié aux exigences du milieu en
fonction des différents moments de l'année et des différentes régions,
en harmonisant ses besoins avec lui?
On remarquera d'abord que le processus normal, le plus près de
la nature, est l'utilisation de l'eau de surface quand elle existe, du
fleuve Sénégal pour ses riverains ou bien des mares et marigots un
peu partout dans le pays au moment de la saison des pluies; mais
celle-ci ne dure que quelques mois et les mares ont tôt fait de se
tarir, la sécheresse revenue. Il faut ensuite gratter le sol pour aller
chercher le liquide qu'il recèle. Ici deux méthodes s'opposent,
celle du pasteur et celle du sédentaire.
Le pasteur, c'est-à-dire le berger peul, utilise la séane, ainsi
appelée d'un nom wolof qui évoque l'idée de couler. La séane
consiste en un grand entonnoir profond de 3 à 6 m jusqu'à la
nappe d'eau. Elle est facile à creuser puisqu'elle ne nécessite pas
de consolidation. Elle se fait rapidement et quand elle ne donnera
plus d'eau ou que les pâturages auront été épuisés, on
l'abandonnera sans regret. L'année suivante d'ailleurs, on pourra la rouvrir,
bien qu'un hivernage l'ait en partie éboulée. Le puisage se fait à
l'aide d'une perche et d'une calebasse, reliés ensemble par une
corde, l'opération s'effectuant comme s'il s'agissait de pêcher à la
ligne. Le mouvement se fait vivement et fréquemment, mais on ne
remonte que peu d'eau à la fois. '
Le sédentaire utilise le puits, c'est-à-dire une cheminée à parois
à peu près verticales. Celles.-ci ne sont pas consolidées si le sol
le permet, ou bien on les boise à l'aide de branchages empilés
les uns sur. les autres comme on fait une tour en dominos. Ces
constructions peuvent ainsi servir plusieurs années de suite et
leur profondeur étant plus grande, le débit a plus de chance de se
maintenir au travers de la saison sèche.
Faute de témoignages écrits, on peut difficilement se faire une
idée des profondeurs atteintes avant l'arrivée des Européens. On
peut supposer qu'elles n'étaient pas importantes en considération
des procédés employés pour le fonçage. Il n'y avait d'ailleurs pas
de castes spécialisées et c'étaient tous les jeunes gens du village
qui y prenaient part sous la conduite du chef. De la sorte, on peut
envisager que l'aire d'habitat des sédentaires était beaucoup plus
limitée qu'aujourd'hui.
— 407 —

Le puisage au puits pose souvent des problèmes plus ardus qu'à


la séane; en effet le village est parfois assez éloigné du point d'eau
— centaines de mètres, kilomètres même — que les femmes
doivent parcourir à pied, le canari sur la tête. Le puits peut être pour
de nombreux habitants et il faut alors attendre son tour. Enfin le
travail est assez fatiguant par lui-même et vu la température
ambiante. De toute façon il prend un temps considérable d'autant
plus qu'on ne sait pas mettre à profit la force animale, sauf pour le
transport sur les longues distances; on remplit alors des outres en
peau de mouton dont on flanque les bourriquots.
On conçoit facilement qu'une denrée si précieuse soit utilisée
avec discernement. Elle sert avant tout à étancher la soif et pour
ce, il faut facilement 3 à 5 1 par jour suivant les individus, leur
travail, la sécheresse de l'air et les vents. Le Noir qui voit de
l'eau désire toujours en absorber, mais il sait parfois aussi se
montrer résigné quand il n'en a pas. Il n'est d'ailleurs pas très
difficile pour la qualité : l'eau un peu salée lui convient, la couleur
ne le rebute pas, bien qu'il lui préfère avant tout un reflet
blanchâtre; par contre il est beaucoup plus sensible à l'odeur, celle du
gaz sulfureux notamment.
Pas plus qu'on n'a essayé de déterminer exactement les besoins
de l'organisme Sénégalais, on n'a davantage éclairci l'influence
chimique et biologique de ce que la nature lui offre comme
breuvage. Il est certain que les germes en suspension dans les eaux ne
sont pas les mêmes ici qu'en Europe, que le Noir de toute façon y
est moins sensible, mais quand même ce point serait vrai, sa cause
vaudrait la peine d'être expliquée pour les conclusions que l'on
pourrait en tirer.
En dehors de 'la boisson qui constitue un besoin marginal, l'eau
est utilisée suivant des normes très élastiques, pour la cuisine
d'abord — cuisson du couscous de Mil à la vapeur — pour la
toilette ensuite, mais celle-ci a lieu le plus souvent près du point
d'eau et de façon très sommaire; en période sèche, on l'escamote
assez facilement et surtout en janvier-février, lorsque l'eau est
assez fraîche. Quant au lessivage du linge, il ne donne guère plus
de souci que la toilette du corps elle-même; il est par ailleurs peu
important dans les milieux ruraux. Pour tous ces usages la qualité
de l'eau importe encore moins que pour la boisson : eau saumâtre,
boueuse, toutes conviennent à peu de chose près.
Ainsi 10 1 d'eau par jour et par personne semblent suffire a*u
paysan du Sénégal. C'est évidemment, peu comparativement aux
300 1 qu'on estime nécessaires à la consommation du citadin en
Europe où la nature a cependant moins soif.
L'homme qui a parfois tant de peine à pourvoir à sa propre
alimentation en eau doit aussi penser à celle dont il a besoin dans
l'exercice de ses activités professionnelles.
Pour la culture, il s'en remet pleinement au verdict du ciel. Sauf
pour les petites rizières du Sine Saloum où le Sérère retient l'eau
des pluies par des diguettes en terre, nulle part on ne pratiquait
avant l'arrivée des Européens les plantations nécessitant quelque
arrosage dans leur développement.
L'élevage, par contre, se soucie en premier lieu du problème de
,
— 408 —

l'eau. En période de pluies, pas de difficultés bien entendu. Les


mares et l'herbe abondent, mais ensuite il faut se déplacer au fur
et à mesure que l'eau ne se trouve plus autant que les fourrages.
L'homme doit alors se rapprocher chaque jour des puits ou ouvrir
des séanes et tirer l'eau lui-même;
Le travail est considérable, si l'on songe qu'un troupeau comporte
couramment 200 à 300 têtes. Il faut lui réserver la journée pour
parcourir la surface nécessaire à sa nourriture, et au retour, la nuit
Ou au petit matin, tirer l'eau à raison, semble-t-il, de 20 à 25 1 par
tête, ce qui peut représenter 10 000 1 quotidiennement. .
Il arrive pendant les années particulièrement sèches que les
bêtes ne soient pas régulièrement abreuvées. On les voit alors
maigrir considérablement; elles cessent de donner du lait, enfin
un certain nombre ne supportent pas la déshydratation et crèvent.
Comment se présente schématiquement le problème de l'eau
dans les différentes régions du Sénégal?
On peut d'abord constater que chaque groupe ethnique occupe
une aire bien définie qui réclame sa solution propre : aussi peut-on
considérer successivement celles des Toucouleurs, des Peuls, des
Wolofs et des Sérères enfin.
Les Toucouleurs habitent essentiellement la région du fleuve
depuis Podor, à partir d'où les eaux salées cessent de remonter,
jusqu'à Bakel. Ils occupent la vallée différemment suivant les
époques de l'année : en saison sèche, la bordure même du fleuve
où ils se ravitaillent en eau et où les terrains (wolo) portent une
culture de Mil à la faveur de l'humidité que le sol a emmagasinée
'pendant les inondations. En période de crue, ils doivent se retirer
de ces terres pour aller cultiver celles qui en sont exemptes
(ndieri). Ils puisent alors l'eau des mares et doivent s'éloigner de
100 km et plus du fleuve.
Les Peuls parcourent tout le Ferlo pendant l'hivernage, mais
lorsque les dernières mares sont asséchées, ils doivent se retirer
d'abord vers les fonds où s'écoulaient autrefois les fleuves. Ils y
creusent des séanes qui souvent ne leur permettront pas de faire
la soudure. Ils continuent alors leur chemin vers les régions plus
basses de la périphérie : Sénégal, lac de Guiers, région de Mbour
à Kaolack.
Les Wolofs occupaient probablement une aire beaucoup moins
entendue qu'aujourd'hui; ils étaient sans doute limités à la région
de Saint-Louis et à une bande de terrain parcourue aujourd'hui
par le chemin de fer, jusqu'à Thiès. Cette région est
particulièrement pauvre en eau qu'on ne peut d'ailleurs pas trouver partout
à l'aide de puits, à moins d'atteindre des profondeurs hors de la
portée des techniques indigènes. Devant la pauvreté du pays et
leur accroissement numérique, ils ont fait pression d'abord vers
l'E puis au S par la guerre, avant de pouvoir sous la protection
française s'y installer pacifiquement. La plus grande facilité d'y
trouver l'eau y est peut-être aussi pour quelque chose.
Les Sérères trouvent l'eau généralement à peu de profondeur
en creusant des sortes de puisards, intermédiaires entre la séane
et le puits. Il en existe des milliers dans le cercle du Sine Saloum.
Mais là aussi les limites de la vie agricole se retrouvent à l'E où
la nappe phréatique s'enfonce de plus en plus profondément.
— 409 —

Cette situation n'est pas apparue immédiatement comme un


problème de colonisation, et des plus importants. Il a d'abord fallu
réaliser la sécurité, vaincre les hommes et tout aussi bien les
éléments : climat, difficultés pour se déplacer, la fièvre jaune...
Il a fallu ensuite reconnaître le pays, jeter les bases de son
administration et de ses finances, choisir les directions d'une
politique. Et cela amène aux premières années du xxn siècle.
C'est à propos de la construction du chemin de fer de Thiès à
Kayes que l'on s'est pour la première fois vraiment rendu compte
que l'eau .conditionnait toutes les grandes entreprises dans ce pays.
L'itinéraire même de la voie fut choisi en fonction de la
commodité du ravitaillement en eau et on décida de contourner le Ferlo.
Le soin des prospections systématiques fut confié au capitaine du
Génie Friry (1904) qui établit en même temps les premiers
éléments d'une carte hydrostatique du Sénégal.
Friry mit au point une méthode pratique de construction de
puits, qui porte son nom et est encore largement utilisée
aujourd'hui. Elle consiste à creuser régulièrement le sol en se guidant
avec un cerceau en fer posé à plat. Au fur et à mesure que le trou
avance, on plaque sur la paroi une couche de mortier de ciment,
on pose dessus une. armature en fil de fer et on recouvre encore de
ciment. Lorsqu'on arrive à la nappe aquifère, on fait glisser
jusqu'au fond un empilage de buses en ciment, préparées séparément
suivant la même technique. Et l'on continue de creuser pour
approfondir la nappe d'eau et de la sorte, augmenter le débit.
Cette méthode à la portée de maçons indigènes sous la
surveillance périodique d'un Européen permit de doter le pays en 8 ans
(1905 à 1913) de près de mille puits d'une profondeur moyenne
de .25 m, mais pouvant aller jusqu'à 93 m comme à Gossas. Qua-*
ran te équipes travaillèrent ainsi en même temps, depuis le Djoloff
jusqu'à la banlieue de Dakar et le long de la voie ferrée à mesure
qu'elle avançait. ' .
Si la guerre vint stopper l'entreprise, les projets ne cessèrent de
se multiplier. Dans les programmes de mise en valeur, l'eau prend
son importance (A. Sarraut). Le Gouverneur Général Clozel, de
son côté, amorce l'idée de l'hydraulique pastorale en demandant la
création de puits destinés à alimenter le bétail sur les grandes
routes de parcours et notamment celles d'acheminement sur les
centres de consommation et les ports. .
Henry Hubert, le savant géophysicien de 1'A.O.F., fut chargé
d'une mission hydrologique de 1917 à 1922. En dehors de la pros-;
pection systématique des réserves en eau du Cap-Vert, il étudia plus
spécialement une région comprise entre Diourbel et Yang- Yang, en
vue de constituer une réserve pour l'élevage de 20 000 têtes de
bétail. Mais la solution ne put intervenir, vu le faible débit de la
nappe d'eau, profonde d'environ 60 m; il eût fallu creuser une
centaine de puits, soit une dépense pour l'époque de 1 400 fr.
Il n'en resta pas moins une solide documentation sur la situation
des nappes, leur altitude, leur composition chimique et l'on peut
dire que toutes les recherches faites dans les années qui suivirent
se sont directement ou indirectement inspirées des travaux de
H. Hubert, • .....'.. ,'.'.,.
;
— 410 —

Les idées continuent cependant à faire leur chemin et en 1925,


à la conférence économique du Sénégal, le problème de l'eau est
affirmé dans toute son ampleur. C'est l'époque où l'on commence
à pressentir tous les dangers d'une économie basée exclusivement
sur la culture de l'Arachide et où la doctrine de l'assèchement
progressif du pays bat son plein.
On pense donc réagir de deux façons : en créant une
agriculture irriguée partout où c'est possible, en intensifiant ailleurs
l'élevage par la création de nouveaux points d'eau. C'était vouloir
reprendre à l'échelle de tout le territoire ce qu'H. Hubert avait tenté
pour une petite région; on proposa cette fois de faire creuser des
puits par des spécialistes avec un matériel puissant et moderne,
pour exploiter économiquement l'eau à de grandes profondeurs.
Pour la première étape, on se propose d'équiper les pistes suivies
par les troupeaux allant de la région du fleuve (Matam) vers Dakar
ou Kaolack, en reconstituant les brigades de puits que la guerre
avait obligé de dissoudre.
En dehors d'une intervention directe du chef-lieu, un nouvel
organisme prend en main l'alimentation en eau des campagnes; ce
sont les Sociétés de prévoyance. Le statut original de ces
associations énumérait limitativement leurs attributions et ne précisait
pas qu'elles puissent s'occuper du forage des puits. Ce n'est que
dans leur réglementation de 1919, puis de 1925 que leur champ
d'action s'est étendu et qu'on leur a confié « l'exécution des
travaux agricoles et d'amélioration agricole d'intérêt collectif, ou des
travaux tendant à doter une région ou une agglomération d'ouvrages
d'intérêt collectif utiles à l'agriculture, tels que canaux d'irrigation,
barrages, puits...» Ce rôle était tout indiqué puisque les Sociétés de
Prévoyance sont tout à fait à même de connaître les besoins de
leurs administrés et que leurs ressources, résultat de prélèvements
obligatoires sur la production agricole, leur permettent une
certaine marge d'action.
Dans ce sens, quelques* cercles ont réalisé sur cette base un
travail remarquable; en tête le cercle de Kaolack qui a évidemment
pour lui d'être le plus peuplé (400 000 hab.) et le plus riche grâce
à l'essor de la culture des Arachides. Il a pu ainsi faire construire
jusqu'à la veille de la guerre près d'un millier de puits :
aujourd'hui la cadence reprend à un rythme accéléré pour rattraper le
retard consécutif à la période 1942-1947; elle ne se ralentira pas de
sitôt tant les besoins sont nombreux. Parallèlement les moyens se
perfectionnent — d'abord dans la façon de faire les puits : toujours
la méthode Friry, mais l'usage du marteau-piqueur est introduit si
bien que pour creuser à 80 m, on ne met plus que six mois au lieu
de trois ans; une école de puisatiers s'occupe de pourvoir en
personnel les quelque cinquante équipes constamment en chantier;
ensuite on s'occupe de remédier,à la difficulté du puisage : essais
d'éoliennes, mise en place d'abreuvoirs en ciment de chaque c*ôté
du puits pour ne rien perdre de l'eau si durement remontée et
beaucoup de projets en vue qui ne demandent que des crédits pour
être réalisés.
La situation de la plupart des autres cercles n'est
malheureusement pas aussi brillante et ceux qui auraient les besoins les plus
— 411 —

urgents sont souvent les plus pauvres. Faute de fonds, il leur est
impossible de recruter un personnel qualifié et de plus les
disponibilités étant très faibles sont mal réparties. La politique, les intérêts
particuliers entrent en jeu pour que certains villages bénéficient
de la répartition, alors que les besoins d'autres moins bien
défendus, mais plus impérieux, sont sacrifiés. Le contrôle du
gouvernement de Saint-Louis est difficilement réalisable, faute d'un
nombre suffisant d'ingénieurs et l'on ne peut même pas suivre, si
ce n'est de façon très vague, le' travail qui a été accompli.
Les indigènes de leur côté en s'inspirant de la technique Friry
ont construit des puits pour leur propre compte. L'un des plus
célèbres celui de Darou Mousti, a été poussé par eux jusqu'à 80 m,
mais comme il n'y avait pas de résultats, le Génie prit la suite et
poussa jusqu'à 124 m pour obtenir un débit insignifiant, 2 m* à
l'heure, à un niveau statique de moins de 77 m par rapport au sol.
Ainsi l'eau est-elle souvent trouvée à de trop grandes
profondeurs, quand elle n'est pas par surcroit saumâtre, et la remontée
devient un problème très ardu. 80 ou 100 m dans la régions des
Terres Neuves à l'E de Kaolack sont courants, et l'on peut voir à
Gniby par exemple 100 à 200 personnes, serrées autour du puits,
aussi bien de nuit que de jour, attendant leur tour pendant qu'à
l'aide d'une douzaine de poulies, d'autres s'affairent à remonter
Je précieux breuvage. On le transporte jusqu'à 10 km, et si on veut
l'acheter, il faut le payer 100 fr les deux cents litres sur place.
Parfois même la nappe donne des signes de défaillance.
Devant cette situation on a décidé de s'orienter dans une autre
direction;- celle des forages profonds. Cette technique date déjà, de
plus de cinquante ans, mais on ne commença vraiment à
l'appliquer au Sénégal qu'en 1925. Les grandes villes, dont l'alimentation
en eau est un souci constant pour les autorités en raison de leur
expansion accélérée, furent les premières à en faire les essais ;
ensuite ce fut le chemin de fer pour les châteaux d'eau de ses stations,
les nouvelles sur la ligne de Louga à Linguère, comme les
anciennes, Gossas ou Guiguineo. Enfin les campagnes, à la suite d'un
projet de 1932, lorsque les expériences précédentes eurent prouvé
l'efficacité de la méthode.
En effet les premiers résultats n'ont pas toujours été concluants.
Des forages n'on rien donné, on l'a vu, ou trop peu donné, ou
donné seulement de l'eau salée. Ensuite certains ont vu leur débit
baisser progressivement. On a vite compris combien était
important le choix de l'emplacement en fonction des données
géologiques et puis un travail convenablement mené selon les méthodes
éprouvées. Car d'autres forages sont capables de maintenir un débit
constant au cours des années.
Les avantages du forage profond ne se comptent plus aujourd'hui
II ne demande en général pas plus de temps à exécuter qu'un puits
de 60 ou 80 m. La quantité d'eau débitée est beaucoup plus forte,
et d'une eau à l'abri de toute pollution. Le niveau statique étant
généralement assez élevé, le pompage ne présente pas plus de
difficultés techniques que pour un puits et, comme il s'agit de
grosses quantités d'eau (en moyenne un m3 par minute), l'emploi
d'un moteur surveillé par un mécanicien-gardien se trouve pleine-
— 412 —

ment justifié. Le coût du forage en lui-même se trouve sensiblement


amorti quand il fait partie d'un plan d'ensemble, puisqu'alors le
même matériel et le même personnel spécialisé refont le même
ouvrage qui de plus se trouve souvent au Sénégal semblable à celui
du voisin.
Cette solution est particulièrement alléchante pour les zones
d'élevage sans habitat fixe, où les troupeaux parcourent la savane
à longueur dé journée. En établissant un point d'eau tous les 25 km
dans Une région comme le Ferlo, d'immenses pâturages
permettraient un accroissement considérable du cheptel qui pourrait ainsi
passer pour tout le Sénégal de deux millions de têtes à dix millions.
La première tentative devait être la grande route de transhumance
de Kaolack à Matam. .
Le forage profond est utilisable aussi pour des fins purement
agricoles,. Ainsi dans le N-E du Cercle de Kaolack existent de
grands espaces complètement inutilisés, qu'on a appelés les Terres
Neuves. En les dotant d'eau, on pourrait favoriser une
concentration humaine suffisante pour en entreprendre une culture
intensive. Le premier essai est en cours, avec le bloc de l'Arachide à
Kaffrine.
Les premières réalisations ne furent décidées qu'en 1937 et n?
virent le jour avec les forages de M'bar et Sadio (route Kaolack-
Matam) que l'année suivante, la mise en service ayant été différée
jusqu'en 1941. La guerre obligea à repousser l'exécution d'un
marché de 14 forages, passé en 1942 avec la société Hydraulique
Afrique. 6 seulement de ceux-ci sont maintenant en service. Les
autres seront terminés incessamment. Un nouveau marché a été
passé pour 20 autres forages, tandis que les emplacements d'une
série ultérieure sont déjà repérés.
Il ne faut pourtant pas croire que le forage profond soit la seule
solution à laquelle on ait maintenant recours. Par exemple, là les
besoins horaires sont inférieurs à 25 m8, il ne s/impose plus. En
second lieu, comme on ne peut tout de même en faire qu'un
nombre restreint en zone susceptible d'être occupée par les sédentaires,
bien des villages restent dans, un rayon éloigné du point d'eau sans
espoir d'obtenir une amélioration à leur sort. En effet les aqueducs
et canalisations sont trop coûteux et difficiles à entretenir pour
pouvoir passer dans le domaine pratique.
C'est pourquoi la commission des chefs de service, réunie ,à
Saint-Louis en 1946 en vue de l'élaboration d'un plan d'équipement
hydraulique au Sénégal, décida de ne pas s'en tenir aux forages
profonds mais d'établir un programme prévoyant toujours des puits
Friry et même l'utilisation des mares d'hivernage sur une longue
période d'années pour la création de citernes.
Le budget Fonds d'Investissement pour le Développement
Economique et Social doit apporter son concours à la réalisation de ce
programme et sa mise en place technique est réservée à un nouveau
service fédéral dit de l'Hydraulique créé au sein des Travaux
Publics en octobre 1949. A l'échelon du Sénégal, un ingénieur des
mines est chargé de son fonctionnement avec l'aide d'un personnel
qualifié et d'un matériel perfectionné.
On peut donc penser que le problème de l'eau est en voie de
— 413 —

solution au Sénégal et en même temps se demander quelles


conséquences sont à attendre pour le développement de cette colonie.
Ces transformations peuvent être envisagées sous deux aspects :
celles qui touchent l'homme et celles qui intéressent l'avenir du
paysage sénégalais* A leur propos l'administrateur et le
botaniste entreront en conflit.
Il est certain que l'aménagement des ressources en eau d'une
contrée soudanienne est pour ses habitants une véritable
révolution sociale et économique. On imagine qu'au temps où on
pratiquait l'esclavage, la charge de puiser l'eau était réservée aux
captifs — aux captifs hommes pour l'alimentation du bétail, travail
trop pénible pour être le fait des femmes; puis indifféremment aux
hommes et aux femmes, qui sont un peu les servantes de l'homme,
à partir du moment où la civilisation amena l'usage de la poulie.
En effet, celle-ci rend le travail sinon facile, du moins plus
commode; et rien n'empêche plus que la femme, même avec un enfant
sur les reins, apporte son concours. Enfin réaction inverse,
l'augmentation considérable du nombre des points d'eau, puis
l'apparition de moyens automatiques de remonter l'eau constituent une
libération pour la femme. Il s'ensuit plusieurs conséquences : la
polygamie perd en partie son sens, d'autre part la femme ayant
un peu moins d'occupation peut augmenter la superficie de son
champ et par là, son revenu qui tend à devenir égal à celui de
l'homme. Ce qui est actuellement beaucoup plus sensible, c'est la
possibilité pour un même berger d'entretenir un nombre beaucoup
plus considérable de bêtes. Il arrive même aujourd'hui que des
Peuls venus à la ville où ils occupent des emplois spécialisés et
lucratifs placent leur argent dans leur pays d'origine sous forme de
bétail qu'ils donnent à garder à leurs congénères qui y sont restés.
En tenant compte des pertes de bestiaux qui ont pu être évitées,
tant par le recul des famines dû à la création de nouveaux points
d'eau et la quasi suppression des épizooties par la' pratique
renouvelée des vaccinations, on peut estimer que pendant ces vingt-
cinq dernières années, le cheptel bovin a probablement doublé.
Ces transformations sont patentes, mais elles s'accompagnent
d'autres à plus longue échéance et en sont difficilement séparables :
ce sont l'accroissement du niveau de vie et la progression
démographique par l'ouverture à la culture de terres jusqu'ici
interdites à l'installation humaine.
L'absence de points d'eau permanents limite en effet cette
possibilité bien que par ailleurs les sols ne soient pas plus
défavorables, au contraire, puisqu'on ne peut pas invoquer à leur
encontre l'épuisement dû aux récoltes trop répétées, de même que
la pluviométrie. Pour cette raison, la culture n'était pas vraiment
praticable à l'E d'une ligne grossièrement jalonnée par Coki-Diour-
bel-Kaolack. De l'autre côté, surtout dans le N, vivait chichement
une population de Wolofs sur une terre qui, malgré ses rendements
passés en arachide, n'était pas capable de produire d'un endroit
ou d'une année à l'autre plus de 350 kg à l'ha, étant donné la
variabilité, des pluies.
La pacification, l'ouverture d'un chemin de fer rendant aisée
l'évacuation de la production ont provoqué la ruée vers le S où
Rev. de Bot. Appl. 28
— 414 —

la plus grande abondance d'eau permet des rendements de 800 kg


à l'ha. Ainsi, à peine égale, le profit du travail se trouvait doublé.
Le budget familial théorique, jusqu'alors toujours déficitaire,
laissait une certaine marge pour l'achat de produits d'importation
et aussi de vivres pour combler les vides de la période de soudure,
soit par les avances des Sociétés de Prévoyance, soit par
l'intermédiaire des commerçants syriens qui en font une spéculation.
Mais cette descente massive vers le S tend à trouver son
équilibre avec la saturation des campagnes où la plus grande partie
de la terre vient à être maintenant occupée. Il est donc nécessaire
de rechercher un exutoire ailleurs, ce qu'on compte obtenir de
deux façons bien différentes, mais toutes deux liées à la question
de l'eau.
Sur la première, on passera rapidement; c'est celle qui consiste
à irriguer le delta du Sénégal jusqu'à présent inutilisé. On
commence à connaître suffisamment les travaux entrepris à Richard-
Toll pour emmagasiner l'eau de crue du Sénégal et la déverser
ensuite dans des casiers rizicoles. Le but actuellement en vue est
d'ailleurs surtout économique : produire à un prix rentable plutôt
que de donner du travail à de nombreux individus, et c'est
pourquoi l'on insistera davantage sur la seconde façon qui consiste
à ouvrir à l'exploitation les terres à l'E du pays commie défini
plus haut.
On a ainsi en vue de faire défricher par les populations
excédentaires de certaines régions, qui s'offrent volontiers à ce
déplacement, une vaste bande de terrain de Kaffrine à Tambacounda au
N de la voie ferrée et en direction du Ferlo, qu'on a appelée les
« Terres Neuves ». Une expérience officielle du service de
l'Agriculture est d'ailleurs en cours près de Kaffrine. Des terres ont été
défrichées au cable et au bulldozer, un forage profond implanté,
un parc d'engins mécaniques constitué. L'on compte bientôt livrer
à l'initiative d'une coopérative d'exploitation indigène toute cette
installation lorsqu'elle sera suffisamment en train, pour créer par
la suite d'autres blocs semblables d'une superficie approximative
de 10 000 ha.
Si l'on ne peut émettre actuellement aucun jugement sur cette
entreprise, on peut toutefois examiner les transformations qu'a

LÉGENDE DE LA PLANCHE XVIII


Quelques chiffres permettent de comparer les différents modes
d'alimentation en eau du Sénégal : séane — profondeur 3 m — débit : 2 mVh
pour 1 personne; puisard — 6 m — et 4 m'/h pour 2 personnes à la fois;
puits S. P. — 60 m — et 5 mVh pour 10 personnes à la fois; forage
— 300 m — et 100 mVh pour X personnes à la fois. — Pour les coupes,
on interprétera la figuration du sol de la façon suivante : petits points :
sablés; mouchetage : cailloutis plus ou moins latéritisés; lignes
horizontales : terrains imperméables. — Le puits Société de Prévoyance est un
modèle qu'on trouvait notamment à JGuinguineo. Il comporte de chaque
côté deux figoles cimentées par où l'on déverse l'eau tirée qui s'écoule
ainsi jusqu'aux abreuvoirs pour le bétail. Le forage de M'bar comprend
trois parties, de la gauche vers le droite : la cabine de pompage, le
bassin d'emmagasinage pour 150 m8, l'abreuvoir en forme de T par où.
l'eau est distribuée.
Brasseur G. : Alimentation en eau. Pl. XVIII.

ci- dessus: la sèawt contint. dans le Ferlo


à jauche: It puisard du 5ine-&loum
— 416 —

amenées l'ouverture des deux forages profonds de M'bar et Sadio.


Ces deux points étaient des jalons sur la fameuse route de Kao-
lack à Matam, mais au premier il n'y avait que des pasteurs, au
second un petit village; le problème de l'eau y était résolu de façon
très précaire; là par les mares d'hivernage et les puits de Colo-
bane situés à 12 km; ici par un puits creusé par la Société de
Prévoyance vers 1937 et quelques séanes pour le bétail.
Les forages mis en fonctionnement en 1941 et capables de
soutenir un débit horaire de 70 m3 sont en train de transformer
complètement la région. Les premiers résultats n'ont pas tardé à
paraître. Ce furent d'abord des pasteurs du Djoloff, habitués à
parcourir les terrains situés entre Linguère et M'Bour qui s'y
arrêtèrent; puis des agriculteurs toujours à la recherche de nouvelles
terres pour l'Arachide vinrent s'y installer chaque année plus
nombreux, au point que tous les champs disponibles semblent
occupés et que maintenant, on vient à cultiver dans un rayon allant
jusqu'à six ou huit km du point d'eau.
Quelques chiffres pris à dix ans d'intervalle permettent de saisir
le développement de ces deux centres :
1939 1949
M'bar: habitants 100 2 750 *
Sadio: — 300 1200
bétail ! 500 3 000
sans qu'il soit possible d'apprécier le chiffre de la population
flottante, celle des pasteurs et des troupeaux qui ne font que circuler
dans les alentours en fin d'hivernage. A ce moment, la
consommation d'eau, qui est de 25 à 35 m3 par jour en saison des pluies,
passe à 450 ou 500 m', ce qui laisse croire que 10 000 bêtes
supplémentaires, pas toujours les mêmes évidemment, mais chaque jour
10 000 viennent s'abreuver.
L'accroissement des surfaces cultivées en Arachide suit un
rythme semblable; si l'on compare les chiffres de Sadio qui est
point de traite, on obtient :

1945 " i de la product, totale du cercle de Kaolack.


1950 2200 t soit Î'O8 </
Pour M'bar, les chiffres déduits de l'augmentation de Colobane,
qui en est le point de traite, laissent supposer une montée en
flèche semblable, bien qu'ici le pasteur semble avoir gardé le pas
sur le sédentaire.
La surface des champs cultivés par individus n'est certes pas
plus grande ici qu'ailleurs, puisque les méthodes employées sont
lés mêmes, mais si l'on tient compte que, pour une même peine, ,y.
le travail rend au moins deux fois plus que dans le cercle de Louga, )',»
on conçoit que le revenu individuel sera plus satisfaisant. L'écono- \ "/,'
,
t
.

miste comme le sociologue sont en droit de penser qu'à ce stade ,'


de développement social, c'est la natalité qui doit bénéficier d'une
conjoncture économique favorable.
Si ces résultats sont à verser à l'actif de nos méthodes et
favorisent actuellement l'homme, par contre l'occupation anarchique
— 417 —

d'une contrée tropicale sèche ne va pas sans danger pour le sol


comme le pensent les agronomes.
Ces mêmes lieux que Ton vient d'étudier font l'objet d'une mise
en culture qui ne vise qu'à une chose : la plus grande production,
surtout lorsqu'il s'agit des communautés Woloves dirigées par
les marabouts mourides, où l'enjeu éventuel de cette production
est la construction de mosquées et l'enrichissemient de leurs chefs.
On défriche systématiquement les alentours du village et l'on
plante le maximum d'Arachides. Aucune plante de couverture n'est
laissée pour faciliter le travail. On abrège le plus possible la durée
des jachères pour reprendre plus vite le cycle.
Ce schéma de la culture extensive est bien connu parce que très
pratiqué au Sénégal où on l'accuse d'épuiser le sol sans retour.
Mais dans les régions comme M'bar et Sadio, il revêt une acuité
beaucoup plus grande, puisque seuls points où l'on peut trouver
l'eau, ils attirent autour d'eux une foule sans cesse plus dense qui
doit vivre de la terre toute proche. C'est pourquoi plus on s'en
rapproche dès 6 ou 7 km, on constate que la terre est de plus en
plus dénudée, et quand on pense à la stérilisation qui peut en
résulter pour les sols, on se demande quelle sera la vie de ces forages
profonds, puisqu'une fois la. terre épuisée, ses habitants
chercheront à aller plus loin.
Il n'est pas à compter vraiment sur une rationalisation de la
culture, où le bétail serait appelé à amender les terres après
culture. Les paysans prétendent le faire, mais au fond, il n'y a pas
d'entente entre l'éleveur peul et le cultivateur. Celui-là amène ses
bêtes saccager ce qui reste de brousse arbustive en abattant
systématiquement toutes les branches en fin de saison sèche, tandis
que celui-ci laisse perdre ses pailles d'Arachide et ses tiges de Mil.
Il n'y a pas à compter davantage que le paysan indigène veuille
faire servir les quantités d'eau considérables qu'il est possible de
débiter en plus de sa consommation personnelle et de celle du
bétail, à entreprendre des cultures irriguées. Rien n'empêcherait
qu'il trace un jardin derrière sa case pour planter quelques
légumes ou quelques arbres fruitiers qui renouvelleraient
complètement son alimentation en même temps qu'ils rendraient son
paysage moins austère et plus frais.
La Société de Prévoyance de Kaolack avait créé près du
réservoir de Sadio, un petit jardin d'essai entouré de Filaos pour hriser
le vent d'E et à l'intérieur duquel, elle avait fait planter, entre
autres, des Bananiers; une irrigation bien menée leur eût permis
de croître régulièrement et de porter des fruits, mais les
jardiniers n'y attachent aucun intérêt, car il faut trop de soins et au
surplus, ils n'éprouvent pas le besoin de manger de bananes. La
preuve de leur impéritie est bien le succès des commerçants
syriens installés à 50 m qui réussissent non seulement dans leurs
cultures de fruits, mais aussi de plusieurs sortes de légumes.
Si l'eau ne semble pas devoir apporter la transformation
souhaitable de la vie de l'Indigène en ce qui concerne ses procédés
de culture, il ne faut pas davantage escompter une amélioration
qualitative du bétail. Certes celui-ci est appelé à ne plus connaître
les périodes difficiles où la déshydratation lui valait un très net
— 418 —

dépérissement et donnait à ces massifs zébus l'allure de carcasses


ambulantes. Il n'en verra cependant pas sa nature améliorée, plus
de viande pour une ossature moins pondéreuse et une meilleure
production laitière, tant qu'on n'aura pu apprendre aux individus
les principes de la sélection et que ceux-ci n'auront pas voulu s'y
prêter.
Car aujourd'hui, le premier élément d'une question est en voie
de se résoudre : l'eau va jaillir de toute part, mais il faudrait
encore que l'homme se décide à en faire le meilleur usage, non
pas à la laisser retourner là d'où elle est venue, mais de la
soumettre à ses plans méthodiques, à son ingéniosité, à sa force
d'âme.
C'est à cette condition que le Sénégal pourra conserver malgré
son complexe d'infériorité tropical, sa vitalité, tout en disposant
d'une gamme de productions plus variées, de qualité supérieure
et susceptibles de figurer en bon rang sur le marché mondial.

Notes sur les Graminées d'Afrique tropicale.


(Suited
Par H. JACOUES FEUX.

II. LES ARUNDINELLEES (1).


Cette tribu créée par Stapf en 1898 a récemment fait l'objet d'une
révision par C. E. Hubbard qui, en réhabilitant le genre Loudetia,
a laissé au genre Trichopteryx un sens beaucoup plus précis (2).
Il reste cependant que la clé donnée par cet Auteur est peu
commode pour le praticien qui ne dispose pas d'un matériel de
comparaison rassemblé.
Mon intention est de proposer ici un nouveau critère de
classification qui doit permettre de grouper plus naturellement les
genres et d'alléger le genre Tristachya d'une de ses sections.
Si, négligeant tout d'abord tous autres caractères, on ne
considère que l'arête de la fleur fertile, on peut très rapidement et
presque sans secours d'optique établir deux catégories : l'une
dont la colonne est filiforme et tordue sur elle-même, l'autre dont
la colonne est plutôt rubanée et décrit une spire plus ou moins
serrée, enlaçant souvent une arête voisine ou entourant un des
lobes de la lemma.
Si une arête de chaque type est mise en milieu aqueux, on
obtient la distortion de celle du premier type et le déploiement
de celle du second mais les aspects respectifs, filiforme et rubané,
persistent.
Un examen plus attentif montre que le type filiforme est dû à
ce que la colonne est fortement révolutée et que ses bords se
(1) Cf. R. B. A., 1950, n» 329-330, p. 167-187.
(2) Kew Bull., 1936, p. 317.

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