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Nouvelles recherches archéologiques sur la période islamique au Maroc : Fès,


Aghmat et Igîlîz

Chapter · January 2012


DOI: 10.4000/books.pumi.25288

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3 authors, including:

Ahmed Saleh Ettahiri Abdallah Fili


Institut National des Sciences de l'Archéologie et du Patrimoine Université Chouaib Doukkali
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Nouvelles recherches archéologiques sur la période islamique
au Maroc : Fès, Aghmat et Îgîlîz1

Ahmed S. ETTAHIRI (INSAP, Rabat)


Abdallah FILI (Université Chouaib Doukkali, El Jadida ; UMR 5648)
Jean-Pierre VAN STAËVEL (Université Paris-Sorbonne ; UMR 8167)

L’étude de l’histoire de la recherche archéologique au Maroc fait ressortir deux périodes bien
individualisées liées à l’évolution de l’archéologie et de ses objectifs. D’abord revêtue du double statut de
science d’amateurs et de discipline au service de l’administration coloniale, la recherche archéologique au
Maroc connaît ensuite une nette progression pour embrasser des problématiques plus larges, des thèmes
plus collectifs et des objectifs plus diversifiés. Elle commence au Maroc entre le milieu du XIXe siècle et
les premières années du siècle suivant, avec des chercheurs érudits comme Ch.-J. Tissot et des
explorateurs européens comme H. de La Martinière ou E. Doutté. Avec des approches individuelles, ils
sillonnent le pays pour en établir les premières cartes archéologiques. En 1915 s’ouvre à Volubilis la
première fouille scientifique sous la direction de L. Chatelain. L’activité archéologique s’intensifie et,
parallèlement à des interventions menées par les officiers du protectorat, les investigations de terrain
s’affirment grâce à des savants comme A. Rulhmann et J. Malhomme en Préhistoire, M. Taradell, A.
Jodin et L. Chatelain en Archéologie classique. Le nombre des fouilles programmées reste toutefois
extrêmement réduit. A cette faiblesse quantitative s’ajoute une répartition géographique déséquilibrée :
les sites fouillés appartiennent essentiellement à la période romaine et se situent presque tous dans la
partie nord du Maroc, comme Volubilis, Lixus, Tamuda et Banasa. Parent pauvre de la recherche, la
période islamique est moins favorisée, les travaux archéologiques d’ampleur restant non seulement
négligeables mais aussi limités. Elle est pourtant marquée, dès les années 1920, par l’intérêt croissant que
lui portent les historiens médiévistes, soucieux d’appuyer leurs réflexions sur des observations de terrain.
H. Terrasse sera l’un des parangons de cette approche « historienne »2 et monumentale, qui véhicule
l’idée – partagée alors par tout le milieu orientaliste – d’un « âge d’or médiéval » du Maroc, inégalé
depuis. Du temps du protectorat, les recherches archéologiques sont conduites sous la direction du
Service des Beaux-Arts et des Antiquités Marocaines, créé au milieu des années vingt du XXe siècle ;
mais les études concernant la période islamique sont plus souvent encore le fait des membres de l’Institut
des Hautes Etudes Marocaines, dont l’une des publications majeures, la revue Hespéris, apparaît, dès les
premières années de sa parution, comme un lieu privilégié du partage du savoir3. La perspective est
encore très monumentale, et a du mal à se dégager de l’histoire de l’art. Participant d’une tradition
monographique qui accorde la part belle aux « villes impériales » (Fès, Marrakech, Rabat)4, les
monuments inventoriés et (pour certains du moins) fouillés durant le temps du protectorat se trouvent en
milieu urbain, comme le palais du souverain almoravide ‘Alî ibn Yûsuf ou la mosquée Kutubiya à

1 Pour des raisons de lisibilité, on a privilégié ici le recours à un système de translittération de l’arabe et du berbère très simplifié.
Les lettres emphatiques n’ont donc pas été signalées. La lettre hamza a été rendue par le signe ’ en médiane, la lettre ‘ayn par le
signe ‘, la lettre thâ’ par th, la lettre khâ’ par kh, la lettre dhâl par dh, la lettre ghayn par gh, la lettre qâf par q et la lettre kâf par
k. Les voyelles longues ont été notées par â, î et û. Les toponymes suivent l’orthographe des cartes, ou la transcription d’usage
local.
2 Dans le sens employé par J. Morsel (avec la collaboration de Ch. Ducourtieux), L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de
combat, Lamop-Paris 1, 2007 (http://lamop.univparis1.fr/W3/JosephMorsel/Sportdecombat.pdf)
3 On rappellera par exemple que la série des Sanctuaires et forteresses almohades (H. Basset et H. Terrasse, cf. infra) est d’abord
publiée dans cette revue, à partir du numéro 4 (1924).
4 J. Caillé, La ville de Rabat jusqu’au protectorat français. Histoire et archéologie, Paris, 1949 ; G. Deverdun, Marrakech des
origines à 1912, Rabat, 1966 ; R. Le Tourneau, Fès avant le protectorat, Casablanca, 1949.
158 Ahmad Ettahiri, Abdallah Fili et Jean-Pierre Van Staëvel

Marrakech5, la mosquée de Hassan à Rabat6 et la nécropole mérinide de Chellah7, ou encore les


principaux monuments religieux de la ville de Fès8. Rares sont ceux que se trouvent dans des villes
secondaires9. A partir de la fin des années 1940 et surtout durant les premières années de la décennie
suivante, le travail remarquable – et paradoxalement encore aujourd’hui peu reconnu à sa juste valeur –
de chercheurs de terrain comme J. Meunié et Ch. Allain pour la période médiévale, P. Berthier pour la
période saadienne, vient toutefois donner un nouvel essor à l’archéologie islamique du Maroc, alors sur la
voie de l’indépendance. Suivant un tropisme plus ancien, les travaux se focalisent de nouveau, avec une
attention renouvelée, sur les réalisations matérielles datant de l’époque des empires « berbéro-andalous »,
les Almoravides (XIe-XIIe siècles) et les Almohades (XIIe-XIIIe siècles), et plus particulièrement sur la
fortification10. Plus exceptionnelles, et d’autant plus remarquables qu’elles demeureront longtemps sans
suite, apparaissent les études consacrées au monde rural, qui dépassent aussi parfois – et c’est une
première – la période médiévale pour embrasser les réalisations d’époque prémoderne11. Reste que se
dégagent de cette production scientifique de remarquables disparités régionales, entre la zone du Haouz
de Marrakech et les autres parties du royaume notamment. L’approche « historienne » retrouve dans le
même temps ses lettres de noblesse, avec les travaux monographiques que B. Rosenberger consacre, à
partir des années 1960, aux activités minières d’époque médiévale dans les grands massifs montagneux
du Maroc et dans les régions présahariennes : ces précieuses recherches ont été parfois à l’origine de
travaux archéologiques ultérieurs12.
Devant l’importance d’une politique de recherche mieux structurée et clairement définie, le Service
des Antiquités Marocaines est réorganisé en 1975. On met alors en place le Service de l’Archéologie,
dont le but est de déterminer les grandes lignes de la recherche archéologique nationale et d’assurer la
coordination avec les équipes étrangères. Des chantiers-écoles ne tardent pas à s’ouvrir, dans les sites de
Dchar Jdid au nord-est de la ville d’Asila pour l’Antiquité (dir. N. El Khatib-Boujibar et M. Lenoir, à
partir de 1977) et de Belyounech au sud-ouest de la ville de Sebta pour la période médiévale (dir.
M. Terrasse, 1972-1978)13. Aux grandes individualités du temps du protectorat se substituent alors de
nouveaux groupes de chercheurs mixtes et pluridisciplinaires dont la mission est la promotion de la
recherche archéologique. Des problématiques nouvelles sont développées, visant l’intégration des
résultats dans des programmes plus exhaustifs. En 1980 débute ainsi un programme de recherche maroco-
américain dont les opérations de fouille touchent plusieurs sites d’époque islamique : Badis, al-Jabha, al-
Qasr al-Saghir, Moulay Bousselham et al-Basra14. Suivant une problématique historique plus affirmée,
une autre équipe maroco-française débute à partir du début des années 1980 un programme de

5 J. Meunié et H. Terrasse (et G. Deverdun), Recherches archéologiques à Marrakech, Paris, 1952 ; J. Meunié, H. Terrasse et
G. Deverdun, Nouvelles recherches archéologiques à Marrakech, Paris, 1957.
6 J. Caillé, La mosquée Hassan à Rabat, Paris, 1954.
7 H. Basset et E. Lévi-Provençal, Chella, une nécropole mérinide, Paris, 1923.
8 H. Terrasse, La Mosquée des Andalous à Fès, Paris, 1942; Id., La Mosquée al-Qaraouiyin à Fès, Paris, 1968.
9 On citera néanmoins l’étude qu’a consacrée H. Terrasse au principal lieu de culte d’une ville de l’Oriental : La grande mosquée
de Taza, Paris, 1943.
10 H. Basset et H. Terrasse, Sanctuaires et forteresses almohades, Paris, 1932 ; R. Thouvenot, « Une forteresse musulmane sur
l’oued Yqem », Hespéris, 15 (1932), 127-135 ; Id., « Une forteresse almohade près de Rabat : Dchira », Hespéris, 17 (1933),
59-88 ; Ch. Allain et J. Meunié, « Recherches archéologiques au Tasghimout des Misfioua », Hespéris, 38 (1951), 3-4, 381-
405 ; H. Terrasse, « La forteresse almoravide d’Amergo », Al-Andalus, 18 (1953), 389-400 ; J. Meunié et Ch. Allain, « La
forteresse almoravide de Zagora », Hespéris, 43 (1956), 305-353 ; Ch. Allain et G. Deverdun, « Les portes anciennes de
Marrakech », Hespéris, 44 (1957), 85-126. Ce n’est pas le lieu de revenir sur les travaux ultérieurs qui ont été consacrés à cette
question. On se reportera notamment à l’indispensable synthèse bibliographique fournie par P. Cressier, « Les fortifications
islamique au Maroc : éléments de bibliographie », Archéologie islamique, 5 (1995), 136-196, qu’il conviendrait désormais
d’actualiser.
11 Cf. Ch. Allain, « Reconnaissance archéologiques dans le massif des Rehamna et la Bahira », Hespéris, 41 (1954), 155-189 et
Id., « Une organisation agricole almohade dans la Bahira », Hespéris, 41 (1954), 435-458 ; P. Berthier, Les anciennes sucreries
du Maroc et leurs réseaux hydrauliques. Etude archéologique et d’histoire économique, 2 vol., Rabat, 1966. Voir, du même,
« En marge des sucreries marocaines : la maison de la plaine et la maison des oliviers à Chichaoua », Hespéris-Tamuda, 3
(1962), 75-77, et « En marge des sucreries marocaines : recherches archéologiques à la zaouia bel Moqaddem (Chichaoua –
Haouz de Marrakech) », Hespéris-Tamuda, 11 (1970), 141-169.
12 B. Rosenberger, « Autour d’une grande mine d’argent du Moyen Âge marocain : le Jebem Aouam », Hespéris-Tamuda, 5
(1964), 15-85 ; Id., « Tamdûlt, cité minière et caravanière présaharienne. IXe-XIVe s. », Hespéris-Tamuda, 9 (1970), 103-139.
13 Terrasse (Michel), « Recherches archéologiques d'époque islamique en Afrique du Nord », Comptes-Rendus des séances de
l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1976, 590-611 (601-611).
14 Ch. Redman, « Survey and test excavations of six medieval Islamic sites in Northern Morocco », Bulletin d’archéologie
marocaine, XV (1983-1984), 311-350 ; Id., Qsar es-Seghir : an archaeological view of medieval life, Orlando, 1986.
La période islamique au Maroc 159

prospection dans le Maroc du Nord, dans la vallée de Targha15 et dans les Jbala16. Ce programme, qui
allie les données de la prospection, les sondages et l’enquête ethno-archéologique, est alors mené par des
chercheurs qui participent dans le même temps à la réflexion sur le peuplement médiéval d’al-Andalus,
dans le cadre des activités de la Casa de Velázquez. La création en 1985 de l’Institut national des sciences
de l’archéologie et du patrimoine (INSAP) marque le début d’une nouvelle phase pour la recherche
archéologique nationale. Les acquis permettent de dégager de nouvelles orientations qui doivent guider
les politiques de recherche à venir. Dans cette perspective, l’INSAP entreprend, outre la formation de
chercheurs17 et d’administrateurs-gestionnaires des biens culturels, de nouveaux programmes pluriannuels
dont les plus importants sont ceux du Néolithique du Maroc nord-occidental en 1986 et du Rif oriental en
1995 en Archéologie pré- et protohistorique. Créé en 1956, le Bulletin d’archéologie marocaine devient
alors l’un des principaux organes de diffusion des travaux réalisés sur l’époque islamique. Celle-ci
bénéficie également du grand essor que connaît l’archéologie médiévale – désormais considérée comme
une discipline à part entière – en France durant la période 1960-1980. Coïncidant avec l’inflexion de la
recherche historique, qui développe dans les mêmes années une révision d’ensemble du concept de « ville
islamique », la fin des années 1980 voit la création de plusieurs programmes internationaux de
coopération scientifique consacrés à des sites urbains d’époque médiévale : Sijilmassa (mission maroco-
américaine, dir. R. Messier et A. Fili, 1988-1998)18 ; al-Basra (mission maroco-américaine, dir. N. L.
Benco, A. Ettahiri et L. Erbati, 1990-1998)19 ; Nakûr, Aghmat et Tamdoult (programme « La naissance
de la ville islamique au Maroc », dir. P. Cressier et L. Erbati, 1995-1998)20. Longtemps sacrifiés sur
l’autel de la noblesse qui s’attache traditionnellement aux vestiges romains, les niveaux d’époque
islamique retiennent aujourd’hui l’attention des archéologues antiquisants, comme le montrent les fouilles
entreprises dans le quartier sud-ouest de Volubilis (dir. H. Limane et E. Fentress) (2000-2005)21 ou sur le
site de Rhirha (dir. M. Kbiri Alaoui, et L. Callegarin, 2004-)22. Les prospections elles-mêmes
commencent à s’envisager formellement comme un moyen d’appréhender l’évolution du peuplement
dans un temps long, en associant des spécialistes des diverses périodes considérées : c’est le cas du
programme hispano-marocain « Prospections archéologiques dans le Sous-Tekna » (dir. Y. Bokbot et
J. Onrubia Pintado, 1995-2008)23. Dans le même temps se sont concrétisées plusieurs opérations

15 A. Bazzana, P. Cressier, A. Touri, « Archéologie et peuplement : les mutations médiévales, le cas de Targha », dans Jbala.
Histoire et société. Etudes sur le Maroc du Nord-Ouest, Paris-Casablanca, 1991, 307-329.
16 A. Touri, « Prospections archéologiques dans les Jbala-Ghomara (Maroc) : méthodes et résultats », dans G. Noyé (dir.),
Castrum 2. Structures de l'habitat et occupation du sol dans les pays méditerranéens : les méthodes et l'apport de l'archéologie
extensive. Actes du colloque de Paris (12-15 novembre 1984), Rome, 1988, 29-41.
17 Les thèses de 3e cycle préparées dans le cadre de l’INSAP sont malheureusement pour la plupart restées inédites. On citera,
parmi celles-ci, deux études souvent citées dans les bibliographies : Y. Khiara, Reconnaissances archéologiques dans la
moyenne vallée du Neffis (Bassin de Talat-n- Ya‘qûb), Rabat, 2002 ; S. Kafas, Les fortifications et l’architecture militaire du
Maroc au temps des Saadiens (XVIe-XVIIe siècles), Rabat, 2004.
18 Voir, entre autres : R. Messier, « Five Seasons of Archaeological Inquiry by a Joint Moroccan-American Mission »,
Archéologie islamique, 7 (1997), 61-92; R. Messier et N. D. Mackenzie, « Sijilmassa : an archaeological study - 1992 »,
Bulletin d’archéologie marocaine, XIX (2002), 257-340; R. Messier et A. Fili. « La ville caravanière de Sijilmasa: du mythe
historique à la réalité archéologique », dans A. Torremocha Silva et V. Martínez Enamorado (coord.), II Congreso
internacional sobre la Ciudad en al-Andalus y el Magreb, Grenade, 2002, 501-510.
19 N. L. Benco, Anatomy of a Medieval Islamic Town : al-Basra, Morocco, Londres, 2004.
20 Sur ce projet et notamment les premiers résultats sur la ville de Nakûr, voir P. Cressier et al., « Naissance de la ville au
Maroc », Actes des 1ères journées Nationales d'Archéologie et du Patrimoine, Vol. 3, Rabat, , 2001, p. 108-129. Sur Aghmat,
voir P. Cressier, « Aghmat, une question de territoire », dans P. Sénac (dir.), Al-Andalus-Maghreb (VIIIe-XIIIe siècles),
Toulouse, 2007, 81-95. Sur Tamdoult, voir Id., « Du Sud au Nord du Sahara : la question de Tâmdult », dans A. Bazzana et H.
Bocoum (éd.), Du Nord au Sud du Sahara. Cinquante ans d’archéologie française en Afrique de l’Ouest et au Maghreb. Bilans
et perspectives, Paris, 2004, 275-284. Ce programme a été suivi du premier volet d’un autre projet : « L’eau, le territoire et la
ville dans le Haouz de Marrakech » (dir. P. Cressier, L. Erbati : prospection archéologique à Tamesloht en 2000).
21 E. Fentress et H. Limane, « Nouvelles données archéologiques sur l’occupation islamique à Volubilis », in L’Africa Romana,
XVI (2006), Rabat, Rome, 2223-2244 ; et Id., « Excavations in medieval settlement at Volubilis, 2000-2004 », dans Miscelánea
de historia y cultura material de al-Andalus. Homenaje a Maryelle Bertrand, Cuadernos de Madînat al-Zahrâ’ (7), 2011, 105-
122. L’étude des traces d’une occupation post-romaine à Volubilis avait fait l’objet d’un précédent programme de recherche
(dir. A. Akerraz, à partir de 1988) ; voir A. Akerraz, « Recherches sur les niveaux islamique de Volubilis », dans P. Cressier et
M. García Arenal (éd.), Genèse de la ville islamique en al-Andalus et au Maghreb occidental, Madrid, 1998, 295-304.
22 L. Callegarin, M. Kbiri-Alaoui, A. Ichkhakh, C. Darles et V. Ropiot, « Les opérations archéologiques maroco-françaises de
2004 et 2005 à Rirha (Sidi Slimane, Maroc) », Mélanges de la Casa de Velázquez, 36-2 (2006), 345-357.
23 Voir par exemple Y. Bokbot, P. Cressier, M.-C. Delaigue, R. Izquierdo Benito, S. Mabrouk, J. Onrubia Pintado, « Enceintes
refuges, greniers fortifiés et qasaba-s : fonctions, périodisation et interprétation de la fortification en milieu rural pré-saharien »,
160 Ahmad Ettahiri, Abdallah Fili et Jean-Pierre Van Staëvel

archéologiques dans un contexte préventif : l’une des premières expériences en la matière a concerné les
alentours immédiats de la Koutoubiya de Marrakech (dir. M. Belatik, S. Kafas, M. Mohsine et Y. Khiara,
1995 et 1996)24. Depuis, des fouilles de sauvetage ont eu lieu en divers points du territoire : dans la
capitale même, sur le site des Oudayas à Rabat (dir. L. Erbati, 1999-2003 puis 2006)25 ; à Fès, dans la
prestigieuse mosquée de la Qarawiyyîn (dir. A. S. Ettahiri, 2004)26 ou dans ses environs, sur le trajet
d’une autoroute, avec le site médiéval et prémoderne de Moulay Driss (dir. A. S. Ettahiri, 2008). C’est
également dans le cadre d’un projet de prévention archéologique avant restauration qu’a été initiée dans
un premier temps la reprise des fouilles à Aghmât à partir de 2004 (dir. A. Fili et R. Messier) 27. Plus
récemment enfin, les fouilles d’Îgîlîz renouent avec l’esprit des grands programmes de coopération des
années 1990 (dir. A. S. Ettahiri, A. Fili et J.-P. Van Staëvel, 2008)28.
En aucune manière il ne s’agira ici de présenter un bilan des activités archéologiques qui ont été
consacrées à la période islamique (et non pas seulement « médiévale ») au Maroc ces dernières années29,
encore moins de tenter la moindre synthèse. Il s’agira plus modestement, pour les trois auteurs, de croiser
leurs expériences sur divers terrains, aux configurations institutionnelles diverses et aux problématiques
spécifiques, pour essayer de mesurer l’enjeu que représente, aujourd’hui plus que jamais, la recherche
archéologique sur la période islamique au Maroc.

La mosquée al-Qarawiyyîn : une découverte inattendue et des niveaux archéologiques


exceptionnels
La mosquée al-Qarawiyyîn fut édifiée dans un quartier qui, suite au développement qu’a connu Fès,
s’est rapidement retrouvé au milieu de toutes les activités socio-économiques de la cité. Cette zone
présente une topographie et des natures d’occupation dont les souverains successifs ont dû tenir compte
pour fonder le premier noyau du sanctuaire et pour l’agrandir plus tard. En novembre 2005 démarre une
intervention de restauration étendue de la mosquée. Les travaux de remise en l’état du sol de la salle de
prière mettent au jour, presque au milieu de la 7e travée de la nef de la qibla30, un pan de mur dont le
parement dégagé est décoré de motifs géométriques de couleur ocre peints sur un enduit de plâtre. Suite à
cette découverte accidentelle, une fouille de sauvetage est aussitôt organisée sous la direction d’A. S.
Ettahiri. Coordonnée par l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP) et le
Ministère des Habous et des Affaires islamiques et financée, en grande partie, par des fonds propres,
l’excavation confirme, sans trop de peine, l’importance des structures ensevelies. Les données recueillies
sont confrontées aux renseignements rapportés par les chroniques historiques31. Celles-ci s’attardent sur
les événements de l’agrandissement almoravide au VIe/XIIe siècle mais ne font que de succinctes et
vagues évocations au déroulement de celui du IVe/Xe siècle et à l’occupation du site avant la fondation du
sanctuaire. Aussi l’appréhension de l’ensemble des niveaux d’occupation du secteur est-elle devenue une
finalité capitale et la fouille a-t-elle été étendue vers le nord (9e et 10e travées), l’ouest (3e et 4e nefs32) et
le sud (6e travée) (fig. 1).

dans Mil anos de Fortificações ne Península Ibérica e no Magreb (500-1500), Colloque de Lisbonne (2000), Palmela, 2001,
213-227.
24 S. Kafas, « Fouilles de sauvetage aux abords de la Koutoubia », Les Nouvelles Archéologiques et Patrimoniales, 1 (avril 1997),
15-16.
25 L. Erbati, « Deux sites urbains (IXe-XIe siècles). Casbah des Oudayas et Aghmat », dans A. Bazzana et H. Bocoum (éd.), Du
Nord au Sud du Sahara. Cinquante ans d’archéologie française en Afrique de l’Ouest et au Maghreb. Bilans et perspectives,
Paris, 2004, 285-293.
26 Il en sera question infra.
27 Il en sera question infra.
28 Il en sera question infra.
29 Pour de plus amples informations, on se reportera notamment à la rubrique consacrée aux activités archéologiques de l’INSAP,
sur le site du Ministère de la Culture du royaume du Maroc : www.minculture.gov.ma.
30 À partir de la nef axiale en direction du nord-est de l’édifice.
31 Parmi lesquelles citons deux sources locales : Ibn Abî Zar‘, Rawd al-Kirtâs : Histoire des souverains du Maghreb et annales de
la ville de Fès, traduction A. Beaumier, Editions la Porte, Rabat, 1999, 53 et suiv., et ‘Ali al-Jaznâ’î, Janâ Zahrat al-As fi binâ’i
Madînat Fâs, 2ème édition, Rabat, 1991, 45 et ss.
32 À partir du mur de la qibla.
La période islamique au Maroc 161

Fig. 1 - La mosquée de la Qarawiyyin à Fès : la zone fouillée.

La Qarawiyyîn : du simple oratoire à la mosquée-université


La fondation du premier noyau de la mosquée remonte à 245/85933. Suite à l’anarchie qu’a subie
Kairouan (202/818 et 210/825-826), Muhammad ibn ‘Abd Allâh al-Fihrî s’installe, en compagnie de sa
famille, à Fès. Après la mort du richissime commerçant, ses deux filles, Fâtima et Maryam, recueillent un
héritage énorme et décident, toutes les deux, de le consacrer à des œuvres de bienfaisance. Sur la rive des
Andalous, Maryam construit la mosquée des Andalous. Sa sœur, Fâtima, achète « un terrain nu, contenant
du gypse et clairsemé de quelques arbres »34, obtient l’accord du prince idrisside, Yahyâ ibn Idrîs, et érige
le premier noyau de la future al-Qarawiyyîn35. La première mosquée fut un simple oratoire puisque la
prière solennelle du vendredi continuait d’être prêchée dans la mosquée al-Shurafâ’ (la mosquée des
Chorfas). Elle n’y sera transférée qu’à partir de 321/933. La mosquée de Fâtima est dotée d’un minbar
pour le prêche du vendredi et elle est désormais appelée « la mosquée des Kairouanais ». Le lieu de culte
est organisé suivant un plan simple mais assez régulier. Un rectangle large de 46,40m et profond de
30,80m est divisé en deux parties presque égales. La première est consacrée à une salle de prière
subdivisée en quatre nefs parallèles au mur de la qibla et munie d’un mihrab. La seconde est un sahn à
ciel ouvert. Un minaret dont il ne subsiste plus de trace s’élevait à l’opposé du mihrab, presque au milieu
de la façade nord de l’édifice. L’ensemble était construit, d’après l’historien Ibn Abî Zar‘, en pierres de
keddân et de pisé (tâbiya)36.

33 « Elle jeta les premiers fondements le samedi premier du mois de ramadan, an 245 (2 décembre 859 J.-C.) ». Voir : Ibn Abî
Zar‘, Rawd al-Kirtâs, p. 53 et al-Jaznâ’î, Janâ Zahrat, 45.
34 Ibn Abî Zar‘, Rawd al-Kirtâs, p. 53 et al-Jaznâ’î, Janâ Zahrat, 46.
35 Concernant ces circonstances voir : al-Jaznâ’î, 45.
36 Ibn Abî Zar‘, Rawd, 53.
162 Ahmad Ettahiri, Abdallah Fili et Jean-Pierre Van Staëvel

La mosquée de Fâtima, dont les limites sont soulignées, dans l’état actuel de la bâtisse, par des piliers
cruciformes, demeure inchangée jusqu’au milieu du IVe siècle de l’hégire/Xe J.-C. En 345/956, l’émir
zénète, Ahmad ibn Sa‘îd al-Zanâtî, maître de la cité, inaugure des travaux d’agrandissement de la
mosquée. Le calife umayyade en al-Andalus, ‘Abd al-Rahmân al-Nâsir, contribue aux travaux. Il envoie à
son vassal et allié « l’argent du quint du butin pris aux Chrétiens »37. Le sahn et le minaret primitifs sont
détruits. La superficie de la mosquée est presque doublée. La salle de prière est agrandie de cinq travées
du côté nord-est, de quatre autres du côté sud-ouest et de 3 nefs du côté nord-ouest. Elle comptera
désormais sept nefs parallèles au mur de la qibla, constituées chacune de 21 travées38. De cet
agrandissement zénète datent aussi le sahn et le minaret actuels. La tour, de forme carrée, est érigée au
milieu du côté sud-ouest de la cour. D’après une inscription disparue, elle est achevée en « rabî‘ 1er
345/juillet-août 956 »39. Construite en pierres, elle offre des façades dépourvues de décor et percées de
petites ouvertures pour l’aération et l’éclairage. Le parapet est rehaussé d’un bandeau légèrement saillant
que couronne une petite coupole hémisphérique. Lors d’une expédition victorieuse à Fès, l’Amiride al-
Mansûr ibn Abî ‘Âmir montre un intérêt particulier pour la Qarawiyyîn. Il fait construire, en 375/98540, la
coupole située à l’entrée de la nef axiale (ra’s al-‘Anaza). Son fils ‘Abd al-Malik al-Muzaffar dote la
mosquée d’un minbar et d’un bassin dont il ne subsiste aucune trace aujourd’hui41. Avec ces réalisations,
al-Qarawiyyîn commence déjà à rivaliser avec les grandes mosquées de l’Occident musulman. Au siècle
suivant, elle deviendra grâce aux Almoravides la plus grande mosquée du Maroc islamique42.
Au XIe siècle J.-C., Yûsuf ibn Tâshfîn unifie les deux quartiers de Fès et les entoure d’une seule
enceinte. La ville profite de la stabilité politique de l’empire. Ses activités prospèrent et sa population
s’accroît. Al-Qarawiyyîn devient insuffisante « au point que, les vendredis, les fidèles étaient obligés de
prier dans les rues et les marchés environnantes »43. L’émir des musulmans, ‘Ali ibn Yûsuf, est sollicité
par le cadi de la ville. Celui-ci reçoit l’approbation de l’émir et procède, à partir de 528/1134, à
l’agrandissement de la Qarawiyyîn44. Les maisons entourant celle-ci sont achetées et démantelées. Le mur
de la qibla et la nef axiale sont abattus. L’oratoire de la mosquée est agrandi en respectant la disposition
intérieure des parties existantes. Il est prolongé, du côté de la qibla, de trois nefs. La nef axiale reçoit des
soins particuliers. Elle est embellie de plusieurs coupoles fastueusement ornementées. La coupole
barlongue à stalactites et celle couvrant le mihrab gardent encore des inscriptions d’une belle écriture
cursive rapportant qu’elles ont été achevées en 531/1136. Du côté de la qibla, on construit un mihrab de
belles proportions et on dote la mosquée d’un minbar, semblable par ses compositions d’ensemble et ses
menus décors à celui, légèrement postérieur, de la Koutoubiya. Derrière les deux niches, une mosquée
pour les morts (Jami‘ al-Janâ’iz) est édifiée et ornée d’une luxueuse coupole à stalactites, identique à
celles de l’oratoire. On y trouve encore, malgré les transformations fâcheuses des différentes
interventions du XXe siècle et un incendie qui en a noirci les formes, une belle collection de colonnes et
de chapiteaux d’époque califale, ramenés d’al-Andalus.
La mosquée a désormais atteint ses limites définitives. L’apport des successeurs des Almoravides va
désormais se limiter à des opérations ponctuelles d’embellissement et de consolidation. Outre la salle
d’ablutions et le dépôt (mustawda‘), les Almohades font fondre, entre 599 et 616/1202 et 1219, l’ancien
luminaire pour refaire le grand lustre de la nef axiale. Les Mérinides aménagent, à côté du minaret, une
salle pour le muwaqqit et font appel à d’illustres savants pour y installer d’ingénieux instruments destinés
à fixer les heures des prières, et dont le plus célèbre est l’horloge hydraulique inventée par Ibn al-Habbâk
en 685/1286. Ils remplacent l’ancienne ‘anaza45, restaurent la galerie nord du sahn et dotent l’oratoire de
plusieurs lustres en bronze. En 750/1350, ils font construire, sous les ordres d’Abû ‘Inân, la bibliothèque
située au-dessus du mustawda‘. Les chorfas saadiens agrémentent le sahn de deux pavillons
abondamment décorés qui se font face. Les Alaouites consolident les structures délabrées et les œuvres

37 Terrasse H., La mosquée al-Qaraouiyin, 12.


38 Sur la restitution de ce noyau idrisside à partir de l’étude architectural du sanctuaire, voir Terrasse H., 10.
39 Ibn Abî Zar‘, Rawd, 55.
40 Ibid., 57.
41 Sur ces travaux voir H. Terrasse, La mosquée al-Qaraouiyin, 14.
42 Avec sa superficie mesurant 6300m2, la mosquée al-Qarawiyyîn reste le plus vaste sanctuaire du Maroc. Elle ne sera déclassée
qu’à la fin du XIIe siècle par la mosquée Hassan à Rabat dont la superficie est estimée à 25000m2. À la fin du XXe siècle, elle
va occuper la troisième place, après les mosquées Hassan II à Casablanca et Hassan à Rabat.
43 Ibn Abi Zar‘, Rawd al-Kirtas, 57.
44 Sur cet agrandissement voir al-Jaznâ’î, Janâ Zahrat al-Âs, p. 67-68 et Ibn Abî Zar‘, Rawd al-Kirtâs, 58-59.
45 Voir à ce propos Ibn Abî Zar‘, Rawd al-Qirtâs, 62.
La période islamique au Maroc 163

ornementales. L’une de leurs interventions permet au cours des années 1960 de redécouvrir tous les
panneaux et médaillons sculptés d’époque almoravide cachés par la population qui craignait leur
destruction par les Almohades46.

Des niveaux archéologiques exceptionnels du Haut Moyen Âge et du Moyen Âge


L’histoire monumentale de la Qarawiyyîn a été restituée par G. Marçais47 puis H. Terrasse48 et L.
Golvin49, par l’analyse combinée du bâti et des textes médiévaux. Toutefois, aucune intervention
archéologique n’avait été menée à l’intérieur du sanctuaire même lors de la restauration dirigée par H.
Terrasse au milieu du siècle dernier. Une première tentative avait été lancée en 1993 au cours d’un
chantier de restauration qui fut prématurément arrêté50. Ainsi, il a fallu attendre 2004 pour pouvoir
excaver le sous-sol du sanctuaire. Menée pendant presque trois mois51, l’opération de sauvetage a permis,
sous la supervision d’A. S. Ettahiri, de dégager une superficie totale de presque 291.60 m2 et de repérer
cinq niveaux d’occupation contenant un mobilier aussi riche que diversifié et appartenant à des ensembles
scellés.
Le premier niveau correspond à l’occupation la plus ancienne du site. Il est constitué d’un puits creusé
dans la roche mère (la pierre de keddân) et un mur bâti en moellons liés avec un mortier de terre très
médiocre. Vraisemblablement antérieur à 245H/859 J.-C., le mur se trouve à un niveau inférieur par
rapport à celui du sol de la mosquée de Fâtima al-Fihriya (245H). Les assises encore in situ montrent
qu’il était orienté nord-sud et formait avec un autre mur, orienté est-ouest et appareillé de la même façon,
un angle presque droit. Ces deux structures ainsi que le puits faisaient partie, sans aucun doute, d’une
construction dont le système de couverture a été construit en tuiles non vernissées. L’effondrement de la
toiture formait d’ailleurs une couche assez épaisse qui a rebouché le puits. Aussi est-il permis de penser à
l’existence d’un habitat modeste dont les pierres de keddân ont été démantelées pour servir dans la
construction des soubassements du mur de la qibla lors de l’agrandissement zénète (345H/956 J.-C.) (fig.
2).
Sur cette première occupation vient se poser le second niveau. Après la destruction des structures
antérieures bâties en moellons et le dénivellement de la zone, une nouvelle bâtisse, dont le mur dégagé est
orienté nord-sud et associé à un sol en terre battue, a été édifiée en pisé très médiocre. Le décapage d’une
couche argileuse a permis de dégager l’unique mur conservé. Il est construit en pisé (tâbiya) très pauvre
en chaux et mesure entre 0,50 et 0,52m d’épaisseur. Dans son extrémité sud, il vient s’appuyer contre le
mur de refend nord de la première mosquée de Fâtima al-Fihriya (245H/859 J.-C.), dont le parement
extérieur est couvert d’une couche d’enduit blanchâtre. Ainsi, il est incontestable que le mur en pisé, et
par conséquent le reste de la bâtisse qui en faisait partie, sont postérieurs à la fondation de la mosquée
(245H/859 J.-C) et antérieur à 345H/956 J.-C., c’est-à-dire l’année de l’exécution des travaux du premier
agrandissement de celle-ci.
Le troisième niveau date du réaménagement du IVe/Xe siècle (voir supra). Les Zénètes procèdent à
l’agrandissement de celle-ci vers le nord, le sud et l’ouest. Après avoir détruit les constructions en pisé de
l’occupation antérieure et le mur de refend nord de la mosquée de Fâtima al-Fihriya, on a procédé à
l’élargissement de la salle de prière dont le sol était fait en dess à base de sable très fin mélangé à une
forte proportion de chaux. Et pour clôturer la mosquée du côté est (qibla), les Zénètes ont prolongé le mur
de la qibla idrisside par un mur de même épaisseur (0,92m) qui suit l’alignement du premier.
Dans l’espace formant la sixième travée de la quatrième nef, la fouille a permis de mettre au jour la
quatrième occupation. Elle est représentée par deux murs perpendiculaires liés et des restes d’un sol en
dess partiellement conservé qui repose, par endroits, directement sur le substrat rocheux. Les murs, l’un
orienté nord-sud et l’autre est-ouest, sont liés. Ils forment un angle droit et leurs parements, extérieurs et
intérieurs, sont recouverts d’un enduit de chaux bien conservé de couleur beige. Ces données
archéologiques confrontées aux indices de l’architecture du monument et aux descriptions

46 Ibid., 60.
47 Marçais G., L’architecture musulmane d'Occident : Tunisie, Algérie, Maroc, Espagne et Sicile, Arts et Métiers graphiques,
Paris, 1954, 197-200.
48 Terrasse H., La mosquée al-Qaraouiyin à Fès, Paris, 1968.
49 Golvin L., Essai sur l'architecture religieuse musulmane, T. 4, Paris, 1979.
50 Au cours de cette intervention, deux sondages, ouverts à la base de piliers situés dans la partie sud-ouest de l’agrandissement
zénète (c’est-à-dire à l’opposé de la zone fouillée en 2004), se sont révélés négatifs.
51 La première mission de fouille s’est déroulée du 25 janvier au 15 février 2004. Après le renforcement des arcades et des toitures
du sanctuaire, les travaux ont repris du 23 mars au 17 mai 2004.
164 Ahmad Ettahiri, Abdallah Fili et Jean-Pierre Van Staëvel

historiographiques permettent toutes de rattacher cette occupation au premier noyau de la mosquée fondé
par Fâtima al-Fihriya en l’an 245H/859 J.-C. Les structures dégagées (les deux murs et le lambeau de sol
encore in situ) constituaient, sans aucun doute, l’angle nord-est de la salle de prière formé par les
extrémités nord et est, respectivement du mur de la qibla et du mur de refend nord d’époque idrisside.

Fig. 2 – Fouilles d’al-Qarawiyyin : Travées de la nef 4.


1- Prolongement du mur de la qibla de 345/956, 2- Restes du sol zénète de 345/956, 3- Parement extérieur de la
muraille nord-est de la mosquée idrisside (245/859), 4- Restes d’une bâtisse en pisé détruite lors de l’agrandissement
de 345/956 ; 5- Sol en terre battue liés à ces restes en pisé ; 6- Restes d’un mur en moellons vraisemblablement
antérieur au noyau idrisside ; 7- Ouverture du puits en cours de fouille

Le cinquième niveau d’occupation date de l’époque almoravide. Il s’étend sur une superficie de
237,68m2. Dans la partie excavée de la troisième nef, le décapage a mis au jour un grand couloir
irrégulier dont la largeur varie entre 2,30 et 2,54m. Il s’agit d’une impasse orientée nord-sud qui longeait
le mur d’enceinte de la mosquée zénète. Son extrémité nord aboutissait, sans aucun doute, à l’actuelle rue
appelée Sab‘ Lawyât alors que l’autre extrémité est obstruée par un muret construit en pisé mélangé de
blocs de moellons. Située sur une nouvelle terrasse par rapport à celle sur laquelle est bâti le sol de la
mosquée des deux premiers états (mosquée idrisside et zénète), cette impasse desservait deux maisons
dont les structures partiellement conservées sont érigées sur la même terrasse. La partie sud précédant la
première maison est pavée d’un dallage en briques cuites disposées en arêtes de poisson, alors que la
partie nord située devant l’accès de la seconde maison, est construite en mortier de chaux très compacté
sur une couche de cailloutis : un témoignage, fort probablement, d’une situation sociale moindre de ses
occupants. Les deux maisons ont été partiellement dégagées. Coupés par la tranchée de fondation du mur
de la qibla almoravide (VIe/XIIe siècle) dont la profondeur dépasse 4m52, les murs des deux bâtisses sont
conservés sur une hauteur qui dépasse parfois plus de 2,88m. Ils délimitent deux espaces bien distincts
appartenant à deux maisons. Celles-ci s’organisaient suivant un même schéma et reproduisaient ainsi

52 Le sommet des semelles des piliers de l’agrandissement almoravide apparaît à -2.55m dans la première nef.
La période islamique au Maroc 165

presque le même modèle. La première maison occupe la moitié sud du secteur (fig. 3). Ses structures sont
desservies par une porte en chicane s’ouvrant dans l’extrémité sud de l’impasse. Une fois le vestibule
avec sa sqifa franchis, il faut tourner à gauche pour se retrouver au milieu d’une cour dont l’angle nord-
ouest est occupé par un puits protégé par une margelle de forme hexagonale. Le côté nord du sahn devait
abriter un petit pavillon couvert dont la baie d’accès est mise en valeur par deux piliers soigneusement
décorés. Ces piliers servaient de supports pour soutenir un arc polylobé. Deux baies qui se font face
s’ouvraient au milieu des côtés longitudinaux, et desservaient deux pièces rectangulaires, dont celle située
sur le côté oriental a été en grande partie rasée par la tranchée de fondation du mur de la qibla. Les
parements de tous les murs intérieurs sont recouverts d’un enduit de plâtre de bonne facture mais qui a
fait l’objet de réfections, parfois maladroites, qui ont masqué ou défiguré certains panneaux décoratifs.
Un escalier situé dans le coin sud-est de la cour menait à un niveau aménagé sur une terrasse plus basse.
Ici, la pente du site de la mosquée mais aussi de tout le quartier, atteint sa plus grande déclivité. Le
recours au système des terrasses s’imposait. Il est plus pratique et mieux approprié aux terrains de ce
genre. Les vestiges de la seconde maison occupent la moitié nord de l’aire fouillée. La bâtisse adopte une
organisation presque identique à celle de la première et n’en diffère que par quelques détails
architecturaux et décoratifs. Ses murs sont construits en pisé très résistant. Ils circonscrivent un vestibule,
une pièce, la base d’un escalier et un patio agrémenté en son milieu d’un puits. Après avoir traversé le
seuil d’une porte ouverte sur l’impasse, on découvre le début d’un vestibule coudé. Celui-ci mène à un
wast al-dâr à ciel ouvert, tapissé de briques cuites disposées en arêtes de poisson et dont le centre était
doté d’un puits protégé avec une margelle maçonnée, partiellement endommagée. Sur le côté sud s’élevait
un pavillon en face du puits. L’angle sud-ouest abrite la base d’un escalier dont les traces des volées sont
toujours visibles sur le parement du mur d’enceinte sud. Il devait mener à un niveau supérieur occupé par
un étage ou une terrasse. Une pièce de forme irrégulière occupe le grand côté ouest et s’ouvrait
directement sur la cour.

Fig. 3 - Fouilles d’al-Qarawiyyin : Restes de la maison 1.


1- Patio, 2- Portes d’accès aux pièces opposées, 3- Margelle du puits, 4- Escalier menant au niveau
inférieur de la maison, 5- Pilier et semelle d’époque almoravide
166 Ahmad Ettahiri, Abdallah Fili et Jean-Pierre Van Staëvel

Ibn Abî Zar‘ rapporte que « lorsque le terrain nécessaire fut acheté, le cadi fit abattre toutes les
maisons qui y étaient situées, et vendit les décombres pour une somme égale à celle qu’il avait
dépensée… »53. ‘Alî al-Jaznâ’î s’arrête longuement sur les circonstances qui ont précédé cet
agrandissement et parle de l’achat « des propriétés situées au sud de la mosquée »54. Les structures de ce
secteur (l’impasse et les restes des deux demeures) appartiennent donc toute à la même phase
d’occupation. Elles faisaient partie d’un quartier dont un ensemble de maisons furent achetées par le
souverain almoravide pour agrandir la mosquée devenue trop exiguë pour les fidèles. L’étude de leurs
panneaux décoratifs et du mobilier archéologique (céramique, monnaies, éléments d’architecture… etc.)
apportera sans le moindre doute de nouvelles données sur la culture du Maroc avant les derniers
Almoravides.
En somme, ces niveaux s’étalent, chronologiquement, de la période précédant la fondation de la
mosquée en 856-57 J.-C. jusqu’en 1134, date de son dernier agrandissement à l'époque almoravide. Cette
séquence chronologique exceptionnelle permettra de suivre l’évolution du matériel céramique de la ville
de Fès et ses caractéristiques et celle l’architecture et des arts décoratifs55 sur une grande partie de son
histoire médiévale jusqu’à la première moitié du XIIe siècle. C’est la première fois que nous identifions
clairement un matériel du haut Moyen Âge dans la capitale idrisside. La connaissance du matériel de cette
époque aussi bien au nord du Maroc (Nakûr, Mellilna, Bouchih… etc.), que dans les plaines atlantiques
(al-Basra), ou encore dans les premiers contreforts prérifains et notamment à Volubilis, permettra
d’établir des comparaisons fructueuses entre les productions fassies et celles de ces centres, et plus
largement, avec celle d'al-Andalus durant cette première époque islamique.

Aghmat, la fouille du centre monumental


Située au pied du Haut-Atlas, la ville d’Aghmat occupe une place de choix au milieu de la riche vallée
de l’Ourika qui constitue l’un des passages principaux entre l’Atlas et la grande plaine du Haouz. Ses
richesses et l’importance des éléments humains masmoudiens qui la peuplent en font une des rares
agglomérations urbaines, avec Naffîs56, de toute la région. Marrakech, à 30 km au nord-ouest, s’ajoute à
ces villes vers le dernier quart du XIe siècle, sous le pouvoir almoravide. La fondation de la ville de
Marrakech a relégué au second plan l’ensemble de ces centres urbains, et en premier lieu Aghmat, qui
avait été initialement la capitale du nouvel empire saharien de 1058 à 1070. Ce rôle de capitale, la ville l’a
joué pour la seconde fois après avoir été promue à ce rang sous l’émirat local des Maghrâwa, dès la fin du
Xe siècle et jusqu’à l’avènement des Almoravides. Nos connaissances sur cet émirat sont des plus
sommaires, comme d’ailleurs sur la domination idrisside57. Laqqût ibn Yûsuf, son dernier émir et époux
de Zaynab al-Nafzawiyya, fille d’un riche commerçant kairouanais (Ishâq al-Huwwârî), fut évincé par
‘Abd Allâh ibn Yâsîn et Abû Bakr ibn ‘Umar58. Zaynab devint la femme de ce dernier, puis celle de son
successeur Yûsuf ibn Tâshfîn, mais cette anecdote ne doit pas voiler le rôle du peuplement ifrîqiyen mais
aussi andalusí qui fait d’Aghmat, durant cette période obscure, l’un des foyers commerciaux les plus
animés du Maghreb al-Aqsâ. C’est également ici que le mâlikisme militant, avec une profonde tendance
mystique, a écrit ses lettres de noblesse, notamment lorsqu’il mobilisait contre les Barghwâta et leurs
idées59. Al-Idrîsî60 et avant lui al-Bakrî61 ont évoqué une ville jumelle : celle des Aylân est sise à l’est de
celle des Ûrika, deux tribus masmûda qui partagent la région avec les Hazmîra. A en croire al-Idrîsî, la
fondation de Marrakech, avec l’accord de ces tribus, n’a pas empêché Aghmat de devenir une plaque
tournante du commerce transsaharien vers la Méditerranée62, grâce à une élite de commerçants

53 Ibn Abi Zar‘, Rawd al-Kirtâs, 58.


54 ‘Alî al-Jaznâ’î précise que ces travaux ont été achevés en shâ‘bân 538H. Cf. Janâ Zahrat al-Âs, 67-68
55 L’étude des plâtres sculptés et des enduits peints découverts offrira de nouvelles données sur une période sur laquelle nous ne
possédons que quelques rares vestiges.
56 La ville de Naffîs n’a pas encore été localisée avec précision. Voir B. Rosenberger, « Note sur Kouz, un ancien port à
l’embouchure de l’oued Tensift », Hespéris-Tamuda, 8 (1967), 23-66. Ahmed Toufiq propose une autre possibilité de
localisation voir al-Tâdilî, Kitâb al-Tashawwuf, Rabat, 1984, 90-91, note 28 passim.
57 Nous connaissons un seul dirham idrisside frappé au nom de Hamza. M. Laallaoui, « Aghmat, atelier monétaire idrisside »,
dans Actes du XIe Congrès international de numismatique, vol. III, Louvain-la-Neuve, 1993, 287-291.
58 Ibn Abî Zar‘, Rawd al-Qirtâs, Rabat, 1999, 163.
59 Al-Tâdilî, Kitâb al-Tashawwuf, 50-51.
60 Al-Idrîsî, Nuzhat al-mushtâq, Beyrouth, 1989, 233.
61 Al-Bakrî, Al-Mughrib fî dikr bilâd Ifrîqiyya wa al-Maghrib, Le Caire, ([s.d.], 153.
62 Al-Idrîsî, Nuzhat al-mushtâq, 232.
La période islamique au Maroc 167

appartenant à la tribu des Huwwâra63. Mais cette prospérité a été entamée vraisemblablement à la fin de
l’époque almohade et le récit d’Ibn al-Khatîb, qui a visité la région et la cité, décrivent une ville fantôme
et délaissée ; les Hintâta n’ont pas réussi à sauvegarder sa fortune d’antan64. De cette crise, Aghmat ne
réussira plus jamais à se relever, puisque Léon l’Africain comme Marmól décrivirent une ville presque
abandonnée, sinon des ascètes qui occupent le centre de la ville et s’adonnent à l’agriculture et à la
fabrication de la poterie65. L'ancienne ville s'est ruralisée et l'habitat est en grande partie déserté et éclaté
au profit de nouveaux douars.

Historique des recherches


Une ville avec un tel passé ne peut pas échapper à l’intérêt des chercheurs ; alors qu’il menait ses
premières explorations en terre marocaine en 1901 sous les auspices de l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres, Edmond Doutté a visité Aghmat et y a consacré ses premières descriptions66. Il mentionne
sa madrasa, son hammam et sa mosquée pratiquement ruinée67. Depuis ce premier travail, la ville n’a
visiblement plus attiré l'attention jusqu’à 1964, date à laquelle B. Rosenberger commanda un plan
topographique des vestiges encore reconnaissables de l’ensemble du village. Le travail est colossal, mais
il n’a abouti à aucun développement scientifique puisqu’il n’a donné lieu, à notre connaissance, à aucune
publication. Il a donc fallu attendre 1995 pour qu’un projet archéologique soit envisagé, non pas
spécifiquement sur Aghmat mais sur trois sites urbains du Haut Moyen Âge au Maroc (Nakûr, Aghmat et
Tamdoult) dans le cadre de la problématique des origines de la ville islamique au Maroc. Placé sous la
direction de P. Cressier (Casa de Velázquez) et L. Erbati (INSAP), le programme a permis d’initier ou de
relancer la recherche dans ces trois centres urbains, d'en évaluer, dans la limite du possible, la teneur et
surtout d'en définir les grandes caractéristiques68. Aghmat a ainsi fait objet d’une étude extensive en 1997
avec l’implantation de plusieurs sondages vers la muraille, près de la mosquée actuelle et dans les
environs immédiats du hammam, et plus précisément à l’emplacement de la grande mosquée Wattâs
découverte en 2010. Dans cette même propriété, l’équipe maroco-française a procédé au nettoyage d'un
sondage clandestin creusé, selon la tradition locale, par Glaoui, le Pacha de Marrakech sous le Protectorat
français69.
Le projet maroco-américain, dont on présente ici les résultats partiels, a commencé en 2005 suite à
une demande diplomatique américaine formulée par F. Vreeland, l’ancien ambassadeur américain au
Maroc et son épouse. S’inquiétant de l’état de dégradation du hammam ancien d’Aghmat, ces derniers ont
d'abord demandé à R. Messier (Université de Tennessee et de Vanderbilt) de faire un diagnostic
archéologique sur le monument et de définir une stratégie en vue de sa protection. Ce diagnostic, qui a
révélé l’intérêt exceptionnel de la bâtisse, a été doublé d’un ramassage de surface aléatoire réalisé par
A. Fili dans ses environs immédiats, confirmant l’occupation médiévale et post-médiévale de l’endroit70.
Initialement, le projet ne visait en aucun cas l'ensemble du site d’Aghmat, mais uniquement le hammam
médiéval. Mais les heureux développements de la fouille et la volonté de comprendre le contexte
immédiat du monument ont naturellement orienté les responsables, dès 2009, vers un élargissement des
objectifs, d’abord par une approche extensive fondée sur les prospections géophysiques71 et sur les
données assez précises de la tradition orale encore vivace (chez les érudits locaux notamment), avant de
pratiquer des sondages qui se sont avérés très fructueux.

63 On pressent dans le Tashawwuf une relation spécifique entre cette élite commerçante et la propagande religieuse. Voir entre
autres al-Tadîlî, Tashawwuf, 94, 193.
64 Ibn al-Khatîb, Mi‘yâr al-ikhtiyâr fî zikr al-ma‘âhid wa al-diyâr, annoté par M. K. Shabbanah, 1989, 164-165. Id., Nufâdat al-
jirâb fî ghulâlat al-ightirâb, Casablanca, 1985, 55-56.
65 Léon l’Africain, Wasf Ifrîqiyâ, Beyrouth, 1980, p. 135-137. Marmól, L’Afrique, Rabat, 1988-1989, 60-61.
66 Ch. Clermont-Ganneau, « Lettre de M. Edmond Doutté, chargé de mission au Maroc », Comptes-rendus des séances de
l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 45e année, 3 (1901), 333-336.
67 E. Doutté, En Tribu, Paris, 1914, 11-32.
68 Voir les références bibliographiques supra, dans l’introduction.
69 Sur Aghmat, voir l'article de L. Erbati cité supra. Une description sommaire a été faite du hammam dans cet article.
70 Entre autres, cette collecte avait confirmé la présence de céramiques décorées par la technique de la cuerda seca totale et
partielle, ainsi que celle de scories de métal et de boules de verre.
71 Ces prospections ont été réalisées par A. Fogel (Université de l’Arkansas).
168 Ahmad Ettahiri, Abdallah Fili et Jean-Pierre Van Staëvel

Aspects institutionnels et financement du projet


Le caractère diplomatique du lancement de ce projet lui a conféré un aspect institutionnel particulier.
En effet, l’équipe qui dirigeait le travail, constituée de R. Messier, L. Erbati et A. Fili, a eu l’occasion de
faire une campagne de fouille (2005) qui a permis de confirmer le caractère exceptionnel du hammam
monumental d’Aghmat, avant de préparer la convention qui unit, depuis 2006, l’Institut National des
Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP) et l’Université américaine de Vanderbilt72. C’est
dans le cadre de cet accord que trois campagnes de fouilles ont été menées sur le hammam. La première
campagne a été intégralement financée par V. et F. Vreeland ; les trois autres ont été financées
conjointement par la Commission Maroco-Américaine pour l’Éducation et les Échanges Culturels (Rabat)
et l’Institut Américain des Études Maghrébines. Au vu de la menace d’effondrement qui pesait sur le
monument, les responsables du projet ont mis en place, dès le début des opérations, un volet conservation
pour le mettre hors de danger, sans pouvoir encore le prendre en charge, faute de moyens. L’Inspection
des monuments historiques de Marrakech, avec le peu d’argent dont elle disposait, est intervenue pour
protéger le hammam contre les intempéries73. Dès 2006, d'autres bonnes volontés se sont associées à ce
volet74. Comme ces financements arrivaient tous à terme à la fin 2008, et devant l’ampleur des crédits à
mobiliser et surtout devant les découvertes exceptionnelles qui avaient été faites, la décision a été prise de
créer une fondation. En avril 2007, la Fondation Aghmat est née autour de scientifiques et de mécènes
cultivés, conscients de l’importance du site pour le Maroc, mais aussi de l’urgence autant des fouilles que
de la stabilisation des vestiges ayant survécu à l’histoire. Présidée par My A. Alaoui, elle a rendu possible
un soutien financier permanent aussi bien pour les fouilles archéologiques sur le site que pour les travaux
de conservation et de préservation des vestiges mis au jour. Un effort exceptionnel et unique dans le
royaume a permis l’acquisition progressive d’un terrain de 2,5 hectares en vue de le préserver de la
spéculation foncière, très active autour de Marrakech. En 2009, une convention de partenariat a été signée
entre la Fondation Aghmat et le Ministère de la Culture, lequel délègue à la Fondation la gestion du site
en vue de son ouverture au public et la poursuite des recherches archéologiques, la conservation et la
protection des vestiges exhumés. Ce partenariat public-privé a permis ainsi de classer le hammam
d’Aghmat comme monument historique et de recruter un gardien qui veille en permanence sur le site. Il
mobilise autour de lui les autorités locales, les élus et la société civile en plus du Ministère de la Culture,
et notamment la Direction du Patrimoine Culturel75, pour en faire un outil du développement local. Les
moyens fournis par la fondation ont permis de renforcer l’équipe archéologique, en doublant le nombre
d'archéologues sur le terrain, et en mettant en place un groupe de travail autonome pour faire l'inventaire
du matériel76.

Les résultats préliminaires


La mission archéologique d’Aghmat en est à sa sixième campagne en 2011. Elle aura permis de mener
des fouilles sur trois secteurs différents correspondant, pour le moment, aux trois monuments importants
qui constituent aujourd’hui ce que l’on peut appeler le centre monumental médiéval de la ville
d’Aghmat : le hammam, le palais et la grande mosquée (fig. 4). Ce n’est pas le lieu ici de présenter en
détail chacun de ces monuments, mais il est important de saisir les contours chronologiques et
architecturaux des différentes composantes dégagées jusqu’à présent.

72 C’est ici l’occasion de remercier Monsieur A. Touri, alors Secrétaire Général du Ministère de la Culture, qui a facilité le
lancement du projet.
73 Il faut remercier ici l’engagement sans faille de F. Cheradi, alors Inspecteur et Délégué de la culture à Marrakech.
74 Il s'agit essentiellement de My A. Alaoui, grand passionné de l’histoire et de l’archéologie du Maroc, qui a pris en charge les
onéreux travaux de restauration et de protection. Qu’il trouve ici l’expression de notre gratitude et de notre reconnaissance.
75 On remercie à cette occasion Monsieur A. Salih, Directeur du Patrimoine, qui a porté ce projet et a défendu, malgré des
critiques souvent malveillantes, un type de coopération encore très peu pratiqué.
76 Il s'agit notamment de C. Délery (Musée du Louvre, C. Capel (Université Paris 1), H. Limane (INSAP), H. Ammar (Faculté des
Lettres de Rabat), M. Atki (Musée de Rabat), S. Walid (Inspection des monuments historiques de Casablanca), V. Héritier
(Université Paris 4), Abdeslam Zizouni (Site archéologique de Banasa), M. Loukili (Musée Batha) et J.-P. Van Staëvel.
La période islamique au Maroc 169

Fig. 4 – Fouilles d’Aghmat. Plan du centre monumental de la ville :


emplacement des vestiges du hammam, de la mosquée et du palais (état de 2010).

Le hammam monumental
Le hammam d’Aghmat (fig. 5) est certainement l'un des plus grands de tout l’Occident musulman. Il
couvre une superficie dépassant les 500m2. Son plan épouse une forme trapézoïdale d'orientation sud-
est/nord ouest. Il est constitué dans son dernier état de deux composantes spatiales distinctes. La première
consiste en trois chambres (froide, tiède et chaude), construites en galets de l’oued parfaitement assisés et
maintenus par un épais mortier de chaux de très bonne facture. La construction s’est faite
vraisemblablement à l’aide d’un coffrage dont les traces sont encore visibles sur les parois des murs et
des voûtes qui couvrent, à des hauteurs variables, les trois espaces. Celles-ci sont percées de trous
d'aération et d'éclairage de forme carrée. La chambre froide est composée originellement, de part et
d'autre du rentrant, d'alcôves auxquelles on accède par des arcs difficiles à reconstituer, avant qu’elles ne
soient transformées en citernes d'eau froide, en construisant un mur sur la largeur de la pièce. La chambre
tiède, la plus spacieuse et la plus haute, est dépourvue de tout aménagement. La chambre chaude, plus
large mais moins haute, est pourvue de deux pièces destinées aux ablutions des usagers. Elle est chauffée
à l'aide d’un système à hypocauste repris à deux occasions et reposant sur des piliers et des
encorbellements. Le tirage se fait par le biais de cheminées en terre cuite, remplacées, dans un second
état, par des cheminées en briques cuites. Le mur séparant la salle chaude de la salle de chauffe est porté
par un arc en brique. La seconde composante spatiale est la salle de réception dont le mur nord s’appuie
170 Ahmad Ettahiri, Abdallah Fili et Jean-Pierre Van Staëvel

contre le mur sud de la salle froide. On accède à la salle de réception par la porte d’entrée située au sud.
Elle s’organise autour d'une cour centrale parfaitement carrée, certainement couverte par une voûte
difficile à reconstituer. Ladite cour est bordée de galeries sur ses quatre côtés, et agrémentée en son centre
d’une vasque octogonale en briques cuites. L’inclinaison du mur atteste la postériorité de cette
configuration. Dans le coin nord-est, un escalier permet d’accéder à l'étage. La couche d'abandon des
deux parties de l'édifice a livré un matériel que l’on peut rattacher à la seconde moitié du XIVe siècle. En
revanche, deux sondages pratiqués à l'intérieur et à l'extérieur du hammam ont livré une séquence
stratigraphique identique, composée de quatre sols en mortier de chaux à l’intérieur et en brique cuite à
l’extérieur. Ils sont séparés dans un cas comme dans l'autre par une couche argileuse de remblai. Sous le
sol le plus ancien à l'intérieur de la salle froide, un matériel hétérogène a été mis au jour, dont la datation
tourne autour du Xe siècle. Une datation 14C viendra confirmer cette constatation. Après l’abandon du
hammam à la fin du XIVe siècle, l’édifice a été utilisé comme espace d’inhumation. Au moins cinq
tombes ont été localisées sur le sol de la salle tiède, la salle chaude et la salle de chauffe. Plus tard,
probablement vers le XVIe siècle, un atelier de potiers s’est installé sous les voûtes et à l'extérieur. Les
fours en plein air sont installés au sud de la salle de réception. Les productions n’ont plus rien à voir avec
les céramiques médiévales et sont dépourvues de glaçure. Ce changement rapporté par Marmól77, atteste
le remodelage dont la ville a fait l’objet, avec l’abandon des fonctions originelles du centre urbain au
profit des artisanats polluants. La ruralisation d’Aghmat s'est ainsi confirmée et le changement culturel et
technologique aussi. À une date qui reste encore imprécise, une maison en partie en pisé, en partie en
pierre, s’est installée sur les voûtes. Ses habitants utilisaient également l’intérieur comme lieu de stockage
des récoltes agricoles et comme lieu de cuisine. Plusieurs monnaies de la fin du XIXe siècle ont été
collectées en relation avec cette occupation tardive.

Fig. 5 - Fouilles d’Aghmat. Le hammam d’Aghmat avec, au premier plan, la salle de réception.
On remarque une première porte d'accès à la salle froide qui a été obturée pour en ouvrir une autre à sa gauche.

77 Marmól, L’Afrique, 60-61.


La période islamique au Maroc 171

Le palais
Les travaux archéologiques sur le palais d’Aghmat ont débuté en 2008, suite aux résultats
encourageants des prospections géophysiques. La découverte d’une succession des piliers dans la partie
ouest a tout d’abord fait croire à la présence d’une mosquée, souvent rapportée par la tradition orale. Mais
les fouilles ont révélé une cour de palais de forme rectangulaire bordée de galeries sur les quatre côtés
(fig. 6). Celles-ci s'ouvrent sur un carré de jardin scindé, dans une seconde période, en trois parties avec
un bassin au milieu bordé de part et d'autre par deux parterres.

Fig. 6 - Fouilles d’Aghmat. Le palais.


Au premier plan, la cour privée avec son petit jardin carré, et au fond la cour publique organisée
également autour d’un jardin transformé, au cours du dernier état, en plan tripartite avec des parterres de
part et d'autre d’un bassin alimenté par une vasque en marbre.

Au sud et au nord sont situées deux grandes salles d’apparat de forme et de dimensions identiques.
Leurs portes géminées se font face et s’ouvrent sur des galeries parfaitement symétriques. Cet axe sud-
nord privilégié se termine devant la galerie nord par une vasque circulaire en marbre blanc. Le niveau
d'abandon a livré un matériel céramique identique au niveau d’abandon du hammam : il est composé de
céramiques décorées en cuerda seca partielle et de pièces peintes sous glaçures noires et blanches, toutes
rattachées au XIVe siècle78. Une entrée en double coude permet d’accéder, du côté sud-est, à cette cour,
destinée vraisemblablement aux réceptions publiques. Deux autres petites portes ont été obturées du côté
est et du côté ouest ; elles donnaient probablement accès à des dépendances. Située au nord, la partie
privée de ce bâtiment reste encore, en partie, à dégager. Elle est dotée d’un jardin de petite taille encadré
par des galeries à ciel ouvert du côté sud et nord. Occupant le coin ouest du jardin, le puits est encadré par
une margelle à décor estampé sous glaçure verte. Ses parois intérieures sont construites en galets de
l'oued, et présentent deux états. Depuis le début des fouilles, les archéologues ont privilégié la fouille en
aire ouverte, de manière à saisir tout d’abord les édifices dans toute leur extension. La campagne de 2011
a toutefois permis de tenter une approche verticale, afin d'appréhender au mieux la dimension

78 Pour le moment et d'après les données des fouilles, cette céramique est produite dans la région du Haouz. Elle a connu une très
large diffusion entre le XIIIe et le XIVe siècle. Un travail est en cours de préparation sur cette production par Cl. Déléry et A.
Fili.
172 Ahmad Ettahiri, Abdallah Fili et Jean-Pierre Van Staëvel

diachronique. Dans le coin nord-est où le sol en chaux de la grande cour a été arraché il y a une trentaine
d'années, la fouille a mis au jour un niveau d’occupation remontant aux XIe-XIIe siècles, sous le palais
abandonné au XIVe siècle. L’emprise de la fouille est encore assez limitée pour identifier la fonction de
cet édifice antérieur et son organisation spatiale. Toujours est-il que les piliers de la cour du dernier état
reposent sur les murs du niveau inférieur. Ces derniers sont en galets disposés en épi et maintenus par de
l’argile. Les périmètres de l'ancien et du nouveau bâtiment sont vraisemblablement identiques.
La mosquée légendaire retrouvée
Accolée au palais, la grande mosquée d’Aghmat est mentionnée par les textes historiques comme
étant une fondation de Wattâs ibn Kardûs vers 245 H./859 J.-C.79. La mosquée évoquée par les textes
depuis al-Baydhaq en passant par al-Tâdilî et al-Murrâkushî est désormais mise au jour et présente
plusieurs niveaux chronologiques. Le niveau le plus récent a rasé un édifice plus ancien. Le mihrab à
moitié conservé a été découvert, avec un système exceptionnel de rails à minbar, le deuxième à avoir été
retrouvé au Maroc, après celui de la mosquée almohade de Sijilmasa80. La nef axiale, plus large que les
autres, conduit au mihrab, lequel a livré une décoration épigraphique et florale sur plâtre. Les fouilles
montrent que l’orientation de la qibla a subi des corrections importantes : la mosquée présente ainsi, pour
la première fois, l’évidence archéologique d’un phénomène largement débattu dans les sources textuelles.
Les prochaines campagnes permettront de déterminer l’ampleur de l’édifice religieux ainsi que son
organisation spatiale. D’ores et déjà, on peut noter que la longévité de l’édifice est remarquable par ses
composantes architecturales : celles-ci montrent des restaurations, des reprises et probablement un
agrandissement de l’édifice.
Les travaux de conservation
Le projet archéologique d’Aghmat est un cas d’école, en ce sens qu’il a su, dès les premières fouilles,
se soucier de la postérité et du devenir des vestiges exhumés. Il allie donc la recherche archéologique à la
conservation et la protection de ces derniers. Le travail est de taille, car il mobilise de multiples
compétences et des moyens financiers importants. Il rajoute également une masse de travail considérable
aux codirecteurs du projet. Rapidement mis en place, le programme de protection a eu pour objectif de
mettre hors de danger le monument du hammam en respectant l’intégrité historique du bâtiment ainsi que
ses matériaux de construction originels. Ces travaux de conservation d’urgence ont été exécutés par une
équipe de jeunes archéologues-conservateurs marocains81.

La montagne d’Îgîlîz, premier épicentre de la revolution almohade


L’historiographie du mouvement almohade accorde une place privilégiée à Tinmal, la célèbre localité
du Haut-Atlas, aujourd’hui parcourue par les touristes qui s’y rendent en excursion depuis Marrakech.
C’est là que se fixe, selon les chroniqueurs almohades, en 1125, le fondateur de l’almohadisme, Ibn
Tûmart, venu avec ses troupes depuis la région voisine du Sous, berceau du mouvement. Dans les années
qui suivent la mort du premier chef de la communauté unitariste, Tinmal devient le point de départ des
expéditions militaires qui, menées par son successeur ‘Abd al-Mu’min, finiront par mettre à mal puis
emporter le régime almoravide, dans les années 1140 (la fin du régime almoravide coïncide avec la prise
de la capitale, Marrakech, en 1147). De par sa proximité avec Marrakech, du fait également du prestige
sans pareil qui s’attache au tombeau du Mahdî Ibn Tûmart qui s’y trouve, Tinmal s’affirme, dès le début
de l’Empire almohade, comme une pièce maîtresse dans le dispositif de légitimation de la nouvelle
dynastie82 : c’est là qu’est façonné, par la propagande, le souvenir officiel de la geste tûmartienne.
L’importance de ce nouveau lieu de mémoire est symbolisée par son plus célèbre monument, la Grande

79 Al-Baydhaq, Akhbâr al-Mahdî Ibn Tûmart wa bidâyat dawlat al-muwahhidîn, Rabat, 2004, 30 ; Ibn al-Khatîb, Nufâdat al-jirâb,
54 ; Ibn ‘Abd al-Malik al-Murrâkushî, Al-Dhayl wa-l-takmila, VIII, éd. M. Benchrifa, Rabat, 1984, 408, 439 et 443 ; Al-Tâdilî,
Tashawwuf, 86, 113-114, 146-150, 251-253, 270-271, 290 et 302 ; Abû ‘Alî Sâlih al-Masmûdî, Kitâb al qibla, dans M. Rius, La
Alquibla en al-Andalus y al-Magrib al-Aqsà, Barcelone, 2000, 44 (texte arabe).
80 R. Messier, « The Grand Mosque of Sijilmasa: the Evolution of a Structure from the Mosque of Ibn Abd Allah to the
Restoration of Sidi Mohammed ben Abdallah », dans M. Hammam (coord.), L'architecture de terre en Méditerranée, Rabat,
1999, 287-296.
81 T. Moujoud, M. Al Jattari, et A. Zizouni, « Site Conservation in Morocco : The Emergence of Practice at Aghmat », dans
Conservation and MGMT of Arch. Sites, 12-3 (2010), 237-253. Tous ces travaux ont été financés par la Fondation Aghmat.
82 P. Buresi, « Les cultes rendus à la tombe du mahdî Ibn Tûmart à Tinmâl », Compte-rendu des Séances de l’Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres (janv-mars 2008), Paris, 2010, 391-438.
La période islamique au Maroc 173

mosquée, l’un des premiers manifestes du nouvel art impérial almohade après la prise de Marrakech.
Cette prééminence de Tinmal ne devait plus se démentir dans les chroniques almohades ou ultérieures,
puis dans l’historiographie moderne et contemporaine. C’est ce site qu’encore aujourd’hui, nombreux
sont les historiens à considérer comme le point de départ du mouvement et de l’expansion almohades83.
Or l’installation d’Ibn Tûmart à Tinmal est précédée par une première phase, qui a pour cadre non le
Haut-Atlas, mais la région plus méridionale du Sous, et une autre chaîne de montagne : l’Anti-Atlas.
C’est là, à une soixantaine de kilomètres à l’est sud-est de Taroudant, que se situe la montagne d’Îgîlîz
(fig. 7), épicentre originel de la révolte almohade et lieu de naissance d’Ibn Tûmart. Le souvenir de cette
épopée primordiale, qui avait tant ébranlé les fondements mêmes des sociétés de la région, a été consigné
dans les chroniques almohades du temps de l’Empire, ou de la fin du Moyen Âge84.

Fig. 7 – Fouilles d’Îgîlîz. Vue de la montagne d’Îgîlîz, depuis le nord-est


(Cliché A. Humbert, oct. 2009 ; DAO : C. Capel)

Tout indique qu’il a dû perdurer également dans la tradition orale et l’histoire locale, comme le montre un
témoignage tardif (début XVIIIe siècle), tiré de la rihla du Marabout de Tasaft, écrite à Tinmal par Sîdî
‘Abd Allâh ibn al-Hâjj Ibrâhîm al-Zarhûnî85. Celui-ci, soucieux de tirer au clair la question de l’origine
d’Ibn Tûmart, interroge des membres de sa tribu, les Hargha du Sous : « Il tire son origine de chez nous,
me répondirent-ils, du village de Tifigit. On y trouve une forteresse au plus haut d’une montagne qu’on

83 Tinmal est bien connue des chercheurs spécialistes de l’histoire almohade. Le site a donné lieu à plusieurs travaux savants, et
son monument majeur, la grande-mosquée de la ville, a fait l’objet au début des années 1980 d’une restauration de grande
ampleur ; voir notamment H. Basset et H. Terrasse, Sanctuaires et forteresses almohades, 1-83 ; Ch. Ewert, J.-P. Wisshak,
Forschungen zur almohadischen Moschee. II. Die Moschee von Tinmal, 2 vol., Mayence, 1984 ; H. Triki, J. Hassar-
Benslimane, A. Touri, Tinmel. L’épopée almohade, Milan, 1992. Des fouilles, encore inédites, y ont été menées. La thèse de Y.
Khiara citée supra dresse un utile bilan de ces investigations, ainsi qu’un panorama complet de l’histoire du site.
84 Pour un aperçu global des sources disponibles, on se reportera à J.-P. Van Staëvel, A. Fili, « Wa-wasalnâ ‘alâ barakat Allâh ilâ
Îgîlîz : à propos de la localisation d’Îgîlîz-des-Hargha, le hisn du Mahdî Ibn Tûmart », Al-Qantara, XVII (2006), 153-194 (156-
184). Il n’est pas possible de développer ici les raisons qui expliquent la marginalisation rapide, et très certainement voulue par
le pouvoir califal mum’inide, de ce site des origines. Sur la question, on se reportera à A. Fili, J.-P. Van Staëvel, « Oublier
Îgîlîz : un cas d’amnésie volontaire dans la tradition historiographique almohade », à paraître.
85 Rihlat al-Wâfid, éd. ‘A. Azayko, Kenitra, 1992, 185-186 ; voir également Justinard, La rihla du marabout de Tasaft Sidi
Mohammed ben el Haj Brahim ez Zerhouni. Notes sur l’histoire de l’Atlas, Paris, 1940, 8-10.
174 Ahmad Ettahiri, Abdallah Fili et Jean-Pierre Van Staëvel

appelle Îgîlîz, et dont les maisons et les ruines de la zone de commandement (qasba) sont connues des
gens. Le tout est entouré, sur les flancs de la montagne, d’un mur d’enceinte en pierre, dont tous les gens
de notre pays assemblés ne pourraient soulever ni même bouger de son emplacement le moindre roc qui
en fait partie […] ». Détail capital, l’autre toponyme mentionné, Tifigit, est celui que porte encore
aujourd’hui la localité de moyenne montagne située exactement en face du site, et qui commande l’accès
à celui-ci.

Le choix du site et les conditions de sa découverte


A la différence des deux exemples précédents – Fès, l’une des « villes impériales » du Maroc, et
Aghmat, déjà connue et partiellement étudiée sur le plan archéologique –, Îgîlîz restait encore, au début
du XXIe siècle, un site qui, s’il avait fait l’objet de timides tentatives de localisation, n’avait jamais été
caractérisé du point de vue archéologique, et encore moins exploré avec quelque détail. Or, ce site
jusqu’alors inédit offrait en théorie toutes les qualités recherchées pour constituer un point d’ancrage
particulièrement pertinent pour une recherche ambitieuse. Chose rare pour une région aussi méridionale,
ce site perdu dans la montagne apparaissait – comme on le verra infra – suffisamment documenté dans les
textes pour pouvoir envisager d’en proposer, au terme d’une prospection adéquate, une localisation et une
identification précises. L’idée qui a présidé à l’élection de ce site était assez simple : dans une région
« périphérique » – l’adjectif s’entend ici bien sûr du point de vue du rapport que cette région a entretenu
avec les centres politiques d’alors, tous situés au nord du Haut-Atlas, à l’exception de Taroudant, élevée
au XVIe siècle par la jeune dynastie saadienne au titre de capitale (éphémère) du royaume – et dont la
culture matérielle d’époque médiévale et prémoderne nous était presque totalement inconnue86, on
pouvait espérer, à partir de la localisation de ce site prestigieux qui semblait avoir été déserté peu après la
prise du pouvoir par les Almohades, bénéficier d’une utile « fenêtre » sur l’architecture et le mobilier
(céramique notamment) d’époque médiévale. Îgîlîz nous semblait le lieu idéal pour entamer une enquête
plus large, fondée sur des prospections à grande échelle, une fois entrés en possession de ces premiers
outils typologiques et munis de ces fossiles directeurs. La recherche de ce site était donc l’une des
priorités du programme de recherche intitulé Villages et sites-refuges du Sous et de la région d’Igherm
(Anti-Atlas central) : géographie historique et reconnaissance archéologique dans le Sud marocain87.
Menée dans la vallée du Sous médian et des piémonts voisins, dans les environs de Taroudant, cette
première enquête de terrain était consacrée à l’analyse, par les textes et la localisation sur le terrain, de
sites de hauteur, souvent fortifiés, ayant servi de refuge ou de point de contrôle du territoire durant la
période médiévale. C’est dans le cadre de ces premières recherches qu’en 2004, le site d’Îgîlîz a été
identifié, et qu’il a fait l’objet, dans les années qui ont suivi, de travaux de reconnaissance

86 Si l’on excepte les travaux de portée ethnographique réalisés dans les années 1940 par Dj. Jacques-Meunié sur les greniers
d’époque prémoderne du Haut- et de l’Anti-Atlas, la région du Sous est longtemps restée en marge des centres d’intérêt de la
communauté des archéologues. On relèvera toutefois une notable exception : la remarquable enquête entreprise par P. Berthier
sur les sucreries d’époque saadienne, citée supra. Mais ce n'est que récemment que l'intérêt pour cette région du sud du Maroc
s'est trouvé renforcé, sans jamais d'ailleurs que celle-ci n'apparaisse au cœur même du questionnement. Outre les travaux menés
plus au nord à Tinmal et dont on a déjà parlé, il faut mentionner à ce titre le programme archéologique « Naissance de la ville
islamique », codirigé dans les années 1990 par L. Erbati et P. Cressier, qui a permis de mener un premier diagnostic
archéologique sur le site de Tamdult, au sud de la zone concernée. On citera également les travaux menés par A. Bazzana en
amont de la réhabilitation des murailles de Taroudant, et surtout l’important programme archéologique qui a eu pour objet
l’étude de l'histoire du peuplement dans le Sous Tekna, et notamment dans l’Oued Noun, au sud-ouest de la zone qui nous
intéresse, sous la responsabilité de Y. Bokbot et J. Onrubia Pintado (voir introduction).
87 Placée sous la direction scientifique d’A. Fili et de J.-P. Van Staëvel, l’enquête (2003-2007) était de nature beaucoup plus
modeste : elle a été d’abord été financée sur fonds propres (grâce à une dotation de Sa Majesté le Roi du Maroc Mohammed VI,
octroyée à l’un des auteurs de l’article au titre du Prix de la meilleure thèse en langue française sur le monde musulman,
décerné en février 2002 par l’Institut d’Etudes de l’Islam et des Sociétés du Monde Musulman), puis dotée partiellement, à
partir de 2005, par des subventions accordées par l’UMR 5648, l’UMR 8167, l’Université de la Sorbonne et la Casa de
Velázquez. Le travail de prospection s’assimilait pour l’essentiel à une démarche exploratoire, une « reconnaissance »
archéologique, comprenant un investissement léger sur le terrain : étude de la céramique sur place, prise de photographies et de
mesures des structures sans levé topographique, élaboration d’un croquis général de situation pour chaque site, enquête orale
auprès des populations, etc. Qu’il nous soit permis ici de remercier très sincèrement les institutions, en la personne de leurs
directeurs, qui nous ont offert un indispensable concours financier, et plus encore un soutien moral et scientifique efficace : à la
Casa de Velázquez, Messieurs J.-P. Etienvre, Directeur, P. Moret puis D. Baloup, Directeurs des études pour l’Antiquité et le
Moyen Âge ; à l’UMR 5648, Monsieur D. Menjot, Directeur ; à l’UMR 8167, Madame F. Micheau, Directrice du Laboratoire
« Islam médiéval », et Monsieur Ch. Robin, Directeur de l’UMR. Cette étude préliminaire n’aurait enfin pu être menée sans le
soutien bienveillant de Monsieur A. Akerraz,, Directeur de l’INSAP.
La période islamique au Maroc 175

archéologique88. L’importance majeure que lui confèrent les débuts de l’épopée almohade et la figure
emblématique d’Ibn Tûmart, l’existence de vestiges importants encore partiellement conservés en
élévation, ainsi que la présence dûment constatée de céramique médiévale lors des premières
prospections, concouraient à poursuivre le programme des « Villages et sites-refuge du Sous » par la
fouille de ce haut lieu de l’histoire marocaine et maghrébine.

Aspects institutionnels du programme de coopération scientifique


Un dossier scientifique a donc été soumis à l’automne 2008 à la Casa de Velázquez et au Ministère
des Affaires étrangères et européennes côté français, ainsi qu’à l’INSAP côté marocain. Il proposait
d’entreprendre, après les travaux préliminaires (premier levé topographique), un cycle d’interventions de
terrain, incluant la fouille d’un certain nombre de secteurs au sommet de la montagne, tout en continuant
à étudier, au moyen de prospections thématiques, les modalités d’inscription du site dans son
environnement régional89. Un nouveau projet de recherche a donc vu le jour en 2008. Ce projet, intitulé
La montagne d’Îgîlîz et le pays des Arghen. Enquête sur l’histoire du peuplement rural dans le sud
marocain au Moyen Âge et à l’époque prémoderne, a eu l’heur de bénéficier de la confiance les
institutions sollicitées. Inscrit au programme quadriennal 2008-2011 de la Casa de Velázquez, il a par
ailleurs suscité la création officielle de la mission archéologique « Îgîlîz » auprès du MAEE (programme
quadriennal 2009-2012). Dans le cadre de la coopération scientifique entre la France et le Maroc, il a été
convenu que le programme de recherches archéologiques sur le site d’Îgîlîz serait mené conjointement
par l’INSAP et la Casa de Velázquez, et a été placé sous la responsabilité conjointe d’A. S. Ettahiri,
A. Fili et J.-P. Van Staëvel. Depuis 2009, le programme bénéficie en outre d’une allocation octroyée par
le Ministère des Affaires Etrangères et Européennes au titre de la coopération scientifique entre la France
et le Maroc, et d’aides ponctuelles de l’INSAP, de l’UMR 8167 « Orient et Méditerranée » (à partir de
2009), de l’UMR 5648 « Histoire et archéologie des mondes chrétiens et musulmans médiévaux » (en
2009), et de l’UMR 7209 « Archéozoologie, archéobotanique. Sociétés, pratiques, environnements » (à
partir de 2010). La participation d’archéologues de l’Institut National de Recherches Archéologiques
Préventives (INRAP) fait l’objet depuis 2010 d’une convention de partenariat. Le programme implique en
outre la participation active, au plan scientifique, de deux Universités, celle d’El Jadida (Université
Chouaib Doukkali) au Maroc, et celle de Paris-Sorbonne (Université Paris IV) côté français, aux fins de
diffusion des résultats de la recherche. La volonté manifestée par les différentes institutions de
rattachement d’inscrire cette action de coopération dans un cadre formel a débouché, en mars 2009, sur la
signature d’un accord de partenariat scientifique entre l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et
du Patrimoine (INSAP), la Casa de Velázquez, l’Université d’El Jadida et l’Université de Paris-Sorbonne.
La mission Îgîlîz organise une mission de fouilles par an, au printemps, d’une durée d’un mois ; les
activités de l’équipe concernent également l’inventaire du matériel déposé chaque année dans les locaux
de l’INSAP à Rabat, et la prospection archéologique. Elle prend en charge la formation d’étudiants
marocains et français, dans le cadre des fouilles90 et lors de sessions de formation thématique91.

88 Faute de place, on ne développe pas ici plus avant les arguments qui ont permis l’identification du site. Qu’il nous soit permis
de renvoyer à l’article cité supra : J.-P. Van Staëvel, A. Fili, « Wa-wasalnâ ‘alâ barakat Allâh ilâ Îgîlîz… ». Les clichés
illustrant cette présentation ont été obligeamment fournis par Monsieur A. Humbert, qui a réalisé une prospection aérienne au-
dessus du site en octobre 2009, au terme de la première année de fouille. Qu’il reçoive ici nos plus sincères remerciements.
89 On trouvera une présentation générale de ce programme de coopération scientifique dans A. S. Ettahiri, A. Fili, J.-P. Van
Staëvel, « La montagne d’Îgîlîz et le pays des Arghen (Maroc). Enquête archéologique sur une société de montagne, de la
révolution almohade à la constitution des terroirs précoloniaux », Les Nouvelles de l’archéologie, numéro spécial sur La
coopération archéologique française en Afrique. 2b. Maghreb. Antiquité et Moyen Âge, 124 (sept. 2011), 49-53.
90 En 2011, sept étudiants de l’INSAP, inscrits en troisième année dans la spécialité archéologie islamique, ont été intégrés à
l’équipe durant toute la durée de la campagne de fouille. Les étudiants stagiaires ont eu l’opportunité de prendre part aux
différentes étapes de la fouille : installation du chantier, décapage et enregistrement des données, appréhension du mobilier,
mise au net de la documentation photographique et graphique et synthèses préliminaires. D’autres séances de formation ont eu
pour cadre la maison de fouille, sous la forme de cours (premiers résultats de la prospection au Sous et dans l’Anti-Atlas, les
sites refuges en al-Andalus, étude archéobotanique à Igîlîz, etc.) et d’ateliers (photographie en archéologie, relevé
topographique et instruments de dessin sur le terrain, dessin assisté par ordinateur).
91 A titre d’exemple, deux sessions de formation, financées par une allocation spécifique de la Sous-direction des Échanges
scientifiques et de la Recherche (Pôle sciences humaines et sociales) du MAEE, ont été proposées durant l’année 2010. L’offre
de formation, qui a été préparée en collaboration avec l’INSAP et l’Université d’El Jadida, s’articulait autour de deux sessions
complémentaires, destinées à sensibiliser les étudiants et les chercheurs marocains aux outils facilitant aujourd’hui une
meilleure compréhension des données de terrain utiles à l’archéologue : archéobotanique, géomatique, télédétection, photo-
interprétation, analyse des paysages. La première session, intitulée « Journées de formation aux nouveaux métiers de
176 Ahmad Ettahiri, Abdallah Fili et Jean-Pierre Van Staëvel

Les principaux acquis des trois premières campagnes de fouille


La dimension militaire du site
La fouille d’Îgîlîz, ce haut-lieu de l’histoire marocaine et maghrébine, suscite d’importants enjeux de
mémoire dont la réflexion archéologique doit impérativement tenir compte. Dans son intervention92, S.
Macias a recouru à la notion d’« archéologie totémique » pour évoquer la dimension singulière qui
s’attache à certains sites très fortement marqués par le souvenir d’une figure historique majeure. Tel est le
cas de la montagne d’Îgîlîz, où plane encore, dans les discussions des populations locales, l’ombre d’Ibn
Tûmart93, et sur laquelle surtout les textes médiévaux, relativement abondants eu égard à la région, sont
diserts. Encore convient-il de jauger la fiabilité de ces témoignages à l’aune de la place qu’ils occupent
dans le dispositif de la propagande impériale almohade. Comme dans toute révolution, la prise du pouvoir
s’est en effet accompagnée de la constitution progressive d’un corpus historiographique officiel, soucieux
de réécrire à des fins d’édification les débuts du mouvement, donc de la période d’Îgîlîz94. Ces textes
nous offrent donc des informations utiles, mais sont également susceptibles de nous désinformer, d’autant
plus que la dimension linguistique originelle, le berbère tachelhit, ne nous est – à une exception près –
plus accessible, si ce n’est par le prisme déformant de l’arabe des cercles lettrés de la capitale. Il est par
ailleurs évident que la dimension historique – et a fortiori la stature postérieure du mythe – d’Ibn Tûmart
ne peuvent être que difficilement atteintes par l’archéologie, en l’absence de témoignages d’ordre
épigraphique ou scripturaire retrouvés in situ. Les chroniques médiévales situent la période d’activisme
de ce personnage à Îgîlîz durant un temps fort bref – en tout et pour tout, trois à quatre années au plus, s’il
faut en croire Ibn al-Qattân95, à compter de l’an 515/1121 (22 mars 1121-11 mars 1122) et jusqu’à la fin
de 518 (19 février 1124-6 février 1125)96 –, laps de temps qui s’accorde mal avec les possibilités de
datation par la céramique et le radiocarbone, dont les arcs chronologiques de référence sont forcément
supérieurs à celui-ci. C’est donc avec une extrême prudence qu’il convient d’aborder l’interprétation
historique des vestiges médiévaux retirés progressivement de leur linceul d’éboulis. S’il est permis de
penser que certaine constructions parmi les plus imposantes du site (la muraille, les portes et la « zone de
commandement » ; voir infra) datent bien de cette période très courte durant laquelle de grands moyens
humains et matériels ont été concentrés en ce lieu par les partisans d’Ibn Tûmart pour tenir tête aux
premières grandes expéditions lancées contre eux par le pouvoir central (sièges d’Îgîlîz en 1122 et 1123),
on sait par ces mêmes textes que la montagne est restée, au moins dans la décennie qui a suivi, une base
d’opérations militaires et une forteresse d’intérêt stratégique dans la lutte que se livraient alors les
Almoravides et les Almohades pour le contrôle du Sous. Le recours aux sources historiques ne doit pas
nous masquer par ailleurs la probabilité de nombreux angles morts dans la restitution de l’occupation du
lieu, dont seule l’archéologie est à même de signaler l’existence et l’épaisseur chronologique. Il nous faut
donc poursuivre notre tâche pour tenter d’affiner la séquence chronologique pour saisir l’éventuelle
évolution fonctionnelle du site.

l’archéologie : Systèmes d’Information Géographique (SIG) et Archéologie », a été préparée en étroite collaboration avec O.
Barge (Ingénieur de Recherches CNRS, Maison de l’Orient Méditerranéen, Centre de Jalès). Elle a réuni, en juin 2010, une
trentaine de chercheurs ou d’administrateurs et de techniciens impliqués dans le domaine du patrimoine et de la culture, et
appartenant aux diverses institutions en charge de ces questions au Maroc : INSAP, Ministère de la Culture, Institut Royal de la
Culture Amazighe (IRCAM), institutions muséales, Direction du Patrimoine culturel (DPC). La seconde session des Journées
de formation aux nouveaux métiers de l’archéologie a eu lieu en novembre de la même année, à Rabat puis à El Jadida.
Intitulée « Initiation aux nouvelles approches en archéologie : photointerprétation, SIG et archéobotanique », elle était toute
entière tournée vers les étudiants de l’INSAP et ceux de la Faculté des Lettres de l’Université d’El Jadida. Cette action de
formation comprenait deux volets : l’acquisition et l’interprétation de clichés (aériens ou satellites), dans un cadre d’analyse des
paysages ruraux pouvant déboucher sur la réalisation d’un SIG ; une initiation à l’archéobotanique, proposant une exploration
détaillée des diverses disciplines qui s’intéressent aux vestiges d’origine végétale. Cette session a été préparée conjointement
avec A. Humbert, géographe (Professeur émérite à l’Université de Nancy), S. Siafi, géomaticienne (INRAP, Metz) ; M.
Tengberg, archéobotaniste (Maître de conférences HdR, Université Panthéon-Sorbonne) et M.-P. Ruas, archéobotaniste
(Chargée de recherches HdR au CNRS, Muséum National d’Histoire Naturelle). Que tous les intervenants à ces Journées soient
ici remerciés pour l’aide précieuse qu’ils ont apportée à la réalisation de ce projet.
92 Voir l’article de S. Macias dans le même ouvrage.
93 Pour les montagnards voisins du site, tous les vestiges apparents ou exhumés au sommet de la montagne remontent du temps
d’Ibn Tûmart. Cette histoire locale fait aujourd’hui l’objet d’une étude spécifique.
94 Sur la question, cf. A. Fili, J.-P. Van Staëvel, « Oublier Îgîlîz… ».
95 Ibn al-Qattân, Nazm al-jumân li-tartîb mâ salafa min akhbâr al-zamân, éd. M. A. Makkî, Beyrouth, 1990, 130 et 123.
96 Ibid. Et, reprenant le témoignage d’Ibn al-Râ‘î : Ibid., 133. C’est une même durée de temps que l’on peut déduire des Mémoires
d’al-Baydhaq, in Lévi-Provençal, Documents inédits d’histoire almohade, Paris, 1928, ar. 131-132, trad. 222-223 et
commentaire du même, 117-118 n. 3
La période islamique au Maroc 177

Dès le premier abord, le dispositif défensif mis en œuvre par les montagnards Arghen ne peut
qu’impressionner le visiteur. Le front nord de la partie la plus orientale de la montagne (le « Jebel
oriental ») est en effet parcouru par plusieurs lignes de fortifications. Celles-ci, délaissant les barres et les
falaises qui offrent une protection naturelle suffisante, se concentrent sur les ressauts rocheux qu’elle
renforce de manière systématique, au moyen de murs et de murets. Ce dispositif, aussi sommaire
qu’efficace, bâti de moellons et de blocs, témoigne d’un travail colossal, par le volume de pierres
déplacées qu’il suppose. Il commande l’accès à la partie principale du site archéologique (le « Jebel
central »), où se concentrent les vestiges des constructions les plus importantes (fig. 8). Celui-ci est
enserré dans un nouveau corset de murailles. L’enceinte basse est percée de deux portes principales et
d’une poterne, toutes trois coudées. Comme nul indice ne permet de dater ces entrées d’une période de
réfection postérieure à l’érection des murailles, et que celles-ci renvoient vraisemblablement à la période
de plus forte occupation du site, c’est-à-dire à la première moitié du XIIe siècle (selon les datations
fournies, pour les alentours, par le mobilier et le radiocarbone), il conviendra de reconsidérer l’évolution
de l’architecture militaire du Maghreb extrême durant cette période à l’aune du plan complexe fourni par
ces deux portes maîtresses. On notera enfin que le mobilier métallique récolté lors des fouilles reflète
également la dimension guerrière du site, puisque les armes ou les équipements militaires (pointes de
flèches et de javelines, fragment de cotte de mailles, éléments de sellerie) constituent une proportion
importante des trouvailles.

Fig. 8 – Fouilles d’Îgîlîz.


Vue analytique des principales structures archéologiques sises sur le Jebel central, depuis le nord
(Cliché A. Humbert, oct. 2009 ; DAO : C. Capel)

La dimension religieuse de la montagne d’Îgîlîz


Si la dimension matérielle de la stature héroïque d’Ibn Tûmart nous demeure ainsi occultée, qu’en est-
il des signes tangibles de la doctrine prônée par lui ? La montagne d’Îgîlîz est, répètent à l’envi les textes
en notre possession, du temps d’Ibn Tûmart comme par la suite, un lieu de culte et de vénération. Les
sources insistent sur la ferveur qui anime Ibn Tûmart dès son retour, en 515/1121-1122, dans son village
natal, tout comme ils rapportent sa prompte retraite dans une grotte des environs. Considérée par les
tenants de la doctrine unitariste comme sanctifiée par la présence en son sein de l’Imâm, la « Grotte
178 Ahmad Ettahiri, Abdallah Fili et Jean-Pierre Van Staëvel

sacrée » recevra d’ailleurs la visite et les attentions des deux premiers califes almohades, ‘Abd al-Mu’min
en 552/1157, Abû Ya‘qûb Yûsuf en 578/1182. Deux anfractuosités rocheuses font, sur le site, l’objet de
recherches minutieuses afin d’y retrouver les traces éventuelles des pratiques ascétiques de certains
membres de la première communauté de dévots, ou d’aménagements cultuels postérieurs97 : c’est le cas
de l’une d’entre elles, dotée dans un second temps d’un couloir d’accès coudé, et à proximité de laquelle a
été retrouvée une sépulture en position privilégiée, datée précisément de la première moitié du XVe siècle.
Il reste surtout à l’archéologie à préciser la nature exacte d’un site que les premiers textes almohades
appellent ribât (« lieu de retraite spirituelle »), alors que des auteurs plus tardifs – Ibn ‘Idhârî et Ibn
Khaldûn entre autres – y mentionnent une râbita (« ermitage »). C’est donc à la restitution de cette
dimension religieuse du site que s’attache la fouille d’Îgîlîz. Trois mosquées ont à ce jour été repérées sur
le site, sans présager de futures nouvelles découvertes en la matière. La mosquée principale, implantée sur
le Jebel central, est formée d’une longue salle de prière divisée en deux nefs par des piliers-murs,
précédée du côté de la qibla par une avant-cour. Son histoire, complexe, a pu être restituée, depuis le
premier bâtiment dotée de piliers de briques crues, jusqu’au sanctuaire prémoderne, théâtre de repas
rituels communautaires, en passant par une phase de réforme drastique qui semble bien correspondre à
l’épisode de la restauration, par le calife ‘Abd al-Mu’min, de l’édifice profondément lié au souvenir du
fondateur de l’almohadisme, épisode mentionné dans la fameuse lettre almohade de 552/115798.
La « zone de commandement », traduction matérielle de l’apparition d’un pouvoir fort dans la
montagne
La concentration des opérations de fouille sur le plateau sommital (alt. 1350 m), au cœur même du
système défensif qui enserre selon un dispositif concentrique l’essentiel des structures médiévales du
Jebel central, a permis d’étudier les modalités de colonisation de cet emplacement par un habitat
témoignant, par sa construction, la qualité des aménagements et le matériel qu’on y a retrouvé, du
prestige de ses occupants. Ce qui ne nous apparaissait encore, en prospection, que comme un « enclos » à
la fonction mal définie, s’est révélé progressivement, au cours de la fouille, sous la forme d’un complexe
de bâtiments à la monumentalité certaine, fortement structuré autour d’une grande cour, bien protégé par
son mur d’enceinte et doté à l’ouest d’un système d’accès particulièrement complexe. Inscrit dans un
carré irrégulier (dim. approx. : 29 x 25 m) de près de 105 m de pourtour, cet ensemble de bâtiments
occupe une superficie légèrement inférieure à 700 m2. L’espace dévolu à cette « zone de
commandement » est encore plus important si l’on prend en compte l’avant-cour qui, bordée elle aussi
d’unités d’habitation, dessine un large « L » au nord et à l’est, en contrebas de l’ensemble qu’on vient de
décrire99. Le long des quatre murs de la zone de commandement viennent s’accoler des pièces,
généralement de plan rectangulaire. On compte ainsi : deux pièces sur le côté occidental ; trois pièces sur
le côté septentrional ; deux longues pièces sur le côté oriental, dont un vestibule ; enfin quatre espaces sur
le côté méridional (deux pièces de vie, une citerne, et une petite pièce servant à la toilette et aux
ablutions). Malgré quelques petites déformations, le plan d’ensemble de la zone de commandement
apparaît dans toute sa cohérence. Il est régi par les grands murs de clôture, qui ont été construits en
premier, avant que les pièces ne viennent s’accoler à eux. Sur le front ouest comme du côté oriental, les
deux accès à cette zone ont fait l’objet d’un soin tout particulier. Venant de l’ouest, le visiteur s’engage
sur l’esplanade au-devant du mur d’enceinte qui barre de sa masse puissante toute la zone sommitale dans
sa largeur. Il doit ensuite diriger ses pas vers celui des deux bastions d’angle qui se trouve au nord-ouest.
Là, une fois dans l’entrée, deux coudes successifs à main droite lui permettent de s’engager dans un long
couloir rectiligne, au terme duquel, par un nouvelle portion de couloir à double inflexion (à main gauche
cette fois-ci), le visiteur parvient dans l’angle sud-ouest de la cour. Au sud-est, le dispositif d’accès est à
la fois moins complexe et moins monumental, puisqu’il ouvre sur l’avant-cour de la zone de

97 Sur cette question, voir également J.-P. Van Staëvel, « La caverne, refuge de « l’ami de Dieu » : une forme particulière de
l’érémitisme au temps des Almoravides et des Almohades (Maghreb extrême, XIe-XIIIe siècles) », Cuadernos de Madînat al-
Zahrâ’, numéro spécial : Miscelanea de historia y cultura material de al-Andalus. Homenaje a Maryelle Bertrand, 7 (2010),
311-325.
98 La question de l’orientation des mosquées protoalmohades d’Îgîlîz fera l’objet de publications ultérieures. On sait que c’est là
l’un des signes tangibles du changement de régime, de la déchéance des Almoravides et de l’établissement d’un nouvel ordre
religieux et impérial.
99 La fouille des bâtiments bordant cette avant-cour a invalidé toute relation entre cette zone et une fonction spécifique et
exclusive de stockage, comme pouvaient le suggérer tant la position éminente que la distribution des pièces dans cet enclos :
celui-ci n’est donc en rien un prototype des futurs agadir-s, ces greniers fortifiés dont le développement va tant marquer
l’histoire de la région durant l’époque prémoderne.
La période islamique au Maroc 179

commandement. L’entrée s’effectue en ce cas par l’intermédiaire de la pièce sud, dont les deux portes
sont désaxées l’une par rapport à l’autre, à la manière des vestibules de maisons dans l’architecture
vernaculaire de l’Anti-Atlas et du Sous. L’ensemble forme ainsi un complexe vraisemblablement
résidentiel d’une grande cohérence de conception, dont la pièce maîtresse, dans l’aile occidentale, est
située non loin de l’angle nord-ouest de la cour. L’attention portée à la construction et à la finition de
cette pièce (grandes dimensions, sol et murs revêtus d’un enduit de chaux de qualité, banquette à
l’extrémité nord, présence supposée d’un étage), l’accumulation des moyens de contrôle de l’accès et de
filtrage des entrées, la présence d’une citerne et celle d’une mosquée en contrebas dans l’avant-cour,
témoignent sans aucun doute de l’importance particulière qui s’attachait à ce lieu ou à ses occupants. La
fonction de cet ensemble, l’identité des personnes qui y vivaient et la nature des biens qu’on y
entreposait, devaient être jugées suffisamment importantes pour que l’on érige autant d’obstacles sur la
voie d’accès à cette cour bordée de pièces. Malgré les apparences, le rôle défensif du complexe sommital
semble toutefois avoir été plus symbolique que réel. Le seul côté de l’édifice qui fait vraiment office de
muraille est situé à l’ouest, avec un long et haut mur, flanqué de deux bastions, dont le plus septentrional
contient l’accès principal. Le bâtiment n’avait d’ailleurs nul besoin de protections supplémentaires ; son
intégration dans un puissant système défensif : muraille haute et enceinte basse – que tout désigne du
point de la chronologie relative comme strictement contemporain de la zone de commandement – suffisait
amplement. Les fonctions essentielles de l’ensemble paraissent toutes autres : impressionner, recevoir et
abriter. Le mode de construction confère ainsi une monumentalité certaine à l’ensemble. Le caractère
imposant des bâtiments devait encore se trouver renforcé par l’aspect très homogène des élévations,
recouvertes de mortier maigre de couleur blanchâtre. Par ailleurs, le côté occidental est caractérisé par la
concentration des moyens de réception, au niveau des deux grandes pièces qui s’y trouvent ; une ou
plusieurs pièces d’étage devaient jouer le même rôle. Enfin, la présence de pièces tout autour de la cour
de la zone de commandement, ainsi que sur le pourtour de l’avant-cour en contrebas, au nord et à l’est de
celle-ci, atteste bien la place prise par l’habitat dans l’ensemble de la structure. De fait, la zone de
commandement s’apparente à une grande demeure seigneuriale, une qasba, telle qu’on en rencontrait
encore au début du XXe siècle dans les régions du Haut- et de l’Anti-Atlas100.
Le niveau d’occupation et d’abandon découvert dans les pièces fouillées contenait un lot exceptionnel
de pièces céramiques, qui a permis de mettre en évidence, par son homogénéité, le caractère éphémère de
l’occupation médiévale de la zone, et d’en donner les premiers éléments de datation autour du XIIe siècle.
À l’exception de l’aile occidentale de la zone de commandement, qui témoigne d’une histoire plus
complexe mais que bien peu d’éléments archéologiques probants viennent encore documenter pour les
phases les plus anciennes, le fonctionnement de la demeure fortifiée semble avoir été éphémère,
l’abandon rapide et définitif pour nombre de pièces, et ce à un moment encore indéterminé dans le
courant de la première moitié du XIIe siècle (si l’on prend le terminus ante quem de 1155 donné par
plusieurs datations 14C).
Comment interpréter cet ensemble ? On se heurte là à la limite de la confrontation possible entre les
textes et les vestiges, au risque de l’extrapolation ou de la surinterprétation que peut susciter un contexte
d’« archéologie totémique », plaquant imprudemment le témoignage des sources écrites sur les réalités
matérielles. Aussi, même si la tentation est grande de franchir les étapes, force nous est de reconnaître que
le décalage entre les dates du séjour d’Ibn Tûmart proposées par les chroniques médiévales et la séquence
chronologique que nous sommes capables de déterminer par la stratigraphie sur le terrain ne peut que
nous inciter encore à la prudence. Ce dont nous sommes assurés à ce jour, c’est que l’ensemble de la
structure monumentale, regroupant, en position prééminente, organisée autour d’une grande cour carrée,
une zone de commandement sans doute réservée à un petit groupe d’habitants de statut social élevé, et, en
contrebas, des pièces d’habitat ou des annexes, montre sans ambiguïté aucune les signes tangibles de la
matérialisation d’un pouvoir. Il semble assez vain d’y voir le siège d’une autorité gouvernementale : cette
hypothèse va à l’encontre de ce que l’on peut tirer des textes quant au rapport des Masmûda avec le
pouvoir almoravide de Marrakech), et du système sociopolitique en vigueur dans la montagne au début du
XIIe siècle101. La séquence chronologique restituée ne cadre pas non plus avec un hypothétique

100 C’est d’ailleurs ce nom de « Qasba » que nous avons retenu pour désigner l’ensemble de la zone de commandement,. On
rappellera que cette appellation avait également été donnée aux vestiges visibles sur la montagne d’Îgîlîz par le Marabout de
Tasaft, cité supra, dans son récit datant du début du XVIIIe siècle.
101 Encore une fois néanmoins, il convient peut-être de se garder d’accorder une trop grande foi à des textes qui tendent à mettre en
avant une opposition de toujours des montagnards aux velléités de contrôle du pouvoir central.
180 Ahmad Ettahiri, Abdallah Fili et Jean-Pierre Van Staëvel

établissement plus tardif, vers le milieu du siècle, d’une qasba implantée là par le pouvoir almohade
nouvellement installé à Marrakech. Bien plus vraisemblable apparaît dès lors une autre hypothèse, plus en
phase avec les textes : celle de l’apparition dans la montagne d’une chefferie guerrière. Bien loin de
constituer une illustration paradigmatique d’une construction reflétant les structures d’une société tribale
égalitaire, productrice d’une forme de bâti « communautaire », comme on en trouve des exemples bien
connus dans les forteresses rurales étudiées depuis plus de trente ans en Espagne102, la zone de
commandement d’Îgîlîz constituerait ainsi le signe tangible de l’apparition, en milieu montagnard
berbère, quelque part durant la première moitié du XIIe siècle, d’un pouvoir fort, à la fois militaire et –
peut-être ? – charismatique. Allant plus loin encore dans la simple analyse des vestiges, on peut
également se demander dans quelle mesure cet ensemble monumental, et surtout les modalités de son
inscription dans l’organisation spatiale globale du site, peuvent ou non rendre compte de la hiérarchie
tribale almohade. On sait en effet que, loin d’être un parangon d’« anarchie tribale », le mouvement
almohade se singularise, dès ses origines semble-t-il, par son caractère très hiérarchisé. Ibn Tûmart
semble avoir doté son mouvement d'une organisation complexe et hiérarchisée de conseils, inspiré sans
doute des structures tribales locales. Les grandes lignes de cette organisation nous sont connues103 ; les
détails demeurent par contre souvent obscurs. Bien des indices donnés par les textes à notre disposition
laissent à penser que cette hiérarchie des différentes fractions et tribus composant le bras armé du
mouvement almohade était de règle lors du séjour du Mahdî à Tînmal. Resterait bien sûr à savoir si cette
organisation méticuleuse existait déjà du temps de sa prédication à Îgîlîz. La stricte séparation des espaces
que l’archéologie a mise en évidence entre la zone de commandement et le reste des constructions sur le
Jebel central pourrait bien constituer le reflet d’une telle organisation.
Le mobilier céramique et les études archéobotaniques
Sur une région pour laquelle on ne disposait pas jusqu’alors –à de très rares exceptions près– d’études
sur la céramique, le site d’Îgîlîz vient ouvrir de nouvelles et fascinantes perspectives. Pour la première
fois en effet, on dispose selon toute vraisemblance de l’intégralité du mobilier céramique datant du XIIe
siècle sur un site des régions présahariennes du Maghreb104. La fouille a permis de caractériser des pièces
exceptionnelles, probablement importées d’al-Andalus, et produites dans des ateliers urbains hautement
spécialisés. Il s’agit là de témoignages de première importance pour la compréhension des dynamiques,
non pas tant économiques que politiques et symboliques, dans lesquelles s’inscrit Îgîlîz, le berceau du
mouvement révolutionnaire, au cours de la période almohade. La très grande majorité des pièces récoltées
correspond toutefois à des productions locales ou régionales, dont certaines constituent désormais de bons
fossiles directeurs sur le plan chronologique. Les nombreuses céramiques mises au jour depuis 2010 dans
les derniers niveaux d’occupation de la grande-mosquée permettent en outre d’avoir pour la première fois
une vue ample et détaillée sur les productions locales d’époque tardomédiévale et/ou prémoderne. Tous
ces éléments devraient permettre de constituer un remarquable référentiel céramique, qui nous permettra
dans les années qui viennent de mieux asseoir les datations proposées pour d’autres sites de la région.
Le programme La Montagne d’Îgîlîz et le pays des Arghen a été également conçu comme le moyen de
développer les études centrées sur les rapports qu’entretient une société de montagne et son
environnement105. Les études paléobotaniques menées sur le terrain depuis 2009 montrent de la façon la
plus nette que le site d’Îgîlîz, malgré des conditions d’aridité que l’on pensait au départ bien peu
favorables à ce genre d’enquête, est susceptible de fournir une documentation de première main sur les
espèces végétales disponibles sur place ou dans les environs, et corrélativement sur l’histoire des

102 Il n’est que de rappeler ici l’importance en la matière des contributions de P. Guichard, P. Cressier, A. Bazzana et P. Sénac,
auxquelles nous sommes tant redevables.
103 Sur l’organisation du mouvement almohade à ses débuts, voir : E. Lévi-Provençal, « Sic fragments inédits d’une chronique
anonyme du début des Almohades », dans Mélanges René Basset, Paris, 1925, t. II, ar. 340-343/trad. 361-365 ; Id., Documents
inédits…, « la généalogie des Almohades et l’organisation du parti », ar. 29-48/trad. 42-73 ; R. Montagne, Les Berbères et le
Makhzen dans le Sud du Maroc, Paris, 1930, 63-65 ; G. Marçais, La Berbérie musulmane et l’Orient au Moyen Âge, Paris,
1946, 260-261 ; H. Terrasse, Histoire du Maroc, I, Casablanca, Paris, 1949, 275-278 ; Ch.-A. Julien, Histoire de l’Afrique du
Nord, T. II. De la conquête arabe à 1830, 2ème éd. revue et mise à jour par R. Le Tourneau, Paris, 1952, 98-100 ; A. Huici
Miranda, Historia política del imperio almohade, t. I, 76-105 ; R. Bourouiba, Ibn Tumart, Alger, 1982, 77-81 ; sur les sources
et les problèmes que pose la fiabilité des informations concernant cette question, voir surtout le chapitre VII intitulé « The
Almohade Hierarchy » que lui consacre J. F. P. Hopkins, Medieval Muslim Government in Barbary until the Sixth Century of
the Hijra, Londres, 1958, 85-111.
104 L’étude du mobilier céramique est menée conjointement par A. Fili, C. Délery et M. Atki, avec l’aide de S. Zanatta.
105 Les études archéobotaniques sont menées par M.-P. Ruas et M. Tengberg, avec l’aide de Ch. Hallavant.
La période islamique au Maroc 181

techniques agricoles et des régimes alimentaires en usage chez les populations montagnardes de l’Anti-
Atlas durant l’époque médiévale. L’échantillonnage sédimentaire archéobotanique couvre désormais les
zones principales du sommet de la montagne, en offrant une diversité de contextes représentative106.
Outre la validation des datations absolues, plusieurs thèmes de recherche commencent à être développés
sur les plantes utilisées, les pratiques d’exploitation, l’étendue et les caractères des terroirs ainsi que sur
l’organisation des aires d’activités dans la forteresse et les pratiques de transformation, de stockage et de
consommation.

Conclusion
S’ils intéressent tous les trois des sites majeurs de l’histoire médiévale du Maroc, les exemples
présentés dans cet article témoignent néanmoins, du point de vue pratique, d’une diversité importante.
Diversité dans la nature de l’intervention d’abord : l’éventail des situations va de la fouille préventive
(Qarawiyyîn de Fès) à l’opération archéologique préalable à une mise en valeur de vestiges monumentaux
(hammâm d’Aghmât), ou à un plus classique programme de coopération internationale (montagne
d’Îgîlîz). La diversité des acteurs institutionnels impliqués à un moment ou à un autre de ces opérations
est encore plus considérable, qu’il s’agisse des organismes locaux en charge de l’archéologie (Ministère
de la Culture et INSAP au Maroc), de ceux développant des programmes de recherches et de coopération
(MAEE, UMR et désormais INRAP en France ; grandes écoles françaises à l’étranger – la Casa de
Velázquez en l’occurrence –), ou d’interlocuteurs plus spécifiques (Ministère des Habous et des Affaires
islamiques dans le cas d’une intervention dans un édifice religieux). La place de l’Université marocaine
dans les fouilles archéologiques nationales est plus ambiguë : au manque de crédits alloués à des chantiers
s’ajoute le faible nombre d’archéologues de terrain présents dans les rangs des enseignants-chercheurs, ce
qui la prive d’une visibilité scientifique dont elle aurait pourtant besoin. L’association de ces institutions
explique la part croissante des conventions de partenariat signées entre elles, et la nécessité d’un accord
formel préalable quant aux conditions de gestion d’un programme de recherche d’envergure. En
corollaire, on peut observer une tendance lourde qui accorde de plus en plus d’importance à la formation
d’étudiants de niveau Licence, Master et Doctorat, une exigence désormais au cœur du dispositif
institutionnel et financier. La fouille d’urgence de la Qarawiyyîn montre pourtant que l’argent manque
parfois pour mener à bien les recherches sur le terrain. Une solution pourrait se dessiner, avec
l’implication croissante de fondations privées. L’exemple de la fouille d’Aghmat montre en effet tout le
poids que peut représenter un mécénat de ce type dans la gestion d’une opération archéologique. Il
témoigne de la diversification des modes de sponsoring, mais aussi des aléas qui subsistent quant à leur
pérennité et au suivi d’un chantier dans la durée. Un autre problème inhérent à l’apparition d’un
financement privé dans le champ des recherches archéologiques touche à la manière dont ces nouveaux
acteurs peuvent éventuellement orienter les choix scientifiques, en privilégiant par exemple des sites
d’intérêt historique majeur, ou connus pour leur parure monumentale. Comment justifier en ce cas auprès
de ces bailleurs de fonds l’intérêt que peut représenter l’étude systématique d’un terroir, par exemple ?
L’une des priorités pour les archéologues consiste donc en une nécessaire adaptation à une dimension de
communication à laquelle leur formation initiale ne les prépare nullement, afin de discuter avec ces
nouveaux partenaires, pour démontrer le cas échéant l’intérêt de programmes fondés sur une réflexion
archéologique, et non sur une logique de rentabilité.
Les trois exemples développés dans l’article témoignent enfin d’une avancée spectaculaire des études
sur la céramique médiévale : ils constituent, avec bien d’autres sites médiévaux au Maroc, autant de
jalons vers une systématisation de nos connaissances. Une publication récente permet de mesurer les
progrès enregistrés en la matière au long des vingt dernières années107. Là encore, tant la formation que
les publications peinent à suivre l’accumulation des données. Elles n’en deviennent que plus décisives
pour les décennies qui viennent.

106 On en verra les premiers résultats dans : M.-P. Ruas, M. Tengberg, « Archaeobotanical research at the medieval fortified site of
Îgîlîz (Anti-Atlas, Morocco) with particular reference to the exploitation of the argan tree », Vegetation History Archaeobotany,
20 (2011), 419-433. (avec la collaboration d’A. S. Ettahiri, A. Fili et J.-P. Van Staëvel).
107 P. Cressier, E. Fentress (éd.), La céramique maghrébine du Haut Moyen-Âge (VIIIe-Xe siècles). État des recherches, problèmes
et perspectives, Rome, 2011.

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